l'homme du dÉsert -...

105

Upload: others

Post on 10-Aug-2020

56 views

Category:

Documents


16 download

TRANSCRIPT

Page 1: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi
Page 2: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

L'HOMME DU DÉSERT

Susan Stephens

HARLEQUIN : Passions

Résumé

« Je suis le prince Razi al Maktabi... » Il faut quelques instants à Lucy pour prendre conscience de la signification de ces quelques mots et, surtout, pour comprendre qu'il ne s'agit malheureusement pas d'une plaisanterie. En effet, le mystérieux amant en compagnie duquel elle a passé d'incroyables moments, et dont elle porte maintenant l'enfant, n'est autre que le célèbre prince et play-boy Razi al Maktabi. Un homme riche, influent et inaccessible. Un homme sur le point d'en épouser une autre...

Page 3: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Prologue

— Votre café, monsieur.

Reposant la revue qu’il venait de prélever sur le bureau de sa secrétaire, Razi al Maktabi adressa un remerciement machinal à la seule femme qui sache lui préparer son café.

« Plus sombres que la nuit, et deux fois plus dangereux », voilà en quels termes le magazine les décrivait, son frère et lui !

Il en souriait encore cinq minutes plus tard, en refermant derrière lui la porte de son bureau.

Ces médias, tout de même ! Ils ne trouvaient jamais assez d’horreurs à débiter sur Ra’id et lui.

Le téléphone à la main, il se planta devant la vaste baie vitrée de son bureau et contempla le ruban argenté de la Tamise dont le flux perpétuel l’apaisait.

Sur la rive opposée s’élevait le Parlement et, derrière lui, c’était le bureau raffiné du P.-D.G. de Maktabi Communications, l’agence qu’il avait hissée au niveau international. Pourtant, son avenir n’était pas ici. Son avenir, c’était le trône Phœnix de l’île de Sinnebar.

Mais avant d’endosser la responsabilité de son royaume du désert, il désirait organiser une dernière rencontre avec ses vieux copains d’études.

L’article du magazine contenait une part de vérité, songea-t-il tandis qu’il attendait que son ami, Tom Spencer-Dayly, daigne décrocher son téléphone. Le cheikh Ra’id al Maktabi, son frère aîné, était aussi impitoyable que les journalistes le décrivaient, et il avait de bonnes raisons pour ça. Leur père ayant dispersé sa semence avec largesse dans tout le Midwest américain, il existait de nombreux prétendants au trône Sapphire de Ra’id. Son aîné avait donc été amené à diriger la partie continentale du royaume de Sinnebar d’une main de fer, y gagnant le surnom d’« Épée de la vengeance » de la part d’amateurs de cinéma hollywoodien. Les journalistes n’oubliaient qu’un détail : Ra’id aurait donné sa vie pour son peuple. De plus, il avait rendu l’enfance de Razi supportable et s’était battu pour qu’il partage les mêmes droits que lui...

— Que t’arrive-t-il, espèce de bandit ? grommela enfin une voix ensommeillée.

Le visage de Razi s’éclaira en entendant la voix de son meilleur ami. Il lui exposa les grandes lignes de sa proposition.

— Les paparazzi te traquent ? demanda Tom Spencer-Dayly avec ironie.

— Pas plus que ça. Non, j’ai juste envie que nous passions une semaine ensemble avant de rejoindre mon trône. Une sorte d’adieu à mon insouciance, si tu veux.

Il y eut un silence.

Tous deux connaissaient le sérieux de la tâche qui l’attendait. Dès qu’il serait proclamé cheikh souverain de l’île de Sinnebar, il ne devrait plus songer qu’au bien-être de son peuple.

— Je suis heureux d’endosser cette responsabilité, Tom, tu sais.

— Je sais, grommela son ami. C’est terrible, ajouta-t-il, je ne peux pas ouvrir un journal sans tomber sur ta sale bobine qui me dévisage ! Justement, j’ai la presse matinale sous la main...

Razi sourit.

Page 4: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Tom était capable de sérieux, mais aujourd’hui il désirait visiblement alléger l’atmosphère.

— Écoute, juste un exemple...

On entendit un froissement de pages que le majordome de Tom avait sans aucun doute soigneusement repassées d’abord.

— « Le prince play-boy sera-t-il aussi convaincant aux commandes de l’île de Sinnebar qu’à celles de Maktabi Communications ? »

— Oui, j’ai dû lire ça quelque part, Tom, coupa Razi avec indifférence.

— Partout, ils disent que tu représentes un véritable danger pour les femmes.

— Le travail est ma seule passion.

Et, désormais, il mettrait ses talents au service de son pays.

— Et les femmes ? insista son ami.

— Je n’ai personne en vue.

Tom s’esclaffa.

— Ça ne saurait durer ! Cette journaliste vous décrit, Ra’id et toi, comme des « tas de muscles raffinés ».

— Oui, j’ai bien aimé, reconnut Razi, succombant à la bonne humeur de Tom. N’a-t-elle pas été jusqu’à prétendre que nous étions des combattants et des amants d’une vigueur sans égale ?

— Parlerait-elle d’expérience, par hasard ?

— Voyons, aurais-je rencontré une jeune personne assez audacieuse pour prendre des notes pendant que je lui faisais l’amour ? Pas que je me souvienne...

Tom continua sa lecture.

— D’après cette journaliste, ce sont le regard pénétrant de Razi al Maktabi et son physique avantageux sous les costumes des meilleurs tailleurs londoniens qui lui confèrent son charme irrésistible.

Razi hocha la tête, blasé.

Son physique résultait d’un mélange entre Moyen-Orient et Angleterre. Ses yeux verts contrastaient avec la chevelure de jais et le teint doré hérités de ses ancêtres bédouins. On disait qu’il avait les yeux et les lèvres de la courtisane européenne qui avait ensorcelé son père. La même courtisane qui l’avait abandonné aux mains des nurses que les officiels de la cour jugeaient bon d’engager...

Mais cela était une autre histoire. Il avait dépassé ce stade, le passé ne l’intéressait pas. Pas plus que briser des cœurs pour se venger de son enfance délaissée. Au contraire, il aimait les femmes et leur conservait son amour malgré leurs nombreuses tentatives pour le prendre au piège du mariage.

— Assez ! s’exclama-t-il alors que Tom commençait à lire un autre article. Tu viens skier avec moi, oui ou non ?

Comme prévu, son ami accueillit la proposition avec enthousiasme.

Parmi tous ses biens, Razi possédait une agence de location de chalets qu’il conservait pour le plaisir, changeant de station chaque année, à la fois pour tester le confort des installations et pour dérouter les journalistes. Y avait-il une meilleure façon de célébrer la vie et l’amitié que de faire un dernier séjour dans les montagnes avec ses amis avant de rejoindre son trône ?

Tom éclata d’un rire bref.

— Si nous voulons être tranquilles côté femmes, il faudra nous mettre un sac sur la tête.

Page 5: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— On réussira bien à se fondre dans la foule,

— Tu crois ça ?

— C’est un séjour exclusivement masculin. Il n’y aura pas une seule femme en vue, je t’assure.

— Avec toi dans les parages, je trouve ça difficile à croire, très cher, dit Tom avec cet accent distingué qui faisait toujours sourire Razi. Comment comptes-tu t’y prendre pour les tenir à l’écart ?

— Ça, c’est ton boulot, Tom !

Razi appréciait ce retour à l’humeur facétieuse de leurs années de lycée, puis, plus tard, de celles qu’ils avaient passées dans les Forces spéciales.

— Tu as toujours su me défendre, reprit-il. Veille à mes arrières.

— Et si c’est une attaque frontale ?

Razi eut un sourire de joyeuse anticipation en pensant à toutes les jolies femmes attendant d’être séduites.

— Dans ce cas, attends mon signal pour intervenir.

Page 6: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

1

La liste des hôtes de la semaine dans sa main crispée, Lucy Tennant regardait fixement le feu de pommes de pin qu’elle venait d’allumer et qui répandait une bonne odeur aromatique.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? s’enquit Fiona, sa collègue de l’équipe d’élite de l’agence de location de chalets. Il s’agit de clients ennuyeux ?

— Non, pas particulièrement, répliqua machinalement Lucy.

Si peu de temps s’était écoulé depuis qu’elle avait sauté de joie en ouvrant la lettre l’informant qu’elle avait été élue hôtesse de marque par ses employeurs et ses collègues réunis !

On reconnaissait à présent sa valeur. Dommage que, en même temps que cette lettre, lui soit parvenue la liste de ses hôtes de la semaine accompagnée de leurs souhaits.

Cette lecture lui avait ôté tous ses moyens.

M. Tom Spencer-Dayly : pas de requête particulière.M. Sheridan Dalgleath : son porridge devra être salé, et on ne lui servira que du bœuf de race

Aberdeen Angus.M. William Montefiori : exclusivement des pâtes fraîches.M. Théo Constantine : du champagne. De marque, et en quantité.M.X:Pour une raison inconnue, la plage blanche suivant la mystérieuse initiale lui avait arraché un

frisson d’appréhension.

Il y avait aussi une note annonçant que deux gardes du corps accompagneraient le groupe : Omar Farouk serait logé au dernier étage, tandis qu’Abu Bakr prendrait la petite chambre du rez-de-chaussée, en face de la salle de séchage des affaires de ski.

Pour s’offrir le luxe d’un tel niveau de sécurité, ces personnes devaient appartenir à la haute société.

Bien sûr, elle avait l’habitude que les nouveaux arrivants expriment leurs souhaits, et elle éprouvait toujours un peu d’anxiété avant de les accueillir, redoutant de ne pas combler leurs attentes. Pourtant, elle ne s’était jamais sentie aussi mal à l’aise qu’aujourd’hui.

S’efforçant au calme, elle relut soigneusement la liste.

Il n’y avait là aucune exigence déraisonnable. Cette constatation aurait dû la rassurer. Mais cela n’en fit rien.

Elle tenta de se raisonner.

Gérante d’un chalet particulièrement luxueux d’une des stations de sports d’hiver les plus cotées d’Europe, elle se frottait depuis un certain temps aux puissants de ce monde. Et à la satisfaction générale, semblait-il.

En réalité, comparé à la plupart des groupes, celui-ci était plutôt restreint. Cela laissait présager

Page 7: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

une bande de jeunes gens impatients de profiter de la moindre clarté pour sillonner les pistes, et il était probable qu’elle ne les verrait qu’aux heures des repas. Il leur faudrait essentiellement de la nourriture en abondance, beaucoup d’eau chaude et de serviettes propres, et une provision inépuisable de liquides réconfortants pour leur retour au chalet.

Il ne devrait rien y avoir là qui la dépayse, gratifiée de six frères comme elle l’était. Quant à cet homme qui préférait garder l’anonymat, il avait pour ça des raisons qui ne la regardaient pas.

Non, rien de tout ça ne dépassait ses compétences. En fait, c’était la note de bas de page qui avait déclenché son inquiétude.

« Si quelqu’un peut se débrouiller avec ce groupe, Lucy, c’est bien vous. »

En d’autres termes, si ces clients se révélaient plus exigeants et difficiles que la moyenne, elle serait mieux à même d’éviter des histoires. Parce que, sa directrice le savait, Lucy Tennant n’était pas seulement un chef cuisinier de valeur, mais aussi une fille calme et douce qui travaillait avec diligence sans jamais se plaindre...

Bref, elle avait le sentiment tenace qu’on lui cachait quelque chose.

Écartant une pittoresque chaise de bois sculptée, elle repoussa pensivement les rideaux de vichy rouge cerise pour regarder par la fenêtre.

Ça semblait un crime de ne pas profiter de cette belle journée montagnarde.

Elle se secoua.

Allons, même si la lumière si pure du climat alpin poussait à sortir au grand air, l’heure était à l’action. Il restait encore beaucoup à faire au chalet, et il s’agissait de se mettre à l’ouvrage.

Son travail suffisait à la combler, elle considérait comme un privilège de travailler à Val-d’Isère, où elle pouvait goûter le silence, l’espace, l’air grisant des montagnes.

Et la solitude...

Mécontente de cet accès de faiblesse, elle se força à voir le bon côté des choses. Elle avait beaucoup de chance de travailler ici. Le sentiment de solitude était inévitable dans une station élégante comme celle-ci, où l’on ne côtoyait que des couples. En venant ici, elle savait bien qu’elle serait la petite fille qui regarde du trottoir les gens s’amuser à l’intérieur des maisons. C’était un petit prix à payer pour participer à ce tourbillon d’énergie, de chic et de plaisirs.

Être timide, ronde et toute simple dans une communauté de gens brillants, sûrs d’eux-mêmes et avides de plaisirs physiques — et pas seulement sportifs —, cela n’aidait certes pas aux rencontres. Mais elle pouvait tout au moins faire ce qu’elle adorait, c’est-à-dire cuisiner de bons plats et aménager un chalet douillet et accueillant.

Et un jour, son prince viendrait, songea-t-elle en caressant la minuscule pantoufle d’argent porte-bonheur suspendue à la chaîne qu’elle portait au cou.

Mais ce serait miracle s’il la remarquait au milieu de toutes ces superbes femmes au corps mince et ferme...

— A plus !

La porte d’entrée claqua, et un instant plus tard Fiona se jetait au cou de sa dernière conquête.

Lucy s’arracha de la fenêtre.

Le spectacle des montagnes imposantes avec leurs pics enneigés scintillant au soleil était magique, et ce qu’elle appréciait plus encore, c’était la sympathie que lui portaient ses collègues et ses hôtes. Voilà ce qui donnait un sens à sa vie. Ce qui lui manquait au sein de sa famille d’intellectuels vivant au cœur d’une ville bruyante et polluée, elle le trouvait ici, au milieu de cette splendeur glacée.

Page 8: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Elle avait aimé les études, se dit-elle en examinant le contenu du réfrigérateur, mais elle aimait aussi mettre les choses en pratique, les expérimenter dans leur réalité. C’était pourquoi elle était là, dans ce pittoresque village alpin, avec le son joyeux du torrent dévalant à côté du chalet à toit pentu, réconfortée par la vue des délicieux fromages locaux produits dans les fermes voisines.

Il lui paraissait encore difficile de croire que « la petite Lucy », comme ses frères s’obstinaient à l’appeler, réussissait à parlementer avec les producteurs locaux et occupait la position de responsable de chalet pour la saison de ski dans la meilleure agence de Val-d’Isère.

Elle n’en était pas arrivée là sans mal, se rappela-t-elle tout en notant les articles qu’elle devrait commander. Elle avait commencé tout au bas de l’échelle, dans un prestigieux restaurant anglais. Et elle y avait si bien fait ses preuves qu’elle avait gravi tous les échelons sous l’œil bienveillant de son patron.

S’occuper de clients exigeants n’était pas évident, mais elle aimait la difficulté, ainsi que l’opportunité qui lui était offerte de sortir de l’ombre de ses frères.

Ses six frères, tous de brillants intellectuels, excellaient dans des branches beaucoup plus valorisantes que la cuisine aux yeux de leurs parents, et l’idée qu’elle ne parviendrait jamais à plaire à ces derniers l’attristait. Son amour-propre avait sérieusement souffert le jour où sa mère avait déclaré avec sa désinvolture habituelle qu’elle ne savait que faire d’une fille qui passait son temps aux fourneaux. A entendre Sylvia Tennant, la passion de la cuisine était dégradante pour une femme. Quand celle-ci avait ajouté qu’il vaudrait mieux que Lucy reste à la maison et cuisine pour sa famille, où elle ne risquerait pas de s’attirer des ennuis, Lucy avait compris qu’il était temps pour elle de partir.

Elle sourit.

S’attirer des ennuis ? Sûrement pas !

Bien sûr, sa mère applaudirait sans doute l’ironie du sort qui poussait les hommes à la traiter comme leur petite sœur. Mais du moins avait-elle échappé aux attentes de sa famille, et grâce à ses efforts, elle avait eu la chance de s’épanouir. Et si imprimer sa marque sur terre signifiait donner du plaisir aux gens grâce à ses talents culinaires, eh bien, elle s’en contenterait.

Son départ pour Val-d’Isère avait été un total bouleversement. Son apprentissage terminé, elle se préparait à rester chez son patron, quand celui-ci avait déclaré qu’elle devait élargir son horizon. Et il lui avait promis de la recommander personnellement si elle trouvait une place à l’étranger.

Ne voulant pas décevoir le chef qui l’avait lancée dans la carrière, elle avait conçu un plan audacieux consistant à organiser un dîner pour le directeur d’une agence de chalets connue. Les convives avaient été séduits, et c’était ainsi qu’elle avait obtenu le poste de responsable de chalet pour la saison de ski à Val-d’Isère.

Ce soir-là, elle était rentrée chez elle grisée par son succès. Patiemment, elle avait attendu une pause dans la discussion animée qui se déroulait autour de la table du dîner pour communiquer aux siens la bonne nouvelle. Quand elle avait ouvert la bouche, sa mère l’avait fait taire au profit d’un de ses frères qui avait « quelque chose d’intéressant à dire, lui », et Lucy n’avait pas eu l’occasion de partager sa joie. Quelqu’un de sa famille avait-il seulement remarqué son départ de la maison, une valise à la main ? Elle n’en était pas certaine.

Assez de réminiscences. Si elle ne redescendait pas sur terre, elle pouvait dire adieu à sa place tant aimée.

Fiona s’étant éclipsée, cela signifiait qu’il restait des lits à faire et des sols à récurer. Mais, au moins, le repas était prêt.

En réalité, sans la perspective de rencontrer ce M. X qui la faisait frémir d’appréhension, elle aurait trouvé la vie belle.

Page 9: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Contrarié, Razi froissa la lettre dans sa main.

Celle-ci avait été acheminée jusqu’à l’hélicoptère qui le conduisait de Genève à Val-d’Isère, et sa lecture l’avait mis hors de lui.

Comment osait-on lui jeter à la figure un contrat de mariage le liant à une cousine qu’il n’avait jamais vue ? Bien sûr, il devinait là-dessous une sombre machination. De l’île de Sinnebar, à travers le chenal, le trajet était court vers le continent et le trône de Ra’id. Quelqu’un s’imaginait sans doute parvenir à le monter contre son frère...

Pour un peu, il regagnerait l’île de Sinnebar et, saisissant les vieux sages du conseil par la gorge, il leur assénerait un : « Pas question ! » qui les rendrait moins arrogants.

Mais ce serait renoncer à son voyage.

Le magnifique paysage de montagnes aux pics glacés ne réussit pas à le distraire de sa colère, et celle-ci se mua en froide fureur quand il ouvrit la pochette contenant la photographie de la jeune fille en question.

Sa lointaine cousine Leila possédait de magnifiques cheveux noirs qui lui tombaient sur les reins. Elle était belle, certes, mais il ne ressentait rien pour elle. C’était comme de regarder un beau tableau et d’enregistrer la perfection de sa composition sans avoir pour autant envie de l’accrocher à son mur.

Il étudia son visage sans expression.

Visiblement, elle savait qu’elle servait d’objet de négociation à un père peu scrupuleux.

— Pauvre Leila, murmura-t-il, dans un élan de sympathie.

Il remit la photo dans sa feuille de soie et la posa à côté de lui.

Il ne se laisserait pas piéger dans un mariage. Ni par un parent ni par le conseil des anciens. Quand il se marierait, ce serait avec une femme de son choix — posée, intelligente, et si naturellement distinguée qu’une star d’Hollywood aurait l’air d’une potiche à côté d’elle.

Catastrophe ! Elle avait tout renversé, gémit intérieurement Lucy. Toute une vie d’efforts ruinée en un clin d’œil !

Car ce genre d’incident ne pardonnait pas.

Perdant ses moyens sous le regard aiguisé du mystérieux M. X, elle avait trébuché et était tombée en expédiant le plateau au sol.

Les canapés préparés avec amour jonchaient le sol au milieu de flaques de champagne, et un des hôtes épongeait son jean, tandis que le mystérieux M. X la fixait d’un œil mécontent.

Les yeux de Lucy s’emplirent de larmes à l’idée d’avoir travaillé avec tant de cœur à préparer ces mets raffinés pour ce résultat.

Elle n’avait rien laissé au hasard. Un feu crépitait dans la cheminée, des fleurs fraîches répandaient leur parfum dans un chalet bien astiqué, et de la cuisine s’échappaient de délicieuses odeurs...

Mais même son apprentissage sous la tutelle du plus strict des chefs n’avait pu la préparer à sa rencontre avec cet impressionnant personnage.

Très grand, le teint hâlé, apparemment adepte de la musculation, M. X dégageait une formidable présence dans la pièce, et un seul regard peu aimable de sa part avait suffi à la réduire à l’état d’épave.

Page 10: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Et maintenant, ces hommes qu’elle prétendait accueillir royalement la dévisageaient, leurs visages exprimant divers degrés de surprise devant son incompétence. Quant à celui qui avait attiré son attention à l’instant où elle avait quitté la cuisine, il l’écrasait de son mépris.

Comment réussissait-il à émettre une telle lumière en se tenant dans l’ombre ? Comment des yeux verts pouvaient-ils luire d’un éclat si farouche ? Comment, enfin, un homme entouré de quatre autres beaux mâles pouvait-il les éclipser à ce point ?

Elle détourna la tête.

Elle avait travaillé avec acharnement pour en arriver là, et elle n’avait pas l’intention de tout perdre à cause d’un regard fascinant.

— Je vous prie d’accepter mes excuses, messieurs. Si vous le permettez, je vais réparer les dégâts.

M. X leva le menton.

— Ne croyez-vous pas que nous devrions d’abord procéder aux présentations ?

Aucune nuance de chaleur dans sa voix. Ce n’était pas une suggestion, mais un ordre.

— Désolée, dit-elle en relevant la tête.

Son regard tomba précisément sur la partie du corps la moins appropriée de son interlocuteur. Au comble de la gêne, elle détourna rapidement les yeux pour les poser sur un pull bleu, puis sur un visage si énergique et si beau qu’elle aurait pu le contempler durant une éternité.

Des cheveux drus d’un noir intense encadraient son visage aux pommettes ciselées, aux yeux durs, à la bouche intransigeante.

Inutile de préciser que c’était lui qui invitait les autres. Il était incontestablement le leader du groupe, celui à qui elle devait plaire sous peine de perdre sa place. Et elle comprit alors le sens de la note de la directrice, en bas de la liste des clients.

Voyant qu’elle demeurait pétrifiée, le gentil client prénommé Tom vola à son secours.

— Chers amis, je vous présente Lucy Tennant, notre hôtesse au chalet, dit-il après l’avoir aidée à se relever.

Page 11: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

2

Razi retira avec agacement le plateau des mains crispées de la fille.

Toujours gentleman, Tom arborait un sourire bienveillant, mais il paraissait évident que cette créature rougissante se dandinant d’un pied sur l’autre ne convenait pas à l’emploi. Elle allait se dissoudre comme ses canapés dans le champagne coûteux répandu à terre. Et sur le jean de William Montefiori.

— Ce n’est rien, murmura ce dernier avec sa nonchalance habituelle. Je vais aller me changer.

Razi se sentait beaucoup moins d’indulgence pour ce qu’il jugeait comme une faute professionnelle.

— Permettez, intervint Théo, un sourire de loup aux lèvres, comme de bien entendu.

Et, prenant le torchon des mains de la fille, il essaya maladroitement d’éponger le champagne.

Il paraissait douteux qu’il ait jamais tenu un torchon de sa vie, et il n’aurait pas songé à le faire s’il n’avait pas cherché à plaire à la fille. Quant à cette dernière, elle paraissait trop choquée pour lever le petit doigt.

Pour l’amour de Dieu ! rugit Razi.

— Lucy, lui répéta discrètement Tom à l’oreille. Lucy Tennant, notre responsable de chalet.

— Lucy..., commença Razi.

Comme par enchantement, ses amis se dispersèrent aux quatre coins de la pièce.

Voyant à présent combien elle était jeune, il adressa un regard courroucé à Théo.

La créature tremblante qui se tenait devant lui était non seulement terrifiée à l’idée de perdre sa place, mais de plus visiblement impressionnée d’avoir affaire à cinq hommes terriblement séduisants.

— Ravie de faire votre connaissance, monsieur.

Bon, il fallait mettre à son actif une voix musicale et un regard direct. Ce qui n’excusait nullement son incompétence. Il exigeait le meilleur de la domesticité. Uniquement le meilleur. Le rapport de l’agence décrivait une jeune femme calme, intelligente, organisée, multilingue et chef cuisinier. Toutes qualités dont il n’avait encore aucune preuve.

— Lucy a gagné le prix de la meilleure responsable de chalet de l’année, lui rappela Tom.

— Merci, Tom, dit Razi d’un ton coupant.

La bonté de cœur de lord Tom Spencer-Dayly était une chose, mais lui, il tenait énormément à ces dernières vacances, et il n’avait pas l’intention de les voir gâcher par une petite gourde.

— Vous êtes ? demanda la jeune femme d’une voix hésitante.

Il chercha une inspiration auprès de Tom.

— Mac ? suggéra celui-ci avec un haussement d’épaules.

Page 12: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Mac, répéta-t-elle timidement.

Leurs regards s’attachèrent l’un à l’autre.

Sa poignée de main était ferme et chaude, mais elle retira sa main plus vite qu’il ne l’aurait souhaité.

— Je vous présente encore une fois mes excuses, dit-elle. J’espère que cet incident ne vous gâchera pas le plaisir du repas.

— Pas du tout, intervint Tom, avant de se taire sous le regard meurtrier de Razi.

Pour tout dire, une délicieuse odeur de nourriture flottait dans l’air.

— Qu’y a-t-il au menu ? s’enquit Razi.

Le visage de Lucy s’illumina.

— Soupe à l’oignon avec croûtons et parmesan, magrets de canard aux fruits, tarte au chocolat accompagnée d’une glace aux croquants caramélisés.

— Je te l’avais bien dit ! s’exclama Tom, tandis que les autres soupiraient de délice à l’avance, prêts au pardon.

Razi lui-même se sentait sur le point d’accorder à la jeune femme le bénéfice du doute.

— Tom, dit-il, le regard rivé à celui de la maladroite, voudrais-tu être assez gentil pour appeler l’agence ?

Malgré le calme apparent de Lucy, il voyait des pensées tumultueuses tourbillonner dans les profondeurs turquoise de ses yeux. Et, en entendant ces derniers mots, son désarroi se mua en panique.

Elle paraissait certaine qu’il ne lui offrirait pas de seconde chance. Ce fut alors qu'il prit une décision qui surprit tout le monde, y compris lui-même.

— Non, laisse. Nous n’avons pas besoin de personnel en plus de Lucy. Abu et Omar se chargeront de l’aider.

Sous l’effet du soulagement, les épaules de Lucy s’affaissèrent, mais, très vite, elle eut de nouveau cet air de biche aux abois

— Vous êtes en sécurité avec nous, lui assura-t-il. Nous sommes ici pour skier, vous nous verrez à peine.

Elle déglutit péniblement.

— Je le pensais bien, dit-elle, les joues écarlates.

S’ils s’étaient trouvés à ce moment dans son palais de l’île de Sinnebar, il aurait dit simplement : « Vous pouvez disposer », mais la situation était différente, plus complexe. Même si Lucy travaillait pour eux, elle réclamait des égards. L’intimité d’un chalet différait de la vie dans un palais.

Et puis, la jeune femme avait visiblement imprimé sa touche personnelle sur les lieux. Un bouquet de fleurs ornait la table, ainsi qu’une corbeille de fruits frais. Cakes et biscuits encore chauds titillaient l’odorat de leur délicieux arômes, et des livres avaient été disposés sur la table basse avec deux jeux de cartes. Il aimait être choyé et reconnaissait qu’elle avait fait son possible pour qu’ils se sentent accueillis. Si son repas tenait ses promesses, après tout, elle pouvait rester.

— Voulez-vous que je demande à Abu et Omar de venir vous aider ? proposa-t-il en voyant que Lucy semblait toujours mal à l’aise.

— Oh ! non, s’exclama-t-elle. Je ne veux pas faire de difficulté, ajouta-t-elle très vite, mais la cuisine est petite, et...

Page 13: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Et vous préférez être tranquille ? suggéra-t-il en respirant son parfum de fleurs sauvages.

Ses grands yeux brillaient d’un sincère désir de plaire qui le toucha malgré lui. Et puis, il y avait ses petites dents à l’éclat de perle, qu’il imagina soudain le mordillant avec passion...

C’était surprenant de se sentir attiré par un charme aussi subtil, mais, pour lui qui possédait déjà tout, la nouveauté avait son prix.

— Je mets tout mon cœur à cuisiner, acquiesça-t-elle, et je n’aime pas beaucoup que d’autres interfèrent dans mes préparatifs.

Il lui sourit.

— Alors, je vais donner des instructions pour que l’on passe au large de votre cuisine !

— Vous vous moquez de moi, dit-elle d’un ton incertain.

— Croyez-vous ?

Elle rougit.

— Vous savez, je suis navrée de l’incident survenu tout à l’heure...

— Oubliez-le et remettez-vous au travail, dit-il d’un ton encourageant. Vous avez cinq hommes affamés à nourrir.

Lucy regarda d’un air étonné autour d’elle, en clignant des yeux.

A son expression, on aurait juré qu’elle avait oublié la présence des quatre autres convives.

Il n’aurait su le lui reprocher, il avait fait pareil.

Alors qu’elle préparait de nouveaux canapés, Lucy eut la stupéfaction de voir Mac la rejoindre.

La cuisine était petite et, par sa prestance, Mac semblait en occuper la majeure partie.

Pour qu’il ne voie pas ses mains trembler, elle prit le plateau et l’agrippa très fort.

— Inutile de les réchauffer, dit-il.

— Ça ne prendra qu’une minute, et je peux vous assurer qu'ils seront mille fois meilleurs, affirma-t-elle d’un ton péremptoire.

Elle regorgeait d’assurance quand il s’agissait de ses préparations culinaires, elle aurait seulement souhaité que cette assurance s’étende à sa vie quotidienne. Si ç’avait été le cas, elle n’aurait pas été autant troublée tout à l’heure.

— Je les passe un instant sous le gril, précisa-t-elle de sa voix la plus impersonnelle. Veuillez m’excuser, s’il vous plaît.

Mac recula, non sans avoir prestement saisi un canapé sur le plateau. Il mordit dedans d’un air ravi.

— Ils sont encore meilleurs chauds ? demanda-t-il, jouant la surprise.

— Oui, assura-t-elle, reprenant suffisamment d’aplomb pour l’empêcher d’en voler un autre.

Cet homme n’avait visiblement pas l’habitude d’être contredit, mais il possédait le sens de l’humour.

Elle éprouvait un dangereux désir de lui plaire. Le voir hausser ses sourcils d’ébène en signe de sincère appréciation valait toutes les récompenses de la terre. De plus, elle se sentait soulagée. En remportant les suffrages de Mac, elle était assurée de garder sa place.

— Dites-moi comment vous les fabriquez, demanda-t-il, plongeant son troublant regard vert dans le sien.

Page 14: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Vous voulez la recette ?

Mac eut un sourire craquant.

— Je la communiquerai à un de mes chefs.

Bien sûr, elle aurait dû s’en douter. Mais rien ne l’avait préparée à rencontrer ce genre de personnage.

Mac n’était pas un client ordinaire. Si amical qu’il se montre, il était temps de prendre du recul et de revenir à un plan professionnel.

— Il vous faut des tranches de bruschetta grillées que vous tartinez de fromage de chèvre, récita-t-elle. Et vous couronnez le tout d’un morceau de figue fraîche et d’un soupçon de miel. Et je vous assure que c’est encore meilleur chaud, ajouta-t-elle, reprenant peu à peu confiance en elle.

— C’est bien tout ? murmura-t-il tout près de son oreille.

Il fallut à Lucy un peu de temps pour se ressaisir. En trois mots, Mac avait réussi le prodige de transformer son corps en feu liquide.

Elle n’avait jamais flirté avec ses hôtes, et ce petit épisode la laissait tout étourdie. Elle n’était pas de taille à jouer à ce petit jeu. C’était un séducteur, et elle n’était qu’une petite cuisinière, ignorante des jeux de la séduction.

Que Mac soit un coureur de jupons ne faisait aucun doute. Les hommes comme lui se jouaient des femmes, elle ne ferait jamais le poids devant un tel personnage. Si elle voulait survivre à cette semaine avec son amour-propre intact, il fallait qu’elle s’en tienne scrupuleusement au domaine qui était le sien : la cuisine.

Razi essayait de prêter attention à la conversation.

Ses amis parlaient affaires, ce qui l’aurait passionné en temps normal. Cependant, pour une mystérieuse raison, regarder Lucy apporter sur un plat de porcelaine de Chine ses canapés parfaitement réchauffés pour les passer à la ronde lui paraissait beaucoup plus intéressant. Peut-être à cause de la grâce de ses petites mains fines. Et d’imaginer que ces petites mains puissent le toucher lui donnait le vertige.

Il n’était pas arrivé depuis une heure qu’il souffrait déjà à son égard d’une frustration sexuelle aggravée !

Décidément, elle lui plaisait. Ses formes rebondies lui plaisaient, et pour rien au monde il ne l’aurait échangée contre une de ces insipides créatures longilignes dont le seul but dans la vie semblait de mettre un amant prestigieux dans leur lit.

Lucy, elle, était réservée, pour ne pas dire timide. Ce qui représentait en soi un défi...

Un de ses amis tenta de l’intéresser à leur conversation, et il aboya une réponse.

S’apercevant soudain qu’il la regardait, Lucy rougit.

Cela aussi lui plaisait.

La jeune femme racheta largement sa maladresse par un excellent repas.

Quand elle parla d’apporter le plateau de fromages, un concert de gémissements s’éleva.

— Désolée de vous nourrir trop copieusement... commença-t-elle.

Devant son embarras, il éprouva le désir de la défendre.

— Trop savoureusement, rectifia-t-il.

Le visage de Lucy s’éclaira.

Page 15: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Dans ce cas, est-ce que je peux vous proposer un repas à la française pour demain ? demanda-t-elle d’un ton plein d’espoir. C’est-à-dire, avec fromage avant le dessert ?

