vous avez un drôle de public !

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Compte rendu du projet "Itinéraire(s) d’un groupe de spectateur(s)"mené par Les Bancs Publics - lieu d'expérimentations culturelles à Marseille avec le SARA-GHU. Avec le soutien du Contrat Urbain de Cohésion Sociale, du Conseil général des Bouches-du-Rhône et de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur dans le cadre de la Politique de la Ville.

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Page 1: Vous avez un drôle de public !
Page 2: Vous avez un drôle de public !

* CONTEXTE....................................................................................03* “ VOUS AVEZ UN DRÔLE DE PUBLIC “, EXPRESSION LIBRE.........04* CONCRÈTEMENT................................................................07* MOTS DE SPECTATEURS....................................................................08* HYPOTHÈSES.......................................................................................14* ACTEUR SOCIAL, ACTEUR CULTUREL : CONVERSATION.............. 17* L’ITINÉRAIRE..................................................................................20* RENCONTRE AUTOUR DE “ VILLE INVISIBLE “....................22* “ UN RMI SPECTATEUR ”, ENTRETIEN AVEC V. ...........................................28

Page 3: Vous avez un drôle de public !

03par la coordination culturelle des 2ème et 3ème arrondissements et la Politique de la Ville en 2005 autour de la question de l’accès à la cultureet de la diversification des publics. Ces rencontres qui mettaient en présence l’ensemble des structures culturelles et sociales qui travaillent sur un même territoire ont cherché à impulser des projets communs autour de cette thématique.Dans ce contexte et pour questionner de façon concrète et expérimentaleces enjeux, Itinéraire(s) d’un groupe de spectateur(s) entre 2006 à2008 a consisté à coordonner un parcours de spectateurs proposé à ungroupe d’une quinzaine de personnes bénéficiaires du RMI liées à unestructure de réinsertion sociale : le SARA-GHU, - précisément des personnes qui ne sont pas en situation économique, sociale et culturellede se situer dans une pratique autonome par rapport aux propositionsculturelles -.

L’itinéraire a consisté d’une part, à accompagner le groupe àplusieurs spectacles à Marseille et en Région et d’autre part, àorganiser des rencontres entre les artistes et le groupe, quelques temps après le jour de la représentation, pour débattreet échanger autour de la perception du spectacle avec l’un deses interprètes ou créateurs. Attaché à mettre en œuvre plusieurs façons de faire se rencontrer ce public, des œuvres etdes artistes, ce parcours a engagé à la fois le rapport collectif « aller ensemble au spectacle » et le rapport individuel, la réception intime d’une œuvre.

L’ensemble de ce parcours s‘est élaboré dans un souci de dialogue constant et réflexif entre les deux référents de chaquestructure (Julie Kretzschmar et Elsa Bernardo).La démarche visait à impulser une dynamique audacieusepour confronter les rapports de chacune des structures avecson public et à opérer un décloisonnement dans les habitudeset les modalités spécifiques d’accompagnement du public.La réalité du partenariat entre les deux structures a été l’enjeuessentiel du projet. Il s’est agit en effet d’éviter les écueils d’unpartage habituel des domaines de compétences de chacun, de questionner les représentations des acteurs dans leur appréhension respective de ce qu’est la culture et le social dèslors qu’il s’agit de mener une action conjointe.

Itinéraire(s) d’un groupe de spectateur(s) a été initié suite à des rencontres organisées

La question de l’élaboration d’un vocabulaire commun, celle de la possibilité de mettre enplace des temporalités de travail spécifiques à cette expérience, associées à un processusde réflexion continu sur le déroulement de l’action ont été les axes directeurs pour questionner les pratiques de ce groupe de spectateurs.

Le groupe de spectateurs : Charles, Vincent, Jacqueline, Michel, Natacha, Kamel, Olivier,Lydie, Florence, Eliane, André, Laetitia, Elsa et Julie.

Page 4: Vous avez un drôle de public !

04 Vous avez un drôle de public ! *

Par le biais de cette expérience menée avec un petit groupede spectateurs, nous avons voulu tenter d’interroger cettesorte de malentendu quasi originel entre les acteurs du socialet ceux de l’art et/ou de la culture. Dans le registre habituel de nos fonctionnements respectifs,ces deux sphères n’ont que peu de rapports, sont même séparées quoi qu’on en dise.Ce déphasage, cette coupure est notamment lié à une perception très différente du travail et de la valeur : le travail que mène chacun, travailleur social, opérateur culturel, artiste. Nous ne parlons pas le même langage, nousne nommons pas un même objet de façon commune. On pourrait dire aussi que le social de l’artiste n’est pas lesocial du travailleur social et que les pratiques artistiques ouculturelles de ce travailleur sont rarement en phase avecceux de l’artiste. Ouvrir la porte, inviter avec toujours cette question... Est-cequ’il faut faire payer la culture pour créer un sentiment devaleur ?

Ce projet a émergé de la volonté de créer un autretype de rapport, une autre relation entre artiste ou pas, travailleur impliqué dans le champ du social ou pas, spectateur ou exclu du champ de la consommation culturelle.Des rapports pour trouver une façon d’être ensemble auspectacle, après le spectacle, plus tard en échangeant autourdu spectacle, une façon forcément inédite pour chacun denous dans ce groupe. Alors bien sûr, il n’a pu être question d’éluder ce malentenduou de le minimiser mais au contraire de s’ attarder ensemble,concrètement, sur quelques uns des éléments qui le façonnent. Nous avons inscrit ce cheminement en partageant nosréflexions, craintes et utopies, sur les questions les plusimmédiates - bien sûr, ce ne sont que des entrées subjectives qui ni n’épuisent, ni ne contiennent toutes lesquestions - :- l’intimidation culturelle qui empêche de se rendre dans lesespaces de la culture où règne l’entre soi.- l’intimidation qui enjoint à penser que certaines desœuvres, notamment les plus contemporaines ne sont pasrecevables, compréhensibles par un public profane.- l’intimidation réciproque qui empêche une rencontre entredes artistes et des spectateurs novices.

« On ne se mélange pas dans les théâtres, Pour moi, unmélange, c’est des carottes avec du céleri, des pommes, de lapoudre et des boulons. Dans les théâtres, nous sommes justedes carottes assises à côté d’autres carottes. Et ça ce n’estpas un mélange. ». Ces mots de Rodrigo Garcia que j’emprunte, parce qu’ils nous disent que c’est la question de l’accueil et de l’hospitalité qui doit être re-placée au centrepour pouvoir penser la diversité des spectateurs. Chacun s’accorde sur l’idée que l’effacement des seuils symboliques est un de nos enjeux essentiels. L’expérience,elle, témoigne de la nécessité de ré-ouvrir des espaces de disponibilité au sein des salles et des lieux où toutes lesrègles et les façons d’être sont connotées par l’entre soi.*

* « APRÈS TOUT, C’EST UN LIEU QUIEST CONSTRUIT POUR ÇA,

À LA LIMITE, LES GENS, JE NE SAISMÊME PAS CE QU’ILS EN PENSENT,

S’ILS SE DISENT C’EST QUOI CES PROLOS QUI VONT AU

SPECTACLE… JE NE SAIS PAS,J’AI LE DROIT D’Y ÊTRE », M’A DIT

MICHEL AU FESTIVAL DE MARSEILLEOÙ NOUS SOMMES ALLÉS VOIR

ZEITUNG DE ANNE T. DEKEERSMAEKER,

EN JUILLET 2008.

* EXCLAMATION DE FRANÇOISE B.QUI TRAVAILLE DANS UNE

STRUCTURE DÉDIÉE À LA MUSIQUE,DONT LES BUREAUX SONT SITUÉS

À LA BELLE DE MAI QUI CONSTATAITALORS LA PRÉSENCE CLAIRSEMÉE

DU GROUPE DE SPECTATEURSPARMI LE PUBLIC, LORS D’UN

CONCERT DE MUSIQUE IMPROVISÉE.

Page 5: Vous avez un drôle de public !

05Penser la diversité des spectateurs invite donc à repenserconjointement la question de l’opportunité et celle de l’accompagnement : offrir l’opportunité, c’est activer la condition même du désir, mais oublier de l’accompagner c’est empêcher à ce désir de se réaliser.

un drôle de public ! des drôles de spectacles !

