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Pourenfiniravecl’irresponsabilité

Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproductionréservéspourtouspays.

©2016,GroupeArtègeÉditionsDescléedeBrouwer10rueMercœur–75011Paris

9,espaceMéditerrannée–66000Perpignan

www.editionsddb.fr

ISBN:978-2-220-07766-6ISBNepub:978-2-220-08280-6

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occidentalnécessitentunegrandemodestiedansl’approchedesproblèmes.Concernant laseulequestionde l’apportde l’islamdansl’histoiredesproblèmesdelaresponsabilité,l’enjeuesticirestreintàunereconnaissancedesonimportance.

Ilestnécessairededéfinir surquellesbasess’est forgée laresponsabilitédansledroitfrançaiscontemporain,àsavoiruneconceptiondusujetdéfiniparconsciencedesoi,d’oùdécouleune maîtrise supposée de ses tendances profondes et de sesactes. Comment s’est forgée la notion de « circonstancesatténuantes»?Dansquelsenspeut-onparlerd’unedégradation,voired’unedégénérescencedupardonauprofitd’uneculturedel’excuse mal compensée par un délire de transparencegénéralisée ? L’une des idées directrices de cet essai est demontrer la cause de cet échec : les apories du matérialismeconfronté à ses échecs en matière de morale. Les tentativescontemporaines pour fonder la morale et la responsabilité seheurtenttoujoursàlaquestiondel’intérêt.Sansrecouriràunetranscendancequiassurel’indépendancedelanormeaunomdelaquelle évaluer le cours des choses, la responsabilité estcondamnéeàserésumeràuncalculd’intérêts«fondé»sur lanature, d’où le retour en force des théories visant à déduire lamoralede l’évolutiondarwinienneaujourd’huiutiliséeà touteslessauces:pourlégitimerlafidélité…commel’infidélité,pourasseoirl’altruismesuruninstinctnaturel,pourréduirel’amouràlareproduction.Puisquelesensdel’histoiremarxistenefournitplus de cadre philosophique aujourd’hui légitime, lematérialismes’esttournéverslathéoriedel’évolutioncenséeluifournir une morale utilitariste, et donc un sens de laresponsabilitéaurabais.Lesmêmesquisemoquentdu«desseinintelligent»n’hésitentpasàprojetersurlesconduiteshumainesun« ordre naturel des choses » ou un finalismed’une naïvetéconfondante afin de se passer de toute religiosité dans les

affaires humaines. Le résultat est catastrophique : nil’utilitarisme ni le minimalisme éthique ne sont enmesure dedonner de quoi s’élever suffisamment au-dessus de notreanimalité pour penser et agir de manière autonome. Aucuncalculd’intérêtsn’estenmesuredenouséclairersurlesensdel’héroïsmeetdelasainteté,surlaforcedupardonetl’amourdel’humanité.Aucunmatérialismen’estenmesurederéévaluerlesentiment de culpabilité, tour à tour réduit à un symptômepsychanalytiquepuisàunétatd’âmeinutileet improductif.Lerelativismeconduitaunihilisme,àlapertedusensdesvaleursetdelaresponsabilité.

Le constat clinique des souffrances et des peines ne suffitpas,précisémentparcequ’ilestquestionderesponsabilité.Lesécueilsdel’individualismecontemporainrelèventtrèslargementd’une trahisonde l’existentialismeetd’unevisionde la liberté«hors sol »parfaitement adaptée aunomadismemarchand.Lesens de la responsabilité fait perdre du temps et de l’argent àl’hommemoderne,citadinmodèle.

Notre appréciation des hommes et desévénements est tout entière imprégnée de lacroyance à la valeur rétrospective du jugementvrai,àunmouvementrétrogradequ’exécuteraitautomatiquement dans le temps la vérité unefois posée. Par le seul fait de s’accomplir, laréalité projette derrière elle son ombre dans lepassé indéfiniment lointain ; elle paraît ainsiavoir préexisté, sous forme de possible, à sapropre réalisation. De là une erreur qui vicienotre conception du passé ; de là notreprétention d’anticiper en toute occasionl’avenir.

HenriBergson,LaPenséeetleMouvant(1934),Paris,PUF,coll«Quadrige»,2009,p.18.

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l’individu s’est constitué comme sujet pensant autonome,maisc’est au contraire parce qu’il aura su éprouver cetteresponsabilitéfaceàautruiqu’ilseconstitueracommesujet.Lamorale et la psychologie dépendent toujours de l’ontologie(théoriedel’être),saufqu’ici,l’êtreindividueltiretoutsonêtrenon pas d’une expérience de la puissance personnellemais aucontraired’uneformedegénérositéoriginelle,d’uneexpérienceéthiquefondamentalequinaîtde larelationauvisaged’autrui.Celasupposequece«Visage»soitcompriseffectivementpource qu’il est, c’est-à-dire pour ce qu’il manifeste et montre enapparaissant,entantquedemandesilencieusederespect.

L’altéritéest alors redéfinie.Lesphilosophesclassiques, etaujourd’hui les disciples zélés de l’idéologie analytiquedominanteetdesonminimalismeéthique,réduisent l’altéritéàunproblèmedeconflitd’intérêts,etàdesquestionsdelogique«oùchacunestautredéjàporteurd’attributsdifférents,ou,dansunemultiplicitédetermeségaux,chacunestl’autredel’autredeparsonindividuation8».Or,pourLevinas, l’altéritédépasseetconstitue l’individualité. La responsabilité n’est donc pas uneconséquence, un choix arbitraire et louable, une option dedevenir subjectif,mais ce par quoi un individu s’humanise enéprouvantcequelevisagedel’autreditsansriendire,àsavoirl’exigenceformuléeparleDécalogue,souslaformedesTablesdelaLoidictéesàMoïseparDieusurlemontSinaï:«Tunetueraspoint.»Ils’agitlààlafoisd’uneinjonctionreligieuseet,dans la mesure où sa compréhension conditionne une justereprésentation de la réalité humaine (ici comme exigencespirituelle),saportéeestphilosophique.

L’esprit de responsabilité réside dans la supériorité de ceprincipeàl’égarddetouteréductionutilitariste.Ditautrement:respecter l’humanité de l’homme ne « sert » à rien, ne

«rapporte»rien.Saufunechosequel’utilitarismen’estpasenmesure de comprendre : cela élève l’humanité par la part dedivinqu’elleporteenelle.Éprouver la responsabilité tellequeladévoileLevinasneprovientpasd’uncalculd’intérêtsoud’unéchanged’avantages.Lesréductionnistesanalytiquespeuventicisesentirunpeuperdus,désorientés,faceàuneexpériencebienhumaine,mais irréductible aux intérêts dumatérialisme libéralqueleuréthiqueminimalisteal’habitudedesibienservir.Nouscomprenons leur désarroi… La source lévinassienne de laresponsabilité est religieuse au sens large, la « religiosité » nerelevant pas des soupçons de bondieuseries dont on affubleparfois lapenséedeLevinas.En réalité, sa radicalisationde laresponsabilité s’ancre dans un vrai renouvellement du conceptd’altérité.Unexemple l’illustrerasimplement.Dupointdevuestrictement logique, les concepts de « différence », de«ressemblance»,d’«égalité»etd’«appartenance»suffisentàdéfinirlarelationentremonsieurAetmonsieurB,ouentrevouset votre voisin.Même la phénoménologie la plus approfondie,deHusserlàMerleau-PontyetSartre,aboutitàunedescriptiondelarelationinterhumainesurlaquelleontenteraplusoumoinsvictorieusement de greffer une problématisation éthique. Le« que dois-je faire ? » succède ici, comme d’habitude enphilosophie,au«quisuis-je?».

