liberté du judaïsme la lettre de l.j

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1 Liberté du Judaïsme La lettre de L.J. Présidente d’Honneur : Doris Bensimon ז״לLiberté du Judaïsme : Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 137 Janvier-février 2016 le numéro : 3 € http://www.liberte-du-judaisme.fr Editorial Dans la présente Lettre, notre amie, Ariane Bendavid, nous parle de Spinoza défenseur de la Liberté de conscience. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler qu'avant d'être frappé par un herem, Spinoza le fut par le couteau d’un homme, probablement juif, à qui ses idées ne convenaient pas. Le maniement du couteau - ou de l'arme blanche - a fait florès ces derniers temps, en Israël, mais pas seulement. Alors une question nous taraudait : Est-il si simple d'enfoncer un couteau dans le dos de son semblable ? Cette interrogation a été balayée par les kalachnikovs du 13 novembre . Ce jour là les loups sont entrés dans la ville. L’an dernier, certains ont parlé de loups solitaires, ils sont revenus en meute. Leur cheminement correspond aux trajectoires de leurs balles. Au début, les cibles furent des Juifs dans des écoles, des épiceries, puis des humoristes témoins de la vie sociale. A présent c’est n'importe qui, dans la rue, aux terrasses des cafés, dans une salle de concert, et si la vigilance n'avait pas été ce qu'elle était, c'est au Stade de France que la meute aurait provoqué une catastrophe. Ces meutes qui sèment la mort ont été formatées à aimer la mort. "Viva la muerte!" clamait en 1936, José Millàn général fasciste espagnol, en sortant son revolver dans un amphithéâtre de l'Université de Salamanque. Alors comment ne pas parler d'islamo- fascisme ? C'est dans ce contexte pesant que Liberté du Judaïsme a tenu son Assemblée générale annuelle. Le Conseil d'Administration. a été renforcé avec pour objectif de continuer à faire vivre l’association. C’est ce que nous allons tenter d’accomplir en 2016. Pour ce faire nous avons besoin de vous tous, adhérents et lecteurs en ce début d’année que nous vous souhaitons – malgré tout - belle et bonne. Le Bureau Aujourd’hui et demain ? Sept heures moins dix, un début novembre, je sors de chez moi pour aller à l’office du matin, quelques centaines de mètres plus loin. Je souhaite honorer par la récitation du Qadish, le souvenir de ma sœur décédée dix jours plus tôt. La rue est déserte à proximité de la salle qui fait office de synagogue, seules les silhouettes des trois militaires en faction devant l’entrée se remarquent au loin. Je m’approche de l’entrée, les salue et compose le code secret pour ouvrir la porte. Comme tous les matins, je ressens un embarras à croiser le regard des militaires. Je me sens coupable d’être là, de les obliger à nous protéger. Nous, une poignée de juifs, tout au plus un minyan.. qui déplaçons l’armée française. Que pensent-ils de nous, ces jeunes militaires ? ceux- ci nous regardent avec une indifférence polie mais au fond d’eux-mêmes, ils doivent se dire que nous sommes les "enfants gâtés de la République", que nous pourrions prier chez nous, alors que nous sommes si peu nombreux. En s’engageant, ils espéraient certainement des missions plus nobles que de protéger des Juifs, des personnes hors du temps. Comme moi, ils doivent penser que cette opération, coûteuse et illusoire, devra être revue et circonscrite à quelques bâtiments dans lesquels les Juifs seraient invités à se regrouper dans un premier temps pour le culte puis après, pour toutes les activités culturelles jugées offensantes par certains. Alors, pour les Juifs, certains quartiers dans des villes comme Paris, Marseille ou Toulouse pourraient-ils ressembler dans un futur proche à un ensemble de petits ghettos dans lesquels ils se sentiront à l’abri. Faudra -t-il afficher une double personnalité comme dans les années 30 en Allemagne ou en Autriche ? Anonyme, voire antijuive et antisioniste dans la vie professionnelle et au contraire confraternelle avec ses amis du ghetto ? Non, soyons optimistes, l’histoire ne se répète jamais de la même façon même si la tradition exige de nous méfier d’Amalek jusqu’à la fin des temps. Guershon Essayag

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Page 1: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

1

Liberté du Judaïsme La lettre de L.J.

Présidente d’Honneur : Doris Bensimon ז״ל

Liberté du Judaïsme : Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 137 Janvier-février 2016 le numéro : 3 €

http://www.liberte-du-judaisme.fr

Editorial

Dans la présente Lettre, notre amie, Ariane Bendavid,

nous parle de Spinoza défenseur de la Liberté de conscience. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler

qu'avant d'être frappé par un herem, Spinoza le fut par

le couteau d’un homme, probablement juif, à qui ses idées ne convenaient pas.

Le maniement du couteau - ou de l'arme blanche - a fait

florès ces derniers temps, en Israël, mais pas seulement. Alors une question nous taraudait : Est-il si simple

d'enfoncer un couteau dans le dos de son semblable ?

Cette interrogation a été balayée par les kalachnikovs

du 13 novembre . Ce jour là les loups sont entrés dans

la ville. L’an dernier, certains ont parlé de loups solitaires, ils sont revenus en meute. Leur cheminement

correspond aux trajectoires de leurs balles. Au début,

les cibles furent des Juifs dans des écoles, des épiceries,

puis des humoristes témoins de la vie sociale. A présent c’est n'importe qui, dans la rue, aux terrasses des cafés,

dans une salle de concert, et si la vigilance n'avait pas

été ce qu'elle était, c'est au Stade de France que la meute aurait provoqué une catastrophe.

Ces meutes qui sèment la mort ont été formatées à

aimer la mort. "Viva la muerte!" clamait en 1936, José Millàn général fasciste espagnol, en sortant son

revolver dans un amphithéâtre de l'Université de

Salamanque. Alors comment ne pas parler d'islamo-fascisme ?

C'est dans ce contexte pesant que Liberté du Judaïsme a tenu son Assemblée générale annuelle. Le Conseil

d'Administration. a été renforcé avec pour objectif de

continuer à faire vivre l’association. C’est ce que nous

allons tenter d’accomplir en 2016. Pour ce faire nous avons besoin de vous tous, adhérents et lecteurs en ce

début d’année que nous vous souhaitons – malgré tout -

belle et bonne.

Le Bureau

Aujourd’hui et demain ?

Sept heures moins dix, un début novembre, je sors de

chez moi pour aller à l’office du matin, quelques centaines de mètres plus loin. Je souhaite honorer par la

récitation du Qadish, le souvenir de ma sœur décédée

dix jours plus tôt. La rue est déserte à proximité de la

salle qui fait office de synagogue, seules les silhouettes des trois militaires en faction devant l’entrée se

remarquent au loin. Je m’approche de l’entrée, les salue

et compose le code secret pour ouvrir la porte. Comme tous les matins, je ressens un embarras à croiser le

regard des militaires. Je me sens coupable d’être là, de

les obliger à nous protéger. Nous, une poignée de juifs, tout au plus un minyan.. qui déplaçons l’armée

française.

Que pensent-ils de nous, ces jeunes militaires ? ceux-

ci nous regardent avec une indifférence polie mais au fond d’eux-mêmes, ils doivent se dire que nous sommes

les "enfants gâtés de la République", que nous

pourrions prier chez nous, alors que nous sommes si peu nombreux. En s’engageant, ils espéraient

certainement des missions plus nobles que de protéger

des Juifs, des personnes hors du temps. Comme moi, ils doivent penser que cette opération,

coûteuse et illusoire, devra être revue et circonscrite à

quelques bâtiments dans lesquels les Juifs seraient

invités à se regrouper dans un premier temps pour le culte puis après, pour toutes les activités culturelles

jugées offensantes par certains.

Alors, pour les Juifs, certains quartiers dans des villes comme Paris, Marseille ou Toulouse pourraient-ils

ressembler dans un futur proche à un ensemble de petits

ghettos dans lesquels ils se sentiront à l’abri. Faudra-t-il

afficher une double personnalité comme dans les années 30 en Allemagne ou en Autriche ? Anonyme,

voire antijuive et antisioniste dans la vie professionnelle

et au contraire confraternelle avec ses amis du ghetto ?

Non, soyons optimistes, l’histoire ne se répète jamais de

la même façon même si la tradition exige de nous méfier d’Amalek jusqu’à la fin des temps.

