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RÉUSSIR ENSEMBLE DES ENJEUX DANS LES MÉDIAS UNESCO N° 102 JUIN 1998 ATTENTION! LES ENFANTS REGARDENT

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RÉUSSIR ENSEMBLE DES ENJEUX DANS LES MÉDIAS

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ATTENTION! LES ENFANTS

REGARDENT

Ce mensuel, destiné à l’information, n’est pas undocument officiel de l’UNESCO.Tous les articles sont libres de droit. L’envoi à la rédaction d’unecopie de l’article reproduit serait apprécié. Les photos sans lesigne © sont disponibles gratuitement pour les médias sursimple demande adressée à la rédaction.ISSN 1014 5494

SOMMAIRE

UNESCOest un mensuel publié parl’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et laculture.Tél : (+33 01) 45 68 16 72 Fax : (+33 01) 45 68 56 54. Les éditions en anglais et en françaissont entièrement produites au Siège ; l’édition en espagnol avec le Centre UNESCO deCatalogne, Mallorca 285, 08037Barcelone, Espagne ; l’édition enchinois avec l’Agence Xinhua, 57Xuanwumen Xidajie, Beijing, Chine ;l’édition en portugais avec laCommission nationale pourl’UNESCO, Avenida Infante Santo N°42 - 5°, 1300 Lisbonne Portugal.

Directeur de la publication : R. Lefort. Rédaction en chef: S. Williams, C. Guttman. Secrétaire de rédaction: C. Mouillère. Rédactrices: N. Khouri-Dagher, C. L’Homme, A.-L. Martin. Version espagnole: L. García (Barcelone), L. Sampedro (Paris). Mise en page, illustrations,infographie: F. Ryan, G. Traiano. Photogravure dans les Ateliers de l’UNESCO.Impression: Maulde & Renou. Distribution par les Servicesspécialisés de l’UNESCO.

Sources UNESCO est accessible surinternet dans les rubriquesNouveautés ou Publications à notreadresse: http://www.unesco.org

POUR S’ABONNER : Journalistes,organisations internationales et nongouvernementales, associations et autresorganismes travaillant dans les domaines decompétence de l’UNESCO peuvent s’abonnergratuitement en écrivant à: SOURCES UNESCO, Abonnements, 7 place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP. Tél. (33 01) 45 68 16 72.Fax : (+33 01) 45 68 56 54.

UNESCO

MÉDIAS

Attention! Les enfantsregardentUne étude de l’UNESCO atteste que laviolence dans les médias favorise les comportements agressifs..........................................................4

ÉDUCATION

La volonté de réussirLes ministres africains de l’éducations’engagent avec pragmatisme en faveur d’uneéducation pour tous diversifiée et de qualité.......................................................10

EN BREFDes informations sur l’action de l’UNESCO à travers le monde ainsi que sur sespublications et matériels audiovisuels.......................................................16

ÉDUCATION

Ils décident, nous faisons ensembleDes villageois marocains, avec l’aide d’uneassociation, partagent des savoirs porteursde développement.......................................................20

BIOTECHNOLOGIES

Vers le meilleur des mondes? Axel Kahn, M. G. K. Menon et Jeremy Rifkindébattent.......................................................21

MÉDIAS

Place aux femmesDes professionnelles aspirent à de profondschangements quant à la place des femmesdans les médias.......................................................23

Un hérospour 88%des enfantsà travers lemonde.

510

78% desenfantsafricainssontinscritsdans leprimaire.

Mobilisés, motivés,solidaires.

20

Plantestrans-

géniques,encore

bien desinconnues.

21Photo de couverture: © Danger-Michaud.

● ÉDUCATIONL’AFRIQUEVEUTRÉUSSIR

● MAROC ILS DÉCIDENT,NOUS FAISONSENSEMBLE

●BIOTECHNOLOGIESTROIS EXPERTSDÉBATTENTDES ENJEUX

● MÉDITERRANÉEPLACE AUX FEMMESDANS LES MÉDIAS

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ATTENTION! LES ENFANTSREGARDENT

milliers de fois, exceptionnellementréussies, mais que leurs idoles sontparvenues à automatiser grâce à leursdons, leur intelligence et à force d’en-traînement.Ils sont tellement à la fête qu’ils nevoient pas les stades en état de siège,ne sont pas choqués par les déborde-ments de chauvinisme, n’entendentpas rugir le moteur de toute cette opé-ration: le tiroir-caisse. Les as du mar-

keting ont par exemplecalculé que le seulchiffre d’affaires desboissons et amuse-gueule consommés parles téléspectateurs pen-dant les matches avoi-sinent les 70 milliardsde dollars, soit peu ouprou le PNB duPortugal ou de laMalaisie.

«In» et «out», idoles et foules ano-nymes, rires et larmes, fêtes et fracas,rêves et cauchemars, fraternité et divi-sions, sport et industrie du spectacle,contraintes et libertés, médias demasse et argent en masse, en bref lemeilleur et le pire, mais décuplés parl’ampleur de l’événement; ainsi va pen-dant un mois la planète foot. Plus malou mieux que la même planète avantou après? Au fait, on peut toujoursfaire un vœu: que le meilleur gagne. Pasle plus puissant, celui qui laminerait sonadversaire, mais le plus fin,celui qui saurait s’en jouer.Comme dans un jeu...

René Lefort

La footballmania noussubmerge en ne nouslaissant d’autres choix

qu’entre l’engouement, la soumissionou la fuite.Entourage, collègues de travail, jour-naux et encore plus télévisions ne nousépargnent aucun détail. Les 64 matchesbien sûr, mais encore plus les avant-matches, depuis les spéculations sur lacomposition des équipes jusqu’à l’élon-gation de Durand et l’in-digestion de Dupont enpassant par le rôle de lapluie sur la mobilité deDuchnoc, et tout autantles commentaires d’après-match (pourquoi on agagné, pourquoi on aperdu, et l’élongation deDurant et l’indisgestionde Dupont, à moins quece ne soit devenu lecontraire...).Les footballophobes pestent mais rienn’y fait: point de salut hors du refugedans quelques bunkers insubmersibles,qu’il s’agisse du livre acheté l’annéedernière et qu’on n’avait jamais eu letemps d’ouvrir, d’une promenade dansles rues - si agréablement vides - pen-dant un match phare, ou du plaisir deretrouver d’autres footballophobesdécouvrant avec ravissement de nou-velles plages de libertés conquises surla footballmania déferlante.Les footballeurs encartés - 300 mil-lions dans le monde - les footballeursd’occasion et tous les amoureux dubeau geste sportif s’enivrent à la vuede ces actions qu’ils ont tentées des

ÉDITORIAL

LA PLANÈTE FOOT

“Ils sont tellement

à la fête qu’ils

n’entendent pas

rugir le moteur

de toute cette

opération: le

tiroir-caisse.

Géantes, elles nepouvaient être quegéantes, cesincarnations de tous lescontinents, lors de la fêted’ouverture de la Coupedu monde, le 9 juin 1998.

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Enfants et

adolescents

absorbent des

doses de plus en

plus massives

d’images

violentes.

ATTENTION! LESENFANTS REGARDENTPremière enquête internationale sur les enfants et la violence dans les médias,une étude de l’UNESCO confirme le rôle prépondérant de la télévision dans lavie quotidienne et son impact sur le développement des comportements agressifs.Comment responsabiliser les médias? Le débat est ouvert.

MÉDIAS

A quoi les enfants passent-ils lamajorité de leur temps libre?Réponse: à regarder la télévi-sion. Ce qui n’est guère sur-prenant, mais l’étude mon-

diale de l’UNESCO sur la violence dans lesmédias (voir encadré p. 5) - la plus grandeenquête interculturelle jamais menée sur lesujet - met en évidence des similitudes frap-pantes à propos de l’impact de la télévisiondans des contextes sociaux, économiques etculturels extrêmement différents.

L’étude confirme le rôle prépondérantde la télévision dans la vie quotidienne desenfants partout dans le monde, des milieuxrelativement paisibles du Canada aux quar-tiers à forte délinquance du Brésil, en pas-sant par des zones de conflits en Angola ouau Tadjikistan: 93% des écoliers des zonesurbaines ou rurales possédant l’électricitéont accès à la télévision et la regardent troisheures par jour en moyenne. Soit au mini-mum 50% de plus que le temps consacré auxactivités extra-scolaires, comme les devoirs,la lecture ou être avec des amis. On peutdonc en conclure que, en dehors des contactsdirects, la télévision représente la plus puis-sante source d’information et de divertisse-ment.

Avec la télévision et, plus récemment,les jeux vidéo, enfants et adolescents absor-bent des doses de plus en plus massivesd’images violentes. Dans beaucoup de pays,on en dénombre entre cinq et 10 par heure.La violence chez les jeunes étant égalementen augmentation, l’existence d’une corréla-tion entre les deux phénomènes semble plau-sible, même si on estime que les principalescauses du comportement agressif chez l’en-fant proviennent du milieu familial (et desconditions socio-économiques dans les-quelles ils grandissent).

Les médias jouent néanmoins un rôledéterminant dans le développement desorientations culturelles, des visions du mondeet des croyances. La plupart des études fontapparaître une relation interactive entre laviolence dans les médias et la violence«réelle». Ils peuvent donc contribuer au déve-loppement d’une culture agressive; les indi-vidus déjà agressifs se servent des médiaspour confirmer leurs croyances et attitudesqui, à leur tour, se trouvent renforcées parle contenu médiatique.

Pour cette étude, nous avons formulé la«théorie de la boussole»: en fonction d’ex-périences existantes, du contrôle social (oudu degré d’interdit) et du milieu culturel, lecontenu des médias offre un système de réfé-rence qui oriente le comportement d’un indi-vidu. Le téléspectateur ne va pas forcémentcopier ce qu’il observe, mais il mesure sonpropre comportement en fonction du reculqu’il a par rapport aux modèles médiatiquesperçus. Par exemple, si la cruauté est «cou-rante», donner un «simple» coup de pied àquelqu’un semble innocent dès lors que l’en-vironnement culturel n’a pas établi un sys-tème de référence alternatif.

IdentificationLes réponses à 60 questions types sur le

comportement à l’égard des médias, les habi-tudes, les préférences et le milieu social,montrent la fascination exercée par les hérosviolents, en particulier sur les garçons. Aupremier rang: Terminator avec ArnoldSchwarzenegger, que connaissent 88% desenfants interrogés, qu’ils soient indiens, bré-siliens ou japonais. En général, les garçonsont une préférence pour les héros de filmsd’action (30%) alors que les filles préfèrentles stars du showbiz. Suivant les régions, onobserve des différences: l’Asie vient en tête

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pour les héros de films d’action (34%),l’Afrique en dernier, l’Europe et le continentaméricain se situant au milieu (25%).

Le degré d’identification à ces héros parles enfants en situation difficile - que ce soitpour compenser ou fuir la réalité - est encoreplus parlant: 51% de ceux qui vivent dansdes situations de guerre ou de haute crimi-nalité aspirent à leur ressembler, contre 37%dans des environnements peu violents.

Un nombre important d’enfants (44%) deces deux groupes décrivent un fort recou-pement entre ce qu’ils perçoivent commeréalité et ce qu’ils voient à l’écran. Beaucoupd’enfants se trouvent dans un environne-ment où les expériences, tant «réelles» quemédiatiques, corroborent l’idée que la

5N° 102 - juin 1998

Une étudemondialeEntre 1996 et 1997,plus de 5.000 élèvesde 12 ans et de 23pays (Angola, Afriquedu Sud, Allemagne,Argentine, Arménie,Brésil, Canada, CostaRica, Croatie, Égypte,Espagne, Fidji, Inde,Japon, Maurice,Pays-Bas, Pérou,Philippines, Qatar,Tadjikistan, Togo,Trinidad-et-Tobago etUkraine) ontrépondu, pendant lescours, au mêmequestionnaire typecomportant 60questions. L’enquêten’a pas pu couvrir lesenfants nonscolarisés ou vivantdans des zonesreculées. Son objectif:comprendre le rôledes médias dans lavie des enfants, leurfascination pour laviolence dans lesmédias, les rapportsentre cette violenceet leur comportementagressif, mais aussiles différencesculturelles, cellesentre garçons etfilles concernantl’impact des médiassur l’agressivité,ainsi que l’influencedes contextesviolents(guerre/criminalité),d’une part, et duniveau dedéveloppementtechnologique,d’autre part, sur lafaçon de réagir aucontenu agressif desmédias. L’étude a étéréalisée sous ladirection duprofesseur Groebel.L’Organisationmondiale dumouvement scout aassumé le travail deterrain par le biais deson réseauinternational.

Terminator, le héros type.

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violence est naturelle. Près d’un tiers dugroupe vivant dans un environnement deforte agression pensent que la plupart desgens dans le monde sont mauvais, un senti-ment que renforce le contenu médiatique.

