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Une collection de calligrammes par Alain Hurtig

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Une collection de calligrammes

par Alain Hurtig

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

A LLÔ, MARIE-JOSÉ ?— Bonsoir Christophe. — Marie-José, vous avez vécu une histoireinvraisemblable, c’était la nuit je crois… — Oui ! quand je leur parle de mon histoire,mes amis ont toujours de la peine à mecroire. Il faut dire qu’au début, je n’ycroyais pas non plus. Ni les médecinsd’ailleurs, ni même vous, j’en suis sûre.C’était à la fin de l’été 1975, les der-niers jours de très grosse chaleur. Àla télé, ils commençaient à parlerd’impôt sécheresse. Ce soir-là, jen’arrivais pas à m’endormir. Jeme souviens parfaitement quej’avais pris un bain presqueglacé. Je m’étais couchée très

tard, toute nue dans mon lit,avec les fenêtres grandes

ouvertes et pas le moindresouffle d’air. Je me suis endormie

lentement, lourdement. Il devaitêtre deux ou trois heures du matin

quand il est entré par la fenêtre dema chambre. C’est lui qui m’a réveillée.

D’abord, je n’ai entendu qu’un bruitsourd. Une sorte de ronronnement puis-

sant et lourd, comme le bourdonnementd’un avion qui décolle. Et tout de suite

après, un fracas épouvantable, les murs quitremblent et ce bruit atroce qui résonnait dans

toute ma tête. J’ai mis quelques minutes à comprendre qu’une

sorte de gros insecte venait d’entrer dans monoreille gauche. Je sentais ses ailes qui bougeaient,

Un drôle de bruit

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

le contact sec et gras. J’ai tout essayé pourle faire sortir. J’ai fait couler de l’eau, je me

suis penchée sur le côté, j’ai sauté sur unpied. Rien à faire. Il était vivant, ilprogressait.

À l’hôpital, ils ne m’ont pas crue toutde suite. Ils m’ont posé des ques-tions. J’ai même eu droit à leur test

de cohérence. À la fin, comme jen’arrêtais pas de crier, ils se sont

décidés à m’examiner l’oreilleet là, effectivement, ils ont vuquelque chose.

C’était un bombyx diabolicus. Unénorme papillon de nuit quel’interne n’arrivait pas à attraperavec une pince. Les infirmièresont commencé à s’affoler. On mehurlait de me coucher et moi, jesentais le papillon qui progressait,qui progressait. Ils ont fini par l’endormir à l’éther. Puisils l’ont retiré avec une sorte d’aspira-teur. Je n’ai pas eu le courage de le regar-der. Un papillon… Je ne dors plus jamais lafenêtre ouverte.

Marie-José B., 44 ans,commerçante, Royan

• 4 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Alors,M a r g a -

ret, il vousest arrivé quel-

que chose d’ex-traordinaire quand

vous étiez au lycée ?— Je suis tombée amou-reuse d’un de mes élèves. Il

était mignon, plus gentilque les autres. Il était

en terminale, il meplaisait beau-

c o u p .Pendant

t o u t

unt r i -

mestre,

j’ai essayé

de ne pas y

penser. J’avais

vingt-huit ans, il en

avait dix de moins que

moi. Je m

e rappelais l’his-

toire de Gabrielle Russier.

C’était dangereux et inima-

ginable à l’époque.

Mais une nuit, pen-

dant les vacan-

ces de Noël,

j’ai rêvé à

la de-

rnièrescène du

filmLa Belle

et la

Bête,

quand Jean Marais

s’envole avec Josette

Day. Je me voyais à la

place de la Belle et lui, c’était

Jean Marais. Ce soir-là, j’ai

compris que ce garçon

occupait ma vie. Et le

jour de la rentrée,

j’ai fait le pre-

mier

pas.E

nfin

,plutôt

desdizai-

nes depremiers pas.

— Et commentça s’est passé ?

— J’ai commencé parlui demander de me faire

visiter Londres. Nous avonsarpenté la ville pendant trois

mois. C’était long et lent.Interminable. À Pâq-

ues, notre histoirea enfin com-

mencé. Ons’est vus

en

ca

-

chet

te,

entre

le

s

cour

s. Il

étai

t

pen

sion

nair

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Mar

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48 a

ns,

prof

esse

ur d

e

franç

ais, O

xfor

d

(Gra

nde-

Bret

agne

)

Travaux dirigés

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Rendez-vous secrets

— Allô, Hubert ?— Bonsoir Christophe.

— Vous avez fait la connaissance de votre femme dansune salle de bains ?— Non, moi, j’ai rencontré mon épouse dans les toilettes.Au centre commercial de Parly II. Je connaissais bien ladame-pipi. Elle avait une amie. On s’est connus commeça, ma future femme et moi. À l’époque, moi, j’avaisvingt-cinq ans. Elle en avait seize. Nous noussommes revus plusieurs fois dans les toilettes.À la longue, on a fini par sympathiser.Aujourd’hui, nous avons une petite fille.Sa marraine, c’est la dame-pipi.

Hubert L., 36 ans, informaticien,Carrières-sur-Seine

Le corps A l l ô ,m o np è r e ,

vous me recevez ?— Très bien, Christophe…— Alors, mon père, il faut le

d i r e ,v o u sê t e sprêtre

catholique…— Attention, je voudrais d’abord préciser que je n’intervienspas en tant qu’autorité mais en tant qu’expérimentateur dunaturisme…— Justement, vous êtes prêtre et naturiste, ce n’est pascourant.— J’ai rencontré le naturisme il y a plus de trente ans,et j’ai constaté sur ma propre santé l’équilibre qu’ilm’a donné. C’est à partir de là que j’ai découvert sesautres vertus, ses richesses, en particulier cette tolé-rance qui fait que chaque centre est un espace deliberté… Nous disons souvent que le naturisme estune forme d’humanisme.— Excusez-moi mon père, mais le naturismec’est un culte du corps. Et le culte du corpsn’est-il pas contraire à la religion chrétienne ?— D’abord, souvenez-vous de l’adage latin :« Mens sana in corpore sano, il n’y a pasd’esprit équilibré si le corps ne l’est pas. »C’est très vrai. Et puis, il y a cette réa-lité qui vient de la nudité du regard.Le nu est plus chaste que le vêtementaffriolant.— En somme, être nu, pour vous,c’est un peu redevenir commeAdam et Ève.

— C’est au moins accéder à un étatd’équilibre mental.

— Mon père, votre discours peut choquer cer-tains catholiques…

— Mais on est en République, mon fils.

Père Louis B., 73 ans, abbé, Privas

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

du Christ

Une petite femme— Isabelle,

votre taille vous poseun problème ?

— Je suis petite. Enfin, je fais toutde même 1,45 mètre. Quand on est

enfant ou adolescent, c’est un avantage.On me chouchoutait, on me choyait. Après

on m’a draguée. Les problèmes ont finalementcommencé le jour où je me suis fiancée. Dans

ma belle-famille, on m’a reproché ma taille. Etbrusquement, j’ai eu des complexes. Le soir demon mariage, j’ai entendu ma belle-mère qui faisaitune réflexion du genre : « On espérait mieux pournotre fils. » Mon mari mesure 1,73 mètre. J’avaispeur d’avoir des enfants nains. Mon fils fait1,65 mètre, ce qui n’est pas grand. Mais ils sontmieux dans leur peau que moi. Moi, j’ai la hantisede la foule. Surtout dans les transports en commun.Quand il y a du monde dans le métro, je suis àhauteur de la ceinture des gens. Je ferme lesyeux. J’ai toujours peur de manquer ma sta-tion. Maintenant, ça va mieux. Je roule envoiture. Pour conduire, je mets quand

même des coussins.

Isabelle d’A., 40 ans,bibliothécaire,

Vincennes

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Couleur bleu…

Armelle, racontez-moi votre plus belle gaffe…

— À l’âge de quatre ans j’ai fait une énormebêtise. Mon père avait acheté une nouvelle voi-ture et il était venu nous rejoindre en vacances.

On la voyait pour la première fois. C’était unedes premières grosses Volvo. Elle était bleue,

magnifique. Je me souviens qu’avec ma sœur,on la caressait. Et puis on a trouvé qu’il fallait la

nettoyer un peu après toute cette route. On l’alavée entièrement, avec de la laine de verre et

des cailloux. Ça été un drame évidemment. Nosfesses ont été aussi bleues que la voiture.

Armelle, 32 ans, enseignante, Orléans

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Letémoin de

l’appartement

— Allô, Jean-François ?— Bonsoir Christophe.— Vous êtes agent immobilier.Vous devez en voir des vertes

et des pas mûres…— Ça, vous l’avez dit !