La question des spectacles met à jour la tension qui existedans la façon de choisir les sorties. Cette tension, entre lesexigences liées à la nature sociale de la démarche et cellesliése à une véritable rigueur dans le choix des œuvres, estl’un des fils que nous avons tenus tout au long de cette expérience.Il y a eu une forme d’obstination à penser que se risquer aupouvoir de déstabilisation de certains spectacles était lacondition même du déplacement de chacun. Dès lors qu’il ne s’agit pas d’adhérer coûte que coûte à la posture bien pensante qui consiste à assigner à l’art et à la culture des fonctions cathartiques, il a été plus que stimulant de partager avec ce groupe les premiers effetsd’une rencontre avec de l’inconnu. Un inconnu qui noussépare et nous singularise avant tout... Avant de nous rassembler. Souvent, le geste contemporain artistique n’a pasforcément de noyau de signification immédiat. Et c’est lecontact avec cette altérité rugueuse qui nous incline à inventer de nouvelles ressources sensibles. Cette épineusequestion de l’accessibilité à l’œuvre - qui pourrait se traduiresimplement par comment se rendre disponible et confiantpour aller vers de l’inconnu - pose à elle seule toutes lesquestions sous jacentes à celle d’une pratique de la culture.

Dans le cadre des rencontres avec les artistes, parfois dessemaines après la représentation à laquelle nous avionsassisté, nous avons partagé des moments qui rompent avecl’idée de la consommation culturelle, avec celle d’un artistecaricatural qui montre et donne à digérer son œuvre à unpublic indistinct. Ces rencontres, auxquelles pas un n’a manqué de venir, ontété autant de moments de mise en valeur de la possibilité dechacun d’être émetteur de culture, pour reprendre les termesde Gilles Deleuze. Ou en empruntant les mots d’un spectateur, V., mots qui affirment avec singularité cette idéede l’émetteur de culture.*

alors encore et enfin, vous avez un drôle de public !

Non pas un public mais une part de notre public, des spectateurs en groupe, un groupe : du public exclu, du publicéloigné, du public spécifique… Le nommer contient en germedes contradictions difficiles à dénouer. Des contradictions qui nous intiment des déplacements géographiques, mentaux, et nous poussent à expérimenterdes situations au sein desquelles chacun de nous fasse naître des relations en dehors des configurations socialesauxquelles nous nous rattachons.S’éloigner d’un sentiment de reconnaissance et ne pas êtreen terrain de fausse familiarité est une autre façon de dire lesitinéraires empruntés par nous, spectateurs.

Julie Kretzschmar

* « ÇA M’A PERMIS DE PRENDRE CONFIANCE SUR,

COMMENT ÇA S’APPELLE… DE MA VALEUR AUSSI, PRESQUE DE

MON BAGAGE CULTUREL. PARCEQUE JE N’EN AI PAS DU TOUT

CONSCIENCE. C’EST AVEC LESÉCHANGES AVEC LE GROUPE QUE

J’EN AI PRIS CONSCIENCE.ÇA A L’AIR IDIOT MAIS DANS

LES MILIEUX OÙ ÇA N’EST PAS RECONNU,

ÇA N’EXISTE PAS. » V.

« IL NE PEUT Y AVOIR D’INTERMÉDIAIRE ENTRE UN PUBLIC,

VOUS ET UNE ŒUVRE,SON CRÉATEUR, MOI. »

Patrice Chéreau rencontré à Aix-en-Provence

avant de voir De la maison de morts.

Page 6: Vous avez un drôle de public !

La Rabbia, de Pippo Delbono au Merlan Scène Nationale, 03.2008

Page 7: Vous avez un drôle de public !

07

CONCRÈTEMENT

L’échec d’une première expérience : une tentative a d’abord été menée avec l’associationLa Fraternité Belle de Mai. Deux sorties/rencontres avec des artistes ont ainsi été réalisées. L’ensemble des discussions a eu lieu à la FRAT, puisqu’il s’agit d’une associationqui fonctionne aussi comme un lieu de vie.

Cette tentative a été interrompue par les Bancs Publics en raisonde l’absence d’un relais au sein de la structure, malgrél’enthousiasme de la direction affichée au prime abord. Le constat dressé rapidement consistait à mettre en exerguequ’en l’absence de coordination commune autour de ce projetentre les structures, ce dernier s’en trouvait dénaturé et ne se présentait alors plus que comme un dispositif de médiation culturelle auprès d’une structure sociale, et s’apparentait mêmeà un travail de relations publiques.

Le partenaire effectif depuis mars 2006 est l’association le SARA-GHU, en la personned’Elsa Bernardo, éducatrice spécialisée. Chargée du suivi de personnes rmistes, elle animeégalement des ateliers d’expression artistique avec des groupes sur une durée de 6 mois.C’est d’ailleurs avec ces groupes constitués par les ateliers que le projet s’est enraciné.Cependant notre démarche et ces ateliers de pratique sont restés totalement dissociés dans leurs objectifs.

La méthodologie qui a guidé le partenariat entre les deux structures a reposé sur l’idée que la démarche serait évolutive. Elle requérait donc une capacité de la part des deux référents à auto-ajuster leurs attentes et, plus encore, à mettre en débat tout au longde manière très concrète les questions soulevées par le déroulement du projet. Ainsi, des entretiens entre les deux coordinateurs ont été retranscrits et portent la mémoire de l’évolution du projet et de sa redéfinition pragmatique.

Ensemble d’acteurs mobilisés autour de ce projet : Depuis janvier 2006, le groupe de spectateurs a fluctué entre dix et quinzepersonnes, dont les deux accompagnateurs. Une partie de ces personnes, 6 d’entre elles exactement, sont inscrites dans cette démarche dès son initiation. Elles ont donc largement contribué à en dessiner les contours. Il est essentiel de souligner l’une des singularités du groupe ainsi constituéd’une partie « d’anciens » qui ne sont plus « suivis » dans leur parcours d’insertion par le référent social. * 53 personnes ont été mobilisées et impliquées à des degrés divers* 30 spectateurs* 13 artistes * 3 personnes chargées des relations avec le public dans des structures (Le Merlan Scène Nationale, Festival d’Avignon, Festival d’Art Lyriqued’Aix-enProvence).* 5 personnes de l’équipe des Bancs Publics* 2 personnes pour le SARA-GHU Entre janvier 2006 et juillet 2008, 18 sorties assorties de rencontres ont été organisées. Ce qui a correspondu à 30 rendez-vous.

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Les Barbares, de Maxime Gorki par Eric Lacascade,Festival d’Avignon, 07.2006

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Page 14: Vous avez un drôle de public !

“ Il ne faut pas se borner à concevoir une offre artistique,il faut se pencher sur les questions des modalités de l’offre. “

*Jean-Claude Wallach, La Culture, pour qui ?

UN BILAN ET QUELQUES HYPOTHÈSES POUR S’OUVRIR À D’AUTRES EXPÉRIENCES.

En examinant ce qui a été fait et cherché, en mesurant la validité des hypothèses principa-les qui ont servi de fil conducteur à notre démarche, le projet mené depuis 2006 nous asouvent pleinement satisfait. Sûrement le fait qu’une partie de ces personnes continuent defaire vivre ce groupe sans qu’elles ne soient plus en lien avec la structure sociale partenaire,qu’elles témoignent ainsi d’un rapport personnel à la pratique culturelle, cela nous conforte.Sans faire l’impasse sur des questions complexes et donc ouvertes, nous posons en premierlieu pour réfléchir ensemble les 3 hypothèses suivantes :

H1 - LA COLLABORATION ÉTROITE ET LE DÉCLOISONNEMENT DES MODES OPÉRATOI-RES DU TRAVAILLEUR SOCIAL ET DU TRAVAILLEUR CULTUREL SONT ESSENTIELS À LARÉALISATION D’UN PROJET D’OUVERTURE SOCIALE DES PRATIQUES CULTURELLES.Le décloisonnement des pratiques qui est la condition même de l’expérience, est cruciale-ment liée à la connaissance réciproques des langages et des enjeux des deux parties. Cequi suppose que le travailleur culturel ne se fige pas dans une posture de relations publiquesou de médiation culturelle auprès du public lié à l’action du travailleur social. Ce qui impliqueégalement que le travailleur social ait une connaissance et manifeste un intérêt réel pour l’ac-tion culturelle et artistique. Ce processus de décloisonnement est le seul qui permette, dansle temps, l’évolution du projet de manière réflexive.

? – Comment améliorer la connaissance mutuelle des acteurssociaux et culturels ? Comment partager ensemble une conviction sur la place de la culture ?

Comme préalable nécessaire, la connaissance et la confiance réciproques des travailleurssociaux et culturels, et la construction d’un langage partagé. Et, un premier paradoxe (à titreexemplaire) observé est la contradiction, - volontairement un peu grossie - qui préside aurapport de chacun des acteurs avec « son » public : toute la mission du référent social viseà autonomiser les personnes, en quelque sorte à faire sortir ces personnes à plus ou moinsmoyen terme des dispositifs d’accompagnement dans lesquels ils se rencontrent. L’acteurculturel inscrit au contraire son action dans une logique de fidélisation de son public et toutela stratégie de communication des lieux de culture va dans ce sens.La collaboration entre les partenaires ne peut faire l’impasse sur la nécessité de proposerune ou des modalités communes d’accompagnement, d’invitation de ces publics sans niercet écart, mais, au contraire, en l’activant de manière réfléchie et concertée.

