teorias pos-ramistas em musica

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S1 LES THEORIES POST-RAMISTES Texte 1 : Fabien Lévy, « Plaidoyer pour une oreille subjective et partisane. Une approche « pythagoricienne » de la perception culturelle des intervalles », in Musique, Rationalité, Langage. L’harmonie : du monde au matériau, Cahiers de philosophie du langage n°3, Antonia Soulez, François Schmitz, Jan Sebestik (dir.), Paris, L’Harmattan, 1998. La méthode scientifique en musique doit en effet rester consciente et soucieuse des présupposés culturels qui fondent ses axiomes de départ Quelle science pour la dissonance ? Que ce soit dans les rapports pythagoriciens de fréquences exprimés en fractions rationnelles (2/1, 3/2, 4/3), dans les différentes catégories harmoniques d’Aristote propices soit au repos, soit aux personnes âgées, soit à la guerre, dans les théories de Zarlino ou de Rameau, dans l’approche métaphysique de l’harmonie par Fétis, dans les travaux scientifiques de Helmholtz, Riemann, Stumpf ou Ambros, dans la contestation du positivisme Helmholtzien par Combarieu, ou dans les théories récentes de Terhardt, la recherche de critères de consonance traverse toute l’histoire de la théorie musicale. On peut néanmoins regrouper les théories de la consonance en trois catégories : - Les théories métaphysiques de la consonance, qui mettent en rapport la musique et l’homme. La dissonance y est interprétée, en simplifiant, dans un sens historico -social (Adorno, Lukacs, Marcuse), ou par analogie à la linguistique et à la grammaire (Combarieu, S. Länger, D. Cooke). […] - Les théories scientifiques empiriques de la consonance, qui réapparaissent depuis les années 1970. Elles s’appuient sur des méthodes issues de la science physique appliquée : expérimentations, sondages sur échantillons représentatifs d’auditeurs, tests psychoacoustiques. Les modèles sont parfois élaborés à partir de théories rationnelles ou d’intuitions, mais sont validés uniquement par l’expérience. Ces intuitions sont parfois incorporées dans des compositions afin d’être testées dans un contexte réellement musical (par exemple Streamlines du compositeur J. Fineberg, (Pressnitzer & alii [1996])). Cette méthodologie fondée sur l’empirisme est assez récente en théorie musicale, alors qu’elle est pratiquée depuis longtemps dans d’autres sciences humaines, telles l’économie ou la sociologie, confrontant une intuition inspirée par des théories abstraites à des statistiques, des comportements ou des opinions. [Mais] l’expérimentation en musique n’objective ni ne démontre une intuition personnelle (paradoxe de Duhem). Lorsqu’il s’agit de musique et non de son, le modèle initial à tester est souvent issu d’une convention de pensée propre au concepteur du modèle (des archétypes de musique tonale par exemple), du fait de l’inexistence de vérité objective

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Page 1: Teorias Pos-Ramistas em Musica

S1 LES THEORIES POST-RAMISTES

Texte 1 : Fabien Lévy, « Plaidoyer pour une oreille subjective et partisane. Une approche

« pythagoricienne » de la perception culturelle des intervalles », in Musique, Rationalité,

Langage. L’harmonie : du monde au matériau, Cahiers de philosophie du langage n°3,

Antonia Soulez, François Schmitz, Jan Sebestik (dir.), Paris, L’Harmattan, 1998.

La méthode scientifique en musique doit en effet rester consciente et soucieuse des

présupposés culturels qui fondent ses axiomes de départ

Quelle science pour la dissonance ?

