la lettre de l.j

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1 La lettre de L.J. Présidente d’Honneur : Doris Bensimon ז״לLiberté du Judaïsme : Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 139 mai-juin 2016 le numéro : 3 € http://www.liberte-du-judaisme.fr Editorial On retrouvera dans la présente lettre de "Liberté du Judaïsme" trois hommes qui à des titres divers ont laissé une trace importante dans les mondes juifs. Gaston Crémieux - Juif du Comtat - qui se battit pour un idéal universel qui imprègne le judaïsme tel que nous le concevons, Angelo Donati - Juif italien qui arracha aux assassins des familles pourchassées par les nazis. Albert Cohen - Juif de Corfou qui œuvra pour la protection des migrants et donna à la France de si belles lettres. A l'opposé de ces hommes tournés vers la vie et vers les autres, l'islamo-fascisme, ce mal qui répand la mort de par le monde, a encore tué à Bruxelles ; mais malgré cette suite d'horreurs, il nous semble qu'il faut continuer à rechercher à tout prix cette "Convivance" dont notre amie Michèle Madar nous explique le sens. Cette convivance qui exista dans l'Ile de Corfou dont nous parle Jean-François Renaud Dans ce contexte troublé nous avons, avec les associations amies du Rajel, émis une condamnation des agissements de BDS qui ont pour seul résultat tangible d'aggraver la situation en important sur le territoire français le conflit israélo-palestinien alors qu'à la porte d'à côté, en Syrie, les morts et les destructions s'accumulent sans que l'on entende beaucoup de voix s'en inquiéter. Nous avons, d'autre part, ouvert nos colonnes à la jeune association de jeunes juifs : "Saut Jeunes" qui s'y présente elle-même et à qui nous souhaitons longue vie et réussite. Le Bureau Pour être informé en temps réel de nos activités et participer à des échanges et discussions avec d'autres lecteurs de la Lettre de L.J. inscrivez-vous à Yahoogroupe Courrier-L.J. Si vous êtes intéressés, signalez-le par mail à : [email protected] Les Juifs de Corfou Que sont les Valeureux devenus? Ceux qui peuplaient les livres d'Albert Cohen et l'île de Corfou ? L’île A l’entrée de la mer Adriatique, en vue des côtes de l’Epire, terre ottomane, l’île fut, pour Venise, une base importante pendant cinq siècles, de 1386 à l’autodissolution de la Sérénissime République le 11 mai 1797. Le traité de Campoformio, le 17 oct. 1897, attribua Venise et la Vénétie à l’Autriche et Corfou à la France. Corfou avec six autres îles, Paxos, Antipaxos, Leucade, Céphalonie, Ithaque et Zante, forma une République : l'Heptanèse où tous les citoyens jouissent de l’égalité des droits civiques comme en France. Après la chute de l’Empire napoléonien l’archipel devient protectorat anglais sous le nom de "United State of Ionian Islands" L’histoire ne se déroule pas sur les îles comme sur les continents. Pourrait-on dire que le temps s’y écoule plus lentement ? Les particularismes locaux y sont plus tenaces, et, si on les laisse germer trop haut, peuvent dégénérer en violence. Les îles sont des "cocotte-minute" dans l’histoire ! Les Corfiotes Selon Bernard Pierron (1) "En 1860, la population de Corfou-ville est estimée à 17000 habitants, répartis selon trois groupes bien distincts : un tiers de Juifs, un tiers de Turcs, Maltais, Italiens, Dalmates, et autres ; enfin, le dernier tiers est composé de Grecs. La situation des Juifs de Corfou et du reste de l’Heptanèse fut loin d’être enviable de 1815 à 1864, La maison natale d'Albert Cohen (aquarelle de J-F Renaud)

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La lettre de L.J.

Présidente d’Honneur : Doris Bensimon ז״ל

Liberté du Judaïsme : Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 139 mai-juin 2016 le numéro : 3 €

http://www.liberte-du-judaisme.fr

Editorial

On retrouvera dans la présente lettre de "Liberté du

Judaïsme" trois hommes qui à des titres divers ont

laissé une trace importante dans les mondes juifs.

Gaston Crémieux - Juif du Comtat - qui se battit pour

un idéal universel qui imprègne le judaïsme tel que

nous le concevons, Angelo Donati - Juif italien – qui

arracha aux assassins des familles pourchassées par les

nazis. Albert Cohen - Juif de Corfou – qui œuvra

pour la protection des migrants et donna à la France de

si belles lettres.

A l'opposé de ces hommes tournés vers la vie et vers

les autres, l'islamo-fascisme, ce mal qui répand la mort

de par le monde, a encore tué à Bruxelles ; mais malgré

cette suite d'horreurs, il nous semble qu'il faut continuer

à rechercher à tout prix cette "Convivance" dont notre

amie Michèle Madar nous explique le sens. Cette

convivance qui exista dans l'Ile de Corfou dont nous

parle Jean-François Renaud

Dans ce contexte troublé nous avons, avec les

associations amies du Rajel, émis une condamnation

des agissements de BDS qui ont pour seul résultat

tangible d'aggraver la situation en important sur le

territoire français le conflit israélo-palestinien alors

qu'à la porte d'à côté, en Syrie, les morts et les

destructions s'accumulent sans que l'on entende

beaucoup de voix s'en inquiéter.

Nous avons, d'autre part, ouvert nos colonnes à la

jeune association de jeunes juifs : "Saut Jeunes" qui

s'y présente elle-même et à qui nous souhaitons longue

vie et réussite.

Le Bureau

Pour être informé en temps réel de nos activités et

participer à des échanges et discussions avec d'autres

lecteurs de la Lettre de L.J. inscrivez-vous à Yahoogroupe

Courrier-L.J. Si vous êtes intéressés, signalez-le par mail à :

[email protected]

Les Juifs de Corfou

Que sont les Valeureux devenus? Ceux qui

peuplaient les livres d'Albert Cohen et l'île de Corfou ?

L’île

A l’entrée de la mer Adriatique, en vue des côtes de

l’Epire, terre ottomane, l’île fut, pour Venise, une base

importante pendant cinq siècles, de 1386 à

l’autodissolution de la Sérénissime République le 11

mai 1797. Le traité de

Campoformio, le 17 oct.

1897, attribua Venise et

la Vénétie à l’Autriche

et Corfou à la France.

Corfou avec six autres

îles, Paxos, Antipaxos,

Leucade, Céphalonie,

Ithaque et Zante, forma

une République :

l'Heptanèse où tous les

citoyens jouissent de

l’égalité des droits

civiques comme en

France.

Après la chute de

l’Empire napoléonien l’archipel devient protectorat

anglais sous le nom de "United State of Ionian Islands"

L’histoire ne se déroule pas sur les îles comme sur les

continents. Pourrait-on dire que le temps s’y écoule

plus lentement ? Les particularismes locaux y sont plus

tenaces, et, si on les laisse germer trop haut, peuvent

dégénérer en violence.

Les îles sont des "cocotte-minute" dans l’histoire !

Les Corfiotes Selon Bernard Pierron

(1) "En 1860, la population de

Corfou-ville est estimée à 17000 habitants, répartis

selon trois groupes bien distincts : un tiers de Juifs, un

tiers de Turcs, Maltais, Italiens, Dalmates, et autres ;

enfin, le dernier tiers est composé de Grecs.

La situation des Juifs de Corfou et du reste de

l’Heptanèse fut loin d’être enviable de 1815 à 1864,

La maison natale d'Albert Cohen (aquarelle de J-F Renaud)

2

non seulement en raison de l’hostilité des Grecs mais

aussi par les inconséquences de l’administration

Anglaise qui, succédant à l’occupation Française, leur

supprima le droit de vote et interdit aux hommes de loi

juifs de plaider en tribunal "

On distingue, parmi la population juive, trois grands

groupes : les Italiens, les Grecs dits Romaniotes,

établis depuis longtemps ou nouveaux immigrés du

continent, et les Pugliesi. Les

Juifs vivaient dans un quartier,

en contrebas des murs de la

citadelle, nommé Evraiki, ce

n’était pas à proprement parler

un ghetto, mais le peuplement y

était dense, dans les étages de

hauts immeubles, dont

beaucoup furent bombardés

pendant la IIème guerre

mondiale

Les Italiens.

Un voyageur, en 1563,

reconnait, à Corfou, un mélange

de Romaniotes et de Pugliese qui se fondra dans le

monde Vénitien, en symbiose avec le monde Juif

italien. Les rabbins venaient d’Italie. Dans la synagogue

actuelle, on prie en Hébreu, on parle Italien, Ils

parlaient, souvent, le dialecte vénitien, variante

"zezeyante " de l'italien. Aujourd’hui, les jeunes

fréquentent l’école ou le lycée grec.