Guershon Essayag

Page 2: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

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Spinoza,

défenseur de la liberté de conscience

Révolutionnaire, Spinoza a payé le prix de ses idées. Il est pourtant sur bien des plans à la source du judaïsme

moderne. Sa position a été difficile, c’est le moins

qu’on puisse dire : pour les juifs, il était hérétique, donc exclu de la communauté, et pour les chrétiens, athée…

mais pourtant toujours juif ! Que ce soit pour la société

calviniste ou pour la communauté juive, il était le

diable en personne. Quels étaient donc ses crimes? Avoir défendu la liberté

de conscience, l’idée d’une religion universelle et non

dogmatique, à laquelle chacun, sans craindre le jugement d’autrui, pourrait ou non adhérer, une religion

à propos de laquelle "nul différend ne pourrait surgir

entre des hommes de bien ". Et enfin, avoir clamé, avec

deux siècles et demi d’avance, la nécessité impérieuse de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Jusqu’au 17e

siècle en

effet, il était impensable, voire impossible, de ne pas

se situer dans une

perspective religieuse. On n’était socialement

reconnu que si l’on

appartenait à un groupe

religieux. Spinoza l’a appris à ses dépends, et

exprime sa rancœur dans

le chapitre XVII de son Traité Théologique politique (T.T-P) : "Qui manquait à

la religion cessait d’être citoyen, et par cela seul était

tenu pour un ennemi. Qui mourait pour la religion,

était réputé mourir pour la Patrie ". Au-delà des divergences de points de vue, l’autorité intangible des

textes dits sacrés n’était jamais mise en doute, encore

moins en péril. Le fait religieux ne posait pas de problème, si ce n’est précisément quand on s’y

attaquait. Nier le caractère sacré des textes fondateurs,

rejeter la Loi imposée par la Torah, écrite ou orale, n’effleurait même pas les esprits. Avant Spinoza, seuls

quelques penseurs audacieux tels qu’Ibn Ezra avaient

osé émettre – discrètement - des doutes sur

l’authenticité de certains textes bibliques. Spinoza a donc inauguré un nouveau concept, suscitant une

véritable révolution aussi bien dans la communauté

juive que dans le monde chrétien. Si l’attitude de Spinoza, avant même qu’il ait publié la

moindre ligne, a été jugée inacceptable, c’est bien parce

qu’à son époque, les esprits n’étaient pas prêts à voir évoluer la pensée religieuse. Tourner le dos aux

traditions, abandonner les schémas conceptuels hérités

de l’époque biblique, c’était non seulement trahir, mais

aussi ébranler les fondements du judaïsme, et mettre en péril son existence. La violence des termes du herem

prononcé contre lui allait pourtant conforter Spinoza

dans son idée révolutionnaire : le judaïsme devait, pour

franchir le pas de la modernité, se départir de ces modes

de pensée archaïques essentiellement fondés sur la

superstition et une vision erronée de Dieu. Il est vrai

que dans cette communauté d’Amsterdam pourtant réputée pour sa tolérance, le dogmatisme et le fanatisme

laissaient souvent la passion mener les débats, comme

en témoigne ce herem prononcé "à vie": "Que Dieu ne lui pardonne jamais ses péchés. Que la

colère et l’indignation du Seigneur l’environnent et

fument à jamais sur sa tête. Que toutes les malédictions contenues au livre de la Loi reposent sur lui. Que Dieu

l’efface de son Livre... ".

La violence de ces termes est sans doute grandement

responsable de l’attitude souvent haineuse, il faut l’avouer, de Spinoza envers ses coreligionnaires. Mais

on peut le comprendre.

Quelles étaient donc les grandes lignes de cette pensée subversive ? En niant aussi bien la Création volontaire

du monde que le caractère personnel et providentiel

d’un Dieu juge et monarque, distribuant récompenses et

punitions, ou encore la possibilité des miracles, Spinoza a mené une critique systématique de tout ce qui selon

lui altérait la vraie foi. La religion, dit-il, ne consiste

plus qu’en préjugés qui "réduisent les hommes raisonnables à l’état de bêtes brutes, puisqu’ils

empêchent tout libre usage du jugement, toute

distinction du vrai et du faux, et semblent inventés tout exprès pour éteindre toute la lumière de l’entendement.

La piété, grands dieux, et la religion, consistent en

absurdes mystères, et c’est à leur complet mépris de la

raison, à leur dédain, à leur aversion de l’entendement, dont ils disent la nature corrompue, que, par la pire

injustice, on reconnaît les détenteurs de la lumière

divine. " (T.T.P. préface). Il s’est attaché à montrer que, tout au long de l’histoire, les adeptes des religions

monothéistes ont utilisé les textes pour contraindre les

autres, sous le couvert de la religion, à penser et à agir comme eux. Le problème du monothéisme est qu’il est,

par essence, exclusif : chacun croit détenir La Vérité.

Loin de guider les fidèles dans le sens de la Justice et

du Bien, la religion était ainsi devenue prétexte à des luttes fanatiques – et, si le christianisme a dépassé ce

stade, l’islam radical nous offre aujourd’hui la preuve

tragique de la lucidité de Spinoza. Précisons que Spinoza s’en prend aux autorités

religieuses des deux bords : juifs et calvinistes, opposés

à toute forme de libéralisme. On lui a souvent reproché

d’avoir été plus indulgent envers le christianisme. C’est indéniable, et c’est sans doute là l’une des

conséquences des dégâts causés dans les esprits juifs

par le marranisme. Mais comment comprendre qu’il affirme que Jésus a parlé avec Dieu d’esprit à esprit et

qu’il est la voie du salut, sinon comme un simple

règlement de compte vis-à-vis des autorités rabbiniques qui l’ont excommunié ? Spinoza reste résolument

opposé à toute religion révélée. Toutes les religions

"historiques" doivent être dépassées par la religion

universelle qui "se limite au culte de la vertu". On est

Page 3: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

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donc en droit de se demander si le terme de "trahison"

repris par Levinas à propos de Spinoza est fondé.

Spinoza ne trahit pas à proprement parler le judaïsme, si

la trahison suppose un " passage à l’ennemi". Il entend essentiellement dépouiller le judaïsme d’un rituel

anachronique, qui entrave son accession à

l’universalisme ; en d’autres termes, il veut le séculariser. Le paradoxe de la critique spinoziste est

qu’en réalité l’idéal prophétique correspond

parfaitement à sa définition de la religion : pour les prophètes, en effet, les seules valeurs susceptibles de

préserver un judaïsme authentique sont la justice et la

charité : "Voici le jeûne que j’aime, dit l’Eternel, c’est

de partager ton pain avec l’affamé et d’offrir un abri aux malheureux sans asile ; si tu vois quelqu’un nu, tu

le couvriras et tu ne te déroberas pas devant celui qui

est ta propre chair" (Isaïe 58, 6-7). Dans le domaine politique, Spinoza pose les jalons de

ce que seront nos sociétés occidentales modernes. Son

analyse met essentiellement en avant la nécessité

impérieuse de la séparation Eglise–Etat. Aucun pouvoir ne peut se fonder sur une Révélation, donc sur les

institutions qui se réclament de cette Révélation. Aucun

pouvoir temporel ne saurait se prétendre l’interprète de la parole divine. En conséquence, toute personnalité

religieuse doit être exclue du pouvoir politique. C’est

également ce que défendra plus tard Mendelssohn, montrant qu’il ne faut pas confondre les vocations : le

rôle de l’Etat est d’assurer le bonheur temporel, celui de

la religion, d’assurer le bonheur spirituel. La politique

ne devrait être que le moyen de réaliser dans un Etat la paix et la concorde, indissociables de la réalisation de

l’éthique : la politique ne crée pas le bonheur ni

l’épanouissement spirituel. Mais elle crée les conditions pour y parvenir. Et pour que ces conditions soient

remplies, il fallait le respect absolu de la liberté de

conscience et de parole. Dans une république digne de ce nom, la liberté en matière de religion devait être

respectée.

Spinoza était un précurseur. S’il avait vécu ne serait-ce

qu’un siècle plus tard, au siècle des Lumières, il n’aurait pas eu à subir les foudres de ses détracteurs. Un

siècle après lui se développait déjà le mouvement de la

critique biblique. Il faudra pourtant attendre encore longtemps avant qu’il ne soit réhabilité, et que ne

s’impose une vision

véritablement libérale du

judaïsme – une vision qui est encore bien loin de faire

l’unanimité, même si, dans les

faits, l’immense majorité des Juifs occidentaux sont, quoi

qu’ils en disent, des libéraux.

Plus qu’il n’était traître, Spinoza était simplement en avance sur son temps.