Malgré le frémissement de ses lèvres, il parvint à garder son sérieux.

— Nous sommes entre vos mains, assura-t-il en lui rendant son regard.

Lucy sentait ses joues la brûler.

Que lui arrivait-il ?

Jusqu’à aujourd’hui, sa vie se déroulait normalement. Elle travaillait en coulisses et n’entretenait pas de relations avec les clients. Non qu’elle ait noué une relation avec Mac, elle n’irait pas jusque-là. Mais il lui était impossible de l’ignorer, impossible d’oublier le spectacle de son corps puissant quand elle s’était retrouvée à genoux devant lui. Et maintenant, il suggérait qu’il était entre ses mains...

Comment son imagination était-elle supposée se débrouiller avec ça ?

Il ne servait à rien de désirer être plus jolie, ou plus sophistiquée, ou plus spirituelle. Cependant, même les filles toutes simples cultivaient parfois des pensées inavouables.

Elle se ressaisit en voyant Tom quitter la table.

—- Vous êtes un vrai cordon-bleu, Lucy. Merci. Pour ma part, je savourerai chaque bouchée de ce que vous nous servirez, quel que soit l’ordre que vous aurez choisi.

— Nous aussi, coupa Mac avec une sécheresse qui la surprit.

Il se leva et vint se placer devant elle, la dérobant à la vue de ses amis.

— Demain, il y aura trois sortes de canapés, promit-elle, désireuse de rester sur un terrain sûr. Et aucun ne sera renversé.

Ses convives éclatèrent de rire et, au soulagement de Lucy, Mac se détendit également.

Elle rit avec eux, mais d’un rire légèrement contraint. La proximité de Mac faisait réagir son corps. Les pointes de ses seins avaient durci, et une vague de chaleur l’envahissait au plus profond de son être. Elle était mortifiée par sa réaction, d’autant qu’un homme aussi expérimenté que Mac devait sans doute avoir deviné son trouble.

Absorbée par ses pensées, elle remarqua à peine que ses hôtes la remerciaient et quittaient la pièce un par un, la laissant seule avec Mac.

— Trois sortes de canapés, et du bon fromage ?

Le menu me convient, déclara ce dernier.

La voix de Mac la sortit de sa transe.

Maintenant que le repas était terminé, sa confiance se volatilisait à nouveau.

Elle regarda la table du dîner à présent désertée.

— Vous savez, il suffit que vous m’expliquiez ce que vous aimez, dit-elle d’une voix incertaine, et je suis sûre que j’arriverai à vous donner satisfaction.

— Je n’en doute pas un instant, dit-il en la couvant d’un regard lourd.

Page 16: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

3

Mac était-il obligé d’être aussi séduisant quand il souriait ? se demandait Lucy en servant le déjeuner.

Elle était bien la dernière personne sur terre à savoir comment se comporter avec un homme pareil.

Ce n’était pas seulement le regard plein de feu de Mac qui le plaçait à part, mais aussi l’énergie sexuelle qu’il dégageait. Si elle l’approchait de trop près, elle se brûlerait les ailes, c’était certain. Il lui suffisait de se regarder dans le miroir pour comprendre qu’il n’éprouverait jamais une véritable attirance pour elle.

— Voulez-vous que je vous aide à débarrasser la table, Lucy ?

— Oh, non ! s’exclama-t-elle, soudain maladroite.

Le sourire de Mac était confiant et séduisant comme le péché quand il s’adossa au mur pour la regarder faire.

A dire vrai, elle était plutôt pressée, car elle avait une réunion avec ses collègues tout à l’heure. L'honneur de l’agence était en jeu, et ils juraient qu’elle était la seule à pouvoir le défendre.

— Est-ce que vous suivez toujours la même routine ? s’enquit Mac, faisant irruption dans le cours de ses pensées.

— Eh bien, je rince la vaisselle, et je la range dans le lave-vaisselle.

Pourvu qu’il ne propose pas encore de l’aider...

Il eut un sourire d’approbation narquoise.

— Que je ne vous empêche surtout pas de travailler.

Elle le considérait, bouche bée, quand un des amis de Mac passa la tête par l’entrebâillement de la porte.

Il y eut un moment de silence pendant que celui-ci prenait note de la scène.

— Nous pensions aller faire un tour en ville, dit-il enfin.

Lucy laissait déjà échapper un soupir de soulagement, quand Mac répondit sans la quitter des yeux :

— Très bien. Partez devant, je vous rejoindrai.

Comment ? Il allait rester ? Avec elle ?

Razi désirait rester avec Lucy. Il désirait savoir pourquoi elle paraissait si pressée, et pourquoi, alors quelle venait de leur servir un fantastique repas, elle semblait toujours aussi peu sûre d’elle.

Lucy n’était pas seulement une bonne cuisinière ; elle excellait dans son métier. Alors, pourquoi cette anxiété perpétuelle ?

Page 17: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Vous n’avez pas envie d’aller en ville ? demanda-t-elle.

— J’ai tout mon temps.

Bien sûr, il n’avait, pas de raison à donner à Lucy pour s’attarder dans son propre chalet, mais, s’il avait dû en donner une, il aurait expliqué qu’il ne voulait pas qu’elle disparaisse en son absence. Pour rien au monde, il n’aurait voulu la voir remplacée par une de ces intrigantes prêtes à tout qui hantaient les stations de sports d’hiver.

Encore que, pour être honnête, ce n’était qu’une partie de la vérité. Pour tout dire, ce genre de jeune femme timide et effacée représentait pour lui une nouveauté qui l’attirait. Elle se donnait tant de mal, et elle surmontait les difficultés avec tant de rapidité et d’efficacité. Il aurait aimé qu’elle prenne confiance en elle. Et, surtout, il aurait aimé entendre cette jeune femme si posée crier de plaisir sous ses caresses.

Lucy défit nerveusement les cordons de son tablier.

Jamais un client ne l’avait regardée avec autant d’attention que Mac.

En y réfléchissant, il voulait sans doute s’assurer qu’elle était capable de gérer le chalet. Naturellement, s’il n’était pas satisfait de son travail, il lui suffisait d’un coup de téléphone au bureau central pour obtenir une remplaçante. Est-ce que ça le gênerait ?

S’efforçant de chasser son encombrant visiteur de ses pensées, elle se tourna vers l’évier.

Mais il s’incrustait dans son esprit : ses beaux cheveux de jais, ses fabuleux yeux verts, son aura de pouvoir qui la décontenançait délicieusement — qui la décontenançait ? Il la déstabilisait complètement, oui !

— Lucy ?

Elle posa un regard coupable sur lui.

— Vous semblez distraite.

Elle rit nerveusement.

— Pas du tout ! Je pensais au menu du dîner.

— Aimez-vous votre uniforme ? demanda-t-il en montrant son tablier.

— Mais oui...

Certes, elle portait l’uniforme avec moins de classe que, disons, Fiona, mais du moins se sentait-elle en sécurité dessous.

Elle croisa son regard, déterminée à ne pas se laisser impressionner.

— C’est la tenue qui me convient, ajouta-t-elle.

Comme elle accrochait son tablier à la patère derrière la porte, Tom revint faire une tentative pour entraîner Mac en ville.

— Je vais laisser Omar ici pour le cas où vous auriez besoin de quelque chose, dit Mac.

— Non, non ! Je vous remercie, mais c’est inutile.

L’idée de la présence invisible d’un des gardes du corps rôdant autour d’elle la rendait presque aussi nerveuse que les attentions de leur patron.

— Au cas où, je peux toujours appeler l’agence, ajouta-t-elle.

— Dans ce cas, à tout à l'heure, Lucy.

— A tout à l’heure, répondit-elle.

Page 18: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Mais il était déjà parti.

Si elle désirait mesurer son importance dans l’existence de M. X, elle en avait ici un bon reflet.

En entendant la porte se refermer derrière ses hôtes, elle se laissa tomber sur une chaise, tremblant comme si elle venait de courir un marathon.

En réalité, c’était bien ce qu’il s’était passé. Elle venait de remporter la plus importante course de sa vie en gardant sa place, bien qu’elle ne soit pas assez stupide pour ignorer que sa situation pouvait se renverser à tout moment, selon l’humeur de Mac.

Il fallait qu’elle se remette à l’ouvrage. Rêver ne nettoyait pas les sols, et puis il y avait les préparatifs pour le repas du soir.

Examinant machinalement la cuisine étincelante tout en cassant des œufs dans un bol, elle réfléchit à ce qu’elle avait appris de ses hôtes.

Mis à part leur physique intéressant, elle avait noté que certains portaient au doigt de lourdes bagues d’or gravées aux armoiries de leur famille. Théo n’en portait pas, mais celles de Tom, Sheridan et William trahissaient leur appartenance à l’aristocratie britannique. De ce côté, c’était assez simple à comprendre, Mais que penser du lion féroce et du cimeterre gravés sur la chevalière de Mac ?

La vision d’un grandiose paysage désertique s’imposa à son esprit tandis quelle commençait à battre les œufs.

D’accord. Mais ces yeux verts, d’où venaient-ils, dans ce cas ? En tout cas, leur expression la faisait rêver à des tentes de Bédouins se gonflant dans le vent et à la lumière nacrée de l’aube sur une oasis.

Des amants s’éveillaient et étiraient langoureusement leurs membres avant de refaire inlassablement l’amour...

Mmm... Comme l'image se faisait plus précise, elle accéléra le rythme.

Elle croyait sentir au creux de ses reins la douceur des coussins et voir les membres de Mac creuser les draps de Soie.

— Allez-vous battre ces œufs indéfiniment ?

Elle faillit sauter au plafond. Elle n’avait pas entendu Mac rentrer.

— Que vous ont-ils fait ? demanda-t-il encore, le regard un peu trop perspicace, en posant la main sur la sienne.

— Vous m’avez fait peur !

— Serais-je interdit de séjour ?

— Désolée.

Ses idées étaient tout embrouillées;

Mac en combinaison de ski noire était plus inquiétant encore que Mac en jean. Et il lui tenait toujours la main.

— N’ayez pas l’air si affolé, dit-il en la lâchant. Je ne vous surveille pas.

Alors, pourquoi était-il de retour ?

Sa main la brûlait. L’étreinte de Mac avait été ferme, autoritaire. Il l’avait lâchée trop vite par rapport à son rêve éveillé, et pas assez vite pour la réalité présente.

— Qu’est-ce que vous préparez ? demanda-t-il. Sous son regard perçant, elle perdit définitivement pied.

Page 19: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Quelque chose pour ce soir... Du cake.

— Du cake ? répéta Mac d’une voix étonnée.

En effet, deux cakes étaient déjà disposés sur la table.

— Tom et les autres ne vous attendent-ils pas ? demanda-t-elle d’un ton plein d’espoir.

— Et puis après ?

— Voulez-vous me passer le moule, s’il vous plaît ?

Il le lui tendit.

Elle le prit, mais, comme il ne le lâchait pas, elle eut l’impression d’être jointe à lui par le plat de métal.

— Lucy ?

Elle cligna des yeux puis reprit son assurance de cuisinière.

— Si vous voulez un morceau de cake, asseyez-vous, et je...

— Vous me servirez ? suggéra Mac, railleur.

— Je couperai le cake, rétorqua-t-elle, très digne.

Il lâcha le plat.

— J’ai changé d’avis, dit-il.

Et il quitta la pièce sur un dernier regard moqueur.

Il avait peut-être quitté la pièce, mais il était toujours dans ses pensées. Il les hantait et, dans son imagination, il lui faisait des choses interdites par la loi dans certains pays du monde.

Comment ne pas se languir de ces caresses ? S’occuper du prochain repas ne procurait certes pas le même genre d’ivresse.

Page 20: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

4

Lucy faisait les cent pas dans sa petite chambre sous le toit.

Si seulement les filles ordinaires étaient dépourvues de désirs sexuels, cela rendrait la vie plus supportable, se dit-elle en s’arrêtant devant le miroir pour y examiner son reflet.

Bien sûr, elle doutait que Mac s’intéresse vraiment à elle, mais ce serait divin si le frisson ressenti était réciproque.

Le plus sage aurait été de se glisser dans un bon bain et d’essayer d’oublier Mac. Seulement, elle ne pouvait pas se le permettre, parce qu’il lui restait des tâches à accomplir.

Les lits à faire, les salles de bains à nettoyer, les serviettes à vérifier, le feu à ranimer...

Lorsqu’elle eut terminé, elle était en retard pour son rendez-vous et devait encore se préparer.

Numéro un sur sa liste : une douche rapide, puis elle courrait au club où l'attendaient ses amis.

Le temps s’écoulait à toute allure, et Razi sentait de minute en minute le poids du devoir peser plus lourd sur ses épaules.

Tout en s’apprêtant avec enthousiasme à endosser ses responsabilités, il avait conscience des changements drastiques que sa nouvelle position introduirait dans son existence. Un mariage traditionnel, même s’il n’épousait pas sa cousine Leila, serait nécessaire. Il le devait à son pays.

Mais auparavant...

Son intérêt mêlé de sollicitude pour Lucy Tennant s’était transformé en pure et simple désir.

Il devait l’avoir. Elle était belle, simple et disponible, et, dès qu’elle en aurait terminé avec ses occupations, il l’aurait.

— Tu as des soucis, Razi ? lui demanda Tom.

— Tu les connais, répondit-il avec désinvolture.

Ils étaient installés dans un bar bruyant, et il avait déjà envie de s’en aller. Les boissons n’étaient pas assez fraîches, et les amuse-gueules avaient un goût de carton après les délices élaborés par Lucy.

La prochaine fois, elle pourrait les servir sur son corps nu, et il boirait le champagne à même son ventre...

— On peut s’en aller, si tu veux, proposa Tom.

— Désolé, Tom. J’ai des idées plein la tête.

— Oh, non ! s’exclama Tom, théâtral. Laisse-moi deviner...

— Arrête ça !

Pour une obscure raison, il ne supportait pas l’idée qu’on plaisante à propos de Lucy.

Page 21: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

*

* *

Emmitouflée dans sa doudoune, une écharpe autour du cou, un bonnet de laine à pompon sur la tête et des gants chauds aux mains, Lucy se hâtait dans les rues désertes.

A cette heure-ci, les gens se réfugiaient au chaud dans les restaurants et les bars, et l’on surprenait à peine de temps à autre, au hasard d’une porte brièvement ouverte, accords de musique, brouhahas de voix et éclats de rire.

Tout en se faufilant dans les rues, elle se disait que ses frères auraient adoré l’événement auquel elle allait participer, alors qu’elle-même mourait de peur à la perspective d’entrer dans un établissement bondé où tout le monde se connaissait. Elle espérait trouver rapidement ses collègues, et surtout que Mac et ses amis n’auraient pas la mauvaise idée de se retrouver aussi dans ce club.

La perspective la fit frissonner, et elle faillit faire demi-tour.

A la porte du club, ses appréhensions la saisirent de plus belle quand un membre de l’agence de location de chalets rivale de la leur lui barra le passage.

— Voici la deuxième, annonça-t-il à ses amis, qui éclatèrent de rire.

Elle se dépêcha de passer, et son désarroi grandit quand elle vit ses collègues qui l’attendaient, le visage plein d’espoir.

— Prête ? demandèrent-elles en chœur.

— A peu près, répondit-elle tout en se demandant pourquoi elle avait accepté de participer à ce concours.

Tenir sa place dans une chorale, cela ne la qualifiait pas forcément pour la compétition annuelle de karaoké entre agences de location de chalets rivales et, dès qu’elle entra dans le vestiaire improvisé, elle prit conscience de son erreur.

Elle n’était vraiment pas taillée pour ce genre d’exhibition.

Elle sentit qu’on lui arrachait sa veste, son écharpe. Une autre fille lui retira son bonnet.

— Maquillage ? proposa Maria, la tirant de sa stupeur.

— Je n’en ai pas, avoua-t-elle.

— Pas possible ! s’exclamèrent ses amies, l’air inquiet.

— Je n’en mets jamais.

Cette fois, l’inquiétude fit place à l’incrédulité.

— Je ne sais pas me servir des fards, marmonna-t-elle.

— Pas étonnant, si tu n’as jamais essayé, rétorqua Fiona.

Avec un sourire engageant, celle-ci lui lança un clin d’œil.

— Ne t’inquiète pas. Nous allons nous occuper de toi.

— Oh ! non, non, je vous remercie, le maquillage ne me va pas du tout.

Elle était déjà assez mal dans sa peau comme ça. Comparée aux autres filles, ce serait une catastrophe.

— Rien ne pourrait t’enlaidir, dit gentiment l’une d’elles.

— Je viens juste de retirer mon tablier.

Page 22: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Imagine la métamorphose !

Elles étaient soudain si pressée de l’aider...

Ne se sentant pas le cœur de les décevoir, elle rassembla tant bien que mal son courage.

— D’accord. Allez-y.

Mais quand elle découvrit la tenue qu’elles lui réservaient, elle eut un geste de dénégation.

— Je ne mettrai pas ça, déclara-t-elle énergiquement.

Chanter était une chose, mais pas question de se déguiser.

Les filles se regardèrent mais, sentant sa détermination, elles n’insistèrent pas.

— Prévenez-moi juste quand je devrai chanter, et tout ira bien.

Enfin, tout irait bien si sa lèvre supérieure acceptait de se désolidariser de ses dents.

— Bois donc un verre d’eau, suggéra une de ses collègues, en la voyant tenter de s’humecter les lèvres.

Le silence se fit quand le concurrent de l’agence rivale se mit à chanter.

— Il a une belle voix, admit Fiona.

— Et il est mignon, renchérit Maria.

— Je vais faire mon possible, dit Lucy en souriant bravement, tandis que les trousses de maquillage affluaient sur le comptoir.

Les filles ayant pris les choses en main, elle assista, impuissante, à sa métamorphose.

Maria lui brossa les cheveux et les enroula sur des bigoudis chauffants tandis que Fiona s’occupait de son visage.

— Détends-toi, dit cette dernière en traçant un trait brun sous sa pommette, un blanc au-dessus, et en dessinant une tache rouge en plein milieu. C’est mon métier en dehors de la saison de ski !

Maintenant, avec ces couleurs outrées, elle ressemblait à un clown. Jamais elle n’aurait dû les laisser faire !

Elle ferma les yeux, résignée, et ce fut une surprise quand elle les rouvrit pour découvrir que les couleurs avaient été estompées, et qu’elle n’était pas si vilaine que ça. Son teint paraissait plus éclatant, et son visage, sculpté.

— Je n’imaginais pas ça, murmura-t-elle.

Le maquillage était un masque, constata-t-elle avec soulagement. Un masque derrière lequel elle pouvait se cacher. Elle était devenue une autre, que Mac ne reconnaîtrait certainement pas s’il lui prenait l’idée de venir boire un verre ici.

Un second regard au miroir lui confirma que ses cheveux, retombant en vagues couleur miel jusque sa taille, n’étaient pas mal non plus.

Elle ne les avait jamais portés libres parce que sa mère trouvait que les cheveux dénoués faisaient négligé — et bien sûr, dans une cuisine, il était impératif de se couvrir les cheveux.

— Pas le temps de t’attarder sur ton image ! s’exclamèrent les filles alors que, stupéfaite, elle continuait de s’admirer dans le miroir.

La prenant par les bras, elles l’entraînèrent vers la salle.

— Tu es superbe, dit Jeanne.

Et toutes renchérirent.

Page 23: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Je n’ai pas l’air trop stupide ?

— Mais non !

— Aie un peu confiance en toi, insista Maria gentiment. Tu as gagné le prix de la meilleure hôtesse alors que tu t’y attendais le moins. Maintenant, tu vas gagner celui-ci.

— Si j’arrive à sortir une note !

Elle éclatèrent de rire.

— C’est juste un karaoké, Lucy, fit observer Maria.

— Et si tu restes muette, nous ferons semblant de ne pas te connaître, conclut Fiona en plaisantant.

Razi et ses amis avaient quitté le bar et étaient passés prendre leurs skis au chalet pour satisfaire un caprice : skier sur la piste noire avec une lampe fixée sur leurs casques pour leur éclairer la voie.

Tous les cinq se livraient à ce petit jeu depuis que, lors d’un séjour scolaire à la montagne, ils étaient sortis du chalet en cachette en pleine nuit, laissant leur professeur ronfler.

A présent, Razi disposait de lui-même comme il l’entendait. Le chalet lui appartenait, et il pouvait sortir par la grande porte, mais l’excitation restait la même. Avec les précipices s’ouvrant de chaque côté et la vitesse, c’était comme de jouer à la roulette russe avec un revolver entièrement chargé. C’était à la fois dangereux et excitant. Irresponsable peut-être, mais ça faisait un bien fou.

Ils se retrouvèrent tous en bas sains et saufs. Mais avec l’adrénaline qui circulait dans leurs veines, ils avaient encore de l’énergie à revendre.

— Champagne ? proposa Théo.

— D’accord, dit Razi.

— Et si nous passions au chalet prévenir Lucy que nous sortons ? suggéra Tom avec un clin d’œil entendu. Nous pourrions l’inviter à nous accompagner...

Naturellement, la proposition provoqua des commentaires oiseux, et Razi sentit ses poils se hérisser sur sa nuque.

— Bas les pattes ! s’exclama-t-il d’un ton de mise en garde. Vous avez tous remarqué que Lucy perd la tête quand on la plaisante.

La remarque entraîna une nouvelle série de sourires appuyés, qu’il ignora superbement.

— Le moins que l’on puisse faire, insista-t-il, c’est de lui laisser le temps de habituer à nous.

— A toi, tu veux dire ?

Il traita la réflexion de Théo avec un écrasant dédain.

— C’est très attentionné de ta part, fit sobrement observer Tom.

— C’est normal, répliqua Razi, agacé. Elle dort probablement à l’heure qu’il est. Elle nous a laissé de quoi nous restaurer si nous avons faim plus tard.

— Comme au bon vieux temps, commenta Théo.

Razi échangea un regard avec Tom.

Non, ce séjour ne ressemblait en rien à ceux de leur insouciante adolescence. Il s’agissait d’une brève pause avant que le poids des responsabilités n’entraîne chacun d’eux dans une direction différente.

— Le dernier au bar paie la tournée ! jeta-t-il.

Page 24: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Qui aurait pu supposer en les voyant s’élancer sur la piste qu’ils étaient en réalité de graves hommes d’affaires brassant des fortunes ?

— Je me sens malade, gémit Lucy.

— Il y a un seau dans les coulisses, dit Fiona.

— Et ne regarde surtout pas derrière toi en chantant, prévint Maria.

— Je ne me rappelle plus les paroles...

— C’est un karaoké, Lucy ! s’écrièrent les filles à l’unisson.

— Si je ne vois pas l’écran ?

— Nous chanterons avec toi.

— Et si je ne vous entends pas ?

— Tu nous entendras.

A contrecœur, Lucy se dirigea vers le rideau qui servait de toile de fond à la scène improvisée et regarda par l’interstice. Mais, éblouie par les spots, elle ne distingua rien à part le présentateur qui était déjà sur scène, attendant que la foule se calme pour la présenter.

Elle se sentait terriblement nerveuse et craignait de se ridiculiser.

— Si je chantais en coulisses ? suggéra-t-elle.

Comme ses amies protestaient avec indignation, elle soupira.

— Bon, d’accord, j’y vais.

Si seulement les spots n’étaient pas si lumineux. ..

— Il y a un point positif, dit-elle.

— Lequel ? s’exclamèrent ses amies, toutes réjouies.

— Comme je n’ai pas mis mes lentilles, je ne distingue aucun visage dans la foule.

En entendant éclater sifflets, cris et applaudissements déclenchés par l’annonce de sa prestation, elle prit sa respiration.

— Tu seras formidable une fois sur scène, dirent les filles, les mains sur ses épaules pour la pousser en avant.

Elle n’eut plus le loisir de réfléchir. Propulsée à l’avant du rideau, elle fut assourdie par un roulement de tonnerre de basses et aveuglée par les lumières.

Dans un geste de défense, elle mit son bras devant son visage, avant de se reprendre. Clignant des yeux comme une taupe, elle se rendit compte alors avec horreur qu’elle était incapable de rien voir ou entendre, encore moins de chanter.

C’était impossible ! Elle ne pouvait pas faire ça. Pas même pour l’honneur de l’agence.

Elle se tenait au milieu de la scène, misérable, blessée dans son amour-propre, quand la bande musicale s’enclencha.

A présent, les spectateurs étaient silencieux, tels des fauves prêts à bondir. Au loin, elle entendit les filles crier son prénom.

Elle serra les poings pour se donner du courage et hasarda quelques notes tremblantes.

Personne ne fut plus surpris qu’elle quand sa voix, peu à peu, se raffermit. Et la beauté de la chanson l’aida à surmonter ses peurs.

Page 25: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Elle avait eu raison d’insister pour chanter une chanson d’amour alors que tout le monde la suppliait de choisir un air gai. Grâce aux paroles émouvantes et au charme de la mélodie, elle imaginait Mac à son côté et se laissait emporter loin, très loin, vers un pays merveilleux...

Agglutinés au pied de la scène, le visage levé vers elle, les gens se taisaient pour mieux l’écouter.

Jamais elle n’aurait cru possible d’apprécier être sur scène. Et pourtant, découvrir qu’elle pouvait s’y perdre dans le chant était, une expérience magique... D’autant plus magique que Mac l’accompagnait dans le secret de son cœur.

Page 26: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

5

Razi écarquilla les yeux.

Ils venaient de pénétrer dans le bar, et son regard avait été immédiatement attiré par la scène où Lucy chantait.

Lucy, chanter ?

Il n’en croyait pas ses yeux.

C’était pourtant bien elle, et une autre en même temps. Ses cheveux cascadaient tel un rideau d’or jusqu’à sa taille, et son maquillage rehaussait la délicate beauté de ses traits.

Mais c’était sa voix surtout qui le captivait — comme tous les hommes présents dans la salle.

Il s’assombrit en prenant conscience des regards masculins chargés de désir posés sur la jeune femme.

Visiblement, la sincérité de son interprétation les touchait tous. On aurait dit que sa voix émanait de son âme. Sauf qu'elle possédait en plus ce léger enrouement sensuel qu’il lui imaginait au lit...

Comme il s’approchait de la scène, les autres spectateurs s’écartèrent telle la mer Rouge devant Moïse. Comme d’habitude, personne n’aurait eu l’idée de se mettre en travers de son chemin.

Lucy avait fini de chanter, mais le public réclama une autre chanson à grand renfort de sifflets et d’acclamations.

Elle se remit à chanter, l’air si pitoyable, ainsi livrée à la foule, que le sang des ancêtres guerriers de Razi ne fit qu’un tour.

Même si ce n’était que pour un temps très court, il lui incombait de protéger Lucy Tennant, de la défendre... Et de lui faire l’amour, se promit-il comme elle posait le regard sur lui.

A ce moment, la voix de Lucy trembla, et le regard de la jeune femme se riva au sien dans un muet appel à l’aide.

Un silence tendu se fit dans le public, et il sentit venir le moment crucial où la foule soit applaudirait Lucy à tout rompre, soit la huerait.

Durant un bref instant, Lucy exulta sous le regard de Mac, sous l’effet d’une brusque montée d’adrénaline. Soudain libérée, elle laissa la musique parler pour elle.

Elle voulait chanter pour lui, pour qu’il voie une nouvelle facette de sa personnalité, qu’il comprenne ce qu’elle était incapable d’exprimer par des paroles.

Mais pourquoi Mac avait-il ce regard rétréci de bête fauve ? Désapprouvait-il sa prestation ?

Difficile à dire. Il la regardait, et le public les regardait l’un et l’autre tour à tour. Leur drame intime semblait tellement plus intéressant que la compétition qui se déroulait qu’elle pouvait difficilement l’ignorer.

Lentement mais sûrement, son assurance s’évanouit.

Page 27: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Qu’est-ce qu’il lui prenait de chanter sur une scène ? Qu’en attendait-elle, à part se ridiculiser ?

Mais alors, l’incroyable se produisit : le visage de Mac changea. Il se détendit, ses yeux s’éclairèrent, et ses lèvres dessinèrent un sourire.

Voyant qu’il lui adressait un hochement de tête encourageant, elle sentit son cœur se dilater de joie.

Il voulait qu’elle chante pour lui !

Quand elle se remit à chanter, les applaudissements éclatèrent. Seuls au milieu du vacarme, tous deux se regardaient. Quand elle termina sa chanson, elle tremblait de tous ses membres.

C’était si incroyable, cette sensation qu’elle avait eue d’être liée à Mac !

Désir, trouble, frustration, soulagement intense...

A présent, le soulagement dominait. Mais quelques secondes de battements de cœur de plus sans l’encouragement de Mac, et sa timidité naturelle aurait repris le dessus, elle s’en rendait bien compte. Et la foule surchauffée par l’alcool et l’excitation n’aurait pas apprécié...

Mais à présent, Mac l’attendait au pied des marches, et c’était peut-être le moment le plus excitant de la soirée.

Et voilà qu’on annonçait qu’elle avait gagné le concours !

Ils avaient dû l’appeler à deux reprises tant la présence de Mac la distrayait. La seconde fois, le fameux sourire de play-boy de Mac creusa ses joues tandis qu’il se mettait à applaudir sans la quitter des yeux.

— Bravo ! articula-t-il. Vous avez gagné !

Elle éclata de rire tout en secouant la tête, incrédule, avant de s’avancer pour recevoir son prix.

— Je ne comprends pas pourquoi vous êtes si étonnée, dit Mac en lui offrant sa main pour l’aider à descendre les marches. Vous possédez une voix superbe, Lucy, et vous interprétez magnifiquement.

— Vous êtes resté..., balbutia-t-elle, sa timidité revenue.

— Bien sûr que je suis resté. Pourquoi serais-je parti ?

Elle avait tout à coup du mal à respirer. Elle pouvait trouver un million de raisons pour expliquer son départ, mais, plutôt que de les lui donner, elle se força à rire.

Il plaisantait, forcément. Mac était un vacancier fortuné et elle, une employée. Il ne pouvait pas être resté pour elle.

— Voulez-vous boire un verre ou préférez-vous rentrer au chalet ?

Elle se ressaisit.

Malgré sa naïveté, il paraissait difficile de se tromper sur la signification du regard de Mac, sur son attitude. Ses yeux qui lui promettaient des merveilles, ses gestes tendres...

Bien sûr, elle aurait dû le repousser sans tenir compte du fait qu’il était un client qu’il ne fallait pas contrarier.

Sauf qu’il y avait un problème : elle avait envie de lui. Très envie.

Il ne la quittait pas des yeux, et soudain l’idée qu’il veuille qu’elle rentre au chalet pour balayer les cendres ou faire des gâteaux paraissait ridicule. Il voulait tout simplement la mettre dans son lit.

Mac, si beau dans sa tenue décontractée, paraissait aussi prêt à l’action que s’il n’avait pas

Page 28: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

dévalé les pentes peu de temps auparavant. Mac, le fruit défendu par excellence, la désirait.

Elle se maudirait éternellement si elle ne saisissait pas sa chance, et quand se présenterait-elle mieux que maintenant ?

— Je voudrais ma veste, dit-elle simplement.

— Je vous l’apporte.

Razi ressentit un élan de chaleur et de fierté, bien qu’il n’ait pas vraiment douté emporter l’accord de Lucy.

Après tout, elle était femme. Elle avait des besoins, et lui des exigences. Ce serait une liaison de vacances. Une liaison qui durerait exactement une nuit. Sa vie de play-boy s’achevait. Il quitterait Lucy comblé, mais il la quitterait : le devoir l’attendait, il était prêt à s’y soumettre.

En voyant la jeune femme marcher timidement à son côté, sa veste boutonnée de haut en bas, il sourit.

Il servirait Lucy Tennant et l’île de Sinnebar avec le même dévouement, la même énergie. Mais dans un cas pour une nuit, dans l’autre pour la vie entière.

Le temps qu’ils atteignent le chalet, il s’était octroyé la journée suivante avec Lucy.

Elle avait si peu conscience de son charme que c’en était troublant. Il appréciait sa compagnie, il aimait sa voix. D’accord, sa tenue était banale, mais cela redoublait son envie de la déshabiller. Ce serait comme découvrir un fruit mûr et délicieux sous une enveloppe insipide.

A travers ce qu’il avait entrevu d’elle sur scène, il pressentait qu’elle possédait assez de sensibilité et de passion pour entretenir son intérêt bien au-delà d’une simple nuit. Cependant, quoi qu’il ressente pour elle, le devoir passerait avant tout.

Constatation qui n’allait pas l’empêcher de profiter au maximum du temps qui leur était imparti.

Ils trouvèrent le chalet désert.

Tout en retirant lentement ses bottes, Lucy se sentit devenir écarlate, anticipant la suite.

Sur le plan sexuel, elle ne pouvait que décevoir Mac. Ses connaissances dans ce domaine auraient tenu sur une tête d’épingle. Et puis, quand il la découvrirait sous ses couches de vêtements, quelle déconvenue ce serait pour lui !

— Avez-vous froid ? Voulez-vous que je vous fasse couler un bain ?

Elle le considéra, incrédule.

Qu’il lui fasse couler un bain ? Lui ? Il devait avoir perdu la tête.

Le sourire de Mac s’élargit.

— J’ai une meilleure idée. Prenons un bain ensemble. Et ne me dites pas que vous n’y avez jamais pensé !

Un bras autour de ses épaules, il lui fit traverser l’accueillante salle de séjour et l’entraîna vers le pittoresque escalier de bois. Au premier se trouvaient les chambres de ses amis, mais le second étage lui était exclusivement réservé.

La porte de sa chambre refermée, il fit glisser la fermeture de sa veste et s’en débarrassa.

— A vous, dit-il.

Et, du regard, il détailla son corps heureusement en sécurité sous ses vêtements.

Page 29: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Restait à espérer qu’il ne veuille pas la jouer strip-tease !

— Je voulais vous remercier de m’avoir soutenue, dit-elle d’un ton poli.

