Pierre Gariépy

roman

L’âge de Pierre

Romanichels

Parce que Rosaire, celui qui l’avait pris en chargeaprès la mort de Blanca, a été emporté par la mala-die d’Alzheimer, Pierre a été placé à l’orphelinat oùon le bourre de pilules et où il se fait sucer à quimieux, mieux. Même les veaux s’en donnent àcœur joie…

Quoi de plus naturel alors, que de se transformeren Jésus, un christ de vrai, et de faire de faux mira-cles en baisant à droite et à gauche ? Lorsqu’on estabusé à répétition, n’est-il pas normal d’abuser lesautres ? En prime, on devient la star des stars. Onest adulé. Le monde entier est à nos pieds…

Pierre, alias le Christ, devra marcher sur les tracesde celui qu’il est censé réincarner. Mais les tempsont changé et c’est en direct, à l’émission d’Apéro,que Jesus Christ devra faire ses adieux. Et commeça arrive souvent quand on veut faire live, les chosesne tournent pas comme elles le devraient mais theshow must go on. On multiplie donc les pausespublicitaires. On espère surtout que le christ dePierre ne ressuscitera pas après trois jours. Il y a deslimites à tout, shit !

L’âge de Pierre, c’est le roman que rédige Pierredepuis l’orphelinat dont il sort un jour pourconnaître un nouveau destin qui – peut-on en dou-ter ? – est pire que le premier ! La vie rêvée, quoi !

L’âge de Pierre est le dernier roman de la trilogiecomposée de Lomer Odyssée (XYZ, 2008) et deBlanca en sainte (XYZ, 2009).

Grand aventurier dans l’âme etamoureux de l’Asie, Pierre Gariépya fait du journalisme, du cinéma,de la photo. Il fait des romans. Sonpère et son grand-père étaientmarins. Pierre Gariépy est né àQuébec et vit ailleurs…

Comme c’était beau de les voir, et leur église avait l’air de se bâtirtoute seule, comme la renomméede leur sexe, secte s’entend. [...]

Mais Pierre n’en était plus là, ilfaisait les News, notre Christ, une vraie rock-star, on se l’arrachait, même Apéro, la stardes stars, faisait tout pour l’avoirà son show, et l’argent pleuvait,son ciel en était plein, c’étaitexponentiel, comme ses fans, etson église qui était redevenuecathédrale, belle et riche commetoute une civilisation nouvelle,comme toute une religion auxallures d’État et qui, à quelquesmillénaires près, Le ramèneraitici-bas une Deuxième Fois.

Alléluia, que Pierre pensait delui-même.

The Second Coming Of Christ,comme on disait.

Et laissez venir à moi tous lespetits enfants…

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ISBN : 978-2-89261-603-3

20 $

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Ce livre, publié dans la collection ROMANICHELS dirigée par Josée Bonneville, a été placé

sous la supervision éditoriale d’André Vanasse.

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L’âge de Pierre

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du même auteur

Lomer Odyssée, Montréal, Les Éditions XYZ, coll. « Romanichels », 2007.Blanca en sainte, Montréal, Les Éditions XYZ, coll. « Romanichels », 2009.

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Pierre Gariépy

L’âge de Pierreroman

éditeur

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Gariépy, Pierre, 1954

L’âge de Pierre : roman

(Romanichels)

ISBN 9782892616033

I. Titre. II. Collection : Romanichels.

PS8613.A755A67 2011 C843’.6 C20109425235PS9613.A755A67 2011

Les Éditions XYZ bénéficient du soutien financier des institutions suivantes pour leurs activités d’édition :– Conseil des Arts du Canada ;– Gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement

de l’industrie de l’édition (PADIÉ) ;– Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) ;– Gouvernement du Québec par l’entremise du programme de crédit d’impôt pour

l’édition de livres.

L’auteur tient à remercier le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son soutien financier.

Conception typographique et montage : Édiscript enr.Maquette de la couverture : Zirval DesignPhotographie de la couverture : Grottes de Lascaux (détail)Photographie de l’auteur : Martin Gariépy

Copyright © 2011, Pierre GariépyCopyright © 2011, Les Éditions XYZ inc.

ISBN 9782892616033

Dépôt légal : 1er trimestre 2011Bibliothèque et Archives CanadaBibliothèque et Archives nationales du Québec

Diffusion/distribution au Canada : Diffusion/distribution en Europe :Distribution HMH Librairie du Québec/DNM1815, avenue De Lorimier 30, rue GayLussacMontréal (Québec) 75005 Paris, FRANCEH2K 3W6 Téléphone : 01.43.54.49.02Téléphone : 514 5231523 Télécopieur : 01.43.54.39.15Télécopieur : 514 5239969 www.librairieduquebec.frwww.distributionhmh.com

Imprimé au Canada

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À moi !

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Nous naissons entre la fiente et l’urine.

Saint Augustin

Prisons are built with stones of Law.Brothels with the bricks of religion.

Blake

Et moi je te déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle.

Jésus

Life is a tale told by an idiot,Full of sound and fury signifying nothing.