Ariane Bendavid Ariane Bendavid est Maître de conférences à Paris IV Sorbonne et Directrice du Talmud Torah de l'Ulif-Copernic

Spinoza, une histoire juive

Baruch Spinoza est né en 1632 à Amsterdam. Sa

famille, des marranes fuyant la péninsule ibérique et son Inquisition, s'était installée en Hollande au tout

début des années 1600. Ils étaient parmi les premiers

de ceux qui formeront cette "Nation Portugaise" qui obtiendra l'autorisation en 1614 de construire une

synagogue et d'enterrer ses morts dans son propre

cimetière à Oudekerque, dans la banlieue d'Amsterdam.

Tout cela était encore bien frais lorsque celui qui sera

rejeté par une Communauté sur ses gardes deviendra le

premier grand penseur moderne du rationalisme et de l'athéisme, un athéisme qui ne pouvait pas, à l'époque,

s'afficher publiquement ; mais il n'était pas sorcier de

se rendre compte qu'entre un Dieu qui est partout et un Dieu qui n'est nulle part la marge est étroite.

Chassé par les siens, Spinoza ne rallia jamais une autre religion même s'il changea son prénom en Benoît. Il

fabriqua des optiques et écrivit des livres dont certains

furent publiés sous un pseudonyme et d'autres après sa

mort. Car il était des choses que l'on ne pouvait pas dire publiquement dans la République Batave pourtant à

l'avant-garde du progrès.

Alain Minc, qui lui a consacré un livre, écrit, que

Spinoza est le premier d'une longue liste de Juifs de

renom qui se sont placés délibérément "à la marge",

liste dans laquelle il place Karl Marx, Sigmund Freud et Albert Einstein, et à laquelle on pourrait rajouter

nombre de noms, par exemple ceux de Léon Trotski

ou du Cardinal Lustiger. C'est la raison pour laquelle il a titré son livre : "Spinoza, Un roman juif"

(1). C'est

cette marginalité qui a sans doute fait que lorsque Ben

Gourion demanda aux grands rabbins, après la création de l'Etat d'Israël, de rejuger Spinoza, les rabbins

confirmèrent la sentence et le Herem.

I.J. 1 Alain Minc : Spinoza, un roman juif. Gallimard 1999

Bureau de "Liberté du Judaïsme" Maryse Sicsu Présidente

Isidore Jacubowiez Président adjoint

Marlyse Kalfon-Medioni Secrétaire Odile Volf Trésorière

Noémie Fischer Trésorière adjointe

Contacts L. J. : 13 rue du Cambodge 75020 Paris

ou [email protected]

Site Internet : www.liberte-du-judaisme.fr

Pensez à régler votre cotisation ou votre abonnement à la Lettre de

L.J, pour l'année 5776 (Sept. 2015 à août 2016). Si vous le pouvez, faites un don à L.J. qui peut être déductible de vos impôts. Un certificat CERFA vous sera délivré. Envoyez vos chèques à notre siège social : Liberté du Judaïsme 13 rue du Cambodge 75020 Paris

Page 4: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

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" Le Pletzl"

Du début des années 1880 à la veille de la Seconde

Guerre Mondiale, environ 110 000 Juifs ashkénazes yiddishophones fuyant la misère et les persécutions

dont ils étaient victimes en Europe de l’Est arrivent en

France et s’y installent. Pour l’essentiel à Paris, surtout dans le Marais, appelé alors Pletzl, "petite place" en

yiddish, nom par lequel les Juifs ashkénazes d’avant et

d’après-guerre aimaient désigner ce quartier. On ne s’accorde pas sur le lieu ainsi désigné. Tantôt on

affirme qu’il s’agit de la place des Hospitalières-Saint-

Gervais "petite place" par opposition à la "grande"- La

Place des Vosges -, tantôt de celle où se trouve aujourd’hui l’entrée de la station de métro Saint-Paul.

Cette "petite place" diversement localisée désigne un

quartier qui se réduit vite symboliquement à la rue

des Rosiers, rue qui doit

son tracé au rempart de Philippe Auguste et son

nom aux fleurs qui

poussaient en contrebas de

celui-ci. C’est en quelque sorte "la petite place qui se

déplace".

Il importe peu, sans doute, qu’aucune place ne

corresponde exactement à

ce nom. "Elle n’est peut-

être qu’une évocation pleine de tendresse et d’intimité du shtetl, du mellah, ou

de la place du marché du quartier de résidence qu’a

connu l’immigré dans son pays d’origine" (1)

.

Le Pletzl n’est pas un petit "ghetto" au cœur de

Paris : c’est une plaque tournante, un pôle d’orientation, un réseau très volatile mais dense de figures, de

connaissances, de points de repère. L’un d’eux : la

librairie que tenait au 34, rue des Rosiers, Wolf Speiser,

né à Odessa en 1869, fixé à Paris dans les années 1900 et qui publiera dès 1910 un " Almanach", véritable

"guide des égarés" à l’usage des nouveaux venus…

Certains lieux, dont il ne reste plus rien aujourd’hui, occupaient des positions stratégiques dans le Pletzl.

Ainsi les boutiques des coiffeurs, caisses de résonnance

de ce petit monde, lieux de passage, de convivialité et de sociabilité privilégiés. De même les restaurants et les

cantines d’originaires, dont les patrons et les serveurs -

parce qu’ils connaissent tout le monde et que tout le

monde les connaît - étaient des guides indispensables. Certains de ces restaurants fonctionnaient d’ailleurs

comme de véritables bureaux de placement. Ainsi les

tailleurs, fourreurs, casquettiers et orfèvres se retrouvaient à la maison Rozenstroikhs, rue des

Hospitalières-Saint-Gervais.

Les commerces alimentaires contribuent largement à la

caractérisation identitaire du Pletzl. D’abord parce que

la nourriture est souvent ce qui reste lorsque tout est

déjà presque oublié du lieu d’où l’on vient. Ensuite

parce que les enseignes, fréquemment peintes à même

la vitrine, ont l’impact graphique de l’alphabet hébraïque dans lequel s’écrit le yiddish, qui marque le

paysage. On peut y lire aussi, lorsque le milkhgevelb

devient la "crémerie", la vourshterei, la charcuterie, (translittérées en caractères hébraïques), les étapes

d’une intégration où la familiarisation rapide avec la

langue française joue un rôle essentiel.

Historiquement, il y a toujours eu et il y a encore

d’autres "quartiers juifs" à Paris. Pendant le Moyen-

Age, il y avait des " juiveries" (2)

, dont deux sur la rive droite. Elles ont disparu après l’expulsion des Juifs des

terres de la Couronne en 1394. Par la suite, Paris a

connu d’autres quartiers à forte population juive, (Montmartre, le IXème arrondissement autour de la rue

Richer et du métro Cadet) mais l’implantation de celui

de la rue des Rosiers a résisté à l’épreuve du temps. De

fait, cette rue constitue un pôle où tous se croisent et se rencontrent : le Juif libéral, le hassid, le Juif orthodoxe,

l’ashkénaze de Pologne, de Roumanie, d’Autriche, de

Russie, le sépharade de Turquie, du Maroc, de Tunisie, d’Algérie, l’intellectuel et l’épicier sans oublier les Juifs

étrangers touristes à Paris… (1)

Un peu partout sur les murs, des plaques commémoratives rappellent que le quartier a

énormément souffert sous l’occupation : elles gardent la

mémoire des hommes, femmes et enfants juifs du

quartier qui furent exterminées dans les camps nazis durant la Seconde Guerre mondiale…

L’anthropologue Jeanne Brody écrit, évoquant la rue

des Rosiers et ce que, dans les années quatre-vingt, on a recommencé à appeler le Pletzl après une longue

éclipse et sans considérer la réalité sociologique

profondément différente du lieu : " L’existence de cette communauté est fondée sur un territoire commun – un

demi km2 dans le 4ème

arrondissement de Paris, mais

avec des frontières fluctuantes, sur une mémoire

collective, celle de l’histoire générale du peuple juif, gravée dans les consciences et finalement sur un

sentiment d’appartenir à ce quartier, défini comme

" juif" par ses membres et par les médias". Dans ce cœur de Paris on échappe au temps et à

l’anonymat urbain : le passé résonne dans un présent où

quartier et communauté ne font qu’un…

Sur une petite place généralement considérée comme le centre du Pletzl, l’école des Hospitalières Saint-

Gervais a été frappée par les rafles. Ouverte en 1846

sous le contrôle du Consistoire, elle devient, avec les lois scolaires des années 1880, une école comme les

autres, mais continue d’accueillir une majorité

d’enfants juifs, et de nationalité étrangère. Jusqu’en 1940 elle est fermée le samedi tandis qu’on y travaille

le jeudi.