L’impact de la violence dans les médiaspeut s’expliquer par le fait qu’une conduiteagressive est plus facilement récompenséeque des façons plus conciliantes d’affronterla vie. On la présente souvent hors contextecomme gratuite, excitante et susceptible derésoudre les problèmes dans toutes sortes desituations.

Sensations fortesPour les enfants vivant dans un environ-

nement plus stable, la violence procure des«sensations fortes»: près de la moitié de ceuxqui préfèrent un contenu agressif (par rap-port aux 19% qui ont d’autres préférences)expriment le désir de se retrouver dans dessituations à risque. C’est particulièrementvrai pour les garçons, et cette tendance s’ac-centue d’autant que l’environnement tech-nologique est avancé.

Si la violence a toujours fait partie desfilms d’aventures et de suspense, ce qui poseproblème aujourd’hui, c’est sa prédominance,ses excès. De plus, avec l’introduction destrois dimensions (la réalité virtuelle) et de l’in-teractivité (les jeux vidéo et les multimé-dias), la représentation de la violence «semêle» de plus en plus à la réalité. La censuren’est pas une solution. Il faut plutôt déve-lopper chez les professionnels des médias descodes de conduite et d’auto-contrôle, etencourager un débat entre responsables poli-tiques, producteurs et enseignants pour trou-ver un terrain d’entente. Mais il faut surtoutdévelopper l’éducation aux médias pour for-mer des usagers éclairés. Autant de thèmesexplorés dans ce dossier. ●

Jo Groebel, professeur

à l’Université d’Utrecht (Pays-Bas)

«Télé-surveillance»: le débatCertains disent que c’est un débat d’une

complexité paralysante. Or «on vou-

drait tout régler d’un coup de baguette

magique, alors que 30 à 40 facteurs entrent

en jeu», constate Keith Spicer, spécialistedes médias et ancien président de la Com-mission canadienne de la radiotélévision etdes télécommunications.

Depuis l’adoption en 1989 de la Conven-tion des Nations Unies sur les droits de l’en-fant, la révolution numérique a intensifié ledébat. En 1995, Anna Home (alors directricedes programmes pour enfants de la BBC)

présentait la Charte de la télévision pourenfants au Sommet mondial sur les enfantset la télévision (Melbourne, Australie). Cadrede référence pour de nombreux pays, cettecharte stipule que les enfants doivent avoir desémissions de bonne qualité et qui ne les exploi-tent pas. Dès la mi-1996, la Communauté despays en développement d’Afrique australes’engageait à la respecter; peu après, lesministres et professionnels des médias de 16pays asiatiques signaient à Manille (Philip-pines) une déclaration sur les droits de l’en-fant et les médias. Et l’an dernier se tenait à

6 juin 1998 - N° 102

Accra (Ghana) le premier sommet panafri-cain sur la radiotélévision pour enfants.

Ces 10 dernières années, le débat s’estrévélé particulièrement intense au Canada.Il a encore été avivé en 1992 avec la pétitionlancée par Virginie Larivière, 14 ans, contrela violence à la télévision, qui a recueilli 1,5million de signatures, parmi lesquelles cellesdu Premier ministre de l’époque, Brian Mul-roney. La jeune fille était convaincue quecette violence était responsable de l’agres-sion, du viol et du meurtre de sa sœur de 11ans. «Son initiative a été déterminante pour

l’éducation du public, estime Keith Spicer.Elle a renforcé notre position face à l’in-

dustrie des médias en nous permettant de

montrer qu’un débat s’imposait.»Cette mobilisation a conduit à la créa-

tion du Groupe d’action contre la violence àla télévision qui a émis une déclaration géné-rale de principes à laquelle doivent adhérertous les secteurs concernés de cette indus-trie. Autres conséquences: le développementà grande échelle de l’éducation aux médiaset le soutien à l’invention de la puce «V-chip»,

aujourd’hui fabriquée et distribuée. Cettemicropuce peut être incorporée à un télévi-seur câblé ou muni d’un décodeur. On peut laprogrammer de façon à bloquer la diffusiond’une émission si celle-ci dépasse les niveauxde classification jugés acceptables. Parexemple, si le téléspectateur choisit le niveau3, les émissions qui le dépassent n’apparaîtrontpas à l’écran. Cette puce équipe déjà tous lesnouveaux récepteurs américains. L’an der-nier, le Parlement européen a présenté unamendement obligeant les fabricants à enfaire autant, mais la proposition a été écartéeen attendant des études supplémentaires.

Alors qu’en Europe, l’industrie des médiascrie à la censure, l’Américain George Gerbnerde l’Université Temple de Philadelphie affirmeque, loin d’être une entrave, la puce lui sertde couverture. «C’est comme si les grands pol-

lueurs disaient: ‘Nous allons continuer, voire

intensifier nos rejets rentables dans l’envi-

ronnement culturel commun, mais ne vous

inquiétez pas, nous vous vendrons des

masques à gaz pour protéger vos enfants et

garantir le libre choix!’ Le cynisme du pro-

cédé mis à part, tout prouve que très peu de

parents connaissent l’existence de la puce ou

l’utilisent.»

IngérencePour Choy Arnaldo, de la division de la

communication à l’UNESCO, la «V-chip»constitue une ingérence dans l’espace privé.«Elle se substitue aux parents. De toute

façon, un enfant de 12 ans trouvera vite le

moyen de la reprogrammer ou de l’enlever.

Ce n’est pas la bonne solution. Les puces

n’élèvent pas les enfants.»Malgré ces critiques, la «V-chip» a au moins

le mérite de stimuler le débat sur le contrôledes informations sujettes à caution. SelonLuis Albornoz, de l’Université de Buenos Aires,l’arrivée de la puce a incité l’an dernier leschaînes privées à ne plus diffuser les bandes-annonces de films violents aux heures où lesenfants sont susceptibles de regarder la télé-vision (8h-22h). Les stations de l’Associationargentine de radiotélévision ont aussi adoptéun système de classification pour les filmsdiffusés hors de ces horaires. «Mais rien ne

prouve qu’il parviendra à changer une réa-

lité télévisuelle où priment l’audimat et le

manque de sens des responsabilités, et où les

produits audiovisuels apparaissent comme

de simples techniques de marketing pour

vendre d’autres produits et non comme des

atouts culturels qui peuvent et doivent être

mis au service de nos enfants.»Interrogé à propos d’une série américaine

pour enfants très controversée, Barry Stagg,du Réseau d’émissions pour enfants de la Foxse défend: «Nous avons conçu des héros

repoussants et totalement imaginaires. Cer-

tainement pas pour encourager dans la réa-

lité des combats au corps à corps. C’est aux

parents d’expliquer aux enfants que les

93% des écoliers ontaccès à la télévision,même dans lesquartiers défavorisés,comme ceux de Plovdiv(Bulgarie).

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Éduquer les enfants à déchiffrer l’image

comportements dans un monde imaginaire

ne doivent pas être reproduits dans la réalité.»Pour Anna Home, directrice de la Fon-

dation du film et de la télévision pour enfant,qui présidait le deuxième sommet mondialsur ce thème (Londres, mars 1998), les pro-ducteurs d’émissions pour enfants sontdavantage conscients de leurs responsabili-tés depuis le sommet de 1995, au point quele débat n’est plus axé sur la violence maissur la nécessité de produire des émissions dequalité. «Outre les tranches horaires réser-

vées aux jeunes, les diffuseurs doivent satis-

faire des goûts très éclectiques et il y a une

limite à ce qu’ils peuvent assumer.»Comme le rappelle Choy Arnaldo, l’in-

dustrie des médias participe au débat, «mais

ce n’est pas facile d’instaurer le dialogue:

il est difficile à un groupe d’enseignants ou

de parents de rencontrer Rupert Murdoch

ou n’importe quel autre gros distributeur.»

Les recherches montrent que, de Tokyoà Londres, les enfants regardent la télévi-sion avant et après leur tranche horaire (ceque les professionnels appellent le «water-shed», littéralement la ligne de partage deseaux). D’après une étude japonaise, lesadultes s’inquiètent des vidéos pour adultesregardées par leurs enfants, mais les lais-sent faire. En Grande-Bretagne, une enquêtemontre que la plupart des enfants visionnentdes programmes auxquels légalement ils nedevraient pas avoir accès, et que le «water-shed» est largement ignoré.

La technologie numérique a mis sur lemarché une profusion d’émissions par câbleet satellite. D’après Anna Home, ce phéno-mène rend toute réglementation impossible.Et l’autorégulation? «En l’absence de sanc-

tion, l’infraction généralisée est la règle,

TOUT SUR LA VIOLENCEÀ L’ÉCRANL’UNESCO a mis enplace en 1977 le Centreinternational d’échangeet d’information surl’enfant et la violence àl’écran, en coopérationavec le Centre dedocumentation nordiquesur les recherches encommunication et lacommission nationalesuédoise pourl’UNESCO. Basé à Göteborg, il apour mission - dansl’esprit de la Conventiondes Nations Unies surles droits de l’enfant -de rassembler,d’analyser et de diffuserdes informations sur lesenfants, les jeunes et laviolence dans lesmédias. Il met à la dispositiondes utilisateurs dumonde entier desdonnées sur ce thèmeet publie un «livreannuel» contenant desarticles scientifiques etdes résumés sur lesrecherches en cours.

non l’exception», déplore George Gerbner.Pour Nils Gunnar Nilsson, membre duConseil exécutif de l’UNESCO, «l’une des

astuces les plus habiles consiste à créer de

la violence, car ses images fascinent, voire

nous tiennent prisonniers. Réaliser des

émissions d’humour, par exemple, exige

beaucoup plus de travail et de créativité. Les

effets spéciaux véhiculent aussi la violence.

Pour utiliser ces merveilleux instruments

avec plus d’inventivité, il faut de l’argent

et une attitude entièrement différente».«La télévision a son talon d’Achille: elle

est financée par la publicité, poursuit-il. Si

nous, consommateurs, décidons de zapper

parce que telle chaîne n’est pas en accord

avec nos idées, médias et annonceurs sont

sensibles à ce type de boycott. Comme ils veu-

lent paraître sympathiques et instructifs, le

pire pour eux est d’avoir une mauvaise

image. C’est le seul pouvoir réel du consom-

mateur. Si l’on joue sur le même terrain

que les chaînes commerciales, on pourra

marquer des points.» ●

Ann-Louise Martin

Impossible d’interdire la violence dans lesmédias : le contrôle et la censure, la signa-

létique ou les boîtes codifiées, reviendraientà créer l’effet inverse de celui recherché.Toute interdiction est faite pour être détour-née, transgressée. Restent donc desméthodes d’éducation du public, en tenantcompte du fait que la violence a toujours étéau centre de la communication humaine.

Éduquer les enfants, c’est leur «apprendreà lire les images et pour cela en fabriquer»,selon le psychologue français Serge Tisseron.C’est surtout les encourager à une grande exi-gence envers les médias, «à leur apprendre

à se servir des outils critiques en les accom-

pagnant», comme le signalait ElisabethAuclaire, présidente du GRREM (groupe de

recherche sur la relation enfants/médias)lors du Forum international sur les jeunes etles médias, demain, organisé par le GRREMet l’UNESCO en avril 1997, à Paris. Ils aurontainsi la capacité de prendre le recul néces-saire et éviteront l’assujetissement à l’image.Celui qui a poussé 29 jeunes Américains,âgés de 8 à 13 ans, à se tirer une balle dansla tête après avoir vu une séance de rouletterusse dans Voyage au bout de l’enfer. Maisce n’est pas tout: les gamins devront aussiapprendre à ne pas accepter ce que le socio-logue français Jean-Louis Missika appelle«côtoyer, voire légitimer» l’exhibition com-plaisante de la violence qui peut conduire àsa banalisation. Que ce soit à travers des fic-tions ou des dessins animés japonais par

En l’absence de

sanction,

l’infraction

généralisée est

la règle, non

l’exception.

La violence dans les programmestélévisés américains

Source : Yearbook from theUNESCO Clearinghouse onChildren and violence on thescreen

61%

75%

40%

58%

73%

37%

Pourcentaged’émissions avec

un contenu violent

Pourcentagedes scènes où la

violence resteimpunie

Pourcentage desagresseurs

présentés de façonsympathique

PERSONNAGES VIOLENTS

SCÈNES VIOLENTES

94/95 96/97

ÉMISSIONS VIOLENTES

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exemple. Mais aussi des émissions qui valo-risent la violence: comme «Crime time, primetime», l’une des plus regardées aux États-Unis, qui, en 1993 invitait Jeffrey Dahmer,assassin de 17 jeunes noirs (dont il avait dis-sout les cadavres dans des bacs d’acide). Ily parlait de sa rencontre avec Dieu, lors deson séjour en prison, de ses pulsions suici-daires et finissait par donner l’image d’unbrave jeune homme un peu perdu, presqu’unhéros. Les répercussions de ce type deshows? Dans la rubrique des faits divers,quelque temps après, on découvrait l’his-toire d’un garçon de 16 ans, inculpé demeurtre pour avoir éventré une fillette de 5ans. Il admirait Jeffrey Dahmer...

