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Les amants du lac

MICHELE DUNAWAY

Titre original : BACHELOR CEO

Résumé :

Lorsque Chase McDaniel apprend que son grand-père a

confié les rênes de l’entreprise familiale à une certaine Miranda

Craig, il est incapable de cacher sa colère. N’était-ce pas à lui

que devait revenir cette responsabilité ? Il est donc bien décidé à

se mettre en travers du chemin de cette intrigante…

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Chase McDaniel sentit son souffle se bloquer dans sa gorge, et sa

cravate de soie lui sembla soudain trop serrée.

Il avait beau faire trente-deux degrés sur le parking de l'entreprise

ce vendredi-là, la canicule ne le dérangeait pas. La sueur qui perlait

sur son front n'avait rien à voir avec la chaleur exceptionnelle pour

cette fin de mai. La scène qu'il observait à quelques mètres de là en

était seule responsable.

Cette jeune femme vêtue d'une minijupe, là-bas, elle n'allait tout

de même pas continuer à se pencher ainsi !

Mais elle s'inclina davantage, continuant d'examiner l'arrière de sa

voiture.

Il parcourut des yeux ses mollets bien galbés puis remonta

jusqu'à...

Stop!

Quand l'inconnue se redressa, ses courts cheveux noirs retenus sur

sa tête par ses lunettes de soleil, il ne put s'empêcher d'admirer la

façon dont son petit haut blanc lui moulait les seins.

Elle était attirante, dans tous les sens du terme. Il n'avait jamais

rien vu de tel. Un mélange détonant de détermination et de sex-appeal.

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Profondément troublé, il s'approcha du parking des visiteurs et

comprit aussitôt ce qui la tracassait.

Elle avait un pneu à plat.

D'accord, c'était pour lui.

Il était 10 heures du matin, et le week-end du Mémorial Day

commençait d'ici quelques heures. La journée promettait d'être

chaude. Tant mieux. Cela aurait le mérite de réchauffer les lacs,

rendant ces trois jours idéaux pour les activités sportives qu'il adorait.

Son grand-père l'attendait dans la maison de campagne familiale du

Minnesota. Il prendrait la route pour le rejoindre... dès qu'il aurait

accompli sa bonne action de la journée.

— Bonjour, dit-il en s'arrêtant à quelques pas de la jeune femme.

Quand elle se tourna vers lui, il eut de nouveau du mal à respirer.

Elle avait les yeux les plus verts qu'il ait jamais vus.

— Bonjour, répondit-elle d'une voix tendue, comme si la situation

l'irritait au plus haut point.

— On dirait que vous avez un pneu crevé, constata-t-il.

— Vous croyez ?

Elle se frotta le front, y déposant des traînées noires.

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Les doigts lui démangèrent de les effacer, mais il se contint. Elle

l'avait attiré au premier coup d'œil, et une vision plus rapprochée

n'avait rien pour le détromper.

— Vous ne connaîtriez pas le numéro d'un garage dans le coin ?

demanda l'inconnue, prosaïque.

— Avez-vous une roue de secours ?

— Je l'espère, dit-elle en plissant le nez. Je n'ai jamais eu à m'en

servir, et je ne sais même pas où elle est.

Il se dirigea vers l'arrière de la voiture et remarqua la plaque de

l'Illinois.

Chenille ne se trouvait qu'à une heure de route de la jonction de

l’Iowa avec l'Illinois et le Minnesota.

— D'où venez-vous ? demanda-t-il en ouvrant son coffre.

— De Chicago. Qu'est-ce que vous faites ?

Il lui fît le sourire charmeur que sa sœur Chandy qualifiait

d'irrésistible.

— Je change votre roue. Bienvenue dans l’Iowa. Les gens sont

serviables, ici. Surtout à Chenille.

— Il y a peu, je n'avais jamais entendu parler de cet endroit. La

ville ne figure même pas sur les cartes.

Alors, qu'est-ce qu'elle faisait là?

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— C'est vrai, dit-il en enlevant le tapis du coffre pour le poser par

terre. Mais McDaniel Manufacturing attire pas mal de visiteurs.

J'imagine que vous en avez entendu parler, puisque vous êtes ici ?

— J'ai fait quelques recherches, en effet. L'entreprise fabrique du

fromage, des glaces et d'autres produits à base de lait. Le succès de sa

gamme est tel en ce moment qu'il inquiète ses concurrents les plus

puissants, dont Kraft Foods.

Peut-être prospectait-elle pour un distributeur ou un producteur ?

De nombreux représentants leur offraient leurs services ou leurs

produits.

— Ainsi donc, vous avez fait des recherches.

— C'est ce que n'importe qui doté d'un peu de bon sens aurait fait.

— Parce que vous vous considérez comme une femme sensée,

lâcha-t-il, s'abstenant de commenter que le fait de ne pas avoir eu

l'idée de chercher la roue de secours dans son coffre prouvait le

contraire.

— J'aime à le croire, répondit-elle avec assurance.

Il sourit tout en sortant la roue et le cric de leur logement.

— Où avez-vous étudié ?

— A l'université de Northwestern.

— Ah oui, dans cette bonne vieille ville d'Evanston.

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— Qu'avez-vous contre cet endroit? demanda-t-elle, aussitôt sur la

défensive.

— Rien. A moins que vous n'ayez quelque chose contre

l'université de l'Iowa où j'étais moi-même étudiant.

Il lui tendit le cric.

Ses doigts effleurèrent les siens quand elle le lui prit des mains.

Puis il posa la roue sur le sol et enleva sa veste.

Il n'avait jamais eu peur de se retrousser les manches ni de se salir

les mains. Il se laverait en arrivant à Lone Pine Lake.

Il serait retardé d'environ une demi-heure, mais son grand-père

comprendrait. Leroy McDaniel était un homme galant, qui n'aurait pas

manqué de se précipiter au secours d'une femme en panne sur le

parking de son entreprise.

Il desserra les boulons, souleva le véhicule à l'aide du cric et

enleva la roue crevée, ignorant la saleté qui s'était déposée sur ses

mains. Puis il installa la roue de secours et termina rapidement le

travail.

— Merci, dit la jeune femme quand sa voiture fut prête.

— De rien, répondit-il en rangeant la roue crevée dans le coffre et

les bagages par-dessus. Si j'étais vous, je ferais un saut chez Bay's

Tires. C'est juste un peu plus loin sur la rue principale. L'endroit est

voyant. On dirait une ancienne station-service, les pompes à essence

en moins. Dites-leur que c'est Chase qui vous envoie.

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— D'accord, dit-elle en l'étudiant.

— Que faites-vous maintenant, vous arrivez ou vous partez ?

demanda-t-il en indiquant le bâtiment.

Elle secoua la tête, faisant voler ses cheveux noirs.

— Je m'en vais. Je commence à travailler mardi. Je suis juste

venue remplir des papiers.

— Ah.

La semaine prochaine, cette beauté ferait partie de son personnel.

Cette information le contraria. Il connaissait le danger qu'il y avait

à enfreindre la loi sur le harcèlement sexuel. La direction de McDaniel

Manufacturing était fière du taux élevé de satisfaction de ses employés

et de la qualité des conditions de travail et de sécurité. Mais la jeune

femme n'avait pas encore pris ses fonctions, et la curiosité fut plus

forte.

— Peut-être pourriez-vous me remercier en acceptant de déjeuner

avec moi ?

— C'est gentil, dit-elle en fronçant son nez ravissant. Mais vous

m'avez déjà assez aidée. De plus, il faut que je me dépêche. Je dois

être chez moi à temps pour recevoir mon déménagement.

— Les déménageurs sont toujours en retard, objecta-t-il dans

l'espoir de la retenir.

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Il était pourtant loin d'être un expert dans ce domaine, n'ayant

déménagé qu'une fois, de la maison de son grand-père à la sienne.

Mais elle se dirigea vers sa voiture, le laissant planté là comme un

idiot.

— Ravi de vous avoir rencontrée, dit-il de loin.

— Encore merci pour le coup de main.

— Je vous en prie.

Il la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse puis ramassa sa

veste sur le bitume.

La facture de teinturerie risquait d'être élevée, mais cela en valait

la peine. Une telle créature n'avait jamais foulé le sol de Chenille.

Dans le cas contraire, il l'aurait trouvée depuis longtemps.

Il avait fréquenté un bon nombre de femmes dans l'espoir de

dénicher la bonne. Le sexe n'avait jamais été un problème pour lui. La

difficulté, c'était de rencontrer quelqu'un qui vous captive à la fois le

cœur et l'esprit. Quelqu'un que vous puissiez aimer toute sa vie. Il était

peut-être d'un romantisme incurable, mais il croyait en l'amour et était

bien décidé à le chercher jusqu'à ce qu'il l'ait trouvé.

Il regarda ses mains noires et grimaça.

Il ferait mieux de passer chez lui se laver avant de prendre la

route. Il en avait largement le temps, même si son grand-père avait

insisté pour qu'il arrive avant ses frère et sœurs.

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Chaque année, tout le monde se retrouvait le vendredi soir dans la

maison de Lone Pine Lake pour y passer le week-end du Mémorial

Day et commémorer l'anniversaire de Leroy McDaniel. Demain, son

grand-père aurait quatre-vingts ans. Il parlait depuis quelque temps de

prendre sa retraite, et Chase était persuadé que le moment était venu.

Il se préparait depuis toujours à diriger l'entreprise familiale, un rôle

qui lui revenait de droit suite au décès de ses parents dans un accident

d'avion.

Quand il était jeune, il avait envisagé de tenter sa chance ailleurs,

mais il y avait depuis longtemps renoncé, ce qui n'était pas le cas de

ses sœurs et de son frère.

Cecilia avait trente ans et vivait à New York. Parvenue à la fin de

sa carrière de danseuse, elle donnait à présent des cours de danse

classique, venait de se marier et attendait un enfant. Chris, son frère

cadet, était pasteur et habitait avec sa femme à Davenport, à la

frontière avec l'Illinois. Quant à Chandy, la plus jeune du clan, elle

avait vingt-sept ans et était interne en pédiatrie à Saint-Louis.

Chase parcourut le court trajet jusqu'à sa maison.

Il possédait une grande villa avec patio entourée de deux hectares

et demi de terrain qu'il espérait partager un jour avec une femme et

des enfants. Mais pas question qu'il se marie avant d'avoir trouvé la

femme de sa vie. Tous les membres de sa famille avaient eu des

mariages heureux, et il voulait la même chose.

L'espace d'un instant, il songea à la femme qu'il venait de

rencontrer.

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Il y avait différents postes de cadre à pourvoir au sein de

l'entreprise, dont deux aux ressources humaines. Peut-être allait-elle

occuper l'un d'entre eux ?

En se lavant les mains, il songea à appeler le bureau pour essayer

d'en savoir plus.

Mais sa secrétaire était déjà partie en week-end.

Allons, mardi arriverait vite. Il aurait alors toute latitude de

connaître l'identité de cette mystérieuse inconnue.

***

Miranda Craig n'eut aucun mal à trouver Bay's Tire.

Quelques instants plus tard, elle était installée dans un petit

bureau, attendant que le garagiste lui change son pneu, qui était

irréparable.

Le garage n'était pas une enseigne franchisée, mais une petite

entreprise familiale tenue par un couple d'une cinquantaine d'années.

— Ainsi, c'est Chase qui vous a envoyée ici, dit Mme Bay sans

lever les yeux du magazine qu'elle feuilletait.

— Oui.

— Sa famille est cliente chez nous depuis des années. Etes-vous

sa petite amie ? s'enquit-elle en interrompant sa lecture.

— Non. Je suis une nouvelle employée.

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La femme lui lança un regard appuyé.

— C'est mieux pour vous. Il change de femme comme de

chemise.

— Ah.

Au grand soulagement de Miranda, la femme se replongea dans sa

revue.

Elle n'avait aucun mal à imaginer l'effet que cet homme avait sur

les femmes. Elle avait elle-même éprouvé un petit frisson révélateur

en voyant ce grand blond venir vers elle. Puis un second quand elle

l'avait identifié.

Chase McDaniel n'était pas n'importe qui. Il était encore plus beau

en vrai que sur les photos qu'elle avait vues de lui sur internet. Ses

cheveux blonds décolorés par le soleil lui donnaient l'air d'un surfeur

californien, tandis que la chemise qu'il portait révélait des épaules

larges et un torse musclé. Ses yeux bleus brillaient d'intelligence, et sa

bouche... Ah, sa bouche ! Un baiser de ces lèvres sensuelles devait

être divin.

Il ne s'était pas donné la peine de dissimuler son intérêt. Ses

attentions l'avaient flattée, tout comme le fait qu'il n'ait pas hésité à se

salir les mains pour elle.

Il n'était donc pas aussi raffiné qu'il en avait l'air?

Elle aurait bien aimé accepter son invitation à déjeuner, mais un

refus lui avait semblé plus sage. Mieux valait pécher par excès de

prudence.

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Elle avait quitté Chicago pour recommencer sa vie à Chenille. A

trente-trois ans, elle ne pouvait se permettre d'échouer. Un flirt avec

cet homme de trente-cinq ans, héritier présomptif de McDaniel

Manufacturing, ne ferait que compliquer les choses.

Elle avait déjà commis l'erreur une fois en succombant trop vite

aux charmes de Manuel, un beau brun au regard de braise qui l'avait

soûlée de belles paroles. Pour finir, il s'était avéré qu'il l'avait séduite

par intérêt. Il s'était servi d'elle pour décrocher un gros contrat

commercial entre sa société et la sienne. Ses mensonges et sa duplicité

l'avaient profondément blessée.

Non, le sourire charmeur de Chase McDaniel ne la détournerait

pas de son but...

— Votre voiture est prête, annonça M. Bay en s'essuyant les

mains sur un chiffon.

Elle chassa Chase McDaniel de son esprit.

Ce n'était pas le moment de rêver. Un long week-end l'attendait.

D'ailleurs, malheureusement, elle aurait bientôt l'occasion de le revoir.

A vrai dire, le lendemain.

Il était son seul moyen d'accéder à l'emploi de ses rêves. Et, quelle

que soit son attirance pour lui, elle était arrivée trop près du but pour

gâcher ses chances.

Maudissant intérieurement les hasards de la vie, elle se dirigea

vers le comptoir pour payer sa facture.

***

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Chase monta les marches de la véranda en songeant que cet

endroit lui appartiendrait un jour. La main posée sur la rampe en

cèdre, il s'arrêta un instant pour admirer le lac qui s'étendait au-delà de

la maison.

Son grand-père avait acheté la propriété de Lone Pine Lake au

milieu des années cinquante. Il passait ses étés à Lone Pine Lake

depuis qu'il était né. Quels que soient ses soucis, ils s'envolaient dès

qu'il sortait de sa voiture.

Il comprenait pourquoi Leroy McDaniel adorait cet endroit et y

passait la plupart de son temps depuis le Mémorial Day jusqu'à la fête

du Travail, début septembre. La maison était comme le bon vin, elle

prenait du caractère en vieillissant.

Construite au sommet d'une colline herbeuse, elle surplombait les

cent cinquante mètres de rivage formant la limite de la propriété. Dans

les cinq chambres de la maison, il y avait de la place pour quatorze

personnes. Tout près avaient été construits deux petits bungalows

pouvant accueillir chacun quatre invités.

Il prit une bouffée d'air frais, laissant les odeurs de pin et de terre

pénétrer ses sens.

Un aigle plana à la surface de l'eau, toutes serres dehors, avant de

descendre en piqué pour attraper un poisson.

Les vingt kilomètres de pourtour du lac étaient restés préservés.

Les maisons situées sur ses rives étaient bâties sur de grands terrains,

empêchant ainsi la construction de lotissements ou d'immeubles.

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Il s'était toujours senti chez lui ici. Plus que dans la vaste maison

de son grand-père à Chenille, où il avait grandi avec son frère et ses

sœurs.

— As-tu l'intention de rester planté là longtemps ?

— Bonjour, Grandpa, dit-il en voyant son grand-père remonter le

long de la maison, son matériel de pêche à la main. La pêche a été

bonne ?

Il y avait un hangar à bateau au bord de l'eau, mais Leroy préférait

ranger ses affaires dans la véranda.

— Non. Mais on ne me retirera pas de l'idée qu'il y a des poissons

dans ce maudit lac, ronchonna-t-il.

Chase éclata de rire.

La seule touche que son grand-père ait jamais faite dans ce lac

était un minuscule gardon. C'était devenu un sujet de plaisanterie dans

la famille de dire que les poissons reconnaissaient les appâts des

McDaniel.

— Je t'attendais plus tôt. Tu n'as pas eu de problèmes, au moins ?

demanda Leroy en montant les marches.

— Non, non.

Quand son grand-père passa à côté de lui, Chase trouva que celui-

ci rapetissait avec l'âge.

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Il attendit que Leroy range son matériel, puis le suivit dans la

vaste cuisine.

La maison était à l'origine un pavillon de chasse où de grands

banquets étaient préparés. Les dernières rénovations avaient eu lieu

huit ans auparavant, trois ans avant la mort de leur grand-mère. Leroy

se servait rarement de tous ces appareils ultramodernes. Il préférait se

réchauffer des plats au micro-ondes quand il ne mangeait pas dehors,

ce qui était souvent le cas, car le restaurant du club de golf était ouvert

au public et proposait la meilleure cuisine de la région.

Le vieil homme prit un pichet de thé glacé dans le grand

réfrigérateur en inox.

— Sors-nous des verres, s'il te plaît.

Chase prit avec empressement dans le placard deux gobelets en

métal qu'il posa sur la table.

Il ne s'était pas arrêté sur la route et mourait de soif.

— Pourquoi m'as-tu demandé de venir avant les autres ?

Leroy but une gorgée de thé.

— As-tu apporté mes papiers ? demanda-t-il, éludant la question.

— Oui, tout ce que ta secrétaire m'a remis, répondit Chase en

faisant tourner le liquide dans son verre. C'est dans le coffre de ma

voiture.

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— Bien. Je vais prendre une douche. On se retrouve ici dans vingt

minutes ?

— D'accord. Moi, je déballe mes affaires, mais je vais d'abord

manger quelque chose. J'ai sauté le déjeuner.

— Vas-y, dit Leroy en quittant la pièce, son verre à la main.

Après s'être restauré, il pénétra dans la salle à manger, posa la

grosse enveloppe contenant les papiers de Leroy sur la table de la

grande salle voûtée.

Sur le côté droit de la pièce, il y avait une véranda vitrée dans

laquelle pouvaient dîner une quarantaine de personnes.

Il se dirigea vers les fenêtres pour admirer la vue puis gagna l'aile

gauche qui abritait les chambres à coucher. Une fois dans sa chambre,

au premier étage, il défit ses valises, puis redescendit s'installer dans

son fauteuil préféré, devant l'énorme cheminée en pierre rose.

— Ah, c'est bien que tu sois là ! dit Leroy en émergeant de l'entrée

du rez-de-chaussée, sur laquelle donnaient sa chambre et son bureau.

— J'ai mis les papiers sur la table.

— Merci, je les regarderai plus tard. Si tu veux, on peut aller boire

un verre au club avant l'arrivée des autres.

— On est bien ici. De quoi voulais-tu me parler? demanda-t-il de

nouveau.

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Il ne parvenait pas à maîtriser son impatience d'être officiellement

nommé P.-D.G. La fonction lui revenait, il le savait, mais il voulait en

avoir la confirmation avant de pouvoir se détendre et profiter du

week-end.

Leroy s'installa dans son fauteuil de relaxation et allongea les

jambes. Son visage était impassible, mais ses yeux bleus le scrutaient.

— Je m'inquiète pour toi, annonça-t-il.

— Qu... Quoi ? bafouilla Chase avec étonnement.

La dernière fois que son grand-père s'était fait du souci pour lui,

c'était quand il avait dix-sept ans et qu'il avait oublié de prévenir de

son retard.

— Mais pourquoi ? Ai-je fait une bêtise ?

— Non, c'est moi, répondit le vieil homme en soupirant.

— Tu n'es pas malade, au moins ?

— Pas du tout, protesta Leroy avec un sourire rassurant. Je me

porte comme un charme. A l'inverse de ma chère Heidi, j'ai encore

quelques années devant moi. Il faut bien que quelqu'un soit là pour

s'occuper des petits-enfants que ton père et ta mère n'auront jamais

l'occasion de connaître.

Chase fronça les sourcils.

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Son grand-père n'était pas du genre à se montrer vulnérable. Leroy

était un homme dur, qui s'était construit tout seul et qui ne craquait pas

sous la pression. Alors pourquoi cette brusque nostalgie ?

Peut-être était-ce dû à la proximité de son anniversaire. ..

Le sandwich à la dinde de Chase lui pesait maintenant sur

l'estomac.

Quelque chose n'allait pas, il pressentait une catastrophe, comme

en ce jour lointain où ses grands-parents leur avaient annoncé la mort

de leurs parents. Bien sûr, rien ne pourrait être aussi terrible que cette

nouvelle-là, mais il ne se sentait pas rassuré pour autant.

Leroy soupira de nouveau.

— J'ai été injuste avec toi, Chase. Il n'y a pas longtemps que je

m'en suis rendu compte. Tu as toujours fait tout ce que je te

demandais.

— Ce n'est pas un problème, assura Chase. Cela ne m'a jamais

gêné.

Leroy poussa un autre soupir, comme si la conversation lui

coûtait. Il s'avança dans son fauteuil, reposa les deux pieds sur le sol et

joignit les mains.

— Si, c'est un problème. J'aurais dû m'en rendre compte avant. Tu

n'as pas pu faire tes choix, car tu t'es toujours efforcé d'être à la

hauteur de ce que j'exigeais de toi.

Chase fronça les sourcils.

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— Je n'y comprends rien. Ne suis-je pas à la hauteur?

— Bien sûr, largement. Et je suis fier de toi.

— Alors, de quoi s'agit-il ?

— J'ai passé ces derniers mois à songer à la mort. J'avais annoncé

que je me retirerais quand j'aurai quatre-vingts ans, mais j'ai changé

d'avis. Je vais rester encore un an.

— Eh bien... Tant mieux.

Il entrevoyait maintenant la raison de cet entretien : son grand-

père craignait qu'il ne soit déçu de ne pas être nommé P.-D.G. cette

année.

— Je voulais t'annoncer la nouvelle personnellement. Je t'ai formé

pour me succéder, mais...

— Ne t'inquiète pas, répliqua-t-il, cherchant les mots appropriés.

Un an, c'est vite passé. Je suis content que tu restes. Le business te

maintient en forme, et le bureau te manquerait.

Leroy eut un sourire triste.

— C'est vrai. Le travail m'occupe l'esprit et m'empêche de penser.

Mais ce n'est pas de moi qu'il est question. J'ai commis des erreurs. Je

ne suis pas sûr que ce travail te rende heureux.

Chase eut l'impression d'avoir reçu un coup sur la tête.

— Quoi ! s'écria-t-il, sous le choc. Tu plaisantes ?

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— Pas du tout. J'ai toujours considéré comme normal que tu

travailles avec moi. Je t'ai obligé à assumer le rôle de ton père, sans

chercher à savoir ce que tu désirais vraiment. Te souviens-tu de

l'époque où tu rêvais de devenir garde forestier ou médecin ?

— Tu me confonds avec Chris ou Chandy. Je ne me souviens pas

d'avoir jamais désiré devenir médecin. J'ai failli m'évanouir lors de la

dernière prise de sang à la médecine du travail. J'adore travailler dans

l'entreprise, Grandpa. Je n'ai jamais eu envie de changer. Je suis

heureux ainsi.

— Oui, parce que tu n'as jamais eu le choix. Lorsque ton père est

mort, il m'a semblé normal que tu prennes sa place. J'aurais dû te

laisser la liberté de choisir, comme aux autres.

— Mais j'ai choisi ! J'ai passé un diplôme de gestion.

— Uniquement parce que je t'y ai incité, objecta Leroy en

desserrant les mains pour empoigner ses genoux. Tu as toujours fait ce

que j'exigeais de toi, Chase. La vie est trop courte pour se sacrifier.

Prends des risques, amuse-toi. Parcours le monde. Escalade l'Everest.

Essaie un autre métier. Fais n'importe quoi, pourvu que tu sois

heureux.

— Mais je le suis, protesta Chase.

— Je veux que tu en sois certain. Je t'offre une année sabbatique

avec solde. Si dans un an tu décides de continuer, je prendrai ma

retraite et te laisserai ma place. Mais tu as besoin d'un temps de

réflexion afin d'être sûr que c'est ce que tu veux vraiment.

Un sentiment d'impuissance s'empara de lui.

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Si son grand-père s'était mis dans la tête qu'il avait été pénalisé,

rien ne le ferait changer d'avis. L'homme avançait comme un

bulldozer une fois qu'il avait pris une décision.

— Je le sais déjà, insista-t-il.

— Parce que tu n'as pas eu d'autres expériences. N'aie pas peur de

me décevoir. Ce qui me rendrait triste, ce serait que tu refuses. Tu dois

d'abord penser à toi.

— Et toutes les responsabilités que j'assume ?

— Personne n'est indispensable. Nous avons suffisamment de

personnel compétant pour te remplacer, affirma Leroy en se reculant

de nouveau dans son fauteuil. J'aurais bien aimé avoir une telle

occasion quand j'étais jeune, tu sais. A vingt ans, je dirigeais déjà la

ferme familiale, et ton père est né deux ans après mon mariage. Ne

m'interprète pas mal, je ne regrette rien. Je veux juste que tu sois sûr

de ton choix.

— Je le suis, affirma Chase, maudissant son grand-père d'être

aussi aveugle.

Le vieil homme devenait peut-être sénile avec l'âge. Sinon,

comment expliquer ces idées délirantes ?

Leroy sourit d'un air pensif avant de reprendre.

— Tu as un an devant toi pour explorer la question et décider ce

que tu veux faire de ta vie.

Chase hocha la tête.

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Son grand-père voulait lui donner cette chance. Il n'avait aucune

envie de la saisir, mais il n'avait pas le choix.

— Je reviendrai dans un an, dit-il. Et je prendrai ta place.

— J'admire ta résolution. J'étais pareil à ton âge. Si c'est toujours

ce que tu veux à la fin de l'année prochaine, je me retirerai sans poser

de questions, promit Leroy.

Ils se turent. Perdus dans leurs pensées, ils contemplèrent un

bateau qui passait sur le lac.

L'annonce de son grand-père laissait Chase sans voix.

Au lieu de le nommer P.-D.G. comme il s'y attendait, il était

envoyé en vacances. En quelque sorte banni du royaume.

— Alors, où iras-tu en premier? demanda Leroy.

Chase fronça les sourcils.

Il n'en avait aucune idée. Sa vie avait toujours été prévue d'avance

: aller à l'université, intégrer l'entreprise familiale, devenir P.-D.G.

Maintenant, il se retrouvait livré à lui-même.

— Sincèrement, je n'en sais absolument rien.

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- 2 -

Miranda allait se retrouver sur l'autoroute, et ce n'était pas prévu.

Les kilomètres défilaient, et elle commençait à s'angoisser.

Elle consulta de nouveau la carte afin d'essayer de se repérer.

La route menant à Lone Pine Lake aurait déjà dû apparaître depuis

longtemps. D'après ses indications, la bifurcation se trouvait juste

après une grande étable rouge.

Elle aurait dû s'acheter un GPS, mais comme elle se déplaçait

toujours en bus ou en métro à Chicago, elle n'avait pas vu l'utilité

d'une telle dépense.

Elle n'avait pas vraiment envie d'assister à cette fête ce soir, mais

M. McDaniel — ou plutôt Leroy, comme il avait insisté pour qu'elle

l'appelle — avait insisté pour qu'elle vienne. Il avait l'intention

d'annoncer une nouvelle importante qui nécessitait sa présence.

Elle détestait attirer l'attention et pria pour ne pas être concernée.

Il faudrait pourtant qu'elle s'y habitue, ses nouvelles fonctions

l'obligeraient à sortir de l'ombre. Mais ce serait à regret.

Elle ajusta ses lunettes de soleil sur son nez.

Elle n'était pas d'un naturel expansif, préférant cacher sa

différence aux autres. En pure perte, d'ailleurs, puisqu'ils devinaient

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quand même la vérité. Au lycée, les autres la tenaient à l'écart et se

moquaient d'elle derrière son dos. A l'université, elle avait toujours eu

soin de se tenir à distance de la vie sociale.

Elle plissa les yeux derrière ses lunettes, presque sûre d'avoir

aperçu une grande étable rouge.

***

Chase arpentait la véranda vitrée d'un pas nerveux. La nuit n'avait

pas apaisé sa colère.

Il avait demandé à parler à son frère et à ses sœurs pendant que

leur grand-père se retirait pour la sieste après le déjeuner.

— Vous devez m'aider à le faire changer d'avis, dit-il.

— Ces vacances ne seront peut-être pas une mauvaise chose pour

toi, commenta pensivement Cecilia.

Elle passa la main sur son ventre rond — le bébé était attendu au

début d'août.

— Cette idée est ridicule ! dit Chase en haussant le ton. Il est

censé prendre sa retraite, reprit-il plus calmement. Il a eu quatre-vingts

ans aujourd'hui.

— Oui, on le sait, dit Chandy d'une voix apaisante. On lui a

souhaité son anniversaire tous ensemble ce matin.

— Il doit se ménager, protesta Chase. Il ne vivra pas

éternellement.

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— Et toi, tu as toute la vie devant toi, fit remarquer Chris, qui

s'efforçait toujours d'arrondir les angles. Il t'a dit que tu serais P.-D.G.

ensuite, si tu le souhaitais. Un an est vite passé.

— Quand Grandpa promet quelque chose, il le fait, plaida

Chandy. Tu te souviens, quand j'ai voulu faire du cheval? Il a mis du

temps, mais il a tenu parole.

Chandy était très jeune à la mort de leurs parents. Leroy avait tenu

le rôle de son père et l'avait élevée comme une princesse. Elle

l'idolâtrait, ce qui la rendait souvent aveugle à ses défauts.

— Il ne s'agit pas de ça. Il se sent coupable de ne pas m'avoir

laissé choisir ce que je voulais faire. Il veut que je réfléchisse avant de

devenir P.-D.G. Mais c'est inutile.

— Apparemment, il pense le contraire, dit Chris.

— Pourquoi maintenant ? Je suis prêt à assumer ce rôle. Je n'ai

pas besoin de réfléchir.

— Le lui as-tu dit? demanda Cecilia.

Chase passa la main dans ses cheveux.

— Oui. Mais tu sais à quel point il est têtu.

— Eh bien, si c'est ce que Grandpa veut pour toi, tu ferais mieux

de t'incliner, déclara pragmatiquement Chris.

— Eh bien moi, je veux devenir P.-D.G. Et c'est pour cela que j'ai

besoin de votre aide, insista Chase.

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Ils étaient incapables de comprendre.

Ils avaient quitté la région pour s'installer ailleurs et n'y revenaient

que pour les fêtes de famille ou les vacances. Lui seul était resté à

Chenille. Il avait pris la place de leur père et assumé ses

responsabilités. Il s'était senti honoré de ce rôle, s'y était épanoui. Il

avait fait tout ce qu'on attendait de lui, sauf se marier et fonder une

famille. Chris et Cecilia s'en étaient chargés à sa place.

Sa sœur posa la main sur son bras. Elle avait toujours été mince et,

en dehors de la bosse du bébé, son corps était resté svelte et gracieux.

— Je sais que cette histoire te perturbe. Nous sommes de ton côté.

Nous t'aimons et nous ferons tout pour t'aider. Nous allons lui parler.

Comme tu l'as dit toi-même, il est têtu comme une mule. Mais nous

essayerons, promis.

— Merci.

— Nous devons bien ça à Chase, dit-elle en se tournant vers les

deux autres.

— Grandpa n'a que de bonnes intentions, insista Chandy.

— Oui, mais il peut se tromper, répliqua Cecilia. Les premiers

invités seront là vers 16 heures. Je vous suggère de laisser Grandpa

finir sa sieste et de lui parler à son réveil. En espérant qu'il veuille bien

nous accorder un moment. Walter est déjà arrivé, et vous savez à quel

point il a hâte de le voir.

— Une fois que la fête aura commencé, ce sera impossible, avertit

Chase.

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— Nous lui parlerons avant, répondit Cecilia.

Il ne pouvait exiger davantage.

— Merci, répéta-t-il.

Tandis que ses sœurs et son frère s'éclipsaient, retournant à leurs

activités respectives, il se tourna pour regarder par la cloison vitrée.

Sur la pelouse qui s'étendait devant la maison, des tentes avaient

été dressées, et les cuisiniers s'activaient à préparer le buffet.

Plus de quatre-vingt-dix invités étaient attendus. La plupart d'entre

eux ne seraient pas logés sur place. Les deux bungalows étaient

occupés, l'un par la sœur de leur grand-mère qui y passait l'été, l'autre

par Walter Peters, l'ami et associé de Leroy depuis des années. Celui-

ci venait d'arriver de Chicago et faisait aussi la sieste.

Il consulta sa montre.

Il avait plusieurs heures devant lui avant le début de la fête et

n'avait pas envie de rester enfermé par une si belle journée. Il n'avait

jamais aimé dormir l'après-midi. Il trouvait l'exercice physique plus

efficace pour s'éclaircir les idées.

Il monta rapidement dans sa chambre et enfila un short et un

maillot de cycliste. Puis il saisit son vélo dans la véranda, coiffa son

casque et partit pédaler sur les routes de campagne.

Il y avait peu de circulation, et il en profita pour respirer à fond,

sentant avec délices ses muscles se réchauffer sous l'effort.

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Dès que les beaux jours arrivaient, il parcourait trente kilomètres

par jour pendant la semaine et cent cinquante le week-end. Quand il ne

se rendait pas à Lone Pine Lake, il accrochait sa bicyclette à l'arrière

du 4x4, mettait une tente et quelques affaires dans le coffre, puis

partait à l'aventure découvrir de nouveaux endroits.

Le lac était parfait pour les sports nautiques. Plusieurs bateaux

étaient à leur disposition, et il sortait souvent le catamaran. Il avait

l'intention d'emmener son frère et ses sœurs faire du ski nautique le

dimanche après la fête.

Il s'engagea sur le chemin forestier du parc national. Il

emprunterait la nationale A sur quelques kilomètres pour rejoindre

ensuite les petites routes qui menaient au lac.

Il passa les vitesses et augmenta l'allure, faisant le vide dans sa

tête et se laissant absorber par les mouvements de son corps.

Il disposait de deux heures de tranquillité et avait bien l'intention

d'en profiter.

***

Miranda jeta un œil inquiet à l'horloge du tableau bord.

Elle allait être en retard.

Leroy lui avait demandé d'arriver avant 15 heures, même si la fête

ne commencerait qu'une heure plus tard et si Walter lui avait confié

que la plupart des invités n'arriveraient probablement pas avant 17 h

30.

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30

Après avoir finalement trouvé la nationale A, elle avait suivi les

instructions et roulé pendant quatre-vingts kilomètres. Incapable de

localiser la bifurcation, elle avait fait demi-tour et parcouru les

derniers kilomètres plusieurs fois. En désespoir de cause, elle s'était

garée sur bas-côté afin de réfléchir à ce qu'elle allait faire.

Selon Walter, la route de la rive nord était signalisée. Elle avait

travaillé avec lui pendant dix ans et ne l'avait jamais vu se tromper. Si

elle n'avait pas vu de panneau, l'erreur devait venir d'elle.

Elle eut une pensée nostalgique pour Walter.

Si le vieil homme la voyait, il ne manquerait pas de se moquer

d'elle.

Il l'avait aidée à se frayer un chemin dans le monde des affaires. Il

lui avait dit un jour qu'elle était la travailleuse la plus acharnée qu'il

avait connue. C'était ce qui l'avait poussé à lui donner sa chance au

sein de l'entreprise. Quand il était jeune, Walter avait lui-même reçu

un coup de pouce similaire de la part de l'ancien P.-D.G., et il tenait à

maintenir la tradition. Il lui avait confié la gestion de millions de

dollars et de centaines d'employés, et elle ne l'avait jamais déçu.

Non que ses multiples compétences lui soient de la moindre utilité

dans le cas présent !

Frustrée, elle tambourina sur le volant.

Elle avait essayé d'utiliser son téléphone portable, mais le réseau

était inexistant dans les bois.

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Elle avait cru que le Minnesota serait une région plate et agricole

comme l’Iowa, mais elle se retrouvait bel et bien perdue au milieu de

la dernière forêt vierge des Etats-Unis!

Elle jeta un coup d'œil dans le rétroviseur et vit un cycliste

approcher.

Il devait connaître la région et pourrait peut-être la renseigner.

Elle savait qu'il était dangereux de s'adresser à un inconnu dans un

endroit aussi isolé, mais un amateur de vélo avait peu de chances

d'être un violeur.

Ecoutant son instinct, elle sortit de sa voiture.

Le cycliste freina et s'arrêta à côté d'elle.

Il était grand et athlétique. Son maillot ajusté révélait des épaules

larges et un torse musclé. Quand il sauta à terre, elle admira la beauté

de ses jambes. Il portait des lunettes noires qui cachaient ses yeux.

Puis elle l'entendit proférer une question surprenante.

— Qu'est-ce que vous faites ici, maintenant, bon sang?

***

Chase était presque au bout de son circuit quand il avait aperçu la

voiture garée sur le bas-côté. La promenade l'avait régénéré, et il lui

restait plus qu'à rentrer pour prendre une douche et s'habiller pour la

soirée.

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Au début, le véhicule ne lui avait rien évoqué. Puis il avait

reconnu la couleur gris métallisé et la plaque de l'Illinois.

La femme dont il avait changé la roue...

Deux fois en deux jours, c'était plus qu'une coïncidence.

Quand elle descendit de voiture, il admira ses jambes fines

dépassant d'un corsaire rouge. Il freina, s'arrêta à sa hauteur et

l'apostropha.

Il devina sa surprise à son petit mouvement de recul et sa belle

bouche arrondie.

Le souvenir de ces lèvres l'avait torturé cette nuit. Pas autant que

l'annonce de son grand-père, mais assez pour perturber son sommeil.

— Je commence à croire que vous me suivez, ajouta-t-il.

Les fascinants yeux verts s'écarquillèrent un peu plus.

— Moi ? Mais je ne vous connais pas.

Il retira ses lunettes de soleil.

— On s'est rencontrés hier.

Elle sembla soulagée de le voir.

— Ah, c'est vous, Chase. Vous m'avez fait peur.

— Désolé, mademoiselle... Je ne connais pas votre nom.

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— Miranda Craig, précisa-t-elle.

Ravissant, mais totalement inconnu.

— Que faites-vous dans le coin, Miranda Craig ? demanda-t-il. Je

croyais que vous étiez censée déballer vos cartons. Votre

déménagement n'est-il pas arrivé ?

— Si, mais je m'en occuperai demain. Je suis invitée à une soirée,

et je me suis perdue. Et je suis en retard.

A voir le léger tremblement de sa lèvre inférieure, elle n'était pas

aussi maîtresse d'elle-même qu'elle s'en donnait l'air.

— Et où cette soirée a-t-elle lieu ? demanda-t-il, bien qu'il ait déjà

deviné la réponse.

— Dans la propriété des McDaniel, à Lone Pine Lake.

— Eh bien, vous y êtes presque, dit-il en la regardant avec un

sourire amusé.

Elle croisa les bras et lui lança un regard noir.

— Je ne trouve pas ça drôle.

— Moi, si. Je viens à votre rescousse une seconde fois. Que

feriez-vous sans moi ?

— Vous m'agacez, rétorqua-t-elle.

Il éclata de rire.

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— Oh, je vous tape déjà sur les nerfs ? C'est bon à savoir. Je m'en

souviendrai à l'avenir. Allez-vous assister à la soirée d'anniversaire de

mon grand-père ?

— En effet. Walter Peters m'a invitée.

Le rire de Chase s'étrangla dans sa gorge.

— Walter? Ne me dites pas que vous êtes sa... Est-ce ainsi que

vous avez obtenu ce poste chez McDaniel ?

Elle le foudroya du regard.

— Pas du tout. Walter était mon patron. On se connaît depuis des

années. Il est comme mon père. Rien d'autre.

— Désolé, je m'informais, dit-il, non sans éprouver un certain

soulagement.

Walter Peters et son grand-père avaient noué des liens à l'époque

où Leroy avait signé un contrat de distribution avec la société que

dirigeait Walter. Par la suite, une collaboration étroite s'était établie

entre les deux hommes. Ils étaient membres de leurs conseils

d'administration respectifs et s'échangeaient souvent des employés qui

désiraient changer d'air ou évoluer professionnellement.

— Est-ce que vous allez m'aider, oui ou non ?

Chase hocha la tête.

Il aimait le côté combatif de Miranda. La plupart des femmes

étaient trop soucieuses de lui plaire pour lui tenir tête. Elle avait

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visiblement envie de l'envoyer promener, et elle l'aurait probablement

fait si elle n'avait pas été perdue.

Mais elle avait besoin de lui. C'était son seul atout, et il avait bien

l'intention d'en user. Elle avait le pouvoir de lui échauffer le sang plus

sûrement que les cinquante kilomètres qu'il venait de parcourir.

— Oui, mais à une condition.

— Vous délirez. Dans ce cas, je demanderai mon chemin dans le

dernier village que j'ai traversé.

— Non, dit-il d'une voix trop forte.

Son sang bouillonnait dans ses veines, et il dut maîtriser son envie

de la plaquer contre la voiture et de l'embrasser.

C'était sûrement l'exercice physique qui l'avait mis dans cet état.

Les derniers kilomètres jusqu'au lac lui permettraient de se calmer.

— Je veux dire, ne croyez-vous pas que je mérite une petite

récompense pour vous avoir tirée d'affaire deux fois ?

— Personne ne vous a appris les bonnes manières ? demanda-t-

elle avec une petite moue irritée.

— Je plaisantais. Mais attendez-vous à devoir me dédommager un

jour ou l'autre, dit-il avec un clin d'œil. Bon, si vous voulez bien, je

roulerai devant vous jusqu'à la bifurcation. Ensuite, dépassez-moi et

continuez jusqu'à ce que la route tourne à angle droit. Juste après, il y

a une pancarte qui indique le chemin. Suivez les panneaux, et vous

arriverez à bon port.

