afrique re elle numero 4

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SOMMAIRE : Les relations diplo- matiques ont été réta- blies entre Paris et Kigali alors que le gé- néral Kagame n'a pas retiré ses graves accusations diffama- toires portées contre la France : « Quant aux Fran- çais, leur rôle dans ce qui s’est passé au Rwanda est l’évidence même. Ils ont sciemment entraîné et armé les troupes gouvernementales et les milices qui allaient commettre le génocide. Et ils sa-  vaient qu’ils allaient commettre un géno- cide. » Parlant des soldats français qui partici- pèrent à l’opération Turquoise il ajouta, sans grande nuance : « Ils ont ouvert des routes pour permettre aux auteurs du génocide de fuir (…) Ils ont sauvé ceux qui tuaient, pas ceux qui étaient tués ». En France même, certains ont adopté sans la moindre distanciation la thèse of- ficielle de Kigali qui est que la France est complice du génocide du Rwanda. Les raisons avancées par le régime de Kigali sont au nombre de trois : - La France aurait formé les tueurs. - Elle savait que le génocide allait avoir lieu. - Elle aurait laissé faire. Ces accusations sont scandaleuses et il est pour le moins regrettable que l’Etat français, pourtant parfaitement rensei- gné sur le dossier, n’ait pas répondu dans des termes qu'elles méritaient. En effet : - primo, les tueurs furent des paysans ar- més de machettes et de gourdins. Dans ces conditions on voit mal en quoi la coopération militaire française qui a d’abord porté sur l’artillerie et le pilo- tage des hélicoptères aurait pu les former… - secundo, parce que le génocide n’ayant pas été programmé, comme cela a été clairement établi par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (Jugement du 18 décembre 2008 dans l’affaire Bagosora et consorts, TPIR-98-41-T), la France ne pouvait donc savoir qu’il allait avoir lieu. - tertio parce que les forces françaises avaient quitté le Rwanda en décembre 1993, soit six mois avant le 6 avril 1994, date du déclenchement du génocide, et à la demande expresse des actuels maîtres de Kigali. Ces derniers savent d’ailleurs bien que si l’armée française était demeurée sur place, jamais le géno- cide n’aurait eu lieu car, à la différence des hommes de l’ONU qui les avaient remplacés, les Français s'y seraient op- posés. En réalité, ces attaques constituent une manœuvre servant à masquer les véri- tables responsabilités dans le génocide. N’oublions pas en effet que c’est l’atten- tat du 6 avril 1994, qui coûta la vie à deux présidents en exercice, celui du Rwanda et celui du Burundi, qui en fut l’élément déclencheur. Le régime de Kigali est inquiet ; le mo- ment approche en effet qui verra éclater la vérité qui est que c’est en utilisant l’apocalypse du génocide qu’il a pris le pouvoir et qu’il a été accepté par la « communauté internationale ». Sa légitimité étant fondée sur le men- songe, il veille donc avec un soin jaloux à ce que l’histoire « officielle » qu’il a réussi à imposer aux médias ne soit pas contestée. Le juge Bruguière l’ayant fait voler en éclats, il exerce donc un chantage sur la France afin que l’exécution des mandats d’arrêt internationaux lancés contre ceux que la justice française considère comme les auteurs ou les commandi- taires de l’attentat du 6 avril 1994 soit enterrée. Le plus insolite est que, dans cette entre- prise, il bénéficie de l’aide d’alliés in- fluents au sein de l'Etat français et notamment de la plus haute hiérarchie du ministère des Affaires étrangères… Bernard Lugan L'AFRIQUE RÉELLE - N°4 - AVRIL 2010 PAGE 1 EVUE MENSUELLE PAR  INTERNET UNIQUEMENT PAR   ABONNEMENT  AGAME : LE TEMPS DES DISSIDENCES P.2 H ISTORIOGRAPHIE - Des connaissances en mouvement P.4 - Le jugement du colonel Bagosora ou l'acte de décès de l'histoire officielle du génocide du Rwanda. PAR  BERNARD LUGAN P.7 - Le jugement Zigiranyirazo ou la fin du mythe de l’Akazu PAR   JOHN PHILPOT P.11 LES MONTAGES DE IGALI - Le rapport Mucyo PAR  BERNARD LUGAN P.14 - Le rapport Mutsinzi PAR  C OLONEL  L UC  M  ARCHAL P.16 - Le rapport des « experts » britanniques PAR  COLONEL MICHEL OBARDEY P.21 LE FONCTIONNEMENT DU TPIR - Les curieuses méthodes du Procureur P.30 - Chronique d'audience P.34 N°4 - Avril 2010 NUMÉRO SPÉCIAL : GÉNOCIDE DU R  WANDA , NOUVEAUX ÉCLAIRAGES

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  • SOMMAIRE :Les relations diplo-matiques ont t rta-blies entre Paris et Kigali alors que le g-nral Kagame n'a pas retir ses graves accusations diffama-toires portes contre la France :

    Quant aux Fran-ais, leur rle dans ce qui sest pass au Rwanda est lvidence mme. Ils ont sciemment entran et arm les troupes gouvernementales et les milices qui allaient commettre le gnocide. Et ils sa-vaient quils allaient commettre un gno-cide.

    Parlant des soldats franais qui partici-prent lopration Turquoise il ajouta, sans grande nuance :

    Ils ont ouvert des routes pour permettre aux auteurs du gnocide de fuir () Ils ont sauv ceux qui tuaient, pas ceux qui taient tus .

    En France mme, certains ont adopt sans la moindre distanciation la thse of-ficielle de Kigali qui est que la France est complice du gnocide du Rwanda. Les raisons avances par le rgime de Kigali sont au nombre de trois :- La France aurait form les tueurs. - Elle savait que le gnocide allait avoir lieu. - Elle aurait laiss faire.

    Ces accusations sont scandaleuses et il est pour le moins regrettable que lEtat franais, pourtant parfaitement rensei-gn sur le dossier, nait pas rpondu dans des termes qu'elles mritaient. En effet :

    - primo, les tueurs furent des paysans ar-ms de machettes et de gourdins. Dans ces conditions on voit mal en quoi la coopration militaire franaise qui a dabord port sur lartillerie et le pilo-tage des hlicoptres aurait pu les former- secundo, parce que le gnocide nayant pas t programm, comme cela a t

    clairement tabli par le Tribunal pnal international pour le Rwanda (Jugement du 18 dcembre 2008 dans laffaire Bagosora et consorts, TPIR-98-41-T), la France ne pouvait donc savoir quil allait avoir lieu.- tertio parce que les forces franaises avaient quitt le Rwanda en dcembre 1993, soit six mois avant le 6 avril 1994, date du dclenchement du gnocide, et la demande expresse des actuels matres de Kigali. Ces derniers savent dailleurs bien que si larme franaise tait demeure sur place, jamais le gno-cide naurait eu lieu car, la diffrence des hommes de lONU qui les avaient remplacs, les Franais s'y seraient op-poss.

    En ralit, ces attaques constituent une manuvre servant masquer les vri-tables responsabilits dans le gnocide. Noublions pas en effet que cest latten-tat du 6 avril 1994, qui cota la vie deux prsidents en exercice, celui du Rwanda et celui du Burundi, qui en fut llment dclencheur.

    Le rgime de Kigali est inquiet ; le mo-ment approche en effet qui verra clater la vrit qui est que cest en utilisant lapocalypse du gnocide quil a pris le pouvoir et quil a t accept par la communaut internationale . Sa lgitimit tant fonde sur le men-songe, il veille donc avec un soin jaloux ce que lhistoire officielle quil a russi imposer aux mdias ne soit pas conteste. Le juge Bruguire layant fait voler en clats, il exerce donc un chantage sur la France afin que lexcution des mandats darrt internationaux lancs contre ceux que la justice franaise considre comme les auteurs ou les commandi-taires de lattentat du 6 avril 1994 soit enterre.

    Le plus insolite est que, dans cette entre-prise, il bnficie de laide dallis in-fluents au sein de l'Etat franais et notamment de la plus haute hirarchie du ministre des Affaires trangres

    Bernard Lugan

    L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010 PAGE 1

    REVUE MENSUELLE PAR INTERNET

    UNIQUEMENT PAR ABONNEMENT

    KAGAME : LE TEMPS DES DISSIDENCESP.2

    HISTORIOGRAPHIE

    - Des connaissances en mouvementP.4- Le jugement du colonel Bagosora ou l'acte de dcs de l'histoire officielle du gnocide du Rwanda.PAR BERNARD LUGANP.7- Le jugement Zigiranyirazo ou la fin du mythe de lAkazuPAR JOHN PHILPOTP.11

    LES MONTAGES DE KIGALI

    - Le rapport MucyoPAR BERNARD LUGANP.14- Le rapport MutsinziPAR COLONEL LUC MARCHALP.16- Le rapport des experts britanniquesPAR COLONEL MICHEL ROBARDEYP.21

    LE FONCTIONNEMENT DU TPIR

    - Les curieuses mthodes du ProcureurP.30- Chronique d'audienceP.34

    N4 - Avril 2010

    NUMRO SPCIAL : GNOCIDE DU RWANDA, NOUVEAUX CLAIRAGES

  • PAGE 2L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    Au Rwanda, lheure est la dissidence au sein des cercles les plus proches du pouvoir. Le gnral Faustin Kayumba Nyamwasa, ancien chef dtat-major de larme[2] sest ainsi enfui en Afrique du Sud o il a rejoint le colonel Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements ext-rieurs qui y est rfugi pour sa part depuis 2007. Ce dernier fut lartisan de la politique de pillage des res-sources du Congo tant en charge du Congo Desk Kigali. Le gnral Nyamwasa est vis par les mandats darrt internationaux lancs par le juge franais Bruguire (novembre 2006) et par le juge espagnol Merelles (fvrier 2008). Ce quil pourrait dclarer aux juges europens sonnerait le glas du rgime et cest pourquoi Kigali exerce actuellement dnormes pres-sions sur Pretoria pour obtenir son extradition vers le Rwanda au motif quil serait impliqu dans les atten-tats du 19 fvrier et du 4 mars.Le 6 mars 2010, Deo Mushayidi a quant lui t extrad depuis le Burundi et remis aux autorits du Rwanda. Ce Tutsi militant mo-narchiste de lADRN Igihango (Alliance pour la dmocratie et la r-conciliation nationale) et aujourdhui prsident du PDP (Pacte de dfense du peuple), est galement accus dtre impliqu dans les attentats la grenade et de comploter avec les deux exils sud-africains.

    Avec Laurent Nkunda, en rsidence surveille depuis de longs mois, la dissidence a commenc par toucher

    le noyau des Tutsi congolais qui constiturent certaines des meilleures units militaires du FPR. Avec le colonel Karegeya, elle sest tendue aux tutsi sudistes franco-phones, et avec le gnral Nyamwasa, aux Tutsi ougandais anglophones qui constituent le cur du rgime. Les trois principaux cercles du pou-voir sont donc dsormais touchs. Mais la base militaire du rgime lest galement car larme, trop nombreuse depuis que la guerre du Congo est termine, doit procder une importante dmobilisation. Len-voi de contingents dans le cadre des oprations de maintien de la paix a permis jusque l de freiner le mouve-ment, mais les dmobiliss et les d-mobilisables constituent autant de mcontents.La reconnaissance de langlais la fin de lanne 2008 comme langue of-ficielle denseignement a provoqu une cassure supplmentaire entre rescaps Tutsi de lintrieur, anciens migrs du Burundi et du Congo dune part, et Tutsi ns en Ouganda. Une autre fracture trop souvent igno-re des observateurs est celle spa-rant les deux clans tutsi dominants, celui des Nyiginya (en majorit mo-narchistes) et celui des Bega. Paul Kagame est Bega tandis que Nyamwasa et Karegeya sont Nyiginya

    Cest dans ce contexte lourd dorages que vont avoir lieu les lec-tions prsidentielles. Fixes au d-but du mois daot 2010, le rgime

    est certain de les remporter mme si le FDU-Inkindi (Forces Dmocra-tiques Unifies), le parti hutu prsi-d par Victoire Ingabire tente de mener campagne. Rentre au Rwanda aprs 18 annes passes en Europe, cette dernire est menace demprisonnement pour ngation-nisme , concept baillon permettant de rduire au silence quiconque nadhre pas lidologie officielle, et cela pour avoir dclar : Les Hu-tu qui ont tu les Tutsi doivent com-prendre quils doivent tre punis. Il en va de mme des Tutsi qui ont tu les Hutu . Le rgime tient par sa police et par ses appuis extrieurs, Europens et Amricains tant ttaniss par un sentiment de culpabilit ancr sur lhistoire officielle du gnocide. Cest donc pourquoi Kigali est impi-toyable avec tous ceux qui la contestent. Il en va de sa survie.