Un jour, par exemple, unecliente m’avait

chargé de vendre sonappartement. Elle nous

avait confié les clefs, bien sûr,mais elle habitait encore là.C’est fréquent dans la profes-sion. Les gens préfèrentdéménager après avoir

vendu. C’était un très bela p p a r t e m e n t .

J’ai tout de

aucuneenvie de vendre,

juste de se promenertoute nue. C’était une

exhibitionniste.Jolie, d’ailleurs. Très jolie. Jen’ai jamais eu tant d’ache-teurs…

Jean-François C.,36 ans, agent immo-

bilier, Tours

suitetrouvé un ache-

teur. Première visite,je sonne à la porte. La

propriétaire nous ouvre. Elleétait nue. « Ne vous inquié-tez pas pour moi », elle dit. Etpendant toute la visite, elletourne autour de nous, à

poil. La fois suivante,elle a recommencé.

Elle n’avait

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Un mandat— Marcel, vous êtes facteur. Racontez-nous cettetournée mémorable.— J’ai apporté une fois un mandat de retraite chezune très vieille dame. Elle était quasiment impo-tente, dans une petite maison avec quelqu’unpour s’occuper d’elle. Elle était malade. Elle étaitcouchée. Vous connaissez le règlement, un man-dat, ça se remet en mains propres. Surtout quandil y a versement de liquidités. Il fallait donc quej’aille la payer dans sa chambre. La personne quise trouvait là, lui crie très fort. « C’est le fac-teur ! ». Et je l’entend qui répond qu’elle ne veutpas me voir, qu’elle en a assez de tous ces médi-caments. Elle avait compris « c’est le docteur ». Jefais comme si de rien n’était. Je m’approche de lavieille dame pour la faire signer, j’ouvre masacoche, je lui prends tout doucement la main,j’essaie de lui glisser un stylo bille entre les doigts.Et là brusquement, avec un immense soupir d’aga-cement, elle soulève ses couvertures, m’arrache lestylo et l’enfourne à l’endroit où l’on met habituel-lement les thermomètres. Ca n’a pas été facile dele faire signer ce mandat.Marcel, facteur, 54 ans, Montargis

Le poulet— Aristide, vous avez eu un invité incroyable…— On a reçu un de mes grands oncles un jourà déjeuner. Il venait pour la première fois en

France. Toute notre famille est originaire de Côted’Ivoire. Ma mère lui avait préparé un bon repas.

Elle apporte le plat principal et elle annoncetriomphante : « Tonton, on a fait un poulet pour

vous ». Il a fait un immense sourire et il a mangétout le poulet. Là bas, c’est comme ça. Quand on

vous présente un plat, il est pour vous.Aristide, aide-soignant, 41 ans,

Nogent-le-Rotrou

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Maison hantée…

— Antoine, vous avez eu une apparition ?

QU’ON LE VEUILLE OU NON, il semble bien que je mesois fait tirer les pieds par un fantôme. Nous étions

en Indochine. Mon père dirigeait un collège. Il occu-pait une maison de fonction. C’était le soir. Tout étaitéclairé, j’avais cinq ans à l’époque. Je m’étais couchésous la moustiquaire. D’après ce que me raconte monpère encore aujourd’hui et mes propres souvenirs d’en-fant, je me suis mis à crier en disant: « Mais pourquoiil m’attrape les pieds ? » Je voyais une forme derrièrela moustiquaire. Mon père est entré dans la chambreet il a vu la forme qui me tirait.

— Mais Antoine, c’était un cauchemar !

NON, CHRISTOPHE, ce n’était pas un cauchemar. Monpère l’a vu. Il en a été complètement dérouté. Vous

savez comme les enseignants peuvent être logiques etcartésiens. Eh bien, il est allé porté plainte au com-missariat du coin. Les policiers ont éclaté de rire. Ilslui ont dit : « Mais vous ne saviez pas que la maisonétait hantée ? » Ils avaient déjà reçu la visite de notrecuisinière. Elle était venue les voir pour les mêmes rai-sons. Mais bien sûr, elle ne nous en avait pas parlé.Elle n’avait pas osé.

— Et vous avez une idée, Antoine, de ce que vou-laient ces fantômes ?

LES POLICIERS ont expliqué à mon père que pendantla guerre, notre maison avait été occupée par la

Gestapo japonaise. Il y avait eu beaucoup de tortures,particulièrement dans le garage. Et des morts aussi.On a déménagé bien sûr, puis il y a eu la décolonisa-tion. Mais j’ai eu de nouvelles depuis. La maison existetoujours. Il paraît qu’elle est encore hantée.

Antoine, dessinateur, 52 ans, Agen

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

— Catherine,avant d’être secrétaire

de direction, vous avez vécul’enfer de la prostitution. À quel

âge vous êtes vous lancée dans cecalvaire ?— Ah mais moi, je ne me suis pas lan-

cée dans la prostitution. Vous savez, j’étaisséparée de mon mari, j’avais un enfant de

quatre ans. J’ai connu un garçon qui me disaitqu’il était maître d’hôtel. On est parti en vacances,à Nice. Et il m’a enfermé dans une maison close.J’étais prisonnière. On travaillait dans le bar, en bas.C’était un bar montant. Il y avait des chambres enhaut, on avait pas le droit de sortir. Le patron, c’étaitun Algérien. Un ancien boxeur, je dis pas son nom.On était une dizaine, on était surveillées. Ils me fai-saient boire de l’alcool par force, avec un entonnoir,pour me droguer complètement. J’avais mon fils ennourrice. Je ne voyais que lui.

— Mais c’est épouvantable, Catherine, c’était del’esclavage

— Du trafic de viande. De l’abattage. Il fallait enfaire soixante, cent dans la journée. On nous ache-tait des vêtements quand on le méritait. C’est monfils qui m’a donné la force. Au bout de cinq mois,j’ai réussi à m’échapper. Ils m’ont retrouvée.J’étais à Marseille. J’essayais de prendre unbillet de train. Ils m’ont emmenée dans unendroit qui s’appelle « La Goullière », c’esten hauteur sur les falaises. Ils m’ont

déshabillée et ils ont voulu me jeterdans le vide. Mais j’ai été

sauvée. Il y avait deuxbraves personnes

q u i

L’enfer

• 13 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

arrivaientde la chasse. Ils ont

pris leur fusil, ils ont bra-qué les types. Ils m’ont sauvée.— Catherine, que s’est-il passé

après ?— Je suis tombée sur des agents de

police sensationnels. Ils ont retrouvé un destypes. J’étais démolie, j’avais des bleus par-

tout. J’étais massacrée. Il ne m’avaient laisséque le visage. Je me suis cachée pendant deuxans. J’ai repris une vie normale. Ca fait vingt-troisans maintenant. Et vous savez, Christophe, que jen’ai jamais plus recouché avec un homme depuistout ce temps là.

— Vous avez un métier maintenant.— J’ai repris un travail tout de suite. Même pendant

les deux ans où je me suis cachée.— Et vous n’avez plus jamais revu votre ancien sou-

teneur ?— J’en ai rencontré un une fois, à Paris. J’ai eu très

peur, j’ai changé de ville, de travail. Mais j’ai rien dità la police. Je ne voulais pas que ça recommence.Maintenant j’ai un vrai travail, je suis depuis septans dans la même boîte.

— Catherine, j’imagine que personne ne sait.— Personne, Christophe. Personne. Pas même

mon fils. Il n’avait que quatre ans. Je pensepas qu’il puisse se souvenir. Quatre ans, onest encore un bébé. Vous ne croyez pas ?

Catherine, 48 ans, secrétaire de direction,

Épinal

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

— Alors Arnaud, vous avez réalisé un rêve extraordinaire ?— Mon épouse et moi, voulions absolument descendre lesChamps-Élysées à cheval. C’était une lubie, une idée folle.Nous sommes cavaliers l’un et l’autre et cela nous est venucomme une sorte de défi, un pari. Nous l’avons fait l’andernier, à la fin juillet. Nous nous sommes glissés dans Parisà cheval. Porte de Vincennes, Bastille, République, Opéra,Madeleine.— Mais c’était de nuit ?— Pas du tout, nous avions donné rendez vous à lafamille à une heure de l’après midi… Nous étions partide huit heures du matin de Nogent sur Marne, avecdes chevaux frais et dispos. Et nous sommes arri-vés tranquillement sur les Champs-Élysées. Ona même pris des photos. On pensait que lapolice nous arrêterait en cours de route.Personne ne nous a rien demandé. Il y a

juste eu un problème à la fin. Nousmourions de faim et nous

avons décidé de déjeu-ner à L’œil de bœuf,

c’est un petitrestaurant sympa-

thique qui donne surl’avenue des Champs-

Élysées. On a attaché leschevaux. En moins d’une

minute, il y avait une foule debadauds qui se pressait autour de

nous.— Oui, ca surprend de nos jours, des

chevaux qui broutent un trottoir…— La police est venue. Il a fallu décamper. Mais

tout s’est passé avec beaucoup d’élégance. Lesagents nous ont aidé. Ils nous ont fait un circuit de

délestage. Et on est parti comme on était venu.