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Elle sembla hésiter.

— Bien. Mais vous risquez de rouler trop lentement pour que je

puisse vous suivre sans mettre les autres en danger.

— Ne vous inquiétez pas, je vais foncer.

Il ajusta ses lunettes sur son nez et enfourcha son vélo.

— Attention de ne pas vous laisser semer, ajouta-t-il en souriant,

avant de s'éloigner à toute vitesse.

***

Folle de rage, Miranda sauta dans sa voiture et démarra en trombe.

Chase McDaniel n'avait même pas pris la peine de l'attendre. Il

avait sauté sur son vélo et filé comme une flèche. Elle dut même

dépasser légèrement la vitesse autorisée afin de le rattraper.

Elle n'aurait pas cru qu'un vélo puisse rouler aussi vite. Il pédalait

tellement vite qu'elle ne distinguait plus ses pieds.

Il ralentit ensuite l'allure, et elle le suivit à distance respectueuse,

en profitant pour admirer sa silhouette.

Sa tenue de cycliste soulignait son dos musclé. Elle imagina son

corps nu sous la douche, puis se vit le rejoindre...

Quelle idée !

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Elle se força à revenir sur terre, s'engageant derrière lui sur une

route tellement étroite qu'elle en était presque invisible. Puis elle lui fit

un signe de la main et le dépassa.

Plus elle se tiendrait éloignée de lui, mieux ça vaudrait.

Apparemment, il ne savait rien de ce qui se préparait. Dans le cas

contraire, il l'aurait plantée là.

Elle se sentait un peu coupable de ne pas lui avoir parlé de son

nouveau travail, mais Leroy avait exigé qu'elle garde le secret. Et

comme il s'agissait du poste de ses rêves, elle ne pouvait désobéir.

Elle n'eut aucun mal à faire le reste du chemin. Un homme l'aida à

se garer, puis lui montra le bungalow qu'elle devait partager avec

Walter.

— Miranda, te voilà enfin ! cria ce dernier, les yeux pétillants,

depuis la véranda du bungalow. Je vois que tu as trouvé sans

problème.

— En fait, je me suis perdue plusieurs fois.

— Désolé de ne pas t'avoir expliqué plus clairement l'itinéraire. Je

ne suis plus aussi efficace qu'avant. D'ailleurs, tout est en train de

changer. Tu vas me manquer, tu sais, dit Walter en l'étreignant.

Walter avait soixante-neuf ans. Ils avaient travaillé ensemble

pendant des années, et il prenait sa retraite quinze jours plus tard.

— Tu n'as plus que deux semaines à faire avant de partir pour le

tour du monde en bateau dont tu rêves. Ta femme n'est pas venue ?

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— Notre petite-fille vient d'accoucher. Christine a préféré rester à

Chicago pour pouponner son arrière-petite-fille.

— Elle a bien fait. Félicitations à tous les deux.

Au moment où elle sortait son sac du coffre, Chase McDaniel

passa le portail. Il traversa la pelouse sans la voir, rangea son vélo

dans la véranda puis s'engouffra dans la maison.

Elle soupira et porta son sac à l'intérieur.

Elle n'avait pas l'intention de s'éterniser. Elle prévoyait de rentrer à

Chenille le dimanche matin et de consacrer le reste du week-end à

ranger son appartement.

Elle y avait passé la nuit précédente, mais ne s'y était pas sentie à

l'aise. Il restait encore beaucoup de choses à faire avant qu'elle s'y

sente chez elle. Mais bon, depuis la mort de ses parents, plus aucun

endroit ne lui avait semblé accueillant.

— Je vais dire bonjour à Leroy. Veux-tu venir avec moi ?

demanda Walter depuis la véranda.

Elle se regarda dans le miroir de la chambre. Elle savait qu'elle

allait revoir Chase et voulait se refaire une beauté avant de l'affronter.

— Je te retrouve à la fête, répondit-elle.

Elle s'attarda quelques instants à la fenêtre tandis que Walter se

dirigeait vers la maison.

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Il allait lui manquer, lui aussi. Il l'avait surnommée sa « petite-fille

spirituelle », car aucun de ses enfants n'avait choisi les affaires. C'était

son départ à la retraite qui l'avait poussée à accepter ce nouveau poste.

D'abord parce que cette occasion en valait la peine, ensuite parce

qu'elle ne se voyait pas continuer sans lui. De plus, la rumeur courait

que l'entreprise serait rachetée par des concurrents dès qu'il ne serait

plus directeur.

Elle chassa ses regrets.

Ce poste chez McDaniel Manufacturing lui permettrait de voler de

ses propres ailes et de prouver sa valeur. Elle avait bataillé pour en

arriver là. Quel dommage que ses parents ne puissent la voir !

Sa vue se brouilla, et elle cligna des yeux pour chasser ses larmes.

Son rêve le plus cher était sur le point de se réaliser, elle ne

laisserait personne y faire obstacle. Pas même le beau Chase

McDaniel.

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- 3 -

Il était 18 h 30, et la fête battait déjà son plein. La soirée était

chaude, l'apéritif délicieux, les échanges chaleureux. Centre de toutes

les attentions, Leroy était très entouré.

Chase porta sa chope de bière à ses lèvres, feignant d'être intéressé

par le récit du voyage en Australie de ses voisins, alors que son esprit

était entièrement occupé par Miranda Craig.

Celle-ci se tenait à l'autre bout de la tente en compagnie de

Walter, qui semblait qui l'avoir prise sous son aile et la présentait à

tout le monde.

Il prit une autre gorgée de sa bière, devenue tiède car il avait le

même verre à la main depuis le début de la soirée.

— Veuillez m'excuser un instant, déclara-t-il, je vais m'assurer

que mon grand-père n'a besoin de rien.

— Je vous en prie, répondit Mme Schulz. Nous aurons l'occasion

de nous voir cet été, j'imagine.

— Bien sûr.

Les gens avaient l'habitude de se retrouver le week-end au

restaurant du club de golf, et les anecdotes du voyage en Australie

auraient amplement l'occasion de revenir sur le tapis.

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Il se fraya un chemin parmi la foule et rejoignit Leroy. Chandy

tenait compagnie à celui-ci. Comme sa sœur lui faisait comprendre

que tout allait bien, il se dirigea vers le fond de la tente.

— Bonsoir, Walter. Comment ça va? Désolé de ne pas avoir été là

pour t'accueillir.

— Oh, Chase, content de te voir ! s'écria le vieil homme. Tu

sembles en pleine forme. C'est sûrement tout ce sport que tu fais. Ce

garçon est un adepte du triathlon, ajouta-t-il en se tournant vers

Miranda, qui écarquilla les yeux.

— N'exagérons rien. Seulement deux fois par an, et encore, dit-il

en lui tendant la main comme s'ils ne s'étaient jamais vus avant. Chase

McDaniel.

Il supposait qu'une femme aussi fière préférait que les gens ne

sachent pas qu'elle avait eu besoin d'aide. Deux fois.

— Miranda Craig, répondit la jeune femme d'un air gêné.

— Enchanté, Miranda. J'imagine que vous avez travaillé avec

Walter?

— Oui, approuva Walter. Je n'ai jamais eu de meilleure

collaboratrice que Miranda. D'ailleurs, si je ne prenais pas ma retraite,

je ne l'aurais jamais laissée partir.

— Bien sûr, dit Chase en souriant pour cacher son trouble.

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Il aimait bien Walter. Miranda aussi, quoique d'une façon

diamétralement différente. Mais il sentait confusément que quelque

chose clochait.

Balayant ces doutes de son esprit, il demanda à Miranda si elle

avait visité la propriété.

— Miranda est arrivée trop tard. Elle était sous la douche quand

Chandy a montré les lieux à ceux qui ne connaissaient pas, confia

Walter.

— Il faut au moins que vous visitiez la maison.

— Ne vous dérangez pas pour moi, protesta Miranda.

— Tu ne peux pas manquer ça, renchérit Walter. C'est un des

endroits les plus beaux que je connaisse. Christine et moi adorons

venir ici. Nous y passons une semaine tous les étés.

— Je serais ravi de lui servir de guide, proposa Chase.

— C'est gentil à toi, Chase. Miranda, tu ne peux pas repartir avant

d’avoir visité les lieux, dit Walter en se tournant vers son invitée.

Celle-ci semblait au supplice.

— Mais je...

— Hé, Walter ! cria Leroy. Viens ici une minute.

— J'arrive, répondit Walter. A plus tard, Miranda. Vas-y, tu ne le

regretteras pas, ajouta-t-il en rejoignant son ami.

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— Si c'est un coup monté, dit Miranda, assez bas pour que seul

Chase puisse l'entendre, je suis capable de vous casser la figure.

Il eut un petit rire de gorge.

— Je ne vous le conseille pas, car je pourrais aimer ça. Allez,

suivez-moi, dit-il en lui prenant le bras.

— Je n'arrête pas de vous suivre, ces derniers temps, lâcha-t-elle

tandis qu'ils se faufilaient parmi la foule.

— Oh, mais je vous ai tirée d'affaire, non ? répliqua-t-il avec un

sourire espiègle. Allons visiter la maison pendant qu'elle est vide.

Walter a raison, vous ne pouvez pas partir avant d'avoir visité les

lieux.

***

— C'est magnifique, s'extasia Miranda en pénétrant dans la grande

salle.

Elle avait grandi dans un groupe d'immeubles collés les uns aux

autres, où les familles nombreuses étaient entassées dans de petits

logements. Cette salle d'une hauteur faramineuse l'impressionnait

beaucoup.

Les intérieurs luxueux des magazines de décoration lui avaient

toujours semblés froids et sans âme, mais ici, l'ambiance était

chaleureuse. Le mobilier rustique conférait à la pièce un style hors du

temps, comme si les murs se souvenaient d'une époque où la vie était

simple. L'espace était conçu pour la vie. Les planchers avaient été

polis par les années, et l'endroit était accueillant et chaleureux. C'était

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une véritable demeure familiale, non un prétexte pour étaler ses

richesses.

— Alors, qu'en pensez-vous ? demanda Chase.

— C'est très beau, dit-elle.

Chase sembla content du compliment.

— Vous ne trouvez pas la décoration un peu démodée ?

— Pas du tout. Je pourrais rester des heures à admirer ce lac,

ajouta-t-elle en indiquant les deux fauteuils rustiques placés devant les

fenêtres.

— Moi aussi. Mes parents adoraient ces sièges. Quand je

descendais de ma chambre le matin, je les trouvais souvent installés

ici.

— J'adorerais avoir de tels souvenirs.

Ils s'attardèrent quelques instants, regardant un petit voilier qui

passait sur l'eau.

Au-dessous d'eux, des jeunes s'amusaient avec des pédalos et des

kayaks, tandis qu'un canoë était retourné sur la rive, attendant les

amateurs.

Le lac n'était ni assez profond pour les yachts ni assez long pour

les courses de hors-bord, mais il convenait apparemment parfaitement

à la pêche et la navigation de plaisance.

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— Vous avez eu de la chance de passer votre enfance ici, reprit-

elle, chassant sa tristesse.

— Même s'il n'y a pas de piscine ? demanda Chase.

Elle fronça les sourcils.

— Je n'en vois pas l'utilité, quand il y a un lac.

— J'avais une petite amie qui refusait de se baigner dans une eau

où les poissons font leurs besoins. Inutile de vous dire qu'elle n'est

jamais venue une seconde fois ici.

Miranda leva les yeux au ciel.

— C'est ridicule. J'adore nager dans les lacs.

— N'avez-vous pas peur de vous mouiller les cheveux ?

— Moi ? Non, j'aime profiter à fond. Je comprends que vous

soyez perturbé si vous fréquentez ce genre de femmes.

— Comment ça, perturbé ? demanda Chase en lui prenant de

nouveau le bras afin de lui montrer les autres pièces du rez-de-

chaussée. Vous me trouvez aussi nul que ça ?

— Oui. En quelque sorte, rétorqua-t-elle, passant à l'offensive afin

de cacher sa réaction au contact de sa main.

— Je me sens vexé, reprit Chase tandis qu'ils montaient au

premier.

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— Vous avez tort. Peut-être devriez-vous juste fréquenter des

filles plus naturelles.

— Comme vous, par exemple ? Vous avez pourtant refusé mon

invitation à déjeuner.

— Oui, dit-elle, ignorant l'invite. Je n'ai rien à voir avec les

femmes fatales que vous fréquentez d'habitude.

Il se retourna et lui lança un regard interdit.

— J'ai cherché sur Google et j'ai vu des photos, reconnut-elle. J'ai

appris que vous étiez un grand séducteur.

Chase posa la main sur son cœur en grimaçant.

— Là, je suis carrément blessé ! Ces photos sont anciennes.

— N'empêche. Vous savez pourquoi on dit de ce genre de filles

qu'elles sont artificielles ? Parce qu'elles sont belles mais n'ont rien

dans la tête, plaisanta-t-elle.

Chase s'appuya contre la balustrade.

— Ce n'est pas faux. Je crois que je ne fréquente pas les femmes

adéquates. C'est sans doute pour cela que je n'arrive pas à trouver

l'âme sœur, ajouta-t-il en regardant sa bouche.

— Sans doute, approuva-t-elle, le cœur battant trop fort.

Sa présence la troublait au plus profond d'elle-même.

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— Alors, quel est le genre qui me conviendrait? Conseillez-moi,

maintenant que vous savez tout sur moi ! dit-il avec un clin d'œil, en

franchissant la distance qui les séparait.

Le cerveau de Miranda avait du mal à fonctionner dans ces

conditions, mais il lui restait encore suffisamment de bon sens pour

parvenir à se dominer.

— N'importe quelle femme sensée se tiendrait éloignée de vous,

rétorqua-t-elle en reculant d'un pas.

— Je ne suis pourtant pas dénué de qualités, protesta Chase avant

de l'entraîner au premier étage.

Il lui montra les chambres de ses sœurs puis l'introduisit dans la

sienne.

Spacieuse, la pièce avait vue sur le lac et comportait un lit à deux

places, une grande armoire, un bureau et un petit coin salon.

— Très joli, commenta-t-elle sans quitter le seuil, tandis que

Chase se dirigeait vers la fenêtre.

Il fit un geste de la main pour l'inviter à le rejoindre.

— Ne vous inquiétez pas, je n'ai pas d'intention de vous sauter

dessus. Vous pouvez entrer en toute sécurité.

— Je sais, répliqua-t-elle sèchement.

Tout ceci était absurde. Pourquoi tant d'hésitations ? Ce n'était

qu'une chambre à coucher, après tout.

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Les affaires de Chase étaient plus ou moins rangées. Une serviette

de toilette mouillée était suspendue dans la salle de bains. Des

chaussettes sales et des tennis traînaient sur le sol. Un pantalon de

pyjama rayé apparaissait sous la couette rouge en désordre.

— Vous ratez une vue superbe sur le lac, insista Chase.

Elle aurait aimé entrer, mais le magnétisme qui émanait de lui

était trop fort. Décidément, les hommes comme lui n'auraient pas dû

avoir le droit d'exister.

— Je sais, dit-elle, optant pour la prudence.

— Alors, je vais vous faire visiter le hangar à bateau. Ensuite,

nous rejoindrons les autres.

Elle le suivit le long d'un étroit sentier caillouteux qui descendait

la pente jusqu'à une construction de bois bâtie au bord de l'eau.

Ils y pénétrèrent par une porte latérale.

— Oh ! s'exclama-t-elle.

Elle s'attendait à un dépôt encombré d'avirons et de gilets de

sauvetage, mais chaque chose était soigneusement rangée à sa place

dans des casiers. L'espace restant avait été aménagé en salle de jeu. Il

y avait un bar et des tabourets, quelques tables et chaises, un jeu de

fléchettes, un baby-foot et un billard, ainsi qu'un coin salon avec un

petit téléviseur.

— C'était le quartier général des ados, expliqua Chase.

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— Il n'y a pas de téléviseur ni de console de jeu là-haut?

— Non. La maison est faite pour le repos, le hangar pour s'amuser

et faire la fête. Imaginez l'animation que peuvent mettre quatre enfants

et leurs amis. Nous passions tous les étés ici avec notre grand-mère, et

nos copains venaient nous rendre visite pendant les vacances.

— Et votre grand-père?

— Il y a longtemps qu'il a réduit sa semaine de travail à trois jours

pendant l'été.

— Hum, pas mal.

— Il y a quand même des avantages à être patron. Il nous arrivait

de nous ennuyer, mais il fallait faire semblant de s'occuper. Les

paresseux sont mal vus dans la famille. Mon grand-père a installé cette

barre et ce miroir pour Cecilia...

Miranda observa Chase dans la glace.

Il semblait totalement à l'aise dans cet endroit.

— Je me demande ce qui a pu vous pousser à venir vous enterrer

chez nous, lâcha-t-il soudain.

— J'aime beaucoup Chenille. Cette petite ville a du charme. Les

gens y sont plus aimables qu'à Chicago.

— C'est uniquement pour extorquer des renseignements et les

colporter chez Maxine's, le restaurant où tout le monde va, plaisanta

Chase. Alors, qu'êtes-vous venue faire chez nous ? insista-t-il.

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Pourquoi avez-vous quitté la société de Walter ? Est-ce parce que

vous ne pouviez pas monter plus haut ? Walter nous a souvent envoyé

des gens dans ce cas.

— En fait, j'ai décidé ça à la dernière minute. J'avais prévu de

conserver mon poste après le départ de Walter, mais j'ai préféré quitter

le navire en apprenant que l'entreprise serait probablement rachetée.

— Le shopping n'est pas passionnant à Chenille, vous savez. Le

centre commercial le plus proche se trouve à une heure de route.

— Je déteste le shopping.

Chase eut un petit rire.

— Je croyais que toutes les filles aimaient les boutiques. Mes

sœurs adorent ça.

Miranda hocha la tête. Encore fallait-il en avoir les moyens. Elle

avait toujours été économe et, même si elle gagnait mieux sa vie

qu'avant, elle n'aimait pas jeter l'argent par les fenêtres. Elle devait

encore rembourser l'argent emprunté pour ses études et économiser

pour sa retraite.

— Je ne suis pas « toutes les filles ».

— Je m'en étais aperçu, répondit Chase.

Entretemps, il s'était rapproché discrètement.

Elle recula, se retrouvant collée au bar, sans issue pour s'échapper.

Mais avait-elle vraiment envie de s'enfuir?

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— Que faites-vous ? murmura-t-elle.

— Je viens encaisser ce que vous me devez.

— Vraiment ? Depuis quand vous dois-je quelque chose ?

demanda-t-elle d'une voix aussi normale que possible.

— Je revendique ma récompense pour avoir changé votre roue.

— Je ne vous ai jamais promis quoi que ce soit.

Il inclina la tête.

Il allait l'embrasser !

Elle se figea. Elle aurait dû se défendre ou du moins prendre ses

jambes à son cou, mais elle était clouée sur place.

Cet homme était comme une coupe de glace : impossible de lui

résister.

Ses lèvres touchèrent les siennes. Il l'embrassa doucement, comme

s'il tâtait le terrain.

Aussitôt, elle sentit ses sens s'éveiller. Elle en voulait plus.

Comme s'il lisait dans ses pensées, Chase intensifia son baiser.

Elle répondit avec une passion et une audace qui l'étonnèrent.

Personne ne lui avait jamais fait un effet aussi dévastateur. C'était

divin — mais aussi terriblement dangereux.

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Alors, elle s'écarta.

— Assez. Vous vous êtes payé, murmura-t-elle, d'une voix

exagérément rauque.

Chase la regarda avec intensité. Elle crut qu'il allait recommencer,

mais il coupa court.

— Dans ce cas, allons rejoindre les autres.

Sa réaction désinvolte l'ébranla.

Comment avait-elle pu oublier sa réputation ? Chase McDaniel

aimait séduire, et elle n'était pour lui qu'un défi à relever. Maintenant

qu'il avait obtenu ce qu'il voulait, elle ne l'intéressait plus.

La mort dans l'âme, elle le suivit jusqu'à la tente.

Le buffet avait été installé, et les convives dînaient en devisant

gaiement.

Après s'être servis, Chase et elle s'installèrent à la table où leurs

places avaient été réservées.

Elle avait du mal à manger. Les regrets lui nouaient la gorge, et la

nourriture ne voulait pas descendre.

Elle s'en voulait à mort de ce baiser. Ce n'était pourtant pas son

genre de se jeter ainsi dans les bras d'un inconnu !

Leroy et Walter parlaient des débuts de leur amitié, de leurs

entreprises respectives et des défis qu'ils avaient relevés ensemble.

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— Ma société est une affaire familiale. Nous détenons encore

aujourd'hui la majorité du capital, se vantait Leroy.

— Eh bien moi, rétorquait son ami, j'ai prouvé qu'on pouvait

réussir sans être un fils de famille. Je suis un self-made-man.

— Et moi, je suis quoi ? protesta Leroy.

Ils adoraient se mesurer l'un à l'autre, un jeu auquel ils devaient se

prêter depuis des années.

— J'ai survécu à deux fusions, compléta Walter.

— A propos, où en êtes-vous avec cette histoire de reprise ?

demanda Leroy.

Chase choisit ce moment pour se pencher vers elle.

— La nourriture n'est pas bonne ? s'enquit-il à voix basse,

indiquant son assiette.

— Si, c'est délicieux, assura-t-elle en se forçant à avaler.

Qu'il aille au diable. Pourquoi l'avait-il embrassée ? C'était juste

un baiser, mais elle ne parvenait pas à le considérer avec la même

légèreté que lui. Elle était furieuse d'avoir été aussi naïve et de lui

avoir cédé. Pire, elle s'en voulait d'avoir apprécié.

Mais bon, elle avait des excuses. Elle était seule depuis sa relation

malheureuse avec Manuel.

Un peu plus tard, Chase l'invita à danser.

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Malgré sa décision de le tenir à distance, elle accepta. Elle avait

envie d'être dans ses bras, de voir si l'alchimie se reproduirait. Et puis,

elle voulait lui parler de son futur poste.

Après ce qui s'était passé entre eux, les relations professionnelles

seraient forcément tendues. Elle ne ferait qu'aggraver la situation en se

taisant plus longtemps.

— Je dois vous dire quelque chose, déclara-t-elle quand le slow se

termina.

— Oui, de quoi s'agit-il ?

— Chase ! interpella une voix féminine.

Miranda vit avec contrariété un couple d'un certain âge se diriger

vers eux.

— Tu es superbe ! s'écria la femme. Il y a si longtemps que l'on ne

s'est pas vus. Au moins dix ans.

Chase fit les présentations.

— Voici Laura, la cousine de mon grand-père, et Cliff, son mari.

Ils vivent à Paris.

— Nous sommes venus de loin, mais pour rien au monde nous

n'aurions raté les quatre-vingts ans de Leroy.

La conversation étant partie pour durer, Miranda préféra regagner

sa place. Elle se glissa sur une chaise à côté de Walter.

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— Tu t'amuses bien? demanda celui-ci.

— Oui, mentit-elle, le cœur serré d'appréhension.

— Je t'ai vue danser avec Chase, dit-il. Je suis content que vous

vous entendiez bien. Les relations seront plus faciles au bureau.

— Oui, approuva-t-elle, la mort dans l'âme.

Elle savait que Chase la haïrait dès que Leroy aurait prononcé son

discours.

Cinq minutes plus tard, Leroy monta sur le podium, saisit le micro

et réclama l'attention.

Les dés étaient jetés. Il était désormais trop tard pour parler.

Interrompant sa conversation, Chase rejoignit son frère et ses

sœurs à droite de la scène.

Leroy remercia les invités de leur présence puis présenta les

membres de sa famille. Il commença ensuite son discours.

— Comme vous le savez, j'ai quatre-vingts ans aujourd'hui. Tout

le monde croyait que je prendrais ma retraite le jour de mon

anniversaire, mais je vais prolonger d'un an. Je veux que la transition

se fasse en douceur.

Leroy parcourut l'assemblée des yeux avant de reprendre.

— Afin d'atteindre cet objectif, j'ai décidé de restructurer l'équipe

de direction de McDaniel Manufacturing. Mon ami Walter Peters et

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moi-même avons sélectionné avec soin la personne destinée à occuper

la troisième place dans la hiérarchie, après moi et l'aîné de mes petits-

enfants.

Tous les regards se braquèrent sur Chase. Les traits de ce dernier

s'étaient tendus. Il salua d'un petit signe de tête.

— Tout cela a été décidé dans le plus grand secret, pas même

Chase n'était au courant du projet. Alors, comme je suis toujours le P.-

D.G. de cette entreprise...

Il laissa sa phrase en suspens, ce qui fit rire les quelques membres

du conseil d'administration qui étaient présents.

— ... j'ai l'honneur de vous annoncer que la personne que j'ai

choisie pour occuper ce poste se trouve parmi nous. Laissez-moi vous

présenter la future vice-présidente de McDaniel Manufacturing, Mlle

Miranda Craig.

Elle se leva comme un automate pour saluer puis se rassit

lourdement sur son siège. Walter lui toucha le bras.

Elle avait bien besoin de son soutien. Elle avait beau regarder

droit devant elle, elle sentait le regard de Chase la transpercer de part

en part.

Quand finalement elle osa regarder ce dernier, ce qu'elle vit lui

glaça le sang.

La stupeur de Chase s'était changée en rage, et son regard

contenait du mépris. Il était de toute évidence persuadé qu'elle avait

joué un double jeu avec lui.

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En un sens, ce n'était pas faux. Elle lui avait dissimulé des

informations capitales. Elle savait déjà qu'il devrait prendre une année

sabbatique et qu'elle le remplacerait. Et aussi que son grand-père

l'avait choisie pour lui succéder, au cas où il ne reviendrait pas.

Tandis que Chase levait ironiquement son verre à sa santé, un

pressentiment sinistre s'empara d'elle.

Il ne se laisserait pas faire. L'attirance qu'il avait eue pour elle

s'était transformée en un sentiment beaucoup plus meurtrier.

Entre eux, la guerre était déclarée.

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- 4 -

Chase n'avait jamais été violent, mais tandis qu'il regardait

Miranda Craig, il fut saisi d'une furieuse envie de serrer son joli cou

jusqu'à ce qu'elle demande grâce.

Il s'en voulait à mort de l'avoir embrassée, ce qui revenait à

pactiser avec le diable.

Comment avait-il pu se montrer aussi bête?

Il vit Cecilia s'approcher de lui et respira pour se calmer.

— Ça va? s'enquit sa sœur d'un air soucieux.

— Mais oui, répondit-il entre ses dents.

Pourquoi n'avait-il rien deviné?

Facile. L'entreprise était florissante, de nouveaux postes y étaient

souvent créés. Il avait cru que Miranda venait occuper l'un d'eux. Il

n'aurait jamais imaginé qu'elle puisse être celle que son grand-père

avait choisie pour le remplacer.

Sa sœur lui toucha la joue pour lui montrer son soutien.

Il desserra les mâchoires et se força à sourire.

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— C'est mieux. Essaie au moins de faire bonne figure, murmura

Cecilia. Regarde qui vient vers nous.

Leroy se dirigeait vers eux, accompagné de Miranda. Chase serra

les poings afin de maintenir son sourire.

— Chase, annonça Leroy, je sais que tu as déjà rencontré

Miranda. Personne n'est plus compétent qu'elle pour occuper ton

poste. Elle commencera mardi, et j'espère que tu l'aideras à se mettre

au courant.

Chase sentit son envie de meurtre le reprendre.

La plupart des gens auraient été ravis d'être à sa place. Dès que

Miranda aurait pris le relais, il aurait une année à sa disposition. Son

salaire tomberait tous les mois, et il serait libre de faire ce qu'il

voudrait. Merveilleux.

Sauf qu'il disposait déjà de six semaines de congés par an et n'en

utilisait pas le quart.

Il adorait travailler. Il n'avait aucune envie qu'une arriviste

ambitieuse, aussi belle soit-elle, vienne semer la pagaille au sein de

son entreprise.

— Je suis sûr que Miranda et moi nous entendrons à merveille,

assura-t-il d'un air impassible.

— Je l'espère bien.

— Je suis Cecilia, dit sa sœur à Miranda, pour faire diversion.

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— Enchantée, répondit Miranda en lui serrant la main. J'ai appris

que vous étiez danseuse.

— C'est exact, approuva Cecilia en l'entraînant à l'écart.

— Tu aurais pu me prévenir, reprocha Chase dès qu'elles se furent

éloignées.

Son grand-père se raidit.

— Que j'avais choisi une femme pour te remplacer ? Je ne te

savais pas si macho.

— Sache que j'avais remarqué que c'était une femme, mais il ne

s'agit pas de cela. Ce qui me gêne, c'est que tu m'aies pris en traître.

D'abord les vacances forcées, puis cette étrangère pour me remplacer.

Leroy lui lança un regard suspicieux.

— Ne me dis pas que tu as déjà tenté de la séduire ?

— Pour qui me prends-tu ? protesta-t-il sans conviction.

— Non. Tu n'as pas fait ça. Chase ?

— Comment aurais-je pu deviner qui elle était ? On s'est

rencontrés vendredi matin sur le parking de l'entreprise. Elle avait un

pneu crevé, et je lui ai changé sa roue. Ensuite, nous avons flirté un

peu dans le hangar à bateau. Maintenant, j'ai l'air d'un véritable idiot.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas te faire de tort.

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Il aimait tendrement son grand-père, qui avait toujours veillé à ce

qu'il ne manque de rien durant son enfance. Il essaya de maîtriser sa

colère.

— Je m'en remettrai. Si j'ai bien compris, je la mets au courant, et

ensuite je disparais. C'est ça?

— Oui, mais...

— Je suis un professionnel, ne t'inquiète pas. Je la traiterai avec

respect et ne ferai rien qui puisse mettre la réputation de l'entreprise en

péril.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Ma décision n'a rien à voir

avec tes compétences, et tu ne devrais pas te sentir offensé. Je veux

seulement te donner la chance de choisir. Une option que je n'ai

jamais eue, et toi non plus.

Chase hocha la tête.

Il le savait, mais son orgueil l'avait poussé à réagir de manière

excessive. Pire, il venait d'embrasser la femme qui devait le

remplacer.

Il étreignit rapidement son grand-père.

— Je comprends. Je ne peux pas dire que j'apprécie, mais je

comprends.

— Crois-moi, un jour, tu m'en seras reconnaissant.

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Il en doutait, mais à quoi bon en vouloir à son grand-père ? Quant

à Miranda Craig, il n'avait pas encore décidé de son sort.

***

Miranda soupira et fixa le plafond des yeux.

Il y avait déjà un temps fou qu'elle se tournait et se retournait dans

son lit.

En dehors de quelques traînards qui avaient du mal à partir, la fête

s'était terminée peu après minuit. Leroy et Walter s'étaient éclipsés

vers 23 h 30, une heure tardive pour ces deux lève-tôt. Elle-même

s'était attardée un peu dans l'espoir que Chase viendrait lui parler. Au

bout de vingt minutes d'attente, elle s'était dirigée vers lui, mais il

avait disparu à son arrivée, comme s'il avait deviné ses intentions.

Elle regarda l'heure sur son portable.

1 h 30 du matin.

N'y tenant plus, elle sauta du lit.

Le mieux à faire dans un cas pareil, c'était de se changer les idées.

Après avoir troqué sa chemise de nuit pour un pantalon de yoga,

un T-shirt et une paire de tongs, elle quitta le bungalow.

Pour elle qui avait toujours vécu en ville, le silence de la nuit était

aussi inhabituel qu'apaisant. Des ampoules solaires éclairaient le

sentier tandis que le reste du paysage baignait dans la lumière de la

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lune. L'eau du lac brillait à certains endroits, d'autres demeurant

sombres et mystérieux.

Elle leva la tête, émerveillée par la beauté du ciel.

A Chicago, l'éclairage estompait la lumière des étoiles. Sa tante

n'était pas riche, et l'immeuble où elle et sa sœur avaient grandi était

situé dans une banlieue pauvre. Dans son quartier, les espaces verts

étaient remplacés par des terrains vagues parsemés de gravats et de

mauvaises herbes. Elle avait vu des intérieurs de célébrités à la

télévision et, sans en demander autant, elle voulait plus que le petit

logement de sa tante avec vue sur l'autoroute. Elle avait l'intention de

dépasser toutes les attentes de ses parents et d'offrir à sa sœur et à elle

une vie meilleure.

Elle inspira à fond, remplissant ses poumons d'air pur.

C'était donc ainsi que vivaient les riches ?

Elle traversa le ponton de bois sur pilotis qui s'avançait dans le

lac, enleva ses tongs et s'assit au bout, les jambes dans le vide.

Ses pieds n'atteignaient pas l'eau, mais le clapotement des vagues

créait un petit vent qui lui chatouillait les orteils.

Elle poussa un soupir de contentement, savourant le plaisir de se

trouver dans cet endroit merveilleux, à l'aube d'une nouvelle vie.

— Est-ce le remords qui te donne des insomnies ?

Elle sursauta et faillit perdre l'équilibre.

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Chase se tenait à quelques pas d'elle. Il ne s'était pas changé et

portait les mêmes vêtements que tout à l'heure.

— Pourquoi aurais-je des remords, et depuis combien de temps

m'observes-tu ? répliqua-t-elle sèchement, adoptant le même

tutoiement.

Il s'installa à côté d'elle.

— Je t'ai vue descendre, et j'ai eu envie de savoir pourquoi tu étais

partie te réfugier ici.

Elle s'écarta légèrement. Elle se sentait vulnérable dans son T-shirt

de coton sans rien dessous.

— Ne t'inquiète pas, je n'ai pas l'intention de te voler quoi que ce

soit.

— Je te sens irritable. C'est la culpabilité, non ?

Elle soupira. Quelle que soit la situation, il se débrouillait toujours

pour prendre l'avantage.

— J'avais besoin de solitude. Maintenant, je ferais mieux de

rentrer. Je pars demain matin.

— As-tu déjà fait du bateau ? demanda-t-il en enlevant ses

chaussures.

— Jamais, sauf le jour où Walter a fêté son anniversaire sur le lac

Michigan.

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— Donc, tu as eu une enfance défavorisée.

Le commentaire l'irrita, et elle en oublia sa hâte de partir.

— Tout le monde n'est pas né avec une cuillère en argent dans la

bouche et un travail qui l'attend à la fin de ses études.

— Ouais. Même si tu semblés déterminée à me l'enlever.

— Tu resteras mon supérieur, lui rappela-t-elle.

Même si elle avait dansé de joie en apprenant qu'elle avait

décroché ce poste, elle préférait minimiser pour l'instant.

— Tu joues sur les mots. Tu sais très bien que mon grand-père ne

veut pas que je revienne, et tu as l'intention de te rendre indispensable

afin que le conseil d'administration te nomme à ma place, même si je

rentrais.

— Pas du tout ! protesta-t-elle avec véhémence.

Elle espérait s'être montrée convaincante. En vérité, l'occasion

était trop belle, n'importe qui aurait fait la même chose à sa place.

— Je ne te crois pas, rétorqua Chase. Pas plus que si tu me disais

que tu as oublié de m'informer de la situation. Notre rencontre a peut-

être été fortuite, mais depuis, tous tes actes ont été calculés.

Il serait chargé de sa formation et ils devraient travailler ensemble.

Il fallait commencer d'un bon pied.

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— Tu te trompes, temporisa-t-elle. Ecoute, oublions tout ça et

repartons de zéro. Mardi, nous commencerons sur de nouvelles bases.

— C'est impossible. Crois-tu pouvoir prétendre que rien n'est

arrivé?

— Bien sûr. Des tas de gens en font autant. Ce travail est la

chance de ma vie. Je me moque que tu reviennes ou non. Ce qui

compte, c'est que je sois là. Ma tante ne m'en croyait pas capable. Je

lui ai prouvé le contraire.

Chase la scruta, comme s'il tentait de deviner ce qu'il y avait

derrière ses mots.

N'ayant pas l'intention de développer, elle coupa court.

— Je comprends que tu m'en veuilles, mais sache que je suis

venue pour faire mon travail, et rien d'autre.

— J'aimerais pouvoir te croire.

Elle redressa les épaules.

— Tu peux bien croire ce que tu veux, c'est la vérité.

— La vérité est relative et parfois sans valeur. Je t'ai embrassée

aujourd'hui, c'est vrai. Mais tu prétends...

— C'était une erreur, dit-elle rapidement.

Pourtant, le souvenir de sa bouche sur la sienne lui expédia une

décharge de désir dans les veines.

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— Oui, une parmi toutes celles qu'il nous faudra oublier d'ici

mardi, constata Chase d'un air dépité.

Drôle de réaction, compte tenu de sa froideur après leur baiser

dans le hangar à bateau...

— Très bien, reprit-il au bout d'un moment. Alors, on efface tout

et on recommence, c'est ça? demanda Chase.

— Oui, approuva-t-elle, sa conviction légèrement ébranlée par un

subtil changement d'atmosphère.

— Donc, ce qui s'est passé entre nous n'a aucune importance. Je te

pardonne, et tu me pardonnes.

Consciente de s'être engagée sur un terrain glissant, elle ne put

qu'approuver de la tête.

— Encore faudrait-il que j'aie quelque chose à me faire pardonner,

n'est-ce pas ?

— Il n'y a pas d'autre moyen. Nous deux...

Elle s'aperçut alors qu'il ne l'écoutait plus. Il regardait sa bouche.

Puis, soudain, il l'attira contre lui et l'embrassa.

Cet homme était un artiste, pensa-t-elle, avant de s'abandonner

contre lui avec un gémissement de plaisir.

Une main sur sa nuque, Chase se mit à lui caresser les seins de

l'autre.

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Elle sentit un désir brûlant naître entre ses cuisses et se propager

dans le reste de son corps. Puis un froid polaire l'envahit quand il

s'écarta brusquement pour se mettre debout.

Mal à l'aise, elle se cacha la poitrine de ses bras. Elle avait failli

faire l'amour avec Chase McDaniel sur ce ponton, aux yeux de tous !

— A mardi, dit celui-ci d'une voix légèrement rauque, seul signe

de l'effet que ce baiser avait eu sur lui.

Sur ce, il pivota sur ses talons et disparut dans l'obscurité, oubliant

ses mocassins derrière lui.

Il l'avait de nouveau quittée après lui avoir mis l'eau à la bouche.

Et, comme une idiote, elle l'avait encore laissé faire !

Elle considéra les chaussures, saisie d'une furieuse envie de les

jeter dans le lac.

Mieux valait quitter cet endroit.

Le corps agité de frissons, elle sauta sur ses pieds, ramassa ses

tongs et remonta à toutes jambes jusqu'à sa chambre.

Dissimulé dans l'ombre de la maison, Chase regarda Miranda

grimper la côte à toute vitesse. Dès qu'elle eut disparu, il redescendit

vers le lac.

Il allait pouvoir récupérer ses chaussures et en profiter pour se

plonger dans l'eau froide.

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Son sexe était douloureux. Il n'avait qu'une envie : s'enfoncer en

elle et lui faire l'amour pendant des heures.

Jamais une femme ne lui avait fait un tel effet. Il avait eu toutes

les femmes qu'il voulait, mais Miranda Craig était différente. Et cela

n'avait rien à voir avec l'attrait du fruit défendu ou un quelconque

besoin de montrer sa supériorité sur elle. Son instinct de domination

l'avait sans doute poussé à l'embrasser, mais dès que ses lèvres avaient

touché les siennes, il avait perdu le contrôle de la situation, ce qui ne

lui était jamais arrivé auparavant.

Quel dommage que l'arrivée de Miranda dans sa vie se produise

dans des circonstances aussi défavorables ! Dire qu'elle voulait

recommencer de zéro...

Il alla jusqu'au bout du ponton, se déshabilla et plongea dans le lac

en boxer, priant pour que l'eau froide parvienne à apaiser son désir.

Il avait voulu clore l'affaire par un baiser. A la place, il avait

ouvert la boîte de Pandore.

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- 5 -

Comme si l'univers réagissait aux perturbations du week-end, le

mardi matin, des trombes d'eau tombaient du ciel.

Miranda rabattit son parapluie sur sa tête, mais le vent s'engouffra

par-dessous, retournant l'armature en métal trop légère pour résister à

des éléments aussi déchaînés. Elle lutta pour lui redonner une forme

normale, en pure perte.

Malgré son imperméable, elle était trempée jusqu'aux os quand

elle poussa la porte de l'immeuble de McDaniel Manufacturing.

Un coup d'œil dans le miroir des toilettes du rez-de-chaussée lui

révéla l'état lamentable de son apparence. Ses cheveux noirs étaient

plaqués sur sa tête et ses joues striées de traînées de mascara.

Impossible d'arriver avec cette apparence désastreuse le premier

jour !

Elle arrangea tant bien que mal sa coiffure et retoucha son

maquillage, puis elle consulta sa montre.

Il lui restait trois minutes pour atteindre le dernier étage.

Elle fouilla dans son sac et en sortit le passe qu'on lui avait remis

le vendredi, puis passa les différents contrôles jusqu'à l'ascenseur qui

la mena aux bureaux de la direction. Ayant déjà visité les locaux, elle

trouva facilement son bureau.

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Appuyé contre le montant de la porte, Chase l'attendait.

Catastrophe. Si elle pensait avoir le temps de se ressaisir avant

l'affrontement, c'était raté !

Il se tenait devant elle dans une posture nonchalante, plus beau et

plus sexy que jamais. Son costume bleu sombre mettait en valeur ses

épaules larges, et sa cravate rouge attirait le regard sur sa poitrine

musclée.

Elle se força à relever les yeux et découvrit un petit sourire

agaçant sur ses lèvres.

Il avait dû remarquer son manège. Son seul espoir était d'avoir sur

lui un effet similaire.

Sauf qu'il semblait davantage amusé qu'excité. De toute évidence,

la passion qu'ils avaient partagée appartenait au passé. Elle avait voulu

repartir de zéro, et il respectait son désir.

L'amusement disparut soudain de ses yeux.

— Alors, tu es prête à commencer? demanda-t-il.

Elle cligna des yeux.

Ce n'était pas une simple attirance physique qui la détournerait de

son but. Elle contrôlait sa vie depuis trop longtemps pour permettre à

un stupide baiser de la déstabiliser, si troublant qu'il ait été.

