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Résumé :

Le célèbre alpiniste Bud Halloran est malheureusement réduit à l'immobilité suite à un accident. Sinon, il escaladerait le mur pour apercevoir le délicieuse créature qui émets un rire cristallin... Et prépare des mets aux arômes si délicats... leur première rencontre est... brutale. Bud subit très vite le charme de sa voisine. Hélas, si Lucie désire fonder un foyer pour ses futurs enfants, Bud Halloran garde les yeux fixés sur les cimes.

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1

La voisine de Bud avait trois manies qui le mirent rapidement hors de lui. D'abord, elle ne cessait de murmurer. À qui donc parlait-elle? Et pourquoi ne s’exprimait-elle pas à voix haute? Incapable, malgré tous ses efforts, de comprendre le sens de ce roucoulement, Bud grinçait des dents. Évidemment, quoi qu’elle fît, cela se passait de l’autre côté d’une palissade haute de deux mètres. Par conséquent, même s’il n’avait pas été immobilisé dans ce maudit fauteuil roulant, il n’aurait pu satisfaire sa curiosité.

Ensuite, la voisine émettait un rire cristallin qui produisait sur lui un effet étrange... Bien qu’il s’efforçât de ne plus l’entendre, il ne parvenait pas à réprimer les images voluptueuses qui se pressaient dans son esprit. En ce moment, par exemple... Il voyait une créature de rêve aux courbes harmonieuses, à la peau mate, aux lèvres pleines. Elle devait avoir la taille fine, les cheveux noirs et bouclés, des yeux sombres dissimulés derrière de longs cils. Elle...

La voisine gloussa et la vision changea. Maintenant, ses nattes blondes dansaient sur ses épaules tandis qu’elle fronçait un petit nez parsemé de taches de rousseur.

Tout en maugréant, Bud songea que son ami Charlie aurait dû l’avertir de cette présence perturbante avant de lui prêter cette maison où il était censé terminer sa convalescence.

A cet instant, une odeur délicieuse lui apprit qu’elle se livrait à la pire de ses manies. Chili con carne... Bon sang, quel arôme! La veille, elle avait cuit son pain, et le mardi... Le mardi, elle avait confectionné des galettes parfumées à la cannelle. Bud n’en avait pas dégusté depuis vingt ans; pourtant il en avait aussitôt retrouvé la saveur épicée. Ensuite, elle avait passé l’après-midi à faire rôtir des poulets. Vendredi, après le pain, elle s'était consacré aux pâtés. C’était assez pour inciter un homme à escalader les murs, fussent-ils hauts de huit mètres!

Avec difficulté, il s’arracha à la chaise longue où il passait la plus grande partie de la journée et s’assit dans son fauteuil roulant. Il songeait à jeter un coup d’œil indiscret de l’autre côté, grâce à un interstice ménagé entre deux planches, lorsqu’un fracas affreux retentit.

Un verre de limonade à portée de la main, Lucy s’endormait sur son transat quand la Troisième Guerre mondiale éclata. Arrachée au sommeil par des miaulements aigus ponctués d’aboiements furieux, elle voulut se lever mais un petit chat d’environ quatre mois et pourvu de griffes acérées lui sauta sur les genoux, escalada son dos, lui grimpa sur la tête et disparut dans l’érable.

Lucy attrapa le fox-terrier des voisins qui tentait vainement de suivre le chat, puis elle courut vers le portail et le jeta fermement dehors.

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- Et ne reviens pas, petit assassin! cria-t-elle.

Une lourde échelle de bois était appuyée contre le hangar. Péniblement, la jeune femme la porta jusqu’à la palissade, puis elle entreprit de rejoindre le chaton qui miaulait pitoyablement dans l’arbre.

- N’aie pas peur, mon minet, je suis là maintenant, susurra-t-elle. Approche-toi de ma main. Non! Ne recule pas, voyons!

S’efforçant d’adoucir sa voix, Lucy se coula le long d’une branche pour atteindre la bestiole. Soudain, le fragile support ploya sous elle de façon alarmante avant de craquer. Tandis que Lucy se sentait dégringoler, le chaton s’agrippa à sa nuque.

Quelques secondes plus tard, Lucy cherchait à retrouver son souffle tout étonnée de se découvrir indemne et couchée sur une chaise longue recouverte d’un tissu indien. Seul son cou qu’avait égratigné le chat la brûlait.

La jeune femme respira profondément. Tandis qu’elle se remettait peu à peu de ses émotions, le chaton s’installa sur sa poitrine. Tout en la fixant de ses yeux d’or, il se mit à ronronner.

- Tu es satisfait, sans doute? A cause de toi, j'ai failli me tuer, le gronda-t-elle.

- En tout cas, remarqua une voix masculine, je suis heureux d’avoir quitté ma chaise longue à temps. Rien de cassé?

Tournant la tête, Lucy l’aperçut. Bien que sa jambe droite et son bras gauche fussent dans le plâtre, il paraissait extrêmement vigoureux. Elle songea qu’elle avait déjà vu ce beau visâge bronzé, sans pouvoir préciser à quelle occasion. Comme elle se redressait avec précaution, il lui sembla que l’homme posait sur elle un regard déçu.

- Ça... ça va.

- C'est vous qui occupez la maison voisine? s’enquit-il en désignant la palissade.

Était-ce là la créature de rêve qu’il avait imaginée? Ses cheveux bruns étaient réunis en une grosse tresse qui lui tombait sur l’épaule gauche. Son minois parsemé de taches de rousseur ne portait pas trace de maquillage. Elle avait de petits pieds et ses mains fines serraient un chaton contre sa poitrine.

- Oui. Je suis Lucy Gallagher, dit-elle en levant vers lui de grands yeux noisette.

- Et... vous vivez seule? insista-t-il, persuadé qu’elle ne pouvait être celle qui l’avait tant perturbé.

Choquée, Lucy bondit sur ses pieds.

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- Est-ce pour avoir posé une question aussi impertinente que vous vous êtes retrouvé dans un fauteuil roulant, monsieur Halloran?

Il arbora une expression si étonnée qu’elle faillit éclater de rire. Si l’idée d’être reconnu le traumatisait à ce point, pourquoi acceptait-il si souvent de passer à la télévision, le célèbre alpiniste?

- Vous savez qui je suis! s’exclama-t-il sur un ton accusateur. Je pensais qu'ici...

- Ici, monsieur Halloran?

- Oui... à Newport. L’Oregon, ce n’est pas exactement...

- Exactement quoi? Nous ne prétendons pas mener la vie trépidante des grandes métropoles, et nous ne le souhaitons pas. Cependant, nous avons la radio, la télévision et nous lisons les journaux. Et pendant les mois d’été, nous nous honorons de recevoir les êtres supérieurs tels que vous, venus sans doute pour combler nos lacunes.

Comme elle passait dignement à côté de lui, il saisit le poignet de la jeune femme.

- Eh là! Pas si vite!

Au contact de cette grande main calleuse, Lucy sentit sa rage s’évaporer. Baissant les yeux, elle rencontra un regard gris et amical. Étrangement émue, elle s’efforça de dissimuler son trouble.

- Je suis désolé de vous avoir froissée, s’excusa-t-il, je n’en avais pas l’intention. Je voulais simplement dire que cette côte n’est pas exactement une région montagneuse. Newport n’est pas non plus la capitale de l’alpinisme, c’est pourquoi je ne m’attendais pas à être reconnu.

- Je vois. Vous vous cachez, monsieur Halloran?

Comme il lui souriait, de fines rides se creusèrent aux coins de ses yeux.

- Je m'appelle Bud... Et non, je ne me cache pas, mais je désire simplement ne pas être importuné.

Lucy hocha la tête, profondément blessée par cette réflexion.

- Bien sûr... Pardonnez-moi de vous avoir dérangé.

Il resserra son emprise.

- Vous ne m’avez pas dérangé. Non, ce n’est pas tout à fait vrai. J'avoue que vous n’avez cessé de me perturber, au fil des semaines, se surprit-il à avouer.

Les yeux gris croisèrent le regard noisette avant d'examiner le petit nez et la bouche rose. Elle serrait encore le chaton contre elle. Bud remarqua la jolie forme de ses bras et sa peau

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bronzée. Sa taille et ses hanches fines étaient moulées dans un short de toile. Un instant, il s'attarda sur les longues jambes nues...

- Désirez-vous que je tourne lentement sur moi-même? s'enquit-elle avec insolence.

- Cela ne sera pas nécessaire, répliqua-t-il avec amusement, mais voudriez-vous m’accorder une faveur?

Elle posa sur lui des yeux rétrécis par la méfiance.

- Laquelle?

La grande main remonta lentement le long du bras de Lucy.

- Riez, demanda-t-il doucement. Riez pour moi.

Lucy s’arracha à cette caresse insidieuse.

- Je vous dirais bien de disparaître de ma vue, mais puisque c’est impossible, c’est moi qui m’en irai. Adieu, monsieur Halloran.

- Attendez!

Mais elle s’éloignait déjà d’un pas vif et gracieux. Faisant rouler son fauteuil, il tenta de la suivre, mais elle était agile et cet engin peu facile à déplacer. Il la vit s’engager parmi les rosiers puis elle tendit la main et une porte jusqu’alors invisible s’ouvrit en grinçant.

Les yeux agrandis par la surprise, Bud Halloran regarda sa voisine disparaître. Il demeura un instant immobile, se demandant s’il avait rêvé la scène. Peut-être avait-il inventé de toutes pièces cette jeune femme et son chat, ainsi que ce fin poignet au creux de sa paume... Ce devait être une nymphe envoyée par les dieux pour le mettre à l’épreuve. Il avait le sentiment d’avoir lamentablement échoué.

Au loin, une portière claqua, puis il perçut le bruit d’un moteur et le crissement de roues sur le gravier.

- Je vous reverrai, petite nymphe, murmura-t-il.

Soudain frappé par l’absurdité de la situation, il grommela. Cette jeune personne était tout à fait ordinaire... Il n’y avait aucune raison de s’attarder plus longtemps sur cet incident sans importance. S’il se sentait un peu étourdi, c'était sans doute qu’il était affamé.

En soupirant, il orienta son fauteuil vers la maison. Comme chaque jour, un repas sans saveur l’y attendait, composé de boîtes de conserve. Poussée par la brise, l’odeur délicieuse d'un chili con carne lui parvint.

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2

Le vendredi matin, irrésistiblement attiré par l’odeur de pain frais, Bud retourna auprès de la porte invisible. Pour la rejoindre, il lui fallait traverser le parterre de roses. Si trois dalles de pierre enfoncées dans le sol permettaient aux piétons d’approcher du mur, son fauteuil, lui, s’embourberait immanquablement.

L’allée qui passait derrière les deux maisons était impraticable. Charlie l’avait averti qu’elle était inégale, caillouteuse et recouverte par endroit d’un sable mal tassé. Pour cette raison, Bud n’avait pu se promener sur la plage qui s'étendait un peu plus loin. La seule solution était donc de passer par la porte, et il était décidé à y parvenir.

Dans un petit hangar, il découvrit des blocs de ciment qui auraient fourni un support idéal, s’il avait pu les transporter jusqu’au parterre. Malheureusement, leur poids était considérable.

L’après-midi, il se retrouva de nouveau devant la porte, environné par un arôme de gâteau au chocolat. Ces dalles de pierre lui paraissaient de plus en plus tentantes, bien que le risque fût élevé.

S’il parvenait à franchir cet obstacle, peut-être l’inviterait-elle à dîner. Ayant une fois de plus évalué la distance entre les dalles, il actionna son fauteuil roulant...

Dans la vie, un homme se devait de relever certains défis.

Lorsque Bud expliqua à Charlie pourquoi son fauteuil était embourbé dans le parterre de roses, ce dernier partit d’un énorme éclat de rire.

- J’aurais dû m’en douter! Même immobilisé dans le plâtre, si une jolie femme se trouve dans le coin, il faut que tu te glisses dans sa chambre à coucher.

Bud se mit à rire à son tour, soulagé de retrouver le terrain plus ferme de la pelouse.

- Tu fais fausse route! protesta-t-il.

Au moment où il prononçait ces mots, il eut l’illusion de tenir au creux de la main un poignet d’une étonnante fragilité, tandis qu’un rire troublant retentissait dans sa mémoire.

- Je suis persuadé que tout cela est dû à l’ennui, reprenait Charlie. Veux-tu que je demande à Paula de te rejoindre?

- Non! s’exclama Bud, surpris par sa propre véhémence. D’ailleurs, je sors avec Marylin,

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maintenant.

- Quoi qu’il en soit, c’est Paula qui me téléphone chaque jour pour avoir de tes nouvelles.

- Elle finira par renoncer; ne préviens pas Marylin non plus. Je ne m’ennuie pas à ce point. Et si c’est le cas, la faute en revient aux boîtes de conserve. Je commettrais un meurtre pour un steak frites et... et des galettes parfumées de cannelle.

Tout en parlant, les deux hommes étaient entrés dans la maison. L’air perplexe, Charlie tendit à son ami un verre de whisky.

- Des galettes parfumées à la cannelle?

- Tu n’as jamais remarqué que ta voisine était un vrai cordon-bleu? Bon sang! On prendrait du poids rien qu’à respirer sa cuisine!

- Et c’est cela qui te met hors de toi? Comment est-elle? J’imagine une charmante grand-mère, cuisinant pour ne pas perdre la main.

- Hum... Je puis t’assurer qu’elle n’est pas d’âge canonique.

Bud se lança alors dans le récit détaillé des tourments qu’il avait subis. Charlie écoutait, intrigué. Il ne s’était jamais beaucoup intéressé à ses voisins et il aurait même juré que le coin était désert, sauf pendant les vacances et les week-ends.

- Elle t’a fait une sacrée impression, on dirait.

Bud hésitait à affirmer le contraire. D’ordinaire, ses goûts le portaient davantage vers des créatures sophistiquées, ce que cette jeune femme n’était pas.

- Comment est-elle? insista son ami.

- Elle est petite et ne doit pas peser beaucoup plus que son chaton. Tant mieux, d’ailleurs, sinon elle serait passée à travers cette chaise longue. Cheveux bruns, yeux noisette..., longues jambes.

- C’est tout?

Bud haussa les épaules. Pour une raison obscure, il ne souhaitait pas discuter de sa voisine avec Charlie. Plus inattendu encore, il souhaitait que Charlie cessât de lui poser des questions. Il déposa son verre vide sur une table puis se dirigea vers sa chambre.

- Si tu sors, ce soir, je me passerai de dîner.

Charlie adressa une grimace à son ami.

- Je suppose que tu étais trop occupé à émerger de tes roses pour remarquer ma nouvelle Porsche. Si tu penses pouvoir y caser ton plâtre, je t’emmènerai.

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Apparemment, les talents culinaires de Charlie étaient supérieurs à ceux de Bud. Quand ce dernier alla se coucher, il était rassasié. Pourtant, quelque chose le chagrinait, sans qu’il pût préciser de quoi il s’agissait.

L’aube pointait quand il s’éveilla. Il écouta un instant le chant des oiseaux avant de se redresser brusquement.

- Lucy! s’exclama-t-il. Elle s'appelle Lucy Gallagher!

Satisfait, il se rendormit presque aussitôt.

- Quoi?

Arraché brutalement au sommeil, Lucy se tourna vers son réveil. Quelqu’un avait-il prononcé son nom? Elle aurait juré que Bud Halloran l’avait appelé, mais ce n’était, sans doute qu’un rêve. De quel droit cet individu s’introduisait-il dans ses songes? Elle enfonça son nez dans l’oreiller, bien décidée à se rendormir. Ce fut en pure perte. Le souvenir de l’homme aux yeux gris s’imposait désormais à elle. La jeune femme le revit dans son fauteuil roulant, avec sa jambe immobilisée dans un plâtre, son corps athlétique et ses cheveux dorés.

Comprenant qu’il était vain de s’entêter, Lucy sortit de son lit et se rendit à la salle de bains. Ce n’était pas juste, songeait-elle un instant plus tard en terminant son petit déjeuner. Les week-ends étaient réservés au repos et à la détente, mais Bud Halloran les lui interdisait.

- Très bien, murmura-t-elle, puisque c’est ainsi, je m’activerai jusqu’à l’épuisement.

Ce soir-là, quand elle rentra du centre équestre vers neuf heures, il lui resta tout juste assez d’énergie pour sortir le chat pendant une vingtaine de minutes, puis elle se doucha afin de se débarrasser de l’odeur de cheval. Dès qu’elle se fut glissée dans son lit, elle sombra dans un sommeil sans rêves.

Le dimanche, elle erra sur la plage, s’arrêtant de temps à autre pour admirer un château de sable ou dire bonjour à des amis. Non seulement elle accepta une invitation à dîner, mais elle acquit de nouveaux clients pour l'été. Lorsqu’elle se coucha, elle était sûre de ne pas gaspiller sa nuit à faire des rêves stupides, hantés par un homme qu’elle n’avait rencontré qu’une fois.

Son chat la réveilla de bonne heure en lui léchant le menton. Encore endormie, Lucy se mit à rire. Un nouveau jour se levait. Lui annoncerait-on enfin cette semaine qu’elle allait devenir mère?

Bud sortait de son lit pour s’installer dans son fauteuil, lorsqu'il entendit ce roucoulement exaspérant. Il cessa de respirer. Ce rire avait décidément le don de l’enflammer. Puis elle

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parla :

- Ne m’embrasse pas dans le cou, voyons! Tu me chatouilles!

Furieux, Bud lança son fauteuil en direction de la salle de bains dont il claqua violemment la porte. Il ne désirait pas en entendre davantage.

Comme d’habitude, il fit sa toilette tant bien que mal, essayant en vain de ne pas penser à Lucy. Après tout, ce n’était qu’une jeune femme très ordinaire d’environ vingt-huit ans, aux cheveux bruns très longs, aux grands yeux noisette, au nez petit et au menton têtu. Il fallait admettre qu’elle avait une très jolie silhouette, bien qu’elle fût beaucoup trop petite à son goût. Il ferma les yeux en songeant qu’il n’aurait sans doute aucun mal à enserrer cette taille fine de ses deux grandes mains.

Bud chassa la jeune femme de son esprit pour se concentrer sur sa toilette. Il aspirait à prendre une douche, ou mieux, à rester mollement étendu dans la baignoire, mais c’était impossible. Il fixait mélancoliquement le miroir, quand le rire exaspérant de la voisine vint lui agacer les nerfs. Il l’imagina drapée dans une serviette de bain, ses longues jambes dorées encore humides...

Décidément, Charlie devait avoir raison : il s’ennuyait. Pour la première fois, il douta que cette convalescence solitaire dont il s’était tant réjoui fût réellement une bonne idée. D’ailleurs, son médecin la lui avait formellement déconseillée ;

- Comment ferez-vous en cas de difficulté? s’était-il inquiété.

- Je décrocherai le téléphone.

- Et si vous vous trouvez à l’extérieur?

- J’ai les poumons solides : je crierai à perdre haleine.

Tandis qu’il évoquait cette conversation, Bud se souvint que, le vendredi précédent, il était resté bloqué pendant trois heures dans son fauteuil roulant embourbé. Il se serait fait hacher en morceaux plutôt que d’appeler au secours. Bien sûr, il savait que Charlie n’allait pas tarder, mais que se serait-il passé, dans le cas contraire? Aurait-il demandé de l’aide à sa voisine? Aurait-il supporté de la voir franchir cette porte, gracieuse et agile, se moquant peut-être de lui et de la situation ridicule dans laquelle il s’était fourré?

Avec une grimace, Bud se passa le peigne dans les cheveux, puis iLse dirigea vers la porte qu’il trouva, comme chaque matin, diablement difficile à ouvrir. De l’autre côté du mur, Lucy roucoula. Rageusement, il s’engouffra dans le petit ascenseur qui lui permettait d’accéder au rez-de-chaussée.

Comme les effluves du pain frais lui parvenaient par les fenêtres ouvertes, il agrippa de sa main valide le bras de son fauteuil.

- Lucy Gallagher, murmura-t-il, sachez que je ne vais pas tarder à me mettre en colère...

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Lucy prit une douche rapide, puis elle brossa ses longs cheveux et se les noua sur la nuque au moyen d’un ruban. Vêtue d’un short rose et d’une chemise blanche, elle descendit ensuite dans la cuisine où elle se prépara un bol de céréales après avoir donné son lait au chaton. Lorsqu’elle eut terminé son petit déjeuner, les fours étaient chauds, prêts à recevoir les pains qu’elle avait mis à lever durant la nuit.

Le garde-manger intégré dans le mur du patio, avec ses persiennes permettant de faire refroidir les plats à l’abri des maraudeurs tels que neveux et nièces, avait été l’un des derniers cadeaux de sa grand-mère. De même, la vieille dame avait fait installer pour sa petite-fille une cuisine parfaitement équipée, pourvue de fours ultra-modernes et de congélateurs dernier cri.

- Si tu dois faire de la cuisine ta profession, je désire que tu disposes de l’équipement adéquat, avait-elle déclaré avec enthousiasme.

Comme Mamie lui manquait! songea-t-elle en rinçant les récipients. Ces deux années passées sans elle avaient été solitaires mais, d’une certaine façon, elle l’avait maintenue en vie en utilisant chaque jour ses recettes.

A ce moment même, elle coupait les légumes en dés. Après cela, elle les fit mijoter avec des palourdes. Cette variété de bouillabaisse, délicatement relevée d’ail et d’origan, entrait dans le menu du lundi et était très appréciée de ses clients, hormis M. Johnson qui détestait les produits de la mer. Lucy confectionna un petit pâté à son intention.

Fronçant les sourcils, elle se demanda comment Bud Halloran se débrouillait pour préparer ses repas. Quelqu’un venait-il l’aider? Après tout, songea-t-elle avec ressentiment, que lui importait s’il se nourrissait convenablement? Les alpinistes n'étaient-ils pas habitués à ouvrir des boîtes de conserve, fût-ce d’une seule main? Serrant les dents, elle évoqua le mépris avec lequel il avait parlé de Newport, peuplé selon lui de rustres. Elle-même n’était à ses yeux qu’une paysanne.

«Riez, avait-il osé lui demander. Riez pour moi.» Pensait-il que les gens du cru avaient pour habitude de se donner en spectacle?

Sentant que la fureur lui ferait commettre des erreurs culinaires, elle tâcha de se concentrer sur son travail, mais elle ne parvint pas à le chasser complètement de son esprit.

Il était tard lorsqu’elle revint de sa distribution, car ses clients aimaient bavarder un instant avec elle. Laissant le chaton dehors, Lucy fixa d’un œil sombre les trente douzaines de gâteaux qui attendaient d''être mis en boîtes, étiquetés et congelés. Résignée, elle sortit des sacs de plastique d’un tiroir, puis les gâteaux du garde-manger. Vite, elle se mit à les étiqueter : les dix premières douzaines étaient des biscuits aux raisins nappés de caramel. Avec une efficacité remarquable, la jeune femme remplit les boîtes jusqu’à ce qu’elles fussent toutes pleines, sauf une. Fronçant les sourcils, elle refit ses comptes. Il lui manquait bien une douzaine de biscuits...

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- Maudits gamins! marmonna-t-elle.

Mais quels gamins? Il n’y en avait aucun, à cette époque de l’année. D’ailleurs, comment s’y seraient-ils pris pour ouvrir le garde-manger?

- Entendu, je suis folle! dit-elle à voix haute. Je n’ai préparé que neuf douzaines de biscuits aux raisins.

Lucy se prit à blâmer son voisin. S’il ne l’avait pas distraite, elle n’aurait pas commis cette erreur. Rageusement, elle ferma ses boîtes, puis elle fit rentrer le chaton et claqua violemment la porte d’entrée.

Le lendemain matin, quand elle eut préparé ses trente et un pâtés, ses quatorze langues au chocolat et ses douze crèmes à la noix de coco, elle les compta deux fois. Pourtant, au retour, il ne restait plus que trente pâtés.

- Il me faut faire changer les serrures, déclara-t-elle au chaton qui la contemplait innocemment de ses yeux d’or.

La vieille maison ne lui apparaissait plus comme un havre de sûreté, désormais. Un frisson lui parcourut le dos. Et si un voleur s’était glissé à l’intérieur! Il pouvait se cacher dans la cave, ou bien dans le grenier... Mais non! Il ne se serait pas contenté d’un seul pâté et d’une douzaine de biscuits.

Il essayait de lui faire peur! Soudain, elle se rappela que quelqu'un avait prononcé son nom, quelques jours auparavant. Elle frémit une seconde fois à l’idée qu'il avait voulu manifester sa présence. Peut-être F observait-il, en ce moment même! Malgré elle, Lucy sentit la panique l’envahir.

- La police! Appelle la police! se dit-elle.

Hélas, ses pieds refusèrent de la porter à l’intérieur de la maison où l’inconnu se terrait peut-être. Lucy fit volte-face. Si elle parvenait jusqu’à la camionnette, elle pourrait peut-être s’enfuir. Mais s’il lui tirait dans le dos, depuis les fenêtres du premier étage? Comme elle reculait, elle heurta l’échelle qui lui avait servi à sauver le chaton. Avec un sanglot de soulagement, elle comprit où était le salut.

Fourrant le chaton dans sa chemise, elle gravit les barreaux de l’échelle. Une minute plus tard, elle était pendue à une branche de l'érable, de l’autre côté du mur, cherchant l'endroit adéquat où sauter.

La voix de Bud Halloran retentit:

- Bon sang! lança-t-il sur un ton exaspéré. Vous ne pouvez pas passer par la porte?

Péniblement, Lucy réussit à se retourner, toujours suspendue à la branche. Un long moment ils se fixèrent en silence, puis elle lâcha prise en poussant un cri inarticulé.

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3

La jeune femme tomba souplement sur le sol, plus émue par cet échange de regards que par sa chute. Assis dans son fauteuil roulant, son voisin la fixait avec espièglerie tout en mordant avec appétit dans un petit pâté. Sur ses genoux, il avait étalé une dizaine de gâteaux fourrés aux raisins et nappés de caramel.

Avec un gémissement de rage, Lucy lâcha le chaton pour se précipiter vers Bud qu’elle saisit aux épaules.

- Vous? Réussit-elle à articuler en le secouant violemment. C’est vous qui avez volé mes biscuits et mon pâté? Mais vous êtes un monstre... un...

Sentant que les mots lui manquaient pour exprimer son indignation, elle saisit une poignée de gâteaux fourrés et les jeta par terre avant de les piétiner. Bud hochait la tête d'un air réprobateur. Oubliant son handicap, il voulut se lever pour la calmer. Quelques secondes plus tard, il basculait sur la jeune femme, l’entraînant dans sa chute.

Étouffée sous le poids de ce corps puissant, Lucy mit un moment à comprendre ce qui lui arrivait. Malgré le plâtre qui lui rabotait la joue, elle sentit un grand trouble l’envahir. Fermant les yeux l’espace d’un instant, elle respira avec délice une odeur de savon où perçaient des senteurs de bruyère: son after-shave, sans doute. Une jambe musclée pesait sur sa cuisse, l’irradiant d’une chaleur étrange. En dépit d’elle-même, la jeune femme tendit la main pour effleurer l’épaule large.

Soudain, elle perçut un crissement sous ses reins. Les biscuits! Retrouvant sa fureur, elle repoussa avec rage son voleur de gâteaux qui roula lourdement dans l’herbe. Puis, après s’être relevée d’un bond, elle se dirigea d’un pas décidé vers la porte.

- Arrêtez! cria-t-il d'une voix où elle crut déceler un certain amusement. Vous n’allez pas me laisser par terre! J’ai le bras et la jambe cassés! Après tout, vous êtes responsable de ma chute!