Arnaud, avocat, 44 ans, Paris

LA CLÉ DES CHAMPS

• 15 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

La chance au tirage

— Allô, Christophe…— Bonsoir Fabrice. Vous avez l’air très essoufflé !— C’est que j’ai eu de la chance, Christophe.— Racontez moi ça.— Ben, je joue pas tellement aux jeux de grattage,

d’habitude, vous voyez… Je trouve qu’on paieassez d’impôts comme ça. Alors la Française desJeux, non merci. Aujourd’hui, je sais pas ce quim’a pris, je me suis : « Tiens, si je me faisais unpetit Morpion ». Vous savez ce que c’est leMorpion ?

— Oui, merci, les trucs qu’on gratte…— Eh bien, tout à l’heure, je gratte. Et crac, 5 000

francs.— Alors-là, bravo Fabrice, vous avez de la chance…

— Non mais attendez. Le plus extraordinaire, c’estque je me suis dit : « Tiens j’ai peut-être de lachance, je vais m’acheter un Millionnaire ». Et là,j’ai gagné 10 000 francs.

— Non…— Si. Je vous jure. Parole ! 10 000.— Mais c’est extraordinaire, il faut absolument que

vous jouiez au Loto, Fabrice.— Oui, peut être, vous avez raison.— Mais ce soir, allez-y ce soir. C’est votre jour de

chance. Il faut en profiter immédiatement.— Je vais écouter votre conseil, Christophe. J’y vais

tout de suite.— Et tout cet argent, qu’est-ce que vous allez en

faire ?— Je crois que je vais gâter mon bébé. Je viens

d’avoir une petite fille. Ma femme a accouché cematin.

Fabrice, représentant, 27 ans, région parisienne.

• 16 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

C hantal, vous êtesvoyagiste, vous

avez dû vivre des his-toires incroyables…

L e plus drôle dansmon métier se passe

toujours sur le terrain. Jeme souviens notammentd’une escale de pres-tige. J’accompagnais unvoyage de gens extrê-mement importants. Untrès grand patron depresse qui invitait sesmeilleurs annonceurs. Ily avait le Gotha du luxe,tous ceux qui font la unedes magazines écono-miques, quelques artis-tes aussi, pour fairegenre. Si je vous don-nais les noms, vous lesconnaîtriez tous.

L e groupe arrive entransit à l’aéroport

de Rio et une des pas-sagères, dont le marin’avait pas pu faire par-tie du voyage au derniermoment, s’aperçoitqu’elle a embarqué avecle passeport de son mariau lieu du sien. Paniqueà bord. Il était très tôt. Je comptais sur la nonchalance desSud-Américains et je lui ai suggéré d’essayer de passer mal-gré tout. Ce qui a marché. Le douanier a contrôlé la validitédu passeport, il n’a même pas regardé la photo. Mais

GEORGETTE,vous êtesdans la confection et

vous vendez des vêtementspour dame…— On a tous les rayons aumagasin. Homme, femme,enfant. On fait même les gre-nouillères pour bébé, mais çac’est ma fille qui s’en occupe,à l’étage. La confection adul-te, on la présente au rez-de-chaussée. Il y a aussi deuxcabines pour faire les es-sayages, au fond du magasin.C’est bien organisé, quoi. Çatourne. Gros, demi-gros,détail. Bon, je vous racontemon histoire… Un matin,donc, j’étais toute seule avecune de mes vendeuses. Ons’était installées vers lacaisse, il y a des petits tabou-rets pour se reposer un peu.Quand il n’y a personne, onse retrouve toujours là, de-vant le rayon collants. Et puis,voilà un client. C’était unmonsieur bien mis, genreAnglais, très courtois. Il cher-chait visiblement un cadeaude Noël à faire à sa femme.Il tournicotait, un peu gênédevant les sous-vêtements.

RayonLa voyageuse…

• 17 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

manque de chance, il ya eu un attentat. Il fal-lait représenter lesvisas. Tout était àrecommencer. On faisaitla queue, deux par deux,devant une série de mili-taires à l’air revêche.J’étais à côté de ladame en question. Ons’approchait tout dou-cement de la guérite dedouane et je voyaisavec terreur se rappro-cher l’échéance ducontrôle, tous les pro-blèmes, la police de l’air,l’avion qu’on allait rater.

A rrive notre tour. Unefemme en uniforme

prend le passeport, re-garde ma cliente, laphoto de son mari, denouveau ma cliente, puisencore la photo. Uneminute se passe quidure un siècle. Et ladouanière me demandeen portugais : « Traves-ti ? » J’en ai encorehonte. Mais j’ai réponduoui. Je ne sais pas si lafemme de ce très grandindustriel français avaitcompris pour qui on la

prenait, mais ça nous a évité beaucoup de tracas et on a pucontinuer le voyage.

Chantal G., 54 ans, voyagiste, Versailles

Je m’appro-che, rassu-

rante, calme, professionnelle.Je lui demande avec un sou-rire si je peux l’aider. Il n’étaitpas trop fixé… Une tenue,noire peut-être, le haut, lebas et puis des collantsaussi. Il me donne les tailles,je lui dis les prix. Je lui pré-sente des modèles. Oh !C’était un connaisseur, sonchoix s’est immédiatementporté sur un ensemble den-telle de Calais, avec un slipajouré très sexy. Pour les col-lants, il n’arrivait pas à sedécider. Anthracite, perle,fantaisie. « Je peux en passerune paire ? » il me demande.J’avoue que ça m’a scié lesjambes. J’étais tout chiffon.Je lui ai dit que les cabinesétaient réservées aux fem-mes, ou quelque chose dansce genre-là. Il est partifurieux, vexé. Mais je faispas dans le sex-shop, moi,monsieur.

Georgette H., 49 ans,gérante de société textile,Paris

lingerie

• 18 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

— Allô, Cécile ?— Oui, allô, bonsoir.— Alors vous, il faut le dire, vous vous appelezCécile Pétasse.— Eh oui…— Bon… Eh bien… Ça fait comment de s’appelerCécile Pétasse ?— Eh bé, c’est assez difficile. Je le vis plutôt mal.J’habite le Sud-Ouest, alors ils prononcent bien le« e » à la fin de Pétasse. Mais en fait, mon noms’écrit Pétas. Dans la région d’origine, le Paysbasque, on prononce Petaz. Enfin, ici, c’est dur àporter, quoi, Pétas…— En plus, si vous enlevez le « s », ça n’arrangerien. Ce n’est pas mieux.— Ah ça non…— Cela dit, Cécile, moi, si je m’appelais ChristophePétasse, j’aurais changé de nom.— Ah ça, pas question ! C’est un nom familial, onn’en change pas comme ça.— Mais pourtant, vous souffrez, Cécile…— Si je souffre ? Mais vous n’avez pas idée,Christophe ! Je me souviens qu’une fois, j’attendaismon tour à la Sécurité sociale. On était un groupede femmes, on faisait la queue. Et tout d’un coup,on appelle mon nom au micro. Elles se sont toutesmises à rire. J’étais assise au milieu, je n’ai pas oséme lever. Il n’y avait que trois, quatre mois quej’étais mariée, je n’assumais pas complètement.— C’est votre mari qui s’appelle Pétasse ?— Eh oui.— Alors, c’est pas votre faute.— Quand on aime…— Oui, mais dans votre cas, il y a un côté sacerdoce.Allez, bon courage Cécile. Au revoir, Cécile Pétasse.

Cécile P., 28 ans, femme au foyer, Lannemezan

— Allô, Cécile ?— Oui, allô, bonsoir

le dire, vous

… Ça fait co

t assez difficile. Je le vis plutôt mal.J d-Ouest, alors ils prononcent bien le« in de Pétasse. Mais en fait, mon noms tas. Dans la région d’origine, le Paysb on prononce Petaz. Enfin, ici, c’est dur à

, quoi, Pétas… n plus, si vou n. Ce n’est pas

— Ah ça non…— Cela dit, Cé Pétasse, j’aurais changé de nom.— Ah ça, pas question ! C’est un nom familial, onn’ h e ça.

vous souffrez, Cécile…— ais vous é

viens qu’une fois, j’attendaism sociale. On était un grouped a queue. Et tout d’un coup,o u micro. Elles se sont toutesm au milieu, je n’ai pas osé

. trois, quatre mois que pas complètement.