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— Laisse-moi au moins poser mes affaires, dit-elle en lui

montrant son attaché-case en cuir, la seule folie qu'elle se soit

autorisée après l'obtention de son poste.

Elle déposa son parapluie cassé dans un coin de la pièce, suspendit

son imperméable à la patère derrière la porte puis saisit un bloc-notes

et un stylo sur sa table.

— Je suis prête, annonça-t-elle.

— Veux-tu boire quelque chose? Thé, café? demanda Chase en la

précédant jusqu'au bureau de sa secrétaire. Mademoiselle voudrait...,

dit-il en se tournant vers la femme et en la montrant d'un petit geste

impatient.

— Un verre d'eau, merci. Bonjour, je suis Miranda Craig.

— Moi, c'est Carla. Ravie de vous rencontrer, répondit la

secrétaire en se levant. Et pour vous, Chase, la même chose que

d'habitude ?

Chase approuva d'un signe de tête, puis poussa Miranda dans son

bureau.

— J'aurais pu me servir moi-même, fit-elle remarquer quand ils

furent installés à la table de réunion.

— Non, rétorqua-t-il sèchement, comme si sa remarque était

déplacée.

Un instant plus tard, Carla leur apportait les boissons, ainsi que

deux portfolios à spirale qu'elle posa devant Chase. Celui-ci attendit

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que la secrétaire ait quitté la pièce pour en faire glisser un vers

Miranda.

Qui rassembla ses forces.

Elle devait prouver à Chase que son grand-père ne s'était pas

trompé en la choisissant.

Il ouvrit la brochure, et elle l'imita.

— Allons-y, dit-elle.

***

Lorsque l'heure du déjeuner arriva, Chase fut obligé de reconnaître

que Miranda avait l'esprit vif et qu'elle apprenait vite.

Tout au long de la matinée, il lui avait expliqué en détail le

fonctionnement de la charge qu'il occupait et celui de la société en

général. Il lui avait présenté des organigrammes et des tableaux

énumérant les possessions de l'entreprise et sa situation financière.

Puis il lui avait montré le plan quinquennal qui venait d'être approuvé

par le conseil d'administration.

Il ne lui avait pas accordé un instant de répit. Dans l'espoir de la

voir révéler son incompétence, il lui avait mené la vie dure. Elle aurait

beaucoup à apprendre en peu de temps si elle voulait le remplacer. Lui

d'habitude si galant, il avait prié pour qu'elle ne soit pas capable

d'assimiler toutes les notions nécessaires, ce qui lui aurait donné une

bonne excuse pour contester la décision de son grand-père.

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A présent qu'il avait eu la preuve de son intelligence et de ses

capacités, il se rendait compte qu'il s'était trompé. En plus de posséder

l'étrange pouvoir de perturber son équilibre hormonal, cette femme se

révélait son égale au niveau professionnel.

Intéressant. Mais il ne pouvait pas se permettre de se laisser

envoûter par ses charmes.

— C'est l'heure du déjeuner, annonça-t-il.

Miranda répondit par un sourire, et il dut mobiliser toute sa

volonté pour ne pas fondre.

Il aimait ses yeux verts, ses lèvres, son visage. En fait, il aimait

tout chez elle, ce qui lui rendait l'idée de quitter l'entreprise encore

plus pénible.

Il souleva un sourcil, étonné qu'elle n'ait pas bougé.

— Tu manges le midi, n'est-ce pas ?

— Oui.

— Alors, on se retrouve ici dans une heure ?

— Euh, d'accord, approuva-t-elle en se levant lentement pour

prendre son sac, le front plissé. J'en conclus que tu n'as pas prévu que

l'on déjeune ensemble ?

— Non. Etais-je censé le faire ?

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Elle nia rapidement de la tête, mais sa réaction ne lui avait pas

échappé.

Son grand-père lui avait probablement dit qu'il l'inviterait à

déjeuner le premier jour. Encore un détail que Leroy avait omis de

mentionner. Il espérait ne pas avoir d'autres mauvaises surprises de ce

genre.

— Très bien, alors je t'emmène chez Maxine's, proposa-t-il en se

mettant debout.

Miranda eut soudain l'air affolé.

— Ce n'est pas nécessaire. Je n'ai pas encore eu le temps de voir

mon bureau. De plus, il y a dans le coffre de ma voiture un carton

plein d'affaires que je dois déballer et...

— Tu t'en occuperas demain, coupa-t-il. Il faut absolument que tu

connaisses Maxine's.

Quand il prenait une décision, il pouvait être tout aussi têtu que

son grand-père.

— Franchement, je n'ai pas besoin de ta pitié.

Il leva la main pour interrompre la jeune femme.

— La pitié ne m'a jamais poussé à agir. Je te retrouve dans cinq

minutes devant l'ascenseur. Ne sois pas en retard.

Puis il quitta la pièce sans lui laisser le temps de protester.

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***

Maintenant que Chase était sorti du bureau, Miranda trouvait que

l'air était devenu moins dense.

Elle étudia la pièce dans l'espoir d'apprendre quelque chose sur

l'homme qu'elle devrait remplacer pendant un an.

Des œuvres d'art, des diplômes et des photos encadrées décoraient

les murs. Dans un coin, près d'une bibliothèque, une selle reposait sur

un support de bois. Quelques rubans et trophées y étaient suspendus,

ainsi que la photo d'un jeune homme à cheval qui attrapait un bœuf au

lasso.

Elle la prit pour l'étudier de plus près.

Il s'agissait de Chase, bien sûr.

Sur une étagère, elle remarqua une série de photos de famille.

La plupart étaient récentes, sauf une sur laquelle on voyait un

couple accompagné de quatre enfants.

Sa gorge se serra à la pensée qu'il s'agissait certainement des

parents de Chase. La famille semblait figée dans le temps, heureuse et

inconsciente de la tragédie à venir.

Carla entra dans la pièce et parut étonnée de la voir.

— Je viens chercher le plateau. Chase m'a dit que vous alliez chez

Maxine's. On y mange très bien, vous verrez.

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— Sûrement.

Avait-elle mal compris quand Leroy lui avait dit que Chase

l'inviterait à manger?

Chase l'attendait devant l'ascenseur. Il appuya aussitôt sur le

bouton d'appel.

Elle avait souvent accompagné Walter à des déjeuners d'affaires,

mais ce déjeuner-là lui évoquait plutôt un rendez-vous amoureux...

Une idée stupide qu'elle ferait mieux de chasser au plus vite.

— Je te remercie d'avoir changé tes plans pour moi, dit-elle.

Désolée de t'avoir pris au dépourvu.

— Ce n'est rien, assura-t-il en pénétrant dans l'ascenseur. J'aurais

dû y penser tout seul, et je l'aurais fait avec quelqu'un d'autre. Après

tout, il s'agit de ton premier jour dans l'entreprise, c'est normal que je

t'invite à déjeuner.

Même si elle ne se faisait pas d'illusions quant à l'avenir de leur

relation, elle reconnut l'excuse cachée derrière ses paroles.

Elle le lui fit savoir d'un hochement de tête puis changea de sujet.

— J'ai vu la selle dans ton bureau. Pratiques-tu encore ce sport?

— Pas de cette façon. J'ai arrêté depuis dix ans. Mais je n'ai pas pu

me débarrasser de la selle.

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— Tu as eu raison de la garder. C'est un bon souvenir, j'imagine.

Tu aimais beaucoup ça, non ?

Chase haussa les épaules.

— Oui. J'ai même gagné quelques trophées.

L'ascenseur s'arrêta au rez-de-chaussée. Ils traversèrent le hall et

sortirent dans la rue.

La pluie avait cessé, et le soleil commençait à dissiper les nuages,

mais les trottoirs étaient tout mouillés.

— Je suis garé là-bas, dit Chase en se dirigeant vers un 4x4 avec

un support à vélo à l'arrière. Ce sera ta place attitrée quand je serai

parti.

Elle nota que l'emplacement était proche de l'entrée du bâtiment,

ce qui serait pratique les jours de pluie.

Il lui ouvrit la portière du passager, et elle grimpa à bord.

Maxine's étant situé sur la rue principale, le trajet dura moins de

cinq minutes.

Avec ses immeubles anciens et bien entretenus, le centre-ville de

Chenille possédait un charme désuet.

— J'aime bien ces petits magasins, dit-elle. Malheureusement, je

n'ai pas encore eu le temps de les explorer.

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— On y trouve presque tout. C'est pratique quand on n'a pas envie

de prendre sa voiture. Notre ville est trop petite pour avoir son propre

supermarché. Le centre commercial le plus proche se trouve à plus de

trente kilomètres d'ici. Ce qui n'est pas plus mal, je trouve.

— Je le connais. J'y suis allée hier faire des courses.

— Maxine's existe depuis une vingtaine d'années, mais le

bâtiment est beaucoup plus ancien, expliqua Chase en lui tenant la

porte du restaurant. L'immeuble est classé dans le registre national des

sites historiques. Toutes les boiseries sont d'origine. Tu verras, c'est

très pittoresque.

— Bonjour, Chase, dit l'hôtesse. Comment allez-vous aujourd'hui?

— Bien, merci. Diane, je vous présente Miranda Craig, notre

nouvelle vice-présidente. C'est son premier jour de travail, et aussi la

première fois qu'elle déjeune ici.

— Ravie de vous connaître, Miranda, et bienvenue à Chenille.

J'espère que vous aimerez notre cuisine et que vous reviendrez

souvent. Chase, je vous donne votre table habituelle?

— Oui, parfait, merci.

La femme saisit deux menus et les précéda dans la salle.

Tandis qu'elle la suivait, Miranda sentit la main de Chase se poser

légèrement sur ses reins. Malgré les vêtements qu'elle portait, son

corps réagit instantanément. Puis le contact fut interrompu.

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Elle jeta un coup d'œil derrière elle et vit que Chase s'était arrêté

pour saluer quelqu'un. Mais avant qu'elle ait eu le temps d'atteindre la

table, il était de retour et lui présentait sa chaise.

— Désolé de t'avoir laissée en plan, dit-il.

Elle jeta un coup d'œil autour d'elle.

Chase n'avait pas menti au sujet des boiseries, l'endroit faisait

penser à une vieille taverne. Le restaurant comportait plusieurs salles

meublées de tables de bois massif, toutes bondées.

— Tu connaîtras bientôt les personnages influents de Chenille. La

plupart déjeunent ici tous les midis. S'ils ne sont pas encore partis, je

te les présenterai en sortant. Celui-ci, dans le coin, c'est Martin Villas,

le président d'une des banques de la ville. Il est en compagnie de

Butch Ifland, l'ancien maire, actuellement chef de la police du comté.

— Les gens d'ici semblent très soudés.

— Le lycée ne compte que trois cents élèves. Et nous n'étions que

soixante-treize, l'année où j'ai passé le bac.

Elle déplia la serviette en lin bordeaux et l'étendit sur ses genoux.

— Dans mon lycée à moi, il y avait plus de deux mille élèves.

Personne ne connaissait personne. J'étais contente d'en sortir. Je

n'avais pas beaucoup d'amis, car je suis arrivée au milieu de la

première.

— Tu as changé d'école en milieu d'année ?

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Elle pianota sur sa serviette avant de répondre.

— Je n'ai pas choisi. Mes parents sont morts.

— Oh, désolé. Tu as dû beaucoup souffrir, commenta-t-il en

buvant une gorgée d'eau.

Elle perçut l'empathie dans sa voix.

Au moins ne l'avait-il pas plainte. Elle avait suffisamment inspiré

de pitié par le passé.

Elle s'empara du menu et le consulta. Mais, ne sachant pas quoi

commander, elle le reposa et reporta les yeux sur Chase.

Il attendait visiblement qu'elle poursuive. Ce qu'elle fit à

contrecœur.

— Ma sœur et moi n'avions plus de famille, sauf une tante qui

n'était guère ravie de nous accueillir. C'est aussi pour cela que ce poste

compte tellement pour moi.

— Je vois que nous avons au moins deux points communs.

Il parlait sûrement de leur travail et de la mort de leurs parents ?

Elle n'avait pas encore envisagé que sa vie pouvait avoir quoi que

ce soit de similaire à celle de Chase McDaniel. Mais cette

ressemblance pourrait peut-être lui servir d'atout pour bâtir une

relation professionnelle harmonieuse.

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Quand la serveuse vint prendre leur commande, Chase opta pour

la spécialité du jour, le sandwich Reuben, tandis qu'elle-même

préférait s'en tenir à un simple sandwich à la dinde accompagné d'une

salade verte.

— Puis-je te demander ce qui s'est passé ? reprit-il.

Elle portait son verre d'eau à ses lèvres et l’étudia quelques

instants.

— Qui es-tu ? Qu'est devenu l'homme impitoyable de ce matin ?

demanda-t-elle afin d'alléger l'atmosphère.

— Accordons-nous une trêve le temps du déjeuner, répondit

Chase en souriant.

Etrangement, sa bonne humeur la gagna. Au fond, il était plutôt

gentil. Il se trouvait juste dans une situation délicate.

— Un chauffard ivre a heurté la voiture de mes parents, expliqua-

t-elle. Mon père est mort sur le coup. Ma mère a survécu quelque

temps, mais elle n'avait pas le courage de vivre sans lui, et elle est

morte six mois plus tard. J'avais seize ans.

— Cela a dû être très dur.

— J'ai survécu, dit-elle en soupirant.

— Mais cette histoire t'a affectée. C'était traumatisant, je le sais.

Ce n'est pas honteux de l'admettre.

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— Tu as raison. J'ai changé. Ce drame m'a rendue forte, il m'a

motivée pour réussir. Ma sœur cadette et moi avons neuf ans de

différence, et c'est à cause d'elle que je suis restée à Chicago. Je ne

m'entendais pas avec ma tante, mais je ne pouvais pas abandonner

Jane. Elle n'avait que sept ans quand l'accident a eu lieu.

— Alors, tu t'es occupée d'elle.

— Du mieux que j'ai pu. Lorsque j'ai finalement réussi à quitter

ma tante, je l'ai prise avec moi. Nos parents désiraient que nous

fassions toutes les deux des études supérieures. J'avais déjà commencé

à travailler, et j'ai pu lui payer ses études. Elle passe son diplôme de

psychologie cette année. Malgré toutes les aides financières, tu

n'imagines pas ce que coûtent les études. La lutte a été dure. J'ai dû

travailler à temps partiel tout en passant mon diplôme. Je n'avais pas

une minute à moi.

Chase hocha la tête.

— Mes grands-parents se sont occupés de nous à la mort de nos

parents, murmura-t-il. Nous n'avons jamais affronté de difficultés

matérielles. J'ai eu tort de mal te juger. Je suis désolé. Je ne sais pas si

j'aurais été capable de survivre dans de telles conditions.

Elle saisit son thé glacé à deux mains, cachant son visage derrière

le verre pour se protéger.

La sensibilité dont Chase faisait preuve était aussi dangereuse que

déconcertante, elle ne devait pas se laisser attendrir.

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Dommage. S'il était aussi charmant en permanence, rien

d'étonnant à ce que les femmes tombent facilement amoureuses de

lui...

— C'est de l'histoire ancienne, déclara-t-elle. Je préfère ne pas

regarder en arrière.

— Je ne suis pas d'accord. Oublier n'est pas une solution. Parfois,

j'aimerais tout effacer, mais le passé nous colle à la peau en

permanence. Dans un coin de notre tête, il y aura toujours la même

question sans réponse : comment ma vie aurait-elle été si ce jour

n'était pas arrivé?

Il comprenait, finalement.

— Je sais, dit-elle, étonnée de sa perspicacité. On essaie de ne pas

trop y penser.

— Mais on doit y penser ! En ce qui me concerne, il ne se passe

pas un jour sans que je le fasse. C'est sans doute pour cette raison que

mon grand-père a eu cette maudite idée de m'envoyer en vacances

pendant un an. Tu es consciente que je n'ai pas envie de partir, n'est-ce

pas ? Non seulement il m'a forcé la main, mais en plus il m'a pris par

surprise.

— Je sais. Lors de l'entretien d'embauche, il m'a prévenue que sa

décision ne te plairait pas et que tu risquais de m'en vouloir. Je voulais

te dire la vérité dès que nous nous sommes rencontrés, mais ton grand-

père a exigé que les choses se déroulent ainsi. Qui étais-je pour

m'opposer à sa volonté ?

Chase l'étudia en fronçant les sourcils.

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— Je suppose que ces explications sont censées m'aider à

comprendre pourquoi tu m'as délibérément caché la vérité ?

— Ce n'était pas intentionnel, protesta-t-elle, sur ses gardes.

— Peu importe. Même si l'idée me déplaît, c'est ce que mon

grand-père veut pour moi. Je ne peux pas lui refuser quelque chose qui

lui tient autant à cœur.

— C'est normal que tu tiennes compte de ses souhaits. Ça prouve

juste que tu l'aimes.

Cédant à une brusque impulsion, elle tendit le bras et posa la main

sur celle de Chase.

Sa peau était chaude sous sa paume. Elle sentit naître en elle une

soudaine affinité avec Chase. Elle sentit également vibrer sous ses

doigts le courant qui les reliait.

Lorsqu'il plongea le regard dans le sien, le souffle de Miranda se

bloqua dans sa gorge. Peut-être même son cœur cessa-t-il de battre

l'espace d'un instant.

Voyant la serveuse approcher avec leur commande, elle retira

vivement sa main et jeta un coup d'œil discret autour d'elle.

Personne ne semblait s'intéresser à eux, mais elle regrettait

amèrement d'avoir manifesté sa tendresse envers Chase chez Maxine's

— l'endroit où, il le lui avait dit, se colportaient toutes les rumeurs.

Feignant d'être absorbée par son sandwich, elle souleva la tranche

de pain du dessus et y étendit de la moutarde au miel.

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Chase continuait à la scruter intensément.

— Sache que ça ne marchera pas.

— Quoi ? demanda-t-elle en reportant les yeux sur lui. J'adore la

moutarde douce dans les sandwichs.

Une ébauche de sourire se dessina sur les lèvres de Chase.

— Tu as toujours réponse à tout, n'est-ce pas ? Mais tu m'as très

bien compris. Tu as eu un geste de sympathie envers moi dans un lieu

public. Oui, les gens l'ont remarqué et, oui, ils vont répandre des

bruits. Mais cesse de t'inquiéter. Tu n'as rien fait de mal. Et puis, j'ai

aimé sentir ta main sur la mienne.

Cette fois, il manquait totalement de perspicacité.

— Tu n'as rien compris, ils vont me prendre pour ta petite amie.

Ils ne savent pas qui je suis, protesta-t-elle.

— Et alors ? dit Chase en se penchant en avant. Ils finiront par

apprendre la vérité, et les commérages cesseront d'eux-mêmes. La

belle affaire !

— Peut-être, mais ils risquent d'en déduire que je me suis

rapprochée de toi afin d'obtenir ce poste, objecta-t-elle. D'ailleurs,

combien de femmes as-tu déjà invitées ici ?

— Aucune. C'est l'endroit où je déjeune avec mes collègues de

travail, répliqua-t-il en tendant la main pour prendre une frite dans son

assiette.

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Peut-être avait-elle en effet réagi de manière excessive. Après

tout, il connaissait la ville mieux qu'elle.

— Pourtant...

Les traits de Chase se tendirent brusquement. Il se recula sur sa

chaise et croisa les bras sur son torse.

— Ne te fais pas de souci, je comprends ton point de vue. Je suis

conscient de ce que tu penses de moi. Tu connais ma réputation. Tu

sais ce que je devrais faire pendant mes vacances ? Partir à Hollywood

à la recherche d'une belle blonde, même si elle est artificielle, comme

tu dis. Sauf que je doute fort qu'elle accepte de s'enterrer dans ce trou

perdu avec moi quand mon exil touchera à sa fin.

— Oublie mon élan de compassion, veux-tu ? Je te trouve ingrat,

lâcha-t-elle, les mots franchissant ses lèvres avant qu'elle ait pu les

retenir.

Elle n'aima pas l'expression qui se peignit sur les traits de son

compagnon. Toute bienveillance semblait s'en être envolée.

— D'après toi, je n'aurais pas le droit d'être mécontent?

— Non. Peut-être au début, mais plus maintenant.

Chase souleva un sourcil, attendant qu'elle développe sa pensée.

Au point où elle en était, autant aller jusqu'au bout.

— Je ne connais pas bien ton grand-père, reprit-elle. Mais d'après

ce que j'ai pu constater, c'est un homme bon. Laisse-moi te dire que si

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j'étais à ta place et qu'on m'offrait une année de vacances avec solde, il

ne me viendrait pas à l'idée de me plaindre. J'en profiterais pour visiter

Paris, Rome et d'autres endroits merveilleux où je ne suis jamais allée.

Je n'ai jamais pris de vraies vacances de ma vie, et une année de

disponibilité serait pour moi une véritable aubaine. Mais toi, tu

méprises le cadeau de ton grand-père.

Chase toussota, déconcerté par ces critiques.

— Mais j'aime travailler. Elle repoussa son assiette.

— Moi aussi. Mais le travail ne rend pas heureux. C'est un moyen

de parvenir à ses fins, c'est tout. Je ne fais pas reposer ma vie entière

sur ce poste.

— C'est faux. Tu m'as dit toi-même à quel point ce poste comptait

pour toi.

— Et alors ? Ce n'est pas pour autant que je ne pourrais pas être

heureuse en faisant autre chose. Si je gagnais à la loterie, par exemple,

je ne sais pas si je continuerais à travailler dans ce domaine. J'aimerais

pouvoir te proposer d'intervertir les rôles. Mais c'est impossible, je

suis obligée de respecter mes engagements.

Elle marqua une pause pour reprendre son souffle.

— Tu es né sous une bonne étoile, Chase. La vie t'a tout donné, et

tu ne sembles toujours pas satisfait de ton sort. Je me demande si tu le

seras un jour.

— Laisse-moi te dire que j'ai eu souvent l'occasion de me

satisfaire, répliqua-t-il en souriant. D'ailleurs, je n'étais pas le seul.

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Elle se sentit rougir.

« Chassez le naturel, il revient au galop. » Quand Chase se sentait

acculé, il avait recours à son arme préférée : la séduction.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, et tu le sais, objecta-t-elle en

croisant ses bras sur sa poitrine. Contrairement à toi, je ne laisse pas

mes pulsions sexuelles dominer mes pensées.

« Ni mon cœur », ajouta-t-elle intérieurement.

Chase eut un petit sourire qui ressemblait comme deux gouttes

d'eau à celui de Clark Gable dans Autant en emporte le vent.

— Tu devrais essayer. Un peu de sexe, ça ne te ferait pas de mal.

Une fois de plus, il prenait l'avantage. Refusant d'évoquer sa vie

sentimentale, elle tira son assiette vers elle et se remit à manger son

sandwich à la dinde.

Mais les dernières paroles de Chase flottaient encore dans l'air, et

elle se devait de riposter.

— Je trouve tes insinuations insultantes.

Les sourcils blonds se soulevèrent.

— Lesquelles?

— Comme quoi un peu de sexe me ferait du bien.

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— En tout cas, moi, je ne dirais pas non, répondit-il en grignotant

une frite d'un air détaché.

Le souvenir de leur baiser surgit dans son esprit, et elle se passa la

langue sur les lèvres.

— Ecoute, reprit-il. Puis-je te confier un secret sans que tu te

précipites chez mon grand-père pour m'accuser de harcèlement

sexuel?

— Je ne sais pas, dit-elle, fascinée par le mouvement de sa

bouche.

Chase McDaniel devait avoir un pouvoir secret. Il avait l'art et la

manière de mettre le feu à ses sens en un clin d'œil et de lui faire

perdre son habituelle maîtrise d'elle-même.

— Je prends le risque, déclara-t-il. De toute façon, je quitte la ville

le week-end prochain, et tu ne me verras plus pendant un an.

Il se pencha en avant et posa les coudes sur la table. Elle se surprit

à attendre ses paroles avec impatience. Les mots sortirent rapidement

et sans détour.

— J'ai eu envie de toi dès le premier instant où je t'ai vue.

***

Chase observa la réaction de Miranda à ses propos.

Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent, sa bouche s'arrondit,

puis elle devint toute rouge — ce qui la rendit encore plus belle.

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Bon sang, il aurait dû tenir sa langue !

Mais son désir pour elle l'avait submergé. Il voulait faire l'amour

avec elle, balayer les faux-semblants, parvenir à l'essentiel. A ce stade,

seule la vérité compterait, et ce serait phénoménal.

— D'accord, tu as raison. Je suis insatisfait. Mais comment

pourrait-il en être autrement ? La femme la plus fascinante que j'aie

rencontrée surgit dans ma vie juste au moment où je dois partir. Le

destin est parfois cruel.

— Tu ne penses pas ce que tu dis, affirma Miranda.

Tandis qu'elle se ressaisissait, il put presque la voir dresser les

murs de protection dont elle aimait s'entourer.

Il avait envie de la secouer, de réveiller ses émotions, de la forcer

à admettre l'existence de l'attirance entre eux.

— Je n'ai aucune raison de mâcher mes mots. Je ne recherche pas

le plaisir pour le plaisir. Tu me plais, et c'est réciproque. Je pensais

que c'était un fait établi.

— Et moi, rétorqua-t-elle, je pensais que nous ne reparlerions plus

de ce week-end. Ce qui s'est passé était une erreur.

Au diable cette stupide allégation. Il n'avait pas de temps à perdre

avec ces bêtises.

— Je n'ai pas l'intention de jouer à ce jeu-là, Miranda. Ce n'était

pas une erreur. Si je t'ai embrassée, c'était parce que j'en avais envie.

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Les deux fois. Et, crois-moi, j'ai apprécié chaque seconde de ces

baisers.

La rougeur de Miranda s'intensifia.

— Tu avais promis de faire comme si rien n'était arrivé, de

repartir de zéro.

Il secoua la tête.

Il était trop tard pour faire machine arrière. Et puis, ils n'étaient

plus des enfants, après tout.

— J'ai juste promis d'essayer, il me semble. Je ne m'en souviens

plus. En revanche, je me rappelle très bien la façon dont tes yeux

brillaient sous la lune, et la sensation délicieuse de ta langue sur la

mienne.

Elle arrondit les lèvres d'un air scandalisé.

Il n'avait pas eu l'intention de la choquer. Il voulait juste en finir

avec cette mascarade. Il ne s'était jamais exprimé avec une telle

franchise. Aucune femme ne l'avait autant troublé. Pas depuis les

premiers béguins au lycée, alors qu'il était encore un adolescent

confus et bafouillant.

Mais ce temps-là était révolu. Il était un homme à présent, un

homme qui savait ce qu'il voulait.

Et ce qu'il voulait, c'était Miranda Craig.

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- 6 -

Trois jours après son entrée en fonction, Miranda se demandait

comment elle avait pu survivre à ce déjeuner avec Chase.

Non que celui-ci ait réitéré ses avances. Après lui avoir avoué ce

qu'il ressentait, il s'était retranché derrière une attitude strictement

professionnelle, comme si rien ne s'était passé, et le repas s'était

terminé dans un climat tendu. En dehors de quelques propos anodins,

ils n'avaient plus échangé un mot. Lors des réunions de travail qui

avaient suivi, il l'avait regardée sans la voir, comme si elle était

transparente.

Elle soupira.

Le sentiment d'avoir laissé échapper quelque chose qu'elle avait

toujours voulu sans le savoir lui nouait le ventre. La fréquentation

quotidienne de Chase était devenue un véritable supplice.

Elle était tellement à cran qu'elle sursauta quand il ouvrit la porte

de son bureau.

— As-tu consulté tes emails récemment ? demanda-t-il sans

préambule.

Il se tenait sur le seuil, les manches de sa chemise blanche

retroussées révélant les poils dorés de ses avant-bras.

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— Je n'ai pas ouvert ma boîte depuis deux heures. Je travaillais à

mes comptes rendus.

— Je m'en doutais. Mon grand-père t'a envoyé un mail il y a plus

d'une heure et demie.

— Oh ! dit-elle en cliquant sur l'icône de sa messagerie.

Elle consultait toujours ses messages d'heure en heure — sauf

qu'elle avait fermé le programme afin de tenter de se concentrer.

— Je suppose que c'est important, si tu t'es donné la peine de venir

jusqu'ici.

Il croisa les bras sur son torse.

— Si tu l'avais lu, tu te serais déjà précipitée dans mon bureau.

— Je vois, dit-elle en ouvrant sa boîte de réception.

Elle avait treize messages, et celui de Leroy était en haut de la

liste. Quand le texte apparut sur l'écran, elle vit qu'il avait été adressé à

Chase, qui le lui avait transféré. Elle le parcourut rapidement.

Leroy voulait que Chase la conduise à Lone Pine Lake le vendredi

soir pour mettre au point les derniers détails avant le départ de ce

dernier. Un dîner au restaurant était prévu le samedi soir, et ils

rentreraient à Chenille le dimanche.

— Si j'ai bien compris, nous allons ensemble au lac ?

Chase l'étudia un instant.

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— Oui. Ta première expérience de travail à domicile. Avant,

c'était moi qui me chargeais de cette tâche. Je me rendais là-bas tous

les vendredis soirs pour rendre compte à Leroy de ce qui s'était passé

pendant la semaine.

Personne n'avait jugé bon de l'informer de ce détail. Elle qui

pensait profiter du week-end pour se détendre !

— Tu faisais le trajet chaque semaine ?

L'irritation de Chase était devenue presque palpable.

— Oui, ça faisait partie de mes fonctions.

Sous-entendu, elle usurpait là aussi ses prérogatives.

— Est-ce qu'on y va dans la même voiture ?

— Normalement, j'y vais seul, mais je peux t'emmener.

Elle eut un haussement d'épaules. Chase avait du mal à accepter sa

mise à pied. Il faudrait pourtant qu'il s'y résigne.

— A quelle heure partons-nous ?

— Alors, tu es d'accord ? demanda-t-il en se redressant.

— Pourquoi refuserais-je ?

Il traversa la pièce et vint se poster devant son bureau.

— Parce que tu as l'air mal à l'aise avec moi.

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— Moi ? Pas du tout, nia-t-elle en s'adossant à son siège et en

croisant les mains. Si tu t'attendais à des protestations de ma part, tu

t'es trompé. Si cette tâche fait partie de mon travail, je dois l'assumer.

Tu seras là pour m'aider, et je m'en sortirai.

Il haussa les épaules. Le masque de froide indifférence qu'il

portait depuis mardi recouvrait de nouveau son visage.

— Très bien. Nous partons demain à 14 heures. Le dîner sera

décontracté, alors emporte une tenue adéquate.

Sur ce, il tourna les talons et s'en alla.

Elle desserra les doigts et tambourina sur la table. Elle avait envie

de hurler.

Comment réussissait-il à l'ébranler ainsi ?

Il lui faisait penser à un missile. Il attaquait à l'improviste, lâchait

une bombe qui la secouait jusqu'aux os puis disparaissait, la laissant

aux prises avec les retombées émotionnelles. Le pire était qu'il

respectait ses désirs à la lettre.

Sauf que la situation avait changé depuis qu'il s'était déclaré.

C'était comme s'il avait ouvert la boîte de Pandore.

Maudit soit cet homme !

Saisissant le téléphone, elle composa un numéro.

Walter décrocha à la deuxième sonnerie.

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— Tu démissionnes déjà? demanda-t-il.

— Non, mais je suis envoyée au lac.

— Ah, tu vas faire ton compte rendu à Leroy.

Jusqu'à Walter qui était au courant ! Ce dernier aurait-il

délibérément omis de l'informer de ce détail?

— Pendant l'été, Leroy gère les affaires de là-bas, expliqua

Walter. Chase y va le vendredi soir et y passe la matinée du samedi.

Ensuite, il fait ce qu'il veut.

— Nous y passerons tout le week-end. C'est prétendument lié à la

passation des pouvoirs.

— Alors, profites-en pour te détendre et t'amuser.

— J'aurais bien aimé en être informée au préalable. Il y a

tellement de choses dans cette entreprise qui ne sont écrites nulle part,

sauf dans la tête de ces McDaniel !

— Tu apprendras. Au fait, tu as de la chance d'avoir quitté le

navire à temps. Le conseil d'administration n'a pas pris la peine de

chercher quelqu'un pour me remplacer. A la place, c'est un cadre de

l'entreprise qui assurera l'intérim. Tu n'as pas entendu la nouvelle ?

BevMart a fait une offre de rachat. Du coup, hier, les spéculateurs se

sont précipités pour acheter des actions, et les prix ont flambé.

— Je pourrai surveiller le déroulement de cette histoire d'ici, vu

que le contrat de distribution de McDaniel doit être renouvelé l'an

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prochain. Je sais que nous avons déjà mis en place une équipe qui

recherche de nouveaux partenaires.

— Tu vois, tu apprends vite. Accroche-toi. J'ai foi en toi. Appelle-

moi quand tu en auras besoin.

Elle reposa le combiné sur son socle, pensive.

Entendre la voix de Walter lui avait fait du bien. Il l'avait toujours

soutenue. Ce serait dur de fonctionner sans lui. L'idée qu'ils ne

travailleraient plus jamais ensemble la rendait un peu triste.

Chassant ses pensées mélancoliques, elle inspecta les lieux.

La veille, elle avait sauté le déjeuner afin d'arranger son bureau.

Les diplômes accrochés aux murs, les photos sur les étagères et les

quelques plantes vertes qu'elle avait apportées donnaient à la pièce une

touche personnelle. Même son appartement commençait à avoir bonne

allure.

Hélas, sa vie était loin d'être aussi bien organisée.

Juste avant de partir, elle relut l'email de Leroy.

Lequel des deux conduirait le lendemain ?

Sûrement Chase, bien que son attitude, mardi, lui ait montré à quel

point ses réactions pouvaient être imprévisibles.

***

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Le vendredi matin à l'aube, une tasse de café noir à la main, Leroy

traversa la grande salle d'un pas traînant.

Les rayons du soleil levant faisaient miroiter la surface du lac

tandis que la nature revenait à la vie.

Il avait passé une nuit agitée, le sommeil perturbé par son

inquiétude concernant la situation entre Chase et Miranda. Au réveil,

il avait senti peser sur ses épaules tout le poids de ses quatre-vingts

ans.

En recrutant Miranda Craig un mois auparavant, il était sûr d'avoir

fait le bon choix. Même Chase avait à regret admis la veille qu'elle

était parfaite pour ce poste... Mais rien n'était simple avec son petit-

fils.

Chase était un être profond, même s'il affectait une frivolité

désinvolte. C'était un homme bon et d'une loyauté presque excessive.

S'il changeait souvent de compagne, c'était seulement qu'il n'avait pas

encore trouvé celle qu'il cherchait. Il avait toujours fait ce qu'on

attendait de lui et avait besoin de temps pour se trouver.

Leroy désirait de toute son âme que Chase soit heureux, et il se

tourmentait à l'idée de s'être trompé et d'avoir sans le vouloir fait du

tort à son petit-fils.

***

Miranda et Chase atteignirent Lone Pine Lake en fin d'après-midi.

Le voyage ne s'était pas trop mal déroulé, admit Miranda. Elle

avait feint de s'absorber dans son livre et, hormis quelques

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commentaires sur le paysage, Chase n'avait pas engagé la

conversation. N'empêche qu'elle avait été sensible à sa présence

pendant tout le trajet.

L'expression de Chase se modifia dès qu'il posa le pied hors de la

voiture. En voyant Miranda l'observer, il souleva un sourcil et lui

demanda pourquoi elle le regardait ainsi.

— Tu sembles d'un seul coup plus détendu, répondit-elle.

— C'est ici que je suspends mon chapeau, dit-il en ouvrant le

coffre.

— Ce qui signifie ?

— C'est ici que je décompresse. Peut-être à cause de l'air pur et de

l'eau. Tu l'as dit toi-même, le lac est si beau qu'on pourrait le

contempler pendant des heures. J'espère que tu en profiteras.

— Je crains d'avoir du mal à me détendre.

C'était le théâtre de leur premier baiser. Son corps n'avait pas

oublié, même si son cerveau avait classé ces instants merveilleux

parmi les sujets interdits.

— Tu finiras par y arriver et par découvrir que cet endroit a un

pouvoir apaisant. Quand tu pourras, installe-toi dans la grande pièce et

admire la vue. Ta chambre est au-dessus de la cuisine, tu auras juste à

descendre quelques marches.

— Ah bon ? Je ne logerai pas dans le bungalow ?

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— Non. Ils sont tous les deux occupés. La sœur de ma grand-mère

habite l'un d'eux tout l'été. Elle est d'un naturel renfermé, et je doute

que tu la croises. Mon oncle et son épouse passent trois semaines dans

l'autre. Harvey est le plus jeune fils de mon grand-père, il est avocat.

— Oui, je me souviens de l'avoir aperçu au cours de la soirée.

Mais nous n'avons pas été présentés.

Une fois arrivés dans la maison, Chase posa son sac dans la

cuisine, s'empara de sa valise à elle puis s'engagea dans l'escalier qui

menait à l'étage.

— Je vais te montrer ta chambre.

Elle avait visité ce grenier aménagé lors de sa première visite. La

pièce avait un toit pointu et des poutres apparentes. Cinq grandes

lucarnes, quatre d'un côté et une de l'autre, permettaient à la lumière

d'entrer à flots.

Chase ouvrit une porte et lui montra la salle de bains, juste assez

grande pour contenir la douche, les toilettes et le lavabo.

— Tu peux utiliser l'armoire, si tu veux.

— Merci.

Elle saisit sa valise et la posa à côté du lit.

Les fenêtres ne donnaient pas sur le lac comme dans les autres

chambres, mais sur la pelouse qui s'étendait devant la maison. Le

soleil était encore haut dans le ciel, mais la vue promettait d'être

magnifique au crépuscule.

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— Prends le temps de te rafraîchir. Rejoins-moi en bas dans une

demi-heure. D'accord?

— Parfait.

Lorsque les pas de Chase se furent éloignés, elle se laissa tomber

dans le rocking-chair. Sur l'étagère de la petite table à côté d'elle, trois

livres anciens attirèrent son regard.

Elle en saisit un et, l'ouvrant, découvrit une dédicace sur première

page : « A ma chère Heidi, pour notre cinquième anniversaire de

mariage. » Juste au-dessous d'un « Je t'aime », Leroy avait griffonné

sa signature.

Elle avait entendu parler de l'adoration que Leroy vouait à sa

femme.

Elle referma le livre et le serra contre son cœur. Qu'est-ce que cela

faisait d'être l'objet d'un amour aussi absolu ?

Aucun des hommes qu'elle avait fréquentés jusque-là ne lui avait

témoigné de véritable passion. Sauf Chase, lors du baiser dans le

hangar et celui au bord de l'eau.

Elle avait intérêt à éviter de s'approcher du lac au cours de cette

visite.

Elle reposa le livre, enfila une tenue décontractée et descendit

dans la salle de séjour.

— C'est vraiment une habitude chez toi, dit-elle en pénétrant dans

la pièce.

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Assis dans un des fauteuils disposés face au lac, Chase tourna la

tête vers elle.

— Quoi donc ?

— D'être toujours en avance.

Il haussa les épaules.

— C'est involontaire. Je ne suis pas du genre à mettre des heures à

me pomponner.

Evidemment ! Il était assez beau comme ça au naturel pour en

avoir besoin.

Il lui indiqua le fauteuil voisin, et elle se laissa envelopper par le

cuir patiné.

Deux voiliers filaient à la surface du lac, et le soleil de fin d'après-

midi se reflétait sur l'eau. Le spectacle était beau et apaisant, mais

comment se détendre avec Chase à côté d'elle ?

Celui-ci avait troqué son costume de travail pour un bermuda à

poches et un polo, et ses pieds nus chaussés de mocassins reposaient

sur le rebord de la fenêtre.

— Est-ce que ton grand-père nous rejoindra bientôt? demanda-t-

elle, s'arrachant à la contemplation de ses jambes musclées.

— Non, répondit-il avec décontraction. Il est invité à dîner chez

Harvey. Mais il a nous a réservé une table au restaurant.

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Elle jeta un coup d'œil à au pantalon corsaire et au sweat-shirt à

manches courtes qu'elle portait, se demandant si elle était assez bien

habillée et si un tête-à-tête avec Chase était une bonne idée. On aurait

dit que son grand-père s'était arrangé pour qu'ils se retrouvent seuls.

Mais non, Leroy ne ferait pas une chose pareille.

— Bien, approuva-t-elle non sans réticence.

— Viens, je t'emmène au club de golf.

Alors qu'elle le suivait sur le sentier qui menait au lac, une

impression de déjà-vu s'empara d'elle devant le hangar à bateau.

Chase s'engagea sur le ponton au bout duquel les attendait un

canot à moteur d'environ six mètres de long.

— Ton carrosse est avancé, dit-il en sautant à bord.

Elle hésita.

— Je t'ai dit que je n'avais pas l'habitude de naviguer.

— Tu vas adorer, si toutefois tu ne crains pas d'être décoiffée par

le vent. Tu n'as pas peur, au moins ? demanda-t-il, un air de défi dans

les yeux.

— Mais non, rétorqua-t-elle, chassant son appréhension.

— Enlève tes chaussures. Ce sera plus facile pour monter.

Elle lui tendit ses sandales.

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Il les posa au fond du bateau puis lui tendit la main. Il aurait été

préférable d'éviter les contacts entre eux, mais elle n'avait pas le choix.

Sa main était ferme et chaude dans la sienne quand il l'aida à

enjamber le bord. Elle posa un pied sur le siège, puis l'autre au fond du

bateau.

A ce moment-là, le canot tangua, et elle fut projetée contre Chase.

Il l'aida à reprendre son équilibre. Sa main toujours dans la sienne,

il la serra contre lui et lui entoura la taille du bras.

Le courant passa instantanément entre eux.

Puis il la lâcha et la guida vers le siège du passager.

— Installe-toi là. A moins que tu préfères être à l'avant.

— Non, non.

La présence du pare-brise la rassurait, mais la proximité de Chase

l'affolait. Elle réagissait au quart de tour à son contact, impossible de

le nier.

Elle frissonna.

Peut-être étaient-ce leurs différences qui l'attiraient ?

Elle ne s'était jamais écartée du droit chemin, et cet homme

naturellement sensuel représentait le côté trouble de la vie qu'elle

n'avait jamais connu.