Au cours de la rafle dite du "Vel’ d’Hiv" des 16 et 17

juillet 1942, des policiers parisiens, sur ordre des nazis

La presse en yiddish

Page 5: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

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et de leurs complices vichystes, arrêtent plus de 13 000

Juifs étrangers, dont près d’un tiers sont des enfants. La

plupart sont déportés à Auschwitz. Parmi eux 165

élèves de l’école. A la rentrée scolaire, le 1er

octobre 1942, il n’y aura que 4 élèves présents. Une plaque

rappelle leur martyre depuis le 7 mai 1971.

Quelques enfants échapperont aux arrestations grâce au courage et au sang-froid du directeur, Joseph

Migneret, honoré comme "Juste" par Yad Vashem.

Le 9 octobre dernier, dans le jardin de la rue des Rosiers qui porte aujourd'hui son nom, il a été dévoilé

une plaque en souvenir des 101 enfants du 4ème

arrondissement assassinés avant même d’avoir atteint

l’âge d'être scolarisés.

On ne peut parler du Pletzl sans évoquer la synagogue

de la rue Pavée, dont l'édification fut confiée par l’association russo-polonaise Agoudah Hakehilot à

Hector Guimard. Inaugurée en 1914, cette synagogue

"Art nouveau", dont la façade est classée, reste

actuellement la synagogue parisienne la plus connue dans le monde ; elle a résisté au dynamitage, ainsi qu’à

l’attentat qui la visait en octobre 1941, attaque

perpétrée par le mouvement d’extrême droite d’Eugène Deloncle, co-fondateur de la Cagoule en 1935.

Moins nettement, mais ici aussi, les traces du passé tendent à disparaître. Paris, aujourd’hui est bourgeois :

le caractère régional, culturel ou national, qui

distinguait certains quartiers s’estompe. Et pourtant le

bulldozer a du mal à venir à bout de cette aire particulière. Elle persiste et s’entête à garder son

étiquette " juive ". Pourquoi ? Y- a - t-il encore autant

de Juifs rue des Rosiers ?

Cette image de "communauté " pauvre mais familiale a

été brisée par la guerre. Henri Bulawko (voir ci-contre) se

souvient des bagarres causées par les groupes fascistes et antisémites qui venaient au "ghetto" casser les

vitrines des magasins et harceler les habitants. Ces

événements sont - hélas - des "préludes" ; la Seconde Guerre mondiale les éclipsera tous.

Bien que leur nombre diminue, la plupart des commerçants et habitants non juifs attestent que " le

cœur du quartier bat à un autre rythme que le reste de

Paris – un rythme juif disent-ils : c’est-à-dire que les

habitudes, les coutumes et les diverses langues que

parle cette population (en plus du français), colorent et animent le quartier tout entier". Ces deux constats en

apparence contradictoires ne sont explicables que si

l’on prend en compte la force du symbole et de l’image du quartier qui transforment la réalité : même si la

plupart des résidents actuels ne sont pas juifs, le

quartier attire ses anciens habitants et d’autres Juifs qui, par leur fidélité, agissent sur son identité.

Le Pletzl n’a pas encore vécu ses derniers jours et

malgré une certaine agressivité de la spéculation immobilière sauvage par la rénovation d’immeubles

habitables "découpés" en petits appartements aux loyers

chers, il n’y a pas de danger que les synagogues disparaissent. Si cet endroit perdure, réussissant à

garder son caractère particulier, c’est surtout parce que

la mémoire collective et individuelle en a fait une sorte

de " lieu sacré" juif. Le souvenir a, dit-on, un rôle réparateur de l’âme. Après la dureté de la fuite, le

travail de réimplantation dans un nouveau lieu,

l’apprentissage d’une nouvelle culture, des années de lutte, de pauvreté, l’itinéraire se conclut enfin par une

intégration. "Sans bouger on est à la fois d’ici et

d’ailleurs" …

Danièle Weill-Wolf

(1)

"Rue des Rosiers : une manière d’être juif " Jeanne Brody,

revue " Autrement" (2) "Vivre et survivre dans le Marais. Au cœur de Paris du Moyen-

Age à nos jours " Sous la direction de Pierre-Azéma Ed. " Le Manuscrit "

Et pour mémoire : "Rendez-vous au métro Saint-Paul" de Cyrille Fleischman "Le Dilettante" Illustrations : Paris 4e (Parigramme)

Henry Bulawko, né le 25 novembre 1918 en Lituanie arrive à Paris à l’âge de 7 ans. Sa langue maternelle est le yiddish.

Très jeune il devient un membre actif du Hachomer Hatzaïr

mouvement de jeunesse juive et sioniste de gauche.

Dès 1940 il rejoint la Résistance. Jusqu’en novembre 1942 il

assure la fabrication de faux titres d’identité et d’alimentation

au dispensaire du "Comité de la rue Amelot" (cf. L.J. n° 116).

Arrêté en novembre 1942 il est interné à Beaune-le-Rolande, puis au camp de Drancy d’où il sera déporté vers Auschwitz

(convoi n° 57). En janvier 1945, il quitte Auschwitz avec

"Les marches de la mort", mais réussit à s’échapper et se

réfugie dans les forêts jusqu’à l’arrivée des troupes

soviétiques.

Président de l’Amicale des déportés d’Auschwitz et de

l’Association des déportés juifs de France, il est l’un des

fondateurs du Cercle Bernard Lazare.

Commandeur de la Légion d’honneur en 1999, il est élevé à

la dignité de Grand officier en 2005. Il meurt à Paris le 27

novembre 2011.

Deux habitants du Pletzl

Page 6: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

6

Vu d'Israël

Le printemps arabe et Daech en Israël

Décidément, les événements vont plus vite que la

pensée. La planète des hommes évolue à la vitesse Grand V. A chaque fois que je prends la plume – le

clavier – pour réagir, il faut tout recommencer du

début. Cette fois, je ne recommencerai pas, promis juré.

Automne 2015 : quinze ans après la Deuxième

Intifada, qui éclata au début d'octobre 2000, les

Israéliens revivent une nouvelle vague de violences qui rappellent les deux Intifadas précédentes, mais revêt des

formes à la fois nouvelles et très anciennes.

L'ancien : cette vague a commencé par un appel de la

"Branche nord" du Mouvement Islamique en Israël,

décrétant que la Mosquée El Aqsa à Jérusalem est "en danger" et que les Juifs veulent y changer le statu quo

pour y édifier le "Troisième Temple". Chose démentie

rapidement par le gouvernement israélien, même s'il est

vrai que des activistes religieux d'extrême droite (certains partenaires du gouvernement de Netanyahou)

ont fait des déclarations en ce sens. Le motif/prétexte

religieux est récurent dans l'histoire des rapports entre Juifs et Arabes en Palestine/Israël : il a servi à

déclencher des émeutes de la population arabe en 1919-

1920, en 1929, puis de nouveau en 1936-39 – quand le

rôle d'inspirateur et promoteur fut joué par le Mufti de Jérusalem, Hadj Amine et Husseini, grand prédicateur

enflammé qui s'enfuira en Allemagne et fera acte

d'allégeance à Hitler. A chaque fois, les émeutiers s'en prendront aux Juifs d'abord, à la puissance mandataire

britannique ensuite. L'appel à "défendre les lieux saints"

et à en expurger les "Juifs impies" est le meilleur mobilisateur, le meilleur détonateur. A chaque fois, il y

a des morts juifs, des viols, des pillages, etc.

Ce levier va servir de nouveau – mais pas

exclusivement – lors de la guerre de 1947-48, où l'État d'Israël est créé malgré les armées et les foules arabes,

ce que les Palestiniens appellent depuis une vingtaine

d'année la "Nakba". Mais c'est le motif nationaliste qui prévaut alors et jusqu'aux années 1980. La première

Intifada débute spontanément en décembre 1987,

principalement à cause de "l'occupation et l'exploitation israéliennes". Mais la Seconde Intifada voit le retour du

religieux, à cause de la visite médiatique d'Ariel

Sharon, sur le Mont du Temple en octobre 2000 –

prétexte imparable pour le retour de la violence. Depuis des années, les prédicateurs préparaient le terrain par

leurs prêches dans les mosquées. C'était en partie un

résultat de la grave imprudence des dirigeants israéliens, qui avaient cru bon de lutter contre le

nationalisme de l'OLP en donnant le champ libre aux

organisations religieuses. Dans le fond, on s'aperçoit,

après plus de deux siècles de contact/affrontement entre

l'Occident – dont Israël – et le monde arabe, que c'est

avant tout autre chose, la foi en Allah, la soumission à

Allah qui prime. Or soumission est exactement le sens

du mot "Islam".