"Greci" Juifs établis en Grèce depuis l’antiquité et l’époque

byzantine, nommés par le Turc : " Rum" (de "Rome ",

donc non-croyants à la religion de l’Islam). Ils parlent

le Grec ; ni Sépharades ni Ashkenazes, ce sont les

Romaniotes. Pour les juifs corfiotes insulaires ou

"Toshavim » qui ont peuplé Corfou depuis le XIIème

siècle, sous la domination normande, tous les autres

Romaniotes sont les "Terrieri " continentaux poussés à

l’émigration vers Corfou.

Pugliese Les "Pugliesi " étaient des Sépharades qui parlaient un

vieil Italien méridional, un peu hispanisé, - le

"Pugghisu" et priaient en judéo-espagnol. Ils venaient

du sud de l’Italie, notamment des Pouilles et de

Calabre, riveraines de l’Adriatique encore sous

domination normande, bien avant 1492, date de

l’expulsion d’Espagne. Ils avaient commencé à

s’installer à Corfou, y développant une influence

commerciale et religieuse, en relation avec les Aragon

de Naples. En 1386, sous Venise leur influence se

développa dans toute la péninsule balkanique.

Ils furent ensuite rejoints à Corfou par les proscrits du

décret de l’Alhambra.

Les traditions, recettes de cuisine et rites religieux

varient selon les foyers. Il n’y eut pas d’unification des

rites avant l’arrivée des Rabbins Levi et Da Fano, venus

d’Italie en 1888 et les évènements de 1891.

L’Enossis, Union

- Les Corfiotes deviennent Grecs 1864, l’Empire Britannique cède l’Heptanèse à la

Grèce. Pendant 27 ans, jusqu’en 1891 va s’écouler une

période riche en promesses, pour la jeune nation

pluriethnique sous le règne de Georges Ier

. Mais, durant

ce quart de siècle, de violentes et vieilles forces sourdes

seront niées, et se renforceront en silence dans le

microcosme de l’île. L’explosion se produira en 1891.

Environ 5000 Juifs vivent à Corfou. Une minorité de

commerçants et artisans dont certains formeront plus

tard de petites et moyennes entreprises : couture,

savonnerie (Jacob Israel, repris plus tard par son gendre

A. Coen), fabrique d’ombrelles et de parapluies

(Ferro). chaussures, travail du fer-blanc, chapellerie,

fleurs artificielles, joaillerie.

La majorité est pauvre : chiffonniers, porteurs-

déménageurs, dockers du port. Mon ailleul, David

Jessula, vend de la soupe dans la rue,

La situation civique des Juifs s’était dégradée depuis

que le "Sénat Ionien" avait voté, après 1815, la

suppression de leur droit de vote et autres limitations

juridiques.

Les communautés fraternisent, dans la joie de

l’Enossis : Entrer dans la mère-patrie. Les pourparlers

et le traité d’union se font à Copenhague. En route, la

délégation dirigée par le héros de l’insurrection

grecque, l’Amiral Kanaris, fait escale à Corfou. La

liberté civile et religieuse, dogme en vigueur dans le

royaume, sera étendue aux Iles et le même Sénat ionien

votera le rétablissement " révolutionnaire" de tous les

droits des Juifs mais la religion orthodoxe grecque est

religion d’état et aux élections les bureaux de vote

sont placés dans les églises.

L’intégration d’une nouvelle population sur les listes

électorales, et l’accès à certaines carrières publiques

posent un problème politique local, mais leurs effets se

produiront plus tard …

En 1865, un correspondant de "l’Univers israélite" écrit

de Corfou :" Par la réunion de notre île avec la Grèce,

notre condition civile s’est sensiblement améliorée …

La bourgeoisie grecque se montre très favorable aux

Israélites et apprécie leur esprit, nos médecins jouissent

d’une grande estime … " (1)

Une ère de grâce apparente se produit : en 1870

plusieurs Juifs seront élus au Conseil municipal, l’un

d’eux fut adjoint au Maire de la Ville. Le Rabbin

Emmanuel Levi était reçu par le Roi Georges Ier, lors

de ses séjours dans l’île. A sa mort en 1887, les clergés

Grec et Romain, les autorités civiles et militaires lui

rendent hommage. Il fut remplacé par Alessandro da

Fano, venu de Reggio Emilia.

C'est là

3

On lui doit l’unification des rites différents pratiqués

par chacune des communautés exotiques et batailleuses

décrites plus haut. D’une grande culture, il développa

l'enseignement de l’italien, du français et du grec dans

un établissement dont la ruine, qui jouxte l’actuelle

synagogue, témoigne de la taille. Cet enseignement,

pour filles et garçons, fut un atout pour surmonter le

désastre qui allait se produire. "L’Alliance Israélite

Universelle" n’avait pas d’école à Corfou comme dans

l’Empire ottoman. En 1889, le nouveau rabbin fut invité

à Athènes aux fêtes marquant le 25ème

anniversaire du

Roi. Il y figurait en compagnie des différentes

représentations religieuses du Royaume : grecque,

romaine, et musulmane.

Le port de Corfou Au fond de l’Adriatique, après le déclin de Venise,

Trieste est l’ouverture autrichienne sur la mer. Tout au

long des côtes dalmates, l’Empire austro-hongrois

installe une amorce pour le grignotage de l’Empire

ottoman. Après l’inauguration de la gare de Trieste en

1854, la liaison ferroviaire à travers les Alpes avec la

capitale, Vienne, ouvre la mer à l’Europe centrale.

Entre 1885 et 1897, un recensement de la population

juive montre que 16% des hommes travaillent au port

comme dockers (facchini) et 18% sont " commerçants".

Les cédrats de Corfou Les vergers des îles Ioniennes et du littoral produisaient

des cédrats utilisés dans la fête des Cabanes "Soukkot".

Depuis Parga, Preveza, en Epire, de Leucade, on

regroupait dans les cales des navires des chargements

d’agrumes rapidement dirigés vers Vienne, puis

distribués par chemin de fer dans toute l’Europe

ashkénaze juive, via Trieste.

Mais, à partir de 1875, les rabbins se mirent à suspecter

la pureté rituelle de ces fruits qui furent finalement

importés d’origines plus "sionistes", et le trafic se tarit.

Sur une population de Corfou-ville estimée à 17500

habitants, les Juifs sont 6000 vers 1880, soit 600 à 700

voix pour élire le Conseil municipal. Dans la mentalité

humaine un attachement au cadre, au voisinage et aux

habitudes de vie se crée naturellement. Chez la majorité

grecque de l’île, les changements politiques, humains et

sociaux, la tendance philosémite du gouvernement

déclencha un ressentiment et une sourde hostilité.

Yakovos Polylas, homme de lettres, politicien et

journaliste, avait commencé à critiquer dans la presse

locale, le nouveau rôle des Juifs. Cette tendance,

relayée par toute la presse, tourna, dans les années 1890

à la franche hostilité.

La "guezzera del Novant’uno" La catastrophe de 1891

Mardi 2 avril 1891. La presse d’Athènes titre le

lendemain : " Une jeune juive est égorgée à Corfou". A

l’approche des fêtes de Pâques, cette sinistre affaire

allait déclencher une émeute. Le préfet organisa la

protection, qui se transforma en blocus du quartier juif

en proie à la panique. Malgré l’intervention des

autorités locales et du rabbin A. da Fano, les troubles

durèrent plus d’une semaine et ne cessèrent qu’à

l’arrivée de renforts militaires envoyés de Patras. Des

désordres similaires se produisirent en écho dans les

îles de Zante, de Leucade et de Céphalonie..

Ensuite, Corfou n’était plus la même. Il y eu un coup

d’arrêt à la politique philosémite nationale : le préfet

Vlahos, jugé trop mou, fut remplacé par N. Pieris,

antisémite notoire. Au procès, qui eut lieu à Patras, la

responsabilité des coupables ne fut jamais clairement

établie. Le rabbin da Fano démissionna et rentra en

Italie . Au plan local, l’échéance d’une émigration plus

ou moins rapide devenait évidente. En mai, 200 juifs

étaient déjà parti pour Trieste, un millier allait suivre.

La grande ville italienne, toute proche, était propice à

une intégration qui fut lente, dure, mais finalement

heureuse et définitive.

On imagine aujourd’hui un départ précipité d’émigrants

avec des ballots ficelés à la hâte, Ce ne fut pas le cas,

toute la population n’émigra pas et on compte encore

2000 Juifs en 1900. On préparait soigneusement son

départ : Transformation du prénom : Moshe devient

Maurice, Jacob → Jacques … etc ; Relations avec des

cousins, parents, amis, déjà partis qui déterminent

l’opportunité d’une destination, d’un emploi. Etude du

Français. Aucun projet d’aller aux USA, contrairement

aux Ashekenases d’Europe du nord.

