la lettre de l.j
TRANSCRIPT
1
La lettre de L.J.
Présidente d’Honneur : Doris Bensimon ז״ל
Liberté du Judaïsme : Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 139 mai-juin 2016 le numéro : 3 €
http://www.liberte-du-judaisme.fr
Editorial
On retrouvera dans la présente lettre de "Liberté du
Judaïsme" trois hommes qui à des titres divers ont
laissé une trace importante dans les mondes juifs.
Gaston Crémieux - Juif du Comtat - qui se battit pour
un idéal universel qui imprègne le judaïsme tel que
nous le concevons, Angelo Donati - Juif italien – qui
arracha aux assassins des familles pourchassées par les
nazis. Albert Cohen - Juif de Corfou – qui œuvra
pour la protection des migrants et donna à la France de
si belles lettres.
A l'opposé de ces hommes tournés vers la vie et vers
les autres, l'islamo-fascisme, ce mal qui répand la mort
de par le monde, a encore tué à Bruxelles ; mais malgré
cette suite d'horreurs, il nous semble qu'il faut continuer
à rechercher à tout prix cette "Convivance" dont notre
amie Michèle Madar nous explique le sens. Cette
convivance qui exista dans l'Ile de Corfou dont nous
parle Jean-François Renaud
Dans ce contexte troublé nous avons, avec les
associations amies du Rajel, émis une condamnation
des agissements de BDS qui ont pour seul résultat
tangible d'aggraver la situation en important sur le
territoire français le conflit israélo-palestinien alors
qu'à la porte d'à côté, en Syrie, les morts et les
destructions s'accumulent sans que l'on entende
beaucoup de voix s'en inquiéter.
Nous avons, d'autre part, ouvert nos colonnes à la
jeune association de jeunes juifs : "Saut Jeunes" qui
s'y présente elle-même et à qui nous souhaitons longue
vie et réussite.
Le Bureau
Pour être informé en temps réel de nos activités et
participer à des échanges et discussions avec d'autres
lecteurs de la Lettre de L.J. inscrivez-vous à Yahoogroupe
Courrier-L.J. Si vous êtes intéressés, signalez-le par mail à :
Les Juifs de Corfou
Que sont les Valeureux devenus? Ceux qui
peuplaient les livres d'Albert Cohen et l'île de Corfou ?
L’île
A l’entrée de la mer Adriatique, en vue des côtes de
l’Epire, terre ottomane, l’île fut, pour Venise, une base
importante pendant cinq siècles, de 1386 à
l’autodissolution de la Sérénissime République le 11
mai 1797. Le traité de
Campoformio, le 17 oct.
1897, attribua Venise et
la Vénétie à l’Autriche
et Corfou à la France.
Corfou avec six autres
îles, Paxos, Antipaxos,
Leucade, Céphalonie,
Ithaque et Zante, forma
une République :
l'Heptanèse où tous les
citoyens jouissent de
l’égalité des droits
civiques comme en
France.
Après la chute de
l’Empire napoléonien l’archipel devient protectorat
anglais sous le nom de "United State of Ionian Islands"
L’histoire ne se déroule pas sur les îles comme sur les
continents. Pourrait-on dire que le temps s’y écoule
plus lentement ? Les particularismes locaux y sont plus
tenaces, et, si on les laisse germer trop haut, peuvent
dégénérer en violence.
Les îles sont des "cocotte-minute" dans l’histoire !
Les Corfiotes Selon Bernard Pierron
(1) "En 1860, la population de
Corfou-ville est estimée à 17000 habitants, répartis
selon trois groupes bien distincts : un tiers de Juifs, un
tiers de Turcs, Maltais, Italiens, Dalmates, et autres ;
enfin, le dernier tiers est composé de Grecs.
La situation des Juifs de Corfou et du reste de
l’Heptanèse fut loin d’être enviable de 1815 à 1864,
La maison natale d'Albert Cohen (aquarelle de J-F Renaud)
2
non seulement en raison de l’hostilité des Grecs mais
aussi par les inconséquences de l’administration
Anglaise qui, succédant à l’occupation Française, leur
supprima le droit de vote et interdit aux hommes de loi
juifs de plaider en tribunal "
On distingue, parmi la population juive, trois grands
groupes : les Italiens, les Grecs dits Romaniotes,
établis depuis longtemps ou nouveaux immigrés du
continent, et les Pugliesi. Les
Juifs vivaient dans un quartier,
en contrebas des murs de la
citadelle, nommé Evraiki, ce
n’était pas à proprement parler
un ghetto, mais le peuplement y
était dense, dans les étages de
hauts immeubles, dont
beaucoup furent bombardés
pendant la IIème guerre
mondiale
Les Italiens.
Un voyageur, en 1563,
reconnait, à Corfou, un mélange
de Romaniotes et de Pugliese qui se fondra dans le
monde Vénitien, en symbiose avec le monde Juif
italien. Les rabbins venaient d’Italie. Dans la synagogue
actuelle, on prie en Hébreu, on parle Italien, Ils
parlaient, souvent, le dialecte vénitien, variante
"zezeyante " de l'italien. Aujourd’hui, les jeunes
fréquentent l’école ou le lycée grec.
"Greci" Juifs établis en Grèce depuis l’antiquité et l’époque
byzantine, nommés par le Turc : " Rum" (de "Rome ",
donc non-croyants à la religion de l’Islam). Ils parlent
le Grec ; ni Sépharades ni Ashkenazes, ce sont les
Romaniotes. Pour les juifs corfiotes insulaires ou
"Toshavim » qui ont peuplé Corfou depuis le XIIème
siècle, sous la domination normande, tous les autres
Romaniotes sont les "Terrieri " continentaux poussés à
l’émigration vers Corfou.
Pugliese Les "Pugliesi " étaient des Sépharades qui parlaient un
vieil Italien méridional, un peu hispanisé, - le
"Pugghisu" et priaient en judéo-espagnol. Ils venaient
du sud de l’Italie, notamment des Pouilles et de
Calabre, riveraines de l’Adriatique encore sous
domination normande, bien avant 1492, date de
l’expulsion d’Espagne. Ils avaient commencé à
s’installer à Corfou, y développant une influence
commerciale et religieuse, en relation avec les Aragon
de Naples. En 1386, sous Venise leur influence se
développa dans toute la péninsule balkanique.
Ils furent ensuite rejoints à Corfou par les proscrits du
décret de l’Alhambra.
Les traditions, recettes de cuisine et rites religieux
varient selon les foyers. Il n’y eut pas d’unification des
rites avant l’arrivée des Rabbins Levi et Da Fano, venus
d’Italie en 1888 et les évènements de 1891.
L’Enossis, Union
- Les Corfiotes deviennent Grecs 1864, l’Empire Britannique cède l’Heptanèse à la
Grèce. Pendant 27 ans, jusqu’en 1891 va s’écouler une
période riche en promesses, pour la jeune nation
pluriethnique sous le règne de Georges Ier
. Mais, durant
ce quart de siècle, de violentes et vieilles forces sourdes
seront niées, et se renforceront en silence dans le
microcosme de l’île. L’explosion se produira en 1891.
Environ 5000 Juifs vivent à Corfou. Une minorité de
commerçants et artisans dont certains formeront plus
tard de petites et moyennes entreprises : couture,
savonnerie (Jacob Israel, repris plus tard par son gendre
A. Coen), fabrique d’ombrelles et de parapluies
(Ferro). chaussures, travail du fer-blanc, chapellerie,
fleurs artificielles, joaillerie.
La majorité est pauvre : chiffonniers, porteurs-
déménageurs, dockers du port. Mon ailleul, David
Jessula, vend de la soupe dans la rue,
La situation civique des Juifs s’était dégradée depuis
que le "Sénat Ionien" avait voté, après 1815, la
suppression de leur droit de vote et autres limitations
juridiques.
Les communautés fraternisent, dans la joie de
l’Enossis : Entrer dans la mère-patrie. Les pourparlers
et le traité d’union se font à Copenhague. En route, la
délégation dirigée par le héros de l’insurrection
grecque, l’Amiral Kanaris, fait escale à Corfou. La
liberté civile et religieuse, dogme en vigueur dans le
royaume, sera étendue aux Iles et le même Sénat ionien
votera le rétablissement " révolutionnaire" de tous les
droits des Juifs mais la religion orthodoxe grecque est
religion d’état et aux élections les bureaux de vote
sont placés dans les églises.
