recueil de poésie

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Demain, dès l'aube… Victor Hugo Les Contemplations Livre IV Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

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Poèmes choisis et illustrés par les élèves de la EOI Salamanca

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Demain, dès l'aube… Victor HugoLes Contemplations Livre IV

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Il pleure dans mon cœur -Paul Verlaine

Il pleure dans mon cœurComme il pleut sur la ville ;Quelle est cette langueurQui pénètre mon cœur ?

O bruit doux de la pluiePar terre et sur les toits !Pour un cœur qui s'ennuieO le chant de la pluie !

Il pleure sans raisonDans ce cœur qui s'écœureQuoi ! Nulle trahison ?...Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peineDe ne savoir pourquoiSans amour et sans haineMon cœur a tant de peine !

Pour faire le portrait d'un oiseau Jacques Prévert

Peindre d'abord une cageavec une porte ouvertepeindre ensuitequelque chose de joliquelque chose de simplequelque chose de beauquelque chose d'utilepour l'oiseauplacer ensuite la toile contre un arbredans un jardin

dans un boisou dans une forêt

se cacher derrière l'arbresans rien diresans bouger...Parfois l'oiseau arrive vitemais il peut aussi mettre de longues annéesavant de se déciderNe pas se découragerattendreattendre s'il le faut pendant des annéesla vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseaun'ayant aucun rapportavec la réussite du tableau

Quand l'oiseau arrives'il arriveobserver le plus profond silenceattendre que l'oiseau entre dans la cageet quand il est entréfermer doucement la porte avec le pinceaupuiseffacer un à un tous les barreauxen ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseauFaire ensuite le portrait de l'arbreen choisissant la plus belle de ses branchespour l'oiseau

peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du ventla poussière du soleilet le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'étéet puis attendre que l'oiseau se décide à chanterSi l'oiseau ne chante pasC'est mauvais signesigne que le tableau est mauvaismais s'il chante c'est bon signesigne que vous pouvez signerAlors vous arrachez tout doucementune des plumes de l'oiseauet vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

La courbe de tes yeux

La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,Un rond de danse et de douceur,Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,

Paul ÉluardEt si je ne sais plus tout ce que j’...ai vécuC’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.Feuilles de jour et mousse de rosée,Roseaux du vent, sourires parfumés,Ailes couvrant le monde de lumière,Bateaux chargés du ciel et de la mer,Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d’une couvée d’auroresQui gît toujours sur la paille des astres,Comme le jour dépend de l’innocenceLe monde entier dépend de tes yeux pursEt tout mon sang coule dans leurs regards.

L'étranger Baudelaire- Qui aimes-tu le mieux, homme enigmatique, dis? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère?- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.- Tes amis?-Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.- Ta patrie?- J'ignore sous quelle latitude elle est située.- La beauté?- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.- L'or?- Je le hais comme vous haïssez Dieu.- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!Baudelaire: Petits poèmes en prose, I (1869)

Réveiller. Blaise Cendrars Ce matin je me penche par la fenêtreJe voisLe cielLa merLa gare maritime par laquelle j'arrivais de New York en 1911La baraque de pilotageEt a gaucheDes fumées des cheminées des grues des lampes à arc à contre-jourLe premier tram grelotte dans l'aube glacialeMoi j'ai trop chaudAdieu Paris Bonjour soleil 

CORRESPONDANCES

La Nature est un temple où de vivants piliersLaissent parfois sortir de confuses paroles;l’homme y passe à travers de forêts de simbolesque l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondentDans une ténébreuse et profonde unité,Vaste comme la nuit et comme la clarté,Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,-et d’autres, corrompus, riches et triomphantes,

Ayant l’expansion des choses infinies,Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Charles Baudelaire (“Spleen et Idéal”)

L’ALBATROS

Souvent, pour s’amuser, les homes d’équipagePrennent des albatross, vastes oiseaux des mers,Qui suivent, indolents compagnons de voyage,Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,Laissent piteusement leurs grandes ailes blanchesComme des avirons trainer à côté d’eux.

Le voyageur ailé, comme il est gauche er veule!Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid!L’un agace son bec avec un brûle-gueula,L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait!

Le Poëte est semblable au prince des nuéesQui hante la tempête et se rit de l’archer;Exilé sur le sol au milieu des huées.Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire (“Spleen et Idéal”)