— lle Pétasse ?

cas, erdoce. le. Au revoir, Cécile Pétasse.

. mme au foyer, Lannemezan

Nom

propre

— Maurice,vous avez

m a n g équelque chose

d’extraord i -naire, je crois.

De la roussette…— Vous avez déjà

mangé de la rous-sette ? Moi, oui,

j’adore ça. Les invi-tés aimaient bien,aussi. On en offrait

toujours à ceuxdu continent,

quand ils venaientnous voir à la base. C’est

une spécialité de Nouvelle-Calédonie, la roussette. Ça

n’a pas le goût de viande, nide poisson, d’ailleurs. Peut-

être le fumet du coquelet, enplus fin. Quand on leur dit ce

que c’est, les gens ont toujoursl’air dégoûté. Et pourtant, on la

prépare la roussette. On la vide,on l’assaisonne. Dans l’assiette, ça

ne ressemble plus du tout à unechauve-souris !

Maurice D., 54 ans, anciengendarme, Arras

• 19 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

L’aile ou la cuisse ?

V irginie,on vous a fait

un drôle de cadeau…

C ’était un soir de25 décembre, en

1981. On fêtait ça enfamille. Enfin, en

famille… façon deparler. J’étais ma-

riée et dans notreménage, on peut

dire qu’on ne s’en-tendait plus très

bien. On n’avaitpas de mots, non.C’était pas songenre. Ni le miend’ailleurs. Lavérité, c’est qu’onn’avait plusgrand-chose à sedire. On faisaitsemblant, pourles enfants.

Au momentoù le Père

Noël passe, monmari m’offre ungros paquet. Jevenais de lui donnerson cadeau : une

cravate Hermès. Ilavait l’air content.

Moi aussi, j’étaiscontente. Qu’il y ait

pensé… On se sourit.Ma mère n’avait rien

perdu de la scène. J’ai vule moment où

• 20 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Les

pet

ites

ellenous verserait sa

larme. Le paquet était vrai-ment énorme. Je l’ai pris

dans mes bras et je l’aidéposé sur le canapé.

J ’ai eu du mal àen venir à bout. Il

y avait des tas derubans, des faveurs,

du bolduc. C’étaitpas facile à ouvrir.

Quand j’ai enlevéle couvercle, j’ai étéestomaquée. Rienqu’en vous le ra-contant, j’ai enco-re le souffle coupé.

S on cadeau,c’était une

tête de porc. Legroin, les pau-pières bouffies, lesoreilles avec les

poils. Et toute lafamille qui me

regardait, qui nesavait pas, c’est le

cas de le dire, sic’était du lard ou du

cochon. J’ai rien dit.J’ai fait comme si

c’était une blague pasdrôle. Huit jours après,

on a entamé une procé-dure de divorce.

Virginie L., 43 ans, stan-dardiste, Paris

• 21 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

attentions

Allô,Maurice, vous

êtes jumeaux…— J’ai un frère jumeau,

oui. Un vrai. Nous avonstout pareil. Le nez, les oreilles,

les yeux. Tout. Deux gouttesd’eau. Il habite Nîmes mainte-nant. Mais quand on était jeunes,on vivait dans la même ville. ÀLyon, je peux le dire, il y a pres-cription. Notre grand jeu, c’étaitd’échanger nos petites amies.Mais aucune ne s’en estjamais rendu compte. Enfin

si, une. Ça n’allait pasbien loin à l’époque.

J’arrive, je lui

• 22 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Commedeuxgouttes

Maurice D., 54 ans, tailleur,Lyon

attrapela main, je com-

mence à flirter. Et puis,elle me dit : « Je sais pas,

c’est bizarre, c’est pas commehier. » Je n’ai pas pu m’empê-

cher, j’ai éclaté de rire. Ça s’estplutôt mal fini. Elle m’a dit :« Salaud, mais tu es le frère ! » Jen’avais pas dû la caresser au bonendroit. Mais tout ça c’est fini. Monfrère et moi, on s’est marié cha-cun de son côté. Et à l’heure qu’ilest, je ne suis plus avec sa

femme. D’ailleurs, il n’estplus avec la mienne

non plus…

attrapela main, je com-

mence à flirter. Etpuis, elle me dit : « Je sais

pas, c’est bizarre, c’est pascomme hier. » Je n’ai pas pu

m’empêcher, j’ai éclaté de rire.Ça s’est plutôt mal fini. Elle m’adit : « Salaud, mais tu es le frè-re ! » Je n’avais pas dû la cares-ser au bon endroit. Mais tout çac’est fini. Mon frère et moi, ons’est marié chacun de son côté.Et à l’heure qu’il est, je ne suisplus avec sa femme.

D’ailleurs, il n’est plusavec la mienne non

plus…

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Commedeuxgouttes

Maurice D., 54 ans, tailleur,Lyon

Allô,Maurice, vous

êtes jumeaux…— J’ai un frère jumeau,

oui. Un vrai. Nous avons toutpareil. Le nez, les oreilles, les

yeux. Tout. Deux gouttes d’eau. Ilhabite Nîmes maintenant. Maisquand on était jeunes, on vivaitdans la même ville. À Lyon, je peuxle dire, il y a prescription. Notregrand jeu, c’était d’échanger nospetites amies. Mais aucune nes’en est jamais rendu compte.

Enfin si, une. Ça n’al-lait pas bien loin à

l’époque. J’arrive,je lui

— Allô, Jean-Patrick ? Alors, racontez-nous cequi vous est arrivé dans cet avion.— Je prenais souvent l’avion pour mon travail.Mais cette fois-là, c’était pour l’agrément. J’étaisdans le Houston-Panama City. L’appareil étaitplein. Plus une place de libre. Le voyage avaitété plutôt pénible. À un moment, un peu avantqu’on arrive, je me penche par-dessus l’épaulede mon voisin et j’aperçois à travers le hublotune couche de nuages noirs, zébrés d’éclairs.C’était justement là qu’on allait. Le pilote ademandé aux gens de regagner leur place etd’attacher leur ceinture. Et brusquement, on a eula sensation très désagréable d’être aspirés versle haut. Nous étions en pleine phase ascen-sionnelle alors que l’avion était supposé des-cendre ! Puis d’un seul coup, nous avons été

• 24 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Trou d’air

propulsés dans un trou d’air comme si l’aviontombait en chute libre. Il y avait un noir d’encre,à l’extérieur. L’avion est parti en décrochage, endéséquilibre sur son aile droite. Deux hôtessesse sont trouvées plaquées au plafond de lacabine, avec tous les objets qui n’étaient pasamarrés, les sacoches, la vaisselle… Les genshurlaient. J’ai pensé : ça y est, on s’écrase. Etpuis, il y a eu un choc énorme. J’ai regardé monvoisin en me disant que c’était le dernier vivantque je voyais. Mais l’avion a retrouvé un cous-sin d’air. On s’est rétablis, d’un seul coup. Leshôtesses sont retombées assez lourdement.L’avion a réussi à se poser tant bien que mal,grâce à l’adresse du pilote. J’y ai rêvé pendantdes années. Je n’ai jamais repris l’avion.

Jean-Patrick D., 48 ans, Ingénieur commercial,Drancy

• 25 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

• 26 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

R e n é e ,vous êtesla belle-fille d’unprêtre…

— Oui, j’aidécouvert un jour

que mon mari était le filsd’un prêtre. Excusez-moi, je

suis un peu émue, j’ai des dif-ficultés à parler. C’était il y a douze

ans, j’étais en vacances chez ma belle-mère. J’étais allée me promener dansun village voisin, voir des cousins. Et ilsont dit ça, au détour d’une phrase,comme si c’était normal, comme si j’avaisdû savoir. Moi, j’ignorais tout. On nem’avait rien dit. J’ai porté ce poids pendantdeux ans, sans en parler à mon mari. Et puis,

un jour il m’a toutavoué. Il n’étaitpas né de père in-connu , comme onl ’ a v a i t dit à lamairie le jour de no-tre ma- riage. Ilétait le fils d’un prê-tre. Il se souvenai tvaguement de lui, quandil était petit. Il n’avait jamaischerché à le revoir. Il l’avaitappelé une fois au télé-phone, pour savoir. Mais il

n’avait pas eu le courage deparler. Comment on appelle son père dans

ces cas-là. Mon père ?