Le neuf, en 2015, est double : c'est à la fois une

volonté des jeunes Palestiniens d'imiter les autres jeunes Arabes qui ont provoqué le "printemps arabe",

d'une part, et l'influence des techniques de la

communication électronique, les téléphones portables et les réseaux sociaux – qui galvanisent les insurgés. Alors

que Mahmoud Abbas cherche par tous les moyens

diplomatiques et "non violents" à contraindre Israël à

céder à toutes les exigences palestiniennes – pas seulement au sujet des implantations juives

1 - les jeunes

en colère visent le même objectif par la force et la

violence. Le nouveau, d'ailleurs, c'est aussi la présence de Daech presque aux portes d'Israël, en Syrie : on a là

une sorte de réincarnation de l'idée de "grand soir" à la

sauce islamique.

Ce serait beaucoup dire que d'affirmer qu'Israël sait

exactement comment s'y prendre face à cette situation

nouvelle, il a seulement une longueur d'avance sur les Européens, plutôt idéalistes et enclins à l'angélisme. Le

fait que nous ayons un gouvernement de droite, avec

une majorité parlementaire très mince, n'arrange pas les choses, L'absence d'un accord de paix avec les

Palestiniens est certainement décisive. L'Israélien de la

rue, lui, est assez interloqué par les attentats au couteau,

qui frappent surtout Jérusalem et la Judée-Samarie, il redevient méfiant ou hostile aux Arabes (même

israéliens, puisque quelques-uns ont commis des

attentats), et se répète une fois de plus qu'il n'y a "pas de partenaire pour la paix". Après les événements du 13

novembre à Paris, il penche à dire : "Vous les Français,

vous commencez à connaître ce que nous vivons depuis des dizaines d'années". Beaucoup rappellent la formule

française "A la guerre comme à la guerre". Sauf que le

malheur du voisin ne fait pas notre bonheur, la

compréhension des choses est entièrement différente. En quoi ? En ceci que pour au moins 80 % des

Israéliens, il "faut frapper le terrorisme à la source",

c'est-à dire à la tête. En France, jusqu'à ce jour, la majorité pensaient surtout qu'il s'agit de "poussées de

fièvre" sporadiques et ponctuelles. Mais le Président

Hollande a clairement déclaré que la France est "en

guerre". Les meilleurs spécialistes2

soulignent que la guerre sur le terrain n'a qu'une importance limitée,

l'essentiel étant de mener une guerre idéologique"

contre l'islamisme radical, qui veut assassiner ou convertir tous les infidèles !

Yaïr Biran

1 Dont je n'ai jamais été personnellement un partisan.

2 Dont beaucoup sont originaires des pays arabes ou du Moyen

Orient.

Page 7: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

7

Un musicien révolutionnaire,

témoin des bouleversements du 20ème

siècle.

"Le temps guérit toutes les blessures…même celles

infligées par des harmonies dissonantes"

Arnold Schönberg (1874-1951)

La saison lyrique a fait une entrée inattendue et passionnante avec "Moïse

et Aron" d'Arnold Schönberg. Après

40 ans de traversée du désert, la

version scénique, a enfin vu le jour à l'Opéra Bastille. Cette œuvre étrange et

bouleversante nous invite à connaître

la vie et l'époque de son créateur. Schönberg est né en 1874 à Vienne

dans une famille modeste. Son père,

petit commerçant libre-penseur. Sa mère, juive pratiquante, descend d'une famille où les

fils, pendant plusieurs générations, faisaient office de

chantres dans la grande synagogue de Prague. Pendant

longtemps, le seul lien qui attachait Schönberg au judaïsme fut la Bible, une de ses sources d'inspiration.

Compositeur autodidacte, il se considérait héritier de la

tradition classique et romantique malgré la révolution atonale dont il était l'initiateur. La transgression des

codes sacro-saints qui régnaient dans la musique était

déjà en mouvement. Mahler ( 1860-1911), visionnaire

d'un monde qui va être balayé, bouleverse déjà l'harmonie par ses contrastes dissonants. Le trivial fait

irruption dans le sublime. Le lyrisme élégiaque, entaché

par l'intrusion des fanfares tapageuses, annonce les pertes de repères traditionnels et le désenchantement de

la modernité.

L'art est un miroir impitoyable. Il dévoile ce qu'il y a derrière la fameuse "Gemütlichkeit" viennoise –

charme, douceur, cordialité – et derrière le kitch, façade

embellissante d'une réalité qui marche vers l'abîme.

Karl Kraus (1874-1936), célèbre pamphlétaire, écrit en 1915 un drame-fleuve (10 heures): " Les dernières

heures de l'humanité" où les chœurs des enfants

supplient les parents de ne pas les mettre au monde. L'apport de Schönberg à la musique est immense. En

1920, il fonde l'Ecole de Vienne et invente le

dodécaphonisme, qui jette les bases de la musique du 20

è siècle. Cette innovation iconoclaste déchaîne un

véritable scandale. Le public viennois et les autorités

musicales y voient une atteinte morale. On parle

d'impasse, on prévoit la mort prochaine de la musique. Ce sacrilège venant d'un Juif ne se pardonne pas,

Schönberg devient la cible d'attaques antisémites

violentes. En 1924 il quitte Vienne, part à Berlin où il est nommé

à l'Académie de Prusse comme professeur de

composition. La nomination d'un Juif à ce poste est

considérée comme "une provocation, un acte de malfaisance".

L'émancipation des Juifs de l'Empire et la

montée de l'antisémitisme 1860 Le nouveau gouvernement met en place des

réformes libérales qui donnent l'égalité des droits aux

Juifs. Ils peuvent quitter leur "shtetl" de Galicie,

Bukovine, Moravie ; accéder à la propriété, à l'instruction supérieure. Pendant la période où les

libéraux sont au pouvoir, l'intégration des Juifs à la

société et la culture viennoise se déroule sans heurt. En 1875, à la suite d'un krach boursier suivi

d'une crise économique, le Parti conservateur

revient au pouvoir, appuyé par le Parti national-chrétien de Karl Lueger. L'élection de cet

antisémite notoire à la mairie de Vienne met fin,

définitivement, à l'illusion d'une symbiose judéo-

autrichienne. Le courant antisémite, animé par les nationalistes et les pangermanistes, prend le

contrôle de la capitale

Rester juif ? Conversion, reconversion. A la fin du 19

éme siècle, une partie considérable de

l'intelligentsia autrichienne est composée d'artistes,

théoriciens et scientifiques juifs. Nombre de ces

intellectuels considèrent la conversion comme la voie

royale de l'assimilation à la culture allemande. A cette tendance que Théodore Herzl appela "la maladie

assimilationniste" s'oppose une autre conception qui

préconise la reconquête de l'identité juive par la culture, la langue, les traditions, l'histoire.

La conversion vaine. En 1898, Schönberg se convertit au protestantisme.

Pendant longtemps il fait face avec sang-froid aux attaques antisémites. En 1921, il passe des vacances

avec sa famille au village de Mattsee, dans les environs

de Salzbourg. La municipalité fait savoir aux vacanciers

que la présence de non-aryens n'est pas souhaitée, elle nuit à la réputation de la station. Cette humiliation

laisse des traces profondes. Dans une lettre adressée à

Kandinsky, il écrit : "J'ai au moins appris une leçon que je

n'oublierai plus jamais : c'est que je ne suis pas un Allemand,

ni un Européen, peut-être à peine un être humain , car je suis

Juif. J'en suis satisfait ! je ne souhaite pas du tout qu'on fasse

une exception pour moi" Pour Gustav Mahler, un autre viennois converti, la

conversion n'est pas une sinécure non plus. La plainte de Schönberg répond en écho au lamento de Mahler : "Je suis trois fois apatride : Bohémien en Autriche,

Autrichien en Allemagne et Juif dans le monde entier"

Mahler fait des tentatives touchantes pour effacer les "stigmates" de son identité. Il demande à sa femme

Alma de le mettre en garde chaque fois qu'il a des

manières, des gestes juifs. Quant à Schönberg, l'expérience traumatisante de Mattsee le décide à

retourner à ses origines.

En 1933, Hitler prend le pouvoir, Schönberg quitte

Berlin et fait un séjour de quelques mois à Paris avant

Page 8: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

8

son exil aux Etats-Unis. Le 24 juillet, il se présente à la

synagogue de la rue Copernic. Au cours d'une

cérémonie inhabituelle il exprime " son désir formel de

rentrer dans la Communauté d'Israël" il est accompagné de Marc Chagall comme témoin. Cette

demande de reconversion est peut-être unique dans son

genre. '"Le droit religieux ne connaît pas la "désertion", un Juif même converti reste Juif."