Elle se serait raccrochée à n’importe quoi pour ne pas faire face à la situation. Elle tremblait si fort qu’elle enregistrait à peine ce qu’il se passait.

— Je ne parle jamais travail après 6 heures de l’après-midi, déclara Mac. C’est un principe.

Il jouait maintenant avec l’attache de la fermeture de sa veste à elle.

— J’attends toujours que vous l’ôtiez, insista-t-il en penchant la tête pour plonger son regard amusé dans le sien.

Espérant ne pas commettre une énorme sottise, elle baissa sa fermeture Éclair avec hésitation, puis elle ôta sa doudoune qu’elle déposa sur une chaise.

Mac retira les bretelles de son fuseau et saisit le bas de son pull.

Avec un petit cri, elle détourna le regard.

— J’attends, Lucy !

Comment voulait-il qu’elle rivalise avec ce torse musclé ? Elle n’avait rien, absolument rien d’aussi désirable à lui proposer.

Mac ne lui laissa pas le temps de s’appesantir sur ses doutes. Un instant, il était adossé au mur, l’air détendu. L’instant suivant, elle était dans ses bras.

— Intimidée ? murmura-t-il. Ça me plaît. Sauf que je ne m’en serais jamais douté après vous avoir vue sur scène.

Il souriait à quelques millimètres de sa bouche, narquois.

— C’était exceptionnel, expliqua-t-elle.

Tout était arrivé si vite qu’elle en demeurait tout étourdie. Mais dans le bon sens, décida-t-elle. La sensation d’être serrée contre ce corps dur était enivrante, et ça le serait bien plus encore sans ces couches de vêtements qui les séparaient.

Dire qu’elle fondait de désir serait très en dessous de la réalité.

— Dis quelque chose, murmura Mac pendant qu’il faisait glisser la fermeture de son polaire.

Elle ne pensait qu’à son sexe en érection, dur et pressé avec insistance contre elle.

— Je ne peux pas...

Lui agrippant les fesses avec possessivité, il sourit.

— Tu as raison. Pourquoi perdre du temps en bavardages ?

L’étreinte de Mac lui procurait un plaisir inconnu et si vif qu’elle ne put étouffer un gémissement. Tout son corps était prêt à l’accueillir, et sa résolution de se garder pour l’homme de sa vie s’était évanouie. Le passé n’existait plus, pas plus que l'avenir. Il n’y avait que cet instant d’attente passionnée.

Comme s’il la devinait sûre de sa décision, Mac lui prit la main et enlaça ses doigts aux siens dans un geste à la fois intime et rassurant. Puis il la fit passer devant le grand lit qu’elle avait garni elle-même de draps immaculés et l’entraîna vers la luxueuse salle de bains.

Par l’immense fenêtre du toit, le ciel de velours noir piqueté de diamants venait tenir compagnie au marbre délicatement veiné d’abricot des installations.

Pour nettoyer cette pièce deux fois par jour, elle la connaissait bien ; il était même arrivé qu’elle y laisse son esprit divaguer. Pour elle, c’était l’endroit le plus romantique de la terre. Mais jamais,

Page 30: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

au grand jamais, elle n’avait imaginé l’utiliser elle-même, encore moins y faire l’amour !

Il lui semblait maintenant la voir à travers d’autres yeux que les siens.

— Tu as changé d’avis ? demanda Mac, voyant qu’elle regardait autour d’elle.

— Pas du tout.

— Préfères-tu te déshabiller dans la chambre ? demanda-t-il en portant sa main à ses lèvres.

L’apparente vulnérabilité de Lucy touchait une corde sensible chez Razi. Une corde oubliée depuis bien longtemps.

Tout jeune, il avait appris à éteindre ses sentiments comme une ampoule quand on sort d’une pièce. C’était pour lui le seul moyen de supporter sa déception quand sa mère promettait de venir le voir et, une fois de plus, ne tenait pas parole. A présent, il comprenait qu’Héléna aurait eu trop à perdre en agissant ainsi. Son père, le cheikh au pouvoir, ne tolérait pas d’autre affection que la sienne pour son ancienne maîtresse, pas même celle de son fils. Sa mère avait dû finir par l’oublier, exactement comme lui-même avait appris à oublier les femmes qui traversaient sa vie.

Mais avec Lucy, cela semblait différent. Ce soir, du moins.

Lorsque la jeune femme revint, de la buée s’élevait au-dessus du bain bouillonnant.

Il tourna la tête, et son cœur bondit à sa vue.

Enveloppée du duvet blanc prélevé sur le lit, Lucy paraissait encore plus délicieuse.

— Tu n’as pas besoin de couette pour le bain, dit-il en souriant.

Il lui tendit une main qu’elle prit et serra très fort.

— As-tu changé d’avis ? demanda-t-il.

De la tête, elle fit signe que non.

— Veux-tu que je me tourne ?

— Inutile, chuchota-t-elle.

Et, prenant une profonde inspiration, elle laissa tomber la couette et avança vers lui.

Deux pas encore, et elle était dans ses bras.

Elle était si confiante et si belle ! Et, ce soir, ils allaient vivre le rêve jusqu’à son dénouement.

Elle regarda l'écume miroitante.

— Et toi, vas-tu te baigner avec tes vêtements, Mac, ou est-ce que je dois te déshabiller ? demanda-t-elle d’une voix hésitante.

— A moins que tu veuilles profiter du bain toute seule ?

Elle soutint candidement son regard.

— Dans toute cette eau, j’aurais trop peur sans rien à quoi me raccrocher.

— Tu as de la repartie, je vois.

— J’y travaille, reconnut-elle avec cette sincérité qu’il appréciait tant chez elle.

Puis elle se fit grave, songeant sans doute à ce qui allait se passer.

L’humeur de Razi changea également.

Repoussant ses derniers doutes, il glissa ses doigts dans les cheveux de Lucy et l’attira à lui pour l’embrasser.

Page 31: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Les lèvres de Lucy cédèrent avec empressement sous les siennes.

L’embrasser l’emplit d’un sentiment qu’il n’arrivait pas à nommer — qu’il valait mieux ne pas nommer.

Ils avaient tous deux envie de coucher ensemble, et l’amour physique, comme le ski, était un sport dans lequel il excellait. Cela suffisait amplement pour l’instant.

Page 32: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

6

Le baiser de Mac lui brûlant encore les lèvres, Lucy fit courir ses mains sur ses larges épaules, puis le long de ses bras dont les muscles jouaient sous la peau.

Son sourire provocateur, ses dents blanches, ses lèvres sexy lui promettaient tant de plaisir ! Et puis, il y avait la gaieté de son regard, la chaleur de ses caresses... Elle voulait tout ce qu’il avait à lui donner.

Son torse était couvert d’un léger duvet brun qui plongeait vers la boucle de sa ceinture. Elle détourna la tête, n’osant pas regarder, mais le besoin de toucher fut plus fort et, maladroitement, elle commença de dégrafer sa ceinture.

— Besoin d’aide ?

Certes, mais elle ne le reconnaîtrait pour rien au inonde.

— Non, merci.

Son cœur battait à tout rompre. Elle devait faire semblant d’avoir l’habitude, alors qu’elle était au bord de l’asphyxie !

Dans une brume de rêve, elle sentit qu’il la poussait doucement vers la baignoire et en devina bientôt les marches sous ses pieds.

— N’es-tu pas encore trop habillé ? demanda-t-elle en tressaillant parce que Mac lui mordillait le cou — oh si légèrement —, comme un prélude à ses futures caresses.

— Si c’est ton avis, déshabille-moi !

Elle sentit ses yeux s’écarquiller.

Elle avait imaginé bien des choses dans la solitude de son lit, mais rien d’aussi érotique que la tendresse et l’humour qui se dégageaient de Mac. Cependant, quand il se fit sérieux et se mit à lui murmurer des mots dans une langue qu’elle ne connaissait pas, elle fut gagnée par la nervosité.

Mais son corps semblait parfaitement comprendre et n’avait pas besoin de mots. Il comprenait très bien ce que Mac expliquait qu’il aimerait lui faire, et dans quel ordre.

— Oh, oui ! Oui, s’il te plaît !

Elle se serra contre lui avec un cri de convoitise. Comme il pressait ses lèvres dans son cou, elle sentit la promesse de merveilles à venir.

Mais, apparemment, Mac n’était pas pressé.

Elle s’abandonna contre lui avec un soupir de contentement. Après tout, elle préférait que Mac ne se montre pas trop expéditif. Elle voulait s’habituer à ces sensations toutes neuves, au contact de cet homme viril tout contre elle.

C’était enivrant, bien mieux que dans ses rêves.

Elle aurait voulu graver ces instants pour toujours dans sa mémoire.

Pour toujours...

Page 33: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Elle entendit le pantalon de Mac tomber à terre et frissonna à l’idée qu’il était complètement nu.

Mais lui souriait contre ses lèvres, rassurant.

— Pourquoi trembles-tu ? demanda-t-il. Je ne suis qu’un homme comme un autre.

Là, c’était lui qui rêvait.

Quand Mac la souleva dans ses bras, elle s’abandonna à sa force et à sa sollicitude. Il la déposa avec précaution dans le bain chaud, et elle attendit avec impatience qu’il la rejoigne.

Il entra à son tour et se plaça derrière elle pour lui permettre de s’appuyer contre lui.

Quand il referma ses bras sur elle et l’embrassa dans le cou comme s’ils étaient déjà des amants de longue date, elle se sentit comblée.

Le mélange de l’eau bouillante et d’une Lucy ardente et docile dans ses bras formait un cocktail plus aphrodisiaque que Razi ne l’aurait souhaité. Il enroula ses jambes autour d’elle, appréciant sa confiance comme elle s’abandonnait sans retenue contre lui, et il nota le fait qu’il se sentait merveilleusement bien.

Mieux. Avec elle, il avait l’impression d’être chez lui sur une terre étrangère : c’était la force de Lucy, son talent, cette capacité à créer un havre, un sanctuaire, un foyer là où elle se trouvait.

C’était injuste. Pour la première fois de sa vie, il aurait souhaité cultiver vraiment une relation, et il ne pouvait le faire à cause du devoir qui l’attendait.

Il continuait de poser des baisers dans son cou, sur ses épaules, et de murmurer des mots sinnebalais pour le pur plaisir de l’entendre soupirer.

Embrasser Lucy, c’était se noyer dans le plaisir, et il lui fallait tout son sang-froid pour se retenir au bord de la jouissance.

Un assaut de contrariété lui serra le ventre à la vue de la chaîne d’argent qu’elle portait au cou.

S’agissait-il d’un cadeau ? Et si oui, de qui ?

Cela ne le regardait en aucune façon... Eh bien, si !

Soulevant la chaîne sur son doigt, il fit danser la pantoufle d’argent.

— Qui te l’a offerte ? murmura-t-il entre deux baisers.

— Je l’ai achetée, dit-elle.

— Tu t’es offert une pantoufle de Cendrillon ?

Elle s’agita dans ses bras.

— Ce n’est pas ça ! se défendit-elle, un peu trop énergiquement. C’est pour me rappeler que, un jour, je porterai autre chose que des après-ski !

Il rit doucement tout en frottant légèrement son début de barbe sur la tendre chair de son cou.

— Un jour, ton prince viendra, promit-il, touché par ce qu’il devinait derrière la réponse de la jeune femme.

*

* *

Lucy rit également entre deux demandes de grâce.

Page 34: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Et si son prince était déjà venu et qu’il soit inaccessible ?

Elle sursauta alors que Mac couvrait ses seins de ses mains.

Le geste venait lui rappeler sa propre inexpérience, beaucoup plus étendue qu’il ne l’imaginait certainement.

Parce qu’elle possédait des seins pleins et doux, faits pour être admirés et cajolés, il croyait sans doute qu’elle était accoutumée à les sentir caressés. S’il savait...

Elle cria doucement quand il en effleura les pointes de ses pouces. Comment pourrait-elle rester silencieuse tandis qu’il lui procurait une sensation si délicieuse ? Ses mamelons n’avaient jamais été si sensibles, ses seins, si tendus. Elle commençait seulement à s’habituer au fait qu'un tel degré d’excitation était possible et qu’elle avait toute liberté d’exprimer son contentement. Sans doute y parvenait-elle parce que Mac n’avait pas d’inhibitions et qu’il la rendait forte — pour cette nuit, du moins.

« Un jour, son prince viendrait », avait-il dit ?

Il était venu. Mais, malheureusement, contrairement à ce qu’il se passait dans les contes de fées, il ne resterait pas, elle devrait se contenter des miettes qu’il lui accorderait.

Les mains de Mac étaient passées de ses seins à son ventre, puis à ses cuisses, excitant de façon incroyable son désir. Elle était maintenant chaude et humide dans l’eau parfumée, et plus hardie qu’elle ne l’aurait cru possible.

Plongeant plus profondément dans l’eau, elle laissa ses jambes s’écarter dans une invite paresseuse, si avide de caresses que sa pudeur s’était envolée.

Mac, qui n’avait pas besoin d’encouragement, la maintenait d’une main ferme et glissait déjà l’autre entre ses cuisses.

— Que veux-tu, Lucy ? demanda-t-il d’un ton léger.

— Que tu me touches, répondit-elle dans un souffle.

Elle le sentit sourire contre son épaule, et il se plia à sa requête avec une habileté et une compréhension de ses désirs qui dépassaient l’imagination.

Plus rien n’existait, hormis la sensation qui grandissait en elle. Il lui semblait que sa vie entière en dépendait.

— Oh ! oui, haleta-t-elle en remuant contre sa main. N’arrête pas. N’arrête sous aucun prétexte !

Avec un cri de surprise, elle jouit dans les bras de Mac.

Elle n’avait jamais connu une telle explosion de sensations voluptueuses, suivie d’un tel apaisement. Mais quand Mac reprit ses caresses, elle se rendit compte qu’il avait éveillé en elle un appétit insoupçonné.

S’arc-boutant pour qu’il puisse prendre ses seins, elle gémit quand il joua avec les pointes, qui durcirent de nouveau très vite.

Avec un soupir, elle chercha ses lèvres, poussant des plaintes de satisfaction dans sa bouche pendant qu’il la caressait.

Razi aimait les petits bruits que Lucy produisait, il aimait son goût, et son parfum de fleurs sauvages bercées par l’air alpin. Tout cela, mêlé à l’odeur de l’huile de bain, produisait sur lui un effet unique et particulièrement réjouissant.

Il avait de plus en plus envie de faire plaisir à la jeune femme et savait déjà comment la titiller pour qu’elle s’accroche à lui, soupirant de désir.

Page 35: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Il empoigna ses fesses douces et dociles sous l'écume.

Elle était la perfection. Elle dépassait toutes ses attentes en matière de femmes. Jamais il n’aurait espéré trouver une partenaire si sincère dans l’expression de ses désirs, si sensuelle. Et certainement pas chez une femme réservée et inexpérimentée comme elle.

A ses yeux, elle était la femme.

Comme elle glissait timidement une jambe par-dessus la sienne, il caressa de nouveau son sexe. Prononçant son surnom avec fièvre, elle voulut le prendre dans sa main, mais il la repoussa.

— Attends, murmura-t-il à son oreille.

Et il aima la sentir frissonner rien que de l’entendre.

— Il ne faut pas être aussi impatiente, ajouta-t-il. Tu auras tout ce que tu veux, et même davantage...

Lucy entrouvrit les lèvres pour mieux respirer.

Ses beaux yeux avaient noirci, elle le fixait avec émerveillement.

Cette fois, il ferait en sorte qu’elle ne le quitte pas du regard quand le plaisir la foudroierait.

Elle essaya de lui échapper mais y renonça bientôt, et, quand la jouissance s’abattit sur elle, elle se cambra avec un long cri de plaisir. Dans l’action, de l’eau jaillit et éclaboussa le sol, mais elle ne s’en aperçut pas. Ce fut seulement quand elle reprit ses esprits que, regardant autour d’eux, elle vit l’étendue des dégâts.

Alors, ils éclatèrent de rire comme des enfants désobéissants.

Cette complicité fut une révélation pour lui. Il n’avait jamais été aussi proche d’une femme.

— J’espère que tu as suffisamment de serpillières pour éponger, dit-il, affectant la sévérité.

— Sinon, je prendrai ton peignoir.

— Gare à toi si tu oses !

Il se leva et enjamba le bord de la baignoire. L’eau dégoulinant le long de son corps, il s’empara d’une serviette et fit signe à Lucy de sortir.

Voyant qu’elle hésitait encore à dévoiler son beau corps épanoui, il sourit, attendri. Mais il se dépêcha de l’envelopper dans la serviette chaude pour qu’elle n’éprouve pas trop d’embarras. Puis, la berçant dans ses bras, il l’emporta dans la chambre.

— Et maintenant ? demanda-t-elle en levant les yeux sur lui, une nouvelle assurance dans le regard.

— Tout ce que tu voudras, tu l’auras.

Alors même qu’il saisissait les fesses de Lucy et la plaquait contre son sexe, il luttait encore contre le fait que, en dépit de tout le pouvoir dont il disposait, il y avait une chose qu’il ne pouvait changer : sa première fois avec Lucy serait aussi la dernière.

Il avait presque décidé d’arrêter là quand elle pressa ses petites mains contre son torse.

— Je sens ton cœur battre, dit-elle.

Et, le silence retombant, elle posa son visage à la place de ses mains.

Il se disait encore qu’il allait la repousser, mais, comme par magie, sa main se glissa dans les cheveux de la jeune femme. Puis une fièvre dévorante s’empara d’eux, et leurs mains furent partout à la fois tandis que le souffle de Lucy réchauffait son corps nu.

— C’est injuste, se plaignit-il, songeant à son devoir de souverain.

Page 36: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Ne pense plus à rien, dit Lucy.

Il prit son visage entre ses mains et l’embrassa avec emportement.

Mac ressemblait à un sombre prince de la nuit, songea Lucy pendant que celui-ci mettait un préservatif.

Elle se sentait si forte quand il faisait courir ses doigts sur son corps, il l’avait rendue forte. Toute sa vie, elle avait attendu cet instant, sans vraiment croire qu’il arriverait.

Quand il se plaça au-dessus d’elle, elle regarda ses bras plantés de chaque côté d’elle, son torse musclé, orné à l'endroit du cœur d’un tatouage reprenant l’emblème de sa bague.

— Je sais que tu ne me feras pas souffrir, dit-elle.

— Tu me connais déjà si bien ? demanda Mac d’une voix douce.

— Non, reconnut-elle, mais je sais que je peux avoir confiance en toi.

— Sache alors que tu as raison : je te ne ferai jamais souffrir.

— J’ai juste peur de te décevoir, reprit-elle. J’ai si peu d’expérience...

Il sourit.

— Tu ne pourras jamais me décevoir. Tu n’as pas besoin d’expérience. Tu me fais un tel cadeau... Es-tu rassurée ?

Elle risqua un timide sourire.

— Oui.

Elle avait plus confiance en cet inconnu qu’elle n’avait eu confiance en personne de sa vie.

Naturellement, elle ne pouvait pas expliquer ce sentiment, c’était juste comme ça.

Elle prit plusieurs fois sa respiration alors qu’il l’affolait en bougeant au-dessus d’elle sans la pénétrer.

— Oh ! s’il te plaît... J’ai tellement envie de toi.

— Moi aussi, je te veux, dit Mac d’une voix rauque, en se propulsant enfin en elle. Tu ne peux pas savoir à quel point.

— Comme ça ? demanda-t-elle en soulevant les hanches pour mieux l’accueillir.

D’un mouvement souple, Razi pénétra Lucy. La sensation qu’il éprouva alors, tout à la fois intense et tendre, l’étonna.

Conscient de l’inexpérience de Lucy, il essaya de contrôler le feu qui menaçait de l’envahir et s’efforça de se montrer doux et délicat. Il voulait que cette expérience soit inoubliable pour elle. Seul son plaisir à elle comptait.

— Dis-moi si je te fais mal, chuchota-t-il. J’arrêterai tout de suite.

— Il vaudrait mieux pas ! réussit-elle à dire, en s’agrippant à ses épaules.

— Tu veux quelle quantité de moi ? demanda-t-il en la taquinant d’un baiser.

— Tout ! Je veux tout de toi !

Et, d’un lent mouvement des hanches, elle le prit complètement en elle.

Bouger en elle était source de trop de plaisir. Il doutait de pouvoir garder son sang-froid plus longtemps.

Page 37: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Lucy n’essayait pas de lui faciliter les choses, elle s’agitait avec un enthousiasme qui démentait ses protestations d’ignorance. Il fallait croire qu’elle avait un talent naturel pour le sexe. Elle s’accordait sans effort à son rythme. Audacieuse, elle semblait répondre à chacun de ses mouvements et même les devancer.

Visiblement, elle ne souhaitait pas de la tendresse, mais de la passion. Oubliant ses réticences et ses scrupules, il décida de répondre à ses sollicitations, la saisit par les hanches et accéléra son mouvement de va-et-vient jusqu’à ce qu’il doive étouffer ses cris de plaisir sous ses baisers.

Lucy regardait Mac dormir tout en se demandant si elle avait déjà connu pareille satisfaction physique, ou émerveillement, ou amour.

Il était étendu sur le dos, de tout son long, et ses membres étalés prenaient presque tout l’espace disponible. Il était beau, et paraissait serein.

Du bout du doigt, elle souligna le dessin de ses lèvres parfaitement sculptées, puis retira vivement la main quand il soupira et tourna légèrement la tête.

Maintenant, elle voyait la frange de ses cils projeter une ombre bleue sur son visage. Ses sourcils d’ébène remontaient légèrement vers le haut comme ceux d’un guerrier des steppes ou du désert...

D’où qu’il vienne, cet homme était d’une beauté renversante.

Comme il bougeait la main, son attention fut attirée par le symbole de sa chevalière, semblable à celui qu’il portait tatoué sur le cœur.

Un frisson la parcourut sans qu’elle comprenne pourquoi.

Tout allait bien pourtant. Mieux que bien. Après ce qui venait de se passer ce soir, sa vie ne serait plus jamais la même. Grâce à Mac, elle se sentait femme, plus hardie, plus décidée. Leur relation ne durerait sûrement pas, mais elle aurait eu le bonheur de le connaître. Quelque chose lui disait qu’elle n’éprouverait plus les mêmes sentiments pour un autre. Elle devait donc accepter qu’une nuit avec Mac vaille une existence sans lui. Car il était évident qu’il n’avait rien d’autre à lui offrir.

Elle s’installa contre les oreillers et tourna le visage vers lui afin de le dévorer des yeux.

— Je t’aime, murmura-t-elle.

Ces mots lui paraissaient insuffisants. Il en aurait fallu de plus beaux, de plus flamboyants pour exprimer son amour. C’était un vrai coup de foudre, qui engageait sa vie entière. Non, décidément, cette phrase était trop galvaudée pour rendre compte de la splendeur de ses sentiments.

— Je t’aime, répéta-t-elle néanmoins, n’ayant que ces mots à sa disposition.

Page 38: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

7

Comme d’habitude, le petit déjeuner entraîna Lucy dans un tourbillon d’activités.

Ce qui aurait pu en décontenancer plus d’une, chacun demandant quelque chose de différent — œufs pochés, au plat, brouillés, à la coque —, ne la gênait pas du tout. Son seul souci était de savoir comment Mac réagirait en voyant qu’elle était sortie de la chambre.

A vrai dire, ce n’était guère le moment de s’appesantir sur ces considérations personnelles. Mieux valait oublier le fait qu’elle était tombée amoureuse.

Oublier... Pour le moment, du moins. Pour le moment, elle devait uniquement songer à préparer un bon repas à une bande de skieurs affamés et pressés de rejoindre les pistes. Il devait y avoir assez de café, de thé, de chocolat bouillant, de jus d’orange, de pain frais...

La conversation autour de la table allait déjà bon train quand Mac entra dans la pièce.

Comme par hasard, le silence se fit, et le cœur de Lucy s’arrêta de battre.

Mac venait de se doucher. Avec ses cheveux encore humides, il était beau à couper le souffle.

Ils échangèrent un regard, rien de plus, mais cela suffit à faire vaciller son cœur, et elle ressentit la morsure du désir.

Elle s’était promis de se conduire avec réserve et professionnalisme, mais ce regard changeait tout. Et ils avaient encore quelques jours à passer ensemble...

Son cœur battait d’excitation tandis qu’elle servait le café.

— Désirez-vous autre chose ? demanda-t-elle à ses convives.

— Lucy doit aller se préparer, annonça Mac à la cantonade. Elle a un important rendez-vous sur les pistes ce matin.

Sous le regard rieur de Mac, elle sentit son cœur s’emballer dans sa poitrine.

Il allait l’emmener skier ?

— Abu et Omar nettoieront, déclara-t-il, péremptoire. Dépêchez-vous, Lucy.

Il y avait dans ses yeux un éclair d’amusement destiné à elle seule.

— A plus tard, ajouta-t-il.

— A plus tard, répondit-elle en dénouant les cordons de son tablier.

Cette formule contenait un monde de promesses, et son imagination prit son envol.

Une belle journée à passer avec Mac...

Mac fit une entrée fracassante dans le restaurant où il avait donné rendez-vous à Lucy. Les fourchettes s’arrêtèrent à mi-chemin de la bouche des clients, qui le contemplèrent avec admiration et étonnement.

Lucy connaissait le propriétaire de ce confortable refuge montagnard et, pour calmer son

Page 39: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

impatience en attendant Mac, elle lui avait proposé de l’aider un peu au service. En voyant entrer Mac, elle s’immobilisa une assiette à la main, le cœur battant.

Indifférent aux regards, Mac se dirigea droit vers elle.

— Prête ? demanda-t-il.

Elle adressait déjà un salut d’adieu au patron, qui passait sa tête par l’entrebâillement de la porte des cuisines.

— Es-tu vraiment obligée de travailler au noir ? demanda Mac tout en la poussant vers la patère ou était suspendue sa veste. L’agence de location ne te paie pas assez ?

— Je ne suis pas payée pour travailler ici, rectifia-t-elle.

— Tu en fais déjà bien assez, il me semble, dit-il, tout rembruni.

Il lui tint la porte.

— Le patron est un ami, expliqua-t-elle. Je l’aide de temps en temps.

— Tu laisses les gens profiter de ton bon caractère.

— C’est faux, Mac, je t’assure. Je ne me laisse pas faire.

Le regard amusé qu’il lui jeta la fit rougir.

*

* *

Mac était un excellent skieur, beaucoup plus rapide et assuré qu’elle ne le serait jamais. Elle essaya de rester à sa hauteur, mais, lorsqu’il fallut s’arrêter, ce fut une autre histoire. Elle aurait causé une collision si Mac ne l’avait rattrapée et serrée dans ses bras pour la stabiliser.

— Petit démon ! s’exclama-t-il. Je sens que nous allons bien nous amuser.

Elle craignait justement le contraire. Une journée entière à se ridiculiser devant Mac, c’était plus qu’elle ne pourrait en supporter.

Devant sa mine déconfite, il tenta de la réconforter.

— Il est fréquent de tomber, dit-il. Même Tom a perdu l’équilibre hier.

Mais elle savait que ce n’était pas pareil. Tom avait dû chuter sur une énorme bosse, ou un virage compliqué. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était accuser Mac de la distraire.

Mac, si beau qu’il attirait tous les regards, au point qu’elle se demandait pourquoi il recherchait sa compagnie.

Même s’ils avaient couché ensemble, ce n’était pas vraiment une idylle de vacances. Non, c’était quelque chose de plus précieux, constata-t-elle avec étonnement.

— Veux-tu passer devant ? demanda-t-il, interrompant le cours de ses pensées.

— Non. Il vaut mieux que tu m’attendes en bas. Je ne skie pas aussi bien que toi.

Elle doutait que beaucoup de gens en soient capables.

Surpris, Mac la dévisagea.

— Je ne te laisserai sûrement pas toute seule derrière moi.

A ce moment, les nuages s’écartèrent, et le soleil illumina le visage de Mac.

Page 40: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Elle demeura quelques instants interdite par tant de beauté et de séduction.

— Allons-y, insista-t-il. Le soleil a beau briller, nous ne sommes pas dans le désert.

Elle rit avec lui. Effectivement, ils étaient aussi loin du désert que possible.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à s’élancer, Mac la saisit par le bras.

— Attends, j’ai une meilleure idée. Retire tes skis.

Elle le considéra d’un air stupéfait. Où voulait-il en venir ? Si c’était une plaisanterie, cela ne la faisait pas rire du tout.

— C’est une blague ?

— Je suis tout à fait sérieux. Nous allons les laisser dans le râtelier, et je les ferai chercher.

— Et comment vais-je descendre ? Sur les fesses ?

Ce serait d’ailleurs le plus prudent.

Razi ne lâcha pas Lucy du regard.

— Tu n’as pas confiance en moi ? murmura-t-il.

Il la vit rougir. Aussitôt, il se reprocha son ton péremptoire, mais, d’un autre côté, elle était si belle quand elle rougissait.

—- Tu sais bien que si.

— Alors, retire tes skis, insista-t-il.

Il venait de se rappeler comment Ra’id l’avait tiré d’affaire autrefois, dans des circonstances un peu semblables.

Lui-même avait dix ans, et c’était son premier séjour dans une station de sports d’hiver. Impatient de montrer à son grand frère qu'il savait skier, il l’avait suivi à son insu en haut d’une piste particulièrement difficile. Très vite, il s’était retrouvé coincé, tremblant de peur et incapable de bouger.

Quand Ra’id s’était aperçu qu’il était en danger derrière lui, il avait entrepris la dangereuse ascension de la pente pour venir à son aide. Mais le mauvais temps s’était mis de la partie, et il avait fallut presque une heure à son aîné pour atteindre le pont de neige où il était bloqué. Malgré la présence de son frère, Razi n’avait pas réussi à surmonter sa peur. Encouragements, mots durs, rien n’y avait fait. Ra’id avait alors trouvé le moyen de le redescendre en sécurité — comme il allait le faire aujourd’hui avec Lucy.

Voyant que la jeune femme continuait d’hésiter, il prit les choses en main. Comme il ouvrait ses attaches, elle n’eut d’autre choix que d’ôter ses skis. II les rangea alors sur le râtelier et l’invita à s’approcher.

— Viens. Tu vas monter sur les miens.

— Non, vraiment ! C’est idiot.

— Viens, je te dis ! Mes skis sont solides. Mets-toi devant moi et laisse-toi aller contre moi. Plus près... Oui, comme ça. Allons, détends-toi, Lucy. Laisse-moi faire. Je vais te montrer ce que c’est de vivre dangereusement.

Cette fois, Lucy ne put masquer sa frayeur.

— Non ! s’écria-t-elle, soudain paralysée.

Elle avait commis tant d’entorses à la règle ces derniers jours ! Skier était peut-être la moindre.

Page 41: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Elle était entièrement à la merci de Mac et cela l’effrayait soudain.

Peut-être avait-elle déjà tant investi dans ses sentiments qu’elle craignait d’investir davantage...

— Je t’assure, dit Mac, c’est excitant.

Excitant ? Se doutait-il combien sa vie était déjà devenue excitante depuis qu’elle l’avait rencontré ?

Il frotta son visage contre le sien.

— N’aie pas peur, chuchota-t-il.

Elle entendit son ton rassurant, essaya de se détendre.

— Je vais t’emmener là où tu n’as jamais été auparavant et te montrer à quoi ça ressemble de fendre le vent.

Sur ces mots, il s’élança.

Elle poussa un cri, tandis que son ventre se contractait.

*

* *

— Du calme, cria Razi, resserrant son étreinte autour d’elle. Je ne te laisserai pas tomber.

Ils prirent de la vitesse et il fut heureux de sentir que Lucy prenait peu à peu confiance.

Ra’id avait-il éprouvé cette sensation ?

— Tu te sens plus en sécurité, maintenant ? demanda-t-il comme la pente se faisait plus douce.

— Grâce à toi.

Il essaya de se rappeler quand il avait eu tant de plaisir en dehors d’une chambre.

Il avait pris plaisir à protéger Lucy, peut-être plus qu’il n’aurait dû, et il ressentait un mélange de colère et de frustration à l’idée que son séjour dans les Alpes tirait déjà à sa fin.

Le plaisir était une denrée rare, quand les femmes avaient un œil sur votre trône et l’autre sur votre fortune...

Mais à quoi bon se questionner et se torturer ? De toute façon, il n’avait pas de temps à investir dans une relation féminine.

Lucy ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

Mac lui avait demandé si elle se sentait en sécurité ? Elle était en sécurité. Il la protégeait de tout danger. Avec les bras de Mac autour d’elle, et son corps plaqué contre le sien, elle ne skiait pas, elle volait.

Comme il lui faisait exécuter un grand virage, elle eut une sorte de révélation. C’était cela l’expérience la plus érotique de sa vie.

Se mouvoir, respirer comme une seule et même personne, son corps soudé à celui de Mac au vu et au su de tous, sentir ses muscles bouger et les siens réagir, c’était une expérience grisante.

La descente toucha à sa fin bien trop vite pour son goût. Elle regrettait que ce soit déjà fini et souhaitait vivement pouvoir recommencer.

Comme Mac la faisait descendre de ses skis, elle s’aperçut que les gens les observaient. Toutes

Page 42: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

les femmes souriaient, comme s’ils leur offraient la vision la plus romantique du monde.

— Alors, est-ce que je t’ai convaincue ? demanda-t-il. N’est-ce pas que skier vite est grisant ?

La déception s’abattit sur elle avec une violence douloureuse. Pour Mac, il ne s’agissait que d’un simple défi sportif.

Soudain, elle eut la révélation que ce qui avait été pour elle une nuit d’amour n’avait dû être pour lui qu’une banale aventure. Elle s’était ridiculement emballée. Il représentait tout ce qu’elle voulait au monde, mais il était totalement hors de sa portée.

— Je te raccompagne, dit-il en posant ses skis sur ses épaules.

— Ne dois-tu pas retrouver tes amis ?

Il la prit par le bras.

— Tu sais, nous sommes de grands garçons, maintenant. Viens, c’est l’heure du bain.