Levinas considère que, dans la relation à autrui, laconnaissancethéoriqueneprécèdepaslaconnaissancepratique.Laresponsabilitén’estpasuneconséquencedupositionnementdelasubjectivitémaissacondition.Nonseulement,lescalculslogiquesdesémulesanalytiquesdunihilismeraffinéde l’idoleWittgenstein sont incapables de comprendre de quoi il s’agitlorsqu’on évoque une signification spirituelle incarnée par levisage d’autrui, et l’infini divin qu’il présente, mais même laphilosophie sartrienne de la liberté est prise de court : « La

responsabilité pour autrui ne peut avoir commencé dans monengagement,dansmadécision.Laresponsabilitéillimitéeoùjemetrouvevientd’endeçàdemaliberté,d’un“antérieur-à-tout-souvenir”9.»Cequicomptenerelèvenidesjeuxdelangageetdes cornichonneries analytiques, ni d’une philosophie de« l’oubli de l’être » chère aux heideggériens, ni d’unvolontarisme individualiste de type existentialiste et sartrien.L’éthiquedeLevinasn’estpasconstituéemaisconstitutive.Elleest dévoilement originel et spirituel de responsabilitéindépendantdetoutdéterminismepsychologiqueetmatérielaucœurdetouterelationconcrèteentre«je»et«tu».Lalibertédu sujet prend alors la liberté enmarche. Le « subjectif » estexcédéparl’infinidudevoir,del’exigencederespect,dusollenquen’importequisaisit,dèsqu’ilcomprendlevisaged’autrui.« L’identité du sujet tient ici en effet à l’impossibilité de sedéroberà la responsabilitéde lapriseenchargede l’autre10.»«L’intentionnalité»dusujetest réduiteàsapartie infime,carc’estdansuneformedepassivitéetd’ouvertureàl’autrequelesens du « dire » du visage apparaît. C’est un sens divin carinfini, et humain car la transcendance se donne et se réfléchitdansune immanence.Leproblèmedudevoir-êtreprécèdeceluide la représentation, comme celui de l’affirmation du sujet.C’est pourquoi il est urgent d’y revenir, non seulement pourmontrerlaprécisionetlaluciditédelasource«religieuse»delaresponsabilité,maisparcequelesautrespistesmènentàdesimpasses.

La valeur axiologique de la vulnérabilitéetl’importancedu«tempsquipasse»enmorale…

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cellesd’unaveuglementetd’unegrandesolitude.«Lesépineset les ronces des désirs impurs croissaient et s’élevaient au-dessus de ma tête, sans qu’il se trouvât une main pour lesarracher25.»Le libertinagen’estpasuneoptionouunedérivedu matérialisme, mais son devenir possible, la réalisationimmorale de ses propres limites. Trois puissances spirituelleséchappentàtoutréductionnismematérialiste:l’espritartistique,l’esprit religieux et l’esprit amoureux. Le débauché estincapable d’aimer.Nondum amabam, et amare amabam (« jen’aimaispasencore,etj’aimaisàaimer»).Augustinsemariaàunejeunefillede15anseteutunfils(Adéodat)quimourutà16 ans. Il fustigeait le goût du luxe et la décadence qu’ilconstataitauxfêtesreligieusesàCarthage.Voicicequ’ilenditdanssaCitédeDieu:

Moi-même,dansmajeunesse,j’aiassistéquelquefoisàdesfêtesdecegenre.J’aivulesprêtresdélirersousl’empire de l’exaltation religieuse, et j’ai écouté leschants des choristes. J’ai pris plaisir auxréjouissances honteuses en l’honneur des faussesdivinités,delaviergeColleotisetdeCybèle,mèredetous les dieux. Et le jour de la purification, onchantaitdevantsacouchedeshymnessiobscènesquelamèredesacteursn’auraitpulesécouter.

Plustard,ilavouadansLesConfessionss’êtresentitrèsloinde l’idéal ascétique des manichéens et requérir un délai deperfectionnementmoraldanssesprières.«ÔSeigneur,donnez-moilacontinenceetlachasteté,maispastoutdesuite(…)…àce moment-là, je craignais au fond d’être exaucé aussitôt, etd’êtreguéritroppromptementdemamaladiedel’impureté,dontjepréféraisvoir le feubrûlerencoreenmoi.»Cetteétonnante

sincérité démontre deux choses relatives à notre propos : lasource chrétienne du sens de la responsabilité implique uneclarté totale des intentions. Toute mauvaise foi in-signifiel’esprit de la responsabilité. Parallèlement, la modestie faitpartie intégrante du projet spirituel dont nous considérons iciqu’ilestnécessaireàlaconscienceresponsable.

La crise morale et existentielle conditionna la conversiond’Augustin. Il devait une forme de reconnaissance à ses amismanichéens,ainsiqu’unesituationdevenuebrillanteetenviéeàMilan.IlracontadansLesConfessionslamanièredontilsentitson changement intérieur irréversible. Le jeune Augustindemandait à Dieu un délai. L’Augustin en quête positive depureté décrivit son moment de « crise », le terme krisisimpliquant un passage, et donc une re-naissance. Il comprit la«dignitéchastede lacontinence ;sereine,souriante,sansriendelasoif,ellem’invitaitavecsesmanièrespleinesdenoblesse,àapprochersanshésitation».Assisensolitairesousunarbre,iltint l’Évangile et découvrit cesmots : «Nevivezpas dans lesplaisirs impurs. » Il se sépara alors de la mère de son fils etrentraàThagasteaprèss’êtrefaitbaptiserlejourdePâques387par l’évêqueAmbroise.De 391 à samort (430), il cumula leslourdes charges de son ministère, le combat contre la secteschismatique des donatistes, ses travaux théologiques et,inlassablement,sesœuvresdecharité.

L’ancrage augustinien : une« phénoménologie » extraordinaire del’espritderesponsabilité

Laluciditédelaprière

Comme le précise Philippe Sellier dans sa préface auxConfessionsdesaintAugustin,letitremêmedel’ouvragenouséclairesurlapolyvalenceduprojet:«LaconfessioestàlafoislouangedeDieu,aveudesdéfaillancesetprofessiondefoienceDieupersonnel,intime26.»Lelivreestincontournablepourquiveutpenserlesensdelaresponsabilitéetsonancragespirituel.LeLivreXdécrit si finement et si précisément les nuancesdel’âme humaine confrontée à son aspiration vers le Bien,tourmentée par les désirs incessants, qui nemeurent que pourmieux renaître, et le face-à-face avec la petitesse de notrecondition. Il nous est impossible de tout reprendre ici,mais ilimportedeprendrelamesuredecequel’espritderesponsabilitédoitàcetteenquêteintimesurleserrancesdel’âmehumaineetsavolontéderédemption.Dieuétant,commelepréciserasaintAnselme dans leProslogion, « ce dont rien de plus grand nepeutêtrepensé», ilestdepuis toujoursetpour toujours.Dieun’est pas « dans » l’éternité, ilest éternité. Il ne « dure » pastoujours, car il ne peut ni exister, ni être situé dans un tempscomparable au nôtre, un temps qui s’écoulerait et auquel ilsuffirait d’ajouter une infinité. La durée est humaine, elles’accompagne d’un effort d’exister et d’une mémoirecorrespondanteàceteffort.Letempshumain(lesphilosopheslenomment « temporalité ») est signe de son imperfection.Dieuétant éternité, il est absurde de traduire le commencement par«Dieu créa la Terre ». La création englobe nécessairement letempslui-même.LatraductiondeFrédéricBoyer«Dieucréelaterre»estpluscohérente27.Dieucréeletempsetl’universdansun même acte de création ex nihilo. L’être humain, depuis lachuteet lepéchéoriginel,doitprécisémentassumer ladouleuret la finitude, autrement dit le fait d’être « tombé » dans unetemporalité qui lui est propre, composée d’avant et d’après,

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MaxWeber distinguait l’éthique de la « conviction » quel’onpouvaitassocieràl’engagementdesintellectuelsdeZolaàSartre,etl’éthiquedelaresponsabilité,quiserapprocheraitdela prudence des experts s’autorisant (de moins en moins) descritiques et des prises de position politiques. On oublie tropsouvent que le simple fait de pouvoir se positionner impliqueuneautonomievis-à-visdetouslesfacteursmatériels,sinonlescritiques et les engagements ne sont que des reflets et desexpressionsdelaréalitéobjectiveetperdenttouteautorité.Ditautrement : tout engagement critique vis-à-vis du mondeimpliqueunefacultédepouvoirsetenirsuffisammenthorsdecemonde pour pouvoir l’évaluer et le critiquer, ce qui revient àreconnaîtrelepouvoird’indépendancedel’espritvis-à-visdelamatière.

LaphilosophiedeRicœurtientuneplaceparticulièreencesens que, prolongeant la tradition chrétienne de réflexion surl’origine du mal et de la responsabilité humaine, elle enrichitconsidérablement le domaine de l’interprétation. Ricœur seréfère au Sermon sur la montagne de Jésus, analysant latransformationopéréeparsaintPaulqui«introduitlafiguredumagistrat».Lebutestdemontrerquelaresponsabiliténepeutse fonder uniquement sur l’amour, car la justice ne peut pass’exercerenrendant,commeleChristledemande,lebienpourlebien.