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La situation était prometteuse de délicieux moments de plaisir,

d'accord, mais la gourmandise était un penchant dont on finissait

toujours par se repentir. D'un autre côté, ne regretterait-elle pas

éternellement d'avoir laissé passer l'occasion ?

— Ne reste pas debout. On va partir, insista Chase.

Elle s'installa sur la banquette, émerveillée par l'aisance avec

laquelle il sauta à terre pour larguer les amarres, avant de prendre le

volant et de s'éloigner du bord.

Au bout d'un moment, il augmenta la vitesse, et le bateau fendit

l'eau.

L'appréhension de Miranda les transforma vite en excitation. La

sensation était grisante. Libératrice.

Si elle avait su ! Il y avait tant de plaisirs dans la vie qu'elle

ignorait !

— Tu aimes ? cria Chase.

— J'adore, répondit-elle en se penchant en avant pour regarder

par-dessus le pare-brise.

Ils approchaient du bord opposé. Elle apercevait le quai

d'amarrage et le terrain de golf en haut de la colline.

Après avoir attaché le bateau, Chase sauta à terre et lui tendit la

main. Cette fois, elle ne perdit pas l'équilibre quand il l'aida à

descendre. Elle glissa les pieds dans ses sandales et passa les doigts

dans ses cheveux.

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— Hé, mais on peut venir en voiture ! constata-t-elle en arrivant

sur le parking du restaurant.

— C'est plus rapide en bateau, répondit Chase. Et puis, tu as aimé

la traversée, non ?

— Si.

Il eut un sourire satisfait.

— J'ai pris un risque, mais j'étais sûr que ça te plairait. Tu vois, je

commence à te connaître.

Elle sentit son cœur battre plus fort.

— Ça, j'en doute, répliqua-t-elle.

Le petit sourire effronté qu'il lui adressa en retour était révélateur.

Il avait retrouvé son humour et sa légèreté.

— Pas moi. Bienvenue dans mon monde, Miranda. Maintenant,

allons dîner.

***

Vers la fin du repas, Miranda avait fait la connaissance de presque

tous les propriétaires du tour du lac. Visiblement, le club de golf était

très fréquenté le vendredi soir, car l'endroit était ouvert au public, et

tous pouvaient faire le parcours et profiter du restaurant. La plupart de

ceux qu'elle rencontra se trouvaient déjà à la fête d'anniversaire. Les

autres l'acceptèrent facilement comme la nouvelle sous-directrice des

McDaniel.

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— Ici non plus, tu n'amènes pas tes petites amies ? demanda-t-elle

tandis qu'ils redescendaient vers le quai.

Le soleil se couchait derrière les arbres, et le ciel n'était pas encore

tout à fait sombre. Des lampes à bas voltage illuminaient le chemin.

— Non.

— Vraiment ? demanda-t-elle avec étonnement.

Il haussa les épaules.

— Ceci est mon univers. Je suppose que je n'ai pas encore trouvé

celle avec qui j'aurai envie de le partager.

De nouveau, il l'aida à monter à bord.

Cette fois, elle ne chancela pas, mais le seul fait de toucher sa

main lui donna le frisson. Elle mit sa réaction sur le compte des deux

verres de vin qu'elle avait bus pendant le repas. A moins que

l'indécente part de gâteau au chocolat qu'elle avait dévorée n'ait fait

monter le taux de sucre dans son sang ?

— As-tu envie de faire un tour ? demanda-t-il quand ils furent

partis. Naviguer la nuit est très agréable. Lone Pine Lake est au milieu

de deux autres lacs. Balsam Lake, au nord, est plus petit et a une

forme ovale. Je vais te le montrer, ajouta-t-il, décidant à sa place. C'est

tout près.

Elle s'enfonça dans son siège et profita de la promenade.

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Chase connaissait les alentours comme sa poche et lui montra

plusieurs maisons, lui parlant de leur histoire et des gens qui les

occupaient. Il était sorti de son silence.

Ce n'était pas à cause de l'alcool, puisqu'il n'avait bu qu'un verre

de vin. Son amour pour cet endroit devait lui délier la langue.

Elle riait de l'une de ses anecdotes lorsque le lac se rétrécit et

qu'un pont se profila devant eux.

— Voici la nationale A, dit-il. L'autre jour, si tu ne t'étais pas

arrêtée avant, tu serais passée sur ce pont.

— J'ai dû rebrousser chemin avant.

— Probablement.

Il réduisit la vitesse et s'engagea dans l'étroit chenal, puis passa

sous le pont suspendu à quinze mètres au-dessus de leurs têtes.

Une fois l'étranglement franchi, les rives s'ouvrirent sur Balsam

Lake. L'eau du lac était sombre et profonde. Le soleil avait disparu, et

seules subsistaient dans le ciel les dernières lueurs roses du

crépuscule. Les quelques maisons perchées sur les berges escarpées

étaient accessibles par des volées de marches creusées dans la pente.

Chase coupa le moteur au milieu du lac et laissa le bateau dériver.

— Entends-tu le silence ?

Elle écouta.

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Les bruits humains avaient cessé, mais les murmures de la nature

emplissaient l'air ambiant, tandis que des milliers d'animaux et

d'insectes nocturnes revenaient à la vie. Calme et réconfortante,

chargée de quelque chose de mystérieux et de magique, la nuit était

propice aux élans sentimentaux.

Elle avait la sensation d'avoir pénétré dans un autre monde. C'était

comme si ce qu'elle avait cherché toute sa vie se matérialisait grâce à

l'homme qui était à côté d'elle, tout aussi perdu dans le moment

présent qu'elle.

Il suffirait qu'elle prononce son nom...

Mais mieux valait se taire. Entre eux, il n'y avait pas d'avenir.

Comme pour souligner ce constat déprimant, un insecte se mit à

bourdonner autour d'eux. Chase remit le moteur en marche.

— C'est le signal du départ, annonça-t-il. S'ils commencent à te

piquer, il y a un spray antimoustiques dans la boîte à gants. Mais la

vitesse devrait les tenir à distance.

— Merci, dit-elle tandis qu'ils repartaient en direction de Lone

Pine Lake.

— De quoi ?

— De m'avoir montré cet endroit. Je n'avais jamais rien vu d'aussi

beau.

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— Quand j'étais jeune, j'adorais pêcher dans le noir. Dans la

journée, Balsam Lake est parfait pour le ski nautique. La nuit, il est

calme et reposant. Mais c'est un secret bien gardé.

— Je n'ai aucune expérience des sports aquatiques.

— C'est vrai ? Alors, il faut que je t'apprenne quelques trucs pour

que tu puisses en profiter quand tu viendras.

— Je doute d'en avoir le temps. Je ne ferai qu'apporter le travail à

ton grand-père et repartir le lendemain matin.

— Tu ne sais pas ce que tu perds, observa Chase en allumant les

feux.

La nuit était tombée, et les lumières des maisons bordant les rives

scintillaient comme des lucioles.

— Demain, je te montrerai d'autres endroits, dit-il en pointant

l'avant du bateau vers la côte.

Elle aperçut au loin la maison des McDaniel qui trônait en haut de

la colline telle une reine majestueuse. La lueur dorée des fenêtres

éclairées semblait accueillante.

Sa gorge se serra et un frisson la parcourut.

C'était le foyer de Chase, non le sien. Malheureusement.

Chase avait dû la voir frissonner, car il voulut savoir si elle avait

froid.

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Elle ne le détrompa pas, mais si la température avait en effet

baissé, sa réaction n'avait rien à voir avec la fraîcheur de l'air.

Ils s'amusaient ensemble, et le courant passait bien. Ils s'étaient

même embrassés ! En d'autres circonstances, et ils auraient pu devenir

amis, voire amants. Et même davantage.

Chase ne ressemblait à aucun homme qu'elle avait connu. Si leur

rencontre avait eu lieu à un autre moment, il aurait pu être celui qu'elle

cherchait depuis toujours. Si des forces extérieures ne leur avaient pas

imposé leurs rôles et s'il ne lui avait pas gardé rancune de lui avoir pris

sa place.

Ce soir, elle avait appris quelque chose : contrairement à ce qui se

disait, on ne pouvait pas tout avoir.

Elle avait rêvé d'accéder à un statut social et à un style de vie

semblables à ceux de Chase. Le sort les lui avait offerts, mais elle n'en

éprouvait aucun réconfort.

***

Leroy vit arriver Chase et Miranda par la fenêtre de la grande

salle.

Ils semblaient contents de leur balade.

— Allons-nous travailler ce soir ? demanda la jeune femme après

l'avoir salué.

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— Non, pas ce soir, répondit-il. Nous commencerons demain

matin vers 8 h 30, après le petit déjeuner. Alors, comment s'est passé

votre dîner ?

— Les Simmons t'envoient leurs vœux d'anniversaire, dit Chase.

Ils s'excusent de ne pas avoir assisté à ta fête, mais ils étaient en

vacances à Hawaii. Ils m'ont dit de te dire qu'ils comptent sur ta

présence à la garden-party qu'ils donnent le jour de l'Independence

Day.

— Je ne manquerais ça pour rien au monde, comme chaque année,

assura Leroy. Qu'avez-vous pensé de notre club de golf? demanda-t-il

ensuite à Miranda. Le parcours est une imitation du prestigieux terrain

de Saint Andrews en Ecosse.

— J'ai adoré. La cuisine était délicieuse. Et ensuite, Chase m'a

montré le lac Balsam.

Ah, voilà donc où ils étaient !

Mais on devinait au premier coup d'œil qu'il ne s'était rien passé

entre eux.

— Ce lac n'est pas plus poissonneux que le nôtre, remarqua-t-il en

observant pensivement le couple qu'ils formaient.

D'habitude, il n'appréciait pas les femmes que Chase fréquentait.

Mais avec Miranda, c'était différent. Elle semblait lui convenir

parfaitement. Tous les signes étaient là.

— Les McDaniel n'ont jamais eu de chance avec la pêche,

expliqua Chase à la jeune femme.

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— Je n'ai jamais vu le moindre poisson dans ces eaux, ajouta

Leroy tout en cherchant chez son petit-fils des indices de son intérêt

pour celle-ci.

Mais Chase avait l'art de dissimuler ses émotions. Miranda, en

revanche, était plus facile à déchiffrer, et son expression était

révélatrice.

— Demain, reprit-il, nous dînerons sur la grande île. Harvey et

Laverne se joindront à nous.

— Je me réjouis de voir cet endroit, dit poliment Miranda.

— Le pavillon de chasse est plus vieux que le nôtre, expliqua

Chase. C'est le plus ancien du lac. Le site a été transformé en club de

vacances. On peut voir le hangar à bateau d'ici. Je te le montrerai

demain.

— Au début, intervint Leroy, nous avons eu peur que les

nouveaux propriétaires ne démolissent les vieux bâtiments et les

remplacent par des constructions en béton. Mais le travail de

restauration a été bien fait. Les endroits de ce genre sont en voie de

disparition. Ils méritent d'être préservés.

— C'est vrai, approuva Miranda en se levant. Bon, excusez-moi,

mais je suis fatiguée. Je vous souhaite une bonne nuit et vous dis à

demain, conclut-elle en s'éclipsant.

Il remarqua la façon dont Chase la suivit des yeux. Elle ne lui était

donc pas totalement indifférente...

— As-tu bien mangé ? demanda Chase.

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— Très bien. Laverne avait fait un pâté de viande. Elle m'a même

donné les restes pour demain...

Il adorait ce plat. Surtout le lendemain, froid entre deux tranches

de pain.

— Alors comme ça, reprit-il, tu as emmené Miranda au lac

Balsam?

— Elle n'était jamais montée sur un bateau avant. Elle était ravie.

— Elle n'est pas comme ces filles que tu fréquentes d'habitude.

— Je ne te les ai jamais imposées ! répliqua Chase.

Leroy réprima un sourire.

Chase était irritable. Il était davantage affecté par Miranda qu'il ne

le laissait paraître.

— Tes petites amies précédentes préféraient les yachts, observa-t-

il, l'air de rien. Moi, je trouve ce genre de bateaux trop voyants. Les

gens ne devraient pas exhiber ainsi leur richesse. C'est indécent.

— Je suis d'accord. Mais le sujet n'est pas nouveau. Essaierais-tu

par hasard de me caser avec Miranda?

Leroy toussota.

Il sentait qu'il s'engageait en terrain dangereux. Il n'était pas doué

pour jouer les entremetteurs. C'était toujours Heidi qui s'en était

chargée. Mieux valait changer de tactique.

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— Non, mais Miranda est une fille bien. Elle s'est fixé des

priorités et s'y tient. Savais-tu qu'elle finançait les études de sa sœur?

— Oui, elle me l'a dit.

— Son dévouement à sa famille est ce qui m'a le plus

impressionné. Elle fait passer tout le monde avant elle.

— C'est une véritable sainte, approuva Chase en levant les yeux

au ciel.

— Remarque, tu as fait bien pire, observa Leroy.

— Que veux-tu dire ?

Zut ! Il aurait mieux fait de se taire. Où était passée sa perspicacité

légendaire ? Il s'était comporté comme un idiot.

— Rien, laisse tomber. Les radotages d'un vieil homme.

Il prit la direction de sa chambre en traînant les pieds. A quatre-

vingts ans, ses jambes ne bougeaient plus aussi vite qu'avant.

— Je vais au lit. Il est tard. A demain, Chase.

Après un signe de la main par-dessus de son épaule, il sortit,

laissant Chase seul dans la grande pièce.

***

Chase regarda son grand-père s'éloigner en se demandant si l'âge

ne l'avait pas rendu sénile.

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Il n'aurait jamais imaginé que Leroy puisse lui suggérer de sortir

avec Miranda. Ce n'était plus l'homme qu'il connaissait.

Il éteignit les lumières et attendit que ses yeux s'habituent à

l'obscurité, puis il regagna sa chambre et se coucha.

Deux heures plus tard, Miranda hantait toujours ses pensées.

Il avait failli l'embrasser quand ils s'étaient arrêtés sur le lac

Balsam. Il sentait qu'elle en avait envie. Mais il quitterait la région

dans quelques jours, et elle n'était pas le genre de femme à accepter

une aventure d'un soir.

Il sortit du lit et se rendit à la fenêtre.

Un léger mouvement sur le quai attira son attention.

Incroyable ! Miranda était assise au même endroit que le week-

end précédent.

Il n'hésita pas un instant. Il enfila ce qui lui tomba sous la main et

se précipita dehors.

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- 7 -

— Sacrée pleine lune, dit Chase en arrivant derrière Miranda.

Contrairement à la première fois, elle ne sursauta pas.

Elle avait entendu ses pas. Elle avait envisagé de s'enfuir, mais

l'idée n'avait pas fait long feu. Au fond d'elle-même, elle attendait sa

venue. De toute son âme, de toute la force de son désir. Et voilà qu'il

était là, devant elle, telle une apparition miraculeuse.

Chase se laissa tomber sur les planches à côté d'elle, enleva ses

chaussures puis balança les pieds dans le vide.

— Normal que personne n'arrive à dormir, reprit-il. On est mieux

dehors. C'est beau, encore plus que tout à l'heure.

L'énorme lune qui brillait dans le ciel illuminait la forêt et faisait

scintiller la surface de l'eau.

— On pourrait prendre le bateau, suggéra-t-il.

Le pouls de Miranda s'accéléra à cette idée.

Elle n'avait pas prévu qu'il la rejoigne. En fait, elle n'avait pas

réfléchi du tout. Elle avait enfilé un short et un T-shirt et était

descendue sur une impulsion.

— On est bien, ici.

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— Allez, fais-moi plaisir, insista-t-il en sortant des clés de sa

poche. J'adore naviguer la nuit, et c'est rare que j'invite quelqu'un à

m'accompagner.

L'argument étant convaincant, elle hocha la tête.

Ils se dirigèrent vers le sud, en direction de la grande île qui se

trouvait au milieu du lac. Bientôt, les lumières du hangar à bateau dont

il avait parlé dans la soirée apparurent au loin.

— Le lac est plus grand qu'il n'y paraît. D'ici, on a l'impression

que l'île n'en est pas une, mais la partie qui est derrière est plus

étendue que celle-ci.

— J'ai la sensation d'être à des kilomètres de tout lieu habité,

commenta-t-elle en contemplant les alentours.

Elle aperçut dans le lointain les feux d'un bateau arrêté au milieu

de nulle part.

— Certainement des pêcheurs, expliqua Chase.

Il coupa le moteur, et leur embarcation se mit à dériver.

— Tu ne mets pas l'ancre ?

— Le lac a plus de quinze mètres de profondeur à cet endroit, et il

n'y a pas de courant comme dans une rivière. Voyons où le vent nous

portera. On est assez loin pour qu'il n'y ait pas de danger, et les autres

peuvent voir nos lumières.

Chase allongea les jambes plus confortablement.

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— J'adore être ici la nuit. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est une

véritable passion.

Le silence s'installa tandis qu'ils se laissaient emporter par la

magie des lieux. Les yeux fermés, elle se laissa bercer par le

balancement du bateau, écouta les bruits nocturnes, sentant ses

tensions s'apaiser.

Le clapotis des vagues sur la coque. L'appel d'un engoulevent dans

le lointain. Le hululement d'une chouette qui se propageait à la surface

de l'eau...

— Je vois ce que tu veux dire, murmura-t-elle.

— Je suis content que tu apprécies. Personne dans ma famille

n'aime autant l'eau que moi. S'il avait le choix, mon grand-père ne

mettrait jamais les pieds sur un bateau.

— Ah bon ? s'étonna-t-elle en se tournant vers lui, ses jambes se

mêlant aux siennes dans l'espace entre les sièges.

— Il aime pêcher depuis la rive, mais l'idée d'être sur l'eau le

terrorise. Il va faire un effort en prenant le bac pour aller sur l'île. Ce

qui prouve l'importance que tu as pour lui.

— Pourquoi a-t-il si peur?

— Il a eu un accident sur un voilier quand il avait une vingtaine

d'années. Personne n'a été blessé, mais il n'a plus jamais voulu

naviguer par la suite.

— Il a pourtant acheté tous ces bateaux.

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Chase lui prit la main et passa le pouce sur sa paume sensible.

— Il s'est arrangé pour ne pas nous communiquer sa peur. En

revanche, personne d'entre nous n'aime monter à bord d'un avion.

— C'est normal, après l'accident de tes parents.

— Mon père adorait piloter. Malheureusement, il a commis une

erreur digne d'un débutant. Elle lui a coûté sa vie ainsi que celle de ma

mère. Il n'aurait jamais dû sortir par un temps pareil, même s'il

maîtrisait la technique et...

— Chut, dit-elle en posant l'index sur les lèvres de Chase.

L'endroit est trop beau pour être triste.

— Tu as raison, murmura-t-il.

Ses lèvres étaient chaudes et douces. Elle sentit son souffle sur ses

doigts et voulut retirer sa main, mais il lui saisit le poignet.

— Ne bouge pas. C'est bon.

Elle frissonna tandis qu'une vague de désir la traversait.

Une barque à moteur passa à une dizaine de mètres d'eux. Le

canot tangua quand les vagues atteignirent sa coque. Chase en profita

pour lui embrasser les doigts. Puis, sans cesser de la fixer, il lécha ses

jointures du bout de la langue.

Hypnotisée par son regard, submergée par un désir de plus en plus

intense, elle était incapable de bouger.

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— J'ai envie de t'embrasser, dit-il.

C'était ce qu'elle voulait le plus au monde. Après tout, cela ne

ferait de mal à personne, non ?

Sauf peut-être à son avenir professionnel.

Mais les caresses envoûtantes de Chase sur ses doigts avaient mis

le feu à ses sens, et lorsqu'il s'empara de sa bouche, elle ne put que

s'abandonner.

Perdant toute notion du temps, elle se laissa emporter par le plaisir

de ce baiser. Quand Chase s'écarta soudain et remit le moteur en

marche, un grand froid l'envahit.

Elle ouvrit les yeux.

Le bateau était arrivé tout près de la rive d'une des petites îles

inhabitées qui parsemaient le lac. Chase tourna le volant juste à temps

pour éviter l'enlisement.

— Tu veux conduire ?

— N'est-ce pas dangereux ? objecta-t-elle, histoire de ne pas

accepter trop vite.

— Si tu ne donnes pas de grands coups de volant, ce n'est pas plus

difficile que conduire une voiture. Oriente-toi aux lumières qui sont

là-bas. C'est notre embarcadère.

Ils changèrent de place, et elle s'accrocha au volant comme à une

bouée de sauvetage.

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— Il ne va pas s'envoler, la taquina Chase.

Elle se força à desserrer les doigts tandis qu'il se penchait par-

dessus son épaule pour lui montrer le fonctionnement de la manette

des gaz.

— Tu pousses vers l'avant pour accélérer, et tu tires vers toi pour

ralentir.

La poignée de bois avait la taille d'une savonnette et s'adaptait

parfaitement à sa paume. Elle poussa le levier vers l'avant, et le bateau

prit de la vitesse.

Tandis que la proue fendait l'eau, elle ne put s'empêcher de crier :

— Je pilote!

— Eh oui, dit Chase en riant. Vire à gauche. Doucement.

Comme elle s'exécutait, le bateau obéit. Au bout de quelques

minutes, la jetée se profila devant eux.

— Mets-toi au point mort, ordonna Chase.

Il lui reprit ensuite le volant, accosta puis descendit du bateau pour

attacher les amarres.

Quand il eut fini, il tendit la main pour l'aider à descendre.

Mais, contrairement aux autres fois, il ne la lâcha pas tout de suite.

Il l'attira vers lui et la serra dans ses bras.

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— Tu t'es bien amusée ? demanda-t-il en écartant une mèche de

cheveux de son visage.

— Beaucoup, dit-elle, le corps tremblant du double plaisir d'avoir

conduit le bateau et de sentir son corps contre le sien. C'était

merveilleux. Merci, tu as été...

La bouche avide de Chase avala le reste de ses mots.

Qu'avait-elle à dire, après tout?

Alors, elle se colla contre lui, laissant le courant qui les reliait

parler de lui-même.

Elle avait enfin ce qu'elle voulait, sentait son désir se mêler au

sien.

Le baiser de Chase se fit plus doux, mais il ne rompit pas le

contact. Ses doigts lui effleuraient légèrement la joue. Il explorait

lentement sa bouche, faisant durer le plaisir, comme pour mémoriser

le goût de ses lèvres.

— Mmm, c'est bon, murmura-t-il en la serrant plus fort.

Miranda sentit sa tête se mettre à tourner, et elle s'accrocha à lui

pour ne pas tomber.

Elle sentit son corps musclé vibrer contre le sien, la toison de ses

jambes lui chatouiller les cuisses et surtout son sexe gonfler contre son

ventre, révélant l'effet qu'elle lui faisait.

Puis il s'écarta et passa le pouce sur sa bouche.

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— Je suis désolé, dit-il.

Elle tressaillit comme s'il lui avait versé un seau d'eau glacée sur

la tête.

Combien de fois n'avait-elle pas entendu ces mots ?

Tous les « je suis terriblement désolé » n'avaient pas ramené ses

parents à la vie. Et Manuel lui avait dit qu'il était désolé après s'être

servi d'elle. Cette phrase sonnait comme un « mais ». Les paroles qui

suivaient n'étaient ni agréables ni destinées à soulager. Ce n'était pour

les autres qu'une façon de se soulager d'un poids, de se débarrasser sur

elle d'une corvée.

Elle avait pris des risques inconsidérés en s'embarquant dans cette

histoire, elle devait s'attendre au pire.

— Tu me fais perdre mon sang-froid, continua Chase. J'ai envie

de toi, je ne m'en cache pas, mais je ne veux pas que tu te fasses une

idée fausse. Je n'avais pas l'intention de te séduire.

En le voyant ternir la magie de ces instants, elle fut envahie par un

mélange de honte et de colère.

Elle se haïssait de lui avoir cédé. Maintenant, il ne lui restait plus

qu'à tenter de sauver la face.

— J'ai bien vu que tu me désirais, répondit-elle en s'éloignant. Je

ne suis pas une vierge effarouchée. Ne t'inquiète pas, je ne cherche pas

non plus à te mettre le grappin dessus. Tout se passait bien jusqu'à ce

que tu fasses une montagne d'un simple baiser.

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— Je me suis laissé emporter par mon désir, et c'est pour cela que

je me suis interrompu, Miranda. Je ne veux pas que tu penses que je

profite de la situation. D'autant plus que j'ai bien l'intention de revenir

dans un an pour devenir P.-D.G.

Elle fronça les sourcils.

— Un an, c'est long. Tu pourrais changer d'avis.

— Sûrement pas. Mon grand-père m'a promis de me donner ce

poste à mon retour. C'est un homme de parole.

La brise nocturne lui parut soudain glacée, et elle serra les bras

autour d'elle.

— Très bien, dit Chase comme le silence s'éternisait. Qu'est-ce

qu'on fait, maintenant? Attends, laisse-moi deviner. On efface tout et

on recommence ? On fait semblant de rien ?

Peut-être croyait-il pouvoir dissiper la tension en faisant de

l'humour?

— Impossible. C'était une mauvaise idée, reconnut-elle.

— Tant mieux. Tu sais, ce baiser m'a fait plus d'effet que tu le

crois.

En apprenant cela, elle lui en voulut un peu moins.

— Ecoute, reprit Chase d'une voix rauque. Il se passe quelque

chose entre nous.

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Elle baissa les yeux, fuyant son regard.

— Je sais. Mais tu vas partir.

— Oui, et c'est sans doute préférable. Mais peut-être devrait-on

coucher ensemble pour exorciser le désir? D'ici un an, nous aurons

évolué, il nous sera possible de travailler ensemble normalement. Je

reviendrai, tu me rendras ma place, et tout ira bien.

Une nouvelle preuve s'il en fallait que les hommes pensaient

rarement avec leur cerveau !

— Ce n'est pas aussi simple.

— Pourquoi pas ? Je ne me suis pas arrêté parce que je ne voulais

pas faire l'amour avec toi, mais pour qu'on soit sur la même longueur

d'onde. Tu ne dois pas t'en repentir.

— Je suis d'accord, reconnut-elle. Par moments, je regrette d'avoir

accepté ce travail.

— Mais non, répondit-il en riant. Ton problème, c'est que tu as du

mal à te détendre. Pourquoi n'en profiterais-tu pas un peu ?

Rien ne lui aurait fait plus plaisir. Elle aurait aimé dire oui à tout

ce que cet homme-là pouvait lui offrir... Mais la voix de la raison

l'emporta.

— Allons dormir, dit-elle en étouffant un bâillement. On en

reparlera demain.

Une fois dans son lit, elle se mit à fixer le plafond.

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Chase McDaniel avait éveillé en elle des désirs qu'il aurait mieux

fait de laisser endormis.

Le fait qu'il se soit comporté en gentleman en s'interrompant ne lui

apportait qu'un maigre réconfort. A chaque nouveau baiser, à chaque

nouvelle caresse, son cas s'aggravait. Sa bouche ne lui suffisait plus,

elle en voulait davantage. Elle était sur le point d'oublier qu'on ne

pouvait pas tout avoir.

D'autant plus que la détermination de Chase à devenir P.-D.G. de

McDaniel Manufacturing réduisait à néant ses chances d'y parvenir.

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- 8 -

— Parfait, il me semble que tout est en ordre, déclara Leroy avec

un sourire, en repoussant la pile de dossiers qui était devant lui.

Chase consulta sa montre.

Son grand-père avait promis que la réunion se terminerait à midi,

et il avait tenu parole.

Le sourire de Leroy s'élargit.

— Voilà, la relève est assurée. Le conseil d'administration se

réunira lundi afin d'officialiser la nomination de Miranda.

Chase rangea ses papiers.

Le surlendemain, il viderait ses tiroirs, transférerait ses appels et

mettrait la clé sous la porte pour un an.

— Je suis content que vous ayez appris aussi vite, Miranda,

poursuivit Leroy. Je suis sûr que le conseil validera votre nomination

sans problème. De toute façon, je continue à diriger l'entreprise, et je

serai là pour vous aider.

— Merci, dit celle-ci en rangeant ses affaires dans son attaché-

case.

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— Bon, c'est l'heure de ma sieste, et je meurs d'envie de finir les

restes du pâté de viande d'hier. Il n'y a pas grand-chose à manger dans

la maison, et ce serait mieux que Chase vous emmène déjeuner à

Birchwood.

Chase rangea les papiers de son grand-père dans sa mallette.

Une grosse boule se forma dans sa gorge.

Lorsqu'il croyait encore qu'il serait nommé P.-D.G., il comptait

rendre visite à son grand-père tous les samedis afin de lui raconter sa

semaine de travail et lui demander des conseils. Mais il ne referait pas

ces gestes avant un an. Dans les mois à venir, Miranda s'en chargerait

à sa place.

L'heure était venue. L'année qui devait prétendument lui permettre

de se trouver commençait maintenant.

Il jeta un coup d'œil à Miranda.

Elle était d'une compétence sans faille, parfaitement adaptée au

poste qu'elle occuperait... Mais comme c'était difficile d'oublier à quel

point elle l'attirait !

— Il faut absolument que vous connaissiez Birchwood, Miranda,

insista son grand-père.

La jeune femme avait sûrement moyennement envie d'un tête-à-

tête avec lui, mais elle n'oserait pas refuser.

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Tant mieux, il allait profiter de son avantage. La veille au soir, elle

ne lui avait pas opposé un non catégorique. Il existait donc une

possibilité d'approfondir, et il était curieux de voir ce qu'il en sortirait.

— Quand tu voudras, dit-il. Disons dans cinq minutes ?

— D'accord, répondit Miranda en s'éloignant.

Chase suivit son grand-père dans la cuisine.

— Tu crois qu'un sandwich te suffira, Grandpa ? Je peux te

ramener quelque chose de Birchwood.

Leroy secoua la tête.

— Non merci. J'ai besoin de me reposer. J'ai mal dormi.

— Tu es sûr que ça va? s'enquit Chase, préoccupé.

Le vieil homme balaya sa question d'un revers de la main.

— Mais oui. Personne ne dort bien toutes les nuits, surtout à mon

âge. Toutes ces histoires me stressent, moi aussi.

— Je pars sans faire d'histoires, pourtant.

Le dos de Leroy se voûta légèrement. Ses yeux bleus avaient

perdu leur vivacité habituelle.

— Je sais, dit-il en ouvrant le réfrigérateur. Mais cela ne te

ressemble pas. Franchement, j'aurais préféré que tu ne te résignes pas

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si vite. Je m'attendais plutôt à ce que tu rues dans les brancards...

Enfin, on en reparlera ce soir. Occupe-toi de Miranda.

— Je n'y manquerai pas, promit Chase.

Il ne pouvait s'empêcher d'être inquiet. Ces derniers temps, son

grand-père se comportait de manière étrange.

Il s'efforça de chasser ces pensées de son esprit en entendant

résonner dans l'escalier les pas de Miranda.

Il retrouva celle-ci au bas des marches.

— Tu es prête ?

— Autant qu'on peut l'être.

***

Le village de Birchwood était minuscule, et les sandwichs servis

dans le petit restaurant délicieux.

Miranda avait faim, elle apprécia son repas en dépit de la tension

qui régnait entre Chase et elle.

La discussion de la veille planait dans l'air, et l'ambiance était

lourde de sous-entendus.

— As-tu toujours envie d'une balade en bateau, ou bien m'as-tu

assez vu pour aujourd'hui ? demanda Chase au moment de rentrer.

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C'était ça ou lire. Malheureusement, le thriller qu'elle avait apporté

était ennuyeux à mourir.

— Je veux bien faire un tour. Ça ne t'ennuie pas ?

— Non, pas du tout. Sinon, je ne te l'aurais pas proposé. Tu veux

prendre le volant ?

Elle accepta avec un sourire, et l'atmosphère se détendit aussitôt.

L'après-midi se déroula à merveille. Chase consacra son énergie à

lui enseigner des rudiments de navigation et n'essaya pas de

l'embrasser. Ils firent le tour de Lone Pine Lake et empruntèrent au

retour le bras du lac qui passait derrière la grande île.

A cet endroit, la végétation était si dense qu'on se serait cru en

pleine forêt vierge.

Elle fut surprise quand ils arrivèrent à la pointe du lac : le passage

vers Red Cedar Lake, le troisième lac de la chaîne, était beaucoup plus

étroit que l'autre.

Craignant de conduire dans un endroit aussi délicat, elle laissa la

barre à Chase.

Celui-ci navigua adroitement sous les branches pour déboucher

sur un petit lac rectangulaire d'environ trois cents mètres de long.

— L'eau est lisse comme un miroir, admira-t-elle.

Chase acquiesça.

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— Oui, c'est grâce à l'écran de végétation qui bloque le vent. Red

Cedar Lake est un endroit préservé, peu de bateaux se risquent

jusqu'ici. Mais il est parfait pour le ski nautique.

Quand ils eurent rejoint Lone Pine, il accéléra à fond.

Elle trouva la vitesse euphorisante — euphorie tempérée à l'idée

que cette soirée était la dernière qu'ils passaient ensemble.

Devait-elle dire oui à ce qui avait de grandes chances d'être la plus

belle nuit de sa vie, ou refuser et maintenir le statu quo ?

Dans un cas comme dans l'autre, deux éléments demeuraient

inchangés : Chase s'absenterait pendant un an, puis il reviendrait et

l'empêcherait de réaliser son rêve.

Comment sortir de ce dilemme ?

A l'idée que cet homme qui la troublait plus qu'aucun autre partait

pour de bon, la tristesse l'envahit. Trop émue pour l'affronter, elle

préféra s'enfuir.

Elle sauta à terre sans attendre son aide, saisit la corde que lui

envoya Chase et amarra la proue au poteau d'amarrage.

— Merci pour la promenade.

— De rien, répondit-il en installant les bouées.

— On se voit au dîner. Je vais prendre une douche et consulter

mes mails, lança-t-elle en s'éloignant.

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***

Chase se força à ne pas tourner la tête pour regarder ses jolies

fesses.

C'était trop dur de la voir s'éloigner de lui.

Bon sang, ils étaient deux adultes ! La veille, au lieu de jouer les

gentlemen, il aurait mieux fait d'aller jusqu'au bout. Le jeu n'avait pas

semblé déplaire à la jeune femme, et au moins aurait-il exorcisé son

désir pour elle. De toute façon, ils avaient un an devant eux pour

s'oublier.

Mais il voulait que ce soit elle qui prenne l'initiative. Hors de

question la forcer.

Il sauta sur le quai.

Il était dans un endroit paradisiaque, mais ne s'était jamais senti

aussi frustré.

Disposant d'une heure de temps devant lui, il décida de se défouler

sur le tapis de jogging du hangar à bateau. Il laissait toujours ici une

paire de tennis de rechange. Une bonne suée ne lui ferait pas de mal.

***

Leroy s'était réveillé de sa sieste juste avant le retour des deux

jeunes gens. Depuis la terrasse de sa chambre, il vit Chase ressortir

enfin du hangar à bateau.

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A la tension de ses épaules, il n'eut aucun mal à deviner que son

petit-fils était allé se défouler sur le tapis de course.

Quand il se sentait mal, Chase poussait son corps au bord de

l'épuisement.

A la mort de leurs parents, les autres avaient laissé libre cours à

leur tristesse. Ils s'était endormis en pleurant pendant plus de trois

mois. Lui s'était absorbé dans le travail et le soutien de son frère et ses

sœurs. Il avait voulu savoir ce qu'il y avait à faire, et il l'avait fait.

Leroy aurait préféré le voir hurler, cogner dans les murs ou fondre

en larmes. Mais Chase n'avait jamais craqué, du moins en apparence.

Il avait construit des remparts autour de ses émotions.

Cependant, Miranda semblait avoir fissuré sa cuirasse.

Visiblement, elle lui plaisait. Alors, pourquoi restait-il sur la réserve ?

Leroy frotta en pure perte ses tempes douloureuses. Il se sentait

aussi stressé que son petit-fils.

Jurant à voix basse, il rentra dans sa chambre.

Il voulait par-dessus tout que son petit-fils se réveille. Qu'il

éprouve de vrais sentiments, au lieu des passions éphémères

auxquelles il était habitué. On aurait dit qu'il recherchait les femmes

superficielles dans le seul but de ne pas s'impliquer ! C'était cette

constatation qui avait poussé Leroy à l'envoyer en vacances. Il voulait

que Chase découvre que certaines choses manquaient dans sa vie.

Arraché à ce travail qui l'absorbait, il serait forcé de se regarder en

face.

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— Bon sang ! dit-il en frappant du poing sur la commode.

Si sa femme avait été là pour le voir, elle l'aurait grondé.

Penser à elle le fit sourire. Un sourire teinté de tristesse, mais il

savait qu'il la reverrait un jour. Simplement, ce n'était pas le moment.

Il fallait d'abord qu'il s'occupe de Chase.

Il entendit une porte claquer à l'autre bout de la maison.

Son petit-fils était rentré.

Il se laissa tomber lourdement dans son fauteuil.

Si seulement il avait pu prévoir que Miranda plairait à son petit-

fils, il l'aurait embauchée depuis longtemps et n'aurait pas eu besoin

d'envoyer Chase en vacances forcées !

La seule solution, ce serait que Chase refuse de partir...

Malheureusement, il faisait passer le devoir et la loyauté avant tout.

Pour lui, désobéir était inconcevable.

Enfin, une année, ce n'était qu'un grain de sable dans le sablier du

temps, se dit Leroy pour se consoler.

Mais la pensée d'avoir commis une erreur de jugement continua de

le tourmenter.

***

Marstall's Lodge Resort, le complexe touristique où avait lieu le

dîner, était construit sur l'île située au centre du lac. Autrefois

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résidence d'été d'un riche marchand de bois, la maison avait été

transformée en restaurant.

— Ce pavillon de chasse est plus vieux que moi, dit Leroy alors

qu'ils gravissaient la rampe menant en haut de la butte. Il a été

entièrement rénové.

— Oui, et avec beaucoup de goût, commenta son frère Harvey

tout en aidant sa femme à grimper la côte. C'est moi qui les ai aidés à

s'inscrire au registre national des sites historiques. J'étais leur avocat.

— Vous avez vécu dans le coin ? demanda Miranda. Je croyais

que vous habitiez en Floride.

— J'ai passé quelque temps à Bloomington, non loin d'ici. C'est là

que j'ai rencontré Laverne, un an après que Leroy a acheté sa

propriété.

— Mon père était chargé des travaux de rénovation chez Leroy,

expliqua Laverne. La maison était dans un état lamentable, à l'époque.

— Il a fait du beau travail, précisa l'intéressé.

L'allée en brique les mena à l'entrée principale de Marstall's

Lodge. Après avoir grimpé quelques marches, ils se retrouvèrent sur la

terrasse.

Elle regarda autour d'elle et regretta d'avoir mis une robe. La

plupart des gens qui prenaient l'apéritif aux derniers rayons du soleil

étaient en tenue décontractée.

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Quand la cloche que l'on voyait de l'extérieur dans sa tour de bois

se mit à sonner, tout le monde se précipita dans la salle.

Comme la maison de Leroy, la structure du bâtiment était

entièrement de bois. Les poutres avaient été laissées apparentes, y

compris celles qui soutenaient la charpente. L'éclairage ne venait pas

de lustres en cristal, mais de suspensions de bois patiné. Des têtes de

cerf empaillées étaient alignées sur les murs, et le mobilier était

rustique. La massive cheminée en pierre rappela à Miranda celle des

McDaniel, mais en plus grand.

La table qui leur était réservée était ronde et assez grande pour que

cinq personnes y soient à l'aise. Mais Miranda était assise à côté de

Chase, et sa jambe ne cessait de frôler la sienne. Quand elle lui passa

le beurre et que leurs doigts se touchèrent, une décharge lui parcourut

le corps.

— Eh bien, Miranda, parlez-moi de vous, dit Laverne.

Docile, elle raconta la version corrigée et résumée de l'histoire de

sa vie, mise au point des années auparavant pour ce genre d'occasions.

— Vous avez donc réalisé votre rêve en obtenant ce poste. C'est

merveilleux, conclut Laverne.

— Je trouve aussi, renchérit Harvey. Alors, Chase, j'ai entendu

dire que tu prenais des vacances. Où vas-tu ?

— Vers l'ouest, je pense. Soit le Colorado, soit le Montana, soit le

Wyoming. Je n'ai pas encore décidé.

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— Très bon choix, approuva Harvey. Ces trois Etats sont réputés

pour la pêche à la mouche.

— Il n'attrapera rien, plaisanta Leroy.

— Qui sait ? La malédiction ne vaut peut-être que pour les lacs du

Minnesota? répliqua Chase avec humour.

— Mais non, c'est pareil partout, maugréa Leroy. Du moins en ce

qui me concerne.

Tout le monde éclata de rire.

Miranda aimait les relations simples et chaleureuses qui unissaient

la famille. Chase était amer, elle le savait, mais il ne le montrait pas.

Cette attitude lui donnait l'avantage sur elle. La cohabitation avec sa

tante avait toujours été tendue, et elle ne pensait pas être aussi douée

que lui pour les rapports humains.

— Je n'ai plus faim, protesta-t-elle quand le plateau des desserts

arriva sur la table.

— Vous pourriez faire une petite promenade digestive, suggéra

Laverne. Tu devrais lui montrer le belvédère, Chase.

Vu l'effet du contact de la jambe de Chase sur la sienne, il aurait

mieux valu qu'elle rentre se plonger dans un bain glacé !

— Chase a déjà joué les guides touristiques aujourd'hui, intervint-

elle. Il en a sûrement assez.

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— L'endroit est magnifique, insista Laverne. Il ne faut manquer ça

à aucun prix.

C'était à se demander si tous les membres de cette famille ne

conspiraient pas pour qu'elle aille se promener seule avec Chase !

— Chase se fera un plaisir, affirma catégoriquement Leroy.

Ce n'était pas ce que révélait la réaction de ce dernier. Elle l'avait

senti se raidir à la suggestion. Elle ne savait pas ce qu'il en pensait,

mais un belvédère en pleine nature ne semblait pas l'endroit idéal pour

deux personnes qui tentaient de garder leurs distances.

Mais, apparemment, Chase avait conclu qu'il était inutile de

discuter avec ses aînés.