Renée B., 47 ans,infirmière, Vaugneray

Dieu,monbeau-père…

• 27 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Dangereusesspéculations

— Bernard, vous êtes médecin, et dansl’exercice de votre profession il vous est

arrivé une histoire incroyable…— C’est vrai que je n’ai jamais revu ça,

Christophe. Et à ma connaissance, aucun demes collègues n’a vécu une aventure aussi

invraisemblable.— Alors, racontez-nous, Bernard.

— J ’ai une trentaine d’années d’exercice. À mesdébuts, j’ai fait partie d’un roulement de garde des

médecins de la commune. On restait disponible tout unweek-end ou toute une nuit, on était appelé par le

commissariat de police… Aujourd’hui, les choses ont unpeu changé. C’est devenu plus institutionnel, mais à

l’époque on se retrouvait n’importe où, à la demande. Cesoir-là, je me suis donc retrouvé chez des gens très simples,un couple de jeunes gens, des ouvriers agricoles. Elle avaitmal au ventre. J’ai vite vu qu’il y avait un problème. Je me

suis préparé à faire un examen gynécologique.Et là, j’entends un hurlement. J’ignorais que le mari était

d’une jalousie féroce. Il s’est mis à m’insulter en medisant que j’étais un gros cochon. J’étais éberlué. Je nesavais que faire. Il y avait un risque tout de même, etimportant. Je suis donc allé au commissariat. Je suis

revenu avec un fonctionnaire de police.Devant témoin, j’ai sommé le mari de me laisserexaminer sa femme. Il nous a dit qu’il n’en était

même pas question. On n’a pas insisté, ce qui ne nous a pasempêchés de nous faire jeter dehors, le

policier et moi…

Bernard D., 55 ans, médecin généraliste,

Bar-le-Duc

Brigitte,v o u s

avez vécuune aventu-

re invraisem-blable…

— En plus j’aides témoins, Chris-

tophe : tout unescadron de gen-

darmes. C’était en mars1991, à Évry dans

l’Essonne. J’allais à la gen-darmerie. Je me dépêchais

parce qu’il était presque7 heures. J’avais peur que ce

soit fermé au public. Et aumoment où j’allais entrer, je l’ai

vu… J’ai crié. Le gendarme en fac-tion l’avait vu aussi, il a appelé ses

collègues. Ils sont tous sortis et on aregardé. Ça a duré un grand moment.

— Mais de quoi s’agissait-il Brigitte ?— Il était au-dessus de nous, dans le ciel.

Un objet volant non identifié. Un triangle,énorme, avec plein de petites lumières tout

autour. Il s’est immobilisé, et à partir de là plusrien n’a bougé. On aurait dit que tout s’arrêtait.

Il n’y avait plus de bruit dans les arbres, pas unefeuille qui bougeait. Comme si rien d’autre n’exis-

tait.— Et les gendarmes, Brigitte, qu’est-ce qu’ils disaient ?

— Rien, ils étaient bouche bée, la tête en haut. Ils re-gardaient. On aurait dit une sorte de navette spatiale,

comme on en voit à la télé, avec un phare énorme qui éclai-

• 28 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Vol à

la g

endarm

erie

rait tout le ciel. Un avion est passé à coté, il s’est détourné.— Et vous êtes restée combien de temps, comme ça,Brigitte, à regarder le ciel avec les gendarmes.— J’ai l’impression que ça a duré une éternité. Je nesais pas au juste. Peut-être deux bonnes minutes.Quand je suis rentrée chez moi, je tremblais despieds à la tête. J’ai raconté ce qui m’était arrivé,mais tout le monde s’est moqué de moi. Mon marine voulait pas me croire, mes enfants m’appe-laient Star Trek. J’étais colère, je vous jure. Etpuis aux informations de 20 heures, ils enont parlé. C’était un objet volant non iden-tifié qui avait survolé la France de Rouenjusqu’à Strasbourg en passant par Paris.— Et vous vous sentiez comment,Brigitte ?— J’étais toute drôle. J’avais vuRencontres du troisième type.C’était exactement pareil. Lalumière rosée, le phare blanc.Mon mari a un ami qui tra-vaille à la tour de contrôled’Orly. Il lui a demandé. Etil paraît que ça se voyaitsur les écrans. C’étaitindiqué sur le radar.Avant, je ne croyaispas aux ovnis.Maintenant, oui.Je m’en souvien-drai toujours.C’était justependant laguerre duG o l f e .

• 29 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Brig

itte

L., 4

2 an

s, a

ttach

ée c

omm

ercia

le, É

vry

Amoursverti-gineuses

— Pouvez-vous nousraconter votreplus folle nuitd ’ a m o u r ,Sylvia ?— Bien sûr,Christophe,c’est pour çaque j’appelle.Un soir, voussavez, j’ai faitl’amour aus o m m e td’une tour ded i x - h u i tétages, surune piste d’at-t e r r i s s a g ed’hélicoptère.Notez quequand je l’aifait, il n’y avait

• 30 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

p a sd’hélicopt è r e s .C’était lanuit, dansu n eg r a n d ecapi ta lee u r o -péenne.Au dix-huitièmeétage, çad o n n edes sen-s a t i o n strès trèsf o r t e s .Je ne saispas si

c’estp a r e i l

pour tout lemonde mais

moi, le souve-nir est restéintact dans mamémoire etpourtant ça faitcinq ans !Je ne suis pascoutumière dufait, remarquez.Moi, les lieuxétranges, c’estpas mon truc.La piscine, parexemple, j’aib e a u c o u pd’amis quim’en ont parlé.Mais, non. Moi,ce serait plutôtl’altitude.Le téléphériqueme plairaiténormément.

Si vousconnais-sez de …— Maison va lef a i r es a v o i r ,Sylvia !Merci dev o t r eappel.— C’estmoi quiv o u sremercie,Ch r i s to-phe.V o t r eémission,je l’écou-te tous lessoirs.

— Même quand vous êtes au dix-huitième étage ?

Sylvia B., 42 ans, maquilleuse, Boulogne-Billancourt

• 31 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

— Patrick, vous êtes un grand ami des bêtes…— J’aime bien les animaux. Chez moi, j’ai un gorille et un

puma. Mais il faut de la place. Et puis de lapassion, aussi. Honnêtement, ces bêtes-là, c’estpas fait pour vivre en appartement. Moi, je visdans un pavillon. Les voisins ne sont même pas aucourant. S’agit d’être discret, vous comprenez…Jacky est toujours enfermé dans sa cage.

J acky, c’est le puma, il est gentil, vous savez,doux comme un agneau. Le problème, c’est qu’il

mange beaucoup. Jojo, lui, il est plus dur. Surtoutquand il a ses époques, enfin ses folies. Vousvoyez ce que je veux dire, la période du rut… Là, ildevient dangereux. Il fait 1,45 mètre, Jojo. Il pèse

ses trois cents kilos. Deux fois, j’ai failli y passer. J’aimebien les animaux, remarquez. Mais il y a des limites.

Patrick R., 43 ans, agent commercial, Calvados

Un

vois

in e

ncom

bra

nt

relaxante. C’est très agréable, on a l’impression de ne plus avoir decorps. On se sent en état d’apesanteur. Puis on visualise des chiffres,des couleurs, on se voit descendre un escalier de trente marches,on voit un tunnel et au bout, une lumière.

— Andrée, pouvez-vous me dire jusqu’où vous êtes remontée comme ça ?

L E PLUS LOIN, c’est par mon mari que je l’ai vécu. Il afait une régression, il s’est retrouvé dans la préhistoire.

Il a chassé un mammouth et il m’a rapporté une pattede mammouth.

— Et vous étiez déjà avec lui, à la préhis-toire ? Vous êtes un vieux couple…

E N TOUT CAS, je l’ai retrouvé dans deux vies.

— Vous pouvez nous raconter vosvies, vos métamorphoses, les diffé-rents avatars que vous avez vécus ?

Ç A A COMMENCÉ au XVIIe siècle enLaponie. J’étais un homme, sur un

traîneau, avec des chiens. La banquisea cédé, je me suis noyé. Les chiens,eux, s’en sont sortis. Après je mesuis retrouvé au Canada. Il faisait

• 32 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

— Andrée, vous êtespartie à la recherche

de la vie antérieure…

J E SUIS NÉE en me demandant pour-quoi j’étais née. Aussi loin que remonte

ma mémoire, je me suis toujours posé cettequestion. Un jour, je suis tombée sur un livre de

récits de régressions et ça été un choc. Je suis trèsattirée par le Moyen Âge, par le Mont-Saint-Michel.

Je n’aime pas du tout le Cotentin, j’ai toujours eu peurdu feu, des chiens. C’était le signe que j’avais quelque

chose à retrouver. J’ai retrouvé ma vie antérieure.— Mais on vous a aidée, Andrée,

ou vous y êtes arrivée toute seule ?

