le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1extrait du discours « investir sur le sport...

246
UNIVERSITE DE GRENOBLE Institut d’Etudes Politiques de Grenoble Clément Perrier Le mythe de l’ascension sociale par le sport : enchantement et désenchantement par de jeunes basketteurs en centre de formation Année universitaire 2011-2012 Séminaire « Imaginaire et Politique » Sous la direction de Mme Guillalot

Upload: others

Post on 21-Jun-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

UNIVERSITE DE GRENOBLE

Institut d’Etudes Politiques de Grenoble

Clément Perrier

Le mythe de l’ascension sociale par le sport : enchantement et

désenchantement par de jeunes basketteurs en centre de

formation

Année universitaire 2011-2012

Séminaire « Imaginaire et Politique »

Sous la direction de Mme Guillalot

Page 2: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité
Page 3: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

UNIVERSITE DE GRENOBLE

Institut d’Etudes Politiques de Grenoble

Clément Perrier

Le mythe de l’ascension sociale par le sport : enchantement et

désenchantement par de jeunes basketteurs en centre de

formation

Année universitaire 2011-2012

Séminaire « Imaginaire et Politique »

Sous la direction de Mme Guillalot

Page 4: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

Remerciements

Je remercie toutes les personnes qui ont permis la réalisation de ce travail :

A Madame Guillalot pour son aide constante, le temps consacré à répondre à mes

nombreuses interrogations, sa compréhension et son soutien dès la genèse du projet.

A Monsieur Gonthier pour l’intérêt porté une nouvelle fois à mon travail et son aide

précieuse depuis mon arrivée à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble.

A Jean-Luc pour son accueil toujours chaleureux, le temps consacré à organiser les

rencontres et les nombreux échanges qui ont contribué à faire de cette recherche un

moment de fréquentes remises en question.

A Marion pour toutes les discussions qui m’ont permises de me construire, de grandir

et de donner à l’aboutissement de cette recherche un sens particulier ; pour ce qui n’a

plus besoin d’être dit.

A Amilia pour sa présence de chaque instant, son aide dans le travail mais surtout sa

capacité à alléger considérablement tous les moments difficiles ; parce que, quand

même, les très nombreux efforts aboutissent et promettent encore un peu de temps.

A mes parents pour leur soutien sans faille et leur disponibilité, particulièrement au

moment de la rédaction finale et de la relecture ; pour tous les débats et les moments

ensemble qui m’ont continuellement aidé à faire mieux et plus encore, à être mieux.

A Jacqueline, François et Coralie pour le temps passé à m’aider dans l’avancement de

ce mémoire.

A Elies, Margaux, Rémi, Lucile et Arnaud pour avoir rendue belles ces deux années.

A tous ceux de Saint Jean qui n’ont jamais oublié de me divertir pendant la rédaction.

Page 5: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

4

Sommaire

INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 5

PARTIE I : L’EDUCATION, A LA BASE DE L’INTERPRETATION DU MYTHE ................................................... 18

SECTION 1 : UN MYTHE QUI IMPREGNE NOTRE SOCIETE ET QUI S'INSCRIT DANS L'UNIVERS DE TOUS................................. 18 A/ « De la masse sortira l’élite » ............................................................................................................. 18 B/ La professionnalisation du sport ........................................................................................................ 22 C/ L’intégration par le sport et le culte des personnalités ...................................................................... 31

SECTION 2 : LE MILIEU SCOLAIRE, EN OPPOSITION AMBIGÜE AVEC LE MONDE SPORTIF .................................................. 39 A/ Quand sport et école ont le même public .......................................................................................... 41 B/ Sport de haut niveau et étude : deux univers compatibles ? .............................................................. 45 C/ Quand le sport permet d’éviter les études : une typologie des représentations ............................... 48

SECTION 3 : L’IMPORTANCE DU MILIEU FAMILIAL .................................................................................................. 52 A/ L’accompagnement et le soutien familial .......................................................................................... 53 B/ « Garder la tête froide » ..................................................................................................................... 59

PARTIE II : LA REALISATION DE SOI, OU LE DESENCHANTEMENT DU MYTHE ............................................ 67

SECTION 1 : L’INCOMPATIBILITE ENTRE LE REVE ET LA VIE DE SPORTIF ........................................................................ 67 A/ La nécessité du travail et le surpassement des limites ....................................................................... 67 B/ Un monde fermé ................................................................................................................................ 74

SECTION 2 : DEVENIR UN HOMME ..................................................................................................................... 81 A/ Le centre de formation, un lieu de construction de la personnalité ................................................... 81 B/ Etre reconnu ....................................................................................................................................... 86

PARTIE III : L’ARGENT, MOTEUR DOUBLE QUI A LA FOIS CONSTRUIT ET DECONSTRUIT LE MYTHE ............ 91

SECTION 1 : L’ARGENT, BUT DE LA PERFORMANCE SPORTIVE ................................................................................... 91 A/ Vivre de sa passion ............................................................................................................................. 91 B/ Etre riche ............................................................................................................................................ 95

SECTION 2 : L’ARGENT, NECESSAIRE VECTEUR DE LA PERFORMANCE SPORTIVE .......................................................... 101 A/ Quand progresser est coûteux ......................................................................................................... 101 B/ Et la méritocratie ? ........................................................................................................................... 105

CONCLUSION ................................................................................................................................................ 110

TABLE DES ANNEXES .................................................................................................................................... 116

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................ 242

OUVRAGES CITES ................................................................................................................................................. 242 ARTICLES CITES ................................................................................................................................................... 243 OUVRAGES ET ARTICLES NON CITES AYANT INSPIRE LA RECHERCHE ................................................................................. 244

Page 6: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

5

Introduction

« En créant du plaisir, de l’émotion et du rêve, en enlevant les barrières sociales,

ethniques ou religieuses, le sport est bien sûr générateur de lien social. Parce que tout le

monde est à l’égal dans un vestiaire ou sur un stade, parce que la notion même de club génère

un sentiment d’appartenance et donc d’existence propre, le club sportif joue un rôle essentiel

dans l’épanouissement de la personne. En offrant sa chance à chacune et à chacun, en

apportant à celles et à ceux qui en ont simplement l’envie, la possibilité de se réaliser, le sport

représente un formidable vecteur d’intégration. A travers nos équipes nationales ou lors des

grands événements que nous pouvons organiser sur notre territoire s’exprime un sentiment

identitaire qui légitime une certaine fierté nationale. Les jeunes issus des milieux les plus

défavorisés trouvent dans le sport un encadrement, une hygiène de vie et des règles. Ils

peuvent également y rencontrer la réussite, et il y a de plus en plus de jeunes issus de ces

milieux parmi les sportifs professionnels. »1 C'est en ces termes que Denis Masseglia, le

Président du Comité National Olympique et Sportif Français, définit le rôle social du sport.

Plus qu'un vecteur de mobilité au sein de la société, le sport est ici perçu et donné à voir

comme un correcteur de l'échec sociétal dans la recherche méritocratique et égalitaire. Ceci

est d’ailleurs expliqué par Alain Finkelkraut quand il explique que « de nombreux

sociologues, de Christian Bromberger à Alain Ehrenberg, ont fait du sport un concentré de la

démocratie. La démocratie substitue en effet à une élite de la naissance une élite du talent. »2

Or, à la vue de la littérature florissante sur le sujet, il paraît difficile d’affirmer de façon si sûre

la relation unilatérale liant sport et égalité sociale. Cette affirmation mérite dès lors d’être

retravaillée et mise, à nouveau, en question.

Bien que la citation demande d'être étudiée dans son ensemble, c'est principalement la

dernière partie qui va nous intéresser dans le cadre de la recherche : elle affirme que de plus

en plus de jeunes issus de milieux « populaires » deviennent sportifs professionnels et donc en

ce sens que le sport est un moyen pour eux d’atteindre ce qui est qualifié comme « la

réussite ». Ainsi, le sport serait un moyen de progresser socialement, de « réussir ». Ce dernier

1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du

Comité national olympique et sportif français, Paris, le 10 avril 2012, consulté sur

http://franceolympique.com/art/2331-tribune_de_denis_masseglia.html, le 08/03/2012 2 Interview d’Alain Finkelkraut par le quotidien Libération, édition du 18 juillet 2009, p.17

Page 7: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

6

terme pose question : qu’est-ce que la réussite et en quoi être sportif peut-il être considéré

comme un aboutissement ? Plus encore, comment le sportif de haut niveau est-il devenu un

modèle d’exemplarité, un personnage phare dans l’imaginaire collectif de la société

contemporaine ? Ces questions seront à la base du raisonnement qui suit et marquent une

première approche de l’objet qui rassemble sport, imaginaire collectif et milieu social. Il va

s’agir dès lors de comprendre le lien créé entre ces trois items qui sont au cœur de la vie

sociale française et forment donc un terrain de recherche particulièrement intéressant.

Dans un premier temps, il convient de rappeler la manière dont le sujet de la recherche

a été composé et remanié. En d'autres termes, il s'agit de comprendre comment le passage à

une position de chercheur s'est effectué.

Étant « sportif de haut niveau » et plus généralement en relation étroite avec le sport

depuis l'enfance, c'est un sujet qui m'a toujours particulièrement intéressé. N'ayant pu accéder

à un centre de formation de haut-niveau, j'ai connu, comme un grand nombre d'autres joueurs,

l'échec aux portes de la réussite sportive de très haut niveau. C'était pourtant ce qui guidait

mon parcours et me laissait croire en un avenir radieux : ce qu'on peut appeler un rêve

d'enfant. Ayant acquis plus tard des connaissances théoriques me permettant de mieux

comprendre mon parcours et ce rêve déchu, une question m'a souvent effleurée : pourquoi et

comment ai-je pu croire à un avenir professionnel dans le sport ? Tout, autour de moi, me

laissait pourtant voir que c'était impossible ou presque. Bon nombre de mes amis, classés dans

les catégories sociales inférieures, ont aussi connu ce rêve un temps, avant d'être brutalement

confrontés à la réalité d'un monde qui laisse peu de place aux échecs et aux défaillances. J'ai

souvent entendu des phrases telles que, « Tu imagines, avec tout l'argent que je vais gagner,

tout ce que je pourrai me payer ? ». Bien qu’issu d’un milieu aisé, j'imaginais moi-même ce

que je pourrais faire de mon hypothétique fortune une fois devenu professionnel. On voit

apparaître ici ce qui va être le fondement de ma réflexion actuelle : le rêve d'ascension

sociale, par le biais du sport. J'ai dès lors décidé d'en faire mon thème de recherche dans le

cadre de mon mémoire. Je ne savais pas comment formuler le sujet, mais l'idée de l'ascension

sociale par le sport devait en être le centre. J'ai pu préciser peu à peu ce sujet, autour du terme

clef évoqué précédemment : celui de la croyance, qui met en relation imaginaire collectif et

espoir individuel.

Page 8: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

7

Voulant lier sport et études, j'ai tenté depuis mon arrivée à l'Institut d’Etudes Politiques

de Grenoble de concentrer mes thèmes de réflexion autour du sport. Ce fut notamment le cas

lors du choix du stage que j'ai réalisé durant l'été 2011 : j'ai mené une enquête sociologique

pour le compte d'un club de basket-ball professionnel, enquête intitulée « Cohésion au sein

d'un club sportif professionnel et recherche de performance », sous la direction de M.

Gonthier. Je devais, à l'aide d'entretiens semi-directifs avec tous les acteurs principaux du

club, analyser la cohésion qui existait ou non au sein du club afin de donner des conseils de

développement pour le futur3. J'ai alors été en contact direct avec les joueurs et tout le staff

technique et administratif pendant près de deux mois, ce qui m'a permis une réelle immersion

dans le milieu. Un des constats qui est ressorti des entretiens est qu'il n'y a pas de place pour

le rêve dans le monde professionnel. Le paradoxe est que les sportifs donnent du rêve mais

qu'eux-mêmes sont dans une réalité absolument définie, cernée, et beaucoup moins mirifique

que ce qui nous est donné à voir. Le club étudié évolue au deuxième niveau national en

basket-ball et les salaires n'ont donc rien à voir avec ceux dévoilés par le meilleur niveau

footballistique. J'ai ainsi pu me confronter à des problèmes de taille plus réelle. Les joueurs

n'étaient pas univoques entre eux mais s'accordaient à dire qu'il y avait une grande part de

chance dans la réussite, qu'il fallait savoir éviter les blessures et que c'était un travail quotidien

et dur depuis l'enfance ou au moins l'adolescence joint à des capacités naturelles et des

facteurs indépendants qui permettaient, éventuellement, d'arriver au plus haut niveau.

L'assistant coach m'a même dit dans une discussion informelle : « Aujourd'hui, les enfants

rêvent d'argent, de strass et de paillettes. Ce n'est pas le sport qui les fait avancer, c'est

l'argent qu'ils vont gagner par le sport. C'est impossible de s'en sortir comme ça. Il faut

arrêter de faire croire aux jeunes des choses qu'ils n'auront jamais. »4 Cela m'a interpellé et,

n'ayant pas commencé les entretiens, j'ai inclus quelques questions à ma trame concernant la

mobilité sociale, la part de rêve et les parcours biographiques dans l'idée que cela pourrait

peut-être m'aider à problématiser le sujet de mon mémoire. Entendons le terme « mobilité

sociale » au sens d’Elias, c’est-à-dire qu’il désigne le changement de position sociale d’un

individu ou d’un groupe d’individus à l’intérieur d’une société hiérarchisée. « La mobilité

sociale proprement dite désigne la circulation des individus à l’intérieur de la hiérarchie des

3 Stage réalisé entre le 1

er août et le 15 septembre 2011 au sein de la JL Bourg Basket Pro, incluant la réalisation

de dix-neuf entretiens semi-directifs. 4 Entretien réalisé avec Vincent Lavandier, assistant coach de la JL Bourg Basket Pro, le 17 août 2012, minute

22, p. 9

Page 9: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

8

statuts sociaux et des catégories sociales ou classes sociales »5. Deux types de mobilité sociale

verticale se distinguent : « la mobilité intragénérationnelle, impliquant l’étude de la carrière

socio-professionnelle des individus au cours de leur vie sociale, qui désigne le passage d’un

individu d’une catégorie sociale à une autre, et la mobilité intergénérationnelle, nécessitant

l’examen de la carrière socioprofessionnelle par rapport à celle des parents, et qui

correspond à la circulation d’un individu de son groupe social d’origine (celui de sa famille)

à un autre groupe, celui d’appartenance »6. C’est-cette deuxième mobilité qui va nous

intéresser ici et particulièrement la mobilité ascendante : ce qu’on appelle communément

« l’ascension sociale ».

Ayant lu des articles sur le sujet et m'étant renseigné auprès de nombreux

professionnels du milieu, j'ai déjà pu préciser le thème. J’ai préféré le terme de mythe de

l’ascension sociale par le sport à celui de rêve. En effet, toutes mes lectures, liées au contenu

des entretiens, m'ont montré que cette ascension sociale, à l'échelle globale, ne trouvait pas de

correspondance dans la société contemporaine. Bien sûr, il existe des exemples connus de

tous, pour ne citer que Zinedine Zidane7, de sportifs venant de milieux très modestes et

devenus richissimes grâce au sport. Mais j'ai pu constater que cette ascension ne relevait pas

d’un fait social corroboré par un grand nombre de faits réels. Le premier travail doit alors

consister à comprendre l’essence et la portée de ce mythe, c’est-à-dire à appréhender la façon

dont l’idée s’est répandue dans l’imaginaire collectif. Au sens d’Eliade, le mythe raconte «une

histoire sacrée; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps

fabuleux des "commencements" »8. Or, comme le rappelle François Charton dans Les dieux du

stade9, le sport est pourtant à l'origine affaire de nobles et est interdit aux esclaves dans

l'antiquité. On note que les participants aux premiers Jeux Olympiques sont des soldats, issus

pour la plupart de la modeste bourgeoisie mais qu'il y avait aussi de simples citoyens. Les

Jeux Olympiques étaient l'occasion pour eux, en cas de victoire, de monter en grade dans

l'Armée et d'obtenir des titres de noblesses. Il y avait donc réellement une ascension sociale,

5 D. Baillet, Les Grands thèmes de la sociologie du sport, Paris, l’Harmattan, coll. Logiques sociales, p.168

6 R. Boudon (dir.), Le Dictionnaire de sociologie, Paris, Larousse, 1997, p.149

7 Issu d’une famille algérienne établie à Marseille depuis le début des années 1950, Zinedine Zidane a grandi

dans le quartier de « La Castellane », réputé pour sa pauvreté et ses conditions de vie difficiles. Après une

carrière brillante, Zidane a aujourd’hui une notoriété mondiale et un palmarès jugé exceptionnel, accompagné

d’un salaire avoisinant les quinze millions d’euros par an. Il est dès lors devenu le promoteur de l’ascension

sociale par le sport. 8 M. Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, « Idées », 1963 ; rééd. « Folio essais », 1988, p.21

9 F. Charton, Les Dieux du stade : le sportif et son imaginaire, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, pp. 32-34

Page 10: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

9

mais qui ne concernait en aucun cas les plus miséreux. Les esclaves ne pouvant participer,

cette opportunité ne leur était pas offerte. Il est primordial de se demander si les choses ont

réellement changé aujourd'hui. Nous comprendrons cependant au fil du raisonnement qu’il

s’agit avant tout d’un mythe moderne qui s’inscrit dans un contexte contemporain et non dans

une histoire sacrée que nous hériterions d’un « temps avant l’histoire »10

, pour reprendre le

terme de Levy-Strauss.

Cette étude tend alors à s’inscrire dans la lignée des recherches liant sport et milieu

social. Il existe une littérature de plus en plus importante sur ce sujet, qui constitue la base

nécessaire dans la construction de l’objet et dans la compréhension sociologique du sport. Les

travaux de William Gasparini sont, entre autres, d’une grande aide car ils proposent une

analyse détaillée de la place du sport dans la société et particulièrement dans les milieux les

plus défavorisés, ce qu’il appelle les « quartiers ».11

Ils accordent aussi une grande place au

lien entre sport et « intégration »12

. Ce dernier thème revient très régulièrement en sociologie

du sport, notamment chez Brohm, Callède, Defrance ou Pociello. Comme le souligne Boudon

à juste titre, le terme d’intégration « n’a pas de sens très précis et fixé »13

. On peut cependant

trouver chez Durkheim une ébauche de définition, la première de la notion : « [L’intégration]

des individus à la société globale se au niveau de leur position et de leur rôle dans les

sociétés industrielles. [...] Car dans ces sociétés modernes, l’individu n’est plus socialisé par

des groupes primaires, mais par sa position et la fonction qu’il occupe dans la division du

travail social. L’intégration de la société est le produit de l’intégration des individus à

différentes institutions, telles la famille, l’Eglise, le groupe professionnel, l’Etat. Elle vient de

la juste intégration des individus à des groupes spécifiques. […] Un groupe social est intégré

dans la mesure où ses membres possèdent une conscience commune, partagent les mêmes

croyances et pratiques, sont en interaction les uns avec les autres, et se sentent voués à des

buts communs».14

La littérature actuelle, à l’exemple de Gasparini, voit dans le sport un

nouveau vecteur de l’intégration. Etant donné que l’hypothétique intégration par le sport

touche surtout les milieux défavorisés ou issus de l’immigration, cette littérature ne peut être

10

C. Levy-Strauss, Mythologiques, tome I : « Le Cru et le cuit », Paris, Plon, 1964, p. 74 11

W. Gasparini et G. Vieille-Marchiset, Le sport dans les quartiers. Pratiques sociales et politiques publiques,

Paris, PUF, coll. « Pratiques corporelles », 2008, p. 8 12

W. Gasparini « L'intégration par le sport. », Sociétés contemporaines 1/2008 (n° 69), p. 7-23. 13

R. Boudon, op.cit, p.124 14

E. Durkheim, De la Division du travail social, (1893), Paris, PUF, 1960, p.272

Page 11: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

10

écartée dans le cadre de notre recherche. En effet, la notion d’intégration est liée à celle de

mobilité sociale dans le sens où l’idée d’une possible ascension sociale méritocratique

« renforce le sentiment d’intégration »15

.

Ainsi, il existe de nombreux travaux sur le lien entre pratique sportive et milieu social,

intégration ou encore mobilité sociale. Mais il apparaît après de nombreuses recherches que

seules quelques études traitent de la relation entre position dans la hiérarchie sociale et

interprétation de la pratique sportive. C’est-ce que cette enquête tentera d’apporter à la

recherche scientifique concernant l’analyse du sport et des comportements sociaux.

Le choix du sujet définitif s’est réalisé en plusieurs phases. Dans un premier temps et

comme cela a été expliqué, c’est le mythe de l'ascension sociale par le sport et ses

répercussions dans les politiques publiques qui constituaient le champ de réflexion de

l’enquête. J’avais aussi pensé un temps à traiter de l’intégration par le sport mais le sujet était

déjà très largement étudié et il me semblait difficile de produire quelque chose d’original et de

novateur. Mme Guillalot, la directrice de ce mémoire, m’a alors rappelé que le sujet de

l’ascension sociale avait déjà été traité et qu'il n'était pas assez précis. Elle me conseillait de

trouver soit « un support d'analyse original, soit des médias auxquels on ne pense pas

immédiatement pour un tel sujet, soit des entretiens mais auprès d'un public peu sollicité sur

ce thème...), soit [de] trouver un angle de recherche plus précis »16

. Cherchant un biais

original, je me suis repenché sur les travaux effectués durant mon stage et me suis rappelé

d'un entretien en particulier. J'avais rencontré un joueur du centre de formation du club ayant

de très grandes chances de devenir professionnel. J'ai alors écouté à nouveau l'entretien et ai

pu noter son approche très particulière sur toutes les questions qui concernaient l'ascension

sociale, la part de rêve etc. Son discours à la fois candide et timide mais précis du milieu

sportif m'a singulièrement intéressé et me semblait assez novateur. On entend souvent parler

les sportifs devenus professionnels ou les très jeunes talents mais jamais ou presque les

adolescents. Or ils ont une place toute particulière : ils sont à la croisée des mondes amateurs

et professionnels et sont au dernier échelon de filtrage du professionnalisme. Ils ont donc

nécessairement un rapport particulier à l'ascension sociale qui, pour certains, est touchée du

15

M. Fodimbi « Sport et Intégration » in P. Arnaud, M. Attali et J. Saint-Martin (dir.), Le sport en France, Paris,

La documentation française, 2008, p.176 16

Echange d’e-mails datant du 12 décembre 2011

Page 12: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

11

doigt. Ils sont à la dernière étape après plusieurs phases de sélection, mais la plus difficile

avant l'accès à l'élite. C'est-cette position singulière qui me semble avantageuse et qui, je

crois, n'a jamais été traitée. Des jeunes sportifs de centres de formation constitueront donc

mon panel d'étude.

Il aurait été possible de rencontrer des adolescents venant de différents centres de

formation et de différents sports mais cela posait deux problèmes majeurs : celui de

l’exhaustivité et celui du temps. En effet, il aurait fallu classer les sports et justifier cette

classification afin d’interroger des jeunes de centres de formations de chaque « type » de

sport. Cela me semblait impossible à la vue du temps imparti pour réaliser les entretiens, les

analyser puis rédiger l’enquête. J’ai donc choisi d’interroger les joueurs d’un seul centre de

formation et d’un même sport pour que mon panel d’interviewés soit complet et justifié. Le

sport choisi est le basket-ball car c’est, selon un entretien téléphonique avec le directeur du

Comité Régional Olympique et Sportif de Rhône-Alpes, « le sport qui réunit la plus grande

mixité sociale au niveau des licenciés jeunes »17

. Cette mixité me semble primordiale dans le

but d’analyser la différence de perception de l’avenir en fonction de l’origine sociale. De

même, comme on peut le voir dans le tableau 1 en annexe, le basket-ball est le deuxième sport

collectif le plus pratiqué avec 456 000 licenciés en 2010, derrière le football. Je tenais à

choisir un sport qui soit largement répandu pour avoir des chiffres représentatifs d’une plus

grande population, avec suffisamment de centres de formation disponibles pour recueillir des

statistiques sur le milieu social d’origine des joueurs. Je souhaitais choisir un sport collectif

pour que le rapport à l’autre au sein du centre de formation ne soit pas uniquement fondé sur

la concurrence. Il m’importait de comprendre la façon dont les jeunes joueurs font la part des

choses entre esprit d’équipe, nécessaire pour gagner, et progression individuelle dans un

dessein de professionnalisation. Voulant interroger un groupe en tant que tel et non des

personnalités uniquement, je me devais de faire le choix d’un sport collectif. D’aucuns

pensent que le football est « le » sport où l’on trouve une grande mixité sociale, notamment

par le fait que des joueurs venant de milieux populaires sont aujourd’hui extrêmement

médiatisés18

. Or, comme le montre Christian Pociello dans son étude « Sport et classe sociale

17

Entretien téléphonique réalisé le 14 janvier 2012 avec Guy Margotton. La prise de notes étant extrêmement

compliquée lors de la conversation, cet échange ne figure pas en annexe et seules quelques phrases ont été

notées. 18

On pense notamment à Zinedine Zidane déjà cité, mais aussi à Karim Bezema, Atem Ben Arfa ou Franck

Ribéry par exemple.

Page 13: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

12

»19

et que l’on retrouve dans le tableau 2 de l’annexe, le football a une très forte dimension

énergétique et une faible dimension technique. Comme l’affirmait Bourdieu, « Un sport a

d’autant plus de chance d’être adopté par les membres d’une classe sociale qu’il ne contredit

pas le rapport au corps dans ce qu’il a de plus profond et de plus profondément inconscient,

c’est à dire le schéma corporel en tant qu’il est dépositaire de toute une vision du monde

social, de toute une philosophie de la personne et du corps propre »20

. Defrance rajoute

d’ailleurs au sujet de cette analyse bourdieusienne que « les dispositions à l’égard du corps,

de la pratique sportive, sont cohérentes avec les dispositions à l’égard d’autres pratiques

culturelles »21

. Comme le faisait Bourdieu, Pociello explique que les milieux sociaux

populaires ont un réel attrait pour la dimension énergétique, l’usage de la force et les

performances endurantes tandis que les « classes »22

les plus aisées préfèrent les sports très

techniques et tactiques. Suivant ce raisonnement, si je voulais trouver un public varié, il me

fallait un sport à mi-chemin entre forte cotation énergétique et grande importance technique.

Si l’on se réfère une nouvelle fois au tableau 2 de l’annexe, on note que le basket-ball

correspond parfaitement à ces critères, plus encore que le football. On remarque surtout que

les trois auteurs, Thomas, Pociello et Loy, classent le basket de la même façon, c’est-à-dire

autant physique que technique.

Enfin, ayant moi-même pratiqué le basket à haut niveau, je pouvais aisément

comprendre le langage technique des joueurs et ainsi rentrer plus facilement avec eux dans

une relation d’égal à égal. Me présentant comme joueur de basket de niveau national, je savais

que je gagnerai immédiatement un certain respect qui me semble primordial pour réaliser un

entretien dans un milieu d’entre soi où la performance est tenue en très haute estime. D’une

certaine façon, et grâce à ce que mon stage m’avait montré, je savais que mon simple

curriculum vitae sportif permettait d’être respecté et donc considéré comme quelqu’un de

confiance à qui l’on peut librement parler. Etant donné que le public visé est adolescent, un

âge où la langue a du mal à se délier, je voulais avoir tous les atouts de mon côté pour « faire

19

C.Pociello, Les cultures sportives, Paris, PUF, 1995, pp. 32-47 20

P. Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1979, p. 46 21

J.Defrance, Sociologie du sport, Paris, La découverte, 1995, p. 63 22

On entend le terme « classes » au sens de Weber comme il les décrit dans ses Essais : « Dans notre

terminologie, les classes ne sont pas des communautés ; elles ne représentent que des bases possibles et

fréquentes de l’activité communautaire. On peut parler de classes lorsqu’un certain nombre de personnes ont en

commun une composante causale spécifique des chances que leur offre leur vie, dans la mesure où cette

composante représente exclusivement l’intérêt économique de la possession de biens et d’occasion de revenus et,

se présente dans les conditions du marché des denrées et du travail ». (M. Weber, Essays in Sociology, Oxford

University press, 1946, p.181)

Page 14: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

13

parler » le plus possible. C’est pour ces raisons que j’ai choisi d’entrer en contact avec un

centre de formation de basket-ball, celui de la JL Bourg Basket Pro.23

Pour lier le tout, j'ai choisi de m'interroger sur les représentations : c'est l'analyse des

pensées qui m'intéresse. Je cherche en fait à comprendre comment l'ascension sociale est

perçue par ces jeunes. En d'autres termes, je veux analyser la manière dont ils appréhendent

leur situation et la possible ascension sociale qui y est liée, en fonction de leur position

sociale. Dès lors, dans quelle mesure le milieu social d'origine et la structure d’accueil

constituent-ils un socle de socialisation qui influence de jeunes basketteurs en centre de

formation dans leur manière de se représenter leur éventuelle ascension sociale par le sport ?

J’ai émis, dès cette question posée, l’hypothèse que le milieu social d’origine est le

facteur déterminant dans la différence de conception de l’avenir et de perception d’une

possible ascension sociale grâce au sport. Celle-ci ne serait en fait qu’un mirage perçu et

donné uniquement à ceux qui sont le moins concernés et qui viennent déjà de milieux sociaux

moyens ou aisés. Les joueurs issus de classes populaires seraient ainsi naturellement écartés

de cette hypothétique mobilité en raison de leur plus faible « capital »24

économique, social et

culturel.

Pour réaliser cette recherche, on distingue les sources de première et de seconde main.

Les sources de seconde main sont les études déjà existantes sur le sujet et les auteurs qui les

ont traitées, que nous avons en partie énoncées auparavant. Les sources de première main sont

les entretiens réalisés, au nombre de douze. J’ai fait le choix d’interviewer tous les joueurs de

l’équipe, sauf un qu’il était impossible de rencontrer en raison de son emploi du temps bondé,

ainsi que l’entraîneur et le directeur du centre. Cela permet de comparer les dires des joueurs

sur leur provenance, leur niveau et leur(s) espoir(s) avec ce qu’en pense objectivement le

staff. On comprendra plus tard toute l’importance que cela revêt dans l’analyse des résultats.

En outre il fallait que j'interroge à la fois des joueurs aisés financièrement et des joueurs

défavorisés afin de confronter leurs points de vue. C'est-cette confrontation qui est

23

Ndlr : le même club que celui qui avait constitué le terrain d’enquête du stage effectué en 2011. Il va sans dire

qu’ay’ant déjà des contacts dans le club, il m’était bien plus aisé d’avoir accès au centre de formation quand les

autres clubs sont méfiants de toutes les entrées extérieures, voulant protéger leurs joueurs. 24

Le terme « capital » renvoie à la notion développée par Bourdieu et que l’on peut définir de la sorte : « Pierre

Bourdieu définit la société comme une imbrication de champs : champs économique, culturel, artistique, sportif,

religieux, etc. Chaque champ est organisé selon une logique propre déterminée par la spécificité des enjeux et

des atouts que l’on peut y faire valoir. Les interactions se structurent donc en fonction des atouts et des

ressources que chacun des agents mobilise, c’est-à-dire, pour reprendre les catégories construites par Bourdieu,

de son capital, qu’il soit économique, culturel, social ou symbolique ». (D. Baillet, op.cit., p.140)

Page 15: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

14

intéressante. Pour la même raison, j’avais pensé interroger à la fois des filles et des garçons.