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Page 15: Vous avez un drôle de public !

15H2 - LE FAIBLE ACCÈS DES PUBLICS ISSUS DE MILIEUX DÉFAVORISÉS AUXFORMES CONTEMPORAINES DE L’ART VIVANT N’EST PAS INTRINSÈQUEMENTLIÉ AUX ESTHÉTIQUES PROPOSÉES. AUTREMENT DIT, CE NE SONT PAS LESSPECTACLES QUI SONT EN SOI INACCESSIBLES.Cette affirmation qui va à l’encontre d’un sens commun hégémonique, a largement été illustré par l’expérience de l’ensemble de ces spectateurs, socialement très défavorisés, ayantvu des spectacles radicalement contemporains avec une curiosité et une sensibilité manifestes dont ont témoignés les discussions/débats avec les artistes.

?? - Si ce n’est pas l’esthétique des spectacles qui estcause, comment agir sur les autres facteurs de la faiblediversité sociale des publics ?

Il s’agit de contrarier le lieu commun qui opposerait culture légitime/culture populaire et deréfléchir aux présupposés des opérations de médiation. Le dispositif « Itinéraire(s) d’ungroupe de spectateur(s) », dans sa conception même, neutralise trois obstacles matériels àla sortie culturelle : accès à l’information, transports, coût de la sortie. Il s’est attelé à agirsur une autre dimension, immatérielle, celle de la sortie culturelle comme espace de socialisation légitime pour soi.

H3 - LA SORTIE AU SPECTACLE EST UNE PRATIQUE SOCIALE. À CE TITRE, LAPISTE D’UNE SORTIE RITUALISÉE EN GROUPE DOIT ÊTRE PRIVILÉGIÉE SUR UNEDÉMARCHE INDIVIDUELLE, PEU SOCIALISANTE ET FORT INTIMIDANTE.La notion de groupe, centrale dans le dispositif, distingue ce dernier des principales tentatives menées autour de la question de l’accès à la culture des publics défavorisés. Orc’est bien le groupe, et ce qu’il implique d’organisation et d’accompagnement, qui a joué lerôle socialisant nécessaire, protecteur du sentiment d’intimidation culturelle et facteur assurant la reproductibilité de la sortie (sa ritualisation). “ L’aspect collectif permet de fairedéplacement , c’est-à-dire de se trouver dans un espace dans lequel on a tout lieu depenser que l’on est « dé-placé » ou plutôt « dé-classé ».” *

??? – Comment constituer les groupes et s’assurer de leurpérennité ? Comment inscrire les conditions d’une pratiquec’est à dire le déroulement dans le temps ?

Il est légitime que la question du prolongement d’une pratique de spectateur pour ces personnes, hors d’un dispositif d’accompagnement tel que celui mis en œuvre par ce projet,ou dans une modalité qui est plus à voir avec de l’incitation qu’avec « de la prise en charge »,soit clairement posée. Cette problématique sous-tendue par celle de la mesure de l’utilité del’action décline d’autres questions : comment l’utilité sociale de ce type de projets peut êtrebalisée ? Comment ce type d’accompagnement peut et doit viser à l’autonomisation des personnes ?

Page 16: Vous avez un drôle de public !

Sainte Jeanne des Abattoirs, cie Parnas,Théatre de la Criée, Marseille, 03.2007.

Page 17: Vous avez un drôle de public !

17ÉLÉMENTS DE CONVERSATION entre Julie KRETZSCHMAR et Elsa BERNARDO11.2007.

Julie Kretzschmar / Comment tu définirais ta place au sein de ce projet, qu’est-ce quetu fais concrètement ?

Elsa Bernardo / J’ai l’impression d’être un lien “ facilitant ” entre les gens qui meconnaissent, un peu ou plus, et le monde du théâtre qui est une lieu plus étrangerà eux. J’ai l’impression d’être une passerelle.

Qu’est-ce que ça veut dire une passerelle ?Je suis peut-être rassurante, je suis là pour prendre en compte la spécificité de chacun, penser à tous les éléments annexes qui pourraient être un frein pour eux,par exemple le transport après. Les spectacles ou les craintes qu’ils pourraient avoir.Je pense à N., ses craintes par rapport au trajet pour aller à Avignon, je pense à O.aussi. Et puis pour leur donner l’envie, leur dire que c’est possible. (...)

Est-ce que tu as l’impression si on parle en terme positifs, même si c’est un peu bizarrede formuler les choses pour moi de cette façon, que ça leur fait du bien ? Les sens-tu moins intimidés ?

C’est pas évident, je ne sais pas jusqu’à quel point ils sont à l’aise, je ne sais pas s’ilspourraient le faire tous seuls en fait.

J’allais y venir… As-tu le sentiment que ce que nous tentons c’est bien de le faire pource qui se passe à chaque fois, mais que ça ne dépasse pas nécessairement le momentprésent ? Ou qu’il y a quelque chose qui s’incruste un peu plus, même si c’est utopique… Tu ouvres des portes vers un extérieur, vers la possibilité d’aller seul et defaçon autonome voir un spectacle ?

J’ai l’impression de plus en plus que ça m’échappe, que ça nous échappe ce qui sepasse. Je suis persuadée que si V. va parfois tout seul voir des choses, c’est parce queça existe. Avec le temps, ils se donnent le droit de parler des spectacles, de donnerleur avis, de dire qu’ils n’aiment pas même. (...)

Tu parles des moments de rencontres avec les artistes, là. De mon point de vue, ces moments imposent aux artistes qui acceptent de jouer le jeu de se décaler. Je m’aperçois d’ailleurs que c’est parfois difficile pour un artiste de se soumettre et de se confronter à leurs regards, à leurs questions qui ne sont pas formulées par des spectateurs genre “ abonnés à Télérama ”. Je sens qu’il ne s’agit pas du tout d’un atelier de libre parole, comme nous en avions eu la crainte. Il en ressort véritablement une parole sensible sur ce qu’on a vu ensemble.

Oui, ce sont des moments très actifs et personnels. Des moments pour eux, dans lesquels ils affirment une identité. Ils se valorisent sans rendre des comptes. Pour moi, c’est vraiment comme ça que le lien social est en train de se construirepour eux. On leur permet de faire exister un truc qu’on ne leur demande jamais… Parler d’une chose culturelle ou artistique, réfléchir et de prendre du temps pour ça,ça les fait exister autrement. (...)

Si je reviens sur notre sortie au festival d’Avignon, sur notre surprise à constater quele groupe ce jour là était complètement insaisissable, bref qu’ils n’avaient aucuneenvie d’être en groupe. Nous nous étions même demandés si chacun d’entre euxn’avait pas en fait envie d’être seul ou en duo avec nous. Comme si à Avignon, ils résistaient à être perçus de l’extérieur comme un groupe de rmistes... J’avais aussi été étonnée qu’aucun n’apporte quelque chose pour le repas collectif. Et toi, de me répondre que sur toute cette journée, ils avaient été tellement assistés. Et que tu pensais que l’intervention sociale est tellement quelque chose qui est de l’ordre de l’assistance que même si on essaie d’initier d’autres attitudes, on ne sort pas de ceshéma de l’assistance. Alors qu’est-ce qu’on va faire ? C’est une question de tempsd’imaginer que ça pourrait se partager autrement ?

Je trouve qu’on les assiste beaucoup, je pense que c’est beaucoup moi, peu importe…Ils sont très assistés sur ce projet, aussi, parce que c’est gratuit, qu’on prend encharge les trajets de retour. Enfin tellement on veut qu’ils viennent, on veut enlevertoutes les barrières. Ça enlève un peu de la réalité. Parce que pour moi, l’objectiffinal, c’est qu’ils arrivent à le faire tous seuls après. Peut-être de leur dire que le butaussi c’est d’arriver à faire émerger une envie d’y aller tout seul ou ensemble maissans nous… Par exemple, pour le repas en Avignon, l’idée était que chacun amènequelque chose de lui, on aurait du le dire plus clairement.

Page 18: Vous avez un drôle de public !

18 J’ai eu l’impression de le dire clairement. Mais je me suis trompée et pourtant j’ai eu l’impression de le faire. Et j’ai immédiatement contrebalancé en précisant que je m’adressais à ceux qui peuvent. Pour revenir sur la question de la gratuité… Est-ce qu’ils auraient suffisamment pour participer et venir quand même si ça coûtaitquelques euros ?