Shakespeare

Moi, Antonin Artaud, je suis mon fils,Mon père, ma mère et moi.

Artaud

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C’est moi, Pierre, et sur cette pierre je vous en bâtirai une putain d’histoire, pour apaiser un peu vos peines avec mes agonies, et je travaillerai fort pour que vous soyez bien, juré craché, à coups de marteau et de ciseau, de tenailles et d’entrailles aux doigts, d’éclats de foi et de lumière et de poussière dans nos yeux rougis et qui pleurent sec, à coups de poulies et de leviers, de sang sur les mains, d’ongles arrachés.

À coups de foudre et de foutre.Ça prend du souffle, des muscles et l’âme rude, un

roman.Faut du roc.Faut être fou pour en faire.Ça tombait bien, je l’étais.Fou.Et bel et bien orphelin depuis que Rosaire, la seule

famille qui me restait, s’était réveillé mort.Un beau matin.Il avait oublié de respirer, j’imagine.Alzheimer maudit.Alors, sous son aile, l’État m’a pris, je lui devais tout,

à l’État.

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C’était le retour du pendule, du grand balancier, faut croire, l’Histoire et tout son recommencement. Après la fin du monde, son début. Après la peste, la paix. Après le port, l’enceinte.

L’ordre.On s’y est bien occupé de moi, à l’orphelinat, toutes

ces annéeslà.On m’a appris à lire et à écrire.Et à conter aussi.Si vous saviez la vie de celui qui écrit sa vie pour qu’on en rie.On devrait me clowner.

Tiens, c’était bon ça.J’étais un clown.Et je voulais être Dieu.C’était ça, être écrivain.Rien d’autre.Juste un petit pas pour l’homme, mais un grand pas

pour l’humanité, comme ils disaient sur la Lune.Car l’acte d’écrire, c’était comme alunir, ça prenait du

courage, de l’imagination, c’était comme l’acte de lire, fallait pas avoir peur de ce qu’on allait y trouver, sur la lune de l’âme pleine, cette inconnaissance qui faisait mal, qu’on y trouve quelque chose ou rien.

Même chose.Ça pouvait même être pire encore, écrire ou lire, ça

pouvait être la syncope, la perte subite de toutes connaissances, vu l’oxygène ou son manque — on plongeait trop profond ou on remontait trop vite à la surface — et le réveil brutal amenait tout ce doute : Dieu, c’est qui, crisse ?

J’alunissais, bref, et vous avec moi.

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C’était au moins ça, L’ACTION (écrire et lire), et l’action n’étaitce pas le secret du bonheur, comme le disait Aristote à Alexandre le Grand ?

J’avais lu ça en enfer.Comme j’avais lu tout le reste.En cachette d’abord, puis pas, après.Fallait des couilles pour faire ce que j’ai fait, comme

on dit bêtement quand l’homme se croit mieux qu’une femme, le pauvre fou…

Mais laissezmoi vous expliquer.

Je gardais l’Enfer de l’Orphelinat.C’était moi son gardien, à l’enfer.Au début, j’avais volé les clés. Après, j’avais dû me

donner pour entrer. L’ancien gardien était esthète et religieux.

Faut ce qu’il faut, hein, pour la culture ?Puis, par amour, il m’a légué sa place, quand il est

mort… J’explique encore, votre attention le mérite.Recommençons, voulezvous ?

Mon orphelinat était immense. Un ancien pensionnat aussi immense que son passé de péchés, c’est vous dire comment c’était grand, dans toute sa bassesse.

Son passé était son présent. Nous tous, son futur.Il y avait des croix, des escaliers trop immaculés et des

corridors sentant l’indifférence, des statues aussi, un petit cimetière dans la cour, des soutanes au vent comme des voiles, du noir et du blanc, de pauvres femmes religieusement voilées, d’introvertis hommes prêts à se dévoiler,

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mais en toute intimité, bien assez d’espace et de temps pour en abuser, et un fleuve comme un océan devant, comme pour s’y noyer, mais impossible quand on a la chapelle tous les matins à 5 heures, histoire d’y dire ses péchés — « Pardonnezmoi, mon Père, de m’être laissé sucer par un des veaux de l’enclos, mais c’est pas ma faute… » — et les frères et sœurs qui, en leur âme et conscience, n’ignoraient pas que cela les faisait mouiller, un enfant avec un veau.

Donc, il y avait, derrière notre chez nous, un cap, un fleuve, le ciel et comme une fermette, attenante. On y trayait quelques vaches, des chèvres, on y dépeçait un bœuf parfois, et l’agneau. Des poules y pondaient…

Quant aux veaux…

J’ai eu de la chance.J’ai trait peu.J’ai parfois assommé le bœuf ou l’agneau.Putain de merde, j’ai aimé un veau ou deux !Ce n’était pas de ma faute.Je vous en prie, lisezmoi encore un peu quand même,

un peu comme quand on aime.Chaque homme est faillible, après tout.C’est la loi de la compassion.

Il y avait tout ça, plus l’enfer en prime, entre nos pierres !