Faisant volte-face, Lucy lui lança un regard empreint d’acrimonie.

- Responsable! répéta-t-elle avec indignation. Comment osez-vous dire une chose pareille? Vous m’avez volée, vous m’avez terrifiée! Je m’imaginais qu’un malfaiteur s’était introduit dans ma maison! Bien que je vive seule, elle comporte sept chambres à coucher, quatre salies de bains, une salle de séjour, un salon, une salle à manger, une cuisine et un bureau, sans compter un immense grenier bourré de vieilleries. N’importe qui pourrait s’y cacher pendant cent ans. J’oubliais la cave, aussi spacieuse que la caverne d’Ali Baba! Toutes les serrures étaient intactes; pourtant, il me manquait des marchandises... C’était donc vous, le

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voleur, et vous avez l’aplomb de prétendre que je suis respon...

Elle se tut, soudain subjuguée par l’éclat des incomparables yeux gris qui la fixaient avec une sorte d’attendrissement. Sans mot dire, elle vint vers lui et se baissa pour l’aider à se relever. Tant bien que mal, Lucy l’installa dans son fauteuil, puis elle recula de deux pas, toujours silencieuse.

- Je suis réellement désolé, dit Bud. Je n’avais pas pensé que vous pourriez être effrayée. J’étais persuadé que si vous vous aperceviez de mon larcin, ce dont je doutais, tout se terminerait par un éclat de rire. Je vous rembourserais vos desserts et nous deviendrions amis.

- Amis? fit-elle d’une voix enrouée. Pourquoi?

- Pourquoi? Faut-il vraiment une raison? Pourquoi pas?

- Je... Vous avez raison, ce n’est pas nécessaire, admit-elle.

Sauf qu’elle n’avait rien de commun avec les femmes qu’il fréquentait d’ordinaire, songea-t-elle.

- Si je comprends bien, poursuivit-elle plus calmement, vous m’avez dérobé des gâteaux afin de gagner mon amitié?

- Formulé ainsi, cela paraît un peu stupide.

Elle posa sur lui un regard rancunier.

- Je ne vous ai pas menti, vous savez. Je m’imaginais vraiment qu’un malfaiteur me guettait à l’intérieur de la maison, qu’il allait...

- Pardonnez-moi, fit-il doucement. C’est moi qui suis stupide. Ma seule excuse est que de délicieux effluves s’échappaient de chez vous, alors que je mourais d’inanition.

- Cela me tourmentait, avoua-t-elle. Je me demandais comment vous vous nourrissiez.

Il parut ravi.

- Vous vous faisiez du souci pour moi?

Lucy haussa les épaules avec désinvolture.

- Je m’interrogeais seulement sur vos repas.

Il ramassa délicatement une miette de biscuit restée sur sa manche.

- Quel gâchis! soupira-t-il. Vous aimez vraiment cuisiner, n’est-ce pas? Tous ces gâteaux, ces pâtés, ce pain frais, ces galettes parfumées à la cannelle... Si vous saviez l’effet qu’elles

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produisaient sur moi, ces galettes! Et puis, il y avait encore les rôtis, le chili con carne... Vous n’auriez pas fait mijoter une bouillabaisse, hier?

Elle le fixa avec ahurissement.

- Êtes-vous alpiniste ou fin limier? Vous devriez vous engager dans la brigade des stupéfiants, vous feriez merveille, dans les aéroports.

- Sans doute l’inanition m’a-t-elle rendu particulièrement sensible aux odeurs.

- Le terme n’est-il pas un peu exagéré?

- Peut-être, pourtant on se lasse de n’absorber que des boîtes de conserve pendant une semaine et demie.

- Pourquoi êtes-vous venu ici?

- Pour terminer ma convalescence.

- C’est absurde, si vous êtes incapable de prendre soin de vous-même.

- J’ai horreur de l’hôpital, et il faut gravir cinq marches pour accéder à ma maison. Si j’étais resté chez moi, j’aurais été pris au piège. Je m’imaginais que je pourrais me débrouiller seul, ici. Le propriétaire, mon ami Charlie, m’y a laissé après avoir rempli ses placards de provisions. Malheureusement, il manque un peu d’imagination.

- Et mes odeurs de cuisine vous aiguisaient encore plus l’appétit, si je comprends bien?

- Vos odeurs de cuisine! Quelle expression vulgaire pour désigner ces parfums divins.

Lucy éclata de rire.

- La flatterie est un excellent moyen de se faire inviter à dîner, il me semble.

Il hocha la tête en souriant.

- Touché! admit-il. La première fois que j’ai tenté de franchir cette porte, je voulais vous dire combien vos gâteaux exhalaient une odeur délicieuse... dans l’espoir que vous m’en offririez, bien entendu. Malheureusement, les roues de mon fauteuil se sont embourbées dans le parterre de roses. Par chance, Charlie me rend visite tous les vendredis, si bien qu’il m’a libéré avant la nuit.

- Pourtant, vous avez recommencé.

- Je suis entêté... Tous les alpinistes le sont.

- Vous vouliez toujours me féliciter pour ma pâtisserie?

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- Non. La seconde fois, j'étais attiré par vos pâtés. C’est alors que j’ai eu la brillante idée d’utiliser la dérive de la table, dans la salle à manger, et... Qu’ai-je dit de si drôle?

Comme Lucy éclatait d’un rire joyeux, Bud se renfrogna. Il n’était pas habitué à ce que l’on rît de lui, à moins qu’il ne fît une plaisanterie. Il se tut, admirant les yeux noisette où l’hilarité allumait des paillettes d’or. Comment avait-il pu les trouver ordinaires?

Soudain consciente de son silence, Lucy se calma.

- Excusez-moi, murmura-t-elle. Seuls les bateaux à voile possèdent une dérive. Les tables sont munies de rallonges. Euh... Vous les avez utilisées?

- C’est tout ce que j’ai trouvé. Charlie comprendra.

La jeune femme haussa les sourcils.

- C’est un de vos grands amis?

- Mon meilleur ami, oui. J’aurais pu lui demander de me fabriquer une sorte de pont, pendant le week-end, mais... mais le temps lui aurait manqué, mentit Bud.

En vérité, il avait renoncé à en parler à Charlie, sans savoir pourquoi.

- Autrefois, il y avait une allée dallée, précisa Lucy. M. Thomas, une excellente relation de ma grand-mère, vivait dans la maison de votre ami et il était infirme. Depuis sa mort, la propriété a changé de mains deux ou trois fois. Les dalles ont dû être retirées. Sans doute n’a-t-on pas remarqué la porte qui est presque invisible.

- J’ai découvert des blocs de ciment dans le hangar, avoua Bud, mais il m’est impossible de les transporter d’une seule main.

Lucy ne chercha pas à dissimuler son amusement.

- Vous êtes à ce point friand de biscuits au caramel?

- Pour ne rien vous cacher, ce sont eux qui m’ont incité à utiliser les... rallonges. Il ne me restait plus qu’à crocheter discrètement votre garde-manger. Comme vous vous en êtes rendu compte, j’ai fait deux incursions chez vous. Les gâteaux ont constitué ma première prise, et le pâté la seconde. Vous m’en voulez encore? conclut-il en s’emparant de la main de la jeune femme.

Comme il lui caressait doucement le poignet du pouce, Lucy retint sa respiration. Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’elle pût répondre.

- Bien sûr, dit-elle enfin d’une voix enrouée.

Elle retira doucement sa main de celle de Bud,

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tout en maudissant son hypersensibilité. Pourquoi se laissait-elle émouvoir par cet homme qui était un don Juan notoire? Combien de femmes avait-il tenues sous le charme de ces yeux gris attentifs? Une centaine...? Plus, peut-être.

- Pourquoi faites-vous cela, Lucy?

Elle sursauta. De quoi parlait-il? Pouvait-elle lui révéler qu’elle s’était écartée de lui par instinct de préservation?

- Pourquoi passez-vous tant de temps à cuisiner? demanda-t-il.

- C’est mon métier, je suis cuisinière.

Comme elle lui souriait timidement, deux fossettes se creusèrent dans ses joues, la parant d’un charme supplémentaire. Une fois de plus, Bud se demanda comment il avait pu la juger quelconque.

Elle se posa la main sur le cœur, en un geste comique.

- Je suis un cordon-bleu installé incognito dans le pays. Je vous en conjure, ne livrez mon secret à personne.

Il éclata d’un rire grave qui la fit vibrer.

- Votre secret? Vous ne maintiendrez pas votre «incognito» bien longtemps si vous continuez de répandre ces délicieuses odeurs sur le voisinage.

- Je plaisantais, évidemment. Tout a commencé comme une farce. Mon amie Lénore avait invité ses beaux-parents à dîner, ce qui la rendait presque folle d’anxiété. A sa demande, j’ai préparé le repas à sa place et je le lui ai livré à temps pour la réception. Bien sûr, Lénore était trop honnête pour accepter sans rien dire les compliments de ses hôtes. Sa belle-mère m’a appelée dès le lendemain pour me proposer sa clientèle. C’est ainsi que j'ai débuté.

- Si je comprends bien, vous êtes traiteur.

Elle secoua la tête.

- J’ai failli l’être, cependant ce n’était pas vraiment ce que je désirais. Je n’étais même pas sûre d’avoir envie de cuisiner toute la vie. Je servais dans un drugstore et je profitais de mes loisirs pour me livrer à ce passe-temps. Puis j’ai eu l’idée d’utiliser mes dons pour aider ceux qui en avaient besoin. En hiver, je n’ai que quatre habitués, mais l’autre jour, j’ai accepté ma dixième affaire pour l’été.

Il songea avec jalousie à tous les hommes qui devaient bénéficier de ses services. C’était d’une imprudence folle que de se rendre ainsi dans des maisons inconnues!

- Si je comprends bien, vous avez dix clients?

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- Bien plus que cela! Je traite dix maisons. Deux d’entre elles sont occupées par un vieux couple; ce sont mes habitués. Et pendant l’été, je sers dix familles de plus.

- Vous voulez dire... des familles sans mères?

Bon sang, elle n’avait pas seulement affaire à des hommes reconnaissants mais à des enfants pathétiques! Avant même de s’en apercevoir, elle allait se retrouver prise au piège par un veuf éploré.

- Des familles sans mères? répéta-t-elle sans comprendre.

- D’ordinaire, les maîtresses de maison font elles-mêmes la cuisine, j’en conclus donc...

- Les mères ont elles aussi droit au repos, après avoir travaillé toute l’année.

- Évidemment, si vous présentez les choses de cette façon... Pourtant, ma mère cuisinait, quand nous étions en vacances. Elle disait que cela distrayait. Je suppose que les femmes conçoivent la cuisine comme une récréation, non?

Le rire de Lucy était clair et cristallin. Comme elle rejetait la tête en arrière, il admira sa gorge tendre où battait une veine délicate. Enfin, elle cessa de rire pour poser sur lui des yeux pétillants.

- Cette réflexion en dit long sur vos origines bourgeoises.

- Entendu, grommela-t-il. J’ignore comment vivent les classes laborieuses.

- Je n'ai pas voulu dire cela.

- Mais c’est bien ce que cela signifiait.

- Non. Je plaisantais. Pardonnez-moi de m'être moquée de vous.

Souriant, il la tint sous l’emprise de ses yeux gris.

- Riez de moi autant que vous le désirez, Lucy Gallagher. Quand vous riez, vous êtes ravissante à voir et délicieuse à entendre.

- Merci, murmura-t-elle.

Quelques longues secondes s’écoulèrent, avant qu’il reprenne le cours de la conversation.

- Vos clients réussissent-ils à dévorer tout ce que vous produisez chaque jour?

- Je congèle une grande partie des plats pour éviter d’allumer les fours pendant les grandes chaleurs. A cette époque de l'armée, il fait déjà trop chaud pour les utiliser l’après-midi, c'est pourquoi je commence de bonne heure.

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- Je l’ai remarqué...

Il évoqua ses murmures matinaux, presque aussitôt suivis des effluves du pain frais.

- Voulez-vous m’accepter pour client? s’enquit-il à brûle-pourpoint.

Lucy recula de deux pas, comme effrayée. Pourtant, se raisonna-t-elle, il n’y avait aucune raison d’avoir peur.

- Pourquoi pas? murmura-t-elle. Vous serez sans doute parti lorsque les estivants arriveront.

- Je compte passer l’été ici, précisa Bud, mais rassurez-vous, dès que l’on m’aura retiré mon plâtre, je pourrai me débrouiller seul.

La jeune femme hocha la tête pour signifier son accord.

- Merci, Lucy, je vous promets de vous déranger le moins possible.

Elle tressaillit, songeant que la seule présence de cet homme dans le voisinage suffisait à la troubler. Comment ne serait-elle pas « dérangée » par sa fréquentation quotidienne? S’avisant brusquement que les cheveux de Bud étaient parsemés de miettes sucrées, elle toussota:

- Je crois qu’en tombant vous avez dû rouler sur des débris de gâteaux. Vous devriez vous laver la tête.

Il contempla sombrement le plâtre qui lui prenait le bras jusqu’au bout des doigts. Jusqu’ici, il avait réussi à faire sa toilette d’une seule main, mais le nappage de caramel risquait de se montrer récalcitrant. Il soupira.

- Lucy, je crains d’avoir un réel problème.

Comprenant aussitôt à quoi il faisait allusion, elle s’écarta de Bud pour chercher fébrilement son chaton. Il la suivit en fauteuil roulant, une lueur amusée au fond de ses yeux gris. Avec ses plâtres, ses cheveux collés par le sucre et son invalidité, il espérait bien lui offrir un tableau suffisamment pitoyable...

- Pas question! Protesta-t-elle d’une voix aiguë.

- Allons! Vous n’allez pas m’abandonner à mon triste sort?

- A qui la faute! s’exclama-t-elle.

Comme il ne répondait pas, elle lui adressa un sourire contraint.

- Entendu, soupira-t-elle avec résignation.

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Après tout, ce ne devait pas être bien difficile de laver la tête à un homme...

4

Lucy contemplait Bud avec consternation. Il était aussi près de la baignoire que son fauteuil le lui permettait, mais ce n’était pas suffisant. De surcroît, le pommeau de la douche était fixé au mur, ce qui ne facilitait pas les choses.

- Pouvez-vous vous lever? s’enquit-elle.

- Bien sûr, mais pas trop longtemps. De toute façon, il n’est pas question d’orienter la douche pendant que j’essaie de me pencher: ça abîmerait le plâtre.

- J’envisageais plutôt d’utiliser l’évier de la cuisine, déclara-t-elle en posant les mains sur les bras du fauteuil pour le pousser hors de la salle de bains.

- Comment M.Thomas s’y prenait-il?

- Avec un gant de toilette, je suppose. Il était chauve.

Bud ne répondit pas. Il était absorbé dans la contemplation d’une jeune poitrine parfaitement dessinée sous le chemisier blanc. Inconsciente de cette admiration indiscrète, la jeune femme se redressa et orienta le fauteuil de façon à ce qu’il le dirige lui-même.

- Je n’en crois pas mes yeux! s’exclama-t-elle lorsqu’ils furent parvenus dans la cuisine. Deux robinets! Je ne m’imaginais pas qu’on utilisait encore des installations aussi archaïques.

- Pensez à tous ceux qui n’ont même pas l’eau courante, déclara-t-il sur un ton faussement pédant. D’ailleurs, ce n’est pas archaïque mais rustique.

Haussant les épaules, la jeune femme fit mine de relever des manches inexistantes.

- Très bien, monsieur Halloran, vous désirez un shampooing froid ou chaud?

- Hum... Si nous allions chez vous?

- Je décline toute responsabilité s’il faut pousser votre fauteuil sur ce pont de rallonges.

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C’est à peine si j’ai pu vous relever, tout à l'heure.

L’air découragé, Bud se passa la main dans ses cheveux collés par le sucre.

- Il doit bien y avoir une solution...

Trois quarts d’heure plus tard, épuisée et en nage, Lucy poussait le fauteuil de Bud sur le sentier qui passait derrière les deux maisons. Il n’offrait pas un meilleur spectacle, avec son plâtre sali et éraflé, car il avait insisté pour qu’elle l’aide à transporter les blocs de ciment jusqu’à la porte.

- Vous savez, remarqua-t-elle en le poussant dans le patio, vous mériteriez que je vous arrose au jet, dans le jardin.

- Ce pourrait être drôle. Cela fait des années que je ne me suis pas livré à ce genre de jeux. Quand on m’aura retiré mes plâtres, je relève le défi.

- Pour le moment, grommela-t-elle, nous allons devoir trouver un moyen de les garder secs.

Refusant de penser à ce qui se passerait lorsque Bud Halloran serait de nouveau valide, Lucy poussa le fauteuil près de levier de la cuisine, puis elle lui enveloppa le bras gauche dans un sac de plastique. Prenant appui sur le rebord de l’évier, Bud se leva avec précaution et pencha la tête en avant pendant que la jeune femme réglait le débit de l’eau chaude. Fort heureusement, son évier était équipé d'un vaporisateur.

- Fermez les yeux, ordonna-t-elle.

Le plus dur venait de commencer... Courbée en avant pour verser le shampooing sur la tête de Bud, elle sentit ses seins se presser sur le large dos. Rougissante, elle lui frotta vigoureusement le crâne afin d’en finir au plus vite. Il grommela.

- Oh! je vous ai fait mal, murmura-t-elle d’une voix contrite.

- Absolument pas... C’est fantastique,.Lucy. Surtout, ne vous arrêtez pas. Ne vous arrêtez jamais!

Elle enfonça, ses doigts tremblants dans la chevelure épaisse, brûlante d’une confusion mêlée d’excitation. Enfin, elle put prétendre la tâche terminée.

- Nous allons passer au rinçage, souffla-t-elle.

Dirigeant le pommeau du vaporisateur sur le crâne de Bud, elle fît ruisseler l’eau tiède jusqu’à ce que toute trace de savon eût disparu, puis elle lui entoura la tête d'une serviette éponge.

- Vous pouvez vous rasseoir dans votre fauteuil, annonça-t-elle.

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- C’est tout? protesta-t-il. J’aurais bien besoin d’un deuxième lavage.

- C’est tout, trancha-t-elle avec fermeté.

Résigné, il s’effondra sur son fauteuil, les yeux fermés. Remarquant sa pâleur et son souffle accéléré, Lucy lui essuya doucement les cheveux.

Comme il se laissait aller en arrière, sa tête vint se loger contre la poitrine de la jeune femme qui frémit et cessa tout mouvement. Lorsqu’il ouvrit les yeux, elle le regardait, le visage empreint d’une expression qu’il ne put déchiffrer.

- Votre visage est encore sale, remarqua-t-elle en humectant un coin de la serviette. Ici.

Il voulut lever la main, mais elle lui retomba sur les genoux.

- Dans une minute, souffla-t-il d’une voix épuisée.

Fronçant les sourcils, Lucy se pencha vers lui, la serviette à la main.

- Ne bougez pas, je m’en occupe.

Tendrement, elle lui nettoya le visage et le cou. La tête rejetée en arrière, les yeux clos, il semblait endormi. Fascinée par ce beau visage aux traits détendus, elle se pencha pour effleurer de ses lèvres le front de Bud. Juste à cet instant, il souleva les paupières et surprit dans les yeux de la jeune femme une expression de pur désir.

- Lucy!

Elle se redressa brusquement.

- Non! s’écria-t-elle tandis qu’il s’emparait de sa main pour l’attirer vers lui avec une force insoupçonnée. Quand je pense que vous faisiez mine d’être épuisé! Vous vous êtes bien moqué de moi!

- Pas vraiment, dit-il en riant. Je vous en prie, Lucy, j’ai besoin de vous embrasser.

Il ne lui demandait pas son avis, il affirmait un droit. Ses lèvres chaudes ne priaient pas, elles exigeaient. Sans force, Lucy s’abandonna à leur caresse impérieuse, jusqu’à ce qu’elle se sentît proche de l’évanouissement. Très loin, lui semblait-il, une gorge de femme laissait échapper un gémissement de plaisir.

Lorsqu'elle revint à elle, sa tête était appuyée à l’épaule de Bud, son corps reposait contre le sien. Elle leva une main timide pour caresser son visage rude, puis son cou. La respiration de Bud s’accéléra, tandis que sa bouche glissait le long de la nuque de Lucy pour se poser sur sa gorge, dans l’échancrure du chemisier. Elle frissonna, pénétrée d’une joie presque sauvage à l’idée qu’il ressentait un désir aussi intense que le sien et, lorsque la main de Bud découvrit ses seins, elle leva vers lui des yeux émerveillés.

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Comme il les enveloppait d’une main caressante, elle sentit leurs pointes se dresser contre la paume rugueuse. Le regard avide de Bud remonta alors jusqu’à son visage et il lui adressa un sourire d’une telle tendresse quelle fut au bord des larmes. Il embrassa les paupières humides, avant de s’emparer de ses lèvres avec une passion qu’elle n’avait jamais rencontrée jusqu’alors.

Lorsqu’il releva finalement la tête, il la contempla avec une stupeur affamée, puis il l’écarta doucement de lui pour ajuster le chemisier blanc sur la gorge découverte.

- Bon sang! murmura-t-il en l’aidant à s’asseoir sur ses genoux, je crois m'être un peu oublié...

Lucy se releva lentement, essayant d'échapper à la magie des minutes qui venaient de s’écouler. Jamais elle n’avait vécu des instants semblables, même lorsque Mike et elle exploraient ensemble les sentiers de l’amour.

Après avoir ramassé la serviette, elle la plia avec un soin exagéré, puis elle reboucha la bouteille de shampooing. Avec un soin minutieux, elle entreprit ensuite de nettoyer levier. Lorsque ce fut terminé, elle se tint immobile, absorbée dans la contemplation de la serviette. Du coin de l’œil, elle vit que Bud passait les doigts dans ses mèches humides.

- Vous avez besoin d'un peigne, dit-elle très vite. Je vais vous en prêter un.

Lucy ne reconnut pas sa propre voix. Avait-il changé cela, aussi? Les jambes tremblantes, elle sortit de la cuisine, traversa le hall d'entrée et pénétra dans la salle de bains. Là, elle ouvrit la pharmacie et se demanda ce quelle cherchait. L'esprit en déroute, le cœur battant la chamade, elle aurait pu crier tant le désir lui avait laissé une délicieuse souffrance. Dans le miroir, une étrangère lui rendait son regard.

Ses yeux n'étaient plus noisette, mais d'un vert étincelant, parsemé de paillettes d'or. Ses cheveux bruns ruisselaient sur ses épaules, sa bouche gonflée paraissait plus douce. Elle semblait... meurtrie. Au bout d'une minute, elle s'aspergea le visage avec de l’eau froide, puis elle le sécha au moyen d'une serviette rêche. Ses yeux avaient presque repris leur aspect habituel, mais sa chevelure emmêlée exigeait des soins immédiats. Elle tendait la main vers la brosse lorsqu’elle se souvint.

- Un peigne!

De ses doigts tremblants, elle saisit l'objet, puis elle s'exhorta au calme avant de quitter la salle de bains. Après avoir traversé l'entrée en respirant profondément, elle pénétra dans la cuisine. Bud avait disparu.

- Tant mieux! déclara-t-elle en s’effondrant sur la chaise la plus proche.

Aussitôt, le chaton lui sauta sur les genoux. Tout en le caressant distraitement, elle répéta:

- Tant mieux, je suis soulagée...

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Sans se lever, elle s’empara de la serviette de toilette restée sur la table et y enfouit son visage. L’odeur du shampooing réveilla en elle des sensations troublantes. Tout était arrivé trop vite! Bud disait s’être oublié... Lucy pouvait en dire autant. Jamais un homme ne l'avait émue à ce point. Jusqu’ici elle avait cru avoir vécu avec Mike tout ce qu’une femme pouvait ressentir auprès de l’homme qu’elle aimait. Mais n’était-elle pas trop jeune, du temps de Mike? Peut-être avait-elle mûri. Quoi qu’il en fût, elle devait dorénavant se montrer extrêmement prudente.

Si Bud Halloran devenait son client, elle ne se laisserait plus affecter ainsi par sa présence. Soudain animée par un intense besoin d’activité, Lucy bondit sur ses pieds, au grand dépit du chaton. Insensible à ses miaulements plaintifs la jeune femme entreprit de préparer ses cinq repas du soir. Il n’y avait pas grand-chose à faire : quelques assaisonnements à terminer et un pâté à couper en tranches. Ébahie par sa propre négligence, elle constata quelle avait omis d’emballer toutes ses autres préparations et de les mettre au congélateur.

Dix minutes plus tard, Lucy poussait une exclamation exaspérée. Il ne lui restait plus que vingt-neuf pâtés! Claquant avec violence la porte du congélateur, elle voua Bud Halloran au diable. Elle préférerait mourir plutôt que de lui servir un seul dîner, à ce voleur de pâtés.

Encore étourdi, Bud Halloran traversa la cour pour franchir la porte. Il se demandait ce qui lui était arrivé. Jamais auparavant il ne s’était laissé submerger par un désir aussi puissant.

Avec difficulté, il roula sur les blocs de ciment disposés sur le sol avec l’aide de Lucy. Il était certain quelle avait éprouvé envers lui le même élan passionné qui la poussait vers elle. Quelle créature généreuse et belle! Il frissonna en évoquant la douceur de ses seins pressés contre son torse. Elle était adorable, irrésistible, la perfection incarnée...

Bud grommela. Était-il en train de perdre la raison? Lucy Gallagher n’était qu’une femme parmi des millions d’autres. S’il était si sensible à son charme, c’était tout simplement qu'il était seul depuis trop longtemps. Elle était tout à fait quelconque, petite, pas même particulièrement jolie, sinon par moments. En tout cas, ce n’était pas son type, à lui.

Bud déposa avec soin son deuxième pâté de la journée sur la table de la cuisine. Que faisait -elle, en ce moment? Allait-elle faire irruption chez lui, ses yeux noisette étincelants de fureur, pour lui reprocher son forfait? Un frisson d’excitation lui courut le long du dos.

Lucy...

Lucy gravit les quelques marches du perron de Franck Mclvor, puis elle frappa à la porte. Quelques secondes plus tard, elle pénétrait dans la chambre de l’infirme, qui lui adressa un sourire chaleureux avant de cligner des yeux avec malice.

- Eh bien! Qui est-ce qui vient d’être embrassée?

- Cela se voit encore? s’exclama la jeune femme. Euh... Que voulez-vous dire?

Le vieil homme s’esclaffa.

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- Ces mille étoiles qui brillent dans vos yeux vous trahissent. Vous rayonnez, Lucy.

- Vous vous trompez! protesta-t-elle en déposant le dîner sur la table. D’ailleurs, il m'a encore volé un pâté! poursuivit-elle en approchant du lit une petite table roulante.

- Vraiment? Et qui peut bien être ce « il »? Est-ce celui qui vous a dérobé des baisers?

Le vieil homme considéra la jeune femme avec curiosité. Frank Mclvor était l'un des clients favoris de Lucy. Depuis son accident, il vivait par procuration, à travers ses nombreux amis. L'existence tranquille de Lucy ne le satisfaisait pas.

- Asseyez-vous, dit-il en tapotant son lit. Racontez tout au vieux Frank.

- C’est impossible. Je suis déjà en retard.

Lucy lui servit rapidement son repas, tout en promettant de lui révéler très bientôt ce qu’il voulait savoir. Elle ne craignait d’ailleurs pas de se confier à lui, car il était d’une discrétion à toute épreuve.