Il faudrait qu’ils prennent conscience de ce que ça implique en termes d’assistanat.Et sûrement questionner une façon de vivre. Il faudrait en parler avec eux. En plus,nous n’avons que des préjugés : que peut-être ne rien payer, c’est rester passif et attendre. Et qu’au contraire devenir autonome c’est s’engager notamment financièrement.

Ce que je relève d’étrange dans cette façon de voir les choses, c’est que je considèrequ’être spectateur justement, si on ne parle pas d’une pratique sociale banalisée quis’apparente à un rapport de consommation, ça ne peut pas être passif. Je me dis souvent que passer le cap de l’intimidation, c’est déjà en soi énorme. Cet acte est lecontraire de la passivité. Mais peut-être que je me trompe. Et pourtant, à Avignon,alors que je n’aurais jamais imaginé qu’on parvienne à organiser cette journée, qu’ilssoient tous là, qu’ils adorent un spectacle dans la cour d’honneur qui dure quatre heures et demi… Mais c’est vrai que nous avons tout fait ! Comment déclencher autrechose dans ce projet, le prolonger autrement, pour ne pas piétiner sur ce constat quel’on prend absolument tout en charge et que ce fonctionnement pourrait s’incruster.

Qu’est ce qu’on peut faire ?Oui, en fait c’est un peu ça. Parce que là dessus je me sens arrêtée. Je n’ai pas d’ouver-ture. Je crois qu’à un moment le côté incroyable de leur venue, de leur régularité mesatisfait absolument. Et que ça me suffit d’être étonnée de la qualité de leur réception.

Il faudrait discuter avec eux. Comment imaginer leur participation active à ce projet ?J’aurais le sentiment qu’on leur demande de rendre quelque chose, d’échanger leur venue contre….

Mais participer, c’est aussi rendre…Comme l’espèce de point d’orgue de cette première saison de l’itinéraire du groupe despectateurs, c’était la journée au festival d’Avignon… C’est évidemment curieux derelever la passivité du groupe à cette occasion, leur individualisme lors de cette journée. Pendant le repas ils n’ont pas discuté entre eux, d’ailleurs la personne quinous a accueillis dans son jardin m’a dit plus tard qu’elle pensait qu’ils ne se connaissaient pas .

Je les imaginais chacun chez eux. Ils sont tout le temps tous seuls et soudain, là,Avignon, ce monde. Et au moment du repas, ce monde. J’imagine que quand on esttout le temps seul, quand tout s’ouvre comme ça, c’est trop d’efforts, même tenir unediscussion, c’est trop lourd. Mais ce jour là, je ne comprenais pas. (...)

Le terme qu’on a utilisé pour leur présenter ce projet, commun à toutes les deux,c’était un engagement à participer, un engagement collectif et sur la durée. Est-ce que ce mot là, engagement, est juste ?

Oui. Ça signifie qu’on leur demande d’engager quelque chose, une parole. Ils ne choisissent pas les spectacles, on ne leur en parle pas beaucoup. C’est de s’engagervers de l’inconnu, même si c’est un inconnu qui peut être plaisant. On leur demandede nous faire confiance.

Sur cette problématique du choix des spectacles, c’est parfois choquant de revendiquerque ce ne sont pas les gens qui choisissent. Je reste assez ferme. Pour moi, ce choix necorrespond à rien du réel de ces gens. Qu’est ce que ça veut dire choisir ? Sur quoi peuvent se porter le désir et la curiosité, quand on sait à peine de quoi il s’agit, quandon n’a pas idée de ce qu’est un spectacle ? Je leur parle peu de ce que nous irons voir ensemble et il n’est pas question pour moid’aller voir les spectacles avant. Je me souviens, quand je vous ai proposé d’aller voir« L’histoire de Ronald, le clown de mac Donald » de Rodrigo Garcia, tu avais des réticences. Tu étais inquiète de leur montrer une pièce qui traite notamment du rapport à l’alimentation de façon très provocatrice. J’ai dû défendre ma position quiétait de revendiquer « cette absence de nécessité de protéger ces spectateurs », de nepas avoir peur à leur place, en quelque sorte. Mais c’est bien pour ça que nous sommesdeux à mener ce projet, pour que tu me dises ce qui te heurte.

C’était mon interrogation première sur la conduite sur ce projet, la façon dont sedéplaceraient mes velléités protectrices. J’avais dans l’idée de gommer un peu cetravers professionnel, que ça me contraigne à ne pas regarder ces personnes d’abord

Page 19: Vous avez un drôle de public !

19sous l’angle de leurs problèmes. C’est le défaut des travailleurs sociaux et là dessus,j’apprends à me mettre de plus en plus en retrait. (...)

J’ai envie de croire que tout le monde peut tout aller voir. C’est une sorte de conviction intime. Tu me suis ?

Non, j’aurais par exemple des réticences à leur proposer des formes interactives quiinterpellent le spectateur à participer. Mais c’est encore une fois, la représentationque je me fais de ces personnes. (...)

La base de notre démarche, c’est en partie de chercher à observer ce que ça peut signifier concrètement de mélanger des spectateurs, de se mélanger. Je me demande,est-ce que dans le cadre des sorties, tu fais abstraction du fait que le groupe se voit,c’est à dire qu’il revêt des signes ostensibles de pauvreté, d’exclusion. Pour moi, c’est toujours un élément très présent

Non, je suis tellement habituée. Au concert, je me rappelle plutôt d’un autre groupe,des gens que tu avais invité par la FRAT. Ils étaient pour moi encore plus visibles.Pour certaines de ces personnes, on est sur une frontière un peu floue. Je crois quec’est le groupe qui est visible.

Oui, c’est peut-être là qu’il y a un paradoxe. C’est le fait d’être en groupe, qui nous rendplus visible alors que le projet tend justement à combattre leur intimidation... Tu m’avais dit que tu aimerais essayer de voir comment ça se passerait si on était pas présentes à l’une des sorties.

Je ne sais pas si ils iraient, en fait.(...)

Alors qu’est-ce qu’on fabrique à faire ça. Si je me resserre sur ma pratique, ma problématique c’est de faire rencontrer des artistes et ces gens. C’est mon travail.

Ou alors qu’ils aillent avec toi, sans moi. Si on enlève la passerelle, le lien du travailleur social.

Est-ce que tu penses que c’est si évident la distinction entre nos positions à toutes lesdeux ?

Bien sûr, notre langage, notre comportement. Et puis je la fais la différence quand jeleur parle de toi. (...)

Comment ce projet s’insère dans ton travail, comment tu peux le revendiquer, le valoriser ? Déjà dans la formation d’éducatrice, c’est prégnant, ce travail sur le groupe. Ce projet, c’est très flou pour tout le monde, c’est un peu à la limite. Pour moi, ça ne fait aucun doute que c’est une partie de mon métier.

Est-ce que tu sens que tu as la place pour te sentir spectatrice ?Progressivement, je me demande moins pendant les spectacles comment les gensvivent et reçoivent le projet. Au début du spectacle, je pense à chacun. Avec letemps, de moins en moins.

Comment tu peux accommoder ton emploi du temps avec celui du projet, tes horairesn’incluent pas la possibilité que tu travailles le soir. Dans mon domaine, la culture,c’est normal.

Je fais en sorte de récupérer. Ça devient plus évident au sein de ma structure que je récupère et… Enfin, pour moi aussi. Même si je me sens obligée de le justifier àchaque fois. J’ai besoin d’entendre que chaque collègue sait et comprend, que ce soitlégitime que je récupère les heures consacrées aux soirs de sorties pour aller voirdes spectacles.

Qu’est ce qui ne serait pas légitime ? Parce qu’un spectacle a à voir avec du loisir ? Oui bien sûr, il faut composer avec les réflexions du genre “ Oh ! Ça va, tu t’amuses.”Il faut toujours appuyer sur le sens et le re-préciser.

Je me le demande à chaque fois. Par exemple, à la fin de la soirée à Avignon, ils m’ontdit merci. Je ne sais pas si c’est bien ou mal de dire merci peu importe. Je me suis dit,tiens est-ce que c’est le signe qu’ils perçoivent qu’il s’agit de notre côté, d’une part detravail...Je me sens à l’intérieur mais aussi à l’extérieur de ce groupe, forcément. Il y a une chose objective c’est qu’ils parlent beaucoup plus d’une fois à l’autre. Le « j’aime », « j’aime pas » ne se pose plus en ces termes. Il n’y a pas de méfiance. Qu’est ce qui s’éveille ?

Ça me donne envie de les questionner. Sur les spectacles mais aussi sur la forme...