Il importe de savoir ce que les enfantsfont des médias, et non ce que les médiassont supposés leur faire. Les émissions deparapsychologie, par exemple, donnent l’illu-sion que cela existe ou peut exister. Il ne s’agitpas de la peur du fantôme, dont on sait qu’iln’existe pas, mais d’événements et de situa-tions qui sèment le doute: «donner à voir à

nos enfants ces images sans leur donner de

quoi les contrebalancer, peut être une porte

ouverte aux sectes», s’inquiète ElisabethAuclaire. De la même manière, la guerre duGolfe a été présentée comme s’il s’agissaitd’un jeu vidéo. Hors contexte, sans expli-cation. «Les gamins s’émerveillaient devant

la précision des tirs, l’absence de buts ratés,

il fallait leur expliquer qu’il y avait des

gens derrière, pas forcément des affreux-

méchants, et que ce n’était pas un jeu.»

Développer l’esprit critiqueLa méthode d’éducation par éveil à l’es-

prit critique, commence à être intégrée dansles programmes scolaires. Mais elle n’estpas toujours bien reçue, comme en Argen-tine, dans les années 80, où les professeursn’étaient pas assez préparés: nombreuxvoyaient dans les médias une influence per-nicieuse contre laquelle il fallait protégerles enfants. En France, l’association APTE(Audiovisuel pour tous dans l’éducation)propose de former les enfants, de la mater-nelle au lycée, à cette approche de l’imagequi leur permettra de comprendre laconstruction du sens de l’image, sa repré-sentation du réel. Plus tard, «la prise de

conscience chez ces enfants, leur donne

envie de partager leur nouveaux savoirs»avec les adultes, comme l’explique Domi-nik Picout de cette association.

Au Portugal, les médias étaient souventutilisés comme «moyens auxiliaires de l’ac-

tion pédagogique», selon Manuel Pinto etSara Pereira de l’Institut d’Études de l’En-fant (Université de Minho). Aujourd’hui, lesobjectifs ont changé: on s’oriente plutôt versla compréhension du système social desmédias en promouvant chez les enfants desattitudes critiques et exigeantes du point devue socio-moral et esthétique. Il s’agit decréer des opportunités et des outils d’ana-lyse des produits médiatiques en tant quemiroirs et agents constructeurs de la viesociale, de permettre la création de médias,grâce à des ateliers, propres aux enfants. EnEspagne, on appelle cela «développer chez

les téléspectateurs la compétence télévi-

suelle», comme l’expliquait J.M. Pérez Tor-nero, auteur du livre Le défi éducatif de la

télévision. Contrairement à la lecture ou àl’écriture qui s’acquièrent à force de pra-tique, le fait de regarder la télévision neconfère pas une expérience et le spectateurne sera pas pour autant capable d’interpré-ter ses messages et techniques de manièreplus acérée. «Éduquer le téléspectateur, c’est

le rendre actif», concluait José Ignacio Agua-ded Gomez, du groupe pédagogique andalou«Presse et éducation» à l’Université deHuelva, ce qui veut dire «qu’il saura voir,

mais aussi utiliser ce langage pour expri-

mer ses propres émotions et découvrir les

Expliquer aux enfantsque ce n’est pas un jeu.

Les gamins s’émerveillaient

devant la précision des tirs.

Il fallait leur expliquer qu’il

y avait des gens derrière.

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La Convention sur le droit de l’enfant nes’adresse pas qu’aux gouvernements: cer-

taines de ses dispositions s’appliquent éga-lement aux professionnels des médias,comme l’article 13 qui stipule que «l’enfant

a droit à la liberté d’expression. Ce droit

comprend la liberté de rechercher, de rece-

voir et de répandre des informations et des

idées de toute espèce, sans considération de

frontières»; ou l’article 17 dans lequel lesÉtats parties «encouragent les médias à dif-

fuser une information et des matériels qui

présentent une utilité sociale et culturelle

pour l’enfant».Voici quelques exemples sur la façon dont

certaines organisations professionnelles àtravers le monde contribuent concrètementà l’éducation aux médias.

À l’échelle mondiale: la Journée interna-tionale de la radio et de la télévision en faveurdes enfants (14 décembre), organisée parl’UNICEF. Plus de 2.000 professionnels de 170pays y participent. Beaucoup apprennentaux enfants à produire leurs propres émis-sions et réaliser des documentaires sur lesviolations des droits de l’enfant. Un «EmmyAward» international récompense le pro-fessionnel dont la contribution à cette jour-née a été jugée la plus exceptionnelle.

Argentine: avec une subvention de départde 10.000 dollars de l’UNESCO il y a 10 ans,le Centre de coordination pour le journa-lisme, la communication et l’éducation a

mécanismes du langage audiovisuel». Lesenfants pourront ainsi devenir «des usagers

informés des médias et contribuer d’une

manière positive au développement de la

vie démocratique», selon Choy Arnaldo, dela division de la communication àl’UNESCO.

Mais attention, «il faut éviter d’écœurer

les enfants», lance Elisabeth Auclaire, etpour cela poser la question à l’envers: quelrôle positif pourraient avoir les médias dansla formation des enfants? Les Brésiliens ontréalisé, lors d’une expérience pilote, que ladistance, l’analyse et la réflexion avaientété perçus comme «très importants» par lesjeunes pour leur formation. Ils y avaientdavantage compris leur propres rapports àla violence présente dans les messages télé-visuels et pris conscience de ce que MariaLuiza Belloni de l’Université fédérale deSanta Catarina appelle «la contradiction

entre leur goût pour ces messages et leur

condamnation rationnelle de la violence

réelle». Le sens critique étant encore plusaccentué chez les jeunes défavorisés qui, dit-elle, se «méfient par principe de ce que dit

la télévision».Autre stratégie: le débat public. C’est

l’idée défendue par le cinéaste BertrandTavernier, au moment de la diffusion à latélévision française, en mars 1998, de son filmL’Appât, un film d’une rare violence, l’histoirede trois jeunes qui deviennent des assassins.Il soutenait que la fiction peut avoir unevaleur pédagogique, surtout si elle est enca-drée d’une discussion, d’un débat. Cela sup-pose que les médias soient aussi «éduqués»pour permettre une meilleure interaction.Que les responsables des chaînes de télévi-sion acceptent de se remettre en cause etd’orienter les tendances en fonction de l’ana-lyse des besoins. Qu’ils s’éloignent de lacourse à l’audimat et retrouvent leur rôleessentiel au sein de la société: celui de «mes-

sagers». ●Cristina L’Homme

L’éducation aux médias en pratique

organisé plus de 300 ateliers dans 200 écolessur les techniques journalistiques. Travaillanten coopération avec le conseil municipal deBuenos Aires, le centre s’adresse en prioritéaux écoles des zones défavorisées. Plu-sieurs milliers de jeunes savent aujourd’huiécrire des articles, réaliser une émissionde radio ou de télévision et tourner unevidéo.

Brésil: le Programme d’éducation du télé-spectateur propose aux enseignants desmatériels permettant aux jeunes de 10 à 16ans d’analyser la télévision et ses messages.Le projet est géré par l’Université du Brésilet le Centre international de l’enfance et dela famille. Les élèves lisent les textes etvisionnent les vidéos contenus dans des kitspédagogiques qu’ils commentent ensuitesous forme de poèmes ou de pièces dethéâtre. Les premiers kits, produits en 1992,ont eu un tel succès qu’ils ont été rééditésen 1995.

Sénégal: Radio Gune-Yi (jeunesse enwolof) produit une émission hebdomadairede 50 mn réalisée par les enfants pour lesenfants. La radio nationale la diffuse tousles samedis. Enregistrée dans des villagesdu pays, elle comporte une séquence «Jeunereporter» où un enfant fait un reportage surson village. Dans une autre séquence«Écoute-moi, j’ai mon mot à dire», un jeuneadresse un message aux parents, enseignantsou politiciens. ●

10 juin 1998 - N° 102

démographique. «Un tiers des pays afri-

cains ne peuvent accueillir tous les enfants

scolarisables, et entre 1985 et 1995 les taux

de scolarisation dans le primaire ont chuté

dans 17 pays», s’inquiète Elena Makonnen,experte à la Commission économique pourl’Afrique. Au Cameroun, la crise économiqueet l’ajustement structurel ont fait chuter lestaux de scolarisation de 101% (1) à 87% entre1992 et 1994. En Ouganda, seuls 2,7 des 4,5millions d’enfants scolarisables vont à l’école.«Au Libéria, les enfants ont été privés d’école

Un vent nouveau souffle surl’Afrique. Après les discoursalarmistes des années 80,l’heure est au pragmatisme età l’action - forme la plus accom-

plie de l’optimisme. Il a marqué la septièmeConférence des ministres de l’éducation desÉtats membres africains (MINEDAF VII),qui s’est tenue à Durban (Afrique du Sud) du21 au 24 avril: les 53 pays africains ont«dépassé les traditionnelles lamentations

budgétaires», comme le souligne le rapportde la rencontre, pour mettre l’accent sur lesacquis et les réalisations possibles avec lesmoyens existants.

En 1991 à Dakar, MINEDAF VI stigmati-sait encore la «crise multiforme», le «poids

de la dette», la «situation préoccupante» del’enseignement. Mais MINEDAF VII parle de«tournant crucial de l’histoire», de «renais-

sance africaine», et affirme que «des pro-

blèmes difficiles peuvent être surmontés».La situation n’a pourtant pas radicale-

ment évolué en sept ans. Mais le change-ment de perspective est total: les Africainsveulent voir aujourd’hui leur verre à moitiéplein. Le document officiel de la conférence vamême jusqu’à souligner les «efforts très

louables consentis (...) depuis MINEDAF I en

1961 et surtout depuis Jomtien» (Conférencemondiale sur l’éducation pour tous, 1990).

Il est vrai que le déclin des taux de sco-larisation des années 80 s’est inversé dansde nombreux pays: 78% des enfants sontaujourd’hui inscrits dans le primaire, et cetaux dépasse 90% dans un tiers des pays.«Ces dernières années, huit pays ont réussi

à faire entrer presque tous les enfants à

l’école primaire, y compris des pays pauvres

comme le Malawi», remarque Fay Chung,responsable de l’éducation à l’UNICEF. Lesprogrès dans l’enseignement secondaire sontremarquables, avec 32% d’enfants inscrits.Quant à l’enseignement supérieur, le nombred’étudiants est passé de 1,5 million en 1980à quatre millions en 1995.

Les difficultés pourtant demeurent,notamment à cause de la très forte poussée

LA VOLONTÉ DE RÉUSSIR

ÉDUCATION

Réunis à Durban, les ministres de l’éducation des pays africains veulent adopter une vision pragmatique et positivedes réalisations possibles avec les moyens disponibles.

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La pauvreté n’a jamaisempêché la soif

d’apprendre.

pendant sept ans à cause de la guerre, et le

taux de scolarisation est inférieur à 50%»,explique la ministre de l’éducation, EvelynKandakai. Souvent, les enfants doivent faireplusieurs kilomètres pour aller à l’école, et«certains passent la journée sans prendre

de repas», s’inquiète un professeur ougandais.En outre, conséquence de classes surchar-gées et de matériels pédagogiques man-quants, le taux de redoublement est inquié-tant, oscillant en moyenne de 15% à 20% dansle primaire, et atteignant un tiers des ins-crits au Congo, au Mali, au Tchad ou en Mau-ritanie. Enfin, l’environnement social desenfants demeure marqué par un fort anal-phabétisme qui touche 33% des hommes et54% des femmes.

Pour faire face à ces défis, les pays afri-cains ont lancé ces dernières années de nom-breuses initiatives. Les efforts pour rendrel’éducation plus pertinente par rapport à lavie concrète des élèves se multiplient. Leslangues locales sont de plus en plus utili-sées, notamment pour scolariser les jeunesenfants en zone rurale, comme au Mali ou enCôte d’Ivoire. En Angola, elles sont utiliséesdepuis trois ans, et «les résultats sont extra-

ordinaires», selon le ministre de l’éduca-tion Antonio da Silva. Plus globalement, l’afri-canisation touche les contenus, dans lenouvel élan identitaire que vit l’Afrique. Parailleurs, les «savoir-faire et compétences

utiles», telles que la prévention contre lesida et les grossesses précoces, ou les gestesde protection de l’environnement, de plusen plus considérés comme nécessaires, ren-forcent le lien entre l’école et le milieu oùbaigne l’enfant.