    KAGAME : LE TEMPS DES DISSIDENCES

    [1] Cette ide est toutefois relativiser si lon en croit laventure arrive un haut responsable du TPIR en visite au Rwanda et dont lpouse, victime

    dun accident sur le tarmac de laroport de Kigali, fut vacue vers lhpital roi Faycal. Aprs avoir heurt une moto taxi, lambulance qui la transpor-

    tait fit plusieurs tonneaux avant dtre assaillie par la foule et ses passagers dpouills...

    [2] Il fut remplac en 2001 la tte de larme par le gnral Emmanuel Habyarimana, et ce dernier par le gnral James Kabarebe.

    Vendredi 19 fvrier et jeudi 4 mars 2010, Kigali, plusieurs grenades furent lances dans la foule, faisant de nombreuses victimes. Ces attentats qui furent suivis de nombreuses arrestations traduisaient le climat dltre rgnant actuellement au Rwanda. Kigali tant une ville sre [1], la question se pose de savoir si ce nest pas le rgime lui-mme qui aurait organis ces actes terroristes afin de mettre ses opposants hors dtat de nuire.

    Disponible chezDUSQUESNE DIFFUSION

  • Il existe un profond dcalage entre la reprsentation des tragiques vnements du Rwanda par

    les mdias et leur ralit scientifique, les journalistes se contentant, le plus souvent, de se faire

    les porte-voix de l'histoire officielle raconte par le rgime de Kigali. Le plus insolite est que,

    depuis 1995, la suite des travaux du TPIR, l'tat des connaissances a t boulevers en profon-

    deur, mais que le grand public continue tre inform ou plutt tre dsinform, sur la base

    de ce que l'on croyait en 1995, au lendemain du gnocide. Ce refus btonn de toute prise en

    compte des avances de l'histoire constituera pour les gnrations futures un exemple embl-

    matique de ce que fut la pense unique du dbut du troisime millnaire.

    Ce dossier a pour but de remettre en perspective l'histoire du gnocide du Rwanda la lumire

    des plus rcents acquis et des plus actuelles recherches. Il est compos de deux parties. Dans

    la premire, le lecteur pourra suivre l'volution de l'tat des connaissances ; dans la seconde,

    travers l'tude de deux procs emblmatiques devant le TPIR, celui du colonel Bagosora prsen-

    t comme le cerveau du gnocide , et celui de Protais Zigiranyirazo, prsent comme le par-

    rain de l'Akazu , nous verrons comment les juges, en toute indpendance, ont rduit nant

    les deux pilliers de l'histoire officielle, savoir la prmditation du gnocide et l'existence

    d'une cellule (l'Akazu), destine l'organiser.

    PAGE 3

    HISTORIOGRAPHIE

    L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

  • Le 6 avril 1994, le prsident Juvnal Habyarimana du Rwanda se rendit Dar es Salam, en Tanzanie, pour y participer un sommet rgional runissant les prsidents Ali Hassan Mwinyi de Tanzanie, Museveni dOuganda, Cyprien Ntaryamira du Burundi et George Saitoti, vice pr-sident du Kenya. La runion termi-ne, le chef de lEtat rwandais dcida de rentrer dans son pays. Vers 20h 30, alors quil allait atterrir Kigali, lavion prsidentiel fut abattu par deux missiles SAM 16 por-tant les rfrences 04-87-04814 pour lun et 04-87-04835 pour lautre. Fabri-qus en URSS, ils faisaient partie dun lot de 40 missiles SA 16 IGLA li-vrs larme ougandaise quelques annes auparavant (Bruguire, 2006 : 38)[1]. Trouvrent la mort dans cet acte de terrorisme commis en temps de paix, deux chefs dEtat en exercice, les prsidents Juvnal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi, ainsi que deux ministre burundais, MM. Bernard Ciza et Cyriaque Simbizi. Parmi les victimes se trouvaient ga-lement le Chef dtat-major des FAR (Forces armes rwandaises), le gn-ral Deogratias Nsabimana, le major Thadde Bagaragaza, responsable de la maison militaire du prsident rwandais, le colonel Elie Sagatwa,

    beau-frre du prsident Habyarimana et chef de son cabinet militaire, ain-si que lquipage franais compos de MM Jacky Hraud, Jean-Pierre Minoberry et Jean-Michel Perrine, tous trois civils.En quelques secondes le Rwanda se retrouvait sans chef de lEtat et sans chef dtat-major. Le ministre de la Dfense, Augustin Bizimana, tait en mission ltranger, quant au ministre de lIntrieur, Faustin Munyazeya qui faisait lui aussi par-tie de la dlgation du 6 avril Dar es Salam, il navait pas pris lavion et il dcida de ne pas rentrer au Rwanda.

    Dans la nuit du 6 au 7 avril, les forces militaires du FPR rompirent le cessez-le-feu et entamrent la conqute du pays. Au bout de quelques jours, larme rwandaise, paralyse par lembargo sur les armes et les munitions quelle subis-sait[2], fut dfaite[3] et dimmenses tueries se droulrent alors dans le pays, le gnocide des Tutsi tait dou-bl dun massacre de masse des Hu-tu par lAPR (Merelles, 2008). Le 16 juin 1994, M. Alain Jupp, ministre franais se pronona pour le principe dune opration humani-taire. Le 22 juin, le Conseil de scuri-t de lONU donna mandat la

    France pour intervenir au Rwanda. Le 23, lOpration Turquoise[4] dbu-tait et le 5 juillet, larme franaise crait dans le sud-ouest du Rwanda, une Zone humanitaire sre cepen-dant quau nord, un flot ininterrom-pu de Hutu scoulait en territoire zarois o de gigantesques camps surgirent de terre.

    Lhistoriographie concernant le gno-cide du Rwanda a t bouleverse en profondeur partir de lanne 2000 en raison de la dcouverte ou de la mise en vidence de sources historiques nouvelles. Les certitudes btonnes par les terribles images des massacres commencrent se fissurer quand, lun aprs lautre, trois transfuges tutsi accusrent di-rectement le FPR (Front patriotique rwandais) et son chef, le gnral Kagame, dtre les commanditaires de lattentat ayant provoqu la mort du prsident Habyarimana, donnant force dtails sur lopration, dont les noms des membres du comman-do ayant abattu lavion[5]. Or, cest ce meurtre qui provoqua les vne-ments en chane qui aboutirent au gnocide des Tutsi et au massacre de masse des Hutu.Les commissions denqute de lAs-semble nationale franaise (1998) et du Snat de Belgique, les ordon-

    PAGE 4

    DES CONNAISSANCES EN MOUVEMENT

    [1] Le Rapport du juge espagnol Merelles (2008) soutient lui aussi la thse de lattentat perptr par lactuel pouvoir de Kigali. Or, comme la dclar

    le 17 avril 2000 Madame Carla Del Ponte, ancien Procureur devant le Tribunal pnal international du Rwanda (TPIR) : Sil savrait que cest le FPR

    qui a abattu lavion du Prsident Habyarimana, lhistoire du gnocide devrait tre rcrite.

    [2] A la diffrence de lAPR largement approvisionn depuis lOuganda.

    [3] Les FAR rsistrent Kigali alors quelles navaient pas de rserves de munitions. A ce sujet, on se reportera au rcit trs document fait par le ma-

    jor Faustin Ntilikina : Rwanda : la prise de Kigali et la chasse aux rfugis par l'arme du gnral Paul Kagame, Paris, 2008.[4] Cette opration fut dcide par la Rsolution n 929 du 22 juin 1994 du Conseil de scurit de lONU. Selon la rsolution, cette force devait contri-

    buer de manire impartiale, la scurit et la protection des personnes dplaces, des rfugis et des civils en danger au Rwanda . Contrairement

    la Minuar qui relevait du Chapitre VI, lOpration Turquoise relevait du Chapitre VII de la Charte de lONU qui permet le recours aux armes en cas de

    menace. Cette opration qui sest droule du 23 juin au 21 aot 1994 tait compose de 2550 militaires franais et de 500 autres venus du Sngal,

    de Guine-Bissau, dEgypte, du Tchad, de Mauritanie, du Niger et du Congo.

    [5] Ces transfuges sont entre autres, Jean-Pierre Mugabe (2000), Aloys Ruyenzi (2004) et Abdul-Joshua Ruzibiza (2004 ; 2005).

    L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    L'histoire du gnocide du Rwanda a connu de profonds remaniements et mme un total retour-nement de perspective ces dernires annes la suite des travaux du TPIR (Tribunal Pnal International pour le Rwanda) et des enqutes judiciaires menes en France et en Espagne par les juges Bruguire et Merelles.

  • nances du juge Bruguire (2006), les dizaines de milliers de pages des pro-cs-verbaux des audiences devant le TPIR, les centaines dauditions de t-moins, les innombrables pices ajou-tes en preuve ou en contre preuve, les rapports dexpertise devant le TPIR et enfin le rapport de lAu-dience nationale espagnole sign par le juge Merelles (2008), permettent de soutenir que ce qui a t crit auparavant au sujet du gno-cide rwandais est dsormais scientifi-quement dpass. Par rapport ce que lon croyait au lendemain de lassassinat du pr-sident Habyarimana, que savons-nous de nouveau aujourdhui ?

    - Lattentat du 6 avril 1994 qui a co-t la vie au prsident Habyarimana du Rwanda naurait pas t commis par des Hutu dits extrmistes , mais par la fraction dirigeante tutsi actuellement au pouvoir au Rwanda (Bruguire, 2006 ; Merelles 2008). - Entre 1991 et 1994, plusieurs res-ponsables hutus dits modrs , no-tamment MM Flicien Gatabazi et Emmanuel Gapyisi furent assassi-ns, ce qui, lpoque, avait provo-qu la condamnation et la mise au ban du rgime Habyarimana accus davoir commandit ces crimes. Or, ces meurtres auraient galement t ordonns par lactuelle quipe au pouvoir Kigali . Les enqutes du juge franais Bruguire (2006) et du juge espagnol Merelles (2008) donnent mme les noms des tireurs, des conducteurs des vhicules ou des motos ayant servi aux attentats etc .- En 1991 et en 1992, des dizaines dattentats aveugles (mines, gre-nades etc.,) provoqurent lexacerba-tion de la haine ethnique. Sur le moment, ils furent attribus aux hommes de main du prsident Habyarimana, les fameux esca-drons de la mort . Aujourdhui, les juges Bruguire et Merelles sou-tiennent que ces attentats ont t commis par des membres du FPR et quils entraient dans le cadre dune stratgie de tension destine provo-quer le chaos permettant une conqute du pouvoir.- Le FPR bnficie du soutien dun r-

    seau international totalement acquis sa cause et que Pierre Pan (2005) dsigne sous le nom de Blancs men-teurs . - Les Interahamwe dont le nom est as-soci au gnocide des Tutsi furent crs par un Tutsi devenu plus tard ministre dans le gouvernement tutsi du gnral Kagame. Le chef de cette milice Kigali tait lui-mme Tutsi ainsi que nombre dinfiltrs au sein de la milice dont nous connaissons

    parfois les noms et jusquaux pseudonymes. Leur mission tait double : provoquer le chaos afin de crer lirrversible et discrditer les Hutu aux yeux de lopinion interna-tionale.- Procs aprs procs, en dpit de tous ses efforts, lAccusation devant le TPIR na pas t en mesure de d-montrer que le gnocide fut pro-gramm, mme sil a bien eu lieu. - Le gnocide a caus la mort de

    PAGE 5L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    Les Accords dArusha dont le protocole final fut sign le 3 aot 1993 bouleversrent la situation po-litique rwandaise. Ils sont compo-ss dune srie de protocoles signs entre le 29 mars 1991 et le 3 aot 1993 par le FPR et le prsident Habyarimana et furent labors partir daccords de cessez-le-feu si-gns au Zare le 29 mars et le 16 septembre 1991, puis Arusha le 12 juillet 1992. Ils comportent tout dabord un pro-tocole relatif la dfinition de lEtat de droit (Arusha le 18 aot 1992). Deux protocoles concernent le partage du pouvoir dans le cadre dun Gouvernement de transition base largie (GTBE) (Arusha, le 30 octobre 1992 et le 9 janvier 1993). Ils prvoyaient que le futur Pr-sident de la Rpublique serait membre du MRND (D) tandis que le futur Premier ministre appartien-drait au MDR. Un poste de vice-Pre-mier ministre rserv au FPR tait cr. Le GTBE serait compos de cinq ministres MRND (D) dont ceux de la Dfense et de la Fonc-tion publique, de cinq ministres FPR dont celui de lIntrieur, de quatre ministres MDR, de trois PSD, de trois PL et dun PDC. Le GTBE, cur de la transition tait nomm par les partis politiques par-ticipant au Gouvernement de coali-tion install le 16 avril 1992, plus le FPR. Le chef de lEtat perdait donc lessentiel de ses attributions, ce qui constituait une vritable rvolu-tion politique. Les Accords dArusha donnaient ga-lement naissance une Assemble

    nationale de transition (ANT), com-pose de soixante dix dputs rai-son de onze pour les cinq principaux partis (MRND(D), MDR, FPR, PSD et PL), quatre pour le PDC et un sige pour chacun des onze petits partis . Les nouvelles institutions devaient se mettre en place le 10 septembre 1993 au plus tard. Quant la dure de la priode de transition, elle de-vait tre de 22 mois et sachever par des lections au suffrage uni-versel.