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20L’ITINÉRAIRE

03.2006 IL Y A DES TROUS DANS LE DÉROULEMENT DU TEMPS,cie émile saar, aux Bancs Publics - lieu d’expérimentations culturelles

04.2006 Solo Emilie LESBROS et concert MANUCELLO aux Bancs Publics - lieu d’expérimentations culturelles

05.2006 L’HISTOIRE DE RONALD, LE CLOWN DE MAC DONALD,de Rodrigo garcia, Le Merlan Scène Nationale,à la Friche Belle de Mai

06.2006 VILLE INVISIBLE du Théâtre de l’Arpenteur,Le Merlan Scène Nationale, quartiers nords, Marseille

07.2006 LES BARBARES, de Maxime Gorki par Eric Lacascade,Festival d’Avignon

10.2006 TOY TOY, Sabine de Vivies et POUSSÉE, Nejib Ben Khalfallah (Festival dansem)

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05.2007 TOUT MON PETIT UNIVERS EN MIETTES, AU CENTRE QUOI ?cie L’orpheline est une épine dans le pied aux Bancs Publics

02.2007 CET ENFANT, Joël Pommerat, Théâtre du Gymnase, Marseille03.2007 SAINTE JEANNE DES ABATTOIRS, de Catherine Marnas,

cie Parnas, Théatre de la Criée, Marseille.05.2007 HAMLET EXHIBITION, de Thomas Gonzalez, aux Bancs Publics.07.2007 DE LA MAISON DES MORTS, de Janacèk, Patrice Chéreau,

Pierre Boulez, Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence,Grand Théâtre de Provence

02.2008 ELLE CRIAIT TOUT BAS, de Sharmila Naudou,cie Träumerei aux Bancs Publics.

01.2008 SQUAWS, cie 2B2B aux Bancs Publics 02.2008 BLANC SEING, de Vinciane Saelens, cie Madgique Pool,

Théâtre des Argonautes, Marseilleau Merlan Scène Nationale, Marseille

03.2008 LA RABBIA, de Pipo Delbonno au Merlan Scène Nationale05.2008 OUI OU NON AVONS NOUS TRAVERSÉ LA MER ?

cie L’orpheline est une épine dans le pied aux Bancs Publics06.2008 CARGO SOFIA – MARSEILLE, de Rimini Protokoll,

spectacle itinérant en bus, Festival de Marseille07.2008 ZEITUNG, cie Rosas, hangard du port autonome,

Festival de Marseille

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22 Rencontre avec Marie Lelardoux, assistante artistiqueautour du spectacle La Ville invisible, par le Théâtre de l’Arpenteur programmé par le Merlan, Scène Nationale, 07.2006

V. : Au départ, on s’est retrouvé avec Jacqueline et les autres dans une espèced’aquarium avec l’accueil. On nous a dit que le spectacle était déplacé… Ça, j’ai cru que c’était vrai.Après dans les taxis les choses semblaient normales, sauf à un momentdonné, le taxi parlait du lycée Nord qui était éclairé entre deux et trois heuresdu matin... Connaissant un peu le quartier... Mais c’est possible que quelqu’unentre dedans et l’éclaire, c’était vraisemblable.Là où c’était un peu compliqué, c’est quand il a dit qu’une des tours de LaViste allait être transformée en résidence artistique. J’ai vécu à La Viste doncje sais que c’est quasiment impossible. Ce qu’il y a d’intéressant pour moi c’estlorsque la voiture est passée vers les Aygalades, c’est un endroit dans le passéoù j’ai beaucoup marché, donc j’y ai beaucoup de souvenirs. Par rapport auspectacle c’est les souvenirs personnels qui vont revenir à ce moment-là, plutôt que d’être à l’écoute de ce qui est dit.C’est pareil pour le quartier Saint-Antoine, j’ai aussi beaucoup marché dans lecoin... Ce qui était étonnant aussi, c’est lorsque le taxi part, on lui téléphone,enfin on l’appelle pour lui dire qu’il y a un relais et il dit que c’est dommagequ’il y ait un relais... C’est complètement bizarre, même l’histoire du relais :c’est n’importe quoi, ça n’existe pas... Enfin c’est amusant, c’est pas mal.

Julie Kretzschmar (J) : Donc tu as pensé que c’était vraiment un taxi jusqu’au café ?

V. : Disons qu’à partir de l’histoire de la tour de la Viste qui doit êtretransformée en résidence... avec les lumières... je commençais à douter beaucoup. (…) J’avais tendance à penser qu’il disait n’importe quoi ! Je n’aipas pensé que c’était le spectacle. C’est à la fois impossible, mais c’est tellement délirant des fois les actions que peut mener la ville de Marseilleque... C’était très peu probable, mais je me posais la question quand même,j’étais dans l’interrogation. C’était un peu choquant d’ailleurs, parce que c’estdes logements sociaux là-bas, chasser des gens pour faire ça.

Marie Lelardoux (M): Vous êtes intervenu dans le taxi ?

V. : Non, non, je ne lui ai rien dit, mais je trouvais ça très étrange. Là aussi, jepense que c’était difficile d’intervenir parce que, après coup, on se dit qu’onaurait pu déranger le spectacle. Pour les acteurs, je pense que c’est une tension supplémentaire parce qu’il peut y avoir des gens qui ont de la repartie...

K. : Moi, ça m’a plu parce qu’à un certain moment, il faisait participer lepublic, comme ils étaient indécis. Ça m’a plu parce que j’ai bien sentiMarseille, que je connais très bien comme Notre Dame Limite. Ça m’arecalé dans le patrimoine marseillais, avec la sensation d’appartenir à cepatrimoine. Ça m’a vraiment touché. Et les acteurs étaient formidables...sérieux ! Ils avaient un sens de fantaisie, très très bien...

V. : Celui qui joue le rôle du promoteur, il a le rôle un peu ingrat parce quec’est un rôle réaliste. Pour moi, c’était ingrat aussi parce qu’il représentaitun matérialiste nostalgique dans le sens qu’on a l’impression qu’il estdevenu promoteur parce que, d’après ce qu’il racontait, il y avait une maison où il avait habité et qui n’était plus là…

N. : Il y avait une partie d’invention comme la rue dont je ne me rappelle plus le nom... PIGALA... on dirait que c’est lui qui a inventé que ça reprenait les deuxpremières lettres des trois propriétaires de maisons.

Elsa Bernardo (E) : Est-ce que les deux racontaient la même histoire ?

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23M. : Le spectacle repose sur ces principes de vrai et de faux. Par exemple, l’impasse Pigala, c’est une réalité invraisemblable !

K. : Le début ressemble un peu à Alfred Hitchcock, le mec me parlait de lafenêtre... C’est là que j’ai senti que j’étais dans le spectacle.

N. : Au début je croyais vraiment être dans un taxi... On a fait un détour et aprèsil a pris un carnet de croquis, il faisait une perspective, je croyais alors encoreque j’étais dans un taxi. Puis on a pris une voie rapide et après il a dit « là, c’estune fenêtre qui s’éclaire toujours à 11 heures du soir, c’est un homme qui commence a écrire... », je me suis alors rendu compte qu’on était dans une visionpoétique. (…) Je suis tombée dans le panneau. Je pensais vraiment que le spectacle avait été reporté ailleurs « pour des problèmes techniques » (Répète ce qui était alors annoncé aux spectateurs).

V. : On était nombreux aussi, il n’y avait donc rien d’inquiétant. Les personnesn’étaient pas affolées.

M. : Ça questionne la confiance qu’on doit accepter d’accorder, le jugement aussi qu’ondoit conserver en tant que spectateur.

K. : Pourquoi avoir choisi Saint-Antoine ?

M. : Ça part de questions assez pratiques. Dans chaque ville, la contrainte de départpour Hervé Lelardoux, c’est le lieu final. Il lui faut un endroit assez grand pour accueil-lir cette ville de sable, ce que vous avez vu à la fin. À partir de là, il va chercher un café,et il faut que la distance entre les deux puisse être parcourue à pied par les comédiensqui jouent les agents immobiliers. Ensuite, encore, il faut déterminer les points dedépart. Les structures qui ont accueilli le spectacle à Marseille ont cherché, puis pro-posé différents périmètres en fonction de ces contraintes.

K. : Je pensais que c’était un choix plus historique...

M. : Non, même si ça pouvait intéresser Hervé Lelardoux, d’aborder ces fameux quartiers nord... Pour le parcours des taxis, il s’agit de repérer des fenêtres, puisqu’ilsplacent dès ce premier voyage ce rapport intime à la ville. Et cette frontière intérieur/extérieur.(…)

K. : Moi je pense que les fenêtres, c’est les yeux du monde, les yeux quientrent à l’intérieur du monde et les gens se voient à travers. Je l’ai sentiancien. Le metteur en scène, c’est un poète ou un écrivain. Ça a été un peu ... Xfiles. Le décor, il y est déjà... Sauf celui de la fin, c’estpour ça que le poème du départ (« Chaque ville est un livre, dont chaquefenêtre est une page »), c’est comme le final.