Et des jeux de l’amour ?

Comme Mac la serrait un peu plus fort contre lui, elle sentit son cœur se dilater de nouveau.

Après tout, pourquoi toujours s’inquiéter ? Ne valait-il pas mieux profiter de l’instant présent ?

Et quand elle lui glissa un bras autour de la taille, elle sut qu’ils ressemblaient à n’importe quel autre couple insouciant de la station.

Ils adoptèrent tous deux un pas rapide, poussés par l’urgence de se retrouver ensemble, dans un lieu clos.

L’air pur des montagnes, la beauté du paysage et l’indescriptible joie d’être avec Mac la faisaient flotter sur un petit nuage.

— Tu es pressée, toi aussi, n’est-ce pas ? demanda Mac en lui caressant la joue.

— Peut-être, admit-elle sans réussir à effacer de son visage le sourire idiot qu’il y avait surpris.

— J’en suis sûr.

La perspective des moments à venir lui infusait une nouvelle énergie, et elle se sentait la personne la plus vivante du monde. Sa vision était plus acérée, son ouïe si aiguisée qu’elle entendait les propres battements de son cœur, et l’odeur de Mac, délicieusement épicée, propre, chaude, la remplissait de joyeuse anticipation. C’était comme si tous ses sens s’accordaient à la fabuleuse énergie de son amant. Ils attiraient les regards, comme si le lien sexuel qui les unissait était palpable. Forcément, tout le monde devait savoir qu’ils couchaient ensemble...

Elle leva les yeux sur Mac et admira son expression de farouche résolution.

Pas étonnant qu’on les regarde. Quand cet homme voulait quelque chose, il irradiait la toute-puissance.

Savoir ce qu’il voulait et soupçonner les autres de le savoir aussi devait lui procurer un sentiment de satisfaction inouï. Elle, pour sa part, avait envie d’être un objet sexuel désiré, nécessaire...

— Nous y sommes, dit-elle un peu timidement quand ils atteignirent le chalet.

— Belle déduction, dit Mac, taquin.

Il ouvrit la porte et s’effaça pour la laisser entrer.

Quand il referma la porte sur eux, l’énergie qui s’éparpillait dans toutes les directions se trouva soudain contenue dans un espace restreint. L’air crépitait d’électricité, bien qu’ils se contentent de faire les gestes de chaque jour : délacer leurs chaussures, les retirer, ôter leur veste et la suspendre à la patère.

Page 43: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Ils montèrent l’escalier d’un pas mesuré, comme s’ils n’éprouvaient l’un pour l’autre que de tièdes sentiments.

Mais ce n’était qu’illusion, l’attirance entre eux brûlait, plus vive que jamais. Même l’air qu’ils respiraient semblait saturé de particules de désir qui ne faisaient qu’ajouter à leur excitation.

— Nous sommes seuls, murmura Mac quand ils arrivèrent sur le palier.

— Oui...

Elle se demandait s’ils parviendraient à sa chambre, mais il prit les choses en main avec fermeté.

— Allons dans la cuisine, dit-il en la poussant vers celle-ci.

— Et si quelqu’un vient ?

Il sourit.

— Tant pis pour lui.

Le temps qu’il referme la porte, le pull de Lucy était à terre. Puis son pantalon et sa culotte tombèrent. D’un geste, Mac se déshabilla et la souleva dans la foulée.

— Oh, oui ! dit-elle d’une voix étranglée.

Et elle s’accrocha à lui tandis qu’il la pénétrait.

Mac l’emplissait au-delà de ce qu’elle aurait cru possible, et la sensation était si saisissante qu’elle se laissa tout d’abord faire, se délectant de ses grands coups fermes. Et puis, soudain, l’urgence du désir la submergea, et elle se fit sauvage. S’agrippant à ses épaules, elle cria son nom en s’arc-boutant furieusement, les jambes nouées autour de sa taille.

Ils étaient seuls au monde. Personne ne pouvait rentrer dans la pièce tant que Mac la pressait contre la porte, et elle se moquait pas mal qu’on l’entende. Ils étaient tous deux brutalement excités, et ce fut un raid délicieux vers le plaisir et l’oubli, la conclusion qu’attendait leur fantastique descente à ski.

Page 44: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

8

Repoussant les cheveux de Lucy de son visage congestionné, Razi l’embrassa.

Un bref instant, les yeux de la jeune femme brillèrent d’espoir, mais, quand elle le vit reculer, elle comprit. Sur un signe de tête, elle rentra dans sa chambre.

Il resta quelques instants devant la porte fermée avant de gagner son propre appartement.

Il ne servirait à rien de désirer que les choses soient différentes. Il était enchaîné à son destin.

Après avoir pris une douche, il décida d’aller boire un café en ville. Il avait besoin d’être seul pour réfléchir, et choisit un établissement anonyme, où il ne risquait pas de rencontrer ses amis.

De quelque façon qu’il envisage les choses, il butait toujours sur cette réalité : il devait opérer une rupture brutale avec son passé pour se consacrer à l’île de Sinnebar. Il fallait qu’il cesse de penser à Lucy, encore moins envisager de l’emmener avec lui... Il fallait oublier ça !

Il repoussa sa chaise si violemment que plusieurs têtes se tournèrent vers lui. Après avoir réglé sa note, Il sortit en faisant claquer ses talons sur le sol. Peu après, il chaussait ses skis pour affronter le défi de la montagne et imposer le silence à son esprit.

Mais, cette fois, le remède resta impuissant.

Lucy comptait déjà plus pour lui qu’il n’avait le droit de le lui avouer. Elle compterait toujours. Elle avait gagné son cœur en un éclair. S’il considérait tout ce à quoi il devait renoncer pour devenir chef d’État, il avait l’impression qu’elle serait son plus gros sacrifice.

Après sa douche, Lucy endossa son uniforme et se mit à la cuisine.

Tom lui avait demandé de différer un peu le repas, car Mac était retourné skier. L’annonce n’avait fait que renforcer le pressentiment qu’elle avait eu à la porte de sa chambre : Mac allait partir.

Pourtant, quand il revint un peu plus tard et que les cinq hommes s’attablèrent devant les plats qu’elle avait préparés, son attitude n’en laissa rien paraître. Il bavarda comme d’habitude avec ses amis, comme si faire l’amour sauvagement dans la cuisine l’après-midi n’était somme toute qu’un incident banal.

C’était d’ailleurs peut-être le cas ? se dit-elle en faisant le service. Elle ferait peut-être bien de regarder la réalité en face, ces regards tendus que Mac ne cessait de lui dédier ne voulaient sans doute pas dire grand-chose. Il ne tenait pas à ce qu’elle laisse brûler le dîner, voilà tout.

Après le repas, qui fut comme les autres apprécié à sa juste valeur, les cinq jeunes gens décidèrent d'aller assister à la traditionnelle descente aux flambeaux, où les skieurs reliaient d’un trait de lumière la montagne au village.

— Amusez-vous bien ! leur cria-t-elle comme ils s'apprêtaient à s’éloigner.

Elle agissait de la façon la plus naturelle, comme si elle n’attendait rien de Mac.

Ce dernier avait passé un jean, des bottes et un pull à capuche, et son aspect si follement

Page 45: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

séduisant rendait le fossé entre eux plus infranchissable encore. Il aurait fallu qu’elle soit une incorrigible rêveuse pour imaginer seulement quoi que ce soit.

La voix de Mac s’éleva alors, coupant court à ses réflexions.

— Voulez-vous que je vous aide à ranger ?

Elle tressaillit tandis que les autres riaient de bon cœur, comme si c’était la suggestion la plus saugrenue qu’ils avaient jamais entendue.

— Je vous remercie, dit-elle en souriant, mais je m’en sortirai bien toute seule.

Il lui sembla que Mac avait l’air déçu, mais il jeta un coup d’œil à sa montre, et son expression se durcit.

— Allons-y, dit-il. Le temps passe.

Elle frissonna intérieurement en voyant Théo glisser un bras autour des épaules de Mac, comme s’il comprenait ce qui le tourmentait.

Ils comprenaient tous, sauf elle. Malgré sa récente intimité avec Mac, elle ignorait tout de sa vie privée.

Elle continua de sourire jusqu’à ce qu’ils sortent, mais alors, elle se liquéfia.

Elle se sentait faible, stupide, malade. On aurait dû la prévenir que l’amour faisait si mal.

Pourtant, elle pouvait difficilement en vouloir à Mac d’aller skier avec ses amis quand tout le village était en fête. C’était pour cela qu’il était ici, n’est-ce pas ? Il n’allait pas rester au chalet une des plus belles nuits de la saison pour l’aider à ranger ! Quels que soient les coups que lui réserve la vie, elle rebondirait. La prochaine étape, ce serait de l’oublier.

Elle sortit un torchon propre du tiroir et se mit à l’ouvrage.

Oublier Mac ? Impossible ! Elle ne le garderait même pas dans son cœur pour lui tenir lieu d’avertissement, elle le garderait parce que là était sa place. Et s’il ne comprenait pas ce qu’elle ressentait pour lui...

Peu probable qu’il le comprenne, se raisonna-t-elle en administrant à la table le lustrage du siècle. Elle n’avait pas besoin qu’on lui explique que Mac partirait bientôt, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle d’en être tombée amoureuse.

Seulement, voilà, c’était une chose d’être stupide, et une autre d’en subir les conséquences.

— Tu veux que je ramasse les morceaux ? proposa Tom en passant la tête à l’intérieur de l’hélicoptère.

Les morceaux ? ironisa Razi pour lui-même. C’était une explosion nucléaire, oui !

— Inutile, Tom.

Il avait bien raison de penser que Lucy n’était pas son genre de femme, et à présent il était pris au piège. Lui qui se croyait apte à contrôler ses sentiments... Lucy avait attisé plus d’émotions en lui qu’il n’aurait cru possible. Elle lui avait aussi donné davantage qu’aucun autre être au monde, alors qu’il n’attendait rien d’elle.

— As-tu un message à faire passer ? insista Tom, criant par-dessus le rugissement des pales qui se mettaient à tourner au-dessus de l’engin.

Mieux valait une rupture claire et nette. Pour Lucy, en tout cas.

Lui, il connaissait son destin depuis que Ra’id le lui avait tracé quand il avait tout juste treize ans : un jour, il reviendrait sur l’île de Sinnebar endosser les habits du devoir et mettre sa vie au

Page 46: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

service de son pays. Et, en agissant ainsi, il perdrait sa liberté. Il acceptait son sort avec joie, mais un esprit libre et pur comme Lucy Tennant méritait mieux qu’un homme qui avait pour seule préoccupation le salut de son pays.

— Razi ? cria son ami alors que le vacarme s’amplifiait.

Remords et nostalgie le terrassèrent.

Il souffrait d’abandonner Lucy. C’était la première fois qu’il éprouvait ce sentiment, et il soupçonnait que cette douleur ne le quitterait pas tant que l’image du visage ouvert et confiant de la jeune femme s’imposerait à son esprit.

Le moral au plus bas, il tendit sa carte de visite à Tom.

Il l’avait signée, elle portait donc la marque de son autorité.

— Donne-la-lui, s’il te plaît, Tom, dit-il très vite. Si elle a besoin de quelque chose, n’importe quoi, une place, des références...

Tom et lui étaient comme des frères, il n’eut pas à s’expliquer davantage. Avant que Tom puisse répondre ou que lui-même change d’avis, il donna le signal du départ, et l’hélicoptère prit son envol.

Lucy ouvrit de grands yeux.

Au nom du ciel, qu’est-ce que ça signifiait ?

Les jambes coupées, elle se laissa tomber sur le lit, et son regard se reporta sur la table de nuit.

Elle n’avait pas rêvé, quelqu’un y avait déposé de l’argent. Avant cet instant, elle ignorait l’existence de billets de cinq cents euros, et à présent il y en avait toute une pile à portée de sa main. Sûrement plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Non qu’elle ait la moindre envie de les toucher !

Elle sentit un froid de glace l’envahir.

Mac n’était pas rentré avec les autres, et ses gardes du corps avaient disparu.

Pour vivre son rêve, elle n’avait pas voulu s’interroger sur l’identité du mystérieux M. X, et voilà. Cet être fabuleusement riche était retourné à son monde, la laissant avec une petite fortune en billets violacés, comme si l’argent pouvait colmater les blessures de son cœur.

Mac pensait-il vraiment que l’argent avait ce pouvoir ?

Elle tourna le visage vers le mur, se mordant le dos de la main pour ne pas pleurer. Elle récoltait ce qu’elle avait mérité — beaucoup plus, en réalité : il y avait là assez d’argent pour lui permettre d’ouvrir son propre restaurant.

Pourtant, même cette pensée n’arrivait pas à la réchauffer.

Ses jambes étaient en plomb quand elle les souleva pour se mettre au lit. Remontant la couette sous son menton, elle demeura tout habillée dans le noir, frissonnant et contemplant un univers qui n’était pas seulement vide, mais irrémédiablement transformé par le regard blasé que Mac portait sur elle.

La fin d’une saison de ski entraînait des bouleversements, c’était inévitable. Mais, pour Lucy, cela n’était rien comparé au résultat positif d’un test de grossesse.

Elle s’adossa au mur de sa salle de bains, les yeux fermés, mais, quand elle les rouvrit, la ligne bleue révélatrice était toujours là.

Page 47: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Ces derniers temps, elle éprouvait des malaises le matin, et puis, elle se sentait différente. Comme si elle n’était plus seule dans son corps.

Il y avait une bonne raison à ce qu’elle ressente cela, et elle la connaissait maintenant.

Elle posa les mains sur son ventre encore plat, envahie par un sentiment d’amour inconditionnel envers le minuscule être qui croissait en elle.

Quelqu’un à aimer, quelqu’un qui, elle l’espérait, l’aimerait, une famille à elle...

Et Mac dans tout ça ? Fallait-il le mettre au courant ?

Se rappelant la pile de billets qu’il avait laissée derrière lui et la façon désinvolte dont il l’avait quittée, elle décida qu’il ne le méritait pas.

Elle serra les dents contre le chagrin.

Oh ! elle pouvait lui tenir rigueur de sa conduite, elle l’aimait quand même. Elle l’aimerait toujours. Impossible de lutter contre les souvenirs — des souvenirs heureux si l’on exceptait le coup final, quand il avait quitté la station sans même lui dire adieu, sans lui laisser d’autre message que cette horrible carte de visite que Tom lui avait remise dans une enveloppe cachetée.

— On ne sait jamais, avait gentiment dit ce dernier après lui avoir expliqué de quoi il retournait. Vous pourriez avoir besoin de quelque chose.

Elle avait mis l’enveloppe dans la poche de son tablier.

— Je n’aurai jamais besoin de rien de sa part, avait-elle rétorqué sèchement.

— Un emploi, peut-être ? avait hasardé Tom.

Il devinait évidemment son chagrin et tentait de l’apaiser.

— Rien du tout, avait-elle affirmé, catégorique.

Quand elle était retournée dans sa chambre, elle avait jeté l’enveloppe dans un tiroir, où celle-ci était restée jusqu’à ce jour, intacte.

Et maintenant, elle allait être mère...

Elle se voyait mal arriver chez ses parents avec un enfant dans les bras. Il lui fallait un endroit à elle, avec un jardin où une petite fille pourrait jouer. Car elle était sûre que c’était une petite fille.

L’idée l’emplissait non seulement de joie, mais aussi d’une ambition renouvelée. Désormais, elle se battrait pour quelqu’un. Quelqu’un qui aurait besoin d’argent pour ses études, d’une robe de bal, de tout ce qu’elle pourrait lui offrir...

Pour commencer, elle trouverait une place. Ensuite, elle s’installerait à son compte. Ce serait un excellent usage pour la pile de billets intacte elle aussi déposée au fond d’un coffre-fort de l’agence.

Et Mac dans tout ça ?

Il avait le droit de savoir qu’il allait être père, il fallait lui donner cette chance.

Elle devait le lui dire, malheureusement. Elle n’avait pas le choix, c’était la seule chose à faire.

« R. Maktabi,

P.-D.G. de Maktabi Communications ».

Après une frénétique recherche dans son tiroir à chaussettes, elle avait fini par retrouver la fameuse carte, pour éclater d’un rire amer en la lisant.

Mac s’était fourvoyé, la communication n’était pas franchement son fort !

La carte comportait trois numéros de téléphone. Un à Londres, un à New York et un quelque

Page 48: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

part dans le golfe Arabique, dans un île du nom de Sinnebar.

Cela expliquait le physique oriental de Mac, songea-t-elle, le regard errant distraitement par la fenêtre. Il avait des contacts à l’Est comme à l’Ouest, et il était retourné à sa vie...

Haussant les épaules, elle composa le numéro de Londres.

Elle tomba sur une secrétaire glaciale qui l’informa qu’il n’y avait pas de Mac chez eux.

C’était donc un surnom, et peu utilisé, du moins avec la vieille mégère au bout de la ligne.

Avec le bureau de New York, elle n’eut pas plus de chance. Mais elle ne se découragea pas, car il restait un autre numéro de téléphone. Il lui suffisait de fermer les yeux pour avoir la vision d’un campement bédouin, avec des tentes dont les pans flottaient gracieusement au vent. La vision était idyllique, mais elle la chassa rageusement en imaginant ensuite les superbes créatures vêtues de couleurs arc-en-ciel comme autant de gracieux papillons qui se disputaient pour proposer leur couche à un Mac allongé sur des coussins de soie.

— Un rendez-vous avec le P.-D.-G. de Maktabi Communications ? répéta une onctueuse voix masculine. Je crains que ce ne soit pas possible.

Dans sa nervosité, elle serra la carte de Mac dans sa main.

— Écoutez, s’il est là, puis-je lui parler, s’il vous plaît ? C’est de la plus haute importance.

— Pouvez-vous me résumer l’affaire ?

Mac était là, elle le sentait.

Elle appuya le téléphone sur sa poitrine, le cœur battant si fort que l’homme de la lointaine île de Sinnebar l’entendit sûrement.

Elle replaça le téléphone à son oreille.

— C’est personnel. Pourrais-je le rencontrer ?

— Je ne peux pas vous donner de rendez-vous.

Comment ça, il ne pouvait pas ? A moins d’une maladie incurable, on pouvait toujours prendre le temps de rencontrer quelqu’un.

— Mais je le connais ! protesta-t-elle. Je suis sûre qu’il acceptera de me parler.

Il y eut un silence, suivi d’un rire désobligeant.

— Si vous saviez le nombre de gens qui racontent la même chose !

De femmes, surtout ?

Son cœur se serra. Soudain, elle voyait la scène de l’extérieur : une jeune femme dont personne n’avait entendu parler exigeait un rendez-vous avec le P.-D.G. d’une grosse multinationale...

— De toute façon, ajouta l’homme, c’est férié la semaine prochaine. Même si vous étiez assez folle pour venir, vous ne trouveriez personne. Les bureaux seront fermés...

— A partir de quand ? demanda-t-elle vivement.

— De jeudi.

Dans trois jours.

— Parfait. Pouvez-vous arranger notre rendez-vous pour mercredi ?

— « Votre » rendez-vous ?

Il y eut un silence, le temps que son interlocuteur digère sa question.

— J’ai l’impression que vous m’avez mal compris. Il ne peut pas y avoir de rendez-vous,

Page 49: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

mademoiselle. ..

— Tennant.

— Au revoir, mademoiselle Tennant.

Elle contempla le téléphone avec incrédulité : l’homme avait raccroché.

Son dernier espoir s’évanouissait. Mais elle ne pouvait en rester là. A cause du bébé, rien ni personne ne l’empêcherait de voir Mac.

D’une main tremblante, elle reprit le téléphone pour réserver un billet d’avion.

Page 50: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

9

Le commissaire de bord venait d’annoncer l’atterrissage imminent sur l’île de Sinnebar.

Dévorée par la curiosité, Lucy regarda par le hublot tandis que le jet amorçait sa descente au-dessus d’une mer d’azur.

De minuscules traînées blanches marquaient le passage des bateaux, et un patchwork de terres sable, vertes, or et brunes s’étirait vers de lointaines montagnes pourpres. Puis une ville apparut dans une brume de chaleur, dominée par des flèches blanches.

Pas étonnant que Mac ait choisi d’installer un bureau ici. Si l’île de Sinnebar était moitié aussi magique qu’elle l’apparaissait vue du ciel, il était un homme heureux.

Un homme heureux sur plus d’un plan. Il était sur le point de devenir père. S’il ressentait seulement un dixième de l’amour qu’elle portait déjà à leur enfant, il serait au septième ciel.

L’idée l’assombrit. Pourvu que Mac s’intéresse à leur bébé et sache prendre un peu de temps à ses affaires pour lui en consacrer...

Mais il serait bien temps de se lamenter le moment venu. Pour l’heure, elle devait se concentrer sur sa tâche. Il était tôt, et elle avait l’intention de se rendre directement au bureau de Mac et d’attendre aussi longtemps qu’il le faudrait pour le voir.

Elle devrait se montrer professionnelle et déterminée. Il ne s’agissait pas d’un rendez-vous mondain. Le bonheur de son enfant et celui de Mac dépendaient de l’issue de cette rencontre. En outre, elle disposait de peu de temps. Pour le moment, elle vivait sur les économies réalisées durant la saison de ski, mais il lui faudrait vite retrouver une place. Elle avait d’ailleurs réservé son billet de retour pour dans deux jours. Les joies du tourisme, ce serait pour plus tard.

Arrachant son regard du hublot, elle essaya de contenir ses émotions, l’appréhension de ce qui l’attendait dans ce pays inconnu rivalisant avec sa foi aveugle en Mac.

Elle était certaine qu’il éprouverait un amour instinctif pour son enfant. Il fallait le croire. D’autant qu’elle lui expliquerait qu’elle comptait endosser la responsabilité totale de son éducation. Malgré tout, elle n’arrivait pas à faire taire totalement ses doutes.

Il fallait se concentrer sur les points positifs. Malgré le peu de temps qu’elle passerait sur l’île, elle essaierait d’absorber le maximum d’impressions et de connaissances de ce pays d’éternel soleil où tout était nouveau pour elle. Mais d’abord, il lui fallait se changer avant l’arrivée à l’aéroport.

Pour les vingt-quatre heures que durait le voyage, elle avait mis un survêtement, mais elle avait apporté un tailleur léger pour sa rencontre avec Mac. Étant donné l’importance de la nouvelle qu’elle lui apportait, elle ne devait négliger aucun détail. Il fallait qu’elle paraisse sûre d'elle-même.

Elle avait élaboré un certain nombre de scénarios quant à la réaction de Mac, mais une chose était sûre : elle devait absolument garder son calme. Leur aventure appartenait au passé, il fallait l’admettre, et passer outre. Désormais, c’était le bébé qui comptait.

Tout se déroula le mieux du monde. L’aéroport était paisible et accueillant, les formalités furent rapides, et une rangée de taxis attendait à la sortie.

Page 51: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Elle commençait à croire que le pays était de son côté.

Tout lui paraissait si exotique qu’elle ne cessait de regarder autour d’elle et, quand ce fut son tour de monter dans un taxi, elle fut rappelée à la réalité par une dame très aimable qui attendait dans la file derrière elle.

C’était si difficile de croire qu’elle se trouvait réellement sur l’île de Sinnebar, environnée par l’odeur d’épices flottant dans l’air, le froissement des djellabas, le cliquètement des perles de prière et le bruit caractéristique des pieds chaussés de sandales frôlant le sol. Comment ne se serait-elle pas sentie excitée à ce spectacle, et à l’idée de revoir Mac ?

Elle s’était mise en garde : celui-ci pourrait très bien ne pas l’accueillir à bras ouverts. Mais, pour le moment, elle régalait ses yeux de la vue du pays et, même s’il ne lui était pas possible d’y séjourner longtemps, elle se promettait de profiter à fond de chaque instant pour être un jour en mesure de tout raconter à son enfant.

Razi avait imprimé son autorité sur le royaume dans les premières heures de son ascension au trône Phœnix.

Auparavant, il avait commencé par s’implanter en coulisses en tant que P.-D.G. de Maktabi Communications, avec un bureau dans la capitale de l’île, mais à présent il détenait le pouvoir central.

L’apprentissage avait été rude pour les courtisans habitués aux méthodes relâchées de son prédécesseur et pour des hommes comme le père de sa cousine Leila, qui avaient imaginé pouvoir manipuler sans difficulté le prince play-boy devenu roi.Ils avaient dû apprendre à leurs dépens que sa réussite en affaires allait de pair avec sa capacité à tout superviser.

Il comptait gouverner son pays de la même manière. Il n’y aurait ni scandales, ni corruption, ni favoritisme. Pas d’exception. Il vivrait lui-même selon la rigueur morale édictée par la loi. Sa vie privée resterait un désert jusqu’au jour où il prendrait femme, et il n’espérait même pas que l’amour entre dans l’équation.

Ses nouveaux pouvoirs lui valaient un défilé de créatures stupides aux dents de porcelaine et au corsage artificiellement rembourré. Quand il les comparait à certaine jeune personne trop honnête pour son propre bien et aussi naturelle que la lumière du jour, il était tenté d’oublier l’idée d’avoir un jour une femme dans sa vie.

Le débordement d’activités et les journées de travail de dix-huit heures auraient dû l’empêcher de rêver à cette femme qui aurait représenté un souffle d’air frais parmi toutes celles qu’on essayait de lui imposer maintenant qu’il régnait.

Lucy Tennant ne le savait sans doute pas, mais elle était aussi précieuse qu’une fleur poussant dans le désert.

Et cette fleur, il l’avait piétinée sans scrupules.

Lucy se renfonça contre le dossier de son siège comme le taxi empruntait la bretelle menant vers la ville.

L’idée que chaque tour de roues la rapprochait de Mac la faisait frissonner d’excitation, au point qu’elle s’interrogeait sur sa santé mentale.

Posant instinctivement une main sur son ventre, elle souhaita pouvoir expliquer au bébé que tout était pour le mieux et que, quoi qu’il arrive, sa mère le protégerait.

Le taxi s’arrêta devant un de ces immeubles couronnés de flèches blanches qu’elle avait aperçus du haut du ciel.

Page 52: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

D’en bas, c’était encore plus impressionnant. Au-dessus de l’entrée s’étalait une inscription en arabe doublée de sa traduction anglaise : « Maktabi Communications », et un drapeau flottait à un mât.

Elle sentit son estomac se contracter en reconnaissant le lion bondissant et le cimeterre qui ornaient la bague de Mac.

C’était incroyable comme cet emblème semblait à sa place dans ce pays de pouvoir, d’opulence et de splendeur. A présent, elle comprenait l’allure si noble de Mac.

Ce qu’elle ne comprenait pas, en revanche, c’était la présence de soldats en armes à sa porte.

Heureusement, la jeune femme effacée qu’elle avait été avait changé depuis qu’elle portait en elle le cadeau de la vie, et elle ne se laissa pas impressionner.

— J’ai rendez-vous, dit-elle d’un ton aimable à un soldat.

Et elle cita le nom de l’homme si réticent qui s’était entretenu avec elle au téléphone.

Et, avant que le soldat n’ait eu le temps d’appeler pour vérifier, elle sortit la carte de visite signée de la main de Mac.

Elle se félicita de l’avoir conservée, car cela agit comme un sésame. Le soldat se mit au garde-à-vous, salua, puis se dirigea vers la porte. Et il se tint très droit pendant qu’elle passait devant lui et pénétrait dans un vaste hall au sol de marbre.

Émerveillée, elle évalua les dimensions de l’édifice.

Ce fabuleux bâtiment de verre et d’acier évoquait une fortune considérable.

A l’autre extrémité du hall, il y avait un bureau derrière lequel se tenaient deux hommes revêtus d’une robe d’un blanc immaculé et d’une coiffe flottante retenue par un lien.

Malgré son tailleur élégant, elle se sentait intimidée. Cependant, songeant à son bébé, elle se ressaisit et avança, ses talons cliquetant sur le marbre.

Elle réussit tant bien que mal à expliquer ce quelle voulait. Naturellement, elle n’oublia pas de produire la carte magique.

Après une petite discussion entre les deux hommes, l’un d’eux lui désigna avec une extrême courtoisie le canapé où elle devrait patienter.

Elle attendit.

Il y avait des magazines sur une table basse, mais elle ne se sentait pas le courage d’y jeter un œil. Elle se rendit deux fois aux lavabos, se baigna le visage d’eau fraîche, s’examina dans le miroir.

Elle avait une mine affreuse, des cernes sous les yeux, l’air hagard.

Si seulement elle avait appartenu à cette catégorie de personnes naturellement élégantes, qui restent toujours fraîches comme une rose ! Malheureusement, même à ce stade précoce de sa grossesse, elle se sentait terriblement fatiguée. Bien sûr, un petit en-cas et de quoi boire lui auraient fait le plus grand bien, mais on ne lui proposa rien, et elle n’osa pas demander.

Son idée première avait été d’entrer dans l’immeuble et de trouver Mac. Elle ne s’était pas doutée qu’elle devrait attendre si longtemps. Et, pendant ce temps, ses pensées vagabondaient.

Quand elle avait présenté la carte de visite de Mac au soldat en faction, ce dernier avait paru très impressionné.

Que Mac soit un homme puissant, elle n’en avait jamais douté, mais que tant de barrières s’élèvent quand elle demandait simplement à le voir lui paraissait étrange. Sa compagnie travaillait peut-être sur un programme en liaison avec la sécurité du pays ?

Pour se changer les idées, elle examina le drapeau national déployé au-dessus du bureau de la

Page 53: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

réception.

Alors qu’elle admirait la qualité de la représentation du cimeterre et du lion bondissant, une vague de frayeur tout à fait irrationnelle la submergea, et elle dut refréner son imagination débordante aiguillonnée par les hormones de grossesse.

Son estomac se mit à gronder, lui rappelant qu’elle n'avait pas correctement mangé depuis la veille et qu’elle devrait désormais se montrer plus attentive, puisqu’ils étaient deux à dépendre de la régularité de ses repas.

Consultant sa montre, elle soupira en constatant qu’une demi-heure avait encore passé. Rassemblant tout son courage, elle se leva et s’approcha du bureau.

— Toutes nos excuses, dit l’un des hommes, avec un geste théâtral de la main.

— Savez-vous combien de temps je devrai encore attendre ? s’enquit-elle, anxieuse car elle sentait la tête lui tourner.

Et puis, elle devait passer à l’hôtel confirmer sa présence, elle craignait de voir sa chambre lui échapper.

— Je ne peux rien vous dire, répondit l’homme avec un haussement d’épaules.

— Dans ce cas, puis-je attendre à la porte du bureau du directeur ? S’il vous plaît ?

La question lui attira un regard de mépris apitoyé.

Elle sentit ses épaules se voûter, mais elle se redressa aussitôt en entendant un cri guttural résonner du côté de la porte d’entrée, suivi d’un bruit métallique d’armes.

Mac était arrivé. Elle n’avait pas besoin de se retourner pour savoir que c’était lui, elle le sentait dans la moindre fibre de son être.

Elle entendit un bruit étouffé de sandales, sentit une odeur d’épices et de bois de santal...

Et, soudain, la vérité l’aveugla.

Le lion bondissant, le cimeterre, le drapeau royal, le protocole qui régissait les rapports avec Mac...

Comme toutes les pièces du puzzle se mettaient en place, elle tomba évanouie.

Page 54: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

10

Quand Lucy s’éveilla, nauséeuse, elle prit connaissance de son environnement avec précaution avant d’esquisser un geste.

Elle se trouvait dans une chambre somptueuse. Les persiennes étaient tirées, si bien que la pièce baignait dans la pénombre. Un dessus-de-lit de brocart ivoire et or avait été plié soigneusement et déposé sur un coffre près du vaste lit, où elle reposait sur des draps d’une blancheur immaculée. A l’autre extrémité, deux hommes,en djellaba conversaient à voix basse. L’une des robes était blanche. Celle du plus jeune était indigo.

Le bleu était réservé aux personnages importants, se rappela-t-elle, l’esprit embrumé. Un sang également bleu coulait sans doute dans les veines de ce dernier.

A mesure que ses idées s’éclaircissaient, tout se mettait en place.

Mac était un roi. Pas étonnant qu’on ne l’autorise pas à le voir ! L’homme qu’elle aimait était le cheikh régnant de l’île de Sinnebar. Un prince du désert.

Elle avait à peine ébauché un geste que, sans qu’un mot soit échangé, l’homme plus âgé qu’elle présumait être un médecin sortit et referma doucement la porte derrière lui.

Foulant silencieusement le tapis au dessin exquis, Mac s’approcha du lit.

Elle eut l’impression que l’univers rétrécissait au point de n’être plus qu’un visage, et son cœur plein de désir et de nostalgie se mit à battre la chamade.

Il s’arrêta à une courte distance, son visage restant dans l’ombre. Mais, bien qu’elle ne voie pas précisément ses traits, elle sut tout de suite que cet homme austère n’avait rien de commun avec l’amant passionné qu’elle avait connu à Val-d’Isère.

— Lucy ?

La voix était la même. L’homme était le même. Et pourtant, rien n’était plus comme avant. Et pas seulement à cause du costume.

Mac était un puissant de ce monde, et le poids de ses responsabilités donnait à son visage une expression autoritaire et dure. Il la regardait, mais elle sentait son regard tourné vers un avenir dans lequel elle n’aurait jamais de place.

Elle laissa retomber sa tête sur les oreillers, découragée, puis se reprit.

Pour le bien de son enfant, elle n’avait pas le droit de se laisser intimider par quiconque, pas même par le roi de l’île de Sinnebar. Elle s’était sans doute évanouie à cause du manque de nourriture, ce qui était impardonnable. A présent qu’elle attendait un enfant, elle avait des responsabilités. Elle devait agir rationnellement pour protéger son bébé.

En même temps, sa grossesse n’expliquait pas à elle seule sa défaillance. Quand Mac était entré dans l’immeuble, cette part d’elle-même qui refusait obstinément d’accepter la réalité avait volé vers lui. Mais il était temps de regarder la vérité en face. Elle était venue ici pour avoir une conversation importante avec le père de son enfant.