Les Johnson et les May, les deux vieux couples qu’elle visita ensuite, se montrèrent comme d’habitude débordants de reconnaissance. Négligeant le ait qu'elle était rémunérée, ils la traitaient comme me voisine complaisante les gratifiant de toute sa générosité. Lucy en tirait un réel plaisir.

Mlle Anna Takai accueillit la jeune femme avec on amabilité coutumière:

- Vous êtes particulièrement jolie, aujourd'hui, dit-elle en dépliant délicatement sa serviette immaculée de ses pauvres doigts tordus.

Souriante, Lucy remplit le verre de vin que la vieille demoiselle absorbait chaque soir dans l’espoir de soulager ses membres déformés par l’arthrose.

- Merci, mademoiselle Takai. Quel disque voulez-vous entendre, ce soir?

- Zamfir, s'il vous plaît. Il est si romantique... Eh puis non, mettez-moi Herb Alpert, à la place. Je vous prête Zamfir. Vous le ferez écouter à votre ami, lorsque vous l’inviterez à boire le café après votre sortie.

Lucy se détourna, afin d’échapper aux yeux trop perspicaces de la vieille demoiselle.

- Mais je ne sors pas!

- Vraiment? Comme c’est étrange. On dirait que vous vous attendez à ce qu’un événement excitant se produise. N’importe. Je suis certaine qu’il vous invitera un autre soir. Prenez ce disque, Lucy, et faites-en bon usage.

La jeune femme savait qu’il était inutile de discuter. Ces vieilles personnes se montraient

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toujours extrêmement têtues, lorsqu'elles croyaient avoir remarqué quelque chose de nouveau. Résignée, elle glissa le disque dans son sac, puis elle plaça le Herb Alpert sur la platine.

- Je pourrai toujours l’écouter pendant mes heures de loisir, marmonna-t-elle en remarquant le sourire malicieux de Mlle Takai.

- Bien sûr, renchérit celle-ci.

Maussade, Lucy se glissa au volant de sa camionnette.

- Mille étoiles dans les yeux! murmura-t-elle avec mauvaise humeur. Complètement ridicule!

Elle grommelait encore lorsqu’elle pénétra dans la station service et freina devant les pompes.

- Le plein, Dickie, ordonna-t-elle au jeune pompiste.

- Bien sûr, Lucy. Vous avez gagné au loto, ou quoi? Vous avez l’air... si contente!

- Pas du tout! protesta-t-elle. Vous ne voyez pas que je fronce les sourcils? J’étais déjà d’une humeur massacrante en arrivant, Dickie. Je ne vois pas ce qui vous fait prononcer des absurdités pareilles!

- Je suis désolé, Lucy. Je ne savais pas que vous ne vouliez pas avoir l’air heureux, sinon je n’aurais rien dit. Vous voulez que je vérifie le niveau d’huile?

En arrivant chez elle, Lucy brûlait de retourner à la station service pour s’excuser auprès de Dickie, mais cela aurait exigé de telles explications qu’elle y renonça.

Un peu plus tard, elle s’asseyait dans le patio, environnée par les accents des violons. Bizarrement, elle ne fut pas surprise d’entendre la voix de Bud retentir derrière elle.

- Je suppose que je devrais vous être reconnaissant de m’avoir épargné la souffrance que me causaient ces effluves délicieux, pour les remplacer par une musique suave, dit-il.

La jeune femme se contenta de tourner la tête. -Vous avez l’habitude de surprendre ainsi les gens?

- Vous ne m’avez pas apporté mon dîner, se plaignit-il. J’ai dû me rabattre sur mes hot dogs.

- Je pensais que mon pâté vous suffirait, rétorqua-t-elle calmement.

Sans mot dire, il déposa le pâté à peine entamé sur la table.

- Dois-je comprendre que vous n’appréciez pas ma cuisine, finalement?

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- Pas la sauce tomate, soupira-t-il.

Lucy éclata de rire.

- Vous avez réponse à tout. Que diriez-vous d’un morceau de tarte aux pommes et d’une tasse de café?

Une minute plus tard, elle s’activait dans sa cuisine, maudissant sa propre faiblesse. Pourquoi n’était-elle pas capable de s’en tenir aux décisions qu'elle avait prises? Elle l’accueillait avec chaleur, lui offrait du café et du gâteau, au lieu de le mettre à la porte sans autre forme de procès.

Soudain rougissante, Lucy se souvint de la soumission avec laquelle elle avait accepté les caresses de cet étranger. Il fallait quelle ait perdu la raison! Eh bien, cela ne se reproduirait plus! Elle pensa un instant interrompre la musique romantique de Zamfir, pour la remplacer par des chants grégoriens, ou bien une polka endiablée. Mais c’était ridicule! Il suffisait de témoigner d’un peu de volonté. Pour la renforcer, elle illumina le patio avant d’emporter le plateau sur lequel elle venait de déposer le café et la tarte.

Dès qu'elle l’eut posé sur la table, Bud lui attrapa le bras.

- Petite casseuse d’ambiance! plaisanta-t-il.

Comme elle perdait l’équilibre, Lucy s’accrocha aux épaules de Bud qui n’attendait que cette occasion. Deux secondes plus tard, elle était assise sur ses genoux, prisonnière de son bras plâtré... et du feu qui brillait dans ses yeux. Il défit les cheveux de Lucy qui ruisselèrent aussitôt en vagues souples sur ses épaules. Sentant les lèvres de son agresseur lui effleurer l’oreille, elle gémit:

- Non, je ne veux pas!

Il lui rit doucement dans le cou.

- Ne mentez pas, Lucy.

Elle hésita un instant avant de s'écarter de lui pour plonger dans les yeux gris.

- D’accord, je ne veux pas vouloir.

- C’est différent. J’éprouve le même sentiment, mais je ne peux m’empêcher de vous désirer. Cet après-midi...

- Ce qui s’est passé cet après-midi n’aurait pas dû se produire, l'interrompit-elle. Ce fut un moment d’aberration.

- Vous trouvez aberrant d’embrasser un homme qui vous attire et sur lequel vous produisez un effet irrésistible?

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Lucy tenta d’oublier le plaisir intense que lui causait cet aveu.

- Je trouve aberrant d’embrasser un homme que je connais à peine, trancha-t-elle d’une voix sévère.

- Qu’à cela ne tienne! Je ne demande pas mieux que de faire connaissance, murmura-t-il en posant les lèvres sur celles de la jeune femme.

Ce fut un tendre assaut qui la laissa étourdie.

- Le café va être froid, bredouilla-t-elle enfin.

- Quelle importance? Embrassez-moi encore, Lucy.

- Ce n’est pas bien.

- Bien sûr que si. Vous avez la bouche la plus douce qui soit, déclara-t-il en s’en emparant une seconde fois.

Quand il releva la tête, ses yeux reflétaient un étonnement si profond qu’elle profita de cette faiblesse momentanée:

- Tarte aux pommes, souffla-t-elle.

- Mmm...?

- Recouverte de crème fouettée, suggéra-t-elle d’une voix enjôleuse.

- Lucy, vous êtes ravissante, si féminine, et... ce fauteuil si inconfortable! Je tuerais l’individu qui m’a vendu cette corde déficiente. Si elle n’avait pas rompu... Non! Attendez! Ne partez pas, supplia-t-il tandis qu’elle se glissait hors de ses bras.

- Une corde rompue? l’encouragea-t-elle en poussant vers lui une part de tarte et une tasse fumante.

- Ne changez pas de sujet, gronda-t-il.

- Vous avez eu cet accident au cours d’une ascension? De quelle montagne s’agissait-il?

- Du mont Logan. Et maintenant revenons à ce qui nous intéresse. Je vous disais ce que j’éprouve en votre présence.

- Vous me disiez que votre fauteuil était inconfortable. Puis vous avez manifesté votre gratitude envers un certain vendeur de cordes.

- Très bien! fit-il en riant. Mais laissez-moi vous rappeler que pour l’instant vous n’avez rien à craindre de moi. Comme vous pouvez le constater, je suis momentanément incapable

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de vous faire subir les derniers outrages.

Comme elle rougissait, la lumière du patio s’éteignit brusquement, ce qui le plongea dans le noir. Avec ferveur, Lucy remercia son ange gardien qui intervenait sans doute en sa faveur...

5

Quelques minutes s’écoulèrent. Malgré la pénombre, Lucy distinguait l’expression malicieuse de son hôte. Elle rompit enfin le silence:

- Cette panne ne doit pas vous empêcher de déguster ma tarte.

Sans attendre la réponse de Bud, elle se servit une énorme part qu’elle fit mine de dévorer avec appétit. Il l’imita et, pendant quelques instants, seul le bruit des couverts troubla le silence de la nuit. Lucy s’avisa soudain que le disque s’était arrêté sans qu’elle s'en aperçoive.

- Parlez-moi de vous, ordonna soudain Bud. Comment se peut-il que vous viviez seule? N'avez-vous pas un fiancé?

- J’ai été mariée mais je suis divorcée.

La question de Bud la surprit:

- Le mariage ne vous convenait pas?

Pour une raison inconnue, elle ne lui mentit pas comme elle avait menti aux autres durant les cinq années passées.

- Le mariage me convenait tout à fait. C’est Mike qui a voulu que nous nous séparions.

- Il vous a quittée pour une autre femme! s’exclama-t-il avec incrédulité.

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- Non... Ce n’est pas cela, du moins pas sur le moment. Je veux dire qu’il ne m’en a pas préféré une autre. Cependant, il s’est remarié environ un an après notre divorce. Ils ont deux enfants, maintenant, ajouta-t-elle comme s’il s’agissait d’une précision importante.

Elle s’était exprimée sur un ton léger, pourtant Bud aurait aimé la prendre dans ses bras pour soulager la peine qu’il sentait peser sur elle comme une chape de plomb.

- Vous l’aimez encore? s’enquit-il d’une voix enrouée.

- Non, bien sûr que non! Du moins pas de cette façon. En cinq ans, les sentiments ont le temps d’évoluer.

Comme elle haussait ses épaules frêles, il se souvint de la fragilité de ses poignets.

- Je ne sais pas, murmura-t-il. Je n’ai jamais été amoureux. Bah... j’ai bien cru l’être, une ou deux fois, mais cette impression s’évanouissait bien vite, et je comprenais que ce que j’avais pris pour un amour sincère ne l’était pas. Peut-être que ce que vous avez ressenti pour votre mari ne l’était pas non plus? suggéra-t-il avec une sorte d’espoir.

Malgré la pénombre, il vit que les yeux de Lucy lançaient des éclairs.

- Mon amour pour Mike était très profond! affirma-t-elle avec véhémence. S'il en avait été autrement, je n'aurais pas mis deux ans à récupérer après notre rupture. Vous n’avez pas à douter de la profondeur de mes sentiments.

Il se tut, écoutant la respiration accélérée de la jeune femme. La tristesse qui émanait d'elle le toucha vivement.

- Pardonnez-moi, Lucy.

Elle se calma au prix d’un effort énorme.

- Encore un peu de café? proposa-t-elle.

- Non merci. C'était délicieux mais je vais rentrer, maintenant. Accepterez-vous de me fournir mes repas, demain?

- Bien sûr. Je vais vous raccompagner. Il fait sombre, et vous risquez de sortir de l’allée.

Ils franchirent sans encombre la porte dissimulée dans le mur qui séparait les deux jardins. Sous le porche, la brise nocturne leur apporta des effluves iodés. Au loin, l’océan grondait doucement.

- Demain, c'est mercredi, remarqua Bud. Je suppose que vous ferez cuire le pain?

Elle lui adressa un regard railleur.

- Vous connaissez mon emploi du temps par cœur? lança-t-elle en s’éloignant.

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- Eh! Je n’ai pas droit à mon baiser du soir?

- Certainement pas!

- Pourquoi? Ne sommes-nous pas amis?

- Bien sûr. Il me semble que les amis se contentent d'une poignée de main.

- Entendu, déclara-t-il en lui tendant sa large paume.

Lucy recula, consciente de sa propre faiblesse et de la force de son adversaire. Tout en partant d’un rire légèrement contraint, elle courut vers son abri.

- La ruse est cousue de fil blanc! Bonne nuit, mon cher voisin.

Vingt minutes plus tard, elle était étendue dans son lit et respirait avec délice le parfum des giroflées. Comme la Belle au Bois Dormant, elle avait l’impression de s’éveiller d’une longue léthargie. Un sommeil qui avait duré cinq ans...

Bud mit plus longtemps à se préparer pour la nuit, mais bientôt il fut à son tour couché sur le dos, son bras valide sous la nuque et l’autre pesant lourdement sur son estomac. Il fronça les sourcils. Lui avait-il fait mal, en la serrant trop fort contre lui? Bon sang! Ne pouvait-il cesser un instant de penser à elle? Sa peau... L'avait-il meurtrie avec son plâtre? Submergé par le désir de la reprendre dans ses bras, il poussa un gémissement sourd.

- Bud?

La voix de Lucy lui parvint avec autant de clarté que si elle s était trouvée à ses côtés. Il se redressa brusquement.

- Lucy?

- Vous allez bien? Je vous ai entendu gémir. Vous n'avez pas d’ennui?

- Mais où diable êtes-vous?

Un rire cristallin retentit dans la nuit.

- Dans mon lit. Si je vous semble si proche, c'est qu’à cette époque de l’année, je dors sur la terrasse. Pourquoi gémissiez-vous?

- Je ne pense pas que vous soyez satisfaite par ma réponse.

- Pourquoi? N’avons-nous pas décidé d’être amis? Si vous avez besoin d'aide, je suis décidée à vous la fournir.

- Entendu. Je brûlais du désir de vous tenir dans mes bras... D'embrasser votre peau

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meurtrie par mon plâtre.

- Vous ne m'avez pas fait mal, Bud.

- Tant mieux! Puis-je espérer vous embrasser encore?

Elle hésita imperceptiblement.

- Chacun est libre d’espérer.

Il parut méditer un instant cette réponse avant de poursuivre:

- Que portez-vous, en ce moment?

- Ri... Euh... Pourquoi cette question?

- Rien, n’est-ce pas?

- Je n’ai rien dit de semblable!

- Mais vous avez failli. Cela signifie-t-il que vous ne portez presque rien? Où puis-je vous embrasser? Qu'est-ce qui est découvert?

- Bud Halloran, c’est la conversation la plus absurde que j’aie jamais soutenue de ma vie. Vous ne pouvez pas m’embrasser, parce que nous sommes séparés par un grand mur.

- Vous méconnaissez le pouvoir de l’imagination. Où pensez-vous que je suis en train de poser les lèvres?

- Arrêtez!

- Pourquoi? Vous ne pouvez être effrayée par un simple bavardage? D’après ce que m’a dit Charlie, personne ne peut nous entendre, hormis pendant le week-end.

- Là n’est pas la question. Je refuse de me prêter à un jeu aussi ridicule.

- Amusant... Je ne pensais pas que nos baisers étaient ridicules. Pour ma part, j’en ai tiré un plaisir intense. Et si j’en crois vos réactions, ils ne vous ont pas laissée insensible non plus. Vous êtes pleine de fougue, Lucy Gallagher.

Elle tressaillit, pénétrée d’un surprenant bonheur.

- Vraiment?

- Vraiment. Vous avez sans doute besoin d'un peu d’entraînement, mais nous y remédierons ensemble et...

- Bonne nuit, monsieur Halloran.

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- Très bien, très bien, nous n’aborderons plus ce sujet brûlant, mais attendons un peu avant de dormir.

- Je dois me lever de bonne heure pour mettre mon pain au four, rappelez-vous.

- Mmm... Entendu. Bonne nuit, petite Lucy, mais permettez-moi de donner libre cours à mon imagination.

Comme elle ne répondait pas, il supposa qu’elle s’était endormie. Il ne tarda pas à l’imiter et fut réveillé, le lendemain, par l’odeur du pain frais.

Lorsqu’il descendit au rez-de-chaussée, il en trouva une miche encore chaude, enveloppée dans une serviette. Quelques instants plus tard, il dégustait les tranches épaisses sur lesquelles le beurre fondait.

A midi, Lucy lui apporta un repas froid composé d’une salade de pommes de terre et de rôti ainsi que d’une miche supplémentaire. Quand elle eut disparu, il sembla à Bud qu’elle ne s’était pas attardée plus de quelques secondes. Lucy se montra tout aussi pressée, à l’heure du dîner, et il lui fallut attendre d’être couché pour espérer bavarder un peu avec elle.

Il l'entendit éternuer.

- Lucy? Vous avez attrapé froid?

- Non. Mon stylo a roulé sous le lit. Je crains d’être une piètre ménagère, car j’y ai trouvé une couche de poussière impressionnante.

- Quel besoin avez-vous d’un stylo, au lit?

- Je tiens mon agenda à jour.

- Et qu’y écrivez-vous?

- Ce que j’ai fait dans la journée.

- Vous faites cela chaque jour?

- Depuis l’âge de onze ans.

- Vous y avez mentionné mon shampooing?

- Euh... oui.

- Et que nous nous étions embrassés?

- Eh là! Il s’agit de mon journal intime!

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- Lisez-moi le passage qui me concerne.

- Je n'ai pas fait allusion à... nos relations.

- Vraiment? fit-il d’une voix sceptique.

Comme il émettait un rire grave, elle l’imagina étendu dans son lit, ses belles lèvres étirées par un sourire ironique.

- Votre compte rendu n’est pas honnête si vous ne parlez pas de nos baisers, poursuivit-il. Lorsque je remplis mon journal de bord, pendant une ascension, je ne laisse aucun événement de côté, aussi insignifiant fût-il. Et je ne pense pas que ce qui s’est passé entre nous le soit.

- Bonne nuit, Bud.

- Très bien. De quoi roulez-vous parler?

- A quoi sert ce journal de bord?

- Il peut nous être utile lors d’expéditions ultérieures. Par ailleurs, je compte m’en servir pour écrire mes mémoires, quand je serai bien vieux.

- Vous espérez sans doute en tirer de l’argent? Les journalistes vous attribuent pourtant une belle fortune.

- Vous avez déjà lu des articles me concernant?

- Bien sûr. Vous êtes l’un des enfants favoris de l’Oregon, né au pied des montagnes, entraîné dès l’enfance à grimper... Vous êtes allé en Europe, en Asie et même dans l’Antarctique.

- Tout cela est exact. En revanche, cette fortune est le fruit d’une imagination délirante. Je ne serai jamais dans le besoin, mais je ne suis pas riche.

- Vous avez toujours voulu être alpiniste?

- Cette vocation est née lors d’un camp de scouts. Mes parents ont tout fait pour m’en écarter. Mon père désirait que je lui succède à la tête de sa banque, ma grand-mère me voyait médecin et mon grand-père dans son ranch. Quant à ma mère, elle avait toujours rêvé que je sois architecte. Je l’ai profondément déçue.

Lucy imagina Bud en train de hausser les épaules. Elle eut soudain envie de caresser son large torse bronzé, de se perdre dans son odeur...

Elle soupira.

- Vous êtes fatiguée? s’enquit-il.

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- Un peu, mais nous pouvons continuer à bavarder, si vous le désirez. Vous devez vous sentir très seul, ici.

- Je ne m’ennuie que de vous. Où étiez-vous, ce soir... s'il m'est permis de le demander?

- C’est permis. J’enseigne la gymnastique les mercredi, jeudi et vendredi, de dix-huit à vingt-deux heures, dans l’une des écoles primaires de la ville. Mes élèves sont de gentilles fillettes et nous nous plaisons bien ensemble.

- Ce n’est pas un peu tard, pour elles?

- Je prends les plus petites jusqu’à vingt heures, ensuite ce sont leurs aînées.

- Depuis quand exercez-vous cette activité? De quand date votre formation?

- J’enseigne depuis deux ans et je m’entraîne depuis l’enfance.

- Pourrai-je venir vous voir, un de ces soirs? -Je... Bien sûr. Pourquoi pas demain, ou vendredi? Je suppose que vous êtes un fanatique du sport?

- Je veux venir parce que je désire me trouver auprès de vous, répliqua-t-il. Disons demain, alors. Cela ne vous ennuie pas de m’emmener dans votre camionnette?

- Pas du tout, mais vous devrez m’accompagner dans ma tournée de distribution car je n’aurai pas le temps de revenir vous chercher.

- Fantastique! Je bénéficierai en plus d’une visite de Newport. Que diriez-vous ensuite d’aller au restaurant, ou de boire un verre quelque part?

- D’habitude, je vais dans une pizzeria, avec les amies qui m’aident au gymnase. Vous serez le bienvenu.

Elle sentit qu’il hésitait, l’espace de quelques secondes.

- Très volontiers, dit-il enfin.

Ils poursuivirent leur bavardage jusqu’à ce qu’il l’entendît réprimer un bâillement.

- J’ai passé une très bonne soirée en votre compagnie, Lucy Gallagher, mais vous devez vous lever tôt, j’imagine?

Elle murmura une réponse ensommeillée.

- Bonne nuit, Lucy, dormez bien.

Il se laissa aller contre son oreiller. La perspective de cette sortie le réjouissait profondément.

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- Comment allons-nous nous y prendre? demanda Lucy en le poussant tout près de la camionnette, côté passager.

- Rien de plus facile, vous allez voir.

Serrant les freins de son fauteuil, il prit appui sur son bras droit et sa jambe gauche pour s’extirper de son siège, puis il s’accrocha à la portière. Une minute plus tard, il était assis sur la banquette, les jambes à l’extérieur. La jeune femme l’aida à s’installer, après quoi il en profita pour lui planter un baiser sur la joue.

- Tricheur! lança-t-elle en s’écartant d’un bond.

- En amour, tous les coups sont permis, rétorqua-t-il pendant qu’elle contournait le véhicule pour hisser le fauteuil à l’arrière.

Le cœur battant, elle se glissa derrière le volant et y posa ses mains moites. Le regard caressant dont il la couvait n’arrangeait pas les choses. Lucy se demanda comment elle oserait ôter son survêtement et apparaître devant lui en maillot rouge. Maudissant sa stupidité, elle s’exhorta au calme. Après tout, ce n était qu’un simple spectateur dont la présence ne la gênerait pas.

Évidemment, elle se trompait. Même lorsqu’elle fut occupée par douze petites filles, le sentiment que Bud ne la quittait pas des yeux ne cessa de la tourmenter. Tout en sautant en cadence, au rythme de la musique qui se déversait par les haut-parleurs, elle avait conscience de ses seins dressés sous la tenue moulante. Rouge de confusion, elle finit par lui tourner le dos, puis elle ordonna aux fillettes de courir autour du gymnase pendant quelle aidait ses assistantes à installer le matériel.

Bud observait Lucy, admirant le jeu de ses muscles, la finesse de sa taille, la force de ses bras. Il remarqua la jeune poitrine aux pointes dressées, ainsi que la rougeur de la jeune femme, dont il comprit la raison. Souriant, il la vit lui tourner le dos pour tenter d’échapper à son regard.

Les fillettes, alignées en demi-cercle devant elle, étaient toutes belles, même celles à qui il manquait des dents de lait. Toutes levaient des yeux emplis d’adoration vers leur professeur, dont elles buvaient les paroles d’encouragement. Le cœur de Bud se gonfla d’orgueil comme si elle lui avait appartenu.

Avec un certain étonnement, il vit Lucy et ses assistantes dresser un cheval d’arçon d’une taille impressionnante.

- Ces enfants vont-elles franchir un tel obstacle? souffla-t-il à la jeune femme qui se tenait auprès lu tremplin, attendant la première fillette.

- Regardez, rétorqua-t-elle avec orgueil.

En effet, la petite fille jaillissait littéralement dans les airs, au-dessus du cheval sur lequel

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elle venait de prendre appui, pour retomber avec légèreté sur le sol.

- C’est fantastique! s’exclama Bud. J’étais persuadé que ce cheval était bien trop haut pour les.

- Pourquoi? Lorsque vous étiez enfant, jouiez-vous au base-bail avec des battes spécialement conçues pour les enfants?

- Non, mais nous étions des garçons.

Les poings sur les hanches, Lucy se tourna vers lui un instant avant de concentrer de nouveau son attention sur la piste.

- Dois-je voir dans cette réflexion un indice de prétention masculine?

- Qu’est-ce qui peut vous faire penser une chose pareille? s’enquit-il sur un ton tellement innocent quelle éclata de rire. J’aime vous entendre, poursuivit-il, et j’aime vous regarder. Saviez-vous que vos yeux peuvent changer de couleur? Lorsque je vous embrasse, par exemple...

- Nous ne sommes pas venus pour discuter de cela, l’interrompit-elle. J'ai encore huit enfants à surveiller.

- Exact. J’oubliais que vous êtes une femme d’action. Pour ma part, cela ne me dépiaît pas et si...

- Taisez-vous! J’ai un travail à effectuer, ici!

- Très bien. Où en étions-nous avant de glisser sur cette pente dangereuse...? Ah oui! Pourquoi n’utilisez-vous pas un matériel adapté à la taille de vos élèves? Ce sont de très petites filles!

- Et si je vous répondais que vous-même, vous étiez sans doute un très petit garçon, lorsque vous vous entraîniez au base-bail?

- J’ai toujours été très grand.

- Êtes-vous grand? s’enquit-elle. Il me semble que vos jambes sont très longues.

- Si je me mettais debout, vous m’arriveriez ici, dit-il en désignant son cœur.

Leurs yeux se rencontrèrent. A cet instant, un cri retentit et Lucy se précipita vers une fillette en pleurs. Bud la suivit, pendant quelle portait l’enfant sur un banc et humectait une serviette de papier pour l’appliquer ensuite sur un genou meurtri.

- Ne pleure pas, Julie, montre-moi comme tu es brave, dit la jeune femme en sortant un mouchoir de son sac. Souffle! ordonna-t-elle.

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- Je suis brave, déclara l’enfant après avoir obéi.

Comme Lucy la serrait contre sa poitrine, Julie s’y blottit un instant.

- Je n’ai plus mal, soupira-t-elle avec délices.

Lucy sourit tendrement, tout en déposant un baiser sur les cheveux de son élève. Fasciné, Bud contemplait le tableau qu’elle offrait. Avec cette enfant dans les bras, elle avait l’air... d’une mère. L’espace d’une seconde, le cœur de Bud s’arrêta. Lucy était faite pour mettre des bébés au monde! Elle les choierait, elle déverserait sur eux l’amour dont elle débordait. Tandis qu’il réfléchissait ainsi, Julie souleva les paupières pour lui adresser un regard béat.

- C’est ton papa? demanda-t-elle à Lucy.

- Non, c’est un ami. Il s’appelle M. Halloran. Dis-lui au revoir, ensuite nous rejoindrons tes camarades.

- Bonjour, monsieur Halloran. Au revoir, monsieur Halloran, déclara la fillette en se glissant hors des bras de son professeur.

Comme l’enfant levait vers lui des yeux malicieux et déjà séducteurs, il lui sourit.

- Au revoir, Julie, reviens me voir dans une vingtaine d’années.

Lucy se mit à rire, bien qu'elle fût envahie par une jalousie irraisonnée.

- Ne serez-vous pas un peu vieux pour elle?

- Vous croyez? En revanche, à cinquante-cinq ans, je conviendrai parfaitement à une jeune personne atteignant à peine la cinquantaine... Vous voyez à qui je pense?

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6

Tout en observant Lucy et ses deux amies travailler avec les fillettes, Bud se surprit à envier la facilité avec laquelle elles communiquaient leur savoir aux élèves. Les enfants lui avaient toujours paru appartenir à un autre monde. Pourtant, Lucy semblait les comprendre sans effort. A la fois chaleureuse et ferme, elle obtenait d’incroyables résultats.