    Les accords dArusha ne purent tre appliqus car deux des partis politiques dopposition, le MDR et le PL (Parti libral) se divisrent au sujet des rapports quils devaient entretenir avec le FPR. Le problme fut alors de savoir quelles ailes de ces partis allaient dsigner les dputs lANT et les ministres au GTBE. Cette question entrana dincessantes querelles et de multiples reports du processus de Transition. Le FPR avait quant lui compris que lethno-mathma-tique[1] lui interdisait de remporter les lections qui devaient mettre un terme la transition. Sa seule force tant militaire, il navait donc pas dautre possibilit que la conqute du pouvoir par la force, ce qui passait par une reprise unila-trale des hostilits.

    [1] Les Tutsi ntant qu'entre 12% et 14% de

    la population, ils navaient aucune chance de

    lemporter sur les partis hutu, mme si ces

    derniers taient diviss.

    Les accords dArusha

  • 1.100.000 personnes selon les chiffres officiels donns par lactuel rgime rwandais. En 1994, la popula-tion du Rwanda tait dun peu plus de 7 millions dhabitants dont de 12 14% de Tutsi, soit environ 800 000 personnes. 70 75% de tous les Tutsi vivant au Rwanda auraient t tus, soit entre 500 et 600 000 per-sonnes, ce qui fait que la moiti des 1.100.000 victimes taient Hutu. Nous sommes donc en prsence dun gnocide crois, dun double g-nocide (Merelles, 2008), dun gno-cide doubl dun ethnocide ou encore dun gnocide doubl de mas-sacres de masse. Quelles que puissent tre les formulations et au-cune nest pleinement satisfaisante, la ralit est que des Hutu, certains Hutu, ont massivement tu des Tut-si, et que des Tutsi, certains Tutsi, ont non moins massivement tu des Hutu. Or, seuls des Hutu ont t ju-gs puisque le TPIR a constamment refus poursuivre les Tutsi, commencer par les commanditaires et les excutants connus des divers crimes et attentats dont il a t fait tat plus haut.- Les militaires hutu dits extrmistes nont pas fait un coup dEtat dans la nuit du 6 au 7 avril 1994. Ils ont au contraire tout fait pour sauvegarder la lgalit constitutionnelle et ont, de plus, permis la constitution dun gouverne-ment civil mis en place ds le 10 avril (Lugan, Rwanda : Contre-enqute sur le gnocide : 79-82, 164-189). Il sagit l dun cas unique en Afrique. Cette obsession lgaliste a dailleurs eu de funestes consquences. Nau-rait-il pas mieux valu en effet que, face au vide politique et la situa-tion de chaos provoqus par lassassi-nat du prsident Habyarimana, les militaires prissent provisoirement le pouvoir afin de rtablir lordre ? Ils ont jug que la continuit de la lgali-t institutionnelle passait avant le r-tablissement de lordre. Peut-tre ont-ils eu tort, mais le comble est de les accuser davoir voulu faire un coup dEtat. - Contrairement ce que cherche faire croire Kigali, la France et lar-me franaise ne sont en rien impli-ques dans ce gnocide qui dbuta

    en avril 1994, alors que les der-nires troupes franaises avaient quitt le Rwanda en dcembre 1993 et la demande expresse du FPR

    tutsi qui en avait fait un pralable non ngociable de la poursuite du processus de paix.

    PAGE 6L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    Le 15 novembre 1992 Ruhengeri, les premiers protocoles des accords de paix dArusha ayant t signs, le prsident Habyarimana pronona un discours dont le contenu fut d-form par l historien militant Jean-Pierre Chrtien dans son livre intitul : Rwanda les mdias du gno-cide, Paris, 1995.

    Le basculement du rgime vers un scnario de confrontation eth-nique Hutu Tutsi nest pas moins ex-plicite dans le discours que le prsident de la Rpublique pro-nonce Ruhengeri le 15 novembre 1992. Juvnal Habyarimana y quali-fie les accords de cessez-le-feu si-gns Arusha avec le FPR de chiffon de papier sign linsu du peuple rwandais . (Chrtien, 1995, p. 54).

    Cette accusation fut reprise sans v-rification par A. Des Forges, dans son rapport dexpertise devant le TPIR :

    () Habyarimana dsavoua les ac-cords le 15 novembre en les quali-fiant de chiffon de papier . (TPIR- 98-41-T, Rapport dA. Des Forges devant le TPIR, 2002, p. 34).

    Or, dans son discours, le prsident Habyarimana ne dsavoua pas les ac-cords dArusha et il ne les qualifia pas de chiffon de papier . Ses pa-roles exactes furent en effet les suivantes :

    Nous souhaitons fermement que la paix revienne au Rwanda. Cest pourquoi nous soutenons les ngocia-tions en cours Arusha. On dit tout le temps que le MRND ne soutient pas les ngociations. Que faut-il faire pour montrer que le MRND sou-tient les ngociations (applaudisse-ments) ? Moi-mme, au nom du

    MRND, je dis que le MRND soutient les ngociations. Je les soutiens per-sonnellement dans lespoir quelles nous ramneront la paix. Mais la paix, cest pas les papiers, la paix cest le cur, la paix viendra quand tous les Rwandais aurons (sic) com-pris que celui qui parle en leur nom, a dit ce quils dsirent. Quil na pas parl au nom de tel ou tel parti, quil a respect le mandat du Gouvernement, cest ce que nous lui demandons. Quil naille pas ra-conter nimporte quoi et quau re-tour, ils (sic) nous rapporte des papiers en guise de paix. La paix est-ce les papiers ? (applaudisse-ments et cris de joie). Nous deman-dons la dlgation de sen tenir au mandat du peuple rwandais, nous demandons la dlgation qui se rend Arusha de dfendre les po-sitions du Gouvernement, de d-fendre ce qui a t convenu au niveau du Gouvernement [1]

    La dclaration du prsident signi-fiait tout simplement que les ngo-ciateurs de Kigali devaient dfendre Arusha les options du gouvernement de coalition dans son ensemble et non celles de telle ou telle de ses composantes plus ou moins ouvertement allie au FPR. Dans ce discours, le soutien au pro-cessus dArusha est clair et la r-frence au chiffon de papier absente ; or c'est en se fondant sur la manipulation de ce discours que les adversaires du prsident Habyarimana accusrent ce dernier d'hypocrisie et dclenchrent contre lui une norme campagne de dsinformation.

    [1] Discours du Prsident Habyarimana le 15

    novembre 1992. Traduit du kinyarwanda par

    Eugne Shimamungu, 4 pages, texte en kinyar-

    wanda et en franais en vis--vis, pp 2 et 3.

    Traduction authentifie devant le TPIR et non

    conteste par la Chambre.

    Comment on fabrique une campagne de dsinformation

  • PAGE 7

    Dinsolites pratiques judiciaires eurent cours loccasion de ce pro-cs. Les autorits rwandaises choi-sirent en effet dans les archives rcupres aprs la prise de pouvoir du mois de juillet 1994 les seuls docu-ments venant lappui de leur thse, avant de les remettre au Procu-reur du TPIR pour lui permettre de construire son acte daccusation. Puis, ce dernier procda un second tri, ne communiquant la Dfense que les lments allant dans le sens de sa thse et ne lui donnant pas ac-cs aux autres documents. Difficile dans ces conditions de parler de pro-cs quitable puisque tout le dossier fut linitiative des vainqueurs.

    Le TPIR aurait normalement d commencer ses travaux par le pro-cs du colonel Bagosora puisque le

    Procureur prsentait ce dernier comme le cerveau du gnocide . Or, la suite dvnements divers, et notamment parce que son dossier tait vide, lAccusation prit du re-tard et il fut dcid de juger en atten-dant les responsables de niveau infrieur dans la hirarchie postule de la chane gnocidaire . Dans aucun de ces procs, le Procu-reur ne fut capable de prouver la pr-mditation du gnocide ; sa stratgie fut alors de renvoyer la preuve de ce quil avanait au pro-cs Bagosora lui-mme. Ceci fait que certains accuss furent condamns, le plus souvent la pri-son perptuit au nom du postulat de la prmditation du gnocide dont il tait annonc quelle serait tablie lissue du procs Bagosora

    Un coupable dsign

    Durant tout le procs du colonel Bagosora, le Procureur a soutenu quil y avait eu complot et entente en vue de commettre le gnocide[3], sappuyant en cela sur linsolite ex-pertise de Madame Alison Des Forges.A partir de 1999, anne de publica-tion de son livre intitul Aucun tmoin ne doit survivre[4], Madame A. Des Forges (1942-2009)[5], militante des droits de lhomme et conseiller principal de lorganisation Human Rights Watch pour la division afri-caine[6], devint la rfrence essen-tielle, puis quasi exclusive de lAccusation devant le TPIR[7]. Lexa-men de ses rapports dexpertise dans les 22 affaires pour lesquelles elle fut lexpert du Procureur laisse

    LE JUGEMENT DU COLONEL BAGOSORA OU LACTE DE DCS DE LHISTOIRE OFFICIELLE

    DU GNOCIDE DU RWANDA

    BERNARD LUGAN [1]

    [1] Expert dans les affaires Emmanuel Ndindabahizi (TPIR-2001-71-T), Thoneste Bagosora (TPIR-98-41-T), Tharcisse Renzaho (TPIR-97-31-I), Protais

    Zigiranyirazo. (TPIR-2001-73-T), Innocent Sagahutu (TPIR-2000-56-T), Augustin Bizimungu (TPIR- 2000-56-T). Commissionn dans les affaires Edouard

    Karemera (TPIR-98-44 I) et J.C Bicamumpaka. (TPIR-99-50-T). La synthse de ces rapports et des travaux du TPIR a t faite dans Bernard Lugan

    (2007) Rwanda : Contre-enqute sur le gnocide. Paris.[2] Procs joint celui de trois autres officiers suprieurs, Gratien Kabiligi, Anatole Nsengiyumva et Aloys Ntabakuze, Militaires I dans la nomencla-

    ture du TPIR.

    [3] TPIR, 96-7-I, Le Procureur du Tribunal contre Thoneste Bagosora , 1999, op cit, pp 31-32.

    [4] Des Forges, A. et alii, Aucun tmoin ne doit survivre.Le gnocide au Rwanda. Paris, 1999. Voir galement ses diverses interventions devant le TPIR, quil sagisse de ses rapports crits ou ses dclarations devant la Cour et des procs-verbaux des audiences.

    [5] Les critiques contenues dans cet article ont t faites dans mes rapports dexpertise devant le TPIR et lors des audiences publiques du TPIR avant

    2009, du vivant de Madame Des Forges.

    [6] TPIR- 98-41-T, Des Forges, 2 septembre 2002, sans pagination.