— Allez, viens. On saute le dessert, dit-il en se levant.

— N'oubliez pas de jeter un coup d'œil au jardin de roses,

conseilla Laverne. C'est sur le chemin.

— Je suis désolée qu'on t'oblige sans cesse à te promener avec

moi, dit-elle tandis qu'ils quittaient la salle. Je ne comprends pas

pourquoi ton grand-père insiste autant.

— Probablement parce qu'il sait que tu me plais.

Elle s'arrêta net.

— Pardon?

Il lui prit le bras et la poussa doucement en avant.

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Ils s'engagèrent sur une allée pavée qui sinuait au milieu de

magnifiques parterres de fleurs, mais elle était tellement furieuse

qu'elle regardait fixement les pierres du chemin.

Ils atteignirent un pont en fer forgé d'environ trois mètres de long

qui enjambait un bras du lac.

— De fait, l'île est constituée de deux parties, expliqua Chase. Le

passage était plus large dans le temps, mais il s'est rétréci au fil des

ans. Maintenant, on ne peut passer qu'en canoë.

— Je me fiche des canoës. Que veux-tu dire? Tu lui as avoué que

je te plaisais ?

Il haussa les épaules.

— Il m'a posé la question, j'ai répondu. Je lui ai raconté notre

première rencontre. C'est la vérité, après tout.

— Bonté divine ! s'écria-t-elle en le suivant sur le pont, s'efforçant

de saisir les implications de ce fait. Ne me dis pas qu'il essaie de nous

pousser dans les bras l'un de l'autre ?

— Ce n'est pas impossible. Avec Leroy, on ne sait jamais.

— Est-ce pour cela que tu n'arrêtes pas de m’embrasser ?

Chase se retourna avec un sourire ironique.

— Crois-moi, mon grand-père n'a aucune influence sur ce que j'ai

envie de te faire. D'ailleurs, tu sembles apprécier.

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Elle se tut.

Là était le problème. En plus, elle était morte de honte à l'idée que

Leroy était au courant de leur idylle. Elle craignait qu'il la juge bien

peu professionnelle.

Les pierres devinrent des graviers, et la pente se fit plus raide. Ils

gravirent la colline jusqu'au point le plus haut et arrivèrent devant une

bâtisse en pierre assez délabrée.

Il n'y avait plus de porte ni de fenêtres, mais l'intérieur comportait

encore une cheminée et une table de pique-nique. Ils étaient à plus de

vingt mètres au-dessus du lac, mais la végétation qui entourait le

promontoire oblitérait en grande partie la vue.

— Voilà ce fameux belvédère, annonça Chase. Il n'y a pas grand-

chose à voir, j'en ai peur. La vue est plus belle d'en bas. On y va ?

Captivée, elle ne l'écoutait pas.

Ne voyait-il pas à quel point cet endroit était magique ? Elle

s'imaginait y passant de longs après-midi d'été en compagnie d'un

livre et d'un panier de pique-nique. Elle pénétra à l'intérieur et passa la

main sur les murs en pierre, éprouvant une étrange affinité avec la

vieille bâtisse.

-— On se laisserait facilement emporter par son imagination dans

un endroit pareil, dit-elle.

— Ouais, répondit Chase depuis le seuil, l'air de s'ennuyer.

Elle se tourna vers lui.

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— Ne me dis pas que tu n'as jamais joué aux personnages quand

tu étais gosse ?

— Si, quand j'avais six ans.

Elle mit les mains sur ses hanches.

— Et tu oses m'accuser de ne pas savoir me détendre ! Je me vois

très bien me réfugier ici avec un bon livre. Le décor est parfait pour

jouer à des jeux. Moi, si j'avais six ans, je rêverais de princesses et de

princes charmants.

— Mais tu n'as plus six ans, fit-il remarquer.

— Et alors ? Ce n'est pas pour cela que je n'ai pas le droit de rêver.

Toutes les filles ont voulu être princesses à un moment ou à un autre,

même si elles prétendent le contraire.

Il fit un pas en arrière.

— Les garçons ne rêvent pas d'être princes.

— Dans la peau de quel personnage te verrais-tu, alors ?

Chase médita quelques secondes avant de répondre.

— D'un pirate, ou peut-être d'un cow-boy. En tout cas, d'un gros

dur, bagarreur et chahuteur.

— Ce belvédère serait le repaire où tu cacherais ton butin. Ou bien

ton poste de guet. Je parie que tu peux voir tout le lac d'ici, quand il

n'y a pas de feuilles sur les arbres.

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— En hiver, la surface du lac est gelée. Les gens apportent leur

hutte et font des trous dans la glace pour pêcher. Rien de très glamour.

Elle préféra ne pas relever l'ironie.

— Encore mieux ! Ils seraient ton armée qui campe sur le lac en

attendant la prochaine expédition. J'inventais toujours des histoires

que je racontais à ma petite sœur avant qu'elle aille au lit. Elle adore

les vieilleries, je suis sûre qu'elle comprendrait pourquoi j'aime cet

endroit.

Chase fourra les mains dans ses poches.

— Tu devrais lui dire de venir te rendre visite. Je suis sûr que

Leroy te laisserait inviter quelqu'un.

— Je lui dirai, si elle n'est pas trop occupée. Son emploi du temps

est aussi chargé que le mien. Elle est encore plus décidée que moi à

réussir dans la vie.

Il se balança d'un pied sur l'autre.

— Je vois. A ton avis, que ferait un pirate si cet endroit était son

repaire ?

— Il compterait ses butins, par exemple, répondit-elle en se

tournant vers la table de pique-nique.

Un graffiti gravé y attira son attention, si petit qu'elle le déchiffra

avec peine : « L + H. Pour toujours ».

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— Est-ce que tu m'imagines en pirate ? demanda Chase en

s'approchant derrière elle.

Son corps réagit instantanément au sous-entendu contenu dans ses

mots.

Elle se retourna.

Il était plus sexy que Johnny Depp dans Pirates des Caraïbes. Et,

contrairement aux personnages de fiction, il était bien réel, vivant et

viril. Elle mourait d'envie de déboutonner sa chemise, de lui caresser

le torse.

— Est-ce que tu pillerais tout sur ton passage ?

— Bien sûr, répondit-il d'une voix basse et rauque, le regard rivé

sur ses lèvres. En particulier certaines choses...

Un frisson d'excitation la parcourut.

Il suffisait d'une allusion de sa part pour qu'elle le désire.

Et ils étaient complètement seuls, sans personne pour les voir.

Cette constatation lui coupa le souffle.

— Lesquelles ? demanda-t-elle, lui tendant la perche.

— Celles-ci, dit-il en prenant ses lèvres.

Hypnotisée, elle se laissa faire. Elle aurait dû résister, mais elle

s'en sentait incapable.

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Chase l'attira vers lui, la souleva du sol et l'assit sur la table. Puis

il écarta ses jambes et s'installa au milieu. Enfin, la maintenant contre

lui d'un bras passé autour de sa taille, il plongea la langue dans sa

bouche.

Elle enfouit les doigts dans ses cheveux tandis qu'il s'emparait de

ses seins, passant le pouce sur ses mamelons tendus de désir, et elle

maudit intérieurement les vêtements qu'elle portait.

Il l'embrassa longuement, tandis que le jour baissait et que les

ténèbres envahissaient peu à peu le belvédère.

— Je te veux. Tu le sens ? chuchota-t-il en se collant à elle.

Ce qui n'eut aucun mal à la convaincre.

— Oh, murmura-t-elle.

Il suffisait qu'elle dise oui.

Elle n'avait encore jamais fait l'amour ailleurs que dans un lit,

mais elle se sentait grisée, sexy, prête.

Chase souleva sa robe et glissa les doigts sous la dentelle de son

string. Il continua à l'embrasser pendant que sa caresse experte

l'amenait à la libération que son corps attendait. Le bras toujours

autour de sa taille, il la tint serrée contre lui tandis qu'elle se cambrait,

gémissait et finalement explosait.

Puis il remit ses vêtements en place, l'embrassa doucement et la

serra contre lui en attendant que son souffle s'apaise.

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— C'était bien?

Les mots lui manquaient. Elle se contenta de hocher la tête.

***

Les dernières traînées dorées étaient en train de disparaître à

l'horizon quand Chase et Miranda revinrent de leur promenade.

Confortablement installé dans le jardin du restaurant, Leroy

sirotait son décaféiné en compagnie de Laverne et Harvey. Des

torches à la citronnelle plantées dans l'herbe éloignaient les

moustiques, éclairant les alentours d'une lumière douce et mouvante.

— Vous revenez juste à temps, dit-il en les voyant s'approcher. Le

bac va arriver.

— Comment s'est passée la promenade ? s'enquit Laverne.

Miranda se laissa tomber dans un fauteuil.

— Très bien, répondit-elle.

— Est-ce que la table de pique-nique existe toujours ? Harvey y a

gravé nos initiales, il y a longtemps.

Les joues de Miranda se colorèrent.

— Elle est toujours là.

Leroy sentit la joie l'envahir.

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Il s'était passé quelque chose entre eux, il en était sûr ! Si Heidi

avait été là, elle aurait su quoi faire. Si seulement il possédait sa

sagesse en matière de cœur...

La cloche sonna, signalant l'arrivée du bac.

— L'heure est venue, dit-il en se levant.

***

Quand le groupe rejoignit la maison, Miranda était toujours aussi

anxieuse, même si personne ne pouvait savoir ce qui s'était passé entre

Chase et elle.

Elle étudia son visage, le regarda embrasser sa grand-tante et

serrer la main de son grand-oncle, puis elle jeta un coup d'œil à la

pleine lune par les fenêtres de la grande salle.

Dans un an, il reviendrait peut-être avec une femme à son bras.

Une nuit. C'était tout ce qu'ils avaient.

Serait-elle diminuée en tant que femme ou en tant que

professionnelle si elle cédait à ce désir contre lequel elle luttait depuis

leur première rencontre ?

Elle en voulait plus. Elle serait peut-être damnée si elle faisait

l'amour avec Chase, mais la réponse était oui. Elle prendrait le risque.

L'idée qui lui vint à l'esprit l'effraya, mais dès que Leroy eut quitté

la pièce, elle se lança.

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— J'ai envie de faire un tour en bateau. Que dirais-tu de nous

retrouver en bas dans dix minutes ?

Chase la considéra un instant.

— D'accord, dit-il finalement.

Elle courut dans sa chambre, se changea et saisit une couverture

dans l'armoire. Elle descendit ensuite dans la cuisine, prit une bouteille

de merlot qu'elle enveloppa dans la couverture et fourra le tout dans

un sac avec un tire-bouchon et deux verres. Puis elle se dirigea vers

l'embarcadère.

Elle ne s'était jamais déplacée à une telle vitesse ! Cette fois, ce

serait elle qui serait en avance.

Elle posa le sac à l'arrière du canot puis alla chercher les clés dans

le coffre-fort du hangar à bateaux — Chase lui avait donné le code. En

entendant les moustiques bourdonner, elle prit aussi une bouteille de

lotion protectrice.

Elle ne les laisserait pas gâcher leur rendez-vous !

Une fois sur le bateau, elle s'enduisit le corps du produit, qui

sentait plutôt bon d'ailleurs.

— Bonne idée, dit Chase en arrivant.

Il suivit son exemple puis s'installa sur la banquette.

— A toi de jouer, maintenant. Sors-nous d'ici.

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— Moi ? s'écria-t-elle avec surprise.

— Oui. Défais les amarres et mets le moteur en marche.

Elle l'avait vu opérer et avait bonne mémoire. Hyperconsciente de

son regard, elle s'éloigna du bord et amena le bateau au milieu du lac.

— Détends-toi. Tu te débrouilles très bien.

Elle poussa un soupir de soulagement.

— Merci.

Elle mit le cap en direction de la petite île la plus proche,

surnommée Malossol à cause de sa forme de cornichon.

— Attention aux bancs de sable, l'avertit Chase tandis qu'elle se

rapprochait du rivage.

— On pourrait jeter l'ancre et monter sur l'île. J'ai vu les restes

d'un feu de camp quand on est passés devant, cet après-midi.

— A cette époque, il ne doit pas y avoir beaucoup de bois.

— Ce n'est pas grave. J'ai apporté une couverture.

Dans la lumière de la lune, elle vit Chase la regarder d'un air

étonné.

— Toi et moi sur une couverture ? Ce n'est guère prudent.

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— J'ai réfléchi, dit-elle. Beaucoup de choses peuvent se passer

durant un an. Tu pourrais te marier ou ne pas revenir.

— C'est peu probable dans les deux cas. Je t'ai dit que je

reviendrai prendre la relève. Maintenant, laisse-moi m'occuper du

bateau.

Elle se poussa sur le côté pendant qu'il jetait l'ancre.

— Il y a environ trente centimètres de profondeur. Il faudra

marcher un peu dans l'eau.

— Pas de problème, assura-t-elle.

Ils n'étaient qu'à quelques pas de la plage, et elle avait enfilé un

short et des tongs en prévision.

Chase enleva ses chaussures et les laissa au fond du bateau. Puis il

s'empara du sac avec les affaires.

— Allons-y.

Il enjamba le bord, sauta dans l'eau puis se mit à avancer vers la

rive.

— Fais attention, les cailloux sont glissants.

— Ça ira, cria-t-elle en se laissant tomber à son tour, sentant le

fond vaseux s'introduire entre ses orteils.

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Elle le rejoignit et grimpa la côte qui menait à une petite clairière,

le sable collant à ses pieds mouillés. Chase étendit la couverture par

terre.

— Si madame veut bien se donner la peine.

Il ouvrit la bouteille de vin, remplit les verres et lui en tendit un.

— Dites-moi, Miranda Craig, m'avez-vous amené ici dans

l'intention de me séduire ?

— Parfaitement, répondit-elle en buvant une gorgée de merlot.

— Moi qui croyais que tu étais une femme prudente.

— C'est vrai, mais pas aujourd'hui, répondit-elle. Tu as seulement

envie de moi, n'est-ce pas ? Tu n'essaies pas de m'empêcher de

prendre ton poste ?

— Non. Mais je m'y attèlerai dès mon retour.

— Dans un an.

Beaucoup d'eau aurait coulé sous les ponts d'ici là.

Elle s'accrocha à cette idée afin de ne pas laisser les sentiments

entrer enjeu. Ce soir, la passion prévalait.

— Pour une fois, j'ai envie de me lâcher, conclut-elle.

Chase enfonça son verre dans le sable.

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— Que veux-tu de moi ? demanda-t-il en reportant les yeux sur

elle.

Le moment de vérité était venu. Une fois les mots prononcés, elle

ne pourrait plus les reprendre.

— Je veux que tu me fasses l'amour.

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- 9 -

Sous le choc, Chase s'efforça de rassembler ses pensées.

Lui qui s'attendait que Miranda se rétracte après ce qui s'était

passé plus tôt au belvédère !

Elle ressemblait à une déesse sous la lumière de la lune. Ses

cheveux noirs chatoyaient, et sa peau luisait comme de la porcelaine.

C'était sans l'ombre d'un doute la plus belle créature qu'il avait jamais

vue, et elle avait décidé de le séduire !

Il ferait tout pour la satisfaire.

— Les circonstances font que ce sera une aventure d'un soir, dit-

elle. Mais j'ai besoin de savoir ce que c'est d'être avec toi avant que tu

ne partes.

Il lui caressa doucement la joue.

— Qui t'a blessée ? demanda-t-il.

Elle cacha son visage dans sa main.

— Suffisamment de gens. Tous voulaient quelque chose de moi.

Pas toi.

— Comment peux-tu en être sûre ?

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— Je le sais. Tu ne veux que le plaisir que nous pouvons nous

donner. J'ai adoré chacun de tes baisers. Je sais qu'il n'y aura pas de

seconde fois, mais j'aurais préféré qu'il en soit autrement.

Ces paroles lui allèrent droit au cœur. Miranda s'était ouverte à lui,

sa sincérité le touchait.

Il passa le pouce sur ses lèvres.

Lui aussi avait besoin de savoir ce que c'était d'être avec elle. Elle

lui avait plu dès le début, quand elle lui avait répondu d'un ton brusque

à cause de son pneu crevé. Il n'était pas certain que son cœur y

survivrait, mais ce soir, il lui donnerait le meilleur de lui-même.

Il avait passé sa vie à se sacrifier pour la bonne cause, celle-ci en

valait bien une autre !

Il lui prit son verre des mains et le posa dans le sable.

L'heure n'était pas aux regrets.

— Fais-moi l'amour, murmura Miranda. Donne-moi ce qui me

manque. Montre-moi ce que c'est qu'être vivante.

De nouveau, sa franchise le toucha, balayant le reste de ses

hésitations. Il aurait pu chercher des mots pour la rassurer, mais ce

n'était pas de paroles qu'elle avait besoin. Il se promit de lui parler

plus tard. L'éloignement ne les empêcherait pas de se téléphoner. Ce

n'était pas une fin, seulement un début.

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Il chercha sa bouche, sentant sur ses lèvres le goût du vin, mêlé à

une douceur qui n'appartenait qu'à elle. Il intensifia son baiser, ses

sens échauffés par la femme qu'il tenait dans ses bras.

Miranda.

Son prénom résonnait dans sa tête tandis qu'il parcourait son cou

de baisers, s'efforçant de graver dans sa mémoire chaque détail de son

corps.

— Je n'ai jamais fait ça avant, dit-il dans le creux de sa gorge.

— Quoi?

— Faire l'amour à une femme en plein air, au bord de ce lac. Je

n'ai jamais emmené personne ici.

— Alors, fais de moi la première.

Il l'allongea sur la couverture et se coucha sur elle.

— Bien, madame.

***

Miranda sentait son corps traversé de sensations brûlantes, alors

que Chase n'avait encore fait que l'embrasser. Personne ne l'avait

touchée avec autant de délicatesse.

Il lui enleva son débardeur, se pencha en avant et prit tour à tour

les pointes de ses seins dans sa bouche.

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Elle se cambra.

— Sais-tu à quel point tu es ravissante ?

— Non, murmura-t-elle.

— Tu es belle à couper le souffle.

Il acheva de la déshabiller. Quand elle fut nue devant lui, il déposa

une myriade de baisers sur son ventre et ses cuisses ouvertes. Puis sa

langue s'empara de son sexe.

Elle s'abandonna au plaisir qu'il lui donnait.

Elle ne s'était pas trompée, Chase faisait l'amour comme un dieu.

Même s'il n'existait entre eux qu'une simple attirance physique, le

courant qui les reliait était d'une puissance stupéfiante. Elle avait pris

la bonne décision.

— Cesse de penser, détends-toi, dit-il avant de reprendre son

manège, ajoutant ses doigts à sa langue.

Enfonçant les talons dans le sol, elle se colla à lui, se laissant

emporter par un plaisir intense qui la propulsa rapidement vers la

jouissance.

— Voilà qui est mieux, chuchota Chase en s'agenouillant au-

dessus d'elle.

Haletante, elle le regarda déboutonner sa chemise, l'enlever et la

lancer au loin.

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Ses gestes étaient lents, son regard rivé au sien.

Enfin, elle eut devant elle ce torse musclé qu'elle avait tant rêvé de

caresser.

Un puissant désir l'envahit de nouveau. La brise nocturne qui

balaya sa peau brûlante n'eut aucun effet sur le feu qui la dévorait. Elle

frissonna, impatiente de sentir ses bras autour d'elle, son corps contre

le sien.

D'un geste sûr et délibérément lent, Chase défit sa ceinture et la

fermeture de son short. Le boxer qu'il portait dessous ne parvenait pas

à dissimuler son désir.

— Tu vois ce que tu me fais ?

— Montre-moi.

Chase sourit de son audace. Et, soudain, il fut nu devant elle.

La tête lui tourna en découvrant à quel point il était beau.

Elle posa un doigt sur sa cuisse et remonta, s'emparant d'une main

tremblante de son sexe dressé.

— Tu aimes ? demanda-t-elle.

— Oui, c'est bon.

Elle se releva et osa prendre dans sa bouche la partie la plus

intime de lui.

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Cette nuit serait la seule, alors elle voulait tout. Ces instants

devaient rester gravés à jamais dans sa chair et dans son esprit. Elle

voulait pouvoir s'en souvenir le reste de ses jours. Car, par la suite,

aucun homme ne serait capable d'égaler Chase, elle le savait.

Avant même de la pénétrer, il lui avait offert l'orgasme le plus

fabuleux de sa vie. C'était maintenant à son tour de lui donner du

plaisir et de le rendre fou. Et elle avait l'intention de surpasser toutes

les femmes qu'il avait connues avant elle.

— A moi, maintenant, dit-il quand elle reprit son souffle.

Il s'allongea à côté d'elle tandis que sa bouche et ses mains

exploraient chaque parcelle de son corps, l'amenant de nouveau

rapidement au bord de la jouissance.

— Viens, supplia-t-elle.

Il obéit et la pénétra doucement.

Elle ferma les yeux, savourant cet instant magique.

Nue sous le clair de lune, Chase profondément enfoncé en elle,

elle oublia tout le reste. C'était si bon qu'elle explosa avant même qu'il

n'ait commencé à bouger en elle.

— Et d'un, dit-il d'un ton taquin. Prête pour le deuxième ?

— Il y en a encore ? dit-elle en soupirant.

— Bien sûr. Trop pour que tu puisses les compter.

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— Vraiment?

Il l'embrassa.

— Oh oui.

Son « prouve-le » mourut sur ses lèvres lorsqu'il se mit à bouger.

Elle laissa échapper un long gémissement, sentant une myriade

d'étoiles exploser dans son ventre. Il puisa en elle, et elle le serra dans

ses bras tandis qu'ils se laissaient emporter par les déferlantes de

plaisir.

Puis Chase se glissa hors d'elle et se souleva sur un coude pour

écarter les mèches de son visage.

— Ça va? demanda-t-il en l'étudiant.

— Oh oui ! répondit-elle, touchée par sa sollicitude. Je me sens

merveilleusement bien. C'était fantastique. Merci.

Il retraça du doigt ses sourcils, son nez, sa bouche. Ils restèrent

allongés côte à côte un long moment, jusqu'à ce qu'elle se rende

compte à quel point ils étaient exposés.

— Une chance que ton lac soit peu fréquenté, dit-elle.

— J'ouvre l'œil, répondit-il en souriant. Il n'y a personne.

— Ils sont tous au lit.

— Ce n'est pas une mauvaise idée. Mais que dirais-tu d'un bain

pour se rafraîchir avant de partir ?

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— Hein ? Mais je n'ai pas de maillot.

— Et alors ? L'eau est bonne, et je ne pense pas que ta nudité

choque les poissons.

Il se leva, descendit la pente et plongea dans le lac.

— Viens par ici. Il y a assez de profondeur pour que tu puisses

entrer facilement, cria-t-il. Allez, décide-toi !

Elle scruta la nuit.

L'île était trop éloignée pour qu'on les voie du bord, et il n'y avait

personne en vue.

Elle rassembla son courage et courut dans le lac jusqu'à ce que

l'eau lui recouvre les épaules.

Chase la rejoignit rapidement, l'attira contre lui et l'embrassa. Puis

il glissa une main entre ses cuisses et se mit à la toucher doucement.

— Tu vois ? L'eau du lac est apaisante.

Ses caresses lui arrachèrent un ronronnement de plaisir.

— Ah, j'aime te voir comme ça, chuchota-t-il.

— On était censés se calmer, protesta-t-elle faiblement.

— Chut, la nuit nous appartient.

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Il la fit taire avec un baiser puis lui noua les jambes autour de lui

et la pénétra de nouveau.

Elle se laissa flotter tandis que Chase lui faisait l'amour, puis ils

rejoignirent la plage.

— On devrait rentrer, dit-il. La lotion est partie, et les moustiques

vont nous dévorer. Mais la nuit n'est pas finie.

Ils se rhabillèrent et rejoignirent leur embarcation. Chase derrière

le volant et elle sur ses genoux, ils atteignirent la jetée, puis il

l'entraîna dans le hangar à bateau. Une fois à l'intérieur, il posa la

bouteille de merlot et les verres sur une table avant de la prendre par

les épaules.

— Alors, pas de regrets ? demanda-t-il en la scrutant.

Comment pourrait-elle en avoir? Le remords viendrait plus tard,

quand le soleil se lèverait. Elle savait qu'elle en aurait. Mais n'aurait-

elle pas regretté plus encore de n'avoir pas pris le risque et de n'avoir

pas su à quel point c'était bon d'être avec lui?

Quand il se pencha pour l'embrasser, elle glissa les mains sous sa

chemise.

— Tu es insatiable, plaisanta-t-il.

— C'est ta faute, dit-elle en le poussant contre la table de billard et

en l'embrassant.

— Tu ferais mieux de te pousser, ou tu vas avoir des ennuis, dit-il

quand elle le laissa respirer. C'est un de mes plus vieux phantasmes.

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Elle se recula pour le regarder.

— Tu as des phantasmes, toi ? Qui l'eut cru, après ce que tu m'as

dit au belvédère.

— J'étais bien obligé. J'avais trop envie de te prendre sur-le-

champ, sur la table de pique-nique. C'est à coup sûr ce qu'un pirate

aurait fait.

— Alors, comporte-toi en pirate, répliqua-t-elle d'une voix rauque.

Empare-toi de ton butin.

***

— Finalement, dit Chase lorsqu'ils eurent fait de nouveau l'amour,

dans l'histoire, c'est moi qui suis pénalisé : je ne pourrais plus jamais

regarder cette table de billard sans penser à toi. Maintenant, allons au

lit.

Elle eut un moment de panique.

— Et ton grand-père? S'il nous entend, je ne pourrai plus jamais le

regarder en face.

— Chut. Nous irons dans ta chambre, et je partirai avant l'aube.

Comme il ne se lève pas avant 6 heures, il nous reste du temps.

***

Chase se réveilla à 10 heures, s'étira et fit jouer ses muscles.

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Il avait quitté Miranda quatre heures plus tôt et, malgré ses

performances de la veille, il se sentait en pleine forme.

Normal. Pour un homme, existait-il un meilleur exercice physique

que le sexe ?

Oubliant le reste du monde, ils s'étaient isolés dans leur bulle et

avaient fait l'amour avec passion. Puis Miranda s'était endormie dans

ses bras. Il avait passé la plus belle nuit de sa vie. L'espace de

quelques heures, il avait eu la perfection à portée de main.

Son enthousiasme retomba légèrement quand il songea qu'ils ne

s'étaient presque pas parlé.

Il se rendit à la fenêtre pour regarder dehors.

Debout au bout du ponton, Leroy péchait des poissons

imaginaires.

Tout en s'habillant, il se demanda si Miranda dormait encore. Sans

réfléchir, il composa son numéro.

Elle décrocha à la quatrième sonnerie.

— Allô?

— Bonjour, belle dormeuse. Il est temps de se lever.

— Qui est-ce ? demanda-t-elle d'une voix étouffée.

Elle semblait groggy et désorientée. La pauvre chérie était

épuisée.

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Il sourit.

— Celui qui sait à quelle heure tu t'es endormie.

— Chase ! s'écria-t-elle.

Il l'imagina facilement se redressant d'un bond dans son lit, les

yeux écarquillés.

— Eh, du calme ! Tout va bien. Mon grand-père est en train de

pêcher. Il prend la route pour Chenille dans une heure.

— Et nous, quand partons-nous ?

— Plus tard. Il faut que je sorte le bateau et que je le mette à l'abri.

Et je dois aussi inspecter le hangar à bateau. La femme de ménage

passe lundi, et je n'ai pas envie qu'elle trouve des traces de notre

passage.

— Oh!

— Eh, dit-il, pas de regrets ! Sinon, j'arrive et...

Elle poussa un cri et lui raccrocha au nez.

Il quitta sa chambre et rejoignit son grand-père.

— Alors, ça mord ? demanda-t-il.

— Comme d'habitude, je gaspille des appâts. J'ai fait mes bagages,

et j'attendais que tu émerges. Tu t'es couché tard?

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— Non, mentit-il. J'étais fatigué, alors j'en ai profité pour

récupérer. J'essaie aussi de m'habituer à dormir le matin. Bientôt, je

n'aurai plus besoin de réveil.

— J'ai rangé définitivement le mien, dit Leroy en refermant sa

boîte de pêche. Je me réveille à 6 h 30 tous les jours, quelle que soit

l'heure à laquelle je me couche. Nous nous verrons donc demain à la

réunion du conseil. Et ensuite, quels sont tes projets ?

— J'irai peut-être faire de l'escalade dans le Colorado. Mon ami

Brice habite Estes Park. Tu te souviens de lui ?

— Oui, c'était ton colocataire à l'université.

— Brice est garde forestier au parc national des Rocheuses. Il est

divorcé depuis un an. J'ai l'intention de rester quelques jours chez lui.

C'est la saison idéale.

— Bonne idée, approuva Leroy tandis qu'ils remontaient le

sentier. Je suis content que tu aies décidé d'en profiter.

— Ce n'est pas si terrible, répondit Chase avec philosophie.

L'idée lui déplaisait pourtant toujours autant. D'ailleurs, il n'avait

pas encore appelé Brice.

Mais pour l'instant, il ne pensait qu'à une chose : se débarrasser de

son grand-père. Il voulait faire l'amour à Miranda, revoir son corps

ravissant à la lumière du jour après l'avoir admiré sous la lune.

La jeune femme les attendait dans la grande salle.

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— Bonjour, dit-elle à leur arrivée.

— Ah, Miranda ! répondit Leroy. Je suis content de vous voir

avant mon départ. Chase vous apprendra à fermer la maison. Il faut

que vous sachiez le faire, au cas où vous partiriez après moi. Bon.

Maintenant, je vous dis à demain.

Un quart d'heure plus tard, Miranda et lui regardaient la voiture de

Leroy s'éloigner.

— Enfin seuls, dit-il en l'attirant vers lui.

Il la sentit se raidir.

— La nuit est finie, rétorqua-t-elle froidement.

Il glissa les mains dans ses cheveux et rapprocha son visage du

sien.

— Et alors ? Mes vacances commencent demain. Profitons-en

encore un peu. Ensuite, nous parlerons. Peut-être trouverons-nous un

moyen de nous entendre.

— Je ne peux pas.

— Mais si, insista-t-il. Laisse-toi aller, pour une fois.

— Je me suis déjà assez laissée aller. J'ai trop dormi et...

— Souviens-toi, pas de regrets, dit-il en la lâchant. Nous avons

passé des moments merveilleux. Je m'en souviendrai toute ma vie.

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— Moi aussi, reconnut-elle, d'une voix si basse qu'il dut tendre

l'oreille pour l'entendre. Maintenant, j'aimerais bien rentrer à Chenille.

Je prends la relève demain, et je dois me préparer.

Il tenta de dissimuler sa déception.

Il aurait dû s'y attendre. Il s'agissait dès le début d'une aventure

sans lendemain. Juste deux personnes que le sort, la passion et le désir

avaient poussées brièvement l'une vers l'autre. Elle ne le voulait pas,

lui, elle voulait sa place.

Parfait. Il n'y aurait plus de trêve. Malgré ce qui s'était passé entre

eux, il n'oublierait jamais que c'était à lui que McDaniel

Manufacturing appartenait.

— Bon, je dois m'occuper du bateau. On part dans une heure.

Il commença à s'éloigner, mais elle prononça son nom.

— Chase?

Il se retourna.

— Oui?

— Merci de respecter mes désirs.

— Ouais, de rien.

Après un petit signe de tête, il dévala la pente en direction du lac.

***

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Miranda observa Chase par la fenêtre de sa chambre.

Elle s'était réveillée tiraillée, écartelée entre des forces contraires.

Oh, bien sûr, son corps était satisfait, repu et douloureux aux bons

endroits. L'espace d'une nuit, elle s'était autorisée à profiter de tout ce

que Chase pouvait lui offrir...

Le souvenir de l'épisode sous la douche et de la dernière fois qu'ils

avaient fait l'amour, juste avant que Chase ne regagne sa chambre, la

fit frissonner.

Oui, tout avait été parfait. Mais hélas, la nuit était bien finie. Le

lendemain, elle prendrait la relève, et Chase disparaîtrait dans la

nature. Mieux valait couper les ponts tout de suite.

Du moins était-ce ce que sa raison lui dictait.

Fréquenter Chase la rendait confuse, lui donnait envie de jeter

l'éponge, lui faisait croire que, peut-être, elle pouvait tout avoir.

La nuit précédente, il l'avait marquée au fer rouge. S'abandonner

de nouveau à lui entraînerait sa ruine. Si elle ne se reprenait pas

rapidement en main, elle passerait l'année suivante à se languir de lui.

Et elle avait trop de pain sur la planche pour se laisser distraire. Un an

pour faire ses preuves et se rendre indispensable à l'entreprise.

Le voyant remonter vers la maison, elle se dépêcha de finir sa

valise. Puis elle jeta un dernier regard à la chambre.

Ce week-end avait compté pour le reste de sa vie. A l'avenir, elle

n'aurait pas de temps à consacrer à un amoureux. Et même si

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l'occasion se présentait, le résultat était couru d'avance : aucun homme

ne pourrait jamais surpasser Chase McDaniel.

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- 10 -

Nick Cissna s'approcha de Chase et lui serra la main.

— Eh bien, mon vieux, à l'année prochaine, dit-il en lui tapant sur

l'épaule. Profite bien de tes vacances.

Chase le remercia puis serra ensuite les mains des autres membres

du conseil au fur et à mesure qu'ils se retiraient de la salle de réunion.

C'était à présent officiel : Miranda Craig était vice-présidente.

Quant à lui, il prenait le congé sabbatique qu'il avait demandé lui-

même, d'après ce que son grand-père avait expliqué à l'assistance !

Il reporta les yeux sur Miranda.

Elle discutait avec Logan Bennet, un des membres les plus

influents du conseil après Kathleen, la présidente.

Sa cravate le serrait au cou, il en défit le nœud machinalement.

Inutile désormais d'être tiré à quatre épingles. Il ne reprendrait pas

son service avant un an.

— Alors, Chase, comment vas-tu occuper ton temps libre ?

demanda Kathleen en s'arrêtant venant lui.

— Je pars dans le Colorado.

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Après le pénible voyage du retour avec Miranda, il avait téléphoné

à Brice, qui avait accepté avec joie de le recevoir. Il avait déjà mis ses

sacs, son matériel de camping et ses équipements sportifs dans le

coffre du 4x4, et il ne lui restait plus qu'à passer prendre son vélo chez

lui.

— Alors, bonnes vacances, dit Kathleen.

— Merci.

Une des dernières à sortir, Miranda passa devant lui.

Il lui toucha le bras.

— Je pars, dit-il.

— Bien, je m'occupe de tout pendant ton absence.

— Ça, je te fais confiance. Mais n'hésite pas à m'appeler si tu as

besoin de quoi que ce soit, dit-il en insistant sur les derniers mots afin

qu'elle comprenne qu'il ne parlait pas seulement de travail.

Elle se mordit la lèvre.

— D'accord, dit-elle.

Mais, en son for intérieur, il savait qu'elle n'en ferait rien.

Le temps était venu de s'éclipser. Il quitta la salle de conférence et

se dirigea vers son bureau.

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Son départ ne changerait rien. Ses emails seraient transmis à

Miranda et son courrier ouvert et redistribué.

Il parcourut la pièce du regard et s'attarda sur la plus ancienne de

ses photos de famille. Impulsivement, il saisit le cadre sur l'étagère.

Tout le monde souriait, mais lui, il riait aux éclats.

Sa gorge se serra brusquement, et il ravala ses larmes.

Son père disait toujours qu'il était celui sur lequel on pouvait

compter. Il ne le décevrait pas.

Il fourra la photo dans sa poche, inspira profondément, puis

éteignit la lumière.

Les montagnes l'attendaient.

***

Quand arriva la mi-juillet, Chase avait escaladé tous les sommets

du parc national des Rocheuses. Il venait juste de relever son dernier

défi et respirait l'air pur de Longs Peak, à plus de quatre mille mètres

d'altitude.

Il avait quitté Chenille depuis un mois et demi. Après avoir passé

pendant une semaine ses nuits sur le canapé de Brice, il avait eu la

chance de trouver une place dans une base de loisirs près d'Estes Park.

Situé à côté du parc national, l'endroit possédait les meilleurs

équipements sportifs de la région et permettait d'accéder directement

aux sentiers de randonnée du parc. Préférant l'ambiance décontractée

du camp à celle plus guindée d'un hôtel, il s'était installé dans un petit

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bungalow et en avait fait sa base. Il partageait son temps entre des

balades d'une journée sur les hauteurs et des escapades prolongées

dans le Wyoming, où l'on trouvait des rapides et des torrents parfaits

pour le rafting.

— Que c'est beau !

— C'est vrai, répondit-il brièvement, avant de boire une gorgée

d'eau.

Il participait à une escalade organisée, et sa coéquipière était une

étudiante qu'il avait rencontrée à la base de loisirs où elle travaillait

pendant l'été.

Rachel était jolie, sportive et pleine d'énergie. Le seul problème,

c'était qu'elle avait treize ans de moins que lui. Et surtout qu'elle ne

pouvait se comparer à Miranda.

Aucune des femmes qu'il connaissait n'égalait Miranda.

Il sortit son appareil photo numérique de son sac à dos, car la vue

était dégagée, et l'on pouvait apercevoir les montagnes du Wyoming

dans le lointain.

Il alluma l'appareil et se mit à prendre des photos.

— Je vais faire une photo de vous deux, proposa quelqu'un.

Il passa un bras autour des épaules de Rachel et sourit à l'objectif.

— Tu me l'enverras par mail ? demanda la jeune fille.

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Il le lui promit.

Il y eut ensuite l'incontournable photo de groupe immortalisant la

rencontre de gens qui avaient gravi une montagne ensemble mais ne

se reverraient probablement jamais. Puis le guide commença à

rassembler ses troupes.

L'heure du retour était venue.

Ils étaient partis du camp à 3 heures du matin. En quittant les

hauteurs maintenant, ils éviteraient les dangereux orages de fin

d'après-midi.

Chase admira encore une fois les sommets jumeaux des Twin

Sisters Peaks, fit une dernière photo et rangea son appareil.

Sans ralentir l'allure ni interrompre ses bavardages, Rachel lui tint

compagnie pendant la descente.

— Tu pars quand ? demanda-t-elle enfin.

— Demain.

— Ce soir, je retrouve des amis chez Eddie's, déclara Rachel. Tu

devrais te joindre à nous. Et ne viens pas me dire que tu es fatigué ou

que tu as tes bagages à faire. Tu dois fêter ta dernière nuit ici.

Rachel ne l'attirait pas, mais la perspective de passer la soirée en

bonne compagnie était tentante. Il n'avait pas besoin de plus d'une

heure pour ranger ses affaires et charger sa voiture.

— D'accord.

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— Tu vas t'amuser, tu vas voir. Surtout si tu aimes les fléchettes.

Il acquiesça, distrait, songeant à la semaine qui l'attendait.

Le lendemain, il quitterait la région et prendrait l'autoroute 70 en

direction de l'est. Il comptait s'arrêter une journée à Kansas City, une à

Saint Louis et une autre à Indianapolis, puis se rendre à New York à

temps pour accueillir sa nièce, puisque Cecilia allait accoucher d'une

petite fille.

Les rares contacts qu'il avait eus avec sa famille avaient été des

échanges de mails ou de SMS. Chandy était en Californie avec des

amis. Chris et sa femme vendaient leur maison et en cherchaient une

autre. Cecilia racontait que son ventre était énorme et qu'elle avait hâte

de le voir.

Lui aussi. C'était d'elle qu'il se sentait le plus proche.

Il avait aussi parlé une ou deux fois avec son grand-père.

N'étant pas du genre à s'éterniser au téléphone, Leroy lui avait

juste assuré qu'il se portait bien et que Miranda se débrouillait à

merveille. Il avait tenté d'en apprendre davantage, mais Leroy était

demeuré évasif et lui avait conseillé de ne pas s'inquiéter.

Il ne savait donc ni ce qu'il se passait au sein de l'entreprise, ni si

Miranda avait rencontré quelqu'un.

Une fois sur le parking, il récupéra son portable dans la voiture

afin de prendre le numéro de Rachel pour la rappeler plus tard dans la

soirée.

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Quand il ouvrit l'appareil, un bip annonça un message sur le

répondeur.

— Attends une seconde. C'est sans doute Brice. Il voudra peut-

être se joindre à nous.

— Super. Plus on est de fous, plus on rit.

Pour la première fois depuis son départ, il avait reçu trois appels

dans la même journée. Le premier était de Miranda, qui lui demandait

de la rappeler le plus vite possible.

Sa gorge se serra.

Pourquoi cherchait-elle à le joindre après six semaines de silence ?

Et si elle était enceinte ?

Mais elle lui avait dit qu'elle prenait la pilule...

Les questions défilaient si vite dans sa tête qu'il entendit à peine le

second message — Brice qui voulait boire un verre avec lui avant son

départ.

Le dernier message avait été enregistré à peine une demi-heure

auparavant.

Il reconnut aussitôt la voix de Cecilia, mais celle-ci sanglotait

tellement qu'il avait du mal à comprendre ses paroles. Il entendit le

mot « hôpital » et s'alarma. Avait-elle perdu son bébé ?

Non, impossible, sa grossesse était presque à terme.

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— S'il te plaît, Chase, rappelle-moi dès que tu auras ce message.

Je suis sur la route de l'aéroport. Je ne suis pas censée prendre l'avion,

mais il s'agit d'une urgence. Il risque de mourir, ajouta-t-elle d'une

voix plus contenue. Appelle-moi, Chase. Vite !

Il ignora l'air interrogateur de Rachel et appuya sur la touche

préenregistrée du numéro de sa sœur. Celle-ci décrocha à la première

sonnerie.

— Dieu merci, c'est toi !

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en l'entendant renifler.

— Grandpa a eu une crise cardiaque. Il est dans un hôpital des

Twin Cities. J'ai eu le médecin au téléphone, mais il n'a rien voulu me

dire. C'est toi qui es son chargé de pouvoir et qui es au courant de ses

volontés en cas de maladie.

Il se rappela le document qu'il avait signé, l'autorisant à respecter

le désir de Leroy de ne pas être réanimé. Une grosse boule se forma

dans sa gorge.

— Est-ce à ce point ?