Fossé sexisteEnfin, un effort a été fait pour attirer

davantage de filles à l’école, sous l’impul-sion constante de l’UNESCO dont c’estdepuis longtemps une priorité, notammentpar le recrutement d’enseignantes. Près d’unenseignant sur deux est désormais unefemme dans le primaire, et plus d’un sur troisdans le secondaire. «Nous savons que les

parents hésitent à envoyer leurs filles à

l’école quand il y a peu de femmes ensei-

gnantes», explique Aline Bory-Adams, del’UNICEF. À l’école primaire, les filles repré-sentent 45% des inscrits, et dans le secondaireelles ont fait une percée: 38% des élèves,contre 27% en 1988. «Mais malgré les lois,

il y a encore un fossé sexiste à cause de notre

culture, reconnaît Francis Babu, ministre del’éducation de l’Ouganda. Moi-même, j’ai

été élevé dans une culture où les garçons

n’étaient pas admis dans la cuisine.»Si l’«éducation pour tous» demeure l’ob-

jectif pour le long terme, l’heure est aux poli-tiques ciblant des priorités - les enfantsruraux, les filles, la pertinence des pro-grammes - pour obtenir des résultats limitésmais concrets. Une raison de ce pragmatisme

est qu’aujourd’hui les Africains veulent «se

débrouiller seuls», comme l’affirme le rap-port de la rencontre. Il s’agit de «briser le

cercle de la dépendance», notamment finan-cière, d’où la recherche d’innovations péda-gogiques peu coûteuses, comme l’ouvertureaux systèmes éducatifs alternatifs, ou la quêtede nouvelles stratégies de financement.

Ce pragmatisme reflète aussi un chan-gement des élites. «Aujourd’hui en Afrique,

les ministres de l’éducation ne sont pas des

politiques: ce sont des professionnels. Beau-

coup sont professeurs eux-mêmes, expliqueMuhammad Musa, responsable de l’Afriqueau secteur éducation de l’UNESCO. Ils ont

assisté à toutes les sessions, ils ont discuté

et ont rejoint l’aéroport après la conférence,

sans s’arrêter pour faire du shopping ou du

tourisme: du jamais vu!». Près de 40 ans après les indépendances,

l’Afrique dispose des responsables, desexperts, d’hommes et de femmes éduqués quiveulent concrétiser les ambitions passées.Significativement, la conférence n’a pasdonné lieu aux classiques «recommanda-

tions», mais à un «engagement commun»,dont le style et le ton, court, proche du lan-gage parlé, et volontariste, tranchent avec lesconclusions souvent lénifiantes de ce type derencontres. Le continent entier semble aussigalvanisé par la révolution démocratique de1994 en Afrique du Sud, dernière lutte de libé-ration du continent, et qui n’a pas fortuitementété choisie comme lieu de la conférence.

Les chiffres et les indicateurs africainsn’ont pas été bouleversés en quelques années.Mais la volonté de changement n’a jamais étési manifeste. Comme l’exprimait Ahmed Hag-gag, représentant de l’OUA, l’Afrique vitaujourd’hui sa «deuxième lutte de libéra-

tion, contre l’ignorance et l’analphabé-

tisme». ●Nadia Khouri-Dagher

et Kathy Moloney à Durban

11N° 102 - juin 1998

(1) Le taux de scolarisation, qui mesure le nombred’élèves inscrits par rapport au nombre d’enfantsappartenant à la classe d’âge à laquelle le cycleéducatif est destiné, peut dépasser 100% quand desélèves n’appartenant plus ou pas encore à cette classed’âge sont dans le cycle.

NOUVELLE VISION«Nous, ministres del’éducation des Étatsmembres africains,réunis par l’UNESCOdans une Afrique du Sudlibre et démocratique,

sommes conscients depouvoir réaliserensemble bien deschoses que noussommes incapablesd’accomplir seuls...,

sommes déterminés àatteindre les groupesdéfavorisés enconcevant pour eux dessystèmes d’éducationformelle, non formelle età distance.

Sachant que l’éducationdoit être la préoc-cupation de l’ensemblede la société, nousreconnaissons le rôlecrucial joué par laparticipationcommunautaire.

Nous encourageons leretour dans nos pays descompétences et desressources financièresde nos concitoyens quisont dispersés à traversle monde.»

Extraits de la déclarationd’engagement de Durban.

Pourcentage d’enfants scolarisésdans le primaire (1995)

31%

96%

24% 25%

40%

60% 61%

48%

Burkina-Faso

Afriquedu Sud

Éthiopie

Mali Mozambique Nigéria

Rép. Dem.du Congo

Tanzanie

Pays de plus de 10 mil l ionsd’habitants pour lesquels lesdonnées sont disponibles.

Source: Rapport mondial sur l’éducation 1998, UNESCO

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”“On ne peut

attendre des

gouvernements

qu’ils prennent

en charge les

besoins

éducatifs de

tous.

12 juin 1998 - N° 102

Finances: veut mieux faireL’environnement financier est aujour-

d’hui une donnée relativement fixe. Il

s’agit essentiellement de la gérer mieux».C’est dans leur approche de la question finan-cière - la racine du problème - telle que tra-duite dans le rapport de MINEDAF VII quele «nouveau pragmatisme» des responsablesafricains de l’éducation se reflète le mieux.

Cette approche part d’un constat réaliste:dans tous les pays, l’éducation absorbe déjàune part considérable des dépensespubliques. Oscillant en moyenne entre 15%et 20% des dépenses de l’État, ce taux estpresque partout en augmentation par rap-port à 1985. Dans un contexte de lourd endet-tement, ce montant ne saurait donc être aug-menté. En outre, les salaires des enseignantset du personnel administratif absorbent sou-vent plus des 3/4 des dépenses totales,dépenses incompressibles donc (voir gra-phique). La nouvelle attitude résulte aussid’un réel désir d’indépendance, notammentfinancière, des responsables politiques.

La conférence de Jomtien en 1990 avaitdéjà recommandé de mobiliser de «nouvelles

ressources financières», le paradigme étantque si l’éducation profite à l’ensemble de lasociété, «c’est la société toute entière qui doit

être mise à contribution».«L’idée post-indépendantiste d’une édu-

cation gratuite et financée par l’État n’est

plus opérante, explique Mathias Mphande,vice-ministre de l’éducation de Zambie.Accroître les ressources par l’impôt est

impensable. La seule solution est le partage

des coûts». La fin du monopole étatique surl’école devient la vision dominante, même

dans les pays francophones de tradition pluscentralisatrice: «On ne peut attendre des

gouvernements qu’ils prennent en charge les

besoins éducatifs de tous: il faut impliquer

le secteur privé et les communautés»,déclare ainsi le ministre de l’éducation duSénégal, Manadou Ndoye.

Le concept discuté à MINEDAF VII adonc été celui de partenariat, et chacun a pré-senté ses expériences. Au Malawi, en Zam-bie, en Angola, au Kenya et en Ouganda, lesfamilles villageoises s’impliquent de plus enplus souvent dans la construction de nou-velles écoles et salles de classes. «À Mau-

rice, où l’éducation avait été totalement

financée par l’État du primaire au supé-

rieur, nous sommes au cœur de réformes

majeures, explique le ministre de l’éducation,K. Chedumbarum Pillay. Nous encourageons

le secteur privé à financer la construction

d’écoles, que l’État devra rembourser en 10

ou 15 ans». «Au Rwanda, nous avons réduit

au minimum les taxes sur les matériaux

de construction et matériels pédagogiques

pour que le secteur privé nous aide à

construire des écoles», explique le ministrede l’éducation, Joseph Karemera.

Plus généralement, l’idée qui s’imposeest celle de «concentrer le financement sur

l’éducation de base, et d’accroître le taux du

partage des coûts avec le niveau de l’édu-

cation», souligne le rapport. Il est vrai quel’enseignement supérieur absorbe une partconsidérable des dépenses publiques - 18%en Guinée et au Mali, 28% au Congo et auBurundi, alors qu’il ne réunit que 3% de l’en-semble des scolarisés du continent.

La privatisation de l’éducation, commecelle d’autres services publics, est soutenue,voire imposée par le FMI et la Banque mon-diale dans le cadre des plans d’ajustementstructurel. Elle s’est par ailleurs accéléréedepuis les années 80, conséquence de lacrise de l’école publique et des politiquesde libéralisation qui ont parfois créé unenouvelle classe aisée. Dans le secondaire, letaux d’enfants inscrits dans le privé est ainsipassé entre 1985 et 1995 de 50% à 74% au

Part des coûts salariaux dans les dépenses publiques d’éducation (1995)

P a y s d e p l u s d e 1 0 m i l l i o n sd ’habi tants pour l esquels l esdonnées sont disponibles.

61,5%

BurkinaFaso

62,7%

Ghana

74,5%

Mozambique

83,4%

Madagascar

84,8%

Afriquedu Sud

86,3%

Angola

87%

Côted’Ivoire

91,4%

Zimbabwe

57,1%

Mali

Source: Développement de l’éducation en Afrique : Étude statistique, MINEDAF VII

L’éducation représente entre 15% et 20%des dépenses de l’État.

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13N° 102 - juin 1998

Botswana, de 29% à 36% en Côte d’Ivoire etde 5% à 13% au Tchad.

Mais au Kenya, où le partage des coûtsa été introduit en 1993, quand l’économieétait forte et que les familles pouvaient s’ac-quitter de droits d’inscription, «les taux de

scolarisation ont chuté de 90% à 73% dans

le primaire, avec la sécheresse et l’ajuste-

ment structurel», explique le ministre del’éducation, Stephen Musyoka.

S’il faut soutenir une meilleure répartitiondes frais dans l’enseignement supérieur, quiprofite avant tout aux couches aisées, la

privatisation peut aussi créer un enseigne-ment «à deux vitesses» et, en favorisant deslogiques communautaires ou religieuses,menacer une stabilité politique parfois fra-gile. Entre un nécessaire réalisme écono-mique, un impératif d’équité, et le besoinde maintenir un État-nation cohérent, undélicat équilibre devra être trouvé par lespays africains dans leur recherche d’unenouvelle indépendance. ●

Kathy Moloney à Durban,

avec N.K.-D.

Afrique du Sud: entre rattrapageet devoir d’économie

Entassés dans la salle de classe poussié-reuse de l’école d’un township, des élèves

copient le texte d’un livre que leur professeurréécrit au tableau. C’est long, mais c’est leseul moyen pour qu’ils puissent suivre lemanuel du programme de seconde dans le col-lège Intshisekelo, de la banlieue de Durban.

«Nous n’avons pas reçu de livres,

explique le professeur, Vusi Hlatshwayo. Le

directeur a utilisé le maigre budget de l’école

pour qu’au moins les enseignants aient les

manuels. On nous a dit que le gouvernement

allait donner des livres aux écoles pauvres,

mais tout ce que nous avons reçu jusqu’à

présent ce sont des promesses.» L’Afrique du Sud émerge des longues

années de l’apartheid. Celui-ci commençait

à l’école, avec des écoles pour Noirs, pourIndiens, pour Métis, et pour Blancs, ayant desprogrammes différents. La réforme de l’édu-cation, qui avait été l’une des principalesbatailles dans la lutte contre l’apartheid, futl’une des premières réalisations du nouveaugouvernement. Quelques mois après l’arri-vée de Mandela au pouvoir en avril 1994, lamultiracialité était imposée dans les écoleset l’éducation rendue obligatoire jusqu’à 14ans. Parallèlement, les programmes ont étéunifiés et les manuels, comme ceux d’his-toire, révisés.

Mais même si les taux d’inscription dansle primaire frisent désormais les 100%, lesmoyens manquent pour assurer une éduca-tion de qualité pour tous.

«L’héritage social et économique de

l’apartheid est encore là», reconnaît leministre de l’éducation, Sibusiso Bengu.Alors que les Noirs forment 87% de la popu-lation, les écoles noires recevaient moins definancement public que les écoles blanches:en 1993, la dépense par élève noir était de1.440 rands (288$), contre 4.700 (940$) pourun blanc. Aujourd’hui, sur les 27.000 écolesque compte le pays, 52% n’ont toujours pasl’électricité; 24% pas d’eau; 12% pas de toi-lettes; 83% pas de bibliothèque; 60% ontbesoin de réparations mineures et n’ont pasle téléphone. Et le nombre d’élèves par classepeut atteindre 150 dans les villages. Résul-tat: l’an dernier, seuls 47% des élèves ontobtenu leur baccalauréat, et plusieurs col-lèges n’ont compté aucun bachelier.

Si l’éducation est devenue obligatoire,elle reste payante. Les frais de scolarité dansle primaire sont passés d’une moyenne de20$ par an à 100$. Et s’inscrire dans un bonétablissement coûte cher: au lycée public deDurban, les droits de scolarité sont de 1.000$;dans les universités, ils sont en moyenne de

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La multiracialité à l’école, l’une des premières exigences de l’après-apartheid.

14 juin 1998 - N° 102

pourtant apprendre à lire, écrire et com-

prendre. Mais grâce à la méconnaissance

de mon identité, je resterai loin de l’école

et de cette discipline de la vie... Je n’ai pas

le temps de penser à mon futur. Car je n’ai

pas de passé. Laissez-moi vous dire ce qu’a

laissé ma conscience au flanc gauche de

mon cerveau. Je suis défavorisé». Car leMali, bien que l’enseignement primaire soiten principe garanti et malgré une fermevolonté d’alphabétisation, continue à êtreconfronté à d’énormes difficultés qui entra-vent son développement social, culturel etéconomique. Pourtant, malgré les faiblesressources, les solutions se construisent, lespartenariats entre gouvernement et ONG senouent, les nouvelles approches alternativesdonnent des résultats.