L’intégration d’une nouvelle population sur les listes
électorales, et l’accès à certaines carrières publiques
posent un problème politique local, mais leurs effets se
produiront plus tard …
En 1865, un correspondant de "l’Univers israélite" écrit
de Corfou :" Par la réunion de notre île avec la Grèce,
notre condition civile s’est sensiblement améliorée …
La bourgeoisie grecque se montre très favorable aux
Israélites et apprécie leur esprit, nos médecins jouissent
d’une grande estime … " (1)
Une ère de grâce apparente se produit : en 1870
plusieurs Juifs seront élus au Conseil municipal, l’un
d’eux fut adjoint au Maire de la Ville. Le Rabbin
Emmanuel Levi était reçu par le Roi Georges Ier, lors
de ses séjours dans l’île. A sa mort en 1887, les clergés
Grec et Romain, les autorités civiles et militaires lui
rendent hommage. Il fut remplacé par Alessandro da
Fano, venu de Reggio Emilia.
C'est là
3
On lui doit l’unification des rites différents pratiqués
par chacune des communautés exotiques et batailleuses
décrites plus haut. D’une grande culture, il développa
l'enseignement de l’italien, du français et du grec dans
un établissement dont la ruine, qui jouxte l’actuelle
synagogue, témoigne de la taille. Cet enseignement,
pour filles et garçons, fut un atout pour surmonter le
désastre qui allait se produire. "L’Alliance Israélite
Universelle" n’avait pas d’école à Corfou comme dans
l’Empire ottoman. En 1889, le nouveau rabbin fut invité
à Athènes aux fêtes marquant le 25ème
anniversaire du
Roi. Il y figurait en compagnie des différentes
représentations religieuses du Royaume : grecque,
romaine, et musulmane.
Le port de Corfou Au fond de l’Adriatique, après le déclin de Venise,
Trieste est l’ouverture autrichienne sur la mer. Tout au
long des côtes dalmates, l’Empire austro-hongrois
installe une amorce pour le grignotage de l’Empire
ottoman. Après l’inauguration de la gare de Trieste en
1854, la liaison ferroviaire à travers les Alpes avec la
capitale, Vienne, ouvre la mer à l’Europe centrale.
Entre 1885 et 1897, un recensement de la population
juive montre que 16% des hommes travaillent au port
comme dockers (facchini) et 18% sont " commerçants".
Les cédrats de Corfou Les vergers des îles Ioniennes et du littoral produisaient
des cédrats utilisés dans la fête des Cabanes "Soukkot".
Depuis Parga, Preveza, en Epire, de Leucade, on
regroupait dans les cales des navires des chargements
d’agrumes rapidement dirigés vers Vienne, puis
distribués par chemin de fer dans toute l’Europe
ashkénaze juive, via Trieste.
Mais, à partir de 1875, les rabbins se mirent à suspecter
la pureté rituelle de ces fruits qui furent finalement
importés d’origines plus "sionistes", et le trafic se tarit.
Sur une population de Corfou-ville estimée à 17500
habitants, les Juifs sont 6000 vers 1880, soit 600 à 700
voix pour élire le Conseil municipal. Dans la mentalité
humaine un attachement au cadre, au voisinage et aux
habitudes de vie se crée naturellement. Chez la majorité
grecque de l’île, les changements politiques, humains et
sociaux, la tendance philosémite du gouvernement
déclencha un ressentiment et une sourde hostilité.
Yakovos Polylas, homme de lettres, politicien et
journaliste, avait commencé à critiquer dans la presse
locale, le nouveau rôle des Juifs. Cette tendance,
relayée par toute la presse, tourna, dans les années 1890
à la franche hostilité.
La "guezzera del Novant’uno" La catastrophe de 1891
Mardi 2 avril 1891. La presse d’Athènes titre le
lendemain : " Une jeune juive est égorgée à Corfou". A
l’approche des fêtes de Pâques, cette sinistre affaire
allait déclencher une émeute. Le préfet organisa la
protection, qui se transforma en blocus du quartier juif
en proie à la panique. Malgré l’intervention des
autorités locales et du rabbin A. da Fano, les troubles
durèrent plus d’une semaine et ne cessèrent qu’à
l’arrivée de renforts militaires envoyés de Patras. Des
désordres similaires se produisirent en écho dans les
îles de Zante, de Leucade et de Céphalonie..
Ensuite, Corfou n’était plus la même. Il y eu un coup
d’arrêt à la politique philosémite nationale : le préfet
Vlahos, jugé trop mou, fut remplacé par N. Pieris,
antisémite notoire. Au procès, qui eut lieu à Patras, la
responsabilité des coupables ne fut jamais clairement
établie. Le rabbin da Fano démissionna et rentra en
Italie . Au plan local, l’échéance d’une émigration plus
ou moins rapide devenait évidente. En mai, 200 juifs
étaient déjà parti pour Trieste, un millier allait suivre.
La grande ville italienne, toute proche, était propice à
une intégration qui fut lente, dure, mais finalement
heureuse et définitive.
On imagine aujourd’hui un départ précipité d’émigrants
avec des ballots ficelés à la hâte, Ce ne fut pas le cas,
toute la population n’émigra pas et on compte encore
2000 Juifs en 1900. On préparait soigneusement son
départ : Transformation du prénom : Moshe devient
Maurice, Jacob → Jacques … etc ; Relations avec des
cousins, parents, amis, déjà partis qui déterminent
l’opportunité d’une destination, d’un emploi. Etude du
Français. Aucun projet d’aller aux USA, contrairement
aux Ashekenases d’Europe du nord.
L’Italie et la Grèce
Le choix des Corfiotes se fera selon leur connaissance
des langues, leur éducation, leur métier, leur talent. Soit
la Grèce, pour se fondre dans la nouvelle capitale avec
les Romaniotes venus des autres villes de la jeune
nation, et s'assimiler dans la culture grecque. (ex:
Moise Caïmi, journaliste, publie le "Israelite
Chronographos" à Athènes), soit l'étranger. Quelques-
uns franchiront l’Adriatique et vivront en Italie (Bari,
Catane, Naples).
Alexandrie
"La plus grande ville grecque du monde " depuis
l’antiquité, en pleine expansion après le percement du
canal de Suez en 1869. De nombreux corfiotes y
rejoindront les communautés venues de tout le Levant,
et d’Europe. Depuis 1900, une société plurinationale,
anime la banque, le commerce, l’industrie et
l’administration. L’Egypte qui sera de 1914 à 1936 un
protectorat britannique.
Il faut trois générations pour s’intégrer : Les " vieux"
parlent la nouvelle langue avec un fort accent;
la "Nonna" parle italien avec le "Nonno", les oncles,
4
tantes et les enfants. Mais ces mêmes enfants se mettent
à parler la langue des petits-enfants qui vont à leur
nouvelle école. Ce sera l’école française pour les
corfiotes, et pour beaucoup d’italophones. On voit
naître sur les bords du Nil une génération de jeunes qui
parlent, sans accent, le même français que sur les rives
de la Seine.
En 1956 ces Juifs d'Egypte seront contraints de
reprendre le bâton de l'exil, mais ceci est une autre
histoire ( voir Lettre de LJ n° 138)
Marseille – " Une histoire familiale"
Mon arrière grand-père - Armando Jessula -
connaissait à Salonique la famille Allatini qui
possédait, autour de la Méditerranée et de la mer Noire,
des moulins, des brasseries et des comptoirs. Une
branche de cette famille s’était fixée à Marseille où elle
ouvrit un bureau. Dès 1892 Armando rejoint cette
agence, pour occuper l’emploi le plus humble : planton,
estafette, timbrage, dépôt du courrier à la poste …
David, 18 ans et Jacques 13 ans restent avec leurs sœurs
et sa femme, la Mamma Rembizza. Deux ans plus tard,
ils arrivent à Marseille. "Allatini frères" crée
la "Compagnie de Commerce et de Navigation en
Extrême-Orient ". Jacques part à Saigon en 1904, David
le suivra 4 ans plus tard– après avoir passé son
baccalauréat à Aix. Les 3 sœurs, Stella, Finetta et Irène
se marieront ensuite à Alexandrie.