L’Italie et la Grèce

Le choix des Corfiotes se fera selon leur connaissance

des langues, leur éducation, leur métier, leur talent. Soit

la Grèce, pour se fondre dans la nouvelle capitale avec

les Romaniotes venus des autres villes de la jeune

nation, et s'assimiler dans la culture grecque. (ex:

Moise Caïmi, journaliste, publie le "Israelite

Chronographos" à Athènes), soit l'étranger. Quelques-

uns franchiront l’Adriatique et vivront en Italie (Bari,

Catane, Naples).

Alexandrie

"La plus grande ville grecque du monde " depuis

l’antiquité, en pleine expansion après le percement du

canal de Suez en 1869. De nombreux corfiotes y

rejoindront les communautés venues de tout le Levant,

et d’Europe. Depuis 1900, une société plurinationale,

anime la banque, le commerce, l’industrie et

l’administration. L’Egypte qui sera de 1914 à 1936 un

protectorat britannique.

Il faut trois générations pour s’intégrer : Les " vieux"

parlent la nouvelle langue avec un fort accent;

la "Nonna" parle italien avec le "Nonno", les oncles,

4

tantes et les enfants. Mais ces mêmes enfants se mettent

à parler la langue des petits-enfants qui vont à leur

nouvelle école. Ce sera l’école française pour les

corfiotes, et pour beaucoup d’italophones. On voit

naître sur les bords du Nil une génération de jeunes qui

parlent, sans accent, le même français que sur les rives

de la Seine.

En 1956 ces Juifs d'Egypte seront contraints de

reprendre le bâton de l'exil, mais ceci est une autre

histoire ( voir Lettre de LJ n° 138)

Marseille – " Une histoire familiale"

Mon arrière grand-père - Armando Jessula -

connaissait à Salonique la famille Allatini qui

possédait, autour de la Méditerranée et de la mer Noire,

des moulins, des brasseries et des comptoirs. Une

branche de cette famille s’était fixée à Marseille où elle

ouvrit un bureau. Dès 1892 Armando rejoint cette

agence, pour occuper l’emploi le plus humble : planton,

estafette, timbrage, dépôt du courrier à la poste …

David, 18 ans et Jacques 13 ans restent avec leurs sœurs

et sa femme, la Mamma Rembizza. Deux ans plus tard,

ils arrivent à Marseille. "Allatini frères" crée

la "Compagnie de Commerce et de Navigation en

Extrême-Orient ". Jacques part à Saigon en 1904, David

le suivra 4 ans plus tard– après avoir passé son

baccalauréat à Aix. Les 3 sœurs, Stella, Finetta et Irène

se marieront ensuite à Alexandrie.

Epilogue

Juin 1944, Corfou, sur 2000 juifs, 1800 sont déportés

par les Nazis. 200 reviendront. Maintenant, ils sont une

cinquantaine. Ainsi se sont dispersés autour de la

Méditerranée plus de 5000 Valeureux.

1956, une nouvelle fois encore, depuis l’Egypte, une

population italophone originale, concentré d’humour et

d’histoire de l’Europe, d’abord fixée dans les îles

ioniennes, patrie d’Ulysse maintenant grecque, s'est

dispersée aux quatre coins du monde.

Les "Valeureux" existent. Salomon, Michaël,

Mattathias et " Stampachiodi" Mangeclous, vivent dans

les pages du grand auteur de langue française moderne,

qui les a, "en poète", " fait venir" de Céphalonie, tout

près !

Pourquoi pas de Corfou ? – Chi lo sa ?

Jean François Renaud

1 Bernard Pierron "Juifs et Chrétiens de la Grèce moderne"

Histoire et perspectives méditeranéenes L’Harmattan 1996

Le livre de Nancy Lefenfeld, qui nous avait présenté le 25

janvier 2014 son travail sur les passages clandestins d'enfants

en Suisse durant la seconde guerre mondiale, vient d'être

publié en français sous le titre "Le destin des autres" aux

Editions de l'Harmatan

Albert Cohen

En 1900 arrive à Marseille, venant de Corfou, Marco

Coen ; il s’installe comme négociant en œufs avec sa

femme Luigia née Ferro, et

leur petit garçon de 5 ans :

Alberto, qui a raconté son

enfance dans "Le livre de ma

mère" (1954).

A partir de 1909, Alberto fait

ses études secondaires au

Lycée Thiers, dans la même

classe que Marcel Pagnol. En

1914, il part pour Genève où

il étudie le Droit. En 1919,

avocat et encore turc par son père, il obtient la

nationalité suisse en francisant son nom en "Albert

Cohen" (pour "faire" plus Juif, avait-il dit). Il se marie et

part, seul, pour Alexandrie où il travaille dans un

cabinet d’avocats. Moins de 2 ans, plus tard, il revient

en Europe, puis, en 1926, entre au BIT (Bureau

International du Travail) à Genève et commence à

écrire : Solal en 1930, Mangeclous en 1939. Après

Genève, Paris d’où il part à Londres en 1941.

Pendant la deuxième guerre mondiale il s’implique

dans la cause sioniste et dans celle des réfugiés. A partir

de 1944, jusqu’à sa retraite de fonctionnaire de l’ONU à

Genève, il sera l’artisan du "Passeport Nansen1"

promulgué en 1946. C’est sa grande réussite

professionnelle de juriste et diplomate : Ce document

est délivré par l’ONU aux apatrides, exilés, migrants,

dont la patrie n’existe plus, qui leur permet de voyager

et rejoindre une terre, future nation d’adoption.

Il n’a pas cessé d’écrire. Sa principale œuvre, Belle

du Seigneur, est publiée en 1968, suivie par Les

Valeureux, en 1969. Sous ce titre prennent vie les gens

de Corfou, si vivants autrefois, qu’il ne pouvait que les

garder définitivement présents. Albert Cohen est mort

en 1981. Une rue Albert Cohen existe maintenant à

Corfou qui a donné à la langue française un de ses plus

grands écrivains.

JF. R. & I.J

1 Fridjof Nansen (1861-1930) Explorateur polaire norvégien,

puis diplomate – Prix Nobel de la Paix 1922.

La Lettre de L.J. mai-juin 2016

Rédaction et administration

13 rue du Cambodge 75020 Paris

Directeur de la publication: Isidore Jacubowiez

Comité de Rédaction :

Simone Bismuth, Guershon Essayag ,

Flora Novodorsqui Danièle Weill-Wolf,

Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris

Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584

Les articles signés n'engagent que la responsabilité de leur auteur

5

Gaston Crémieux

Gaston Crémieux naquit à Nîmes le 22 juin 1836. Son

nom complet est Isaac Gaston Crémieux. Il est issu

d’une famille juive du

Comtat Venaissin. Son père

est un modeste commerçant

dans le textile : il vend des

indiennes. Dès qu’il entre

au lycée, le jeune Gaston

sait qu’il veut devenir

avocat. Il évolue dans un

siècle bouleversé par

l’industrialisation. Comme

un certain nombre

d’intellectuels de cette

époque, il est franc-maçon :

il sera élu maître vénérable à la loge de la " Réunion

des Amis Choisis". Il se marie avec Judith, Noémie

Molina le 25 septembre 1864. Cette dernière lui

donnera 5 enfants dont 3 survivront. L’aîné, Albert,

deviendra avocat et le plus jeune est nommé

Maximilien en hommage à Robespierre pour lequel

Gaston Crémieux voue une grande admiration.

Gaston suit la majeure partie de ses études dans sa ville

natale de Nîmes, puis il tente sa chance à Paris. Dans la

capitale, tout en continuant ses études de droit à

l’université, il travaille comme clerc pour gagner un

peu d’argent. En janvier 1856 il décide de poursuivre

ses études à Aix-en-Provence. Le 25 novembre de cette

même année, il obtient sa licence. Le 24 mars 1854, il

devient avocat et retourne à Nîmes. À ses débuts, il

traite essentiellement d'affaires d’escroquerie, de vol,

d’empoisonnement et de viol. En 1862, il s’établit à

Marseille où il ouvre un cabinet.

Il est possible que le jeune Gaston fut influencé

politiquement par son cousin Esdras qui fut très actif

pendant les révolutions de 1848 et de 1851. Gaston,

jeune, défenseur des luttes sociales, prône un

rassemblement qui réunirait les révolutionnaires et les

républicains contre le pouvoir en place.