La force physique de la jeune femme le sidérait également. Il l’avait devinée dès le début, mais le spectacle de ce beau corps en action confirmait ce pressentiment. A voir ses muscles souples et longs, il l’imaginait escaladant une montagne. Il ne restait plus qu’à savoir si elle en aurait le goût, autant que la capacité.

Elle possédait une autre qualité qu’il ne put tout d'abord nommer. C’était plus que le sens de l’équilibre, conclut-il en la regardant accomplir roulades, torsions et sauts périlleux. A chaque instant, il s’attendait à ce qu’elle sortît du tapis, mais non, elle retombait exactement au même endroit, dans la même posture, bras et jambes écartés, sourire aux lèvres. Elle enseignait davantage qu’une technique. En la regardant, les enfants apprenaient le plaisir d’exécuter un exercice avec perfection. Il comprit soudain que Lucy n’était pas seulement une athlète accomplie, c’était une artiste.

- Bravo, Catherine!

Sa voix claire retentit à travers le gymnase, tandis qu’elle applaudissait une élève. Une à une, les fillettes furent félicitées ou réprimandées gentiment par la jeune femme qui passait dans les rangs pour rectifier les positions quand il le fallait.

Pendant la séance suivante, Bud put constater que Lucy se montrait tout aussi efficace avec des adolescentes. Le groupe étant plus nombreux, les trois jeunes femmes le partagèrent en trois sections, l’une s'exerçant au cheval d’arçon, l’autre aux barres parallèles, et la dernière, dirigée par Lucy, à la poutre.

A leurs gloussements, Lucy comprit aussitôt que ses élèves n’étaient pas insensibles à la présence d’un spectateur aussi séduisant que Bud.

- Mesdemoiselles, lança-t-elle en souriant, je vous demanderai ce soir une attention soutenue. Regardez bien!

D’un mouvement souple, elle enfourcha la poutre. Prenant ensuite appui sur les mains, elle s’éleva lentement au-dessus de sa monture improvisée, les jambes écartées pour former un V parfait. Quelques secondes plus tard, les pieds pointés vers le ciel et la tête en bas, elle évoquait irrésistiblement un jeune arbre vigoureux. D’une souple torsion du corps, elle tomba enfin à quelques centimètres de la poutre, le visage rayonnant de plaisir. Bud retrouva

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alors sa respiration. Il était tellement fasciné par sa grâce qu’il aurait voulu chasser toutes ces jeunes filles pour la supplier de recommencer pour lui seul ce mouvement. Mais elle était là pour enseigner et, après cette démonstration, elle surveilla ses élèves qui tentaient de reproduire tant bien que mal ses mouvements harmonieux.

Quand les adolescentes furent parties, Lucy et ses amies quittèrent Bud un instant. Elle fut la première à réapparaître, fraîche et nette dans un jean moulant et un sweater ample qui s’arrêtait sous les cuisses. Elle était si séduisante que Bud regretta d’être incapable de conduire.

Bud était habitué à être la proie des chasseurs d’autographes. Lorsqu’ils arrivèrent dans la pizzeria où Lucy et ses amis se rencontraient, il fut agréablement surpris d’être traité comme n’importe qui, bien qu’on l’eût visiblement reconnu.

Il se retrouva assis à une grande table, en compagnie d’une quinzaine de jeunes gens. La bière était glacée, la pizza brûlante et le fromage délicieux. Tout en écoutant avec amusement leur discussion animée portant sur la meilleure façon de dominer le monde, Bud réalisa combien la solitude lui avait pesé. Son regard croisa celui de Lucy, il lui adressa un sourire qui la remerciait de l’avoir présenté à ses amis.

Ravie, elle lui retourna son sourire. Elle appréciait la facilité avec laquelle il s’était intégré au groupe, et plus encore, qu’il en eût été accepté si aisément. Étrangement fière de lui, elle se laissait envelopper par les rires et le bruit. Il lui suffisait, pour être heureuse, de le regarder se mêler à la conversation, et de sentir de temps à autre sa main presser la sienne.

Parlant peu elle-même, Lucy observait ses amis avec affection. Ils étaient de milieux divers, professeurs, pêcheurs, camionneurs ou chercheurs, pourtant ils s’entendaient à merveille. Deux jeunes médecins furent les premiers à partir, puis ils se levèrent deux par deux ou trois par trois, laissant finalement Bud, Lucy, Ken et Lénore devant un nombre impressionnant de chopes vides.

Comme Bud s’apprêtait à appeler le serveur pour commander une nouvelle tournée, Lucy l’arrêta d’un geste:

- N’oubliez pas que je conduis!

Le rire de Bud était chaleureux.

- C’est à peine si vous avez trempé les lèvres dans votre verre, pendant ces deux heures.

- Les futures mamans ne sont pas censées consommer des boissons alcoolisées! intervint Lénore d’une voix un peu pâteuse.

Quand Bud se fut remis du choc qu’il venait de subir, il posa sur Lucy un regard neuf, tandis qu’elle bavardait avec ses deux amies. Le cœur au bord des lèvres, il comprit qu’elle portait l’enfant de l’inconnu avec lequel il l’avait entendue roucouler. Quelle femme était-elle, pour avoir répondu avec tant d’ardeur à ses baisers, quand elle attendait un bébé? Non! S’il s’agissait d’un malentendu, il fallait l’éclaircir. A cet instant, Lucy tourna vers lui des yeux

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clairs où les chandelles allumaient une flamme adoucie par le sourire qu’elle lui adressait. Sa beauté lui coupa le souffle. Se pouvait-il qu’elle appartînt à un autre?

- Pourquoi me l’avez-vous caché? s’enquit-il d’une voix tendue.

- De quoi parlez-vous?

- Pourquoi ne m'avez-vous pas dit que vous attendiez un enfant?

- Moi? Qu’est-ce qui peut bien vous avoir fait penser...?

- Lénore. Elle a dit...

- Mais non! s’exclama Lénore dans un éclat de rire. Je lui ai simplement dit que les futures mamans n’étaient pas censées boire de l’alcool, et il sauté lui-même aux conclusions. Comment aurais-je pu me douter que tu ne lui avais pas parlé de tes démarches d’adoption? Tu en as discuté avec le proviseur du lycée, avec l’éboueur de ta rue, et même avec ce type qui vendait des crabes sur le quai, l’autre jour. J’étais persuadée que Bud était au courant.

Ken essuya des larmes de joie.

- Bud! si vous aviez pu voir votre expression! C’était inénarrable... Vous ne connaissez pas Lucy. Elle est tellement collet-monté que c'est tout juste si on peut l’inviter à boire un verre. Depuis que sa candidature a été acceptée, elle est un peu plus détendue, il est vrai.

Évoquant avec amertume les roucoulements du point du jour, Bud songea que Lucy cachait bien son jeu.

- A mon sens, elle ne l’est pas encore assez, poursuivait Lénore en tapotant la main de Bud. Nous comptons sur vous pour y remédier, monsieur l’homme des montagnes.

- Lénore! protesta Lucy.

Bud tournait vers Lucy des yeux emplis de stupeur.

- Vous désirez adopter un enfant?

- Pourquoi pas puisque je les adore, déclara la jeune femme en repoussant sa chaise. Et comme je peux recevoir un appel d’un jour à l’autre, rentrons. Je ne veux pas rencontrer ma future famille avec les yeux cernés et le teint blafard. Vous êtes prêt? conclut-elle en souriant à Bud.

Il ne l’était pas. Il voulait encore discuter de cette question, mais Ken écartait déjà son fauteuil de la table. Avant d’avoir pu émettre la moindre protestation, il se retrouva installé dans la camionnette. Pendant tout le trajet, Lucy évita avec soin d’aborder le sujet et lorsqu’ils furent tous deux dans leur lit respectif, elle se contenta de lancer d’une voix endormie:

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- Bonne nuit, Bud.

Frustré, il en fut réduit à se morfondre dans l’obscurité jusqu’à ce que le sommeil le surprenne enfin.

Le lendemain matin, lorsqu’elle lui apporta son repas, Lucy était visiblement pressée, aussi ne put-il la retenir. Le soir, elle ne put s’attarder car sa leçon de gymnastique l’attendait. Maussade, Bud l’écouta sans mot dire tandis qu’elle lui montrait comment utiliser le four à micro-ondes. Au moment de le quitter, elle demanda:

- Si votre ami Charlie travaille toute la semaine, peut-être apprécierait-il que je prépare vos repas pendant le week-end?

Il posa sur elle des yeux soupçonneux. Pourquoi se proposait-elle de sacrifier ses précieux loisirs? Désirait-elle rencontrer Charlie?

- Non! s’exclama-t-il avec véhémence.

Il imaginait son ami arborant son sourire le plus charmeur afin de séduire sa ravissante voisine. Il avait eu bien souvent l’occasion d’apprécier l’efficacité tactique de Charlie. Malgré son mariage, Lucy était trop innocente pour affronter un tel don Juan. Comme Bud, Charlie était âgé de trente-cinq ans, mais contrairement à lui, il ne se laisserait pas arrêter par les scrupules. Bud se devait de protéger Lucy.

- C’est inutile, poursuivit-il plus doucement. Vous avez le droit de vous reposer.

- Très bien, dit-elle d’une voix neutre. Je pensais que cela pourrait vous arranger.

Il aurait juré qu’elle était déçue. Tant pis! Il lui faudrait attendre pour satisfaire sa curiosité. Étendant le bras, il l’attira sur ses genoux pour l’embrasser jusqu’à en perdre haleine. Lorsqu’il la lâcha, les yeux de la jeune femme avaient tourné au vert.

Elle s’écarta de lui d’un bond.

- Je pensais que nous ne devions plus recommencer, fit-elle d’une voix basse et enrouée qui rappela à Bud ses roucoulements de l’aube.

- Je n’ai jamais rien promis de semblable, rétorqua-t-il avec une acrimonie qui parut surprendre la jeune femme.

Après l’avoir fixé en silence pendant quelques secondes, elle disparut sans bruit.

Malgré la présence de Charlie, le week-end se traîna en longueur. Lorsqu’enfin le dimanche soir arriva, Bud appela doucement Lucy dès qu’il fut couché. Comme elle ne répondait pas, il l’imagina entre des draps froissés, endormie au creux d’une épaule masculine. Grinçant des dents, il enfouit sa tête sous l’oreiller, mais ne put dormir que d’un sommeil agité. Le lundi matin, il se leva avant l’aube pour ne pas entendre la voix énamourée de la jeune femme.

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Assis sous le porche, il regarda le brouillard se dissiper, découvrant une mer d’un gris opalescent, qui tourna au bleu saphir quand le soleil se leva. Si elle avait préparé du pain frais, la brise marine lui en masquait le parfum. Ici, au moins, il pouvait se détendre, oublier qu’elle existait.

A midi, Lucy lui apporta son repas en coup de vent, arborant un sourire distant. Le soir, elle déposa ses récipients, se contentant de quelques mots à propos du repas du lendemain. Après le dîner, il ne perçut aucun bruit venant de la maison voisine. Contre sa propre volonté, Bud tenta encore de l’appeler depuis son lit, mais pour la seconde fois, nulle réponse ne lui parvint.

- Bon sang! gronda-t-il en se redressant brusquement. Elle n’a pas le droit de me faire ça!

Il espérait vaguement obtenir une réaction, ne fût-ce qu’un rire moqueur. Seul le bruissement des feuilles lui répondit. Il l’écouta longuement jusqu’à ce que, à bout de patience, il tendît la main vers le téléphone.

La sonnerie retentit une dizaine de fois. Il s’apprêtait à raccrocher lorsque la voix affolée de Lucy lui parvint:

- Oui?

- Je veux vous parler.

- Bud? Que se passe-t-il? Vous avez besoin d’aide?

Ce ton inquiet mit du baume sur l’orgueil froissé de Bud, qui exhala un profond soupir.

- Lucy, vous m’évitez comme si vous m’aviez retiré votre amitié. Je ne savais pas combien j’y tenais, avant d’en avoir été privé. Je vous en prie, pouvez-vous me la rendre?

Elle laissa passer un long moment de silence avant de répondre d’une voix tremblante. Il sembla à Bud qu’elle hésitait entre le rire et les larmes.

- Bud ! A une heure du matin, vous manquez de me faire rompre le cou dans les escaliers pour prononcer des insanités pareilles? Je... J’ai cru que quelqu’un... mes parents, ma sœur... avaient besoin de moi.

- Vous vous êtes précipitée sur le téléphone parce que vous pensiez que j’avais eu un accident? devina-t-il.

- Je... Oui, fit très bas Lucy.

En fait, elle n’avait pas pensé un seul instant à sa famille. Elle avait su instantanément que Bud l’appelait.

- Lucy, pourquoi ne bavardez-vous plus avec moi?

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- Vous savez bien que je suis occupée.

- J’en suis persuadé, mais le soir? Je vous ai appelée en vain... Pourquoi avez-vous refusé de me répondre?

- Ce n’est pas cela. J’ai réintégré ma chambre, aussi ne vous ai-je pas entendu.

Comme elle claquait des dents, il l’imagina dans le plus simple appareil, vêtue uniquement de sa peau soyeuse.

- Lucy... Qu’avez-vous sur le dos, en ce moment?

- Je... Vous le savez bien, Bud Halloran! Non! Attendez! Je porte une nappe de dentelle crochetée par ma grand-mère.

L’image qu’elle venait de susciter dans l’esprit de Bud était tout aussi suggestive que la précédente.

- Parfait, dit-il d’une voix enrouée. Je ne voudrais pas vous faire attraper un rhume. Dites-moi... Pourquoi êtes-vous retournée dans votre chambre? Je vous en prie, regagnez un instant la terrasse, que nous puissions bavarder plus confortablement. Nos conversations nocturnes m’ont manqué, Lucy.

- Très bien, dit-elle au bout de quelques secondes. J’arrive.

Un peu plus tard, il l’entendit l’appeler. Sa voix paraissait flotter dans la pièce, flotter dans son cœur, pensa-t-il l’espace d’un instant.

- Je suis heureux de vous accueillir de nouveau, lança-t-il sur un ton volontairement enjoué. Maintenant, expliquez-moi pourquoi vous aviez disparu.

- C’est sans doute puéril, mais vous m’avez blessée.

- Moi? Mais comment...?

- Je vous ai dit que c’était puéril... Bien sûr, vous n’aviez plus besoin de moi dès l’instant où quelqu’un de votre monde se trouvait auprès de vous. C’est tout à fait compréhensible.

- Bon sang, vous faites allusion au week-end? Oh! Lucy, si j’ai refusé votre offre, ce n’est pas parce que la présence de Charlie me suffisait, ce n’est pas cela du tout!

- Vous aviez le droit de penser que je déparerais...

- Pour l’amour du ciel, voulez-vous m’écouter? Vous êtes digne de rencontrer n’importe lequel de mes amis, de fréquenter tous les lieux où je vais. Rien ne me plaît davantage que votre compagnie.

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- Pourtant, vous ne désiriez pas que je voie Charlie, Bud, je ne l’ai pas inventé.

Il poussa un profond soupir avant d’exploser:

- Puisqu’il le faut, je vais vous livrer la vérité tout entière au risque de vous paraître totalement ridicule. Je ne voulais pas que vous fassiez la connaissance de Charlie parce qu’il est grand et beau, pourvu de deux bras vigoureux et de deux jambes en état de fonctionnement. C’est un expert de la séduction depuis qu’il est en âge de parler. Il vous ouvrira la porte, il vous avancera une chaise, vous aidera à ôter votre manteau; il vous invitera à un dîner aux chandelles, ou bien il vous proposera une promenade en amoureux sur la plage. Il vous séduira avant même que vous ne réalisiez ce qui vous arrive, et je ne pourrai pas m’y opposer.

- Oh! murmura Lucy au bout d’un long silence étonné. Vous y attachiez de l’importance? ajouta-t-elle, se sentant peu à peu pénétrée d’une douce chaleur.

- Bien sûr que oui! J’ai toujours combattu à armes égales avec Charlie. Je déteste ce sentiment d’impuissance.

La consternation s’abattit sur Lucy. Bud aurait agi de la même façon s’il s’était agi de n’importe quelle autre femme...

- Je suis certaine que vous aurez retrouvé votre forme d’ici quelques semaines, rétorqua-t-elle sèchement. Quant à moi, vous n’avez aucun souci à vous faire. Je suis bien trop préoccupée par mes démarches d’adoption pour être sensible à la séduction de votre ami.

Il parut réfléchir un instant avant de s’étonner:

- Il me semble que le meilleur moyen de devenir mère, c’est encore de fréquenter les hommes séduisants.

- Ne soyez pas aussi traditionaliste! De nos jours, la procédure d'adoption est ouverte aux femmes seules.

Bud éclata d'un rire grave.

- Si je n’étais pas gêné par mes plâtres, je vous montrerais qu’il existe des moyens beaucoup plus agréables de...

- Bonne nuit, monsieur Halloran.

- Lucy? poursuivit-il gaiement. Sommes-nous de nouveau amis?

- Sans doute.

- En ce cas, je vous propose un bon repas dans l’un des meilleurs restaurants de Newport. Je vous dois un dîner aux chandelles, pour vous avoir frustrée d’une rencontre avec Charlie.

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- Bud...

- Allons, les amis ont bien le droit de se divertir ensemble!

- Bien entendu, mais les amis fréquentent les lieux bruyants et éclairés au néon, pour éviter de se fourvoyer...

- Cela ne nous arrivera pas, trancha Bud. Nous savons que l'amour est hors de mise, entre nous. Vous devez penser à vos enfants.

- Et vous à vos montagnes.

Tout en prononçant ces mots, Lucy tenta de refouler la douleur qui lui serrait le cœur. Si seulement son désir de maternité ne s’opposait pas de façon aussi définitive à son attirance pour Bud...

Au plus profond d'elle-même, la jeune femme ne désirait pas seulement des enfants, mais un mari. Hélas, ce second vœu risquait bien de ne jamais se réaliser.

7

Devant son miroir, Lucy se répétait encore qu’elle ne devait pas céder à la séduction d’un dîner aux chandelles. Cette résolution n’était certes pas facile à prendre... Ne pouvait-elle rêver un tout petit peu? Après tout, le risque n’était pas bien grand car Bud Halloran ne devait pas avoir de vues sérieuses sur elle. Elle le distrayait, voilà tout.

Lucy aimait beaucoup sa robe. La première fois qu’elle l’avait portée, son cavalier ne s’était pas exactement comporté en galant homme... Ce soir, évidemment, elle ne courait pas ce risque. Taillée dans un doux tissu gris qui tombait en plis harmonieux, cette robe possédait de longues manches et un col montant extrêmement pudiques. En revanche, un décolleté plongeant lui découvrait le dos, révélant deux fossettes au creux de ses reins. Lucy n’ignorait pas que cette peau nue incitait aux caresses, c’est pourquoi elle déposa sur ses épaules une écharpe rouge. Ses jambes longues et bien galbées étaient mises en valeur par des sandales à talons hauts. Soulignés par un maquillage subtil, ses larges yeux noisette

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paraissaient plus sombres et plus profonds. Elle avait relevé ses cheveux en un chignon strict d'où s’échappaient des mèches follettes, et sa bouche était du même rouge que son écharpe.

Ouvrant la bouteille de parfum que son père lui avait offerte à Noël, la jeune femme en déposa quelques gouttes sur ses poignets et derrière ses oreilles, puis elle adressa une petite grimace ironique à l'inconnue qui la contemplait, de l'autre côté du miroir. Oui! Elle s'était apprêtée pour séduire...

La sonnerie du téléphone retentit, lui évitant d'approfondir davantage la question. Dès qu'elle eut décroché, la voix navrée de Bud lui parvint:

- J’ai un problème, annonça-t-il sans préambule.

- De quelle sorte?

- Au risque de vous paraître ridicule, je dois vous avouer que je n’ai rien à me mettre. Du moins pour fréquenter les restaurants huppés.

Lucy se tut, évoquant en silence les tenues qu’elle lui avait vues pendant ces deux semaines. La plupart du temps, il portait des shorts, et une fois un jean dont l’une des jambes était découpée de bas en haut pour permettre au plâtre d’entrer.

- Je suis désolé, poursuivait Bud. J’espère que vous n’aviez pas encore revêtu votre tenue la plus élégante, en vue de cette soirée?

- Pas du tout, mentit Lucy en dénouant son écharpe.

Rapidement, elle fit passer sa robe par-dessus sa tête. Comme le tissu soyeux glissait le long de son corps, elle entendit la voix de Bud, provenant du récepteur abandonné sur la table.

- Que disiez-vous? demanda-t-elle très vite.

- Vous ne vous étiez pas encore habillée?

- Euh... Oh! non. Je me suis juste maquillée.

- C’est tout? s’exclama-t-il.

- J’ai enfilé des sandales...

A sa respiration accélérée, Lucy comprit qu'elle alimentait les fantasmes de son interlocuteur. En toute hâte, elle passa un peignoir.

- J’ai aussi ma robe de chambre, précisa-t-elle ensuite.

- Vous avez l’art de frustrer mon imagination, lui reprocha-t-il.

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- Les amis ne sont pas censés s’inciter mutuellement à la débauche!

- C’est bien dommage, soupira-t-il. Vraiment, Lucy, je m’en veux terriblement.

- J’ai une idée! Vous vouliez des chandelles? J’en ai. Vous désiriez un vin coûteux? Je possède justement un sauternes qui doit bien valoir dans les cent dollars la bouteille. Quant au repas fin, comptez sur moi pour vous satisfaire.

- Et l’ambiance romantique, vous la créez aussi?

- Ah non! Souvenez-vous : pas d’idylle entre nous!

- C’est vrai, j’oubliais. Pourtant...

- Excusez-moi, je dois penser aux préparatifs de notre repas.

Comme Bud laissait échapper une exclamation frustrée, la jeune femme raccrocha. Elle défit ensuite son chignon pour nouer sa lourde chevelure brune au moyen d’un ruban, puis elle enfila un short blanc et une large blouse paysanne d’un bleu très pâle. Son maquillage paraissait maintenant bien trop appuyé, aussi en retira-t-elle une partie. Enfin, elle enfila une paire de ballerines avant de descendre au rez-de-chaussée. Lorsqu’elle y parvint, elle savait exactement quel type de repas convenait le mieux. Bien que facile à préparer, il ne manquerait pas d’impressionner son hôte. En outre, elle disposait déjà de tous les ingrédients nécessaires. Et Lucy se réjouit à l’avance de l’agrément qu’elle allait offrir à Bud.

Installé sur le large canapé de la salle de séjour, Bud observait Lucy qui se livrait à de mystérieux apprêts. Elle avait refusé de lui révéler le menu, se contentant de préciser qu’elle n’aurait pas grand-chose à faire.

- Qu’est-ce que c’est? s’enquit-il en lui voyant plonger la main dans un grand poêlon rouge.

Penchée en avant, la jeune femme ne répondit pas. Songeur, Bud effleura du regard les longues jambes à peine hâlées. Avec sa large blouse bleue et ses cheveux retenus en arrière par un ruban, elle avait la séduction d’une toute jeune fille à peine sortie de l’enfance.

- C’est un réchaud, expliqua-t-elle. Ce soir, nous mangeons une fondue chinoise.

Il souleva le couvercle, essayant de discerner ce qu’il y avait dans le poêlon, à la lueur vacillante des chandelles.

- Vous comptez me faire bouillir à l’huile?

- C’est un potage de poulet. Soyez patient.

Lucy quitta un instant son hôte pour revenir avec un plateau sur lequel étaient disposées plusieurs assiettes, deux paires de baguettes et deux petits paniers métalliques. Bud en prit

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un pour l’examiner.

- Je comprends! Sans doute suis-je censé absorber le potage avec cet objet et les baguettes. C’est la dernière torture chinoise?

Secouant doucement la tête, la jeune femme souleva un grand plat sur lequel des légumes étaient méthodiquement empilés : céleri coupé en tranches, carottes, oignons et poivre vert, brocolis et petits bouquets de choux-fleurs. Il y avait encore des germes de soja, un foisonnement de feuilles vertes et des champignons.

Agenouillée de l’autre côté de la table basse, Lucy lança plusieurs poignées de légumes dans le potage bouillonnant, puis elle se releva.

- Je vais chercher le reste.

- Il y en a encore?

La jeune femme lui adressa un sourire malicieux.

- Bien plus!

Les légumes qui mijotaient dans le potage de poulet exhalaient maintenant une odeur délicieuse. Elle lui offrait là un repas curieux... Aussi curieux et compliqué qu’elle-même, commençait-il à se dire.

Adopter des enfants... Quel étrange façon d’accomplir son désir de maternité, songea Bud, d’autant plus étonnante si l’on pensait à la créature passionnée qu’était Lucy. Il fronça les sourcils. Avait-elle été affectée à ce point par l’échec de son premier mariage, qu’elle craignait de s’y meurtrir une seconde fois? Était-ce pour cette raison qu’elle choisissait l’adoption? Avait-elle vraiment l’intention de les élever seule, ces enfants? Quel gâchis, conclut-il en avalant une gorgée de vin. Pensif, il examina la salle de séjour.

C’était une vaste pièce, tout comme la maison, d’ailleurs. Il n’ignorait pas qu’elle la partageait parfois avec des membres de sa famille. D’après le peu qu’elle lui en avait dit, il avait compris que ceux-ci étaient nombreux et remplissaient facilement la demeure. Cependant, elle avait besoin d’autre chose que de ces présences occasionnelles. Il lui fallait un compagnon sur qui s’appuyer. En ce cas, il comprendrait quelle voulût peupler d’enfants cette maison.

Bien qu’anciens, les meubles étaient beaux et résistants. L’espace d’un instant, il imagina les bambins turbulents qui hâteraient peut-être leur fin. Non loin du canapé où il était assis, il y en avait un autre, face à la cheminée de pierre. En outre, la pièce était pourvue de nombreuses petites tables et de chaises, sans oublier un piano et une armoire bourrée de jeux, de puzzles et de jouets de toutes sortes. L’un des murs était recouvert de livres et des tableaux ornaient les autres. Les parquets de bois étaient dissimulés sous des tapis aux vives couleurs, assortis aux coussins accumulés sur les deux canapés. Oui, cette maison était visiblement destinée à abriter une nombreuse famille, pourtant Bud persistait à penser que Lucy avait tort de vouloir élever seule des enfants. Sans le savoir, peut-être s’efforçait-elle

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encore de dissiper le désarroi où l’avait plongée son divorce...

Quoi qu’il en soit, cela ne le regardait vraiment pas, conclut-il en s’emparant de la bouteille qu’elle avait laissée près de lui dans un seau à glace, afin de se resservir. Simplement, elle lui plaisait tant qu’il s’inquiétait de son sort. Peut-être même s’en soucierait-il encore lorsqu’il serait retourné à la vie normale... Peut-être.

Lorsque Lucy revint de la cuisine, cette fois, elle avait disposé plusieurs petits bols sur son plateau, ainsi que des nouilles chinoises.

- Voici le porc, annonça-t-elle en déposant auprès de Bud l’un des bols rempli de petits carrés de viande. Dans celui-ci vous trouverez du poulet, dans celui-là des crevettes. Les deux derniers contiennent du veau et du bœuf.

S'emparant de l’un des paniers métalliques, elle y déposa un morceau ou deux de chaque viande, puis elle le lui tendit.

- Plongez-le dans le poêlon. C'est cela, écartez un peu les légumes et maintenant laissez cuire.

Tout en parlant, elle avait fait glisser les nouilles dans la casserole, puis elle avait rempli son propre panier pour le placer en face de celui de Bud.

- Que faisons-nous, ensuite? s’enquit-il tandis qu’elle installait un pouf de l’autre côté de la table, visiblement désireuse de mettre un rempart entre elle et lui.