Epilogue
Juin 1944, Corfou, sur 2000 juifs, 1800 sont déportés
par les Nazis. 200 reviendront. Maintenant, ils sont une
cinquantaine. Ainsi se sont dispersés autour de la
Méditerranée plus de 5000 Valeureux.
1956, une nouvelle fois encore, depuis l’Egypte, une
population italophone originale, concentré d’humour et
d’histoire de l’Europe, d’abord fixée dans les îles
ioniennes, patrie d’Ulysse maintenant grecque, s'est
dispersée aux quatre coins du monde.
Les "Valeureux" existent. Salomon, Michaël,
Mattathias et " Stampachiodi" Mangeclous, vivent dans
les pages du grand auteur de langue française moderne,
qui les a, "en poète", " fait venir" de Céphalonie, tout
près !
Pourquoi pas de Corfou ? – Chi lo sa ?
Jean François Renaud
1 Bernard Pierron "Juifs et Chrétiens de la Grèce moderne"
Histoire et perspectives méditeranéenes L’Harmattan 1996
Le livre de Nancy Lefenfeld, qui nous avait présenté le 25
janvier 2014 son travail sur les passages clandestins d'enfants
en Suisse durant la seconde guerre mondiale, vient d'être
publié en français sous le titre "Le destin des autres" aux
Editions de l'Harmatan
Albert Cohen
En 1900 arrive à Marseille, venant de Corfou, Marco
Coen ; il s’installe comme négociant en œufs avec sa
femme Luigia née Ferro, et
leur petit garçon de 5 ans :
Alberto, qui a raconté son
enfance dans "Le livre de ma
mère" (1954).
A partir de 1909, Alberto fait
ses études secondaires au
Lycée Thiers, dans la même
classe que Marcel Pagnol. En
1914, il part pour Genève où
il étudie le Droit. En 1919,
avocat et encore turc par son père, il obtient la
nationalité suisse en francisant son nom en "Albert
Cohen" (pour "faire" plus Juif, avait-il dit). Il se marie et
part, seul, pour Alexandrie où il travaille dans un
cabinet d’avocats. Moins de 2 ans, plus tard, il revient
en Europe, puis, en 1926, entre au BIT (Bureau
International du Travail) à Genève et commence à
écrire : Solal en 1930, Mangeclous en 1939. Après
Genève, Paris d’où il part à Londres en 1941.
Pendant la deuxième guerre mondiale il s’implique
dans la cause sioniste et dans celle des réfugiés. A partir
de 1944, jusqu’à sa retraite de fonctionnaire de l’ONU à
Genève, il sera l’artisan du "Passeport Nansen1"
promulgué en 1946. C’est sa grande réussite
professionnelle de juriste et diplomate : Ce document
est délivré par l’ONU aux apatrides, exilés, migrants,
dont la patrie n’existe plus, qui leur permet de voyager
et rejoindre une terre, future nation d’adoption.
Il n’a pas cessé d’écrire. Sa principale œuvre, Belle
du Seigneur, est publiée en 1968, suivie par Les
Valeureux, en 1969. Sous ce titre prennent vie les gens
de Corfou, si vivants autrefois, qu’il ne pouvait que les
garder définitivement présents. Albert Cohen est mort
en 1981. Une rue Albert Cohen existe maintenant à
Corfou qui a donné à la langue française un de ses plus
grands écrivains.
JF. R. & I.J
1 Fridjof Nansen (1861-1930) Explorateur polaire norvégien,
puis diplomate – Prix Nobel de la Paix 1922.
La Lettre de L.J. mai-juin 2016
Rédaction et administration
13 rue du Cambodge 75020 Paris
Directeur de la publication: Isidore Jacubowiez
Comité de Rédaction :
Simone Bismuth, Guershon Essayag ,
Flora Novodorsqui Danièle Weill-Wolf,
Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris
Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584
Les articles signés n'engagent que la responsabilité de leur auteur
5
Gaston Crémieux
Gaston Crémieux naquit à Nîmes le 22 juin 1836. Son
nom complet est Isaac Gaston Crémieux. Il est issu
d’une famille juive du
Comtat Venaissin. Son père
est un modeste commerçant
dans le textile : il vend des
indiennes. Dès qu’il entre
au lycée, le jeune Gaston
sait qu’il veut devenir
avocat. Il évolue dans un
siècle bouleversé par
l’industrialisation. Comme
un certain nombre
d’intellectuels de cette
époque, il est franc-maçon :
il sera élu maître vénérable à la loge de la " Réunion
des Amis Choisis". Il se marie avec Judith, Noémie
Molina le 25 septembre 1864. Cette dernière lui
donnera 5 enfants dont 3 survivront. L’aîné, Albert,
deviendra avocat et le plus jeune est nommé
Maximilien en hommage à Robespierre pour lequel
Gaston Crémieux voue une grande admiration.
Gaston suit la majeure partie de ses études dans sa ville
natale de Nîmes, puis il tente sa chance à Paris. Dans la
capitale, tout en continuant ses études de droit à
l’université, il travaille comme clerc pour gagner un
peu d’argent. En janvier 1856 il décide de poursuivre
ses études à Aix-en-Provence. Le 25 novembre de cette
même année, il obtient sa licence. Le 24 mars 1854, il
devient avocat et retourne à Nîmes. À ses débuts, il
traite essentiellement d'affaires d’escroquerie, de vol,
d’empoisonnement et de viol. En 1862, il s’établit à
Marseille où il ouvre un cabinet.
Il est possible que le jeune Gaston fut influencé
politiquement par son cousin Esdras qui fut très actif
pendant les révolutions de 1848 et de 1851. Gaston,
jeune, défenseur des luttes sociales, prône un
rassemblement qui réunirait les révolutionnaires et les
républicains contre le pouvoir en place.
Gaston Crémieux est également poète, écrivain et
journaliste. Il crée le 29 novembre 1857 une revue
littéraire "l’Avenir " qui donne la parole à d’autres
courants de pensée que celui de la toute puissante
presse catholique. Ce journal est interdit un an après par
la police qui le juge subversif. Il publie des poèmes
dans un recueil intitulé les "Marseillaises" en 1866 avec
"les Voix du Peuple, Gandin et Cocottes et Cavalcade".
Conjointement, avec Delpuèche et Rouvière, il crée en
1870 le journal "l’Égalité" et il publie également des
poèmes, en 1868, dans le journal le "Peuple". En 1869,
il édite un recueil, en 4 volumes, intitulé "Robespierre
le 21 janvier 1793".
Gaston Crémieux utilise sa plume pour s’élever contre
la misère de la classe ouvrière qui le touche
énormément. En effet, Marseille voit croître à grandes
enjambées sa population, par l’émigration italienne et
par l'afflux des paysans des campagnes avoisinantes.
La ville s’industrialise. Des usines s’ouvrent comme les
conserveries de poissons, les fabriques de savon et de
tuiles, ainsi que les chantiers navals.
Gaston Crémieux aurait noué des liens avec le
mouvement des Travailleurs Internationaux Phocéens
après la création en France, en 1865, d' associations
ouvrières.
Il lance un projet d’écoles en faveur des enfants
défavorisés en mars 1865, et en août 1866, ouvre un
cours du soir pour adultes. Gaston y enseigne la morale,
car il estime que cette matière est indispensable pour
forger de bons citoyens et pense qu’il est important que
la classe ouvrière s’émancipe à travers l’instruction et la
culture. Il est partisan de l’école laïque. Il est contre la
suprématie de l’Église et présente ses idées en écrivant
des articles où il fait valoir la tolérance et la liberté de
conscience. Enfin, le 13 juillet 1868, il participe à la
création de l’association "Phocéenne de l’Instruction et
de l’Éducation pour les Deux Sexes".
L’avocat Crémieux donne des conseils, rédige des
statuts pour des corporations. En 1867, des ouvriers lui
demandent d’écrire un cahier des charges : "Mémoire
des Ouvriers de Marseille au Préfet des Bouches du
Rhône ". L’homme de loi suggère la création de
syndicats avec le droit pour les ouvriers de se faire
défendre par un avocat ainsi que l’ouverture de caisses
permettant de distribuer des subsides en cas de maladie
et de chômage. Cette même année, il devient le
conseiller de la Chambre des Peintres en Bâtiment.