Que ce soit dans les rapports pythagoriciens de fréquences exprimés en fractions rationnelles

(2/1, 3/2, 4/3), dans les différentes catégories harmoniques d’Aristote propices soit au repos,

soit aux personnes âgées, soit à la guerre, dans les théories de Zarlino ou de Rameau, dans

l’approche métaphysique de l’harmonie par Fétis, dans les travaux scientifiques de Helmholtz,

Riemann, Stumpf ou Ambros, dans la contestation du positivisme Helmholtzien par

Combarieu, ou dans les théories récentes de Terhardt, la recherche de critères de consonance

traverse toute l’histoire de la théorie musicale. On peut néanmoins regrouper les théories de la

consonance en trois catégories :

- Les théories métaphysiques de la consonance, qui mettent en rapport la musique et

l’homme. La dissonance y est interprétée, en simplifiant, dans un sens historico-social

(Adorno, Lukacs, Marcuse), ou par analogie à la linguistique et à la grammaire (Combarieu,

S. Länger, D. Cooke). […]

- Les théories scientifiques empiriques de la consonance, qui réapparaissent depuis les

années 1970. Elles s’appuient sur des méthodes issues de la science physique appliquée :

expérimentations, sondages sur échantillons représentatifs d’auditeurs, tests

psychoacoustiques. Les modèles sont parfois élaborés à partir de théories rationnelles ou

d’intuitions, mais sont validés uniquement par l’expérience. Ces intuitions sont parfois

incorporées dans des compositions afin d’être testées dans un contexte réellement musical

(par exemple Streamlines du compositeur J. Fineberg, (Pressnitzer & alii [1996])). Cette

méthodologie fondée sur l’empirisme est assez récente en théorie musicale, alors qu’elle est

pratiquée depuis longtemps dans d’autres sciences humaines, telles l’économie ou la

sociologie, confrontant une intuition inspirée par des théories abstraites à des statistiques, des

comportements ou des opinions.

[Mais] l’expérimentation en musique n’objective ni ne démontre une intuition

personnelle (paradoxe de Duhem). Lorsqu’il s’agit de musique et non de son, le modèle

initial à tester est souvent issu d’une convention de pensée propre au concepteur du modèle

(des archétypes de musique tonale par exemple), du fait de l’inexistence de vérité objective

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dans ce domaine. En effet, la théorie musicale n’est pas une science exacte fondée sur des

principes issus de la biologie ou de la physique, mais une science humaine fondée sur des

facteurs majoritairement culturels. Les modèles théoriques en musique sont scientifiques au

sens de Popper uniquement parce qu’ils sont réfutables et testables, sans être empiriquement

vrais partout (Popper [1972]).

- Le troisième type de théories de la consonance, les théories conceptuelles d’essence

pythagoricienne, trouve son fondement dans des (pseudo)-raisonnements scientifiques

(battements entre deux notes, fondamentale virtuelle, ratios de fréquence, etc.). Si le

raisonnement cherche à être rigoureux et réfutable, il ne doit pas chercher, contrairement aux

théories empiriques, à être démenti par l’expérience (propriété d’apriorisme de Cairnes et

Senior). Ces théories restent scientifiquement valables tant qu’elles ne prétendent pas à une

quête de vérité absolue. Comme d’autres sciences humaines (par exemple l’économie, la

linguistique ou la sociologie mathématique), elles fondent leur validité scientifique en

présentant des concepts testables, réfutables, formels et prospectifs, plutôt qu’en énonçant des

vérités et en les validant sur échantillon. Contrairement aux théories métaphysiques de la

dissonance, les théories conceptuelles pythagoriciennes présentent une méthodologie

cartésienne et scientifique: problème divisible et simplifiable en problèmes plus petits;

concept formel globalisant donc nécessairement réducteur, appelant à être étendu et nuancé

musicalement; énoncés réfutables. Ces modèles conceptuels peuvent alors devenir des outils

prospectifs inspirateurs pour les compositeurs, et créer de nouveaux espaces sonores. Ainsi,

les spectres calculés de Vortex Temporum de G. Grisey ou les transcriptions métriques et

tempérées de chants d’oiseaux chez O. Messiaen présentent une couleur propre, car c’est le

détournement de l’original et non sa duplication qui créé le nouvel espace particulier au

compositeur.