A H, je me suis fait aider ! Il y a des cours pour ça. On estallongé sur un matelas dans l’ombre, avec une musique

Andrée

• 33 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

retrouvé tout seul après le débarquement. J’ai égorgé une famille depaysans. J’ai violé une des filles sur la table de la cuisine. J’ai été cap-turé et pendu.

— Oh, la vache ! C’était votre dernière vie ?

L A DERNIÈRE, avant que je remonte au XVe siècle.— Mais franchement, Andrée, ce sont

des vies antérieures ou plutôt une imagination débordante ?

J E NE SAIS PAS si l’imagination me permettrait de res-sentir très exactement la griffure de l’ours préhis-

torique que j’ai gardée dans le dos.— Vous avez une cicatrice ?

N ON, mais des douleurs. Surtout quand jeme baisse.

— Eh bien, merci Andrée de m’avoir raconté

votre biographie si riche.

Andrée G., 40 ans, pro-fesseur d’éducation phy-sique, Amiens

froid (j’ai eu très froid pendant mapremière régression). C’était au

XVIIIe siècle. J’étais un trappeur, mariéà une Indienne. Je me suis fait attaquer

par un ours. Il m’a griffé le dos. Après, je mesuis retrouvé à Londres. J’avais perdu mes

parents, j’étais assez pauvre. Un oncle avec unchâteau m’a recueilli. Cette vie-là était marquée

par la solitude. Je suis mort tout seul dans une vieillebicoque, oublié de tous… Après, on se retrouve à Saint-

Pétersbourg, au début du XIXe siècle. J’étais la femme d’unofficier de marine. Il est mort pendant la guerre, je me suis

retirée du monde et j’ai porté le deuil du tsar.— Vos dernières réincarnations, c’était quoi ?

J ’ÉTAIS un soldat allemand, né vers 1920 à Berlin. Mes parentsétaient médecins. J’ai été à Sainte-Mère-Église. Je me suis

et ses avatars

fenêtr

e et je

me s

uis re

couc

hée.

Au

bout de d

ix minu

tes, j’

y reto

urne.

Plus

rien.

J’ai p

ensé

à u

ne s

oucoup

e

volan

te, j’a

vais

vu un

e émiss

ion à la

télé.

Alors, j’a

i reco

mmencé

à prie

r

de plus

bell

e. C’es

t là q

u’une

croix

immen

se s’

est f

ormée

. Je

me su

is

frotté

les y

eux.

Je m

e su

is sig

née.

Aussit

ôt, j’ai

enten

du tro

is mots.

Je

n’ai p

as co

mpris ce

que

ça vo

ulait

dire. C

’était

du lati

n. Mons

ieur le

curé

m’a tra

duit ap

rès : «

Voilà la

croix

du

Christ.

» Je

l’ai v

ue si

x fois,

la cr

oix.

• 34 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

— Madeleine, vous avez quelque chosede croustifondant à nous raconter…— Mon mari est plombier. Il travaille à dixkilomètres d’ici. Il me réveille en partantpour que je ferme la porte à clef derrièrelui, à cause des chiens. Tous les matins, jeme mets à la fenêtre, je le regarde partiret je reste un moment accoudée, sans rienfaire. C’est le moment le plus agréable dela journée. Il n’y a aucun bruit, les oiseauxdorment encore. J’en profite toujours pourfaire une petite prière.Le 28 mars, j’allais commencer à prierquand j’ai aperçu une grande lumière surla butte. J’ai eu peur, j’ai repoussé la

Géométrie…

croix,ça chan-

gerait la facede la terre. Une

croix de 738 mètres.C’est bien ça qui a été

demandé. « Comparable àJérusalem », il m’a dit le Christ. Je

n’ai pas compris ce que ça voulaitdire. Monsieur le curé non plus. Alors il

est allé se renseigner, je sais plus tropoù. Il m’a expliqué : du niveau de

la mer au Golgotha, où leChrist est mort, ça

fait exactement lahauteur. C’est

pour ça

• 35 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Ce 28 mars, donc. Et puis, le 8 novembre,

le 7 décembre, le 19, le 20 et le 21. Il y

avait toujours des paroles mais après,

c’était en français. Comme j’avais l’air tout

chose, monsieur le curé m’a demandé

ce qui se passait. Je lui ai tout dit. On

a fait des prières. J’ai vu le Christ aussi,

dans la chapelle des sœurs. Je l’ai

reconnu parce qu’il s’est présenté :

« Je suis Jésus de Nazareth, le fils de

l’homme ressuscité. » Il m’a fait répé-

ter du latin. Moi, j’ai jamais appris le

latin. Heureusement que monsieur le

curé me traduit au fur et à mesure.

Il est gentil, monsieur le curé. L’évêque,

lui, ne fait rien. S’il acceptait d’élever la

…divine

qu’ils veulentdu 738 mè-tres. Qu’est-ce que c’est738 mètrespour sauverles hommes ?Mais l’évêque,rien à faire, ilveut pas enentendre par-ler.

Madeleine S.,62 ans, sansprofession,Fougères

• 36 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

—Vousêtes très

farceu

se,Henriette…

—J’ai toujours été

d’untem

péram

entfarceur,Christophe. Mais cet été-là,

l’ambianc ede

laco

lonies’yprêtaitbeaucoup.Onfaisait une bonne équipe av

eclesmoniteurs.

Un

après

-midi,lalingèreetmoi,on

aeul’idée

deconfectionner des beignets

delimace.Ilyavaitu

n…

...petitc hem

inquilongeait la colonie.Co

mmeilvenaitdepleuvoir, ces da

mesli maces

étaientasseznom

breuses. Nous sommes allée

s lesramasserav

ecde

spotsdeyaourtetdepetitsbâtons. Ensuite, nous avons co

nfectionnéno

trepâ

teàbeignet.Jen’aipasassisté

àlacu isson. Ça faisait un bruit bizarre

que je…

...n’aipas pu supp

orter.

Onauraitditqu’elles criaient.Jesuisso

rtiedelacuisine.Elles

ont dû souffrir les pauvres,jene

fera

isplusçaaujourd’hui…Enfinbref, au dîner, tout le mon

des’est régalé.

Nou

s,onn’avaitriendit,bien

sûr.Ilyamêmeeu une monitrice qui s’e

stresservieplusieursfo

is.Ell

ecroyaitque…

..

.c’étaient des beig

netsau

xfruitsconfits.Après, quand on

leurara

conté,ilssontdevenus

verts. Mais nous, qu’est-c

equ’onav

aitr

igolé!Henriette

M.,54ans, agent de maintenan

ce, Annecy

Laso

upeàlalimace

• 37 •

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Vous

êtestrès

farc

euse

, Henriette…—

J’aitoujoursétéd’

unte

mpé

rament farceur, C

hris tophe.Maiscetété-là,l’a

mbi

ance

dela

colonie s’y prêtait beaucoup.O

nfaisaitunebonneéquipeav

ecle

sm

onite

urs.

Un

après

-midi, la lingère et moi, on

aeu

l’idéede

confectionnerdesbeignetsde

limac

e.Il

yav

ait u

n…

...petitch

emin qui l ongeaitlaco

loni

e .Co

mme il venait depleuvoir,cesda

mes

limac

eséta

ient assez nombreuses.N

oussommesalléesles

ram

asse

rav

ecde

s pots de yaourt et depetits

bâtons.Ensuite,nousavonsconf

ectio

nné

notre

pâte

à beignet. Je n’ai pas assistéà

l acuisson.Çafaisaitunbruitbizarre

queje…

...n’ai paspusupp

orte

r.

On aurait ditqu’ellescriaient.Je

suis

sorti

e de la cuisine. Ellesontdûsouffrirlespa

uvre

s,je

nefe

rais plus ça aujourd’hui…

Enfinbref,audîner,toutlemon

des’

estr

éga l

é.N

ou

s,on n’avait rien dit, bien

sûr. Il ya

mêm

eeuunemonitricequis’e

stre

sser

vie

plus

ieur

sfo

is.

Elle cro

yait que…

...c’

étaientdesbeigne

tsau

x fruits confits.A

près,quandonle

ura

raco

nté, ils sont devenusverts.Maisnous,qu’es

t-ce

qu’o

nav

ait r

igolé ! Henriette

M.,

54

ans,agentdemaintenan

ce,A

nnec

yLa

soupe à la lim

ace

— Denise, vous êtes commerçante et vous avezété le témoin d’une histoire incroyable…— J’avais ouvert mon magasin depuis deux ansenviron. Un matin, entre une dame que j’avaisdéjà vue. Elle choisit plusieurs vêtements, elleenfile, elle désenfile. Et pendant qu’elle est danssa cabine en train de faire ses essayages, j’aper-çois devant la vitrine un couple très amoureux,très enlacé qui se décide enfin à entrer. Je lesaccueille, je leur fait l’article. Ils avaient vraimentl’air très amoureux. Lui la serrait de près, se col-lait, c’en était presque gênant. J’avoue que quand

il l’a accompagnée dans la cabine, j’ai failli direquelque chose. Il y a des limites, tout de même.