L'homme politique
Après la première journée insurrectionnelle du 8 août
1870, Gaston Crémieux est emprisonné jusqu’au 4
septembre, date à laquelle est instaurée la République.
Lors des élections du 8 février 1871, les conservateurs
triomphent sur l’ensemble du territoire français, mais
Marseille reste aux mains des républicains. Influent au
sein de la "Ligue du Midi" 1
, Gaston Crémieux est l’un
des chefs de la gauche marseillaise depuis 1869 et veut
lutter contre ceux qui ont mené Thiers au pouvoir.
La Commune
La Commune de Paris débute le 18 mars, elle se
termine avec la semaine sanglante du 21 au 27 mai
1871. La Commune de la cité phocéenne, elle, se
déroule du 22 mars au 4 avril 1871 et, à la différence de
celle de Paris, est orientée vers une certaine forme
d’autonomie et de fédéralisme.
6
Lors de l’Assemblée générale du 22 mars 1871,
Gaston Crémieux incite les Marseillais à soutenir les
Communards parisiens, puis, le lendemain, à se rendre
à la préfecture de Marseille qui sera occupée. En cette
occasion, une Commission départementale est créée
dont Gaston Crémieux est le président. Au sein de cette
Commission on trouve des membres du Cercle
républicain du Midi, de la Garde Nationale et du
Conseil Municipal
Mais très vite, Crémieux ne maîtrise plus un
regroupement qu’il aurait aimé voir pacifique pour
éviter la guerre civile Dès que la Commission est sur
pied, commencent les discordes entre les radicaux, les
socialistes et les anarchistes à cause des officiels
municipaux qu’elle détient comme prisonniers. Certains
veulent les libérer, d'autres non.
Pour mettre un peu d’ordre, des délégués
Communards parisiens sont envoyés à Marseille.
L’un d’eux, Bernard Lambeck, prend la tête de ce
mouvement le 27 mars, sans pouvoir non plus dominer
la situation. Il prévoit l’organisation d’élections pour le
5 avril, afin que le peuple de Marseille élise la
Commune de façon démocratique. Le Conseil
municipal Communard élu aurait dû gérer l’ensemble
des départements de la Ligue ainsi que la municipalité
de Marseille et le nouveau maire devait également faire
office de Préfet.
Le 28 mars, des affiches sont collées sur les murs de la
ville pour annoncer que le général versaillais, Espivent
de la Villeboisnet, déclare Marseille en état de siège.
Gaston Crémieux essaie d’empêcher le désastre. Avec
le général Pélissier, il rencontre le général Espivent.
Puis il revient une seconde fois avec Lambeck. Ils sont
accompagnés par une foule déchaînée, plus ou moins
armée. L’affrontement est évité de justesse. Les
négociations sur la demande de départ des troupes de la
ville et pour la liberté d’organiser des élections sont un
échec. Le chef d’état major ordonne la reddition des
insurgés.
Au matin du 4 avril 1871, les Marseillais sont réveillés
à deux heures par le tocsin. A 7 heures, le général
Espivent prend possession des rues jouxtant la gare,
puis les soldats et les matelots envahissent la préfecture.
Toute la journée durant, les canons tonnent sur la cité
phocéenne. On déplore de nombreuses victimes.
Crémieux se sent responsable de ce carnage. Pourtant, il
ne s’expatrie pas comme l’ont fait plusieurs insurgés ; il
est arrêté le 7 avril. Le procès des protagonistes de
l’insurrection se déroule du 12 au 18 juin 1871. Gaston
Crémieux est condamné à mort, pour l’exemple, par un
tribunal militaire. Personne, jusqu’à ce jour, ne
comprend une telle sanction alors que ses deux
compagnons, Pélissier et Étienne, avaient été acquittés,
malgré des chefs d'accusation plus graves. D’autant
plus, que l’homme était mesuré et loyal. il ne souhaitait
en aucun cas que le sang fût versé . Certains pensent
que des paroles proférées lors de la réunion du 13
février 1871 au Parlement, installé alors à Bordeaux, en
auraient été la conséquence.
Ou alors, Antisémitisme ?
Sa femme se rendra à plusieurs reprises à Paris pour
rencontrer son homonyme, Adolphe Crémieux, ancien
ministre de la Justice et de l’Intérieur, pour implorer la
grâce de son mari. (Il n’est pas sûr que les deux
hommes avaient le même arrière-grand-père). Ce
dernier est prêt à l’aider, mais il déclare qu’il n’est pas
d’accord avec le comportement de Gaston, lors de la
Commune de Marseille. Quant à Thiers, également
originaire de Marseille, il lance ces paroles à sa
femme : "Votre diable de mari me plaît bien, mais il est
trop poète. On fera certainement quelque chose de lui
lorsqu’il aura des cheveux blancs." Noémie, l’épouse
de Gaston Crémieux, croit son mari sauvé. Il est alors
transféré dans une autre prison où il est mieux traité.
Dans sa geôle Gaston Crémieux écrit. Il remet ses
manuscrits, avant de mourir, à sa femme par l’entremise
du rabbin Vidal. Une œuvre posthume de 13 poèmes
sera imprimée et intitulée : "Avant les Mauvais Jours ",
laquelle sera préfacée par Victor Hugo, ainsi qu’une
pièce de théâtre qui sera complétée en 1879 par son
camarade de lutte, Clovis Hugues, intitulée
"Robespierre et le 9 thermidor".
À l’annonce de l’exécution de Gaston Crémieux, des
milliers de Marseillais se rassemblent devant sa maison
avec ses amis de la loge maçonnique.
Jean Jaurès, auquel il sera souvent comparé, lui rendra
plus tard hommage et, tout particulièrement en 1907.
Louise Michel fut également une fervente admiratrice
de Gaston Crémieux.
Gaston Crémieux meurt fusillé dans les jardins du
Faro, à Marseille, le 30 novembre 1871 à l’âge de 35
ans. Un boulevard de la cité phocéenne porte son nom.
Débaptisé en 1941 par le gouvernement de Vichy, son
nom lui sera restitué en 1944.
Liliane Zand
Cet article a été, à l'origine, écrit en occitan pour des
lecteurs occitans. Il été traduit, pour nous, en français, par
l'auteur.
1 La "Ligue du Midi" a été fondée le 11 septembre 1870 et
comprenait 13 départements. Parmi ses revendications,
plusieurs sont en avance sur les lois qui seront votées au
siècle suivant. Y figurent, entre autres, la séparation de
l’Église de l’État, la confiscation des biens appartenant au
clergé, la laïcité dans l’enseignement, la liberté de la presse,
l’élection des juges et l’interdiction d’exporter de l’argent en
dehors du pays. Gambetta crut y voir un mouvement
séparatiste qu'il combattit.
7
Angelo Donati "L’ange de Nice"
Un personnage de roman, un héros de cinéma, Angelo
Donati fut tout cela, et bien plus. Son histoire n’est
connue que par ses proches,
bien entendu, par les
historiens, et par les juifs qui
ont cherché, aux jours les plus
sombres, refuge dans le Sud-
Est. Serge Klarsfeld a dit de
lui : "il portait bien son
prénom, il a été un ange pour
les juifs".
Le 11 novembre 1942, en
réaction au débarquement des
Alliés en Afrique du Nord, les Allemands envahissent
la "zone libre". Selon un accord passé entre le Reich et
l’Italie fasciste, huit départements français sont
concédés à l’Italie : Alpes-Maritimes, Hautes-Alpes,
Basses-Alpes (aujourd’hui Alpes de Haute Provence),
Drôme, Isère, Savoie, Haute-Savoie et Var.
Pendant dix mois, la zone italienne sera "le paradis des
Juifs". Aucune des lois antijuives promulguées par
Vichy n’y sera appliquée pendant cette période. Le
gouvernement de Rome envoie à Nice Guido
Lospinoso, Inspecteur Général de la "Police Raciale".