— Je ne pense pas. Pourvu que ça n'arrive pas ! Il ne peut pas

mourir, Chase. Qu'est-ce qu'on deviendrait sans lui ?

Il prit sa décision sur-le-champ. Brice, Rachel et les autres

attendraient. Il devait aider sa famille à sortir de la crise.

— J'arrive aussi vite que possible, dit-il à Cecilia.

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***

Le dimanche matin, Miranda faisait les cent pas dans la salle

d'attente des urgences. Elle flottait dans une sorte de brouillard et avait

perdu la notion du temps.

Elle consulta l'horloge murale.

7 heures.

Elle était arrivée la veille en fin d'après-midi, quelques heures

après Leroy. Les médecins de l'hôpital proche du lac avaient

diagnostiqué une défaillance cardiaque et avaient stabilisé le vieil

homme. L'établissement ne possédant pas la structure adaptée à une

opération du cœur, celui-ci avait été transporté d'urgence en avion

dans un hôpital des villes jumelles de Minneapolis et Saint Paul.

On l'avait informée que l'opération s'était bien déroulée, mais elle

n'en savait pas plus.

Elle se servit une énième tasse de café.

Chase ne l'avait pas rappelée. Cecilia lui avait envoyé un SMS de

l'aéroport de New York. Elle atterrissait à 9 heures.

Miranda se laissa tomber sur une chaise.

La nouvelle l'avait prise par surprise.

Elle s'était rendue au lac le vendredi soir et avait dîné avec Leroy.

Le samedi matin, il semblait en forme quand ils avaient eu leur

réunion de travail. Ils avaient ensuite déjeuné ensemble, puis il s'était

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retiré pour sa sieste. Les autres fois, elle était repartie tout de suite

après la réunion, mais ce samedi-là, elle avait décidé de rester pour

profiter de l'après-midi ensoleillé. Comme elle n'avait pas assez

confiance en elle pour sortir le canot, elle avait pris un canoë et

pagayé jusqu'à ce que ses bras en deviennent douloureux. Ne trouvant

pas Leroy dans la grande salle en rentrant, elle était allée voir dans sa

chambre. Il était allongé sur son lit, le visage pâle et les traits figés.

Comme elle ne parvenait pas à le réveiller, elle avait appelé une

ambulance.

II s'en était fallu de peu. Selon les médecins du SAMU, elle lui

avait sauvé la vie. Il avait eu une crise cardiaque pendant son

sommeil, et si elle n'avait été là, il serait mort.

Des larmes lui brûlèrent les yeux.

Elle avait perdu Chase. Que ferait-elle si elle perdait aussi Leroy ?

Chase lui manquait. Sa chambre au-dessus de la cuisine lui

rappelait les moments passés avec lui. Il ne lui avait donné aucune

nouvelle. Elle avait failli lui téléphoner à plusieurs reprises, mais avait

renoncé.

Leurs chemins s'étaient séparés, n'était-ce pas mieux ainsi ?

Elle se cacha le visage dans les mains.

N'ayant dormi qu'une heure découpée par petits bouts, elle était

épuisée. Le personnel de l'hôpital avait promis de la tenir au courant

des changements, mais elle se demandait si on ne l'avait pas oubliée.

— Leroy McDaniel, s'il vous plaît.

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Elle sursauta en reconnaissant la voix de Chase et tourna la tête si

brusquement qu'elle faillit se démettre le cou.

— Chase ! s'écria-t-elle. Tu es là !

Il se tourna et la regarda.

Elle regretta de porter sa tenue de la veille. Elle n'avait eu le temps

ni de se changer ni même de se laver le visage.

— Oui, répondit-il en tapotant avec impatience sur le comptoir,

pendant que la femme pianotait sur son clavier.

Moins débraillé qu'elle, il était vêtu d'un pantalon bien repassé et

d'un polo à manches courtes.

— Ils n'ont rien voulu me dire, dit-elle.

— Ils me parleront à moi, affirma Chase en sortant un papier de sa

poche. Je suis le petit-fils de Leroy McDaniel. Voici le document me

nommant responsable légal en cas d'incapacité, ainsi que les directives

anticipées de mon grand-père. J'ai le droit d'être informé.

La femme examina la feuille.

— Oui, monsieur. Veuillez vous asseoir, je vous prie. Je vais faire

le nécessaire.

Chase la remercia puis rejoignit Miranda.

— Tu semblés épuisée. Tu n'as pas dormi ? demanda-t-il d'une

voix inquiète.

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— Comment aurai-je pu ?

— Je suis là à présent, et je m'occupe de tout, dit-il en sortant une

clé de sa poche. J'ai pris une chambre à l'hôtel voisin. Numéro 315. Va

te reposer un peu, je t'appellerai plus tard. Ma sœur Cecilia occupera

la chambre voisine. Dès que j'ai appris la nouvelle, j'ai sauté dans un

petit avion, et je suis venu aussi vite que j'ai pu.

Miranda était impressionnée à la fois par son efficacité et par son

courage. Malgré l'accident qui avait tué ses parents, il n'avait pas

hésité à monter à bord d'un petit avion pour arriver plus vite.

— Qu'as-tu fait de ta voiture ?

— J'ai payé quelqu'un pour la ramener à Chenille.

Elle hocha la tête.

Il avait pris les choses en main comme un homme habitué à gérer

les crises. Il ne pensait pas à lui. Il évaluait la situation et agissait.

— Va te reposer, insista-t-il gentiment.

Elle se sentit soulagée d'un poids énorme.

Chase était là, il s'occupait de tout. Tout irait bien.

***

L'après-midi du dimanche, Miranda retourna à l'hôpital après

avoir dormi un peu et pris une douche.

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Le frère et les sœurs de Chase étaient tous arrivés. Ils lui apprirent

que Leroy avait subi un pontage coronarien dans la nuit du samedi et

avait rejoint le service des soins intensifs.

— Comment va-t-il ? demanda-t-elle à Chase.

— Il dort, répondit ce dernier. Merci d'avoir été là pour lui.

— Je t'en prie. Que puis-je faire pour t'aider ?

Il passa les doigts dans ses cheveux.

Ils avaient poussé, ce qui lui allait bien.

— Je préférerais que tu rentres à Chenille.

Ce n'était pas la réponse qu'elle attendait.

— Ah bon?

— Oui. Demain, l'entreprise sera inondée de coups de fil, ta

présence permettra d'éviter la panique. Occupe-toi de tout, le temps

que je prenne la relève.

L'homme d'affaires était revenu en force.

Elle n'enregistra que le dernier mot : « relève ».

— Ce sera quand ? demanda-t-elle.

— Pas avant que mon grand-père n'aille mieux. Il devra aller

récupérer quelque part en sortant de l'hôpital, mais il n'est pas assez

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bien pour rester au lac. Il faudra donc trouver une infirmière à plein

temps qui s'occupera de lui à Chenille. Dès qu'il sera installé chez lui,

je viendrai redresser la barre.

— Mais il n'y a rien à redresser, protesta-t-elle. Tout va bien.

— Je n'ai pas dit le contraire. Mais il s'agit de mon entreprise. Tu

savais que la place de Leroy me revenait de droit, ajouta-t-il avec un

sourire crispé.

— Chase, dit Cecilia en pénétrant dans la salle d'attente, le

médecin demande à nous voir.

— J'arrive. Je t'appellerai en fin de journée, reprit-il. Appelle

Sarah, la responsable des relations publiques, et dis-lui de rédiger un

communiqué pour la presse. L'affaire n'a pas encore été ébruitée parce

que l'accident s'est produit au lac. Mais la panique se répand vite dans

les petites villes, d'autant plus que la plupart des habitants de Chenille

travaillent chez nous. Je te donnerai ce soir les informations dont

Sarah a besoin. Il existe aussi un plan d'urgence. Le dossier se trouve

dans un classeur dans mon bureau. Demande à Carla de te le remettre.

— D'accord. Je m'en occuperai en arrivant, approuva-t-elle,

décidant de remettre la confrontation à plus tard.

— Merci, dit Chase avant de quitter la pièce.

Elle le regarda s'éloigner, interdite.

Il ressemblait presque à un robot. Concentré. Déterminé.

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Elle ne s'attendait pas à des effusions de joie, mais après six

semaines sans la voir, il aurait au moins pu la prendre dans ses bras !

Expert en gestion de crise, peut-être, mais ni très chaleureux ni très

abordable.

Mais bon, il avait failli perdre son grand-père, après tout. Un tel

choc était assez dévastateur pour bloquer les émotions de n'importe

qui.

Elle rejoignit sa voiture et s'installa derrière le volant.

Elle dirigerait l'entreprise pendant l'absence de Leroy. Elle en

avait les compétences et était prête à relever le défi.

Avant de prendre la route, elle appela Walter. Elle lui avait promis

de le tenir au courant.

— C'est Miranda... Non, non, Leroy va mieux. Je voulais juste que

tu saches que Chase était revenu.

***

Chase retourna dans l'entreprise un mardi, un peu moins de deux

semaines après l'opération de Leroy. Il entra dans l'ascenseur et

appuya sur le bouton du dernier étage.

L'état de santé de son grand-père était stable. Le vieil homme était

rentré à Chenille la veille. Les médecins avaient bon espoir de le voir

guérir complètement, à condition qu'il ne soit soumis à aucun stress.

Les quatre frères et sœurs avaient décidé d'un commun accord que

Leroy ne devrait à aucun prix entendre parler de l'entreprise pendant

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les six semaines à venir. Ils avaient également prévu qu'il soit surveillé

vingt-quatre heures sur vingt-quatre par une infirmière.

Trouver cette personne était la première chose que Chase devait

faire aujourd'hui. La seconde était de répondre à un mail très

ennuyeux de Walter Peters.

Celui-ci lui suggérait de laisser la direction de l'entreprise à la très

compétente Miranda et de poursuivre ses vacances comme Leroy le

lui avait demandé.

Or, Chase soupçonnait Miranda de manipuler Walter. Depuis son

retour, il avait l'impression qu'elle obéissait à contrecœur à ses ordres.

Il sortit de l'ascenseur et se dirigea vers le bureau de Leroy.

Ethel, sa secrétaire, bondit sur ses pieds en le voyant.

— Alors, comment va-t-il ? demanda-t-elle anxieusement.

— Il est rentré à Chenille hier.

— Ouf ! s'écria Ethel en se laissant retomber sur sa chaise. J'étais

si inquiète. Nous l'étions tous.

— Sa santé s'améliore de jour en jour. L'opération s'est bien

déroulée. Tout ira bien.

Les yeux d'Ethel se remplirent de larmes.

— Oh, je suis si heureuse !

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— Moi aussi.

Ethel était l'assistante de Leroy depuis plus de trente ans, elle

faisait presque partie de la famille. Chase lui raconta donc en détail ce

qui s'était passé avant de conclure.

— Leroy a besoin d'une infirmière à domicile. Celle qui l'a

accompagné ne peut rester que quelques jours.

— Veux-tu que je m'en charge ? proposa Ethel en se tamponnant

les yeux avec un mouchoir.

— Ce serait gentil de ta part.

— Je me ferai une joie de l'aider. Ma sœur a dû utiliser les

services d'une infirmière il y a quelques années. Elle était très contente

de l'agence à laquelle elle s'est adressée. J'ai besoin de m'occuper, tu

sais. Je n'ai plus grand-chose à faire depuis que Mlle Craig est arrivée.

Elle se chargeait déjà de tout avant que Leroy ne tombe malade, mais

maintenant qu'il n'est plus là, c'est encore pire.

Chase hocha la tête. Il voyait très bien ce qu'elle voulait dire.

— Eh bien, la situation va changer. J'aurai besoin de ton aide, en

plus de celle de Carla. Dorénavant, c'est moi qui remplacerai Leroy.

Les yeux d'Ethel s'écarquillèrent d'étonnement.

— Mais, et Mlle Craig...

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— Elle a occupé ma place pendant mon absence, mais elle n'a pas

été embauchée pour faire le travail de mon grand-père. C'est moi qui

viens après lui. L'entreprise m'appartient.

— Oui, c'est vrai.

Ethel s'était reprise rapidement, mais sa surprise n'avait pas

échappé à Chase. Miranda avait probablement dit à tout le monde qu'il

ne reviendrait pas, car Ethel posa la question qui devait être sur toutes

les lèvres :

— Et tes vacances ?

— Elles sont écourtées. Mon grand-père ne pourra pas reprendre

le travail tout de suite, c'est à moi de le remplacer.

— Je sais que tu en es capable.

Il lui sourit avec reconnaissance.

Il avait besoin d'être soutenu, surtout maintenant que Walter avait

décidé de lui mettre des bâtons dans les roues. Il ne serait pas surpris

que celui-ci tente d'influencer le conseil afin de favoriser sa petite

protégée.

Malgré ce qu'ils avaient partagé, il ne pouvait pas faire confiance à

Miranda. Il connaissait ses ambitions, et même s'il ne la croyait pas

capable de lui nuire délibérément, il avait intérêt à se méfier. En

l'absence de Leroy, les manigances de Walter au sein du conseil

jouaient contre lui.

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— Ethel, occupe-toi d'avertir le conseil d'administration du

changement de direction, s'il te plaît. J'ai aussi besoin que tu me

donnes tous les dossiers qui sont passés entre les mains de Leroy

depuis mon départ. Je ne suis plus au courant de rien, et je dois

rattraper rapidement mon retard.

— Je m'y mets tout de suite.

Il savait qu'il pouvait compter sur elle. En plus d'être efficace,

Ethel vouait un dévouement sans borne à la famille McDaniel.

— Le bureau de mon grand-père restera vide pendant son absence.

— Crois-tu qu'il pourra recommencer à travailler?

Chase fit une grimace.

Pas si ses petits-enfants avaient gain de cause.

— Je ne sais pas, éluda-t-il. Mais ne laisse entrer personne. Et

fais-moi suivre toutes les affaires dont il s'occupait.

— Je suis contente que tu sois de retour parmi nous, Chase.

— Merci, Ethel.

Il lui sourit et prit le chemin de son propre bureau.

Carla était prévenue de son arrivée, mais elle bondit néanmoins de

son siège dès qu'il apparut.

Content de la revoir, il lui donna une rapide accolade.

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— Comment allez-vous, Carla? Etes-vous prête à reprendre le

boulot ?

— Absolument. J'ai eu le temps de tricoter une couverture pour le

bébé de Cecilia pendant votre absence. La secrétaire de Mlle Craig ne

m'a rien donné à faire. Je ne supporte plus les réussites, et le shopping

sur internet a eu raison de mes économies.

Il lui répéta ce qu'il avait dit à la secrétaire de Leroy.

— A partir d'aujourd'hui, Ethel et vous allez travailler avec moi.

— J'attends vos ordres.

— Eh bien, soyez gentille de convoquer Mlle Craig dans mon

bureau d'ici une demi-heure.

La pièce était exactement comme il l'avait laissée.

Il prit la photo de famille dans son attaché-case et la remit sur

l'étagère. Il trouva également une place pour le cadre numérique qu'il

avait acheté à la boutique de l'hôpital afin de montrer les photos du

Colorado à son grand-père. Puis il s'installa à sa table de travail,

heureux de retrouver ses marques.

Au cours des six semaines précédentes, il n'avait eu aucune

obligation. Il s'était contenté de se promener dans l'une des plus belles

régions du pays. Mais ni la beauté sauvage des montagnes Rocheuses

ni l'excitation des sports extrêmes n'égalaient la satisfaction qu'il

éprouvait en ce moment.

Il appartenait à ce bureau. Il était de retour chez lui.

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***

Folle de rage, Miranda se prépara à affronter Chase.

Il était de retour. Pire, un retour définitif. Walter lui avait conseillé

de repartir en vacances, mais il ne semblait pas en avoir l'intention.

Elle saisit un crayon et tapa avec la gomme sur la table, un geste

nerveux qui ne parvint à calmer ni sa frustration ni la migraine qui lui

vrillait les tempes.

Elle aurait dû être heureuse de le revoir. Il lui avait manqué.

Enfin, plus ou moins. Afin d'éviter de penser à « cette nuit » et à

ce qu'elle impliquait, elle s'était totalement absorbée dans son travail.

Elle avait en quelque sorte dirigé l'entreprise pendant que Leroy se

retirait au lac pour l'été, lui confiant la plupart de ses responsabilités.

Résultat, elle avait assumé bien plus que la charge de travail de Chase.

Et maintenant, elle était convoquée dans son bureau, comme une

mauvaise élève !

Elle pianota sur la chemise de cinq bons centimètres d'épaisseur

qui contenait le plan d'urgence.

Le document donnait des instructions précises pour faire face à

toutes les situations, du tremblement de terre à l'ouragan, en passant

par les actes terroristes. Ils s'étaient préparés à tout, sauf à une

succession-surprise. Les consignes se révélaient tout à fait

insuffisantes dans le cas présent.

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Walter lui avait dit qu'il tâtait le terrain avec les membres du

conseil. Il semblait persuadé que Chase ne la mettrait pas à la porte, ce

qui était le scénario qu'elle redoutait le plus.

La sonnerie du téléphone la fit sursauter. Elle respira pour se

calmer avant de répondre.

— Miranda Craig.

— Je voulais juste vous rappeler que vous aviez rendez-vous, lui

dit sa secrétaire.

— Merci.

Elle se leva et arrangea sa tenue.

Il était temps d'affronter Chase McDaniel.

***

Quand Miranda pénétra dans le bureau de Chase, comme lors de

leur première rencontre, son souffle se bloqua dans sa gorge et sa

température monta en flèche.

Il se leva et s'avança pour l'accueillir, s'efforçant d'adopter

l'attitude qu'il aurait eue avec n'importe quelle collègue de travail.

Sauf que Miranda n'était pas n'importe qui. Ils avaient fait l'amour

ensemble de multiples fois. Elle lui avait donné la plus belle nuit de sa

vie.

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Pourtant, tandis qu'il prononçait son nom et la conduisait jusqu'au

fauteuil placé devant sa table de travail, il savait que cette nuit était la

seule qu'il aurait jamais. Quel que soit son désir pour elle, il devait se

focaliser sur ce qui était important. Maintenant que Walter était décidé

à l'évincer, il lui faudrait choisir entre Miranda et McDaniel

Manufacturing. Il était trop réaliste pour croire qu'il pouvait avoir les

deux.

Son grand-père lui avait promis son poste, mais personne n'était

au courant, sauf Miranda et Walter. Il y avait peu de chances que les

membres du conseil acceptent de valider un accord dont ils n'avaient

jamais entendu parler. Si Walter parvenait à ses fins, sa proposition de

le maintenir éloigné pendant les prochains mois pourrait être acceptée.

Chase ne pouvait pas permettre qu'une telle chose se produise.

Même si, connaissant les mécanismes de Miranda et sachant qu'elle

n'apprécierait pas qu'il s'empare de ses prérogatives, celle-ci lui vouait

une haine éternelle avant la fin de la semaine.

Il s'enfonça dans son fauteuil en cuir, regrettant que la situation

soit si cruelle.

— Merci d'être venue.

— J'étais bien obligée de t'obéir. Mais j'ai l'impression d'être une

mauvaise élève convoquée dans le bureau du proviseur.

Il plissa les yeux.

Elle était furieuse qu'il soit revenu et ne le cachait pas.

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Il l'avait pourtant prévenue qu'il reviendrait un jour. Eh bien, ce

jour était arrivé, même si c'était un peu plus tôt que prévu.

— Je suis désolé que tu aies eu cette impression.

Le chemisier de la jeune femme bâilla quand elle se pencha en

avant, révélant un endroit qu'il avait couvert de baisers passionnés.

Il se souvint du goût de sa peau et des petits cris qu'elle poussait

en jouissant.

Rien de tout cela ne se reproduirait, il le savait. Mais sa présence

en face de lui était un supplice.

Dire qu'il avait cru qu'il suffirait de coucher avec elle pour

exorciser son désir !

— Comment voulais-tu que je me sente, Chase ? Personne ne m'a

jamais traitée de cette façon. Je sais reconnaître un jeu de pouvoir

quand j'en vois un. Bref. Maintenant que je suis là, commençons. Je

n'ai pas de temps à perdre, je dois déjeuner avec le président de la

chambre de commerce.

Il ne put s'empêcher de fixer sa bouche et de se remémorer les

choses qu'elle lui avait faites avec.

Elle était belle même quand elle était en colère.

Mais il ferait mieux de se concentrer sur ce qu'il avait à dire. Il ne

pouvait pas se permettre de se laisser distraire.

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— Je voulais que tu saches que j'ai informé la plupart des

membres du conseil de mon intention de remplacer mon grand-père.

Une réunion extraordinaire sera organisée lundi après-midi afin

d'officialiser ma nomination à la tête de l'entreprise. La seule

opposition semble venir de Walter.

Un petit V se forma entre les sourcils noirs de Miranda.

— Je croyais que Leroy allait mieux ?

— Il doit encore faire six semaines de rééducation et ne doit être

soumis à aucun stress, surtout pas celui du travail. Ce qui se passe ici

ne doit en aucun cas atteindre ses oreilles. Je suis en train de passer en

revue tout ce qui a été fait durant mon absence, et j'espère avoir fini

demain. Je ne permettrai à personne de se mettre en travers de mon

chemin — pas même à Walter ou à toi.

Ses paroles étaient dures, mais il n'avait pas le choix. Il fallait que

les choses soient claires.

Miranda se recula sur son siège et posa les mains sur ses genoux.

Sa colère avait disparu — et son décolleté.

Il fut déçu dans les deux cas.

— C'est donc à toi que je rendrai des comptes.

— Oui.

La victoire aurait dû être douce, mais ce ne fut pas le cas. Pour la

première fois de sa vie, il éprouvait des sentiments pour un adversaire.

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— Et tu es sûr que le conseil approuvera, lâcha-t-elle.

Il plissa de nouveau les yeux pour l'observer.

— Tout à fait. J'ai suffisamment de voix pour obtenir la majorité.

Toi et Walter, vous perdez votre temps.

Elle lui lança un regard glacé.

— Donc tu désobéis aux ordres de ton grand-père. Tu étais censé

prendre un an de vacances.

Il la préférait en colère.

— Le conseil n'est au courant de rien. Et Leroy n'avait pas prévu

qu'il tomberait malade. Quel genre d'homme serais-je si je

n'interrompais pas mes vacances pour le bien de mon entreprise ? Je

suis le chargé de pouvoir officiel de Leroy. C'est moi qui gère ses

affaires et qui paye ses factures en cas d'incapacité. Toute la famille

est d'accord sur ce point. Cette société a toujours été dirigée par un

McDaniel, il n'y a pas de raison que cela change.

— Je vois, dit-elle en se levant. En avons-nous fini ?

Il resta assis à la regarder.

Il avait embrassé chaque centimètre carré de son corps, et

maintenant une faille de la taille du Grand Canyon les séparait. Le

froid qui s'était installé entre eux était pire qu'une dispute.

— Oui, tu peux t'en aller.

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— Merci, répondit-elle en quittant la pièce.

Il poussa un long soupir en s'apercevant qu'il avait oublié de

respirer.

S'il avait pu, il serait entré dans son bureau derrière elle. Comme

dans les films, il aurait verrouillé la porte, balayé les objets de la table

et lui aurait donné du plaisir jusqu'à ce qu'ils soient tous les deux repus

et que le malaise soit dissipé.

Quand ils faisaient l'amour, les barrières qu'ils dressaient autour

d'eux tombaient et ils redevenaient eux-mêmes.

Mais l'avenir de McDaniel Manufacturing était plus important, se

dit-il en prenant un nouveau dossier. C'était une question de priorité.

Les affaires avant tout. Rien à voir avec une attaque personnelle.

***

Miranda parvint à parcourir le chemin jusqu'à son bureau sans

craquer. Puis ses jambes se dérobèrent, et elle se laissa tomber dans

son fauteuil.

La situation était invivable.

Elle n'aurait jamais dû faire l'amour avec Chase McDaniel.

L'erreur avait été de croire qu'elle ne le reverrait pas avant un an et

qu'ils seraient tous les deux passés à autre chose d'ici là.

Mais l'attirance était toujours aussi forte, et son corps avait réagi

au quart de tour en le voyant. Les souvenirs de ce qu'ils avaient fait

ensemble étaient encore très vivaces.

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Même si cette nuit-là n'avait visiblement pas signifié grand-chose

pour lui.

Elle en avait eu la preuve en regardant les photos défiler sur le

cadre numérique posé derrière son bureau.

En voyant apparaître Chase tenant une fille par les épaules, son

cœur avait failli s'arrêter de battre.

Elle avait été bien vite remplacée. Pour lui, ce week-end n'avait

été qu'une brève rencontre entre deux êtres qui se désiraient follement.

Le sexe n'était pas égal à l'amour, elle le savait. Alors pourquoi se

sentait-elle si dépitée ?

Son portable sonna, l'arrachant à ses sombres pensées.

— Miranda Craig.

— Je me suis dit que tu avais besoin de moi.

— Walter. Visiblement, tu connais la nouvelle.

— Ethel vient de m'appeler pour m'informer d'une réunion

extraordinaire du conseil d'administration.

— Chase veut le poste de son grand-père. Il prétend être soutenu

par la majorité des membres.

— C'est possible. Et toi, qu'en penses-tu ? Tu auras tout de même

la deuxième place.

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— Je n'ai pas vraiment le choix.

— Si. Leroy voulait que Chase prenne des vacances, et il ne devait

pas rentrer avant un an. Chase sait que je m'oppose à son retour. Je le

lui ai dit.

— Oui, mais la situation a changé.

— Tu es faite pour ce poste, Miranda. C'est là que tes parents

auraient aimé te voir. N'aie pas peur d'affronter les conflits.

Elle pivota sur son siège.

Tout ce qu'elle voyait par la fenêtre appartenait aux McDaniel.

L'héritage de Chase. Comment avait-elle pu s'imaginer qu'il pourrait

en être autrement?

— Chase fait partie de la famille.

— Chase est un play-boy qui a toujours eu tout ce qu'il voulait. Il

a manqué de repères. Il a été trop gâté. Toi, tu as l'esprit neuf.

— Il est pourtant très efficace en période de crise, objecta-t-elle,

songeant à la vitesse avec laquelle il avait obtenu les informations à

l'hôpital.

— Miranda. Tu es sous contrat et ton emploi est assuré, je te l'ai

dit. Que veux-tu exactement ?

Elle voulait Chase, pensa-t-elle inopinément.

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— Je n'ai pas assez d'expérience pour diriger la société. J'aurais dû

avoir un an pour me faire la main.

— Tu t'y mettras. Les meilleurs patrons ont commencé comme

toi, en apprenant sur le tas. A moins que tu ne t'y opposes, j'ai

l'intention de faire voter une motion afin que Chase obéisse à son

grand-père et reparte en vacances.

Son mal de tête lui martelait les tempes. Elle ferma les yeux.

L'idée de Walter pourrait résoudre certains problèmes, mais elle

en soulevait d'autres.

— Merci de ton soutien, Walter. Mais je préférerais réfléchir

avant de te donner une réponse.

— Réfléchis bien. Sauf contre-ordre de ta part, je ferai ce que j'ai

dit. Ecoute, Miranda, Chase est peut-être un McDaniel, mais moi je

suis le meilleur ami de Leroy, et je connais les membres du conseil

depuis vingt ans. Si je leur dis ce que Leroy voulait pour Chase, ils

changeront d'avis et te nommeront P.-D.G. pour l'intervalle.

Elle promit de le rappeler avant le lundi et se replongea dans ses

réflexions à la lumière de ce fait nouveau.

Elle avait signé un contrat en acceptant ce poste. Démissionner

maintenant serait l'équivalent d'un suicide professionnel. Elle pourrait

probablement prendre contact avec un chasseur de têtes et lui

demander de commencer rapidement des recherches pour un nouveau

poste, mais elle s'était attachée à Chenille. Sa sœur était venue la voir

trois semaines plus tôt et lui avait fait remarquer qu'elle la trouvait

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heureuse et épanouie. C'était le cas. Jusqu'à la crise cardiaque de

Leroy et le retour de Chase.

Walter lui avait redonné un peu d'espoir. Si quelqu'un pouvait

convaincre le conseil de la nommer P.-D.G., c'était lui.

Mais la joie qu'elle avait éprouvée quelques mois auparavant en

obtenant ce poste ne revint pas. A la place, un sentiment de tristesse

s'abattit sur elle.

Que Chase lui voue une haine éternelle au cas où Walter aurait

gain de cause, cela n'aurait pas dû lui importer. Mais cette idée lui

faisait horreur, même s'il l'avait déjà remplacée par une autre.

Il fallait qu'elle s'endurcisse. C'était le monde des affaires. Elle

jouait dans la cour des grands, et les confits ne lui faisaient pas peur.

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- 11 -

Mike Storm avait passé toute sa vie à Chenille. Agé d'une

quarantaine d'années, il était doté d'un tempérament ouvert et amical.

Il possédait le magasin de meubles de la ville et cumulait les fonctions

de président de la chambre de commerce et de secrétaire du conseil

éducatif communal.

Il n'était pas venu seul, s'étonna Miranda en pénétrant à la suite de

Diane dans l'arrière-salle de chez Maxine's.

Mike se leva à son arrivée, tout comme l'homme assis en face de

lui.

Elle reconnut l'intrus avant même qu'il ne se retourne.

Chase McDaniel s'immisçait déjà dans ses affaires !

Mike prit sa main et l'écrasa dans la sienne.

— Oh, Miranda. Je suis si content que Chase et vous ayez accepté

de me rencontrer.

— Nous répondons toujours présents à un appel de la chambre de

commerce, parvint-elle à répondre, en extirpant sa main meurtrie.

Heureusement pour Chase, la douleur l'empêcha d'avoir envie de

le frapper. Comment osait-il s'introduire dans la réunion qu'elle avait

organisée ?

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— J'étais en train de dire à Chase que nous avons fait une touche :

Rhodes Printing cherche à s'implanter dans le Midwest, et Chenille est

sur la liste des villes sélectionnées.

— Je suis heureuse de l'apprendre, dit-elle en s'asseyant à côté de

lui, et donc en face de Chase. Quand vous donneront-ils leur réponse?

— Ils nous envoient une délégation dans deux semaines. Nous

aurons cinq jours pour les convaincre que Chenille est le meilleur

endroit au monde pour installer une usine. J'ai déjà joint le bureau du

gouverneur et l'agence de développement de l'Iowa. Je rencontrerai

leurs représentants demain afin de mettre au point une stratégie

commune. La création de trois cents emplois permanents dans la

région n'est pas à négliger.

— Je vous fais confiance pour représenter Chenille, assura-t-elle.

Mike but quelques gorgées de son verre.

— Merci. Mais nous aurons aussi besoin du soutien de McDaniel

Manufacturing.

— Vous l'aurez, assura Chase pendant que la serveuse posait le

thé glacé de Miranda devant elle.

L'avantage chez Maxine's, c'était que le personnel connaissait les

goûts des clients et leur apportait leur boisson préférée sans qu'ils

aient besoin de demander.

— Il s'agit d'une chance inespérée pour notre ville, reprit Mike.

J'étais venu vous demander de l'aide pour le nouveau festival

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d'automne que nous organisons en octobre, mais ce projet

d'implantation de Rhodes Printing est beaucoup plus important.

— Je suis d'accord avec vous, approuva Chase.

— Il faudra éditer des brochures prouvant que Chenille est une

ville où il fait bon vivre, élever ses enfants et installer son entreprise.

Qui mieux que le personnel de McDaniel Manufacturing pourrait en

témoigner ? demanda Mike qui avait visiblement potassé son sujet.

— Enfin l'occasion de perdre notre statut de trou perdu, commenta

Chase en riant. En outre, reprit-il plus sérieusement, nous confions

tous nos travaux d'imprimerie à une entreprise de Kansas City. Si les

prix de Rhodes Printing sont compétitifs, je serais ravi de travailler

avec eux.

Chase cita ensuite de tête le budget consacré l'année précédente à

l'édition de rapports annuels et autres brochures internes.

— Comme vous pouvez le constater, il s'agit d'une somme non

négligeable. Mais, sans doute parce que nous sommes clients depuis

longtemps, nos fournisseurs actuels ne font pas beaucoup d'efforts.

Rhodes Printing pourrait facilement leur souffler le marché.

— C'est très gentil à vous d'accepter de m'aider, Chase, dit Mike.

Chenille s'est construite grâce aux McDaniel.

— Nous faisons ce que nous pouvons, répondit Chase. Si cela

peut vous aider, je veux bien rencontrer la délégation. Je leur

expliquerai pourquoi nous avons continué à fabriquer ici au lieu de

construire des usines ailleurs. Savez-vous quel genre d'abattements

fiscaux ils désirent?

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Fascinée par la conversation, Miranda écouta Chase et Mike

discuter des réductions d'impôts destinées à favoriser la création

d'entreprise.

Elle avait déjà assisté à de nombreuses négociations menées par

Leroy ou par Walter, mais elle n'avait encore jamais vu Chase à

l'œuvre. Elle était impressionnée par sa mémoire.

Il connaissait par cœur le montant des frais d'impression et celui

dépensé pour l'agrandissement des locaux, cinq ans auparavant. Il était

aussi capable de comprendre les répercussions que la création de trois

cents emplois auraient sur la ville. Ainsi, même si toutes les familles

n'habiteraient pas Chenille, l'afflux de nouveaux habitants

provoquerait forcément un engorgement des écoles...

Ce qui aurait dû être un déjeuner d'une heure consacré au futur

festival d'automne se transforma en une séance de brainstorming

destinée à trouver le meilleur moyen de séduire Rhodes Printing sans

sacrifier Chenille.

Elle-même vivait depuis trop peu de temps dans la région pour

pouvoir donner son avis sur la question. C'était, semblait-il,

exactement ce que Chase cherchait à démontrer.

D'une part, il prouvait à quel point il était compétent — et elle dut

reconnaître malgré elle qu'il connaissait son affaire : il ne se contentait

pas d'énumérer des chiffres, il les sortait de ses tripes. Chenille et

McDaniel Manufacturing faisaient partie intégrante de lui-même.

D'autre part, sa façon d'étaler ses connaissances la faisait paraître

incompétente. Il avait pris la réunion en main sans aucun effort,

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apportant ainsi la preuve qu'elle était moins qualifiée que lui pour

remplacer Leroy.

Tandis que la serveuse apportait le dessert et le café, Chase

s'engagea à verser plusieurs milliers de dollars pour financer le festival

d'automne. Sans même demander à voir le projet, il assura à Mike

qu'il le soutiendrait et annonça la somme maximale qu'il pouvait lui

donner.

Enfin, il balaya d'un geste sa proposition de payer l'addition.

— Merci, Chase. Vous avez été très généreux, conclut Mike.

— Comme vous l'avez dit, Chenille est notre ville, et nous

l'aimons. Alors, tout ce que vous pourrez inventer pour apporter à ses

habitants une meilleure qualité de vie vaut la peine d'être soutenu.

Mike jeta un coup d'œil à sa montre.

— Veuillez m'excuser, mais je dois vous quitter. Je suis attendu

pour une conférence par téléphone avec le bureau du gouverneur.

— Ne vous gênez pas. Nous finirons sans vous.

— Merci encore à tous les deux, dit-il pour conclure.

Miranda baissa les yeux sur son assiette.

Elle avait à peine touché à sa part de charlotte aux fraises alors

que Mike avait dévoré la sienne en un temps record. Chase, quant à

lui, en était à la moitié de sa tarte aux pommes.

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La pièce s'était vidée, Chase et elle étaient parmi les derniers

clients du restaurant.

Elle décida de s'éclipser au plus vite.

Comme s'il l'avait senti, Chase cassa la glace avant qu'elle n'ait eu

le temps de poser sa serviette.

— Tu n'étais pas très bavarde, fit-il remarquer.

Elle haussa les épaules.

— Tu te débrouilles très bien sans moi. Je n'avais pas grand-chose

à ajouter.

— Mmm. Ce n'est guère ton genre.

Il mit une bouchée de tarte dans sa bouche, et elle adora la façon

dont ses lèvres entourèrent la fourchette.

Bon sang, ce type était sexy même quand il mangeait !

— Ce n'était guère poli de ta part de t'immiscer dans ma réunion

de travail, ne put-elle s'empêcher de dire.

Visiblement amusé par sa réaction, Chase eut un petit rire.

— Voilà ton mauvais caractère qui ressort. Je me disais bien que

tu étais trop tranquille. En fait, j'ai été invité.

Cet homme avait l'art de l'irriter.

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— Tu aurais pu me prévenir !

Il haussa les épaules et prit une autre bouchée de tarte.

— Je n'ai pas eu le temps. Tu es arrivée avant.

— Tu ferais mieux de t'expliquer.

Déjà qu'elle s'était déjà sentie incompétente à cause de lui, pas

question qu'elle passe en plus pour une idiote.

— Je suis venu déjeuner ici. Mike venait juste d'apprendre la

bonne nouvelle, il m'a demandé de m'asseoir à sa table.

— Tu savais que je mangeais ici. Tu aurais pu aller ailleurs.

— Où ? Maxine's est le seul restaurant de Chenille ouvert à l'heure

du déjeuner.

— C'était moi qui avais organisé cette réunion.

— Les choses peuvent changer, non ? Nous lui avons donné

l'argent qu'il voulait, et tu verras qu'il n'utilisera pas tout. Mike est très

économe.

— Tu ne sais même pas si l'entreprise peut se le permettre.

— Bien sûr que si. J'ai examiné les rapports trimestriels hier. Les

bénéfices nets excèdent de 12 % les prévisions. Nous pouvons donc

nous permettre d'investir, surtout si c'est important.

— Tu aurais au moins pu demander à voir son projet.

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— Je connais Mike depuis des années, et il n'entreprend rien qui

ne soit mûrement réfléchi. Je suis sûr que ce festival sera un succès.

De plus, c'est aussi en octobre qu'a lieu le championnat annuel du

lycée. Les gens adorent les fêtes organisées à Chenille, ils viendront

de loin pour y assister. Et si l'événement devient traditionnel, il attirera

les touristes.

— Tu ne m'as même pas demandé mon avis.

— Je n'en avais pas besoin.

Le ton qu'il avait employé la hérissa.

— J'ai organisé cette réunion afin d'étudier son projet. Tu ne peux

pas arriver comme ça et te mêler de tout !

Elle avait parlé sèchement, mais Chase se montra encore plus

cassant qu'elle.

— Si, je peux.

Elle eut l'impression d'avoir reçu une gifle.

Elle prit un court instant pour se calmer, contrôlant à grand-peine

une furieuse envie de le saisir à la gorge et de l'étrangler.

Voilà pourquoi le remplacement de Leroy par Chase ne pouvait

pas fonctionner.

— Que cela te plaise ou non, je suis encore vice-présidente. Ce

n'est pas parce que tu prends la place de ton grand-père que tu peux

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me mettre au placard. J'ai été engagée pour faire ce travail, et j'ai bien

l'intention de continuer.

— Je n'ai jamais dit le contraire. Tu as tort de le prendre comme

une attaque personnelle. Les affaires sont les affaires.

— Tu te comportes comme un gamin. Je suis capable de

m'occuper du festival d'automne sans toi.

— Alors, tu surveilleras l'argent et t'assureras qu'il soit bien

utilisé. Dès que j'aurai la situation en main, j'établirai ton rôle

précisément. En attendant, excuse-moi si tout n'est pas parfaitement à

ton goût. Beaucoup de choses se sont accumulées pendant sept

semaines.

— Tu aurais pu me demander de te briefer au lieu de te comporter

comme un malotru.

Les yeux de Chase se réduisirent à deux fentes.

— J'aime faire les choses à ma façon.

— Ça, j'avais remarqué, répliqua-t-elle en repoussant son assiette,

son appétit envolé. Bon, j'espère que d'ici lundi, après la réunion du

conseil, tu auras défini clairement en quoi consiste ma tâche. Je

déteste perdre mon temps.

— Eh bien, prends le reste de ta journée et celle de demain. Ça te

fera des vacances. Et amuse-toi bien.

Elle en resta coite.

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A l'image de son grand-père avec lui, il la bannissait de

l'entreprise !

— Tu n'es qu'un pauvre type.

Il ne sembla pas s'offusquer.

— N'as-tu pas dit un jour que tu aimerais être à ma place ? Je

t'offre cette chance. Profites-en pour faire du shopping ou aller chez

l'esthéticienne.

Il savait parfaitement qu'elle n'aimait ni l'un ni l'autre.

Elle se leva en lui lançant un regard assassin. Elle qui s'était

toujours considérée comme une personne calme et maîtresse d'elle-

même, elle avait soudain envie de lui renverser le reste de son thé

glacé sur la tête.

Se dominant à grand-peine, elle le remercia pour le déjeuner et

s'éloigna d'un pas furieux.

— Tout va bien, mademoiselle Craig ? demanda Diane tandis

qu'elle passait devant le comptoir.

Elle plaqua un sourire factice sur ses lèvres.

— Oui, tout a été parfait, mentit-elle.

Le soleil lui fit mal aux yeux quand elle sortit du restaurant. Il

faisait presque quarante degrés en cette chaude journée de juillet.

Mais la chaleur estivale était incapable de lui réchauffer le cœur.

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213

***

Chase paya la note et fourra le reçu dans sa poche.

Il s'était de nouveau comporté comme un idiot. Il fallait dire que

Miranda était passée maîtresse dans l'art de l'énerver. Et dire que,

bizarrement, ils s'entendaient à merveille quand ils faisaient l'amour !

Tout le problème venait de là.

Envahi par des sentiments contradictoires, il se dirigea vers sa

voiture.

Il était furieux que Walter tente de l'éliminer et en voulait à mort à

Miranda de ne pas pouvoir se satisfaire de la vice-présidence — un

poste qui n'avait pourtant rien d'inférieur.

Mais il s'était effectivement comporté comme un malotru, et il ne

trouvait pas d'explication rationnelle à son comportement.

Miranda avait fait du bon travail pendant son absence. Peut-être

lui en voulait-il d'avoir si facilement assumé ses fonctions ? Etait-ce

pour cela qu'il avait agi ainsi ? Ou bien espérait-il secrètement qu'elle

se jetterait dans ses bras en le voyant arriver, au lieu de le traiter avec

froideur comme si rien ne s'était passé entre eux ?