    [7] Des Forges fut lexpert du Procureur dans les procs Akayezu (ICTR- 96-4-T), Gacumbitsi (ICTR- 01-64-T), MEDIA regroupant ceux ce Nahimana Fer-

    dinand (ICTR-96-11), Ngeze Hassan Franois (ICTR-97-27) et Barayagwiza Jean Bosco (ICTR-97-19). Dans celui dEmmanuel Ndindabahizi (ICTR- 01-71-

    T) , dans laffaire Butare regroupant les affaires Kanyabashi Joseph (ICTR-96-15), Ndayambaje Elie (ICTR-96-8), Nsabimana Sylvain (ICTR-97-29), Nta-

    hobali Arsne (ICTR-99-21), Ntaziryayo Alphonse (ICTR-97-29) et Nyiramasuhuko Pauline (ICTR-99-21), dans les affaires Bizimungu Casimir (ICTR-99-

    45), Mugenzi Justin (ICTR-99-47), [1] Bicamumpaka Jrme (ICTR-99-49), Mugiraneza Prosper (ICTR-99-48) dans le dossier dit MILITAIRES I regrou-

    pant ceux du Colonel Bagosora Thoneste (ICTR-96-7) du Gnral Kabiligi Gratien (ICTR-97-34), du Lt Colonel Nsengiyumva Anatole (ICTR-96-12) et

    du Major Ntabakuze Aloys (ICTR-97-30), ainsi que dans les dossiers Rwamakuba, (ICTR- 98-44-T) et Renzaho (ICTR- 97-31).

    L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    Prsent comme le cerveau du gnocide par le Procureur du TPIR, le colonel Bagosora fut arrt au Cameroun au mois de mars 1996 et depuis cette date il est prisonnier de lONU Arusha. Dfendu par Matre Raphal Constant, son procs (TPIR-98-41-T), dbuta au mois davril 2002, soit six annes aprs son arrestation, mais ce ne fut quau mois doctobre 2004 que le Procureur fut en mesure de soutenir son acte daccusation[2].

  • PAGE 8L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    une relle impression de malaise en raison de leur caractre rptitif[8] et de leur constant refus de toute prise en compte de lvolution de lhistoriographie - quelle tait pour-tant mme de voir puisquelle parti-cipait quasiment tous les procs - comme si, pour elle, lhistoire du g-nocide avait t crite une fois pour toutes. Procs aprs procs, Ma-dame Des Forges demeura ainsi im-perturbablement indiffrente lvolution des connaissances, arc-boute dune manire bute et parfois mme pathtique, son pos-tulat de dpart qui tait que les ext-rmistes hutu et une partie de lencadrement des FAR (Forces ar-mes rwandaises), avaient dcid dexterminer les Tutsi et staient en-tendus dans ce but :

    En 1994, un groupe relativement restreint de Rwandais organisrent le gnocide de leurs concitoyens dorigine tutsie et le massacre dautres ressortissants rwandais qui avaient des opinions politiques contraires aux leurs et qui taient considrs comme allis des Tutsis. Ils planifirent ce massacre sur une priode de quelques mois approxima-tivement - peut-tre plus de 12 - et mirent excution leur plan immdia-tement aprs la mort du Prsident Juvnal Habyarimana dont lavion fut abattu le 6 avril 1994 () A la fin du mois de mars 1994, les officiers militaires et les dirigeants politiques qui pousrent la cause du Hutu Power taient dtermins tuer un nombre considrable de Tutsis et de Hutus opposs Habyarimana, la fois pour se dbarrasser de ces complices et pour branler lac-cord de paix . (TPIR-98-41-T, 2002, Rapport dexpertise dA. Des Forges, op. cit, pp 1 et 45).

    Ds lors, pour elle, tout senchanait

    et semblait la fois logique et coh-rent. Ainsi, le 6 avril :

    Aprs laccident[9], 16 officiers se runirent immdiatement sous la pr-sidence de Bagosora pour dfinir un plan daction. Bien que simple offi-cier en retraite, Bagosora a pris le pas sur des officiers suprieurs en service actif, parce que disait-il, il tait le fonctionnaire le plus impor-tant du Ministre de la dfense, et aussi en raison du caractre politico-militaire des points dbattre. Bagosora lemporta pour siger mais manquait dun soutien solide au sein du groupe . (TPIR, 98-41-T, Rapport dA. Des Forges, op. cit, 2002, p. 46).

    Madame Des Forges qui assnait sa vrit sans la moindre nuance et sur-tout sans avoir men de vritable en-qute sur la chronologie de ces moments tragiques commit trois er-reurs fondamentales dont les consquences furent consid-rables puisquelles donnrent une apparente cohrence lActe dAccusation dress par le Procu-reur. Or, et comme cela a t tabli devant la Cour :

    1) Contrairement ce quelle affir-mait, le colonel Bagosora narriva pas ltat-major immdiate-ment aprs lattentat, mais entre une et deux heures plus tard. Il sor-tait en effet dune rception organi-se par lONU et il apprit la mort du prsident en rentrant chez lui, vers 21 heures, soit environ 30 minutes aprs lattentat. Ayant pour les be-soins de mon propre rapport dexpertise (Lugan, TPIR-98-41-T) mi-nutieusement reconstitu lemploi du temps du colonel, jai montr quil stait tout dabord rendu au Mi-nadef (Ministre de la dfense) afin de se renseigner sur lidentit des

    participants la runion. Il tait en effet inquiet pour sa propre scurit car il pensait quun coup dEtat opr par des militaires pro-FPR ve-nait de se produire et ce ne fut que vers 22h quil se rendit la runion. A lui seul, ce dlai rduisait nant linterprtation de Madame Des Forges et du Procureur.

    2) Contrairement ce qucrivit encore Madame Des Forges, le colo-nel Bagosora neut pas linitiative de la runion puisquil y fut invit par le gnral Ndindiliyimana qui lavait initie.

    3) Contrairement enfin ce que prtendit Madame des Forges, le 6 avril 1994, le colonel Bagosora qui avait quitt larme depuis le mois de septembre 1993 ntait pas un simple officier en retraite , mais le reprsentant officiel du ministre de la Dfense[10], puisquil tait son Directeur de cabinet et quil rempla-ait le ministre en cas dabsence, ce qui tait prsentement le cas.

    Ferme dans son systme Madame Des Forges affirma, et toujours sans la moindre preuve, que les meurtres du 7 avril furent commis en applica-tion dun plan dont le colonel Bago-sora tait le responsable, tant de la conception que du droulement[11]. Lors de son audition devant le TPIR dans laffaire Ndindabahizi, elle d-clara mme :

    () le colonel Bagosora, avec lap-pui des autres officiers militaires, se dbarrassait de lautorit lgitime et (en) crant ainsi un vide politique. Ce qui lui a permis de remplir ce vide et dassumer les rnes du pou-voir. (TPIR-2001-71-T, Des Forges, 24 septembre 2003, p. 10).

    Pour soutenir son accusation, le Pro-

    [8] Et de lusage du copier-coller , le mme rapport tant constamment rutilis avec des ajouts de circonstance pour chaque affaire.

    [9] Comme sil stait agi dune panne de racteur Aprs avoir obstinment ni tout lien entre lattentat du 6 avril et le gnocide, Madame Des Forges

    fut finalement contrainte de rviser sa position.

    [10] En sa qualit de Directeur de cabinet du Ministre de la Dfense, le colonel Bagosora navait aucun pouvoir oprationnel sur les FAR et sur la gen-

    darmerie.

    [11] Andr Guichaoua, autre expert du procureur affirmait alors la mme chose : Ds le 7 avril au matin, Agathe Uwilingiyimana et Frdric Nzamu-

    rambaho taient assassins Kigali par des militaires obissant aux ordres du colonel Thoneste Bagosora (Guichaoua, Rwanda 1994, 2005, p 62.). Il maintient sa position dans son dernier livre : Rwanda, de la guerre au gnocide, Paris, 2010

  • PAGE 9L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    cureur reprit imprudemment son compte deux ides fixe de Madame Des Forges qui taient la question dite de la dfinition de lennemi (ENI) [12] et celle dite de la d-fense civile , toutes deux vues par elle comme la preuve de la prmdi-tation du gnocide.Madame Des Forges prtendait ainsi que la dfinition de lennemi ENI par une commission militaire consti-tue en 1991[13] afin de savoir qui tait lennemi qui attaquait le Rwanda, fut l acte fondateur du gnocide et que les membres de cette commission, dont le colonel Bagosora, pouvaient tre assimils des gnocidaires car ils :

    () ont contribu au gnocide () (en identifiant) les Tutsi comme membres dun groupe ethnique () partisan de lennemi militaire () . (TPIR- 98-41-T, Rapport dAlison des Forges, 2002, op. cit, p 1).

    Selon elle, la mise en place de cette commission marqua mme le dbut de la conspiration ayant men au g-nocide et le texte rdig lissue de ses travaux doit tre considr comme la preuve de sa planification :

    (...) le document ENI (identifica-tion de lennemi) () fait partie de lidentification des Tutsis comme un groupe () ennemi de la nation (). Une telle identification () est la pr condition pralable au gno-cide. (TPIR, 98-41-T, Des Forges, 24 septembre 2002, p. 9).

    Madame Des Forges a galement sou-tenu que la dfense civile constitua un des lments de la politique gno-cidaire et que le colonel Bagosora en fut le responsable. A lappui de cette dernire affirmation elle avan-a que le sige de cette institution tait situ dans le bureau de ce der-nier au ministre de la Dfense

    (TPIR, 98-41-T, rapport dA. Des Forges, op. cit, 2002). Or, il a t tabli en audience que le colonel Bagosora navait jamais t charg de la dfense civile laquelle navait dailleurs officiellement exist qu partir du mois de mai 1994, date laquelle il avait quitt Kigali et noccupait donc plus son bu-reau au Minadef.

    Un jugement rvolutionnaire

    Au terme dun procs fleuve rythm par 409 jours daudience, par les d-clarations de 242 tmoins charge et dcharge remplissant 30 000 pages de compte rendus daudience, par 1 600 pices conviction, par 4 500 pages de conclusions et par 300 dcisions crites[14], la Cour, dans son jugement en date du 18 dcembre 2008, a dclar le colonel Bagosora non coupable dentente en vue de commettre un gnocide , infligeant ainsi un norme camouflet la fois au Procureur et son ex-pert attitr, et faisant voler en clats les bases de lhistoire officielle du g-nocide du Rwanda.Les 40 lments prsents par le Pro-cureur pour tenter de prouver la planification nont pas t consid-rs comme probant par les juges[15] qui parlent de nombreux faits au re-gard desquels le Procureur na pas tabli le bien-fond de sa thse (Rsum du jugement rendu en laf-faire Bagosora et consorts, TPIR-98-41-T, jugement 18 dcembre 2008, page 1). Parmi ces derniers se trouve en bonne place la question de la dfini-tion de lENI , dbattue durant plu-sieurs semaines devant le TPIR et qui constituait un des piliers de lAc-cusation et de lhistoire officielle :

    () la Chambre reconnat que lac-cent excessif mis sur lappartenance

    au groupe ethnique tutsi dans la d-finition de lennemi tait gnant. Elle nestime pas pour autant que le document ; ou sa distribution aux mi-litaires de larme rwandaise par Ntabakuze en 1992 et en 1993, d-montre en soi lexistence dune en-tente en vue de commettre le gnocide . (Rsum du jugement rendu en laffaire Bagosora et consorts (TPIR-98-41-T) le 18 dcembre 2008, page 15.)Dans son jugement, la Cour est trs prcise dans sa critique du Procu-reur :

    Plusieurs lments qui ont servi de base la thse dveloppe par le Procureur sur lentente (en vue de commettre le gnocide) nont pas t tays par des tmoignages suffi-samment fiables. A titre dexemple, on citera lallgation tendant ta-blir que Bagosora prparait le d-clenchement de lapocalypse en 1992 et le rle quauraient jou les accuss dans certaines organisa-tions criminelles clandestines dont AMASASU, le Rseau zro ou les escadrons de la mort. Le tmoi-gnage fait sur une runion tenue en fvrier 1994 Butare et au cours de laquelle Bagosora et Nsengiyumva auraient dress une liste de Tutsis tuer na pas t considr crdible () ; par certains de leurs aspects, la lettre faisant tat dun plan ma-chiavlique et les renseignements fournis par Jean-Pierre inspirent ga-lement des rserves . () En consquence, la Chambre nest pas convaincue que le Procureur a ta-bli au-del du doute raisonnable que la seule conclusion raisonnable qui se puisse tirer des lments de preuve produits est que les quatre accuss se sont entendus entre eux, ou avec dautres, pour commettre le gnocide () (Rsum du juge-ment rendu en laffaire Bagosora et consorts, TPIR-98-41-T, jugement 18

    [12] Abrviation utilise par les services rwandais pour dsigner lennemi.