Ce sera une chance pour la communauté juive. Il prend
contact avec les dirigeants du "Comité Dubouchage" 1
et leur déclare : "Je crois que je suis envoyé ici du Ciel
pour vous aider : je suis un ancien des vôtres !" Il est
probable que Lospinoso était un lointain descendant des
Marranes espagnols et il se considérait, en quelque
sorte, lui-même comme réfugié. Sous son autorité, les
italiens entrent en conflit ouvert avec les pétainistes
locaux en accordant des permis de séjour aux réfugiés
juifs.
Dès le début de l’occupation italienne, notre héros
entre en scène. Angelo Donati, né en 1885 dans une
grande famille juive de Modène, est pendant la
Première Guerre Mondiale officier de liaison de
l’armée italienne auprès des forces françaises, alors
alliées. Puis, il se fixe à Paris, où il crée la Banque
Franco-Italienne. Président de le Chambre de
Commerce italienne en France, cet homme était couvert
d’honneurs : commandeur de la Légion d’Honneur et
décoré de l’Ordre de la Couronne d’Italie. En juin 1940,
il fuit les Allemands et s’installe à Nice, dans un
somptueux appartement de la Promenade des Anglais.
Il est obsédé par le souci de venir en aide à ses
coreligionnaires persécutés. Dès l’arrivée des Italiens, il
entre en contact, lui aussi, avec le Comité Dubouchage,
dont deux délégués, Michel Topiol et Ignace Fink,
deviennent ses contacts privilégiés. Il collecte des fonds
destinés à secourir les Juifs complètement démunis qui
affluaient dans les Alpes-Maritimes. Et il devient
l’éminence grise de Lospinoso, avec lequel l’entente est
parfaite. L’efficacité de leur action commune est
impressionnante. Plus de 3500 Juifs en situation
irrégulière sont envoyés en résidence surveillée vers la
Haute-Savoie, et quelques villages de montagne. Les
familles sont réunies, les Juifs sont très correctement
traités et la surveillance italienne plutôt légère. Et pour
ceux qui résident près de la frontière suisse la fuite
s’organise, parfois avec succès. La plupart de ces
pauvres gens n’ont jamais su à qui ils devaient cette
heureuse parenthèse. D’autres vouent à Donati une
profonde reconnaissance. Ainsi, les garçons nés à Saint-
Martin Vésubie en 1942/1943 sont tous prénommés …
Angelo.
Les ambitions de Donati vont bien plus loin. Il veut
sauver les quelques 40000 Juifs de la zone italienne.
L’idée, qui semble, avec le recul du temps, un peu folle,
était de transférer les réfugiés vers Gênes, en traversant
les Alpes. Il rencontre le Père Marie-Benoit, un père
capucin qui résidait à Rome au moment de l’entrée en
guerre de l’Italie. Lui aussi consacre tous ses efforts au
sauvetage des Juifs du Sud de la France. Il écrit, entre
autres : "Les Chrétiens se sentent les fils spirituels du
grand Patriarche Abraham… ce qui suffirait à exclure
tout antisémitisme, mouvement auquel nous ne pouvons
avoir aucune part".
Donati convainc le capucin de solliciter une audience
du Pape Pie XII. Le 16 juillet 1943 (quel
anniversaire !), la rencontre a lieu au Vatican. Sa
relation des évènements en France occupée provoque
cette réaction du Pape : "On n’aurait pas cru cela de la
part de la France". Il lui promet de s’intéresser
personnellement au sort des Juifs de France. A notre
connaissance, rien ne sera fait.
Le 25 juillet 1943, chute de Mussolini. Donati, que
rien n’arrête, envisage maintenant de faire passer les
réfugiés d’Italie en Afrique du Nord. Il se rend à Rome,
où il retrouve le Père Marie-Benoit. Ensemble, ils
obtiennent des ambassadeurs de Grande-Bretagne et des
Etats-Unis un accord de principe. Le sauvetage est
élaboré dans tous ses détails. Le nouveau gouvernement
du Maréchal Badoglio met à la disposition des sauveurs
quatre-vingts camions, une escorte de la police italienne
et quatre navires de guerre. Tout est prêt, et Angelo
Donati rend visite à son frère, à Florence. Le 8
septembre, la radio italienne révèle qu’un armistice est
signé entre les Alliés et Badoglio. C’est la catastrophe !
Le général Eisenhower venait de trahir sa promesse
solennelle de tenir secret l’accord qu’il avait conclu le 3
septembre avec le nouveau gouvernement italien. Les
Allemands, qui attendaient impatiemment cette
occasion, envahissent les huit départements protégés.
Les réfugiés juifs des Alpes descendent en toute hâte
vers le Sud, dans des camions affrétés par Donati. Un
grand nombre d’entre eux se retrouve à Nice, comme
dans une nasse. La répression nazie est terrible, les
Angelo Donati en 1950
8
arrestations de Juifs et leur envoi vers Drancy se
succèdent jour et nuit. Les collaborateurs français
retrouvent enfin la parole, les dénonciations facilitent la
tâche des nouveaux occupants. Le Comité Dubouchage
est dissous et entre en clandestinité.
Le réseau Marcel (Moussa Abadi et Odette Rosenstock),
avec la puissante aide de Mgr Rémond, évêque de Nice,
recueille les enfants confiés par des parents en détresse.
Mais ceci est une autre histoire 2.
Donati ne peut pas rentrer en France, sa tête est mise à
prix par les Allemands. Le commandant SS Röthke
exige, par télégramme, l’arrestation immédiate du "Juif
Donati, protecteur des juifs".
Revenons un instant en arrière. En août 1942, au
temps de la "zone libre", vivait à Cap d’Ail, la famille
Spier, chassée d’Allemagne par les lois antijuives. Ils
avaient trouvé enfin la paix sur la Côte d’Azur, après
avoir été enfermés dans les camps du Sud de la France.
Et ce sont des gendarmes français qui viennent les
arrêter et les conduire à la caserne Auvare de Nice. Les
parents sont séparés des enfants et seront déportés, sans
retour. C’est là que se produit le miracle. Angelo
Donati, cousin par alliance, est prévenu. Il vient lui-
même chercher les enfants, les héberge et les fait passer
en Italie. Plus tard, lorsqu’il est évident que les parents
ne reviendront pas, il adopte Marianne et son frère Rolf.
Récemment Marianne Spier-Donati a publié sa
fabuleuse histoire sous la plume de Olga Tarcali 3
A tout récit romanesque, il faut un épilogue. Angelo
Donati se réfugie en Suisse où il continue son action en
faveur des Juifs. A la Libération, il sera un des premiers
Italiens autorisés à revenir en France. Il sera nommé
Délégué Général de la Croix Rouge italienne, et
ministre plénipotentiaire de la république de Saint-
Marin.
Le 26 avril 1966, Yad Vashem a décerné au père
Marie-Benoit le titre de "Juste des Nations". Angelo
Donati n’a pas eu le droit à cette distinction, puisque
Juif. Il meurt à Paris en 1960.
Victor Kuperminc
1 Comité d'aide aux réfugiés située au 6 boulevard
Dubouchage à Nice 2 Voir dans la Lettre de LJ n° 135 : L'article d'Andrée Poch
Karsenti 3 Olga Tarcali : Retour à Erfurt L'harmattan 2001
Bureau de "Liberté du Judaïsme"
Maryse Sicsu Présidente
Isidore Jacubowiez Président adjoint
Marlyse Kalfon-Medioni Secrétaire
Odile Volf Trésorière
Noémie Fischer Trésorière adjointe
Contacts L. J. : 13 rue du Cambodge 75020 Paris
Site Internet : www.liberte-du-judaisme.fr
Un peuple disparu
Trois millions de Juifs vivaient sur le territoire de la
Pologne renaissante, tel qu'il avait été défini en 1919
par le Traité de Versailles, soit 10 % de la population
totale avec des zones et des villes où l'on comptait plus
de 40 et 50 % de Juifs. Un peuple avec sa langue, sa
culture, ses écoles, ses journaux, ses partis politiques et
ses députés au SEJM (L'assemblée nationale), et bien
sûr, sa religion.