Quoi qu'il en soit, il s'était comporté comme un chien défendant

son territoire, et il lui devait des excuses.

Mais en rentrant au bureau, il apprit qu'elle avait suivi son conseil

et ne reviendrait travailler que le lundi matin.

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— En cas d'urgence, vous pouvez la joindre sur son portable.

Avez-vous son numéro ? demanda sa secrétaire.

— Oui, merci.

Il referma la porte de son bureau et ouvrit sa boîte de réception.

Un des messages qu'il y trouva l'ennuya au plus haut point. Il

concernait l'ordre du jour du conseil d'administration.

Voilà pourquoi Miranda avait pris ses jambes à son cou ! fulmina-

t-il.

Elle pouvait toujours attendre des excuses de sa part. Pourquoi se

sentirait-il coupable ? Il avait sous les yeux la preuve que Walter avait

l'intention de faire voter une motion afin de le renvoyer en vacances.

Il voulait bien que Miranda reste vice-présidente, mais pas

question de la laisser devenir P.-D.G. à sa place. Elle devrait d'abord

lui passer sur le corps.

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- 12 -

Une fois rentrée chez elle, Miranda avait broyé du noir pendant un

bon moment. Puis elle avait pris un papier et un crayon et dressé la

liste de ses raisons de haïr Chase McDaniel.

Cette activité l'ayant un peu calmée, elle avait établi celle des

atouts en sa possession pour être un bon P.-D.G. Cette seconde liste

s'avérant plutôt courte, elle avait jugé préférable de se préparer à la

réunion du lundi.

Elle devait être prête au cas où Chase ou l'un des autres membres

lui chercherait des poux dans la tête malgré le soutien de Walter. Cette

séance du conseil promettait d'être l'équivalent d'un entretien avec le

diable, en cent fois pire.

Elle sentit la colère l'envahir de nouveau à l'idée qu'il avait osé lui

conseiller une visite chez l'esthéticienne. Elle enleva ses chaussures

d'un coup de pied rageur et contempla ses orteils.

Bon, une pédicure ne serait pas inutile, mais ce n'était pas une

raison.

Elle fit le tour du salon, vit sur la table les prospectus de l'agence

immobilière vantant les mérites d'une demi-douzaine de maisons

qu'elle avait prévu de visiter pendant le week-end.

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Sa recherche de logement devrait attendre. Tout comme d'ailleurs

le fait de rester à traîner chez elle. Si elle s'attardait une minute de plus

dans cet appartement, elle allait devenir folle.

Elle prit une brusque décision.

Elle savait ce qui lui restait à faire.

***

Après avoir passé l'après-midi à essayer de travailler, Chase

renonça.

Il était incapable de se concentrer. Non seulement le conflit qui

s'annonçait le rendait nerveux, mais il ne parvenait pas à chasser

Miranda de ses pensées. Il aurait dû la haïr. Au contraire, il ne cessait

de se remémorer les moments qu'ils avaient passé ensemble sur l'île.

Il y avait eu une sorte de pureté dans leurs rapports. Ils avaient

laissé tomber les masques et s'étaient dévoilés l'un à l'autre. Pas de

programme ni de secret. Juste deux êtres qui s'unissaient.

Il fallait qu'il sorte d'ici.

Il aurait aimé courir ou pédaler, mais comme la température

extérieure frôlait les quarante degrés, il se décida pour une séance de

natation. Une heure de longueurs dans la piscine de son grand-père lui

ferait le plus grand bien. Il emporterait ses dossiers et finirait son

travail le soir, après s'être calmé.

Il prévint Carla de son départ et quitta les lieux.

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217

***

— La question est de savoir si oui ou non vous êtes amoureuse de

mon petit-fils, lâcha Leroy de but en blanc.

Miranda ne s'attendait pas à une telle annonce, et elle le regarda

avec stupéfaction.

Ils étaient installés devant la baie vitrée du salon de Leroy, lui

dans un fauteuil de relaxation, elle à côté de lui. Devant eux

s'étendaient de superbes jardins savamment agencés.

— Euh, je..., bégaya-t-elle avant de refermer la bouche.

En arrivant chez son patron une heure auparavant, elle n'avait

certainement pas prévu qu'il aborderait ce sujet.

L'infirmière l'avait autorisée à lui parler à condition qu'elle évite

tout stress inutile. Mais pour l'instant, si quelqu'un se sentait mal,

c'était plutôt elle !

Leroy, quant à lui, affichait un visage calme et serein. Il avait

maigri, mais son teint était frais et son regard aussi vif que d'habitude.

L'entretien s'était bien déroulé, jusqu'à ce qu'il lâche cette bombe.

— Je vois que ma question vous choque, reprit le vieil homme en

ajustant le plaid sur ses jambes. Je me demandais juste si ce n'était pas

votre attirance pour Chase qui vous perturbait autant.

— Mais je ne suis pas perturbée, protesta-t-elle.

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Par quel sortilège la conversation était-elle passée subitement du

festival d'automne à ses sentiments pour Chase?

La main de Leroy tremblait quand il prit son verre d'eau, révélant

qu'il avait encore besoin de récupérer.

— Bien sûr que si. Je l'ai vu au premier coup d'œil.

— Eh bien, ce n'est pas parce que je l'aime, parvint-elle à

répliquer. Chase et moi, nous passons notre temps à nous disputer. Il

m'en veut à mort, et il empiète sans arrêt sur mes plates-bandes.

— Je savais qu'il réagirait ainsi. Je l'ai su dès que j'ai appris que je

devrais quitter le navire pendant un temps. Je me doutais qu'il

reviendrait s'emparer du pouvoir. Avez-vous l'intention de le laisser

faire ?

Elle préféra éluder la question.

— Vos petits-enfants n'ont pas l'intention de vous laisser

reprendre le travail.

— Je le sais, et cela ne m'étonne pas. Ils ont perdu à la fois leurs

parents et leurs grands-parents. Il ne leur reste que moi, et j'ai quatre-

vingts ans. Ils veulent que je me ménage. Mais je ne suis pas obligé de

les écouter.

L'infirmière entra pour prendre sa tension et remplir son verre

d'eau.

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— Je respecte à la lettre les ordres des médecins, dit-il quand elle

se fut éloignée. Il faut que je sois rétabli pour tenir mon arrière-petite-

fille dans mes bras. Cecilia est sur le point d'accoucher, vous le savez.

— Je l'ai vue quand vous étiez à l'hôpital. Son ventre est vraiment

gros.

— Je n'ai pas conservé beaucoup de souvenirs de ce week-end. Il

paraît que ce n'est pas grave. Ce qui importe, c'est que je me

souvienne du reste de ma vie, du moins des bons moments... N'avez-

vous pas envisagé que l'animosité entre Chase et vous puisse être due

au fait que vous soyez faits l'un pour l'autre ?

— Ça m'étonnerait.

— Pas moi. Vous ai-je déjà parlé de mon épouse ? Heidi avait le

même âge que moi, et elle habitait la ferme voisine. Nous avons

grandi ensemble, mais nous étions loin d'être des amis inséparables.

En fait, nous nous disputions sans cesse. Elle était aussi intelligente

que moi, et il ne pouvait y avoir qu'un seul major de promotion du

lycée. J'étais sûr que ce serait moi, et je n'avais pas l'intention la laisser

gagner. J'aurais eu trop honte de perdre devant une fille.

Miranda hocha la tête.

Elle ne savait pas où il voulait en venir, mais trouvait l'histoire

passionnante.

— C'était la guerre. Le conflit tirait à sa fin, mais les Japonais

n'avaient pas encore capitulé. Etant trop jeune pour m'enrôler, j'étais

resté à la ferme afin d'aider mon père. Mais les deux frères de Heidi

sont morts au front. Comme nous avions un peu d'argent, ma mère a

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embauché Heidi pour s'occuper de mon petit frère et lui donner un

coup de main dans la cuisine et au ménage. Heidi a toujours gardé la

tête haute quand elle travaillait pour nous. Et même ensuite, quand ma

famille a racheté la ferme de ses parents tout en leur laissant l'usage de

la maison. Eh bien, vous savez quoi ? Cette fille qui ne cessait de

m'envoyer des piques et que je détestais cordialement est devenue

l'amour de ma vie. En fait, elle utilisait l'agressivité pour cacher son

attirance pour moi. Heureusement, j'ai vu clair dans son jeu à temps

pour ne pas laisser échapper le bonheur que j'avais à portée de main.

— Lequel des deux a remporté le titre de major?

— Elle. J'ai échoué à l'examen de maths. J'avais eu trop peu de

temps pour réviser, à cause des semis du printemps. Je n'ai obtenu

qu'un B+ dans cette matière.

— Elle a dû triompher.

Leroy gloussa.

— Pas du tout. Elle m'a accusé d'avoir échoué exprès. Alors, je l'ai

l'embrassée pour la faire taire et lui ai demandé de m'épouser.

— Vous ne manquiez pas d'audace !

Le vieil homme eut un sourire qui lui rappela celui de Chase.

— C'est vrai que je peux être intrépide quand il le faut. La vie est

parfois étrange, n'est-ce pas ? Mon ennemie mortelle est devenue la

femme de ma vie. Mais revenons à mon petit-fils. J'ai remarqué la

façon dont il vous regarde.

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— De travers?

Leroy secoua la tête.

— Non. J'ai déjà vu des regards haineux, et ce n'est pas le cas. Et

ce n'est pas non plus ainsi qu'il regarde les autres femmes. C'est

quelque chose de complètement différent. Peut-être devriez-vous avoir

une discussion à cœur ouvert, tous les deux. Purifier l'atmosphère.

Essayer de trouver un terrain d'entente.

— Peut-être, éluda-t-elle, pour ne pas lui dire qu'il était déjà trop

tard.

— Heidi a obtenu une bourse d'études grâce à son titre de major,

raconta Leroy en tripotant son plaid. Elle est allée à l'université et a

décroché un diplôme de professeur. Elle a enseigné pendant les années

qui ont précédé la naissance du père de Chase. Elle méritait que

j'échoue à un examen pour elle. De plus, je n'avais pas besoin de cette

bourse. J'allais devenir fermier et créer une entreprise.

— Elle avait raison. Vous l'avez dupée.

Les yeux bleus du vieil homme brillèrent de malice.

— Pas du tout. Je me suis retiré de la compétition afin qu'elle

puisse réaliser son rêve. En retour, elle m'a donné les plus belles

années de ma vie.

Il essayait de lui dire quelque chose, Miranda en était sûre. Mais

elle n'eut pas le temps de tirer la leçon de l'histoire, car à ce moment,

la porte d'entrée claqua et Chase fit irruption dans la pièce.

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Leroy s'était trompé : son visage était l'image même de la haine. Il

ne se donnait même pas la peine de cacher sa colère.

***

— Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Chase ! intervint sévèrement Leroy, prenant le parti de

Miranda. Ne sois pas mal élevé avec mes invités.

Chase fulmina intérieurement.

Une telle attitude était typique de son grand-père. Selon ce

dernier, il fallait toujours défendre une femme, même si c'était un loup

déguisé en agneau.

Il considéra minutieusement le vieil homme.

Il semblait en forme. Un peu frêle peut-être, mais le teint frais et

dispos.

— Elle n'est pas une invitée, répondit-il d'une voix quelque peu

tempérée. C'est une employée. Et elle est déterminée à s'emparer du

pouvoir.

— Je suis ici chez moi, et si je dis que Miranda est mon invitée,

c'est parce que c'est le cas. Quant au pouvoir, ce serait plutôt toi qui

voudrais t'en emparer.

Chase se renfrogna.

— Ouais. Sauf si Walter Peters parvient à ses fins.

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Son grand-père haussa les sourcils, visiblement étonné.

— Qu'est-ce que Walter a à voir là-dedans ?

— Il a décidé de présenter une motion afin que je reparte en

vacances et que je laisse ma place à Miranda.

Leroy lissa le plaid sur ses jambes.

— Ah. Et c'est pour cela que tu t'es mis dans un tel état ? C'est

peut-être une bonne idée, après tout.

Miranda s'était figée sur son siège, les regardant à tour de rôle,

comme si elle assistait à un match de ping-pong.

— Je vais vous laisser discuter tous les deux, dit-elle en

commençant à se lever.

Chase la cloua sur place d'un regard.

— Reconnais que tu étais au courant, pour la motion.

Elle redressa la tête d'un air de défi.

— En effet. Mais cela n'a rien à voir avec ma présence ici, ni avec

la conversation que nous avions à ton arrivée. Walter m'en ajuste parlé

ce matin, ajouta-t-elle en se tournant vers Leroy. C'était son idée.

— Mais tu as dû applaudir, rétorqua Chase.

— Walter est un vieil entêté, commenta Leroy, qui semblait être le

seul d'eux trois à conserver son sang-froid. Je pense que vous devriez

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avoir une discussion à cœur ouvert, tous les deux. Alors, autant en

finir tout de suite, conclut-il en appuyant sur une sonnette.

L'infirmière arriva immédiatement.

— J'aimerais rejoindre ma chambre, s'il vous plaît.

— Bien sûr, je vais chercher votre fauteuil roulant.

— Puis-je faire quelque chose pour toi ? demanda Chase avec

inquiétude.

Il regrettait amèrement d'avoir abordé ce sujet. Il avait promis à

son frère et ses sœurs de ne pas évoquer les problèmes de l'entreprise

devant son grand-père. Mais qui aurait cru que Miranda viendrait

jusqu'ici chercher du soutien ? En voyant sa voiture garée dans l'allée,

il avait tout de suite compris pourquoi elle était là.

— Ecoutez, Leroy, intervint celle-ci en se levant, une discussion

ne changera rien. Je m'en vais.

Et elle les planta là sans attendre de réponse.

— C'est à cause de toi qu'elle est partie, accusa Leroy quand la

porte d'entrée claqua.

— Hein ? se révolta Chase. Ne me dis pas que toi aussi tu es sous

sa coupe ! Tu ne peux tout de même pas la soutenir contre ta propre

famille !

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— Qui a dit que je soutenais qui que ce soit ? Je voulais que tu

partes un an afin de réfléchir à ce qui est important pour toi, et tu

profites de la première occasion pour revenir.

— Tu as eu une crise cardiaque. Comment voulais-tu que je

réagisse?

— Eh bien, maintenant je vais bien.

— Ce n'est pas vrai. Que tu le veuilles ou non, tu as quatre-vingts

ans, et tu dois prendre soin de toi.

— C'est ce que je fais depuis toujours. C'est plutôt toi qui devrais

prendre soin de toi, Chase. Tu dois découvrir la nature de tes désirs

profonds, ceux dont la réalisation t'apportera le bonheur.

— Je désire être P.-D.G.

— C'est tout?

— Oui. Que pourrais-je vouloir d'autre ? demanda-t-il, de plus en

plus perplexe. Je ne veux pas que l'entreprise tombe dans de

mauvaises mains.

— Miranda n'est pas « de mauvaises mains ». Elle gagne un

salaire fixe et ne pourra pas devenir actionnaire avant deux ans. Elle

ne touche des primes qu'en fonction de ses performances et avec

l'accord du conseil. Elle n'a aucun intérêt à nuire à l'entreprise.

D'ailleurs, sa feuille de paye n'augmentera pas avant six mois.

Il devait reconnaître que son grand-père n'avait pas tort. Mais la

rancune l'emporta sur la raison.

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— Elle n'a pas d'intérêt du tout. Pas autant que moi. Non

seulement je possède une bonne part des actions, mais en plus c'est

mon nom qui est sur la façade de l'immeuble et sur le papier à lettres.

— Ne pouvez-vous pas au moins réussir à travailler ensemble ?

— Pas avec ce qu'elle manigance.

Leroy renvoya l'infirmière qui revenait avec le fauteuil roulant

puis reporta le regard sur lui.

— Ce poste est-il si important pour toi ?

— Oui, c'est ce que je veux plus que tout au monde.

— Au point de renoncer à l'amour ?

Nouveau changement de tactique.

Chase s'adossa à son siège, s'efforçant de comprendre où son

grand-père voulait en venir.

— Je ne vois pas le rapport.

— Diriger une entreprise est un travail de forçat, surtout quand on

a son nom sur l'immeuble et sur le papier à lettres.

— Je sais.

— Tu ne trouveras peut-être jamais l'amour. Tu as dit toi-même

que tu ne t'engagerais qu'à cette condition.

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Il se tortilla sur sa chaise.

— Je survivrai. Même si je n'ai pas d'enfants, j'aurai des neveux et

nièces. Il y en aura bien un dans le lot qui voudra reprendre le

flambeau après moi.

Leroy ne semblait pas convaincu.

— Tu resteras célibataire le reste de ta vie ?

— Je n'ai jamais eu de mal à faire des rencontres. Le jour où

j'aurais vraiment besoin d'une femme, j'en trouverai une. Je suis un

séducteur, souviens-toi.

— Tu l'as peut-être été, mais tu ne devrais pas renoncer à trouver

le bonheur.

— Je ne suis pas sûr qu'une telle chose existe.

Leroy fronça les sourcils.

— Bien sûr que si. Je l'ai bien trouvé, moi.

— Je voulais dire, pour moi.

Il avait du mal à l'admettre, mais c'était peut-être ce qui l'attendait

: une vie de vieux garçon solitaire. Une lueur de pitié passa dans les

yeux de Leroy.

— Triste constatation, remarqua-t-il.

Chase serra les poings.

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— Je suis réaliste, c'est tout. Je suis prêt à prendre le risque. Tu

m'as toujours dit qu'il fallait se sacrifier pour sa famille.

Leroy secoua la tête tristement.

— Je n'ai jamais dit ça, Chase. Personne ne doit renoncer à

l'amour. La famille ne se portera pas plus mal si tu n'es pas P.-D.G.

Es-tu venu ici ce soir juste pour me parler de Walter? demanda-t-il

après une minute de silence.

— Non, je ne voulais même pas t'en parler. Je suis venu me

baigner. Il fait chaud, et j'ai besoin de me défouler.

— Ah. Eh bien, vas-y.

Il sonna, et l'infirmière apparut aussitôt avec le fauteuil. Elle

devait sans doute attendre derrière la porte.

Chase resta là à regarder son grand-père s'en aller.

Combien d'erreurs un homme avait-il le droit de commettre en une

journée ?

Premièrement Miranda, maintenant Leroy. Vivement lundi,

songea-t-il. S'il était éliminé, au moins ce supplice prendrait-il fin.

Il rejoignit la piscine, se mit en maillot de bain et plongea dans

l'eau fraîche.

***

Leroy observait son petit-fils par la fenêtre de sa chambre.

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Il y avait déjà une heure qu'il faisait des longueurs dans la piscine,

comme s'il s'entraînait pour les jeux Olympiques.

C'était idiot que Chase ne soit pas capable de voir ce qu'il avait

sous les yeux. La femme de sa vie était à portée de sa main, et il

risquait de tout gâcher à cause de sa stupide fierté.

Il ne le lui permettrait pas.

Il saisit son portable et composa un numéro qu'il connaissait par

cœur.

— Bonjour, Walter, dit-il. C'est Leroy. J'ai entendu dire que tu

voulais déposer une motion.

***

Miranda secoua la tête devant sa glace. Elle ne pouvait pas être

amoureuse de Chase McDaniel. Impossible.

Mais depuis qu'elle avait quitté la propriété de Leroy, elle n'avait

cessé de penser à la conversation qu'elle avait eue avec le vieil

homme. Elle se repassait ses phrases dans sa tête, les analysant sous

tous leurs angles.

Elle n'était pas amoureuse de Chase.

« La dame fait trop de protestations, ce me semble. »

Ce vers tiré de Hamlet avait été l'une de ses phrases fétiches

durant ses années de lycée. Et pour cause. Elle aussi était du genre à

nier ses sentiments, de peur d'avoir le cœur brisé.

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A l'image de Leroy et Heidi, Chase et elle ne se supportaient pas

parce qu'ils visaient le même but. Leurs corps s'entendaient à

merveille, nul besoin de le prouver, mais leur lutte pour le pouvoir les

absorbait tellement qu'ils avaient tous les deux négligé l'essentiel.

« Heidi méritait que j'échoue pour elle. De plus, je voulais devenir

fermier... »

Elle comprit brusquement ce que Leroy avait voulu dire : il s'était

écarté pour laisser la voie libre à Heidi.

Etait-ce ce qu'elle devrait faire avec Chase — au cas où elle serait

amoureuse de lui ?

Un coup sur la porte l'arracha à ses pensées. Elle alla regarder par

le judas.

Chase.

— Miranda, je sais que tu es là. J'ai vu ta voiture en bas. Je dois te

parler. Ouvre-moi, s'il te plaît. Je t'en prie, ajouta-t-il au bout d'un

moment, d'une voix suppliante.

Cédant à ses instances, elle enleva la chaîne de sécurité et ouvrit la

porte.

Les cheveux de Chase étaient mouillés, comme s'il sortait de la

douche ou de la piscine. Il portait un short et un T-shirt et était

terriblement sexy.

Non, elle ne pouvait pas l'aimer. C'était un pauvre type, un mufle

dénué de toute sensibilité.

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Pourtant, elle ne s'était jamais sentie aussi heureuse que dans ses

bras.

— Ce n'est pas une bonne idée, dit-elle.

— Il faut qu'on trouve un terrain d'entente avant lundi, sinon ce

sera la guerre civile au sein de l'entreprise.

— Bon, concéda-t-elle en s'écartant pour le laisser passer.

— Veux-tu boire quelque chose ?

— Je veux bien un peu d'eau. Je viens de nager.

Chase s'assit sur un des tabourets du bar qui séparait la cuisine du

salon pendant qu'elle remplissait un verre d'eau fraîche.

— Voilà.

— Merci, dit-il en buvant à longs traits. Mon grand-père est plutôt

perturbé par nos histoires. Il serait préférable que nous arrivions à un

accord.

Elle redressa les épaules.

— Si tu me demandes de me retirer, c'est non.

Chase but encore un peu d'eau.

— Pareil pour moi. Evidemment.

— Alors, nous sommes dans une impasse.

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Cherchant une diversion, elle se tourna pour arranger les torchons

sur la barre.

— Qu'est-ce que ce job représente pour toi ? lui demanda Chase.

Pourquoi tiens-tu tellement à travailler chez nous ? J'ai beaucoup

d'amis, et je pourrais t'aider à trouver un travail intéressant ailleurs.

Peut-être dans une entreprise qui démarre, dans laquelle tu pourrais

t'investir à fond. Petite ou grande, que préfères-tu ?

Elle pivota sur elle-même, le torchon à la main.

— Essaierais-tu de m'amadouer?

— De toute évidence, nous sommes incapables de travailler

ensemble. Si c'est de l'argent que tu veux, dis-le-moi. Ton prix sera le

mien.

— Tu ne peux pas m'acheter. Je ne suis pas à vendre.

Il passa la main dans ses cheveux mouillés.

— Tu as tort de le prendre pour une attaque personnelle. Je rêve

de diriger l'entreprise depuis que je suis tout petit. Quand mon père est

mort, je me suis juré de prendre sa suite et de faire du bon travail. Tu

ne peux pas me voler mon rêve.

— Et le mien, alors ? Moi aussi, je veux être à la hauteur de ce

que mes parents attendaient de moi.

— Tu auras d'autres occasions, Miranda. Les entreprises

susceptibles de t'embaucher ne manquent pas. Moi, je m'appelle

McDaniel. Où suis-je censé postuler? McDonald? Kraft?

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L'argument ne manquait pas de pertinence, mais elle était trop

confuse pour l'assimiler. Entre ses propres doutes et les énigmatiques

conseils de Leroy, sa tête était sur le point d'exploser.

— Tu ferais mieux de partir, maintenant.

Chase finit son verre et se leva.

— Promets-moi de réfléchir.

— Je ne peux rien te promettre.

Il leva les mains en l'air.

— Ecoute, je suis vraiment désolé qu'on en soit arrivés là. On

aurait mieux fait de ne pas faire l'amour ensemble, et mon grand-père

n'aurait jamais dû avoir cette idée ridicule. Mais il est trop tard pour

revenir en arrière. Alors, pense à ce que je t'ai dit et, s'il te plaît, ne va

plus voir Leroy. Il a été obligé de se coucher après notre départ, et je

ne veux pas qu'il se stresse à cause de nous.

C'en était trop. Il avait tenté de l'acheter, avait souillé les moments

qu'ils avaient partagés, et maintenant, il voulait la culpabiliser?

Elle ne se laisserait pas faire.

— C'est toi qui le stresses. C'est toi qui le déçois !

Chase écarquilla les yeux.

— Moi? Tu délires.

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— Mais oui, tu es si parfait ! Tu ne vois pas que ton grand-père

veut ton bien? Il t'offre des vacances, et tu lui lances son cadeau à la

figure. Leroy désire juste que tu sois heureux, que tu aies la même

chance que lui. Ce n'est pas le travail qui te tiendra chaud la nuit.

Chase pâlit.

Elle avait touché un point sensible. Mais il était trop tard pour

qu'elle s'arrête.

— Ce n'était pas de Walter que nous parlions quand tu es arrivé,

mais de ta grand-mère et de la façon dont ils s'étaient connus. Savais-

tu qu'il avait échoué à un examen de maths afin qu'elle puisse être

major de la promotion ? C'était une preuve d'amour, poursuivit-elle

devant son mutisme. Elle était plus importante à ses yeux qu'une

gloire éphémère. Il savait qu'elle avait besoin de ce titre pour obtenir

une bourse et poursuivre ses études. Je comprends pourquoi tu déçois

autant Leroy. Tu veux bien te sacrifier pour ta famille, mais tu ne peux

pas t'empêcher de jouer les victimes.

— Je refuse d'en entendre plus, dit Chase en se dirigeant à grands

pas vers la porte.

— C'est ton droit, rétorqua-t-elle, sur ses talons. Mais tu devrais

aussi profiter du week-end pour réfléchir. Que feras-tu si je suis

plébiscitée par le conseil ?

Il franchit le seuil et la fusilla du regard.

— Aucune chance !

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— Nous verrons bien ce qui se passera lundi. Mais tu pourrais très

bien perdre.

— Ne te fais pas trop d'illusions. Tu oublies qui je suis.

Elle planta les mains sur ses hanches.

— Oh, non ! Je sais très bien qui tu es : un pauvre type arrogant

sur le point de descendre de son piédestal.

Chase eut le culot de rire.

— Et je vais te dire autre chose : sache que je ne suis pas

amoureuse de toi, lâcha-t-elle, regrettant aussitôt ses paroles.

— Quoi ? demanda-t-il d'un air abasourdi.

Paniquée, elle s'efforça de remettre de l'ordre dans ses pensées.

Elle n'aurait pas dû révéler ce que Leroy lui avait dit. Trop tard.

Maintenant, il fallait éviter que Chase tire des conclusions hâtives de

cet aveu.

— Ton grand-père m'a demandé si je t'aimais. Il semble persuadé

que nous sommes faits l'un pour l'autre. Comme si je pouvais aimer un

type comme toi !

Chase croisa les bras sur son torse.

— Mon grand-père t'a demandé ça ?

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Vu l'état de ses nerfs, soit elle répondait méchamment, soit elle se

mettait à pleurer.

Ne pouvant lui révéler ses sentiments, elle opta pour la première

solution.

— Oui. J'étais désolée de le décevoir. Il l'est bien assez à cause de

toi.

Une expression étrange passa sur le visage de Chase.

— Il pense que tu m'aimes, murmura-t-il pensivement.

— Il se trompe.

Elle sentit soudain tout le poids de cette pénible journée lui

tomber dessus. Alors, elle fit la première chose qui lui passa par

l'esprit : elle lui claqua la porte au nez.

***

Chase sortit de l'immeuble et rejoignit sa voiture, profondément

troublé.

Il ne savait pas à quoi s'attendre en rendant visite à Miranda, mais

sûrement pas à ce qu'elle lui annonce une telle bombe.

Son grand-père croyait qu'elle l'aimait !

L'idée semblait absurde, mais elle n'était pas dénuée de bon sens.

Soudain, il avait l'impression d'avoir trouvé la pièce du puzzle qui lui

manquait pour comprendre la situation.

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Il prit le volant et retourna chez son grand-père.

Leroy était redescendu dans le salon.

— Je n'ai pas envie de reparler de cette histoire, dit le vieil homme

sans préambule.

— Moi non plus. Je voulais juste savoir pourquoi tu avais

demandé à Miranda si elle m'aimait.

Leroy posa son magazine sur ses genoux.

— Parce que vous vous regardez l'un l'autre comme Heidi et moi

quand on était jeunes.

Abasourdi, Chase se laissa tomber dans un fauteuil.

Il se sentait le roi des imbéciles.

— Ne t'a-t-elle rien dit de précis ?

— Non. Elle pense que tu la détestes. Qu'aurait-elle pu me dire?

— Je ne sais pas.

Son grand-père secoua la tête.

— Allons, comme si rien ne s'était passé entre vous l'autre nuit au

bord du lac... N'avez-vous pas pris un peu de bon temps tous les deux?

— Tu as vu quelque chose ? demanda-t-il, sous le choc.

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Leroy sourit d'un air entendu.

Chase grogna de dépit.

Bravo pour la discrétion. Il s'était fait avoir comme un bleu.

— Merci de confirmer mes suspicions.

Au lieu de se réjouir, son grand-père soupira.

— Je suis un vieil homme. Je me lève souvent la nuit pour aller

aux toilettes. Je n'ai rien vu de précis, mais je n'ai eu aucun mal à en

tirer des conclusions. Le bateau n'était pas là, et la lumière du hangar à

bateau est restée allumée jusqu'à l'aube. J'imagine que tu n'étais pas

seul.

— Elle m'attire. Nous avons eu une petite aventure.

— C'est bien que tu l'admettes. Tout le monde a remarqué la façon

dont tu la regardes. Pourquoi crois-tu que j'essaie de vous rapprocher?

— C'est impossible. Nous sommes en lutte pour le même poste.

L'un de nous devra se retirer, et ce ne sera pas moi.

Leroy pianota sur l'accoudoir du fauteuil.

— Je vois.

— Je voulais que tu le saches, conclut-il en se levant.

— Est-ce que tu l'aimes ?

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Chase se figea.

— Lorsque je l'ai rencontrée, j'ai eu l'impression qu'elle pouvait

être celle que je cherchais. Mais les apparences sont souvent

trompeuses.

— Souvent, mais pas toujours.

— Je sais de quoi je parle. Mais je me conformerai à la décision

du conseil, quelle qu'elle soit. Je ne veux pas te stresser ni te décevoir

davantage.

— Ce n'est pas le cas. Tu ne m'as jamais déçu. Je t'aime, et je

t'aimerai toujours.

Chase hocha la tête, légèrement soulagé.

— Merci. Je passerai demain pour prendre de tes nouvelles.

— Ne t'inquiète pas, je ne serai pas seul. Chris vient passer le

week-end avec moi. J'ai acheté un nouveau livre de mots croisés.

Cette activité était leur passion commune à tous les deux.

— Bon. Alors, je t'appellerai, conclut Chase en s'éloignant.

Leroy le rappela au moment où il franchissait le seuil.

Il pivota et regarda son grand-père.

Le vieil homme semblait perdu dans son grand fauteuil. Sa

fragilité le frappa. La vie était trop courte pour qu'on la gâche.

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— Tu sais, Chase, si ton père te voyait, il serait fier de toi. Et

n'oublie pas ce que je t'ai dit. Ne te sacrifie pas pour la famille. Fais

les choix qui te rendront heureux. Moi, j'ai tout eu : l'amour et le

travail. Il n'y a pas de raison que ce ne soit pas pareil pour toi.

— Je n'y crois pas.

— Eh bien, tu as tort. Maintenant, va-t'en et fais attention sur la

route. Et, s'il te plaît, regarde la vérité en face.

— Que veux-tu dire?

— Tu aimes Miranda.

Chase eut un rire bref.

— Non. Et même si c'était vrai, cela ne changerait rien.

Un petit sourire triste flotta sur les lèvres de Leroy.

— Etablis la liste de tes priorités. C'est à cela que cette année

sabbatique devait te servir. N'oublie pas que l'amour est la seule chose

qui compte.

En effet, songea Chase en rentrant chez lui, mais l'amour pouvait

aussi être synonyme de souffrance. Il avait aimé ses parents, et ceux-ci

étaient morts.

Miranda et lui s'étaient lancé trop d'horreurs à la figure pour qu'il

soit possible de recoller les morceaux. Même s'il avait des sentiments

pour elle — ce qui n'était pas le cas —, leur relation se limitait à une

attirance sexuelle.

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Oui, il aimait la façon dont ses courts cheveux noirs retombaient

sur son visage après l'amour et dont ses lèvres rougissaient sous ses

baisers. Chaque fois qu'il se souvenait de la sensation de son corps

contre le sien, il sentait le désir monter de nouveau. Il ne cesserait

jamais de la désirer.

Mais on ne pouvait pas construire une vie sur une simple attirance

physique. Ils ne pouvaient même pas travailler ensemble sans se

disputer. Toute relation entre eux était vouée à l'échec. Lundi, l'un des

deux devrait se retirer.

Tandis qu'il priait pour que ce soit elle, il comprit soudain où son

grand-père avait voulu en venir.

Miranda était la femme que le destin lui avait réservée. S'il gagnait

le combat et devenait P.-D.G., il perdrait le cadeau le plus précieux

qu'il ait jamais reçu.

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- 13 -

Chase était sur des charbons ardents. Il avait envie de desserrer sa

cravate, mais il se domina.

Walter avait annoncé dès le début de la séance son intention de le

destituer.

— Tu manques d'expérience, Chase, dit-il.

— Tout comme Miranda, répliqua-t-il.

Il jeta un regard autour de lui.

Environ la moitié des membres du conseil l'approuvaient en

hochant la tête.

— Elle n'est en place que depuis sept semaines, reprit-il. Moi, j'y

suis depuis dix-neuf ans, sans compter toutes les heures que j'ai

passées ici du temps du lycée.

— C'est vrai, remarqua Kathleen Kennedy, la présidente qui le

défendait depuis le début. Nous comprenons que tu soutiennes

Miranda, Walter. Tu l'as formée, et elle est ta protégée. Mais Chase est

l'héritier légitime de cette entreprise. De quoi aurions-nous l'air en le

renvoyant pour le remplacer par quelqu'un de l'extérieur et sans réelle

expérience ? Ce n'est pas comme si Chase était incompétent.

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Il réprima son envie de se tortiller sur son siège. Etre ainsi sur la

sellette le mettait mal à l'aise, mais c'était la procédure normale.

— D'ailleurs, poursuivit Kathleen, il a participé vendredi après-

midi à une réunion avec Mike Storm et le gouverneur de l'Etat. Mike

m'a appelée samedi pour me dire que Chase avait joué un rôle capital

dans le projet d'implantation de Rhodes Printing à Chenille. Il paraît

que tout le monde était impressionné par son professionnalisme.

— Quelqu'un avait-il demandé à Miranda d'assister à cette réunion

? demanda Logan Bennet. Et d'ailleurs, pourquoi n'est-elle pas encore

arrivée ?

— Elle n'est pas venue travailler depuis jeudi, répondit Chase, tout

aussi étonné de son absence. Je vous rappelle qu'elle a été recrutée en

tant que vice-présidente et que je viens après mon grand-père dans la

hiérarchie.

— Elle devrait être là, insista Nick.

Tous les regards se tournèrent vers Walter.

— Je ne sais pas où elle est, dit ce dernier en haussant les épaules.

Je lui ai parlé au téléphone hier soir, et elle m'a dit qu'elle viendrait.

Elle a peut-être eu un souci avec sa voiture.

— Vu l'importance de cette réunion, elle aurait pu appeler,

intervint Kathleen. Il y a déjà une demi-heure que nous l'attendons. A

moins que quelqu'un ait quelque chose à ajouter, je propose de voter.

En ce qui me concerne, je vote pour Chase.

— Et moi, pour Miranda, dit Walter.

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Deux autres personnes donnèrent ensuite leur voix à Chase. Le

conseil était constitué de douze membres. Deux d'entre eux étaient

absents—Jack Palenske et Leroy McDaniel. Le scrutin en était à cinq

voix contre deux en faveur de Chase, quand la porte de la salle de

conférence s'ouvrit.

— Désolé d'être en retard, annonça Leroy tandis que l'infirmière

poussait le fauteuil à l'intérieur. Mettez-moi ici, ordonna-t-il en lui

indiquant une chaise vide.

Elle l'aida à s'installer puis s'en alla.

Leroy jeta un regard circulaire autour de lui.

— Qu'est-ce que j'ai raté ?

Chase s'accrocha à son siège pour ne pas bondir.

Son grand-père n'avait le droit de sortir de chez lui que pour se

rendre chez le médecin. Sa santé ne lui permettait pas d'être soumis au

stress. Pourtant, il était là.

— Nous étions en train de voter. Cinq voix pour Chase et deux

pour Miranda, expliqua Kathleen.

— Ah. Donc, si je vote pour Miranda et si tous les autres me

suivent...

— Elle sera notre P.-D.G. jusqu'à ton retour, conclut Kathleen, qui

semblait contrariée par cette intervention inopinée.

Leroy se redressa sur sa chaise.

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— Je reviendrai sans doute bientôt, mais je me retirerai

définitivement au mois de mai. J'ai promis à Chase qu'il serait le

patron à la fin de son année sabbatique. Ma promesse tient toujours.

— Mais tu nous avais dit que c'était Chase qui avait décidé lui-

même de partir en vacances. L'aurais-tu forcé à prendre ces congés ?

s'enquit Kathleen.

Leroy eut la décence de prendre un air contrit.

— Oui. C'était peut-être une extravagance de vieil homme, mais je

voulais que Chase prenne le temps de réfléchir. Il fait partie de cette

entreprise depuis qu'il est en âge de travailler. As-tu jamais eu une

expérience ailleurs, Chase ?

— Non, répondit-il.

Une fois de plus, Leroy lui mettait des bâtons dans les roues. Ce

n'était pas bon signe.

— Je voulais lui donner le choix, reprit Leroy. Diriger McDaniel

ne doit pas être une obligation. Il faut le décider.

Les membres du conseil se mirent à hocher la tête en signe

d'approbation.

Chase réprima une grimace.

— Je pense que nous connaissons ta position, Chase, dit Logan,

tandis que tout le monde tournait la tête dans sa direction. Tu veux

être P.-D.G.

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Il s'efforça d'avoir l'air calme et sûr de lui.

— Oui. Je suis décidé à remplacer mon grand-père lorsqu'il

prendra sa retraite. Je n'avais pas envie de prendre des vacances, mais

j'ai accepté de partir pour lui faire plaisir, expliqua-t-il avant de se

tourner vers son grand-père. Tu n'aurais pas dû venir. Tu étais censé te

ménager.

Leroy haussa les épaules.

— Je me reposerai plus tard. Voilà mon opinion : je préférerais

que Miranda assure l'intérim et que Chase reparte en vacances.

Un tremblement nerveux agita sa joue, mais il parvint à le

dominer.

— Malheureusement, je vois bien que c'est impossible. Chase

désire ardemment reprendre le flambeau après moi, ce qui était

exactement ce que je voulais savoir. En outre, la nomination de

Miranda ne reçoit pas l'approbation de tous.

Leroy plongea la main dans la poche de sa veste et en retira une

enveloppe.

— Miranda m'a rendu visite ce matin et m'a remis sa lettre de

démission. Elle abandonne son poste aujourd'hui avec une année de

salaire d'indemnité. Comme elle avait été recrutée pour remplacer

Chase et que celui-ci est revenu, sa présence n'a plus lieu d'être.

Miranda avait démissionné !

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Il y eut quelques exclamations de surprise, mais Chase les entendit

à peine. Il regardait fixement son grand-père, qui lui rendait son

regard comme s'ils étaient seuls au monde.

— Chase est là, il veut ce poste, et je m'en voudrais de ne pas le

satisfaire, déclara le vieil homme en reportant enfin les yeux sur

l'assemblée. C'est mon petit-fils, et il le mérite. Maintenant, votons

afin d'élire le nouveau P.-D.G. de McDaniel Manufacturing. Mon rôle

se réduira désormais à le conseiller, ce dont je me chargerai avec

plaisir jusqu'à la fin de l'année. Félicitations, Chase. Tu as eu ce que tu

voulais.

Chase hocha vaguement la tête. Il avait l'impression d'avoir reçu

un coup de poing à l'estomac.

Pourquoi sa victoire ne lui apportait-elle pas la joie attendue ?

Kathleen, qui semblait un peu ébranlée par ce revirement, reprit

rapidement le contrôle de la situation. Elle désirait sans doute en finir

au plus vite.

— Bien, dit-elle. Qui donne sa voix à Chase ?

Tout le monde leva la main, sauf Walter et Leroy.

— Qui est contre ? demanda ensuite Kathleen en se tournant vers

les deux hommes.

Ceux-ci annoncèrent leur intention de s'abstenir.

Chase était donc élu à l'unanimité.

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— La motion est votée. Bravo, Chase, conclut Kathleen en

poussant un soupir.

La séance fut suspendue, et la salle commença à se vider. Tout le

monde félicita Chase avant de se retirer rapidement, le laissant en

compagnie de son grand-père et de Walter.

— Alors comme ça, elle a démissionné ? demanda Walter d'entrée

de jeu.

Leroy grimaça.

— Je t'avais dit de ne pas lui mettre la pression. J'ai essayé de la

convaincre de rester, mais elle avait déjà pris sa décision en arrivant

chez moi. Elle m'a dit qu'elle avait parlé avec Chase hier soir, qu'elle

s'était posé des questions et qu'elle savait maintenant ce qu'elle avait à

faire.

Walter se tourna vers Chase.

— Que lui as-tu fait? accusa-t-il. Que lui as-tu dit?

— Moi ? Rien. On ne s'est pas vus depuis jeudi. Ce soir-là, elle

était fermement décidée à me battre à plates coutures. Je ne sais pas ce

qui a pu la faire changer d'avis.

— Elle a prétendu avoir de bonnes raisons de prendre cette

décision. J'ai préféré ne pas insister, et je vous suggère tous deux de

m'imiter, conclut Leroy. Maintenant, Walter, que dirais-tu de déjeuner

avec moi, puisque tu es en ville ?

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— D'accord, chez Maxine's. Je rêve de déguster une part de leur

délicieuse tarte aux cerises.