La punition dans son essence consomme la toutepremière rupture dans l’éthique de l’amour ; elleignorelepardon,ellerésisteauméchant,elleinstitueunerelationnonréciproque;bref,àlavoiecourte,à« l’immédiateté » de l’amour, elle oppose la voielongue,la«médiation»coercitivedugenrehumain49.

La réciprocité définit la fraternité, mais pour que laresponsabilitéexiste,ilfautajouterlapunitionàlafraternité,cequiexigelerecoursàcequin’estpascontenudansleconceptde l’amour, à savoir l’autorité. C’est pourquoi toutes lesthéoriesdel’éducationcontemporainesquiexcluentapriori lapunitionaunomdel’égalitéetdel’amour«n’aboutissent»pasàl’irresponsabilité,maisplusgravementsefondentdessus.

C’est parce que l’on donne une chance aux individus quel’onpeut leur reprocher ensuitedenepas avoir changé.Or, lechangementimpliquechezleconcernéuneforcedeconversionspirituelle irréductible aux conditionnements, et une asymétriedanslejugement,uneinégalitéetuneduretéabsentedel’amour.Il y aurait deux versions de l’amour chrétien, l’une imitantl’amour inconditionnel du Christ mais incapable d’efficacitéfaute de s’adapter à la réalité humainepour l’élever, une autreapparemment plus dure, plus sévère, élevant l’humanité au-dessus d’elle-même en assumant l’autorité et se basant sur laresponsabilité. « L’éthique de l’amour » est impuissante sanscelle du jugement. C’est ce qui explique la confiance(excessive ?) de Ricœur à l’égard des institutions. Le pari duphilosophe:quelapunitiongarantisseinfinelapaixsociale.Ilétablit quatre conditions de la compétence de l’acte de juger :existence de lois écrites, cadre institutionnel, interventionscompétenteset indépendantes,actiondiscursive«arrêtée»parlejugement50.Maiscetteconfiancedanslesinstitutionsquiluiserareprochéen’exclutpasdereconnaîtreuneformedeviolencede l’ÉtatprochedecelledeWeber.L’horizondepaixcivile etuneplusgranderesponsabilitédescitoyenssontlecœurdesonoptimismehistoriqueconcernantladémocratie:

La punition a deux finalités, une finalité courte, quiest la protection de la société à l’égard de toute

menaceà l’ordrepublic ;unefinalité longue,quiestlarestaurationdelapaixsociale; touteslesmesuresderéhabilitation,inscritesdanslesystèmepénal,sontauservicedecettefinultime51.

La confiance institutionnelle justifie celle de laréhabilitation du condamné. La société ne doit pas perdre devuequelesensdelaresponsabilitéestsaréalisation.Lapeinevécue commeemprisonnementn’ade sensque si le condamnééprouveexistentiellement sa responsabilité afinquecelle-cinesoitpasqu’unesentencereçuepassivementetenextériorité,cequi signifie que l’emprisonnement est unmoyen, pas une fin.Sans la réhabilitation, qui est le versant positif de laresponsabilitéeffective,c’est-à-diresubjectiveetnonseulementjuridique,lapunitionlégaledeprivationdeliberté,aussilonguesoit-elle, aussi systématique que l’on voudra, perdra toute sonefficacitécarelleauraperdutoutsonsens.Lestauxactuelsderécidivemontrentmoins l’inefficacitéde laprisoncomme telleque l’absence totale de philosophie de la responsabilité.C’estparce que le sens de la responsabilité est spirituel que lapunition comme contrainte est potentiellement efficace.L’humanisme et la confiance institutionnelle de Ricœur sontlestésd’uneformedemiseengarde.L’abandondelaconsciencemorale – tantmoquée par les post-modernes de tout poil – sepayecher,duprixdel’irresponsabilité:lesujetmoralseréalised’abord dans le « présent de l’aveu », premier moment deréflexiondans l’expériencedumal (le secondporte sur le lienentrelemaletl’obligation52).

Le christianisme institutionnel a été combattu par lesfondateursde la laïcité.Le reconnaîtreposed’autantmoinsdedifficultéquelesinstitutionsreligieuses(chrétiennesouautres)

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aux femmes. À l’opposé, il est possible d’opter pour unféminisme revendiquant au contraire une spécificité fémininenaturelle, innée. Une « essence » de la femme que l’on peutensuites’amuseràfairesemblantde«découvrir»danstelleoutelleétudebiologiqueetcomportementale,voirecognitiviste.Leféminismeessentialistepeutnourrirunespritderevanchesurladominationmasculineconstatéeetvouloirappliquerlesmêmesrecettes. Le féminisme existentialiste ridiculisait avec bonheurles définitions toutes faites de la pseudo-« nature féminine »pour y déceler autant de pièges : cadeaux empoisonnés de« l’intuition féminine », de « l’instinct maternel », etc. Leféminismeessentialisterejouelamêmepièce,maisàl’envers.Lamisogynieafaitplaceàlamisandrie.Haineusesdeshommesdetouslespays,unissez-vous!Onvadoncbêtementfairelamêmechose que les hommes, autrement dit singer ce qu’ils ont pufairedepire,etendéduirequelesfemmesainsi«libérées»–dequoi,alors,onseledemande?–sontenfindevenuesmodernes.En tête du hit-parade de la débilité de ce post-féminismedégénéré : lapseudo-revanchesur les« images».Pourque lesfemmessoientpluslibres,onamisdeshommesàpoildanslespublicités, au cinéma. NiMarguerite Yourcenar ni Simone deBeauvoir ni Élisabeth Badinter n’y avaient pensé. Les « néo-féministes»sontcertesingrates,pensentpeu,écriventavecleurspieds ? Qu’importe ! Elles vont faire aussi « mâle » que lesvilainshommesenconvertissantdegréoudeforcelesnouvellesgénérations à la banalisation du sexe, en flattant desreprésentations de femmes-voyeuses, de femmes tellement« libérées » qu’elles en deviennent incapables d’inventer autrechose que les mêmes recettes de la domination machiste :vulgaritéàtouslesétages,étalaged’intimitéetdésacralisationàmarche forcée, marchandisation et répétition servile etmercantilismedela«réussite»sociale…Commentensommes-

nousarrivéslà?Notrehypothèseestlasuivante:uneliberténeseconstruit

ni dans la seule revendication d’une identité, d’un héritage –culturel ou naturel – ni dans une pure fuite en avant, uneprojection perpétuelle dans le futur qui revient à une identitéimpossible car hors-sol. Un être humain, c’est un héritageprojeté.L’identitéestunprojet.

Unprojetd’êtredoitassumerunepartdenatureetdeculturepour consciemment, volontairement, en transformer certainsaspects, en valoriser et en abandonner au regard de l’idée quel’onsefaitd’unehumanitédigneetheureuse.Sanscetespritderesponsabilité, toutes les revendications trahissent unressentiment, une forme de revanche et de mimétisme dont leprix à payer est lourd de conséquences. Les hommes sontculpabilisés d’être des hommes. Pour s’adapter, ils obéissentaux injonctions féministes et copient – assezmal – une à unetoutes les fonctions assignées aux femmes dans toutes lessociétés traditionnelles où fonctionnait le partage des tâches.Les « nouveaux pères » seront donc des hommes modernes,c’est-à-dire moins des hommes, moins des pères et beaucoupplus « nouveaux ». L’idéal étant même qu’ils deviennentcarrément des femmes le temps de les remplacer en tant quemères. Les femmes ainsi « libérées » vont donc pouvoir seréaliser pleinement. On pouvait s’attendre à des inventionsinouïes. Des pratiques carrément originales. Des manières deréaliser leur liberté inattendues et belles, à des années-lumièredes hommes qui sont tous des porcs. On allait voir ce qu’onallaitvoir…Ehbienonavu.

Considérons le droit. L’une des illusions inévitables etnécessairesàlaviedémocratiqueconsisteàcroirequ’ilsuffitdechanger la loipourchanger lavie.Conditionnécessaireetnonsuffisante du changement réel, l’évolution législative implique

unbouleversementeffectifdesconsciencespourqu’unprogrèsse réalise. Tout semble pourtant aller dans le bon sens. Lesfemmesobtiennent (enfin!) ledroitdevoteen1944, lamixitédans l’enseignement en 1959, la suppression de la tutellemaritale en 1965, l’autorité parentale conjointe en 1970, ledivorce par consentement mutuel et la libéralisation del’avortement en 1975, la répression accrue du viol clairementcriminaliséen1980,l’égalitéprofessionnelleen1983,puisdesépouxdanslagestiondupatrimoineen1984,etenfinlaparitépolitiqueen1999.