- Nous attendons pendant quelques minutes, tout en dégustant notre vin. Je raffole de ces chandelles, pas vous?

- J’aimerais assez réentendre cette musique suave de l’autre soir...

Pendant quelques secondes, elle eut envie de lui dire qu’elle avait rendu le disque en question à sa propriétaire. Mais c’était faux. Malgré elle, la jeune femme se leva pour l’ôter de sa pochette et le poser sur la platine. Quand elle revint vers Bud, son bol, son assiette et ses baguettes se trouvaient près des couverts de son hôte. Le manche de son panier était parallèle à celui de Bud. Lui-même avait changé de position. La jambe étendue sur le pouf et son bras plâtré négligemment posé sur le dossier du canapé, il lui adressait un large sourire.

- Vous bougez vite, pour un pauvre alpiniste handicapé, remarqua-t-elle.

- N’est-ce pas? Venez vous asseoir auprès de moi. Rappelez-vous que j’ignore comment on déguste tous ces mets. J'aurai besoin de vos conseils.

- D’aussi près?

La jeune femme frissonna. Dès l’instant où elle s’était aspergée de parfum, elle avait su que c’était ce qu’elle voulait. A la seconde même où il lui avait demandé de mettre ce disque de

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Zamfir, elle avait compris qu’il le désirait aussi. En soupirant, elle contourna la table pour prendre place auprès de Bud.

- C’est mieux, murmura-t-il. Je suis tellement maladroit que je m’ébouillanterais sans doute, sans votre aide. Buvez un peu de vin.

Prenant le verre qu’il lui tendait, elle avala une gorgée du liquide ambré. Elle se sentait soudain assoiffée. Contre son bras, son épaule et sa cuisse, le corps de Bud lui paraissait brûlant. Le cœur battant, elle abandonna son verre, puis elle s’empara du panier de Bud pour le vider dans son bol. Ayant assaisonné le tout avec de la sauce de soja et de l’huile de sésame, elle y ajouta des légumes et des nouilles prises dans le poêlon au moyen d’une écumoire. Après avoir planté les baguettes dans le bol, elle se servit elle-même.

Elle avait commencé à déguster le plat succulent lorsqu’un coup d’œil du côté de Bud lui apprit qu’il avait des ennuis. Pauvre Bud! Comment n’avait-elle pas pensé qu’avec son bras plâtré il serait incapable de tenir le bol d’une main et les baguettes de l’autre!

- La table est un peu trop éloignée de ma bouche, plaisanta-t-il.

- Je suis stupide! s’exclama-t-elle doucement. Vraiment, Bud, je m’en veux! Me pardonnerez-vous de m’être montrée aussi étourdie?

Soudain, elle lui sourit : elle venait de trouver la solution! Un instant plus tard, elle plongeait les baguettes de Bud dans son bol, puis elle les lui élevait vers la bouche en disant:

- Ouvrez!

Les yeux étincelant de rage, il commença à gronder qu’il trouverait bien un moyen de se nourrir lui-même, mais Lucy profita de ce qu’il parlait pour lui glisser les baguettes entre les lèvres. Maussade, il avala de mauvaise grâce cette première bouchée tandis qu’elle lui en préparait une seconde. Peu à peu, il parut faire contre mauvaise fortune bon cœur. Enfin, une lueur malicieuse dansa au fond de ses yeux gris, comme si une idée saugrenue lui était venue.

S’emparant des baguettes de la jeune femme, il plongea dans le bol qu’elle tenait toujours, fouillant parmi les légumes jusqu’à ce qu’il trouvât un morceau de viande.

- Ouvrez! ordonna-t-il.

Ils échangèrent un sourire complice, puis elle obéit de bon gré. Quand le bol de la jeune femme fut vide, ils attaquèrent celui de Bud, se nourrissant mutuellement tour à tour. Ensuite, pendant que la fondue continuait de mijoter sur le feu, ils bavardèrent avec entrain tout en écoutant la musique qui

s'élevait en sourdine. Parfois, ils se contentaient de regarder les lueurs tremblotantes des chandelles qui projetaient sur les murs de mystérieux dessins.

Alors qu'elle fermait un instant les yeux pour mieux goûter la magie du moment, Lucy se

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sentit attirée au creux d’une épaule large, des lèvres chaudes se posèrent sur les siennes. Alanguie, elle ne se défendit pas. Était-ce le vin qui lui tournait ainsi la tête? Elle n'en avait pourtant bu que quelques gorgées. Renonçant à expliquer sa faiblesse, elle s'abandonna à l'ivresse de se savoir désirée.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, la dernière chandelle grésillait en laissant échapper une fumée odorante. Bud posait sur elle des yeux étrangement attentifs.

- Ils nous faut parler, commença-t-il.

- De quoi?

Lucy n'en avait pas envie. Discuter impliquait réfléchir, et c'était moins grisant que de s'abandonner à ses sensations pendant que le monde poursuivait sa course folle.

- Nous avons à parler, reprit-il, mais auparavant...

De nouveau, Bud s’empara des lèvres de Lucy avec une passion qui lui disait tout ce quelle voulait entendre. Au moment où elle perdait la notion du temps écoulé, il releva la tête pour s’enquérir: -Où en étions-nous?

- Vous vouliez parler, bredouilla-t-elle.

- En effet... J’ai quelque chose à vous avouer. Alarmée, elle tressaillit.

- Je déteste les confessions.

- La mienne est pourtant nécessaire.

Voyant que les yeux de Bud pétillaient de malice, elle sourit.

- C'est mieux, approuva-t-il, vous paraissiez vraiment atterrée. Je voulais simplement vous dire que je me sens un tout petit peu sentimental.

Elle posa sur lui des yeux indignés.

- Vous plaisantez, j'espère!

- Pas le moins du monde. Et vous? Dans quel état d'esprit êtes-vous? Pas le moindre brin d’attendrissement, au plus profond de cette petite âme féminine?

- Pas le moindre! mentit-elle avec effronterie. L’un de nous se doit de garder la tête froide. Pas d’idylle entre nous, Bud, c’est exclu! Vous n’avez pas oublié, j’espère.

- Non, bien sûr, mais je ne me souviens plus très bien pourquoi nous avons pris des engagements aussi absurdes.

- Les montagnes, martela Lucy, comme pour s’affermir elle-même. Et les enfants...

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- Évidemment, cela semble inconciliable, grommela-t-il.

Lucy se leva pour éteindre la dernière chandelle. La soirée était terminée. Elle approcha le fauteuil roulant du canapé, afin de permettre à Bud de s’y installer, puis elle alluma deux lampes. Le temps n'était plus à l'ivresse.

Pourquoi en ce cas s'éveilla-t-elle, le lendemain, avec un sourire irrépressible aux lèvres? Dorénavant, décida-t-elle, elle ne tiendrait plus aucun compte de la bizarrerie de ses humeurs.

8

Si les humeurs de Lucy étaient incompréhensibles, celles de Bud n’étaient pas moins déconcertantes. Ce mercredi-là il se montra accueillant, chaleureux et visiblement heureux de la revoir. Il paraissait insensible au brouillard qui était tombé dans la journée et enveloppait toute chose d’une humidité désagréable. Son invalidité même lui inspirait des propos empreints de philosophie. Il l’accompagna une seconde fois au gymnase, mais ce soir-là, ils soupèrent en tête à tête. De nouveau, ils rirent et bavardèrent, se découvrant une passion commune pour les films en noir et blanc et une préférence pour le slow.

- A quoi bon s’agiter en tous sens? conclut Bud.

La danse n’a été conçue que pour les rapprochements.

Le cœur battant, Lucy l’entendit préciser:

- Nous danserons ensemble, un de ces jours. Nous commencerons par une valse lente et, si vous y tenez, je vous accorderai un rock endiablé. Mais pour le reste, joue contre joue, cœur contre cœur, voilà comment je conçois une soirée dansante.

Rougissante, Lucy s'efforça de masquer son émoi.

Comme s'il n’avait rien remarqué, Bud changea de sujet et ils se découvrirent encore de

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nombreux points communs, y compris sur le plan politique et religieux.

- Je connais peu de femmes intéressées par les affaires de l’État, s'étonna soudain Bud.

La jeune femme lui lança un regard moqueur.

- Je suppose que vous êtes un de ces hommes qui s’imaginent que les femmes choisissent leur candidat en fonction de la couleur de ses yeux?

Il laissa passer quelques secondes avant de répondre :

- Eh bien... Peut-être ne suis-je pas aussi infect, mais je n’en suis pas loin. Vous êtes la première avec qui j’aie jamais abordé ces questions et qui soit capable de soutenir la conversation. Vous savez, ajouta-t-il en l’observant pensivement, vous m'avez presque convaincu. Peut-être avez-vous raté une vocation de politicienne?

- Sûrement pas! Tout ce que je veux, c’est offrir un foyer à mes enfants. Vous êtes vous-même plutôt persuasif et je dois avouer que la couleur de vos yeux ne me déplaît pas. Pourquoi ne pas vous engager dans cette carrière?

Bud glissa le bras autour de la taille de Lucy.

- Ainsi, vous aimez la couleur de mes yeux? Et mes baisers? Je parie que nous avons oublié leur goût; retrouvons-le ensemble.

- Non! s’écria-t-elle en se levant brusquement pour pousser le fauteuil roulant près de Bud. Il est temps de rentrer, je dois me lever tôt, demain matin.

Il arbora l’expression d’un gamin pris en faute.

- Cela signifie-t-il que nous ne bavarderons pas, ce soir?

- Nous pourrons parler pendant quelques minutes, consentit-elle.

C’est ce qu’ils firent avant de se souhaiter le bonsoir. Peu après, Lucy se laissait emporter par le sommeil, encore enveloppée par la voix chaleureuse de Bud. Aussi fut-elle prise au dépourvu par la mauvaise humeur qu’il lui manifesta, le lendemain.

Lorsqu’elle lui apporta son déjeuner, il jeta un regard dépourvu d’enthousiasme sur le bol rempli d’un odorant potage et repoussa les sandwiches.

- Peut-être les mangerai-je plus tard, grommela-t-il. Quand cette pluie est-elle censée s’arrêter?

Lucy réprima un sourire. Elle avait déjà observé ces moments de dépression chez d’autres vacanciers. La moindre journée de mauvais temps leur apparaissait comme un affront personnel.

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- Si vous comptez vous passer de nourriture jusqu’à ce que le soleil réapparaisse, vous risquez de mourir de faim.

- Je vous demande des prévisions météorologiques, non des plaisanteries douteuses.

La jeune femme retint un mouvement de colère.

- Veuillez m’excuser. Selon les dernières informations, la perturbation se trouve quelque part au-dessus du Pacifique et personne ne sait à quel moment elle s’éloignera. Bud! Vous êtes sur la côte. Rien d’étonnant à ce qu’il pleuve.

- Ce n’est pas une raison, grogna-t-il avec mauvaise foi.

Renonçant à le convaincre, Lucy le quitta. Il ne restait plus qu’à espérer que son humeur se serait améliorée lorsqu’elle reviendrait lui apporter son dîner avant de partir pour le gymnase. Ce ne fut pas le cas.

Ce soir-là, elle trouva sa terrasse froide et humide, ce qui n était pas surprenant. Prenant son chat sous le bras, elle décida de réintégrer sa chambre à coucher. Fallait-il prévenir Bud? Elle y renonça, persuadée qu’il s’en souciait peu.

La douce brise et le ciel bleu du vendredi ne réussirent pas à dérider Bud. Après s’être fait rabrouer parce qu’elle lui demandait ce qui n'allait pas, Lucy l’abandonna à son sort.

Pourtant elle se sentait affectée par cette brouille légère. Sentant qu’elle se montrait impatiente envers ses élèves, elle s’efforça de se maîtriser. Ce soir-là, elle se rendit à la soirée organisée par son amie Kathy pour fêter le trentième anniversaire de son mari et elle parvint même à s’y divertir. La danse lui permettait au moins de brûler l’excès de nervosité qu’elle avait accumulé, ces deux derniers jours, La question restait cependant entière: pourquoi Bud se montrait-il aussi désagréable?

De son côté, Bud se posait la même question. Ou plutôt, s’il connaissait la raison de sa mauvaise humeur, en revanche, il s'interrogeait à propos de Lucy.

Il avait passé la plus grande partie de la nuit du mercredi à se répéter qu’elle désirait fonder un foyer pour ses enfants et leur assurer une vie régulière. Il fallait absolument qu’il discute ce point précis avec elle. Lui-même avait été ballotté entre son père et sa mère; pourtant, il s’en était bien sorti! Il était convaincu que si les enfants se sentaient aimés, peu leur importait la vie quotidienne.

Évidemment, les choix de Lucy ne le regardaient pas. Simplement il détestait l’idée qu'une créature aussi douée qu’elle se liât de cette façon. Le monde était plein d’attraits qu’elle n'avait pas le droit d’ignorer et qu’il voulait lui montrer. Il la présenterait à ses amis, il...

Grinçant des dents, Bud se redressa. Lucy ne manquait pas de relations. Sans doute s’amusait-elle pendant qu’il se morfondait sur son lit. Avec qui était-elle sortie, la veille? Avec qui se trouvait-elle à cet instant? Y ferait-elle allusion dans son journal intime?

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Il était tard... La nuit était déjà fort avancée lorsqu’il avait quitté Charlie après avoir perdu aux cartes tous ses gains du week-end précédent. Bud jeta un coup d’œil au réveil et soupira. Peut-être était-elle rentrée mais dormait-elle dans sa chambre pour le punir de s'être montré aussi maussade? Il songea à lui téléphoner, mais l'idée qu'elle pouvait se rompre le cou en descendant l’escalier l'en dissuada. Mieux valait penser qu'elle était bien en sécurité dans son lit. Lâchait-elle ses cheveux, pendant son sommeil? Ils étaient nattés, décida-t-il, à moins que... cet homme ne fût là pour les dénouer.

Depuis combien de temps avait-il oublié l'existence de ce rival potentiel? A l'idée que Lucy pouvait répondre aux caresses de cet individu avec la passion qu'elle lui avait témoignée, il s’exclama:

- Non!

- Bud, c’est vous? fit la voix de Lucy.

- Lucy? Bien sûr, que c’est moi! Qui d’autre voulez-vous que ce soit!

Il se laissa aller contre l’oreiller, envahi par le soulagement. Elle était là, elle ne se cachait pas dans sa chambre, distante et inaccessible.

- Où diable étiez-vous, jusqu'à deux heures du matin?

Il y eut un moment de silence, puis elle répliqua sèchement :

- Qui diable êtes-vous pour me le demander?

- Lucy!

- Je suis une grande fille, me semble-t-il. Mes allées et venues ne regardent personne.

- Et dans la nuit de jeudi à vendredi, insista-t-il, êtes-vous seulement rentrée chez vous?

- Pour qui me prenez-vous, Bud Halloran? Vous n’avez absolument pas le droit de vous immiscer dans ma vie privée. Depuis deux jours, vous me traitez comme une pestiférée. Ce soir, je me trouvais parmi des amis qui m’apprécient.

- Des hommes?

- Entre autres, bien sûr.

- Vous avez dansé?

- Toute la soirée! Je me suis bien amusée.

- Vous dites cela pour me blesser, lança-t-il après un long silence.

Aussitôt, Lucy regretta son agressivité.

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- C’est vrai, pardonnez-moi. Mais vous? Charlie n’est-il pas venu, comme tous les vendredis soirs?

- Il est là. Nous avons joué aux cartes jusqu’à une heure, puis je me suis couché. Comme vous ne me répondiez pas, je me suis inquiété.

- Vous espériez que je resterais chez moi à me languir de vous? lança-t-elle avec dérision.

L’entendant soupirer, elle imagina la courbe un peu amère de sa belle bouche.

- Oui... Bon sang! Je n’en avais pas le droit mais c’est ce que je désirais, Lucy. Je ne me comprends pas moi-même, j'agis comme je n’ai jamais agi. Sans doute parce que je ne me suis jamais senti aussi démuni. Cette immobilité affecte ma personnalité. Quelquefois, j'en viens à me détester. Ces deux derniers jours, notamment.

La jeune femme se tut un instant avant de s'enquérir :

- Dois-je comprendre que vous vous excusez?

- Je... Oui. Je me suis comporté comme un rustre, pardonnez-moi.

- Entendu. Bonne nuit, Bud.

- Non, ne partez pas encore. Je voulais vous dire que je m'en vais demain.

La gorge serrée, Lucy s’efforça de ne pas fondre en larmes. Demain? Bien sûr, elle savait qu’un jour il partirait, mais pas avant août ou septembre.

- Lucy? fit-il vivement. Vous ne vous êtes pas endormie?

- Je ne dors pas, dit-elle d’une voix presque inaudible.

Percevant un bruit bizarre et non identifiable, il se retourna brusquement sur lui-même. En heurtant la commode, sa jambe plâtrée produisit un fracas épouvantable qui lui parut ébranler la maison.

- Lucy, vous êtes souffrante? J’arrive!

- Je me sens très bien, bredouilla-t-elle. Vous avez bien dit que vous partez demain? poursuivit-elle d’un ton lugubre.

Une vague de tendresse comme il n’en avait jamais éprouvée auparavant submergea Bud. Sa voix se radoucit, comme pour caresser Lucy à distance.

- Seulement pour quelques jours, ma chérie. Lundi, je dois me trouver à l’hôpital sur le coup de huit heures pour passer des radios. On me retirera sans doute le plâtre du bras... Je disposerai de ce qu’il faut pour vous serrer contre moi.

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- Alors pourquoi ne pas revenir lundi soir? Excusez-moi, vous avez sans doute des tas de choses à faire! En tout cas, merci de me prévenir. Je ne préparerai plus vos repas jusqu'à nouvel ordre.

- Lucy... Pouvez-vous sortir quelques minutes?

- Sortir? Mais il est très tard.

- Je le sais, pourtant j'ai besoin de vous voir, de vous parler. Si nous continuons ainsi, nous risquons de réveiller Charlie.

Il réprima un sourire. Lorsqu’il dormait, un bombardement n’aurait pas tiré Charlie de ses limbes.

- Très bien, dit Lucy, retrouvons-nous dans cinq minutes.

- Deux! De votre côté du mur.

En toute hâte, Bud enfila une chemise qu’il glissa dans son short sans la boutonner, puis il s’installa dans son fauteuil en jurant sourdement parce que l’opération lui paraissait interminable.

Lucy l’attendait à la petite porte, tremblant à l’idée qu'il ne sortît du chemin dans l’obscurité. Lorsque enfin il la rejoignit, elle s’agenouilla pour poser la tête sur les genoux de Bud.

- Mon départ avait-il autant d’importance, pour vous? murmura-t-il en dénouant les nattes de la jeune femme afin d’y plonger les doigts avec un plaisir sensuel.

Elle poussa un gémissement sourd qui diffusa une douce chaleur dans les veines de Bud et sur sa peau.

- Oui, cela avait de l’importance, souffla-t-elle.

- Beaucoup? insista-t-il.

Comme elle hochait la tête, sa joue frôla la poitrine de Bud, lui arrachant un frisson d’extase. Elle portait un long T-shirt qui lui descendait en bas des cuisses. Il glissa un doigt dans l’encolure, luttant contre l’envie de lui arracher ce mince rempart. Juste à cet instant, elle se hissa jusqu’à sa bouche pour lui permettre de l’embrasser.

Plusieurs minutes plus tard, il gémit:

- Ah, Lucy! Ce sont des sensations trop fortes pour un vieil alpiniste déjà réduit en morceaux.

L'écartant légèrement de lui, il scruta le mince visage à la clarté de la lune.

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- Je veux que vous sachiez combien il m’importe que vous soyez affectée par mon départ. J’ignorais que cela pouvait compter à ce point pour moi. Je voulais aussi vous dire que vous m’êtes devenue très précieuse.

Il sembla à Bud que les pupilles de Lucy s'élargissaient au point de ressembler à des gouffres sombres.

- Merci, se contenta-t-elle de murmurer.

La main valide de Bud courut le long du dos mince, tandis qu’il poursuivait:

- Et je serais de retour lundi si je le pouvais, malheureusement, je suis obligé d’attendre que Charlie soit disponible. Mais je reviendrai. Vous et moi avons certaines choses à mener à terme.

La douce promesse contenue dans ces mots fit frémir Lucy.

- Je pourrais venir vous chercher, proposa-t-elle.

- Chérie...

Bud s’empara des lèvres de la jeune femme jusqu'à ce qu’elle le repousse, hors d’haleine.

- Ce serait fantastique, poursuivit-il, mais vous avez votre travail.

- Lénore me remplace chaque fois que je dois m'absenter.

- Ce n’est pas un cas de force majeure, plaisanta Bud.

- Je le fais parce que j’en ai envie, fit-elle farouchement.

À son tour, elle glissa les mains sous la chemise de Bud, savourant le contact de sa peau fraîche d’où s’exhalait une odeur éminemment masculine, faite de savon et de lavande.

- Où dois-je aller vous chercher? murmura-t-elle.

- Quoi? grogna-t-il.

- Où et quand? répéta-t-elle en lui caressant le dos.

Glissant sous le T-shirt, la main de Bud se posa sur un sein dressé, glissa sur le ventre plat de la jeune femme pour s'arrêter à la naissance de la cuisse.

- Ici et maintenant, gémit-il. Bon sang, Lucy, vous êtes en train de me rendre fou!

Elle poussa un cri, consciente de ce qu'elle ne résisterait plus très longtemps au désir qu’elle avait de lui. Un baiser de plus, et elle se donnait, un geste de plus et elle était perdue...

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Dans un ultime effort, elle s’arracha à Eud; elle tremblait si fort qu’elle dut s’asseoir sur les pierres froides. La main de Bud se posa sur ses cheveux. Sentant qu’il la comprenait, elle s’appuya contre sa jambe. Au bout d une très longue minute, elle avoua :

- Je n’ai jamais rien ressenti de tel avec un autre homme.

Empoignant sa lourde chevelure, il la força à se tourner vers lui. Elle vit qu'il souriait.

- Aucun autre? insista-t-il.

- Ne vous emballez pas, rétorqua-t-elle avec un regain d’humour. Peut-être ma mémoire me trahit-elle.

Mais elle savait qu’elle mentait. Ce qu'elle ressentait avec Bud était nouveau et terrifiant. S’il pouvait l’émouvoir ainsi quand il était cloué sur son fauteuil, que serait-ce lorsqu’il serait en possession de tous ses moyens? A cette idée, elle frissonna.

- Vous allez attraper froid, remarqua Bud. Vous devriez être couchée.

Avec lui, eut-il envie d’ajouter, mais il s’abstint de tout commentaire audacieux, ne voulant pas l’effaroucher davantage. Lorsqu’ils eurent fixé un lieu et une heure de rendez-vous, il tendit la main pour effleurer une jambe longue et bien galbée.

- Maintenant, au lit, fit-il d’une voix enrouée. Dépêchez-vous de disparaître, si vous ne voulez pas vous retrouver étouffée sous deux plâtres massifs, contre un homme fou de désir.

Tandis qu’elle se glissait sous ses draps, un instant plus tard, la voix de Bud lui parvint:

- Bonne nuit, ma chérie.

Pénétrée d’une douce chaleur, elle s’endormit presque aussitôt.

- C’est palpitant! s'exclama Mme May, à l’autre bout du fil, après que Lucy lui eut annoncé qu’elle ne viendrait pas le lundi suivant.

- Vous trouvez? s’étonna la jeune femme.

Elle avait simplement dit qu’elle devait rencontrer un ami à Portland. N’était-elle même plus capable de contrôler sa propre voix?

- Amusez-vous bien, ma chérie, et ne vous inquiétez pas. Lénore s’occupera de tout.

Après avoir prévenu successivement les Johnson et Mlle Takai, Lucy appela Frank Mclvor en prenant soin de s’exprimer sur un ton égal et dépourvu d’émotion. Il éclata d’un rire ravi.

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- Votre alpiniste est de nouveau sur pied, si je comprends bien.

- Je ne comprends pas...

- Votre voleur de baisers... Que comptez-vous faire pour le chat, au cas où vous ne rentreriez pas lundi soir?

- Frank, je serai de retour avant la nuit, je n’ai aucune disposition à prendre!

- Très bien! En tout cas, ne vous faites aucun souci pour vos clients. Lénore peut tout à fait prendre la relève pendant plusieurs jours.

Excédée, Lucy raccrocha, maudissant l’imagination délirante de son vieil ami. Un instant plus tard, elle s’envolait vers son « voleur de baisers », un sourire irrépressible aux lèvres.

Lorsqu’elle pénétra dans le service de radiologie, un jeune médecin à la voix découragée s’exclamait :

- Bon sang, Bud, vous ne pouvez espérer quitter tout de suite votre fauteuil. Vos muscles sont encore trop faibles pour que vous puissiez utiliser ces béquilles en permanence.

L’air buté, Bud s’appuyait en effet sur des béquilles. On lui avait posé un plâtre de marche, et son bras gauche était désormais libre de toute entrave.

- Plus de fauteuil, Gray, affirma-t-il sur un ton égal. Je me servirai de ces engins jusqu a ce que mon plâtre de marche soit sec, mais ensuite ni canne, ni fauteuil, ni rien! Juste moi, sur mes deux pieds!

Lucy le contemplait en silence. Comme il était grand! Il était plus imposant, plus séduisant, plus viril encore qu’elle ne s’y était attendue et elle ignorait si elle pourrait le supporter. A cet instant, il l’aperçut.

- Lucy!

Elle était là, plus belle que jamais. Vêtue d’une jupe de coton abricot qui retombait en plis harmonieux autour de ses longues jambes brunes et douces, elle ressemblait à une fleur, avec ce maillot qui moulait ses seins hauts mais lui laissait les épaules découvertes. Pour la première fois depuis qu’il la connaissait, elle avait relevé ses cheveux, comme pour l’inciter à les dénouer lui-même. Ses cils paraissaient plus longs et plus épais, et sa bouche était du même rose que le vernis qui brillait sur ses ongles de pieds.

Il avança vers elle.

Rayonnante d’orgueil, elle le regarda traverser la pièce, pour s’arrêter à quelques centimètres d’elle. Soudain, l’une de ses béquilles glissa. Il parvint à garder l’équilibre, ses yeux gris étincelant de colère.

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- Maudits soient ces engins, c’est encore pire qu’avant! Je n’ai même plus de bras disponible! Très bien, docteur, rendez-moi ce satané fauteuil!

Grommelant des imprécations, Bud s'effondra dans le siège roulant, poussé diligemment par le jeune médecin. Pour cacher son amusement, Lucy s’agenouilla auprès de lui. Comme elle lui souriait, Bud tendit vers elle des mains si avides qu’elle recula prestement.

- Voulez-vous revenir tout de suite! s'exclama-t-il.

Le médecin éclata de rire, tandis que la jeune femme rougissait.

- Calmez-vous, Bud, vous effarouchez votre amie. Je reconnais qu'à votre place, je manifesterais la même impatience. Oh! Maintenant, c’est moi qui la fais rougir!

- Pouvons-nous partir? s'enquit Lucy, en hâte.

- Je vous en prie! s’exclama le jeune homme avant de se tourner vers Bud. Dans deux semaines, nous examinerons de nouveau cette jambe. En attendant, exercez votre bras en douceur.

Lorsque le médecin fut parti, Bud poussa une exclamation de triomphe, puis il s’empara de ses béquilles et se mit debout. Il dominait Lucy de trente bons centimètres.

- En douceur, lui rappela-t-elle. Pourquoi ne pas me laisser vous pousser jusqu’au parking?