Et moi, j’en étais le gardien, après en avoir été le violeur.Avec l’ordre nouveau, l’État avait vite censuré ce qu’il

fallait. L’avait déplacé en enfer, cette pièce labyrinthique à l’écart de tout, qui jadis avait servi de pénitence quand

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le collège voulait punir ses petits. Et si la bibliothèque en haut, droite et sèche, était à peu près vide — à part la propagande de l’État —, l’enfer en bas de tous ces documents mis à l’Index — livres, films ou cassettes —, débordait par tous ses recoins, quoique bien protégé des regards ambiants.

Je peux en témoigner.C’était moi, le cerbère.Et j’avais tout vu…

Quelles histoires, mais voyez plutôt vousmêmes.Nous ne sommes qu’un, vous et moi.Non ?Sentezvous la pointe de ma plume sur mon papier ?Je m’autobiografigne.Je nous invente des vies.Je vous prie de naître avec moi, au fur et à mesure de

nos spasmes, et de me croire.Je est Dieu, Il suis moi.Nous sommes nous.Alors, plongeons !

Il était une FOI…

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Un bar.Bouteilles, verres et miroirs.Minoirceur et musique de bar.Cheap.

Et LUI, qui buvait beaucoup.Et qui commençait à être bien, juste bien.Celuilà même qu’on mettait au monde, vous et moi,

histoire d’inventer notre histoire.Appelonsle Pierre, tiens, tant qu’à faire original…

Et puis, disons que sa chandelle, Pierre l’avait brûlée par les deux bouts à ne rien faire vraiment. Rien de grand, en tout cas, ni de moyen même, ni quoi que ce soit d’à peine petit.

Rien, point.Tout un héros, hein, notre héros ?Il avait gaspillé sa vie, ça commence peutêtre mal

un roman, mais faut ce qu’il faut, et on aime les défis, non ?

Non.Vous avez raison, cette histoire devrait finir ici, parce

que rien ne vaut rien, alors à quoi bon continuer ? Il fallait

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qu’elle en vaille la peine, la vie, pour que son histoire en vaille la peine aussi.

Ah, si ma vie avait pu être aussi immense que ma peine, j’aurais pu être quelqu’un, qu’il a failli se dire en luimême, notre romanesque héros, mais déjà sa peine lui semblait moins grande, vu la vodka et la Marlboro qu’il s’allumait.

Alors, il a plutôt continué à ne rien se dire.Son allumette a éclairé son horizon de bouteilles se

dédoublant dans le miroir en face, puis l’olive au fond de son dry martini qui se dédoublait aussi.

Ni plus ni moins, on a les horizons qu’on peut.Tout était tel qu’il le fallait.Pour notre homme faillible.

L’olive au fond de son verre, il s’est mis à la pêcher, Pierre, avec toute la concentration qu’il lui restait et le talent de pêcheur qu’enfant il avait eu.

Il s’amusait, à vrai dire, à tout tenter pour ne pas la harponner, l’olive. C’était sa seule façon de faire durer le plaisir avant d’avoir trop bu.

Le barman s’occupait du reste du bar, pas de lui.Alors, lui, il a gobé l’olive en avalant d’un trait le res

tant de son verre — il a eu tant envie, d’un coup, d’être soûl.

Il en a commandé cent, des verres.Le barman ne lui en a servi qu’un, bien que double.De vodka martini, très dry, avec deux olives.

Il était un bel homme devenu laid, Pierre, mais de cette laideur belle des hommes au regard radiographiant votre âme — alors que c’était juste votre corps qu’ils voulaient

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examiner, à travers vos vêtements — et avec toutes ces rides de ces hommes usés à faire si peu, à défaut de faire pitié, mais à s’y être, à corps perdu, donnés avec toute la passion du monde, à ne rien faire d’autre qu’imaginer vos corps en vous faisant croire que c’était vos âmes qui les fascinaient…

Mais c’était grâce à cette grossièreté que ces hommes se conservaient, cette légèreté d’être en suspension dans l’alcool, comme un lézard dans le formol, un astronaute en apesanteur sur la Lune, léger et si lourd à la fois, heavy, quoi, mais tout entier là quand vous leur parliez et qu’ils vous écoutaient — et cessons de parler au pluriel, ils sont si rares, ces hommes !

L’homme laid vous est beau, femmes, puisqu’il vous imagine nues et qu’il est touché par elle, votre nudité imaginée, tant elle est belle dans sa tête qui tourne.

Même qu’il ferme un peu les yeux, Pierre, pour ne pas vous gêner, et garder connaissance.

De là ses rides qui riaient, pour ne pas trop voir.Et votre âme va mieux, pendant que la sienne reste en

suspens.Son âme, c’est sa queue.Il aime, lui non plus, et c’est tout.Le charme, ditesvous ?Peutêtre…

Dans le martini que le barman lui a servi, dans son miroitement, Pierre s’est vu tout nu.

Pas si mal, qu’il a pensé, pour mon âge…

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Achevé d’imprimer en janvier deux mille onzesur les presses de l’imprimerie Gauvin,

Gatineau, Québec.

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