J’ai vite écarté cette possibilité car il n’y a qu’une poignée de filles professionnelles du basket

en France25

, et leurs salaires sont proches du Salaire Minimum Interprofessionnel de

Croissance. Il n’y a donc aucun espoir d’ascension sociale et interroger des filles n’aurait pas

eu de sens pour cette enquête. Il était néanmoins primordial que je puisse interroger des

personnes originaires de différents milieux sociaux afin de veiller à la largeur de l'enquête.

Oublier des types de joueurs serait oublier une part de la recherche et donc la laisser

incomplète. Tous les points de vue doivent être croisés pour que les résultats obtenus soient

valables.

En parallèle de la problématisation du sujet, il me fallait choisir la ou les méthodes à

utiliser pour l'enquête. Très vite, j'ai opté pour les entretiens semi-directifs et ce pour plusieurs

raisons.

Tout d'abord, ma recherche se doit d'être qualitative, de par la nature même du sujet. Si

pendant un temps j'ai pensé à réaliser des questionnaires pour avoir des résultats quantitatifs

en plus de l'enquête qualitative, je me suis vite rendu compte que le temps qui m'était imparti

serait trop court pour mener à bien les deux projets avec qualité. J'ai donc choisi de privilégier

l'enquête qualitative qui, pour analyser les représentations, me paraît plus pertinente et plus

approfondie. En effet, j'avais à cœur d'analyser les discours, pour savoir ce que les jeunes

joueurs disent, ce qu'ils pensent réellement et veulent bien me donner à entendre. Des chiffres,

s'ils auraient pu être tout aussi intéressants et révéler bon nombre d'informations, ne

permettraient pas cette analyse des discours qui me paraît primordiale pour traiter le présent

sujet. De même, je n'avais que peu de joueurs à disposition. Sur un si faible échantillon avec

des parcours très disparates, réaliser une enquête quantitative semblait compliqué et l'analyse

des résultats difficile voire insignifiante. J’aurais bien sûr pu faire passer des questionnaires

dans d’autres centres de formation mais je n’aurais pas été sûr de la qualité des résultats : je

craignais que ces questionnaires soient perçus comme un travail, qu'il était possible de bâcler.

L'enquête quantitative risquait dès lors de fausser ma recherche et j’aurais perdu du temps à

analyser un résultat pas forcément fiable. Je me suis donc cantonné au choix de l'analyse

25

Il faut d’ailleurs rappeler que nous situons cette recherche à un niveau français uniquement. Comme le

développement tentera de le montrer, le mythe de l’ascension sociale par le sport peut être compris

mondialement mais est particulier en France car il vient d’une histoire des politiques sportives très spécifique.

Page 16: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

15

qualitative, ce qui restreignait déjà les méthodes possibles. Bien entendu, j’ai tout de même pu

m'aider d'études quantitatives déjà réalisées. Celles-ci ne cernent pas forcément la totalité de

mon sujet mais offrent des résultats quantitatifs intéressants dans le raisonnement.

Par ailleurs, dans le cadre d’un cours de Méthodes des Sciences Sociales, j'ai eu à

réaliser des entretiens semi-directifs pour une enquête sur la démarche positive à l'entrée de

l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble. Comme je l'ai déjà expliqué, j'ai aussi réalisé durant

mon stage dix-neuf autres entretiens semi-directifs. Sans pouvoir dire que je maîtrise cette

méthode, j'ai du moins une expérience approfondie et connais donc quelques travers ou

problèmes qui peuvent y être liés. Dans la recherche d'un résultat juste, il me semblait

nécessaire d'user d'une méthode qui ne m'est pas inconnue, pour être un minimum performant

dès les premiers entretiens. De même, mener un entretien directif n'était pas approprié car,

comme l'explique Pierre Brechon dans son cours de Méthodes des Sciences Sociales destiné

aux élèves de l'IEPG, « c'est une technique aujourd'hui peu pratiquée en sciences sociales

parce qu'elle ne permet pas une quantification facile et qu'elle laisse aussi peu de liberté à

l'enquêteur et à l'enquêté... Elle n'a pas les avantages de l'enquête quantitative sans avoir

véritablement ceux de l'entretien qualitatif. »26

Ayant besoin, pour les raisons évoquées

précédemment et principalement pour « faire dire » à des jeunes souvent timides dans le

discours, d'une grande liberté de parole et d'un libre mouvement dans mon entretien, cette

méthode ne convenait pas. Enfin, choisir de réaliser des entretiens non-directifs ou libres

paraissait à la fois compliqué et inadapté : compliqué car je n'ai jamais mené d'entretiens de ce

type et que j’allais mettre plus de temps pour pouvoir gérer correctement la situation et réussir

à adopter l'attitude qui convient, ce qui risquait de nuire à la qualité des premiers rendez-vous

et donc de mon enquête en général ; inadapté car ma population d'enquête est dans un âge où

il est difficile de s'exprimer sur et face à l'inconnu. J'ai pu vérifier cela lors de mon stage : les

adolescents ont besoin d'être particulièrement mis en confiance, d'être guidés. Cela passe par

l'attitude mais avant tout par le discours. J'avais besoin de thèmes précis à aborder et sans

diriger partiellement l'entretien, il aurait été je crois très compliqué d'amener certains aspects

dans la discussion.

C'est pourquoi les entretiens semi-directifs correspondaient à mes attentes. Ils me

permettaient d'amener les interviewés sur les points que je désirais aborder et ainsi de traiter

de façon détaillée des questions souvent oubliées ou laissées de côté lors des présentations des

26

Citation issue d’un cours privé non publié, « Les méthodes de l’enquête qualitative », Grenoble, 2011, p.8

Page 17: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

16

centres de formation. Mon dessein était véritablement de les faire parler sur des thématiques

qu'ils ont pour habitude de laisser à la marge : la réaction face à l’échec, la place de l'argent

dans leur projet, la volonté d'ascension sociale, le rapport aux autres, la lutte permanente ou

encore la conflictualité entre l'attachement à un club et le besoin de réussite, entre autres. En

d’autres termes, toutes les questions qui conditionnent nécessairement la vie d'un jeune sportif

mais qui sont souvent camouflées lors des discussions, formelles ou informelles. En effet, sur

les thèmes très généraux et habituels tels que la recherche de performance, le

professionnalisme ou encore la passion, je présageais, et pas forcément à juste titre d'ailleurs,

que les discours allaient s'accorder. Ce sont des thèmes ultra-médiatisés et donc bien connus

des jeunes que j’allais interroger. Dans leur envie de reproduction du fonctionnement des

aînés, pris en modèle, je pensais entendre beaucoup de discours assez habituels des médias

mais il était tout de même nécessaire de le vérifier. C'est donc sur les points plus cachés,

marginalisés et presque tabous dans le monde médiatique qu'il m'importait de creuser. C'est

sur ces questions-là que je pouvais tester les représentations personnelles des joueurs car il n'y

a pas ou peu de réponses toute faites et très souvent entendues. Les interviewés devaient

produire leur propre discours, donner leur point de vue sur des problématiques qui n'ont pas

de réponses médiatiques construites et sur lesquelles on n'invite pas à parler en règle générale.

C'est tout du moins la manière par laquelle je comptais appréhender les discours, les

perceptions : en comparant les réponses non cloisonnées par un discours officiel habituel.

Pour poursuivre cet objectif, il fallait nécessairement attacher la plus grande

importance à la conception du guide d'entretien. C'était, il me semble, la seule façon de faire

parler des jeunes sur un sujet tabou dans leur milieu. Le guide d'entretien est pendant la

discussion ce qui organise le discours. Il importait donc que celui-ci soit le plus limpide

possible et le plus parfaitement maîtrisé pour pouvoir rebondir au fil de la conversation sans

devoir suivre ma trame à la lettre. Ce guide d’entretien, disponible en annexe, s’organise de la

façon suivante autour de quatre thèmes principaux : l'une assez générale sur la présentation de

l'interviewé, la seconde sur sa conception du sport et son intégration dans la société, la

troisième sur ses perspectives d'avenir à tous les niveaux et enfin le portrait sociologique.

Cette division me paraissait adaptée pour pouvoir traiter en profondeur tous les pans de la

représentation du mythe par l'individu. Ce guide a bien entendu été modifié après les deux

premiers entretiens « tests », réalisés avec d’autres joueurs, afin de cerner au mieux les

interviewés.

Page 18: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

17

Il existe à l'heure actuelle très peu de discours à analyser sur mon sujet d'études. Par

contre, à l'image de la citation mise en exergue, quelques phrases sur le sujet sont souvent

propulsées par les médias sur le devant de la scène. Je me suis donc servi de celles-ci, et

notamment celles des sportifs, pour comprendre la construction du mythe. Mis à part quelques

citations, ma recherche s’est faite principalement à l'aide des entretiens que j’ai menés. C'est

donc les discours que j'ai réussi à « faire dire » que j'ai analysés et non des paroles déjà

écrites. C'est d'ailleurs la précision du sujet qui impose cela. Étant donné qu'il n'existe pas à

l'heure actuelle de discours de jeunes sportifs publiés ou mis en ligne sur internet, il me fallait

aller chercher moi-même les perceptions.

Les entretiens ont dès lors constitué le point de départ de ma recherche et mon objet

principal d'étude. C'est de l'analyse de ceux-ci qu’a découlé l'écrit. Toutes les études sur le

sujet déjà publiées n’ont fait que m’aider à la conception de mon guide d'entretien et m'ont

aidé à formuler des hypothèses à partir de données historiques, socio-démographiques,

ethnologiques ou sociologiques, mais ne se sont en aucun cas substituées aux paroles

recueillies lors des entretiens. Cela semblait nécessaire si je ne voulais pas perdre peu à peu de

vue le sujet choisi.

Il paraissait donc important d’organiser la recherche autour des sujets principaux qui

ressortaient des entretiens. C’est ainsi que trois thèmes semblent se dégager et permettre la

compréhension du mythe et son interprétation par les jeunes basketteurs. L’éducation,

premièrement, cristallise les représentations des joueurs sur leur sport et sur leur avenir. Le

rapport à la scolarité et l’importance de l’entourage familial seront dès lors à interroger. La

réalisation de soi, deuxièmement, marque l’éloignement des joueurs vis-à-vis du mythe. Il

s’agira là de comprendre comment l’importance du travail et la construction de la personnalité

sont mises en avant au sein du centre de formation. Enfin, l’argent, en tant que conséquence

mais aussi que cause de la performance sportive, sera le dernier sujet à analyser dans le but de

cerner la construction des parcours et des représentations des joueurs. En suivant ces trois

thèmes, nous avancerons progressivement dans l’analyse de la perception et de l’ancrage du

mythe, qui sera mis en question par les dires des pensionnaires du centre de formation.

Page 19: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

18

Partie I : L’éducation, à la base de l’interprétation du

mythe

Tout d’abord, il est nécessaire de revenir sur les fondements du mythe moderne. Il

s’agit ici de comprendre comment il s’est façonné, répandu et la place qu’il occupe dans la

société. Cela nous permettra de mieux comprendre ensuite comment le mythe est interprété

par les joueurs et comment cette hypothétique ascension sociale s’inscrit dans leur parcours.

Section 1 : Un mythe qui imprègne notre société et qui s'inscrit

dans l'univers de tous

L’idée que le sport peut être un formidable promoteur de l’égalité des chances et une

rampe de lancement vers le haut de « l’échelle sociale » n’est pas un fait immuable. On doit

plutôt voir dans ce « mythe moderne » une construction sociale qu’il est possible

d’appréhender en observant avec précision les différentes politiques sportives françaises du

XXe siècle ainsi que l’évolution du sport et de la société dans leur globalité.

A/ « De la masse sortira l’élite »27

Si, comme l’explique François Charton cité précédemment, on peut trouver les

origines du mythe dans l’Antiquité et les premiers Jeux Olympiques, on se rend compte au fil

des lectures que c’est essentiellement depuis la naissance du sport moderne que l’idée d’une

possible ascension sociale par le biais du sport s’est développée dans l’imaginaire collectif.

On reconnaît le sport moderne à travers quatre critères, définis tel que suit par Thierry Terret :

« le sport moderne se définit par la mise en œuvre d'une ou plusieurs qualités physiques :

activités d'endurance, de résistance, de force, de coordination, d'adresse, de souplesse, etc. ;

27

P. Arnaud, Michaël Attali et Jean Saint-Martin, op.cit., p. 59

Page 20: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

19

une activité institutionnalisée dont les règles tendent à être identiques pour l'ensemble de la

planète ; une pratique majoritairement orientée vers la compétition et enfin une pratique sous

la tutelle d’une fédération »28

. Historiquement, c’est à partir de la fin du XVIIIe siècle que le

sport moderne commença à se développer. Ayant pris corps en Angleterre, il se diffusa très

vite en Europe, et notamment en France, d’abord sous sa version de gymnastique. Ce n’est

que par la suite que les sports collectifs, le football et le rugby tout d’abord, omniprésents en

Grande-Bretagne, se déployèrent sur le Continent. Jusqu’à la fin de la seconde guerre

mondiale, le sport resta en France affaire de minorités bourgeoises. Si l’avènement des

compétitions de football ou la naissance de grands rassemblements tels que le Tour de France

avaient déjà largement intéressé les foules, la pratique n’était offerte qu’à une élite sociale qui

pouvait se permettre de consacrer du temps à l’entraînement. Bien qu’on note une

augmentation du nombre de pratiquants des « jeux et sports »29

jusqu’à 1945, c’est après la

seconde guerre mondiale que les efforts en terme de démocratisation sont devenus importants.

Comme le relate M. Terret, « c’est particulièrement avec le Général de Gaulle que naît

cette volonté de « sport pour tous ». Dans la conjoncture des années soixante, sous l’action

cohérente d’un état fortement centralisé, le Haut Commissariat puis le Secrétariat d’Etat à la

Jeunesse et aux Sports s’efforcent de mobiliser la population pour élever le niveau sportif

général et les performances internationales de l’élite. « Dans la compétition entre les peuples,

déclare De Gaulle, nous devons figurer et même l’emporter »30

. La politique de restauration

de la grandeur du pays menée au début de la Ve république marque la volonté du

gouvernement de « mettre les Français au sport » pour tenter d’en dégager une élite

internationale. Dans cette perspective, la démocratisation du sport apparaît indispensable,

d’autant qu’il participe directement du nouveau contrat social que les pouvoirs publics

entendent promouvoir. Progressivement, le sport est construit comme une véritable idéologie,

autrement dit un système d’idées et de valeurs conformes aux règles dominantes dans les

rapports sociaux ; un système de normes et de modèles sociaux permettant une régulation

continue et uniforme des pratiques socioculturelles. »31

Ceci n’a été possible que par une

nouveauté administrative : les années soixante ont vu « la victoire du monopole étatique au

28

T. Terret, Histoire des sports, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 121 29

C. Pociello, Sports et société, Paris, Vigot, 1981, p. 34 30

Général de Gaulle, Discours d’inauguration de l’aéroport d’Orly, 24 février 1961 31

T. Terret, op.cit., p.122-123

Page 21: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

20

sein du champ socio-sportif »32

. Ainsi, de simple rivale du mouvement sportif,

l’administration est devenue le plus puissant des acteurs et a désormais les moyens d’imposer

ses objectifs et décisions, grâce en particulier à la création d’un Conseil National des Sports,

confié à M. Herzog, afin « d’aider le ministre de l’Education nationale à élaborer une

politique sportive, notamment en étudiant toutes les mesures à prendre pour élever le niveau

sportif de la nation, et pour dégager et entraîner rationnellement une élite sportive »33

, puis à

celle du Haut Comité des Sports en 1961, qui devient officiellement la plus haute institution

de l’Etat en matière de sport. On comprend bien ici l’émergence du sport comme image de

réussite et de charisme d’un état. Avoir des champions, c’est s’affirmer dans les relations

internationales.

D’ailleurs, au lendemain de la piètre prestation des athlètes français aux Jeux de Rome

de 1960, l’urgence est avant tout de favoriser l’émergence de champions ayant le niveau

international : la majeure partie de l’effort financier, intellectuel, institutionnel et de formation

des cadres a pour objectif le sport de compétition et de haute performance avant le sport de

masse. Mais ce constat implique de faire des choix susceptibles de heurter toute une partie du

milieu sportif français : d’un côté, la mouvance qui gravite autour du Comité Olympique

Français prônant l’amateurisme, le désintéressement, la polyvalence et, de l’autre, les

représentants du sport « travailliste », souhaitant une démocratisation rapide et profonde. Pour

justifier sa politique, le haut-commissaire doit se présenter comme un fédérateur : en

reprenant l’idée coubertinienne selon laquelle l’élite ne peut sortir que de la masse de la

nation sportive34

, il espère ne s’opposer aucun de ces deux courants. Après les bons résultats

aux Jeux Olympiques de Tokyo en 1964, M. Herzog confirme sa volonté de démocratisation

et, profitant de la réussite française, rappelle que « tant qu’en France, le sport restera

l’apanage d’une minorité dans laquelle la moindre défaillance prend des allures de

catastrophe, nous aurons des résultats moyens et en dessous de nos possibilités

démographiques […]. Il faut donc s’intéresser au sport de masse […] et les élites sortiront

d’elles-mêmes. Ces élites susciteront à leur tour de nouvelles recrues, et le processus faisant

32

P. Arnaud, Michaël Attali et Jean Saint-Martin, op.cit., p. 58 33

Arrêté du 13 décembre 1960, paru au Journal officiel du 16 décembre 1960 34

« Pour que 100 se livrent à la culture physique, il faut que 20 se spécialisent ; pour que 20 se spécialisent, il

faut que 5 soient capables de prouesses étonnantes. Impossible de sortir de là, tout se tient et s‘enchaîne » (P. de

Coubertin, Revue olympique, juillet 1913)

Page 22: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

21

boule de neige, fera de la France une nation sportive »35

. M. Herzog s’attache dès lors à

persuader les représentants des fédérations que « c’est de l’ensemble de la nation sportive que

sortent les champions, et c’est leur exemple qui entraîne les foules à se dépasser dans l’effort

[…]. L’humanisme sportif auquel nous sommes passionnément attachés doit nous faire

relever les défis de notre époque. Qu’il soit le prestige national ou la vocation désintéressée,

la France voudrait voir s’épanouir des générations d’athlètes »36

.

C’est-cette volonté de faire venir l’élite du peuple, de la « masse », qui marque la

première étape dans la construction sociétale du mythe. Par la mise en place de ses politiques,

Herzog laisse passer l’idée que tout le monde peut faire partie de l’élite sportive. Et cette élite

est déjà médiatisée, chaque décennie ayant ses champions. Il existe donc, depuis cette

politique de recrutement populaire qui s’est traduite par un effort financier important et

l’installation de structures sportives partout en France, une possibilité affichée pour chaque

français de se découvrir un talent dans une discipline sportive. Et ce talent, dans le dessein

d’Herzog, permettra de représenter au mieux la France à l’étranger. Les salaires ou

rétributions n’étaient alors absolument pas attrayants mais c’est une rétribution en termes de

prestige, de gloire qui était visée. Devenir l’envoyé d’une nation et s’en faire le représentant, à

une époque gaulliste où le patriotisme est encore bien présent, c’est gagner considérablement

en prestige. La rétribution, plus que financière, est alors morale et individuelle : c’est-celle de

la gloire dans les hautes sphères de l’Etat et pour un public initié. En ce sens, on laissait croire

dès les années soixante à une possible ascension sociale. Tout du moins, l’idée pouvait

commencer à s’ancrer dans l’imaginaire collectif.

Malgré des années soixante-dix compliquées avec une forte remise en cause du sport

dans la société, notamment par Jean-Marie Brohm qui le décrit comme le nouvel « opium du

peuple »37

, le sport ne cesse de gagner en public et en pratiquants français. A ce titre, on

observe que la dynamique générale sur l’ensemble du XXe siècle est-celle d’une croissance

soutenue et presque ininterrompue. Une estimation publiée en 1909 retient le chiffre de

900000 personnes « adhérant à des sociétés spécialisées dans les activités physiques de type

35

Cité par T. Ducrot, « La mise en administration du sport en France (1939-1966) : éléments pour une socio-

histoire de la construction d’un monopole étatique », mémoire de DEA, IEP de Grenoble, 1996, p.40 36

Ibid. 37

JM Brohm, Sociologie politique du Sport, Presses universitaires de Nancy, Nancy, nouv.éd., 1992, p. 13

Page 23: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

22

gymnastique ou sportif »38

, alors qu’un décompte de 2004 situe le nombre de prises de licence

de tous genres dans les associations sportives à plus de 15 millions.39

Outre les mesures

lancées par Herzog, particulièrement en terme de formation et de construction d’équipements,

certaines lois ont continué de favoriser la place du sport dans la vie française jusqu’à

aujourd’hui. On peut citer la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation des Activités

Physiques et Sportives40

qui reconnait que le développement du sport est d’intérêt général et

que son encadrement est susceptible de déboucher sur une mission de service public. Le sport

a, grâce à des mesures de ce type, gagné en influence au sein de la société et, selon une

enquête de 2011, est pratiqué par environ 65% des français chaque année41

.

En outre, cette pratique démocratisée du sport est entraînée par un autre phénomène,

ou l’entraîne, qui est-celui de la professionnalisation du sport. Pour comprendre l’émergence

du mythe dans l’imaginaire collectif, il faut s’intéresser aussi à ce phénomène important de la

culture sportive. Bien entendu, la démocratisation et l’accès à des structures pour le plus

grand nombre étaient la base, comme nous l’avons compris, de la propagation de l’idée.

Cependant, elle a été suivie par la professionnalisation que nous devons à présent tenter

d’appréhender dans notre dessein de cerner la construction du mythe de l’ascension sociale

par le sport.

B/ La professionnalisation du sport

Le sport, devenu l’un des phénomènes marquants de ce siècle, a largement dépassé

son statut de simple activité ludique et récréative de loisir, pour être de plus en plus considéré

comme un bien économique qui se produit, se consomme, s’échange et se finance. On

distingue plusieurs éléments qui marquent la professionnalisation du sport. C’est tout d’abord

la fin du bénévolat, mouvement qui semble se confirmer ces dernières années, mais aussi la

médiatisation du sport et enfin sa commercialisation. Ces trois items décrivent assez

38

Chiffres indiqués par le général Canonge (« De l’éducation physique en France », in Gazette des hôpitaux,

1909, p.1003 et suiv.) et par le docteur Edouard Lachaud (Pour la race. Notre soldat, sa caserne, Henri Charle-

Lavauzelle, Paris, 1909, chap.1) 39

Secrétariat d’Etat aux Sports, à la Jeunesse et à la Vie associative, « Les licences 2004. Une approche par

disciplines sportives », Stat-info, n°05-06, décembre 2005 40

Plus connue sous le nom de « Loi Avice » 41

Ministère des Sports, « Les principales activités physiques et sportives pratiquées en France en 2010 », Stat-

info, n°11-12, décembre 2011

Page 24: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

23

justement la façon dont la transition s’est faite, d’un sport marqué par l’amateurisme à

l’émergence du sport professionnel.

La fin du bénévolat

Bernard Jeu signale à juste titre que « le bénévolat n’est pas synonyme

d’incompétence, que le salariat ne veux pas dire absence de dévouement, et que le

professionnalisme ne se traduit pas par absence d’amour du sport. »42

Insistant sur le fait que

le bénévolat sportif doit demeurer un pilier du système, et qu’il ne doit pas être envisagé

comme l’antagonisme du salariat, mais plutôt comme un complément, il résume très

clairement la dynamique sportive ainsi : « les dirigeants et les pratiquants sportifs ont

d’abord été des amateurs, les athlètes se sont ensuite professionnalisés car le sport connut un

succès croissant et l’institution sportive a commencé à avoir besoin de permanents, mais cette

professionnalisation n’efface et n’exclut pas pour autant le bénévolat, et l’amateurisme »43

.

La question de l’amateurisme et du professionnalisme a également affecté le mouvement

olympique sportif. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, l’amateurisme a été l’un des piliers

officiels du mouvement olympique, et les bénévoles ont constitué la majorité des dirigeants

sportifs, mais, aujourd’hui, l’amateurisme et le bénévolat ont disparu dans le monde sportif,

notamment olympique. Comme l’écrit Paul Simmonot, « la papauté olympique »44

a

actuellement intégré les valeurs marchandes et rejeté l’amateurisme sportif. Et cette crise de

l’amateurisme ne date pas du XXe siècle. Déjà, dans l’Antiquité, l’amateurisme grec s’était

dégradé, comme le montre bien Pierre de Coubertin : « Rien n’est plus instructif que d’étudier

les péripéties sportives de l’Antiquité. On voit avec le succès se développer la complication et

le spécialisme d’où sortent bientôt le professionnalisme et la corruption. […]Ce sont alors les

exagérations de l’entraînement ; l’athlète, aux mains de l’entraîneur et du manager, tend à

devenir un être anormal vivant du sport, comme ceux qui s’occupent de lui ; c’est le

mercantilisme. Callipsos l’Athénien (332 av. JC) achète ses adversaires qui lui laissent

gagner le pentathlon. Les jeux sont entourés d’une vaste foire où s’entassent les curiosités et

les spectacles ; il faut toujours du nouveau, du sensationnel à cette foule énervée et bruyante.

A plusieurs reprises, s’esquissent des mouvements de salutaire réaction, mais peu à peu

l’opinion se détache et se détourne, la religion athlétique perd ses fidèles : elle n’a plus que

42

B. Jeu, Analyse du sport, Paris, PUF, 1993, p.156 43

Ibid. 44

P. Simonnot, Homo Sportivus, Paris, Gallimard, 1998, pp 129-130

Page 25: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

24

des clients »45

. On voit ici une étonnante similitude entre la situation antique décrite par

Coubertin et la situation actuelle, utilisée dans plusieurs ouvrages pour décrire la

professionnalisation contemporaine.

Alors, cette crise actuelle se comprend de façon contemporaine et obéit à différentes

causes, d’abord d’ordre économique et social. Amorcée après 1945, elle est en premier lieu

due à l’ampleur des recettes procurées par les spectacles sportifs. Elle s’explique ensuite par

l’élévation du niveau des performances sportives, élévation due à de multiples facteurs tels :

l’amélioration du matériel et de l’équipement ; perfectionnement de l’entraînement,

transformation de l’alimentation et de l’hygiène ou encore augmentation du nombre des

athlètes dans le monde.

Elle tient ensuite à des motifs politico-institutionnels. Au lendemain de la seconde

guerre mondiale, la doctrine de l’amateurisme s’éloigne de la réalité concrète : les sportifs

amateurs des pays socialistes européens sont, en fait, des professionnels entretenus par leur

état respectif, et les athlètes américains poursuivent leur cycle universitaire à des fins

uniquement olympiques. Les Etats-Unis et l’URSS rivalisaient ainsi sur le terrain olympique à

coups de subventions, et les pays satellites, dans chaque camp, en firent de même. Le

processus de professionnalisation atteint son apogée en 1978 lorsque Lord Kilanin, directeur

du Comité International Olympique, fit retirer le mot « amateur » de la charte olympique puis

avec son successeur Samaranch qui, dans la charte de 1983, affirme « qu’un athlète peut

gagner des fortunes s’il a l’esprit olympique »46

.

Enfin, le passage du sport d’élite, réservé aux amateurs, au sport spectacle de masse

produit par des professionnels, n’est pas seulement lié à l’existence de nouvelles entreprises

industrielles et d’institutions modernes. Il est, comme le dit Pierre Bourdieu, étroitement lié à

la rencontre de l’offre de certaines catégories sociales, c’est-à-dire, il est dû à la rencontre de

« la forme particulière que revêtent la pratique et la consommation sportives proposées à un

moment donné du temps », et « les attentes, les intérêts et les valeurs des pratiquants

potentiels, l’évolution des pratiques et des consommations réelles étant le résultat de la

confrontation et de l’ajustement permanents entre l’un et l’autre »47

. Le passage de

45

P. de Coubertin, Pédagogie sportive, Paris, 1922, pp. 132-133 46

P. Simonnot, op.cit., pp. 139-140 47

Ibid. p.189

Page 26: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

25

l’amateurisme au professionnalisme est donc dû à la rencontre entre les intérêts et les valeurs

des classes populaires et moyennes accordées au sport à un moment donné, et les exigences

liées à la professionnalisation de la préparation et l’exécution de la pratique sportive au même

moment. De surcroît, comme l’explique Eric Dunning, la façon dont évoluent les sociétés

dans leur globalité impacte la façon dont le sport se professionnalise. Il dit d’ailleurs à ce sujet

que « les pressions et les contrôles réciproques qui s’opèrent dans les sociétés industrielles

urbaines se reproduisent généralement dans la sphère du sport. Corollairement, les sportifs

de très haut niveau ne peuvent être indépendants et jouer pour l’amusement ; ils sont

contraints à une participation aux sports sérieuse et tournée vers autrui. Ne pouvant jouer

pour eux-mêmes, ils sont forcés de représenter des unités sociales plus larges, par exemple

des villes, des comtés ou des pays. Pour cela, ils reçoivent des récompenses matérielles et/ou

honorifiques, ainsi que les installations et le temps nécessaires à leur entraînement. En

retour, on attend d’eux qu’ils accomplissent une « performance sportive », c’est-à-dire qu’ils

procurent la satisfaction exigée par ceux qui contrôlent et consomment le sport, autrement dit

le spectacle d’une compétition excitante que les gens paient pour regarder ou bien la

validation, grâce à la victoire, de l’image ou de la réputation de l’unité sociale à laquelle

s’identifient ceux qui contrôlent et/ou consomment. […]Par chacun de ces aspects, la

configuration sociale – le schéma des dépendances intergroupes qui caractérise un Etat-

nation industriel-urbain – crée des contraintes qui interdisent la mise en pratique de l’éthique

amateur, laquelle fait de l’amusement le principal objectif du sport.[…] Loin de se cantonner

au sport de très haut niveau, ces contraintes se propagent jusqu’aux échelons inférieurs de la

performance sportive. Ce phénomène est dû en partie au fait que les sportifs de très haut

niveau forment un groupe de référence, promu par les médias, qui détermine les normes

auxquelles les autres tentent de se conformer. »48

Ainsi, le sport suit la logique industrielle

développée au sein de la société. La fin de la citation explique que cette logique implique une

fin prononcée de l’amateurisme et que celui-ci est en partie dû à la médiatisation du sport, liée

à sa commercialisation, que nous allons tenter de cerner à présent.

La médiatisation et la commercialisation du sport

Depuis le milieu des années 1980, la médiatisation et la commercialisation du sport

professionnel se déploient de manière spectaculaire. Les évènements sportifs sont devenus des

48

N. Elias et E. Dunning, Sport et Civilisation, Paris, Fay’ard, 1994, pp. 302-303

Page 27: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

26

produits que la télévision et les sponsors achètent, mettent en spectacle, vendent en vue d’en

tirer un profit. Ces athlètes monnayent alors « leur talent et leurs compétitions à des prix de

plus en plus élevés »49

. Cela est lié au fait que le sport, en se professionnalisant, est devenu un

véritable spectacle. On parle d’ailleurs de sport professionnel ou de « sport-spectacle ».

Spectacle populaire d’aujourd’hui, par excellence, il est à l’heure actuelle un spectacle de

masse car il concerne les individus de tous les groupes sociaux et de tous les Etats. Comme le

souligne Jean-Marie Brohm, « Le spectacle sportif est devenu aujourd’hui dans toutes les

sociétés avancées non seulement le spectacle planétaire par excellence, mais le modèle type

du spectacle qui attire et agglutine les foules en les concentrant autour d’une scène populaire,

où toute la population est invitée à participer, en tant que masse, à la célébration des exploits.