Une reconversion non moins paradoxale est celle de

Franz Rosenzweig. En 1913, à la veille de sa conversion, ce jeune philosophe, brillant auteur de

"l'Etoile de la Rédemption", décide de passer Yom

Kippour dans une petite synagogue hassidique à

Potsdam. A la suite de cette expérience, il quitte l'Université et se consacre à l'étude de l'hébreu et du

judaïsme. A son cousin prosélyte et déjà converti, il

écrit : "Etant ce que je suis ce n'est pas possible. Je resterai Juif".

Dès les années 1920, le retour, la "techouva", de

Schönberg se reflète par des thèmes bibliques dans son

œuvre : 1922 Echelle de Jacob / 1926 Moîse et Aron

1930 La voie biblique / 1938 Kol Nidre

1949 L'oratorio "Trois fois mille ans" pour la naissance de l'Etat d'Israël

1950 Le Psaume 130 " De profondis"

Selon André Neher, le philosophe talmudiste, les 12

notes de la dodécaphonie symboliseraient les 12 fils de

Jacob et les 12 tribus d'Israël.

Exil et postérité Les musiciens en exil connaissent des fortunes diverses. Kurt Weill, compositeur de l'Opéra de Quat' sous

reçoit un accueil favorable. Il devient spécialiste de

comédies musicales. Alexandre Zemlinsky, compositeur génial à la discographie impressionnante

meurt pauvre et oublié en 1942 à New-York. La

postérité retiendra qu'il fut le professeur et l'amoureux transi d'Alma Schindler, future épouse de Mahler.

En 1933, Schönberg s'exile aux Etats-Unis. Il est un des

rares qui comprennent que Hitler mettra à exécution ses

menaces et adjurent les Juifs de quitter l'Europe. Nommé professeur de composition à l'université de

Californie, il y restera jusqu'à sa mort en 1951. Bien

qu'il soit reconnu comme la figure la plus importante de la musique du 20

ème siècle son œuvre n'est pas intégrée

au grand répertoire des concerts. Admiré ou haï, des

polémiques et une abondante littérature n'ont pas cessé

de s'interroger sur son œuvre et sur sa personnalité. Comme il disait : " Peut-être dans cinquante ans on

saura qui je suis"

Margaret Cohen Sources :

-Yaël Hirsch : "Rester juif ?" (Ed. Perrin 2014)

-René Leibowitzi : "Schönberg" (Seuil 1962)

-Frans C. Lemaire : Le destin juif et la musique (Fayard )

Chagall Si après avoir vu l'exposition "Marc Chagall et le

triomphe de la musique " vous voulez en savoir plus

sur l'homme et le peintre, lisez le livre qu’une journaliste américaine a publié en 2008 et qui à été

traduit en français en 2012. (1)

Ce livre nous prend par la main pour suivre Chagall

dans ses pérégrinations au travers des bouleversements

de l’Europe du 20ème

siècle et nous donne à voir ses

œuvres dans le contexte de leur élaboration. Chagall peintre juif, cela va sans dire ; tous ses

tableaux reflètent les craintes et les nostalgies des Juifs

de l’est de l’Europe toujours en exil, et si cela ne suffit pas, le peintre met les points sur les "i" en ponctuant

ses tableaux de signes ou de lettres hébraïques.

Son prénom était Moyse et s’il avait adopté Marc pour se faire accepter par la France, la France, ou en tous cas

son administration, se refusa à le suivre sur cette voie

et quand il obtint sa naturalisation c’est "Moyse" qui

figurait sur sa carte d’identité.

Mais Chagall était aussi un peintre russe et ce n’est

que tardivement qu’il s’éloigna de la Russie. Né à Vitebsk, petite ville aux confins ouest du pays, il ne

s’arracha jamais complètement à cette ville où il passa

son enfance et où il fit ses premières armes de peintre.

C’est une Vitebsk réelle ou imaginaire qui figure sur nombre de ses tableaux, même les plus tardifs, une

Vitebsk juive qui fut détruite par les nazis.

Chagall né dans une famille de Juifs pauvres fut attiré comme beaucoup d’autres par l’espoir de voir changer

un monde écrasé par l’autocratie tsariste. Il avait 34 ans

quand éclata la Révolution d’Octobre. Après une première période d’apprentissage de son métier à

Vitebsk, il s’était rendu à St Petersbourg pour y parfaire

ses connaissances ; il s’y était heurté à la faim, à la

misère et à l’antisémitisme. A l’époque, les Juifs de l’empire tsariste étaient confinés dans la "zone de

résidence" et la capitale leur était interdite sauf

autorisation spéciale. Après quelques allers et retours entre St. Petersbourg et

Vitebsk, il réussit à se rendre à Paris, "Capitale des

Arts" ; C’était en 1911. Il y séjourna jusqu’en 1914, juste à l’orée de la Grande Guerre. Il y vécut, entre

autres à la Ruche, ce bâtiment du 14éme

arrondissement

de Paris peuplé d’ateliers de peintre. Il y fait la

connaissance de l’avant-garde intellectuelle parisienne, de Blaise Cendrars à Apollinaire en passant bien

évidemment par les peintres de l’Ecole de Paris.

Il retourna à Vitebsk au tout début de la guerre. Vitebsk n’était pas loin de la frontière et les autorités

tsaristes décidèrent du déplacement vers l’est d’un

million de Juifs accusés collectivement d’espionnage au

bénéfice de l’Allemagne(2)

. Il y épousa Bella Rosenfeld, qui fut son égérie et son modèle jusqu’à sa mort en

1944, puis s’installa à St Petersbourg – devenue, entre

Page 9: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

9

temps, Petrograd - où il assista aux révolutions de

juillet et d’octobre 1917.

La prise de pouvoir par les bolcheviks fut saluée

chaleureusement par l’avant-garde artistique russe qui y vit sa propre victoire et par les Juifs

que les pogroms sanglants organisés par les

"Blancs", jetèrent dans les bras des "Rouges". Les toutes premières années du régime soviétique

ne les déçurent pas, les artistes reçurent un

ministre de l’Instruction Publique, Lounatcharski, qui était plus ou moins un des leurs, et la

pratique du yiddish fut encouragée pour les Juifs

qui avaient maintenant le droit de vivre en dehors

des limites de la zone de résidence. Lounatcharski proposa à Chagall la Direction d’un

département des Arts Visuels ; il refusa, mais obtint

d’ouvrir à Vitebsk une école des Beaux-arts qu’il dirigea jusqu’en 1920. A cette date, le vent commença à

tourner, la façon de peindre de Chagall n’était plus tout

à fait conforme aux nouveaux canons soviétiques qui,

après quelques balbutiements, s’orientèrent vers le "réalisme socialiste".

Chagall quitta Vitebsk pour Moscou où il entreprit de décorer le futur Théâtre Juif. Il y fit, avec sept

panneaux de grande taille(3)

, une de ses œuvres

majeures qui annonça celles qu’il produisit une cinquantaine d'années plus tard quand il se lança dans

les fresques décoratives et les vitraux de grandes

dimensions.

Commençant à se sentir à l’étroit dans un soviétisme de plus en plus bureaucratique, Chagall décida de

retourner à Paris, et prenant prétexte d’une exposition

de ses œuvres en Lituanie, il quitta, en 1922, la Russie pour toujours. Mais Russe, il le resta toute sa vie même

s’il essaya de se faire accepter comme peintre français

après la seconde guerre mondiale, à son retour d’Amérique. C’est pour cela qu’il accepta avec

empressement d’illustrer, à la demande de Vollard, les

"Ames mortes" de Gogol par un ensemble de 107

gravures. Simultanément, il entreprit de refaire un certain nombre de tableaux qui avaient disparu durant la

guerre et qui, eux, étaient profondément marqués par la

vie juive de Vitebsk et en particulier "Au dessus de

Vitebsk " avec son juif errant que nous avons pu voir

au Musée du Luxembourg. (voir Lettre de LJ n° 122 et

aussi l'article de Jacqueline Karp "Chagall et la Bible dans la

Lettre de LJ n°110)

C’est à la fin des années trente qu’il fut de nouveau

attiré par la Russie soviétique, lorsqu’il s’avéra que

c’est cette Russie qui allait être le principal rempart contre la menace nazie. En 1937, il peignit