Gaston Crémieux est également poète, écrivain et

journaliste. Il crée le 29 novembre 1857 une revue

littéraire "l’Avenir " qui donne la parole à d’autres

courants de pensée que celui de la toute puissante

presse catholique. Ce journal est interdit un an après par

la police qui le juge subversif. Il publie des poèmes

dans un recueil intitulé les "Marseillaises" en 1866 avec

"les Voix du Peuple, Gandin et Cocottes et Cavalcade".

Conjointement, avec Delpuèche et Rouvière, il crée en

1870 le journal "l’Égalité" et il publie également des

poèmes, en 1868, dans le journal le "Peuple". En 1869,

il édite un recueil, en 4 volumes, intitulé "Robespierre

le 21 janvier 1793".

Gaston Crémieux utilise sa plume pour s’élever contre

la misère de la classe ouvrière qui le touche

énormément. En effet, Marseille voit croître à grandes

enjambées sa population, par l’émigration italienne et

par l'afflux des paysans des campagnes avoisinantes.

La ville s’industrialise. Des usines s’ouvrent comme les

conserveries de poissons, les fabriques de savon et de

tuiles, ainsi que les chantiers navals.

Gaston Crémieux aurait noué des liens avec le

mouvement des Travailleurs Internationaux Phocéens

après la création en France, en 1865, d' associations

ouvrières.

Il lance un projet d’écoles en faveur des enfants

défavorisés en mars 1865, et en août 1866, ouvre un

cours du soir pour adultes. Gaston y enseigne la morale,

car il estime que cette matière est indispensable pour

forger de bons citoyens et pense qu’il est important que

la classe ouvrière s’émancipe à travers l’instruction et la

culture. Il est partisan de l’école laïque. Il est contre la

suprématie de l’Église et présente ses idées en écrivant

des articles où il fait valoir la tolérance et la liberté de

conscience. Enfin, le 13 juillet 1868, il participe à la

création de l’association "Phocéenne de l’Instruction et

de l’Éducation pour les Deux Sexes".

L’avocat Crémieux donne des conseils, rédige des

statuts pour des corporations. En 1867, des ouvriers lui

demandent d’écrire un cahier des charges : "Mémoire

des Ouvriers de Marseille au Préfet des Bouches du

Rhône ". L’homme de loi suggère la création de

syndicats avec le droit pour les ouvriers de se faire

défendre par un avocat ainsi que l’ouverture de caisses

permettant de distribuer des subsides en cas de maladie

et de chômage. Cette même année, il devient le

conseiller de la Chambre des Peintres en Bâtiment.

L'homme politique

Après la première journée insurrectionnelle du 8 août

1870, Gaston Crémieux est emprisonné jusqu’au 4

septembre, date à laquelle est instaurée la République.

Lors des élections du 8 février 1871, les conservateurs

triomphent sur l’ensemble du territoire français, mais

Marseille reste aux mains des républicains. Influent au

sein de la "Ligue du Midi" 1

, Gaston Crémieux est l’un

des chefs de la gauche marseillaise depuis 1869 et veut

lutter contre ceux qui ont mené Thiers au pouvoir.

La Commune

La Commune de Paris débute le 18 mars, elle se

termine avec la semaine sanglante du 21 au 27 mai

1871. La Commune de la cité phocéenne, elle, se

déroule du 22 mars au 4 avril 1871 et, à la différence de

celle de Paris, est orientée vers une certaine forme

d’autonomie et de fédéralisme.

6

Lors de l’Assemblée générale du 22 mars 1871,

Gaston Crémieux incite les Marseillais à soutenir les

Communards parisiens, puis, le lendemain, à se rendre

à la préfecture de Marseille qui sera occupée. En cette

occasion, une Commission départementale est créée

dont Gaston Crémieux est le président. Au sein de cette

Commission on trouve des membres du Cercle

républicain du Midi, de la Garde Nationale et du

Conseil Municipal

Mais très vite, Crémieux ne maîtrise plus un

regroupement qu’il aurait aimé voir pacifique pour

éviter la guerre civile Dès que la Commission est sur

pied, commencent les discordes entre les radicaux, les

socialistes et les anarchistes à cause des officiels

municipaux qu’elle détient comme prisonniers. Certains

veulent les libérer, d'autres non.

Pour mettre un peu d’ordre, des délégués

Communards parisiens sont envoyés à Marseille.

L’un d’eux, Bernard Lambeck, prend la tête de ce

mouvement le 27 mars, sans pouvoir non plus dominer

la situation. Il prévoit l’organisation d’élections pour le

5 avril, afin que le peuple de Marseille élise la

Commune de façon démocratique. Le Conseil

municipal Communard élu aurait dû gérer l’ensemble

des départements de la Ligue ainsi que la municipalité

de Marseille et le nouveau maire devait également faire

office de Préfet.

Le 28 mars, des affiches sont collées sur les murs de la

ville pour annoncer que le général versaillais, Espivent

de la Villeboisnet, déclare Marseille en état de siège.

Gaston Crémieux essaie d’empêcher le désastre. Avec

le général Pélissier, il rencontre le général Espivent.

Puis il revient une seconde fois avec Lambeck. Ils sont

accompagnés par une foule déchaînée, plus ou moins

armée. L’affrontement est évité de justesse. Les

négociations sur la demande de départ des troupes de la

ville et pour la liberté d’organiser des élections sont un

échec. Le chef d’état major ordonne la reddition des

insurgés.

Au matin du 4 avril 1871, les Marseillais sont réveillés

à deux heures par le tocsin. A 7 heures, le général

Espivent prend possession des rues jouxtant la gare,

puis les soldats et les matelots envahissent la préfecture.

Toute la journée durant, les canons tonnent sur la cité

phocéenne. On déplore de nombreuses victimes.

Crémieux se sent responsable de ce carnage. Pourtant, il

ne s’expatrie pas comme l’ont fait plusieurs insurgés ; il

est arrêté le 7 avril. Le procès des protagonistes de

l’insurrection se déroule du 12 au 18 juin 1871. Gaston

Crémieux est condamné à mort, pour l’exemple, par un

tribunal militaire. Personne, jusqu’à ce jour, ne

comprend une telle sanction alors que ses deux

compagnons, Pélissier et Étienne, avaient été acquittés,

malgré des chefs d'accusation plus graves. D’autant

plus, que l’homme était mesuré et loyal. il ne souhaitait

en aucun cas que le sang fût versé . Certains pensent

que des paroles proférées lors de la réunion du 13

février 1871 au Parlement, installé alors à Bordeaux, en

auraient été la conséquence.

Ou alors, Antisémitisme ?

Sa femme se rendra à plusieurs reprises à Paris pour

rencontrer son homonyme, Adolphe Crémieux, ancien

ministre de la Justice et de l’Intérieur, pour implorer la

grâce de son mari. (Il n’est pas sûr que les deux

hommes avaient le même arrière-grand-père). Ce

dernier est prêt à l’aider, mais il déclare qu’il n’est pas

d’accord avec le comportement de Gaston, lors de la

Commune de Marseille. Quant à Thiers, également

originaire de Marseille, il lance ces paroles à sa

femme : "Votre diable de mari me plaît bien, mais il est

trop poète. On fera certainement quelque chose de lui

lorsqu’il aura des cheveux blancs." Noémie, l’épouse

de Gaston Crémieux, croit son mari sauvé. Il est alors

transféré dans une autre prison où il est mieux traité.

Dans sa geôle Gaston Crémieux écrit. Il remet ses

manuscrits, avant de mourir, à sa femme par l’entremise

du rabbin Vidal. Une œuvre posthume de 13 poèmes

sera imprimée et intitulée : "Avant les Mauvais Jours ",

laquelle sera préfacée par Victor Hugo, ainsi qu’une

pièce de théâtre qui sera complétée en 1879 par son

camarade de lutte, Clovis Hugues, intitulée

"Robespierre et le 9 thermidor".

À l’annonce de l’exécution de Gaston Crémieux, des

milliers de Marseillais se rassemblent devant sa maison

avec ses amis de la loge maçonnique.

Jean Jaurès, auquel il sera souvent comparé, lui rendra

plus tard hommage et, tout particulièrement en 1907.

Louise Michel fut également une fervente admiratrice

de Gaston Crémieux.

Gaston Crémieux meurt fusillé dans les jardins du

Faro, à Marseille, le 30 novembre 1871 à l’âge de 35

ans. Un boulevard de la cité phocéenne porte son nom.

Débaptisé en 1941 par le gouvernement de Vichy, son

nom lui sera restitué en 1944.

Liliane Zand

Cet article a été, à l'origine, écrit en occitan pour des

lecteurs occitans. Il été traduit, pour nous, en français, par

l'auteur.