Le spectacle sportif est la mise en scène d’un spectacle de masse où le public communique,

directement ou imaginairement, avec les sportifs de compétition avec ces acteurs plus ou

moins mythiques que sont les sportifs de compétition. »50

Dès lors, le sportif professionnel

attire et en tant que centre du rassemblement, est envié. C’est-cette position sur le devant de la

scène qui fait « rêver » les individus, qui les laisse croire en un prestige social à portée de

main. A partir du moment où le sportif est connu et reconnu, il devient le référent jalousé mais

respecté de son milieu d’origine. Comme nous l’avions compris, plus les masses sont

impliquées dans le sport et plus l’espoir individuel grandit : tout le monde peut « y arriver ».

De même, plus le sport est vu et rendu spectaculaire, plus la position de sportif fait envie. La

gloire qui était avant tout procurée par un ressenti individuel patriote devient dès lors une

gloire animée par la popularité et le succès auprès de la masse spectatrice. Que ce soit à

l’échelle locale, régionale ou nationale, le sport est alors vecteur de renommée. Comme nous

l’avons déjà compris, il faut penser l’ascension aussi bien en termes de prestige social que de

rémunération financière En ce sens, le fait que le sport devienne un spectacle contribue

largement à la propension du mythe : il y a rêve d’ascension sociale par le sport seulement

parce que ce dernier offre une très large diffusion des performances. Cette diffusion s’est

d’ailleurs développée grâce à une médiatisation de plus en plus importante.

Le pouvoir des médias a, depuis leur création, été considérable sur le sport, comme le

montrent les grandes heures du cyclisme, tel le Tour de France, qui sont le produit de l’action

des journaux, comme l’Auto ou Paris-Soir. Les organisateurs de spectacles et les dirigeants de

49

O. Chabay, « De l’amateurisme au sport business », 2 juin 1999, La Documentation Française, p.10 50

JM. Brohm, Sociologie politique du sport, Paris, Editions universitaires, 1976, p.298

Page 28: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

27

médias tentent de modifier les règles sportives en valorisant l’aspect spectaculaire51

. Si la

presse a joué un rôle de diffusion du sport, la télévision a porté le sport au pinacle : elle a

parfaitement véhiculé le spectacle sportif. Depuis 1970, la télévision a d’ailleurs développé

ses liens avec le sport, et de plus en plus de compétitions sont retransmises : le nombre

d’heures de diffusion de sport en France par la télévision est passé de 232 en 1968 à 12000 en

199952

. Cette hausse est due à l’arrivée de nouvelles chaînes qui accordent au sport une part

plus importante, comme Canal +, ou qui ne se consacrent qu’au sport, comme les chaînes

thématiques, telles EuroSport. Les rapports entre le sport et la télévision sont des rapports

d’intérêts. Aujourd’hui, l’argent des télévisions constitue la source principale de financement

du sport professionnel et explique l’inflation des salaires des sportifs. L’audience des

événements sportifs représente pour les chaînes privées la majorité de leur chiffre d’affaires.

En 1998, le football a par exemple réalisé les quatre premières audiences de TF1 : « Les

recettes brutes encaissées par la chaîne pour la finale de la coupe du monde, meilleure

audience de l’année toutes chaînes et tous programmes confondus, ont dépassé les 50 millions

de francs53

»54

. Le sport est donc devenu une vaste industrie de programmes et un enjeu

majeur pour les chaînes de télévision, notamment pour celles à péage pour lesquelles la

possession de droits de retransmission constitue un produit d’appel considérable. On assiste

aujourd’hui à une mutation profonde des liens entre sport et télévision : le rapport qualité-

prix est alors au centre des préoccupations des responsables de programmes, qui ont pour but

d’obtenir des événements permettant de recueillir une audience large, pour vendre le plus

possible d’écrans publicitaires aux annonceurs et rentabiliser leur investissement initial. Cette

dépendance des sports vis-à-vis de l’argent des télévisions a des effets pervers, tels l’inégalité

des sports dans le traitement médiatique et les retombées financières qui y sont liées. Nous

comprendrons plus tard que cette différence d’exposition joue un rôle clé dans les différences

d’interprétation du mythe. En outre, à l’heure d’internet, le sport a encore gagné en visibilité.

Désormais, chaque individu connecté au web peut voir et revoir les matchs, les compétitions

et les performances d’un joueur en particulier. Avec tous les sites de vidéos à la demande,

l’utilisateur a accès en permanence aux retransmissions sportives.

51

On note par exemple au basket la suppression progressive de plusieurs règles ou l’assouplissement d’autres tel

le « marcher » ou le « passage en force » afin de rendre le jeu plus athlétique et donc plus spectaculaire. 52

Chiffres donnés par D. Baillet in D. Baillet, op.cit., p. 123 53

Ndlr : l’équivalent d’environ 7,6 Millions d’Euros 54

O. Chabay, op.cit., p.11

Page 29: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

28

Si le sport est affecté, et de plus en plus, par un important processus de médiatisation,

il est également touché par un phénomène puissant de commercialisation qui lui est

étroitement lié. Ce dernier affecte surtout le sport en tant que spectacle, dans les sociétés

industrielles modernes. Les manifestations sportives ont à l’heure actuelle considérablement

augmenté, les compétitions ont pris une allure gigantesque et mobilisent des foules immenses

abritées dans d’énormes stades55

.Ce phénomène de masse a été intensifié, comme nous

venons de le comprendre, par la télévision « qui a transformé le spectacle sportif en un fait

universel à l’échelle planétaire. »56

Comme le note très lucidement Jean-Marie Brohm57

, ce

phénomène social de massification a incontestablement attiré les organisateurs de

manifestations sportives qui ont envisagé le sport comme une affaire lucrative, leur objectif

étant alors d’organiser des spectacles et des manifestations financièrement bénéficiaires et

commercialement profitables. En d’autres termes, la recherche du profit passe dorénavant

avant l’objectif purement sportif. Le sport n’est donc plus seulement un support publicitaire

mais une véritable activité commerciale, « un marché à conquérir »58

et même un

« investissement financier spéculatif »59

avec l’entrée en bourse de certains clubs60

. Les

investisseurs ont le projet, en s’appuyant sur la notoriété du club, de développer des activités

parallèles comme le lancement de chaînes de télévision et de sites internet avec des contenus

payant ou encore le merchandising. Des sommes astronomiques d’argent sont donc investies

dans les clubs : Selon un rapport financier publié par la Direction Nationale du Contrôle de

Gestion, le budget cumulé des vingt clubs de Ligue 1 était de 910 millions d'euros en 2005-

2006, soit une hausse de 39 % par rapport à la saison 2002-2003. En 2011, le chiffre d’affaires

hors transfert de la Ligue 1 était de 1,243 milliard d’Euros61

. Ce rapport nous apprend aussi

que le salaire mensuel moyen d’un footballeur est d’environ 40000€, en comparaison à celui

d’un joueur de rugby qui est d’environ 10000€62

. En comparaison, les basketteurs

professionnels français évoluant au plus haut niveau gagnent 9723€ par mois tandis que ceux

évoluant en Pro B63

reçoivent en moyenne 4249€64

.65

55

Celui de Rio de Janeiro au Brésil peut accueillir environ 200000 spectateurs, par exemple. 56

JM Brohm, op.cit., p.208 57

Ibid. 58

O. Chabay, op.cit., p.13 59

Ibid. 60

L’Olympique Lyonnais est entré en bourse en 2007, tandis que le Paris Saint-Germain et l’Olympique de

Marseille étaient déjà côtés depuis plusieurs années, respectivement avec les groupes Adidas et Canal+ 61

« Rapport d’activité de la ligue professionnelle de football », DNCG, 2012, p.47 62

Ibid., p.53 63

Ndlr : Le deuxième niveau national, celui par exemple de la JL Bourg Basket Pro

Page 30: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

29

On peut comparer ces chiffres avec le salaire mensuel moyen par ménage en France

qui est de 2314€, en considérant une moyenne de 2,3 habitants par ménage66

. On comprend

immédiatement que le salaire d’un joueur, et ce même en Pro B, est presque le double du

salaire d’un ménage français. Les possibilités financières avec le sport sont donc importantes

et cela est sans cesse rappelé dans les émissions télévisées où l’on voit les joueurs arriver dans

des voitures de sport hors de prix ou sur internet, avec les photos des maisons de certains

joueurs. Cette médiatisation de la commercialisation et de la professionnalisation du sport

atteint ces dernières années son apogée avec la création d’émissions uniquement centrés sur la

vie quotidienne de sportifs, telles « Ma maison de star » sur la chaîne américaine MTV ou

encore l’émission « Téléfoot » de TF1 qui consacre chaque semaine un reportage à la vie d’un

joueur.

Cette mise en scène de l’argent amassé grâce au sport constitue aujourd’hui un des

piliers majeurs du mythe de l’ascension sociale par le sport. Le public, les téléspectateurs

voient à travers les médias d’immenses fortunes se former grâce au football, au rugby ou au

basket67

, mais aussi grâce à des sports individuels comme l’athlétisme ou la natation. Le

sport, comme nous l’avons compris, étant ouvert à tous, l’idée peut se propager que chacun

est en mesure de faire fortune puisque chacun a accès à des structures d’entraînement, est égal

face au sport. Puisque l’élite doit sortir de la masse, chacun pense que, potentiellement, il peut

faire partie de l’élite. Et cette position fait très envie puisque permet, en somme, de devenir

riche ; ou tout du moins d’élever son niveau de vie. Les médias rappellent constamment

l’argent en jeu avec le sport : les sommes dépensées pour les transferts de joueurs font les gros

titres de la presse et les salaires sont sur le devant de la scène à la télévision. Dans

l’imaginaire collectif, et comme nous l’avons expliqué, l’idée s’est répandue que chacun, de

façon égale, peut accéder au sport et montrer son talent. Dans un rapport évident de causalité,

l’idée s’est aussi répandue que chacun peut accéder à la fortune. Etant donné que les sportifs

sont adulés ou tout du moins auréolés d’une popularité exacerbée, la position est très enviée :

une immense part de la population aimerait être riche et reconnue. C’est là toute la

64

Tous ces salaires sont des chiffres nets, hors primes et hors contrats publicitaires. 65

Chiffres donnés par le magazine Basket News en 2008 et cités par l’utilisateur « Guru » sur le site

Basket4life.com, à la page http://www.basket4life.com/les-salaires-des-basketteurs-de-la-pro-a-t8554.html le 18

septembre 2008. Page consultée le 12 février 2012 66

Chiffres fournis par le site salairemoyen.com selon la dernière enquête de l’INSEE de 2011, à la page

http://www.salairemoyen.com/france.html, page consultée le 4 mars 2012 67

Ndlr : les trois sports collectifs les mieux rémunérés en France

Page 31: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

30

particularité de ce mythe moderne : il s’est répandu par la croyance mais aussi par l’envie.

C’est parce que l’idée est belle qu’elle s’est répandue, parce qu’elle fait rêver : chacun, sur un

pied d’égalité, peut arriver en haut de l’échelle sociale. En d’autres termes, le sport réussirait

là où la politique échoue. Les différents temps que nous avons décomposés jusqu’à présent

sont nécessaires pour comprendre le mythe : c’est parce qu’il y a eu démocratisation du sport

qu’il y a eu professionnalisation et donc qu’il y a eu médiatisation et commercialisation. C’est

l’ensemble, le tout, qui imprègne l’imaginaire collectif d’une possible ascension sociale par le

sport, que ce soit en termes de popularité ou de moyens financiers. Et comme le rappelait un

des joueurs de la JL Bourg Basket lors d’un entretien en 2011 :

- « C’est ça le sport maintenant. C’est du rêve en boîte pour tout le monde. Tout le

monde pense qu’il peut devenir riche. Parce que personne ne voit ce qu’il faut faire pour y

arriver. On te montre que l’argent et les paillettes. Donc forcément tout le monde en veut. Si y

avait pas tout ça, enfin j’veux dire, si y avait que la popularité, ça attirerait moins de monde.

Mais là y a tout : l’argent ET les fans. Alors laisse tomber forcément…Bien sûr que les jeunes

veulent y croire, vu ce qu’on leur montre. Quand tu vois ça de loin c’est le monde parfait, y a

que des avantages. Tout le monde pense qu’il peut devenir quelqu’un avec le sport. Tu vois

Zidane, t’as envie de faire pareil. Normal en même temps. »68

Le rôle du sport serait donc de faire rêver, ou au moins de laisser croire en une

égalité face au terrain, face au jeu, et donc face à l’avenir. Cette citation laisse déjà entrevoir

des limites de ce mythe et une désillusion par ceux qui sont au cœur du professionnalisme.

C’est-ce que nous allons tenter de cerner dans le discours des jeunes basketteurs : quelle est la

part de mythe vécu et quelle est la part de remise en question ? Si cette question sera au cœur

du développement, un dernier thème découle de la citation et permet d’expliquer pourquoi ce

mythe moderne est si bien ancré dans l’imaginaire collectif. C’est-celui de l’intégration par le

sport, liée à la mise en exergue de personnalités : ce qu’on appelle « l’effet Zidane »69

.

68

Entretien réalisé le 27 août 2011 avec un des joueurs de la JL Bourg Basket Pro souhaitant rester anonyme,

minute 39. 69

Expression employée par Mogniss H. Abdallah dans son article « L’effet Zidane ou le rêve éveillé de

l’intégration par le sport », in Hommes et Migrations, Juillet-août 2000, n°1226, pp.5-14

Page 32: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

31

C/ L’intégration par le sport et le culte des personnalités

Comme nous l’avons compris, le champion est devenu un modèle

d’accomplissement qui alimente les ambitions d’ascension sociale. Le professionnalisme

restant limité jusque dans les années soixante-dix – quatre-vingt, la voie sportive pour la

mobilité sociale demeure marginale, même si le récit de la vie « des fils d’ouvrier immigrés

devenus footballeurs »70

, à l’image de Raymond Kopa, ou coureurs comme Michel Jazy, est

répété inlassablement, « comme pour faire perdurer la croyance en une possibilité

d’ascension offerte par un sport « ouvert » à tous et juste »71

. Ces deux exemples venus du

milieu du siècle dernier sont étonnamment modernes : ils lient ascension sociale et

intégration.

L’idée selon laquelle les sports peuvent servir à l’intégration sociale des jeunes est

aujourd’hui banale. Les discours des hommes politiques, les propos journalistiques, les avis

des acteurs du monde sportif et les prises de position du ministère chargé des sports sont

concordants pour ériger le sport comme école de la vie et comme facteur d’intégration sociale

par la normalisation des comportements des jeunes habitants de quartiers populaires72

.

Cette vision d’un sport intégrateur par nature est une idéologie qui se présente sous

les traits de l’évidence73

; elle s’inscrit dans une tradition, celle de l’instrumentalisation des

sports ; elle se développe dans un contexte, celui de la permanence de la « question sociale » ;

elle sert à promouvoir le sport et ses intérêts par la mise en avant d’une image éducative, et

elle contribue à faire croire que les problèmes sociaux dans les quartiers sensibles sont plutôt

liés à une problématique éducative et/ou culturelle, et donc individuelle, que sociétale et

économique74

.

70

M. Fodimbi, « Sport et intégration » in P. Arnaud, M. Attali et J. Saint-Martin (dir.), op.cit., p.105 71

Ibid. 72

Le secrétariat d’Etat aux Sports, à la jeunesse et à la vie associative a initié, début 2007, une politique de

valorisation de la fonction sociale et éducative du sport, qui vise notamment l’accès de tous à la pratique

sportive, et en particulier les publics les plus en difficulté. 73

A titre d’exemple, voir l’avis du conseil économique et social Nord-Pas-de-Calais du 26 septembre 2006

concernant la question « Comment la pratique du sport peut-elle être un outil d’intégration sociale, d’insertion et

de citoyenneté dans la région Nord-Pas-de-Calais ? », où il est indiqué : « Le sport est, selon certains

sociologues avertis, un lieu d’intégration avec l’école, le travail et la famille. En effet, il est une école de

discipline et d’apprentissage de la vie collective et des règles, il intègre naturellement les jeunes. » 74

On voit cela notamment à travers les propos du Michel Fodimbi, qui rajoute que « Cette vision des choses

s’est accentuée depuis 2002, comme en témoigne l’orientation répressive de l’action publique à destination des

quartiers sensibles, en considérant que la politique de prévention/intégration aurait échoué (voir la loi n°2002-

1138 d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, dite « loi Perben »). Tout cela

Page 33: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

32

Comme le note Michel Fodimbi, les rapports entre sport et intégration ont été

construits « essentiellement au cours des deux dernières décennies du XXe siècle »75

. Ils

s’inscrivent dans un contexte social, politique et économique, celui de la montée du chômage

des jeunes et de l’apparition de la « question des banlieues », mais aussi dans une continuité

historique, une « tradition française » d’instrumentalisation des sport. Dans les années quatre-

vingt, le développement de manifestations de violence urbaine76

attire l’attention des pouvoirs

publics sur les conditions de vie de la population des « quartiers d’exil »77

. Les jeunes, et

notamment ceux d’origine étrangère, sont particulièrement concernés par un processus de

marginalisation dont l’apparition est corrélée à des facteurs de fragilité sociale tels l’échec

scolaire, le chômage ou encore la dissolution de la famille. Cette surconcentration de

caractéristiques sociales défavorables conduit à la « galère »78

. Des révoltes contre ces

situations de misère, d’exclusion et de racisme se cristallisent lors d’incidents avec la police et

prennent la forme d’émeutes urbaines. Le pouvoir politique, par l’intermédiaire des

collectivités territoriales et locales mais aussi du ministère de la Ville, met en place dans

l’urgence une série de mesures visant à restaurer le calme dans les cités en voie de

« ghettoïsation ». Des mesures sociales à visée éducative y tiennent une place privilégiée, et

les sports entrent dans les dispositifs d’intervention sociale à destination des « jeunes en

difficultés ». C’est ainsi que l’objectif assigné au sport dépasse immédiatement le simple

souci occupationnel, ceux-ci étant érigés comme moyen privilégié de restauration du lien

social, d’insertion des jeunes, de développement de la citoyenneté ou encore d’intégration des

enfants étrangers.

Ce nouveau rôle attribué au sport pose question. Car au cours de leur brève histoire,

les sports modernes ont servi à des finalités opposées : « régénérer la race française79

,

s’accompagne de discours qui assimilent jeunesse, immigration et délinquance, et qui proposent le recours aux

pédopsychiatres afin d’intervenir le plus tôt possible à l’égard de la « déviance ». » (M. Fodimbi, op.cit. p. 171) 75

Ibid. , p.172 76

« Les Minguettes » à Vénissieux, est la première cité où se manifestent sous formes d’émeutes urbaines, en été

1981, les difficultés à vivre des habitants et la « galère » des jeunes. 77

F. Dubet et D. Lapeyronnie, Les quartiers d’exil, Le Seuil, Paris, 1992, p. 12 78

F. Dubet, La Galère. Jeunes en survie, Fay’ard, Paris, 1987, p. 17 79

« L’enthousiasme des Français provient bien d’un effet de masse qui génère indirectement une véritable prise

de conscience sur le rôle que le sort peut jouer à l’échelle d’un pays. Du coup, les responsables tricolores

n’hésitent pas à reprendre largement les mêmes arguments patriotiques, eugénistes et récréatifs. Ainsi Henry

Paté lance-t-il aux journalistes réunis pour visiter le stade Pershing : « Ils (les américains) ont fait cela afin de

donner au peuple français le moyen de régénérer sa race, nous qui avons vu là-bas, sur les champs de bataille, la

plus belle jeunesse fauchée par les balles ennemies. » […] Les journalistes ne sont pas en reste qui estiment que

« les maîtres de nos destinées ont enfin compris que le sort n’est plus seulement un jeu d’enfant, mais qu’il est

Page 34: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

33

développer l’esprit de conquête, préparer à la guerre, démontrer la suprématie de l’Est ou de

l’Ouest mais aussi éduquer, socialiser, renforcer la cohésion sociale…tout en étant au service

du consumérisme actuel. »80

Les vertus du sport seraient pour le moins contradictoires et

paradoxales. Mais l’utilisation des sports à des finalités de cohésion nationale s’inscrit dans

une tradition historique française. Pierre Arnaud81

repère ainsi quatre modèles d’intégration82

qui rendent compte des différents objectifs assignés aux sports selon les pays, les régimes

politiques et l’état de développement social des sociétés. Le quatrième modèle, celui de

l’intégration nationale et civique, nous intéresse plus particulièrement. Il repose « sur une

analyse sociopolitique de la participation et de l’adhésion consensuelles aux principes

révolutionnaires de l’Etat républicain. […] Ce modèle postule que l’intégration n’est possible

que par l’assimilation de population adhérant volontairement aux valeurs et aux principes

d’une République, une et indivisible »83

. Cela passe par la participation aux institutions

nationales et républicaines que sont l’école et l’armée. Instrumentalisés par ces institutions, la

gymnastique puis les sports ont servi à mettre en place un habitus républicain.

L’instrumentalisation du sport à des fins d’intégration, qui se développe à partir des

années quatre-vingt et qui se perpétue aujourd’hui s’inscrit dans cette logique. La population

visée est-celle des jeunes en difficulté socialement, principalement immigrés ou d’origine

immigrée et essentiellement maghrébine. Sur un fond de racisme qui considère que les

différences culturelles et cultuelles liées à l’origine ethnique sont les principaux facteurs qui

expliquent la « crise des banlieues », toute cette population est sommée de faire des efforts

pour s’intégrer. C’est ainsi que naissent les figures de « l’intégré », celui qui fait les efforts et

qui ressemble aux « Français de souche », et de celui qui n’a « pas réussi à

« s’intégrer » : pauvre ou désaffilié, […] [il] n’a pu « s’émanciper » des multiples critères

culturels, religieux, phénotypiques que l’on a progressivement opposés à « l’identité

aussi une force, une sauvegarde et une distraction. Notre peuple, avec la loi des huit heures, aura besoin de

distractions : si elles sont sportives, si elles se passent loin du bistrot et du cinéma, l’avenir de notre race est

sauf. » (Tierry Terret, Les Jeux interalliés de 1919. Sport, guerre et relations internationales, coll. « Espaces et

temps du sport », l’Harmattant, Paris, 2003, p.78) 80

M. Fodimbi, op.cit., p.174 81

P. Arnaud, « Sport et intégration ; un modèle français », in Centre de recherche et d’innovation sur le sport,

Université Lyon 1, « Sport et banlieue », Spirales, n°10, 1996 82

Le modèle socioculturel relatif aux sociétés locales dans lequel les jeux et les fêtes participent à l’intégration

culturelle ; le modèle étatique de soumission de l’individu à l’Etat, le modèle socio-éducatif d’intégration par le

self-government et le modèle de l’intégration nationale et civique. 83

Pierre Arnaud, op.cit., p.15

Page 35: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

34

française » en les rattachant à la figure de « l’immigré » ».84

L’excellence sportive, vue sous

les traits de Zinedine Zidane, de Djamel Bourras ou encore de Brahim Asloum est présentée,

dans les discours politiques et journalistiques, comme l’exemple de l’intégration réussie. Mais

plus encore, ces discours et la prédominance de la figure de Zidane, le « gamin des cités » qui

gagne à présent 1,2 million d’euros par mois, laissent croire dans l’imaginaire collectif à une

quasi exhaustivité des classes populaires comme milieu d’origine des sportifs professionnels.

Comme le rappelle Nadir Djennad, « on a souvent vu, ces derniers temps, des reportages sur

des jeunes sportifs issus de l’immigration qui ont réussi, comme Zinedine Zidane ou Djamel

Bourras. Dans ces cas, l’accent est mis sur le sport, qui est facteur d’intégration. On a pu

voir plusieurs reportages dans les banlieues, où des jeunes essaient de « s’en sortir » en

jouant au football ou en pratiquant la boxe thaïlandaise. Des journalistes ont posé des

questions du style : « S’il n’y avait pas le sport, seriez-vous tombé dans la

délinquance ? » »85

.

Le sport est ainsi montré comme seul échappatoire aux problèmes sociaux dont

souffrent les jeunes, immigrés ou non, des quartiers populaires. Eux-mêmes voient donc dans

le sport le moyen de « sortir du quartier ». A force de stigmatisation médiatique, ces jeunes

croient ce qu’ils entendent et le sport devient, pour une partie au moins, l’unique porte de

sortie86

.

L’hypothétique ascension sociale par le sport que nous nous sommes attachés à

définir jusque-là fait particulièrement sens chez ces jeunes en tant que « remède » à leurs

« maux ». Les sportifs issus des mêmes milieux qu’eux et qui ont réussi deviennent dès lors

des héros tenus en modèles. Plus encore, ces champions sont la preuve vivante qu’il est

possible de réussir, de « s’en sortir » par le sport et que l’ascension sociale existe dans une

réalité proche. Les aînés sont donc imités, copiés et régulièrement, un nouveau joueur issu

d’un quartier défavorisé accède au devant de la scène. C’est particulièrement le cas pour le

84

M. Rigouste, « L’immigré, mais qui a réussi… », Le Monde diplomatique, juillet 2005 85

N. Djennad, « Devenir journaliste pour un jeune issu de l’immigration », Migrations société, vol.13, numéros

75-76, mai-juin 2001 86

Cette porte de sortie, dans l’imaginaire collectif, peut être jouée par d’autres acteurs de la vie contemporaine

que sont le cinéma, le « stand-up » ou la chanson, révélés principalement par l’émergence des télé-réalités

proposant à des inconnus ay’ant un « don », un « talent », de le mettre en avant à la télévision. Ces nouveaux

items n’étant pas au cœur du sujet, nous ne les développeront pas ici mais il est important de noter leur

croissance dans l’imaginaire collectif, même si cette possibilité d’élévation sociale n’est pas encore légitimée par

des discours officiels, à la différence du sport.

Page 36: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

35

football, le sport le plus médiatisé en France. Depuis Zidane, plusieurs footballeurs de

« banlieues » ont atteint le plus haut niveau national voire international : Nicolas Anelka,

originaire de Trappe et qui n’aura de cesse de le répéter, Karim Benzema qui vient de

Vénissieux ou encore Franck Ribéry du quartier du « Chemin Vert » à Boulogne-sur-Mer. Ce

dernier fait l’objet de nombreuses railleries en raison de sa difficulté à s’exprimer dans un

français correct mais est devenu le modèle du jeune français de quartier populaire, à la

scolarisation difficile, qui est devenu riche et célèbre grâce au football. Le sportif français le

mieux payé rappelle d’ailleurs très régulièrement à ses « frères du quartier » qu’il « pense à

eux », qu’il « n’oublie pas d’où il vient » et que « tout le monde peut faire comme lui »87

. Si

ces personnalités ultra-médiatisées pratiquent surtout le football, elles imprègnent

l’imaginaire de l’ensemble des sports. C’est-ce qu’on peut noter au regard de tous les

entretiens réalisés auprès des jeunes basketteurs du centre de formation de la JL Bourg Basket

Pro. A la question qui vise à savoir si, selon eux, le sport permet une ascension sociale dans la

société, tous ceux qui ont répondu « oui » ont pris le football en exemple, à l’image

d’Etienne :

- « Ah ben ça c’est sûr. Enfin quand tu vois genre Zidane, il est parti de rien. Et

aujourd’hui il est vraiment riche. Ça c’est grâce au sport ! Et y en a d’autres. Je sais pas,

Ribéry par exemple, c’est pareil. »88

Cet extrait est révélateur de l’idée qui circule dans l’imaginaire collectif.

Immédiatement, Etienne n’avait que deux exemples en tête, ceux de footballeurs. Pourtant, il

est convaincu que l’ascension sociale est permise par le sport. Pas un des joueurs n’a cité un

basketteur comme exemple de cette ascension mais dix sur les onze pensent qu’elle est bien

réellement possible. Ceci est notamment dû à l’importance que les médias donnent à ces

personnalités : ce sont celles dont on entend le plus souvent parler et dont l’histoire

personnelle est ressassée. On n’entend peu souvent parler de l’origine sociale de ceux pour

qui elle était aisée. Qui sait par exemple que le père d’Hugo Lloris, gardien de l’équipe de

France de football, est directeur de banque tandis que sa mère est conseillère juridique à

Monaco ? La difficulté pour trouver cette information sur internet montre toute la négligence

qui est attachée à son parcours par les bloggeurs et journalistes du web. N’étant ni

87

Interview pour « Téléfoot » sur TF1 diffusée le 13 novembre 2011 88

Entretien avec Marius réalisé le 18 avril 2012, minute 27

Page 37: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

36

extraordinaire ni atypique, celle-ci est relatée dans très peu d’articles et c’est sur le site du

quotidien Libération89

que l’information est disponible le plus aisément. Dans le même temps,

toutes les pages et articles ou presque d’un des joueurs cités plus haut révèlent immédiatement

son origine sociale.

On peut expliquer cette différenciation par l’enthousiasme que les masses révèlent à

l’égard du parcours sportif des « petits » qui ont réussi, au contraire de l’indifférence pour

ceux des joueurs qui viennent de milieux sociaux plus aisés. Les journalistes, suivant cette

tendance, n’ont de cesse d’impliquer l’historique des joueurs dans leur performance actuelle.

Modèles de réussite, d’intégration et d’ascension, ces footballeurs se font à première vue les

parfaits ambassadeurs des jeunes générations de milieux populaires. Ils sont la

personnification de l’idée commune qui lie ascension sociale et sport. C’est-ce qui a permis de

répandre le rêve du « Pourquoi pas moi ? » dans l’imaginaire collectif. Bien sûr, ceux qui sont

en haut de l’échelle sociale pensaient de la sorte depuis bien longtemps et l’idée était déjà

présente dans les classes moyennes. Mais ces modèles, ces exemples répétés de la réussite par

le sport dans le football et ce depuis la Coupe du monde 1998, quand Zidane est devenu l’élu

d’un peuple, ont laissé la promesse d’une possible ascension sociale dans les classes

populaires de la société. C’est donc désormais toute la nation qui est imprégnée par ce mythe

moderne : le sport offre à chacun une chance de réussite, pour peu qu’il s’en donne la peine. Il

est un vecteur important de l’intégration et les médias se chargent d’entretenir le culte de ces

nouvelles personnalités du sport, de mythifier leur parcours. Bien sûr, comme nous l’avons

montré avec les exemples de Kopa et de Jazy, cet intérêt porté aux sportifs venant des classes

populaires n’est pas nouveau. Cependant, la démultiplication de la portée et des techniques

des médias et la démocratisation du sport ont largement accentué ce phénomène.

On remarque même que les différents présidents de la République française ont

contribué à accentuer ce phénomène. Jacques Chirac, entre autres, a à de nombreuses reprises

utilisé la métaphore sportive et l’image des sportifs vainqueurs pour mettre l’accent sur la

France qui gagne et sur le caractère exemplaire du sport, où tout un chacun peut réussir, à

l’instar de l’équipe de France de football « Black-blanc-beur »90

. De même, dans son discours

89

http://www.liberation.fr/sports/0101632291-hugo-lloris-gardien-a-bonne-distance, page écrite le 27 avril 2010

et consultée le 3 avril 2012. 90

« Expression vulgarisée dans les années 1990, pour désigner la France multi-ethnique (par comparaison au

drapeau bleu, blanc, rouge) ; cette expression provient peut-être du titre Black and white blues, chanson de Serge

Page 38: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

37

« Oser le sport » du 30 mai 200691

, Nicolas Sarkozy présente cette activité comme parée de

pouvoirs essentiels, pour l’individu et pour la France. Il affirme que « le sport enseigne la

persévérance et l’acceptation de l’inévitable alternance entre l’échec et la réussite […]. En

mettant chacun devant ses limites physiques, sans pouvoir se retrancher derrière les artifices

du savoir, de la richesse ou du langage, le sport révèle les qualités profondes de l’être que

sont le courage, le goût du risque, la volonté ou encore le dépassement de soi. »92

Il ajoute à

cela un principe de cohésion sociale et dit à ce sujet que « ce qui est capital […], c’est que le

sport reste cet espace unique de sociabilité où les Français de toutes conditions, de toutes

origines et de tous milieux sociaux se rencontrent et partagent les mêmes efforts et les mêmes

émotions. Alors que la ségrégation sociale et urbaine ne cesse de s’aggraver, les clubs de

sport et les compétitions sportives sont parmi les derniers lieux où l’on n’est rien d’autre […]

qu’un être qui transpire, qui souffre, qui gagne ou qui perd ; un homme ou une femme qu’on

aide parce que, dans le sport, on gagne tous ensemble ou l’on perd tous ensemble »93

. Le

sport est présenté comme une activité que tout individu a intérêt à pratiquer afin d’être mieux

éduqué, mieux portant et mieux intégré. Plus encore, le personnage qui incarne la plus haute

fonction de l’exécutif français rappelle que le sport se joue sur un terrain d’égalité, où

absolument tout le monde peut réussir.