L'entrée du Musée d'Histoire des Juifs de Pologne
Le magnifique musée qui vient d'ouvrir, et dont J-Ch
Szurek nous a parlé (voir page 11), retrace la vie de cette
communauté depuis l'arrivée, encouragée par la
noblesse polonaise, des premiers Juifs en provenance de
Rhénanie ; son développement au cours des siècles et sa
destruction par les nazis aidés par l'antisémitisme
polonais ambiant et les mercenaires importés d'Ukraine
et de Lituanie.
Le musée s'il montre les côtés fastes de ce
développement, ne cache pas le rejet grandissant des
Polonais, encouragés par l'Eglise catholique, travaillés
au corps par les nationalistes, qui se traduisit au fil des
ans par des lois antijuives, des boycotts et des pogroms
dont les dernières victimes furent les quelques rescapés
de la Shoah.
Le musée mérite le déplacement mais il y a bien
d'autres choses à voir à Varsovie et si vous voulez sortir
un peu des sentiers battus passez donc de l'autre côté de
la Vistule
Varsovie est construite sur la rive gauche du fleuve,
sur la rive droite se trouve Praga. C'est de Praga que
l'armée soviétique regarda les Allemands écraser
l'insurrection polonaise au mois d'août 1944 de la même
façon que les Polonais regardèrent un an auparavant les
Allemands écraser l'insurrection du ghetto de Varsovie.
Les Allemands détruisirent Varsovie, comme ils avaient
détruit le ghetto qu'ils avaient mis en place en 1940,
puis ils vidèrent la ville de ses habitants, ne laissant sur
place qu'un millier d'hommes comme inspecteurs des
9
ruines. La défaite de l'insurrection polonaise de 1944
laissa la place libre pour la mise en place d'un
gouvernement communiste qui bon an, mal an,
gouverna la Pologne pendant une quarantaine d'années.
Praga comportait une importante communauté juive
dont l'origine se situe autour de 1756 lorsqu'un
dénommé Shmul Zbybkower en provenance d'un shtetl
voisin s'y installa ; il fit argent de tout bois dans le
commerce de grains, de bétails et d'alcools. Il devint le
fournisseur attitré de la Cour du dernier Roi de Pologne
- Stanislas August Poniatowski - puis celui de Frédéric
II de Prusse. En 1781 Stanislas August lui octroya le
droit d'utiliser des terrains sur la rive droite de la
Vistule pour y installer des usines, et en particulier une
fabrique de vodka et autres spiritueux.
Ces usines sont maintenant des friches industrielles,
transformées assez souvent en lieu de culture, que l'on
peut visiter. C'est à cause de ce Zbybkower que ce
quartier s'appelle encore
Shmulowizna.
C'est Shmul Zbybkower
qui créa le cimetière juif
de Wicentego que les
nazis détruisirent de fond
en comble. C'est
maintenant un bois de
bouleaux parsemé de
pierres tombales dont
certaines ont été
redressées pour en faire
un lieu de souvenir. L'entrée du cimetière juif de Wicentego
C'est de souvenir aussi qu'il s'agit dans le petit musée
de Targowa qui est en train de prendre vie juste à côté
du marché, en limite de Shmulowizna, dans ce qui fut
un "Stibl" (lieu de prière). On peut y voir quelques frises
polychromes et en sortant admirer de l'autre côté de la
Vistule, Varsovie et sa nouvelle vieille ville.
I.J.
Après...
A la fin de la guerre en mai 1945, après la
défaite hitlérienne, 11 millions de personnes se sont
retrouvés en errance en Allemagne. Ils représentaient
près de 20 % de la population. L'origine de ces DP1
étaient diverses. A côté des prisonniers de guerre sortis
de leurs camps et des déportés sortis de leur enfer, il y
avait des déportés du travail, des populations
germanophones ayant fui devant l'armée russe, des
Allemands quittant les territoires récupérés par la
Pologne et L'URSS, des ressortissants des pays tombés
dans l'escarcelle soviétique qui ne désiraient pas y
rester.
Beaucoup vont assez vite retourner dans leur pays
d'origine, mais d'autres qui ne le pouvaient pas ou ne le
voulaient pas vont rester en Allemagne dans des camps
de transit pour Personnes Déplacées, appellation passe-
partout sous laquelle on les regroupa. Parmi eux, entre
200 000 et 250 000 Juifs.
Ces camps furent d'abord prévus pour recevoir chacun
des personnes de même nationalité d'origine, ce qui
fit que les Juifs polonais se retrouvèrent à cohabiter
avec des Polonais qui n'étaient pas précisément
prosémites. Ils demandèrent donc à être regroupés, ce
qui leur fut, dans un premier temps, refusé par les
Britanniques, craignant sans doute de faciliter par là
l'émigration vers la Palestine, mais fut finalement
accepté sous la pression des Américains. L'exposition
que l'on peut voir actuellement* au Mémorial de la
Shoah est consacrée à cette difficile période. Certains
de ces camps, au nombre de 700 en 1947, ne furent
fermés qu'en 1957, douze ans après la fin des hostilités.
En France c'est un million et demi de personnes qui
rentrèrent. Parmi eux, 2551 rescapés juifs déportés de
France, mais on vit aussi arriver des survivants qui
n'avaient plus aucune raison de vouloir retourner dans
ces pays de l'Est où toutes leurs familles avaient été
massacrées. Pour les déportés, on transforma l'hôtel
Lutetia en Centre d'accueil2. Ce centre fut ouvert du 26
avril 1945 au 1er Septembre 1945, il vit, en un peu plus
de 4 mois, transiter près de 20 000 personnes. C'est en
sortant de Lutétia qu'il fallait essayer de revivre après le
passage dans l'enfer. Une réadaptation difficile, parfois
impossible.
Revenant des camps ou sortant de leur cachette, les
Juifs s'aperçurent que leur logement avait été souvent
occupé par des "occupants de bonne foi" qui se
refusèrent à quitter les lieux et il leur fallut batailler
ferme pour récupérer leur toit.
Leur toit seulement car
leurs biens avaient été soit
pillés par de "charitables
voisins" soit réquisitionnés
par l'occupant, soit les deux
à la fois. Les meubles
étaient stockés et triés,
entre autres, dans des
locaux qui étaient, avant la
guerre, les magasins
Levitan, rue du Fg St
Martin dans le 10ème
(Ci-
dessus : La plaque posée sur l'immeuble) ou encore Quai de
la Gare dans le 13ème.
Il se trouve que petit garçon "caché", j'ai assisté au
pillage de l'appartement de mes parents. Un
déménageur me fit gentillement don d'un de mes jouets,
sans savoir, bien sûr, que j'en étais le propriétaire.
I.J. 1 DP = Deplaced Persons
2 Voir la "Lettre de LJ n° 134"
*Au Mémorial de la Shoah jusqu'au 30 octobre 2016
10
Faut-il tolérer la tolérance ?
Il ne se passe pas un jour sans que j’entende le mot
"tolérance". Qu’il soit dit par des amis, des relations
professionnelles ou des animateurs de radios. Il
s’impose dans tous les débats souvent accompagné de
son acolyte "le vivre ensemble".
Ecoutez-les, écoutez-les bien articuler ces mots,
écoutez-les s’en délecter, comme s’ils prononçaient une
formule magique, leur "sésame ouvre-toi". Ils s’en
gargarisent. Ils s’en repaissent. Ce mot "tolérance" nous
envahit. Nous le gobons et nous le restituons.
Ce vocable m’a toujours dérangée. Il m’a toujours
semblé inadapté. En Tunisie, où je suis née, on ne disait
pas "tolérance", on parlait de respect. Aussi bien les
juifs que les arabes disaient respect ou "k’dar".
Un événement m’a beaucoup marquée. J’avais sept ans.