    [13] Le colonel Bagosora en fut le prsident car le plus g dans le grade le plus lev.

    [14] Rsum du jugement rendu en laffaire Bagosora et consorts, TPIR, 18 dcembre 2008, P.1

    [15] Le colonel Bagosora a t condamn lemprisonnement perptuit pour des crimes commis entre le 6 et le 9 avril 1994, non pas par lui, mais

    par des gens qui taient supposment sous ses ordres, ce quil conteste fortement. Il a fait appel du jugement.

  • PAGE 10L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    dcembre 2008, pages 16-18).

    A travers ce jugement, cest donc toute lhistoire officielle qui est r-duite nant. En effet, si le gno-cide ne fut pas prmdit, si la dfinition de lENI ne fut pas un lment destin stigmatiser les Tutsi, si la dfense civile ne fut pas le moyen de les tuer, si le colo-nel Bagosora na pas prpar le d-clenchement de lapocalypse , si la constitution de listes de Tutsi limi-ner nest quune invention, si le plan machiavlique na pas exist et si laffaire dite Jean-Pierre , savoir la prtendue rvla-tion dun complot ourdi par des

    extrmistes hutu destin tuer des milliers de Tutsi en quelques heures nest quun montage, il nen reste donc plus rien.

    Ce retournement de lhistoriogra-phie totalement pass sous silence par les media constitue un vritable renversement de perspective qui au-rait d rendre prudents les responsables politiques franais, es-prons-le dment informs, et enga-gs dans une dmarche de repentance douce .

    Avec ce jugement, les juges du TPIR ont libr lhistoire jusque l prise en otage. Dsormais, sans craindre

    de passer pour des ngation-nistes , les historiens pourront en-fin sattaquer aux vritables causes de ce gnocide, bien rel mais non programm, dont le dclencheur fut lassassinat du prsident Habyarimana. Nous en revenons donc au juge Bruguire selon lequel ce serait le prsident Kagame qui laurait ordon-n, et qui donne mme les noms des tireurs des deux missiles qui au-raient abattu en vol lavion prsiden-tiel. Il est donc plus que jamais indispensable que les procdures ju-diciaires puissent aller leur terme et quil ne soit pas fait obstacle au travail des juges chargs du dossier.

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    POUR NOUS CRIRE :[email protected]

  • Suite larrestation de M. Zigiranyirazo en Belgique en mai 2001, le Procu-reur du TPIR et le Gouvernement du Rwanda staient alors hts de lac-cuser de tous les crimes possibles. L'accusation principale visait l'Akazu , un cercle nbuleux qui aurait t constitu autour de la belle famille du Prsident Habyarimana et dont M. Zigiranyirazo tait prsent comme le chef. Ce pe-tit groupe aurait complot et planifi lextermination des Tutsi dans le but de prserver son pouvoir et son influence. Dautres accusations taient portes par le Procureur contre M. Zigiranyirazo, notamment davoir commis des crimes Kigali et dans la prfecture de Gisenyi.

    Dans ce procs emblmatique puis-quil tait cens mettre en vidence le cur mme de la prparation du gnocide par l Akazu , le Procu-reur a mis tout son poids pour faire condamner M. Zigiranyirazo. Pour ce faire, il constitua une quipe spciale denquteurs chargs de re-cueillir tout ce qui pouvait aller dans le sens de sa thse, savoir que l Akazu tait une organisation dont lexistence tait avre et dont les buts taient criminels. Aid par Alison Des Forges, expert de laccusation, et sappuyant sur deux tmoins dits dlateurs [2],

    Michel Bagaragaza et Juvenal Uwilingiyimana, il a tent de prou-ver la culpabilit de l Akazu , mais sa thse na pas prospr en dpit de curieuses pratiques. Cest ainsi que Michel Bagaragaza a reu des sommes importantes dar-gent, que sa famille fut installe labri lextrieur de lAfrique, quune sentence rduite lui fut pro-mise lissue de son propre procs ainsi quune libration anticipe. Au dbut du mois de novembre 2005, M. Uwilingiyimana, qui, lpoque, rsidait en Belgique, a quant lui fi-nalement refus de marchander avec le Procureur. Port disparu le 21 novembre 2005, son corps mutil ft dcouvert dans le canal de Charle-roi Bruxelles le 13 dcembre 2005[3].

    Mme Desforges, expert de lAccusa-tion fut incapable de soutenir la thse du Procureur et elle choua mme donner la moindre preuve dun quelconque complot ourdi par M. Zigiranyirazo, sa sur Mme Agathe Kanziga, veuve de feu Ju-venal Habyarimana, ou encore M. Seraphin Rwabumumka demi frre de M. Zigiranyirazo. Quant Michel Bagaragaza qui avait invent une histoire de rencontre de planifica-tion du gnocide le 6 avril 1994 au Palais prsidentiel Kanombe, au

    Rwanda, la Cour ne la pas jug cr-dible.

    Plus encore, plusieurs hauts res-ponsables du MDR, le principal parti dopposition au prsident Habyarimana ont dpos lors du prsent procs et ils ont expliqu que le terme Aka-zu avait t tout simplement inven-t par leurs propres partis politiques afin de diaboliser le Pr-sident Habyarimana et son entou-rage et cela dans le but de convaincre la population dappuyer les partis dopposition. Avec force dtails MM. Jean Marie Vianney Nkezabera et Anastase Mu-nyandekwe, ont ainsi expliqu dans quelles circonstances le terme Aka-zu avait t forg ; ils ont dcrit les rencontres secrtes de lanne 1991 quand ils utilisrent le terme Akazu ou hutte dans laquelle taient traditionnellement clotrs les lpreux, pour dsigner lentou-rage du prsident Habyarimana. C'est ainsi que ce fut partir du mois de septembre 1991 que les op-posants au rgime du prsident Habyarimana dsignrent toutes les personnes qui soutenaient le parti prsidentiel, le MRND, comme tant membres de l Akazu . A lissue de leurs tmoignages, la thse de lAccusation avait t r-duite nant, dautant plus que les

    PAGE 11L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    LE PROCS ZIGIRANYIRAZO OU LA FIN DU MYTHE DE LAKAZU

    JOHN PHILPOT [1]

    Les adversaires du rgime Habyarimana affirmaient que tous les pouvoirs politiques et conomiques taient concentrs dans les mains d'une poigne de fidles, l'Akazu (ou petite maison, ou petite hutte). Dans la littrature, lAkazu est toujours prsente comme un gang mafieux, comme une pieuvre tentacu-laire agissant dans lombre, faisant assassiner les opposants, et ayant coordonn le gnocide des Tutsi en 1994. Il tait postul qu'elle tait dirige par M. Zigiranyirazo, dit Monsieur Z. , frre de Madame Agathe Habyarimana, pouse du prsident Habyarimana.

    [1] Avocat de Protais Zigiranyirazo devant le TPIR

    [2] Insider witness en anglais. Il sagit de tmoins recruts au sein dune organisation criminelle et qui vont tmoigner contre leurs complices en change dune promesse damnagement ou de rduction de peine.

    [3] Pieds et mains coups et viscr, le cadavre ne comportant plus ni poumons, ni cur, ni foie.

  • PAGE 12L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    audiences avaient galement permis de dmontrer que la belle famille du prsident ntait pas intervenue dans les affaires du pays et quelle navait pas distribu les postes dimpor-tance (TPIR, version anglaise, 8 mars 2007, pages 11-22 et 19 mars 2007, pages 74-83.)

    Lors de son expertise, le professeur Bernard Lugan a pour sa part d-montr que la thse de la planifica-tion du gnocide ne pouvait plus tre soutenue et il a clair la cour sur la manire dont le prsident Habyarimana avait t la victime dune norme campagne de diabolisa-tion.

    Le 18 dcembre 2008 le jugement de premire instance a cart la thse du complot ourdi par M. Zigiranyirazo et sa belle famille et la acquitt de plusieurs chefs daccu-sation et dabord celui davoir com-plot avec le colonel Bagosora, Agathe Kanziga, Jean-Bosco Barayagwiza et dautres, pour exterminer les Tut-si du Rwanda. En revanche, le juge-ment a retenu sa responsabilit pour deux vnements, survenus Kigali et dans la prfecture de Gisenyi.

    Le 16 novembre 2009, ces deux der-nires accusations ont t rejetes en appel et M. Zigiranyirazo a t li-br. Dans son jugement, la Chambre dappel est dune extrme svrit :

    En annulant les dclarations de culpabilit prononces lencontre de Zigiranyirazo pour gnocide et ex-termination constitutive de crime contre lhumanit, la Chambre dap-pel tient de nouveau souligner la gravit des erreurs commises par la Chambre de premire instance. Lextrme gravit des crimes impu-ts Zigiranyirazo commandait que ceux-ci fussent examins avec le plus grand soin. Or, la Chambre de premire instance a nonc de manire inexacte les principes de droit rgissant la rpartition de la charge de la preuve en matire dali-bi et a commis de graves erreurs dans lanalyse quelle a faite des lments de preuve. Les dclara-tions de culpabilit qui en ont rsul-t pour Zigiranyirazo raison des faits survenus la colline de Kesho et au barrage de Kiyovu ont t prononces en violation des principes de justice les plus lmentaires et fondamentaux .

    Le jugement de la Chambre dappel du TPIR en date 16 novembre 2010 et acquittant Protais Zigiranyirazo, frre dAgathe Kanziga, pouse de feu le prsident Habyarimana, de toutes les accusations portes contre lui constitue un recul impor-tant pour le Procureur du TPIR (Tri-bunal pnal international pour le Rwanda), et pour son alli le Front Patriotique du Rwanda actuellement au pouvoir Kigali.

    Lacquittement et la libration de M. Zigiranyirazo doivent servir de leon aux Gouvernements occidentaux. Ils doivent cesser de sacharner sur la fa-mille proche de feu le Prsident Habyarimana et en particulier sur sa veuve, Madame Agathe Kanziga en France, et M. Seraphin Rwabukumba en Belgique car ceux-ci nont aucune responsabilit dans la tragdie rwandaise.

    Une question essentielle demeure : qui a planifi la prise du pouvoir au Rwanda en sachant pleinement que lassassinat du Prsident Habyarimana mettrait le feu aux poudres ? Poser la question cest y rpondre.

    WWW.BERNARD-LUGAN.COM

  • PAGE 13L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    Le rgime de Kigali tire sa lgitimit du gnocide de 1994 et de la lecture des vnements qu'il

    a russi imposer. Pour lui, toute remise en cause de l'histoire officielle est donc un danger

    mortel qu'il combat avec une totale dtermination (cf l'affaire Pean). Or, cette histoire a t lit-

    tralement pulvrise quand, la suite de longues instructions, le juge franais Bruguire et le

    juge espagnol Merelles ont, tous deux, conclu la responsabilit de Paul Kagame dans l'atten-

    tat du 6 avril 1994 qui cota la vie au prsident Habyarimana du Rwanda, et qui dclencha le

    gnocide.

    Dans l'urgence, Kigali alluma des contre-feux destins obscurcir le dossier. Le premier fut le

    Rapport Muyco, rendu public le 5 aot 2008. Destin accuser la France ce document de 331

    pages ne fournit qu'une seule preuve de la prtendue complicit franaise avec les gnoci-

    daires : un faux ce point grossier que la manoeuvre s'est retourne contre ses auteurs.

    L'chec de cette manipulation tant consomme, Kigali tenta ensuite, avec le Rapport Mutsinzi,

    de tenter de faire croire que les deux missiles tirs le 6 avril 1994 contre l'avion du prsident

    Habyarimana l'avaient t par ses propres partisans partir du camp militaire de Kanombe qui

    jouxte l'aroport de Kigali, et non depuis la colline de Masaka comme l'enqute du juge

    Bruguire le soutient. Le colonel Luc Marchal qui tait l'poque commandant du secteur de

    Kigali pour les forces de l'ONU (MINUAR) dmonte l'argumentaire de ce rapport. Pour tenter

    d'appuyer le Rapport Mutsinzi, le gouvernement rwandais fit appel des spcialistes britan-

    niques chargs d'examiner ce qui restait de l'pave de l'avion prsidentiel quinze ans aprs l'at-

    tentat. Le 27 fvrier 2009, fut ainsi publi un insolite document communment appel

    Rapport des Experts Britanniques , et dont le colonel Robardey qui fut Conseiller technique

    Police judiciaire au Rwanda de 1990 1993, livre ici une critique en profondeur.