À commencer par les écoles primaires devillage, créées par la volonté délibérée d’unecommunauté locale, et qui ne relèvent pas del’État. En 1987, l’ONG américaine «Save theChildren» lance, sur une initiative du gou-vernement, un programme d’alphabétisationpour répondre aux besoins urgents en édu-cation de base dans la région de Kolondièba,considérée par les autorités scolaires commeréfractaire à l’éducation. Le programmeprend corps en 1992: les communautés vil-lageoises ont compris l’importance de l’école,se l’approprient, se sentent responsables desa réussite. Tout le village s’applique à confec-tionner des briques, à construire la char-pente: cette école-ci, c’est la leur. Celle quirépondra à leurs besoins, différents de ceuxde l’éducation formelle. «Save the Children»leur apporte des fournitures (environ 1.200dollars par école), la formation des maîtres,

Mali: pauvres moyens, riches idées

”“L’héritage

social et

économique de

l’apartheid est

encore là.

Ils ont pris la parole, sur un air de hip-hop.Phrases hachées, crues et dures, comme

la seule réalité qu’ils connaissent. Ils ont ditleurs malaises, crié leurs désespoirs, chantéleurs espoirs. Ils étaient là, à Bamako, auMali, lors de l’atelier organisé par l’UNESCOen décembre 1997, et qui réunissait une cen-taine de participants (ministres, experts,volontaires) de sept pays d’Afrique de l’Ouest.Eux, les jeunes marginalisés urbains. Et leursmots ont davantage dépeint le malaise malienque les plus beaux discours officiels. «Je

suis un enfant souffrant et inconnu de par

le monde. Je me demande chaque jour de

quelle partie du monde je fais partie car je

ne jouis d’aucune identité... Je voudrais

2.000$, alors qu’un salaire d’ouvrier est de400$ par mois et que plus de 30% de la popu-lation est au chômage. Dans les établisse-ments où les parents n’ont pu s’acquitter desnouveaux montants, la maintenance et lesautres services scolaires en ont pâti.

«Un document sur le financement des

écoles va bientôt être produit, qui devra

garantir que la majorité des fonds vont

aux 40% des écoles les plus pauvres», aannoncé Sibusiso Bengu. Le gouvernementconsacre 21% de son budget à l’éducation,mais 85% sont absorbés par les salaires desenseignants et du personnel administratif.Pour limiter les dépenses, le gouvernementvient de renvoyer 13.000 enseignants et13.000 autres licenciements sont prévus.«Nous en avons plus que de besoin et tous

n’ont pas les qualifications requises. Nous

devons économiser afin de dégager des

fonds pour transformer l’éducation»,explique le ministre.

Ce sentiment n’est pas partagé par touset ces derniers mois plusieurs écoles auxclasses surchargées ont fait grève en signede protestation. La promesse d’une «meil-

leure éducation pour tous» avait été au cœurdu programme politique du gouvernementélu en 1994. Lors des prochaines électionsprésidentielles, en 1999, les Sud-Africainspourront exprimer leur soutien ou leur scep-ticisme face à un gouvernement dont lespromesses, en particulier dans ce secteur, tar-dent à se concrétiser. ●

Kathy Moloney,

à Durban

Au «Clos d’enfants», on apprend en jouant.

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L’UNESCO consacreun tiers de sonbudget à l’édu-cation, et l’Afriqueseule absorbe plusde 30% de sesactivités hors-siège.Depuis l’adoption duprogramme «PrioritéAfrique» en 1989,destiné notammentà mobiliser desfonds extrabudgé-taires, la préférenceafricaine, dictée parles besoins, estencore plusmarquée. L’UNESCO n’est pasun bailleur de fonds:elle offre essen-tiellement assis-tance technique etexpertise, etconseille en amontles gouvernementssur les politiques àsuivre. Sur le terrain,elle travaille encollaboration avecles ministères, ONG,associationscommunautaires,organisationsinternationales etrégionales.L’éducation de basereste au centre desprogrammes.L’UNESCO encou-rage l’adoptiond’une vision élargiede l’éducation, quifavorise, outrel’écriture et lecalcul, l’apprentis-sage des «savoir-faire liés à la vieprofessionnelle et

quotidienne». Ainsiau Ghana, auBotswana et auNigéria, l’environne-ment est utilisécomme laboratoirenaturel pourl’apprentissage dessciences ettechniques de base.Les filles et lesfemmes font l’objetd’une attentionparticulière,notamment en zonerurale. L’UNESCOsoutient la formationd’enseignantes, lasensibilisation desmères et desdécideurs. Des«Plans nationauxpour la scolarisationdes filles» ont étéadoptés au BurkinaFaso, au Burundi, auCameroun, en Côted’Ivoire, au Niger, auSénégal et au Mali,et les taux descolarisation desfilles sont partout enaugmentation. L’UNESCO recom-mande l’utilisationdes langues localespour l’éducation debase. En Afriqueorientale, lesenseignants utilisentdésormais desmanuels enkiswahili. LeSénégal et la Côted’Ivoire élargissentl’utilisation deslangues locales.Réduirel’analphabétisme est

plus facile quand lesadultes expérimen-tent l’utilité del’écriture pour leurmétier. Les pêcheursde Zanzibar sevoient proposer desmanuels qui lesaident à accroîtreleur productivité et àgérer leur compta-bilité. Les premièresannées étantdéterminantes pourl’enfant, l’Organi-sation développeses actions pour lapréscolarisation,notamment par laformation de per-sonnel spécialisé.Les grossessesadolescentes sont lapremière caused’abandon scolairepour les filles, et lesadolescents lespremiers touchéspar le sida.L’UNESCO collaboreavec les ministèrespour une intégrationde l’éducationsexuelle dans lesprogrammes.Dans les paysconfrontés auxsituations d’ur-gence, l’UNESCOfournit «écoles enkit» ou aidealimentaire. Ainsi auRwanda après laguerre civile, ou auKenya pendant lasécheresse.

N.K.-D.

15N° 102 - juin 1998

les manuels pédagogiques, en étroite colla-boration avec les institutions décisionnellesnationales. Ici, l’accent sera davantage missur la vie villageoise, la santé, le travail, le cal-cul, la lecture et l’écriture en langue locale.Et le calendrier sera calqué sur celui de l’agri-culture, principale source de revenu. Uneffort particulier sera fourni pour convaincreles parents de laisser leurs filles aller à l’école:elles assurent encore trop souvent les tâchesdomestiques; l’école représente un manqueà gagner pour leur famille.

À Kolondièba, entre 1992 et 1997, les vil-lageois auront construit eux-mêmes 165 sallesde classe dans 128 villages, permettant descolariser 7.000 enfants (dont 50% de filles)alors que l’État en avait établi 29 entre 1955et 1997. L’absentéisme a presque disparu. Deplus, le gouvernement a démarré, en mars1994, un projet de 20 centres d’éducationpour le développement . Les villageois y sontconsidérés comme des décideurs à qui onaccorde l’espace nécessaire pour qu’ils gèrentle système éducatif qu’ils désirent et qu’ils leplanifient. Même démarche dans le systèmepréscolaire où un projet de «Clos d’enfants»- rebaptisé «Den ladamu so» (maison del’éducation pour l’enfant) - a été lancé enmars 1997, en étroite collaboration avecl’UNESCO (voir Sources n° 99). Des femmesmaliennes volontaires s’y occupent de jeunesenfants défavorisés. Par leurs jeux, leurschants, leurs contes et leurs danses, ellesleur apportent un cadre qui, tout en respec-tant les traditions, leur donnera accès ausystème éducatif.

Radios et journauxPour donner une impulsion à l’éducation,

quoi de mieux que les médias? L’idée naît en1994. Pour rehausser le taux de scolarisation(surtout celui des filles), se battre contrel’analphabétisme et contre l’image d’uneécole «source de déracinement», les radioset les journaux vont diffuser des messagessimples, des interviews, des sketchs. Lapresse et les bibliothèques des villagesreprennent les informations. On parviendraainsi à sensibiliser les populations rurales àcombattre le paludisme, les diarrhées, la bil-harziose, l’utilisation des eaux souillées dansles canaux d’irrigation des champs.

Les résultats ne se font pas attendre: lesémissions publiques, les débats en direct surdes questions d’éducation sont suivis d’in-terventions des auditeurs. Ils animent la viedu village. Des comités de salubrité se créentdans les quartiers, on réhabilite des routes,récure les caniveaux... Pourtant, même sicertaines habitudes évoluent (l’accès à l’écolepour les filles par exemple), les tradition-nels récalcitrants - certains marabouts oudes villageois qui confondent alphabétisa-tion et christianisation - n’ont pas complè-tement disparu. De plus, les travaux cham-pêtres doivent avoir lieu à date fixe, ce qui

déstabilise le fonctionnement des radios dontles moyens sont très souvent vétustes.

Malgré tout, l’éducation avance. Parcequ’apprendre à lire et à écrire est un acte deliberté. Le Mali le sait. C’est pourquoi cegrand pays rural, l’un des plus pauvres et lesmoins scolarisés du monde, innove. Cherched’autres voies d’éducation, plus adaptéesaux contextes locaux, pour donner accès àl’éducation à ceux qui jusque-là en étaientexclus. ●

C. L.

L’UNESCO et l’éducation en Afrique

16 juin 1998 - N° 102

EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF

CULTURE

CULTURE DE LA PAIX

Une déclaration,un programmed’action«La culture de la paix est latransition de la logique de laforce et de la peur vers lalogique de la raison et del’amour», affirme ladéclaration adoptée à Chisinau(Moldova), le 18 mai, à l’issued’un forum international «Pourune culture de la paix et undialogue des civilisationscontre une culture de la guerreet de la violence», organisé parl’UNESCO.Les intellectuels et universi-taires venus de toute l’Europeont également adopté unprogramme d’action. Il met notamment l’accent sur l’introduction dansl’enseignement, aux niveauxprimaire, secondaire etsupérieur, de cours sur laculture de la paix, sur le rôledes médias, ainsi que sur la

contribution qu’apportent lesétudes scientifiques àl’élimination de l’intolérance,des préjugés et des stéréotypes«qui diabolisent l’ennemi».

LA PAIX AU FÉMININ«Femmes et culture de la paixau Burundi» était le thème d’unséminaire organisé parl’UNESCO à Bujumbura, du 21au 25 avril, qui a réuni unecentaine de femmes de cepays. Ses objectifs: donnerl’occasion à des femmes demilieu urbain ou rural,provenant de diversesassociations et appartenantaux trois groupes ethniques, de se rencontrer etde discuter entre elles desmoyens de promouvoir uneculture de la paix, notammentpar le biais des associationsféminines.

BIENS CULTURELS ET CONFLITS ARMÉSRéunis à Vienne (Autriche) du 11au 13 mai, des experts se sontattelés à une tâche délicate:réviser la Convention pour la pro-tection des biens culturels encas de conflit armé (1954). Ils ont élaboré un instrument quila complète et proposé de nou-veaux éléments concernant la«nécessité militaire». Ils ont éga-lement examiné les dispositionsrelatives aux réglementationsprotégeant ceux qui portentatteinte aux biens culturels. Letexte révisé sera présenté à uneconférence diplomatique qui setiendra aux Pays-Bas en mars1999.

La cybergalerie de l’UNESCOMoore, Calder, Giacometti, Miro, Noguchi, Picasso... Vous pouvezdésormais admirer sur Internet 17 des œuvres d’art exposées àl’UNESCO (peintures, sculptures, céramiques ou tapisseries).Cette galerie d’art virtuelle a été réalisée par trois étudiants del’Institut français d’études supérieures des arts. Y est égalementprésenté un historique du siège de l’UNESCO, inauguré il y a toutjuste 40 ans.

●●● En savoir plus: http:www.unesco.org/visit

Bethléem,2000 ans aprèsPrès de 100 millions de dollars:c’est le montant des engage-ments pris lors de la conférencede bailleurs de fonds pour le pro-jet Bethléem 2000, les 11 et 12mai à Bruxelles (Belgique).Lancé par l’UNESCO, ce projetcoïncide avec le 2000e anniver-saire de la naissance du Christ.Il vise à préserver le patrimoinearchitectural de cette ville pales-tinienne, à sauvegarder sestraditions culturelles et à favo-riser son développement écono-mique. Quelque 600 représentants degouvernements, du secteur privéet de diverses communautésreligieuses ont participé à cette

Retour au paysQuatre statues datant du VIesiècle av. J.C. et volées enColombie ont été restituées àce pays lors d’une cérémoniequi s’est déroulée à Nantes(France) le 23 avril.