Dans l’idée d’un sport pour tous, où la méritocratie semble être le maître mot, la

possibilité d’ascension sociale paraît évidente. Ehrenberg parle d’une « illusion réaliste »94

,

dont la fonction est de résoudre un des dilemmes centraux de la condition démocratique : cette

tension jamais résolue entre égalité de principe et inégalité de fait. La compétition sportive

dénoue cette tension. D’où la popularité du sport! Il parvient à réaliser dans l’ordre

symbolique ce que le politique échoue à faire advenir dans le réel : la prise de l’individu sur

son destin, la réussite d’un anonyme qui réalise la promesse faite à tous, et qui est, enfin, « à

la hauteur ».C’est ainsi que ce mythe moderne a été peu à peu construit dans l’imaginaire

collectif et continue d’être façonné, depuis la démocratisation du sport jusqu’à son

hypermédiatisation. Alors, comment les jeunes joueurs en centre de formation interprètent-ils

ce mythe, et de quelle façon celui-ci marque-t-il leur parcours ?

Gainsbourg interprétée par Joëlle Ursull à l'Eurovision en 1990 (elle obtint la deuxième place); ou de la

compagnie de danse hip hop du même nom créée par Jean Djemad et Christine Coudun en 1984 »

(http://fr.wikipedia.org/wiki/Beur, page consultée le 16avril 2012) 91

N. Sarkozy, « Convention pour la France d’après. Oser le sport », Paris, 30 mai 2006 92

Ibid. 93

Ibid. 94

A. Ehrenberg, Le culte de la performance, Hachette, coll. « Essai », Paris, 2008, p.47

Page 39: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

38

Après avoir analysé la totalité des entretiens, il ressort que le premier thème prégnant

est-celui de l’éducation, à la fois scolaire et familiale.

Page 40: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

39

Section 2 : Le milieu scolaire, en opposition ambigüe avec le

monde sportif

Comme nous l’avons compris à travers l’explication de la construction du mythe, le

sport permettrait à tous, dans l’idéal mis en exergue par les médias, de devenir riche et

célèbre. En ce sens le sport serait un formidable moyen d’ascension sociale. Cette idée rejoint

en tant que telle celle de l’idéal démocratique républicain qui veut que chacun, par la force de

l’envie et du courage, quel que soit son origine sociale, puisse connaître une ascension sociale

sans limite. C’est d’ailleurs ce qui est inscrit au fronton de chaque mairie française et qui

s’inscrit dans la devise nationale : « l’égalité ». Tous les citoyens doivent dès lors pouvoir

s’émanciper et, par le travail, ne pas être limités à leur position sociale d’origine. Cette

mobilité sociale est-censée être rendue possible par un outil républicain, commun à tous et

obligatoire pendant au moins dix ans95

: l’école. Cet établissement doit être, dans l’absolu, le

garant de l’égalité des chances : étant donné que le programme est le même pour tous, il n’y a

a priori pas de raison que les différences d’origine sociales aient une influence sur la

scolarité. En d’autres termes, l’idéal est exactement le même que celui donné au sport. Le

moyen de permettre la mobilité sociale diffère mais le but est le même. Sauf

qu’historiquement, l’école a été le premier promoteur de l’égalité des chances, c’est l’outil

« traditionnel » de la République. Et c’est donc parce que ce modèle a montré ses limites que

sa « mission » a aussi été confiée au sport. Comme n’hésite pas à le dire Nicolas Sarkozy, le

sport est « cet espace unique de sociabilité où les Français de toutes conditions, de toutes

origines et de tous milieux sociaux se rencontrent et partagent les mêmes efforts et les mêmes

émotions. Alors que la ségrégation sociale et urbaine ne cesse de s’aggraver […] »96

. Or

l’école, dans sa définition première, « accueille tous les enfants, tels qu’ils sont aujourd’hui,

sans discriminations, dans la diversité de leurs conditions, de leurs cultures »97

. D’un côté, le

sport est présenté comme « l’espace unique de sociabilité »98

, mais de l’autre, on comprend

95

La scolarité est obligatoire pour chaque citoyen français à partir de 6 ans et jusqu’à 16 ans, sauf dérogation

spéciale. 96

N. Sarkozy, op.cit. 97

« Débat sur l’école », Ligue de l’enseignement, 2004 98

Ibid.

Page 41: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

40

que ce devrait être le rôle de l’école. L’échec de l’égalité face à la scolarité semble être trop

grand et l’origine sociale reste aujourd’hui le facteur déterminant dans la réussite scolaire99

.

C’est tout du moins ce qui ressort du discours de l’ancien président de la République : c’est

désormais au sport d’assurer l’égalité des chances dans la course au succès, car c’est le lieu où

toutes les différences semblent être gommées. Bien entendu, comme nous l’avons compris

précédemment, ce rôle conféré au sport n’a rien d’ « évident » et fait suite à de nombreux

autres rôles, qui s’inscrivaient eux aussi dans un contexte social, économique et politique.

L’idée qu’une ascension sociale par le sport est possible est en fait une réponse à un problème

sociétal contemporain : celui de l’immense inégalité des chances chez les jeunes. En faisant

du sport un nouvel espoir d’avenir, on clame que si l’école ne remplit plus son devoir premier,

ce n’est pas forcément un problème : pour tous les défavorisés, tous les « laissés pour

compte », autre chose est possible. Et cet autre chose, c’est le sport professionnel. En

montrant, tel qu’on l’a décrit, tout l’argent disponible dans le milieu sportif et, en insistant sur

les parcours de jeunes de banlieues ayant atteint le sommet mondial dans une discipline, on

laisse croire que ce monde est ouvert à tous.

Le sport professionnel comme vecteur de mobilité sociale se construit donc, si ce

n’est en opposition, en parallèle à l’école. On comprend bien ici le rapport de force qu’il

existe aujourd’hui entre scolarité et sport professionnel. Or, les joueurs du centre de formation

qui ont été interrogés dans le cadre de cette recherche sont à mi-chemin entre les deux mondes

et ont donc un avis particulier sur la question. Comme le rappelle l’entraîneur du centre de

formation :

- « Les gamins qui jouent ici sont tous au lycée. Et depuis que le centre de formation

existe, tous les joueurs qui sont passés ici sont sortis avec leur cursus entamé réussi. C’est un

bac général pour certains, un bac technique pour d’autres ou bien un engagement en terminal

pour ceux qui ont déjà redoublé. Quand on avait des joueurs étrangers, c’était même un

99

Ce phénomène de « reproduction sociale » a notamment été étudié par Bourdieu et Passeron dans Les

héritiers. Les étudiants et la culture, paru en 1964. (P. Bourdieu et J.C. Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et

la culture, Minuit, Paris, 1964) Par l’exemple d’étudiants, ils montrent comment la position des parents

constituent un héritage pour les enfants, d’où le nom de l’essai. Ces héritiers gagnent par la naissance une bonne

position sociale tandis que les « déshérités » sont voués à conserver une position sociale basse. Les deux auteurs

ont continué cette analyse dans La Reproduction (P. Bourdieu et JC Passeron, La Reproduction, Minuit, Paris,

1970) où ils expliquent que le système d’enseignement exerce un « pouvoir de violence symbolique » qui

engendre inévitablement une reproduction de la hiérarchie sociale. Voir aussi, entre autres, les travaux de F.

Dubet, M. Cherkaouidu ou B. Lahire

Page 42: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

41

brevet français. Mais dans tous les cas, ils réussissent. L’école est pour nous une priorité.

Mais ils s’entraînent tous les jours ou presque100

et forcément, le basket, c’est très très

important. Leur vie se partage entre le basket et les études pendant trois ans. Ils ont peu de

temps libre, et on exige qu’ils fassent les deux à fond. Mais la première priorité c’est le

basket. »101

Mais tous les joueurs n’ont pas le même vécu et la même origine sociale. Il s’agit

donc de comprendre comment le rapport à la scolarité et donc par opposition au mythe change

quand la position sociale varie. A première vue, on pourrait croire que les publics visés par les

deux milieux ne sont pas les mêmes : les classes moyennes et aisées considéreraient l’école

comme le moyen de réussir tandis que le sport attirerait plutôt les classes populaires. Ce

cliché doit immédiatement être remis en cause.

A/ Quand sport et école ont le même public

Par ce que nous venons d’expliquer, on pourrait penser que certains joueurs du centre

de formation, en ce qui concerne leur avenir, sont tournés vers le basket tandis que d’autres

accordent plus d’importance aux études. Ce qu’on constate à l’analyse de l’ensemble des

discours est singulièrement différent. En effet, on distingue deux types de joueurs : ceux qui

réussissent, et les autres. En d’autres termes, ceux qui réussissent le mieux au basket sont

aussi ceux qui s’en sortent scolairement.

On peut comprendre cela grâce aux réponses des joueurs, bien entendu, mais aussi

par l’analyse qu’en propose leur staff. Dans le guide d’entretien prévu pour les deux

membres de l’encadrement, une question visait à savoir qui parmi les joueurs avait le plus de

chance d’être un jour professionnel102

. Cette question amenait nécessairement à un classement

entre les différents joueurs de l’équipe, et l’entraîneur n’a pas souhaité y répondre, par devoir

de réserve semble-t-il. Le directeur du centre a par contre répondu et a, sans hésiter ou

presque, classé les joueurs par potentiel de réussite dans le milieu professionnel. Ce

100

Ndlr : Les joueurs du centre de formation ont entraînement tous les jours du lundi au vendredi dont deux fois

le mercredi. Ils évoluent en championnat de France et se déplacent chaque weekend entre Antibes et Mulhouse,

pour prendre les extrémités géographiques de cette saison. 101

Entretien avec M. Madeleine, minute 14, p.4 102

On peut rappeler encore une fois que les joueurs du centre n’ont pas de contrat professionnel et n’ont donc

pas encore franchi l’étape qui fait passer du statut d’amateur à celui de professionnel rémunéré. Les joueurs

n’ont donc aucune certitude quant à leur chance de réussite dans le plus haut niveau du basket national ou

international.

Page 43: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

42

classement permet une analyse verticale des discours des joueurs et de les classer à nouveau

par rapport à ce qu’ils ont dit. On se rend alors compte que ceux qui ont le plus de chances de

réussir dans le basket sont aussi de « bons » lycéens. On peut par exemple citer Tony qui

affirme :

- « Moi je pense que l’école c’est très important. Je suis en terminale S et j’espère

bien avoir mon bac. Après, je continuerai avec la JL si ma blessure se rétablit et je devrais

être avec l’équipe pro l’année prochaine. Mais je vais quand même essayer de faire un BTS

en même temps. »103

Comme on le comprend, Tony souhaite garder un réel contact avec le milieu scolaire.

Or, selon les dires du directeur du centre de formation,

- « Tony est un bon élève, il sait qu’il doit bosser. Jusqu’à ce qu’il se blesse104

, il

faisait tous les entraînements avec l’équipe pro et on lui a fait signer un contrat pour l’année

prochaine. C’est la deuxième plus grosse chance de réussite de l’équipe. Il a déjà été

sélectionné en équipe de France avec qui il a fait plusieurs tournois. Même si sa blessure a

été un coup dur, je crois qu’il a un vrai potentiel »105

.

Et cela est encore plus probant avec l’exemple de Nicolas, classé par le directeur

comme meilleure chance de réussite en tant que joueur professionnel parmi l’effectif du

centre de formation. Il vient d’intégrer l’équipe de France cadet, c’est-à-dire des moins de 17

ans, pour participer aux championnats du monde en Serbie en juillet 2012. Ayant donc de

réelles chances de réussir dans le basket, Nicolas ne s’arrête pas là puisque le directeur du

centre de formation a affirmé, lors d’une discussion informelle après l’entretien alors que le

dictaphone enregistrait toujours :

- « C’est un excellent gamin. Tout est dit. Il vient d’intégrer l’équipe de France, il a

16 de moyenne en Première scientifique, il est discret et poli. Qu’est-ce que tu veux de plus ?

Bien sûr que je le mets numéro un, il fait tout ce qu’on lui demande et il le fait bien. »106

103

Entretien avec Tony, minute 17, p.5 104

Ndlr : un problème important au genou qui l’a empêché de jouer environ six mois et qui n’est toujours pas

rétabli. 105

Entretien réalisé avec M. Fauchelevent le 3 mai 2012, minute 33, p. 8 106

Ibid., partie non retranscrite car étant enregistrée après la fin de la discussion officielle et ne faisant donc pas

partie de l’accord passé sur les modalités de l’entretien.

Page 44: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

43

La clarté de ce discours au sujet de la réussite de Nicolas est pour le moins

convaincante. D’autant plus que le directeur du centre surveille les joueurs en étude au lycée

deux heures par semaine et qu’il assiste à tous les conseils de classe. De même, il participe

aux séances quotidiennes d’entraînements et fait les déplacements le week-end à l’occasion

du match. Il connaît donc particulièrement bien les joueurs, leur parcours scolaire et sportif.

Si l’exemple des deux joueurs qui ont le plus de « chances » de réussir sportivement

est parlant, on remarque aussi que l’association entre niveau scolaire et sportif est perceptible

chez tous. Ainsi les joueurs de niveau « moyen » comptent poursuivre des études classiques,

à la faculté ou en BTS. Par exemple, Steed explique :

« Ça fait longtemps que je sais que je ne pourrais pas être pro. Mais c’est comme ça,

j’en suis conscient. […] Je vais donc poursuivre des études plus classiques l’année prochaine

après mon bac. Je vais laisser un peu le basket de côté. Enfin je pense bien me trouver un p’tit

club pour jouer mais en m’investissant beaucoup moins. Je pense aller à la fac de médecine.

[…]Je sais que ça va être dur mais j’ai envie d’essayer. On verra bien ! [rires] »107

On parle de niveau « moyen » en rapport au classement donné par le directeur du

centre, M. Fauchelevent. En effet, celui-ci a distingué parmi les onze joueurs trois catégories.

La première, constituée de trois joueurs, équivaut à ceux qui ont une réelle chance d’être pro.

La seconde, comprenant six adolescents, correspond à un niveau qu’il a décrit comme

« moyen »108

et qui ont peu de chance de succès dans le monde du sport, tout du moins en tant

que joueurs. Enfin, les deux derniers joueurs sont, pour reprendre son expression, « pas

bons »109

et ont d’ailleurs été renvoyés du centre de formation à la fin de l’année. Les deux

joueurs avaient confié lors de l’entretien que leur scolarité était compliquée, et notamment

Marius qui livrait :

- « Ben je suis en seconde mais j’ai du mal, enfin j’ai la moyenne quoi mais faut

passer du temps à travailler. Je sais pas encore ce que je ferai, je vais essayer d’avoir le bac

quand même et on verra ensuite. »110

107

Entretien réalisé avec Steed le 5 avril 2012, minute 11, p.4 108

Entretien réalisé avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 29, p.9 109

Ibid. 110

Entretien réalisé avec Marius le 17 avril 2012, minute 17, p.5

Page 45: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

44

L’objectif était exactement le même pour Yven, l’autre joueur renvoyé. Il apparaît

donc que le lien entre basket et étude n’est pas celui que l’on pourrait croire : les joueurs qui

réussissent dans leur sport sont les mêmes ou presque que ceux qui réussissent scolairement.

En effet, les trois joueurs de la première catégorie du classement ont semblent-ils de grandes

chances d’obtenir leur bac et sur les six joueurs de la seconde catégorie, un seul est en légère

difficulté scolaire. Cela est largement compréhensible quand on connaît la politique de

recrutement des joueurs : ils sont sélectionnés sur leur niveau de basket, après des tests

techniques et physiques, mais aussi sur le sérieux de leur dossier écolier. A ce sujet,

l’entraîneur M. Madeleine est d’ailleurs très clair :

- « On ne prend que des joueurs qui ont un dossier scolaire sans problème. On est

très attentif à ça. C’est-à-dire qu’un joueur, même si il est excellent au basket, s’il pose des

problèmes en classe, qu’il a redoublé et qu’il n’a pas corrigé sa façon de travailler ou bien

qu’il a un dossier trop faible, on ne le prendra pas. Pour nous, la première priorité c’est que

les élèves complètent leur cursus. Donc oui, on a déjà refusé des joueurs qui étaient peut être

meilleurs techniquement, qui avaient un plus gros potentiel basket, mais on savait qu’on allait

avoir des problèmes. On a un contrat avec le lycée St Pierre et si on veut que ça continue, on

doit faire en sorte que les joueurs soient sérieux au lycée. C’est pour ça qu’ils ont un temps

d’étude obligatoire chaque soir. Après, ça dépend des années, des joueurs qui viennent. On

laisse aussi des chances à certains joueurs qui n’ont pas forcément un dossier excellent après

les avoir rencontrer. Mais des fois, comme cette année, ça ne marche pas. »111

Le mode de sélection des joueurs crée donc ce lien entre réussite sportive et scolaire.

Le filtre à l’entrée du centre de formation étant très important, beaucoup de joueurs sont

recalés chaque année en raison de leur dossier trop faible.

En outre, ce que l’on observe aussi est que ce mode de sélection est propre au centre

de formation de la JL Bourg et que chaque club formateur s’organise comme bon lui semble.

Comme le rappelle M. Madeleine,

- « Chaque centre fonctionne comme il en a envie, et je sais que certains, surtout

dans les niveaux inférieurs, ne donnent pas d’importance aux études. Chez nous les joueurs

111

Entretien réalisé avec M. Madeleine, op.cit, minute 17, p.4-5

Page 46: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

45

sont tous logés au même endroit et on contrôle. A d’autres endroits, ce n’est pas la même

chose. »112

Cela rappelle avec justesse que le cadre étudié est particulier : c’est un centre de

formation où la place accordée à la scolarité est réelle. Après avoir appelé plusieurs autres

centres de formation, il est clair que cette priorité n’est pas partout la même. Je peux par

exemple citer l’entraîneur d’un centre de formation parisien qui disait que « le basket est un

sport de grand. Quoi qu’on fasse, il faut des grands. Et s’ils n’ont pas le niveau scolaire, il

nous en faudra quand même. Alors on les prend, tant qu’ils permettent de gagner des

matchs. »113

Il faut donc, tout au long de la recherche, avoir conscience que les résultats

auraient pu être tout autres si le centre de formation choisi avait changé. Cela étant, il est ici

certain que le sport et l’école ne sont pas en opposition mais touchent le même public, réussir

à l’école étant même le moyen inéluctable pour pouvoir jouer au basket. Plus encore, si les

résultats chutent au lycée ou sont en baisse notable, les joueurs peuvent être « privés

d’entraînement, jusqu’à ce que les résultats remontent. »114

Par contre, comment les joueurs pensent-ils gérer l’association entre études et

basket à la suite du lycée?

B/ Sport de haut niveau et étude : deux univers compatibles ?

Si les joueurs du centre de formation doivent nécessairement avoir des résultats

satisfaisants au lycée, leur cursus change à la fin des années de « cadet », qui équivalent aux

trois années de lycée. Cette année, l’équipe première du club est en Pro B et il n’y a donc pas

de catégorie « espoir », qui correspond aux trois années après le bac, et qui est réservée aux

clubs jouant dans le championnat élite français, la Pro A. Mais le club espère bien retrouver115

une place dans ce championnat d’ici deux ans, ce qui recréerait une catégorie espoir. Celle-ci

est dans les esprits de tous, entraîneurs comme joueurs, puisqu’elle est la transition la plus

logique entre le sport amateur et le monde professionnel. En réponse à la question qui tend à

savoir ce que comptent faire les joueurs après leur bac, six sur les dix ont parlé de

112

Entretien réalisé avec M. Madeleine, op.cit., minute 22, p. 6 113

Discussion téléphonique avec un entraîneur de centre de formation de la périphérie parisienne, propos

recueilli à la main et non retranscris en intégralité le 12 mai 2012 114

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 11, p.3 115

Le club a évolué en Pro A de 2000 à 2007

Page 47: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

46

championnat « espoir ». C’est par exemple le cas de Dorian, le troisième joueur ayant « le

plus de chance de réussir ». Il explique :

- « Quand tu sors de cadet, la différence physique elle est vraiment dure avec les

pros. C’est chaud de passer de l’un à l’autre comme ça. Du coup, j’aimerais bien jouer en

espoir pour pouvoir plus prendre le temps avant d’être peut être pro. Donc si la JL remonte en

pro A, je pense que je resterai là, sinon je trouverai un autre club. »116

Ce type de discours a été à peu de choses près le même chez les six joueurs qui ont

cité la catégorie espoir, avec pour objectif premier de l’intégrer à la suite des années de centre

de formation117

. Cependant, on note une différence chez un des joueurs, François, qui assure :

- « Je vais tenter de rejoindre une équipe espoir. Mais je ne suis pas sûr d’y arriver

du coup je vais tout miser sur mes études. Je m’en sors très bien au lycée, je suis en S et

j’aimerais aller dans une école d’ingénieur. Ça me permettrait d’être sûr de m’en sortir,

d’avoir un métier tout ça. […] Par contre, je ne pourrai plus continuer le basket de la même

façon. A ce niveau-là, c’est soit l’un soit l’autre. »118

La dichotomie entre qualité des études supérieures et niveau de basket fait ici sens et

le choix semble nécessaire : c’est soit l’un soit l’autre. Si François a choisi, ce n’est pas le

seul. Les cinq interviewés n’ayant pas mentionné le championnat « espoir » ont eu une

réponse du même type. Ronny explique ainsi qu’il va « faire une fac pour devenir prof de

sport. »119

, tandis que Luc souhaite s’« orienter vers un IUT de communication »120

. Tous

deux expliquent aussi vouloir jouer au basket « pour le plaisir, à un niveau inférieur, juste

comme ça »121

, en confirmant, comme le dit Luc :

- « On ne peut pas suivre des études supérieures et continuer à ce niveau de basket.

C’est possible au lycée parce que les cours…enfin ça va, tu vois, c’est pas non plus trop

116

Entretien réalisé avec Dorian le 18 avril 2012, minute 18, p. 5 117

La catégorie espoir ne donnant pas non plus droit à des rémunérations salariales, les joueurs sont encore

nécessairement en centre de formation mais ils distinguent les années « cadet » et les années « espoir ». 118

Entretien réalisé avec François le 17 avril 2012, minute 11, p.3 119

Entretien réalisé avec Ronny le 17 avril 2012, minute 26, p. 7 120

Entretien réalisé avec Luc le 18 avril 2012, minute 14, p.4 121

Ibid.

Page 48: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

47

intense. Mais après le bac, il faut faire un choix. C’est pas possible d’être pro et de faire des

études, donc il faut choisir. »122

A l’inverse, Tony a déjà choisi sa priorité pour l’année à venir :

- « L’année prochaine je vais faire mon BTS, en trois ans au lieu de deux. Et je veux

le réussir pour avoir quelque chose à faire dans tous les cas. Mais je sais que ça va être très

compliqué. Le rythme physique est vachement soutenu en pro, c’est super chaud pour tout

faire, avec les déplacements le week-end. […] Pour l’instant, j’avais pas de priorité, c’était

autant le basket que les études. Mais l’année prochaine il va falloir choisir et j’crois que ce

sera quand même plus le basket. Je sais que plein de gens trouvent que c’est naïf et

inconscient mais bon, on verra bien… »123

Si l’association entre sport et étude semblait possible jusque-là, il est clair que l’après

bac diffère. Chacun choisit le domaine où il pense pouvoir réussir le mieux. L’idée de

« métier » pour gagner sa vie revient très souvent dans les entretiens, et le choix entre basket

ou école n’est pas anodin. On remarque que tous les joueurs classés comme « moyens »

pensent faire des études supérieures et arrêter le basket à haut niveau, sauf celui étant en

légère difficulté scolaire, Chris. Ce sont en fait les trois joueurs ayant le meilleur niveau

basketballistique ainsi que les deux ayant le moins bon qui pensent soit trouver un club

professionnel soit intégrer une équipe « espoir ». Cela rejoint la conclusion que nous avions

tirée du paragraphe précédent : ces deux joueurs ont a priori de sérieuses difficultés scolaires

et ne peuvent pas attendre beaucoup du supérieur. A l’inverse, les trois joueurs ayant de réelles

chances de parvenir à leur but de réussite sportive sont conscients de leur potentiel et croient

pouvoir avoir la « meilleure situation possible »124

grâce au basket. Chaque pensionnaire du

centre de formation fait donc un calcul coût/avantage sur le choix d’avenir qui lui est offert. Si

les études permettent un meilleur avenir que l’école, alors il vaut mieux s’engager dans cette

voie, et réciproquement. A ce jeu-là, les deux joueurs considérés comme plus faibles sont

perdants : ils ne semblent pas vraiment conscients de leur infériorité sur le terrain mais voient

bien que leur scolarité est défaillante. Ils s’accrochent donc à l’espoir de pouvoir faire du

basket leur métier, à la différence des autres joueurs qui ont l’air plutôt honnêtes et objectifs

122

Ibid. 123

Entretien réalisé avec Tony, op.cit., minute 25, p. 7 124

Ibid.

Page 49: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

48

sur leur niveau de jeu et sur le choix le plus opportun à faire en conséquence. Mais la chute

annoncée, la révélation que le sport professionnel ne sera pas accessible pour les deux joueurs

ne peut être que dure, et elle l’a été. En apprenant qu’ils étaient renvoyés, les deux joueurs ont

été très surpris et ont toujours du mal à l’accepter. Tony confiait, quelques jours après le

renvoi de ses coéquipiers :

« Je trouve ça moche. On les a pris pour trois ans et ils sont virés à la fin de leur

première année. Pour eux le basket c’était un rêve, ils croyaient vraiment ça. Et là on leur dit

que c’est fini. C’était chaud tu vois, Marius il m’a dit qu’il avait plus rien à faire de sa vie,

que c’était la fin du truc. Il pleurait et tout, on l’avait jamais vu comme ça. Enfin il est

vraiment mal là j’crois, il s’en remet pas. Et puis Yven il va retourner dans sa banlieue

parisienne et il va s’remettre à faire des conneries. Là il était cadré, il faisait des efforts et

tout. Mais maintenant je le vois mal faire autre chose que des conneries. C’est pas évident sa

vie là-bas j’crois »125

.

Outre l’échec sportif difficile, un autre thème est abordé ici en filigrane : celui de la

différence d’origine sociale.

C/ Quand le sport permet d’éviter les études : une typologie des

représentations

Les dires de Tony nous permettent de prendre en considération une nouvelle

variable : celle de l’origine sociale. En effet, et comme on le comprend avec la dernière

citation, les deux joueurs renvoyés n’ont pas une condition de vie aisée. Plus que cela, on

remarque que ce sont eux qui ont l’origine sociale la plus « basse » en termes de hiérarchie.

La mère de Marius est institutrice et son père est électricien à mi- temps tandis que la mère

d’Yven est assistante maternelle et son père est employé. Immédiatement, on constate que les

deux adolescents ne sont pas issus de classes très défavorisées mais plutôt moyennes-basses, à

la différence des autres jeunes de l’équipe qui viennent de classes moyennes-hautes voire

aisées. Mais les deux joueurs viennent de régions plutôt pauvres au niveau de l’emploi :

Marius vient du Jura et m’a dit au sujet de son lieu d’habitation qu’il n’y avait « pas de boulot

là-bas, y a pas mal de gens au chômage »126

et Yven d’une « banlieue en région

125

Entretien réalisé avec Tony, op.cit., minute 29, p.8 126

Information révélée après l’entretien lors d’une discussion informelle et non retranscrite

Page 50: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

49

parisienne »127

, sur laquelle il n’a pas donné plus de précision mais qui, selon les propos de

Tony, semble assez pauvre et où les conditions de vie ne sont pas des plus simples. Cela peut

expliquer l’importance donnée au sport : c’est le moyen de se sortir de l’environnement social

d’origine. Le sport est l’échappatoire espéré à un milieu d’origine difficile et sans grande

espérance d’ascension sociale. Pour Yven et Marius, le centre de formation était un élan

d’espoir. D’ailleurs, à la question qui vise à savoir ce que la JL Bourg représente pour eux, les

deux ont répondu par le même mot : un tremplin. Un tremplin vers l’avenir, la réussite et le

sport professionnel. En quittant leur région et en consacrant une large partie de leur emploi du

temps au basket, après avoir passé les sélections, les joueurs peuvent croire qu’ils vont enfin

percer dans le basket. Or comme le rappel M. Fauchelevent,

- « seulement quelques-uns arrivent à faire du basket leur métier. Mais c’est une très

large minorité, même parmi les centres de formation. Les joueurs sont prévenus dès le début

par contre hein !? »128

Malgré ces dires, à l’écoute des entretiens avec les deux joueurs concernés, on se

rend compte qu’ils croient vraiment en un avenir dans le basket. Ils restent modestes, en

utilisant des phrases comme « je sais que c’est dur mais j’y crois, on verra »129

, ou encore « il

faut encore que je montre ce que je peux faire »130

mais plusieurs moments montrent leur

attachement à ce rêve de professionnalisme. Ainsi Yven explique qu’il veut « faire rêver les

jeunes comme Amaré Stoudemire131

[l’]a fait rêver, que les jeunes [l’]admirent »132

. Par le

sourire qu’il arborait au moment de le dire et la façon dont ses yeux regardaient dans le vide,

il était évident qu’il parlait de son rêve. Mais on voyait aussi que rêve et réalité étaient

confondus à ce moment-là. Puis, sans doute pour se rassurer sur son potentiel autant que pour

revenir dans une réalité plus terre à terre, il continuait en affirmant :

- « C’est possible hein ! Moi j’ai mon cousin il vient du même endroit que moi et il

entraîne à un super niveau. C’est lui qui m’a dit que je pourrai devenir très fort. Et puis y a

des mecs de mon quartier qui jouent à un haut niveau. Ou même quand tu vois genre Zidane,

127

Entretien réalisé avec Yven le 18 avril 2012, minute 1, p.1 128

Entretien avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 15, p. 4 129

Entretien avec Yven, op.cit., minute 5, p.2 130

Ibid. 131

Ndlr : un joueur de basket américain évoluant en NBA, le championnat national nord-américain, réputé

comme étant le meilleur au monde. 132

Entretien réalisé avec Yven, op.cit., minute 7, p.3

Page 51: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

50

il avait rien et pourtant c’est le Dieu aujourd’hui. Donc ça montre que tout le monde peut y

arriver s’il le veut vraiment. »133

On retrouve ici les critères énoncés précédemment qui expliquent l’émergence du

mythe. Face à la difficulté scolaire, le sport peut apporter une meilleure réponse, par un autre

moyen sans doute plus plaisant. Les aînés sont là encore pris en modèle et justifient la

croyance : c’est parce qu’eux ont réussi ou semblent avoir réussi qu’Yven croit en ses

chances. C’est d’ailleurs de cette façon qu’il justifie son projet : tout est possible, « si [on] le

veut vraiment 134

». Il n’y aurait dès lors qu’une question de volonté dans la réussite. D’autres

y sont arrivés, c’est donc que c’est possible. Marius confirme cela, en disant que :

- «Enfin quand tu vois genre Zidane, il est parti de rien. Et aujourd’hui il est

vraiment riche. Ça c’est grâce au sport. Ça montre que c’est possible. Et puis eux ils sont

super riches et ils ont pas fait d’étude. Donc y a pas que les études qui permettent de s’en

sortir. Des fois on veut nous faire croire ça. Mais le sport aussi ça permet. »135

Le sport serait donc un formidable promoteur social, et même plus, un moyen de

devenir « riche ». Surtout, le sport est décrit ici comme un moyen parallèle pour réussir, ce qui

est permis par la construction du mythe que nous nous sommes attachés à définir. On sent

bien dans le propos de Marius que faire du sport permet d’éviter de faire des études

supérieures, qui sont, comme il le rappelle, souvent considérées comme le moyen légitime

d’avancer vers la réussite sociale. Il pense qu’on « veut nous faire croire ça », et que cette

croyance n’est pas fondée. Mais il remplace inconsciemment cette croyance par une autre,

celle qui veut que le sport soit un vecteur réel de progression sociale.