1 La "Ligue du Midi" a été fondée le 11 septembre 1870 et

comprenait 13 départements. Parmi ses revendications,

plusieurs sont en avance sur les lois qui seront votées au

siècle suivant. Y figurent, entre autres, la séparation de

l’Église de l’État, la confiscation des biens appartenant au

clergé, la laïcité dans l’enseignement, la liberté de la presse,

l’élection des juges et l’interdiction d’exporter de l’argent en

dehors du pays. Gambetta crut y voir un mouvement

séparatiste qu'il combattit.

7

Angelo Donati "L’ange de Nice"

Un personnage de roman, un héros de cinéma, Angelo

Donati fut tout cela, et bien plus. Son histoire n’est

connue que par ses proches,

bien entendu, par les

historiens, et par les juifs qui

ont cherché, aux jours les plus

sombres, refuge dans le Sud-

Est. Serge Klarsfeld a dit de

lui : "il portait bien son

prénom, il a été un ange pour

les juifs".

Le 11 novembre 1942, en

réaction au débarquement des

Alliés en Afrique du Nord, les Allemands envahissent

la "zone libre". Selon un accord passé entre le Reich et

l’Italie fasciste, huit départements français sont

concédés à l’Italie : Alpes-Maritimes, Hautes-Alpes,

Basses-Alpes (aujourd’hui Alpes de Haute Provence),

Drôme, Isère, Savoie, Haute-Savoie et Var.

Pendant dix mois, la zone italienne sera "le paradis des

Juifs". Aucune des lois antijuives promulguées par

Vichy n’y sera appliquée pendant cette période. Le

gouvernement de Rome envoie à Nice Guido

Lospinoso, Inspecteur Général de la "Police Raciale".

Ce sera une chance pour la communauté juive. Il prend

contact avec les dirigeants du "Comité Dubouchage" 1

et leur déclare : "Je crois que je suis envoyé ici du Ciel

pour vous aider : je suis un ancien des vôtres !" Il est

probable que Lospinoso était un lointain descendant des

Marranes espagnols et il se considérait, en quelque

sorte, lui-même comme réfugié. Sous son autorité, les

italiens entrent en conflit ouvert avec les pétainistes

locaux en accordant des permis de séjour aux réfugiés

juifs.

Dès le début de l’occupation italienne, notre héros

entre en scène. Angelo Donati, né en 1885 dans une

grande famille juive de Modène, est pendant la

Première Guerre Mondiale officier de liaison de

l’armée italienne auprès des forces françaises, alors

alliées. Puis, il se fixe à Paris, où il crée la Banque

Franco-Italienne. Président de le Chambre de

Commerce italienne en France, cet homme était couvert

d’honneurs : commandeur de la Légion d’Honneur et

décoré de l’Ordre de la Couronne d’Italie. En juin 1940,

il fuit les Allemands et s’installe à Nice, dans un

somptueux appartement de la Promenade des Anglais.

Il est obsédé par le souci de venir en aide à ses

coreligionnaires persécutés. Dès l’arrivée des Italiens, il

entre en contact, lui aussi, avec le Comité Dubouchage,

dont deux délégués, Michel Topiol et Ignace Fink,

deviennent ses contacts privilégiés. Il collecte des fonds

destinés à secourir les Juifs complètement démunis qui

affluaient dans les Alpes-Maritimes. Et il devient

l’éminence grise de Lospinoso, avec lequel l’entente est

parfaite. L’efficacité de leur action commune est

impressionnante. Plus de 3500 Juifs en situation

irrégulière sont envoyés en résidence surveillée vers la

Haute-Savoie, et quelques villages de montagne. Les

familles sont réunies, les Juifs sont très correctement

traités et la surveillance italienne plutôt légère. Et pour

ceux qui résident près de la frontière suisse la fuite

s’organise, parfois avec succès. La plupart de ces

pauvres gens n’ont jamais su à qui ils devaient cette

heureuse parenthèse. D’autres vouent à Donati une

profonde reconnaissance. Ainsi, les garçons nés à Saint-

Martin Vésubie en 1942/1943 sont tous prénommés …

Angelo.

Les ambitions de Donati vont bien plus loin. Il veut

sauver les quelques 40000 Juifs de la zone italienne.

L’idée, qui semble, avec le recul du temps, un peu folle,

était de transférer les réfugiés vers Gênes, en traversant

les Alpes. Il rencontre le Père Marie-Benoit, un père

capucin qui résidait à Rome au moment de l’entrée en

guerre de l’Italie. Lui aussi consacre tous ses efforts au

sauvetage des Juifs du Sud de la France. Il écrit, entre

autres : "Les Chrétiens se sentent les fils spirituels du

grand Patriarche Abraham… ce qui suffirait à exclure

tout antisémitisme, mouvement auquel nous ne pouvons

avoir aucune part".

Donati convainc le capucin de solliciter une audience

du Pape Pie XII. Le 16 juillet 1943 (quel

anniversaire !), la rencontre a lieu au Vatican. Sa

relation des évènements en France occupée provoque

cette réaction du Pape : "On n’aurait pas cru cela de la

part de la France". Il lui promet de s’intéresser

personnellement au sort des Juifs de France. A notre

connaissance, rien ne sera fait.

Le 25 juillet 1943, chute de Mussolini. Donati, que

rien n’arrête, envisage maintenant de faire passer les

réfugiés d’Italie en Afrique du Nord. Il se rend à Rome,

où il retrouve le Père Marie-Benoit. Ensemble, ils

obtiennent des ambassadeurs de Grande-Bretagne et des

Etats-Unis un accord de principe. Le sauvetage est

élaboré dans tous ses détails. Le nouveau gouvernement

du Maréchal Badoglio met à la disposition des sauveurs

quatre-vingts camions, une escorte de la police italienne

et quatre navires de guerre. Tout est prêt, et Angelo

Donati rend visite à son frère, à Florence. Le 8

septembre, la radio italienne révèle qu’un armistice est

signé entre les Alliés et Badoglio. C’est la catastrophe !

Le général Eisenhower venait de trahir sa promesse

solennelle de tenir secret l’accord qu’il avait conclu le 3

septembre avec le nouveau gouvernement italien. Les

Allemands, qui attendaient impatiemment cette

occasion, envahissent les huit départements protégés.

Les réfugiés juifs des Alpes descendent en toute hâte

vers le Sud, dans des camions affrétés par Donati. Un

grand nombre d’entre eux se retrouve à Nice, comme

dans une nasse. La répression nazie est terrible, les

Angelo Donati en 1950

8

arrestations de Juifs et leur envoi vers Drancy se

succèdent jour et nuit. Les collaborateurs français

retrouvent enfin la parole, les dénonciations facilitent la

tâche des nouveaux occupants. Le Comité Dubouchage

est dissous et entre en clandestinité.

Le réseau Marcel (Moussa Abadi et Odette Rosenstock),

avec la puissante aide de Mgr Rémond, évêque de Nice,

recueille les enfants confiés par des parents en détresse.

Mais ceci est une autre histoire 2.

Donati ne peut pas rentrer en France, sa tête est mise à

prix par les Allemands. Le commandant SS Röthke

exige, par télégramme, l’arrestation immédiate du "Juif

Donati, protecteur des juifs".

Revenons un instant en arrière. En août 1942, au

temps de la "zone libre", vivait à Cap d’Ail, la famille

Spier, chassée d’Allemagne par les lois antijuives. Ils

avaient trouvé enfin la paix sur la Côte d’Azur, après

avoir été enfermés dans les camps du Sud de la France.

Et ce sont des gendarmes français qui viennent les

arrêter et les conduire à la caserne Auvare de Nice. Les

parents sont séparés des enfants et seront déportés, sans

retour. C’est là que se produit le miracle. Angelo

Donati, cousin par alliance, est prévenu. Il vient lui-

même chercher les enfants, les héberge et les fait passer

en Italie. Plus tard, lorsqu’il est évident que les parents

ne reviendront pas, il adopte Marianne et son frère Rolf.

Récemment Marianne Spier-Donati a publié sa

fabuleuse histoire sous la plume de Olga Tarcali 3

A tout récit romanesque, il faut un épilogue. Angelo

Donati se réfugie en Suisse où il continue son action en

faveur des Juifs. A la Libération, il sera un des premiers

Italiens autorisés à revenir en France. Il sera nommé

Délégué Général de la Croix Rouge italienne, et

ministre plénipotentiaire de la république de Saint-

Marin.

Le 26 avril 1966, Yad Vashem a décerné au père

Marie-Benoit le titre de "Juste des Nations". Angelo

Donati n’a pas eu le droit à cette distinction, puisque

Juif. Il meurt à Paris en 1960.