Ma grand-mère maternelle que j’adorais était atteinte de
cataracte et risquait de devenir aveugle. C’était un 15
août, jour de la procession de la Madone que tout le
monde suivait, chrétiens, arabes et juifs. Un
attroupement bon enfant en signe de partage avec nos
amis chrétiens. Sous une chaleur étouffante, nous
accompagnions un couple d’amis italiens. La femme dit
à ma mère : " lorsque la Madone passera devant nous,
prélevez sur un mouchoir de la sueur de son front que
vous appliquerez sur les yeux de votre mère et le
miracle s’accomplira, elle recouvrera la vue". Avec
l’aplomb de mon incrédulité, j’ai aussitôt répliqué :
"mais une statue en pierre ne transpire pas ! ". Mon
père, qui était pourtant un homme pragmatique qui
s’évertuait à nous éduquer en dehors des superstitions
qui faisaient florès en Tunisie, me gifla. Il me dit avec
fermeté : "c’est pour t’apprendre à respecter les
croyances de chacun !".Mon père m’avait frappée alors
qu’il ne levait jamais la main sur moi. Certes, il ne me
fit pas mal, sa main avait à peine effleuré ma joue mais
quelle humiliation ! Quel désarroi ! Je comprenais qu’il
lui fallait, surtout à l’époque de surcroît dans un pays
arabe, laver l’affront qu’une petite fille, sa propre fille,
avait infligé à ses amis qui devaient penser que j’étais
une petite effrontée mal éduquée. Il avait osé, lui le
progressiste qui m’apprenait à préférer la viande
provenant d’un animal tué par un vétérinaire plutôt que
par un rabbin pour des raisons d’hygiène
scientifiquement prouvées !
J’avais ressenti sont geste comme une trahison.
Pourtant, plus de cinquante ans après, je n’ai pas
oublié la leçon et je m’efforce de respecter ceux qui
n’ont pas les mêmes croyances et les mêmes opinions
que les miennes. Je ne suis certainement pas une adepte
des corrections physiques pour enseigner aux enfants le
respect des autres ; mais certainement une adepte de
l’éducation par l’enseignement de la réflexion, la
démonstration, et bien sûr de l’usage de mots adaptés et
bien réfléchis. Sans être une puriste de la langue
française, loin s’en faut, je ressens une aversion tant
pour le mot " tolérance" que la formule "le vivre
ensemble".
Les raisons en sont simples. Il suffit de consulter mon
dictionnaire préféré, le Littré. Que dit-il ce cher Littré
pour la définition du mot "tolérance" ? :
" Condescendance, indulgence pour ce qu’on ne peut
pas ou ne veut pas empêcher….Disposition de ceux qui
supportent patiemment des opinions opposées aux
leurs…".
Je traduis que le tolérant a de l’indulgence pour une
chose ou une opinion qu’il supporte patiemment avec
dédain. Combien de temps le tolérant qui supporte,
supportera-t-il ce qu’il supporte ? Combien de temps lui
faudra-t-il pour supporter, endurer, souffrir avant
d’exprimer son impatience, et ensuite sa haine ?
Ne dit-on pas familièrement "ma patience est à bout",
"ma patience a des limites". Où se trouve dans la
tolérance l’accueil, l’acceptation de l’autre dans son
altérité ?
De façon étrange et imprévisible, l’éclairage m’a été
offert par ma Tunisie natale en la personne du Prince
Fayçal Bey 1 le petit-fils du dernier Bey de Tunis.
En effet, celui-ci, sans le savoir, a apaisé mon
exaspération et répondu à mes interrogations à
l’occasion d’une de ses conférences à laquelle j’ai eu la
joie et l’honneur d’assister le 24 janvier 2012,
conférence organisée par la Sté d’Histoire des Juifs de
Tunisie.
Dans l’élégance de son élocution, il m’a fait découvrir
un mot que je ne connaissais pas. Un mot élu par ce
descendant de monarque d’une ancienne province
ottomane. Imprégné d’une langue française raffinée, il
avait choisi avec soin un mot pour remplacer celui de
"tolérance " qu’il ne tolérait pas.
Ce mot est le mot "convivance". Convivance du verbe
convivre. Et voilà ce qu’en dit mon cher Littré : " se
conjugue comme vivre. Vivre avec, vieux verbe qui se
comprend sans peine et qui pourrait encore trouver son
emploi".
J’ai donc opté pour l’emploi de convivance en lieu et
place de " tolérance" et "le vivre ensemble".
Redonner vie à ce mot ancien dans sa pleine acception
devient désormais une gageure pour l’écrivaine que je
suis. Un mot qui, me semble-t-il, a une bien jolie
sonorité pour célébrer le caractère sacré de la vie, de la
convivialité, de la fête et du partage des festins de nos
humanités si disparates, dans une cohabitation
harmonieuse.
Tous mes remerciements et ma reconnaissance vont à
son Altesse le Prince Fayçal Bey pour ce don que je me
permets en toute modestie, d’offrir à mon tour en signe
de partage.
Michèle Madar
1 Le Prince Fayçal Bey est né en 1955 au Palais de Carthage.
Il est biologiste, conférencier et auteur du roman "La
dernière odalisque"- Ed. Stock 2003
11
Echos des conférences de L.J. Mardi 16 février 2016
Jean-Charles Szurek, Directeur de recherches au CNRS
Le passé juif dans la mémoire polonaise : quelle
évolution depuis 1989? En préambule à l’intervention du
conférencier, un film d'origine
polonaise sur Marian Turski a été
projeté. Turski, acteur et témoin
important de l’histoire polonaise
depuis la période du régime
communiste, est l’un des principaux
initiateurs du musée de l’Histoire des
Juifs de Pologne ouvert il y deux ans à Varsovie. Le film,
montre comment ce survivant du ghetto de Lodz et des
camps d’extermination a "surfé sur toutes les vagues", selon
l’expression de J-Ch Szurek. "Communiste sincère",
journaliste réformateur dans les années 50, avant de
"redevenir Juif"après 1989, sincère là aussi.
J-Ch. Szurek est à la fois positif et réservé sur le musée.
Construit sur l’emplacement du Ghetto, face au monument de
l’Insurrection du Ghetto, il est composé de neuf espaces
évoquant la vie des Juifs en Pologne depuis le moyen-âge. Il
reçoit quelques 500 000 visiteurs par an et va probablement
devenir le principal musée de Varsovie, devançant le musée
de l’Insurrection de Varsovie de 1944 - musée du
nationalisme polonais. L’antisémitisme polonais n’y est pas
caché mais les actions positives sont bien davantage mises en
valeur et on y insiste sur le soutien des Juifs au gouvernement
communiste, sans les explications qui seraient nécessaires.
J-Ch. Szurek a rappelé que dans la période de l’après-
guerre, sur la question des biens des Juifs, il y avait eu un
pacte tacite avec un gouvernement communiste : soutien au
gouvernement en échange du silence sur ces " transferts de
propriété". La culpabilité individuelle inconsciente a trouvé
une sorte d' écho au niveau national, la Pologne, passant du
statut d’une "nation de héros" à celui d’une nation qui avait
mis la main au meurtre des Juifs. C'est sans doute là l’une des
sources des ambiguïtés polonaises actuelles vis-à-vis des
Juifs, entre philosémitisme et antisémitisme persitant.
La mémoire polonaise a commencé à évoluer à partir des
années 80, avec l’affaire du Carmel d’Auschwitz et le film
"Shoah". Un intellectuel polonais, J.Blonski, souleva alors
pour la première fois la question de la co-responsabilité
polonaise dans l’extermination des Juifs. Phénomène
générationnel, un certain engouement pour l’histoire et la
culture juive se manifeste chez beaucoup de non-juifs ;
depuis 1990, un festival juif se tient à Cracovie tous les mois
de juin, mais aussi dans plusieurs autres villes.
Le contexte politique polonais actuel est plutôt inquiétant.
A la suite d' un article de Jan Gross1 dans " Die Welt" où, tout
en saluant la Résistance polonaise, il indique que les Polonais
ont sans doute tué plus de Juifs que d’Allemands pendant la
guerre, il est envisagé de lui retirer "l’Ordre national du
mérite" qui lui avait été décerné en 1996 pour son opposition
au communisme et ses travaux d’historien. La raison d’Etat
garde tous ses droits …
R.R. 1 Jan T. Gross Historien canadien d'origine polonaise a écrit
en particulier "Les Voisins" qui décrit le massacre, en juillet
1941, des Juifs de "Jedwabne" – localité au nord-est de la
Pologne - par des Polonais, sans intervention des Allemands.