Disparues il y a une dizaine d’an-nées, ces œuvres appartiennentà la culture de san Agustin etTierradentro, qui fit de ce siteun centre religieux et funéraire,

Figure anthropomorphe en pierre volcanique.

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inscrit sur la Liste du patrimoinemondial de l’UNESCO depuis1995. Après être sorties illégalement dela Colombie, les statues ont tran-sité par les États-Unis où elles ontété repérées - suite à une enquêtemenée par Interpol - puis saisiesà Nantes.

rencontre. Son initiateur, YasserArafat, président de l’Autoritépalestinienne, a exprimé l’es-poir de voir ce projet «renfor-cer la compréhension entre lespeuples et cultures afin de tra-cer dans la région la route versla paix».

SCIENCESSOCIALES

Ils

ont

di t

«La liberté de la presseet la démocratie sont si

étroitement imbriquéesqu’il convient d’aborderavec beaucoup deprudence toute tentativevisant à imposer neserait-ce que la pluslégale des limitations», adéclaré le 3 mai CorazonAquino, ancienneprésidente desPhilippines, à l’occasionde la Journée mondialede la liberté de la presse.Car, comme l’a soulignéle Directeur général,Federico Mayor, «seul unpeuple bien informé estcapable d’assumer sondestin, de participer aufonctionnementdémocratique desinstitutions et d’assurer lapaix». «Laissez-nous agir,a demandé le journalisteindien Cushrow Irani,rédacteur en chef duStatesman, de sorte quenous ne puissions jamaisaider ni conforter destyrans et des despotes...prêts à menacer leslibertés et à mettre endanger la justice... Car jesuis le gardien de monfrère.»

«J’appelle le peupleafghan... à prendre soin

de son patrimoine, qui estun héritage universel etdont il devra rendrecompte aux générationsfutures», a déclaré leDirecteur général le 5mai, après l’effondrementen avril dernier de la tourNimar-e-Chakari. Edifiée ily a plus de 1.600 ans, elledominait la ville deKaboul et constituait un«témoignageexceptionnel de laprésence de la religionbouddhiste dansl’Afghanistan pré-islamique». «Cetécroulement, a soulignéFederico Mayor, constitueune perte irremplaçablepour le peuple afghan quivoit disparaître une partiede son patrimoineculturel, de sa mémoirehistorique et de sonidentité.»

Navigateur dans l’espace et ambassadeur de l’UNESCO

17N° 102 - juin 1998

EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF

NOUS, VOUS, ILS...

LE SOMMET DES ENFANTSIls sont venus de Cuba, d’Afrique du Sud, d’Israël, de Turquie oudes États-Unis: en tout 600 enfants de 7 à 14 ans de 51 pays ontparticipé au Sommet des enfants organisé du 4 au 8 mai parl’UNESCO et la Walt Disney Company. Cinq jours de partage et 18ateliers conçus pour déceler les préoccupations des enfants,autour du thème «Grandir», décliné à travers les rapports avec lesautres, les droits des enfants, l’éducation, la nutrition ou le sport.«Nous, les enfants du monde, voulons vivre en paix», résumel’appel présenté le 7 mai au siège de l’UNESCO, que les enfantsont intitulé «L’amitié, un soleil qui ne se couche jamais». «Ici, nousconstruisons la paix grâce à l’éducation... Aidez-moi à ce quel’éducation soit pour tous», leur a demandé le Directeur général,qui s’est engagé à communiquer l’appel aux dirigeants des 186États membres de l’Organisation.

Démocratie et développementLe soutien aux processus démo-cratiques, les pratiques démo-cratiques au quotidien, l’éduca-tion à la citoyenneté, la librecirculation de l’information: telssont quelques-uns des thèmessur lesquels va se pencher lePanel international sur la démo-cratie et le développementrécemment créé par le Directeurgénéral de l’UNESCO. Présidépar l’ancien Secrétaire généraldes Nations Unies, l’ÉgyptienBoutros Boutros-Ghali, il seraconstitué d’une vingtaine de per-sonnalités, parmi lesquellesRobert Badinter, ancien prési-dent du Conseil constitutionnelfrançais, Nadine Gordimer(Afrique du Sud), Prix Nobel delittérature, ou Keba M’Baye(Sénégal), ancien vice-présidentde la Cour internationale de jus-tice.

LES DEVOIRS DE L’HOMMELe groupe de travail pour l’éla-boration d’une Déclaration uni-verselle des devoirs et des res-ponsabilités de l’homme a tenusa deuxième réunion a Valence(Espagne) du 28 au 30 avril.Parrainé par l’UNESCO, il a pour-suivi ses réflexions sur le devoird’ingérence et la limite de la sou-veraineté des États, la pertinenced’un «serment d’Hippocrate» pourscientifiques et professionnelsdes médias, ainsi que sur la sécu-rité face aux trafics d’armes et dedrogues. Le projet de déclara-tion sera finalisé en décembrepuis proposé à l’UNESCO quidécidera s’il doit être transmis àl’Assemblée générale desNations Unies.

de l’UNESCO, pour son rôle deconcepteur et de navigateur enchef de l’exploration, ainsi que pour sa «contri-bution à la promotion del’éducation scientifique enAfrique».Saluant les performances de ce scientifique d’originemalienne, le Directeur général,Federico Mayor, a déclaré:«Votre vie est un formidabledémenti à tous les préjugés etconstitue un exempleencourageant pour tous lesenfants issus de milieuxdéfavorisés.»

Cheick Modibo Diarra, chef dela récente mission spatialeaméricaine Pathfinder surMars, a été nommé le 11 maiambassadeur de bonne volonté

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Le nouvel ambassadeur et Federico Mayor.

LIVRES

18 juin 1998 - No 102

EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF

COURRIER

L’énergie solaireComment vivre en paix avec la nature,par Madanjeet Singh.Éditions UNESCO, 1998.Prix: 250 FF.Parce qu’elle est perçue par denombreuses populations «commela continuité de leurs traditionsculturelles... Parce qu’elle estdurable et implique une inter-action positive avec l’environ-nement et la communauté...l’énergie solaire semble toutedésignée pour être un facteurde réconciliation dans le vieuxdivorce qui oppose science etculture», estime le Directeurgénéral, Federico Mayor, dans la

préface de cet ouvrage publiédans le cadre du Programmesolaire mondial 1996-2005. Magnifiquement illustré, il décritles nombreuses applications de«l’énergie renouvelable du Soleilqui nourrit toute forme de viesur terre», qu’il s’agisse de«l’énergie verte de la biomasse»ou «invisible du vent», de lagéothermie ou du photovol-taïque. Bref, comment acquérirune «culture héliotechnolo-gique» pour se familiariser avecce qui pourrait bien devenir la«principale source d’énergie del’avenir».

non contre ceux-ci». Autrementdit, «d’améliorer la forme sui-vant laquelle les Indiens ont étégouvernés jusqu’à présent...aussi bien pour le service deDieu et le salut des âmes quepour le bien public».Une deuxième partie situe cetépisode dans son contexte his-torique et politique. Elle retraceégalement la vie du père jésuite,son esprit foncièrement baroqueet les contradictions de ce dis-ciple d’Ignace de Loyola: soncombat pour améliorer le sortdes Indiens et son sens du com-promis lorsqu’il s’agit de ména-ger l’autorité royale et lescolons.

Gestion desministères de l’éducationAnalyse fonctionnelle del’organisation des ministèresde l’éducation: audit de la gestion,par Richard Sack et MahieddineSaïdi. UNESCO/Institutinternational de planificationde l’éducation, 1997. Prix: 50 FF.Quelles sont les fonctions clés duministère de l’éducation? Sont-elles remplies de manière satis-faisante ou non, et pourquoi?Après un examen approfondi desmandats et attributions du minis-tère et de ses composantes, l’au-dit vise à répondre à ces ques-tions afin d’en améliorer lesstructures et la gestion. Assortide nombreux tableaux et dia-grammes, cet ouvrage présenteles outils pour établir un dia-gnostic, effectuer une analysefonctionnelle et proposer desaméliorations.

La missiond’IbiapabaLe père Antonio Vieiraet le droit des IndiensÉtude, traduction et notes de Joao Viegas, préfaced’Eduardo Lourenço.Collection UNESCOd’œuvres représentatives.Éditions UNESCO/Chandeigne,1998. Prix: 140 FF.Tour à tour diplomate, mission-naire ou homme de lettres, lepère Antonio Vieira (1608-1697),Jésuite portugais, retrace ici unépisode brésilien du «processusde colonisation-évangélisationalors indissociables», selonEduardo Lourenço. Dans la «Serra d’Ibiapaba», quisignifie «pays escarpé», lesJésuites sont venus «retirerquelques fruits de ce champ sté-rile» «pour la plus grande gloirede Dieu» et tenter d’occuper leterritoire «de façon effective, cequi suppose, selon Vieira, qu’onle colonise avec les Indiens et

QUID DE LA TRAITETRANSSAHARIENNE?Regardant la carte des routesde la traite publiée dans votren° 99, je ne voudrais pas sous-estimer l’importance de latraite occidentale puisquenous en étions partie prenante.Mais il ne faudrait pas sous-estimer non plus l’importancedes routes terrestres de latraite, car elle est beaucoupplus ancienne (des Égyptiensaux Romains) et dure toujours(cf. Soudan Nord contre Sud).L’expansion de l’islam àtravers l’Afrique noire est liéeà l’esclavage. Au siècledernier, les royaumes nubiens(Ouadaï, Darfour, Kordofan...)vivaient de la traite annuelle

effectuée en saison sècheavec des chevaux dans «DarFertit» (pays des païens)l’actuelle Républiquecentrafricaine.Plus de 10 ans aprèsl’installation des Européensdans l’Est centrafricain, desrazzias étaient encore tentées.Ayant parcouru ce payspendant 20 ans, je peuxtémoigner que l’Est, bien quesuffisamment arrosé, est undésert humain (il compte moinsde 50.000 habitants sur 250.000km2). Au XVIIIe, il étaitpourtant peuplé: on trouve unpeu partout des emplacementsde villages (des fragments depoteries ou de mortierssubsistent). Un romancier

africain, Étienne Goyémidé, aosé brisé le tabou en écrivantLe dernier survivant de lacaravane, mais deux mots nesont jamais prononcés: arabeset islam!

Yves BoulvertDirecteur de recherche

Institut français de recherchescientifique pour le développe-

ment en coopération (ORSTOM),Centre de Bondy (France)

Le projet de la Route de l’es-clave porte en priorité sur latraite transatlantique, mais aussisur la traite transsaharienne. Ilprévoit également l’organisationde séminaires sur le rôle desreligions dans l’esclavage(NDLR).

19No 102 - juin 1998

EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF EN BREF

Le Bolchoï et l’UNESCOLa baguette de chef d’orchestrede Tchaïkovski, le costume deChaliapine dans Boris Godounovde Moussorgski, des maquettes,lithographies, photographies etvidéos sur l’histoire du Bolchoïétaient exposés à l’UNESCO du 27avril au 7 mai. Depuis sa création au XVIIIesiècle, le célèbre théâtre russe adû faire face à bien des menaceset nécessite d’importants tra-vaux de restauration. L’UNESCOs’y associe et va lancer d’iciquelques mois une campagne desensibilisation et de mobilisa-tion de fonds. L’exposition endonnait un avant-goût.

EXPOSITIONS

MUSEUMINTERNATIONALFinis «ces panthéons de contem-plation passive»: les musées sontdésormais «des lieux de par-cours individuels, de recherchescientifique, d’expérimentationde techniques nouvelles de dif-fusion et de tentatives d’ouver-ture sociale», constate YvesNacher, de l’Institut français d’ar-chitecture, dans le n° 196 de cette

revue consacré à l’architecturemuséale. Cette évolution a desconséquences sur la construc-tion des musées et leur aména-gement. Les articles étudient«non seulement ce qui est nou-veau - formes, matériaux, éclai-rage, modes d’exposition - maisaussi les tendances profondesde la culture de la fin du XXesiècle», précise l’éditorialiste.De Sydney (Australie) àBarcelone (Espagne), ils nousfont visiter quelques-uns de cesmusées dont la conceptionexprime «de manière convain-cante» les changements inter-venus.

●●● En savoir plusLes publications et périodiques del’UNESCO sont en vente au Siège,ainsi que par l’intermédiaire desagents de vente dans la plupart despays. Informations et commandes directespar courrier, fax ou Internet: ÉditionsUNESCO, 7 place de Fontenoy, 75352Paris 07 SP. Tel. (+33 1) 01 45 68 43 00 -Fax (33 1) 01 45 68 57 41. Internet:http://www.unesco.org/publishing.

Chargée de rubrique: Christine Mouillère.

Bulletin du droit d’auteurLe stockage dans la mémoired’un ordinateur personnel d’unarticle scientifique issu d’unréseau constitue-t-il un acte dereproduction ou de copie sou-mis à la protection du droit d’au-teur? Dans un article intitulé

Propriété intellectuelle et infra-structure globale de l’informa-tion, le n° 1 (1998) poursuit ledébat sur les problèmes juri-diques suscités par l’environne-ment numérique.