Il posa sur elle des yeux gris où brillait la joie de se sentir libre et vivant dans le même monde qu’elle.

- Poussez le fauteuil si vous voulez, mais moi je marche!

Elle hocha la tête en souriant.

- Entendu. Montrez-moi le chemin, car je suis perdue.

L’ombre d'un sourire erra sur la belle bouche de Bud. Pendant quelques secondes, il parvint à lâcher l'une de ses béquilles pour effleurer la joue de Lucy.

- Je le suis aussi, ma chérie, ô combien!

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9

Le souffle coupé, Lucy plongea dans les yeux gris. Il lui semblait quelle se trouvait au bord d’un abîme... Au moindre faux pas, elle sombrerait dans l’oubli.

- Bud..., supplia-t-elle.

- Très bien, fit-il d’une voix douce, je sais. Pas ici, et pas maintenant. Mais bientôt, Lucy, vraiment bientôt.

Il la tint prisonnière sous le feu de son regard jusqu'à ce qu’elle acquiesçât, puis il frôla une seconde fois le visage de la jeune femme, comme pour lui transmettre un message qui la fit frémir. Poussant devant elle le fauteuil vide, elle se mit à marcher, consciente de ce qu’il la suivait péniblement.

Bien avant d’arriver à la porte d’entrée, elle sut qu’il était épuisé. Dans la hall, un couple d’âge moyen sollicita un autographe. Bud s’effondra dans le fauteuil afin de se libérer la main droite et Lucy espéra qu’il resterait assis. Mais il se releva avec difficulté pour reprendre sa progression. Il s’était montré fort aimable envers ces gens, les remerciant de l’intérêt qu’ils lui manifestaient. Comprenant qu’il était coutumier du fait, Lucy espéra que personne d’autre ne le reconnaîtrait. Hélas, ils parvenaient à peine sur le parking qu’un jeune homme en blouse blanche les rejoignit en courant:

- Monsieur Halloran ! Monsieur Halloran ! Puis-je avoir un autographe? C’est moi qui vous ai fait l’analyse de sang, lors de votre première hospitalisation. J’aurais voulu bavarder avec vous, mais vous étiez trop mal en point. Dites-moi... C’est très difficile, l’alpinisme? J’ai effectué quelques escalades, dans le coin, mais un jour... Je voudrais marcher sur vos traces.

Il était jeune et naïf, pourtant Lucy éprouva l’envie de le frapper. Quoique blême de fatigue, Bud rendit son sourire au jeune homme. Voyant qu’il s’accrochait désespérément à ses béquilles, Lucy poussa le fauteuil entre lui et l’importun.

- M. Halloran ne peut se libérer la main droite pour signer votre autographe, dit-elle avec fermeté.

- Ça ira, murmura Bud. Allons dans la camionnette.

Au bout d’une éternité, ils parvinrent enfin devant le véhicule. Avec l’aide du jeune homme, Lucy installa Bud à l’arrière. Bientôt, l’alpiniste en herbe s’éloignait, brandissant avec ravissement son précieux trophée.

Ruisselant de sueur, Bud s était laissé aller en arrière contre la banquette. Bon sang ! Qui aurait pu croire qu’une aussi courte station debout l’exténuerait à ce point ? Lui qui avait

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rêvé de tenir Lucy dans ses bras, il se comportait comme un enfant de dix ans qui a besoin de sa maman.

Et soudain, il sut qu’il avait exactement ce qu’il voulait. Lucy le serrait contre sa poitrine et lui essuyait tendrement le visage. Elle l’apaisait, elle le rafraîchissait, elle l’aimait... C’était tout ce qu’il désirait.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, elle penchait vers lui un visage inquiet.

- Reposez-vous, dit-elle, nous ne sommes pas pressés.

Prenant la serviette des mains de la jeune femme, il lui déposa un baiser au creux de la paume avant de se redresser.

- Merci. Sans doute aurais-je dû écouter le médecin.

L’amusement alluma des paillettes d’or dans les yeux noisette.

- Vous lui obéirez, la prochaine fois?

- Bien sûr que non.

- C’est bien ce que je pensais. Où voulez-vous aller? poursuivit-elle en se tournant vers le volant.

- Depuis huit heures du matin, on m’a examiné sous toutes les coutures. Ces quatre heures de torture m’ont mis en appétit. J’aimerais vous inviter à déjeuner.

L’endroit qu'il lui indiqua était agréable et suffisamment populaire pour que son jean ne choquât personne. Lorsqu’on les eut servis, Bud retrouva avec plaisir l’usage de la fourchette.

Il se montra accueillant envers les trois premières personnes qui vinrent lui réclamer un autographe, il reçut froidement les deux suivantes et congédia carrément les autres. Lucy commençait à percevoir sur son visage des signes de fatigue, lorsque deux vieilles dames s’approchèrent de leur table.

- Montrez-vous aimable, chuchota-t-elle à son compagnon. Voici deux autres de vos admiratrices.

Réprimant une grimace, Bud leur sourit:

- Bonjour, mesdames.

- Enchantée, jeune homme, répondit courtoisement celle des deux qui s’appuyait sur une canne.

Effleurant à peine Bud, ses yeux se posèrent sur Lucy.

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- Vous êtes bien Lucy Gallagher, n’est-ce pas?

Abasourdie, Lucy hocha la tête. La vieille dame se tourna vers sa compagne:

- Je te l’avais dit, Maudie, j’en aurais mis ma main à couper! Quelle joie de vous rencontrer, ma chère! Je me présente: Loretta Gaynor, et voici ma sœur Maudie. Nous avons assisté à votre première apparition sur la piste, à Philadelphie. A cette époque, nous étions encore professeurs, vous savez. Vêtue d’un maillot jaune, vous ressembliez à un petit canari quand vous vous envoliez des bras de votre mère vers ceux de votre père, à plus de trois mètres de haut. Nos élèves applaudissaient. Toutes, elles auraient voulu appartenir à votre famille... Les grands Gallagher!

Rayonnante, la vieille dame reprit sa respiration avant de poursuivre:

- Nous vous amenions nos fillettes chaque fois que vous donniez une représentation dans notre région. Nous enseignions dans une école très chic, vous savez, pourtant les jeunes filles voulaient toutes vous ressembler. Nous vous avons vue grandir. Nous étions ravies, lorsque vous avez épousé ce garçon que vos parents avaient recueilli et...

Rappelée à l’ordre par sa sœur qui lui envoyait un coup de coude dans les côtes, elle bafouilla:

- Pardonnez-moi! Maintenant, il faut que vous nous présentiez ce jeune homme.

Lucy se tourna vers Bud. Il la contemplait comme si elle était une parfaite étrangère. Elle toussota.

- Mesdames, voici M.Bud Halloran. Vous avez entendu parler de ce célèbre alpiniste, j’en suis sûre. Il a eu un accident de montagne, il n’y a pas très longtemps.

- Bien sûr, bien sûr, dit Loretta Gaynor en lançant à Bud un regard indifférent. Les hommes ont la manie des exploits stupides, vous ne trouvez pas, mademoiselle Gallagher?

- Tout à fait, rétorqua Lucy d’une voix étranglée.

- Quand rejoindrez-vous votre famille? enchaîna sévèrement la vieille dame. Nous avons lu un article sur votre dépression, mais ce doit être terminé, maintenant.

- Loretta! protesta Maudie en pinçant sournoisement sa sœur.

Celle-ci ne se laissa pas intimider.

- La défection du jeune Michael ne doit pas vous éloigner de votre vocation, admonesta-t-elle Lucy. Surtout maintenant que vous avez ce beau jeune homme à vos côtés.

Elle fit la grimace, plissant soudain des yeux comme un chaton vindicatif:

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- Vous lui montrerez, n’est-ce pas? Ce jeune homme est deux fois plus grand que Michael et... il est beaucoup plus beau. Viens, Maudie, poursuivit-elle en tapotant la main de Lucy. Nous avons assez ennuyé ces jeunes gens comme cela. Au revoir, monsieur. Au revoir, ma chère, et pensez à ce que je vous ai dit. Nous adorerions vous voir revenir sur la piste.

Lucy ne bougea pas. Elle regarda les vieilles dames se diriger vers la porte. Elle n’osa pas, tout d’abord, regarder Bud, mais lorsqu’elle perçut un son étranglé provenant de son côté, elle laissa échapper le fou rire qu’elle retenait. Elle comprit vaguement qu’il l’imitait: à peine consciente, elle utilisait sa serviette de table pour essuyer ses yeux d’où coulaient des larmes de joie. Légèrement à l’écart, le serveur attendait poliment de pouvoir leur présenter la note. Cela prit un certain temps.

- Et elles ne vous ont même pas demandé un autographe, s’émerveilla Bud quand il eut enfin repris son souffle.

Lucy osa rencontrer les yeux de son compagnon.

Elle dut aussitôt se détourner, pour réprimer une nouvelle vague d’hilarité.

- Oh non! Ce n’est pas du tout leur genre!

- Vraiment? Et quel est-il?

- Elles appartiennent à cette catégorie de gens qui sont venus nous voir très souvent, qui suivaient nos faits et gestes avec l’attention de propriétaires, comme si nous avions été les héros de feuilletons télévisés.

Bud hocha lentement la tête, comme s'il commençait tout juste d’intégrer ce qu’il venait d’apprendre sur elle.

-Pourquoi ne me lavez-vous pas dit?

Les yeux baissés, Lucy retourna son couteau dans tous les sens jusqu’à ce qu’il le lui prît des mains.

- Parlez-moi de vous, de votre famille. Bon sang! Les grands Gallagher! Dès l’instant où je vous ai vue, au gymnase, j’aurais dû comprendre que vous étiez une professionnelle.

Il hocha de nouveau la tête, les yeux emplis de trouble.

- Moi aussi j’ai assisté à l’une de vos représentations, Lucy. Une seule fois, pourtant je n'ai jamais oublié. Vous étiez vêtue de jaune, en effet.

- C’était ma couleur, jaune d’or. Norma portait... porte du bleu. Quand nous étions enfants, on nous nommait « oiseau bleu et canari. »

- Je n’ai gardé aucun souvenir de l’oiseau bleu. Je ne revois que vous, volant à travers l’espace dans un maillot éclatant. Vous paraissiez si minuscule, là-haut, que je me

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demandais si vous saviez réellement voler. Je devais avoir dans les douze ans, à cette époque.

- C’est pour cela que vous n’avez pas vu l’oiseau bleu. Norma a trois ans de moins que moi, et nous ne montions sur scène qu’à sept ans. Où était-ce?

- Dans le Texas. Cet été-là, j’habitais un ranch, avec ma mère et mon beau-père. Quel gâchis, Lucy! Vous et votre famille, vous étiez les plus grands acrobates du monde! Pourquoi avez-vous abandonné? A cause... de Michael? Cette vieille dame disait que vos parents l’ont élevé. Est-il encore avec eux? Est-ce à cause de lui que vous êtes partie?

- Non, non..., bien sûr que non. Je ne vivais plus avec ma famille, de toute façon, bien avant le divorce. Je ne suis revenue que plusieurs mois après, lorsque j’ai pu... affronter la réalité. Mais quand j’ai décidé d’adopter des enfants, les services sociaux n’ont pas apprécié mon existence de nomade, aussi me suis-je installée dans une maison pour adopter un type de vie qui leur paraisse acceptable.

Les yeux soudain brillants de larmes, Lucy se détourna.

- Excusez-moi, ces deux vieilles dames m’ont donné la nostalgie du passé. Cela faisait longtemps que l’on ne m’avait pas reconnue. Nous partons? ajouta-t-elle en prenant son sac. Ne m’aviez-vous pas dit que vous vouliez passer chez Charlie pour y prendre ce que vous y avez laissé, puis chez vous afin d’emporter quelques vêtements?

- Vous ne désirez pas discuter davantage de ces questions, n’est-ce pas?

- Pas pour l’instant, Bud. Vous ne m’en voulez pas?

S’emparant de ses béquilles, il les glissa sous ses aisselles et se leva.

- Bien sûr que non, ma chérie. Nous attendrons autant qu’il le faudra.

Ils venaient de prendre place dans la camionnette lorsqu’un bruit de pas résonna sur les pavés. Quelqu’un ouvrit la portière de Bud qui se tourna vers l'intrus, prêt à le rabrouer. Un homme au visage coloré se penchait vers lui.

- Vous êtes bien Bud Halloran? C’est fantastique! Je suis Jerry Mavin, des Nouvelles. Cela ne vous ennuie pas si je vous pose une ou deux questions?

- Cela m’ennuie, justement, rétorqua Bud sur un ton léger. Cette jeune femme et moi nous apprêtions à partir.

Ces précisions ne découragèrent pas le journaliste.

- Avez-vous consulté votre médecin, monsieur Halloran? Vos os se ressoudent-ils correctement? Votre jambe guérira-t-elle? Pourrez-vous grimper encore? Et pour finir, qui est cette jeune personne? Ravissante, vraiment! ajouta-t-il après avoir dévisagé Lucy. Est-ce à dire que vous fréquentez de nouveau le Cosmopolitan Club?

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Bud tenta de fermer la portière, mais l'intrus avait glissé une jambe à l’intérieur de la voiture.

- Je vous en prie, monsieur Halloran, des millions de lecteurs suivent avec passion chacune de nos expéditions. Dites-nous seulement si vous pourrez repartir.

Bud soupira avec ostentation.

- Très bien, Mavin. J’ai vu le médecin, mon bras est guéri mais encore faible. Mon fémur est presque ressoudé, mais pas le tibia. J’ai l’intention d’entraîner mon équipe dès septembre et nous repartirons à la conquête de l’Everest l’an prochain. C’est tout.

- Pas tout à fait, monsieur Halloran. Qui est cette jeune femme? Est-ce une autre danseuse exotique?

- Cela suffit! s’écria Lucy. Allez-vous-en!

- Vous avez entendu? grommela Bud en repoussant le journaliste pendant que la jeune femme mettait le contact.

Elle mit lentement la voiture en marche, tandis que l’homme, la tête encore à l’intérieur de la camionnette, continuait à les harceler de questions de sa voix haut perchée. Dès qu’elle fut à la sortie du parking, Lucy tourna brusquement à gauche et accéléra. Déconfit, le malotru dut abandonner la poursuite.

- Je suis désolé, dit Bud après avoir claqué la portière. J’aurais voulu vous éviter cela.

- Ce n’est rien, trancha-t-elle sèchement. C’est seulement que je n’aime pas être confondue avec l’une de vos danseuses exotiques.

- Lucy, écoutez...

- N’en parlons plus! Où Charlie habite-t-il?

Bud hésita un instant, les yeux fixés sur le fin profil comme taillé dans la pierre, puis il lui fournit des indications qu’elle suivit en silence. Si Lucy n’avait pas été si proche des larmes, elle aurait ri d’elle-même. Elle avait commis la pire des erreurs: tomber amoureuse d’un aventurier, habitué à prendre son plaisir là où il le trouvait. Et elle, pauvre folle, elle aurait fini par tout lui accorder parce qu’elle l’aimait. Quand était-ce arrivé? Lucy l’ignorait, mais une petite voix dans sa tête ne cessait de répéter «mon amour, mon amour...», et elle ne la combattait pas.

Mais comment espérer le retenir? Bud serait sans cesse sollicité par toutes les danseuses exotiques du monde... Et puis, il y avait ses montagnes, qui exerçaient sur lui un attrait contre lequel la jeune femme ne pourrait lutter. Il s’était contenté d’exercer son charme sur elle, sans doute pour ne pas perdre la main. Et elle, elle avait oublié qu’ils n’appartenaient pas au même monde, qu’ils n’avaient pas les mêmes valeurs, les mêmes buts...

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Dire que Lucy avait failli anéantir ses rêves! Si elle avait succombé à Bud, les services sociaux auraient pu s’en émouvoir et lui retirer leur confiance. Si elle s’était lancée dans une liaison avec un homme susceptible de la quitter au bout de quelques mois, voire de quelques semaines, quel foyer aurait-elle offert à des enfants déjà durement éprouvés?

Mais peut-être serait-il resté, suggéra une petite voix. La jeune femme la musela avec énergie : il y aurait toujours une montagne de plus à conquérir. Bud était incapable de mener une vie sédentaire. Dorénavant, elle devait lutter contre l’attrait qu’il exerçait sur elle.

Ils parvinrent dans une résidence ombragée, divisée en vastes jardins où se dressaient des maisons spacieuses.

- Je croyais que Charlie occupait un appartement? s’étonna la jeune femme.

- En effet. Tournez à droite, nous arrivons chez moi.

Lucy s'arrêta devant un portail de fer forgé. Tirant un trousseau de sa poche, Bud en détacha une clef qu’il lui tendit.

- Vous voulez bien ouvrir?

Sans un mot, Lucy sortit de la camionnette, écarta les lourds battants et se glissa de nouveau derrière le volant pour pénétrer dans le parc. Toujours en silence, elle freina une seconde fois pour aller refermer le portail, puis elle remonta dans la voiture et s’engagea dans une allée recouverte de graviers qui menait jusqu’à une maison basse et large, construite en bois massif et verni.

Bud grimpa maladroitement les cinq marches, suivi de Lucy qui tremblait de ne pouvoir le retenir s’il basculait en arrière. Il déverrouilla la porte, puis il s’écarta afin de la laisser entrer la première.

Elle pénétra dans une froide entrée au carrelage bleu. D’un côté, une porte en accordéon dissimulait à moitié un cabinet de travail. En face, on avait mis un antique pupitre de diacre. Par une grande porte voûtée, elle aperçut la salle de séjour. D’énormes plantes vertes, dans de gros baquets, mettaient en valeur un ameublement aux tons sobres. De hautes fenêtres donnaient sur un beau jardin.

Le visage tiré, Bud s’était appuyé contre un mur. Il semblait guetter sa réaction.

- C’est ravissant, apprécia-t-elle.

- Cette maison est sans doute trop vaste pour un homme qui n’y vit que trois ou quatre mois par an, mais j’aime l’espace. J’ai laissé à ma belle-mère le soin de me la trouver, à condition de ne pas m’y sentir confiné.

- Évidemment, fit Lucy d’une voix malheureuse. Quand on a contemplé le monde du haut des sommets, tout le reste doit apparaître comme un emprisonnement.

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Comme il lui adressait un petit sourire, elle crut qu’elle allait éclater en sanglots. Prenant de nouveau appui sur ses béquilles, il proposa:

- Vous pouvez visiter ma demeure, si vous le désirez. La salle de bain est à droite, et vous trouverez de la bière fraîche dans le réfrigérateur. Attendez... Je vais la chercher moi-même.

- Je m’en charge, suggéra Lucy. Vous ne pourrez tenir les bouteilles et vos béquilles en même temps.

Il lui lança un regard maussade.

- Ces damnés engins m’empêchent surtout de vous prendre dans mes bras.

Il s'éloigna en clopinant, oubliant de lui montrer où était la cuisine. Cependant, se souvint-elle, il l’avait invitée à faire le tour de la maison.

Suivant son inspiration, la jeune femme tourna à gauche pour découvrir une salle à manger assez conventionnelle. Une paire de portes battantes donnaient sur un rêve de cuisine qui plongea Lucy dans un abîme d’admiration.

Les murs d’un jaune doré étaient d’une propreté parfaite. Un compotier débordant de fruits frais était posé sur une table ovale, entourée de six chaises, preuve que la femme de ménage ne restait pas inactive en l’absence du maître. Au-dessus de l’évier, les fenêtres donnaient sur une colline couverte d’une végétation luxuriante.

Lucy ouvrit la porte du patio et sortit. Au-delà du barbecue de pierre, trois larges marches permettaient d’accéder à une vaste piscine. La jeune femme regagna la cuisine en soupirant. Il lui fallait sans doute tout ce luxe pour plaire à ses danseuses, songea-t-elle avec amertume.

Peu après, elle retournait dans la salle de séjour, portant un plateau sur lequel elle avait disposé deux verres et les bouteilles de bière. Bud était étendu sur un canapé, le visage tiré et les yeux fermés. Il avait retiré sa chemise afin de se masser doucement le bras gauche.

Un long moment elle le contempla sans un mot, brûlant de soulager sa peine pour lui témoigner son amour. Comme s’il avait senti sa présence, Bud souleva les paupières et posa sur elle un regard interrogateur. Se poussant légèrement, il lui demanda enfin:

- Asseyez-vous près de moi, Lucy.

Sachant qu’elle commettait une erreur, la jeune femme déposa le plateau sur la table basse, puis elle prit place auprès de lui. Après l’avoir servi, elle but quelques gorgées du liquide amer en sachant qu’il ne la quittait pas des yeux.

Profitant de ce qu’elle reposait son verre, il prit les mains de la jeune femme dans les siennes.

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- Et maintenant, nous allons parler, ordonna-t-il.

- De quoi? De danseuses exotiques?

10

Bud la fixait gravement, une lueur indéfinissable au fond des yeux. Levant les mains, il ôta le peigne qui retenait les nattes de la jeune femme autour de sa tête. Elle voulut protester, mais cette flamme inconnue l’en dissuada. Sans se presser, il dénoua les lourdes tresses, ce qui arracha à Lucy un frisson de pure volupté. Elle ferma les yeux, se sachant incapable de résister. Oui, ils devaient parler, mais pour le moment elle préférait sentir.

Lorsque sa chevelure lui tomba en lourdes vagues sur les épaules et les seins, Bud y plongea les doigts pour l’attirer contre lui. Dès qu’il eut refermé les bras sur elle, elle l’entendit soupirer. Comme elle respirait avec délices son odeur, il lui murmura de s'allonger. Bientôt, il la dominait de toute sa carrure, lui caressait tendrement la joue avant de s’emparer de ses lèvres avec passion.

Quand il s'écarta d’elle, ce fut pour prononcer d’une voix basse et vibrante:

- Pour la première fois et la dernière fois, mon amour, il n’y a plus de danseuse exotique dans ma vie et il n'y en aura jamais plus. Tu as compris, Lucy?

- Oui. Tu ne veux pas que je te pose des questions sur ton passé.

- J’ai dit autre chose. Tu n’as pas écouté?

Lucy plongea dans les yeux gris avant d’affirmer:

- J’ai écouté.

Elle n’était pas certaine de bien interpréter ce qu’elle avait entendu. Elle était également très émue de le tutoyer. Son amour pouvait la troubler, l’inciter à modifier la signification de ces mots. Elle entrevoyait une lueur d’espoir, si fragile pourtant que mieux valait ne pas s’y accrocher.

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- Parfait, dit-il en noyant les doigts dans les cheveux, à la base de la nuque, pour lui caresser doucement le lobe de l’oreille. Maintenant, tu as posé ta question et j'ai répondu.

Pendant de longues minutes, il l'embrassa jusqu'à ce qu'ils fussent tous deux hors d’haleine, le cœur battant au même rythme forcené.

- Très bien, fit-il d’une voix enrouée où elle crut discerner comme de la colère. C’est mon tour.

Lucy sentit son être se révolter. Elle n'était pas encore prête pour les révélations, mais la question qu’il lui posa la prit de court.

- Un homme dans mon lit? s’exclama-t-elle.

- Pendant les deux premières semaines de mon installation à Newport, il était là. Je ne te demande pas qui il est ou ce qu'il a signifié pour toi, Lucy. Je veux simplement savoir si tout est terminé entre vous.

- Mais Bud...

- Bon sang, Lucy! Je ne nie pas avoir eu une liaison avec une danseuse, mais je t’ai dit que tout était fini, dépassé, oublié! Je t’en demande simplement autant. J'ai besoin d’être rassuré... C’est la première fois que je formule pareille exigence.

La jeune femme fixa sur lui des yeux troublés. Comment pouvait-elle le rassurer à propos de quelque chose qui n’avait jamais existé?

- Bud, il faut me croire, aucun homme n’est entré dans ma vie depuis mon mariage, sauf toi.

Dans le mouvement qu’il fit pour s’asseoir, son plâtre de marche heurta lourdement la table en bois.

- Je t’ai entendue avec lui, insista-t-il. Tu sais comme les sons circulent aisément, de ta terrasse à ma chambre. Le matin, je ne perdais rien de tes roucoulements. Il est inutile de me mentir! Dis-moi simplement que tu as rompu, je ne me soucie pas du reste. Pendant toute la semaine dernière, je n’ai plus perçu sa présence, aussi ai-je supposé qu’il était parti. J’aimerais tant le croire, Lucy, je t’en prie!

Peu à peu envahie par la colère, la jeune femme darda sur lui des yeux étincelants.

- Je ne suis pas habituée à ce qu’on me traite de menteuse! Crois ce que tu veux, puisque apparemment, rien de ce que je pourrai te dire ne modifiera ton opinion. Je ne sais pas ce que tu t’imagines avoir entendu, cela ne provenait pas de ma terrasse. Que disait-il, ce fantôme?

- Je... Eh bien... Je n’ai pas vraiment entendu sa voix. C’était toi. La première fois, tu riais.

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Bon sang, j’ai assez d’expérience de ce type de rire pour savoir ce qu’il signifie. La semaine suivante, dans la nuit du dimanche au lundi, il était encore là. Tu lui as même dit d’arrêter de t’embrasser parce qu’il te chatouillait. Et ensuite... Qu’y a-t-il de si drôle? Rugit Bud en s’efforçant de repousser Lucy qui venait de lui jeter les bras autour du cou.

Le visage enfoui contre le torse de Bud, Lucy cédait à une hilarité incontrôlable. Les mots qu’elle balbutiait parvinrent finalement jusqu’au cerveau de Bud qui réussit à l’écarter de lui pour la regarder en face.

- Quoi? Ton chaton t’embrassait dans le cou? Cesse de rire, bon sang, comment aurais-je pu m’en douter?

Pourtant, gagné à son tour par l’amusement, il mêla ses éclats de rire à ceux de Lucy.

- Ma chérie, tu possèdes le rire et la voix les plus sensuels du monde. Mon imagination a fait le reste. C’était insupportable, surtout après que je t’ai rencontrée.

Du doigt, la jeune femme caressa le front de Bud, puis l’arête de son nez.

- C’était si important?

- Ça l'était, gronda-t-il sourdement. Même avant de te connaître, j’étais si intrigué par la variété de tes rires que j’avais créé un véritable harem. Chacun de tes roucoulements suscitait une créature nouvelle et plus voluptueuse que la précédente. Puis je t’ai vue et le fantasme s’est effacé devant la réalité. Quand je t’entendais te comporter ainsi avec... mon rival, j’étais si jaloux que j’aurais voulu le pourfendre... si seulement j’avais été en possession de tous mes moyens.

Comme Lucy se taisait, trop abasourdie pour répondre, il l’étendit de nouveau sur le canapé et se coucha contre elle. Tout en s'emparant de ses lèvres, Bud glissa la main sous le maillot et caressa la pointe dressée d’un sein à travers le fragile rempart de dentelle. La jeune femme gémit, consciente de ce qu’il allumait un feu qu’elle ne pourrait bientôt plus éteindre.

- Bud... Je t’en prie..., supplia-t-elle. Arrête! Je ne peux pas en supporter davantage. Pourquoi ne pas prendre tes affaires et partir, comme nous l’avions prévu?

- Non, souffla-t-il en s'écartant légèrement pour plonger dans les yeux noisette où brillait maintenant une constellation d’éclats verts. Je ne m’arrêterai pas car je ne serai jamais rassasié de toi.

Lucy brûlait du désir de plonger les mains dans l’épaisse chevelure claire, de s’abandonner au délicieux tourment où il l’entraînait, mais il fallait que l’un d’eux se montrât raisonnable. Elle l’aimait de toute son âme, pourtant elle allait le repousser avec tout ce qui lui restait de force. Mais il prononça des mots qui la pétrifièrent:

- Lucy, je t’aime.