Mardi 15 mars 2016
Dominique Bourel : Directeur de recherche au
CNRS
Après son exposé de l'année dernière sur Martin Buber notre
ami Dominique Bourel a eu la
gentillesse de revenir nous parler,
cette fois, de "Berlin et les Juifs"
Il y aurait actuellement de l'ordre
de 20 000 Juifs à Berlin dont la
majeure partie est venue de l'ex-
Union soviétique mais on y trouve
aussi beaucoup de jeunes
Israéliens installés dans cette
ville du meilleur et du pire.
Le meilleur a sans doute été voulu par ces rois de Prusse qui
ouvrirent les portes de leur royaume en 1671 aux Juifs
chassés de Vienne et en 1685 aux Huguenots chassés de
France. La présence de ces deux communautés, toutes deux
nourries par l'Ancien Testament, va permettre un
développement intellectuel sans précédent et a fait croire à ce
que certains ont appelé une symbiose judéo-allemande.
Il fallut tout de même attendre deux cents ans pour qu'en
1871 soit octroyée aux Juifs l'émancipation politique pleine
et entière 1
. Il mirent ces deux siècles à profit pour faire "leur
trou" et acquérir des positions élevées dans les universités, le
commerce et la finance. Un peu plus de 40 ans après, ils
partirent, "comme en 14", pour défendre la patrie et la
grandeur de l'Allemagne. Mais le ver était dans le fruit et, en
1916, suite à des campagnes antisémites qui traitaient les
Juifs de "planqués", il fut fait un recensement dont les
résultats ne furent jamais publiés, et pour cause…
….100 000 juifs allemands participèrent à la Grande Guerre
et 12 000 y laissèrent leur peau.
Dans le domaine intellectuel on peut citer dans la foulée de
Moses Mendelsohn qui mourut à Berlin en 1786, le néo-
kantien Hermann Cohen ² qui mourut à Berlin en 1918 mais
aussi Franz Rosenzweig, Gershom Sholem et Martin Buber..
Dans la finance, le banquier Gerson Bleichröder, proche de
Bismark, qui accepta d'être annobli mais refusa de se
convertir. C'est d'ailleurs Bismark lui-même qui en 1897
inaugura la grande Synagogue de Berlin, sauvée durant la
Nuit de Cristal par un homme courageux, et qui sert
aujourd'hui de Centre communautaire.
Berlin, ville singulière, détruite en
1945, coupée en deux durant presque
un demi-siècle, où la mémoire juive est
honorée en maints lieux3 mais aussi
sous les pieds des passants avec ces
pavés de cuivre sertis dans le sol (ci-
contre) qui portent les noms des Juifs
qui habitèrent les maisons à proximité.
I.J. 1 Il avait été précédé, en 1812, d'un Edit d'émancipation qui
comportait un certain nombre de limitations.
2 Hermann Cohen : la cohabitation de son nom et de son prénom
est un symbole en soi.
3 Le Musée juif, Le Monument de l'Holocauste, Le Musée de la
Terreur, La maison de la Conférence de Wansee transformée en
musée.
12
Saut jeune, qu'est-ce que c'est ?
Au départ, issue d'un petit noyau
d'étudiants issus en majorité de
mouvements de jeunesse tels que
l’Hashomer Hatzaïr et l'Habonim
Dror, l'idée était de créer une
structure permettant aux anciens de
pouvoir continuer leur engagement
militant. Engagement, inculqué
tout au long de notre jeunesse autour des valeurs de partage,
de respect de l'autre, d'ouverture, politiquement engagé à
gauche et sioniste.
Par la suite, nous avons fait le constat d'une communauté
juive de plus en plus renfermée, de plus en plus ancrée à
droite, avec une frange extrême malheureusement de plus en
plus visible. Les différents évènements de l'actualité l'ayant
touché directement peuvent en être l'explication majeure.
Cette réaction aussi justifiée soit-elle nous paraissait contre-
productive et l'idée d'apporter une voix de gauche,
progressiste et ouverte, était alors évidente.
"Saut jeune" fut alors la réponse. Au travers d'évènements en tout genre, rencontres avec
différentes personnalités de la vie publique – hommes
politiques, représentants communautaires, acteurs de la
société civile – mais aussi des expositions photos, des dîners
interculturels… Nous avons créé petit à petit un réseau réuni
autour d'un principe fondamental, échanger, partager, et se
retrouver autour d'un socle de valeurs communes.
Nos actions ne s'arrêtent pas là, nous tenons aussi un site
internet, où certains se plaisent à écrire sur des thématiques
intéressants tant la France que l’International. Concernant le
conflit au Proche Orient, nous essayons d'apporter une voix
nouvelle militant pour la paix dans la région. Enfin, nos
actions tendent à nous diriger vers une approche
intercommunautaire, le rapprochement des communautés,
tant religieuses que culturelles… étant essentiel à nos yeux.
Finalement, Saut jeune c'est une association d'étudiants juifs
progressistes, désireux d'apporter une nouvelle voix juive
dans la société française afin d'échanger, de partager et
d'apprendre de l’autre.
Nous remercions "Liberté et Judaïsme" de nous donner un
espace de visibilité et serons surement amenés à travailler
ensemble ! Benjamin Zeitoun
La Lettre de L.J. Mai-juin 2016 Sommaire n° 139 Page
Editorial ……………………………… 1
Juifs de Corfou …………………… 1-4
Albert Cohen……………….……… 4
Gaston Crémieux…………………. 5-6
Angelo Donati…………………… 7-8
Un peuple disparu……….……… 8-9
Après……. ….…………………… 9
Faut-il tolérer la tolérance……… 10
Nos conférences :
J-Ch Szurek …Dominique Bourel …… 11
Saut Jeune, qu'est ce que c'est ?… 12
Communiqué du Rajel sur le boycott…. 12
Activités de L.J………..…………… 12
Activités de L.J.
Conférences Notre thème pour l'année 5776 (2015-2016)
"Les Juifs, d'ici et d'ailleurs" Mercredi 16 Septembre 2015
Edith Bruder : Les Juifs noirs d'Afrique et le Mythe
des Tribus perdues. Mardi 20 Octobre 2015
Rémi Huppert Une communauté juive en Chine Mardi 24 Novembre 2015
Danielle Rozenberg Sefarad revisitée dans l'Espagne contemporaine. Mardi 15 Décembre 2015
Gilles Hanus L'itinéraire de Benny Lévy
Mardi 26 janvier 2016
Andrée Lerousseau Claude Vigée ou le pari du vivant Mardi 16 février 2016
Jean-Claude Szurek Le passé juif dans la mémoire
polonaise : quelle évolution depuis 1989 ?
Mardi 15 mars 2016
Dominique Bourel Berlin et les Juifs
Mardi 19 avril 2016
Carol Iancu La Shoah en Roumanie et en Hongrie
– Histoire et Mémoire - Mardi 24 mai 2016
Isaac Revah Les Juifs ressortissants espagnols de
Salonique pendant la seconde guerre mondiale
Le RAJEL1 est
profondément heurté par le
développement dans notre
pays des campagnes de
boycott orchestrées par BDS (Boycott, Désinvestissement,
Sanctions)
Le RAJEL rappelle qu'il soutient une solution négociée du
conflit du Proche-Orient comportant deux Etats pour deux
Peuples, la reconnaissance pleine et entière de l’Etat d’Israël
et le droit des Palestiniens à avoir un état indépendant.
Ces campagnes qui se limitaient initialement au boycott des
produits fabriqués dans les territoires palestiniens sous
contrôle de l'armée israélienne s'étend maintenant à tout ce
qui vient d'Israël et en particulier aux échanges intellectuels
et culturels dont les manifestations contre la présence, l'été
dernier, de la Ville de Tel-Aviv à "Paris sur Plage" et tout
dernièrement contre une troupe de ballet à l'Opéra de Paris
sont les exemples les plus affligeants.
Ces campagnes sont le terreau sur lequel se développe la
montée de l'antisémitisme en France, comme on peut le
constater quotidiennement.
Le RAJEL fera tout ce qui est en son pouvoir pour dénoncer
et s'opposer à ces actions de boycott qui ont comme seul
résultat tangible d'importer le conflit israélo-palestinien sur le
territoire français. Jeudi 3 mars 2016
1Réseau des Associations Juives Européennes Laïques dont
"Liberté du judaïsme" est un des membres.