J. : Et cette fin ?

V. : Le moment le plus fort, c’est le moment où je suis rentré dans cette pièceavec...

N. : Les boîtes aux lettres...

V. : Pour moi, ça avait un aspect très religieux, c’est comme si on passait ducôté du promoteur et c’est comme si on entrait dans une église. C’était des boîtes aux lettres en bois avec une lumière à l’intérieur, ça faisait penser à desespèces de tabernacles. Ça avait un rapport avec la religion pour moi... avecl’hostie consacrée... ça veut dire que « le livre est sacré ». Et même la suite,puisque après, il y avait une lecture, ça ressemblait un peu à une messe où il ya aussi une lecture d’un passage de la Bible, ça rejoint ça pour moi. Et à la fin,la ville de sable, ça faisait penser à une espèce de crèche.

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24 N. : Ça me faisait penser à l’archéologie. La dernière ville... après j’ai davantagepensé que c’était une sculpture, puisqu’au début, je croyais que la fille travaillaità la truelle. Au début, je pensais que c’était de l’archéologie, et en fait c’était de lasculpture.(…)

K. : C’est un mélange de villes, j’ai reconnu les styles byzantins, greco-romain…

E. : Ça m’a fait penser au site d’un jeune autiste qui a créé toute une ville imaginaire,avec l’histoire de la ville...

V. : Ce que je retiens, c’est qu’il s’agit d’un spectacle qui a tendance à sacraliser la ville. Donc, toujours cet aspect religieux. D’autant plus qu’à lafin, on nous propose de marquer sur une feuille de papier une phrase accrochée par rapport à une rue, comme une forme d’ex-voto pour moi.(Ici le spectateur fait référence à un « jeu » mis en place par le Merlan qui pro-posait à l’issue de la représentation une grande carte de Marseille sur laquellechacun pouvait associer un endroit à une histoire qu’il écrivait sur un papier.)

C. : Au début ça ne m’a pas trop branché, je me suis dit que ça allait megaver. Je me suis dit que le taxi était complètement jobard, après j’aicompris que c’était un spectacle... Et puis, chemin faisant... quand on acommencé à se promener dans les rues, je me suis dit ça va être gonflant... et puis ça m’a plu... tout de suite.

M. : Et ce rôle dont vous ne parlez absolument pas ?

V. : Celui qui parlait italien ? Je l’ai trouvé extraordinaire. D’abord de lamanière dont il débouche, il tombe quasiment d’une échelle. Il a un rythmeextraordinaire.

N. : Avec nous, il est arrivé de façon différente, il nous a dit: « il y a les taxis quiattendent...»

V. : Nous pareil, mais il est descendu d’un mur quand même !C’est un rôle qui est très riche. Le texte est d’une poésie très forte.

E. : Et même trop dense, je n’arrivais pas à tout saisir.

V. : Mais je pense que c’est fait exprès, parce que sur le moment, on ne peutpas trop réfléchir... un texte percutant comme ça… À mon avis, la richessec’est fait exprès car on pourrait faire autrement. Je me souviens d’une phrasequi est revenue 2 ou 3 fois : « ce qui est important ce n’est pas ce qui est dit,mais l’oreille qui écoute... ». Je pense aussi que le récepteur est plus important...

N. : Je n’ai pas trop écouté la partie sur Marco Polo. Et ce que j’ai retiré des lectures près de la « sculpture », c’est qu’il y a des jeux de miroirs dans la ville(Retour sur le parcours avec le passeur). Il nous montrait une petite plante, enfin des herbes sauvages. Je pense que le thème du spectacle c’était que dans un univers familier on peut voir des choses, un microcosme. J’ai fait des étudesd’histoire de l’art et je visite beaucoup de quartiers de Marseille. Dans cette ville,il y a toujours des choses à découvrir, qu’on ne voit pas à la première visite.

M. : C’est un spectacle qui ne repose effectivement pas du tout sur le spectaculaire. II donne à observer l’ordinaire.

N. : À la sortie du bar, il nous montre le palmier aussi, l’arbre centenaire...

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25E. : Ce qui était assez drôle aussi, c’était de passer devant des gens qui mangeaient,qui faisaient leur vie... il y avait écrit « accès interdit » d’ailleurs ! On ne savait plustrop quel rôle on avait : spectateur, groupe...

V. : Ce qui est amusant aussi, c’est quand l’acteur qui joue le promoteur traverse la rue. Il nous invite à traverser, mais il ne fait pas trop attention à lacirculation, il est resté au milieu et s’est fait insulté par des automobilistes pastrop méchamment, mais quand même... Il s’en foutait complètement. II y avaitquand même une petite prise de risque, là. À mon avis, ça fait partie du spectacle, c’est intéressant... Ce qui est certain, c’est que c’est volontaire de sapart, parce que sinon il aurait fait attention que le feu soit bien rouge…

J. : Et quand je vous ai ramené en voiture, vous m’avez dit « maintenant je vais vous montrer les vrais quartiers nord » et tu as refait le spectacle, tu as fait comme le type du taxi, tu détaillais... mais en disant: « là, c’est les vrais quartiers nord... »

K. : Extrême nord... Parce que sinon, c’était en zone franche, mais les vraisquartiers nord, c’est là. C’est à partir du 14ème vous montez jusqu’auCastellas, vous descendez les Arnavaux, c’est un petit tour, c’est le 14èmeles vrais quartiers nord. Ce qui veut dire que vous, vous étiez dans la zone8, non ? moi, je suis dans la zone 7. Je vous aurais montré… Je vous auraisemmené devant un arbre qui a été planté par Gaston Deferre. Ils ont casséla route autour. Ils ont fait un petit rond-point, ils l’ont gardé. Ça fait 40 ans qu’il y est.

M. : Est-ce qu’il vous est arrivé de repenser à ce spectacle ?

K. : Depuis ce spectacle, j’aime plus la mer. À la fin quand ils nous demandaient de déposer des nouvelles, que chacun situe son endroit préféré, c’est là que j’ai revu qu’on a la chance d’avoir la mer. Pour les pauvres, pour les riches, la mer et le soleil, ça fait tout. J’aime bien parceque c’est un parcours, on marche. II y a des endroits qu’on ne voyait pasavant et qu’on voit maintenant.

C : Moi, je ne connaissais pas. Il faut avoir envie d’y aller, si on n’y vitpas. Et puis ce sont des quartiers qui n’ont pas bonne réputation entreguillemets... les quartiers du nord... mais je ne savais pas qu’il y avaitdes coins sympas quand même, des coins de verdure... J’ai bien apprécié la fin, pas parce que c’était fini, mais le cadre, etc.(…)

V. : La question que je posais par rapport à un spectacle classique, c’est qu’à lafin, ils n’ont pas le droit d’être applaudis. Ça doit peut-être leur manquer.

E. : Ils n’ont pas de retours.

V. : Ils doivent bien ressentir ce qui se passe.(…) C’est la grande différence avec un spectacle classique. Un spectacle classique,une fois qu’on est assis, normalement, on reçoit tranquillement alors que là,on ne sait pas de quelle manière on risque d’être sollicité, donc il y a une certaine méfiance presque naturelle.

N. : Il y avait un côté un peu précieux. Et après, c’était une partie un peu humoristique quand il présentait le projet avec les fenêtres où les notions deconvivialité sont maximales. Après il racontait un souvenir d’enfance, c’étaitcomme un roman, ou une sorte de névrose. Puis le petit lutin est arrivé.

J. : Est-ce que vous aviez déjà vu des spectacles en extérieur ?

TOUS : Non !(…)

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26 V. : J’ai été beaucoup plus touché par la poésie... Le passeur. Pour moi, ça nechange pas grand chose pour le regard sur la ville. Mais c’est une poésie quime touche profondément. Peut-être que la ville ne me touche pas vraiment, cequi me touche vraiment, c’est la poésie. (…)

E. (à un nouveau spectateur de ce groupe qui n’a pas vu Ville Invisible) :D’en entendre parler sans l’avoir vu, ça vous donne quelle impression ?

M. : Comme une série télévisée dont j’aurais raté les 3 premiers épisodes. J’essaie de reconstituer à partir des témoignages de chacun,de reconstituer le puzzle. Sinon, j’ai l’impression que ça se passe dansla ville elle-même, c’est ça ? C’est du théâtre en dehors du théâtre. J’aime assez ça. Si les gens ne vont pas trop au théâtre, c’est le théâtre qui vient à eux.