" Révolution ", une toile où sont entremêlés des thèmes

révolutionnaires et des personnages juifs typiquement "chagalliens" ; un Lénine, équilibriste, y côtoie un Juif

en prière pendant que des révolutionnaires, drapeaux

rouges en tête, s’élancent vers …

Chagall obtint la nationalité française en 1938. Elle

faillit lui être retirée en 1940 quand le gouvernement de

Vichy décida de dé-nationaliser tous ceux qui l’avaient

été depuis 1928. Il semble que son nom apparut sur les listes des "bénéficiaires" de cette mesure mais qu’il en

fut retiré. Cela n’empêcha pas qu’au cours d’une rafle

il fut arrêté par la police française à Marseille mais très rapidement libéré grâce à une intervention

"musclée" de Varian Fry(4),

avec qui il était déjà en

contact pour fuir vers les Etats-Unis. Chagall resta six ans aux Etats-Unis. En 1943, il y

rencontra ses anciens amis de la période soviétique

post-révolutionnaire, le grand acteur Mickoels, avec qui

il avait travaillé lors de la décoration du théâtre juif de Moscou, et l’écrivain Izik Fefer

(5), venus, tous les

deux, au nom du Comité Antifasciste Juif qu’ils

avaient créé à Moscou, collecter de l’argent pour soutenir l’effort de guerre de l’Union Soviétique. Cela

le rapprocha de l'Union Soviétique, dans laquelle il vit

la seule puissance capable de sauver ce qui restait des

Juifs de l'est après la liquidation du ghetto de Varsovie,

C’est aux USA qu’il perdit, juste avant de revenir en

Europe, sa femme et sa muse depuis Vitebsk, Bella, qui était un lien puissant avec sa jeunesse juive et russe,

Bella qui avait entrepris d’écrire ses souvenirs en

yiddish (6)

Isidore Jacubowiez 1 Jackie Wullschlager : Chagall – Gallimard – 2012. Le

titre anglais est "Chagall, love and exile" 2 Il faut croire que ces déplacements de populations sont

monnaies courantes en Russie, puisque moins de 30 ans plus

tard, les autorités soviétiques firent subir le même sort, pour

les mêmes motifs, aux Allemands qui vivaient, depuis

Catherine II, au bord de la Volga et aux Tatars de Crimée. 3 Que l'on peut voir à l'exposition de la Philharmonie de Paris 4 Varian Fry : Citoyen américain, chargé par "l'Emergency

Rescue Committee" de faciliter la fuite vers les Etats-Unis de

personnalités en danger en Europe 5 Fefer fut fusillé en 1952 pour "cosmopolitisme", Mickoels

fut assassiné en 1948 et son assassinat camouflé en accident

de voiture. 6 Bella Chagall : "Lumières allumées" NRF 1973

Page 10: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

10

Le Cimetière de Salonique L'université Aristote de Thessalonique n'est pas bâtie

sur le sable, elle est bâtie sur du solide, les restes de

plus de 300 000 juifs qui furent enterrés là depuis près de 20 siècles.

Ce cimetière se trouvait à l'extérieur du mur de

protection qui joignait la ville haute à son port lorsque les Byzantins tenaient le haut du pavé. Après quatre

siècles d'occupation ottomane, un Sultan de passage

décida que la ville corsetée par ses murailles avait

quelques difficultés à respirer et il les fit démolir. La ville commença à s'étaler et le cimetière se trouva peu

à peu enserré dans le tissus urbain.

Lorsque Salonique fut en 1912 rattachée à la Grèce et

qu'en 1923 près de 100 000 grecophones rapatriés

d'Asie Mineure s'y installèrent, la Municipalité essaya de récupérer le terrain sur lesquel s'elevaient les

tombes juives. La Communauté juive n'accepta que des

modifications mineures et l'affaire en resta là jusqu'à

l'arrivée des nazis. Ceux-ci, bien informés de la situation, se firent un plaisir de répondre positivement à

la demande de la municipalité grecque, trouvant sans

doute là un excellent moyen d'enfoncer un coin entre les Juifs et le reste de la population. La municipalité

ordonna donc un bon matin de décembre 1942 que les

morts devaient vider les lieux et donna six jours à la

communauté juive pour le faire. Six jours ou rien, ce n'était pas très différent et, le septième jour, des

ouvriers grecs commencent à détruire les tombes et

mettre à bas les stèles que l'on retrouva plus tard dans des chantiers de construction et en particulier dans ceux

des églises sans que les autorités ecclésiastiques

orthodoxes y trouvent quelque chose à redire.

Plus tard, sur le terrain ainsi libéré, on construisit ce qui

est le plus grand campus universitaire de la Grèce.

70 000 étudiants le fréquentent et bien peu d'entre eux savent que quand ils viennent au cours ils marchent sur

des ossements.

En tout cas, depuis le mois de novembre 2014, ceux d'entre eux qui veulent le savoir le peuvent. Il suffit

qu'ils se rendent auprès du monument que les

survivants de la déportation à Auschwitz ont réussi à faire ériger dans l'enceinte du campus ; 70 ans plus tard,

car il ne manquait pas de gens pour trainer les pieds,

que ce soit dans l'administration grecque ou dans celle

de l'université.

Le maire actuel, Yannis Boutaris, grâce à qui ce

monument a pu être érigé, n'a guère été tendre pour les

habitants de la ville dont il assure maintenant la gestion.

Ni pour les habitants, ni pour les autorités universitaires qui pendant des décennies ont fait comme si elles

ignoraient que, pendant plusieurs siècles, Thessalonique

avait été une ville dont la majorité des habitants étaient juifs. I.J.

Tous nos remerciements à Mme Hella Matalon de la

Communauté juive de Thessalonique qui nous a fait

connaître ce monument et son histoire et qui a bien voulu

relire et corriger cet article.

Qu'est ce que la musique juive ? C'est la question que se sont posés les participants à la

table ronde au Festival des Cultures Juives du mois de juillet

2015 en prélude au concert que nous a offert Agnès Jaoui. Il n'est guère besoin de préciser que les réponses ont été

multiples. Pour Susana Weich-Shahak(1), qui collecte les

musiques tout autour de la Méditérrannée, une musique juive

est tout simplement une musique chantée par des Juifs, du

temps où ces Juifs étaient réunis autour de structures

communautaires. Pour Benjamin Duvshani (2) c'est plus que

cela, c'est à la fois une façon d'approcher la création musicale

dont Salomone Rossi, Malher et Offenbach sont des

exemples et l'intégration de thèmes juifs tels qu'on peut en

retrouver même chez des musiciens aussi modernes que

György Ligeti et Mauricio Kagel. Pour Hervé Rotten

(3), il est difficile de définir une musique

juive, car toute musique est évolutive dans le temps, elle est

produite dans un cadre historique et social bien défini. Les

musiques jouées ou composées par des Juifs ont été

influencées par le milieu dans lequel elles ont vu le jour - par

exemple les romances ladino. Simultanément des mélodies et

des airs typiquement juifs ont été repris par des muscisiens

non juifs et des musiciens non juifs ont écrit des musiques où

l'influence des mondes juifs est indéniable. Comment ne pas

faire entrer dans le patrimoine juif les mélodies hébraïques de

Ravel ou la symphonie pour Babi Yar de Chostakowitz, tout

deux non juifs, et comment écouter de la Musique arabo-andalouse sans penser à Cheik Raymond, assassiné parce que

ses assassins considéraient, sans doute, que sa musique était

juive ?

C'est à la conservation de cette diversité des musiques que

Hervé Rotten s'est attelé en créant en 2006 le CFMJ (Centre

Français de Musique Juive) devenu en 2012 l'IEMJ

(L'institut Européen des Musiques Juives) qui collecte,

ramasse, copie, répare et numérise tout ce qui a un rapport

avec cette musique juive que l'on a tant de mal à définir. A

l'heure actuelle plus de 7000 documents - vynils, CDs,

bandes magnétiques, photos, partitions , manuscrits- ont été archivés, donc sauvés.Vous en aurez une idée en allant faire

un tour sur le Site internet www.iemj.org, : vous ne serez

qu'un des 6000 visteurs qui chaque mois viennent s'informer

ou écouter ces airs juifs qui nous prennent aux tripes quand

nous les entendons.

I.J.