Leroy se tourna vers Chase.

— Fais demander aux relations publiques de rédiger un

communiqué pour informer les médias de ta nomination. Si tu as

besoin de me parler, passe à la maison dans la soirée.

L'infirmière pénétra dans la salle, mettant fin à l'entretien.

— Fais attention à toi, recommanda Chase à son grand-père.

— Ne t'inquiète pas. Lucinda est là pour me surveiller.

Quand il rejoignit son bureau, Carla était déjà au courant de la

nouvelle. Elle lui adressa un sourire rayonnant.

— Félicitations, Chase. Je suis contente pour vous.

Curieusement, la joie qu'il aurait dû éprouver ne venait pas. Mais

il devait jouer le jeu pour les employés.

— Merci, dit-il en lui rendant son sourire. Dès que la poussière

sera un peu retombée, nous parlerons de votre future augmentation.

— Oh, Chase ! Je suis si contente.

— Je sais qu'un homme n'est rien sans sa secrétaire.

— Oui, ne l'oubliez pas, répondit-elle en riant.

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Il rejoignit ensuite son bureau et s'installa à sa table afin de dresser

une liste de choses à faire.

Premièrement, il lui fallait un vice-président. Il décida de

demander à Carla de se procurer auprès du service du personnel les

dossiers des cadres de l'entreprise qui pourraient faire l'affaire. Il avait

déjà travaillé avec la plupart d'entre eux et avait sa petite idée, mais il

ne voulait oublier personne.

Il pensa ensuite à Miranda et se dirigea vers le bureau de celle-ci.

Lauren, sa secrétaire, se leva à son arrivée et le félicita pour sa

nomination.

— Je suis sûre que vous ferez du bon travail, dit-elle.

— Merci. Miranda a-t-elle déjà récupéré ses affaires ?

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

Je ne l'ai pas vue de la matinée. Elle a laissé un message sur mon

répondeur pour me dire qu'elle ne serait pas là aujourd'hui.

— Elle a démissionné.

— Oh, dit Lauren en se laissant tomber lourdement sur sa chaise.

— Ne vous inquiétez pas, vous conserverez votre poste. Vous

continuerez à travailler avec son remplaçant. Sachez que personne ne

s'y attendait. Elle a annoncé sa décision à mon grand-père ce matin.

Il ouvrit la porte du bureau de Miranda.

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Toutes ses affaires personnelles avaient disparu. Elle avait dû

vider les lieux avant l'arrivée du personnel.

Lauren semblait abasourdie.

— Je n'étais pas au courant.

— Moi non plus, dit-il en refermant la porte. Si vous avez le

moindre problème, adressez-vous à Carla. Elle saura vous aider.

— D'accord. Je n'en reviens pas que Miranda soit partie de cette

façon.

Lui non plus. Et il voulait des réponses à ses questions.

Il appela Carla pour lui dire qu'il s'absentait quelques heures et se

rendit à sa voiture.

***

Miranda eut beau se mettre la tête sous l'oreiller, les coups

continuèrent à retentir sur la porte. Celui ou celle qui était derrière

était tenace.

Elle sortit du lit et consulta l'horloge.

Il était presque midi. Elle avait dormi trois heures.

Donner sa démission à Leroy l'avait exténuée. Elle n'aurait jamais

imaginé en arriver là.

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Après avoir passé la journée du dimanche à se ronger les sangs,

elle en était arrivée à la conclusion qu'elle ne supporterait pas le regard

triomphant de Chase s'il remportait la lutte. D'un autre côté, la haine

éternelle qu'il lui vouerait en cas d'échec lui pourrirait le reste de sa

vie. Mieux valait déguerpir.

Elle avait pris sa décision la veille au soir à 22 heures, s'était

rendue à son bureau et avait emballé ses affaires. Elle avait ensuite

demandé au gardien de l'aider à porter ses cartons dans la voiture et

s'était esquivée comme une voleuse. Elle était allée chez Leroy le

lendemain matin.

Le vieil homme avait lu sa lettre de démission, puis il l'avait

scrutée de ses yeux bleus, si semblables à ceux de Chase.

— La réponse à ma question de la dernière fois est oui, n'est-ce

pas ?

Elle avait hoché la tête et éclaté en sanglots.

— Mon petit-fils n'est pas un homme facile, n'est-ce pas ? Il est

adorable, mais c'est une véritable tête de mule. Il a hérité de mes pires

défauts. N'y a-t-il rien que je puisse faire pour vous convaincre de

rester?

— Non, je dois partir.

Si Chase n'était pas capable de partager avec elle son territoire,

comment pourrait-il lui donner son cœur? De plus, les sentiments

qu'elle éprouvait pour lui excluaient toute possibilité de collaboration

professionnelle.

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Quelle idiote ! Elle n'aurait jamais dû tomber amoureuse d'un

homme qui ne l'aimerait jamais.

Leroy lui avait tapoté la main.

— J'ai l'impression de vous payer pour sortir de la vie de mon

petit-fils. Ce n'était pas mon intention quand je vous ai engagée.

— Je sais. C'est moi la coupable.

C'était la vérité. C'était elle qui était à l'initiative de cette

malencontreuse sortie nocturne sur le lac. Elle avait cru satisfaire un

simple besoin physique. En voyant qu'elle s'était trompée, elle s'était

dit qu'elle oublierait. Elle s'était de nouveau trompée. Elle avait joué à

la roulette avec son cœur, et elle avait perdu.

Les coups sur la porte s'arrêtèrent un instant, avant de reprendre de

plus belle.

Elle essuya ses larmes et respira pour chasser sa détresse.

Elle devait avoir une tête à faire peur, mais qui s'en souciait?

Demain, elle serait loin d'ici.

Elle alla sur la pointe des pieds jusqu'à la porte d'entrée, jeta un

coup d'œil par le judas, puis s'adossa à la porte.

Chase.

S'il y avait quelqu'un qu'elle n'avait pas envie de voir, c'était bien

lui. Pourquoi ne la laissait-il pas en paix? Devait-il absolument venir

la narguer?

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— Va-t'en ! cria-t-elle.

Il frappa de nouveau.

— Non. Je veux te parler.

— Pas moi.

— Je frapperai à ta porte jusqu'à ce que tu m'ouvres.

— J'appellerai la police.

— Vas-y, mais tu perds ton temps. Je suis allé à l'école avec

presque tous les policiers de cette ville, et je ne partirai pas d'ici avant

de t'avoir parlé.

Elle passa la main dans ses cheveux en désordre, désespérée.

Elle imaginait la scène : Chase et les policiers riraient à ses

dépens. Tous les habitants de cette ville se rangeraient sans hésiter de

son côté.

Chase recommença à cogner sur la porte.

— Ah, finalement ! dit-il en la parcourant des yeux, quand elle

ouvrit la porte.

— Ne me dis pas que j'ai une mine affreuse. Je ne suis pas

d'humeur à entendre tes sarcasmes.

Il fronça les sourcils.

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— Tu as vu mon grand-père ce matin.

— Oui, répondit-elle en retenant la porte. Et ensuite, je suis

revenue ici me mettre au lit. Si tu es venu pour me narguer, c'est fait.

Au revoir.

— Je ne suis pas venu pour te narguer, répondit-il en desserrant sa

cravate. Je veux savoir pourquoi tu as démissionné. La dernière fois

que l'on s'est vus, tu étais déterminée à obtenir ce poste. En tout cas,

c'est l'impression que tu donnais.

— As-tu besoin de tout savoir?

— Dans ce cas, oui.

— Tu disais toi-même qu'il s'agissait d'une question

professionnelle. Ta venue ici n'a rien à voir avec l'entreprise.

— Cesse de déformer mes paroles, bon sang ! J'ai été nommé P.-

D.G., mais je ne m'y attendais pas. Leroy est arrivé sans prévenir et

nous a annoncé ta décision. Il aurait voté pour toi si tu n'avais pas

démissionné. Tu aurais gagné.

Elle sentit son cœur se briser un peu plus.

— Ecoute, Chase, tu es trop fort. Personne ne peut te battre. Dans

certains cas, il vaut mieux abandonner la lutte.

— Ce n'est pas ton genre, fit-il remarquer avec bon sens.

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— C'est vrai. Mais ton grand-père m'a fait une proposition

alléchante : une année de vacances payées. Alors j'ai sauté sur

l'occasion. Je vais enfin pouvoir faire le tour du monde dont je rêvais.

— Alors, pourquoi as-tu les yeux aussi rouges ?

Elle lui lança un regard mauvais.

— Ne vas pas croire que je pleure pour toi ! Je suis fatiguée. Je

viens de me réveiller, et je me suis couchée tard. J'ai vidé mon bureau

la nuit dernière.

Il leva les mains en signe de protestation.

— Calme-toi. Tu t'énerves pour rien.

— C'est toi qui m'énerves. Tu t'es montré grossier et désagréable

depuis le début. Tu ne m'as jamais prise au sérieux.

— C'est faux. Je t'ai aidée à changer ta roue. C'est toi qui t'es

montrée désagréable avec moi. Et je n'ai jamais douté de tes

compétences.

Elle sentit la lassitude l'envahir.

— Cette discussion ne nous mènera à rien. On ne pourra jamais

travailler ensemble. On se dispute toujours.

— Pas toujours, objecta Chase en plongeant les yeux dans les

siens. Il y a eu des moments où l'on s'entendait à merveille, si je me

souviens bien.

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Elle se le rappelait aussi, malheureusement. Il lui avait volé son

cœur et n'en avait même pas conscience.

— Je regrette ce qui s'est passé, dit-il en lui prenant la main. Tout

ce que je voulais, c'était être P.-D.G. de McDaniel Manufacturing. Ne

pars pas. Je voudrais que tu continues à travailler avec moi.

Elle lui arracha sa main.

— Comment pourrais-je travailler avec toi après ce qui s'est

passé? Si j'avais su, je n'aurais jamais fait l'amour avec toi.

— Tu admets donc avoir des sentiments pour moi.

— Oui, j'en ai. Mais pas ceux que tu attends.

Chase poussa un soupir.

— Tu dresses des murs autour de toi. Tu te sers de tes rêves

comme d'un bouclier, afin que personne ne puisse t'approcher. Tu

veux savoir ce que je pense de ton idée de partir en vacances ? Tu

feras comme moi : tu grimperas aux murs au bout de deux semaines.

Tu regretteras le monde des affaires et auras l'impression de perdre ton

temps. Tu visiteras peut-être Paris, Rome et Londres, mais tu n'y

prendras aucun plaisir. Tu préfères travailler.

— Ne crois pas ça. Je ne suis pas comme toi, Chase. Je sais me

détendre, moi. Tu ferais mieux de partir, maintenant. Cette discussion

est stérile. Réjouis-toi d'avoir obtenu ce que tu voulais.

Elle lui montra la sortie.

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Chase secoua la tête.

— Je ne me réjouis pas, tu te trompes. J'ai perdu quelque chose de

précieux.

— Bien sûr.

Il se rapprocha et prit son menton dans sa main avant de plonger

les yeux dans les siens.

— J'ai été obligé de choisir entre toi et l'entreprise, chuchota-t-il.

Cet homme avait l'art et la manière de retourner le couteau dans la

plaie. Il ne l'avait jamais aimée. Sa carrière avait toujours passé avant

le reste.

— Comme si tu te posais ce genre de questions ! Va-t'en.

— Pas avant que tu ne m'aies dit où tu iras.

— Très loin d'ici. Quelque part d'où je pourrai repartir de zéro.

Il passa le pouce sur sa lèvre inférieure.

— Je n'ai jamais voulu te blesser.

Ne voyait-il donc pas que sa seule présence était une souffrance ?

— Laisse-moi tranquille! cria-t-elle en s'écartant de lui.

— Si c'est ce que tu veux...

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Ce qu'elle voulait, c'était cesser de souffrir. Partir au loin pour

recoller les morceaux de son cœur.

— Oui, c'est ce que je veux. Va-t'en, Chase, je suis sûre que tu as

des tas de choses à faire.

Il sembla hésiter.

— Ouais, probablement, répondit-il enfin. Au revoir, Miranda.

Elle se força à ne pas perdre contenance. Elle devait aller de

l'avant.

Comme il se retournait pour lui adresser un dernier regard, elle

referma précipitamment la porte et donna libre cours à ses larmes.

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- 14 -

Les Eagles chantaient une chanson qui disait que le travail ne

tenait pas chaud la nuit.

Alors que Chase se repassait pour la dixième fois le morceau sur

son baladeur tout en faisant son jogging du soir, il eut une révélation.

Il en avait par-dessus la tête des sacrifices.

Il y avait maintenant un mois qu'il était P.-D.G. Depuis sa

nomination, en dehors d'un voyage éclair d'une journée pour voir le

bébé de Cecilia, il avait consacré au minimum dix heures par jour à

son travail. Le reste de son temps, il le passait à se muscler encore

plus. Mais il avait beau pousser son corps jusqu'à l'épuisement, son

sommeil restait troublé en permanence par les souvenirs de son unique

nuit avec Miranda.

Il ne lui avait pas fallu longtemps pour se rendre compte de

l'erreur qu'il avait commise en laissant partir la jeune femme.

Malheureusement, il n'y avait pas de solution. Il ne pouvait pas

être avec elle tout en étant P.-D.G. de McDaniel Manufacturing. Il

n'aurait pas la même chance que son grand-père de trouver son Heidi.

Son rôle à lui se limiterait à maintenir l'entreprise familiale aussi

florissante que possible, afin qu'un de ses neveux ou nièces ait envie

de la reprendre ou qu'elle puisse être vendue assez cher pour assurer

une vie confortable à tous les membres de la famille.

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Si tout se déroulait comme prévu, Leroy se retirerait

définitivement en mai prochain après lui avoir passé le flambeau.

Jusqu'à présent, la transition s'était déroulée en douceur. Une vice-

présidente par intérim avait été mise en place, et il était content de son

travail. Dans quelques semaines, la délégation de Rhodes Printing

viendrait visiter la ville. Les représentants officiels de l'Etat de l'Iowa

seraient également présents pour les soutenir.

En attendant, demain, on était vendredi. Il avait pris sa journée

pour conduire Leroy au lac. Il ne s'était pas rendu sur place depuis le

week-end avec Miranda et savait que cette visite le rendrait encore

plus nostalgique, mais que faire?

Son grand-père rongeait son frein à Chenille, il voulait revoir la

maison avant qu'elle ne soit fermée pour l'hiver. Le médecin l'avait

autorisé à faire le voyage à condition qu'il soit accompagné d'une

infirmière, et Chase avait loué une limousine pour qu'il puisse voyager

confortablement.

Il termina son parcours et rentra prendre une douche. Il avait

commencé à se déshabiller quand son téléphone sonna.

— Je voulais m'assurer que rien n'avait changé, dit Leroy.

Chase coinça le combiné contre son menton et enleva son short.

— Pas de mon côté.

— Walter et sa femme nous rejoindront là-bas.

Première nouvelle ! songea Chase. Il pensait que Walter ne se

rendrait pas au lac cette année en raison de la maladie de Leroy.

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C'était probablement à cause de sa venue que Leroy avait tellement

insisté pour y aller ce week-end.

— Chase, tu es là?

— Oui. Je passe te chercher demain à 19 heures.

— Cela ne te dérange pas de revoir Walter ? Il a été plutôt dur

avec toi lors de votre dernière rencontre.

— Toi, es-tu satisfait de mes performances ?

Leroy poussa un soupir.

— Tu te montres plus qu'à la hauteur.

— Donc, il n'y aura pas de problème, assura Chase.

Il reposa le combiné, se promettant de ne pas chercher à savoir ce

qu'était devenue Miranda.

Elle lui avait dit de partir, et il avait obéi. Leur histoire appartenait

au passé.

Alors, pourquoi son cœur était-il encore aussi douloureux?

***

Le soleil descendait à l'horizon, annonçant la fin d'un autre

vendredi.

Miranda resserra son emprise sur le volant.

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Elle n'aurait pas dû être là. Elle s'était pourtant juré de ne jamais

remettre les pieds dans la région.

Mais aurait-elle pu refuser une visite à deux êtres qu'elle chérissait

plus que tout, alors qu'elle se trouvait tout près de l'endroit où ils

séjournaient?

Après avoir quitté Chenille, elle avait laissé sa voiture dans un

parking longue durée près de l'aéroport de Minneapolis-Saint-Paul,

puis elle s'était envolée pour Vancouver, au Canada. Elle avait passé

le mois qui venait de s'écouler dans un village de vacances perdu en

pleine nature, où elle avait littéralement léché ses blessures.

Chase ne s'était pas trompé. Au bout de quelques jours de

vacances, elle rongeait déjà son frein. A la fin du séjour, elle était sur

le point de devenir folle. L'endroit était pourtant parfait. Elle n'avait

pas lésiné sur l'argent et avait choisi un établissement cinq étoiles.

Mais ni les cours de yoga, ni les livres qu'elle avait à lire, ni les

longues randonnées n'avaient pu remplacer ce qu'elle préférait faire —

c'est-à-dire travailler.

Elle avait apprécié le séjour et s'était bien reposée, mais à aucun

moment l'énergie qui bouillonnait en elle ne s'était apaisée. La nature

était belle et enrichissante, mais pas assez stimulante à son goût. Elle

aimait commander et résoudre des problèmes, elle avait besoin

d'action.

Rien d'étonnant à ce que Chase ait écourté ses vacances à la

première occasion...

Elle prévoyait de rentrer à Chicago et de se mettre à la recherche

d'un emploi. Elle garderait le reste de l'argent pour plus tard. Le

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voyage autour du monde dont elle rêvait attendrait. D'ailleurs, elle

n'avait lancé cette idée que pour irriter Chase.

Les pneus de sa voiture crissèrent sur les gravillons lorsqu'elle

s'engagea sur la petite route qui menait à Lone Pine Lake.

Walter et sa femme l'avaient conviée à venir passer la soirée et la

nuit avec eux avant de rentrer à Chicago. Quand elle les avait appelés

quelques jours plus tôt pour confirmer son arrivée, Walter lui avait

juste dit que Leroy allait bien. Il ne lui avait pas parlé de Chase, et elle

s'était bien gardée d'aborder le sujet.

Ses doigts se crispèrent sur le volant comme elle arrivait à

destination.

Ouf. Il n'y avait pas d'autre voiture que celle de Walter devant la

maison. Les McDaniel n'étaient pas là.

Elle se gara à côté de lui, coupa le moteur et descendit de son

véhicule. Elle entendait discuter ses amis sous la véranda du

bungalow.

— Coucou ! appela-t-elle.

— Bonsoir, Miranda, cria Christine. Nous sommes ici. Attends, je

vais allumer la lumière.

— Non, laisse, tu vas attirer les insectes. Je connais le chemin.

Elle poussa l'écran moustiquaire et les rejoignit. Ils étaient

confortablement installés dans des fauteuils en teck, entourés de

bougies à la citronnelle.

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— Je suis content que tu sois venue, dit Walter en la serrant dans

ses bras.

— Vous m'avez manqué, tous les deux.

— Tu n'as pas aimé tes vacances au Canada ? demanda Christine.

— Si, beaucoup, mais j'ai besoin de me remettre au travail.

— J'ai entendu parler d'un poste de vice-président qui te

conviendrait parfaitement, l'informa Walter.

— Tu m'en parleras demain. Je suis crevée. J'ai perdu deux heures

à cause du décalage horaire, et je me suis levée à l'aube.

— Va donc chercher ses affaires dans la voiture, Walter, ordonna

Christine.

Dès que son mari eut disparu, celle-ci se tourna vers Miranda et

lui demanda comment elle allait.

— Bien, mentit Miranda. Chaque jour un peu mieux.

— Oh, ma pauvre chérie ! Je suis vraiment désolée. Walter m'a

tout raconté. J'aurais dû prévoir que tu tomberais amoureuse de Chase

McDaniel. Est-ce que tu l'aimes encore ?

Fatiguée comme elle l'était, elle ne chercha pas à savoir comment

Walter avait eu connaissance des faits. Heureusement, les révélations

n'allèrent pas plus loin.

— Je ne sais pas. Je crois que je ne suis pas encore guérie.

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— Si tu es fatiguée, va dormir, lui conseilla gentiment Christine.

Ton lit est fait. Nous n'allons pas tarder à t'imiter.

Un quart d'heure plus tard, Miranda était allongée dans la chambre

qu'elle avait occupée lors de son premier séjour au lac. Mais, au bout

d'une heure, elle n'avait toujours pas trouvé le sommeil.

Elle avait beau être épuisée, les souvenirs liés à cet endroit

l'empêchaient de s'endormir.

Elle alluma la lampe de chevet et ouvrit son livre, mais après avoir

fixé la page d'un œil absent pendant quelques minutes, elle abandonna.

Elle décida de descendre au bord de l'eau pour rendre une dernière

visite au lac.

Revoir cet endroit lui permettrait peut-être d'éliminer de ses

pensées à la fois ses propres démons et le souvenir de Chase?

Elle se glissa dehors, ses tongs à la main afin de ne pas réveiller

Walter et Christine.

La lune n'était pas pleine, mais il y avait assez de lumière pour

distinguer le chemin. Elle descendit la colline, s'installa au bout du

ponton et balança les pieds au-dessus du vide.

Un profond sentiment de paix l'envahit aussitôt.

Seuls les murmures et frémissements des créatures nocturnes

venaient troubler le silence. Puis elle entendit un bruit de moteur.

Elle scruta la nuit.

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Rien en vue. Sans doute un bateau qui passait à l'autre bout du lac.

Le canot n'était pas en vue. Le gardien avait dû le ranger dans le

hangar.

Elle croisa les mains derrière sa nuque et s'allongea sur les

planches afin de regarder les étoiles.

Le ciel était encore plus beau qu'au Canada, ce qui n'était pas peu

dire. Cet endroit était magique. Quelle tristesse de ne plus jamais le

revoir !

Entendant un bruit de vagues au-dessous d'elle, elle se redressa et

discerna l'avant d'un bateau à une quinzaine de mètres sur sa gauche.

Le pilote longeait la rive de si près qu'elle se demanda s'il avait repéré

le ponton, caché derrière un bouquet d'arbres.

Mais le bateau se rapprochait de plus en plus, et elle comprit

pourquoi quand l'homme qui le conduisait se leva pour saisir un

poteau au bout du ponton.

Elle en resta bouche bée.

— Que fais-tu ici ? dit-elle quand elle eut recouvré la parole.

***

Incapable de trouver le sommeil, Chase avait sorti le bateau pour

une petite promenade nocturne. Découvrir Miranda sur le ponton, telle

une sirène venue le tenter, lui avait fait un sacré choc. Elle était

superbe, même dans le noir.

Il sentit un puissant désir l'envahir et tenta de se maîtriser.

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— Moi ? répondit-il en fixant la jeune femme. Mais je vis ici ! Et

toi ?

— Je suis venue rendre visite à Walter et Christine. Je rentre à

Chicago demain. Je ne savais pas que tu serais là, ajouta-t-elle d'un ton

accusateur. Où est ta voiture?

— J'ai loué une limousine avec chauffeur. Leroy avait besoin de

place pour étendre ses jambes, expliqua-t-il en rangeant le bateau.

Ce fut au tour de Miranda de le fixer.

— Il est là, lui aussi ?

— Oui, pour le week-end. Nous allons fermer la maison, et il avait

envie de voir Walter.

— Depuis quand Walter savait-il que vous veniez?

— Il me semble qu'ils se sont mis d'accord la semaine passée,

répondit-il en haussant les épaules.

— Comment peut-on être aussi sournois ! s'exclama Miranda en

sautant sur ses pieds.

Chase coupa le moteur et lui lança l'amarre.

— Que veux-tu dire ? demanda-t-il.

— Walter s'est bien gardé de me dire que vous seriez là. Excuse-

moi, mais j'ai l'impression que Leroy et lui essaient de nous caser

ensemble. Walter savait que mon avion arriverait aujourd'hui, et il a

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insisté pour que je vienne aussitôt. Si j'avais su que tu serais là, j'aurais

refusé.

Chase sauta sur le quai.

— Je suis aussi surpris que toi. Mais la surprise est plutôt bonne,

je dois dire. Comment vas-tu ?

Entourée du halo doré de la lune, elle ressemblait à une déesse.

— J'irai mieux quand j'aurai quitté cet endroit, répliqua-t-elle en

commençant à s'éloigner.

Il lui barra le passage.

— Me détestes-tu au point de refuser de me voir?

Miranda agita la main pour lui faire signe de se pousser.

— Il serait préférable d'éviter de nous rencontrer.

— Mon grand-père nous a conseillé de nous parler. C'est peut-être

l'occasion.

— Oh, Chase, qu'avons-nous encore à nous dire ?

— Tout. D'abord, que je me suis trompé.

Elle mit les mains sur ses hanches et soupira.

— Ne commence pas. Tu ne te trompes jamais. Je me suis

ennuyée à mourir au bout d'une semaine de vacances. Voilà, c'est dit.

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Je rentre à Chicago pour chercher du travail. Alors, laisse-moi, je t'en

prie. C'est déjà assez dur de reconnaître que tu avais raison.

— Tu m'as terriblement manqué, dit-il en passant un doigt sur son

avant-bras.

Elle sursauta, mais pas comme quelqu'un que ce contact rebutait.

— Je n'en crois pas un mot.

Il lui prit la main. Sa peau était chaude et douce.

— Tout le monde me demande sans cesse de tes nouvelles. Toute

la ville te regrette.

— Ils s'en remettront.

Elle tenta de s'échapper, mais il la retint fermement.

— Pas moi, affirma-t-il en priant pour qu'elle le croie.

La lèvre inférieure de la jeune femme trembla.

— Ne mens pas, Chase. Tu m'avais remplacée avant même que

ton grand-père ne tombe malade. J'ai vu une photo de toi dans le

Colorado avec cette fille.

Voilà qui expliquait bien des choses. La dernière pièce du puzzle

se mettait enfin en place.

— Est-ce pour cela que tu étais aussi furieuse ?

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— Je n'ai jamais été furieuse, nia-t-elle.

Il ne put réprimer un sourire.

— Menteuse. Tu étais jalouse.

— Pour qui te prends-tu ? Nous avons fait l'amour ensemble, rien

d'autre.

— Si c'est ce que tu penses, faisons-le de nouveau. Maintenant.

Ici.

Elle le regarda comme s'il avait perdu la tête.

— C'est ridicule !

Il l'attira vers lui et la serra dans ses bras.

Oh, comme son corps lui avait manqué !

— Pourquoi, Miranda ? Nous nous entendons à merveille. Jamais

une femme ne m'a donné autant de plaisir que toi, et je n'ai embrassé

personne depuis ce soir-là. Quant à cette fille, c'était juste une copine

de randonnée. Fais-moi plaisir, donne-moi une autre nuit dont je

puisse me souvenir. Après tout, tu as dit toi-même que c'était sans

importance.

Comme elle se tortillait contre lui, il la laissa partir. Il était allé

suffisamment loin. Il savait à quelle réaction s'attendre de sa part.

Aussi remercia-t-il le ciel quand elle se borna à déclarer :

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— Je ne suis pas un Kleenex que l'on jette à la poubelle après

l'avoir utilisé.

— Tu ne l'as jamais été. Alors, pourquoi le deviendrais-tu

maintenant ? demanda-t-il en passant de nouveau le doigt sur son bras.

Ils étaient sur le point d'arriver quelque part. Les premières

barrières étaient tombées. Le fait que Miranda avait déclaré sa jalousie

révélait ses sentiments. Elle avait aussi reconnu qu'elle s'était sentie

blessée et utilisée.

Elle avait prétendu se satisfaire d'une aventure d'un soir, mais

c'était faux. Leur relation avait été beaucoup plus intense, et elle était

sur le point de l'admettre.

Une lueur d'espoir vit le jour au fond de lui, et il décida d'insister.

Leur seule chance de se trouver, c'était qu'ils balayent les

obstacles qui existaient entre eux. Grâce à leur entente physique, ils

pourraient atteindre leurs émotions. Le cœur de la question. La vérité :

qu'ils étaient faits l'un pour l'autre.

— Regarde comment ton corps réagit à mon contact.

— Arrête. Je ne referai pas l'amour avec toi.

— Le courant qui passe entre nous te fait peur.

Elle lui lança un regard furieux.

— Pas du tout.

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— Si. Tu n'as jamais baissé la garde avec moi, sauf pendant la nuit

que nous avons passée ensemble. J'ai commis une terrible erreur en te

laissant partir. Je m'en veux à mort.

— Je n'aurais pas dû te céder la première fois. Je suis incapable de

coucher avec toi et de t'oublier le lendemain.

— Qui a dit que tu devais m'oublier, Miranda ? Pas moi. Ce n'est

pas ce que je veux. Ne comprends-tu pas que si nous nous affrontons

ainsi, c'est parce que nous avons des sentiments l'un pour l'autre ?

— Le sexe pour le sexe, ça ne m'intéresse pas.

Elle ne comprenait toujours pas.

— Ce qui existe entre nous est beaucoup plus profond. Et

beaucoup plus sérieux.

Il s'avança et lui prit les mains.

Cette fois, Miranda ne s'écarta pas.

— Mon grand-père m'a dit quelque chose qui m'a surpris, reprit-il.

— Ah bon, quoi donc ? demanda-t-elle d'une toute petite voix.

— Il m'a dit qu'on se regardait tous les deux comme ma grand-

mère et lui quand ils étaient jeunes, répondit-il en caressant sa paume.

Tu n'as pas connu Heidi, mais je peux t'assurer que l'amour qu'il y

avait entre eux était d'une puissance incroyable.

— Oh, Chase ! Cela n'a rien à voir avec nous.

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— Mais si, répliqua-t-il sans se laisser démonter.

Elle essaya de se libérer, mais il ne la lâcha pas.

— Que dois-je faire pour que tu me croies ? J'ai commis la plus

grosse bêtise de ma vie, et je m'en veux à mort.

— Tu ne cesses de répéter la même chose.

— Parce que c'est la vérité. J'ai choisi l'entreprise. J'ai voulu avoir

mon nom sur l'immeuble et le papier à lettres. J'ai cru que je ne

pouvais pas être avec toi tout en étant P.-D.G. Alors, je t'ai perdue.

Comment ai-je pu être aussi stupide ?

— Tu as pris la bonne décision, Chase. J'aurais fait la même chose

à ta place.

La nuit paraissait les envelopper. Jusqu'aux bruits de la nature qui

semblèrent s'estomper tandis qu'elle le rassurait. Elle était tellement

merveilleuse.

— Ce n'est pas vrai, Miranda. Tu as démissionné. Tu as sacrifié

tes rêves pour que je sois heureux, comme mon grand-père avec ma

grand-mère. Et pourquoi as-tu fait ça ? Pour la même raison que je me

sacrifie pour ma famille. Par amour.

— Chase..., dit la jeune femme en tentant de nouveau de

s'échapper.

Mais il ne la laissa pas partir. Il avait trop peur qu'elle ne

disparaisse à tout jamais.

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— S'il te plaît, laisse-moi finir, insista-t-il. Tu m'as attiré dès le

premier instant, comme si quelque chose à l'intérieur de moi savait

que tu étais celle que j'attendais depuis toujours. Puis toute cette folie

a commencé.

— Nous ne pouvons pas travailler ensemble. C'est prouvé.

— Si, nous le pouvons. Nous pouvons faire n'importe quoi

ensemble. Nous sommes faits l'un pour l'autre. Pourquoi ne pas au

moins essayer ? Mon travail ne m'a jamais rendu aussi heureux que je

l'ai été avec toi, ici même, cette nuit-là.

Elle ouvrit la bouche pour protester.

Oh, comme il aimait ses lèvres ! Il aimait tout chez elle. Il avait

trouvé la femme de sa vie, inutile de le nier plus longtemps.

— Le désir t'aveugle, Chase.

— Ne minimise pas l'importance de ce que nous avons vécu

ensemble. C'était spécial, incroyable, du jamais-vu. Je donnerai

n'importe quoi pour me sentir de nouveau comme ça.

— Comment, comme ça ?

— Entier. Complet. Satisfait. Amoureux.

***

Miranda luttait pour échapper à Chase, mais il refusait de la laisser

partir.

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Ne voyait-il pas que leur relation était impossible ? Elle avait

passé tout le mois précédent à tenter de se guérir, de lui et du fiasco

professionnel qu'elle avait essuyé. Et maintenant, voilà qu'il

prononçait des paroles qu'elle ne pourrait plus jamais oublier.

— Tu ne m'aimes pas, Chase.

Il soutint son regard.

— Comment peux-tu savoir ce qu'il y a dans mon cœur?

Elle n'en avait aucune idée.

— Sais-tu à quoi j'ai renoncé pour devenir P.-D.G. ?

Elle chancela. Elle se sentait fatiguée, dévastée. Chaque journée

depuis qu'il était parti pour le Colorado avait été un enfer.

— Non, répondit-elle.

— Au véritable amour.

Il l'avait prise au dépourvu, mais cette fois elle réussit à libérer ses

mains. Il voulut les lui prendre de nouveau, mais elle fit un pas de

côté.

— Arrête, s'il te plaît.

— Arrêter quoi ? De dire la vérité ? De dire que je suis tombé

follement amoureux de toi ? Il n'y a pas d'autre explication à la

douleur que je ressens depuis que tu es partie.

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— Tu ne sais pas ce qu'aimer signifie, objecta-t-elle, refusant de le

croire.

— Bien sûr que si, affirma Chase avec détermination. J'en ai eu

des exemples parfaits sous les yeux avec mon frère, ma sœur, mes

parents et mes grands-parents. La seule fois de ma vie où j'ai été

dominé par des émotions totalement inédites, c'était avec toi, Miranda.

Si j'ai tendance à réagir de manière excessive et à dire des choses que

je ne pense pas, c'est uniquement pour faire tomber les murs dont tu

t'entoures. Si je te veux, ce n'est pas seulement pour coucher avec toi,

c'est pour toujours. Pourtant, je n'arrive pas à trouver le moyen de te

convaincre de ma sincérité. Dis-moi ce que je dois faire.

— Je ne sais pas, murmura-t-elle, les larmes aux yeux.

Il souleva son menton d'un doigt et plongea les yeux dans les

siens.

— Pardonne-moi le mal que je t'ai fait. Je t'aime. Donne-moi une

autre chance.

Elle aurait bien aimé, mais elle avait trop souvent été blessée dans

le passé. Pouvait-elle lui faire confiance ? Devait-elle baisser sa garde

et s'exposer à souffrir de nouveau ?

— Tu ne peux pas avoir tout ce que tu veux, Chase.

— C'est ce que je croyais, mais j'ai changé d'avis. Je t'aime. Je t'en

prie, ne t'en va pas. Reste avec moi.

Comment pouvait-elle en être sûre ?

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— Les temps changent. Que se passera-t-il quand tu te lasseras de

moi, quand tu auras eu ce que tu voulais et que le défi n'en sera plus

un ?

— Cela n'arrivera pas.

Si seulement elle pouvait le croire.

— Chase...

Il fronça les sourcils pour montrer sa détermination.

— Toi et moi, c'est pour la vie. J'en ai assez des aventures sans

lendemain. J'ai trouvé ce que je cherchais.

— Il faut que je réfléchisse...

Il lui prit la main et la pressa sur son cœur.

— Nous avons le même défaut, tous les deux. Nous analysons

trop nos sentiments. Cesse de penser, pour une fois. Contente-toi de

ressentir.

Elle sentait les battements de son cœur sous sa paume.

— Je t'aime, répéta-t-il. Dis-moi ce que je dois faire pour te le

prouver.

— Me nommerais-tu P.-D.G. ?

Il posa sa main sur la sienne.

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— C'est ce que tu veux vraiment?

Non. Elle avait lancé cette idée juste pour le tester.

— Je ne veux plus qu'on se dispute. Mais j'ai besoin de travailler,

et tu devras cesser de te mesurer à moi. Plus de lutte pour le pouvoir.

— Nous serons sur un pied d'égalité.

Elle hocha la tête, et ses larmes se mirent à couler.

— Oui. Ce serait bien.

— Chut, dit-il en la prenant dans ses bras. Ne pleure pas. A partir

de maintenant, tout ira bien entre nous.

— J'ai tellement peur.

Chase la serra plus fort.

— Je vais te dire un secret : moi aussi, j'ai peur. M'aimes-tu aussi

fort que mon grand-père le pense?

— Oui, répondit-elle fermement. Mes sentiments pour toi sont si

forts que j'ai dû partir. Je ne pouvais pas rester. Tu avais plus besoin

que moi de devenir P.-D.G.

— Maintenant, j'ai plus besoin de toi que d'être P.-D.G.

— C'est pourtant un rôle qui revient à un McDaniel.

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— Oui. Mais notre vie à tous les deux est plus importante. Je

réaliserai tous tes rêves. Je t'aime. Tu verras, nous ferons des choses

incroyables ensemble.

Tandis qu'il lui donnait un long baiser, elle décida de le croire.

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Épilogue

— Je commence à en avoir par-dessus la tête de ces séances

impromptues, grommela Walter Peters en prenant place à côté de

Leroy le mardi après-midi. Sais-tu de quoi il s'agit?

— Non, répondit Leroy. Chase ne m'a rien dit. Il est parti samedi

matin très tôt, et je ne l'ai pas revu depuis.

— Et moi, je n'ai pas eu de nouvelles de Miranda depuis ce week-

end. Ils sont peut-être tombés l'un sur l'autre par hasard et se sont

disputés ?

— Peut-être.

Walter et lui avaient déjà ressassé ce sujet un bon nombre de fois.

Kathleen Kennedy pénétra dans la pièce et leur lança un regard

furieux.

— La prochaine fois que vous me faites un coup pareil, je

démissionne, prévient-elle.

— Je suis aussi perplexe que toi, dit Leroy en parcourant des yeux

la salle du conseil.

Quelques membres n'avaient pas réussi à se libérer, mais la

majorité d'entre eux étaient présents.

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L'ordre du jour était plutôt vague, ce qui, selon lui, n'était pas

acceptable. Chase se montrait négligent. De son temps, les choses

étaient bien mieux organisées.

Son petit-fils finit par arriver, Carla sur ses talons. Ils laissèrent la

porte ouverte derrière eux.

— Merci à tous d'être venus, déclara Chase. J'ai convoqué cette

réunion impromptue car j'ai des questions importantes à vous

soumettre. J'ai établi l'inventaire des postes à pourvoir au sein de

l'entreprise.

Leroy s'appuya contre le dossier de son siège.

— Nous n'avons pas besoin de voter pour ce genre de choses, dit-

il.

— En effet. Mais vous devez me donner votre accord pour

restructurer McDaniel Manufacturing.

— Encore ! s'exclama Kathleen en lançant un regard noir à Leroy.

Votre famille me donne décidément des cheveux blancs.

Ce fut Chase qui répondit.

— Oui, encore. La plupart des grosses entreprises ont un P.-D.G.

et un président, chacun d'eux jouant un rôle à la fois essentiel et

complémentaire. J'ai réexaminé le plan quinquennal et j'en ai conclu

qu'il serait judicieux de modifier notre organisation. Le poste de vice-

président sera maintenu et occupé de façon permanente par Emily

Feng.

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— As-tu quelqu'un en tête concernant le futur président ?

demanda Walter tandis que Carla faisait passer les dossiers contenant

la description détaillée des différents postes et le nouvel

organigramme.

— Oui, mais le changement de structure doit d'abord être

approuvé. Vous en avez toutes les caractéristiques devant vous. Pour

résumer, le P.-D.G. est en haut de la hiérarchie. Il sera chargé des

prévisions à long terme pendant que le président s'occupera de

résoudre les affaires courantes. Quelqu'un peut-il se charger de rédiger

la motion ?

— Bien sûr, dit Leroy.

Quelques instants plus tard, la décision était approuvée.

— Merci, dit Chase.

— Bien. Maintenant, qui est cette personne ? demanda Walter.

Leroy se pencha en avant.

Il le savait déjà, mais il voulait en être sûr.

Quand Miranda franchit le seuil, des larmes d'émotion lui

brouillèrent la vue.

— Tu as fini par y arriver ! dit-il à son petit-fils.

— Oui, approuva celui-ci en enlaçant Miranda. Je compte sur

votre présence à tous à notre mariage, qui aura lieu l'été prochain à

Lone Pine Lake. En attendant, nous célébrerons nos fiançailles samedi

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soir chez mon grand-père à Chenille, s'il le veut bien. Sa maison est

plus grande que la mienne.

— C'est la meilleure chose que tu aies jamais faite, Chase, dit

Leroy d'une voix émue pendant que Carla distribuait les invitations.

***

C'était le jour des quatre-vingt-un ans de Leroy, et il faisait un

temps superbe. Miranda remontait au bras du vieux monsieur le long

tapis blanc étendu sur la pelouse devant la maison de Lone Pine Lake.

A quelques pas de là, Chase l'attendait. Il était beau comme un

dieu dans son smoking noir, mais c'étaient le sourire radieux qu'il

arborait et l'éclat qui brillait dans ses yeux qui la touchaient le plus.

L'un et l'autre révélaient à quel point il l'aimait.

— Tu es vraiment sûre de vouloir te marier avec lui ? demanda

Leroy, une lueur taquine dans les yeux.

— Absolument, répondit-elle.

Un an auparavant, lors de sa première visite au lac, elle n'aurait

jamais imaginé vivre un jour un tel bonheur. Ils avaient réussi à

travailler ensemble, et leur collaboration se déroulait à merveille. Le

lendemain, deux McDaniel seraient à la tête de l'entreprise.

Tandis que Leroy et elle s'approchaient de l'autel, elle vit Chris

poser la main sur l'épaule de son frère.

Chris célébrerait le mariage, mais les vœux qu'il lirait avaient été

rédigés par Chase et elle.

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Quand Chase fit un pas en avant, elle s'efforça de retenir ses

larmes.

Inutile d'en rajouter. Elle avait déjà vu sa sœur, qui lui servait

aujourd'hui de demoiselle d'honneur, se tamponner les yeux.

— Merci de m'avoir rendu aussi heureux, dit Leroy en lui donnant

un baiser sur la joue. Tu vois, ajouta-t-il avec un clin d'œil, tu as tout

eu, finalement.

Elle glissa la main sous le bras de Chase, rayonnante.

Le seul mot approprié en la circonstance était « oui ».