    LES MONTAGES DE KIGALI

  • PAGE 14L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    Ce document largement mdiatis a pour but de faire oublier que les ac-tuels dirigeants de Kigali sont consi-drs par la Justice franaise et par lAudience civile espagnole comme des criminels de guerre. Pour les juges Bruguire et Merelles, le pr-sident Kagame serait mme directe-ment lorigine de la tragdie rwandaise puisquil aurait fait abattre en vol lavion du prsident Habyarimana. Or, cet assassinat fut le dclencheur du gnocide. Ltau se resserre dailleurs sur lactuel matre de Kigali :

    - En 2006, le juge franais a lanc des mandats darrt contre plu-sieurs membres de son premier cercle pour crimes de guerre, crimes contre lhumanit et gno-cide. Il a galement demand Koffi Annan dengager le TPIR (Tri-bunal Pnal international pour le Rwanda) qui dpend du Conseil de scurit, le poursuivre personnelle-ment. - En fvrier 2008, via Interpol, le juge espagnol a, pour les mmes mo-tifs, lanc plusieurs dizaines de man-dats darrt contre de hautes personnalits de lactuel rgime rwandais.- En mars 2008, lancien procureur du TPIR, Madame Carla del Ponte a rvl que depuis 2003, le TPIR d-tient des preuves contre Paul Kagame. Elle a longuement expli-qu pourquoi, suite aux pressions du dpartement dEtat amricain, au-cune procdure navait t ouverte.- Au mois de juin 2008, le procureur du TPIR a dclar devant le Conseil de scurit de lONU que pendant

    la priode du gnocide de 1994, les hommes du gnral Kagame avaient assassin la quasi-totalit des vques du Rwanda et quil sap-prtait lancer plusieurs mandats darrt.

    Le rapport qui accuse la France a t confectionn par une commis-sion dite indpendante prside par Jean de Dieu Mucyo, Procureur gnral de la Rpublique du Rwanda et dont le nom a t cit de-vant le TPIR pour assassinats de ci-vils hutu. Elle compte parmi ses sept membres un fonctionnaire fran-ais, Jos Kagabo, universitaire ayant bnfici du droit dasile dans les annes 1970 avant dtre natura-lis. Matre de confrence lEHESS (Institut des Hautes tudes en Sciences sociales) Paris o il en-seigna lHistoire compare du fait colonial et lHistoire et lanthropolo-gie des crimes contre lhumanit au XX sicle, cet agent de lEtat fut galement membre de la commis-sion franaise de lUnesco.

    Le rapport de 331 pages dont il a lar-gement construit lhabillage scien-tifique repose sur la technique classique de la manipulation : m-lange des poques avec attribution larme franaise qui a quitt le Rwanda dbut dcembre 1993 de faits qui nauraient pu se produire quaprs le 6 avril 1994, imputa-tions imprcises et donc invri-fiables, faux tmoignages et faux en criture. Les accusations contenues dans ce rapport sont en total dcalage avec ltat des connaissances. En effet,

    devant le TPIR, en 15 annes dexistence, au terme de milliers dheures de tmoignages et de pro-duction de tonnes darchives, au-cune des parties na produit le moindre document pouvant, ne se-rait-ce que laisser entendre, une im-plication franaise dans le gnocide. Tout au contraire, les tra-vaux du TPIR ont montr que, si la suite de lultimatum de Paul Kagame, les troupes franaises navaient pas t retires du Rwanda au mois de dcembre 1993, pour tre remplaces par les Casques bleus commands par le pusillanime gnral Dallaire, le g-nocide du mois davril 1994 nau-rait pas eu lieu.

    La crdibilit du rapport rwandais est totalement dtruite par la seule preuve concrte de la culpabi-lit franaise quil contient. Il sagit dune lettre que le colonel Gilles Bonsang chef de corps du 7 RIMA aurait signe Place de Caylus en date du 2 juin 1998, soit 4 ans aprs le gnocide (!!!), pour ordre du gnral Yves Germanos Chef dEtat-Major des Forces spciales et adresse aux miliciens hutu rfugis au Congo pour leur annoncer de prochaines li-vraisons darmes franaises. Or :

    1) Le 7 RIMA a t dissous le 30 juin 1977, 21 ans plus tt, 2) Le lieutenant-colonel Gilles Bonsang na jamais t colonel et ne la pas command, 3) Le 2 juin 1998, il tait affect de-puis un an Marseille et non Caylus,

    LE RAPPORT MUCYO OU LA STRATGIE DU MENSONGE

    BERNARD LUGAN

    Le Rapport Mucyo, du nom de son signataire, rendu public le 5 aot 2008, accuse plusieurs dizaines dhommes politiques et dofficiers franais de complicit dans le gnocide de 1994. A l'appui de ses affirmations, il produit un faux en criture...

  • PAGE 15L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    4) Le gnral Germanos ne se pr-nomme pas Yves, mais Raymond, et le 2 juin 1998, il nexerait pas les fonctions qui lui sont prtes puisque, du 1 septembre 1995 au 17 juillet 1998, il fut chef du cabi-net militaire du ministre de la D-fense.

    Cette lettre tant un faux grossier, les auteurs du rapport se sont donc rendus coupables de confection et dusage de faux en criture .

    Quant Jos Kagabo, il aurait pu lui tre reproch l' intelligence avec une puissance trangre et la fourniture une puissance tran-gre de fausses informations de na-ture porter atteinte aux intrts de la Nation .

    Ce rapport est tout simplement une monnaie dchange : si la France re-tirait les mandats darrt lancs par le juge Bruguire, Kigali ne dpose-rait pas les plaintes annonces

    contre les personnalits franaises mises en cause.

    Mais cela ne serait pas encore suffi-sant car, selon les recommanda-tions du rapport, il faudrait en plus que Paris reconnaisse len-tire tendue de sa responsabilit et se dcide prendre des me-sures de rparation consquentes, en accord avec le gouvernement rwandais . Rien de moins !

    SORTIE LE 6 AVRIL 2010

    EN COMMANDE EN LIGNE NOTAMMENT SUR :

    WWW.DUQUESNE-DIFFUSION.COM

  • PAGE 16L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    Le Rapport Mutsinzi doit se com-prendre comme l'aboutissement (provisoire) d'un processus d'actions-ractions entre la France et le Rwanda :

    - La premire fut la rvlation, dans le journal Le Monde[3], du contenu de l'enqute mene par le juge antiterro-riste franais Bruguire sur l'atten-tat du 6 avril 1994[4].

    - Ce fut ensuite la cration, en avril 2004, d'une commission rwan-daise[5] charge d'enquter sur le rle de la France durant le gno-cide.

    - En novembre 2006, le juge Bruguire rend une ordonnance dans laquelle il met en cause l'impli-cation directe de Paul Kagame et de neuf membres de l'arme patrio-tique rwandaise (APR) dans l'organi-sation et l'excution de l'attentat du 6 avril 1994. Cette ordonnance est suivie, quelques jours plus tard, par la rupture des relations diploma-tiques entre la France et le Rwanda.

    - En vue d'apporter une rponse adapte aux accusations du juge fran-ais, le comit Mutsinzi est cr en avril 2007. Bien que son rapport ait t cltur le 20 avril 2009, ce n'est que dbut janvier 2010 qu'il fut ren-du public. Ce dlai a trs vraisembla-blement t mis profit par les autorits rwandaises, afin d'exploi-ter au mieux sa possibilit d'accs au dossier du juge Bruguire, suite la mise en examen de Rose

    Kabuye[6] par la justice franaise.

    - Mentionnons encore dans ce contexte, la dlivrance par le juge espagnol Merelles, en fvrier 2008, de 40 mandats d'arrt internatio-naux. Outre Paul Kagame, sont gale-ment concerns des militaires de l'APR. Cette action judiciaire fait suite l'assassinat de neuf ressortis-sants espagnols perptr entre 1994 et 2000 au Rwanda.

    - Finalement, le 29 novembre 2009, la France et le Rwanda rtablissent leurs relations diplomatiques.

    Des doutes sur la composi-tion du Comit indpen-dant d'experts ayant rdig le Rapport Mutsinzi.

    La relle indpendance du comit est pour le moins difficile apprhen-der quand on sait que sa dsignation a t soumise la ncessaire appro-bation du chef de l'Etat, lui-mme mis officiellement en cause par deux juges d'instruction, lun Franais et lautre, Espagnol.D'autre part, on ne peut que consta-ter l'absence totale de l'un ou l'autre expert de niveau international au sein d'un comit exclusivement constitu de Rwandais faisant partie ou ayant des relations directes avec le Front patriotique rwandais (FPR).Trs difficile, dans pareille configura-tion, d'avoir tous ses apaisements quant l'indpendance et l'expertise relles dudit comit. Particulire-ment dans le chef de son prsident

    qui est un des membres fondateurs du FPR.

    Une curieuse mthodologie

    D'emble le comit part du postulat que les autorits rwandaises de l'aprs gnocide, donc le FPR, n'ont aucune implication dans l'attentat du 6 avril 1994 et que les accusa-tions contraires sont de nature idologique, profres par les gno-cidaires et leurs allis. Il y a de quoi s'tonner qu'une commission ind-pendante dont l'objet est, prcis-ment, de dnouer le vrai du faux, dbute ses travaux par un tel a prio-ri. Si telle est la position de dpart du comit Mutsinzi, il y a tout lieu de craindre que l'ensemble des lments de son rapport soit orien-t, afin de dmontrer la pertinence de son postulat et non la ralit des faits.

    Des tmoins sous influence

    Ce choix des tmoins suscite un cer-tain malaise. On ne peut s'empcher de se demander si les 557 tmoins rwandais sont rellement en mesure de pouvoir s'exprimer sans arrire-pense ? Nombre d'anciens mili-taires des Forces armes ou de la Gendarmerie rwandaises sont soit en prison, soit en procs devant les juridictions Gacaca ou susceptibles de devoir y rpondre de leur pass. En d'autres mots, ils sont tous poten-tiellement sous influence et leur crdibilit est pour le moins sujette caution.

    A PROPOS DU RAPPORT MUTSINZI[1]

    COLONEL LUC MARCHAL [2]

    [1] Rapport d'enqute sur les causes, les circonstances et les responsabilits de l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion prsidentiel rwandais FALCON

    N 9XR-NN. Remarque liminaire : Le prsent document ne constitue pas une analyse exhaustive du Rapport Mutsinzi. Il devrait cependant permettre

    au lecteur d'avoir une ide correcte de son contenu et de sa pertinence.

    [2] Ancien commandant du Secteur Kigali de la MINUAR (Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda).

    [3] Edition du 10 mars 2004.

    [4] Cet attentat provoqua la mort des prsidents du Rwanda et du Burundi ainsi que de leurs collaborateurs.

    [5] Commission MUCYO, du nom de son prsident. Elle remit ses conclusions en aot 2008.

    [6] Une des neuf personnes vises par l'ordonnance du juge Bruguire.

  • PAGE 17L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    Quant aux tmoins extrieurs, s'il est fait mention que le gnral Dallaire a t contact, en vain, pour obtenir son tmoignage, il est trange que la mme dmarche n'a pas t entreprise l'gard de son su-prieur, Monsieur Jacques-Roger Booh Booh, le Reprsentant spcial du Secrtaire gnral de l'ONU et v-ritable patron de la mission. De mme, le comit souligne l'impor-tance qu'il accorde aux tmoignages des casques bleus de service l'aro-port de Kanombe, la nuit du 6 avril 1994, et dont certains auraient occu-p des services-cls, notamment la tour de contrle. Or, en tant que com-mandant du Secteur Kigali de la MI-NUAR, je tiens prciser qu'aucun casque bleu n'occupait la moindre fonction ou ntait prsent l'int-rieur de la tour de contrle.