Approche pythagoricienne traditionnelle de la consonance

Pythagore s'est intéressé le premier à la notion de consonance des intervalles de hauteurs. Selon Nicomaque

(IIème siècle de notre ère), Pythagore a su comprendre que l'harmonicité de deux sons dépendait des rapports de

multiplicité en valeur entière entre certains paramètres sonores (comme les longueurs des cordes d’un

instrument) (Chailley [1967]). Les pythagoriciens admettaient comme consonants les rapports des quatre

premiers entiers: 4/3 (quarte), 3/2 (quinte), 2/1 (octave), 3/1, 4/1. La quarte était ainsi consonante (elle était

même la première consonance pour Aristoxène), et ni les tierces, ni les sixtes ne l’étaient (Tenney [1988] p.11).

Du fait de l’importance de la théorie de Pythagore chez ses successeurs, la tierce majeure n’a pu être admise

comme scientifiquement consonante qu’à partir des travaux de Zarlino vers 1558.

En 1722, Rameau, s’inspirant des travaux de Descartes, propose, dans le premier livre de son Traité de

l'Harmonie, Du rapport des raisons et proportions harmoniques (Rameau [1722]), de bâtir l'harmonie et les

rapports de consonance à partir des concepts de basse fondamentale et de spectre harmonique. La plupart de ses

successeurs (Catel, Riemann, Helmoltz, Bitsch, Schönberg, Hindemith) ont ensuite construit leur traité

d'harmonie, d’acoustique ou de composition sur des considérations d'imitation de la nature et de lois physiques:

"Notre gamme majeure (...) s'explique en tant qu'élément trouvé par imitation de la nature" (Schönberg [1922],

p.42).

Page 3: Teorias Pos-Ramistas em Musica

Texte 2 : G.L. Chretien, La Musique étudiée comme science naturelle, certaine et comme art,

ou grammaire et dictionnaire musical, Paris, L’auteur, 1811, p.39

Le monocorde fut la première donnée naturelle sur laquelle les philosophes grecs imaginèrent

de fonder leur science musicale, et beaucoup de savants croient encore que cet instrument est

la plus solide base de bons raisonnements sur la Musique. Rameau paraît être le premier qui

se soit aperçu que cet art pouvait dériver d’un phénomène qu’il appela résonnance du corps

sonore […]

J’affirme que ce moyen naturel et inspirateur qu’il appela la résonnance du corps sonore, et

que j’appelle le phénomène de l’harmonie, fut dans tous les temps la cause secrète de la

Musique proprement dite, et que c’est la seule base sur laquelle les musiciens doivent porter

leur attention.

Texte 3 : Joseph Sauveur, Principes d'Acoustique et de Musique, ou systême general des des

intervalles des sons, et de son application à tous les Instrumens de Musique (Paris, 1701;

reprint ed., Genève: Minkoff, 1973).

J'ay donc crû qu'il y avoit une science superieure à la Musique, que j'ay appellée Acoustique,

qui a pour objet le Son en general, au lieu que la Musique a pour objet le Son entant qu'il est

agreable à l'oüie.

Pour traiter cette science à la maniere des autres, et sur tout de l'Optique, avec laquelle elle a

beaucoup de raport, il auroit fallu expliquer la nature du Son, l'organe de l'ouïe, et en détail

toutes les proprietez du Son, pour en conclure les causes de l'agrément et du desagrément des

Sons qui servent d'objet à la Musique et à la sympathie des Sons; et enfin les machines non

seulement de [-2-] la Musique en particulier, mais encore de l'Acoustique en general.

Comme le Son est formé par les vibrations des parties du corps sonore, et que la principale

proprieté de ces vibrations consiste dans le raport du nombre des vibrations d'un Son avec

celuy des vibrations d'un autre Son; ce qui forme les differens degrez ou intervalles du Son

selon l'aigu et le grave; je pris le parti en 1696. de chercher une mesure commune de tous les

intervalles des Sons, capable de les mesurer dans leurs differences les moins sensibles, de

donner des noms et des caracteres à tous ces Sons, qui fussent tels qu'on en pût prendre ceux

qui seroient necessaires pour la Musique ordinaire, et qui renfermassent d'une maniere simple

et aisée toutes les proprietez qui regardent cet art, sans neanmoins avoir dessein d'exclure les

notes ausquelles les Musiciens sont accoûtumez depuis si long-tems.