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Elle le fixa, réprimant un cri.

- Non, Bud, tu n’as pas besoin de me dire cela. N’as-tu pas compris? Je me donnerais à toi si je le pouvais. Je le veux... tellement! Mais je dois faire un choix. Tu ne resterais auprès de moi qu’un temps, alors que je garderai mon enfant toute la vie.

A son tour, Bud la contemplait avec un étonnement mêlé d’une colère grandissante.

- Voilà donc ce que tu penses! Tu t’imagines que je ne te parle d’amour que pour t’entraîner dans mon lit?

Comme elle ne répondait rien, il tonna :

- C’est cela?

La jeune femme hocha la tête, les yeux vides, le visage blême. Ses taches de rousseur se détachaient comme de minuscules gouttes de peinture sur de la porcelaine.

Bud empoigna ses béquilles; toute son attitude indiquait une tension intolérable.

- Nom de Dieu, Lucy Gallagher! Je t’ai donné la seule chose que je n’aie jamais accordée à quiconque, et tu me la renvoies de cette façon au visage? Je t’offre mon cœur, mon âme et tu y vois un procédé de séduction! Je n’ai jamais eu recours à ce type de manœuvre pour obtenir une femme, jamais! Je t’aime, entends-tu? Il faut me croire! Je n ai jamais aimé une autre femme, et je ne te laisserai pas confondre cet aveu avec la vile flagornerie!

Ses béquilles tombèrent sur le sol, tandis qu’il attrapait Lucy par les épaules pour la serrer contre lui.

- Je ne peux te forcer à te donner à moi, dit-il d’une voix rauque, mais tu dois croire en ma sincérité et... Lucy!

Ses paroles se perdirent dans les cheveux de la jeune femme.

- Je ne vais pas tarder à tomber, grogna-t-il.

Comme il vacillait, elle tenta de le retenir mais parvint tout juste à ralentir sa chute. Ensemble, ils glissèrent sur le tapis et Lucy se pencha sur lui, couvrant son visage de baisers et de larmes.

- Mon amour, murmurait-elle sans pouvoir s’arrêter. Mon amour, mon amour, mon amour...

Prenant le visage de la jeune femme entre ses mains, il la repoussa avec douceur afin de pouvoir la regarder.

- Mon amour? répéta-t-il sur un ton interrogateur. C’est bien ainsi que tu m’as appelé?

- Je t'aime, avoua-t-elle. Je t’aime tant!

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- Alors pourquoi ne m’as-tu pas cru?

- C’était difficile... Je veux dire... je ne suis pas exactement le genre de femme que tu fréquentes d’ordinaire et...

- Et je ne suis jamais tombé amoureux non plus. Peut-être justement ne pouvais-je les aimer. Il me fallait attendre une petite tentatrice au jardin rempli d’effluves délicieux.

- C’est le plus sûr chemin pour gagner le cœur des hommes, plaisanta-t-elle, certaine maintenant qu’il l’aimait vraiment.

- Au début, du moins. Quand je t’ai rencontrée, tu as séduit tous mes autres sens. Et malgré moi, je me suis senti chaque jour un peu plus attiré par toi. Lucy, je t'adore, crois-moi, mon amour.

- Bud, je le veux, j’en ai besoin! Je te crois...

Il l’attira contre lui et cette fois Lucy ne résista pas lorsqu’il fit glisser son maillot par-dessus sa tête. Fermant les yeux, elle se laissa aller en arrière sur le sol, tandis qu’il posait ses lèvres chaudes sur sa gorge et glissait lentement entre ses petits seins. Consentante, elle sentit qu’il défaisait l'attache de son sous-vêtement pour s’emparer d’une pointe dressée. La caresse dura longtemps, jusqu’à ce qu’elle suppliât:

- Je t’en prie, Bud, maintenant! J’ai besoin de toi maintenant. Aime-moi, je t’en supplie.

- Oui, mon amour, murmura-t-il en étouffant tendrement ses cris.

Éperdue, elle sentit qu'il lui retirait sa jupe avant d’achever de la déshabiller. Puis il s'écarta, la laissant pantelante et frustrée. Bientôt il lui revenait, nu contre sa peau nue... Confondus, leurs deux corps semblaient n’avoir été créés que pour se mouler l'un à l’autre. Les mains de Bud épousaient avec exactitude les hanches de Lucy, les bras de la jeune femme trouvèrent leur place précise autour du large torse. Enfin, ils s’unirent l’un à l’autre et gravirent lentement les pentes enneigées de la montagne la plus haute jamais conquise par Bud. Les yeux clos, Lucy entrevoyait un ciel d’azur qu’aucun nuage n’assombrissait. Soudain, ils furent pris dans la même tourmente. Elle sut qu’elle avait atteint le sommet à la seconde même où leurs deux cris déchiraient le silence de la grande maison.

Bien plus tard, ils échangèrent un regard émerveillé. Comme elle se blottissait contre son épaule, Bud murmura d’une voix assoupie:

- Je crois que je vais m’endormir.

- Pas par terre, Bud! s’exclama-t-elle en se redressant.

Il condescendit à soulever une paupière.

- Je crains que tu ne doives m’aider, sourit-il.

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Ce ne fut pas facile, mais en prenant appui sur l’épaule de la jeune femme, Bud parvint à se relever. Dès qu’elle lui eut rendu ses béquilles, il se dirigea vers la chambre à coucher, nullement gêné par sa nudité. En revanche, Lucy prit le temps d’enfiler la chemise qu’il avait abandonnée sur le tapis.

Tandis que Bud s’effondrait sur le lit, elle retint sa respiration à la vue des vagues ondulantes qui couraient sous le matelas. Ces couches aquatiques n’étaient-elles pas censées avoir des effets...? Détournant les yeux, elle examina la pièce.

Il y avait une cheminée, en face de laquelle étaient disposés deux gros poufs moelleux séparés par une table basse.

- Décadent! laissa-t-elle tomber après en avoir apprécié le confort.

Bud se mit à rire. Adossé à ses oreillers, il l’observait, l’air de moins en moins endormi.

- Jette un coup d’œil de ce côté, suggéra-t-il en lui désignant un écran de bambou.

Obéissante, Lucy fit glisser un panneau et elle poussa un cri. Une moquette cuivrée tapissait les deux marches conduisant à une estrade où trônait une énorme baignoire ovale, suggestive par sa seule présence. Tout autour, une masse de feuillages ruisselait hors des pots et paniers disposés sur des étagères de verres accrochées aux carreaux transparents qui formaient tout un pan de mur. D’épaisses serviettes et des flacons d’huiles de bain occupaient les étagères de bambou.

- Doublement décadent! s’exclama-t-elle en se retournant vers Bud qui souriait. Bud Halloran, cette chambre est un véritable repaire de séducteur!

- Souviens-toi que c’est ma belle-mère qui a trouvé cette maison, je n’y suis donc pour rien. D’ailleurs, ajouta-t-il en arborant une expression innocente, il n’y a pas de miroir au plafond.

- Cela m’étonne!

- Viens ici, fit-il d’une voix tentatrice, j’ai quelque chose à te dire.

- Sûrement pas avec cette baignoire dans la pièce!

- Que dois-je comprendre?

- Que je vais prendre un bain!

Un instant plus tard, elle s’abandonnait au bonheur de sentir l’eau chaude ruisseler sur son corps nu. Agenouillé à son côté, Bud s’était emparé d’une savonnette au parfum subtil.

- Tends ton bras, murmura-t-il.

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Obéissante, Lucy le lui offrit. Avec une douceur surprenante, il couvrit le membre gracile d’une mousse onctueuse, puis il plongea une grosse éponge dans l’eau tiède afin de la rincer. Comme elle le suppliait de cesser cette caresse, il ordonna :

- La jambe, maintenant.

Joignant le geste à la parole, il sortit la jambe de Lucy de l’eau mousseuse et se mit à la savonner, s'attardant longuement sur un fin genou.

- Je viens d’avoir une vision, soupira-t-il. J'étais dans la baignoire avec toi. Bon sang! Je ne sais pas si je pourrai attendre encore deux semaines!

Lucy était certaine, pour sa part, qu’elle ne résisterait pas deux secondes de plus. Jaillissant de l’eau comme une nymphe au corps luisant, elle bondit hors de la baignoire pour glisser tout contre lui. Quelques secondes plus tard, la carpette cuivrée se transformait en un champ de bataille voluptueux où le vainqueur demanda merci.

Bien plus tard, sur le lit, Lucy sombra dans le sommeil le plus doux qu’elle eût connu depuis des années. Lorsqu’elle s’éveilla, la nuit n’allait pas tarder à tomber. Bud la regardait avec amour.

- Je ne te laisserai pas me quitter, fit-il doucement.

La jeune femme soupira, comprenant que l’idylle était terminée. Il était temps maintenant d’affronter la discussion qu’ils avaient si soigneusement évitée jusqu’alors.

- Nous n’avons pas le choix, Bud. Ni toi, ni moi. Ce que nous avons partagé aujourd’hui, nous le vivrons encore pendant les jours et les semaines à venir, puis ce sera fini.

- Non, Lucy.

- Si. Voilà pourquoi je me suis efforcée de ne pas tomber amoureuse de toi. Quand j’ai su que je t’aimais, j’ai encore tenté de te résister parce que je savais que notre rupture me serait insupportable. Mais j’étais lâche... Je saisirai tous les moments de bonheur qui me viendront de toi, même si cela ne doit pas durer longtemps.

Tendrement, il écarta une longue mèche de cheveux sombres qui barrait le visage de la jeune femme.

- Cela durera toujours.

- Jusqu’à ce qu’une nouvelle montagne t’appelle.

- Il y aura toujours des montagnes, ma douce, mais pour la première fois, je veux qu’une seule femme m’attende, ou même qu’elle monte à mes côtés. Aimerais-tu grimper avec moi, Lucy?

- Non, dit-elle fermement.

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Comprenant qu’elle avait envisagé cette possibilité pour la rejeter finalement, il admit cette décision. Lui-même n’avait aucun don pour l’acrobatie.

- Et j’espère davantage de la vie que d’attendre au pied d’une montagne, poursuivit-elle.

- Nous aurons bien d’autres joies à partager. Nous nous aimerons, nous nous épaulerons mutuellement... Nous nous donnerons l’un à l’autre, conclut-il d’une voix basse et vibrante qui fit courir un frisson le long de l’épine dorsale de Lucy.

Elle força la raison à l’emporter sur son cœur :

- Tu oublies le plus cher de mes vœux, Bud. Et mes enfants?

- Eh bien?

- Ils sont importants pour moi. Je les veux! Si je dois choisir entre eux et une relation épisodique, malgré tout l’amour que je te porte, Bud, ma décision est prise. Si je pouvais avoir les deux, je n’hésiterais pas, mais je sais que c’est impossible. Non! Laisse-moi finir, poursuivit-elle en posant la main sur la bouche de Bud. Ma candidature a été acceptée. Si je modifie mon mode de vie, les services sociaux pourront prétendre que je ne suis plus celle qu’ils ont agréée. Peut-être même me fermeront-ils leur porte définitivement. Pourtant, je ne veux pas te quitter tant que je n’y suis pas obligée, aussi devrons-nous être discrets, conclut-elle en se penchant à son cou.

Bud la repoussa légèrement.

- Je vois... Une future mère adoptive doit présenter toutes les garanties de moralité.

- Je... Je pense que c’est leur façon d’envisager les choses.

- Parfait! Que diraient-ils d’un mari, en ce cas?

Lucy laissa échapper un long soupir.

- C’est une demande en mariage?

- Rappelle-toi ce qui est arrivé, la dernière fois que tu as douté de moi, gronda-t-il. J’ai crié, nous sommes tombés par terre et la passion nous a emportés.

- Je n’ai pas oublié... Pourtant j’ai du mal à y croire, Bud. Te rends-tu compte de ce que tu viens de dire?

- Oui, Lucy. Je viens de demander une jeune femme en mariage pour la première fois de ma vie et j’attends encore sa réponse. Je t’aime, ma chérie, ne me repousse pas.

- Bud, je t’aime, moi aussi.

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- Pourtant il y a un mais? Pourquoi cette réticence, Lucy? Tu n’as pas le droit de me laisser dans l’ignorance.

- Tu ne comprends pas, gémit-elle en tremblant de tous ses membres. J’ai posé ma candidature en tant que célibataire. Si je modifie cette information, je détruis le tableau tout entier. C’est comme si je brisais le contrat, quand je suis si près d’aboutir. On peut m’appeler n’importe quand pour m’avertir qu’il y a un enfant pour moi. Je ne peux pas abandonner maintenant, mon amour, je ne peux pas! Je t’en prie, comprends-moi, j’attends depuis si longtemps!

- Et moi j’aurais attendu si longtemps de rencontrer l’amour de ma vie pour accepter qu’un obstacle aussi absurde se dresse sur ma route! De toutes les raisons avancées pour refuser une proposition de mariage, celle-ci est bien la plus stupide! Dis-moi seulement une chose, Lucy, pourquoi veux-tu adopter un enfant?

- Pour l’aimer! Et pour qu’il m’aime aussi. Je ne veux plus de l’existence stérile que j’ai menée jusqu’ici.

- Parce que tu n’avais pas de mari?

- Non, parce que je n’avais pas d’enfant. J’en veux un, maintenant que je suis assez jeune pour le rendre heureux, assez forte pour l’élever avec la fermeté dont il aura besoin. Si j’étais tombée amoureuse après l’adoption, cela n’aurait pas eu d’importance. Ma vie privée n’aurait plus concerné les services sociaux.

- Suggères-tu que nous attendions qu'on t’ait confié un enfant? Cela peut durer des années!

- Je ne suggère rien. Cela ne sera sans doute pas aussi long parce que je ne me suis pas montrée difficile à propos de l’âge et de la nationalité de l’enfant, cependant j’en ai peut-être encore pour un certain temps. Je ne te demande pas d’être aussi patient.

- Tant mieux, dit Bud avec brutalité, parce que je veux ma femme et ma famille tout de suite, à partir de cette minute.

Il l’attira contre lui pour enfouir son visage dans la longue chevelure odorante.

- Ma chérie, nous n’avons pas besoin de recommencer ces démarches en tant que couple marié, ou de nous inscrire sur une liste d’attente. Il nous suffit de faire cet enfant nous-mêmes.

A sa surprise horrifiée, elle éclata en sanglots déchirants avant de s’arracher de ses bras. Tournant vers lui un visage décomposé et ruisselant de pleurs, Lucy poussa un cri d’agonie:

- Mais Bud, je ne peux pas!

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11

- Si j’avais su, ma chérie, si j'en avais eu la moindre intuition, je n’aurais pas dit cela. Tu me crois?

Assis le plus près possible de la jeune femme, Bud avait posé sa jambe plâtrée sur un tabouret. Lucy hocha la tête. Le visage dissimulé derrière son épaisse chevelure noire, elle fixait sa tasse de chocolat.

- Je t'aime, poursuivait-il. Peu m'importe que nos enfants soient adoptés, je les aimerai tout autant.

Prenant un grain de raisin, il le porta aux lèvres de Lucy qui l’accepta pour lui faire plaisir mais refusa le suivant.

- J'aurais dû t’en parler, dit-elle en pleurant sans bruit. Je le voulais, mais chaque fois que je me décidais à le faire, quelque chose m’en empêchait. Je me disais qu’il était inutile que tu le saches puisque nous ne serions rien de plus que des amis. Et même si nous avions une aventure, tu te soucierais peu que je sois incapable d’avoir des enfants. Je craignais que tu me considères comme une femme incomplète...

- Tu es la seule que je souhaite épouser. Si tu avais pu avoir des enfants, j’en aurais été heureux... pour toi, parce que je sais combien tu le désires. Et je ne vois pas à quelle occasion tu aurais pu m’en parler plus tôt.

Les larmes ruisselaient le long des joues de Lucy et s’écrasaient une à une sur la table.

- Non. Je t'ai trompé sciemment. Si je t’avais dit la vérité, tu aurais pu ne pas m’aimer.

Il glissa le doigt sous le menton de la jeune femme pour la forcer à le regarder en face.

- Tu aurais pu, par exemple, m’écrire une lettre. « Cher monsieur Halloran, Au cas où nous nous rencontrerions et que vous décidiez de tomber amoureux de moi, je trouve correct de vous avertir que nos enfants ne pourront qu’être adoptés.»

Il secoua la tête avant de poursuivre.

- J’étais déjà à moitié fou de toi avant même de t’avoir vue. Je le suis devenu complètement lorsque tu as piétiné sous mes yeux ces délicieux gâteaux fourrés.

Elle esquissa un sourire un peu triste.

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- Ce n’est pas vrai.

- Bien sûr que si! Sur le coup, évidemment, je n’en étais pas conscient. J’ai commencé à m’en douter lorsque je t’ai vue au gymnase. A cet instant, je me suis senti fier de toi. Jamais auparavant je n’avais ressenti cet orgueil de propriétaire. Et toi, ma Lucy, quand es-tu tombée amoureuse de moi?

- A peu près au même moment, quand je t’ai vu mordre avec gourmandise dans le pâté que tu venais de me dérober.

- Le plus sûr moyen de gagner le cœur des femmes est donc d’apprécier leur cuisine... As-tu compris, alors, que je serais ton compagnon pour la vie?

Cette fois, Lucy eut un grand sourire.

- Non, je ne l’ai deviné que le soir de notre dîner chinois.

- Je ne m'étonne plus que la Chine soit aussi peuplée. Tu as failli me rendre fou en affirmant froidement que tu ne te sentais pas émue le moins du monde, alors que j’espérais être devenu un peu plus qu'un ami pour toi. Le lendemain soir, tu me faisais clairement comprendre que tu désirais avant tout offrir un foyer à tes enfants. J'ai craint que tu ne m'exclues de ta vie, en raison de mon existence nomade.

- Est-ce pour cela que tu t'es montré aussi maussade, les deux jours suivants?

- Exactement. Bois ton chocolat, mon amour, tu frissonnes.

Après avoir absorbé quelques gorgées, la jeune femme repoussa sa tasse. Les épaules courbées, elle resserra son peignoir autour de son corps. Bud n'avait pas l'air de comprendre que toute perspective d'avenir commun était exclue entre eux.

- Bud, commença-t-elle d'une voix douce, tu sais maintenant que je ne peux pas t'épouser.

- Mais pas du tout! s'exclama-t-il en frappant la table du plat de la main. Nous allons nous marier, puis nous referons ensemble des démarches d'adoption. Je ne suis pas Jack l'Éventreur, il me semble. Pourquoi n’accepterait-on pas ma candidature?

Comme elle ne répondit pas, il se pencha pour la prendre par les épaules et la secouer légèrement.

- Écoute-moi, ma chérie, nous allons nous marier le plus vite possible. Ensuite, qu’ils viennent m'étudier, qu’ils m'envoient leurs psychologues, qu'ils fouillent mon passé: je n'ai rien à me reprocher, excepté peut-être d'avoir administré un shampooing au manteau en vison de ma belle-mère dans un moment de colère... Oh, mon amour, tu n as pas envie d'être une mariée de juin?

La jeune femme se raidit.

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- J'en ai été une... autrefois. Excuse-moi, ajouta-t-elle. Je n'aurais pas dû dire cela.

- Tu as eu raison, au contraire. N’est-ce pas le moment de tout me raconter?

- Tu as le droit de savoir, soupira-t-elle, mais cela pourrait prendre un certain temps.

- Aucune importance! Nous ne sommes pas pressés, à moins que tu ne doives rentrer chez toi ce soir?

- Non. Lénore doit nourrir le chat. Je l’ai prévenue que je risquais de ne pas être rentrée de bonne heure.

Avec un petit rire gêné, Lucy raconta à Bud qu'ébranlée par les plaisanteries de Frank Mclvor, elle avait demandé à son amie de lui rendre ce service.

- Ton vieux monsieur n'est pas si stupide, conclut Bud. Il a comprit que n'importe quel homme doué d'un peu de raison refuserait de te laisser partir. Maintenant, mon amour, parle...

Elle tourna vers lui un visage blême aux yeux agrandis par l'angoisse.

- Est-ce que... nous pourrions retourner nous coucher? s'enquit-elle d'une petite voix. Je me sens en sécurité, près de toi.

Ému, Bud s'empara de ses béquilles. Bon sang! Pourquoi ne lui était-il pas permis de l’emporter dans ses bras jusqu’au lit, pour la garder à jamais?

Lorsqu’ils furent étendus, il ôta son peignoir marron et aida Lucy à retirer le blanc qu’elle portait.

- Peau contre peau et cœur contre cœur, ma chérie. Maintenant, nous sommes prêts.

La sentant trembler entre ses bras, il lui caressa les cheveux.

- Je connaissais Mike depuis toujours, commença-t-elle d’une voix étouffée. C’était mon meilleur ami...

Voici quel était l’un des souvenirs les plus vivaces de Lucy : elle avait quatre ans, presque cinq. Assise sur un petit tabouret, elle regardait sa mère pleurer à chaudes larmes. Ce spectacle inhabituel terrifiait la petite fille.

- Maman, que va-t-il arriver à Mike?

Gloria s’essuya les yeux de ses paumes pour regarder l’enfant. Elle la serra un instant contre elle avant de répondre:

- îl va s’installer avec nous, ma chérie. Il pourra dormir avec Jeff.

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- Mais il n’a plus de papa ni de maman. Ils ont brûlé dans la roulotte.

- Il nous a, mon bébé, il nous aura toujours.

Et quand Mike s’était éveillé du sommeil où l’avaient plongé les somnifères administrés par le médecin, tout s’était passé comme Gloria l’avait dit. Ils avaient continué la tournée et Mike vivait dans leur caravane. Très vite, Lucy avait oublié le temps où Mike ne faisait pas partie de la famille.

Les années avaient passé. Mike était un adolescent mince, rapide, aux yeux noirs et brillants; il avait un début de moustache. Il avait subi un entraînement rigoureux et, peu de temps après leur treizième anniversaire, il avait fait ses débuts. Elle le revoyait encore, chevauchant autour de la piste, sautant d’un cheval à l’autre ou se tenant debout sur un dos puissant tandis que les animaux magnifiques accéléraient l’allure, obéissant au claquement du fouet. C’était à cette époque que Lucy avait réalisé que Mike n’était pas son frère.

Lorsqu’ils avaient eu dix-huit ans, ils avaient fait équipe. Quand leurs mains se joignaient, en pleine voltige, elle sentait qu’ils étaient profondément unis. Un soir, il lui avait semblé que Mike lui prenait la taille d’une façon plus appuyée. Mais elle était encore trop jeune pour reconnaître l’instinct de possession qui animait son ami.

Elle l’avait appris l’année suivante, lorsque Mike avait envoyé un coup de poing à l’un des cavaliers de la jeune fille, qu’il jugeait trop entreprenant.

- Si tu touches encore à ma petite amie, Kowalski, je te tue.

Sa petite amie? Oui, bien sûr, elle l’était. A partir de cet instant, Lucy ne sortit plus avec un autre que lui.

Ils s’étaient mariés à vingt ans, innocents et effrayés, mais si amoureux qu’ils avaient surmonté leur soudaine et incompréhensible timidité pour se donner l’un à l’autre.

Pendant trois ans, ils s’étaient aimés, avaient grandi et mûri. Un jour, Mike avait annoncé:

- Je veux des enfants.

Comme Lucy le suppliait d’attendre un peu, il avait accepté de surseoir à son désir encore une année. A vingt-quatre ans, elle était prête.

Quand cela arriva, ils furent au comble du bonheur. Mais Lucy refusa de quitter son jeune mari pour passer sa grossesse chez sa grand-mère, comme ses belles-sœurs l’avaient fait.

Plus tard, elle se demanda si tout était arrivé par sa faute, ainsi que Mike le prétendait. L’accident aurait pu se produire n’importe où. Bien sûr, leurs déplacements continuels augmentaient les chances de rencontrer un jour un autobus aux freins déficients, mais il y avait des autobus un peu partout dans le monde. Sur le moment, d’ailleurs, Mike ne l’avait pas blâmée. Il l’avait au contraire aidée de toutes ses forces, volant à son chevet chaque fois qu’il le pouvait, tandis qu’elle luttait contre l’infection dans un hôpital du New Jersey.

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Elle avait perdu son enfant... Et puis, le médecin lui avait annoncé que pour lui sauver la vie, il devait l’opérer, ce qui signifiait qu’elle ne pourrait plus être mère. Mike était absent, elle avait dû prendre seule la décision. Avait-elle le choix? Elle voulait vivre!

Ensemble, ils avaient pleuré sur leurs rêves perdus, puis Lucy était partie en convalescence chez sa grand-mère. Elle s’était remise peu à peu, entourée de soins et d’affection. Un jour, Mike était arrivé, le visage ravagé, l’air profondément malheureux.

- Lucy, je veux des enfants... Des enfants de mon propre sang. Je t’aime. Je t’aimerai toujours. Mais je veux retrouver ma liberté.

Sans doute parce qu’elle ne voulait pas qu’il fût blâmé par la famille, la jeune femme y avait mis une condition: ils diraient que c’était elle qui voulait divorcer. Au début, cette rupture avait bouleversé tout le monde, mais ils s'étaient finalement inclinés. Mike avait continué de travailler avec eux tandis que Lucy était restée avec sa grand-mère. Peu à peu, elle avait oublié ses douleurs physiques aussi bien que morales. Elle avait appris la naissance du premier fils de Mike avec sérénité, et accueilli ce nouveau « neveu » comme les autres. Cela ne faisait pas aussi mal qu’elle s’y était attendue...

- Le lâche! grommela Bud. Mon amour, comment a-t-il pu t’infliger pareille blessure?

- C’est terminé, Bud. Tout cela appartient au passé. J'ai guéri, dans tous les sens du terme, et j’ai réintégré la troupe. Ma dernière petite nièce venait de naître quand j’ai décidé que je voulais des enfants. Je suis donc revenue ici pour m’y établir. Au bout de deux ans, je pouvais prétendre entamer la procédure d’adoption.

Bud attira la jeune femme contre lui et la berça.

- Et tu seras la plus merveilleuse des mères. Nous élèverons ces enfants ensemble, mon amour. Je t’aime tant!

- Ça ne marchera pas, déclara-t-elle en s’écartant de lui pour lui faire face. Tu m’as dit que tu étais fils unique, Bud, et le dernier du nom. Q arrivera-t-il lorsque tu te découvriras le besoin soudain de le perpétuer? Que se passera-t-il, quand tes parents apprendront qu’ils ne seront jamais grands-parents, du moins d’enfants de leur sang? Que leur diras-tu?

Il éclata d’un rire rassurant.

- Au cas fort improbable où l’un d’entre eux élèverait une objection, je lui dirais de se mêler de ses affaires. Mais cette éventualité est absurde, Lucy, parce qu'ils t’aimeront. Quant à moi, je ne me suis jamais beaucoup soucié d’introduire dans le monde un nouveau petit Halloran. J’aurais plutôt tout fait pour l’éviter... Jusqu’à maintenant? Or, à présent, je n’y accorde pas la moindre importance, parce que je t’aime.

Comme il se taisait, Lucy attribua son silence à la tristesse. Quoi qu’il en dît, le renoncement ne devait pas être facile... Levant une main timide, elle lui caressa la joue.

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- Je comprends... Plus que tout au monde j’aimerais avoir un enfant de toi, Bud. Mais contrairement à toi, j’ai eu le temps d’accepter la réalité. Il est encore trop tôt pour que tu réalises ce que ma stérilité signifie réellement pour toi. Un jour, comme Mike, tu voudras te libérer de moi pour rencontrer une femme qui soit capable de te donner cette part d’immortalité que tous les hommes recherchent.