Enfin, je suis commerçante, j’ai fait comme si jen’avais rien vu. On est là pour vendre. Mais

comme je ne voulais pas non plus les laisserfaire n’importe quoi, je suis restée collée à leurcabine. Je me raclais la gorge pour marquerma présence, j’écoutais malgré moi leursmots tendres… Et puis brusquement, jeme suis rappelé ma première cliente.Elle était encore dans sa cabine, celle-là. Ça faisait bien un quart d’heurequ’elle n’était pas sortie. Alors je tirele petit rideau, je lui dis : « Qu’est-cequ’il vous arrive, je peux vous aider ? »Elle était accroupie, mais pas éva-nouie. Elle me fait signe de me taireet me tire à l’intérieur de sa cabine.« Taisez-vous », elle me supplie.« Surtout, ne dites rien… Le couple,dans l’autre cabine… C’est mon mariavec sa maîtresse… S’il me voit, il metue. »

Denise F., 36 ans, commerçante, Belfort

HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

UN COUPLE À L’ESSAI

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

L’esprit de Raymond— Monique, vous communiquez avec l’au-delà…— Avec mes filles on a fait beaucoup de spiritisme. Il y a trois,

quatre ans, c’était presque tous lesjours. On posait un verre retournéau centre d’une circonférence de

lettres et de chiffres. Le verre bougeait et venait taper dans leslettres. On a fait ça longtemps, sans résultat. C’était très fatiguant,

les bras finissent par s’ankyloser. Et puis,on est entrés en contact avec Raymond.Il venait du XVe siècle. Il était serf sousPierre de Roubaix. Condamné à mort etenterré dans la cave. D’ailleurs, il y a uneauréole à la cave, une trace humide quia la forme d’un petit homme. Une sil-houette mouillée, comme quelqu’un quise serait couché tout nu par terre en sor-tant de sa douche. Ça ne sèche jamais.Et pourtant le sol est en béton. Tous lessoirs, Raymond nous parlait. Il nous adonné des détails sur l’emplacement dela maison. Un terrain marneux, il a dit. J’aiété me renseigner à la médiathèque surles parchemins de l’époque. Il avait rai-son, Raymond. Il nous aussi donné l’em-placement exact de l’ancienne église. Çacorrespondait. Et plein d’autres détails,tous plus vrais les uns que les autres. Maisà la fin, ça devenait très prenant. On pas-sait toutes nos soirées avec lui. On adécidé d’arrêter. On lui a dit avec ména-gement. C’est qu’il nous faisait un peupeur Raymond, quand bien même il étaitgentil. Maintenant, c’est fini tout ça. Onn’y pense plus. Enfin presque plus…À la cave, il y a toujours des fleurs sur

l’emplacement de Raymond. C’est lui qui les a réclamées.

Monique S., 47 ans, secrétaire, Offekerque

Maurice, vous êtes

garçon de café…

Non, Christophe, je suis res-taurateur.

Pardon !

Mais j’ai été garçon de café aussi. Iln’y a pas de mal à ça. Enfin,

quand l’histoire s’est passée,je tenais un restau-

rant en gérance.J’avais une

grandebrasserie, à ce

moment-là. Un jour,un couple de Parisiens

arrive avec un enfant. LesParisiens, je les repère tout de suite.

Ils ne prennent jamais le menu, ils choi-sissent les suppléments et ils laissent de gros

pourboires. Je m’en suis donc occupé personnel-lement. Ils ont pris des belons, des soles, un

chateaubriand sauce béarnaise.

Le petit avait de l’appé-tit aussi. Je me sou-

viens qu’il avaitvoulu du

f o i e

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Déjeuner de roi

grasen entrée.Ils ont donc dé-jeuné et bien déjeuné.

Au moment de régler l’addi-tion, le monsieur me dit : « Écoutez, on aoublié le chéquier dans la voiture, on va le cher-cher, est-ce que ça vous embête de surveillernotre fils deux minutes ? » Moi, je dis «Bien sûr ». Pensez, des clients commeça ! J’offre même une glaceau petit. Dix minutespassent, les parentsne reviennentpas. Tu

dusouci. Ilaurait pas idée,par hasard, de l’en-droit où seraient allés sesparents… « Mes parents ? » il mefait. « Mais, monsieur, c’est pas mesparents. Je les ai rencontrés dans la rue. Ils m’ontdit : viens, on va manger à l’œil. »

Maurice R., 58 ans, restaurateur,Strasbourg

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Déjeuner de ro

i

veuxune autre

glace ? Non, ilprend de la tarte. Une

demi-heure, toujours rien.Je commençais à m’inquiéter. Je

vais voir le gamin, je lui dis : « Tesparents y reviennent pas, mon garçon. Tu

veux encore une glace, en attendant ? » Et hop !une dame blanche pour le morveux.

Au bout d’un moment, j’y tiensplus, je retourne le voir. En

y mettant les formes,je lui dis que je

me fais

Philippe,vous avez une histoire très

croustifondante à nous raconter ?— Je dirais plutôt qu’elle est tournebou-

lante, voire même esbaudissante…— Vous étiez veilleur de nuit, c’est cela ?

— Pour financer mes études, je faisais des gardes denuit. Plus exactement, je m’occupais du standard de

maintenance. Les veilleurs de nuit, c’étaient des profes-sionnels. Enfin, professionnels,façon de parler. Ils avaient unport d’arme mais ils étaient

toujours ronds comme des queues de pelle. Je les enten-dais gueuler dans les couloirs déserts. Ils excitaient leurschiens. Il m’est arrivé de m’enfermer pour pouvoir tra-vailler tranquille.

— Dites donc, ils étaient plutôt dangereux vospetits camarades !

— Vous ne croyez pas si bien dire,Christophe. Un jour, ils étaient

tellement ronds qu’ils ont

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

commencéà se tirer dessus. Ils se

sont blessés. Il a fallu appe-ler les pompiers. Il y en a même un

qui a perdu un œil dans l’histoire.— C’est épouvantable, votre histoire…

— Oui, mais elle est vraie, comme tousces témoignages d’auditeurs que vousrecueillez tous les soirs, Christophe. Saufque là, c’était : tous les coups de feu sontpermis.

Philippe S., 31 ans, ingénieur conseil,

Mulhouse

Le veilleur de nuit

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

– Alors, que s’est-il passé dans cet avion, Jean-

Philippe ?– L ’aventure m’est arrivée sur le vol Paris-

Hong Kong de la Cathay Pacific. On faisait une longueescale à Bahreïn. C’étaient des vols interminables mais extra-

ordinaires : la compagnie Cathay Pacific n’était pas encore trèsconnue à l’époque. Je suis arrivé à Bahreïn à quatre heures du

matin. On a bu quelques coupes et je suis remonté dans l’avion unpeu éméché. Il y avait devant la porte du 747 une jeune femme trèslongue, très grande, très mince, très chinoise. Quand je l’ai vue, je nesais pas pourquoi, je lui ai dit : « You again ? », c’est encore vous ? Ellem’a répondu : « It’s me again. What’s the way ? »– Mais qui était cette femme ?– Elle était hôtesse de l’air, chef de cabine. On ne se connaissait

pas du tout. Elle était célibataire, moi j’étais en instance de divorce.Nous étions libres tous les deux. On s’est retrouvés à HongKong le lendemain, où je ne l’ai pas quittée pendant deux

jours. On s’est revus et puis… et puis on s’est mariés.Maintenant elle est française. On a deux beaux

petits enfants.

Jean-Philippe D., 54 ans,juriste international,

Paris

Ciel mo n

mari

— Allô, Josette ?— Oui, bonsoir. C’est moi,c’est Josette.— Alors, Josette, qu’est-ce qui vous est arrivé ?— Oh ! Christophe ! Je suistellement contente devous parler.— Ça, c’est gentil Josette.