— Qui es-tu réellement ? murmura-t-elle.

Page 55: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Elle connaissait la réponse, mais voulait l’entendre de sa propre bouche.

Celui qu’elle avait connu sous le nom de Mac haussa les épaules, et des plis de sa robe s’élevèrent de mystérieux arômes d’épices orientales.

— Je m’appelle Razi al Maktabi.

— Razi al Maktabi ? Sa Majesté le cheikh Razi al Maktabi de l’île de Sinnebar ?

La révélation la frappa comme un coup de massue tandis que Mac acquiesçait à la mode arabe, d’un ample et gracieux geste du bras.

— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

Elle détesta le son de sa voix, faible, blessé. Mais elle n’avait jamais été bonne comédienne.

— L’occasion ne s’est pas présentée.

Non, bien sûr. Ils étaient trop occupés à faire l’amour — ou plutôt à coucher ensemble, comme Razi al Maktabi qualifierait sans doute leurs ébats. Et il était trop tard maintenant pour maudire son aveuglement.

Le fossé qui avait toujours existé entre eux s’était juste élargi jusqu’à devenir un précipice, comprit-elle devant le visage sévère de son hôte.

Razi al Maktabi portait les vêtements d’un roi, il suffisait pour le comprendre de voir l’exquis travail de l’agal d’or qui maintenait son keffieh. Pourtant, c’était l’amour qu’elle lui portait qui la faisait vibrer d’un douloureux désir.

Mais elle était ici pour son bébé, elle ne pouvait se laisser distraire. Pas même par l’allure princière de Mac.

— Que veux-tu de moi, Lucy ?

Il faisait preuve d’une telle froideur !

Elle se laissa retomber sans voix sur les oreillers.

Leur brève aventure n’avait pas compté pour lui. Il l’avait rayée de son esprit, et voilà qu’elle réapparaissait. Normal qu’il suppose qu’elle était venue lui réclamer quelque chose.

Il fallait qu’elle laisse ses sentiments de côté, essayer de sauver ce qui pouvait l’être.

Elle fit passer ses jambes par-dessus le bord du lit et tenta de se lever, mais, prise de vertige, elle tituba pitoyablement.

La rapidité de Mac à la prendre par le bras lui épargna la chute, mais pas l’humiliation.

Retirant son bras d’un geste brusque, elle tâtonna vers le bord du lit et se laissa tomber dessus en tremblant.

— Peux-tu me laisser un instant, s’il te plaît ?

A son crédit, celui qu’elle devait apprendre à connaître sous le nom de Razi recula.

— Quand as-tu mangé pour la dernière fois ? demanda-t-il.

Elle leva les yeux.

— Je ne me souviens pas répondit-elle avec détachement.

— Tu ne te...

Il s’interrompit.

— Heureusement, j’ai eu la bonne idée de faire venir du bouillon des cuisines.

Il se détourna vers un chariot roulant.

Page 56: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Tu ferais mieux de le boire avant toute chose, dit-il en posant sur ses genoux un plateau garni d’un bol.

Son regard était tellement dénué de chaleur !

Elle eut envie de détourner la tête, mais la faim la tenaillait. Et puis, il fallait penser à l’enfant.

— Bois, insista Razi. Tu te sentiras mieux quand tu auras quelque chose dans l’estomac.

Elle but avidement le bouillon et sentit avec soulagement chaleur et énergie circuler dans ses veines. Mais, quand elle leva les yeux pour remercier Razi, l’expression de celui-ci était inchangée.

Quoi qu’il y ait eu entre eux, c’était fini et bien fini.

Elle avait à peine reposé le bol qu’il retira le plateau. L’ayant posé sur le chariot, il se tourna vers elle.

— Pourquoi es-tu venue, Lucy ?

Oui, pourquoi ?

Soudain, toutes les raisons qui lui avaient semblé sensées jusque-là apparaissaient dans tout leur ridicule. Elle connaissait mal les lois régissant l’île de Sinnebar, à part que le cheikh détenait tous les pouvoirs. Sur quoi sa démarche pouvait-elle déboucher ? Quelle importance aux yeux de Mac d’avoir mis enceinte la responsable du chalet où il avait passé ses dernières vacances avant son accession au trône ?

Elle tenta de s’endurcir, à cause de l’enfant.

— Je te prie de m’excuser de m’imposer ainsi, commença-t-elle poliment, mais il fallait que je te voie.

— Vraiment ? fit Razi, le regard soupçonneux entre ses paupières plissées.

Il n’avait pas besoin de lui expliquer que le chef tout-puissant d’un pays avait des sujets de préoccupation autrement graves que les ennuis d’une petite rien-du-tout. La seule question était de savoir s’il respecterait ses droits maternels ou s’il exigerait de garder l’enfant royal en la renvoyant à ses fourneaux.

Cette dernière éventualité était si choquante qu’elle porta une main à sa gorge.

Interprétant mal son geste, Razi lui versa un verre d’eau.

— Tu sembles épuisée, dit-il. Etait-il vraiment nécessaire que tu t’imposes une telle épreuve ?

Oui. Cent fois oui, se dit-elle tout en buvant. Mais pas pour les raisons qu’il supposait.

— Je t’ai posé une question, lui rappela-t-il froidement. Pourquoi es-tu ici ? Qu’espères-tu gagner de cette visite ?

Étant donné sa position, tout le portait à croire qu’elle s’était donné pour mission de ranimer son intérêt.

Eh bien, elle gagnerait son propre respect, parce qu’elle aurait agi de la manière qui lui semblait convenable en venant l’informer de sa future paternité !

— Je ne veux rien de toi, dit-elle d’un ton ferme.

— Tu ne veux rien ? Vraiment ? C’est un long voyage pour « rien », Lucy.

A voir l’expression de Razi, il était clair que, pour lui, sa faiblesse équivalait à un aveu de culpabilité.

Comment le convaincre ? C’était un cheikh tout-puissant, et elle, une pauvre femme incapable de se tenir sur ses jambes.

Page 57: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Il traversa la chambre pour pousser les persiennes.

Reconnaissant l’horizon urbain, elle en déduisit que la pièce devait être située dans le haut de l’immeuble.

Sa présence n’était qu’un geste de courtoisie vis-à-vis d’une femme qui s’était trouvée mal à ses pieds. Il devait vouloir se remettre au travail.

— Razi, il fallait absolument que je te parle.

— Nous n’avons plus rien à nous dire, Lucy.

Cette rebuffade prouvait l’étendue de son erreur : en venant sur l’île de Sinnebar, elle avait cru rencontrer Mac, le jeune homme sympathique avec qui il était aisé de parler. Mais essayer d’exposer ses souhaits à un cheikh régnant était une tâche sans espoir. Rien que lui demander de se rappeler un flirt de vacances avec une petite cuisinière, cela semblait ridicule. Le problème était de taille : comment apprendre la merveilleuse nouvelle à Mac quand il n’y avait pas de Mac ?

Voyant qu’il s’apprêtait à se retirer, elle fut saisie de panique.

— Je ne sais même pas comment t’appeler !

— Razi. Ou Mac, comme tu préfères.

Sa réponse dédaigneuse disait qu’elle pouvait bien l’appeler comme elle voudrait, pour le temps qu’ils auraient à passer ensemble.

Mac convenait pour l’hôte et l’amant qui s’était révélé charmant après des débuts un peu difficiles, mais l’homme qui se tenait devant elle était un combattant du désert, avec tout ce que ça impliquait.

Dire que le désert lui avait toujours paru le comble du romantisme, comme les personnages de sang royal qui le hantaient ! La réalité était bien différente. Le désert était un environnement hostile, et le roi du désert, un étranger.

— Votre Majesté ! cria-t-elle à la longue silhouette bleue qui s’éloignait.

Il se retourna.

— Appelle-moi Razi, je te prie.

Mac le play-boy avait complètement disparu, remplacé par Razi le cheikh, un homme si résolu et inflexible qu’il la traitait avec la distance qu’on réserve aux inconnus. Et pourtant, qu’il le veuille ou non, il y avait quelque chose entre eux. Et c’était davantage que le souvenir explosif de leur passion. Un vrai lien les unissait, qu’elle ressentait plus fort que jamais, et elle refusait de croire qu’il ne le ressentait pas aussi.

— Que veux-tu, à la fin ? demanda Razi.

Elle rassembla tout son courage pour soutenir son regard noir, dans l’espoir absurde que Razi s’humaniserait quand elle lui aurait dévoilé la raison de sa venue.

— Tu veux un emploi ?

La question était si inattendue qu’elle faillit éclater de rire.

Un emploi ? Merci bien ! Ni comme cuisinière ni comme maîtresse. Se morfondre en attendant que Razi al Maktabi daigne lui accorder son attention ? Très peu pour elle.

En fait, elle avait commis une grosse erreur en venant à Sinnebar, croyant qu’elle pourrait parler avec cet homme. Elle avait tout simplement mis son bébé en danger, parce que Razi ne la laisserait pas repartir s’il apprenait qu’elle portait un prince du sang. Il fallait absolument qu’elle rentre chez elle. Le seul moyen d’apprendre à Razi sa paternité serait dans la sécurité d’un cabinet d’avocat.

— Est-ce que je ne t’ai pas laissé assez d’argent ?

Page 58: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Elle posa sur lui un regard blessé.

— Combien veux-tu ? demanda-t-il encore.

Un homme pouvait-il changer à ce point ? Évidemment, un roi avait tous les motifs de se montrer soupçonneux, mais que Razi ne se fasse pas de souci : son argent était placé pour l’avenir de sa fille. Pour sa part, elle refusait d’y toucher.

— Je ne suis pas ici pour ton argent. Encore que, maintenant que tu en parles...

Razi eut un sourire cynique, comme s’il attendait cela depuis un moment.

— Oui ?

— Tu m’as laissé une somme d’argent déraisonnable à Val-d’Isère, commença-t-elle nerveusement.

— Tu n’as donc jamais reçu de pourboire ? Je trouve ça difficile à croire.

Un pourboire pour ses bons services ?

Affreusement blessée, elle réussit toutefois à imiter son détachement.

— Si, bien sûr.

Comme si les gens vous laissaient tous les jours des pourboires suffisants pour acheter un restaurant...

— Je ne comprends quand même pas pourquoi tu m’as laissé une telle somme.

— Dis-moi plutôt combien tu veux, dit-il, sûr de lui.

Ne lui était-il même pas venu à l’esprit qu’elle aurait pu simplement souhaiter le voir, ou qu’elle éprouve pour lui un amour sincère qui n’exigeait rien en retour ?

Mais il ne s’agissait ni de Lucy Tennant ni de Razi al Maktabi, mais d’un petit enfant sans défense. Elle était venue dire à un homme qui n’existait plus qu’ils allaient avoir un enfant, pas s’interroger sur le fait qu’il soit incapable de croire qu’on l’aimait.

L’homme qu’elle avait connu s’était volatilisé, laissant place au dirigeant de l’île de Sinnebar, un guerrier probablement plus doué pour conduire des troupes que pour l’amour. Et maintenant, elle était épuisée. Contrairement à Razi, elle était un être humain et ressentait le contrecoup de trop de fatigue et d’émotions. La grossesse avait drainé ses forces, et l’énormité de la tâche qui l’attendait lui apparaissait dans toute sa clarté.

— J’aimerais me rafraîchir avant que nous ne parlions. Tout ce dont j'ai besoin, c’est...

— Cinq minutes ? coupa-t-il.

— Si c’est possible.

— Je t’attends dans cinq minutes dans mon bureau. Quand tu seras prête à me voir, tu n’auras qu’à sonner. Quelqu’un viendra te chercher pour te conduire à moi. Ne me fais pas attendre, Lucy.

Dans un tourbillon de brocart bleu, il était parti.

Razi serra les poings.

Il était un roi jouissant d’un pouvoir absolu, un roi qui avait juré de se dévouer à son pays et à son peuple. Mais il était aussi un homme, bien qu’il ait cru avoir maîtrisé cette part de lui-même jusqu’à la réapparition de Lucy.

C’était un merveilleux souvenir... Et ça devait le rester, se dit-il avec force.

Il ne souffrait pas d’endosser son rôle royal. Tout au contraire, il voulait le pouvoir afin de

Page 59: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

rendre meilleure la vie sur l’île de Sinnebar. Il acceptait de grand cœur la tâche de moderniser son pays, et il ne laisserait rien ni personne se mettre en travers du bonheur de son peuple.

Et cela incluait Lucy Tennant. Si elle voulait davantage d’argent, elle l’aurait, mais elle ne resterait pas. Sa seule présence dans un pays aussi traditionaliste risquait de déclencher des rumeurs embarrassantes. Il allait tout de suite lui faire quitter l’immeuble et la dissimuler à la vue du public.

Mais elle s’était évanouie à ses pieds, et il s’inquiétait pour sa santé. Elle ne semblait pas dans sa forme habituelle. Elle avait perdu cette lumière qui semblait jaillir du plus profond de son être. A présent, il voyait surtout sa fragilité.

Peut-être était-ce simplement dû à la déshydratation, au changement de climat ou au décalage horaire ? Ou peut-être au stress de le revoir ?

Quoi qu’il en soit, il devait se conduire en gentleman. Malgré ses soupçons quant aux motivations de Lucy, il ne pouvait déroger à la tradition d’hospitalité en usage à Sinnebar. Et cette tradition exigeait qu’il satisfasse à tous les besoins de la jeune femme avant de la renvoyer dans ses foyers.

Il demanda qu’on lui prépare un panier de pique-nique.

Page 60: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

11

En s’asseyant à côté de Razi à bord d’une Jeep de l’armée, Lucy avait le cœur rempli d’appréhension.

Le véhicule les avait attendus, moteur tournant, à la porte arrière de l’immeuble, son sac de voyage déposé sur le siège arrière.

Razi portait un jean, un T-shirt noir qui découvrait ses bras musclés et des Pataugas. Des lunettes d’aviateur dissimulaient ses yeux verts. De l’extérieur, ils devaient avoir l’air d’un agent gouvernemental escortant un ressortissant étranger indésirable.

— Allons-nous à l’aéroport ? demanda-t-elle, la bouche sèche.

— Pas tout de suite.

Où l’emmenait-il donc ?

Son anxiété s’accrut quand la Jeep démarra.

Au temps pour elle d’avoir eu cette grande idée. Annoncer maintenant sa grossesse à Razi serait se jeter dans la gueule du loup. Non, elle ne pouvait pas faire ça. Désormais, son unique priorité devait être de regagner l’Angleterre, où elle consulterait un avocat.

— Y a-t-il un vol pour le Royaume-Uni aujourd'hui ?

— Pas à ma connaissance.

Étouffant un soupir, elle tendit le cou pour déchiffrer un panneau.

— Où as-tu dit que nous allions ?

— Je n’ai rien dit.

« Comme tu le sais très bien », complétait l’expression de Razi.

— Nous allons faire un tour dans le désert, consentit-il à ajouter.

Dans le désert ?

Le cœur de Lucy battait si violemment qu’elle se sentait sur le point d’avoir un malaise.

Pourquoi ne pas avoir parlé dans le bureau de Razi ainsi qu’il l’avait proposé d’abord ?

Parce qu’il ne voulait pas être vu avec elle ?

Il aurait pu demander à un subordonné de la conduire à l’aéroport, mais il ne l’avait pas fait...

Parce qu’il voulait gérer la situation de A à Z, se dit-elle en s’efforçant au calme. Razi ne demanderait jamais à quelqu’un d’accomplir ce qu’il jugeait être son devoir. Il prenait à bras-le-corps ses problèmes personnels.

Ils roulaient à présent en plein désert.

En d’autres circonstances, cela l’aurait enchantée, mais la perspective de se trouver dans une région potentiellement dangereuse avec un homme que sa présence gênait avait quelque chose d’angoissant. Et l’expression fermée de Razi n’était pas faite pour apaiser ses craintes.

Page 61: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Il demeurait silencieux et conduisait comme il faisait l’amour, avec concentration et une effrayante habileté.

— Je croyais que tu plaisantais en parlant de désert, dit-elle nerveusement, comme ils quittaient la grand-route.

— Je ne plaisante jamais, répliqua-t-il sèchement.

Il ne plaisantait pas à cet instant, c’était sûr. Et, à présent, il n’y avait plus qu’une brume de chaleur miroitante devant eux et une étendue sauvage et désertique tout autour.

Quand Razi immobilisa le véhicule, il avait à peine serré le frein à main que Lucy sautait à bas de la Jeep.

Il avait oublié à quel point elle était simple et naturelle.

Elle examinait avec inquiétude ce qui devait lui apparaître comme une étendue uniforme de sable et de dunes et, devant la tension de ses épaules, il éprouva le besoin de la réconforter.

Faisant l’effort de voir les choses à travers ses yeux, il se rendit compte que ce qui lui était familier devait présenter un caractère d’étrangeté et de menace pour elle.

Comme elle trébuchait dans le sable, il sauta à son tour de la Jeep et se précipita pour la rattraper.

— Tu trembles, constata-t-il en la serrant contre lui. Tu n’as pas à avoir peur de moi, ajouta-t-il.

Il plongea son regard dans le sien.

— Je viens souvent ici, c’est un endroit sûr. J’ai pensé que nous y serions mieux pour parler que dans le cadre impersonnel d’un bureau.

— C’est certainement plus discret, dit-elle d’un ton avisé.

Il avait oublié combien elle pouvait se montrer perspicace.

— Dès que nous aurons parlé, je te ramène, promit-il.

Elle le regarda, et son regard lui signifiait qu’elle avait parfaitement conscience d’être à sa merci.

— Allons-y, dit-elle bravement.

Quelque chose avait changé en elle. Elle était plus forte que lors de leur première rencontre.

Et il comptait bien apprendre très vite pourquoi.

Razi ne cesserait donc jamais de la surprendre ?

Au début, Lucy pensait qu’il n’y avait rien d’autre à voir que du sable, mais il la guida sur la pente molle d’une dune et, quand elle découvrit le panorama qui se cachait derrière, elle se rendit compte que son rêve de royaume du désert était insipide, comparé à la réalité.

— Pas de commentaire ? demanda Razi, narquois, devant son mutisme.

— C’est magnifique, dit-elle enfin.

Appréciation qui restait très en dessous de la réalité.

Avec la conscience aiguë de la présence de Razi à son côté, elle admira le superbe spectacle d’un ciel d’un bleu indigo rayé de l’ambre et du rose tendre des rayons du soleil couchant, se reflétant à la surface d’un lac dont l’eau était si pure que l’on distinguait le sable du fond.

Une végétation de palmiers luxuriants se déployait tout autour, on devinait même des fruits

Page 62: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

suspendus parmi les frondaisons se découpant contre le ciel indigo. Mais ce fut la tente aux pans ondulant paresseusement dans la brise qui retint son attention.

— C’est tellement romantique, murmura-t-elle.

Tout de suite, elle regretta ses paroles.

Mais Razi demeurait silencieux, le regard errant sur son royaume. Puis il descendit la dune, et elle le suivit vers la tente dont il écarta la tenture de soie grège pour qu’elle entre.

En passant devant lui, elle reçut une bouffée de son parfum d’épices et, comme elle faisait le tour de la tente des yeux, elle crut sentir dans son dos la chaleur de son regard.

— Tout ce que tu vois ici a été fabriqué localement, expliqua-t-il.

Voilà donc un homme qui pouvait s’offrir les produits les plus coûteux de la terre et préférait s’entourer d’objets qui possédaient une signification particulière à ses yeux...

Rien n’aurait pu mieux illustrer la dévotion de Razi pour son île, et elle comprit mieux encore que son séjour à Val-d’Isère n’avait été rien de plus qu’un intermède agréable.

— A quoi penses-tu ? demanda-t-il.

Elle repoussa ses idées noires pour se concentrer sur le présent.

— Je pense que c’est magique, dit-elle en toute sincérité.

Tout ici était neuf et inconnu pour elle, elle avait tout à apprendre de ce pays. Comme elle caressait du bout des doigts la soie des murs, Razi lui expliqua qu’on la tissait très serrée pour empêcher le sable de filtrer à travers. Les meubles aussi étaient fonctionnels en même temps que beaux. C’était comme visiter la caverne d’Ali Baba, pensa-t-elle en tournant sur elle-même pour tout admirer.

L’intérieur de la tente contenait tant de merveilles ! Il y avait des coffres d’ébène incrustés de nacre, des tables de cuivre ajouré et de fabuleux tapis tissés de motifs de couleur entrelacés. De moelleux coussins invitaient au repos tandis que des lampes à huile diffusaient une lumière dorée.

Comme si un voile lui tombait des yeux, elle vit l’héritage qu’elle s’apprêtait à refuser à son enfant.

Elle mourait d’envie d’interroger Razi sur l’histoire de chaque pièce pour pouvoir la raconter à son enfant quand le moment serait venu.

Mais à quoi bon ? Le moment ne viendrait jamais, et Razi ne semblait pas d’humeur à entretenir ce genre de conversation. De toute façon, comment pourrait-elle bavarder avec lui à bâtons rompus quand elle lui cachait une telle information ?

Pendant qu’il retournait à la Jeep chercher le panier du pique-nique, elle profita de ces quelques instants de solitude pour examiner de plus près le décor.

Elle remarqua les plateaux chargés de douceurs, les carafes de jus de fruits.

— Tu avais prévu de m’amener ici, dit-elle à son retour.

— Tu m’as donné cinq minutes, si je me souviens bien, rétorqua-t-il en posant le panier à terre.

Elle imagina les serviteurs se précipitant pour obéir à ses ordres.

Razi était comblé, matériellement parlant, et pourtant il semblait avoir perdu sa joie de vivre, ainsi que sa capacité à sympathiser avec un être humain.

Avec une telle disposition d’esprit, comment pourrait-il gouverner sagement son pays ? Et quelle éducation un père ligoté par ses devoirs pourrait-il donner à un enfant ?

— La plupart de ces présents sont laissés par les Bédouins, expliqua-t-il. Et mon frère vient

Page 63: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

aussi quelquefois.

Elle frissonna en entendant Razi mentionner l’homme connu sous le surnom d’« Épée de la vengeance ».

— Vous devez être très proches, hasarda-t-elle.

— Nous avons une totale confiance l’un en l’autre.

Que penserait d’elle Ra’id al Maktabi ? se demanda-t-elle, avant de se rappeler qu’un cheikh aussi puissant ne pensait rien des petites gens.

Ses pensées durent se refléter sur son visage, car Razi la regarda attentivement.

— Est-ce que ça va ?

— Oui, mentit-elle.

— Tiens, bois ça, dit-il en lui tendant un verre d’eau fraîche.

— Je vais très bien, insista-t-elle.

Mais le regard de Razi montrait qu’il n’était pas dupe.

Les soupçons de Razi s’étaient éveillés.

Lucy avait une petite mine, et elle affirmait avec trop de force qu’elle allait bien. Mais que lui cachait-elle ?

Il refusa d’envisager la première explication qui lui vint à l’esprit. Lucy était trop honnête pour lui cacher un événement de cette importance. Pourtant, il lisait de la méfiance dans son regard, et son teint était si pâle...

Le désir de la protéger chaque jour et celui de se vouer à son pays se livraient une rude bataille en lui. Il ne pouvait concilier les deux, et il avait eu raison de l’emmener loin des regards indiscrets.

Il aurait pu la cacher en bien des endroits, mais il avait préféré le décor attachant de cette oasis, si riche de trésors écologiques que Ra’id et lui n’autorisaient que les Bédouins à la fréquenter.

Ici, le désert le libérait. Cet endroit était son refuge contre la tyrannie de sa position. Et, quelles que soient les motivations de Lucy, la part de lui qui se rappelait les moments vécus à Val-d’Isère avait voulu lui montrer ce lieu si spécial.

Et, à présent, il avait envie qu’elle reste.

Pourquoi ne resterait-elle pas ?

Certes, les règles étaient faites pour être transgressées, mais il avait l’intention d’être un souverain juste et intègre, il devait montrer l’exemple.

Repoussant ses sombres pensées, il chercha à la mettre à l’aise.

— Ce coffre renferme toute une collection de robes, dit-il après un regard de compassion pour les vêtements citadins de la jeune femme.

— Pour tes visiteuses ?

Il y avait dans sa voix une sécheresse qui le fit sourire intérieurement.

Il retrouvait bien là sa Lucy, feu en dessous, et glace au-dehors ! Elle était donc jalouse ? Et elle l’exprimait ? Eh bien, il avait souhaité qu’elle prenne confiance en elle, son vœu était exaucé !

— Ce sont les Bédouins qui les déposent quand ils empruntent cette piste. C’est la coutume de partager avec les autres ce que l’on possède.. Alors, s’il te plaît, sens-toi libre d’en choisir une.

Sous ce climat, elle serait beaucoup plus à l’aise dans ce genre de vêtement. Et puis, il aimerait

Page 64: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

conserver cette image d’elle...

— Nous sommes seuls ici, souligna Razi. Pourquoi ne vas-tu pas te plonger dans le lac avant de te changer ?

Lucy le regarda fouiller dans le coffre d’ébène et en sortir une robe bleu pâle brodée de minuscules perles.

C'était probablement le plus beau vêtement qu’elle avait jamais vu. Cependant, comme il soulevait la robe à la lumière, elle se rendit compte qu’elle était transparente.

— Tu n’as pas quelque chose de moins révélateur ?

— Ceci ? suggéra-t-il en sortant une robe masculine.

— Parfait, dit-elle en la lui arrachant des mains.

Pas besoin de l’essayer pour prédire qu’elle serait trois fois trop grande pour elle, mais tant pis.

Razi s’activait autour du feu de bois en attendant que Lucy revienne de sa baignade.

Il avait eu du temps pour réfléchir pendant qu’elle s’ébattait dans l’eau, et il en venait toujours à la même conclusion pour expliquer sa visite-surprise.

Il repoussa une fois de plus cette explication en voyant revenir la jeune femme, refusant de croire qu’elle lui dissimulait une chose pareille.

— Tu fais la cuisine ? constata-t-elle, surprise.

— Il faut manger, même dans le désert, riposta-t-il avec une ombre de sourire, en la détaillant.

Il était dit que Lucy le surprendrait toujours.

La robe qu’elle avait choisie traînait à terre et, au lieu d’enrouler la coiffe autour de sa tête et de son visage, elle l’avait drapée comme un foulard.

Il bondit sur ses pieds.

— Laisse-moi faire, dit-il, prenant le risque de la toucher.

Il n’était pas du genre à fuir le danger, mais, quand ce danger prenait la forme d’une femme qu’il mourait d’envie de caresser, une femme qu’il avait cru sincère et sans complications, et sur laquelle il entretenait maintenant des doutes, c’était une autre histoire...

— Je ne l’ai pas bien mise ? demanda Lucy, anxieuse, en portant les mains à sa coiffe.

Il les écarta afin d’arranger le tissu. Tout en respirant avidement son entêtant parfum fleuri, il lui couvrit le visage jusqu’à ce que seuls ses yeux pleins d’inquiétude soient visibles.

Pourvu que la pâleur de Lucy soit due aux fatigues du voyage, ou à la déshydratation, ou à la faim — enfin, à n’importe quoi d’autre qu’à la raison la plus probable...

— C’est bon, dit-il, soulagé de ne plus voir ses lèvres. Maintenant, ce qu’il me faut, c’est un appareil photo.

— Tu te moques de moi ! s’écria-t-elle.

— Où est passé ton sens de l’humour de Val-d’Isère ? lui jeta-t-il tout en se retournant vers le feu.

— Je peux te retourner le compliment.

Ils se dévisagèrent en silence, le temps de digérer la constatation, puis elle rentra dans la tente pour ranger ses vêtements, le laissant s’activer auprès du feu. Quand elle revint, il fit glisser

Page 65: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

l’omelette qu’il avait préparée sur des feuilles de palmier.

— Mange, dit-il comme elle s’asseyait en tailleur sur une carpette devant le feu.

— C’est délicieux, constata-t-elle avec un naïf étonnement, à la première bouchée.

Oubliant d’être sur leurs gardes, ils échangèrent un sourire. Malgré tout, Lucy détourna le regard un peu trop vite.

A présent, il était certain qu’elle lui cachait quelque chose.

Elle rejeta le voile et se mit à dévorer l’omelette comme si elle n’avait pas mangé depuis une éternité.

Il se rappela que son appétit ne se restreignait pas à la nourriture. Et qu’ils se trouvaient à des kilomètres de toute terre habitée.

Que Lucy le désire ne faisait aucun doute. Qu’il la désire non plus. Et c’était plus vrai que jamais. Il n’avait pas envie de laisser échapper cette dernière chance de goûter ce qui aurait pu être, d’autant que leur séparation n’avait fait qu’aiguiser son appétit.

Il avait l’impression qu’elle lisait dans ses pensées, mais son regard restait méfiant : entre eux se dressait le secret qu’elle hésitait à lui livrer.

Quand elle eut fini de manger et alla se rincer les mains, il se prépara mentalement, presque certain qu’elle allait passer aux aveux à son retour.

Mais elle le surprit une fois de plus.

Page 66: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

12

— J’aimerais parler argent, annonça Lucy en se rasseyant.

Il fallait que sa ruse marche, se dit-elle. Il était vain de souhaiter se réjouir avec Razi de la venue d’un enfant alors qu’il était maître d’un pays, et elle chef cuisinière. Le mieux qu’elle puisse espérer, c’était d’obtenir une bonne place en Angleterre pour assurer l’avenir de son enfant. En attendant, pour pouvoir rentrer chez elle, elle devait trouver le moyen d’apaiser les soupçons de Razi.

Celui-ci se gratta la joue.

— J’admire ta candeur.

— Je n’ai trouvé qu’une raison au fait que tu m’aies laissé tant d’argent...

Les yeux verts de Razi étincelèrent.

— Ah oui ?

— Pour que j’ouvre un restaurant...

Elle attendit, espérant de tout son cœur qu’il ne démentirait pas. Car, s’il démentait, il transformerait leur brève liaison en histoire sordide.

— C’était effectivement mon intention.

Ce simple acquiescement lui donna le courage de passer à l’étape suivante.

Elle savait que sa suggestion le déconcerterait, mais, s’il acceptait, ce serait un moyen de rester en contact avec lui. Ainsi, ils pourraient parler ensemble des progrès de leur enfant, même si c’était autour d’une table de réunion. Il lui semblait qu’elle supporterait cette situation.

De toute façon, ce serait mieux que la perspective de ne jamais revoir Razi, ou de devoir confier leur enfant à des étrangers pour que son père le voie.

— J’ai trouvé un site qui conviendrait pour un restaurant, et j’ai élaboré un projet commercial.

— L’as-tu apporté ?

— C’est-à-dire... Non.

Sa seule idée en partant pour Sinnebar avait été l’avenir du bébé.

— J’aimerais utiliser une partie de ton argent pour m’aider à démarrer, poursuivit-elle.

— Et c’est pour ça que tu es venue ?

Elle n’aimait pas mentir, mais l’enjeu était si important qu’elle n’hésita pas.

— Si ça t’intéresse de jeter un coup d’œil à mes prévisions, je t’enverrai une copie par mail dès mon retour.

— Je m’étonne que tu n'en aies pas apporté une avec toi.

— Je ne pensais pas...

Elle s’interrompit.

Page 67: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Quoi ? Elle ne pensait pas avoir à se défendre face au roi du désert ?

Razi commençait à la connaître, il lui suffirait de voir son regard vaciller pour comprendre qu’elle mentait. Mais elle devait essayer de jouer les affranchies.

Elle frissonna en se rappelant son humiliation et sa colère quand elle avait découvert la pile de billets de banque sur sa table de nuit.

— Au début, je n’ai pensé qu’à une chose, dit-elle. Te rendre l’argent.

— Et tu as changé d’avis ?

— J’ai eu l’idée du restaurant.

Razi s’assombrit. Soudain, il se leva et la domina de toute sa taille, l’air furieux.

— Tu n’avais pas besoin de venir à Sinnebar pour me dire ça. Tu aurais pu m’envoyer ton projet par mail, comme tu viens de le proposer. Tu mens, Lucy. Voilà la vérité !

Elle n’arrivait pas à soutenir son regard, et elle sentait ses joues brûlantes. L’ambiance de bonne camaraderie qui s’était passagèrement installée entre eux s’était dissipée, laissant place à la tension.

Elle se leva à son tour.

— Tu as raison. Je suis navrée d’être venue. J’aurais dû comprendre...

— Comprendre quoi, Lucy ?

L’immobilité de Razi avait quelque chose de fascinant, qui l’attirait et lui faisait peur à la fois. Pourtant, elle aurait dû se rappeler son agilité de félin.

En un instant, il fut sur elle. Il la prit par les bras et la maintint devant lui, et elle eut la sensation de se noyer dans sa chaleur.

— Tu aurais dû comprendre quoi, Lucy ? insista-t-il. Je veux savoir pourquoi tu es là !

— Lâche-moi.

— Pas avant que tu ne m’aies dit la vraie raison de ta visite-surprise après... voyons, presque douze semaines ?

— Comment peux-tu te montrer aussi soupçonneux ?

— Soupçonneux ? répéta-t-il d’un air outragé. Mets-toi à ma place ! Ton attitude a de quoi éveiller les soupçons.

— Je t’en prie, lâche-moi.

— Pas avant que tu ne m’aies dit la vérité !

— Je ne peux pas...

— Pourquoi ?

En dépit de son émotion, la perspective de ce qui l’attendait si elle cédait lui donna un sursaut d’énergie.

— Je ne peux pas. C’est tout !

— Tu ne voudrais tout de même pas me faire croire que tu as parcouru la moitié du globe en espérant que je serais libre pour m’entretenir avec toi de tes projets ! Tu n’as même pas pris de rendez-vous.

— J’ai essayé, figure-toi !

Visiblement, Razi n’en croyait pas un mot.

Il ressemblait plus que jamais à un roi du désert, et son aspect la faisait frissonner de crainte.