Ensuite je donnai un essay d'Acoustique dans un Traité de Musique speculative, que je dictai

au College Royal en 1697. On auroit souhaité que je l'eusse fait imprimer; mais les raisons

suivantes m'en empêcherent. 1. Les noms et les caracteres que je donnois aux Sons étant

nouveaux, je ne doutois pas que je ne trouvasse sur tout parmi les Musiciens, des personnes

qui seroient d'un sentiment opposé; et j'esperois par les objections qu'ils me feroient, de

trouver occasion à quelque correction; mais comme ils n'en faisoient que par raport à l'usage

Page 4: Teorias Pos-Ramistas em Musica

reçu, et qu'ils ne regardoient les Sons que pour leurs besoins, je fus obligé de faire par moy

même quelques petits changemens. 2. En travaillant au Traité de Musique speculative, je

reconnus la necessité d'un Son fixe pour servir de terme auquel l'on pût comparer tous les

autres Sons aigus et graves: en 1700. je donnai une maniere que j'avois imaginée pour le

trouver; et comme dans l'Histoire de l'Academie on n'en a montré que la necessité et les

avantages qu'on en tireroit, je donne icy la maniere de le trouver. [Voïez la Section XII. in

marg.] 3. En méditant sur les phénomenes des Sons, on me fit remarquer, [-3-] que sur tout la

nuit, on entendoit dans les longues cordes, outre le Son principal, d'autres petits Sons qui

étoient à la douziéme et à la dix-septiéme de ce Son; [Voïez les Sections IX et X. in marg.]

que les Trompettes outre ces Sons-là en avoient d'autres, dont le nombre des vibrations étoit

multiple du nombre de celles du Son fondamental. Je ne trouvai rien dans les explications des

Trompettes marines qui me satisfist là-dessus. Mais en cherchant moi-même la cause de ce

phénoméne, je conclus que la corde outre les ondulations qu'elle faisoit dans toute sa longueur

pour former le Son fondamental, se partageoit en deux, en trois, en quatre et cetera

ondulations égales qui formoient l'octave, la douziéme, la quinziéme de ce Son, je conclus

ensuite la necessité des noeuds et des ventres de ces ondulations, et la maniere de les

apercevoir au toucher et à la veuë comme je l'explique dans les Sons harmoniques. 4. Ce

phenoméne m'a donné lieu à la recherche de quelques autres pour la sympathie des Sons, pour

les instrumens à vent, et pour les instrumens d'Acoustique, qu'on peut perfectionner jusqu'au

même degré que ceux d'Optique; et j'attens que ces choses soient dans leur perfection, pour

donner enfin lieu à un Corps parfait d'Acoustique.

Texte 4 : Camille Durutte, Technie harmonique, 1876, cité in http://missmediablog.fr/camille-

durutte-de-mey-a-varese/#sthash.hKPpSxNW.dpuf

À vingt ans, j’ai découvert une définition de la musique qui éclaira soudain mes tâtonnements

vers une musique que je sentais possible. C’est celle de Hoene Wronski, physicien, chimiste,

musicologue et philosophe de la première moitié du XIXe siècle. Wronski a défini la musique

comme étant « la corporification de l’intelligence qui est dans le son ». Je trouvais là pour la

première fois une conception de la musique parfaitement intelligible, à la fois nouvelle et

stimulante. Grâce à elle, sans doute, je commençai à concevoir la musique comme étant

spatiale, comme de mouvants corps sonores dans l’espace, conception que je développai

graduellement et fis mienne. J’ai compris très tôt qu’il me serait difficile ou impossible

d’exprimer avec les moyens mis à ma disposition les idées qui me venaient. J’ai même

commencé dès cette époque à caresser le projet d’affranchir la musique du système tempéré,

de la délivrer des limitations imposées par les instruments en usage et par toutes ces années de

mauvaises habitudes qu’on appelle de façon erronée, la tradition.