Victor Kuperminc

1 Comité d'aide aux réfugiés située au 6 boulevard

Dubouchage à Nice 2 Voir dans la Lettre de LJ n° 135 : L'article d'Andrée Poch

Karsenti 3 Olga Tarcali : Retour à Erfurt L'harmattan 2001

Bureau de "Liberté du Judaïsme"

Maryse Sicsu Présidente

Isidore Jacubowiez Président adjoint

Marlyse Kalfon-Medioni Secrétaire

Odile Volf Trésorière

Noémie Fischer Trésorière adjointe

Contacts L. J. : 13 rue du Cambodge 75020 Paris

ou [email protected]

Site Internet : www.liberte-du-judaisme.fr

Un peuple disparu

Trois millions de Juifs vivaient sur le territoire de la

Pologne renaissante, tel qu'il avait été défini en 1919

par le Traité de Versailles, soit 10 % de la population

totale avec des zones et des villes où l'on comptait plus

de 40 et 50 % de Juifs. Un peuple avec sa langue, sa

culture, ses écoles, ses journaux, ses partis politiques et

ses députés au SEJM (L'assemblée nationale), et bien

sûr, sa religion.

L'entrée du Musée d'Histoire des Juifs de Pologne

Le magnifique musée qui vient d'ouvrir, et dont J-Ch

Szurek nous a parlé (voir page 11), retrace la vie de cette

communauté depuis l'arrivée, encouragée par la

noblesse polonaise, des premiers Juifs en provenance de

Rhénanie ; son développement au cours des siècles et sa

destruction par les nazis aidés par l'antisémitisme

polonais ambiant et les mercenaires importés d'Ukraine

et de Lituanie.

Le musée s'il montre les côtés fastes de ce

développement, ne cache pas le rejet grandissant des

Polonais, encouragés par l'Eglise catholique, travaillés

au corps par les nationalistes, qui se traduisit au fil des

ans par des lois antijuives, des boycotts et des pogroms

dont les dernières victimes furent les quelques rescapés

de la Shoah.

Le musée mérite le déplacement mais il y a bien

d'autres choses à voir à Varsovie et si vous voulez sortir

un peu des sentiers battus passez donc de l'autre côté de

la Vistule

Varsovie est construite sur la rive gauche du fleuve,

sur la rive droite se trouve Praga. C'est de Praga que

l'armée soviétique regarda les Allemands écraser

l'insurrection polonaise au mois d'août 1944 de la même

façon que les Polonais regardèrent un an auparavant les

Allemands écraser l'insurrection du ghetto de Varsovie.

Les Allemands détruisirent Varsovie, comme ils avaient

détruit le ghetto qu'ils avaient mis en place en 1940,

puis ils vidèrent la ville de ses habitants, ne laissant sur

place qu'un millier d'hommes comme inspecteurs des

9

ruines. La défaite de l'insurrection polonaise de 1944

laissa la place libre pour la mise en place d'un

gouvernement communiste qui bon an, mal an,

gouverna la Pologne pendant une quarantaine d'années.

Praga comportait une importante communauté juive

dont l'origine se situe autour de 1756 lorsqu'un

dénommé Shmul Zbybkower en provenance d'un shtetl

voisin s'y installa ; il fit argent de tout bois dans le

commerce de grains, de bétails et d'alcools. Il devint le

fournisseur attitré de la Cour du dernier Roi de Pologne

- Stanislas August Poniatowski - puis celui de Frédéric

II de Prusse. En 1781 Stanislas August lui octroya le

droit d'utiliser des terrains sur la rive droite de la

Vistule pour y installer des usines, et en particulier une

fabrique de vodka et autres spiritueux.

Ces usines sont maintenant des friches industrielles,

transformées assez souvent en lieu de culture, que l'on

peut visiter. C'est à cause de ce Zbybkower que ce

quartier s'appelle encore

Shmulowizna.

C'est Shmul Zbybkower

qui créa le cimetière juif

de Wicentego que les

nazis détruisirent de fond

en comble. C'est

maintenant un bois de

bouleaux parsemé de

pierres tombales dont

certaines ont été

redressées pour en faire

un lieu de souvenir. L'entrée du cimetière juif de Wicentego

C'est de souvenir aussi qu'il s'agit dans le petit musée

de Targowa qui est en train de prendre vie juste à côté

du marché, en limite de Shmulowizna, dans ce qui fut

un "Stibl" (lieu de prière). On peut y voir quelques frises

polychromes et en sortant admirer de l'autre côté de la

Vistule, Varsovie et sa nouvelle vieille ville.

I.J.

Après...

A la fin de la guerre en mai 1945, après la

défaite hitlérienne, 11 millions de personnes se sont

retrouvés en errance en Allemagne. Ils représentaient

près de 20 % de la population. L'origine de ces DP1

étaient diverses. A côté des prisonniers de guerre sortis

de leurs camps et des déportés sortis de leur enfer, il y

avait des déportés du travail, des populations

germanophones ayant fui devant l'armée russe, des

Allemands quittant les territoires récupérés par la

Pologne et L'URSS, des ressortissants des pays tombés

dans l'escarcelle soviétique qui ne désiraient pas y

rester.

Beaucoup vont assez vite retourner dans leur pays

d'origine, mais d'autres qui ne le pouvaient pas ou ne le

voulaient pas vont rester en Allemagne dans des camps

de transit pour Personnes Déplacées, appellation passe-

partout sous laquelle on les regroupa. Parmi eux, entre

200 000 et 250 000 Juifs.

Ces camps furent d'abord prévus pour recevoir chacun

des personnes de même nationalité d'origine, ce qui

fit que les Juifs polonais se retrouvèrent à cohabiter

avec des Polonais qui n'étaient pas précisément

prosémites. Ils demandèrent donc à être regroupés, ce

qui leur fut, dans un premier temps, refusé par les

Britanniques, craignant sans doute de faciliter par là

l'émigration vers la Palestine, mais fut finalement

accepté sous la pression des Américains. L'exposition

que l'on peut voir actuellement* au Mémorial de la

Shoah est consacrée à cette difficile période. Certains

de ces camps, au nombre de 700 en 1947, ne furent

fermés qu'en 1957, douze ans après la fin des hostilités.

En France c'est un million et demi de personnes qui

rentrèrent. Parmi eux, 2551 rescapés juifs déportés de

France, mais on vit aussi arriver des survivants qui

n'avaient plus aucune raison de vouloir retourner dans

ces pays de l'Est où toutes leurs familles avaient été

massacrées. Pour les déportés, on transforma l'hôtel

Lutetia en Centre d'accueil2. Ce centre fut ouvert du 26

avril 1945 au 1er Septembre 1945, il vit, en un peu plus

de 4 mois, transiter près de 20 000 personnes. C'est en

sortant de Lutétia qu'il fallait essayer de revivre après le

passage dans l'enfer. Une réadaptation difficile, parfois

impossible.

Revenant des camps ou sortant de leur cachette, les

Juifs s'aperçurent que leur logement avait été souvent

occupé par des "occupants de bonne foi" qui se

refusèrent à quitter les lieux et il leur fallut batailler

ferme pour récupérer leur toit.

Leur toit seulement car

leurs biens avaient été soit

pillés par de "charitables

voisins" soit réquisitionnés

par l'occupant, soit les deux

à la fois. Les meubles

étaient stockés et triés,

entre autres, dans des

locaux qui étaient, avant la

guerre, les magasins

Levitan, rue du Fg St

Martin dans le 10ème

(Ci-

dessus : La plaque posée sur l'immeuble) ou encore Quai de

la Gare dans le 13ème.

Il se trouve que petit garçon "caché", j'ai assisté au

pillage de l'appartement de mes parents. Un

déménageur me fit gentillement don d'un de mes jouets,

sans savoir, bien sûr, que j'en étais le propriétaire.

I.J. 1 DP = Deplaced Persons

2 Voir la "Lettre de LJ n° 134"

*Au Mémorial de la Shoah jusqu'au 30 octobre 2016

10

Faut-il tolérer la tolérance ?

Il ne se passe pas un jour sans que j’entende le mot

"tolérance". Qu’il soit dit par des amis, des relations

professionnelles ou des animateurs de radios. Il

s’impose dans tous les débats souvent accompagné de

son acolyte "le vivre ensemble".

Ecoutez-les, écoutez-les bien articuler ces mots,

écoutez-les s’en délecter, comme s’ils prononçaient une

formule magique, leur "sésame ouvre-toi". Ils s’en

gargarisent. Ils s’en repaissent. Ce mot "tolérance" nous

envahit. Nous le gobons et nous le restituons.