LE COURRIER DE L’UNESCO«Comment sortir de la crise dumodèle carcéral?», s’interrogele numéro de juin intitulé Lesprisons - une institution en crise.«La société moderne trouvenécessaire de punir, c’est-à-direde rétribuer le crime par un châ-timent». Or «la prison engendreplus de problèmes - éthiques,sociaux, psychologiques et éco-nomiques - qu’elle n’en résout».Outre le point de vue de spécia-listes sur «la question péniten-tiaire» et les solutions envi-sageables (privatisation desétablissements, peines de substi-tution, possibilités de réparationou même surveillance électro-nique à domicile), ce numéroprésente plusieurs témoignagesde prisonniers ou anciens déte-nus sur leur détention, la réin-sertion qui pour certains «est àmettre au tableau des motscreux» et, plus généralement,sur la délinquance, «cette mala-die curable».Le numéro s’achève sur un entre-tien avec la chorégraphe améri-caine Susan Guirge, qui allie artcontemporain et expressionsartistiques traditionnelles.

JOUETS POURENFANTS HANDICAPÉS

TRADITION ET DIVERSITÉVotre article intitulé Sauve quipousse (N° 99), a retenu monattention par une lacune que jetiens à combler: si un milliond’Irlandais sont morts de faimdans les années 1840 et cinqmillions se sont exilés à causedu mildiou de la pomme deterre, il faut préciser qu’ilsauraient pu survivre si leur tra-dition ne leur avait fait rejeterla consommation de poissonsqu’ils côtoyaient... Mortsauprès de milliers de tonnes denourriture... Il est de bonnestraditions et de néfastes.

André Pilet, agent commercialAmfreville-sous-les-Monts

(France)

L’article en question ne prônepas l’usage des aliments tradi-tionnels, mais bien la diversitédes cultures. Quant aux poissons,dans le monde préindustrialisédans lequel se trouvait l’Irlandeau milieu du XIXe siècle, et fauted’infrastructures de transport,seuls les habitants des côtes les«côtoyaient». Au passage, laconsommation de la pomme deterre en Irlande ne relevait pasprécisément d’une «tradition»,puisqu’elle remonte au siècle quia précédé la grande famine.Et n’oublions pas que le payssubissait alors une situation éco-nomique d’exploitation coloniale(NDLR).

PÉRIODIQUES

par les parents et les ensei-gnants.

Fabriquer des jouets pour han-dicapés et transmettre ce savoir-faire à un maximum d’éducateurs:telle est la mission de l’associa-tion allemande «Encourager parle jouet». En coopération avec leProgramme pour l’éducation desenfants en détresse, elle pré-sentait à l’UNESCO, du 22 au 30avril, des prototypes de jouets enbois ou en tissu faciles à réaliser

Au pied du Haut Atlas, au Maroc,

une association mobilise villageois, autorités

locales et tout un réseau de partenaires pour

améliorer la vie des plus démunis.

20 juin 1998 - N° 102

ILS DÉCIDENT, NOUSFAISONS ENSEMBLE

Àune cinquantaine dekilomètres au sud-

ouest de Marrakech, la val-lée d’Imlil mène tout droitau pied du mont Toubkal,point culminant du HautAtlas et de toute l’Afriquedu Nord. Comme partoutau Maroc, là où les routessont réduites à l’état depistes, les populationsrurales vivent coupées dureste du pays, avec pourseules ressources leurs cul-tures et leurs troupeaux,sans un minimum d’infra-structures sociales. Entreles villes d’Asni et d’Imlil,les seules à être électrifiées,quelque 25 villages ne dis-posent en tout et pour toutque de cinq écoles et deuxdispensaires, et ignorentencore l’usage de l’eaupotable.

C’est ici que depuis1988 l’Association maro-caine de recherche-actionpour la santé et l’hygiène(AMRASH) - à laquellel’UNESCO vient d’apporterson soutien avec un apportfinancier de 45.000 dollars -

a jeté son dévolu pourmener des activités multi-disciplinaires et participa-tives. Son but: en commen-çant par la sensibilisationet en allant jusqu’à l’action,améliorer un tant soit peu lavie quotidienne des plus vul-nérables et démunis, prin-cipalement les femmes, lesenfants et les jeunes.

À l’origine de l’associa-tion, le docteur Leila Tazi,qui s’est entourée d’ungroupe de médecins, socio-logues, entrepreneurs etbanquiers partageant uncertain nombre de valeurs,avec en tête la solidarité etl’entraide. «J’ai voulu créer

AMRASH parce que je

pense que les savoirs por-

teurs de développement ne

sont pas suffisamment dif-

fusés», explique cette pé-diatre de formation. «40%

du monde rural ne dispose

pas de couverture sanitaire

dans notre pays, et les taux

de mortalité infantile et

maternelle y atteignent des

seuils alarmants», s’in-surge-t-elle, évoquant les

insuffisances du programmenational de lutte contre lesmaladies diarrhéiques au-quel elle a participé. «La

science de la planification

qui me fascinait par son

réalisme, se base sur la

‘rentabilité’, ‘la faisabilité’.

Le jour où j’ai traduit cette

approche en nombre de

morts d’enfants ou de

jeunes femmes, j’ai eu un

problème de conscience.»L’action de l’association

se concrétise par le pro-gramme SEVES, acronymequi résume les grands axesd’intervention d’AMRASH:solidarité, entraide, village,éducation, eau (électrifica-tion) et santé. La démarcherepose sur l’étude appro-fondie du terrain et la mobi-lisation des villageois etautorités locales. «Les be-

soins sont énormes mais

aucune action n’est entre-

prise sans l’adhésion de

tous les membres d’un vil-

lage, sans leur motivation

et leur désir de participer.

Ensemble, avec les hommes

et les femmes de la vallée,

ÉDUCATION

nous discutons aussi long-

temps qu’il le faut de façon

à ce qu’eux-mêmes décident

de ce que nous pouvons

ensuite réaliser ensemble»,explique Leila Tazi.

Ainsi, dans le villaged’Aguersioual, s’est amor-cée une petite révolutionavec la construction d’uncentre communautaireSEVES. Bâti par les villa-geois selon des techniquesarchitecturales tradition-nelles, il se compose dedeux niveaux: à l’étage, lacuisine et trois pièces atte-nantes qui pourront, àterme, faire office de gîterural, la région étant fré-quentée par des touristesétrangers et randonneurs.Au rez-de-chaussée, unesalle de cours, un petitmusée artisanal, une biblio-thèque et un atelier de cou-ture.

ÉCOLOGIQUELe centre est également

doté de l’électricité solaireet d’une fosse septique, dontl’eau irrigue un verger situédans l’enceinte même ducentre. Sensibilisés auxquestions environnemen-tales, les villageois réflé-chissent actuellement, avecAMRASH, à un vaste projetd’assainissement et d’ap-provisionnement en eaupour l’ensemble du village.

Au centre, les matinéessont consacrées à l’appren-tissage de l’arabe et du fran-çais. Ces cours d’alphabéti-sation s’adressent auxjeunes adultes, en particu-lier aux jeunes filles et auxmères, ainsi qu’aux enfantsqui ont dépassé l’âge d’êtrescolarisés. Pour symbo-liques qu’ils soient, la biblio-thèque et le petit muséejouent un rôle fondamental,en tant que lieux de diffu-sion de la culture et d’ap-puis indispensables à l’édu-cation. Quant à l’atelier decouture et de tricot, il estrapidement devenu un

Acquérir une formationrapporte un peu d’argent et beaucoup de fierté...

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Trois scientifiques débattent des espoirs

et des craintes que soulève l’un des domaines les plus controversés

des sciences de la vie.

BIOTECHNOLOGIES

21No 102 - juin 1998

VERS LE MEILLEUR DES MONDES?

espace d’activités généra-trices de revenus pour lesfemmes. La formation d’unecoopérative de productionest à l’étude. «Le foyer a

changé notre vie, confientdes jeunes villageoises.Nous avons tout à y gagner.

Nous apprenons à lire et à

écrire. L’activité de couture

et de tricot nous rapporte

un peu d’argent, pas grand-

chose, mais cela permet de

payer l’instituteur.»Acquis plus difficile à

mesurer, un sentiment defierté et d’indépendances’installe peu à peu chez cesjeunes femmes. «Aujour-

d’hui nous sommes ca-

pables de parler avec des

personnes étrangères au

village, avouent-elles, et

même avec nos propres

pères. Nous avons beaucoup

évolué. Quand nous par-

tons à la ville (Marrakech),

nous sommes au moins

capables de trouver notre

chemin, de lire une

enseigne ou de téléphoner

sans avoir à demander à

quelqu’un.» Certaines deces femmes sont devenuesdes formatrices dansd’autres villages, pour déve-lopper des activités géné-ratrices de revenus.

L’association ambition-ne de doter une vingtainede villages de centres com-munautaires SEVES d’icil’an 2000. Dans la communed’Asni, à proximité des vil-lages de la vallée, un centrede formation pour des ani-mateurs dans tout un éven-tail de domaines, de l’al-phabétisation à la santé enpassant par les énergiesrenouvelables, est en coursde construction et sera dotéd’une bibliothèque/média-thèque.

UNE MYRIADE DE RÉSEAUX

De nombreux partena-riats se mettent en place,notamment avec le «collège

aux pieds nus» de Tilonia,au Rajasthan (Inde). Trois

jeunes gens du villaged’Aguersioual, dont unberger n’ayant jamais été àl’école, y sont actuellementen stage en électricité so-laire.

Pour la formation d’ins-tituteurs, AMRASH travailleen partenariat avec l’asso-ciation française Éducationnouvelle. «AMRASH, c’est

une myriade de petits

réseaux d’échange et de

partage de savoirs et de

pouvoirs, entre jeunes d’un

même village, entre deux

villages, entre pays, entre le

Nord et le Sud, entre le Sud

et le Sud», explique LeilaTazi. L’association a égale-ment pour partenaires leministère de l’éducationnationale et la direction del’alphabétisation.

Leila Tazi regrette-t-ellele temps où elle était pro-fesseur à la faculté demédecine de Casablanca, ousa décision de refuser uneproposition de l’OMS à Ale-xandrie? «On me reproche

encore d’avoir abandonné

la médecine», constate lapédiatre, qui créa le servicedes maladies infectieuses àl’hôpital pour enfants ducentre hospitalier universi-taire de Casablanca. «La

fonction publique n’est pas

le service public et l’uni-

versité n’est pas un espace

où l’on peut s’exprimer,

agir selon ses convictions,

chercher, imaginer. Je

m’inscris dans une vision

plus large de la santé. Je

suis persuadée qu’en sco-

larisant une petite fille, ou

encore en développant le

sens de la solidarité chez

un groupe de jeunes filles,

je suis plus pédiatre et

médecin que jamais. Je

pense réellement que la

connaissance, la solida-

rité, une perception créa-

tive du monde sont aussi

des fonctions vitales chez

l’être humain.» ●

Kekoum Ghazali, dans

la vallée de l’Imlil (Maroc)

Àceux qui associent lesbiotechnologies à la

science moderne, le généti-cien français Axel Kahnriposte en remontant letemps: «6.000 ans av. J.C.,

l’homme faisait fermenter

la bière: avec des micro-

organismes, il créait une

boisson alcoolisée. En

5.000 av. J.C., il créait un

monstre végétal, le blé,

mélange de trois génomes

de sous-espèces différen-

tes.» Ce sont ces décou-vertes qui ont vraimentdonné naissance aux bio-technologies, a-t-il affirméen ouvrant le débat sur le

thème «Biotechnologies: versle meilleur des mondes?»,organisé à l’UNESCO le 18mai dans le cadre des «En-tretiens du XXIe siècle».

Axel Kahn a rappelé queles craintes et les espoirssuscités par les biotechno-logies existent depuis la nuitdes temps et font partie desanciens mythes, préjugés etaspirations. Mais l’avène-ment du génie génétique arendu plus imprécise lafrontière entre mythe et réa-lité. Faut-il comparer legénéticien moléculaire à lafée qui transforme unecitrouille en carrosse ou à

un devin des tempsmodernes qui déchiffrel’avenir grâce à de puissantsoutils génétiques? «Le géné-

ticien moléculaire qui

apprend à une bactérie à

faire de l’insuline hu-

maine, un facteur anti-

hémophilique ou une hor-

mone de croissance est

incontestablement un ma-

gicien. Mais est-il obliga-

toirement à redouter?»,s’est-il interrogé.