    Une fausse analyse du contexte politique prc-dant l'attentat du 6 avril 1994

    Personne ne contestera que ce contexte est tout sauf simple et pai-sible. Constatons que le comit impute l'entire responsabilit de la dgradation du contexte politique au prsident Habyarimana et son en-tourage, ainsi qu' un noyau dur de politiciens et de militaires opposs toute dmocratisation du rgime et plus particulirement aux accords de paix d'Arusha[7].Selon le rapport, la volont du pr-sident Habyarimana, de mettre cote que cote les institutions de transition prvues par les accords d'Arusha en place, aurait signifi son arrt de mort, les ultras Hutu ayant une bonne raison d'liminer le chef de l'Etat. Or, dans le courant de la seconde quinzaine du mois de mars 1994, l'ho-rizon politique rwandais s'tait positi-vement clairci. Sous la direction du nonce apostolique, plusieurs ambas-sadeurs en poste Kigali avaient d-gag une solution aux deux derniers

    obstacles qui empchaient encore la mise en place du gouvernement et de l'assemble nationale de transi-tion. La dernire tentative vritable de mise en place des institutions de tran-sition, le 25 mars 1994, se solda par un chec. Celui-ci est directement imputable l'absence dlibre des reprsentants du FPR la crmo-nie de prestation de serment. C'est ce qui fit dire Monsieur Booh Booh que Le FPR semblait redouter fina-lement l'issue dmocratique du pro-cessus de paix .Pourquoi cette crainte ? Parce que le FPR avait ralis, depuis un certain temps dj, que les lections devant marquer le terme de la priode de transition ne leur permettraient pas d'avoir la majorit au Rwanda. Paral-llement, les ultras Hutu, ainsi que beaucoup d'autres galement, ont fi-ni par se rendre l'vidence qu'ils avaient tout gagner laisser le pro-cessus de paix se dvelopper jusqu' son terme puis de laisser le rapport dmographique leur donner la vic-toire lectorale. En outre, au sein du propre parti du prsident, la majori-t des dirigeants tait d'avis qu'il valait mieux avoir le FPR l'int-rieur qu' l'extrieur. Ds lors, au mois de mars 1994, il n'existait plus aucun motif objectif (pour autant qu'il en existt un aupa-ravant) que le prsident Habyarima-na soit limin par ces extrmistes hutu qui sont dsigns comme ses assassins dans le Rapport Mutsinzi.

    Linsolite organisation du Sommet de Dar-es-Salaam du 6 avril 1994

    Le 6 avril, en dbut de matine, le prsident Habyarimana s'envole, en compagnie du gnral Nsabimana[8], pour un sommet rgional Dar-es-Salaam. Ce sommet est organis l'initiative du prsident ougandais Museveni. Cette paternit mrite d'tre mentionne, au regard du rle qui fut le sien au cours de cette jour-

    ne et compte tenu que cet aspect n'apparat nullement dans le Rap-port Mutsinzi. Bien que sur place ds 10 heures, la dlgation n'entame les discussions relles qu'en dbut d'aprs-midi. Celles-ci, selon des tmoins dignes de foi, sont manifestement tires en longueur par le prsident Museveni. Avec pour consquence, l'impossibili-t pour le chef de l'Etat rwandais de rentrer de jour Kigali. A l'aro-port, un entretien impromptu re-tarde d'autant le dpart. Le dcollage du Falcon 50 a finalement lieu vers 19h30. Or, le plan de vol initial, connu des autorits tan-zaniennes, prvoyait un retour Kigali pour 17 heures. Ceci offrait la souplesse ncessaire, en cas de l-ger retard, pour permettre un retour avant le crpuscule, confor-mment aux consignes de scurit. Une diffrence de plus de trois heures par rapport au timing initial suscite un questionnement bien lgi-time. On ne peut que constater que le rapport n'y apporte aucune r-ponse. Finalement, lorsque l'attentat fut connu Dar-es-Salaam, la dlga-tion rwandaise qui s'y trouvait en-core fut dsarme et ne fut pas autorise regagner le Rwanda, malgr la prsence sur place des moyens ariens ncessaires. Etrange manire pour un pays hte de compatir la dsolation de leurs frres rwandais. Comme si la mort du prsident Habyarimana en faisait subitement des ennemis.

    Le droulement de l'attentat : une seule hypothse est envisage

    Le comit vacue en quatre lignes le tmoignage de la population des collines proches du lieu de l'atten-tat, au motif que : faute de connais-sance technique minimum, leurs rcits sont peu clairs sur la nature des phnomnes observs et parfois mme invraisemblables. Et voil, le

    [7] Ces accords, signs le 4 aot 1993, prvoyaient le dploiement d'une force internationale neutre et la mise en place d'institutions de transition. La

    priode de transition, d'une dure de 22 mois, devait se clturer par des lections.

    [8] Chef d'tat-major des Forces armes rwandaises (FAR).

  • PAGE 18L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    tour est jou. Ceux qui en 1994 ont t les premiers tmoigner que les missiles ont t tirs proximit du lieu appel La Ferme , (voir carte p.27) au pied de la colline de Masaka, ne sont plus jugs aptes t-moigner. En ralit, le comit ne veut de toute vidence pas entendre parler de la valle de Masaka et souhaite surtout que les missiles soient partis du camp de Kanombe ou de ses envi-rons immdiats, zone se trouvant sous le contrle des FAR.Aprs lecture des tmoignage rete-nus, on ne peut que se poser la question suivante : pour quelle rai-son les critres d'exclusion invoqus pour la population locale des collines ne l'ont pas t aussi pour les autres tmoins ? En effet, cer-tains ont vu deux missiles et d'autres trois. Quant la trajectoire des missiles on trouve de tout : se dirigeaient face l'avion, sem-blaient venir en contrebas de l'avion, sont venus en dessous de l'avion, ne sont pas monts en face de l'avion ou derrire lui, mais plutt de son ct gauche.De mme, le tmoignage des casques bleus ne nous semble pas tre plus probant. Le premier se trou-vait sur la plateforme de l'ancienne tour de contrle et dit avoir vu deux points lumineux partir du sol un en-droit situ au camp militaire de Ka-nombe. Le problme est que de son emplacement il n'tait pas en me-sure de voir ce camp, ce qu'il recon-nat lui-mme en prcisant : () de cet endroit, on pouvait aperce-voir toutes les pistes mais pas le camp des FAR, ce dernier se trou-vant en contre bas . Par contre si, sur une carte, on trace une ligne partir de l'ancienne tour de contrle en direction du camp de Kanombe, on arrive bien La Ferme , endroit point par les villa-geois de Masaka. Le second casque bleu se trouvait 19 km de l'endroit d'o les missiles

    ont t tirs. Il prcise, entre autres, qu'il y avait un angle de 70 entre l'avion et la trajectoire du missile. Sur base de quoi le comit conclut que cet angle correspond au camp militaire de Kanombe. On ne peut que louer la prsence d'esprit du t-moin d'avoir relev cet angle. Mais, comment a-t-il procd ? En effet, il faisait nuit noire et les points de re-pre (avion et trajectoire du missile) n'existaient plus au moment ou mat-riellement il a t en mesure de prendre ses azimuts...

    De l'ensemble des tmoignages trai-tant de l'endroit d'o les missiles ont t tirs, un lment a retenu notre attention parce qu'il a t cit de fa-on identique par de nombreux t-moins. La destruction de l'avion prsidentiel a entran immdiate-ment des tirs l'arme automatique de la part des militaires qui se trou-vaient en bout de piste et au camp de Kanombe. Tous ces tirs ont t d-clenchs en direction de Masaka. De toute vidence, c'est donc bien dans cette direction l que les choses se sont passes et non partir du camp de Kanombe.

    A ce faisceau convergent d'lments, le comit oppose le fait, tmoignages l'appui, que le bataillon du FPR qui se trouvait au Conseil national de d-veloppement (CND) tait soumis un tel contrle que cela lui interdi-sait toute possibilit d'amener des armes ou des missiles de Mulindi[9] ou d'infiltrer un commando pour abattre l'avion prsidentiel.Le comit dcrit, en effet, toutes les procdures qui taient d'application dans le cadre du protocole d'accord relatif la zone de consignation des armes[10], mais il omet de dire que c'est avec une immense mauvaise vo-lont que le FPR s'y conformait. En tant que commandant du secteur Kigali de la MINUAR, charg de faire respecter les rgles du jeu , je peux attester que rien n'tait

    simple avec le FPR. Prtendre que personne ne pouvait quitter le CND est une affirmation qui n'a rien voir avec la ralit. Quant aux trans-ports de bois partir de Mulindi, le constat est simple : les procdures de contrle taient systmatique-ment contournes. Tant et si bien que le FPR tait tout fait en me-sure d'utiliser ses transports de bois d'autres fins que la seule alimenta-tion de ses cuisines en bois de chauffe. Finalement, et contraire-ment ce que prtend le comit, l'infiltration d'un commando vers la zone de Masaka ne constituait cer-tainement pas, pour le FPR, une mis-sion impossible. Aprs la reprise des hostilits le 7 avril, j'ai pu constater la facilit dconcertante avec la-quelle le FPR a infiltr des ba-taillons entiers Kigali. Les diffrentes positions des FAR qui barraient les axes d'infiltration vers la capitale n'ont rien vu passer. Ajoutons encore que nous ne connaissons toujours pas le scnario exact qui fut appliqu. Rien ne permet d'exclure, loin de l, que le FPR n'a pas bnfici d'appuis au sein de la population locale de la zone de Masaka. Les choses sont bien plus complexes qu'on ne le pense ou que certains voudraient le faire croire.

    La question du dploiement de la garde prsidentielle avant l'attentat

    Prsenter comme le fait le rapport le dploiement de la garde prsiden-tielle comme preuve qu'un coup d'Etat tait bien en prparation, nous parat singulirement farfelu. En effet, cette unit se dployait tous les jours en fonction des dpla-cements du chef de l'Etat. Dans la mesure o l'entourage du prsident se tracassait dj Dar-es-Salaam, cause du retard important pris sur l'horaire prvu, il est logique que cette inquitude se soit concrtise

    [9] Lieu o se trouvait le Quartier Gnral du FPR et partir duquel un transport de bois tait organis, quasi quotidiennement, vers Kigali.

    [10] Zone de 10 15 Km de rayon, ayant la ville de Kigali pour centre, dans laquelle les armes, les munitions et les dplacements des militaires taient

    soumis contrle.

  • PAGE 19L'AFRIQUE RELLE - N4 - AVRIL 2010

    par un dploiement peut-tre plus consquent que d'habitude. D'autant plus que le retour avait lieu de nuit.

    La possession par les FAR de missiles sol-air (SAM) est postule et la question de la possession de mis-siles par l'APR est escamo-te

    Le comit invoque divers lments qui, selon lui, constituent la preuve que les FAR disposaient bien de mis-siles SAM pour raliser l'attentat. A l'issue de sa tentative de dmonstra-tion, force est de constater qu'il n'ap-porte aucun lment concret en appui de sa conclusion.

    Afin de dmontrer la justesse de son affirmation, le comit dveloppe une argumentation dans laquelle on trouve une chose et son contraire. D'une part, le comit affirme qu'il n'est en rien avr que le FPR poss-dait des SAM et d'autre part, du contenu des documents consults, il conclut : () laisse clairement en-tendre que les FAR avaient rcupr plusieurs missiles neufs SAM-16 sur le FPR et qu'en consquence, pour autant que cette rcupration soit vraie, les FAR en disposaient dans leur arsenal en 1994 . Avouons qu'une poule y perdrait ses poussins !