Parmi les dix joueurs interrogés, on distingue trois types de rapport à l’école, qui

peuvent être classés afin de définir une typologie simple. On appellera le premier groupe celui

des « pragmatiques ». Constitué de tous les joueurs « moyens » sauf un, on trouve dans ce

groupe un rapport à l’école réfléchi. Conscients de leur incapacité à devenir professionnel

dans le sport ayant un niveau scolaire satisfaisant, ils réalisent un calcul coût/avantage qui les

pousse à faire des études supérieures une priorité. Ils sont dès lors attachés à leur réussite au

lycée et à l’obtention du baccalauréat en particulier car ils savent que c’est pour eux le seul

133

Ibid. 134

Ibid. 135

Entretien avec Marius, op.cit., minute 27, p.9

Page 52: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

51

moyen d’accéder à une école du supérieur ou à l’université. Ils développent des projets en

rapport avec leurs préférences scolaires et ne font donc pas de l’école un « ennemi » à éviter

mais sont conscients qu’ils doivent s’en servir s’ils veulent trouver une situation confortable

et un « métier qui [les] fera vivre »136

. Le sport de haut niveau ne faisait donc partie de leur

vie que pendant un temps, qui s’arrête après le centre de formation pour laisser place à une

scolarité dans le supérieur. Tous les « pragmatiques » viennent d’un milieu social aisé ou

moyen-haut.

Le deuxième groupe est-celui des « passionnés ». Il est constitué des trois joueurs qui

ont « le plus de chances de réussir »137

. Ceux-ci ont à la fois la capacité à devenir des

professionnels du sport et le niveau a priori requis pour obtenir sans grande difficulté un

baccalauréat et poursuivre dans le supérieur. Cette position leur rend le calcul coût/avantage

pour chaque choix possible difficile mais tous tendent à faire du basket leur priorité. Ils

expliquent ce choix par le fait que le sport est leur « passion », et qu’en vivre est un idéal. Le

milieu scolaire est néanmoins largement considéré et n’est pas encore laissé pour compte car

ils pensent que les blessures peuvent arrêter leur carrière : il leur faut donc au moins le

baccalauréat pour pouvoir reprendre des études plus tard en cas de besoin. Le rapport à l’école

n’est donc pas négatif mais la préférence pour le sport explique la volonté de faire passer le

basket avant la scolarité dans le futur. On note que ces joueurs viennent d’un milieu plus aisé

que les autres joueurs.

Enfin, la troisième catégorie est-celle des « romanesques ». Elle est constituée des

deux adolescents qui ont été renvoyés du centre de formation ainsi que de Chris, le joueur

« moyen » en légère difficulté scolaire. Ces trois garçons considèrent le lycée et les études en

général comme une obligation ennuyeuse qu’ils sont obligés de suivre. Le discours récurrent

sur l’importance des études au sein du centre de formation138

leur fait dire que, effectivement,

« les études [peuvent] aider dans la vie »139

, mais ils n’en font pas pour autant une priorité.

Ces joueurs n’effectuent pas le même calcul coût/avantage que leurs coéquipiers, en fonction

de leur capacité, mais voient le basket comme un moyen d’éviter les études et d’arriver encore

136

Entretien avec François, op.cit., minute 11, p.3 137

Entretien avec M. Fauchelevent, minute 29, p.10 138

Dès l’arrivée au centre de formation, l’accent est mis sur la place des études. M. Madeleine explique

d’ailleurs : « On ne leur laisse pas le choix. Et même pire, on les emmerde tout le temps avec les cours, on leur

rabâche que c’est important, qu’ils doivent avoir leur bac. C’est la priorité du centre de formation. » (Entretien

avec M. Madeleine, op.cit., minute 12, p.3 ) 139

Entretien avec Chris, op.cit., minute 15, p.5

Page 53: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

52

plus haut dans l’échelle sociale. Pour ces trois adolescents, le futur est rêvé et leur choix est

fait en fonction de ce rêve, non pas en raison d’une réflexion objective sur leur potentiel.

Comme nous l’avons expliqué, leur milieu social d’origine, plus « faible » économiquement

et culturellement que le reste de l’équipe ainsi que leurs difficultés au lycée expliquent cette

préférence. Le sport est pour eux un espoir. C’est dans cette catégorie que l’idée d’ascension

sociale par le sport est la plus présente, la plus espérée, tout du moins dans le rapport que cela

engendre avec l’école. On repère aussi cela dans les nombreuses références que ces trois

joueurs font à des joueurs NBA. Ils sont très souvent cités en modèle de réussite. Chris a par

exemple parlé très longuement de Kobe Bryant, plein d’admiration. Ces joueurs

personnalisent leur rêve et, comme l’explique Yven, cette position « fait envie »140

. D’ailleurs

toutes les « stars » citées n’ont pas eu de parcours universitaire et ont fait fortune grâce à leur

talent sportif. Cela contribue à renforcer l’idée qu’il est possible de très bien réussir sans

l’école.

Avec cette typologie, on comprend que le rapport à la scolarité change selon deux

critères principaux : la chance objective de réussite dans le basket professionnel et le milieu

social d’origine. Cependant, si ces deux données sont importantes, elles ne sont pas

suffisantes pour expliquer la différence de perception du sport comme « ascenseur » social.

C’est alors la famille qui joue un rôle clé dans la façon d’évoluer et de réussir des joueurs.

Section 3 : L’importance du milieu familial

Tous les interviewés étant mineurs et non émancipés, ils dépendent encore de leur

famille. L'une des définitions les plus courantes de la famille, empreinte du sens de la famille

nucléaire, c'est qu'il s'agit d'un groupe social caractérisé par la résidence commune et la

coopération d'adultes des deux sexes et des enfants qu'ils ont engendrés ou adoptés : c’est « la

cohabitation et la coopération socialement reconnues d'un couple avec ses enfants »141

. Il

nous paraît évident qu'une telle définition de la famille ne permet pas de rendre compte

efficacement de plusieurs aspects, dimensions et variables que recouvre ce concept mais elle

montre le lien universel qu’il y a entre des parents et leur enfant. Les parents sont

140

Entretient avec Yven, op. cit., minute 4, p. 2 141

J. Kellerhals, PY. Trouto et E Lazega, Microsociologie de la famille, Paris, Presses Universitaires de France,

Collection "Que sais-je?", 1984

Page 54: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

53

responsables de l’éducation et des fautes commises par leur enfant jusqu’à dix-huit

ans142

, sauf cas exceptionnels.

Dans le cadre du centre de formation, bien que les joueurs vivent tous dans un centre

pour jeunes, ils restent sous la responsabilité de leurs parents. Ceux-ci ont donc leur mot à

dire sur le parcours de leurs enfants, sur leur choix pour l’avenir, mais ont en outre, par leur

éducation, façonné la personnalité des joueurs et, en conséquence, leur représentation du

basket ou du monde professionnel. Comme l’explique Olivier Galland, « Les parents

assument un rôle d'amortisseur des difficultés des jeunes et de soutien financier, moral,

social. Parents et enfants partagent grosso modo les mêmes valeurs. »143

L’écoute des

entretiens confirme ce propos mais montre aussi que l’accompagnement et le soutien familial

sont nécessaires pour percer dans le sport.

A/ L’accompagnement et le soutien familial

Tout d’abord, on observe que tous les joueurs sauf un ont un membre de la famille

qui a joué ou joue au basket. C’est d’ailleurs la principale motivation des adolescents dans le

choix de ce sport. A la question : « Pourquoi as-tu choisi de faire du basket ? », neuf joueurs

ont parlé de leur famille. Luc a ainsi répondu qu’il souhaitait faire comme sa sœur, ancienne

membre de l’équipe de France junior et aujourd’hui dans une équipe professionnelle, Nicolas

explique que c’est son « père qui [lui] a donné envie quand [il] allait le voir »144

, tandis que

Ronny développe :

« Mon père faisait du basket, ma mère faisait du basket, mon frère faisait du basket.

Donc j’allais tout le temps les voir et puis ça me plaisait. Du coup avec eux j’avais tout le

temps un ballon à la main. Enfin logique, quand t’es p’tit tu te poses pas de question. Tout le

monde fait du basket donc tu fais du basket aussi. »145

142

La responsabilité des parents du fait de leur enfant est un type de responsabilité du fait d'autrui. Il s'agit de la

situation dans laquelle un enfant cause un dommage et engage dès lors la responsabilité délictuelle de ses

parents. Ce type de responsabilité est régi à l'article 1384 du Code civil dont son 4e alinéa dispose que : « Le

père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé

par leurs enfants mineurs habitant avec eux. » 143

O. Galland, « Les parents assurent un rôle d’amortisseur », Libération, édition du 30 décembre 1997, p.19 144

Entretien avec Nicolas, op.cit., minute 2, p.2 145

Entretien avec Ronny, op.cit., minute 2, p.2

Page 55: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

54

Uniquement par son activité, la famille influence donc le joueur dans le choix-même

du sport. Cette raison ayant été évoquée par une très large majorité, on voit apparaître ici une

première répercussion familiale.

Les joueurs s’accordent aussi à dire que leur famille les a aidés dans leur parcours

sportif. Une question du guide d’entretien avait pour but de tester la place que les joueurs

donnent à leurs parents dans leur propre réussite sportive, réussite entendue au sens où ils ont

pu intégrer un centre de formation. Cette question a permis de mettre en avant la façon dont la

cellule familiale est nécessairement impliquée pour intégrer une structure formatrice. Cela se

repère tout d’abord à travers l’engagement de la famille. Comme le rappelle Tony,

- « Mes parents ils ont toujours été là, c’est eux qui m’ont permis de jouer au basket

déjà quand j’étais petit. Ensuite c’est eux qui ont fait tous les déplacements, qui m’ont permis

de changer de club pour que je progresse. Et puis qui m’ont inscrit au pôle146

aussi, alors que

je sais que ça coûte plus cher. Et puis après ils m’ont toujours accompagné faire les

sélections, en équipe de France. Ils ont fait énormément de déplacements pour moi et je dois

les remercier pour ça. Bien sûr j’ai énormément travailler donc c’est pas que eux, mais ça

reste quand même grâce à eux je pense. »147

Ce discours a été récurrent au cours des entretiens. Tous les joueurs sauf un ont tenu

ce type de propos, en insistant sur l’importance qu’avait tenu leur famille dans leur réussite

sportive. Cet accompagnement semble en effet nécessaire puisque, comme l’explique Tony

dans la citation précédente, la progression implique des déplacements : déplacements pour les

matchs, pour les entraînements, pour éventuellement changer de club. Il faut donc que

l’entourage ait une implication dans le parcours du joueur pour que celui-ci puisse se déplacer.

D’ailleurs, l’adolescent n’ayant pas mentionné ce rôle familial vient d’une ville et non d’un

village. Le réseau de transport y est beaucoup plus développé et permet, même jeune, de se

déplacer seul sans investissement particulier de la famille. L’itinéraire de Chris, qui

n’implique pas sa famille dans son parcours est de plus assez atypique :

146

Ndlr : le pôle espoir de la ligue du lyonnais, une structure fédérale à Lyon qui réunit les, a priori, dix

meilleurs joueurs de la région des années de minimes, soit les deux années qui précèdent l’entrée en centre de

formation. 147

Entretien avec Tony, op.cit., minute 25, p. 8

Page 56: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

55

« Je suis pas du tout d’ici. En fait je viens de la Réunion. […] Et quand je suis arrivé

en fait c’est mon médecin qui a dit à ma mère « Ah il est grand votre fils, il est super grand, et

tout, pourquoi vous l’inscrivez pas au basket ? » Et ma mère elle y connaissait rien mais c’est

le médecin qui a donné le nom de la JL du coup je suis venu voir et comme par hasard il

restait une place […] et après la JL m’a toujours gardé. […] Vu qu’ils m’ont logé et que

j’étais dans une famille à Bourg ben j’ai joué tout seul. Ma famille a rien changé à ça. Je les

vois même très peu maintenant. Ouais. C’est moi qui me suis entraîné c’est tout »148

Le parcours de Chris explique sa position vis-à-vis de l’importance de la famille dans

son parcours. Placé en famille d’accueil dès son arrivée en France, il n’y a jamais eu de lien

entre ses parents et le basket. Il a dû se « construire seul »149

et en est plutôt fier. C’est aussi

sans doute pour cette raison qu’il est le seul à penser qu’on peut réussir dans le sport sans ses

parents. Comme nous l’avions indiqué précédemment, Chris fait partie, dans la typologie que

nous avons établie, des « romanesques ». C’est d’ailleurs le seul, dans la catégorie des joueurs

« moyens », à être classé comme tel. Cela s’explique ici par la différence de parcours familial.

Si les deux autres joueurs « romanesques » viennent d’un milieu social plus modeste, ce qui

explique leur différence de choix ou d’imaginaire pour le futur, la raison est différente pour

Chris. Ayant été dans plusieurs familles d’accueil, son parcours est resté sans accroche fixe,

contrairement aux autres joueurs pour lesquels la famille est dévouée. On peut dès lors

comprendre que le sport est devenu un moyen de prouver qu’il peut réussir : le prouver aux

autres, mais surtout à lui-même. Il dit d’ailleurs à ce sujet :

« Je veux que mes parents soient fiers de moi. Je les vois très peu. J’ai vu ma mère il

y a deux mois la dernière fois et mon père je ne l’ai pas vu de l’année, depuis le début de

l’année. Je vais faire des tests dans un autre club parce que je pense qu’on m’aidera plus là-

bas. Ici on me considère pas comme un grand joueur. Si je vais là-bas je pense qu’on va plus

voir comme je joue. C’est eux qui m’ont téléphoné, ça fait déjà deux fois. »150

Chris, en disant cela, semblait tenter de se convaincre avant tout. Si son avenir ne

pouvait être radieux ici, il le serait forcément ailleurs. L’absence répétée de famille, de pilier

dans la réflexion joue un rôle majeur dans ce choix de trajectoire. Pour pallier ce manque, le

148

Entretien avec Chris, op.cit., minute 2, p.1 149

Entretien avec Chris, op.cit., minute 21, p. 7 150

Ibid.

Page 57: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

56

joueur a développé de façon exacerbée un imaginaire autour du sport. C’est d’ailleurs pour

cela qu’il a souvent cité quelques joueurs américains lors de l’entretien. Ces joueurs se sont

pour la plupart construits seuls, dans des quartiers défavorisés. Pour lui la faiblesse n’est pas

économique mais familiale. Il s’imagine donc dans la peau des plus grands joueurs, en

affirmant son désir de « faire comme eux. »151

Ces joueurs, extrêmement médiatisés,

deviennent des modèles de réussite, non seulement sportive mais aussi sociale. Ils sont la

preuve que ce parcours est possible.

La famille joue donc un rôle clé dans l’accès au haut niveau, en tant que nécessaires

accompagnateurs. Comme le rappelle Luc,

« Rien que pour venir ici, heureusement qu’il y avait mes parents. Enfin s’ils

n’avaient pas voulu m’emmener ou me payer les billets de train, je n’aurais jamais pu venir

faire les tests. Je viens d’Alsace, c’est pas à côté, donc ça coûte quand même cher on peut

dire de venir jusqu’à Bourg. Si tes parents ils font pas l’effort ou bien qu’ils s’en foutent tu

peux pas faire ça. Tu peux pas te faire repérer ou tenter au moins. »152

Le terme clé est donné par Luc, c’est-celui « d’effort » : si la famille ou l’entourage

proche ne consent pas à en faire, il paraît extrêmement compliqué que le joueur puisse

franchir l’étape des sélections. C’est un effort financier, puisqu’il faut payer la licence et les

tenues ou les déplacements, mais aussi un effort en termes de temps consacré à suivre

l’enfant, à le conduire, à l’aider ou à le motiver. Toutes les familles ne veulent ou ne peuvent

pas faire cet effort. En effet, la place consacrée à l’enfant diffère largement selon les milieux

et selon les personnalités. Ce qu’on constate chez les joueurs interrogés, Chris excepté, c’est

qu’ils sont extrêmement choyés et entourés par leurs parents. Ronny affirme ainsi que « [ses]

parents sont toujours venus à tous [ses] matchs, ils [l]’ont emmenés voir des matchs de pro

régulièrement »153

, François ajoute que « [ses parents] sont les premières personnes à

[l]’encourager et à venir [le] supporter »154

tandis que Marius n’hésite pas à observer que

« [son] père et [sa] mère ont toujours consacré beaucoup de temps à [son] basket »155

. Ce

151

Ibid. 152

Entretien avec Luc, op.cit. , minute 29, p.9 153

Entretien avec Ronny, op.cit. , minute 25, p.7 154

Entretien avec François, minute 24, p.7 155

Entretien avec Marius, minute 21, p.6

Page 58: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

57

type d’affirmation revient au moins une fois par entretien, ce qui montre l’importance que

joue la famille, au moins jusqu’à l’accès en centre de formation.

Ceci explique sans doute le public touché par ce centre. Comme nous l’avons déjà

évoqué, tous les joueurs viennent de classes sociales considérées comme moyennes ou aisées,

et aucun ne vient de milieu défavorisé. Pour les raisons évoquées précédemment, on pourrait

penser que ce recrutement est inhérent au fonctionnement de la sélection du club. C’est

d’ailleurs ce que dit M. Madeleine :

- « Aujourd’hui dans l’équipe qu’on a…. je dirai d’une classe euh… moyenne +,

d’une classe plutôt correcte tout en sachant que les dés sont pipés, c’est pas représentatif en

fait, c’est pas représentatif, le centre de formation est pas représentatif je pense de comme on

disait tout à l’heure de la mixité sociale pour la bonne et simple raison que venir au centre de

formation de Bourg, pour certaines personnes, ça coûte de l’argent donc à partir de ce

moment-là si les gens peuvent déjà pas financièrement subvenir à ça, forcément ils seront pas

au centre de formation chez nous donc… »156

D’autres centres de formation ont donc été contactés par téléphone, seize au total,

afin de savoir quel type de joueurs sont principalement recrutés. Par « type de joueurs », on

raisonne en termes de milieu social d’origine. De façon flagrante, il apparaît que le public est

quasiment le même dans tous les centres de formation. Si ce n’est deux structures parisiennes,

tous les autres centres accueillent principalement des joueurs venant de milieux sociaux

moyen-haut ou moyen-bas, avec toujours au moins deux joueurs venant de milieux aisés mais

aucun de milieux très défavorisés. Seules les deux structures de Paris disent recruter des

joueurs en grande difficulté financière. Si aucun des centres n’a souhaité donner des

statistiques précises, tous ont répondu avec méfiance aux questions mais en assurant que les

joueurs, sans être richissimes, n’avaient pas de mauvaises conditions de vie. L’accès aux

structures formatrices n’est donc pas ouvert à tous. Comme le rappelle M. Fauchelevent,

- « Le type de sélection fait aujourd’hui qu’on vise un type particulier de joueur.

Surtout des joueurs athlétiques. Donc on va a priori chercher dans les milieux sociaux plutôt

bas. Mais il faut de l’accompagnement, donc au final, ce ne sont pas dans ces milieux qu’on

trouve les joueurs principalement mais dans les classes moyennes. Attention je ne fais pas du

156

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 21, p.6

Page 59: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

58

tout de racisme, mais aujourd’hui on ne cherche pas de joueurs très intelligents. Donc on va

moins chercher dans les classes sociales hautes, puisque ce qui est privilégié c’est l’aspect

physique des joueurs. Et on trouve surtout ça dans les classes moyennes ou basses. C’est pour

ça qu’aujourd’hui on a surtout des joueurs venant de classes moyennes. Quand on changera

le type de joueur cherché, on changera ça avec. Et ça va arriver je pense, c’est nécessaire. Il

faut de l’intelligence. »157

Dans ce cadre-là, avant même d’influer sur la façon d’interpréter le mythe de

l’ascension sociale par le sport, l’entourage familial proche rend possible ou non cette

hypothétique ascension sociale, en accompagnant le joueur sur les terrains et aux journées de

détection obligatoires. Mais plus encore, le milieu social d’origine est un facteur déterminant

dans l’accès aux centres de formations, en raison des critères de sélection. M. Madeleine

ajoute d’ailleurs :

- « Je pense qu’on se rapproche quand même partout d’une classe moyenne malgré

tout parce que si c’est pas le centre de formation qui coûte de l’argent ça va être autre chose

le gamin il vient de loin bah ça va être des trajets, ça va être plein de trucs qui font, c’est un

état d’esprit. »158

François donne d’ailleurs un exemple pour illustrer ces propos :

- « Je pense pas qu’il y ai de joueurs très défavorisés, je pense pas non plus...Ben moi

j’ai l’exemple en fait de quand je jouais à Meyzieu, y avait un garçon qui avait vraiment du

talent, il venait d’un milieu défavorisé, il avait des problèmes de comportement, des choses

comme ça et je pense que pour rentrer en centre de formation, ça doit être rare quand même,

parce qu’il faut faire des efforts, des choses comme ça. Donc ça doit pas être possible»159

La famille, origine sociale du joueur, détermine en partie un mode de fonctionnement,

un attrait pour certaines valeurs et un comportement, qui changent en fonction du rang dans la

157

Entretien avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 17, p.5 158

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 22, p.6 159

Entretien avec François, op.cit., minute 13, p.4

Page 60: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

59

hiérarchie sociale. C’est-cet habitus160

qu’il nous faut à présent appréhender, en tant que

déterminant dans l’hypothétique accès au sport professionnel.

B/ « Garder la tête froide »161

Encore plus que dans l’accompagnement des joueurs, qui semble tout de même

primordial pour intégrer un jour un centre de formation, les parents jouent un rôle clé dans la

réussite professionnelle de leur enfant. De par l’éducation qu’ils transmettent et la manière

d’envisager le sport, particulièrement professionnel, les parents déterminent d’une certaine

façon la trajectoire empruntée par le joueur. Bien entendu, celle-ci n’est jamais entièrement

contrôlée, puisque le particularisme de chaque personnalité laisse une réflexion individuelle

autour de chaque décision ; mais il apparaît que les parents de joueurs, selon leur

comportement et leur mode d’éducation, influent considérablement sur la manière dont leurs

enfants regardent l’avenir. M. Madeleine, l’entraîneur du centre de formation insiste

particulièrement sur ce point, et affirme d’ailleurs, en réponse à la question « quelle place ont

les parents et l’entourage proche dans la réussite sportive de leur enfant ? » :

- « Une place immense. Ils ont un très très grand rôle. Pour moi c’est-ce qui fait

toute la différence entre des joueurs qui ont à la base, a priori, le même niveau. Parce que si

les parents mettent une trop grande pression, s’ils parlent tout le temps de professionnalisme,

de résultat, d’argent et tout ça, le gamin il explose au bout d’un moment. Y a des parents, ils

voient leur gamin en centre de formation ils pensent que ça y est c’est bon, ils sont pros et

riches. C’est pas le cas du tout, on essaye de leur expliquer. Mais y en a qui vivent leur rêve

par procuration avec leurs enfants. Enfin quand t’entends ce que te disent les parents et la

passion qu’ils mettent à chaque match c’est fou. Vraiment c’est fou. Donc forcément, le gamin

qui a toujours entendu parler de sa réussite, qui voit tout le monde derrière lui, il choppe un

boulard énorme. Et même s’il était très fort, parce que très technique ou très athlétique, en

étant jeune, quand il arrive à ce niveau il se casse la gueule. Et même des joueurs qui

160

Nous entendons ici l’habitus dans le sens donné par Pierre Bourdieu. L’habitus est pour lui le fait de se

socialiser dans un peuple traditionnel, définition qu’il résume comme un « système de dispositions réglées » (P.

Bourdieu, La distinction, op.cit., p. 29). Il permet à un individu de se mouvoir dans le monde social et de

l’interpréter d’une manière qui d’une part lui est propre, qui d’autre part est commune aux membres des

catégories sociales auxquelles il appartient. 161

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 38, p. 10

Page 61: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

60

intègrent l’INSEP162

ou qui sont en équipe de France jeune ça leur arrive. Parce que la

réussite, à moins d’être un champion hors norme, ce qui arrive des fois, c’est avant tout de

l’humilité. Et l’humilité c’est tes parents qui te l’apprennent, dans leur façon d’éduquer. Alors

bien sûr à l’inverse, les parents qui s’en foutent et qui ne poussent pas leur gamin, ou bien qui

ne voient jamais rien et qui suivent ça de loin parce que comme ça il est plus chez eux, c’est

pas mieux. Puisqu’à un moment il manque l’effort, l’aide qui permet d’aller tout au bout du

projet. Nous on essaye de l’apporter, bien sûr, mais on remplacera jamais le boulot des

parents. »163

Cette conviction que les parents, même dans le sport, changent l’avenir des joueurs,

est particulièrement marquée ici. On comprend avec cette citation que l’encadrement du jeune

est nécessaire pour atteindre le plus haut niveau, et que les seuls talents physiques ou

techniques ne suffisent plus pour franchir la dernière étape avant le monde professionnel. La

manière dont est éduqué et entouré un joueur serait donc un facteur déterminant dans la

réussite sportive. M. Madeleine ne s’arrête d’ailleurs pas là et poursuit sa démonstration à

l’aide d’un exemple :

- « Et tu vois pour Antoine Diot164

, dont je te parlais tout à l’heure. Et bien je suis,

mais alors persuadé que sa réussite il la doit énormément à ses parents. Son père c’est mon

collègue donc je le connais très bien et sa mère aussi. Du coup j’ai vu tout le travail qu’ils ont

fait avec lui. Ils lui ont toujours montré l’importance des études, que le sport ne suffisait pas

pour être bien dans sa tête. Ils ont toujours voulu qu’il garde quelque chose à côté pour

s’ouvrir, pour ne pas se fermer sur le sport. Les joueurs qui se ferment et qui oublient qu’il y

a autre chose à côté, une vie réelle, ils font rarement une grande carrière. En France en tout

cas. Les parents d’Antoine lui ont toujours appris ça. A prendre étape par étape, à pas se

brûler les ailes. A voir d’abord le sport comme un jeu. A insister sur la possibilité de blessure

et donc que tout peut s’arrêter d’un coup. Et pas à réfléchir en termes d’argent qu’il pourrait

y avoir à la sortie. Tout le temps, tout le temps, tout le temps, ils ont fait en sorte qu’il garde

la tête froide. Et qu’il gagne peut être moins d’argent très vite, ça c’est sûr, mais que sa

carrière soit une grande carrière. Et le résultat c’est qu’il était en équipe de France à 20 ans,

162

Ndlr : Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance, le lieu de rassemblement des meilleurs

jeunes sportifs français. 163

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 39, p.11 164

Ndlr : un joueur professionnel français ay’ant intégré l’équipe de France très jeune, issu du centre de

formation de la JL Bourg Bakset

Page 62: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

61

à côté des meilleurs joueurs. Il a su garder la tête froide. Et c’est-ce qui manque à beaucoup

aujourd’hui. Parce que les parents ils voient les même choses que leurs enfants, donc ils

rêvent de la même chose. Et quand les rêves des enfants et des parents se confondent,

généralement, c’est pas bon du tout. Sportivement en tout cas. »165

Plus que la façon d’éduquer, on voit ici que c’est la façon dont les parents

considèrent le sport qui influe sur le comportement du joueur. Il apparaît aussi que les parents

doivent être assez humbles et avoir une vue sur le long terme pour que leurs enfants « gardent

la tête froide ». Comme l’exprime Christian Pocciello, citant Bourdieu, « les choix (et les

rejets) de sports sont d’abord et essentiellement soumis à la logique de l’habitus. Il suffit aux

agents de s’abandonner aux penchants de leur habitus pour reprendre à leur compte, sans

même le savoir, l’intention immanente aux pratiques correspondantes, de s’y retrouver eux-

mêmes tout entier, tout en y retrouvant aussi tous ceux qui s’y retrouvent, leurs pareils »166

.

Et c’est avant tout une habitude de classe que de penser en termes de futur éloigné plutôt

qu’en revenus immédiats. C’est un habitus propre à des catégories sociales moyennes, ayant

une culture de l’économie et de l’humilité. Selon les dires de M. Madeleine, il semble

nécessaire d’adopter une attitude réfléchie et méfiante face aux travers tentants du sport :

l’hypermédiatisation dont peuvent être victimes les jeunes joueurs, l’argent facile qui leur est

proposé par certains agents malveillants ou encore le surdosage de responsabilités qu’on leur

confie très tôt. Toutes ces tentations, comme l’explique à juste titre M. Madeleine,

peuvent « briser la carrière d’un joueur »167

. Il faut donc un recul important de la part des

parents pour alerter leur enfant sur ces travers à éviter. Mais prendre un temps de réflexion

avant une décision importante, surtout quand elle implique des revenus financiers élevés et

rapides, n’est pas aisé ou tout du moins n’est pas naturel pour bon nombre de familles.

Comme l’explique Bourdieu168

, le rôle de la socialisation primaire, c’est-à-dire pendant

l’enfance et l’adolescence, est très important dans la structuration de l’habitus. Par le biais de

cette acquisition commune de capital social, les individus de mêmes classes peuvent voir leurs

comportements, leurs goûts et leurs « styles de vie » se rapprocher jusqu’à créer un « habitus

de classe »169

. L’habitus est en ce sens la matrice des comportements individuels. Cette

165

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 39, p.11 166

C. Pociello, op.cit., p. 21 167

Entretient avec M. Madeline, op.cit., minute 33, p.9 168

P. Bourdieu, La Disinction : critique sociale du jugement, op.cit. 169

P. Bourdieu, Questions de sociologie, Minuit, Paris, 1981, p.75

Page 63: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

62

définition s’inscrit tout à fait dans l’étude des comportements sportifs, puisque l’habitus régit,

en partie, tous les domaines de la vie. Les joueurs, face à l’avenir et face au sport

professionnel, retranscrivent à leur façon ce qu’ils ont hérité de leur famille. L’éducation

qu’ils ont reçue influence largement leur rapport à l’argent, à la médiatisation ou à la

popularité. Or, ce que préconise M. Madeleine et qui a été rendu possible pour Antoine Diot

ne l’est pas pour tous. Le recul nécessaire qu’ont pu prendre ses parents pour l’avertir, le

protéger et l’aider à grandir progressivement vient en partie de l’habitus de classe qui les

imprègne. Rappelons qu’ils sont tous les deux professeurs en collège, c’est-à-dire dans une

classe moyenne assez haute et surtout très cultivée. Ces personnes ont donc des possibilités de

réflexion face au monde professionnel qui ne sont pas données à tous. Cet habitus de classe ne

trouve pas forcément de reflets dans les autres classes. Certains joueurs, comme le dit M.