Page 68: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Cependant, elle devait penser à son enfant, se battre. Elle n’avait pas honte, ni d’elle ni du bébé, et Razi avait raison : si elle avait simplement voulu lui présenter un projet, elle n’aurait pas eu besoin de faire le déplacement. Seule une grossesse pouvait l’avoir amenée à désirer le rencontrer. Et maintenant, le responsable de cette grossesse attendait qu’elle lui prouve qu’elle n’était pas digne d'être mère.

Il fallait le lui dire.

— Es-tu enceinte, oui ou non ? demanda Razi.

Sa perspicacité la laissa sans voix.

— Oui, répondit-elle enfin, retrouvant l’usage de la parole.

— Tu es enceinte ? répéta Razi d’un ton effrayant.

C’était comme s’il avait avancé la raison la plus extrême pour expliquer sa venue et qu’il tombait des nues en découvrant que c’était vrai.

Dans un geste de défense, elle posa instinctivement les mains sur son ventre et, l’espace d’un instant, l’idée d’avoir Razi al Maktabi comme protecteur et père de son enfant la grisa. Mais elle se raisonna tout de suite.

Il n’accepterait jamais de hausser à son niveau une étrangère qui, de surcroît, avait fait partie de son personnel, et un enfant de sang royal ne serait pas autorisé à quitter le pays.

Elle avait dit la vérité, et elle paierait pour ça.

Mais si elle s’était tue, elle aurait également payé, car elle n’aurait pas pu regarder son enfant dans les yeux.

— C’est donc bien la raison de ta pâleur et de ion évanouissement, marmonna Razi.

Son expression se durcit.

— Ma parole, tu n’as aucun sens des responsabilités ! Comment peux-tu te montrer si imprudente ? Tu ne penses donc pas à notre enfant ni à...

Sous l’attaque, elle avait pâli, mais elle se ressaisit afin de rétablir la vérité.

— A toi ? le coupa-t-elle. Je me soucie plus de toi que tu n’imagines.

Malgré le geste de dénégation de Razi, elle découvrit dans son regard une émotion qu’elle n’y avait encore jamais vue. Une émotion qui parlait d’anciennes blessures pas encore cicatrisées.

— Oui, je suis enceinte, Razi, dit-elle, et c’est une occasion de se réjouir. Je crains que tu ne doives t’y habituer. Personnellement, c’est fait.

Razi secoua lentement la tête.

S’habituer ? Il se sentait déjà métamorphosé. Il était glace, il était feu, il n’osait espérer.

— Un bébé ou notre bébé ? demanda-t-il, saisi d’un doute insupportable.

— Mon bébé.

— Tu ne réponds pas à ma question, Lucy.

Une chose était sûre. Cet enfant, Lucy l’avait aimé dès l’instant où elle avait appris son existence. Il ne remettait pas en question son instinct maternel. Elle défendrait sa progéniture jusqu’à son dernier souffle, et il enviait cette profondeur de sentiment.

Cependant, elle ne songeait qu’au bébé, et son amour passionné l’empêchait de voir la réalité en face. Elle ne se doutait certainement pas des répercussions qu’une telle nouvelle aurait dans un pays

Page 69: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

traditionaliste comme Sinnebar.

— Comment sais-tu que c’est notre enfant ? demanda-t-il, se sentant un peu plus calme pour affronter le cœur du problème.

— Parce qu’il n’y a eu personne d’autre que toi !

Elle paraissait plus vulnérable que jamais, mais il refusa de se laisser attendrir.

— Comment puis-je te faire confiance ?

Le regard direct dont elle le gratifia lui fit honte, mais il devait continuer de fouiller à la recherche de la vérité.

— Comment puis-je être sûr de ne pas être un individu parmi la cohorte des hôtes à qui tu fournis bonne chère... et distractions ?

Il arrêta la main qui partait vers sa joue en lui saisissant le poignet.

— Comment oses-tu ? cria Lucy en se débattant frénétiquement.

Pour toute réponse, Razi l’attira à lui et sonda son regard.

— Je te lâcherai quand tu te calmeras et me diras la vérité. Toute la vérité.

Ce n’était plus l’homme civilisé rencontré à Val-d’Isère, c’était un guerrier brûlant de rage.

— Laisse-moi ! Bien sûr que c’est notre enfant, puisque je n’ai jamais couché avec personne d’autre ! Tu crois vraiment que j’aurais entrepris ce voyage si tu n’étais pas le père ?

Razi la fixait toujours de son regard inflexible.

— Si tu veux une preuve, demande un test ADN, reprit-elle.

Elle baissa les yeux sur ses bras, solidement maintenus par Razi, et il la lâcha.

— J’ai aussi un relevé de banque prouvant que j’ai déposé l’argent que tu m’as donné sur un compte à part, dont je n’ai pas prélevé un centime !

— Ainsi, tu fais passer tes projets de restaurant en premier, ton enfant, en deuxième, et moi, en misérable troisième position ?

— Mais non !

L’affaire prenait une tournure épouvantable.

— Quand, Lucy ? Quand avais-tu l’intention de me le dire ?

— Quand je serais rentrée en Angleterre, avoua-t-elle. J’étais venue ici en pensant rencontrer Mac, l’homme d’affaires, et quand j’ai découvert que tu étais le souverain de ce royaume...

Et un homme qui se méfiait des femmes, qui les croyait incapables d’amour. Il suffisait de regarder Razi al Maktabi dans les yeux pour voir que la blessure était profonde.

Tandis qu’une part d’elle-même s’emplissait de compassion, l’autre s’affolait à l’idée que désormais le principal but du cheikh de l’île de Sinnebar serait d’obtenir la garde de leur enfant.

Par quel miracle pourrait-elle l’en empêcher ? Et comme elle et lui vivaient pratiquement aux antipodes, comment cela se passerait-il ? Quand verrait-elle son enfant ? Comment supporterait-elle qu’il vive aussi loin d’elle ?

Car, c’était évident, Razi ne voudrait pas d’elle à Sinnebar.

Le problème était insoluble.

— Pourquoi m’as-tu emmenée dans cet endroit désertique ? demanda-t-elle, décidant que la

Page 70: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

meilleure forme de défense était l’attaque. Pour me montrer un précieux site écologique ? Ou plutôt pour me soustraire aux regards, parce que tu as honte de moi ?

— C’est faux. Et toi, pourquoi es-tu venue à Sinnebar, si ce n’est pour me piéger d’une manière ou d’une autre ?

— Absurde ! Comment pourrais-je te piéger, toi, le cheikh tout-puissant ?

— C’est justement ce que je tiens à découvrir.

Razi fourragea nerveusement dans son épaisse chevelure.

— T’est-il venu à l’idée qu’un pareil scandale pourrait ébranler le pays ? Non, bien sûr. Si je reconnais cet enfant, ce sera considéré comme mon premier acte de pouvoir. Et j’ignore comment mon peuple réagira. D’autant que la mère de cet enfant est une étrangère dans ce pays, le plus traditionnel de tous.

A l’entendre, elle aurait commis un crime ! Et pas un mot de l’amour qu’il aurait pu porter à son enfant. Non, il n’était question que de diriger un pays d’une main de fer, comme un P.-D.G. désireux d’atteindre ses objectifs.

— Eh bien, il me semble que tu soutiens ces antiques croyances que tu envisageais d’éradiquer ?

En tout cas, rassure-toi : en ce qui me concerne, je ne veux rien de toi.

— C’est faux, riposta-t-il froidement. Sinon, tu ne serais pas là.

— J’ai pensé que je devais te mettre au courant, c’est tout. Je n’essaie pas de te piéger, Razi. Je suis tout à fait capable de me débrouiller toute seule.

— Tu projettes donc d’avoir l’enfant sans que j’aie mon mot à dire ?

— Ce n’est pas...

— C’est l’un ou l’autre, coupa-t-il. Alors, explique-moi. Est-ce du chantage ou une histoire à faire pleurer dans les chaumières ?

Elle rassembla son courage.

— L’homme que j’ai connu à Val-d’Isère n’aurait jamais parlé comme ça, affirma-t-elle. Et laisse-moi te dire une chose, ajouta-t-elle sans laisser à Razi le temps de réagir, je ne te crois pas quand tu prétends tenir à ton pays. Comment pourrais-tu tenir à quelque chose, quand tu es incapable d’amour ? Et si tu es incapable d’amour, je refuse que tu aies le moindre rapport avec mon enfant.

— Notre enfant ! rectifia-t-il avec feu. C’est du moins ce que tu prétends.

— Oui, et je le répète.

Page 71: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

13

Razi se sentait agité d’un maelström d’émotions contradictoires.

A la perspective de devenir père, il sentait une joie sauvage l’envahir, et l’idée que quelqu’un imagine le séparer de son enfant constituait une abomination qu’il ne voulait même pas envisager. Il avait envie d’étreindre Lucy, de danser de joie. Et, en même temps, il avait envie de lui tourner le dos et de ne jamais la revoir. Il maudissait le jour où il l’avait rencontrée, tout en désirant passionnément qu’elle reste.

D’ailleurs, il faudrait bien qu’elle reste, si elle mettait son enfant au monde.

Le souvenir d’un enfant solitaire livré à des mains étrangères et attendant avec impatience les visites de son frère aîné était encore trop vif chez lui. On ne le priverait pas de la joie de voir grandir son enfant. L’idée qu’un autre que lui l’aime et le protège lui était insupportable.

— Tu crains que je ne gêne ta femme ? demanda soudain Lucy.

— Ma « femme » ? répéta-t-il, interloqué.

— Eh bien, oui. J’ai le droit de savoir, insista-t-elle. Quand le temps viendra pour toi de choisir une épouse, j’imagine que tu voudras me voir à des milliers de kilomètres d’ici ?

Le visage de Leila passa dans son esprit. Il l’avait renvoyée à ses chères études et avait calmé les prétentions de son père avec un gros chèque.

— Il n’y a pas de femme ni de future épouse, affirma-t-il sans douceur.

— Tu es donc marié à ton devoir ?

— Et si c’était le cas ?

—- Je ne veux pas d’un père pareil pour mon enfant. Et si tu es fermé à l’amour, comment pourras-tu faire du bien à ton pays ?

— Laisse-m’en être juge ! riposta-t-il d’un ton cinglant. Et parlons plutôt de ce que tu veux pour ton enfant.

— Je veux qu’il soit aimé.

— Et tu me crois incapable d’amour ?

Elle ne répondit pas.

Comme les doutes de Razi revenaient le harceler, il tourna sa colère contre la personne qui la méritait le moins.

— Tu aurais dû me parler de ta grossesse dès que tu en as eu connaissance, dit-il d’un ton rageur. Nous aurions pu trouver une solution.

— Tais-toi ! s’exclama-t-elle avec effroi. N’en dis pas plus, Razi. Ne dis pas des choses que tu ne penses pas.

— Je veux dire que je vous aurais aidés, le bébé et toi, dit-il, maîtrisant sa colère.

— A condition que je sois discrète ? Que je baisse la tête et dissimule mon enfant ?

Page 72: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Croyais-tu vraiment pouvoir me cacher une chose pareille ?

— Pourquoi crois-tu que je suis là ?

— Et tu imagines que je supporterais de ne pas exister pour mon enfant ? Comme tu me connais mal !

Exact, pensa Lucy.

Bien qu’ils aient eu des relations intimes, ils étaient deux étrangers devant faire face ensemble à une situation cruciale. Ils avaient tout à apprendre l’un de l’autre. Tout à découvrir sur leurs réactions réciproques. Au point où ils en étaient, ils ne pouvaient plus reculer.

Razi s’était pris la tête dans les mains, comme s’il se trouvait confronté à un problème insoluble.

Elle ne fit pas un geste. Bien qu’il souffre visiblement, elle était soulagée de lui voir enfin une réaction d’être humain.

— Je ne cherchais pas à te dissimuler ma grossesse, dit-elle doucement. J’ai attendu trois mois parce qu’il peut se produire des accidents au cours du premier trimestre.

Razi était un guerrier fier et passionné, tandis qu’elle-même n’était qu’une jeune femme ordonnée et consciencieuse. Timorée, selon certains. Du moins avait-elle surmonté ses craintes pour venir voir Razi.

Ils auraient tant à offrir à leur enfant, pourvu qu’ils parviennent à dépasser leurs différences. Il le fallait, ce serait seulement ainsi qu’ils construiraient un avenir pour leur bébé.

Cependant, Razi était plus loin que jamais, retiré en lui-même, tendu à se rompre.

Jusqu’à présent, elle n’avait pas vraiment eu peur de lui, mais à cet instant ce n’était plus le cas. Et pourtant, c’était maintenant qu’elle devait le rejoindre, alors que se livrait en lui le combat entre sens du devoir et chaude humanité. Malgré son ignorance des questions supérieures, elle était sûre d’une choses : un pays dirigé par devoir serait un pays froid et désolé.

Elle posa une main sur le bras de Razi, s’attendant à ce qu’il la repousse ou, pire, l’ignore.

Elle était habituée à être invisible, ce qui ne signifiait pas qu’elle appréciait. On ne s’habituait jamais à ce genre de chose. La souffrance rôdait toujours.

Comme Razi ne bougeait pas, son angoisse grandit à mesure que le silence s’étirait. Mais alors, le miracle espéré se produisit : il leva la tête et la regarda. Il ne parlait pas, mais le fait qu’il ait réagi suffisait pour le moment.

Razi vit une foule de questions tourbillonner dans les yeux de Lucy, mais y répondre signifierait lui briser le cœur.

— J’ai peut-être une solution, dit-il, choisissant prudemment ses mots.

En vérité, il n’avait aucune raison de se méfier de Lucy Tennant. Il suffisait de se rappeler son attitude au chalet pour comprendre qu’elle n’était pas intéressée. Et il commençait à envisager de reconnaître publiquement leur bébé : il présenterait cet enfant aux anciens comme un gage de sa fécondité, et il les mettrait dans sa poche à coup sûr.

Oui, il était cynique. C’était l’influence du monde des affaires. Avant d’accepter le trône Phœnix, il avait fondé un empire dans la communication, et cela sans l’aide de son père, le cheikh régnant. Et il s’était juré de réformer les lois ancestrales de l’île de Sinnebar. Faire accepter son enfant serait son premier acte vers la modernité.

Rien ne l’empêcherait d’être un meilleur père que ne l’avait été le sien, mais il voulait le trône

Page 73: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

aussi. Pas pour des raisons égoïstes, mais parce qu’il était certain d’apporter progrès et bien-être à son peuple. Avec une gestion calculée des ressources de l’agriculture, de l’élevage et des spécialités indigènes, l’île de Sinnebar prospérerait. Il y aurait une justice pour tous, un système de santé efficace et la meilleure éducation qui soit. C’était à la fois son objectif et sa passion. Il n’avait d’autre dessein que d’améliorer le sort des habitants.

Naturellement, il n’avait pas pensé recevoir si vite la bénédiction d’un enfant. En y réfléchissant, il se rendait compte qu’il n’avait nullement l’intention de le prendre à Lucy. Il s’agissait bien plutôt d’assurer leur sécurité matérielle. Il se doutait qu’elle serait déçue de n’être que la mère de l’héritier du trône, mais elle apprécierait sans doute ce qu’il comptait faire pour assurer son avenir.

Lucy écouta Razi lui décrire sa nouvelle existence.

Sa plus grosse surprise fut d’apprendre qu’il avait l’intention de reconnaître leur enfant. Elle était si stupéfaite qu’elle ne prêta pas une attention suffisante à la suite, et il dut répéter à plusieurs reprises.

Il l’installerait donc dans une luxueuse propriété de son choix, dans la campagne anglaise, et lui assurerait un revenu en rapport avec son statut de mère de prince du sang. Un avion privé serait à sa disposition pour qu’elle rende visite à l’enfant quand elle le désirerait.

Il n’avait pas mentionné de parenté jointe — ni rien de joint, d’ailleurs. C’était une rupture nette. Elle serait juste délivrée de tout souci matériel.

Mais l’argent ne l’avait jamais intéressée. Elle rêvait juste d’une vie familiale au sein de laquelle son enfant s’épanouirait dans la certitude d’être aimé.

— Tu es très généreux, dit-elle poliment quand Razi eut terminé son exposé.

Il eut un geste désinvolte.

Naturellement, dépenser des sommes fabuleuses pour l’éloigner de sa vue en valait la peine. Mais ils ne pouvaient en rester là. Elle devait trouver le moyen d’atteindre l’homme qui se dissimulait derrière cette façade de glace.

— Dis-moi, Razi, quel rôle entends-tu jouer dans la vie de notre enfant ?

Il la considéra comme si elle était devenue folle.

— Le rôle de père, bien sûr.

— Et tu auras du temps pour ça ? Tu auras le temps d’être père à temps complet ?

Il éluda la question d’un geste.

— Écoute, Lucy, j’ai un millier de personnes à mes ordres, rien que sur l’île de Sinnebar, et...

— Du personnel, dit-elle d’un ton égal. C’est ainsi que tu as été élevé, Razi. Par des gens payés pour ça. N’est-ce pas ?

Elle ne se doutait pas de l’effet que produiraient ses paroles sur Razi. Elle ne s’attendait pas à voir tant de souffrance dans son regard, et elle comprit alors la cause de son amertume.

Cependant, son propre enfant était concerné, elle refusait de se laisser attendrir. Son bébé n’aurait pas le même destin que son père, et elle n’hésiterait pas pour ça à bouleverser sa vie.

— Je vais rester ici, décréta-t-elle.

— C’est impossible !

— Je vais pourtant rester, répéta-t-elle d’un ton sans appel. Je n’ai pas besoin d’une grande maison, juste d’un endroit confortable où élever convenablement mon enfant. Tu pourras venir le voir quand tu voudras. Je ne t’empêcherai pas de le voir, Razi, tout comme je sais la réciproque

Page 74: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

vraie.

Il la considéra en silence.

Parce qu’il n’arrivait pas à croire à ce qu’elle lui proposait ?

Elle était certainement différente de sa mère. Il n’avait pas besoin de lui raconter son enfance pour qu’elle le comprenne, tout était inscrit sur son visage : sa mère avait été docile, et suffisamment choyée pour se conformer à ce que l’on attendait d’elle. Et, un jour, le vieux cheikh avait dû se lasser et l’avait délaissée.

Eh bien, que l’on ne s’attende pas à un tel comportement de la part de Lucy Tennant. Elle organiserait sa vie comme elle l’entendait, sans dépendre de personne !

— Comprends-moi bien, Razi, expliqua-t-elle comme il demeurait silencieux, je propose de rester sans condition. Avec ta permission, j’imagine que j’aurai le droit d’ouvrir un restaurant.

— Comment ?

— Un restaurant, répéta-t-elle patiemment. Ça me paraît évident.

— Pour toi, peut-être, mais je ne peux pas t’autoriser à travailler ici !

Elle se renfrogna.

Razi aurait-il oublié qu’elle avait des ambitions professionnelles ? Ouvrir un restaurant, était-ce trop demander ?

— Je pourrais m’associer avec quelqu’un et diriger l’établissement de la cuisine sans me montrer, argua-t-elle. Nous trouverons bien une solution.

Razi considéra Lucy, désarmé.

La jeune femme se tenait en face de lui, n’attendant rien, ne demandant rien que le destin d’une femme libre.

Jusqu’ici, il n’avait pas cru qu’une femme soit capable de désintéressement. Mais Lucy venait de lui prouver le contraire. En réalité, elle l’avait déjà prouvé de tant de façons qu’il trouvait la situation injuste. On aurait dit que certaines personnes étaient condamnées à se battre, tandis que, à d’autres, tout était servi sur un plateau. Grâce à Ra’id, il jouissait d’une place privilégiée, alors que Lucy était à sa merci.

Il posa une main sur sa joue, avec respect. Il était de plus en plus conscient de son rôle sacré.

— Je ferai en sorte que l’on s’occupe bien de toi.

« Mais qui ? » se demanda-t-elle inquiète.

— Tu vois certainement l’intérêt de ma proposition ? ajouta-t-il en la prenant par les épaules.

Il ne s’était pas attendu à voir ses yeux se remplir de larmes, et, comme il se sentait en position de force, il la laissa aller.

— N’aie pas l’air si abattu ! Je t’achèterai deux maisons. Une ici et une en Angleterre. Mais tu ne peux pas travailler. Ce ne serait pas...

— Convenable ? termina-t-elle. Je ne suis pas venue ici pour recevoir des cadeaux, Razi. Je ne veux rien de toi, à part la promesse de ne pas me séparer de mon enfant.

— Et de changer des siècles de tradition ?

— En empêchant les femmes de travailler, ne crois-tu pas que tu perds des ressources considérables ? Et si les traditions sont en place depuis des siècles, peut-être mériteraient-elles d’être dépoussiérées... Désolée, ajouta-t-elle devant son air crispé. Ça ne me regarde pas.

Soudain, il se rendit compte qu’il souhaitait que ça la regarde.

Page 75: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

14

Lucy vit Razi secouer la tête.

A cause de sa naïveté ? Parce qu’elle s’imaginait qu’on pouvait changer des siècles de tradition si on le décidait ? Elle souhaitait juste pouvoir lui dire ce qu’elle avait dans le cœur : combien elle l’aimait, combien elle le désirait, et pas pour son pouvoir ou pour son argent, ni même pour son physique ou pour tout ce qui le rendait si fascinant, mais pour le simple plaisir d’être en sa compagnie. Elle n’arrivait pas à concevoir de palace assez luxueux ou de bijoux assez précieux pour rivaliser avec un sourire de lui.

— Il te suffirait que je promette de ne pas te séparer de ton enfant ? demanda-t-il.

— C’est tout ce que je désire,

— Tu es vraiment incroyable, dit-il.

Et elle vit passer sur ses lèvres une ombre de sourire rappelant l’ancien Mac.

En réalité, ce n’était pas tout ce qu’elle désirait. Elle voulait aussi l’amour de Razi. Mais c’était trop demander.

— Je promets de ne pas te causer d’ennuis, Razi. Je vivrai tranquillement, loin des regards. Et je n’en souffrirai pas. Tu sais, je n’ai jamais eu de goût pour les sorties et les relations mondaines...

Un éclat de rire si cruellement semblable à celui de Mac l’interrompit.

— Qu’y a-t-il de si drôle ?

Elle tressaillit parce qu’il lui prenait le menton et l’obligeait à le regarder.

— Je ris parce que tu es drôle, dit-il, son regard glissant de ses yeux à ses lèvres. Tu as de drôles d’idées. Tu penses de drôles de choses de moi.

— Je suis désolée.

— Il ne faut pas.

Un monde de possibilités s’ouvrit tandis que Razi lui caressait la joue. Et son sourire tendre accentua cette impression.

Le souffle court, elle attendit, écartelée entre l’espoir que les choses changent et la certitude que rien ne pourrait changer assez pour que ses rêves se réalisent.

Et, en effet, rien ne changeait. Pendant qu’elle s’efforçait de croire à son conte de fées, Razi jetait les bases de sa nouvelle existence : elle aurait tout ce que la vie moderne pouvait offrir de mieux à une mère attendant un enfant de sang royal. Elle et son bébé verraient tous leurs vœux exaucés. Elle pouvait demander n’importe quoi, elle l’obtiendrait. N’importe quoi, sauf ce qu’elle désirait ardemment, c’est-à-dire une vie de famille.

Cependant, en même temps que la déception la submergeait, son désir pour Razi renaissait.

Une nuit à faire semblant de s’aimer, et elle supporterait n’importe quoi. Une nuit d’amour pour toute une vie, ce n’était pas trop exiger, si ?

Page 76: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Avec ses sens si bien accordés aux siens, Razi dut savoir en même temps qu’elle, qu’elle capitulait.

— Tu es fou, murmura-t-elle en frissonnant au contact de ses lèvres sur les siennes.

— C’est la plus faible protestation que j’aie jamais entendue, fit-il observer en la poussant doucement vers l’entrée de la tente.

Elle posa les mains sur ses épaules.

— Je dois être folle, murmura-t-elle.

— Un peu de folie me convient tout à fait, répliqua-t-il.

Il exerça sur sa taille une pression rassurante et la guida vers une couche moelleuse.

Deux lampes à huile projetaient leur douce lueur à l’intérieur de la tente, et un brûleur d’encens diffusait son parfum envoûtant. Une rafraîchissante brise nocturne les effleurait.

Mais, même dans les bras de Razi, elle se sentait agitée. Tant de choses restaient en suspens. Coucher ensemble dans ces conditions, ce n’était pas une bonne idée.

— C’est une erreur, marmonna-t-elle.

— Une erreur ? répéta Razi contre ses lèvres.

Il lui ôta sa vilaine robe et la jeta négligemment.

— Je ne vois aucune erreur ici, dit-il en la dévorant du regard.

C’était comme si l’humour de Mac et le charme qui l’avaient attirée étaient de retour. Le fossé entre eux avait disparu.

Juste une nuit encore...

Prenant son visage entre ses mains, Razi l’embrassa tendrement, comme s’il était désireux de chasser ses soucis jusqu’au lendemain.

— J’ai presque peur de te toucher, maintenant que tu portes mon enfant, murmura-t-il en embrassant le tendre creux de son cou avant de descendre pour prendre entre ses lèvres la pointe d’un sein.

Puis ce fut au tour de son ventre de subir ses assauts.

— Presque..., ajouta-t-il dans un murmure pendant qu’elle se plaignait doucement.

Et il prouva ce qu’il disait en posant ses lèvres sur son sexe et en y glissant sa langue.

— Tu as un goût différent, plus riche, plus doux...

Il la rendait presque folle de désir. Elle languissait qu’il la prenne, l’étire... l’aime. Mais elle était moins affamée de sensations que de proximité, de réconfort, d’amour.

Se levant d’un bond, Razi se débarrassa de ses chaussures et fit passer son T-shirt par-dessus sa tête, découvrant son torse musclé où le lion bondissait sur sa peau brune.

Seigneur ! Elle avait oublié à quel point il était beau.

Et quand il dégrafa son jean qu’il fit glisser sur ses hanches, elle se dit qu’il n’existait pas d’homme aussi parfait sur terre.

Puis il s’allongea près d’elle, et elle lui caressa le visage.

Elle aimait le léger frottement de son début de barbe sous ses doigts, et elle couvrit de baisers ses belles lèvres tandis qu’il se glissait sur elle.

—- Doucement, murmura-t-il, son sexe en érection palpitant contre sa cuisse.

Page 77: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Comment lui expliquer que la grossesse ne faisait qu’amplifier sa faim de lui et que l’afflux d’hormones la rendait réceptive à la moindre caresse ? Que le miracle d’être ensemble exigeait qu’ils ne perdent pas un instant ? Que, revendiquant d’être sa femme, elle avait laissé ses inhibitions à la porte ?

Elle ne voulait pas qu’il se montre attentionné et précautionneux. Elle le voulait passionné. Tout de suite.

Elle aurait dû se rappeler le contrôle que Razi avait sur lui-même. Cela aurait pu lui être utile dans les négociations.

Sauf que son cerveau était hors d’état de réfléchir.

Razi la prit délicatement, résistant à ses exhortations de lui faire l’amour sans douceur. Comme si lui donner du plaisir était son unique but, sa façon de la remercier de porter son enfant.

Elle ne s’était jamais sentie plus proche d’un être humain qu’elle ne le fut de Razi cette nuit-là, tandis qu’ils reposaient, enlacés, au cœur de l’obscurité.

Se rassasieraient-ils jamais l’un de l’autre ? Cela semblait peu probable.

Alors, qu’allait-il se passer ? Resterait-elle sur l’île de Sinnebar en tant que maîtresse de Razi et mère de son enfant ? Razi accepterait-il ses conditions ? Son vœu de vivre sur l’île simplement et loin des regards était-il réalisable ?

Connaissant l’intention de Razi de diriger son pays d’une manière irréprochable, les médias s’empareraient de leur histoire pour jeter leur enfant en pâture à la curiosité publique, avec toutes les conséquences qu’une telle publicité aurait sur lui...

Appuyée sur un coude, elle tournait ces idées sombres dans sa tête en regardant Razi dormir.

Étendu sur le dos comme à son habitude, ses longues jambes musclées prenant tout l’espace disponible, il était beau au-delà de toute expression...

Elle redessina le contour du tatouage, symbole de son pays qu’il avait choisi de porter de façon indélébile sur son cœur.

Restait-il de la place dans ce cœur pour une femme ou un enfant ?

Un frisson la parcourut.

Razi était un homme merveilleux, mais elle ne devait pas oublier que c’était un chef. Il n’était pas seulement l’homme dont elle s’était éprise, c’était le dirigeant d’un pays. Et elle n’était qu’une obscure jeune femme en passe de devenir la mère de son enfant. Bien qu’elle se sente capable de livrer bataille pour épargner toute honte à son enfant, un prince serait-il jamais libre ? Une vie de privilèges était une piètre consolation à la privation de liberté, du moins dans son système de valeurs à elle.

A présent, elle avait perdu tout espoir de dormir.

Se renversant sur les coussins, elle se tourna vers Razi pour l’admirer encore.

— Je t’aime, murmura-t-elle malgré elle.

Razi bougea dans son sommeil.

Comprenant que son agitation le dérangeait, elle se dégagea doucement et sortit en silence.

En ouvrant les yeux, Razi s’aperçut que Lucy n’était plus là. Son instinct lui dit qu’elle était allée nager, et l’inquiétude l’envahit.

Et si un nuage passait devant la lune, la plongeant dans l’obscurité ? Et si elle sous-estimait la profondeur de l’eau ? Et si...

En un instant, il fut debout. L’idée qu’un danger menaçait Lucy le jeta hors de la tente.

Page 78: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Il fallait qu’il la tienne en sécurité dans ses bras. Il fallait qu’il lui fasse l’amour.

Lucy savoura avec bonheur l’eau cristalline qui glissait comme du frais velours sur sa peau échauffée. Cependant, elle avait à peine eu le temps de se glisser dans l’eau qu’elle s’aperçut qu’elle n’était plus seule. Razi nageait vers elle à grandes brassées puissantes, et en un instant il la serrait dans ses bras.

— Que crois-tu faire ? demanda-t-il, les yeux étincelante de colère dans la nuit.

— Je suis bonne nageuse, Razi.

Il resserra son étreinte.

— En pleine nuit ? Dans ton état ?

— Tu as dit toi-même que ce n’était pas dangereux, protesta-t-elle.

— Pas toute seule. Plus jamais. Tu m’entends ?

Il la repoussa légèrement pour la regarder, puis, sans attendre de réponse, il la ramena vers le bord, la tenant serrée contre lui.

Enfin, c’était ce qu’elle croyait, mais, dès qu’ils eurent pied, il s’arrêta, et d’un mouvement souple il la pénétra.

La rapidité de l’attaque et la puissance de son érection la firent hoqueter de surprise, et sa propre excitation fut tout de suite au même diapason.

Razi l’encouragea à s’allonger sur l’eau, d’où elle admira la lune dans son écrin d’étoiles.

La chaleur de leurs corps, la frénésie de leur passion tranchaient avec la fraîcheur de l’eau, et le contraste avivait les sensations. Le paradis n’aurait su lui prodiguer plus de délices. La majesté du désert libérait ses sens indisciplinés, et elle sanglota de plaisir tandis que Razi allait et venait en elle avec une ferme intensité.

Il la comprenait comme personne, pas seulement sur le plan physique, mais sur tous les plans. Et, en retour, elle aimait ce pays excitant et exotique, avec son peuple et son désert sauvages et mystérieux...

Elle l’aimait, lui.

— J’espère avoir toute ton attention, murmura-t-il en la soulevant dans ses bras.

Il ajouta quelques mots de sinnebalais.

— Peux-tu en douter ? répondit-elle.

Et elle poussa un gémissement de plaisir alors qu’il plongeait en elle jusqu’à la garde.

Soutenue par l’eau, les fortes mains de Razi autour de ses hanches, elle se laissa flotter pour mieux se concentrer sur la sensation.

Il se projetait en elle comme elle aimait, et le plaisir montait dans tout son être, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus se retenir... Enfin, son cri de jouissance se mêla à celui, lointain, d’un oiseau de nuit.

— Encore, dit Razi, comme elle restait sans voix.

Cette fois, il garda un rythme lent et régulier, de façon que les ondes de plaisir qui s’atténuaient laissent place à une nouvelle excitation. Il la prit avec retenue, prenant bien garde à ce qu’elle savoure chaque instant.

Comment n’aurait-elle pas apprécié ? Faire l’amour sous cette lune d’ambre et ce ciel de velours piqueté de diamants, c’était presque trop parfait. Si parfait que cela faisait peur.

Si seulement elle pouvait emprisonner cette expérience, et la ressortir quand elle serait seule,

Page 79: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

pour se convaincre que c’était réellement arrivé...

— Lucy ? murmura Razi.

— Oui ?

Elle retint son souffle, attendant des paroles de réconfort qui ne vinrent pas. Mais Razi connaissait son corps, il ne le connaissait que trop bien, et elle se laissa bercer par les vagues argentées pendant qu’il lui prodiguait toujours plus de plaisir et que le souci de l’avenir dérivait lentement.

*

* *

Razi regarda Lucy atteindre l’orgasme dans ses bras.

Le clair de lune la métamorphosait en une exquise nymphe aquatique, une nymphe dont l’appétit sexuel ne cesserait jamais de le combler.

Ils partageaient une étonnante passion, se dit-il en la berçant dans ses bras pour la ramener au bord. Il n’y avait pas d’urgence. Ils avaient tout leur temps jusqu’à l’aube pour savourer leur mutuelle compagnie avant que la réalité ne relève sa vilaine tête et ne mette un terme à leur intimité. Et, avant ça, il ferait de cette nuit un souvenir inoubliable pour tous les deux.

Quand ils réintégrèrent la tente, il enveloppa Lucy de serviettes et l’essuya tendrement, se délectant de sa beauté aussi bien que du fait qu’elle abritait son enfant dans son sein.

— Coquine, murmura-t-il comme la jeune femme en profitait pour faire courir ses mains sur lui.

— Ta coquine, répliqua-t-elle avec un sourire, en refermant sa main sur son sexe.

Cette initiative lui arracha un soupir heurté, mais il eut le souffle coupé lorsqu’il la vit glisser vers le bas du lit pour le prendre dans sa bouche et le titiller des lèvres et de la langue.