Danslesfaits,nousconstatonsdesinégalitésdesalairesetde développement des carrières hommes/femmes encoreaujourd’hui et malgré toutes les dispositions légales et unvolontarismepolitiqueindiscutable.Pireencore:lessentimentsd’isolement, de déclassement, les situations de précaritéobjective semblent accompagner le devenir citadin et modernede ce que nous nommons poliment « cellules familialesmonoparentales»,autrementdit,desfemmesvivantseulesavecleur enfant après un divorce ou une séparation. Il est très«tendance»devictimisertoutlemonde.Danslaréalitéetdanslemêmetemps,leshommessontsouventaprioriaccusésd’êtredes misogynes, nombreux sont ceux qui ne peuvent plus voirleurenfant,surviventtrèsmalàuneséparationenpayantcherleparti pris des juges systématiquement acquis à de pseudoscauses«féministes».Vieilletentationquedesimplifierleréelpourenrefuserpurementetsimplementtoutcequiestdifficileàcomprendre…Le résultatestdramatique.L’évolution juridiquen’a pas réellement libéré les femmes, elle a égalisé leursconditionsformelles.Devenirpluslibreasignifiédeveniraussistupide, aussi « beauf », aussi vulgaire que bien des hommes.Tout le monde y a perdu au change. Sous couvert d’égalitésexuelle, on a redécouvert l’eau tiède avec toutes les

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désiré, mais évidemment l’être dans sa totalité, autrement ditl’autre corps et âme confondus. C’est pourquoi nousn’éprouvonspas de culpabilité à l’égard des besoins quenousressentons comme des événements purement naturels quiarriventànotreconsciencedel’extérieur,alorsquelanaissancedudésirmetenjeu,dèssonorigine,notreliberté.Contrairementà la faim, au sommeil, à la soif ou aux déterminismesbiologiques de la reproduction et donc de la naissance, ladialectiquedudésirengagenotreresponsabilitédemanièreplusintime, plus radicale. Sans anticipation, sans représentationd’autrui, sansprojection,ni ledésir,ni leplaisirnepourraientexister. C’est pourquoi les tentatives systématiques desmatérialismesde toutesorte(hédonismeet libertinagediversetbranchés, réductionnisme intellectualisé par la génétiqueévolutionniste, etc.) s’évertuent avec constance à vouloirconvertir tout lemondeàuneconceptiondégradéede l’amour,ens’attaquantenprioritéaudésir.Lebutestsimple:rabaisserle spirituel au profit du physique pour irresponsabiliser lesindividus,quitteà ruiner lamorale.L’usagedecetteentreprisede réduction servant d’abord et surtout ceux qui,économiquement, ont tout intérêt à dé-spiritualiser l’amour etdonc le désir, il suffit de poser commeMarx ouNietzsche labonne question pour que la réponse saute aux yeux. Qui aintérêt à dégrader le désir amoureux ?Ceux qui bien sûr sontjusqu’ici passés à côté de sa beauté et de sa puissance pourjalouser,voirehaïrensecretlesromantiques.Cyniquesdetousles pays, unissez-vous…mais loin ! Ceux aussi qui font desaffairessurledosdumalheurdesautres.Lesgensquis’aiment,quisaventdoncqueledésiretleplaisirsontincomparablementplusfortsaveclessentiments,quelaquêteàlaperformanceetàla quantité de conquêtes est inefficace et décevante, sont desmauvaisclientspourlesescrocsdudésir.

Le mariage a justement pour ambition de rationaliser lareproduction et d’officialiser l’amour. Le lien ritualisé avec latranscendance au cours de la cérémonie religieuse garantitl’autorité du tiers face auquel l’engagement libre et volontairepeut prendre ensuite la dimension sociale et juridique ducontrat. Le problème auquel la société contemporaine estconfrontée vient d’une vision consumériste et utilitariste detouteslesrelationshumaines,dontlesrelationsamoureusesfontpartie.

Le consumérisme s’exprime dans les relations amoureusesenannexantlelangagedelaliberté.Lenomadismesexuelseraitcemondelibreoùdesindividusforcément très libérésauraientdes échanges eux-mêmes très libres, et, comme on dit alors,« sans se prendre la tête ». En réalité, cette immensecharlatanerien’auraitaucunechancedeprospérersilesgens,aulieudese«prendrelatête»après,ensedisant«maispourquoietcommentmoiai-jepufaireça?»,enmesurantlesdégâtsetlanullité de leurs ébats, s’étaient un minimum « pris la tête »avant,justeletempsdesedemandersileplaisir,éventuellementlebien-être, concluraientvraimentcesâneries.Lemondede laconfusion besoin-désir déresponsabilise en prétextantdéculpabiliser.Ilseconcrétisepardessoiréesetdesfêtessuper-modernes,oùlesdemi-mondainesetlespseudo-mâlesrivalisentdemauvaisefoienlançantleurséternelsfilets:humourdécalé,sous-culture cinémato-musicale, jeunisme et tiers-mondismepavlovien.Cesnouveaux«beaufs»ontleurchaîne(cryptée)etla bonne conscience bien dégueulasse d’être dans le sens del’Histoire.Pardon,del’évolution«sociétale».Lepolitiquementcorrect opère un tri des compassions. Certains malheureuxbénéficientd’unevaleurcompassionnellesupérieureàd’autres.Les chrétiens massacrés ont beau être africains, moyen-orientaux,ilssuscitent,entantquechrétiens,moinsdepitié.On

sedemandevraimentpourquoi…Lematérialisme libéral-libertaire adoncproduituneclasse

culturellement dominée, mais médiatiquement etéconomiquement dominante, et son économie prospère sur lesruinesdel’amourenfaisantcroirequel’absenced’engagementetlafidélitéconstituentlevraisensdumot«liberté».C’estdecette pseudo-liberté dont le marché aux fesses, pardon,l’économiedu«désir»,aunbesoin.Vital.Analogiquement,lelibéralismeeuropéenavaitbesoindedétruirelesfrontièrespourfaciliterlelibre-échangeetl’asservissementdetouteslesvaleursaux impératifs du profit, en faisant passer ce laxismegéopolitique pour une plus grande liberté des individus à« voyager ». En réalité, le monde moderne libéral-libertairedétestelesracinesetl’attachementauxtraditions.Ilvouemêmeunehainemasquéededédainàtouteformed’amourdelaterreet de langues régionales, au nom de deux logiques quis’excluent mais dont la contradiction n’empêche pas unealliancedefaçade.Lesrépublicainsjacobinsetlespartisansdumondialismecosmopoliteserventtrèsbienlesintérêtsobjectifsde tous ceux qui en vivent, à savoir les classes dominantesinféodéesaumarché.Lahainedesidentitésrégionalesaconduità une acculturation méthodique et forcenée sous couvert de« modernité ». La destruction des frontières sous couvertd’« ouverture » a permis un nivellement économique et socialpar le bas. Il est évidemment politiquement très incorrect derelativiser la grandeur d’âme et l’enrichissement spirituel desprogrammes d’échanges culturels, et au fond, le problème nerésidepasdu toutdans lapossibilitéenelle-mêmemagnifiquede voyager, de découvrir les autres cultures et de s’enrichirmutuellementaucontactd’autresidentités.

Le sens caché et véritable de cette « ouverture desfrontières » est de fabriquer un individu sans attaches, sans

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les seuls actes de jugement, et l’humanisation progressive despeines peut être reconnue sans pour autant donner lieu à unecaricaturedelareligioncommed’ailleursdel’AncienRégime.