- Non, affirma-t-il doucement. Je ne voudrais pas d’une liberté qui me priverait de toi. J’ai trente-cinq ans, ma chérie, pas vingt-cinq. Je suis Bud et non Mike. Fais-moi la grâce de ne pas m’assimiler à ce puéril petit égoïste.

- Eh! n’oublie pas que tu parles du plus jeune de mes frères! Je ne vous confonds pas, Bud. Je t’aime.

- Alors tu vas m’épouser et nous allons reprendre les démarches en tant que couple.

Baissant la tête, elle soupira.

- Quand j’ai entamé la procédure, je ne comptais pas quitter la troupe. Mais les assistantes sociales levaient toutes des sourcils horrifiés, secouaient la tête et s'exclamaient: «Un cirque, mademoiselle Gallagher! Un spectacle ambulant! Mais vous n'y pensez pas, voyons! Il n’est pas question de placer un enfant dans de telles conditions. Comment procéderions-nous aux enquêtes préliminaires? » J'avais beau leur dire que nous avions tous été élevés dans les mêmes conditions sans en pâtir le moins du monde, elles considéraient cette existence comme «anormale, et préjudiciable au développement de l’enfant ».

Bud avait posé la main sur la nuque de la jeune femme. Elle sentit son étreinte se resserrer.

- Lucy, qu’essaies-tu de me dire?

- Je veux te faire comprendre qu’elles présenteront les mêmes objections si le futur père est absent neuf mois sur douze et que la future mère compte l’accompagner en emmenant l'enfant. J'entends par là que ton mode de vie ne leur paraîtra pas plus convenable que le mien.

- Ah... Bon sang, Lucy, tu ne veux pas que j'abandonne la montagne?

- Non, mon amour, je sais que c'est impossible.

- Alors... Tu refuserais de m'épouser?

- Bud, ne me transforme pas en tortionnaire!

- Très bien, en ce cas, c'est moi qui prendrai la décision. Je renoncerai à l'alpinisme.

Comme il respirait péniblement, la jeune femme demanda très bas:

- Regarde-moi, mon amour, et redis-le-moi.

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Lentement, il tourna vers elle des yeux emplis de souffrance.

- Je le ferai, chérie, mais donne-moi un peu de temps!

- Bien sûr...

Attirant la tête de Bud contre sa poitrine, elle songea qu’ils avaient jusqu’au mois de septembre pour vivre un bonheur qui devrait lui suffire pour le reste de la vie.

- Je te veux, fit-il d’une voix rauque. Je veux t’entendre gémir sous moi et crier mon nom. Je veux me confondre avec toi à jamais...

- Oui... Aime-moi, Bud, aime-moi maintenant.

12

Quand Lucy s’éveilla, vers cinq heures du matin, les lueurs de l’aube doraient la pièce. Elle se sentait affamée. Pendant quelques minutes, elle resta blottie contre Bud, savourant ce premier réveil entre ses bras, après une nuit d’amour.

Poussée par la faim, elle finit par glisser hors du lit tout en prenant soin de ne pas le déranger. Incapable de retrouver son peignoir, elle emprunta celui de Bud et gagna la salle de bains. Après une douche rapide, elle revint dans la chambre pour s’assurer que Bud dormait encore, puis elle s’en fut vers la cuisine.

L’invisible femme de ménage avait pensé à tout. Dans le réfrigérateur, la jeune femme découvrit d’épaisses tranches de jambon, ainsi que des œufs et des tomates. Le congélateur contenait des petits pains surgelés qu’elle plaça aussitôt dans le four.

Pieds nus, Lucy vagabonda à travers la pièce. C’était vraiment une cuisine modèle, avec ses plaques chauffantes quasi invisibles, cette vaste surface de travail comportant un petit évier à légumes, une planche à couper, et tous les ustensiles à portée de la main. Celui qui l’avait conçue connaissait son métier.

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La jeune femme cassa les œufs dans un bol, puis elle les battit. Prenant ensuite les tranches de jambon, elle les déposa dans la poêle préalablement chauffée. La minuterie du four retentit alors, lui indiquant que les petits pains étaient prêts. Elle les disposa dans un panier avant de les recouvrir d’une serviette propre. Bientôt, l’arôme du café se répandait dans la pièce, se mêlant agréablement à l'odeur appétissante du jambon frit. Elle fit glisser dessus son omelette, à laquelle elle ajouta du sel et du poivre.

- Pardon, madame, avez-vous oublié que nous sommes mardi?

Se tournant vivement, elle aperçut Bud, sur le seuil. Il n’avait pas pris la peine de chercher le second peignoir...

- Je sais!

- En ce cas, qu'est-ce que je sens, en plus du pain frais? s’enquit-il en soulevant la serviette qui dissimulait les petits pains. Puis-je également vous faire remarquer qu'il n’est que cinq heures du matin?

- Je n’ai pas dîné, expliqua Lucy.

Après avoir partagé avec équité l'omelette au jambon, elle posa deux assiettes sur la table.

- Où sont les couverts?

Bud lui désigna un tiroir du bout de sa béquille. La jeune femme y prit ce qu'il lui fallait, puis elle remplit deux tasses de café et déposa le beurre sur la table.

- Ai-je oublié quelque chose? murmura-t-elle pour elle-même.

Prudemment, Bud lui glissa la main autour de la taille.

- Oui, il manque un baiser!

Lorsqu’elle le lui eut donné, il s’effondra sur la chaise la plus proche.

- Ouf! Je ne suis pas habitué à être embrassé debout! Cela m’étourdit.

- Je ne suis pas non plus habituée à embrasser des hommes nus et debout, répliqua-t-elle. Cela m’étourdit. Pourquoi n'as-tu pas enfilé un peignoir?

- Tu as raison, répondit-il aimablement avant de lui ôter celui qu'elle portait pour s'en couvrir.

Poussant un cri amusé, Lucy se précipita vers la chambre où elle retrouva son peignoir blanc, dissimulé sous un amoncellement de couvertures.

Ils mangèrent de bon appétit. Comme elle se levait pour débarrasser, Bud lui prit la main.

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- Laisse cela, j'ai d'autres projets...

Baissant les yeux, elle croisa un regard gris où couvait une flamme qu'elle commençait à connaître. Sans un mot, elle se dirigea vers la chambre, abandonnant le peignoir blanc dans son sillage pour s’étendre sur le lit. Bud la rejoignit quelques secondes plus tard et s’étendit contre elle. Il aimait sentir son corps sous le sien, sa respiration haletante qui soulevait ses seins menus, ses longues jambes qui lui entouraient le torse lorsqu’il s'emparait d'elle. Il leur restait si peu de temps pour s’abandonner au feu si nouveau et si puissant qui les brûlait tous les deux...

- Je t’en supplie, Lucy, murmura-t-il, longtemps après. Épouse-moi...

- Je t'en prie, Bud, profitons de ce qui nous est offert jusqu’en septembre. Ce temps nous appartient, mon amour. Ensuite, tes montagnes te reprendront, et moi j’aurai mes espoirs et mes rêves.

- Je voudrais tant que...

- Moi aussi, mais nous devons affronter l'idée que c'est tout ce que nous aurons. Alors, profitons-en.

Poussant un long soupir, il la reprit dans ses bras. Lucy avait raison. Pour l’instant, l’avenir restait flou. En septembre, il aurait à prendre sa décision.

Le soleil brillait haut dans le ciel quand Lucy ouvrit une seconde fois les yeux. Penché au-dessus d’elle, Bud lui souriait.

- J’ai une question importante à te poser, commença-t-il.

- Oui?

- Est-ce que c’était vrai?

- Quoi donc?

- Ce que cette vieille dame a dit. Que je suis deux fois plus grand et beaucoup plus beau?

Elle éclata d’un rire joyeux.

- Absolument, affirma-t-elle.

L’attirant contre elle, elle l’embrassa longuement avant de poursuivre:

- Et mon amour pour toi est totalement différent de ce que j’ai éprouvé pour lui. Il est plus fort, plus intense, plus mûr.

Bud eut un sourire en coin.

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- Je ne t’en demandais pas tant.

Lucy lui administra une petite tape sur le nez.

- Menteur!

- Comment ai-je fait mon compte pour rencontrer une jeune personne aussi perspicace?

- Je n’en sais rien, mais elle est prête à accueillir toutes les preuves de ta reconnaissance.

- As-tu l’intention de retourner un jour à Newport?

- Newport? Où est-ce?

Newport avait changé. Le pont suspendu était infiniment plus gracieux qu’auparavant. Ses câbles étincelaient au soleil comme une dentelle d’argent et les flots rutilaient sous ses arcs harmonieux. Les barques de pêche semblaient plus colorées, les hors-bord plus rapides et les yachts plus élancés. Le cri perçant des mouettes fendait l’espace avec plus d’acuité, l’air était plus salé, la nourriture meilleure, et le ciel nocturne protégeait Lucy et Bud, tel un dôme constellé d’étoiles.

Ils retournèrent souvent à Portland. Une première fois pour se rendre dans le restaurant de luxe dont rêvait Bud, une seconde lorsqu’on lui retira son plâtre, puis chaque fois qu’ils désiraient échapper à la foule de touristes qui se pressaient à Newport pendant le week-end. La maison de Bud leur offrait alors un havre de paix, avec ses hauts murs, son portail verrouillé et sa piscine bleue.

Dès que sa jambe fut rétablie, Bud ramena sa propre voiture à Newport, serrant de si près la camionnette de Lucy pour ne laisser aucun véhicule se glisser entre eux qu’il faillit la rendre folle.

Comme Bud recouvrait peu à peu ses forces, ils firent de longues promenades sur la plage, tôt le matin et tard le soir, quand ils n’exploraient pas la région. Charlie les accompagnait quelquefois et Bud relâcha sa surveillance à mesure que Lucy et lui devenaient amis.

Mais ils passaient la plupart de leur temps ensemble, s’aimant, riant, jouant. C’était une véritable lune de miel, songea Lucy un dimanche après-midi de la fin juillet. Bud observait l’empreinte de leurs pas sur la dune.

- Nous avons gravé notre sceau sur le monde, mon amour.

Il se pencha pour tracer un énorme cœur sur le sable, puis il se précipita vers elle et l’emporta dans ses bras afin de la déposer au milieu du dessin.

- Tu es prisonnière de mon cœur! déclara-t-il avec emphase.

- Je ne le nie pas, murmura-t-elle en se blottissant contre son torse.

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Elle se demandait quelle serait la décision ultime de Bud, tout en étant persuadée qu’il n’y en avait qu’une qui soit possible... Et ce serait la fin.

Un autre jour, ils étaient assis sur un rocher, regardant, malgré la pluie, des otaries qui s’amusaient dans une crique, un peu plus bas. Mères et bébés se bousculaient, roulaient, se culbutaient dans l’eau au milieu de gerbes étincelantes. Comme Lucy poussait un long soupir, Bud bondit sur ses pieds.

- Viens! fit-il d’une voix rogue. Nous sommes stupides, de rester ainsi immobiles sous l’averse.

Mais tous deux savaient que le mauvais temps n’était pour rien dans leur fuite. Après tout, il leur restait encore presque tout le mois d’août. Pourquoi gaspiller ces heures précieuses en discussions inutiles?

Un jeudi soir, en rentrant de sa tournée de distribution, Lucy aperçut dans son allée une Mercedes vert sombre. Comme elle pénétrait dans la maison, un bruit de voix lui parvint, provenant du sous-sol. Elle se dirigea vers l’escalier.

- ... trois fois plus lourd que ce que je pouvais porter il y a seulement un mois, expliquait Bud. Ce mini-gymnase est extraordinaire, vous ne trouvez pas? Évidemment, les Gallagher sont obligés de se maintenir en forme, entre deux spectacles. Si je n’avais pu en disposer, j’ignore comment j’aurais pu être prêt en septembre.

Ainsi, il avait pris sa décision, songea la jeune femme en descendant les marches, le cœur serré. Bud était étendu sur une planche rembourrée sur laquelle il exerçait sa jambe à soulever des poids.

- Ah, chérie! s’exclama-t-il à sa vue. Je te présente mon père et ma belle-mère, Greg et Patty Halloran.

Lucy réussit à patienter un quart d’heure sans trahir la souffrance qui la déchirait, puis elle suivit Bud dans leur chambre et attendit qu’il sortît de la douche.

- Bud! Ils savent que tu habites ici et non chez Charlie! fit-elle d'un ton empreint de reproche.

D'un mouvement vif, il passa sa serviette autour d'elle pour l'attirer contre son corps humide.

- Bien sûr. Il ne fallait pas? Cela t'ennuie, ma chérie? Je veux dire... Nous n'avons pas exactement caché notre amour. Nous sommes allés partout et...

- Jusqu'à maintenant, nous n'avons tout de même pas étalé notre vie privée! Bud, tu ne comprends donc pas combien l'enjeu est important pour moi?

S'écartant brusquement d'elle, il enfila un short.

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- Je le sais parfaitement, répliqua-t-il avec une patience exagérée. Comment pourrais-je l'oublier puisque tu me le rappelles sans cesse?

- Tu es injuste! Est-ce que tu négliges toi-même ton but? Tu passes chacun de tes moments de loisir dans ce gymnase.

- Parce que tu n’es jamais là, rétorqua-t-il sèchement.

- J’ai un métier, des engagements envers mes clients...

- Exact. Tu te dois à tout le monde, excepté à moi.

- Tu n’as pas le droit...! s’écria-t-elle sans se soucier d’être entendu de ses hôtes. J'ai accepté ma clientèle avant de te rencontrer. En revanche, tu n’as renoncé à rien par ma faute. J’ai entendu ce que tu disais, Bud. Sans ce gymnase, tu n’aurais jamais été prêt en septembre. Tu as pris ta décision, que tu en sois conscient ou non!

- C’est faux, je ne l’ai pas encore prise! Bon sang! La montagne est toute ma vie, et toi aussi! Lucy, comment en sommes-nous arrivés là?

La jeune femme s'assit au bord de la baignoire, le visage enfoui dans les mains.

- Je ne sais pas... Mais chaque fois que je te vois t’exercer, devenir plus fort, je sens l’échéance se rapprocher. Cela me fait si mal que j’ignore si je pourrai le supporter davantage.

- Tu veux que je m’en aille?

- Non, mais peut-être faudra-t-il en arriver là si nous gâchons nos dernières heures par des disputes. Mieux vaut nous séparer sur de bons souvenirs.

- Non! Nous ne nous heurterons plus, mon amour. Au contraire, nous serons si tendres l’un pour l’autre que nous ne garderons que le meilleur.

Hochant la tête, Lucy s’abandonna à ses baisers...

A son grand soulagement, Greg et Patty ne semblaient pas avoir perçu les échos de leur affrontement. Ils rentrèrent à la maison une demi-heure plus tard, ravis de leur promenade sur la plage.

Pendant le week-end, Lucy sentit quelle avait trouvé en eux de vrais amis, indépendamment de ce qui pouvait survenir entre elle et Bud.

Le samedi après-midi, tandis que Bud et son père étaient partis sur le port afin de ramasser des crabes frais pour le dîner, Patty observait Lucy qui préparait une salade.

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- Vous savez, dit-elle soudain, je n’avais jamais vu Bud amoureux, auparavant. Je ne crois pas que vous aurez à lutter beaucoup pour l’arracher à ses montagnes.

- Je ne veux pas faire une chose pareille.

- Vous n'allez pas l’épouser? s’étonna Patty.

- C’est mon plus cher désir...

Abandonnant soudain toute réserve, elle raconta son dilemme à sa nouvelle amie.

- Mes pauvres enfants! conclut tristement celle-ci. Quoi qu’il en soit, il y a au moins un aspect de la question qui ne doit pas vous inquiéter. Greg a quatre frères, qui sont eux-mêmes pères et grands-pères de dix-huit fils et petits-fils. Greg et moi avons choisi de ne pas avoir d’enfants. Si nous avions voulu nous assurer une dynastie, nous n’aurions pas laissé ce soin à Bud. Aussi, vous pouvez être sûre que vous ne nous priverez de rien, ajouta-t-elle en serrant la jeune femme dans ses bras.

- Merci, Patty.

- Ne me remerciez pas, mais appliquez-vous à trouver une solution. Tout problème en a une.

Mais Lucy savait que, sur ce point, Patty se trompait.

Bud partit juste avant la fête du Travail. Il avait fait ses bagages en l’absence de la jeune femme pour lui épargner cet instant douloureux, ne la laissant dans la chambre que ce qui lui était strictement nécessaire. Déjà, la maison semblait vide.

Cette nuit-là, Lucy ne parvint pas à s’endormir. Serrée contre Bud, elle passa ces dernières heures à retenir ses larmes tout en discutant tranquillement avec lui des moments heureux qu’ils avaient vécus ensemble. A l’aube, il se leva et s’habilla sans la quitter des yeux. Fourrant ses derniers vêtements dans un sac de voyage qu’il pendit à son épaule, il se pencha pour effleurer le front de Lucy des lèvres, puis il disparut.

Pendant ce week-end de fête, la jeune femme se lança dans un déploiement d’activité débridée. Traditionnellement, la population locale organisait à cette occasion un énorme festin, composé de crabes, de coquillages et de poissons. Elle y travailla avec ses voisins tout le samedi, puis elle participa à la soirée, envahie par une étrange sensation d'irréalité. Elle parvint même à danser avec Charlie, qui se garda bien d'évoquer son ami.

Puis la rentrée survint. Les estivants s’en allèrent, fermant derrière eux portes et volets. Certains d’entre eux retinrent les services de la jeune femme pour l’année suivante, et elle accepta, toujours engourdie, refusant de savoir qu’une nouvelle année s’étendait devant elle. Ensuite, le silence s’abattit sur la région. L’école rouvrit ses portes, ainsi que le gymnase. Mlle Takai, Frankie, les Johnson et les May emplirent de nouveau ses journées... mais non ses nuits. M. May mourut et sa femme partit pour une maison de retraite, à Seattle. Lucy ne chercha pas à les remplacer. Cela n’avait plus d’importance. Rien n’avait d’importance,

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d’ailleurs.

Ce fut pendant la première semaine de décembre qu’elle fut contactée par les services sociaux.

- Lucy? J’ai la joie de vous annoncer que nous avons un garçon pour vous. Il est âgé de deux ans; c’est le fils d’une Indienne et d’un Chinois. Il est adorable, vous verrez! Il aurait été adopté dès sa naissance, si sa mère n’avait pas refusé de signer les formulaires d’abandon. Je suis sûre que vous l’aimerez au premier coup d’œil. Il s’appelle Larry.

La jeune femme s’effondra sur le canapé. La longue attente avait pris fin. On lui donnait un enfant à aimer. Un jour, Larry aurait des frères et sœurs, la maison retentirait de cris et de rires. Une ère nouvelle s’ouvrait à elle.

En ce cas, pourquoi ne se sentait-elle pas plus exaltée?

- Lucy, vous êtes là?

- Je suis là... Puis-je vous rappeler dans la matinée? Pour l'instant, je suis sous le choc, je ne sais pas ce qui m’arrive...

En prononçant ces mots, elle éclata en sanglots. La voix de son interlocutrice lui parvint, pleine de sollicitude :

- Bien sûr, Lucy. Reposez-vous, ensuite nous discuterons. Prenez votre temps, je vous en prie. Vous verrez, tout va bien se passer.

En dépit de ces bonnes paroles, cela ne s’arrangea pas. Après avoir passé plusieurs heures à sangloter, Lucy dormit un peu. Au réveil, elle appela les services sociaux. Après avoir raccroché, elle forma un autre numéro d’un doigt tremblant.

- Charlie...? Comment se rend-on dans cet hôtel du Montana?

Charlie ne parut pas surpris mais simplement content.

- C’est tout simple. D’abord, vous prenez l’avion jusqu’à Helena...

- Oh! Vous êtes Lucy Gallagher, n’est-ce pas?

La jeune femme sourit à la petite fille qui la contemplait, assise derrière le comptoir de la réception. Elle semblait être l’unique habitante du grand hôtel perdu au milieu d’une immensité neigeuse, au pied des rochers.

- Oui, mais comment le sais-tu?

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- A cause du portrait qui se trouve sur la commode de Bud. Comme j’aide maman à faire les chambres, je le vois chaque jour. Vous êtes venue pour voir Bud?

- Oui. Il est là?

- Il est là-haut, dit la petite fille en désignant la façade lisse du glacier qui s’élevait au-dessus du bâtiment. Lui et mon papa grimpent avec des amis, aujourd’hui. Vous faites de l’alpinisme, vous aussi?

- Non...

Elle ne pouvait détourner les yeux du glacier. Il lui paraissait si froid, si traître, si dangereux... Un faux pas, et...

- Pourquoi? demandait la petite fille. Bud nous a dit que vous étiez la meilleure trapéziste du monde, les hauteurs ne doivent pas vous effrayer?

- Je ne sais pas. Peut-être essaierai-je, conclut-elle en s’étonnant de ce que Bud ait fourni tant de détails à l’enfant. Comment t’appelles-tu?

- Amanda Jane Catherine Schultz.

Une jeune femme potelée fit irruption dans le hall de réception.

- Amanda! Comment oses-tu laisser cette jeune dame debout et sa valise à la main, pendant que tu bavardes! Je suis désolée, mademoiselle... Oh! Mais Bud ne nous avait pas prévenus...

- Bud n’est pas au courant. Vous êtes madame Schultz, je suppose?

- Je suis Catherine Schultz. Donnez-moi votre sac. Est-ce tout ce que vous avez apporté? Je vous conduis dans le chalet de Bud?

L’espace de quelques secondes, Lucy hésita.

- Oui, s’il vous plaît. Quand sera-t il de retour?

- Oh, avant la nuit! Ils sont en train de tester la glace, car nous attendons un groupe d étudiants pour le week-end.

A une centaine de mètres du bâtiment principal, Catherine Schultz laissa Lucy devant la porte d’une maisonnette de bois, blottie au milieu des arbres.

- Je suis très heureuse que vous soyez venue, Lucy. Hans et moi connaissons Bud depuis des années. Ces derniers mois, nous étions très inquiets de le voir si malheureux. Sans doute l’étiez-vous aussi? ajouta-t-elle en souriant.

- Oui, murmura Lucy, la gorge serrée.

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Demeurée seule dans le minuscule chalet, elle se posta derrière la fenêtre et attendit. Enfin, son cœur battit plus vite. Cinq hommes descendaient de la montagne en skiant. L’un d’eux se détacha du groupe pour se diriger vers elle.

Tremblante, la jeune femme recula. Bientôt, Bud ouvrit la porte qui se referma derrière lui avec un bruit sec. Il frappa des pieds sur le seuil pour débarrasser ses bottes de la neige qui y collait encore, puis il retira ses moufles et les jeta par terre. Son visage bronzé était creusé par la fatigue.

Lucy émergea de l’ombre.

- Bonjour, fit-elle.

Le sac à dos de Bud tomba lourdement sur le sol.

Il la contempla pendant un long moment avant d’avancer d’un pas.

- Pourquoi es-tu venue? s’enquit-il d’une voix douce.

- Pour te demander de m’épouser.

Défaisant le haut de sa combinaison, il le laissa glisser sur le parquet, puis il extirpa ses jambes du pantalon humide.

- Pourquoi ? demanda-t-il enfin.

Elle avala péniblement sa salive. Il paraissait si distant, si différent! Peut-être la photographie posée sur sa commode ne signifiait-elle rien?

- Parce que j'ai besoin de toi.

- Non. Tu as besoin d’enfants.

- Pas autant que de toi.

- Est-ce que tu en es bien sûre, Lucy? Parce que si tu as le moindre doute...

- Je n’en ai aucun. Ils m’ont offert un enfant, hier... J’ai refusé.

- Pourquoi?

- Parce que sans toi, il n’est plus de joie. Je n’ai rien ressenti, quand on m’a annoncé cette nouvelle. Depuis le vingt-neuf août à cinq heures trente du matin, très exactement, je suis morte, vide... Et si tu ne veux plus de moi, je ne sais pas ce que je deviendrai. Sans toi, ma vie...

- Arrête, mon amour!

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Soudain, elle fut enveloppée par des bras forts et chauds. La voix de Bud exprimait une telle tendresse que le malheur s’écarta à jamais. Leurs visages se frôlaient, humides de larmes ou de neige. Peu importait. Ils étaient ensemble, ils s’aimaient...

Bud écarta les coussins qui lui cachaient le visage de Lucy.

- Ma chérie? Tu as rencontré Catherine et Amanda, je suppose. Elles te plaisent? Et comment trouves-tu l’hôtel?

- Tes amies sont merveilleuses. J’ai aimé Catherine dès que je l’ai vue, et j’adore cet endroit.

- J’en étais sûr! s’exclama-t-il en ouvrant un tiroir de la table de nuit pour en sortir une liasse de papier. C’est avec cela que je compte te persuader de rester ici.

- C’est moi qui suis venue, tu t’en souviens?

Il déposa un baiser sur les lèvres de la jeune femme.

- Tu ne m’as battu que de trois jours. Je m’apprêtais à te rejoindre, Lucy.

Il lui déposa la liasse entre les mains avant de poursuivre :

- Avec ça... Et si tu ne t’étais pas laissée convaincre, ma vie n’aurait plus eu aucun sens. J'attendais simplement d’avoir le feu vert du notaire. C’est à toi, mon amour, lis-le.

Les yeux brouillés, Lucy parcourut un texte où elle ne reconnut que le nom de Bud et le sien, non loin de ceux de Hans et Catherine Schultz. Comprenant peu à peu la signification des mots qui dansaient devant elle, elle parvint à la dernière page. Parmi les signatures qui y étaient apposées, se trouvait celle de Bud.

- Non..., souffla-t-elle. Bud, non...

- Si. Nous possédons l'Hôtel du Glacier, Lucy, et comme la plupart des propriétaires, nous sommes endettés jusqu’au cou. J’ai vendu ma maison de Portland, ce qui a constitué un bon apport initial. Les Schultz tiennent à s'en aller. Dans un an ou deux, Amanda ira au lycée. D’ici là, ils veulent être installés en ville.

- Mais...

- Laisse-moi terminer. L’hôtel t’appartient pour moitié, tu ne peux rien y changer. Même si tu choisis de partir gagner ta vie ailleurs pendant que je monte mon école d’alpinisme, tu resteras mon associée. Mais à mon avis, nous pouvons gérer cette affaire ensemble et élever ici nos enfants.

Pour la première fois depuis qu’il avait commencé à parler, l’incertitude assombrit le visage de Bud.

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- Pourtant, mon amour, si cet endroit ne te plaît pas, nous pouvons le vendre et essayer de nous installer ailleurs. Mon seul désir est de vivre auprès de toi. Cependant, si je pouvais avoir une montagne ou deux sous mes fenêtres...

- Cet endroit me plaît, au contraire! Pourtant, Bud... Je t’aime trop pour te laisser faire ce sacrifice. Et ton équipe? Et l’Everest?

- N’y pense plus. J’ai déjà accompli ce que peu d’alpinistes ont eu l’occasion de faire: j’ai gravi l’Everest une fois. Il me reste une cime a conquérir, la plus haute, mais seulement si tu es à mes côtés. Lucy, es-tu prête à m’accompagner? Chaque jour, jusqu’à la fin de la vie?

Rejetant la tête en arrière, elle discerna la flamme argentée qui dansait derrière les cils épais. Comme elle souriait, Bud vit le soleil allumer des paillettes d’or au fond des yeux noisette.

- Chaque jour, jura-t-elle, jusqu’à la fin des temps.

Fin