Soulignant l’absence denuance dans ce type de débat,il a estimé que, s’agissant desplantes transgéniques, on neposait pas les bonnes

questions. «Demander si

une plante transgénique est

dangereuse en soi est une

question qui n’a pas de

sens. Autant demander si

un végétal est dangereux en

lui-même: la tomate, pas

tellement, la ciguë certai-

nement. Ces plantes créent-

elles un risque particulier

pour l’homme ou l’envi-

ronnement? Pendant deux

à trois siècles, la flotte bri-

tannique a parcouru le

monde et prélevé des

plantes exotiques pour les

transplanter en Grande-

Bretagne sans rien savoir

sur l’environnement. Le

22 juin 1998 - N° 102

généticien moléculaire est

sans doute beaucoup moins

incertain sur les consé-

quences de ce qu’il fait que

ne l’était le sélectionneur

qui, il y a 6.000 ans,

mélangeait trois génomes

au hasard pour fabriquer le

blé. Le génie génétique doit

être l’une des manières

d’appréhender ce problème

qui poursuit l’homme

depuis longtemps: amélio-

rer la qualité variétale des

plantes.»Condamnant sans appel

le clonage humain, AxelKahn a souligné que lascience et la technologie sesituent sur un autre terrainque la morale, tout en met-tant en garde contre l’utili-sation de la science pourencourager les préjugés etbâtir des idéologies toutesfaites comme le racisme.«Le généticien n’en a pas

terminé lorsqu’il est par-

venu, grâce à sa science, à

obtenir un excellent résul-

tat; il n’en a pas terminé

lorsqu’il a découvert une

loi de la nature. Il est un

citoyen particulièrement

militant parce que parti-

culièrement au courant que

certaines idéologies de stig-

matisation et d’exclusion

voudraient utiliser les

connaissances qu’il met en

pleine lumière. Le généti-

cien doit veiller à ce que,

jamais, la génétique ne

puisse atteindre à la

dignité de la personne.»

PROMESSESPour sa part, M.G.K.

Menon, ancien ministred’État indien de la scienceet de la technologie etmembre du Comité inter-national de bioéthique del’UNESCO, a mis l’accentsur les promesses qu’offrentles biotechnologies pour lespays en développement. Audépart, elles ont permisd’améliorer les rendementset de produire des plantessaines. Le génie génétiquese révélera infiniment pré-cieux en permettant detransférer dans les culturesdes gènes propres à lesprotéger, a-t-il expliqué,

insistant sur la nécessitéd’augmenter la productionalimentaire pour faire faceà la croissance démogra-phique dans les 20 pro-chaines années.

Dans le domaine de lasanté, les biotechnologiesprésentent un grand intérêtpour le dépistage précocedes maladies et la mise aupoint de vaccins. Cettescience, estime M.G.K. Me-non, constitue «un modèle

d’innovation scientifique

et technologique maîtrisée

qui incarne les rapports

nouveaux entre les avan-

cées biomédicales et la

société démocratique. La

bioéthique représente une

nouvelle façon de penser

notre avenir et notre sys-

tème de valeurs».Poussant plus loin le

débat, Jeremy Rifkin, pré-sident de la Fondation amé-ricaine sur les tendanceséconomiques, a fait valoirque les gènes représententla ressource première du«siècle biotech». «Les 40

dernières années ont vu se

développer en parallèle

deux technologies: l’infor-

matique et la génétique.

Aujourd’hui, elles se sont

unies pour former un

couple nouveau et fort.» Lesgènes constituent un desproduits les plus convoités:pour preuve les énormesfusions et acquisitions quis’opèrent dans l’industriedes sciences de la vie. «Ce

jeu a un nom: les brevets.

Dans les sept à 10 années

à venir, on aura isolé

presque la totalité des

60.000 gènes qui définis-

sent la race humaine.

L’industrie des sciences de

la vie détiendra la pro-

priété intellectuelle des

empreintes génétiques de

notre espèce pendant au

moins 20 ans.»Malgré les prétendus

bienfaits des biotechnolo-gies dans les secteurs del’agriculture, de la médecineet des ressources énergé-tiques, «les perspectives de

cette nouvelle science et ses

applications technologi-

ques font froid dans le dos,

constate Jeremy Rifkin.Nous ignorons l’impact sur

l’environnement des plan-

tes génétiquement modi-

fiées en laboratoire. Les

compagnies d’assurance ne

veulent pas s’y frotter car

aucune donnée scientifique

ne permet d’évaluer les

risques».Le génie génétique a

introduit une conceptionradicalement différente del’évolution. «Alors que dans

les techniques classiques

de reproduction, on est

limité par les frontières

biologiques, le génie géné-

tique permet de croiser des

espèces étrangères les unes

aux autres. Il applique aux

empreintes de la vie des

critères industriels comme

le contrôle de qualité, l’ef-

ficacité et l’utilité. Que

signifiera vivre dans un

monde où les bébés seront

conçus sur mesure et les

êtres humains stéréotypés

et victimes de discrimi-

nation en fonction de leur

information génétique? La

perspective la plus terri-

fiante serait de voir le mar-

ché et le choix du con-

sommateur arbitrer la

direction dans laquelle la

race humaine évoluera.»

ENTRÉE EN DOUCEURJeremy Rifkin a plaidé

pour une «entrée en dou-

ceur» dans le XXIe siècle, àpartir de deux règles debase: «ne pas nuire et choi-

sir la voie la moins sus-

ceptible d’hypothéquer les

possibilités de ceux qui ne

sont pas encore là». Utiliserla génétique pour com-prendre la relation entre lesplantes et l’environnementafin de créer une agriculturebiologique perfectionnée.

Dans le domaine médi-cal, développer une méde-cine préventive qui prenneen compte les relations sub-tiles entre les prédisposi-tions génétiques et les fac-teurs déclenchants présentsdans l’environnement.Enfin, instaurer un «solide

débat public à travers le

monde, plus élaboré que

celui que nous avons tenu

jusqu’ici, afin d’utiliser

cette science pour nous

interconnecter et rétablir

notre partenariat avec le

reste de la biosphère dans

laquelle nous vivons». ●

Cynthia Guttman

Les plantes transgéniques, une chance ou un risque?

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15% au Maroc et 20,6% enTunisie. Elles sont aussimoins invitées à des émis-sions dites «sérieuses». Ilest vrai qu’elles sont sou-vent «invisibles» car ellesne sont identifiées qu’entant que «mères ou épouses

de Monsieur».Les femmes peuvent

subir un handicap culturelqui influe - voire refrène -leur formation: «culturelle-

ment, dans les pays arabes,

un homme aura moins de

difficultés qu’une femme à

se lancer en tant que jour-

naliste, à oser parler en

public, à manifester sa

curiosité; les femmes de-

vraient pouvoir travailler

cet aspect pratique au

cours de la formation ini-

tiale», explique SylvieDebras, représentante de laFrance et journaliste quiprépare une thèse sur lesfemmes et les médias. Sansparler des pressions so-ciales et familiales qui peu-vent constituer une barrièreimportante à l’accès auxpostes de responsabilités:en Égypte, explique Gihan,rédactrice en chef d’unmagazine féministe, «être

une journaliste est un défi

en soi, car la société est

patriarcale et les femmes

n’ont pas de place sur la

Si les femmes étaient plusprésentes à des postes

décisionnels au sein desmédias, la perception dumonde, encore trop mas-culine, comme l’image desfemmes encore trop sté-réotypée, pourraient évo-luer. Cette conviction adonné naissance au projetUNESCO/Italie de «forma-

tion des journalistes fem-

mes de la région méditer-

ranéenne». Il a réuni unevingtaine de femmes, pro-fessionnelles et étudiantesen journalisme - toutes ori-ginaires de pays du pour-tour de la Méditerranée -lors de trois séminaires: auCaire, en décembre 1997,sur la gestion des petites etmoyennes entreprises mé-diatiques; en Jordanie, enmars 1998, sur la publica-tion assistée par ordinateur(PAO); au Maroc, en avril1998, sur les femmes, lesmédias et la bonne gouver-nance. Son but: donner uneformation à ces femmespour qu’elles aient plus dechances de s’insérer dansla hiérarchie des médias;leur permettre ainsi d’exer-cer une influence décisivesur la société.

MOINS PRÉSENTESPour y parvenir, il faut

commencer par com-prendre pourquoi lesfemmes ont été et sontencore si peu valorisées parles médias, que ce soit surla rive nord ou sud de laMéditerranée. D’abord entermes de chiffres: lesfemmes des pays partici-pant à ces séminaires sontmoins présentes que leshommes au sein de la pro-fession: 22% de reporters du«sexe faible» en Belgique,20,7% en Italie, 29% enFrance, 25% en Algérie, 28%en Égypte, 10% en Jordanie,

Des journalistes méditerranéennes

s’attaquent aux préjugés à leur encontre.

PLACE AUX FEMMES

MÉDIAS

23No 102 - juin 1998

scène politique». Gihan apayé sa volonté de mener àbien son métier par une rup-ture avec son conjoint qui nesupportait pas son indé-pendance: cela arrive aussitrès souvent de l’autre côtéde la Méditerranée.

Nombre de femmes jour-nalistes se sont plaint d’êtreencore trop souvent can-tonnées à des rubriquesghettos et peu sollicitéespour couvrir des événe-ments politiques. «Notre tra-

vail consiste d’abord à lut-

ter contre les préjugés de

nos confrères», selon Fati-ma, journaliste marocaine.«Être à l’affût de l’infor-

mation, faire un reportage,

aller à des conférences de

presse tard le soir, suppose

une certaine disponibilité»contraire à l’image que lesconfrères ont de la femme.Ceux-ci la mettent donc «au

placard» dès lors qu’elle aun enfant et préfèrent la can-tonner aux rubriques santé,beauté et mode.

«Le texte de la presse est

soumis à une double hié-

rarchie», explique SylvieDebras: celle de l’information(quel sujet choisir à la Une: laconférence sur les femmesde Beijing ou le match de foot-ball?), elle-même définie parla rédaction en chef (les

postes à responsabilités sontgénéralement dans lesmains d’hommes). «Tant

que la hiérarchie dans les

médias sera masculine,

l’information portera sur

des sujets qui n’intéressent

pas forcément les femmes.»Reste que le choix du bas-

sin méditerranéen commerégion de référence a permisaux femmes journalistes deprendre conscience qu’au-delà de certains problèmescommuns, les obstacles defond n’étaient pas les mêmesau Sud et au Nord.«Avoir

un rôle actif et développer

l’esprit critique» signifie,selon Gihan, dépasser lescodes aliénants et le statut«sous tutelle» de la femme.«Ce qui semble surprenant,explique Sylvie Debras,c’est qu’en un premier

temps, nombre de femmes

des pays arabes niaient fré-

nétiquement le problème.

Ce n’est qu’après de nom-

breux échanges qu’elles se

sont décidées à avouer que

l’égalité hommes-femmes

au sein des médias n’était

pas acquise».

REVENDICATIONSÀ l’issue de ces réunions,

les participantes ont décidéde créer une Ligue defemmes journalistes despays arabes, afin de tenircompte de leurs difficultéscommunes. Un bulletin deliaison est prévu, «par et

pour les femmes journa-

listes», mais sa date de réa-lisation et les moyens misen œuvre n’ont pas encoreété fixés. Les femmes onten outre revendiqué des for-mations initiales et conti-nues plus fournies et adap-tées à leurs cultures, dessalaires égaux, l’accès auxmêmes rubriques que leshommes, aux mêmes chan-ces. Autant de demandes qued’espoirs de changementsprofonds sur la place de lafemme dans les médias. Unrôle que la presse, ce miroirinfidèle de la société, devrait,un jour, refléter. ●

C. L.

avec Latifa Tayah

Au Caire, présentation d’un projet de magazine reflétant les préoccupations des femmes.

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calendrier de l’UNESCO

Prochains dossiers :

PREMIER RAPPORT MONDIAL SUR LA CULTURE

FEMMES DE SCIENCE

du 18 au 25 juillet CÔTES AFRICAINESÀ Maputo (Mozambique), la première conférence panafricaine sur le développement côtier durable réunira ministres africains de l’environnement et experts.

du 28 au 29 juillet PATRIMOINE EN MALAISIEÀ Penang (Malaisie), un séminaire étudiera la nomination possible de sept sites culturels et naturels du pays, qui n’en a encore aucun inscrit sur la Liste du patrimoine mondial.

du 4 au 7 août ORIENTATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLEÀ Paris, une conférence internationale débattra du statut, de la formation et du rôle du conseiller d’orientation.

9 août JOURNÉE INTERNATIONALE DES POPULATIONS AUTOCHTONES

du 12 au 14 août BIBLIOTHÈQUES ET NOUVELLES TECHNOLOGIESÀ Noordwijk (Pays-Bas), une trentaine de bibliothécaires et réseaux de production de livres débattront du rôle des bibliothèques comme passerelles vers la société de l’information.

23 août MÉMOIRE DE L’ESCLAVAGEJournée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition.

du 26 au 28 août PEU D’EAU, PEU D’EAUÀ Hurghada (Égypte), conférence internationale sur la gestion de la rareté de l’eau. Au menu: ressources hydriques, désertification, stockage et recyclage de l’eau.