La psychiatrisation de la responsabilité et« l’humanisation des peines » par MichelFoucault

Larelativisationdesnormesdelafolie

Il estpresqueconvenuaujourd’huid’adopter le relativismepour critiquer – par ailleurs justement – les prétentions del’Occident à légiférer au sujet dumonde.La philosophie et ledroit ont fabriqué un universalisme à partir d’une conceptionhumaniste qui, en tant que telle, peut, à bien des égards, êtreconsidéréecommelerefletd’unecivilisationquiaimposé,avecsa«bonneconscience»,desmanièresdepenseretd’agiravecune violence parfaitement contradictoire avec les idéauxdéfendus. Aujourd’hui, devenus, par la force des choses, plusmodestesquantaubien-fondédenosprétentionsuniversalistes,nousengardonsmalgrétoutcertainsréflexesetcertainsclichés.Avecunecandeurdéconcertante,parsoucideracheternosfautes(les colonisations et les gigantesques massacres perpétrés aunom de notre charmante civilisation et de notre bienveillantemodernitéentémoignent),nousnourrissonsnotreculpabilitédevictimisations multiples et variées. Le procès de la raisonoccidentale et de ses Lumières n’a pas fini d’éclairer noslanternes de honteux coupables, d’où en ressort par exemplel’impossibilité totale aujourd’hui de pouvoir sereinementréfléchirsurledevenirdel’immigration,l’accueildesétrangers,

sur ce que signifient des choses comme « l’État-nation »,l’Europepolitiqueoulesorientationsinévitablesconcernantlesréfugiéssansquelessoupçonspèsentàchaquephrase,àchaquemotprononcésurunhypothétique«inexprimé»ethnocentriste,voirexénophobeouracistecaché.Surdessujetsaussidifférentsqueledevenirdel’écolerépublicaine,lesmenusscolaires(!)oule port du voile religieux, il est devenu quasiment interdit desimplement poser des questions. Quelles qu’elles soient.Pertinente ou stupide, savante ou ignorante, toute question estdevenue coupable d’exister comme question, car a prioriinterprétéecommeillégitimeetsignifianted’autrechose,commel’expressiondepréjugés racistes.Évidemment,depuis le tempsque cette police des conduites et du langage distribue lesanathèmes, les bons et lesmauvais points de conduite, chacunmesurelorsdesélectionsàquelpointcettestratégieestefficacepourluttercontrelesextrémismespolitiques.

Àl’originedecettedéfaiteidéologique,uneconfusionsurlaresponsabilitéhistoriqueetmoraledurationalismeoccidentaletde son influence, qui aboutit à ce paradoxe de trouversympathique toute revendication identitaire, culturelle oureligieuse, à condition qu’elle ne soit pas française, et sipossible non européenne. L’idéologie post-68 a surfé durantdeux générations sur les philosophies déconstructionnistes etrelativistes.À l’origine, le relativisme est une pensée réactive,contrelesprétentionsdeladialectiqueplatonicienneàaccéderàdesvéritésabsolues.Protagorasl’affirmeainsi:«L’hommeestlamesuredetoutechose»,cequisignifiequelavéritédépenddelapositionoudel’intérêtdeceluioucellequil’énonce.

Foucault démontred’abordune chose : il n’existe pasune« essence » de la folie indépendante de ses conditionshistoriquesd’apparition.Bienplus, le«fou»n’apas toujoursété rejeté sous prétexte qu’il était considéré comme « malade

mental ». La représentation de la folie est une constructionculturelle, historiquement déterminée. Michel Foucault nousdélivred’uneformed’illusion,celleconsistantàcroiredans lavérité univoque des discours et des pratiques institutionnelles.La ligne de partage entre raison et folie varie ainsi dansl’Histoireetneselivrejamaispourcequ’elleest,àsavoirunemanière de définir l’humanité et de constituer un pouvoirnormatif. Ce que dit institutionnellement une société de laraison,delafolie,dudroit,delaliberté,necorrespondjamaisàcequ’ellefaiteffectivementdelaraison,delafolie,dudroitoude la liberté. Elle ne fait pas ce qu’elle dit là où l’on croitqu’elle le dit : dans les discours savants et humanistes desphilosophes,desmédecinsetdesjuristes.Endeçàdesbellesetnobles visibilités, Foucault nous plonge dans les sombresdébarras de l’Histoire. On découvre que le Moyen Âgen’excluait pas les fous qui jouissaient même d’une certaineliberté.Onleurprêtaitdespouvoirsvisionnaires,uneformede«transcendancedudélire».Ilsétaientparfoischassésdesvilles,mais « ils étaient admis dans le tissu de la société et de lapensée70 ». L’enfermement n’était alors absolument pasconsidérécommeunerègleallantdesoi,nipourpunirlesfous,ni pour les soigner. La rupture s’établit à partir de ce queFoucaultnomme«l’âgeclassique»,auxXVIIeetXVIIIesiècles.Apparaîtalorsprogressivementcetteséparationentre la raiso»etladéraison,etavecelleunedéfinitionnégativedelafoliequin’est plus un « pouvoir », certes incompréhensible et délirant,maisun«moins»d’humanité,undéficitderaison.AuMoyenÂge, les fous étaient appréhendés comme des êtres humainsentièrement extérieurs à la raison, ils étaient « auréolés d’unetranscendance imaginaire ». Durant la Renaissance, les fouschassés des villes et des villages sont représentés dans des

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qu’on pouvait être coupable et fou ; d’autant moins coupablequ’on était un peu fou ; coupable certes,mais à enfermer et àsoigner plutôt qu’à punir, coupable dangereux puisquemanifestementmalade84 ».Onpourrait évidemment endéduirequ’il s’agit là d’une preuve allant dans le sens d’unehumanisationprogressivedespeines.Aprèsl’abandon(heureux)delatortureet larationalisationdelasurveillance(àtraverslepanoptique), le temps de la prise en compte des facteurspsychologiquesayantaboutiaucrimepouvaitlégitimementfairepenseràunemeilleurehumanité.Lescentcinquanteannéesquiont suivi l’intégration des « circonstances atténuantes » ontmontréquela justiceet lamédecineontàlafois renforcé leurpouvoir réciproque sans régler le problème central de laresponsabilité. Foucault considère que c’est précisément leurindépendanceréciproquequiarenforcéleurpouvoir.

Nous pourrions aller plus loin : c’est parce qu’elles n’ontpas réglé le problème de la responsabilité en se renvoyant leproblème qu’elles ont pu exercer leur pouvoir et se renforcer.L’irresponsabilitésepayetoujours,l’inconséquenceaussi.

Les apories du matérialisme : une moralehorssoletsansciel

Le matérialisme est incapable de fonder la morale. Nonparcequesespartisansseraientnourrisdemauvaisesintentions,maisparcequesesmodesdereprésentationnesontpasadaptésà des évaluations indépendantes de l’ordre des choses. Toutjugementdefaitportesurcequiest,làoùunjugementdevaleurportesurcequidoitêtre.Or,évaluerentermesmoraux–c’est-à-dire considérer que ce qui arrive dans la société, ce que les

êtreshumainsproduisentcommeactivitésetcomportementsestplus ou moins « bien » – nécessite une grille d’évaluationdistinctedecellepermettantde lesexpliquer.Les tentativesdefondation matérialiste de la morale ne manquent pas, mais, àchaquefois,nousretrouvonslamêmedifficultéàdistinguercequirelèvedel’intérêtpuretsimple,souslaformedubien-être,dubonheuralorsforcémentréduitàsadimensionbiologiqueetphysique,etcequirelèveraitdelavaleuràproprementparler.

La philosophie desLumières a produit plusieurs tentativespourémanciperl’humanitédupoidsdelatradition,delanatureet de toute transcendance divine, en essayant de fonder lasciencepuislamoralesurdesnormesrationnellesetlibres.Cemouvement philosophique a malheureusement été dévoyé etcaricaturé au point d’engendrer des visions particulièrementréductricesdelamoralepuisdesombrerdanslenihilismeplusoumoins raffinéque l’onnoussertaujourd’huicommepreuvede « modernité », avec son impuissance à traiter de laresponsabilité.

L’exclusiondelatradition,delanatureetdelatranscendanceetl’émancipationdesLumières

Athéismeetrationalisme

Contrairement aux caricatures qui en sont faites, lesLumièresn’ontpasconfondul’athéismeaveclerationalisme.Legestephilosophiqueconsistantàdébarrasserlafacultédepenserdetouslespréjugés(dontlessuperstitions)quil’encombrentestdistinct de celui qui affirme l’inexistence, voire l’absurdité detoutecroyanceenl’existencedeDieuetdesforcesdel’esprit.