E. : Moi, je n’étais toujours pas convaincue que c’était un vrai comédien, je l’apprends enfin ! Pour moi, le dispositif avait été loué, avec des chauffeurs briffésavec un petit texte... L’équipe leur aurait dit « si vous pouvez divaguer un peu… »

K. : Le taxi qu’on a pris me disait « Mais toi, tu le sais ».

E. : C’est un exercice d’impro.

V. : Ça fait partie du risque de ce genre de spectacle. (…)Si le comédien qui est dans son rôle me parle, il me donne le droit de lui répondre.

K. : S’il t’a choisi, c’est que tu es bien dans le spectacle ! C’est l’école des fans !(…)

E. : Au niveau Subventions, tout ça... C’est Marseille ? Parce que ça représente beaucoup d’argent... (…)

V. : Le fait qu’on sépare les gens, c’est quand même étrange.

J. : Ça fait quand même un petit mois que vous l’avez vu. Et je suis surprise de tout ce dontvous vous souvenez. Par exemple, la fin, je ne m’en rappelle pas. Je me rappelle très biende la ville (de sable) mais les textes... Je ne les ai pas entendus, parce que j’ai trop regardél’espace, avec les boîtes aux lettres...

V. : Les textes étaient tellement denses, que c’était très difficile à retenir.Certaines phrases étaient répétées plusieurs fois, et comme elles m’avaienttouché la 1ère fois, j’y fais ensuite attention. Je la capture un petit peu.(…)

K. (à propos de la scène finale) : Je croyais que c’était la brocante de la mémoire en entrant. J’ai senti des trucs, comme du temps des druides...C’est à ce moment que le spectacle prend de l’ampleur... Avec les jumelleset tout, et quand on sort de là, on se rend compte qu’on est à Marseille, je crois.

J. : Vous n’êtes pas venu avec nous tout de suite après le spectacle. Tu as mis un moment à revenir avec nous…

K. : Oui, j’ai pris, j’ai pris. J’ai essayé de prendre. Des impressions... Desimpressions. Ce qui me plaît, c’est la diversité de voir comment les gens secomportent, des fois on est mal surpris, et, sans instinct, on y va, et aprèson est installé. Ça a fait un plafond d’horizon, et je n’ai jamais vu ce côté deMarseille. Disons que je l’ai vu mais je ne l’ai jamais regardé.

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Zeitung, Anne Teresa de Keersmaeker, cie Rosas,Festival de Marseille, hangard du port autonome, 07.2008

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28 Un RMI spectateur

(...)Avant non. Il y a une peur très profonde et le faire seul…Non, j’aurais eu beaucoup de mal même s’il y avait une envie très profonde. Ça aurait étéme forcer. Il y a deux ans et demi, ça m’a permis de prendre confiance sur, comment ças’appelle… De ma valeur aussi, presque de mon bagage culturel . Parce que je n’en ai pas du tout conscience. C’est avec les échanges que j’ai pu avoir quej’en ai pris conscience. Ça a l’air idiot, mais dans les milieux où ça n’est pas reconnu, ça n’existe pas. Et le plusintéressant pour moi, avec les échanges que j’ai eu autour des spectacles, c’est que c’esttrès valorisant. Je ne sais pas ce que j’en ferai ensuite. Avant j’aimais mais sans le savoir presque.

J’allais te demander ce que ça t’avait apporté au-delà…Pour moi, c’est très important. Actuellement, ce qui me tient debout, c’est d’aller voir des spectacles. C’est très fort, c’est vraiment vital. Enfin vital... C’est vitalisant, ça donne une énergie. Après ce que je pourrais en faire… C’est beaucoup plus difficile, je reste avec mes problèmes comme tout le monde.

Avant, tu ne savais pas…Ce n’était pas du tout valorisé. Donc pas possible. Avant, par exemple je pouvais écouter une émission sur France Culture et me retrouveravec ce qui se disait. Puis ne rien en faire.Rencontrer des artistes, c’est beaucoup plus humain. Ça permet de prendre confiance et prendre conscience que ça existe. Une conscience que le monde artistique me touche beaucoup, que ça peut me faire beaucoup de bien. C’est très difficile à expliquer.

Tu as dit que tu n’avais pas conscience que c’était quelquechose qui pouvait être valorisant.

Dans le milieu dans lequel je suis, ce n’est pas du tout valorisé et j’ai besoin de prendreconscience de ma propre sensibilité artistique. C’est très important pour moi. C’est un cheminement, savoir que ce que je dis, peut- être reconnu par des autres.

C’est qui, les autres ?Je me suis aperçu par rapport aux autres spectateurs que j’avais une richesse, une ouverture. Je crois qu’on ne peut pas rationnellement dire pourquoi les choses nous touchent en profondeur.Dans la vie, il y a beaucoup de choses qui me dégoûtent profondémentet j’arrive à trouver dans les spectacles des choses tellement difficiles de la vie courante… Ou alors, au contraire dans le spectacle de Brecht, une critique de la société qui me touche intimement, c’est un discours. C’est aussi très affectif, ce n’est pas forcément rationnel.On peut recevoir les choses. Je pense qu’il y a une transmission d’énergie. Moi si je suistouché, c’est parce qu’il y a quelque chose de presque inconscient, de presque irrationnel.

Aujourd’hui, si je compte je crois que nous avons déjà vu 16 spectacles ensemble. As-tu l’impression de les regarder différemment, d’habituer ton regard ?

Je vois ça comme une sorte d’aliment. Au début, je ne connais pas un produit et je goûte. Etau bout d’un moment, ça commence à me plaire... Avant ce n’était pas du tout connu dansmon milieu ou alors par le bais de l’éducation nationale, mais là c’est très éducatif. Et àmon avis la force de frappe du théâtre, c’est pas du tout éducatif. C’est une énergie.

Tu sais, il y a des expériences trés diverses qui s’appellent les écoles de spectateurs. Tu penses que pour regarder certainsspectacles, il faut éduquer le spectateur ?

Moi avec vous, Elsa et toi, j’ai découvert le théâtre contemporain. J’imaginais que c’était pour une élite. Ce qui m’a frappé c’est le côté spectacle vivant, quiest une valeur très forte et très spécifique. Moi, je n’aime pas Sardou, mais j’irais voir si onme donnait une place. Et je suis capable d’aimer, pas parce que j’aime Sardou, mais parcequ’il y aura une ambiance.

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29La question, c’est simplement comment on y accède, non ?À condition qu’il y ait une certaine liberté. Dans la cour d’honneur, tu nous avais dit que ce n’était pas grave si on s’endormait. Si on va à un spectacle comme on va à un cours, c’est le problème. Si on demande à une personne de venir et de faire comme elle veut….

Je me ne rappelle pas que je vous avais dit que vous pouviezdormir !

Tu nous avais dit qu’il arrivait que des gens dorment et que ce n’était pas grave du tout. Je ne sais pas si un spectateur, ça s’éduque, un enfant peut-être... Mais sur un adulte... On peut amener les gens vers une sorte de curiosité. Mais le mot éducation...

Toi, cette curiosité, tu l’avais déjà ?Elle n’était pas ouverte même si j’avais une grande soif.

Tu n’avais pas identifié jusque-là que ça pouvait être amenépar des spectacles, ce dont tu parles, c’est ça ?

Ça prend beaucoup de temps de prendre confiance en soi du point de vue de la culture.De l’expérience.

C’est quoi ce manque de confiance ? C’est lié aux difficultésque tu rencontres par ailleurs ?

C’est difficile. Une fois par exemple, je suis venue aux Rencontres à l’Échelle, aux BancsPublics. Il y avait la possibilité de se mettre où l’on voulait dans la salle. Ça m’aurait dérangé de ne pas savoir le faire. Mais autrement je pense que ce qui prend du temps, c’est d’identifier qu’est ce que ça apporte. C’est très difficile à définir.

Tu te poses quand même des questions que beaucoup de spectateurs accomplis ne se posent pas ou plus ! Notamment celle de la réception.

Au mois d’août, je suis beaucoup allé au ciné. J’ai presque tout aimé mais je fais très attention de ne pas tomber dans la consommation. Ça dépend le ressenti que j’ai, ça répond à une sorte de nécessité, que des gens doivent trouver ailleurs dans la vie. Pour moi, c’est vitalisant.

As-tu eu le sentiment que parfois ce que je vous proposaisétait un peu difficile à recevoir justement ?

Difficile de parler au nom de groupe. Le seul truc que j’ai ressenti, avec J. pendant le spectacle de Rodrigo Garcia, elle ne pouvait pas s’empêcher de parler, de commenter. Peut-être qu’elle a l’habitude de regarder la télévision. On en a reparlé de ce fada de Garciadeux ans après, elle a été très marquée. C. par exemple, il est très ouvert. En pratique il est très ouvert. Il est quand même réceptif, même s’il s’endort.