Madeleine, se sont « brûlés les ailes » en voulant signer trop tôt dans des clubs ou en pensant

que leur carrière était toute tracée alors qu’elle était à peine entamée. L’humilité qui, pour cet

entraîneur, semble primordiale, n’est pas un habitus dans toutes les classes sociales, au

contraire. Dès lors, quand un joueur atteint les portes du haut niveau, particulièrement en

centre de formation, il peut naturellement être tenté par tout ce qui fait envie dans le sport et

qui lui semble à portée de main. C’est à ce moment-là que l’ascension sociale paraît possible

et c’est alors que l’entourage et l’éducation jouent un rôle majeur dans la réflexion.

On distingue deux catégories de joueurs au centre de formation : ceux qui sont très

entourés et cadrés dans leur réflexion par leurs parents et les autres. La première catégorie,

celle des « avertis » comporte tous les joueurs que nous avions classés comme

« pragmatiques » ainsi que les « passionnés ». Ces joueurs ont été largement accompagnés par

leur famille mais aussi contraints à avoir un œil averti et méfiant sur le professionnalisme et

ses travers, ce que montrent les entretiens. C’est ainsi que Tony explique :

- « Mes parents m’ont toujours dit de faire attention. Mon père me soutient beaucoup

et je sais qu’il a pas très bien vécu ma blessure. Mais en même temps il continue de

m’encourager et il m’a toujours dit que si j’arrivais pas à être pro c’était pas grave. Chaque

fois que j’ai changé de club ou que j’ai fait des tests il m’a accompagné et il a choisi avec moi

aussi. Ils veulent le meilleur c’est sûr, mais ils font gaffe à ce que je fais, pour pas que je

prenne trop la grosse tête. Ils m’ont toujours fait que…Enfin en sorte que je me méfie de ce

Page 64: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

63

que j’allais faire [il rigole]. Tu vois ? Enfin genre là quand j’ai signé mon contrat pro ils

étaient là évidemment et ils ont posé plein de question pour que tout se passe bien. »170

Ce propos montre l’attention que les parents peuvent avoir au sujet du parcours des

joueurs. L’exemple de Tony est particulier puisqu’il est le seul à avoir un contrat professionnel

le liant au club, mais ce type de propos est récurent dans ce groupe. Luc dit en ce sens que ses

parents « ont toujours été là quand il [a] changé de club et [qu’il] choisissait avec eux avant

chaque grande décision »171

, Ronny rajoute que son père « ne voulait pas [qu’il] fasse de

bêtises. Même si [il] savait [qu’il] n’allait pas être pro, il faisait bien attention à ce [qu’il] ne

voit pas d’autres coachs, [qu’il] soit contacté sans être au courant et il répète tout le temps

que le plus important c’est les études. »172

et Nicolas dit que ses parents « lui ont toujours dit

de rester pas prétentieux, enfin humble un peu, quoi [qu’il] fasse. Ils voulaient pas [qu’il]

choppe la grosse tête »173

. Toutes ces précautions prisent par les parents expliquent l’attitude

pragmatique de leurs enfants. Que ce soit en choisissant une poursuite d’étude ou de

persévérer dans le basket, les joueurs savent pourquoi ils ont fait ce choix et gardent,

semblent-ils, beaucoup de lucidité et d’humilité. C’est particulièrement le cas chez les trois

joueurs « passionnés » qui ont plutôt tendance à dévaloriser leur réussite, plutôt qu’à mettre

en avant leur performance. Cela, pour des jeunes de seize ou dix-sept ans, est surprenant tant

les réponses aux questions qui touchaient à leur niveau de basket semblaient les gêner. Ils ne

cachent pas leur ambition mais l’exprime avec beaucoup de réserve. On voit en fond le travail

des parents et du staff du centre de formation qui insistent pour que les joueurs « prennent le

temps de réussir »174

. Les joueurs insistent dans ce cas sur le présent, sur leurs performances

actuelles plutôt que sur celles à venir. Le mythe d’ascension sociale reste donc assez éloigné :

il y a une chance à saisir pour certains joueurs mais ils préfèrent ne pas en parler et attendre de

voir ce qu’il en sera réellement.

Cette attitude diffère avec celle des membres du second groupe, que nous appellerons

les « rêveurs ». Ce groupe est en fait uniquement composé des joueurs ayant été classés

auparavant comme « romanesques ». Les adolescents ont ici un rapport tout autre avec leur

famille et donc avec l’avenir. L’attitude est ici liée à celle que nous avons déjà décrite au sujet

170

Entretien avec Tony, op.cit., minute 24, p.7 171

Entretien avec Luc, op.cit., minute 19, p.6 172

Entretien avec Ronny, op.cit., minute 21, p.7 173

Entretient avec Nicolas, minute 17, p.5 174

Entretien avec M. Fauchelevent, minute 13, p.4

Page 65: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

64

des « romanesques », mais quelques observations sont à rajouter. Comme M. Fauchelevent l’a

exprimé en aparté des entretiens :

- « […] et d’ailleurs la maman de Marius m’a dit ça après qu’on l’ai renvoyé :

« Vous comprenez mon fils il est dans un rêve, vous pouvez pas lui enlever ça il y croit

tellement. En rentrant là il avait tellement d’espoir, faut le laisser continuer etc. » La mère

elle sait que le gamin est dans un rêve mais ça la perturbe pas plus. Faudrait lui montrer la

réalité un jour. Il est pas dedans la Marius, et si on le laissait continuer il fonçait dans un

mur. »175

Le rapport des parents avec le joueur est ici tout autre. Plutôt que de mettre en garde

contre les dangers du monde sportif, la mère trouve tout à fait normal qu’on laisse rêver son

fils de dix-sept ans. Elle-même, d’après ce que rapporte M. Fauchelevent, semble entretenir ce

rêve, sans prendre garde à ce qu’il en est réellement. Il est donc logique que le joueur soit

dans cette optique là pour l’avenir : étant donné que son rêve à l’air réalisable et que sa

famille ne l’avertit pas sur la réalité qui diffère de ce rêve, il ne peut se remettre véritablement

en question. Comme le dit M. Madeleine, le staff ne peut jouer le rôle des parents et les

conseils à propos de l’avenir ne peuvent pas avoir le même poids. C’est le même

comportement que l’on observe chez Marius. Ce dernier affirme avec insistance que son

cousin lui a dit qu’il avait un « très gros potentiel »176

. Il poursuit en disant :

- « Je ne suis pas sûr d’y arriver, la sélection est dure, mais il me fait confiance et

mon oncle qui est dans le basket aussi. Ils m’ont dit que je pouvais être très fort alors je pense

que ça peut le faire »177

.

Là encore, la famille ne joue pas un rôle de prévention mais plutôt d’encouragement

dans l’espoir d’un avenir radieux. Pour Chris, n’ayant pas de contact régulier avec sa famille,

le cas est encore différent : il se débrouille seul, avec l’aide du staff. Mais s’en étant sorti

relativement bien jusque-là, il ne voit pas de raison pour que cela change et croit donc dur

comme fer à son avenir. Il explique d’ailleurs que « pour des jeunes qui ont sacrifié trois ans

de leur vie en sorte de formation, c’est une récompense normale d’être pro à la fin. Tout le

175

Phrase notée après une discussion informelle suivant l’entretien « officiel » 176

Entretien avec Marius, op.cit., minute 3, p.1 177

Ibid., minute 14, p.4

Page 66: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

65

monde peut pas l’être, mais c’est quand même une bonne récompense »178

. Il n’exclue donc

pas du tout l’idée de faire partie de ceux qui réussiront et voit même là-dedans une rétribution

des plus logiques. Dans les trois cas, la famille ne permet pas aux joueurs de rester humbles

ou méfiants face à l’avenir mais, au contraire, les pousse dans cette voie.

On note aussi que les « rêveurs » sont ceux, excepté Luc, qui viennent des villes les

plus éloignées de Bourg-en-Bresse. La présence de leur parent est donc beaucoup moins

régulière et le choix de partir loin de chez soi peut montrer la volonté affirmée de réussir,

« coûte que coûte ». L’éloignement est d’ailleurs une façon de marquer le départ vers un autre

monde, à la fois géographique et symbolique et l’idée que partir peut améliorer les conditions

de vie n’est pas nouvelle. C’est d’ailleurs ce que montre la volonté affichée de partir encore

d’Yven :

- « Je compte m'orienter aux les Etats-Unis, pour faire un an là-bas pour une

expérience professionnelle autant pour voir le basket et un peu pour voir une high school là

bas parce que j'ai la possibilité de reprendre un an en high school là-bas vu que j'suis né en

fin d'année. Ensuite pour voir si je peux intégrer un college là-bas ce serait intéressant. Le

basket c’est autre chose là-bas. Faut voir ce que ça peut donner. »179

Yven pense ne pas pouvoir être professionnel en France, mais il veut aller aux Etats-Unis. Ce

nouveau départ est pour lui l’opportunité de repousser l’échec dans le milieu du basket. Il

parlait de façon émerveillée du basket aux Etats-Unis lors de l’entretien et on pouvait

remarquer toute l’attente qu’il avait de cet hypothétique voyage. Son insuccès en France est

avoué mais n’a pas atteint l’espoir de réussir dans le sport. Le fait de partir est donc, là encore,

un moyen d’échapper à l’échec présent, avec l’idée qu’ailleurs, ce sera plus simple.

Les autres joueurs viennent tous de la région et voient donc leurs parents au moins

toutes les deux semaines d’après ce qu’ils disent. Si Luc vient aussi de plus loin, le parcours

de sa sœur au plus haut niveau peut expliquer l’attention que portent ses parents à le mettre en

garde contre l’insécurité d’un parcours dans la sphère sportive professionnelle. Ceci

expliquerait la différence de personnalité et d’ambition pour l’avenir. En effet, les « rêveurs »

sont persuadés qu’ils réussiront à vivre du basket-ball. Ils voient dans cette trajectoire une

178

Entretient avec Chris, op.cit., minute 16, p.5 179

Entretien avec Yven, op.cit., minute 13, p.4

Page 67: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

66

vraie possibilité d’ascension sociale, ou tout du moins de richesse et de reconnaissance,

thèmes sur lesquels nous reviendrons plus loin.

La façon dont les joueurs sont éduqués est par conséquent un facteur déterminant

dans la façon d’appréhender l’avenir et donc le mythe de l’ascension sociale. Le milieu social

d’origine, par les habitus qui y transitent, définit une manière d’envisager le sport

professionnel : si ce milieu fait rêver certains parents, il est craint par d’autres. La différence

dans la socialisation primaire explique principalement cette opposition qui est retrouvée chez

les joueurs. En fonction de l’origine sociale, l’humilité nécessaire pour réussir au plus haut

niveau, au basket-ball en tout cas, n’est pas intégrée de la même façon par tous les parents et

est donc réceptionnée très différemment selon les joueurs. Cependant, tous s’accordent à dire

que l’émergence dans le sport professionnel est très difficile et qu’elle ne peut s’envisager

qu’au prix de nombreux efforts, ce qu’il va nous importer de comprendre à présent.

Page 68: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

67

Partie II : La réalisation de soi, ou le désenchantement

du mythe

Comme nous l’avons compris jusqu’ici, le mythe est porté par la croyance en un

avenir radieux que pourrait procurer le sport. Les joueurs, suivant leur origine sociale et leur

parcours scolaire, ne l’interprètent pas de la même façon et n’y attachent pas, en conséquence,

la même importance. Même si certains joueurs rêvent d’un futur rayonnant, et ce par le biais

du sport, tous sont au quotidien dans une réalité bien définie où travail, talent et respect sont

les maîtres mots.

Section 1 : L’incompatibilité entre le rêve et la vie de sportif

Nous avons montré précédemment que certains joueurs rêvent leur parcours et leur

hypothétique carrière à venir. Le paradoxe que l’on observe est que ce rêve est

systématiquement joint à un très grand pragmatisme face à la nécessité du travail et le besoin

de talent. Les joueurs sont en fait dans une double position qui à la fois leur permet

d’imaginer un avenir radieux et de se projeter dedans mais qui leur montre en permanence le

besoin de se surpasser et de repousser leurs limites pour atteindre le niveau professionnel.

C’est sans aucun doute leur posture qui crée cette dichotomie : ce sont des adolescents, à mi-

chemin entre l’enfance et le monde professionnel. Ils ne sont donc ni éloignés de leur rêve ni

complètement marqués par le professionnalisme. Un fait a cependant été mis en exergue par

la totalité des entretiens : pour réussir, il faut fournir un travail énorme.

A/ La nécessité du travail et le surpassement des limites

Le centre de formation est avant tout un lieu de travail. Comme l’explique M.

Madeleine, la vie des joueurs « se partage entre le basket et les études pendant trois ans. Ils

ont peu de temps libre, et on exige qu’ils fassent les deux à fond »180

. Les joueurs en sont

parfaitement conscients et voient là-dedans la clé de la réussite pour atteindre le monde

professionnel. Citons immédiatement Steed quand il dit :

180

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 14, p.4

Page 69: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

68

- « Oui je pense que le centre peut nous faire devenir pro, mais le but c’est d’au

moins faire de nous les meilleurs joueurs qu’on puisse être, de développer au maximum nos

capacités. Tant que tu travailles dur c’est bon. Mais les coachs nous lâchent pas, ils veulent

tout le temps qu’on travaille beaucoup, qu’on donne tout ce qu’on a à chaque match, à

chaque entraînement. C’est des années très dures physiquement et mentalement. »181

Le travail s’effectue ici dans le but d’atteindre individuellement et collectivement le

meilleur niveau. Tous les joueurs affirment cela dans les entretiens et on comprend que la

place consacrée à l’effort est extrêmement importante. Cet effort n’est d’ailleurs pas toujours

facile à faire. Chris rappelle à ce titre :

- « Moi j’ai dans l’idée que quand un jeune a sacrifié trois années de sa vie pour être

en centre de formation, la meilleure récompense ce serait peut-être qu’il finisse pro quoi.

Ouais parce que...euh, on a quand même, enfin je vais pas dire gâché parce que c’est pas le

cas, mais on a quand même donné trois années de notre vie à bosser à fond, à bosser, à se

réveiller le matin pour aller à l’entraînement et tout, mais je crois que la récompense ce

serait qu’on finisse pro plus tard. Mais moi j’y crois ! […] Et donc euh...ouais c’est une petite

déception que de, qu’un joueur qui a sa...qui a donné trois années de sa vie, travaille à fond,

qui a bossé sans relâche, peut pas finir pro quoi. Parce qu’on est là pour ça, enfin tout notre

but c’est quand on nous dit « ouais tu vas être en centre de formation », notre but c’est de

bosser et pour finir pro plus tard. »182

Chris insiste fortement sur le lien qu’il y a entre travail et professionnalisme. Il parle

d’ailleurs de « sacrifice », ce qui montre comme le corps et l’esprit sont marqués par

l’expérience. Mais ce sacrifice est la première étape d’un « sacre », puisque l’effort laisse une

trace tangible qui est ensuite glorifiée. La façon dont les joueurs se donnent n’est pas un acte

gratuit : comme l’affirme Chris, le sacrifice doit entraîner quelque chose ensuite, ce qui est

d’ailleurs le sens d’un tel acte. Ce quelque chose, c’est la reconnaissance, c’est la popularité.

Les joueurs, et c’est pourquoi ils sont déjà dans une filière professionnelle183

, n’ont pas dans

l’idée que leur but peut être atteint uniquement par le talent ou par la chance. Ils sont

conscients que c’est leur capacité à progresser et à donner de leur énergie qui va les tirer

181

Entretien avec Steed, minute 18, p.6 182

Entretien avec Chris, minute 14, p.4-5 183

Rappelons que les joueurs du centre de formation sont intégrés au club professionnel et non au club amateur

de la JL Bourg Basket. Ils ne sont certes pas encore professionnels mais sont dans une structure qui elle, l’est.

Page 70: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

69

ensuite vers le haut. L’entrée dans la sphère professionnelle serait d’ailleurs à ce titre une

juste récompense, pour reprendre le terme choisi par Chris. Nicolas voit aussi les choses ainsi

mais, plus encore, fait le lien entre sa réussite à venir et l’effort qu’il fournit actuellement. En

réponse à la question « penses-tu être professionnel un jour », il indique :

- « Je ne sais pas encore, je ne peux pas dire. Il me reste encore un an au centre de

formation et je vais tout donner, je vais repousser encore mes limites. Si je travaille bien et

que je continue de donner tout ce que j’ai, je pense que je peux y arriver. Et puis ça dépendra

aussi si je suis pris en Equipe de France ou pas. Enfin si j’y vais…ce s’ra quand même plus

simple pour être pro après. Mais même, ‘fin c’est pareil. Si je veux être pris il faut que je

bosse à fond et que j’me surpasse trop pendant le stage, de… euh, de la sélection quoi. »184

On voit apparaître un lien indissociable entre dépassement de soi, effort et réussite.

Ce dépassement de soi, évoqué ici par Nicolas, est d’ailleurs un thème clé dans l’imaginaire

du sport. Isabelle Queval l’a largement traité et son essai S’accomplir ou se dépasser185

nous

est particulièrement utile pour comprendre l’origine et la portée de cet imaginaire. La dernière

partie du livre, « Le dépassement de soi, figure du sport contemporain », nous intéresse

particulièrement dans le cadre de cette recherche. L'essayiste rappelle que le sport s'inscrit

dans des schèmes sociétaux, celui de la nécessité de réussir, l'impératif d'acquérir une

visibilité sociale et d'être en quête d'une excellence qui se veut protéiforme. La dualité entre

éducation physique et sport est visitée à travers diverses occurrences et thématiques :

bien/mieux, équilibre/déséquilibre, mesure/excès, désintéressement/avidité,

épanouissement/perfectionnement, pédagogie/compétition ou encore aspect ludique/empire du

chiffre et des palmarès. Cette dualité se retrouve au sein de l'Éducation nationale entre

l'éducation physique et l'association sportive hors temps scolaire. Le dépassement de soi

s'avère contagieux et incontournable et comme Queval l’explique, il est inhérent à toute quête

de l'excellence. En effet, peut-on « faire bien sans faire mieux »186

? C'est le sport de haut

niveau, icône du dépassement de soi, qui est réellement représentatif d'un processus qui,

depuis les Lumières, a amorcé le culte du progrès dans la culture occidentale. Distinct du

sport de masse, il agit néanmoins comme miroir dans des processus d'identification populaire.

184

Entretien avec Nicolas, minute 16, p.5 185

I. Queval, S’accomplir ou se dépasser. Essai sur le sport, Gallimard « Bibliothèque des sciences humaines», 2004 186

Ibid., p. 17

Page 71: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

70

Il fonctionne selon les lois du marché, du spectacle. Il perdure dans sa logique de performance

au sein d'une société qui commence à remettre en cause les cadences de travail, le progrès, le

culte du « mieux ». Le champion est d’ailleurs défini parfois, comme le disait Jacques

Anquetil, par sa « capacité à souffrir »187

. Pour le champion, le dépassement de soi apparaît

comme un mode d'être, un chemin vers la transcendance, une volonté de dépasser des limites

qui semblent subjectives. Ayrton Senna, par exemple, résume assez bien les enjeux du

dépassement de soi, de l'amélioration de l'humain, de l'immortalité et de l'abstraction du

corps : « Le dépassement de soi prend tout son sens dans le cockpit d'une voiture de course.

Pour aller plus loin, plus près des limites de la machine et de l'homme, un pilote doit tout

donner : son cœur, son corps, sa tête ; je suis là, dans le présent, mais en même temps je suis

plus loin que moi-même, plus loin que la réalité, je suis dans le futur. »188

Isabelle Queval

traduit bien la valeur symbolique du sport, où la réussite sociale s'évalue en termes de

performance, « une ère de la démocratie de la réussite et du prestige méritocratique du

surpassement, une époque de l'évolution statistique chiffrée qui se conjugue à la force

fulgurante de l'image, du « look » »189

.

Alors, ce besoin de dépassement ou de surpassement est totalement intégré par les

joueurs du centre de formation. C’est même ce qui leur est demandé. Comme l’affirme M.

Fauchelevent :

- « On ne demandera jamais aux joueurs d’avoir une limite. Je pense pas qu’il y ai

de limites d’ailleurs. C’est nous qui les créons. Ou les joueurs qui se les créent. Nous on veut

qu’ils aillent le plus haut possible. Regarde, moi, je suis petit gros et pourtant j’ai été

professionnel. Si j’avais eu des limites j’aurais jamais réussi ça, je me serais arrêté avant.

C’est en se dépassant tout le temps, en donnant encore plus qu’on peut y arriver. Les gamins

sont là pour bosser. Si ils sont pas pros à la fin c’est pas grave, nous notre but c’est qu’ils

aillent le plus haut possible. C’est la capacité à se donner à l’entraînement tout le temps qui

fait la différence. »190

187

Cité par I. Queval, ibid., p. 307 188

Ibid., p. 286 189

Ibid, p. 343 190

Discussion avec M. Fauchelevent, après la fin de l’entretien et donc non retranscrite. Phrase tirée d’une prise

de note après la discussion

Page 72: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

71

Cette nécessité de toujours faire plus, de toujours faire mieux, est donc affichée et

serait, à l’exemple de M. Fauchelevent, le facteur déterminant dans la réussite. Ce discours est

largement passé auprès des joueurs qui, dans les entretiens, choisissent tout au moins une fois

un mot de la famille de « dépasser » ou « surpasser » et une expression synonyme de

« travailler avec acharnement ». Le travail montré comme vecteur de réussite induit une autre

idée, celle de la méritocratie : par son engagement, sa dévotion et sa capacité à faire toujours

mieux, chaque joueur serait maître de son destin et donc de sa réussite dans l’univers

professionnel.

Si les joueurs tiennent tant à se dépasser, c’est avant tout parce que le monde du sport

ne laisse pas de place à l’échec ou à la faiblesse. Le culte de la performance, développé de

façon sociétale mais dont le sport se fait le miroir grossissant, réclame des prouesses

« toujours plus hautes, toujours plus rapides, toujours plus fortes »191

. Alors, dans ce contexte,

il semble difficile de prendre le temps nécessaire pour soigner une blessure ou accepter

l’erreur. On remarque que les joueurs sont conscients de cette règle nouvelle du sport

professionnel et l’ont même pour la plupart déjà intégrée dans leur façon de faire, en se

dépassant sans cesse et en tentant de repousser les limites imposées par le corps ou par

l’esprit. C’est ainsi que Tony explique :

- « J’aurais dû m’arrêter plus tôt. Là je faisais tous les entraînements avec les pros,

plus ceux avec le centre de formation. Ça m’a cassé ! C’était obligé que je me blesse à force

de faire toujours plus, toujours plus… (regard songeur) Mais même les coachs auraient dû

m’arrêter, je sais pas pourquoi ils voulaient que je fasse tout ça. Enfin si, pour que je

progresse c’est sûr, mais c’était pas prudent. Et au final ça fait six mois que j’ai pas jouer.

Normal ça me fait chier, surtout que j’aurais pu l’éviter. Mais à force de vouloir trop faire tu

vois, ben tu te casses. Et maintenant je sais pas comment je vais revenir. Je sais pas quand je

pourrai reprendre. Et si du coup j’aurai ma place dans le groupe pro. Normalement oui avec

le contrat. Mais ça va être chaud. »192

Le discours de Tony montre à quel point le centre de formation, particulièrement

dans son cas, est un passage éprouvant. A force de chercher plus de performance, la

« machine » peut s’enrayer et ne plus fonctionner, pendant plus ou moins longtemps. La

191

Pour reprendre l’expression d’Henri Didon, devenue devise olympique. 192

Entretien avec Tony, op.cit., minute 16, p.5

Page 73: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

72

blessure, dans le sport de haut niveau, est un risque perpétuel et difficilement contrôlable.

Mais la blessure est aussi le coup d’arrêt qui peut stopper net toute carrière. C’est-ce que

montrait un ancien joueur de l’équipe de France lors d’un entretien en septembre dernier :

- « J’étais au top de ma carrière, au plus haut niveau ça allait bien. Je venais de

faire l’Euro avec l’équipe de France, on était au top avec Pau, ça roulait quoi. […] Et puis

j’ai eu ma blessure au genou. Une grosse blessure…Et là tout le monde te laisse. Parce que le

groupe il doit continuer, il peut pas t’attendre. Il y a beaucoup d’argent en jeu et tout. Du

coup on te trouve un pigiste tout de suite après, tu sens que ta blessure fait chier tout le

monde. Mais personne pense que la première personne que ça emmerde, c’est toi. Parce que

du coup t’es en dehors du groupe, et il faut te reconstruire seul. Se soigner, retrouver le

physique, le niveau, la confiance. Et plus tu mets du temps à revenir moins on te regarde.

Parce que le groupe a continué sans toi. Et là c’est la chute, et c’est comme ça que j’ai fait

des piges en Pro B avant de signer ici. […] Oui bien sûr, j’ai beaucoup d’amertume. Parce

que j’ai vu ce que c’est quand ça s’arrête. Et encore, j’ai la chance de rejouer au basket. »193

Ce discours ne mérite pas beaucoup plus d’explications. Il montre combien le sport

de haut niveau peut être cruel face à la blessure et donc en quelques sortes, face à l’échec. On

ne voit dans les médias que le côté flamboyant du sport : la réussite, la popularité, la richesse,

mais très rarement la difficulté d’un grand nombre de sportifs tombés dans l’oubli à la suite

d’une blessure ou de contre-performances. Les joueurs du centre de formation acceptent cette

réalité et c’est pour cela qu’ils donnent une réelle importance aux études. Comme l’explique

Luc,

- « Quand t’es sportif ta carrière elle s’arrête tôt. Et genre là à la JL, c’est de la Pro

B. Donc faut pas compter devenir millionnaire, y a aucune chance. Donc les études c’est

important parce que tu pourras pas vivre du sport toute ta vie. Bien sûr c’est un rêve ça, ça

fait envie, quand tu vois Parker ou les autres. Mais dans la réalité, quand ça s’arrête faut

bien pouvoir faire un boulot. Donc avoir le bac c’est quand même vachement important. Puis

même si tu te blesses, t’as plus de boulot ! Donc il faut trouver autre chose à faire… Et ça

sans avoir fait d’études c’est chaud. Enfin j’crois… »194

193

Entretien avec C. Ferchaud dans le cadre du stage à la JL Bourg Basket, août 2011, minute 23, p.8 194

Entretien avec Luc, op.cit., minute 25, p.7

Page 74: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

73

Les études sont alors une assurance, en prévoyance de ce risque réel qui pèse sur

chaque sportif de haut niveau. Le cadre de la recherche encourage sans doute aussi cette

maturité des joueurs à ce sujet : comme le dit Luc, la JL Bourg est en pro B et comme nous

l’avons indiqué, les salaires ne sont pas mirobolants. Bien sûr, une rémunération de 4000€ par

mois est déjà largement au-dessus de la moyenne française, mais ne permet pas de vivre toute

sa vie sans travailler. Si l’enquête avait eu lieu dans un autre club, de Pro A, où les salaires

moyens sont de 15000€ mensuels, les résultats auprès du centre de formation sur ce thème

auraient sans doute été différents. Les dix joueurs interviewés ont expliqué la nécessité des

études à la manière de Luc, en prenant en considération les risques du métier. Bien sûr, et

comme nous l’avons déjà montré, tous ne donnent pas la même importance à la scolarité mais

la totalité des joueurs exprime à un moment de l’entretien le besoin d’avoir un bac à la fin du

lycée.

Le recul des adolescents vis-à-vis d’un métier souvent montré comme mirifique

dénote avec la croyance en un mythe de l’ascension sociale par le sport. Si certains joueurs,

comme nous l’avons compris, sont influencés par l’émergence de ce mythe, ils restent

néanmoins conscients que le sport professionnel est un univers particulier et cruel. Cette

dualité dans la pensée vient encore une fois de l’âge et de la situation des joueurs. Ils sont

entre la posture candide influencée par le mythe sociétal et la position de joueur professionnel

qui travaille dans une réalité bien définie.

Ce qui ressort alors de cette dualité et qui est mis en avant pour contrer le paradoxe,

c’est l’importance de l’effort quotidien et du « sacrifice » au sport. Comme nous l’avons saisi

précédemment, le travail est la clé de la réussite selon les joueurs, ce qui leur permettrait de

devenir professionnel quelle que soit leur origine. Les dés ne seraient ainsi pas pipés et tout le

monde pourrait réussir, en travaillant. Or, comme nous l’avons compris jusqu’à présent,

seulement quelques joueurs du centre de formation ont une réelle possibilité d’atteindre le

plus haut niveau sportif. Tous expliquent pourtant avec ferveur l’importance du travail pour

réussir, tous disent donner le meilleur d’eux-mêmes mais seuls quelques-uns franchiront peut

être les portes du professionnalisme. M. Madeleine confirme même les dires des joueurs

puisqu’il affirme :

- « Dans l’ensemble, les joueurs jouent vraiment le jeu. On a eu un problème avec un

joueur cette année qui n’a pas fait assez d’efforts, et qui n’a jamais été assez investi. Mais

Page 75: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

74

tous les autres bossent beaucoup et font vraiment ce qu’on leur demande. Ils ont

complètement compris ce qu’on attendait d’eux. »195

Et il poursuit pourtant en expliquant que la volonté est « d’amener chaque gamin à

son plus haut potentiel individuel voilà, ils finiront pas tous pros parce qu’ils en ont pas tous

la capacité »196

. Avec le même travail et la même envie, tous les joueurs n’arriveront donc

pas au même niveau. La méritocratie affichée du sport ne serait donc pas si évidente qu’elle

n’y paraît.

B/ Un monde fermé

« Le discours du sport est-celui du mérite : que le meilleur gagne ! Et il y a dans ce

discours l’idée d’une vérité du jeu : sur un terrain la couleur de peau ne compte pas, seules

les performances importeraient »197

. C’est en ces termes que Patrick Mignon définit l’idéal

méritocratique du sport que nous avons tenté d’appréhender précédemment. Mais comme

nous l’avons constaté, la méritocratie n’est pas réellement installée, puisque tous les joueurs

ne peuvent pas atteindre un même but malgré la même envie et le même effort.

Cette différence de possibilité est relatée par quasiment tous les joueurs, neuf sur les

dix, qui donnent pour raison un même facteur : le talent. Ainsi, il faudrait avant tout du talent

pour atteindre le plus haut niveau. Par ce terme, entendons une aptitude, une qualité naturelle

inexplicable rationnellement que certains auraient à la différence d’autres. C’est d’ailleurs ce

que nous livre Dorian :

- « Tout le monde peut pas y arriver, il faut du talent. Enfin genre, un mec qui bosse

énormément et tout, qui fait que ça, il va progresser, c’est sûr, même peut-être beaucoup.

Mais il sera jamais aussi fort que celui qui travaille autant et qui a du talent. Quand t’as pas

de talent tu peux être bon si tu taffes tu vois, mais tu peux pas être excellent. »198

En ce sens, les joueurs ne naîtraient pas avec les mêmes dispositions et possibilités.