PierreBayle,rationalisteetcroyant,séparaitdéjàlafoidelaraison et défendait l’explication philosophique contre lessuperstitions qui accompagnèrent le passage d’une comète. Ilsoutient,danslesPenséesdiversessurlacomète(1682),quelesphénomènes naturels ne se produisent qu’en vertu de loisphysiques,tourneenridiculelessuperstitionssenourrissantdespeurs et de la religion, et réfute habilement l’argument dunombre,quin’estqu’uneversionde laconfusionentre faits etvaleurs.«Maisilneserapasinutiledefairevoirqu’encorequel’astrologiesoit laplusvainede toutes les impostures,ellen’apas laissé de s’établir dans le monde une espèce dedomination85. » L’argument principal des astrologues étant lenombre, parfois même la qualité d’esprit de ceux qu’ilsparviennentàconvaincre,ilimportederemarquerdeuxchoses:1) sur le fond, le fait d’être majoritaire ne prouve pas plusaujourd’hui qu’hier qu’on a raison, le fait d’être les moinsnombreuxàsoutenirunepositionneprouvepasqu’onatort,or,c’est bien la situation dans laquelle nous nous trouvonsaujourd’hui, minoritaires face à la déferlante idéologique dumatérialisme libéral ; 2) la réfutation des superstitions et ladéfensedurationalisme,etdoncdel’indépendancedelasciencepeutparfaitementvenird’unphilosopheparailleurscroyant,cequimontreàquelpointl’athéismen’estpasunegarantieensoiefficace contre lesmécanismes psychologiques à l’œuvre dansl’illusion.Lenombredeceuxqui suiventuneerreurnesuffirajamais à en faire une vérité. Les vertus de la démocratie nedoiventpasaveuglersursesfaiblesses.Ilnesuffitpasdefondertelleloi«sociétale»,telleréformejudiciairesurl’aménagementdespeinesparexemple,pourlesfonderenraison.

Mieux encore, Pierre Bayle montre que, trop souvent, laconduitedeschrétienseux-mêmesn’estpasdignedespréceptes

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IIILesensdelaresponsabilitéaujourd’hui

Qu’enest-ildelaresponsabilitéaujourd’huidanslasociétéfrançaise ? Les réformes pénales se heurtent à la relativeinefficacité de la prison. L’opposition idéologique entre lespartisans de la « répression » et ceux de la « prévention » acertespermisdefaireentendrelesintérêtsimmédiatsdesunsetdesautres,maislaquestioncentraledelaresponsabiliténeserapasrésoluetantqu’elleresteraunmotqualifiantunverdict,unecondition formellepermettant laprocédurepénale, le jugementetlapunitionlégale.Ditautrement:ilyapeudechancespourqueladélinquanceet lacriminalitésoient traitéesefficacementtant que les principaux concernés par la responsabilité nepourrontpaslavivrecommeuneépreuveetunetransformationréelle mais simplement comme un mot vide de sens, une« sentence » extérieure à eux-mêmes et dont ils n’éprouventl’importancequ’enfonctiondeladuréedelapeineinfligée.Leconceptderesponsabilitéalui-mêmeunehistoiredontils’agitde retracer (fût-ce rapidement) quelques grandes lignes pourcomprendre son évolution et la situation problématique danslaquelle nous sommes. Le silence assourdissant de toute unepartie de l’intelligentsia française concernant les causes dusentimentd’impunité,del’irresponsabilitépermetundiagnosticde l’urgence. Loin de prétendre achever le débat sur lesconditions de renaissance de l’esprit de responsabilité, lesdéveloppements qui suivent visent dans un premier temps àl’éclairer.

Le droit français et le concept deresponsabilité

Laresponsabilitédansledroitpénal

Deux conceptions se contredisent : considérer que lescondamnésdoiventexécuterleurpeinemalgréunverdicttenantcompte de leur moindre responsabilité, en espérant que lamédicalisation psychiatrique leur redonnera leur« responsabilité », ou considérer que le diagnosticd’irresponsabilité rend absurde toute forme de peined’emprisonnement et nécessite une logique de soin. Punir unmalade n’a pas plus de sens et de valeur que la maladie soitphysique ou mentale, à condition évidemment que le degréd’irresponsabilité soit confirmé. Il existe deux degrés dans leCode pénal : la responsabilité peut être « atténuée » si lacapacité de discernement du coupable a été « altérée », et laresponsabilité juridique est tout simplement impossible si lediscernement en question est « aboli » (art. 122-1). Dans cedernier cas, le préfet ordonne le plus souvent un « placementd’office » en milieu psychiatrique fermé. Il convient dedistinguercettemesuredecelleconcernantdes individus jugéset condamnés (pour lesquels une procédure pénale a bien étépossible),maisdontl’étatmentaletladangerositénécessitentàla fois des soins psychiatriques sans remettre en causel’emprisonnement.

N’est pas pénalement responsable la personne quiétait atteinte, au moment des faits, d’un troublepsychique ou neuropsychique ayant aboli sondiscernementoulecontrôledesesactes.Lapersonne

qui était atteinte, aumoment des faits, d’un troublepsychique ou neuropsychique ayant altéré sondiscernement ou entravé le contrôle de ses actesdemeure punissable. Toutefois, la juridiction tientcomptedecettecirconstance lorsqu’elledétermine lapeineetenfixe lerégime.Siestencourueunepeineprivativedeliberté,celle-ciestréduitedutiersou,encasdecrimepunide laréclusioncriminelleoude ladétentioncriminelleàperpétuité,estramenéeàtrenteans. La juridiction peut toutefois, par une décisionspécialement motivée en matière correctionnelle,déciderdenepasappliquercettediminutiondepeine.Lorsque, après avismédical, la juridiction considèrequelanaturedutroublelejustifie,elles’assurequelapeine prononcée permette que le condamné fassel’objetdesoinsadaptésàsonétat89.

Le droit prend en compte les critères qui atténuent ouéliminentpurementetsimplementlaresponsabilitédanslescassuivants:

– La contrainte d’une autorité : « N’est pas pénalementresponsable la personne qui a agi sous l’empire d’uneforce ou d’une contrainte à laquelle elle n’a purésister90»,

– l’erreurdejugementdebonnefoisurl’interprétationdecequiétaitlégalementautorisé:«N’estpaspénalementresponsable la personne qui justifie avoir cru, par uneerreursurledroitqu’ellen’étaitpasenmesured’éviter,pouvoirlégitimementaccomplirl’acte91.»

Lesarticles122-5,122-6et122-7définissentlesconditionsde légalité de la « légitime défense », en suivant toujours le

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déconstruction heideggérienne de la modernité. Touteconceptionmétaphysiqueestdésormaisbanniecommelapeste.Aujourd’hui, il convient d’aborder les problèmesphilosophiquesindépendammentdeleurhistoricitépropre,àlamanièredecequisefaitenmathématiques,afindeselibérerdupoids lourdingue de l’érudition et des querelles (il est vraiparfaitement vaines) des herméneutiques en mousse quicontinuent depolluer lemonde charmant et infiniment civiliséde l’université.Mais en jetant le bébé avec l’eau du bain, nosspécialistesdusaucissonnagedulangageontprislepouvoirdetelle sorte qu’ils imposent partout leur manière somme toutegrossière de faire de la philosophie. L’éthique minimaliste deRuwenOgien repose sur un principe extrêmement simple, quivient de son application du rasoir d’Occam. Éviter de nuire àautrui, renoncer à sanctionner les pseudo-crimes… sansvictimes, abandonner une fois pour toutes le recours à descritères « vaseux » pour juger les activités individuelles, enpremierlieulatropfameuse«dignitéhumaine».

Lecoupdeforceutilitariste

L’utilitarismeestunetraditionremontantàJohnStuartMill,dont la doctrine philosophique fait de « l’utilité » la valeurmoralelaplushauteet laplusdéterminante.Àlafoisprincipeexplicatif des conduites humaines et idéales à promouvoircomme étant plus authentique, plus « vrai » que les autresvaleurs,l’utilitéprétenddétrônerlajusticeetlebiencommelesidéesplatoniciennesdépassentlesillusionsdelacaverne.Touteautrerevendicationde«valeurs»moralesdevientipsofactounesorted’apparence,aupireunmensonge.

Ladoctrinequidonnecommefondementà lamorale

l’utilitéouleprincipeduplusgrandbonheuraffirmeque les actions sont bonnes ou mauvaises dans lamesure où elles tendent à accroître le bonheur, ou àproduire le contraire du bonheur. Par bonheur, onentendleplaisiretl’absencededouleur;parmalheur,ladouleuretlaprivationdeplaisir96.