— Non, c’est surtout. Jevais pouvoir me venger…— Ah, ça ! Non ! Josette.Vous m’avez promis. Pasde noms !— Pas de nom, c’est d’ac-cord. J’ai promis. Mais cen’est pas l’envie qui m’enmanque…

— Merci Josette… Alors,votre histoire ? C’était dansun restaurant.— C’est ça, oui. Un trèsgrand restaurant. Un desplus connus, dans le VIIIearrondissement, juste àcôté de la place de laConcorde, vous savez le…

— Pas de noms, Josette!— D’accord. Grand le res-taurant, très chic. Nousétions allés au théâtre àParis. Une belle sortie, bienorganisée, grand luxe. Pasle ciné-resto, non. La tour-née des grands-ducs.Nous étions quatre cou-

ples. J’avais réservé pourminuit mais le spectacle apris du retard, nous som-mes arrivés à minuit vingt-cinq. Huit couverts, quandmême. Et très chic, je vousle rappelle. Donc, nousarrivons, tous les huit, avecnos manteaux. Accueil très

froid. Le maître d’hôtel n’amême pas dit bonsoir. Il ajuste regardé sa montre ennous faisant remarquersèchement que nousétions en retard. Un tempsd’hésitation, nous noussommes regardés tous leshuit. On y va ? On n’y va

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

UNE HISTOIRE DOULOUREUSE

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

pas ? Et puis, n’est-ce pas,on est des gens corrects.Alors, puisqu’on avaitréservé… On s’est instal-lés. On a pris l’apéritif. Etpuis, ils nous ont présentéles menus. Mais dans cerestaurant très chic, onnous a tendu une carte

brasserie ! Pour vous faireune idée, je vais vous direce que j’ai choisi. C’est ceque j’avais trouvé de« mieux », entre guillemets.J’ai pris pommes de terreà l’huile avec une tranchede saumon (une seule !).Mais le comble, c’était le

chariot de desserts. Descrèmes, des yaourts, despetits Gervais. La cantine,quoi. Et la douloureuse,vous avez une idée de ladouloureuse ? Elle n’esttoujours pas passée, celle-là. 4 800 francs ! Presque5 000 balles à huit. Six

cents francs par personnepour des restes de bistrot !J’étais folle de rage, voussavez. J’avais entendu unefois une technique pour sevenger des restaurants,vous allez aux toilettes etvous volez tout le papier.C’est un peu sévère, mais

faut ce qu’il faut. Eh bien,vous me croirez si vousvoulez. Dans les cabinetsde ce restaurant très chicdont j’ai promis de ne pasdonner le nom, il m’a étérigoureusement impossiblede voler du papier hygié-nique. Peut-être quel-

qu’un qui avait déjà eul’idée… Je ne sais pas.Toujours est-il que dupapier, il y en avait plusune ramette !

Josette P., 39 ans, fem-me au foyer, Saint-Rémy-lès-Chevreuse

UNE HISTOIRE DOULOUREUSE

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

G u i l -l a u m e ,

racontez-moivotre histoire

d’amour.— J’étais responsable

dans une grande chaînede restauration, et puis j’aicraqué pour une de mes

employées, et elle acraqué pour moi.

Rien à dire, saufque c’est stric-

t e m e n tinterdit.

On

L’amour fou

peutêtre li-

cencié sur-l e - c h a m p .

C’est stipulédans le contrat. Ils

ont eu des problèmesdans le passé. On est res-

tés ensemble pendant quel-que temps. C’était impos-

sible à vivre. On nepouvait pas sortir,

on se cachait. Jela sentais un

peu m’é-c h a p -

per.

Alors,j’ai pris

la décisionde quitter mon

emploi, de dé-missionner, parce

que je pensais avoirplus de facilités qu’ellepour trouver un autre job.

J’ai galéré pendant sixmois, sans emploi,

sans indemnités,sans RMI, puis-

que j’avaisd é m i s -

s i o n -n é .

Elles ’ e s t

serré lac e i n t u r e

pour m’aider.J’ai retrouvé un

emploi mais à 120kilomètres, sur la Côte.

Elle travaille le samedi, jesuis de garde le week-

end ; on arrive à se voirle dimanche matin.

Enfin, on est li-bres et c’est ça

qui compte, non ?

Gui

llaum

e B.

, 41

ans,

chef

de

rang

, Mon

tpel

lier

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

4 118 kilomètres en 105 jours. Le circuit était à Sainte-Menehould sur un étang balisé de un kilomètre.

On a tourné en rond pendant 105 jours. Avant,je faisais du kayak, mais je me suis

reconverti. À cause de mon dos.

François L., 76 ans,retraité, Rennes

Mancheen pédalo-voile. J’ai misc i n q h e u r e squinze, je m’at-tendais à en mettrehuit ou dix. La merétait mauvaise, descreux de trois, quatremètres. C’était impression-nant. Dans la foulée, j’aibattu le record du monde dedistance en pédalo. J’ai par-c o u r u

Fran-ç o i s ,

vous ve-nez de réa-

liser un ex-ploit sportif à

soixante-seizeans…

— Après t roiseffets infructueux,

j ’a i t raversé la

Àvo

ile

età

péd

ale

s

— Gérard,

vous avez vu

quelque cho-

se de vrai-

ment incroy-

able…— Je reve-nais de Bo-bigny. On

était allés arroserl’anniversaire d’un copain.J’avais ma 4 CV à l’époque.Je me souviendrai toujours.Ça s’est passé avenue duBelvédère au Pré-Saint-Ger-vais. Si vous ne connaissezpas, c’est une avenue où il y ade petits acacias, un arbretous les dix ou quinze mètres.Je roulais peinard et d’un seulcoup, dans mes phares, je voisquatre acacias d’un seul coup.Je m’arrête, je recule. Qu’est-ce que je découvre : les pattesd’un chameau, avec un typedessus. Il était emmêlé dans lesbranches. Il gueulait, il s’exci-tait, il a fini par tomber de sonchameau. Inutile de vous direqu’il était complètement rond.Comme le chameau s’était cou-ché, il lui donnait de grandscoups de pied pour le faire lever.Et l’animal hurlait, hurlait. Il bla-térait (c’est bien comme ça qu’ondit pour un chameau ?). J’essaiede m’interposer mais le garscontinuait à frapper. Moi, j’aimebien les animaux. Alors, avec la 4CV, je vais au commissariat desLilas. Il était minuit passé. Je disau planton : « J’ai trouvé un cha-meau, avec un type complètementsaoul. » « Entrez donc », il me fait,

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Saould

essus

Géra r dL., 53 ans,menuisier, LePré-Saint-

Gervais

avec un grand sou-

rire. J’entre, confiant. J’avais

pas vu sur le coup, mais il avait fermé

la grille derrière moi. À l’intérieur,

les flics étaient en

train de jouer à la

belote. Il y avait pas

un bruit là-dedans,

juste un type qui

tapait à la machine avec

deux doigts. C’était le gradé. Il lève la tête :

« Qu’est-ce que c’est ? »

— Ben voilà, on vient de trouver un chameau.

— Pardon ?— Oui un chameau, avec un gars dessus, il est complète-ment saoul.— Quoi ? Il est dessous ou il est dessus ?— Il est saoul dessus.Le gradé se retourne vers ses collègues. Il dit : « Venezvoir, les gars, il y a quelqu’un qui a trouvé un cha-meau. » Les types se lèvent. Ce devait être des flics denuit. Des armoires à glace. Ils m’entourent. « Alors,comme ça, vous avez trouvé un chameau ? » À la fin,ils m’ont cru. Ou alors, ils ont fait semblant. Ils ontdécidé d’aller sur les lieux. Mais entre-temps, forcé-ment, le gars avait disparu. Peut-être même qu’ilavait eu le temps de monter jusqu’à la porte desLilas. On tourne un peu dans la Dauphine desflics (ils ne m’avaient pas laissé reprendre ma 4CV), on refait tout le parcours. Et puis tout d’uncoup, on l’aperçoit, en haut d’une rue, en traind’engueuler son chameau. « Et ça, je leur fais.C’est pas un chameau, peut-être ? » Le gradéétait furieux. Il m’a même pas regardé. Etpuis son œil s’est allumé. Et entre deux

chicots jaunis, je l’ai entendu mâchon-ner sa réponse. « C’est pas un

chameau, il a dit. C’est un dromadaire. »

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HISTOIRES DITES ET ENTENDUES

Sao

uld

essus

I l rêved ’ u n eboissonqui nebrûle nila gorge

ni le ventre, ni neprovoque ces atroces

nausées du matin. Il rê-ve d’un liquide qui, sansle faire sou∂rir un seulinstant, chau∂e douce-ment les joues, et fassevalser les pas (sans quejamais personne, mêmelui, ne s’en aperçoive).Il veut une bouteille quijamais ne se vide, etlaisse couler sans fin unlent filet d’or brun,et remplisse son verre.Il pense une bouteilleéternelle – il n’aura pasbesoin d’en acheter uneautre – qui saoule sansremords.

L’al

coo

lique

Alain Hurtig