Ce vocable m’a toujours dérangée. Il m’a toujours

semblé inadapté. En Tunisie, où je suis née, on ne disait

pas "tolérance", on parlait de respect. Aussi bien les

juifs que les arabes disaient respect ou "k’dar".

Un événement m’a beaucoup marquée. J’avais sept ans.

Ma grand-mère maternelle que j’adorais était atteinte de

cataracte et risquait de devenir aveugle. C’était un 15

août, jour de la procession de la Madone que tout le

monde suivait, chrétiens, arabes et juifs. Un

attroupement bon enfant en signe de partage avec nos

amis chrétiens. Sous une chaleur étouffante, nous

accompagnions un couple d’amis italiens. La femme dit

à ma mère : " lorsque la Madone passera devant nous,

prélevez sur un mouchoir de la sueur de son front que

vous appliquerez sur les yeux de votre mère et le

miracle s’accomplira, elle recouvrera la vue". Avec

l’aplomb de mon incrédulité, j’ai aussitôt répliqué :

"mais une statue en pierre ne transpire pas ! ". Mon

père, qui était pourtant un homme pragmatique qui

s’évertuait à nous éduquer en dehors des superstitions

qui faisaient florès en Tunisie, me gifla. Il me dit avec

fermeté : "c’est pour t’apprendre à respecter les

croyances de chacun !".Mon père m’avait frappée alors

qu’il ne levait jamais la main sur moi. Certes, il ne me

fit pas mal, sa main avait à peine effleuré ma joue mais

quelle humiliation ! Quel désarroi ! Je comprenais qu’il

lui fallait, surtout à l’époque de surcroît dans un pays

arabe, laver l’affront qu’une petite fille, sa propre fille,

avait infligé à ses amis qui devaient penser que j’étais

une petite effrontée mal éduquée. Il avait osé, lui le

progressiste qui m’apprenait à préférer la viande

provenant d’un animal tué par un vétérinaire plutôt que

par un rabbin pour des raisons d’hygiène

scientifiquement prouvées !

J’avais ressenti sont geste comme une trahison.

Pourtant, plus de cinquante ans après, je n’ai pas

oublié la leçon et je m’efforce de respecter ceux qui

n’ont pas les mêmes croyances et les mêmes opinions

que les miennes. Je ne suis certainement pas une adepte

des corrections physiques pour enseigner aux enfants le

respect des autres ; mais certainement une adepte de

l’éducation par l’enseignement de la réflexion, la

démonstration, et bien sûr de l’usage de mots adaptés et

bien réfléchis. Sans être une puriste de la langue

française, loin s’en faut, je ressens une aversion tant

pour le mot " tolérance" que la formule "le vivre

ensemble".

Les raisons en sont simples. Il suffit de consulter mon

dictionnaire préféré, le Littré. Que dit-il ce cher Littré

pour la définition du mot "tolérance" ? :

" Condescendance, indulgence pour ce qu’on ne peut

pas ou ne veut pas empêcher….Disposition de ceux qui

supportent patiemment des opinions opposées aux

leurs…".

Je traduis que le tolérant a de l’indulgence pour une

chose ou une opinion qu’il supporte patiemment avec

dédain. Combien de temps le tolérant qui supporte,

supportera-t-il ce qu’il supporte ? Combien de temps lui

faudra-t-il pour supporter, endurer, souffrir avant

d’exprimer son impatience, et ensuite sa haine ?

Ne dit-on pas familièrement "ma patience est à bout",

"ma patience a des limites". Où se trouve dans la

tolérance l’accueil, l’acceptation de l’autre dans son

altérité ?

De façon étrange et imprévisible, l’éclairage m’a été

offert par ma Tunisie natale en la personne du Prince

Fayçal Bey 1 le petit-fils du dernier Bey de Tunis.

En effet, celui-ci, sans le savoir, a apaisé mon

exaspération et répondu à mes interrogations à

l’occasion d’une de ses conférences à laquelle j’ai eu la

joie et l’honneur d’assister le 24 janvier 2012,

conférence organisée par la Sté d’Histoire des Juifs de

Tunisie.

Dans l’élégance de son élocution, il m’a fait découvrir

un mot que je ne connaissais pas. Un mot élu par ce

descendant de monarque d’une ancienne province

ottomane. Imprégné d’une langue française raffinée, il

avait choisi avec soin un mot pour remplacer celui de

"tolérance " qu’il ne tolérait pas.

Ce mot est le mot "convivance". Convivance du verbe

convivre. Et voilà ce qu’en dit mon cher Littré : " se

conjugue comme vivre. Vivre avec, vieux verbe qui se

comprend sans peine et qui pourrait encore trouver son

emploi".

J’ai donc opté pour l’emploi de convivance en lieu et

place de " tolérance" et "le vivre ensemble".

Redonner vie à ce mot ancien dans sa pleine acception

devient désormais une gageure pour l’écrivaine que je

suis. Un mot qui, me semble-t-il, a une bien jolie

sonorité pour célébrer le caractère sacré de la vie, de la

convivialité, de la fête et du partage des festins de nos

humanités si disparates, dans une cohabitation

harmonieuse.

Tous mes remerciements et ma reconnaissance vont à

son Altesse le Prince Fayçal Bey pour ce don que je me

permets en toute modestie, d’offrir à mon tour en signe

de partage.

Michèle Madar

1 Le Prince Fayçal Bey est né en 1955 au Palais de Carthage.

Il est biologiste, conférencier et auteur du roman "La

dernière odalisque"- Ed. Stock 2003

11

Echos des conférences de L.J. Mardi 16 février 2016

Jean-Charles Szurek, Directeur de recherches au CNRS

Le passé juif dans la mémoire polonaise : quelle

évolution depuis 1989? En préambule à l’intervention du

conférencier, un film d'origine

polonaise sur Marian Turski a été

projeté. Turski, acteur et témoin

important de l’histoire polonaise

depuis la période du régime

communiste, est l’un des principaux

initiateurs du musée de l’Histoire des

Juifs de Pologne ouvert il y deux ans à Varsovie. Le film,

montre comment ce survivant du ghetto de Lodz et des

camps d’extermination a "surfé sur toutes les vagues", selon

l’expression de J-Ch Szurek. "Communiste sincère",

journaliste réformateur dans les années 50, avant de

"redevenir Juif"après 1989, sincère là aussi.

J-Ch. Szurek est à la fois positif et réservé sur le musée.

Construit sur l’emplacement du Ghetto, face au monument de

l’Insurrection du Ghetto, il est composé de neuf espaces

évoquant la vie des Juifs en Pologne depuis le moyen-âge. Il

reçoit quelques 500 000 visiteurs par an et va probablement

devenir le principal musée de Varsovie, devançant le musée

de l’Insurrection de Varsovie de 1944 - musée du

nationalisme polonais. L’antisémitisme polonais n’y est pas

caché mais les actions positives sont bien davantage mises en

valeur et on y insiste sur le soutien des Juifs au gouvernement

communiste, sans les explications qui seraient nécessaires.

J-Ch. Szurek a rappelé que dans la période de l’après-

guerre, sur la question des biens des Juifs, il y avait eu un

pacte tacite avec un gouvernement communiste : soutien au

gouvernement en échange du silence sur ces " transferts de

propriété". La culpabilité individuelle inconsciente a trouvé

une sorte d' écho au niveau national, la Pologne, passant du

statut d’une "nation de héros" à celui d’une nation qui avait

mis la main au meurtre des Juifs. C'est sans doute là l’une des

sources des ambiguïtés polonaises actuelles vis-à-vis des

Juifs, entre philosémitisme et antisémitisme persitant.

La mémoire polonaise a commencé à évoluer à partir des

années 80, avec l’affaire du Carmel d’Auschwitz et le film

"Shoah". Un intellectuel polonais, J.Blonski, souleva alors

pour la première fois la question de la co-responsabilité

polonaise dans l’extermination des Juifs. Phénomène

générationnel, un certain engouement pour l’histoire et la

culture juive se manifeste chez beaucoup de non-juifs ;

depuis 1990, un festival juif se tient à Cracovie tous les mois

de juin, mais aussi dans plusieurs autres villes.

Le contexte politique polonais actuel est plutôt inquiétant.

A la suite d' un article de Jan Gross1 dans " Die Welt" où, tout

en saluant la Résistance polonaise, il indique que les Polonais

ont sans doute tué plus de Juifs que d’Allemands pendant la

guerre, il est envisagé de lui retirer "l’Ordre national du

mérite" qui lui avait été décerné en 1996 pour son opposition

au communisme et ses travaux d’historien. La raison d’Etat

garde tous ses droits …

R.R. 1 Jan T. Gross Historien canadien d'origine polonaise a écrit

en particulier "Les Voisins" qui décrit le massacre, en juillet

1941, des Juifs de "Jedwabne" – localité au nord-est de la

Pologne - par des Polonais, sans intervention des Allemands.