Au-delà de son aspect provocant, une telle pensée viseévidemment juste dans les faits. Bien des prétendues actionshumainesnesontquedesmoyensdeparveniràdessatisfactionsindividuelles,etilestalorsbiendifficilededistinguerentrelesactions qui seraient entièrement égoïstes, car ne visant quel’intérêt de l’agent, celles qui le seraient partiellement, carvisantautantl’intérêtdel’agentqueceluideceuxauxquelssonactions’adresse,etcellesquineleseraientpasdutout,cequeJohn Stuart Mill considère comme impossible. Le contresensclassiqueconsiste àdéduire à tortque lamoraleutilitaristenevise que l’intérêt personnel. En réalité, rien n’interdit deconsidérer que les actions individuelles peuvent servir l’intérêtcommunsanstomberdansl’utilitarisme.D’ailleurs,uncandidatà une élection politique qui afficherait d’emblée qu’il ne visepas « l’intérêt » du peuple mais autre chose serait considérécomme un irresponsable et n’aurait aucune chance d’être élu.Maisens’enfermantdanssonréductionnisme,l’utilitarismeestdoublement fautif : 1) Il confond le droit et le fait. Dansl’absolu, ce n’est pas parce que dans les faits la plupart deshommes n’agiraient qu’en fonction de leurs intérêts que celaserait bien. Décrire la réalité humaine appartient aux scienceshumaines. Dire ce qu’il faut faire de ce que les scienceshumainesnousdévoilentdecequenoussommesappartientàlamorale. On peut ajouter des faits aux faits à l’infini, on nepourrajamaisendéduireuneprescriptionquelconque.2)Même

en restant sur le terrain des faits, le diagnostic est lui-mêmeparfaitementdiscutable.Unequantitéimpressionnanted’actionshumainesresteinintelligibleparlaseuleexplicationutilitariste,tout simplement parce que l’« intérêt », la « satisfaction », le«plaisir»sontdesnotionsquideviennentrelativesdèslorsquele sujet choisit le bien commun (et donc, en les suivant,l’«intérêt»,la«satisfaction»oule«plaisir»communs)plutôtquelesien.Desréalitéscommelesacrifice,l’héroïsme,lavertu,l’honneuretmêmelecouragesontautantdesintentionsquedesactesquipeuventdiviserl’individuauxprisesavecunecertaineidéequ’il se faitde lui-même,decequidonneunsensaufaitd’exister. Réduire un acte héroïque de résistant ou de soldatchoisissant le sacrifice de sa vie pour sauver l’humanité à unacte intéressé ne relève pas d’une démarche réaliste maisidéologique. Il est aisé de déceler la volonté de réduire, detraquerlatranscendancepourlafaireredescendreauniveaudesplaisirsetdespeinesbien terrestres.Leproblème,c’estquecegenredecoupdeforcen’expliquepasgrand-choseetnepermetpas de produire le moindre idéal servant à résister à lasouffrance,àguiderlesêtreshumainsverslesalutouàdéciderque le plaisir personnel « vaut moins » que l’intérêt de tous.Finalement,l’utilitarismelui-mêmenesertàrien.

Lessophismesduminimalismeéthique

Le minimalisme éthique est l’héritier contemporain del’utilitarisme. Le livre résumant cette doctrine (L’Éthiqueaujourd’hui. Maximalistes et minimalistes97) multiplie lesréférences élogieuses au maître. Partant d’une analyseapprofondiedesdifférentsmodèlesdemorale,RuwenOgienenrejette un bon nombre sous le prétexte que le maximalisme

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l’arraisonnement de la nature en totalité et de l’humanité elle-même à des fins de production et de loisirs. Le malentenduessentielrésidedanscequifondebiendesluttespourladéfensede l’environnement, à savoir une forme de refus éclairé desconséquences néfastes des excès de la technologie, avec enpremier lieu la pollution tous azimuts, la destruction desécosystèmespourbâtirdesaéroports,des templesgigantesquesde la consommation, des parcs d’attractions et des autoroutesultra-roulantes, pour former des super-conso-citoyens trèsmodernes,maisbon,soudainement«écoresponsables»,histoiredegagnerunsupplémentd’âmecommeongagnerait leparadisterrestreviaunerédemptionestampillée«républicaine».

Enréalité,biendesengagementsenfaveurdeladéfensedela nature sous toutes ses formes ne tiennent pas debout toutseulslongtempssansleurassocierunesortedepanthéismelaïc.La fin (provisoire ?) de l’utopie révolutionnaire a laissé unespaced’espérancevideque l’engagementécologisteabiendumalàremplir,fautedepouvoirunifierdesapprochesdifférentesdu problème, mais aussi et surtout faute de distinguer ce quirelèvedelamorale(l’éthiqueindividuelle)etcequirelèvedelapolitique (lebien commun).Enconfondant lesdeux, le risqueest de condamner moralement le productivisme sans pouvoirfonder cette critique sur autre chose que le bien-être pour lui-même,éventuellementlasanté,leconfortenvironnementaloulerespect pour les animaux… des injonctions impossibles àjustifiersansrecouriràcequienfaitdes«valeurs»,autrementdituneconceptionradicaleetspirituelledelaresponsabilité.

L’utilitarisme et l’animalisation del’humain

La responsabilité écologiste sans la transcendance relèved’une culpabilisation gratuite et mal fondée. C’est pourquoibiendesdéfenseursdecettenoblecausesontréduitsàinvoquerl’utilité matérielle comme seul motif objectif et indéfinimentdiscutablepourjustifierleurscritiquesdunucléaire,desOGM,de l’usage des pesticides, de la pêche industrielle ou de ladéforestation.Sansse référeràuneconceptiondubiencommeconfondu avec ce qui définirait ontologiquement l’hommecommeun«animalhumain»,illeurestimpossibledejustifierla défensede la cause animale commeappartenant à l’éthique.Or, tout le problème réside dans cette réduction a priori del’humanité à cequi ladéfinirait essentiellement commeespèceanimalemortelle pour laquelle tous les « idéaux » autres querelatifs aux intérêts matériels et vitaux de sa propre surviedeviendraient ipso facto secondairesou illusoires.Lavérité, lajustice et même la liberté quittent leur ciel intelligible pourdevenirdesvaleursaccessoires.L’hommeestuneespècevouéeànevouloirquecequi correspondà ses intérêts. Iln’estplusaprioridéfinicommevouéàl’infini,ilnedétientpluscettepartd’immortelquiledistingueprécisémentdecetteanimalitéquileconstitueaussi.

Nous sommesmême priés de nous plier à cette injonctiond’horizontalité, à abandonner toute transcendance et à noussatisfairedecetersatznéo-vitalistederesponsabilité.Comments’étonner du fait que les écologistes soient condamnés aurelativisme moral, à la division politique et aux égarementsidéologiques ? La nature n’a pas besoin de l’humanité pourexister ni pour se défendre, et c’est toujours pour défendrel’humanitéde l’hommequ’il est plusque jamaisnécessairededéfendre lanature,mais justement, cettehumanitéde l’hommecontientuneaspirationspirituellequ’ils’agiraitd’assumer.Carelleseuleestcapablededonnerunsensmoraletuneefficacité

politiqueàlaresponsabilitéécologique.

Pour une responsabilité écologistespirituelle

Il ne suffit pas de constater que la défense des peuplesdétruitsparlamodernitématérialisteatendanceàpataugerdansses insuffisances lorsqu’il s’agit de fonder une responsabilitéauthentique, comme en témoigne le contraste entre sonintransigeanceàl’égarddespollueursetsonlaxismeenverslesautresformesdecriminalité.