Le monde professionnel ne serait ainsi pas ouvert à tous mais à une poignée d’élus réunissant

195

Entretien avec M. Madeleine, minute 20, p.6 196

Ibid., minute 21, p.6 197

P. Mignon, « Intégration par le sport, et si on regardait du côté des instances », in Le sport peut-il tenir ses

promesses sociales, coll. « Le dossier du mois », La ligue de l’enseignement, juin/juillet 2010 198

Entretien avec Dorian, minute 21, p.6

Page 76: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

75

les critères nécessaires pour ce sport et à un tel niveau. Steed poursuit dans ce sens en

répondant à la question qui vise à savoir si la méritocratie existe dans le sport :

- « Non je ne pense pas. Chez certains joueurs c’est plus inné que chez d’autres, il y a

une part de talent. Certains font énormément d’effort et y arrivent mais ce n’est pas une

garantie. C’est aussi une part de chance, quelqu’un qui était là au bon moment au bon

endroit, qui a mis le bon shoot…c’est peut-être pas forcément le plus méritant. »199

Il rajoute ici un nouveau facteur dans le cadre de la réussite, celui de la chance. Il

faut se trouver dans une certaine région ou dans un certain club pour réussir, avoir la chance

d’être vu, repéré. Cette part de chance est non-négligeable et semble même primordiale pour

être remarquée. C’est en tout cas ce qu’on peut comprendre en écoutant Tony, qui explique :

- « Je dois beaucoup à Marc car c’est lui qui m’a amené en équipe de France. En

fait il connaissait une personne du staff et il l’a appelée pour parler de moi, enfin pour lui

dire de me voir jouer tout ça. Et du coup le mec est venu et ça a accroché. Mais j’ai grave eu

de la chance parce que si Marc connaissait pas ce mec, ou bien si l’autre était venu à un

autre match…parce que genre ce jour-là je mettais tout, c’était énorme. Ben j’aurais peut-

être jamais été pris. Donc j’ai eu de la chance quand même. »200

Tony a montré beaucoup de modestie lors de l’entretien mais comme ses camarades le

rappellent, « il a un sacré talent. [On] a l’impression que c’est facile pour lui, quand [les

autres] galèrent grave »201

. Ses qualités de basketteurs ne doivent donc pas être remises en

cause mais il explique bien la chance qu’il a eu et qui a peut-être fait la différence avec

d’autres joueurs de même niveau à un moment donné. On voit apparaître ici deux facteurs

nécessaires de la réussite pour franchir le dernier palier de la sélection professionnelle :

chance et talent. D’ailleurs, Tony est le seul du groupe à avoir signé un contrat avec l’équipe

première pour la saison prochaine. Il est donc, au moins pour les autres joueurs de l’équipe,

un modèle de réussite. Outre ces deux critères, un autre est considérablement important et est

évoqué là-encore par huit joueurs sur les dix interviewés : celui de la taille. Ce facteur,

incontrôlable et naturel, est lié à la nature du sport. Le panier de basket-ball étant en hauteur,

199

Entretien avec Steed, minute 29, p.8 200

Entretien avec Tony réalisé pendant le stage d’août 2011, minute 26, p.9 201

Entretien avec Ronny, minute 16, p.7

Page 77: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

76

il faut des gens de grande taille pour être plus prêt du cercle. Depuis les débuts de ce sport, les

entraîneurs ont toujours cherché des joueurs « grands » pour ensuite les faire travailler. Avant

même le talent, la passion ou la détermination, c’est une loi naturelle qui détermine qui sera

privilégié dans la formation et dans l’accès aux structures. Les joueurs sont complètement

conscients de cela et c’est pour neuf d’entre eux une des raisons qui les a tournés vers ce

sport. C’est ainsi que Nicolas raconte :

- « J’étais le plus grand dans ma classe tout le temps quand j’étais petit. Du coup tout

le monde me disait de jouer au basket. Et vu que mes parents en faisaient ben j’en ai fais

aussi. Puis quand t’es petit (comprendre jeune), quand t’es grand ben tous les entraîneurs

viennent te voir et tout. Du coup après je suis allé au pôle, parce que je savais joué hein, je

m’entrainais déjà, mais aussi parce que je suis grand. »202

Cette explication se retrouve chez quasiment tous les joueurs. Comme nous l’avons

déjà cité, c’est-cette raison qui a conduit le médecin de Chris à l’orienter vers le basket, alors

que pour Marius qui « a toujours été le plus grand partout »203

, il était naturel de pratiquer ce

sport. A l’inverse, Dorian explique que sa petite taille aurait pu lui fermer des portes :

- « J’ai toujours été plutôt petit, enfin pour le basket j’veux dire. Du coup les grands

ils passaient avant moi. Alors y a fallu que je travaille encore plus, tout le temps, pour

compenser ça en fait. Je voulais qu’on me voit plus que les grands sur le terrain. Du coup je

jouais tout le temps tout le temps chez moi, pour être super technique vu que je savais que je

serai jamais grand. Fallait compenser quoi. Maintenant j’ai fait beaucoup de muscu donc

c’est différent, et y a toujours quelques petits joueurs. Mais c’est les grands qui sont repérés

en premier. »204

Dans le sens où il a réussi à entrer en centre de formation et même à être classé par M.

Fauchelevent, et par M. Madeleine qui le plaçait après l’entretien, parmi les trois joueurs

ayant de réelles chances de devenir un jour professionnel, Dorian véhicule l’idée que le travail

paye et que n’importe qui peut réussir dans le basket. Cela étant, d’après ce qu’on pu confier

202

Interview de Nicolas, minute 2, p.1 203

Entretien avec Marius, minute 2, p.1 204

Entretien avec Dorian, minute 5, p.2

Page 78: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

77

les coachs lors de discussions informelles, il est indéniable que ce garçon a un talent

exceptionnel entre les mains. Il a certes su le mettre à profit mais il avait des prédispositions,

en termes de lecture de jeu et de dextérité, pour le moins impressionnantes. Son talent lui a

donc permis de compenser sa petite taille.

Il est intéressant d’observer ici la dichotomie entre l’importance du travail, très

rigoureux, et le besoin de talent, complètement irrationnel. Les joueurs envisagent en fait la

réussite à la fois en termes de facteurs rationnels et de raisons illogiques. On explique cette

dichotomie par le fait que les joueurs sont dans un parcours incertain et n’ont pas encore de

certitude en ce qui concerne leur avenir. Ils se rassurent donc en donnant dans le discours une

grande place au travail : cela les conforte dans leur choix et justifie même leur parcours en

centre de formation. Ils sont toujours venus avec le rêve d’être un jour professionnel et se

conforte à espérer, au moins un peu, qu’il est possible de réussir par le travail. Il est toujours

plus sécurisant de donner de l’importance à ce qui est rationnel et maîtrisable plutôt qu’à ce

qui est aléatoire. Cependant, au dernier échelon de la sélection, ils voient tous les jours que le

travail ne fait pas tout et qu’il y a des différences immuables entre les joueurs. Le mérite ne

peut dès lors pas tout compenser, et certaines aptitudes sont incontournables pour atteindre le

niveau professionnel.

Cette présentation des différents facteurs qui permettent l’accès au plus haut niveau

n’est pas exhaustive. En effet, tous ceux donnés ici ne semblent pas biaisés, au sens où chacun

pourrait réussir avec de la chance et du talent, quelle que soit son origine ou son capital social.

Or, ce que les joueurs disent est autre. Comme nous l’avons déjà expliqué, l’origine sociale

est déterminante dans la possibilité d’accès ou non à un centre de formation, ce qui

conditionne considérablement la réussite. Mais une fois le centre intégré, le « carnet

d’adresse » serait primordiale pour faire la différence et atteindre le très haut niveau. C’est en

tout cas ce qu’explique François :

- « Je pense que déjà il faut être bien entouré, faut savoir avoir des contacts. Faut

savoir euh...je pense l’aspect entourage et euh...faut avoir son petit coup de chance, de

tomber sous le charme, enfin qu’un coach nous apprécie et puis nous fasse monter. Enfin je

vois par exemple en équipe de France, ben j’ai un ami qui est en équipe de France qui me

disait que lui « ça aurait pu ne pas être moi, parce que moi mon coach a décidé d’aller me

Page 79: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

78

présenter à mon coach de l’équipe de France parce qu’il m’aimait bien et il a fait l’effort

pour ça. Donc ça aurait très bien pu être mon voisin, en termes de basket, qui était aussi bon

que moi mais que le coach avait pas choisi. »205

Son histoire montre l’importance d’être apprécié ou de connaître quelqu’un de haut

placé : ce n’est plus le talent qui fait la différence, mais le capital social. M. Madeleine est

d’accord avec cela :

- « on mettra plus facilement une pièce sur un que sur un autre, ça je pense que c’est

dans tous les métiers pareils, que ce soit au basket ou dans un autre job… quand on s’appelle

fils de ou voilà, je pense qu’on a forcément un gros avantage au départ voilà, ou sur internet

on regarde le gamin Tchicamboud206

, s’il s’appelait pas Tchicamboud y’aurait pas 50 vidéos

sur youtube »207

Les facteurs déterminants, à partir d’un certain niveau, sont donc autres que sportifs. Il

faut certes du talent, de la réussite et du travail, mais ce n’est pas forcément ce qui

conditionne l’accès à l’élite. Bien entendu, certains joueurs ayant des caractéristiques

exceptionnelles208

réussiront sans cela, mais il semble que le carnet d’adresse soit tout de

même utile pour percer. On comprend là que les joueurs ne sont absolument pas sur un pied

d’égalité face à la réussite et que la prétendue méritocratie régnante dans le sport peut être

remise en question.

Face à cette inégalité de traitement, les joueurs du centre de formation n’ont pas la

même réaction : ils ne voient pas le monde dans lequel ils sont de la même façon. Il faut alors

réutiliser la typologie dressée en première partie pour comprendre la différence

d’interprétation. Pour les « pragmatiques », le milieu professionnel est une sphère fermée,

mais où le travail paye. Selon eux, le talent est très important pour réussir et c’est pourquoi ils

ont peu de chance d’être professionnels un jour. C’est en tout cas la façon dont ils expliquent

leur échec. On remarque que ces joueurs s’expriment de façon paradoxale, à la façon de

205

Entretien avec François, op.cit., minute 29, p.7 206

Ndlr : Steed Tchicamboud est un joueur de l’équipe de France de basket 207

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 31, p.9 208

On pense par exemple à Alexis Ajinça, joueur français qui mesure 2m25. Sa taille étant tellement rare, il a eu

accès à des centres et à des structures sans même savoir jouer au basket à ses débuts. Ce cas est assez

exceptionnel et ne constitue donc en aucun cas un exemple révélateur des conditions d’accès au haut niveau.

Page 80: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

79

Steed, en réponse à la question qui tend à savoir si tout le monde peut percer dans le sport

professionnel:

- « Oui je pense que tout le monde peut y arriver parce que c’est vraiment le travail

qui peut nous emmener là où on veut aller. Après que tout le monde puisse y arriver, je ne

sais pas puisqu’il n’y aura pas nécessairement toutes les infrastructures, des gens ne

pourront peut-être pas rentrer n’importe où s’ils n’ont pas assez de talent. Il y a aussi des

problèmes d’argent ou des choses comme ça. »209

Dans la même phrase, Steed donne deux réponses antonymiques : « le travail peut tout

mais il ne peut pas tout ». Ce paradoxe est revenu chez tous les joueurs « pragmatiques », ce

qui est dû à leur situation : ils savent qu’ils ne seront pas professionnels mais veulent

légitimer leur travail quotidien et leur échec dans le sport.

Pour le deuxième groupe, celui des « passionnés », la position diffère totalement : ils

considèrent que tout le monde peut réussir dans le sport et que c’est le travail qui rend cela

possible. Comme nous l’avons montré avec l’exemple de Tony, ces joueurs tiennent à rester

modestes et invoquent aussi la chance comme raison dans la réussite. Là encore, la posture

choisie légitime la position : ces joueurs doivent leur réussite à leur travail, ou en tout cas le

pensent. C’est le moyen qui semble en effet le plus juste pour réussir et donc le plus flatteur.

Il serait étonnant, et ce n’est d’ailleurs pas le cas, qu’un des trois joueurs « passionnés »

explique sa réussite par son origine sociale ou par le capital financier et social de ses parents.

Le travail est une vertu bien plus noble à faire ressortir. Ces joueurs pensent donc que leur

parcours est possible pour tous, par le dépassement de soi, extrêmement mis en avant dans

cette catégorie, le travail et la passion.

Enfin, le dernier groupe adopte un troisième type de discours. Les « romanesques »

pensent en effet que le travail permet de réussir mais sont critiques sur le fonctionnement du

centre de formation. Selon eux, tout le monde à une chance de devenir professionnel par le

travail, à la fois athlétique et technique. En affirmant cela, ils légitiment leur rêve et leur

espoir pour l’avenir. Ce sont aussi eux qui évoquent le moins le talent parmi le panel

d’interviewés, sans doute parce qu’ils voient leur parcours comme quelque chose de

laborieux, où il faut consacrer beaucoup d’énergie pour atteindre le niveau requis. L’effort et

209

Entretien avec Steed, op.cit., minute 26, p.8

Page 81: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

80

le dépassement de soi ont dans ce groupe une valeur considérable. Par contre, les trois joueurs

sont les seuls à avoir évoqué les inégalités de traitement au sein du centre de formation. C’est

le cas d’Yven qui explique :

- « Par exemple tu regardes, ceux qui sont p’t’être un peu plus forts, si un jour il a pas

envie de s'entraîner, ben il va dire « j'ai un contrôle à réviser », il va rester seul pendant que

nous on ira s'entraîner. Ou alors y'en a qui vont aller s'entraîner avec les pros. Mais bon ça

c'est pour d'autres raisons. On va leur dire « Allez vous reposer parce que vous vous

entraînez avec les pros » alors que nous on continue, on continue, on s'entraîne tout le temps.

Y'a d'autres sortes de privilèges aussi. Regarde, là, la saison est terminée, y'en a qui vont

continuer à jouer avec l'équipe réserve... ils s'entraînent, par exemple les entraînements de

musculations y'en a des spéciales pour l'équipe et d'autres pour ceux qui vont devenir pro

donc heu, pas tous pareils quand même. »210

Chris et Marius ont aussi fait des allusions de ce type sur les inégalités au sein du

centre et particulièrement sur le fait que certains sont largement privilégiés. Cette critique du

mode de fonctionnement légitime là aussi l’échec annoncé des joueurs. Même s’ils croient en

leur chance, ils sont conscients du retard pris sur certains autres joueurs. Ce retard ne viendrait

alors pas d’eux, qui ont « énormément bossé »211

, mais de la façon dont ils sont considérés

dans le centre. Ces trois joueurs se considèrent comme défavorisés par leur staff, ce qui

expliquerait leur niveau de basket plus faible.

La différence de représentation, outre la différence sociale originelle qui a permis de

fonder les différentes catégories, vient ici principalement de la différence de possibilité

d’intégrer le monde professionnel un jour. Alors, malgré cette disparité entre les joueurs dans

leur parcours futur, le centre de formation a un objectif important : faire de jeunes basketteurs

des « Hommes ».

210

Entretien avec Yven, op.cit., minute 26, p.8 211

Entretien avec Chris, op.cit., minute18, p. 6

Page 82: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

81

Section 2 : Devenir un Homme

Comme nous avons pu le constater jusque-là, le centre de formation est un lieu de

travail, ayant des objectifs sportifs et scolaires à la fois. Les joueurs rentrent a priori pour trois

ans, une période longue dans l’adolescence. C’est un moment particulier de la vie, où

l’enfance se termine et l’âge adulte se rapproche. Etape clé qui fait la transition entre deux

moments différents, l’adolescence est un palier important dans la construction de l’identité et

de la personnalité. Les joueurs du centre de formation étant en contact quotidien avec le staff,

il est manifeste que ce dernier joue un rôle majeur dans la construction des représentations

qu’ils peuvent avoir et donc des choix qu’ils feront dans le futur. C’est d’ailleurs un rôle

affirmé par le centre de formation : il faut accompagner ces adolescents à devenir des hommes

bien dans leur peau.

A/ Le centre de formation, un lieu de construction de la personnalité

Ce rôle du centre de formation est repérable premièrement dans les paroles du staff,

qui choisit l’orientation pédagogique du centre de formation et sa manière de fonctionner.

C’est en tout cas ce qui est exprimé par M. Madeleine :

« Le premier but du centre de formation chez nous ça va être de construire une équipe

qui va correspondre à l’image qu’on veut véhiculer du centre de formation, c’est le premier

truc, deuxième truc, ça va être de former des ados, de construire de hommes, les emmener

comme je l’ai dit tout à l’heure vers la réussite scolaire qui devait être la leur, ce pour quoi

ils sont destinés et petit à petit idéalement d’y intégrer le basket et d’amener chaque gamin à

son plus haut potentiel individuel. Si on a atteint cet objectif à la fois scolaire, d’identité, de

construction d’un ado avec des valeurs qu’on veut véhiculer, de l’amener à son plus haut

niveau de basket, j’estime qu’on a rempli notre mission. »212

Le premier objectif est donc de former des joueurs en fonction de l’image à véhiculer.

Cette image, comme l’interviewé me l’expliquait à la fin de l’entretien, se construit à travers

des comportements et des valeurs. Ces valeurs, l’entraîneur et le directeur du centre souhaitent

les faire passer aux joueurs. On remarque que cette volonté est réelle à travers les discours des

joueurs. A la question, « est-ce que le basket est un sport qui porte des valeurs ? », tous ont

212

Entretien avec M. Madeleine, op.cit., minute 19, p.6

Page 83: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

82

répondu à peu de choses près de la même façon. Si la difficulté à mettre des mots est

apparente, certaines expressions reviennent très souvent : « c’est collectif donc faut s’entendre

avec tout le monde, enfin avoir un esprit d’équipe. Donc c’est du respect pour les autres et

pour les coachs »213

, « faut du courage aussi, mais en restant pas prétentieux »214

, « et puis

savoir se donner tout le temps, faut travailler »215

. Ces expressions ne donnent pas de valeurs

précises, ce qui semblait compliqué à faire sans réflexion pour des adolescents, mais mettent

en avant un type de fonctionnement, une façon d’envisager le basket. Nous ne citons ici que

quelques joueurs mais les dix ont évoqué au moins deux de ces types d’expression.

Comparons alors ce qui est mis en valeur par les joueurs et ce qui l’est par le directeur du

centre de formation, en réponse à la même question :

- « Je ne sais pas si c’est le sport qui a des valeurs naturellement ou si c’est les gens

qui sont dans ce sport qui véhiculent des valeurs qui leurs sont chères. Je pense que c’est

plutôt ça. Nous avec M. Madeleine on a des valeurs, c’est sûr, ou en tout cas on attache de

l’importance à ces valeurs, parce qu’on pense que c’est important. Du coup on essaye de les

transmettre aux gamins. […] Ce sont des valeurs d’humilité, de respect, de partage, de

travail, de combativité. »216

On repère immédiatement la proximité entre les valeurs que souhaite véhiculer M.

Fauchelevent et celles attribuées au basket par les joueurs. Mettons le « partage » en

correspondance avec « l’esprit d’équipe », la « combativité » avec le « courage » et

« l’humilité » avec l’expression « pas prétentieux », les termes de travail et de respect ayant

aussi été évoqués par les joueurs. L’ambition du staff de faire passer une certaine

compréhension le sport et du basket-ball en particulier est dès lors un succès : les joueurs se

sont appropriés ces valeurs, sur lesquelles l’encadrement a particulièrement insisté, et les

redonnent naturellement pour définir les pratiques. C’est un exercice délicat que de répondre à

une suite de questions sans y être préparé, surtout quand c’est un inconnu qui les pose. Cette

question sur les valeurs posée naturellement en début d’entretien, quand le joueur n’est pas

encore réellement en confiance, cherche à interpeller l’instinct : comment, spontanément, le

joueur caractérise sa pratique et donc, nécessairement, sa façon d’être ? La proximité dans les

213

Entretien avec Nicolas, op.cit., minute 2, p.1 214

Entretien avec Ronny, op.cit., minute 2, p.1 215

Entretien avec Luc, op.cit., minute 2, p.1 216

Entretien avec M. Fauchelevent, minute 1, p.1

Page 84: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

83

réponses montre le travail effectué par l’encadrement du centre de formation et nous permet

de saisir à quel point il forme la personnalité. En effet, définir sa façon de faire dans le sport

c’est aussi définir sa façon d’être, de penser. On aurait pu avoir des réponses prônant

l’individualité ou la richesse, en tant que valeur financière rendue possible par le sport. Or ce

n’est pas le cas, et en ce sens la volonté du staff est une réussite.

Cela nous amène vers la deuxième partie de la citation de M. Madeleine, quand il

parle d’objectif « d’identité » et de « construction d’un ado ». C’est-ce qui est aussi montré

par M. Fauchelevent, en réponse à la question « Quel est le but premier du centre de

formation :

- « C’est pas un but forcément sportif. C'est que quand ils sortent d'ici, qu'il y aient passé un

an, deux ans ou trois ans, ils soient premièrement meilleurs hommes que quand ils sont

rentrés, meilleurs basketteurs que quand ils sont rentrés, qu'ils aient progressé sur le plan

scolaire. Et qu'on les ait fait s'épanouir un peu et se responsabiliser un peu. Voilà. Et après

s'il peut y avoir une réussite sportive par dessus tout ça, je dirais tant mieux. Mais pour moi,

c'est ma vision personnelle des choses, c'est pas la réussite principale que j'attends au centre

de formation. C'est à dire que quand il sortent de là, ils savent s'acheter un truc sans

demander à leur mère, ils savent passer un coup de fil sans faire « hum han hin », se tenir à

peu près bien, tu vois, être des gens quoi. Des gens… Ecrire des textos sans 8000 fautes. »217

Le centre de formation, avant même le but sportif, placerait la construction de

l’identité comme une fin importante dans le cycle des trois années. Là encore, les joueurs sont

au fait de cette réalité et l’ont largement intégrée. Comme le rappelle Marius, « avec le sport

tu changes de caractère, t’es mieux avec les autres. »218

. Dorian est plus précis et ajoute :

- « Dans tous les cas le but à la sortie c’est qu’on soit bien en sortant. Enfin je crois

que le centre de formation ça nous permet de devenir des Hommes. Qu’on soit bien dans

notre peau, qu’on soit respecté et qu’on respecte les autres. C’est pas que du basket en fait.

Parce que le basket, y en a qui seront pros, d’autres qui le seront pas. On sait pas trop ça tu

217

Entretien avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 16, p.5 218

Entretien avec Marius, op. cit., minute 26, p.8

Page 85: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

84

vois ? Mais tout le monde est cadré et tout. Donc ça doit nous aider à faire de nous des

hommes. »219

Cette idée revient très régulièrement, puisque sept joueurs sur les dix ont mentionné le

fait que la construction de la personnalité était un des buts principaux du centre de formation.

Il faut alors noter que ce sont les trois joueurs « romanesques » qui n’ont pas évoqué cet

objectif. Ayant moins de recul que leur coéquipier sur leur situation et étant dans un objectif

de professionnalisation évident, ils ne considèrent pas autant l’aspect extra-sportif que leurs

camarades car ce n’est pas en apparence le but d’un centre de formation sportif.

Cela étant, par l’apprentissage de la rigueur, du travail et du respect, les joueurs

doivent ressortir « meilleurs » dans leur façon d’être et de vivre en groupe. Cette nécessité est

d’ailleurs affichée en groupe affichée comme primordiale par les joueurs, qui voient là-dedans

un gage de réussite. C’est d’ailleurs toute la particularité d’un centre de formation : il faut

apprendre à se construire avec les autres mais se démarquer suffisamment individuellement

pour espérer un jour atteindre une place privilégiée qui ne peut être donnée à tous. Steed est

d’ailleurs assez honnête sur ce point quand il dit :

- « Alors que cette année j’ai eu du temps de jeu, j’ai un peu profité de la blessure de

Tony, comme tout le monde. C’est moche à dire mais c’est vrai qu’après c’est un petit peu la

concurrence, c’est un très bon pote, mais sa blessure m’a permis d’aller dans le cinq de

départ. »220

Cette réalité, qu’il exprime avec gêne, nait de la structure même : c’est un centre de

formation, où les places pour accéder à l’élite sont rares. Le fait que le basket est un sport

collectif contribue à renforcer cette dichotomie : il faut à la fois savoir se donner pour

l’équipe, rendre ses coéquipiers meilleurs pour que l’équipe soit plus performante, mais être

tout de même au-dessus du groupe pour construire son parcours futur et garder une chance

d’atteindre le milieu professionnel. Dorian précise avec justesse que :

- « De grands joueurs se sont fait connaître parce qu’ils étaient de grands

individualistes. Des fois faut jouer pour toi. Mais bon, pour se faire repérer il faut que

l’équipe gagne des matchs. Parce qu’un joueur s’il est fort mais que son équipe perd ben ça

219

Entretien avec Dorian, op.cit., minute 14, p.4 220

Entretien avec Steed, op. cit., minute 20, p.6

Page 86: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

85

sert à rien. Le but c’est quand même de gagner des matchs, ou des championnats, fin de

gagner quoi. Donc je pense qu’il faut d’abord être bon pour l’équipe, et après plus tu

apportes, plus tu te donnes et tout, plus c’est mieux. Enfin les grandes équipes ça marche

quand tous les joueurs fonctionnent comme ça. Donc faut d’abord voir l’équipe et après

toi. »221

Aucun joueur n’a remis en cause cette vision des choses et même si le rêve est

personnel, la priorité semble toujours aller à l’équipe et à la réussite du groupe. Toute cette

idée remet en cause le mythe de l’ascension sociale par le sport : pas dans le sens où le sport

ne permettrait pas une promotion sociale mais parce que le but premier du sport n’est pas là.

Comme nous l’avons compris, le mythe s’est développé grâce à des récits d’individualités, de

sportifs qui se sont « construits » seuls et a émergé à l’aide de chiffres donnant des salaires

individuels exorbitant. Ce que vivent les joueurs du centre de formation est tout autre : ils

voient le sport comme un moyen de s’améliorer, comme sportif mais surtout comme humain,

et « d’être » avec un groupe. Plusieurs joueurs ont d’ailleurs évoqué « l’amitié » comme

valeur véhiculée par le basket-ball. Alors, peut être qu’une ascension sociale est possible,

mais elle n’est pas au cœur des préoccupations de la très grande majorité des joueurs.

Cet éloignement du mythe vient principalement du centre de formation : par les choix

pédagogiques et la méthode de sélection qui y sont opérés, le staff attire et ne recrute qu’un

certain type de joueurs. Il est donc fortement probable que, si l’enquête s’était déroulée dans

un autre centre de formation, et encore plus, dans un autre sport, les résultats auraient différé.

Il est tout de même primordial de noter à nouveau que cette sélection touche principalement

des joueurs de classe moyenne et non des joueurs financièrement « défavorisés ». Ainsi

l’éloignement au mythe est rendu possible par une certaine culture, une façon d’appréhender

le monde. Les valeurs du centre de formation peuvent être assimilées par les joueurs

notamment parce qu’ils sont capables de comprendre ces valeurs et de les partager. On

comprend, bien que le basket soit censé être le sport qui réunit le plus de catégories sociales,

que le centre de formation est une sphère très sélective ou l’entre-soi prédomine. Le centre de

formation et l’origine sociale des joueurs qu’il sélectionne constituent alors un socle de

socialisation fondamentale dans l’interprétation, et en l’occurrence l’éloignement, du mythe,

par les valeurs et la pédagogie qui y sont choisies.

221

Entretien avec Dorian, minute 15, p.4

Page 87: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

86

Cependant, si l’hypothétique ascension sociale est laissée de côté et relativement peu

attendue, il apparaît que le sport, déjà dans le centre de formation, est perçu comme un moyen

de se faire connaître et reconnaître.

B/ Etre reconnu

Les joueurs, comme nous l’avons compris, sont attachés à des valeurs que le staff du

centre de formation leur a transmises. Mais comme le rappelait une étudiante durant une

discussion informelle, « le côté sportif de haut niveau ça plait quand même vachement, enfin

ça donne un certain prestige »222

. Les joueurs sont tout à fait conscients de cela et n’hésite pas

à en jouer. Comme le relate Tony :

- « Ben ça fait quand même kiffer, genre quand je joue avec les pros. Enfin que je suis

sur le banc. Les ptits qui viennent te demander un autographe et tout. C’est vraiment

agréable. Enfin ça fait plaisir tu vois, les gens qui te parlent dans la rue et tout. Moi j’aime

bien ça. Après c’est pas toute la gloire et tout de certaines stars que je dis hein, c’est juste là

être vu et qu’on sache qui je suis, c’est cool. »223

Ce joueur avait affirmé plus tôt dans l’entretien qu’il jouaist simplement pour son

plaisir et on remarque qu’il limite son propos tout seul, se rendant sans doute compte de

l’antinomie de ses dires. C’est pourtant la quasi-totalité des joueurs qui raisonne à sa façon.