    Conclusions

    Tout au long des 186 pages du Rap-port Mutsinzi, nous assistons un long rquisitoire sens unique dont le seul exercice est d'opposer la to-tale innocence du FPR la machia-vlique culpabilit des extrmistes hutu. Le comit n'a mme pas fait sem-blant de se parer d'une certaine neu-tralit. Les sujets dlicats, ceux qui risquaient de mettre mal son ind-pendance , ont t systmatique-ment vacus d'un revers de la main. Sur base de supputations, d'affirma-tions qui ne tiennent aucun compte d'annes de travail du TPIR[11], d'hypothses parfois farfelues, de postulats qui ne sont en rien d-montrs, voire de contre-vrits, le tout appuy par la contribution de t-moins dont la libert d'expression est plus qu'incertaine, le comit la-bore au fil des pages une trame qui ne peut que le conduire l o il doit aller. Et, en bout de course, force est de constater qu'il ne dmontre rien du tout. Pour une enqute dont l'objet tait prcisment de dcouvrir les divers rouages de l'attentat, le constat est bien maigre. Le rapport dsigne certes ses commanditaires en gn-ral, mais il est silencieux sur le ou les auteurs, sur leur modus operandi,

    de mme que sur l'arme du crime. A cet gard, l'enqute du juge Bruguire est nettement plus prcise sur ces questions fondamen-tales et le rapport de la commission Mutsinzi frise ce point l'incon-sistance qu'il en crdibilise encore davantage le travail ralis par le juge franais et son quipe.L'attentat du 6 avril 1994 ne se li-mite pas un problme interne au Rwanda. Les vnements qui ont marqu la rgion des Grands Lacs, ces vingt dernires annes, montrent suffisance que les enjeux rels dbordent largement du cadre des frontires du pays des Mille collines. Les acteurs du drame rwandais sont connus. Nous ignorons cependant tout (du moins officiellement) de ceux qui tirent les ficelles dans les coulisses et qui sont co-res-ponsables du massacre de plusieurs millions de personnes. Cette dimen-sion internationale a t totalement lude par le comit. On ne peut que le constater et le regretter.Nombreux sont celles et ceux qui de-puis tant d'annes attendent tout simplement la Vrit sur les tra-giques vnements de 1994. Lec-ture faite, ma conviction est sans quivoque : NON, dcidment NON, la Vrit ne sort pas victorieuse de ce pitre exercice auquel s'est livr le comit Mutsinzi.

    [11] Tribunal pnal international pour le Rwanda dont le sige est Arusha en Tanzanie

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    Les FAR disposaient-elles de missiles SAM 16 ?

    Le 23 novembre 2006, ragissant au rapport du juge Bruguire dsignant le FPR comme tant le responsable de lassassinat du prsident Habyarimana, M. ODonnell, alors porte parole du TPIR est clairement sorti de son rle en sous-entendant quil disposait de documents prouvant que les FAR dte-naient des missiles SAM 16, ce quignorait le juge Bruguire, et que, dans ces conditions la piste FPR avait donc t trop rapidement privilgie par le juge franais.

    Comme le colonel Bagosora avait t mis en cause par M. ODonnell, le 25 novembre 2006, sa Dfense crivit au Greffier du TPIR pour lui demander de dmentir ces propos errons et mensongers . Le 30 novembre 2006 la Public Affairs and Information Unit pu-blia un communiqu pour le moins alambiqu dans lequel lAdministra-tion du TPIR reconnaissait que son porte-parole avait repris des lments manant du bureau du Pro-cureur. Ainsi, M. ODonnell :

    1) a volontairement travesti la ra-lit du dossier, afin de tenter de limi-ter la porte et les effets du Rapport Bruguire.

    2) a dlibrment viol le statut de neutralit qui est le sien, se faisant de facto le porte-parole dune partie, en lespce le Bureau du Procureur. Or, ces assertions mensongres nau-raient en aucun cas d tre faites. Un peu plus dun mois avant la date de la malheureuse intervention de M. ODonnell, le Tribunal avait en effet longuement examin les pices aux-quelles il faisait allusion et que lAccu-sation avait cherch faire passer pour la preuve de la possession de mis-siles SAM 16 par les FAR.

    Pour comprendre cette manipulation, il importe davoir recours la chrono-logie : - Durant lt 1991, le colonel Laurent Serubuga chef dtat-major

    de larme rwandaise (FAR) avait de-mand au gouvernement gyptien, lEgypte tant le principal fournisseur darmes du Rwanda, de lui tablir une facture pro forma concernant lachat ventuel de missiles SAM 16. - Le 2 septembre 1991, la partie gyp-tienne envoya ce document au colo-nel Serubuga. - Le 17 janvier, aprs lavoir longue-ment tudi, ce dernier le transmit au Ministre de la Dfense en lui conseillant dy donner une suite favo-rable. - Au mois davril 1992, un gouverne-ment de coalition dirig par lopposi-tion au prsident Habyarimana fut mis en place.- Au mois de juin, le colonel Serubuga fut remplac comme chef dtat-major des FAR par le colonel Deogra-tias Nsabimana. Le gouvernement dopposition dit de coalition et dont le Premier ministre tait M. Nseniyaremye du parti MDR ne donna pas suite cette demande afin de ne pas indisposer le FPR sur lequel il comptait pour triompher du prsident Habyarimana. Le dossier est donc on ne peut plus clair : il ny a pas eu de commande, donc pas de bon dachat et encore moins de bon de livraison de missiles SAM 16 par lEgypte. Les FAR ne pos-sdaient donc pas de ces missiles anti-ariens, ce qui a t formellement confirm devant le TPIR par le colo-nel belge Luc Marchal, lpoque des vnements responsable Minuar de la ville de Kigali et qui avait en charge linventaire et la consignation des matriels militaires des FAR (TPIR-98-41-T, Marchal, 30 novembre 2006. p. 30). Dans ces conditions, comment M.ODonnell a-t-il pu faire tat de ces documents ? Cest lors du procs du colonel Bago-sora que le Procureur prsenta la fac-ture gyptienne pro forma et les notes techniques qui lui taient annexes afin de les utiliser contre laccus. Il joignit alors et tout fait artificielle-ment le nom du colonel Bagosora au dossier au seul motif que ce dernier tait alors selon lui, Commandant du camp de Kanombe et quil avait donc

    sous ses ordres lunit de dfense anti-arienne des FAR. Le sous-enten-du tait limpide : le cerveau du g-nocide ayant la haute main sur les missiles SAM 16 achets lEgypte, cest donc le colonel Bagosora qui a abattu ou fait abattre lavion du prsident Habyarimana. CQFD !

    Largumentation du Procureur repo-sait donc sur la manipulation dune facture pro forma quil tenta de faire passer pour une facture authentique (!!!). Devant un tripatouillage aus-si norme, le Tribunal fut contraint de ragir car il en allait de sa crdibi-lit et le 17 octobre 2006, il carta toute responsabilit du colonel Bagosora dans lattentat contre le prsident Habyarimana :

    No allegation implicating the Accu-sed (Bagosora) in the assassination of the President is to be found in the indictment, the Pre-Trial Brief or any other Prosecution communication. In-deed, no actual evidence in support of that allegation was heard during the Prosecution case. (TPIR- Deci-sion on Request for Disclosure and Investigations Concerning the Assas-sination of President Habyarimana (TC) 17 octobre 2006)

    Pourquoi de telles magouilles de la part du Procureur ? La rponse est claire : parce que ce dernier voyait, audience aprs audience, que son acte d'accusation fondait comme neige au soleil et qu'il tait incapable de soutenir sa thse qui tait, rappelons-le, qu'il y avait eu programmation du gnocide. N'ayant pas de stratgie de rechange, il manipula alors les documents. La Cour n'a pas t abuse par cette manoeuvre dontologiquement limite . Le Rapport Mutsinzi reprend son compte les tripatouillages du Procureur au sujet de cette affaire de commande pro forma et en fait mme un des piliers de son argumentation, ce qui en dit long sur le srieux de ses auteurs.

    Bernard Lugan

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    Origine dun document politique

    Lorigine de ce document est indi-que page 35 et suivantes de sa ver-sion en langue franaise sous le titre Termes de rfrence convenus ( Agreed Scope of Work pour la version anglaise). On y lit que ce tra-vail a t convenu entre Alan Mc Clue et un certain Augustine Mukama, dit membre du Comit la suite de rencontres Londres et entretiens tlphoniques ult-rieurs . Il est arrt que le travail se-ra confi M. Walden (sic au lieu de Warden : on apprciera au passage la confusion entre les lettres L et R , frquentes chez nos amis rwan-dais, dans un texte soi-disant rdig par M. Mc Clue)[3].

    Monsieur Augustin(e) Mukama qui passe ainsi commande de ce travail, est membre du Comit Indpen-dant dExperts charg de lEnqute sur le Crash du 06/1994 de lavion Falcon 50 Immatricul 9XR-NN . Les conditions poses et les mis-sions auto attribues- par Mc Clue se-ront dailleurs acceptes par le Dr Jean Damascne Bizimana, vice-pr-

    sident de ce comit. Le travail effectu par monsieur Warden avait vraisemblablement pour but de nourrir le Rapport den-qute sur les causes, les cir-constances et les responsabilits de lattentat du 6/04/1994 contre lavion prsidentiel rwandais Falcon 50 n9XR-NN rdig par ce Comi-t Indpendant dExperts , dit Rap-port Mutsinzi du nom du Prsident du comit, et dat du 20 avril 2009, trois mois aprs le Rapport Warden. On verra dailleurs que les deux docu-ments ne peuvent qutre tudis en-semble, tout au moins en ce qui concerne les circonstances de latten-tat lui-mme, certains lments de lun ne sexpliquant que par des lments de lautre.

    Sagissant de rechercher les causes dun attentat, on aurait pu sat-tendre ce quune enqute judi-ciaire soit ouverte et que les expertises ordonnes le soient alors dans les formes, c'est--dire ordon-nes par le magistrat instructeur et adresses des experts reconnus et agrs, dont les comptences ne se-raient pas contestes et qui auraient pralablement prt serment. Une

    telle ordonnance aurait par ailleurs prcis dans le dtail les oprations mener et aurait pos un certain nombre de questions tout aussi prcises auxquelles auraient t te-nus de rpondre les experts.Rien de tel ici, lautorit judiciaire nintervient en rien. Le comit dex-perts, dsign par lAutorit poli-tique, ngocie les termes de la mission avec un ancien militaire bri-tannique qui, selon le curriculum produit, ne possde aucune comptence en matire aronau-tique[4]. Aussi bien, fort honnte-ment, le rapport fourni sintitule non pas expertise mais enqute . Lennui est que le CV de monsieur Warden ne semble pas lui confrer davantage de qualification en tant quenquteur.

    A ces considrations, il faut ajouter que les deux tablissements dont se revendiquent les auteurs de ce docu-ment, lUniversit de Cranfield et lAcadmie Militaire du Royaume-Uni (Campus de Shrivenham, Swindon, Wiltshire) constituent en quelque sorte l'cole de guerre bri-tannique o les jeunes officiers vont passer leurs diplmes universitaires

    LE RAPPORT DES EXPERTS BRITANNIQUES OU L'AUTOPSIE D'UNE PARODIE D'ENQUTE

    COLONEL (E.R.) MICHEL ROBARDEY [1]

    Ce rapport command et pay par le gouvernement rwandais est destin faire croire que les FAR (Forces armes rwandaises) ont abattu l'avion qui transportait le prsident Habyarimana et que, par consquent, les conclusions des juges Bruguire et Merelles, ainsi que les aveux de certains membres tutsi du com-mando ayant tir les deux missiles seraient errons. L'argumentation de ce document repose sur l'ide que les tirs de missiles ont t effectus depuis le camp de Kanombe, garnison des FAR, et non depuis la colline de Masaka, par des hommes du FPR[2].

    [1] Colonel de gendarmerie, il fut conseiller technique Police judiciaire auprs du gouvernement rwandais de septembre 1990 septembre 1993.

    [2] Cet article concerne le document dat du 27 fvrier 2009, intitul Enqute sur le crash du 6 avril 1994 de lavion Dassault Falcon 50 immatricul

    9XR-NN transportant son bord lancien Prsident Juvnal Habyarimana appel communment Rapports des Experts Britanniques . Ce document

    est joint au Rapport Mutsinzi. Ds le titre, le lecteur est fix sur la rigueur qui a prsid la rdaction du document. Le 6 avril 1994, au moment o il

    est assassin, Juvnal Habyarimana est toujours Prsident de la Rpublique Rwandaise. Son homologue, le Prsident du Burundi ne mrite apparem-

    ment pas dtre mentionn dans le titre. Les auteurs prsupposent donc avant toute investigation que cet attentat ne le concernait pas.

    [3] Le M. Walden dsign ainsi en page 35 serait en fait, si on en croit la page de couverture, Mike C. Warden dont, par ailleurs, le curriculum vitae est

    donn page 39 et suivantes. On ne saura pas qui est Mc Clue qui ne donne pas son CV et ninterviendra plus non sans avoir gracieusement accompa-

    gn Warden dans ses investigations.

    [4] Malgr un Curriculum vitae complaisamment dtaill tout au long de quatre pages (n 39 42 de la Version Franaise).

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    de Sciences. Elles n'ont pu tre ap-proches pour effecteur ce travail que par voie gouvernementale et on imagine mal les rdacteurs revendi-quer leur appartenance ces institu-tions sans laval de la hirarchie. Les analyses effectues par les labo-ratoires de lUniversit de Cranfield (Cf. p