Je te pose ces questions parce qu’il s’agissait d’une sorte deconviction intime que l’on peut tout aller voir sans le vérifier.

On peut aller voir tout, parce que c’est du spectacle vivant. Il y a quelqu’un là et donc il se passe quelque chose.

Tu te sens bien accueilli dans les lieux de spectacles ?Moi je dis que oui. J’en ai fait l’expérience.

Ce n’est pas intimidant ?Pour moi, l’intimidation vient de la peur d’être jugée par une sorte d’élite qui peut être intimidante. Avant la peur principale, c’est d’être jugé par des gens que je ne connais pas,des bobos, de me sentir inférieur. Ce qui compense, c’est la soif de voir le spectacle. C’est plus fort que la peur. Le problème, c’est d’aller au-devant. Je ne vois pas de quellemanière les organisateurs de spectacles peuvent inviter des gens.Avec des tarifs très bas par exemple. Mais, je pense que c’est très difficile d’aller voirquelqu’un. Pour notre groupe, il y avait un lien préexistant avec Elsa. Je crois qu’il ne faut pas culpabiliser les gens. C’est très difficile d’intéresser les gens.Patrice Chéreau nous a dit la même chose. Le problème, c’est la télévision.

(…)Ce que je veux dire, c’est que c’est très difficile de faire changer le regard des gens. Pour moi, c’est une chance. Enfin ce n’est pas une chance, c’est un besoin qui comble desmanques. Ça reste très difficile. C’est une forme d’utopie de les faire changer de visions...Par exemple, j’ai horreur des rmistes qui ont des opinions de droite et quelque part je ne les comprends pas. C’est difficile de faire comprendre à quelqu’un. Pour moi, c’est du même ordre.

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30 As-tu déjà fait, l‘expérience de proposer à quelqu’un de venirvoir un spectacle avec toi, à quelqu’un qui n’en a jamais vu ?

Je compte le faire, je connais deux personnes. J’aimerais le faire par curiosité. Mais c’est par curiosité. C’est plus difficile de voir un spectacle seul qu’à deux.

(…)Des souvenirs ?

Chaque spectacle est riche. C’est impossible de mettre des notes à un spectacleCe qui m’a le plus touché, c’est la rencontre avec Patrice Chéreau.Lui-même, son œuvre est désespérée voire désespérante. Il a une certaine joie de vivre, il travaille beaucoup. Une grande dureté.

Quand on est allé voir cet opéra à Aix-en-Provence, tu te souviens du public ?

Là, c’est parti en plus, il y avait Boulez. Et il y a une chanson de Léo Ferré dans laquelle il se moque de Boulez, je me rappelle plus trop laquelle.Moi, ce qui me touche le plus dans les spectacles, c’est la résonance que ça peut avoir par ailleurs.Par exemple à la mort de Youssef Chahine, j’ai vu à la télé le film Adieu Bonaparte et le rôleest tenu par Chéreau. Et je me suis rappelé notre rencontre. C’est idiot mais c’est très fort.

Est-ce que tu parles « d’avoir de la culture » ?Oui et pour moi, c’est affectif. C’est une sorte de résonance.Quand j’ai entendu Emilie Lesbros, que j’ai reconnu sa voix, c’était amusant. Même il n’y a pas longtemps, j’ai entendu sur France Culture, un dimanche très tard une pièce de création radiophonique avec le nom de Marie Lelardoux sur le dégât des eaux. C’était affectif mais c’est très marrant. Le côté affectif, c’est très important. D’une certaine manière, Boulez, je m’en fous mais c’est la chanson de Léo Ferré. Puis j’ai vu quelques pièces de l’Egrégore au théâtre de Lenche et parfois je croise un des acteurs dans les rues de Marseille, ça reste impressionnant. C’est tout con mais...

Toi, tu parlais facilement au moment des rencontres avec les artistes.

C’est extrêmement intéressant parce qu’il y a beaucoup de peur et d’admiration. C’est très difficile de dire à quelqu’un qu’on a aimé son travail.

(…)Dans nos discussions sur ce projet de groupe de spectateurs,une des premières questions qu’on nous pose est celle de l’utilité. En gros de nous rétorquer que ça ne va pas faire sortir les gens du RMI d’aller voir des spectacles !

Ça, je comprends, le fameux discours de l’efficacité. Alors, si on répondait quelque chose sur l’efficacité, au lieu dedire que ce n’est pas notre vocabulaire et donc d’éviter laquestion...

Pour moi, c’est très fort. C’est très difficile mais il y a une forme d’efficacité. Mais après,c’est une question de rentabilité. Après le spectacle, je rentre chez moi, je retrouve les problèmes. La culture du résultat pour moi, c’est absurde.

Si je formule simplement, en quoi ça aide à vivre ?C’est retrouver des émotions, partager une sorte d’intimité liée à un spectacle, et retrouver une intimité que je ne trouve pas ailleurs. Ça peut être très riche.J’ai vu un spectacle de Brecht. Et il y a un personnage qui dit “ quand il n’y a pas de danger, il n’y a pas de courage ”. Pour moi le courage, ça n’existe pas. Le courage, c’est undésir entouré de difficultés. On met l’attention sur le désir. Pour moi, le courage, c’est même une valeur très pervertie. Et d’un coup j’entends ça au théâtre, quelqu’un qui dit quelque chose que je pensais avant, qui a été capable del’écrire. Là, ça, ça m’aide.

(…)Mais, si ponctuellement, ça m’aide à vivre. Le temps du spectacle, je suis bien. Après, quelque chose de plus radical, ça me paraît difficile. D’un seul coup, je ne vais pasme mettre à aimer la société.En pratique ça me permet de rencontrer les autres, des gens.

Tu parles d’un espace à partager ?Dans mon cas, c’est un moyen de rencontrer des gens sinon je reste chez moi. Je vais êtrerelativement moins mal. En pratique, ça me permet de rencontrer des gens, d’être plusouvert.

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31Moi, ça m’a donné une sorte de joie de vivre. Ça vaut le coup de vivre pour voir du cinéma.Au dernier renouvellement du RMI en février, j’ai dit que c’était le fait d’avoir vu des spectacles qui m’avaient permis de vivre. J’ai dit au référent que mon RMI, ça me servait àaller voir des spectacles pour vivre. Bon, je la connaissais alors je pouvais prendre le ris-que. Là, je vais changer de référent.

Tu as l’impression que ça serait prendre un risque de le dire ?Ça dépend sur qui je tombe, la prochaine, je ne la connais pas. En principe, les assistantessociales sont assez ouvertes mais c’est pas une obligation. Disons qu’en pratique, si on pouvait mettre sur la feuille : le RMI de monsieur X lui est utile pour qu’il aille voirdes spectacles de théâtre et des films au cinéma… Alors que le conseil de validation du centre est très dur, à mon avis. On m’a posé beaucoup de problèmes.Il serait bien que les référents rmistes soient plus informés.Mais on doit penser que c’est ultra-secondaire.C’est la seule chose qui me fait du bien. Moi je pourrais dire que j’ai un RMI spectateur.J’étais très replié alors je me suis engouffré dans les spectacles.

(…)Moi, ce n’est pas du jour au lendemain. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que c’est naturellement difficile. C’est une forme d’utopie….Moi, je pense que ça vaut le coup.

Extrait d’un entretien avec Vincent mené par Julie Kretzschmar aux Bancs Publics, 09.2008.

Rédaction : Julie KretzschmarMaquette : Blandine CordellierImpression : Les Bancs Publics - Lieu d’expérimentations culturelles

Remerciements : Marie Lelardoux, Franck Manzoni, Christophe Grégoire, Patricia Plutino,Patrice Chéreau, Vinciane Saelens, Sharmila Naudou, Frédérique Teyssier, Annie Eraud, EmilieLesbros, Claire Rommelaere, Fathi Kamoun et Benoît Paqueteau.

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Les Bancs Publics - Lieu d’expérimentations culturellesDirection : Julie Kretzschmar et Guillaume Quiquerez3, rue Bonhomme / 10, rue Ricard 13003 Marseille +33(0)4 91 64 60 00http://lesbancspublics.com [email protected]

Les Bancs Publics - Lieu d’expérimentations culturelles reçoivent le soutien du Conseilgénéral des Bouches-du-Rhône, de la Ville de Marseille, de la Région Provence-Alpas-Côted’Azur et, sur des projets spécifiques, de la DRAC Provence-Alpas-Côte d’Azur, de l’Acsé etde la Politique de la Ville.

Itinéraire(s) d’un groupe de spectateur(s) a été réalisé avec le soutien du Contrat Urbain de Cohésion Sociale, du Conseil général des Bouches-du-Rhône et de laRégion Provence-Alpas-Côte d’Azur dans le cadre de la Politique de la Ville.