Mardi 15 mars 2016

Dominique Bourel : Directeur de recherche au

CNRS

Après son exposé de l'année dernière sur Martin Buber notre

ami Dominique Bourel a eu la

gentillesse de revenir nous parler,

cette fois, de "Berlin et les Juifs"

Il y aurait actuellement de l'ordre

de 20 000 Juifs à Berlin dont la

majeure partie est venue de l'ex-

Union soviétique mais on y trouve

aussi beaucoup de jeunes

Israéliens installés dans cette

ville du meilleur et du pire.

Le meilleur a sans doute été voulu par ces rois de Prusse qui

ouvrirent les portes de leur royaume en 1671 aux Juifs

chassés de Vienne et en 1685 aux Huguenots chassés de

France. La présence de ces deux communautés, toutes deux

nourries par l'Ancien Testament, va permettre un

développement intellectuel sans précédent et a fait croire à ce

que certains ont appelé une symbiose judéo-allemande.

Il fallut tout de même attendre deux cents ans pour qu'en

1871 soit octroyée aux Juifs l'émancipation politique pleine

et entière 1

. Il mirent ces deux siècles à profit pour faire "leur

trou" et acquérir des positions élevées dans les universités, le

commerce et la finance. Un peu plus de 40 ans après, ils

partirent, "comme en 14", pour défendre la patrie et la

grandeur de l'Allemagne. Mais le ver était dans le fruit et, en

1916, suite à des campagnes antisémites qui traitaient les

Juifs de "planqués", il fut fait un recensement dont les

résultats ne furent jamais publiés, et pour cause…

….100 000 juifs allemands participèrent à la Grande Guerre

et 12 000 y laissèrent leur peau.

Dans le domaine intellectuel on peut citer dans la foulée de

Moses Mendelsohn qui mourut à Berlin en 1786, le néo-

kantien Hermann Cohen ² qui mourut à Berlin en 1918 mais

aussi Franz Rosenzweig, Gershom Sholem et Martin Buber..

Dans la finance, le banquier Gerson Bleichröder, proche de

Bismark, qui accepta d'être annobli mais refusa de se

convertir. C'est d'ailleurs Bismark lui-même qui en 1897

inaugura la grande Synagogue de Berlin, sauvée durant la

Nuit de Cristal par un homme courageux, et qui sert

aujourd'hui de Centre communautaire.

Berlin, ville singulière, détruite en

1945, coupée en deux durant presque

un demi-siècle, où la mémoire juive est

honorée en maints lieux3 mais aussi

sous les pieds des passants avec ces

pavés de cuivre sertis dans le sol (ci-

contre) qui portent les noms des Juifs

qui habitèrent les maisons à proximité.

I.J. 1 Il avait été précédé, en 1812, d'un Edit d'émancipation qui

comportait un certain nombre de limitations.

2 Hermann Cohen : la cohabitation de son nom et de son prénom

est un symbole en soi.

3 Le Musée juif, Le Monument de l'Holocauste, Le Musée de la

Terreur, La maison de la Conférence de Wansee transformée en

musée.

12

Saut jeune, qu'est-ce que c'est ?

Au départ, issue d'un petit noyau

d'étudiants issus en majorité de

mouvements de jeunesse tels que

l’Hashomer Hatzaïr et l'Habonim

Dror, l'idée était de créer une

structure permettant aux anciens de

pouvoir continuer leur engagement

militant. Engagement, inculqué

tout au long de notre jeunesse autour des valeurs de partage,

de respect de l'autre, d'ouverture, politiquement engagé à

gauche et sioniste.

Par la suite, nous avons fait le constat d'une communauté

juive de plus en plus renfermée, de plus en plus ancrée à

droite, avec une frange extrême malheureusement de plus en

plus visible. Les différents évènements de l'actualité l'ayant

touché directement peuvent en être l'explication majeure.

Cette réaction aussi justifiée soit-elle nous paraissait contre-

productive et l'idée d'apporter une voix de gauche,

progressiste et ouverte, était alors évidente.

"Saut jeune" fut alors la réponse. Au travers d'évènements en tout genre, rencontres avec

différentes personnalités de la vie publique – hommes

politiques, représentants communautaires, acteurs de la

société civile – mais aussi des expositions photos, des dîners

interculturels… Nous avons créé petit à petit un réseau réuni

autour d'un principe fondamental, échanger, partager, et se

retrouver autour d'un socle de valeurs communes.

Nos actions ne s'arrêtent pas là, nous tenons aussi un site

internet, où certains se plaisent à écrire sur des thématiques

intéressants tant la France que l’International. Concernant le

conflit au Proche Orient, nous essayons d'apporter une voix

nouvelle militant pour la paix dans la région. Enfin, nos

actions tendent à nous diriger vers une approche

intercommunautaire, le rapprochement des communautés,

tant religieuses que culturelles… étant essentiel à nos yeux.

Finalement, Saut jeune c'est une association d'étudiants juifs

progressistes, désireux d'apporter une nouvelle voix juive

dans la société française afin d'échanger, de partager et

d'apprendre de l’autre.

Nous remercions "Liberté et Judaïsme" de nous donner un

espace de visibilité et serons surement amenés à travailler

ensemble ! Benjamin Zeitoun

La Lettre de L.J. Mai-juin 2016 Sommaire n° 139 Page

Editorial ……………………………… 1

Juifs de Corfou …………………… 1-4

Albert Cohen……………….……… 4

Gaston Crémieux…………………. 5-6

Angelo Donati…………………… 7-8

Un peuple disparu……….……… 8-9

Après……. ….…………………… 9

Faut-il tolérer la tolérance……… 10

Nos conférences :

J-Ch Szurek …Dominique Bourel …… 11

Saut Jeune, qu'est ce que c'est ?… 12

Communiqué du Rajel sur le boycott…. 12

Activités de L.J………..…………… 12

Activités de L.J.

Conférences Notre thème pour l'année 5776 (2015-2016)

"Les Juifs, d'ici et d'ailleurs" Mercredi 16 Septembre 2015

Edith Bruder : Les Juifs noirs d'Afrique et le Mythe

des Tribus perdues. Mardi 20 Octobre 2015

Rémi Huppert Une communauté juive en Chine Mardi 24 Novembre 2015

Danielle Rozenberg Sefarad revisitée dans l'Espagne contemporaine. Mardi 15 Décembre 2015

Gilles Hanus L'itinéraire de Benny Lévy

Mardi 26 janvier 2016

Andrée Lerousseau Claude Vigée ou le pari du vivant Mardi 16 février 2016

Jean-Claude Szurek Le passé juif dans la mémoire

polonaise : quelle évolution depuis 1989 ?

Mardi 15 mars 2016

Dominique Bourel Berlin et les Juifs

Mardi 19 avril 2016

Carol Iancu La Shoah en Roumanie et en Hongrie

– Histoire et Mémoire - Mardi 24 mai 2016

Isaac Revah Les Juifs ressortissants espagnols de

Salonique pendant la seconde guerre mondiale

Le RAJEL1 est

profondément heurté par le

développement dans notre

pays des campagnes de

boycott orchestrées par BDS (Boycott, Désinvestissement,

Sanctions)

Le RAJEL rappelle qu'il soutient une solution négociée du

conflit du Proche-Orient comportant deux Etats pour deux

Peuples, la reconnaissance pleine et entière de l’Etat d’Israël

et le droit des Palestiniens à avoir un état indépendant.

Ces campagnes qui se limitaient initialement au boycott des

produits fabriqués dans les territoires palestiniens sous

contrôle de l'armée israélienne s'étend maintenant à tout ce

qui vient d'Israël et en particulier aux échanges intellectuels

et culturels dont les manifestations contre la présence, l'été

dernier, de la Ville de Tel-Aviv à "Paris sur Plage" et tout

dernièrement contre une troupe de ballet à l'Opéra de Paris

sont les exemples les plus affligeants.

Ces campagnes sont le terreau sur lequel se développe la

montée de l'antisémitisme en France, comme on peut le

constater quotidiennement.

Le RAJEL fera tout ce qui est en son pouvoir pour dénoncer

et s'opposer à ces actions de boycott qui ont comme seul

résultat tangible d'importer le conflit israélo-palestinien sur le

territoire français. Jeudi 3 mars 2016

1Réseau des Associations Juives Européennes Laïques dont

"Liberté du judaïsme" est un des membres.