Elle se montrait hésitante, comme si c’était la première fois, et il en conçut un bonheur incroyable.

Il tenait bien trop à elle pour la renvoyer chez elle par le premier avion comme il le pensait quelques heures plus tôt, il y avait une éternité de ça. Non, il ne la laisserait pas repartir.

Lucy se faisait plus hardie de seconde en seconde. Comme elle refermait les lèvres sur son sexe pour l’attirer plus profondément dans sa bouche, il l’interrompit.

— Arrête, dit-il d’une voix enrouée, craignant de se montrer égoïste.

— Pourquoi ? demanda-t-elle, candide. Tu as peur de perdre ton légendaire sang-froid ?

En riant, il la souleva dans ses bras.

Elle l’amusait, elle le rendait heureux. Pour la première fois de sa vie, il craignait de tomber amoureux. Il avait peur de lui faire mal. Elle n’avait encore jamais exercé ses pouvoirs féminins, et à présent elle rayonnait, plus belle que jamais. Elle était plus animée, plus féminine, et en même temps plus vulnérable. Cette nouvelle confiance sur ses traits, c’était exactement ce qu’il avait voulu y voir, et il ne s’agissait pas que quelqu’un la détruise — surtout pas lui.

— Tu es pleine de surprises.

— J’ai mal fait ? demanda-t-elle comme il la glissait sous lui.

— Tu as très bien fait, au contraire, assura-t-il. Si bien que j’ai dû t’arrêter. Sinon...

Page 80: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Les yeux de Lucy reflétaient son innocence et son désir de lui plaire, mais il n’en abuserait jamais, se promit-il. Au contraire, il la protégerait.

— Je ne voudrais pas te priver de ton plaisir, dit-il.

Une ombre passa dans le regard de Lucy, et il sut à quoi elle pensait : le plaisir était une chose, mais le lendemain ils devraient faire face à la séparation, et que se passerait-il alors ?

— Tout ira bien, promit-il.

Le compte à rebours était commencé, mais il refusait d’y penser.

— Combien de temps nous reste-t-il ? demanda-t-elle comme si elle lisait dans ses pensées.

— Assez de temps.

Il la poussa à écarter les lèvres en les taquinant du bout de sa langue, se projeta entre ses jambes d’un coup de reins et exulta quand le corps avide de Lucy s’agita pour le solliciter.

Quoi que l’avenir leur réserve, une chose était sûre : peu de gens avaient le bonheur de connaître une nuit semblable dans leur vie.

Page 81: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

15

Au beau milieu de la nuit, ils savourèrent un festin de fruits frais, de délicieuses galettes et de fromage local avant de refaire l’amour. Et ce fut dans les moments d’abandon qui suivirent l’apaisement de leurs corps que Razi surprit Lucy en lui parlant de son enfance.

L’idée qu’elle avait réussi à percer sa carapace et qu’un climat de confiance s’instaurait peu à peu entre eux représentait une petite flamme qu’elle devait protéger entre ses mains pour l’aider à grandir.

Quand il lui parla de sa mère, elle se sentit terriblement émue, et son instinct de protection s’éveilla. Ce n’était plus seulement son enfant qu’elle aurait à défendre désormais, mais également celui qu’elle aimait.

La mère de Razi se prénommait Héléna. C’était une jeune femme inexpérimentée qui avait dû se battre pour se faire une place dans un pays dont elle ne parlait pas la langue et où elle ne jouissait d’aucun droit. Elle n’avait pas d’endroit où se réfugier et personne pour soutenir sa cause, car tous vivaient dans la crainte du père de Razi. Sans argent, sans contacts, son seul objectif avait été de rester belle et disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour son seigneur et maître. Et, pendant un certain temps, cette existence lui avait suffi.

Comment était-ce possible ? se demanda Lucy, des larmes pleins les yeux, en pensant au petit garçon qui n’avait connu sa mère qu’à travers les cruels bavardages du quartier des domestiques. Et si l’histoire se répétait ?

— Hé ! dit Razi, séchant ses larmes sous ses lèvres. Je ne peux pas continuer sous un déluge pareil ! De toute façon, j’ai assez parlé. A ton tour de me raconter ton histoire.

C’était bien à Razi de couper court à l’émotion. Il n’était pas du genre à s’apitoyer sur lui-même. Pourtant, si quelqu’un avait le droit d’en vouloir à ses parents, c’était bien lui. A présent qu’il s’était confié à elle, elle le comprenait mieux. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir envie d’en savoir davantage.

— Je m’intéresse seulement à toi, protesta-t-elle.

— Bien essayé. Mais j’attends toujours.

— Tu sais, à côté de la tienne, mon histoire n’a rien d’exceptionnel.

— Laisse-moi en juger.

— C’est une invitation ? demanda-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Les lèvres de Razi esquissèrent un sourire lent, séducteur.

— Non. C’est un ordre.

*

* *

Page 82: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Quand Lucy se laissa suffisamment aller, ce fut pour raconter quelques anecdotes illustrant ce que Razi pressentait déjà. En l’écoutant plaisanter sur ses rapports avec ses parents et ses frères, il comprit qu’elle ne se sentait pas à sa place dans sa famille, tout comme lui.

Les confidences échangées les rapprochaient plus qu’il n’aurait cru possible, et à présent il avait envie de la rassurer.

— Tout ça, c’est le passé. Tu as l’avenir devant toi, décréta-t-il.

— Tu crois ? marmonna Lucy.

Sa mélancolie lui brisa le cœur. Il aurait voulu la rendre heureuse, surtout quand il pensait à l’enfant solitaire qu’elle avait été, et à la jeune femme peu sûre d’elle qu’elle était devenue.

Naturellement, elle ne se plaignait pas. Elle trouvait même toutes les excuses possibles et imaginables au comportement de sa famille.

— Tu n’as rien fait de mal, protesta-t-il quand elle expliqua qu’elle s’arrangeait toujours pour décevoir sa famille. Tout le monde veut être aimé, compris, écouté, et tu le mérites, Lucy.

— Mes parents et mes frères m’aiment, affirma-l-elle. C’est juste qu’ils ne me comprennent pas.

— Moi, je te comprends.

Il lui caressa le visage et l’embrassa, pensant qu’il avait une chance inouïe de passer ces moments avec elle.

— Ce n’est pas comme si j’avais été abandonnée comme toi, dit-elle.

— Ce n’est pas comme si tu avais un frère comme Ra’id pour veiller sur toi, renchérit-il.

— Mes frères se seraient occupés de moi s’ils avaient arrêté assez longtemps de débattre de sujets capitaux.

— J’en suis sûr.

Mais il éprouvait une brusque envie de boxer les six frères pour avoir négligé leur petite sœur.

—- J’aimerais rencontrer Ra’id...

—- Tu le rencontreras.

Il y eut un silence.

Lucy retint une moue dubitative.

Razi l’introduirait-il subrepticement dans le palais pour une audience privée ou l’emploierait-il à la cuisine, où Ra’id passerait le personnel en revue ?

— Je serai fier de te présenter à mon frère.

— C’est vrai ?

— Comment peux-tu en douter ?

Peut-être parce que toute idylle devait avoir une fin, et que celle de la leur approchait.

Déjà, elle sentait Razi prendre du recul. A mesure que la lumière de l’aube envahissait la tente, il s’éloignait d’elle, physiquement aussi bien que moralement.

Elle s’accrocha à lui et, pendant quelques instants, ils restèrent allongés en silence, regardant le ciel nacré se rayer d’ambre et de lavande. Et puis, sans un mot, ils se séparèrent.

— Je vais préparer le café, dit Razi.

— Et moi me baigner.

Page 83: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Voyant l’expression de son amant s’assombrir, elle ajouta :

— Il fait grand jour maintenant, et je te promets de faire très attention.

Il la dévisagea un instant avant de la laisser partir.

Sa protestation ne concernait pas seulement la baignade. Elle tenait à lui faire savoir qu’elle était capable de se débrouiller toute seule et qu’il n’avait qu’à en prendre son parti.

C’était une allégation très théorique. Avec l’aube qui se précisait, la réalité de sa situation lui revint en mémoire : Razi était roi, et elle n’était rien. Mais, à son crédit, il s’était gardé de le lui faire remarquer.

Comme elle ramassait sa robe et la passait, il l’attira à lui et l’embrassa, si rapidement que l’on aurait dit un baiser d’adieu, puis ils échangèrent un regard.

— C’était une nuit merveilleuse, dit Razi d’un ton dépourvu d’expression.

— Oui...

Il ne s’agissait pas seulement de prouesses sexuelles. En se confiant l’un à l’autre, ils s’étaient rapprochés, et maintenant ils devaient se séparer.

Elle haussa les épaules avec désinvolture.

— Ne t’inquiète pas, je comprends, dit-elle sur un ton apaisant. Et je chérirai toujours les confidences que tu as bien voulu me faire.

Elle se détourna et s’éloigna dignement, consciente de l’enfant qui grandissait en elle et de l’amour qu’elle portait au petit être et à celui qui l’avait engendré.

Razi al Maktabi lui avait donné une nouvelle assurance et, en lui ouvrant son cœur, il l’avait changée pour de bon. A présent, elle savait ce que l’on ressentait quand on avait confiance en quelqu’un et que ce quelqu’un vous accordait sa confiance en retour. Et, même si son histoire ne connaissait pas la fin heureuse des contes de fées, elle croyait Razi quand il disait qu’il ne la séparerait pas de son enfant.

Razi avait toujours pensé que le désert le changeait, qu’il le libérait. Mais il comprenait maintenant que c’était la possibilité de réfléchir qui lui donnait cette impression.

Alors qu’ils buvaient leur dernier café devant le feu de camp, il se rendit compte qu’échanger sa solitude pour la compagnie de Lucy s’était révélé encore plus bénéfique : elle avait libéré quelque chose en lui. Il avait laissé un être humain entrer dans son intimité, ce qu’il ne s'était jamais autorisé jusqu’à présent. Cette nuit commencée dans la passion les avait tous les deux métamorphosés. Il tenait à Lucy. Il avait toujours tenu à elle. Peut-être même qu’il l'aimait. Ce qui n’impliquait pas qu’il y ait une solution.

Il jeta un coup d’œil à la dérobée à la jeune femme et admira sa force d’âme.

Ils savaient où ils en étaient maintenant : il prendrait soin d’elle de toutes les manières possibles, mais ils devraient faire leur vie chacun de leur côté. Elle portait son enfant, situation qui aiguisait son instinct de protection, mais ce n’était pas de l’amour. Ça ne pouvait pas être de l’amour. C’était... autre chose.

Le sourire nerveux que lui adressa Lucy laissait supposer que ses pensées n’étaient pas plus gaies.

Si seulement elle savait combien il désirait fonder une famille, si seulement il pouvait lui dire qu’il en avait toujours rêvé ! Mais le pouvoir avait un prix, il l’avait toujours su. Pour chaque nuit de plaisir, la banque du devoir exigeait son dû. Ce qu’il ignorait, c’était à quel point ça faisait mal.

Pour ne pas y penser, il aborda les questions pratiques.

Page 84: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— A quand remonte ta dernière échographie ?

La tasse de Lucy s’arrêta à mi-chemin de ses lèvres.

Cela paraissait si incongru qu’un puissant chef d’État se préoccupe de questions de maternité !

— Vous avez bien des appareils à ultrasons en Angleterre ? insista Razi.

— Bien sûr.

— Alors ? Tu en as passé une ?

— J’ai mon premier rendez-vous à mon retour, vendredi.

— Tu es enceinte de douze semaines. Sais-tu si tout se passe bien ?

— Je le suppose.

— Tu le supposes ? répéta Razi d’un ton glacé.

Elle avait vu le médecin qui avait confirmé sa grossesse, et elle suivait à la lettre le protocole établi par les autorités médicales. Elle ne voyait donc pas pourquoi Razi se mettait dans un tel état. A moins que...

— Je ne saurai pas le sexe de l’enfant de façon certaine avant dix-sept semaines.

Quand il apprendrait que c’était une fille comme elle en était persuadée, perdrait-il tout intérêt pour l’enfant ?

— Je veux être sûr que vous êtes tous les deux en bonne santé, déclara Razi. Je t’en prie, laisse-moi accélérer le processus.

— Je sais que c’est une fille.

— L’instinct maternel est merveilleux, j’en conviens, mais, si ça ne te fait rien, je préférerais avoir un avis médical.

On était maintenant de plain-pied dans le monde réel.

Comme Razi soutenait son regard, elle comprit, le cœur serré, qu’aucune femme ne le convaincrait qu’elle disait la vérité à moins de le prouver, et que cela concernait aussi Lucy Tennant.

Après tout, prenait-on jamais trop de précautions quand la santé de son enfant était en jeu ?

— Comme tu voudras, dit-elle.

Razi avait déjà sorti son portable, qui paraissait parfaitement déplacé dans ce décor, et il composait un numéro. Bientôt, il échangeait avec son interlocuteur quelques phrases rapides en sinnebalais.

— C’est arrangé, dit-il en coupant la communication. Nous allons nous rendre directement à la clinique privée de la capitale.

— Si tu m’accompagnes, je doute que la nouvelle de ma grossesse reste longtemps secrète.

— Je t’accompagnerai. Tu es sous ma responsabilité, et c’est mon devoir de m’assurer que tu bénéficies des meilleurs soins.

Le bonheur de Lucy se dissipa d’un seul coup.

Son « devoir » ?

Elle avait vu plusieurs émotions passer sur le visage de Razi depuis qu’ils étaient assis en tailleur autour du feu. Son expression s’était même adoucie. Mais toute trace de chaleur avait à présent disparu de son visage.

Page 85: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Le temps de boire une tasse de café, elle était passée du statut d’amante à celle de fardeau, et il semblait que, à mesure que le soleil s’élevait dans le ciel, la distance entre eux grandissait encore.

— Si un membre de mon personnel avait besoin de soins médicaux, ne crois-tu pas que je m’assurerais personnellement qu’il les reçoive ?

Elle aurait voulu se boucher les oreilles tant ses propos lui faisaient mal. Mais c’était sans doute stupide, elle aurait dû au contraire se réjouir d’être sous la protection du chef.

Allons, il était temps de se faire à l'idée quelle n’obtiendrait pas davantage.

*

* *

Il semblait à Lucy que quelques instants seulement s’étaient écoulés quand Razi arrêta la Jeep devant un immeuble d’une blancheur éclatante.

Une infirmière en uniforme vint à leur rencontre et les accompagna au service de gynécologie. Ils furent immédiatement introduits dans la salle d’examen, et Razi ne voulut pas entendre parler d’attendre à l’extérieur. Pendant qu’elle passait un peignoir, il s’installa devant l’écran.

Elle grimpa sur la table d’examen et adressa un pâle sourire au radiologue qui enduisit son ventre d’une gelée froide et se mit en quête du fœtus.

— Eh bien, je peux vous confirmer votre grossesse.

Quand un bruit de battement de cœur brisa le silence, elle poussa un petit cri de ravissement.

Le bruit du cœur de son enfant était le plus beau du monde. En tout cas, le plus émouvant, et celui qui annonçait les plus grands bouleversements dans sa vie.

Pour sa part, Razi demeura parfaitement immobile et silencieux.

— Et vous attendez un bébé en parfaite santé, dit le praticien.

La tension dans la pièce se relâcha enfin.

— Je ne peux y croire, murmura-t-elle.

Etait-il possible d’exploser de joie ?

— Il est en sécurité, n’est-ce pas ? demanda-t-elle anxieusement. Tout va bien ?

Sa soudaine appréhension venait du fait que le radiologue s’était fait très attentif.

— Un instant, s’il vous plaît, dit-il, concentrant son attention sur l’écran. Est-ce que vous entendez ?

Elle tendit l’oreille de toutes ses forces, se rendant à peine compte qu’elle avait saisi la main de Razi et la serrait à la broyer.

— Qu’est-ce que c’est ? Dites-moi...

— Vous n’attendez pas un enfant, dit le radiologue avec un grand sourire, mais deux !

— Comment ?

Il lui fallut quelques instants pour passer de l’état de choc dans lequel l’avait plongée la nouvelle à l’incrédulité puis à la stupéfaction.

Des jumeaux !

— Êtes-vous certain ? demanda Razi, l’air tendu.

Page 86: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Absolument certain ! Regardez, vous pouvez constater par vous-mêmes.

Il désigna sur l’écran une minuscule forme, puis une seconde.

Razi poussa une exclamation joyeuse dans sa langue, mais elle-même se sentait complètement dépassée. Ses projets s’écroulaient, et sa toute nouvelle confiance en elle était sérieusement entamée.

Elle avait projeté d’élever son enfant toute seule, même si ça signifiait rester sur l’île de Sinnebar. Mais maintenant... Comment parviendrait-elle à travailler en élevant deux enfants ? Qu’allait devenir son indépendance ? Elle se retrouvait à la merci de Razi.

— Les jumeaux devancent généralement la date du terme, commenta le radiologue. Alors, vous n’aurez pas trop longtemps à attendre avant de les tenir dans vos bras.

Il s’efforçait de se montrer rassurant, bien sûr. Il ignorait que son programme de mère célibataire qui s’assume venait d’être réduit en miettes.

Razi posa une main sur son bras.

— Tu n’es pas heureuse ?

— Je suis... secouée, avoua-t-elle.

Son esprit bouillonnait de trop d’émotions. Cette nouvelle responsabilité qui l’écrasait, et puis la peur de l’échec qui rôdait... Il fallait à tout prix qu’elle conserve son indépendance et s’assure que, quoi qu’il arrive avec Razi, elle serait en mesure d’élever ses enfants. Il fallait...

Elle saisit le radiologue par le bras et demanda un nouvel examen.

— Il n’y a pas de doute, assura-t-il.

Honteuse, elle lâcha sa manche.

— Je vous prie de m’excuser. C’est juste que je n’arrive pas à y croire.

— Moi non plus ! s’exclama Razi avec un sourire radieux.

Il lui donna un baiser.

Cependant, toujours en état de choc, elle restait amorphe.

— Cette réaction est courante, dit le radiologue. Les pères sont généralement enthousiastes, alors que les mères calculent en termes d’énergie, de fatigue et d’argent. Mais bien sûr, dans votre cas, ce n’est pas un problème.

Ah bon ? pensa-t-elle comme le praticien s’inclinait devant Razi. L’idée d’être redevable à ce dernier lui glaçait le sang.

— Heureux de vous avoir rendu ce service, Votre Majesté, ajouta le radiologue. Et sachez que je reste à votre disposition.

Avec un sourire, Razi aida Lucy à descendre de la table d’examen.

En d’autres circonstances, ce sourire l’aurait remplie de chaleur, mais le sentiment qui dominait à cet instant tenait beaucoup plus de l’appréhension.

Page 87: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

16

Une main sur son épaule, Razi reconduisit Lucy à la Jeep.

— Nous allons au palais, dit-il. Je crois nécessaire que nous ayons une petite conversation.

Sans lui laisser le temps de répliquer, il tira son portable de sa poche et composa un numéro.

Elle l’entendit échanger avec animation quelques phrases en sinnebalais avec son interlocuteur avant de refermer son téléphone. Elle n’avait pas besoin de comprendre la langue pour deviner de quoi il retournait.

— Sont-ils choqués ? demanda-t-elle.

— Choqués que leur dirigeant produise deux enfants à la fois ? J’aimerais voir ça, alors que nous sommes en bonne voie de fonder une dynastie ! Je plaisante, ajouta-t-il, voyant qu’elle le regardait avec inquiétude. Laissons les gens penser ce qu’ils veulent.

Il redevint sérieux.

— Le principal pour moi, c’est que les enfants soient en bonne santé et heureux. Tu ne voudrais tout de même pas que je prenne l’air accablé alors que je suis fou de joie à l’idée d’avoir des jumeaux ?

En effet, une nouvelle flamme brûlait dans les yeux de Razi. Depuis qu’il s’était découvert futur père de deux enfants, ses instincts protecteurs semblaient décuplés, et que le ciel vienne en aide à quiconque se mettrait en travers de son chemin !

— Non. Bien sûr que non, dit-elle faiblement.

Bien sûr, la joie de Razi lui faisait plaisir. Comment ne se serait-elle pas réjouie que leurs enfants représentent autant pour lui ?

Sauf qu’elle n’apparaissait pas du tout dans ses projets. L’envers de la médaille, c’était qu’elle devrait en passer par ses conditions, c’est-à-dire aliéner sa liberté.

Et si leur mère n’était pas épanouie, comment ses enfants le seraient-ils ?

Razi ralentit devant d’impressionnantes grilles dorées.

— C’est le palais du dernier cheikh, expliqua-t-il joyeusement. Tant que mon nouvel écopalais ne sera pas terminé, je crains que nous ne devions nous accommoder des fastes du passé.

Il paraissait difficile sinon impossible de ne pas se laisser contaminer par sa bonne humeur.

— Je m’en accommoderai, répondit-elle.

Pourtant, elle devait l’avouer, les gardes en robe noire au cimeterre recourbé luisant à la ceinture ne la rassuraient guère.

— Bienvenue au palais du clinquant débridé ! commenta Razi comme ils passaient sous une voûte dorée.

Il roula sur une large avenue qui étincelait comme si on l’avait saupoudrée de poussière d’or.

Page 88: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Serait-ce le cas ? se demanda-t-elle, sentant son assurance se dissiper.

— Ce sont des cristaux de quartz qui produisent cet effet, la rassura Razi.

Deux plates-bandes de fleurs exubérantes flanquaient la route, mais ce qui attirait l’attention, c’était la massive bâtisse sortie tout droit des Mille et Une Nuits qui s’élevait devant eux, avec ses tours roses, ses minarets blancs et ses coupoles recouvertes à la feuille d’or.

De formidables remparts où flottaient des oriflammes portant l’emblème royal, des portes incrustées de pierres précieuses...

Si elle était venue ici en touriste, elle aurait été éblouie. Elle était éblouie — sauf qu’un sentiment d’écrasement décuplait son découragement.

Elle n’appartenait pas à ce monde, elle n’y appartiendrait jamais. La discussion à venir serait forcément désastreuse. Elle se sentait si faible,..

— Charmante maisonnette, n’est-ce pas ? fit Razi, pince-sans-rire. Malheureusement, c’est là que j’habite... Lucy ?

Il s’arrêta immédiatement. Après lui avoir tendu un verre d’eau et branché l’air conditionné, il passa un bras autour de ses épaules.

— Désolée, murmura-t-elle en poussant un soupir accablé. Je me sens juste... C’est trop.

— Tu n’as pas à t’excuser. Je comprends, tu sais.

Il attendit qu’elle ait bu pour désigner le palais devant eux.

— Je vais l’ouvrir au public. Qu’en penses-tu ? Je vais utiliser ce lieu comme vitrine de notre héritage. Il y aura un musée, une galerie d’art, et nous organiserons aussi des concerts. Tu aimeras ça, ajouta-t-il avec un sourire qui lui alla droit au cœur. Rappelle-toi le karaoké de Val-d’Isère...

Elle dut ravaler ses larmes et sourire comme si tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

— Tu te sens mieux ? s’enquit-il.

Elle hocha la tête et se redressa pour montrer sa détermination pendant que Razi redémarrait.

Il faudrait qu’elle s’habitue aux moments de faiblesse comme aux accès de tristesse.

Il se gara devant une volée de marches de marbre blanc et fit le tour du véhicule pour l’aider à descendre. Avant que les gardes aient eu le temps d’atteindre la portière, il l’avait soulevée dans ses bras et posée à terre.

— N’aie pas l’air si soucieuse, chuchota-t-il en lui caressant la joue, oublieux des soldats qui formaient une haie d’honneur. Tu as eu une journée fatigante.

Il la guida le long de couloirs voûtés regorgeant de merveilles.

Un tel déploiement d’or, de bijoux et de fabuleuses œuvres d’art lui paraissait insensé. Elle recommençait à se sentir nauséeuse.

Enfin, ils s’arrêtèrent devant une porte décorée d’arabesques d’or entrelacées.

— Le harem, annonça Razi en lui tenant la porte. Non, vraiment, je n’ai pas le cœur à ça ! s’exclama-t-il sur le ton de la plaisanterie devant son regard incrédule. Encore que, reprit-il, comme tu es la seule occupante, je vais peut-être faire un effort...

Ses lèvres frémirent.

— Que dirais-tu de triplés, la prochaine fois ?

Il n’y aurait pas de prochaine fois. Il voulait juste se montrer gentil, elle le comprenait bien. Ils allaient discuter des aspects pratiques de la situation, et elle rentrerait chez elle. Elle n’avait pas sa

Page 89: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

place ici. Enfin, du moins faisait-il frais dans la splendide pièce.

Cependant, ses joues se mirent à la brûler quand elle découvrit les peintures érotiques qui couvraient les murs : des hommes magnifiques au visage impassible honoraient dans toutes les positions de belles femmes aux languissants yeux noirs et aux lèvres pulpeuses.

Devant la beauté des personnages, elle se sentit écrasée par son insignifiance.

Au nom de quoi Razi al Maktabi l’aurait-il choisie ?

Justement, il ne l’avait pas choisie. C’était évident depuis le début.

Il la fit passer sous une arche qui menait à une cour intérieure à laquelle la fraîcheur et le murmure de l’eau coulant d’une fontaine prêtaient une ambiance de détente. Il lui désigna un banc doré garni de coussins à l’ombre d’un jacaranda couvert de fleurs roses, et il n’eut pas à insister pour qu’elle s’y laisse tomber.

S’installant près d’elle, il lui prit les mains.

— Pourquoi es-tu si pessimiste ?

Elle regardait droit devant elle, le regard brouillé.

— A ton avis ? Tu viens de recevoir la nouvelle la plus bouleversante de ta vie, et tu n’es pas le moins du monde ému !

— Je veux que tu saches tout, Lucy, afin que les insinuations ne puissent t’atteindre. Il y a un contrat de mariage... Laisse-moi finir! insista-t-il comme elle s’écartait d’un bond. Il ne compte pas.

— Comment ça, il ne compte pas ?

C’était exactement ce qu’elle craignait : ses enfants ne connaîtraient pas leur père, car quelle femme accepterait les bâtards de son mari dans ses jambes ? Au mieux, on les cacherait dans un coin reculé du pays.

— J’ai toujours su qu’il y avait quelqu’un, dit-elle entre ses dents.

Elle voyait déjà le visage de sa rivale, brun et noble comme celui des femmes représentées sur les murs du harem.

— Il n’y a personne, je te le jure, dit Razi.

Il la prit par le bras et l’obligea à le regarder.

— Il n’y a personne d’autre que toi, la mère de mes enfants.

— Mais rien n’est possible entre nous, dit-elle avec un regard blessé.

Il lui répugnait d’être brutal avec elle. Cependant, si son conseil avait applaudi la preuve de sa fécondité, une épouse étrangère ferait trembler le pays sur ses fondations. Même une maîtresse étrangère serait un pas de trop, exhibée à la face des traditionalistes. La cruelle vérité, c’était que Razi reconnaîtrait ses enfants et leur accorderait les droits et les privilèges dus à leur rang, mais qu’elle-même devrait partir. Il avait promis sa vie à son pays. Non, rien n’était possible entre eux.

— Tu n’as pas à te justifier, dit-elle.

— Si. Et, pour une fois, tu vas m’écouter.

— Je ne supporterai pas de te voir avec une autre, Razi. C’est au-dessus de mes forces ! Pas quand je sais que personne ne peux t’aimer comme je t’aime.

— Tu m’aimes ? répéta-t-il, pris de court.

— Tu le sais bien !

— Comment le saurais-je ?

Page 90: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Razi avait raison. Elle n’avait pas eu le courage de le lui dire. Elle ne lui avait pas non plus expliqué que les choses pouvaient être différentes, qu’une femme pouvait sincèrement aimer et qu’une enfance privée d’affection n’était pas la norme. Elle avait été tellement obsédée par le fait qu’un roi du désert ne pouvait pas s’intéresser à une petite roturière qu’elle avait oublié l’essentiel : ce dont Razi avait le plus besoin, c’était d’amour, et cet amour était justement la chose qu’elle pouvait lui donner.

Elle le trouvait distant, mais elle ne lui avait jamais dit qu’elle l’aimait.

Son cœur se serra à l’idée qu’elle n’avait jamais dit non plus à ses parents qu’elle les aimait.

Il était toutefois trop tard pour se lamenter. Il fallait remercier Razi de lui avoir donné confiance en elle. Après tout, elle était seule à blâmer si elle la reperdait peu à peu. Une femme enceinte ne devait pas permettre aux peurs anciennes de la diriger plus longtemps.

— Oui, je t’aime ! dit-elle d’un ton de défi. Fais-en ce que tu voudras.

Razi salua d’un sourire le retour de Lucy la battante.

Mais il comprenait que ses paroles venaient du cœur blessé de la jeune femme et qu’il ne devait pas en tenir compte. Il n’avait jamais cherché l’amour, encore moins espéré le rencontrer. Et il ne pensait pas que Lucy éprouve pour lui autre chose que de l’attirance physique et de la fascination pour un homme appartenant à une culture si différente de la sienne.

Il lui raconta en détail l’histoire du mariage arrangé avec sa cousine Leila et comment il avait déjoué la machination du père.

— Il ignorait que, aux yeux de mon père, je n’existais pas. Je ne l’ai même jamais rencontré. Mon père, l’ex-souverain de l’île de Sinnebar, ne m’a pas reconnu, expliqua-t-il à une Lucy incrédule.

— Oh, Razi !

D’un geste, il balaya la compassion de la jeune femme.

— C’est pourquoi je suis si fier de reconnaître mes enfants, et pourquoi je serai toujours là pour eux.

Il s’arrêta en lisant la crainte dans le regard de Lucy.

Il s’agissait pourtant de la rassurer, elle.

— Tu comprends, reprit-il, mon père ne s’étant jamais soucié de moi, pourquoi m’aurait-il arrangé un mariage ? J’ai tout de suite compris que le document produit par le père de Leila était un faux. Je l’ai fait expertiser pour m’en assurer, et aujourd’hui l’affaire est classée.

— Avec un bon dédommagement ?

— Voyons, Lucy ! Ça n’a rien à voir avec ta situation.

Elle lui retira ses mains.

— Les choses sont très différentes, insista-t-il. Je souhaite seulement pouvoir réaliser les projets que j’ai échafaudés pour toi.

— Tu as échafaudé des projets pour moi ?

Il regarda autour de lui.

— Imagine un peu ce restaurant dont tu rêves dans ce patio. Avec des tables éparpillées dans les jardins...

Il aurait parlé des heures de ses projets avec Lucy, mais il devait se doucher et endosser une

Page 91: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

tenue plus conventionnelle avant la réunion du conseil.

Plus il songeait à cette réunion, plus il imaginait ce que pourrait être sa vie s’il l’orientait dans une direction différente. Et il pouvait le faire. Il pouvait faire ce que bon lui semblait à condition de rester fidèle à son vœu de servir l’île de Sinnebar. Un plan germait dans sa tête. Et plus il y réfléchissait, plus il le trouvait judicieux.

Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ?

— J’ai une réunion, et je ne peux me permettre d’être en retard, dit-il à Lucy, impatient de faire la déclaration qui allait bouleverser irrémédiablement sa vie.

— Razi, attends ! s’écria-t-elle, notant sa précipitation.

Il lui prit les mains et les retourna pour en baiser les paumes, puis, jurant doucement en sinnebalais, il secoua la tête d’un air de regret.

— Le temps est une denrée précieuse.

— C’est ce que je constate.

— Une domestique te montrera ta chambre. J’ai demandé qu’on te fasse couler un bain.

A la porte, il se retourna pour lui adresser un sourire.

— Repose-toi en m’attendant, ou va te baigner, ou demande une visite guidée du palais. Tout ce que tu voudras. Prends soin de toi, mère de mes enfants. Et sache que, à partir de maintenant, ta vie va changer. Ne t’inquiète pas, je serai revenu avant que tu aies eu le temps de t’apercevoir de mon absence.

Lucy regarda s’éloigner Razi sans lui retourner son sourire.

Sa vie avait déjà changé une fois, à cause de sa grossesse, et une deuxième fois aujourd’hui, en apprenant que c’étaient deux petites vies qui dépendaient d’elle. Quant à la proposition de Razi d’ouvrir un restaurant dans le palais, elle ne savait trop quoi en penser. Elle était une femme d’action, pas une de ces oisives qui remplissent leurs journées avec de vaines rêveries. Qu’il n’aille pas s’imaginer qu’elle allait s’étioler dans son coin en attendant qu’il trouve le temps de lui rendre visite comme l’avait fait Héléna ! Si c’était le cas, il l’avait sous-estimée.

Elle l’aimait. Pour elle, aimer, cela signifiait travailler ensemble à un avenir commun. Si elle ne devait pas devenir sa femme, elle pouvait tout de même mettre ses talents au service de son pays. Razi avait parlé de la construction d’un écopalais. Un palais comprenait forcément des cuisines, n’est-ce pas ?

En soulevant le téléphone pour demander une voiture, elle décida qu’elle ne retournerait pas en Angleterre.

Elle resterait ici, sur l’île de Sinnebar. Elle vivrait dans un endroit retiré où elle ne causerait aucune gêne à Razi, mais elle garderait ses enfants avec elle et travaillerait au bien de son peuple adoptif.

Et si elle devenait pionnière en changeant les mentalités, eh bien, tant mieux. Elle se montrerait discrète pour n’offenser personne, mais elle agirait.

Page 92: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

17

Quand Razi pénétrait dans la grande salle dorée aux plafonds voûtés, aux lambris incrustés de pierres précieuses, pleine de silence et de majesté, il ressentait toujours le poids des siècles écoulés. Et quand les membres du conseil réunis autour de la table se levèrent pour l’accueillir, il eut conscience de leur sagesse et de la confiance qu’ils lui portaient.

Il demeura quelques instants immobile, conscient de tenir sa destinée entre ses mains, avant de leur faire signe de s’asseoir. Lui-même resta debout à une extrémité de la table.