1) Ethnomusicologue à l'Université Hébraïque de Jérusalem 2) Musicologue et critique musical 3) Directeur de l'IEMJ Le monument inauguré en 2014 © Y.Labbe

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11

Echos des conférences de L.J. Mercredi 20 octobre 2015

Remi Huppert : Une communauté juive en Chine

Remi Huppert a plusieurs cordes à son arc qui vont de la sociologie au piano en passant par l'économie et le

journalisme. Il écrit aussi des

romans. C'est à l'occasion de son dernier roman "Destin d'un Juif en

Chine" (1)

qu'il est venu nous parler

de Harbin qui est un des

personnages principaux du livre. Harbin est cette ville d'extrême-

orient dans une province chinoise

qui autrefois s'appelait la Mandchourie. Située sur un affluent de l' Amour elle

est aussi au confluent des deux branches extrême -

orientales du Transibérien, celle qui se termine à Vladivostok et celle qui descend vers Pékin, ce chemin

de fer mythique qui a permis aux Russes d'atteindre le

Pacifique tout comme l'ont fait à la même époque les

Américains dans leur marche vers l'ouest.

Harbin fut fondée en 1898 et s'agrandit notablement

après la défaite de l'empire Tsariste face au Japon en 1905. Des soldats russes démobilisés s'y installèrent et

y retrouvèrent d'autres Russes déjà venus chercher

fortune en extrême orient et des Juifs trop heureux de

s'éloigner du Tsar et de sa "zone de résidence". Après la révolution et la guerre civile qui s'en est

suivie, Harbin vit arriver des Russes blancs fuyant le

pouvoir soviétique. Tout cela fit qu'à la fin des années 1920 la ville comportait une communauté juive

d'environ 20 000 personnes et une communauté russe

de près de 100 000 personnes. On bâtit des bâtiments modernes "art nouveau" et deux synagogues, la

première en 1908 et la seconde en 1921. Tout ce monde

vivait à peu près en paix, entouré d'un océan de

Chinois. Las ! En 1932, les Japonais débarquent en force et en

armes, annexent la province et instaurent un régime à

poigne. Une partie des Russes et des Juifs quitte la région, les autres partiront en 1945 à l'arrivée des

soviétiques puis en 1949 avec la prise de pouvoir de

Mao-tsé Toung en Chine. La ville cosmopolite de Harbin avait vécu et

aujourd'hui il n'en reste que des bâtiments et une

architecture qui rappellent son passé.

Ce passé est soigneusement conservé par la municipalité chinoise qui s'efforce de maintenir en état

ce qu'elle considère être comme partie intégrante de son

histoire. I.J.

1Rémi Huppert "Destin d'un Juif de Chine"

Ed. Michel de Maune. 2014

Mardi 24 novembre 2015

Danielle Rozenberg :

Séfarad revisité dans l'Espagne contemporaine

C'est vers la fin du 19ème

siècle que l'Espagne officielle

découvre le monde sépharade, un monde qui parle espagnol et reste pétri de

culture ibérique.

A cette époque L'Espagne a perdu en totalité son empire

Sud-Américain et à ce lien

qu'est la langue vient s'ajouter

des arrière-pensées de reconstitution d'une zone

d'influence hispanique. C'est un

sénateur, Angel Pulido, qui à la suite d’une rencontre fortuite en 1880 avec un Juif

oriental milite pour la reconnaissance, par l'Espagne, du

lien qui la lie à une population estimée à l'époque à deux millions de personnes.

Dès 1924, le gouvernement de Primo de Rivera

promulgue un décret permettant l'obtention de la

nationalité espagnole aux sépharades "en difficulté ". Mais il faut attendre la chute du franquisme et 1992

pour que soit inscrite, dans la Constitution espagnole,

l'égalité des religions devant l'Etat. 1992, c'est aussi la date anniversaire des 500 ans du décret d'expulsion

des Juifs d'Espagne par Isabelle la Catholique, décret

qui n'a jamais été aboli, ce qui n'a pas empêché une normalisation complète avec les mondes juifs :

-Reconnaissance de la communauté juive en Espagne, -

Etablissement de relations diplomatiques avec Israël, -

Reconnaissance du monde sépharade. Mais c'est surtout la prise en compte par la société

espagnole de ce qu'elle doit aux Juifs d'Espagne ce qui

se traduit par des recherches généalogiques au niveau individuels, et au niveau des collectivités d'une

floraison de lieux de mémoire qui bien sûr se double,

comme ailleurs, d'un encouragement au tourisme

mémoriel. Le point final de cette démarche est la Loi qui a été

promulguée en 2015 accordant la nationalité espagnole

à tous les sépharades qui le souhaiteraient. Les décrets d'application viennent d'être publiés et on pense qu'ils

pourraient concerner 90.000 personnes.

Les communautés juives espagnoles regroupent, actuellement, environ 5000 personnes.

I.J. Pour en savoir plus :

Danielle Rozenberg : "l'Espagne contemporaine et la

question juive" – Presse universitaire du Mirail – 2006

Pour être informé en temps réel de nos activités et participer

à des échanges et discussions avec d'autres lecteurs de la

Lettre de L.J. inscrivez-vous à Yahoogroupe Courrier-L.J. Si

vous êtes intéressés, signalez-le par mail à :

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Page 12: Liberté du Judaïsme La lettre de L.J

12

Activités de L.J.

Conférences Notre thème pour l'année 5776 (2015-2016)

"Les Juifs, d'ici et d'ailleurs" Mercredi 16 Septembre 2015

Edith Bruder : Les Juifs noirs d'Afrique et le Mythe des

Tribus perdues. Mardi 20 Octobre 2015 Rémi Huppert Une communauté juive en Chine Mardi 24 Novembre 2015

Danielle Rozenberg

Sefarad revisitée dans l'Espagne contemporaine.

Mardi 15 Décembre 2015

Gilles Hanus L'itinéraire de Benny Lévy

Mardi 26 janvier 2016

André Lerousseau Claude Vigée ou le pari du vivant Figure par excellence du poète, Claude Vigée est un

combattant dont la parole, plus actuelle que jamais, résonne

doucement, mais avec ténacité, comme un défi lancé à ceux

qui ont fait de la mort une profession de foi, parole

d’ouverture à l’attention des bâtisseurs d’avenir

Mardi 16 février 2016

Jean-Claude Szurek Le passé juif dans la

mémoire polonaise : quelle évolution depuis 1989? Depuis 1989, on assiste en Pologne à une prise de

conscience croissante du passé juif : commémorations,

remémorations et actions culturelles se succèdent à un

rythme soutenu, à l'opposé de l'oubli qui avait entouré les

Juifs durant la période communiste.. Quelles sont les ressorts et les grandes lignes de cette curieuse présence juive dans un

pays quasiment sans Juifs ?

Les conférences débutent à 19 heures. Ouverture des portes à

18 h 45. Elles sont suivies d'un débat et se tiendront au siège de

l'U.S.J.F-Farband : 5 rue des Messageries Paris 10ème

Cercle de Lecture Dimanche 31 janvier 2016 Autour du livre de Patrick Modiano :

"Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier "

Gallimard 2014

Notifiez votre participation au : 01 46 55 73 83

La Lettre de L.J. Janvier février 2016 Rédaction et administration

13 rue du Cambodge 75020 Paris

Directeur de la publication: Isidore Jacubowiez

Comité de Rédaction :

Simone Bismuth, Guershon Essayag ,

Flora Novodorsqui Danièle Weill-Wolf,

Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris

Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584

Les articles signés n'engagent que la responsabilité de leur

auteur

RAJEL Le Réseau des Associations Juives Européennes

Laïques dont fait partie "Liberté du Judaïsme"

organise un débat sur le théme :

"Laïcité et lutte contre le repli indentitaire"

Le samedi 6 février 2016 de 14 h à 18 h

à la Mairie du 3ème

arrondissement de Paris.

Il est impératif de s'inscrire à l'avance par mail à

[email protected]

Et ailleurs Des expositions

A la Philarmonie de Paris

Marc Chagall et le triomphe de la musique

Un régal pour les yeux et pour les oreilles Jusqu'au 31 janvier 2016

Au MAHJ

Moïse. Figures d'un prophète.

Le mythe fondateur du peuple juif. Jusqu'au 21 février 2016

Au Musée de l'Emigration

Frontières : Murs, frontières, passages et migrations à travers le monde, hier et aujourd'hui

Jusqu'au 29 mai 2016

La Lettre de L.J. Sommaire n° 137

Editorial 1

Aujourd'hui et Demain 1

Spinoza

La liberté de concience 2-3

Une histoire juive 3

Le " Pletzl" 4-5

Printemps arabe et Daech 6

Arnold Schönberg 7-8

Marc Chagall 8-9

Le Cimetière de Salonique 10

Qu'est-ce que la musique juive 10

Nos conférences

Rémi Huppert 11

Danielle Rozenberg 11

La vie de l'Association 12