Ilfautcomprendrelaraisonessentielleetthéoriquedecetteinsuffisance. Quoi de commun entre défendre les espècesprotégées,lacouched’ozone,l’agriculture«bio»,luttercontrelavivisection,ladestructionindustrielledelaforêtamazonienneet la pêche industrielle dans l’océan, si ce n’est une forme de«droit»delanature?Enadmettantqu’untel«droit»existe,ilnepeutsefonder toutseul,saufàentrevoirquelaviepossèdeune valeur intrinsèque englobant les autres au point de lesrelativisertotalement:dérivevitalistedangereusepolitiquement.L’autreoptiqueconsisteàpenserquecettenaturetémoigned’unje-ne-sais-quoide«sacré»qu’ils’agitderespecterau-delàdenosintérêtsmatérielsimmédiats,sanssacrifierlesautresvaleursquesont la liberté, la justiceou lavérité,maisaucontraireenconsidérant que celles-ci nous renvoient à une responsabilitéoriginelle déterminant toutes les autres responsabilités qui laprésupposent.À quoi ressemble cette responsabilité écologistespiritualiste?Notonsqu’ilenexisteplusieursformes,quiontlemérited’aborder lanaturecommeune totalité sans laquelle teloutelcombatécologisteparaîtàlafoisisoléetmalfondé.Lesengagements spiritualistes et pacifistes de Gandhi mêlent le

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brillamment par Jankélévitch119. Il concerne des catégoriesd’actes et d’êtres qui par essence échappent à nosconsidérations. En limitant notre propos à ces actes fautifs(délits et crimes) qui rendent la sociabilité impossible, nousdescendons dans les profondeurs de l’esprit individuel parlequel la responsabilitévientaumonde,endeçàd’unevolontéclaire et distincte, et même d’une décision réfléchie etrationnelle.Sil’onintellectualisetropcemomentetcelieud’oùla responsabilité authentique peut naître, « l’involontaire » nepeut plus avoir de signification propre, ainsi que l’a montréRicœur,etl’onrendimpossiblel’exigencededemanderpardon,mêmesisonacten’apasétévolontaireetréfléchi120.Lesensdela responsabilité suppose un vrai courage qui naît peu à peu,dans le rapport au monde originel, non pas d’une manièreréfléchie, mais à travers le dépassement progressif d’infiniesdouleurs qui accompagnent toujours cet effort de devenir unautre,cetautrepoursoi,pourcetancien«soi»auteurdumalquel’onneveutplusêtre:encorefaut-il laisserletempsàcetindividunouveaudenaître,autravailderenaissancedesefaire,etainsidedemanderun«pardon»spirituellementfondé.C’estseulementàceprixquelaresponsabilitéauraunesignificationvécue.

Les conditions existentielles de laresponsabilité

Pour que la « responsabilité » aiteffectivement un sens, ilfaut qu’elle soit éprouvée comme une épreuve qui transformeréellement l’individu fautif. Faute de quoi, le coupable pourrabien supporter plus oumoins une « peine » sans ressentir de

responsabilité.L’individudontils’agitexisteetvitavantd’êtrecoupable,ilseconstitueuneidentitédansunrapportaumondeetauxautresdontilfaudrarepartirpourquerenaisseenluidequoi faire naître la nécessité existentielle, incontournable, detransformation.C’estàceniveauquesesituela«responsabilitéexistentielle » qui se vit non comme une sentence assénée enextériorité mais comme un projet d’être radical, spirituel etnouveau.Leterme«radical»signifie icioriginel.Avantmêmedecomprendredequoi il s’agit, il estnécessairedeprendre lamesureduparadoxeexistantaucœurmêmedelaresponsabilité.

L’intimitédelatâched’exister

La responsabilité ne résulte pas d’un processusd’individuationmais le conditionne. L’essentiel des problèmesphilosophiquesliésaufondementdelaresponsabilitéseheurteàl’incommensurabilitédesdeuxlignesdediscours(descriptifetprescriptif).Unteldualismeestnécessairetantquel’onnesaisitpas l’exigence prescriptive au travail dès l’effort d’exister.L’inachèvement ontologique de l’être humain s’éprouveoriginellement sur bien des modes accessibles à laphénoménologie,àlapsychologieetàl’économie.Laplupartdutemps, nous nous contentons de constater cette négativité, cemanqued’êtreenendécrivanttouslescontours,avantdepasserà laproblématique«pratique»de lamoraleetde l’action.Enréalité, la responsabilité apparaît dès lors qu’il s’agit de fairequelque chose du fait d’être là. Le langage, la perception, lesrelationsàautrui,toutescesconfigurationshumainessontcerteshéritéesculturellement,maismanifestentà leurmanièrecequenous avons nommé par ailleurs l’intimité de la tâched’exister121.

Il n’existe pas d’expérience universelle de lamatière,maispartout, lesêtreshumains fontuneexpériencede lanature.Laresponsabilité originelle qui conditionnera toutes les autresn’est donc pas relative à un calcul d’intérêts matériels mais àunerelationpremièredel’hommeaumondenaturel,etlaréalitédecetterelationestsimplementetessentiellementspirituelle.Lesenspremierde l’existences’éprouved’abordcommeexigencede sens. L’absence de sens est une épreuve qui n’est niextérieure, ni antérieure à l’exigence de faire exister ce sens.Avantmêmequelemondenesoittotaliséetpositionnécommetel (ce que les philosophes appellent la « thèse dumonde »),l’individuexpérimenteàtraversl’effortlecoefficientd’adversitédecemonde,d’oùunpositionnementaxiologiqueminimalquemême l’angoisse ne fait jamais disparaître. Poursuivrel’expérience du fait d’être-là devient le défi essentiel de cetteresponsabilité existentielle au travail. Une angoisse qui seprolonge,c’estunesouffrancequidure,etcetteduréeconstituel’unité qui la positionne comme totalité contrariée. Il est alorsfaux de considérer qu’il n’existe pas de « devoir envers soi-même » (comme le répètent les perroquets minimalistes),puisque le fait de choisir de prolonger la vie suppose uneévaluationetunereconstitutionpermanentedecetterelationtrèsconcrète au monde par laquelle le devoir-être nous constituedans la durée comme « individu » (éventuellement ensuitecomme«sujet»).L’intimitédelatâched’existerfaitapparaîtrecette responsabilité originelle et spirituelle à laquelle chaqueêtrehumainseréfère,danslaquellechaqueindividusereplongeà chaque fois que le fait d’exister pose problème. Parfois,l’existence pose problème pour des raisons heureuses, parfois,aucontraire,parcequelesimplefaitdecontinueràvivrenevapas de soi. Il faut renverser l’ordre habituel selon lequel lesphilosophesraisonnentenabordantlaquestionmorale,puisque

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Ricœuretl’éthiqueprotestantedelaresponsabilité,delacompréhensionetdupardon

VolontéetresponsabilitéL’identitécommeipséitéparl’exigencenarrativeLeproblèmedumaletlaresponsabilitéhumaineL’éthiquedel’amouretl’éthiquedumagistrat

Coranetsunna–SourcesdudogmeetLoienislam

IILareligion,ledroitetlaresponsabilitéUneinfluencechrétiennedéterminanteetsesmalentendus

Lesensprofondémentreligieuxdu«mariage»etlaconfusionactuellesurlalaïcisationdumariagecomme«contrat»LaresponsabilitéféministeLevraiféminismeendangerL’idéaldefidélitéDésirsexueletbesoindereproduction:uneconfusiondommageable

Letournantindividualistedela«responsabilité»moderneLecardinaldeCuseLaRéformeetlenouveausensdelaresponsabilitéLa«responsabilité»moderne,héritageducogitocartésienLaresponsabilitédansl’anciendroit.Positionduproblème

Lapsychiatrisationdelaresponsabilitéet«l’humanisationdespeines»parMichelFoucault

LarelativisationdesnormesdelafolieLagrandefablede«l’humanisationdespeines».Surveilleretpunir

Lesaporiesdumatérialisme:unemoralehorssoletsans

cielL’exclusiondelatradition,delanatureetdelatranscendanceetl’émancipationdesLumièresLadériveutilitaristedel’éthique

IIILesensdelaresponsabilitéaujourd’huiLedroitfrançaisetleconceptderesponsabilité

LaresponsabilitédansledroitpénalL’obstacleobjectifàlaresponsabilisation:lalourdeuradministrativeLecerclevicieuxdel’irresponsabilité

L’abandonphilosophiquedelaresponsabilitéL’engagementcontrel’absurdeL’insuffisancedumatérialismepourfonderlamoraleMinimalismeéthiqueetirresponsabilité

Laresponsabilitéécologique:unenjeuspirituelLerenouveauduconceptderesponsabilité:HansJonasL’échecdel’écologiematérialisteL’utilitarismeetl’animalisationdel’humainPouruneresponsabilitéécologistespirituelle

Laculturedel’excusecontemporainecommedégradationdupardon

Lanoblesseperduedu«respect»Lepardonauthentique,unactedecourageetdedignité

LesconditionsexistentiellesdelaresponsabilitéL’intimitédelatâched’existerLeparadoxeinévitabledelaresponsabilitéexistentielleLaculpabilitédebonneoudemauvaisefoiLesconditionsdelaresponsabilitéexistentielleauthentique

Lesconditionsdelarédemptionetdupardon

Conclusion

Bibliographie

Achevéd’imprimerparXXXXXX,enXXXXX2016N°d’imprimeur:

Dépôtlégal:XXXXXXX2016

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