Il était prêt à tout sacrifier pour Lucy. Il en avait enfin pris conscience, il ne supporterait pas une vie de mensonges et de faux-semblants.

Il renouvela l’annonce de la naissance prochaine de ses jumeaux. Et puis, dans un silence religieux, il parla de ses projets d’avenir avant d’appeler son conseil à voter au sujet de sa décision de renoncer au trône Phœnix pour travailler comme simple individu au bien de son peuple et de son pays, au côté de la femme qu’il aimait. Il termina en précisant que cette décision était la sienne et uniquement la sienne.

Et maintenant, il ne lui restait plus qu’à attendre le verdict.

Il n’eut pas à attendre longtemps. Le conseiller le plus âgé et le plus fidèle parla au nom de tous.

Ils le soutenaient de tout cœur. Ils croyaient en sa vision de l’avenir. Et si cette vision incluait une épouse étrangère, ils le soutiendraient de la même façon. Il garderait le trône et leur confiance. Et puis, ils levèrent le poing et l’acclamèrent comme chef incontesté.

— Arrêtez !

Razi jaillit de la limousine de tête avant même qu’elle soit immobilisée, remerciant le ciel d’avoir eu la bonne idée de passer sur le site de l’écopalais pour voir l’avancement des travaux avant son prochain rendez-vous. Il était impatient aussi de voir Lucy, bien sûr, et il projetait d’en terminer le plus vite possible avec ses obligations pour retourner auprès d’elle lui annoncer la bonne nouvelle.

Naturellement, il n’avait pas imaginé, en arrivant sur le site, découvrir une femme enceinte en jean, tennis, veste de sécurité, un casque sur la tête, un bloc à la main, s’entretenant avec le chef de chantier.

En quelques enjambées, il fut près de Lucy.

— Que penses-tu faire ?

— Travailler, dit-elle avec une assurance nouvelle.

Il imagina les regards avides derrière les vitres teintées des limousines du cortège royal.

— Est-tu vraiment obligée de faire ça ? Tu ne vois pas que c’est dangereux ?

— Dangereux ?

Elle fronça les sourcils.

Page 93: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Je ne vois pas où est le danger, reprit-elle. Moi, je pense que c’est de voir une femme travailler qui te gêne, Razi.

Le chef de chantier s’éclipsa après un salut respectueux.

— Tu es enceinte !

— Exact. Pas malade.

— Tu te mets en danger en traînant sur un chantier.

— Asif m’accompagnait, je suis habillée en conséquence, et je fais attention.

— Tu n’as pas à travailler.

Lucy lui lança un regard assassin, qui affirmait qu’elle ne souscrirait jamais à sa vision du monde, qu’elle ne serait pas la maîtresse impotente d’un puissant de ce monde et qu’elle vivrait suivant sa propre loi.

Dure leçon pour son ego, admit Razi.

Mais il avait la possibilité d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’île de Sinnebar, une page où tout serait possible, où les hommes et les femmes seraient égaux, à la maison comme au-dehors. Il pouvait user de son pouvoir pour changer les mentalités, et Lucy participerait au bouleversement des mœurs. Il avait envie qu’elle y participe.

Elle leva les yeux sur lui et, devant le pli obstiné de sa mâchoire, il craignit d’avoir trop attendu pour la convaincre qu’il n’était pas le tyran qu’elle imaginait et qu’elle n’avait pas besoin d’en venir à de telles extrémités pour échapper au sort d’Héléna.

— Je pensais que tu étais différent, mais je me trompais ! Tu es un homme des cavernes, Razi.

— Tu crois ?

— Les femmes ne doivent pas faire des métiers d’homme, c’est ça ? Tu vas probablement édicter une loi maintenant que tu détiens les rênes du pouvoir !

— Je peux te renvoyer au palais.

— Où j’écrirai mon rapport ? Très bien, dit-elle, refusant manifestement de se laisser abattre, il sera prêt pour ton retour.

Quand Razi pénétra dans le harem, Lucy travaillait devant une console convertie en bureau.

Elle n’eut pas besoin de se retourner pour deviner sa présence, ni savoir qu’il était vêtu d’une djellaba. Elle entendait le bruissement du tissu tandis qu’il approchait, et elle sentait le parfum montant de ses plis.

Son regard dériva sur le patio ombragé pendant qu’elle songeait à toutes les choses qu’elle aimerait changer sur l’île si on lui en laissait la possibilité.

A commencer par Razi.

— Lucy...

Le bruissement de sa robe, le cliquetis des perles de prière à sa taille, son parfum ténu, si propre...

Elle se retourna, et son cœur se mit à battre follement.

Jamais elle ne s’habituerait à sa vue. Quand il portait des habits occidentaux, Razi sentait le savon et l’after-shave, mais la robe ajoutait à sa séduction les épices de l'Orient et une aura d’indéniable pouvoir.

Page 94: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— As-tu quelque chose à me dire ? demanda-t-il doucement.

Elle avait l’intention d’être calme, réfléchie, mais elle explosa.

— Je veux que mes enfants aient une mère active. Qu’ils soient fiers de moi !

— Et tu dois travailler sur un chantier pour ça ?

— Écoute, je me rends compte que ce sera difficile pour tout le monde, mais je veux travailler. Je veux être active, je ne veux pas être celle qui se morfond en attendant son maître.

Sa voix se brisa.

Sa grossesse la fragilisait émotionnellement, et la pensée de la mère de Razi, regardant des heures entières par la même fenêtre la même vue en attendant l’homme autour de qui gravitait son univers, l’obsédait.

— Je veux agir sur le monde, dit-elle quand elle se reprit.

— Tu peux le faire sans travailler sur un chantier !

— Ne crie pas comme ça ! hurla-t-elle en plaquant ses bras sur sa taille. Je suis enceinte !

Ils faillirent tous deux éclater de rire.

— Je ne veux pas te causer d’ennuis, Razi, reprit-elle plus doucement. C’est juste que je me disais que si j’arrivais à parler avec Asif et les architectes avant qu’ils ne montent les murs de la cuisine, je pourrais leur soumettre mes plans...

Quelques secondes s’écoulèrent dans un silence tendu.

L’expression de Razi restait indéchiffrable. Enfin, son regard tomba sur les papiers étalés sur la table.

—- Ce sont tes notes ?

— Oui.

Il se pencha pour lire par-dessus son épaule, puis prit le bloc en main.

— Très intéressant, dit-il après avoir tout examiné.

Elle avait du mal à contenir son excitation.

— J’ai imaginé une cuisine modulable qui pourrait servir à la fois pour un grand événement et pour un repas familial. Il y aurait des sections que l’on pourrait soit ouvrir soit fermer...

— Je vois, dit Razi, pensif. Demain, nous tiendrons conseil avec les architectes et discuterons de tout ceci en détail.

— C’est vrai ?

— A moins que tu préfères ne pas venir ?

— Oh ! Si, bien sûr que si !

Mille idées nouvelles se télescopaient dans sa tête.

— A propos, que penses-tu du site de l’écopalais ? demanda Razi d’un ton faussement détaché.

Pouvait-on parler de coup de foudre pour un lieu ? En tout cas, elle en était tombée amoureuse au premier regard.

Bien sûr, il était encombré de grues, de pelleteuses, de cabanes de chantier et de containers, sans parler des escouades d’ouvriers en casque et veste de sécurité prenant d’assaut les échafaudages, mais le site en lui-même, traversé d’une rivière aux eaux limpides, avec son cadre de fières montagnes, était fabuleux. Longtemps, elle avait admiré l’endroit en silence, respirant l’air tiède et épicé, en se disant que c’était là qu’elle aimerait vivre.

Page 95: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Et où elle ne vivrait pas, parce que Razi devrait prendre femme.

— Alors ? insista-t-il. Quelles sont tes impressions ?

Elle revint au projet de Razi, à son palais, à sa vie et, d’une manière générale, à la réalité.

— Je trouve que tu as très bien choisi, dit-elle.

Elle revit en pensée le chef de chantier, son casque de sécurité posé sur sa coiffe, agitant la main en signe d’adieu. Elle l’avait salué en retour, se demandant si elle reverrait jamais le site.

— L’endroit est magnifique, reprit-elle, et les possibilités infinies.

Pas pour elle, malheureusement.

— Tu sais que je ne t’obligerai jamais à rester contre ton gré, n’est-ce pas ? demanda doucement Razi en lui caressant la joue. Avec tes talents, tu as tellement à offrir au monde.

Il s’écarta pour regarder autour de lui.

— Te voir ici, dans cet endroit qui a été une quasi-prison pour ma mère...

Il se tut, mais elle comprenait ses sentiments.

— L’oiseau dans la cage dorée, dit-elle.

— Il n’y en aura pas d’autres, affirma-t-il d’un ton solennel.

Il caressa du bout des doigts le bureau improvisé, un bijou d’ébène incrusté de nacre.

— Tous ces excès ont causé la perte de ma mère ! s’exclama-t-il avec une colère impuissante qui la toucha. Ces extravagances sentent la tristesse, et c’est pourquoi je refuse de vivre ici !

Son regard plein de feu la suppliait de comprendre.

— J’espère seulement que, quand je l’ouvrirai au public...

— Ce sera un endroit merveilleux, assura-t-elle, incapable de se contenir. Je l’imagine parfaitement. Accès à la culture, à l’éducation, à l’histoire...

Elle eut un sourire encourageant tandis que les idées affluaient dans sa tête pour l’ancien palais.

Elle était heureuse que Razi désire le préserver pour que son peuple sache comment avaient vécu les générations précédentes. En dépit des malheurs qu’il avait abrités, c’était une splendide œuvre d’art. Les mosaïques, le travail de l’or, des pierres, les miroirs aux cadres si finement travaillés, tout cela méritait d’être admiré.

— Je t’assure, s’exclama-t-elle avec enthousiasme, ce sera une grande attraction ! Le vieux palais vivra pour toutes sortes de gens, et on en parlera dans le monde entier.

— Tu parles en femme d’affaires, dit Razi avec un petit sourire.

— J’ai mes rêves, moi aussi.

— Je pense sincèrement que tu fais partie de ces gens qui ont le pouvoir de matérialiser leurs rêves et qui laissent leur empreinte sur le monde.

Il ramassa le plan et ajouta :

— Et il me semble que ces plans sont un bon début...

Elle tendit la main pour les lui reprendre, mais il tint bon.

— Nous avons été unis d’abord par un moule à cake, murmura-t-il, ses yeux verts si pleins de chaleur et d’humour qu’elle pensa défaillir de joie, et maintenant par un plan de cuisine.

Il lui adressa ce sourire charmeur qui lui avait tant manqué.

— Il est peut-être temps d’injecter un peu de romance dans notre relation, suggéra-t-il, le regard

Page 96: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

plein de flamme.

— Je croyais que nous devions parler ?

— J’ai quelque chose à te dire, concéda Razi. Mais ça peut attendre.

Il posa le dessin et lui prit la main.

Rêvait-elle ? se demanda-t-elle comme il l’attirait dans ses bras. Devait-elle se pincer ?

Elle chercha son regard.

— Razi ? Où allons-nous ?

— Je suis obsédé par la vision d’une belle jeune femme blonde portant un casque de chantier sur la tête... Encore que j’aimerais apporter quelques changements à sa tenue.

— Ah ?

— Oui. Je supprimerais le jean pour le remplacer par un short très court. Les chaussures de sécurité me conviennent ; elles mettent en valeur tes belles jambes...

Il haussa les épaules.

— Le bloc et le stylo peuvent rester aussi, mais j’ajouterais une paire de grosses lunettes pour lui donner l’air sévère.

— Razi... Je ne sais pas quoi dire.

— Tu n’as pas besoin de parler. A moins que tu n’aies une suggestion personnelle à faire ?

Page 97: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

18

— Une suggestion personnelle ? Voyons... S’accordant à l’humeur joyeuse de Razi, Lucy fit mine de réfléchir.

— Prends ton temps, dit Razi, un grand sourire éclairant son visage. Rappelle-toi juste une chose...

— Laquelle ?

— Tu es à moi, et je ne te laisserai jamais partir... Bon, je crois qu’il est temps que nous tombions d’accord sur quelque chose.

Comme il l’attirait dans ses bras, la passion déferla sur elle, brûlante comme un flot de lave.

— Eh bien, réussit-elle à bredouiller, j’ai envie de toi.

Et elle s’agita contre lui pour prouver ses dires.

— Tu crois que je ne le sais pas ? s’exclama-t-il en riant.

C’était la voix de Mac, un peu rauque, amusée. Mais c’était aussi celle de Razi. Celle qu’elle aimait, qui lui avait tant manqué. C’était la voix de l’homme qu’elle aimait.

Il représentait tout ce qu’elle voulait au monde et, s’il existait pour eux un moyen d’être ensemble, elle sentait qu’ils avaient maintenant la chance de le trouver.

Elle aimait aussi ces murs avec leurs représentations de torrides scènes d’amour, pensa-t-elle fiévreusement pendant que Razi la déshabillait, avant de montrer la rapidité avec laquelle un prince du désert pouvait se débarrasser de sa propre robe.

Il la prit d’un coup de reins.

Rejetant la tête en arrière, elle l’exhorta à lui faire l’amour plus fort encore.

Il était son homme, son double, son compagnon. Elle l’aimait, elle se battrait de toutes ses forces avec lui.

Quand le premier orgasme la terrassa, elle gémit convulsivement. Mais, au lieu de le lâcher, elle enfonça ses doigts dans ses épaules et, resserrant l’étreinte de ses jambes autour de sa taille, le mit au défi de la laisser partir.

— Ne crains rien, dit Razi avec un sourire amusé, je préférerais entrer dans un monastère qu’envisager la vie sans toi.

— Ne me mens pas ! prévint-elle en imprimant la marque de ses dents sur son épaule, avant de crier de surprise et de plaisir parce qu’il se projetait de nouveau en elle. Et ne t’avise pas d’arrêter avant que je te le dise ! ajouta-t-elle, déchaînée.

Et elle cria de volupté comme il faisait rebondir ses hanches contre le mur.

Mais, quand elle sentit le plaisir proche, elle jugea le moment venu de mettre son plan en œuvre.

— Doucement..., dit-elle en savourant chaque coup de boutoir.

Et quand elle sentit Razi sur le point de s’abandonner, elle l’agrippa par les hanches et, actionnant ses muscles intimes, elle le serra, le relâcha jusqu’à précipiter sa chute.

Page 98: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Alors, triomphante, elle le regarda frémir longuement.

— Tu es à moi, dit-elle d’une voix âpre, alors que leurs deux souffles s’apaisaient. A moi. Et je ne te partagerai avec personne.

— Me partager ? dit Razi, la reposant doucement à terre.

Il eut un sourire amusé.

— Crois-tu vraiment qu’il me reste quelque chose à offrir quand tu en as fini avec moi ?

Elle baissa les yeux.

— Je ne sais pas. On dirait que tu es à peu près inépuisable...

— Seulement parce que je suis avec toi.

Il la regarda dans les yeux.

— C’est pourquoi je n’ai besoin de personne d’autre.

— Mais quand tu te marieras ?

Il éclata de rire.

— Je te désirerai deux fois plus.

Elle le dévisagea, interloquée.

— Mais... ta femme ?

Ses vieux doutes revenus, elle faillit s’étrangler sur le mot.

Razi aimait faire l’amour avec elle, mais, quand il s’agirait de choisir une épouse, ce serait une autre histoire. Il concocterait une union diplomatique pour le bien du pays. Et elle, malgré sa détermination, elle ne survivrait pas au chagrin de voir une autre femme à son côté.

— Je ne veux personne d’autre que toi, lui assura-t-il, les yeux dans les yeux.

Mais elle n’écoutait pas.

— Je croyais pouvoir tout supporter pour être avec toi, dit-elle, mais je ne saurai pas voler mon bonheur à une autre. Je ne suis pas taillée pour le rôle de maîtresse.

— Veux-tu te calmer ? demanda doucement Razi. Tu énerves les bébés.

— Ça, c’est un coup bas, protesta-t-elle, ne s’apaisant que lorsqu’il la prit dans ses bras.

— Je n’ai jamais prétendu jouer franc-jeu.

— Alors, que va-t-il se passer ?

— Ce qu’il va se passer ? Eh bien, nous serons unis par la loi, dit-il avec le plus grand naturel. Je veux faire de toi ma femme et te mettre au travail. Oh ! oui, je veux te mettre au travail, ajouta-t-il comme elle le regardait, interdite.

— Attends un peu... Tu as parlé de... femme ?

— L’île de Sinnebar ne demande qu’à utiliser tes talents, et je ne voudrais pour rien au monde perdre une ressource aussi valable.

— Razi, coupa-t-elle. Tu te moques de moi, ou tu es sérieux ?

— En disant que tu vas travailler ? Absolument ! Et aussi en affirmant que tu vas devenir ma femme, légalement, aux yeux de tous. Enfin, si tu acceptes de m’épouser.

— Oh ! oui, oui, oui. J’accepte ! Et je crois pouvoir assurer sans risque que tu ne le regretteras pas ! Mais... Et ton peuple ? Il ne m’acceptera jamais.

Page 99: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Le conseil t’a déjà acceptée.

— Quoi ! Comment est-ce possible ? Je t’en prie, cesse de me taquiner, explique-toi.

— Je ne tiens pas à t’ennuyer avec les détails... Un jour, peut-être. Disons juste que les membres du conseil approuvent vivement notre mariage. Oh ! ai-je mentionné que tu devras travailler de tout ton cœur ?

— Oui, dit-elle en riant.

— En même temps que d’être la première, la meilleure, l’unique épouse et la seule femme que j’aimerai pour le restant de mes jours, tu seras responsable des cuisines, royales en même temps que la mère de mes enfants. Cette promotion devrait satisfaire tes tendances féministes et t’empêcher d’être vilaine à l’avenir.

Elle le regarda, et pendant un moment aucun des deux ne parla.

— Tu es donc sérieux ? dit-elle enfin.

— Si je suis sérieux ? On ne peut plus sérieux !

— Nous allons nous marier...

— Comment pourrais-je te laisser partir quand je t’ai regardée dormir dans mes bras, quand j’ai vu la lumière de l’aube dorer ta peau et tes yeux s’éclairer d’amour et de bonheur ?

— Tu as donc une âme romantique ?

Un sourire familier éclaira le visage de Razi.

— Bien sûr. Comment pourrais-je ne pas l’être ? Même ton ombre projette de la lumière.

— Mmm, pas mal... Mais que va-t-il se passer avec l’île de Sinnebar ? demanda-t-elle, reprenant son sérieux.

— Je n’ai qu’un devoir, Lucy : faire ce que j’estime juste. Et ceci est juste.

Razi parlait avec confiance, et quand il se mit à s’exprimer dans sa langue, sur un ton à la fois apaisant et séducteur, les derniers doutes de Lucy se dissipèrent.

— Tu ne me tiendras pas à l’écart dans un nid d’amour ?

— C’est une image haute en couleur, dit-il en la poussant à reculons à travers la pièce. T’enfermer dans une cuisine, je comprendrais...

Du regard, ils se firent le serment muet que les erreurs du passé ne se reproduiraient pas, avant de s’embrasser passionnément pour finir par tomber sur un divan.

Cette fois, l’amour de Razi fut lent et tendre. Il fit appel à tous ses talents pour donner du plaisir à Lucy sans cesser de lui répéter à quel point il l’aimait. Ensuite, ce fut comme s’ils avaient effacé toute incertitude pour conquérir une nouvelle aisance et une confiance mutuelle, qui les liaient comme aucune promesse n’aurait pu le faire.

Ils se douchèrent ensemble, ce qui prit un certain temps. Par chance, ils s’habillèrent plus vite. Après quoi, Razi emmena Lucy sur le site du nouveau palais qui serait bientôt leur foyer.

Savoir qu’ils vivraient ensemble dans ce merveilleux endroit était presque plus que Lucy pouvait supporter, et elle ne se lassait pas d’entendre Razi le lui répéter.

A présent, elle voyait l’édifice en construction avec de nouveaux yeux : elle n’avait pas remarqué à quel point le grès des murs se fondait harmonieusement dans le paysage désertique, à quel point les montagnes pourpres lui procuraient un cadre majestueux. Les couleurs semblaient plus vives que jamais, l’or du sable, le turquoise de l’océan, le vert de la végétation resplendissaient

Page 100: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

face à la plage où leurs enfants joueraient un jour.

C’était vraiment un lieu où se mêlaient rêve et réalité.

— Tu ne peux pas savoir comme je t’aime, dit Razi, ni comme tu es belle, ajouta-t-il, enlaçant ses doigts aux siens.

Pour leur visite à leur futur foyer, ils avaient choisi de porter des robes traditionnelles. Celle de Razi était de soie bleu foncé, avec un keffieh assorti retenu par un lien tissé de fils d’or. Celle de Lucy était de mousseline bleu pâle brodée d’argent, et elle devait reconnaître qu’elle se sentait beaucoup plus à l’aise que dans ses vêtements occidentaux.

— Es-tu heureuse ? demanda Razi.

— Je ne peux même pas te dire à quel point.

— Alors, il va falloir que je trouve le moyen de le savoir, dit-il en l’attirant à l’ombre d’un pan de mur.

Comme il caressait son visage, elle lui prit la main et y posa sa joue.

— Je t’aime, murmura-t-elle.

Elle trouvait incroyable de pouvoir prononcer ces mots et que le farouche prince du désert lui retourne son amour.

— Je ne te mérite pas, dit Razi.

Et, comme elle levait vers lui un regard surpris, il secoua la tête.

— Pourquoi n’arrives-tu pas à croire que tu es exceptionnelle ?

— Parce que je n’ai rien d’exceptionnel ? hasarda-t-elle.

Rejetant la tête en arrière, il éclata de rire.

— Tu fais la pêche aux compliments ou quoi ? Et, avant qu’elle puisse protester, il ajouta : tu es courageuse, déterminée et forte. Et bourrée de talents.

— Continue, je ne me lasserai jamais de t’entendre chanter mes louanges ! Encore que, à t’entendre, je n’aurais qu’une flèche à mon arc.

Razi plissa les paupières.

— J’allais ajouter : plus sexy que permis.

— Ah ! c’est mieux, approuva-t-elle, échangeant un sourire avec lui.

— Je t’aime, Lucy Tennant, et je veux passer ma vie avec toi.

— Pas de si, de mais, ou de peut-être ?

— Non. Et si je dois passer le restant de mes jours à te convaincre, je signe tout de suite. Tu es la seule femme que je veuille, la seule mère possible pour mes enfants.

— Pourquoi ?

— Parce que je sais que tu te battras pour eux, et pour moi, et pour le peuple de l’île de Sinnebar, quand tu seras la reine.

— La reine ? répéta-t-elle, incrédule.

— Pourquoi es-tu si surprise ? demanda Razi, haussant avec nonchalance les épaules. N’as-tu pas encore compris que je suis prêt à tout pour avoir un bon chef cuisinier ?

Page 101: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

Épilogue

Lucy avait passé la nuit dans le village de tentes, sous la garde des troupes royales de sécurité. Et elle se languissait de Razi. Il lui semblait que le moment n’arriverait jamais assez vite où la dernière barrière qui les séparait tomberait.

Les femmes vinrent à l’aube. Elles se rassemblèrent autour d’elle, revêtues de robes colorées, leurs yeux soulignés de khôl brillants d’excitation.

Après avoir retiré ses sandales, elle entra dans la tente nuptiale, sanctuaire,de luxe et de beauté.

Une centaine de minuscules lampes à huile répandaient leur lumière dorée, et l’air sentait l’encens. Des tapis moelleux flattaient la plante des pieds, et des coussins rembourrés dans un camaïeu de rose et d’or étaient disposés tout autour de la partie réservée aux femmes. Sur des tables de cuivre ajouré attendaient des fruits, des pichets de jus de fruits et des montagnes de pâtisseries au miel.

Mais elle n’avait qu’une idée en tête : Razi. Lui seul pourrait apaiser sa faim.

Les femmes lui firent prendre un bain dans une eau chaude et parfumée avant de la sécher dans des serviettes d’une douceur de rêve. Puis elles épilèrent avec le plus grand soin tout ce qui n’était pas cheveux, cils ou sourcils. Et tout en se mordant les lèvres sous l’effet de la douleur, elle se dit que ça en valait la peine, si elle songeait à la récompense qui ne saurait tarder.

Ensuite, elles frottèrent son corps jusqu’à ce qu’il la picote avant de le masser avec des huiles odorantes qui accrurent sa sensibilité. Après quoi, debout devant celles-ci, avec la confiance en sa nudité que lui avait donnée Razi, elle leva les bras pour qu’elles fassent glisser sur elle une chemise arachnéenne. Quand ce fut fait, elles la firent asseoir sur des coussins et entreprirent d’orner ses mains et ses pieds de dessins au henné complexes faits de volutes entrelacées.

Ensuite, ses cheveux furent longuement brossés et tressés.

Alors seulement, on apporta la robe de mariée choisie par ses soins, en mousseline de soie d’un rose très pâle, brodée de fils d’argent et incrustée de diamants. A ses pieds, elle passa des sandales rehaussées de broderies.

On lui remit le long ruban fait de fils tressés ornés de pièces d’or que, selon la tradition sinnebalaise, on enroulerait durant la cérémonie autour de ses mains et de celles de Razi, les liant ainsi pour l’éternité.

— Encore une chose, dit une femme en arrangeant son voile. C’est un cadeau du cheikh. Nous en avons besoin pour fixer votre voile, lui confia-t-elle.

Et elle déposa un coffret doré à ses pieds.

Lucy laissa ses doigts s’attarder sur les motifs finement ouvragés du coffret.

C’était bien de Razi de mettre un paquet de pinces dans un contenant aussi précieux, se dit-elle en soulevant le couvercle.

Un cri d’admiration incrédule lui échappa.

Douillettement niché sur un lit de velours bleu nuit, un diadème de diamants roses et blancs

Page 102: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

étincelait de tous ses feux.

Elle y posa l’index avec respect puis retira sa main.

— Je ne peux pas. Je veux dire...

— Ne vous inquiétez pas, Cheikha, dit une femme. Nous allons l’arranger pour vous.

— Je vais porter ces diamants ?

Sous le coup de l’émotion, Lucy s’assit tandis que les femmes disposaient le diadème sur son voile.

Les diamants étaient beaucoup plus efficaces que des pinces, convint-elle quand l’une d’elles lui présenta un miroir.

— Maintenant, tu comprends pourquoi je t’aime ?

Au son de la voix de Razi, les femmes s’inclinèrent devant leur cheikh tout en reculant dans un bruissement de jupes pour quitter la tente nuptiale.

— Tu as le droit d’être ici ? demanda Lucy, le dévorant de son regard souligné de khôl dans le miroir.

— J’ai tous les droits, répliqua-t-il avec un sourire amusé. Et je suis heureux de constater que tu prends ton rôle au sérieux.

— Comme toi ? suggéra-t-elle.

Ils échangèrent un regard affirmant qu’ils étaient prêts à se dévouer au pays, à leur famille et à eux-mêmes.

Razi l’aida à se lever.

— Les jours anciens sont morts, dit-il. C’est côte à côte, en égaux, que nous nous rendrons à notre mariage.

— Certaines traditions valent la peine d’être conservées...

— Dois-je comprendre que tu as apprécié les préparatifs ?

Elle haussa les épaules.

— Être préparée pour le cheikh... Ma foi, oui, c’était agréable, à part quelques épisodes douloureux.

— Elles t’ont fait mal ?

— J’espère bien une compensation.

— Tu l’auras, sois-en sûre !

Elle poussa un petit cri tandis que Razi l’embrassait dans le cou.

— Je me souviendrai de ta promesse, dit-elle.

Il respira à fond son parfum.

— Ambre, jasmin et feuilles de citronnier, murmura-t-il.

— Le parfum que tu as créé pour moi.

— Et qui sera ta seule tenue pour cette nuit et les nuits à venir.

Et, comme il lui prenait la main, elle frissonna de délicieuse anticipation.

*

Page 103: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

* *

Durant l’heure qui suivit, elle ne vit à peu près rien d’autre que l’homme qui se tenait à son côté dans sa robe de guerrier d’un noir profond. Il offrait un spectacle magnifique sous le lourd agal d’or retenant son keffieh, un poignard redoutable glissé à sa ceinture. Et, quand il glissa la bague de diamant à son annulaire et lui jura un amour éternel, elle sut que les contes de fées se réalisaient parfois.

Il était son roi guerrier, son prince noir du désert, et elle l’aimait plus que sa vie.

Comment ses frères allaient-ils traiter désormais la « petite Lucy » ? se demanda-t-elle quand la cérémonie de mariage s’acheva au milieu des cris de joie jaillis des gorges de centaines de cavaliers.

Fait à marquer d’une pierre blanche dans les annales familiales, les siens étaient d’abord demeurés bouche bée quand elle leur avait annoncé qu’elle attendait des jumeaux. Puis la conversation avait rebondi de plus belle pour déterminer le taux de probabilité de naissances gémellaires dans les familles. A présent, ils étaient tous là pour assister à son mariage.

Une fois achevée la cérémonie qui avait eu lieu sur la plage, sous une tente jonchée de fleurs, le premier geste de Razi fut de présenter Lucy à son frère Ra’id, qui occupait exceptionnellement le trône Phœnix en signe d'hommage.

Elle frissonna en se rappelant le surnom d’« Épée de la vengeance » qu’on lui prêtait. Et en effet, il lui donna l’impression plutôt terrifiante d’une sombre force de la nature dans le soleil éblouissant qui, se reflétant sur le trône d’or, semblait l’environner d’un cercle de feu.

Elle se crispa quand Ra’id se leva, projetant son ombre sur elle. Le visage sévère, il inclina la tête pour la saluer, et il embrassa affectueusement son frère.

— Que penses-tu de Ra’id ? murmura Razi à Lucy quand ils s’éloignèrent.

Encore tout émue de la rencontre, elle choisit la vérité.

— Il me paraît bien seul.

— Seul ? répéta Razi avec incrédulité. L’homme connu sous le nom d’« Épée de la vengeance », seul ?

Il secoua la tête.

— Voyons, Ra’id est l’homme le plus puissant du Moyen-Orient.

— Les hommes les plus puissants ont aussi besoin de quelqu’un à aimer, et d’être aimés en retour, insista-t-elle.

Razi lui sourit.

— Dans ce cas, je peux seulement espérer que mon frère sera aussi heureux que moi en amour.

— Que nous...

Razi lui serra la main.

— Que nous, répéta-t-il doucement.

Soudain, elle s’aperçut que sa mère était en larmes.

— Je t’aime, maman, dit-elle en posant une main sur le bras maternel.

Elles se regardèrent et, à sa stupéfaction, sa mère prit sa main et la porta à ses lèvres.

— Je t’aime aussi, dit-elle d'une voix tremblante.

— Nous verrons ta famille plus tard, dit Razi quand le cortège nuptial s’ébranla. Les

Page 104: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

célébrations durent une semaine.

— Une semaine ?

L’inquiétude dans sa voix fit sourire son mari.

— Malheureusement, un engagement important nous empêchera d’assister à la première demi-journée.

— Oh !...

A ce moment, un palefrenier s’approcha, tenant par la bride un étalon caparaçonné d’or et de tissus traditionnels. Razi sauta souplement en selle, puis il souleva Lucy pour l’installer devant lui, et ils s’éloignèrent au grand galop dans un tourbillon de sabots.

— Une autre tradition, lui souffla-t-il en la serrant contre lui sous les acclamations du public.

Cependant, au lieu de décrire un cercle pour revenir à la fête, il escalada une dune, et ils disparurent aux yeux de tous.

— Razi ! On ne peut pas faire ça, s’exclama-t-elle en regardant par-dessus son épaule.

— Si tu crois que je vais perdre un seul instant alors que je sais que tu t’es préparée pour le cheikh !

Jouant des rênes, il arrêta l’étalon et sauta à terre. Après quoi, il la prit par la taille pour la faire descendre à son tour.

Tombant dans les bras l’un de l’autre, ils savourèrent leur premier baiser d’époux. Ensuite, toujours pragmatique, Razi fit passer la robe de mariée de Lucy par-dessus sa tête, et la laissa tomber dans le sable.

— Eh bien, quelle simplicité d’emploi ! fit-elle remarquer. Pas de boutons, pas de fermeture... Espérons que cette robe traditionnelle ne se démodera pas de sitôt !

Razi sourit.

— Tout à fait d’accord avec toi !

Elle passa les bras autour de son cou.

— A quoi pensez-vous donc, Votre Majesté ?

— A quoi je pense ?

Il se débarrassa prestement de sa robe et jeta sa coiffe à terre avant de s’agenouiller devant elle.

— Je pense qu’il existe d'autres traditions qui valent la peine d’être préservées.

Elle gémit de plaisir quand il posa ses lèvres sur son sexe, et que son début de barbe frotta sa peau nue.

— Une autre tradition, vraiment ? réussit-elle à dire entre deux frissons.

— J’y veillerai.

Beaucoup, beaucoup plus tard, alors qu’ils émergeaient de l’océan, Razi sortit un objet de la poche de sa robe.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Lucy comme il l’agitait hors de sa portée.

Quand il ouvrit enfin sa main, elle eut un haut-le-corps en découvrant une délicate réplique de son alliance.

— Je l’ai fait fabriquer pour que tu puisses la suspendre avec ta pantoufle d’argent. Pour te rappeler que ton prince est venu.

Page 105: L'HOMME DU DÉSERT - e-monsitele-jardin-d-eve.e-monsite.com/medias/files/l-homme-du...L'HOMME DU DÉSERT Susan Stephens HARLEQUIN : Passions Résumé « Je suis le prince Razi al Maktabi

— Encore ? Que pourrais-je te donner qui égale ces fabuleux cadeaux ?

En riant, Razi ajouta l’anneau à la chaîne qu’elle portait autour du cou.

— Deux bébés ? suggéra-t-il. Mais je te ferai remarquer que ce sera un bonus, ajouta-t-il, redevenu sérieux. Parce que tout ce que j’attends de toi, c’est ton amour.