Alors, tandis que nous venons d’expliquer que les joueurs attachaient peu d’importance au

mythe de l’ascension sociale par le sport et qu’ils pensaient aussi en terme de bien-être

individuel et collectif, de construction de leur personnalité, il apparaît que le prestige social

est réellement recherché. Bien entendu, l’ascension sociale est aussi caractérisée par une

élévation de ce capital social mais comme nous l’avons démontré précédemment, c’est

principalement le facteur économique qui a permis l’émergence du mythe dans le monde

contemporain. Le dévoilement des fortunes et le goût exacerbé des médias pour le capital

économique des sportifs représentent même aujourd’hui le fondement du mythe. Le mythe de

l’ascension sociale est donc essentiellement un mythe de l’enrichissement monétaire par le

sport. Or, les joueurs sont ici attirés par la reconnaissance. Comme l’affirme Ronny :

222

Discussion informelle avec une étudiante de l’IEPG ne donnant donc pas lieu à une prise de note. 223

Entretien avec Tony, minute 18, p.7

Page 88: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

87

- « C’est du prestige le sport pro. Les gens te reconnaissent, t’aiment même sans te

connaître. Y a pas de boulot où t’as ça. Forcément c’est cool. Enfin ça fait partie du métier

mais c’est bien quand même, que les gens te reconnaissent comme ça. Je trouve en tout

cas. »224

Et ce prestige est envié. On constate que c’est le centre de formation, en tant que socle

de socialisation important dans la vie des joueurs, qui révèle ce besoin de reconnaissance. On

peut s’appuyer ici sur les propos de Chris, déjà cités précédemment :

- « Pour des jeunes qui ont sacrifié trois ans de leur vie en sorte de formation, c’est

une récompense normale d’être pro à la fin. On a quand même donné trois années de notre

vie à bosser à fond, à bosser, à se réveiller le matin pour aller à l’entraînement et tout, mais

je crois que la récompense ce serait qu’on finisse pro plus tard. Enfin qu’on soit reconnu

pour tout le travail qu’on a fait »225

Le prestige est ici interprété comme la reconnaissance sociale après des années

d’efforts. Mais ce sacrifice est la première étape d’un « sacre », puisque l’effort laisse une

trace tangible qui est ensuite glorifiée. La façon dont les joueurs se donnent n’est pas un acte

gratuit : comme l’affirme Chris, le sacrifice doit entraîner quelque chose, ce qui donne

d’ailleurs sens à l’acte. Ce quelque chose, c’est la reconnaissance, c’est la popularité. Et c’est

de cela que découle l’envie voire le besoin de « gloire ». Le temps passé à travailler et à se

dépasser mérite une récompense dans l’esprit des joueurs. C’est d’ailleurs ce qui est assuré

par le directeur du centre de formation, M. Fauchelevent, qui affirme :

- « Mais le travail paye, et on leur dit tout le temps. S’ils travaillent ils seront

récompensés. Forcément. Parce qu’ils vont voir qu’ils progressent, qu’on leur donne plus de

temps de jeu ou de confiance. Et puis plus tu es bon plus on te remarque quand tu joues. C’est

une bonne récompense. »226

Cette citation met en exergue la façon dont le centre de formation construit aussi les

envies : s’il instaure des valeurs fondamentales, il propose aussi une récompense au travail

fourni. Bien entendu, la plupart des joueurs rêvaient sans doute déjà du prestige que pourrait

224

Entretien avec Ronny, minute 30, p.8 225

Entretien avec Chris, op.cit. 226

Entretien avec M. Fauchelevent, op.cit., minute 19, p.7

Page 89: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

88

leur apporter le sport avant d’entrer au centre de formation, mais les discours du staff et la

structure en elle-même ont sans doute cristallisé cette envie. En effet, le centre de formation

est un univers déjà prestigieux dans une ville, dans un département voire dans une région, en

tout cas pour les amateurs de basket-ball. Il n’est donc pas rare de voir une salle remplie pour

un match de « cadets France », le niveau auquel évoluent les centres de formation. Sans être

professionnel, les joueurs ont une visibilité importante et ont déjà une sorte de prestige social

qui est liée à leur réussite dans l’étape de sélection. Les supporters apprécient souvent ces

rencontres et particulièrement l’échange d’après match où l’on peut rencontrer les joueurs et

discuter avec eux. C’est en effet le moment où l’on rencontre d’hypothétiques futures

« stars ». Après un match auquel nous avons assisté, un membre du public confiait en réponse

à une question : « c’est bien de voir les jeunes comme ça. On sait pas trop, peut-être qu’il y

avait le futur qui Parker jouait là. Moi j’ai rencontré Antoine Diot quand il jouaist ici comme

ça et depuis il me dit bonjour. C’est bien quand même. »227

A l’image de cet homme, nombre

de gens se déplacent au match pour voir un niveau de qualité, certes, mais aussi avec l’arrière-

pensée, que, peut-être, un jour, ces joueurs seront mondialement célèbres et qu’on pourra se

targuer de les avoir rencontrés. Ce « privilège » est extrêmement apprécié par certains

connaisseurs qui ont ainsi l’impression d’avoir été dans l’intimité de joueurs célèbres, ce qui

leur procure une satisfaction et une fierté certaines, comme l’homme cité qui racontait sa

rencontre se rengorgeant. Alors, comme le montre Nicolas, les joueurs se rendent compte de

cette popularité et l’apprécient :

- « C’est cool quand du monde vient te voir à la fin du match, t’a dit que t’as fait un

bon match et tout. Enfin y a des gens ils viennent souvent, ils nous encouragent. C’est cool

quand t’es crevé, genre des fois la semaine elle a été dure. Et là on te dit que t’as fait un bon

taff. Ça fait du bien. C’est cool que les gens suivent ce qu’on fait. »228

Cinq joueurs ont eu des propos similaires et ont mis en avant l’importance de ce

prestige. C’est-ce qui contribue à légitimer le travail effectué et qui encourage à faire encore

mieux. En effet, devant des supporters, l’envie de faire bien se décuple. Dorian explique

d’ailleurs :

227

Discours informel rapporté après un match des cadets de la JL Bourg en 2011 228

Entretien avec Nicolas, op.cit., minute 15, p.5

Page 90: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

89

- « Ben normal quand y a du monde dans la salle t’as pas envie de décevoir. Enfin

quand tu fais un bon match après tout le monde attend de toi plus. Du coup ça pousse à faire

mieux. »229

Ce discours se rapproche étonnamment de ceux donnés par les professionnels aux

médias. On voit là la proximité dans les attitudes entre les adolescents et leurs aînés qui sont

imités. Le centre de formation est donc le lieu de la construction de la personnalité aussi dans

la façon des joueurs de se représenter leur rapport au monde. Pendant le cycle au sein de la

structure formatrice, les joueurs sont donc en contact avec une forme de popularité. Celle-ci

leur plaît et il leur semble difficile de laisser cet aspect du sport. On note cela particulièrement

à travers la question « Qu’est-ce qui t’attire dans le sport professionnel ? » Les joueurs ont

notamment parlé de cette reconnaissance sociale mais en montrant sa possible fin. François

répond à la question en ce sens :

- « Ben le prestige. Enfin quand tout le monde t’aime bien parce que tu fais du sport

c’est cool. Mais bon, faut pas s’leurrer non plus, c’est bientôt fini ça. Parce que là on était

déjà un peu connu. Enfin pas nationalement hein, mais genre un peu dans le basket, contre les

autres joueurs et tout. Quand on va faire des études ça va changer. Enfin on sera un étudiant

normal, alors qu’au lycée on est quand même un peu à part, tout le monde sait ce qu’on

fait. »230

On sent déjà l’amertume du joueur alors qu’il lui reste plus d’un an a effectué au

centre de formation. La posture d’adolescent à la fois intégré au cadre scolaire mais en dehors

du reste des lycéens est avantageuse. Il est de notoriété commune que les sportifs de haut

niveau, surtout à l’adolescence, ont naturellement un charisme certain et une image à part au

lycée. Il est souvent compliqué de quitter cette posture prestigieuse au sein d’un univers pour

redevenir ou devenir « Monsieur Tout-le-monde », c’est d’ailleurs ce que semble redouter

François. C’est aussi ce que confiait M. Madeleine lors de la discussion qui a suivi

l’entretien :

« Pour la plupart des joueurs, quand ils s’en vont d’ici c’est dur. Parce qu’ils sont

chouchoutés pendant trois ans quand même. Même si on leur demande beaucoup, on leur

229

Entretien avec Dorian, op.cit., minute 15, p.5 230

Entretien avec François, op.cit., minute 16, p.5

Page 91: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

90

donne des très bonnes conditions de boulot. Et pour la plupart c’est la dernière fois qu’ils

pourront vivre comme ça leur passion, qu’ils auront ces conditions, et un encadrement comme

ça. Donc quand ils s’en vont, ils se rendent compte que c’est fini. C’était dur mais du coup ils

se font des vrais potes, ils apprennent à grandir. Ils savent ça. Et beaucoup nous appellent

encore longtemps après pour nous remercier. C’est bien je trouve. Mais voilà, ils seront plus

jamais les beaux gosses du lycée, les mecs un peu inaccessibles. C’est la fin du rêve pour eux

quand ils quittent le centre. Ouais, c’est la fin du rêve, et donc un peu de leur passion. »231

Ce discours nous montre l’attachement que les joueurs développent pour la structure

mais surtout pour la position sociale qui y est liée, le prestige qui en découle. C’est, dans leur

vie, un temps où le mythe est touché du doigt et où la condition sociale d’origine, aux yeux

des autres, peut être effacée pour n’être plus, en apparence, qu’un sportif qui est sur le chemin

du succès. C’est donc, d’une certaine façon, la réalisation de la mobilité sociale. Mais cette

mobilité n’est ici réelle qu’en termes de prestige, à une petite échelle et non en termes

d’économie. Et comme le rappelle M. Madeleine, le rêve s’arrêtera là « pour la plupart »232

.

Ce bref espace-temps construit donc et déconstruit à la fois le mythe, puisqu’il laisse croire un

instant que la mobilité sociale est vraiment possible mais y coupe court ensuite ; il donne un

aperçu de la vie rêvée mais permet rarement d’y accéder effectivement. Cette fin de cycle

semble difficile à aborder pour les joueurs mais Luc confie enfin que « c’est comme ça, tout à

une fin. »233

Alors, durant ce cycle de trois ans, les joueurs ont un aperçu de ce qu’est le prestige

social. Ils y prennent goût et savent, pour la plupart, que cette position sociale particulière ne

durera qu’un temps. Mais qu’en est-il alors de leur rapport à l’argent ? C’est-ce qui caractérise

le mythe dans toute sa portée sociétale, et les joueurs ont un rapport particulier avec la

richesse, en tant que fin mais aussi en tant que facteur déterminant dans la réussite.

231

Discussion informelle avec M. Madeleine à la suite de l’entretien. 232

Ibid. 233

Entretien avec Luc, op.cit., minute 26, p.9

Page 92: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

91

Partie III : L’argent, moteur double qui à la fois

construit et déconstruit le mythe

Section 1 : L’argent, but de la performance sportive

A/ Vivre de sa passion

Nous avons pu comprendre ce qui guide le parcours des joueurs grâce à une question :

« Qu’est-ce qui t’attire, te fait envie, dans le monde professionnel » ? La première des

réponses, et ce pour la grande majorité des joueurs, se rapporte à la passion. A l’écoute des

discours, il apparaît que cette passion est définie par un intérêt particulièrement vif et poussé

pour le basket, auquel vient s’ajouter un affect très développé. Citons immédiatement la

réponse de François, qui affirme :

- « Ben déjà de vivre de sa passion, ça c’est clair. Enfin faire ce qui te plait tout le

temps quoi. Le basket c’est vraiment une passion, c’est pour ça que je fais tout ça, les efforts

et tout. C’est un plaisir de jouer, de progresser. Donc ouais vivre de ça, pouvoir faire que ça

de ta vie. C’est ça qui me fait vraiment envie. Enfin ça me faisait encore plus envie avant

parce que j’y croyais mais là, même maintenant, si on me proposait de vivre du basket je

voudrais direct. Evidemment ! »234

« Vivre de sa passion »235

est d’ailleurs l’expression qui est revenue huit fois sur les

dix entretiens. C’est en fait lier la pratique à la rémunération qui est attirant pour un joueur.

Cela vient de l’historique et du parcours de ceux-ci. Comme ils l’affirment d’ailleurs, ils ont

commencé le sport par passion, par attrait, ou encore « pour se défouler »236

. Le sport n’était

donc pas originellement un moyen de gagner leur vie mais plutôt un vecteur d’amusement.

C’est en tout cas ce que relate Tony :

- « Ben j’aimais bien le basket à cause de ma famille et tout mais c’était surtout pour

être avec mes potes. Enfin on faisait du basket tous ensemble donc ça nous permettait d’être

234

Entretien avec François, minute 17, p.5 235

Ibid. 236

Entretien avec Marius, minute 1, p.1

Page 93: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

92

plus souvent ensemble, de se voir et tout. C’est cool tu vois quand t’es petit de pouvoir être

avec tes copains, faire le sport qui te plaît avec eux. Donc là c’était pas de la compétition

encore, c’était juste du bon temps, un loisir quoi. »237

Les explications en termes d’amitié et de temps passé avec les « copains »238

constituent la première réponse à la question : « qu’est-ce qui te plaisait dans le basket ? ».

Ainsi, sept joueurs sur les dix ont évoqué cette raison, les autres insistant surtout sur leur taille

et le fait que le basket était, semble-t-il, « fait pour eux ». A leur début, les joueurs ne

considéraient ainsi pas le sport comme un moyen de réussir socialement : c’était simplement

un moyen de s’amuser. On constate que tous ont alors développé un goût exacerbé pour ce

sport. Comme le note Dorian :

- « Une fois que j’ai commencé je voulais plus lâcher. Enfin j’avais tout le temps envie

de progresser encore, d’être le meilleur. Parce que ça me plaisait vraiment t’sais, enfin

c’était frais d’apprendre des nouveaux moves, des cross et tout. Du coup je me suis mis à

m’entraîner tout le temps à faire des shoots chez moi dès que je rentrais de l’école, tout ça

quoi. »239

Selon les récits, cela s’est passé approximativement de la même façon pour tous les

joueurs. D’un loisir d’enfant, le basket est devenu progressivement une réelle passion et un

divertissement duquel on ne peut plus se passer. M. Madeleine expliquait d’ailleurs à ce

sujet :

- « J’espère que le basket est un échappatoire, mais dans le bon sens du terme. C’est

la passion des joueurs qui sont là, le basket et j’espère que jouer au basket leur vide la tête,

leur permet d’être bien. Qu’ils se ressourcent avec le basket. »240

Cette évolution de la place du sport dans la vie des joueurs est à noter car c’est-ce qui

guide le travail qu’ils fournissent, leurs efforts. En effet, c’est quand le loisir devient passion

que les « sacrifices » sont possibles. Il y a quelque chose de déraisonné dans la passion, en

tant que pulsion incontrôlable. D’ailleurs, philosophiquement et au sens moderne, la passion

237

Entretien avec Tony réalisé dans le cadre du stage d’août 2011, réalisé le 21 août 2011, minute 5, p.2 238

Ibid. 239

Entretien avec Dorian, minute 2, p.2 240

Entretien avec M. Madeleine, minute 15, p.4

Page 94: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

93

est une inclination exclusive vers un objet, un état affectif durable et violent dans lequel se

produit un déséquilibre psychologique. L'objet de la passion occupe alors excessivement

l'esprit. Comme l’explique Simone Manon, « une passion est un désir dominant, exclusif,

suffisamment puissant pour envahir toute la vie de l’esprit et polariser une existence sur un

seul objet. En dehors de l’intérêt porté à l’objet passionnel plus rien n’importe. Tout l’univers

du passionné converge vers un unique pôle qui le fascine. »241

C’est donc ce qui amène, dans

le cas présent, à meurtrir son corps, à chercher à se dépasser au-delà des raisons logiques.

C’est aussi la passion qui, en lien avec la professionnalisation du sport, amène le joueur à

envisager une carrière sportive. On peut comprendre cette transition à la lecture de Luc :

- « Quand tu te rends compte que t’es au-dessus du niveau des autres, enfin là où tu

joues, tu commences à te dire que tu peux être professionnel un jour. Vu que c’est ta passion

t’as envie de faire que ça. Et tu te dis, ben je pourrai en vivre. Et ça te paraît merveilleux

parce que, à temps plein, tu seras payé pour faire ce que tu kiffes ! [rires] C’est quand même

quelque chose de vraiment cool, et ça fait rêver. C’est ça, vivre de ce que tu aimes, qu’on te

paye pour t’amuser. »242

Luc montre assez justement la progression qui amène les joueurs à réfléchir au sujet de

leur avenir en termes de passion. Comme il le rappelle, la première étape est la domination

sportive, « quand [le joueur] se rend compte qu’il est au-dessus du niveau ». Cela est affirmé

par la totalité des joueurs, en réponse à la question : « quand est-ce que tu t’es dit que ce

parcours était vraiment possible ? ». Les joueurs parlent alors tous d’une sélection, d’un

changement de club ou d’un appel d’un entraîneur. En d’autres termes, c’est quand ils ont

compris qu’ils étaient sans doute meilleurs que les autres qu’ils ont commencé à croire en une

vie liée au sport professionnel. Nicolas raconte ce parcours comme suit :

- « Ben c'est petit à petit. Parce qu'au début je suis arrivé au pôle, au pôle du lyonnais.

Et là, heu, c'est les meilleurs joueurs du Rhône-Alpes. Après on arrive en centre de formation,

là c'est des joueurs de la France, donc c'est encore plus réparti. Et après y'a les présélections

équipe de France. Donc là j'ai été appelé. Donc là ça veut dire que y'a déjà... c'est d'jà pas

241

Définition proposée par Simone Manon, professeur agrégée de philosophie sur son blog à la page

http://www.philolog.fr/desir-et-passion/, rédigé le 10 décembre 2007 et consulté le 21 mai 2012 242

Entretien avec Luc, minute 31, p.10

Page 95: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

94

mal quoi. Puis je pense que j’ai mes chances en équipe de France. Donc ça, ça veut quand

même dire que je peux être pro un jour. »243

C’est donc un évènement, ou en l’occurrence une suite d’évènements, de sélections,

qui mettent en exergue le potentiel du joueur. On remarque alors que ce ne sont pas les

mêmes évènements qui sont considérés comme marquants suivant la catégorie du joueur. En

effet, pour les « passionnés » et les « pragmatiques », les faits évoqués sont rationnels : ce

sont des sélections, des faits marquants et repérables. C’est ainsi pour Ronny « l’entrée au

pôle du lyonnais »244

qui a marqué l’origine de l’espoir « logique »245

tandis que pour Dorian,

c’est le moment où il a été « sélectionné à l’ASVEL246

et [qu’il] a été champion de

France »247

qui a été déterminant.

Les raisons sont autres pour les « romanesques » qui, eux, ne citent pas de faits mais

rapportent des propos. En effet, Chris répond à la question qui tend à savoir à quel moment il

s’est rendu compte que c’était possible d’être professionnel par :

- « C’est tout le temps en fait. Les gens me disent que je suis un bon joueur alors ça

me pousse. Y’a des fois où, franchement je te le dis, j’ai envie de tout arrêter genre tout

abandonner, basket tout et de vivre avec mes parents. […]. J’ai envie de tout arrêter et de

vivre avec mes parents mais y’a une petite volonté, et c’est-cette petite volonté que j’ai en

moi, et qui me dit « vas-y continue » qui me donne envie de réussir, de me surpasser, de... tu

vois ? »248

Son espoir se fonde donc sur sa passion et sur les dires des gens. On note la même

chose chez Yven qui avoue avoir pensé être professionnel le jour où « [son] oncle [lui] a dit

qu’il avait le talent pour être un bon joueur »249

. Le rapport aux évènements passés dans la

construction de l’avenir est ici beaucoup moins rationnel que pour les deux catégories

précédentes. Ceci s’explique par le parcours moins riche des joueurs, qui entraîne d’ailleurs

243

Entretien avec William, minute 13, p.4 244

Entretien avec Ronny minute 15, p. 4 245

On parle ici d’espoir « logique » en opposition à l’espoir candide de l’enfance qui, sans aucune raison

apparente, laisse penser qu’une carrière sportive est possible. 246

Le club français ayant de loin le plus gros budget, disposant d’un centre de formation et d’une structure

extrêmement professionnelle dont est issue un grand nombre de joueurs professionnels français 247

Entretien avec Dorian, minute 12, p.3 248

Entretien avec Chris, minute 23, p. 7 249

Entretien avec Yven, minute 17, p.5

Page 96: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

95

l’infériorité de leur niveau par rapport à leurs coéquipiers. De même, et comme nous l’avions

compris, les « romanesques » ne sont pas dans un rapport pragmatique ou rationnel à la réalité

sportive. C’est donc naturellement que leur parcours ne s’est pas envisagé à partir de faits

mais à la suite de propos, liant passion et professionnalisation.

L’expression clé est donc, quelle que soit la catégorie étudiée, la volonté de « vivre de

sa passion ». Si les joueurs ne raisonnent pas en termes d’argent, cela est sous-tendu à leur

propos car ils évoquent les possibilités d’être « payés pour jouer »250

. Ainsi, « vivre de sa

passion » signifie en fait « être rémunéré pour sa passion », pour ne pas avoir à trouver un

autre métier. On voit ici que la notion de travail dont se réclament pourtant les joueurs agit

comme un repoussoir : c’est la volonté de vivre du « jeu » et non du « travail » qui prime.

Cela n’est possible que parce que le sport s’est professionnalisé et que la plupart des sportifs

de haut niveau sont des professionnels qui pratiquent leur discipline à temps complet. Les

joueurs, avant même d’avoir évoqué l’argent qui est disponible dans la sphère sportive, sont

naturellement guidés par la rémunération : c’est parce qu’il y a des salaires suffisamment

élevés que la carrière de sportif peut être envisagée.

On comprend grâce à cette explication que l’argent, d’une certaine façon, oriente le

parcours des joueurs. Eux, dans les entretiens, mettent en avant la passion, mais une passion

professionnalisée et donc rémunérée : ce qui leur permettra, s’ils y arrivent, de « vivre ».

Alors, l’argent doit être perçu comme un élément clé dans la construction des parcours,

puisque sans argent, il n’y a pas de sport professionnel et donc pas d’espoir de vie centrée sur

le sport. On observe alors que les joueurs sont conscients des fonds disponibles et, même s’ils

le cachent, que cette richesse à portée de main fait envie.

B/ Etre riche

Les joueurs mettent en avant tout ce qui est extra-économique durant les entretiens :

la réalisation de soi, le travail, la passion. Ces éléments sont « nobles » et légitimement

bien perçus dans la société. En mettant en avant ces thèmes là en particulier, les joueurs se

placent dans une posture digne face à l’enquêteur et se mettent en valeur. Personne en effet

ne pourra critiquer l’attachement au travail, à des vertus et au dépassement de soi.

Pourtant, et ce dans tous les entretiens, les joueurs donnent des indices qui montrent qu’un

250

Entretien avec Luc, minute 15, p.4

Page 97: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

96

thème surplombe tous les autres : celui de l’argent. Mais ce thème est socialement « mal

vu », principalement en France. Comme l’expliquait Gildas Loirand lors de la

conférence nommée « L’argent pourrit le sport »251

, les formes diversifiées de cette

dénonciation trouvent des fondements historiques, politiques et sociaux qui ont abouti « à

la solidification d'un consensus national marqué par une tendance à la condamnation

morale spontanée de l'emprise des forces du marché sur le sport »252

. Il insiste plus

particulièrement sur le rôle de l'État qui, en définissant le sport comme un service public à

vocation prioritairement éducative, a largement contribué à « façonner les catégories

nationales de perceptions et d'appréhension du sport des français »253

; au point que l'idée

selon laquelle "l'argent pourrit le sport" est désormais une évidence relativement partagée

et indiscutée.

Dans ce contexte, il semble logique que les joueurs n’affirment pas explicitement

l’importance de l’argent dans leur cursus. Ils pensent que cela les ferait passer pour des

« mercenaires » et des personnes intéressées. Ils tentent même de se dédouaner de tous

reproches à ce sujet en dénonçant la financiarisation du sport. A la question qui demande

ce qu’il faudrait changer dans le sport professionnel, huit joueurs ont affirmé qu’il faut

réduire la place de l’argent pour retrouver des salaires « normaux »254

. Citons alors Chris

dont l’explication est particulièrement virulente :

- « L’argent. Trop d’argent, trop d’argent, trop d’argent. Ça devrait changer quand même

parce que...non aujourd’hui, même moi quand tu m’entends parler, tu te dis « j’ai envie

d’intégrer le milieu professionnel pour l’argent ». Normalement ça devrait pas être ça.

Normalement quand t’intègres le niveau professionnel c’est déjà pour le plaisir de jouer,

pour le plaisir de faire plaisir aux autres. Mais s’il y a quelque chose qui devrait changer

c’est l’argent. C’est que l’argent ça prend une grande partie dans notre sport, de tous les

sports. »255

251

G. Loirand, « L’argent pourrit le sport et conduit au dopage : sociologie d’une évidence », Nantes, 1er

février

2012 252

Ibid. 253

Ibid. 254

Entretien avec Ronny, minute 37, p.10 255

Entretien avec Chris, minute 36, p.11

Page 98: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

97

Chris exprime alors totalement la dualité de la position dans laquelle se trouvent les

joueurs : il y a trop d’argent mais celui-ci fait tout de même rêver. Les joueurs, à l’image de

Chris sont à la fois dans cette posture d’envie et de dénonciation. Comme il l’est souvent

rappelé dans les médias, « l’argent dénature le sport », ou encore « marque la fin du sport ».

Les joueurs entendent cela et le comprennent. Mais ils sont aussi au dernier niveau de la

sélection, juste avant l’accès à cette richesse disponible. Les adolescents sont dès lors dans un

entre-deux, qui ressort dans les entretiens : l’argent fait envie et il est difficile d’avoir à

proximité une manne monétaire extraordinaire sans pour autant en profiter. Chris, plus tôt

dans l’entretien, montrait d’ailleurs son attrait pour la richesse :

- « C’est-cette image quoi. Qu’on nous donne, que les joueurs professionnels donnent

que ce soit au foot, au rugby, au basket, tous les sports, c’est l’image que les joueurs pro nous

donnent. Parce que quand t’entends au foot qu’un joueur a été transféré pour telle somme,

quand t’entends au basket que le joueur qui est arrivé a signé un contrat de tel somme tu dis

ben... « je vais finir pro pour devenir riche » voilà, pour finir avec plein de sous pour avoir

des belles maisons, des grosses voitures, voilà. Aux Etats-Unis c’est ça, c’est-cette image

qu’on nous donne. Ca fait envie quand même, normal non ? […] Mais moi y a pas que

l’argent… y a aussi euh, faire un sport, que les gens te regardent tout ça. C’est pas que

l’argent. »256

Chris prouve ici la mise en scène de la richesse par les médias, en tant qu’image du

sport, et montre que, face à cette richesse, la position d’athlète de haut niveau fait envie. Mais

immédiatement, il marque aussi son éloignement en précisant qu’il n’y a « pas que l’argent ».

Alors certes, il n’y a pas que l’argent, mais ceci implique qu’il y a aussi l’argent, Plus encore,

en le précisant de la sorte, il montre qu’il y a avant tout l’argent. Les joueurs y ont fait au

moins une fois référence au cours des entretiens, sans exception. S’ils n’ont pas tous eu la

même verve que Chris pour parler de ce sujet, des indices montrent que leur pensée est

réellement proche. C’est par exemple le cas pour François qui, rappelons-le, accorde une

grande place à la passion et au prestige social. Il poursuit le développement que nous avons

déjà cité en expliquant :

256

Ibid., minute 27, p. 8

Page 99: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

98

- « Et puis bah, cet aspect, cette vie où tu t’entraînes, t’as pas de contraintes majeures

en terme d’horaires, par exemple y’a pas de grandes vacances ou de week-end mais en terme

d’horaires, c’est plutôt intéressant. Puis en termes de salaires, de choses comme ça, ça peut

tout de suite être intéressant »257

François s’était attaché à montrer l’importance de la passion et du dévouement mais il

finit quand même par expliquer à demi-mots que le salaire qui rémunère tout cela est

intéressant lui aussi. On comprend que les joueurs, même en gardant de la pudeur et de la

distance face à l’argent y ont pensé. Le fait de vouloir « cacher » cette envie montre même

que la réflexion à ce sujet est particulièrement approfondie et donc ancrée dans leur parcours.

Ils sont d’ailleurs capables, même dans un entretien où les questions s’enchaînent, à

s’autocensurer pour dévoiler en priorité les aspects appréciés socialement. Cette censure

montre l’évolution dans la représentation des joueurs : si l’argent a guidé leur parcours un

temps, ils sont maintenant attirés par d’autres éléments que sont le prestige ou le

développement de valeurs individuelles et collectives. M. Fauchelevent montre alors que les

joueurs, même s’ils n’aspirent pas à devenir pro uniquement pour l’aspect financier, ont

toujours un œil sur l’argent :

- « Je pense que [ce qui attire les joueurs] c'est une forme de reconnaissance

individuelle, sociale, médiatique, l'image d'un Parker. Devenir quelqu'un. Par contre l'aspect

financier, aujourd'hui, a déjà une place dans la discussion. Même s'il est très très... il est

mineur. Il y a forcément un accompagnement financier à faire et les parents ou les joueurs ne

voient pas d'autre façon de faire que de les accompagner sur le plan financier. On a beau

mettre des structures, des entraîneurs, des entraînements de qualité, tout ça c'est bien. Mais

combien ça va me rapporter quand même ? Même si c'est 200€ par mois, mais si c'est 400,

même si c'est la moitié d'un appart. Donc voilà, aujourd'hui pour certains j'pense que c'est

encore quelque chose de flou. Mais derrière aussi, y'a quand même, devenir pro c'est gagner

de l'argent. »258

M. Fauchelevent résume ici parfaitement ce qui ressort de l’analyse des entretiens : les

joueurs ont un réel attrait pour la notoriété publique, pour le prestige. Et cela n’est pas affiché

uniquement pour masquer l’attrait pour l’argent, c’est une réalité dans leurs parcours. Mais,

257

Entretien avec François, minute 24, p.8 258

Entretien avec M. Fauchelevent, minute 25, p. 7

Page 100: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

99

comme il l’indique, « devenir pro c’est [avant tout] gagner de l’argent ». Il est donc

impossible de dissocier professionnalisation et financiarisation et c’est d’ailleurs la définition

même de la professionnalisation : c’est le passage d’une activité bénévole à une activité

rémunérée. Tous les joueurs sont d’accords pour dire que leur but premier en intégrant le

centre de formation était de devenir à terme professionnel. En d’autres termes, tous affirment

qu’ils voulaient gagner de l’argent par le biais du sport.

Alors, le but recherché par les joueurs lorsqu’ils intègrent le centre de formation serait

bien l’ascension sociale. Pas nécessairement une ascension fulgurante, d’une extrémité à une

autre, mais au moins une reconnaissance sociale et une rémunération pour le moins

satisfaisante. Steed explique d’ailleurs :

- « Je pense qu’il y a beaucoup d’argent quand on voit ce que peuvent avoir les clubs,

ce que peut valoir un joueur, ce qu’il peut gagner des fois c’est vraiment énorme au niveau du

salaire. »259

Les joueurs voient cette omniprésence de l’argent, mais étonnamment, aucun ne la

situe dans le basket français et c’est le foot ou la NBA qui sont donnés en exemple. Cela est

pour le moins paradoxal car les joueurs expliquent leur relation à un sport mais prennent

comme modèle un autre sport ou un exemple lointain. Ainsi, Marius affirme en réponse à la

question qui vise à savoir ce qui fait rêver dans le basket:

- « Y’a genre le foot, ça fait plus rêver parce que tu peux, tu gagnes beaucoup

d’argent. L’exemple des grandes stars là, ils gagnent beaucoup d’argent alors que dans les

autres sports tu gagnes moins. C’est tout, c’est ça qui fait la différence.[…] Mais moi c’est

juste faire mon sport que je veux, c’est même pas une question d’argent »260

.

En réponse à une question sur le basket, Marius répond par le salaire des footballeurs.

Et cela se poursuit quand il lui est demandé de définir ce qu’est une star :

- « Ben parce que t’es fan d’eux on va dire. Genre les stars du foot, t’as envie d’être

comme eux, t’as envie de jouer à leur niveau, d’avoir le salaire qu’ils ont, tout ça. »261

259

Entretien avec Steed, minute 28, p.9 260

Entretien avec Marius, minute 17, p.5 261

Ibid., minute 26, p.8

Page 101: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

100

Cela insiste sur la place prégnante qu’a le football dans notre société. Les joueurs

imaginent des salaires dans leur sport à l’aide des fortunes d’un autre sport. Seuls deux

joueurs au cours des entretiens on fait le lien entre les salaires dans le basket-ball français et

les questions de richesses. C’est notamment le cas de Steed qui explique :

- « En Europe je ne sais pas s’il y a suffisamment d’argent pour changer de classe

sociale, enfin devenir riche. »262

Il affirmait pourtant trois questions auparavant :

- « On peut s’enrichir avec le basket, il n’y a qu’à voir, pas trop en Europe mais aux

Etats-Unis, il suffit de faire deux-trois saisons pour gagner assez de sous pour toute sa vie.

Donc oui je pense que dans certains cas, ça permet de changer de classe. »263

Steed ne se réfère pas au football ici mais à ce qui est loin, de l’autre côté de

l’Atlantique. On voit apparaître toute la portée du mythe : les joueurs sont persuadés qu’il est

possible de s’enrichir grâce au sport sans pour autant avoir d’exemples au quotidien dans leur

pays et à leur niveau. Les joueurs associent donc intuitivement salaires du football et sport

professionnel, ce qui est dû à l’importance que les médias accordent aux footballeurs et aux

sommes qu’ils peuvent empocher.

Les joueurs du centre de formation sont ainsi dans un rapport particulier à

l’argent qu’ils voient à la fois de près et de loin. De près car ils sont au dernier niveau de la

sélection et la richesse leur semble accessible, mais de loin car ils n’ont en fait aucune

conscience des salaires et des niveaux de vie de la majorité des basketteurs de Pro A ou de

Pro B, qui, même s’ils vivent très confortablement, sont extrêmement loin des niveaux de vie

des footballeurs. Il faut enfin rappeler que nous nous attachions ici à comprendre la place de

l’argent dans la construction du parcours des joueurs : ce pourquoi ils ont voulu intégrer le

centre de formation et devenir professionnels. Tout le développement précédent montre qu’ils

ont pour la plupart fait une croix sur ce milieu et ne sont donc plus dans le même mode de

pensée. Ils ont développé d’autres goûts et d’autres attentes vis-à-vis du centre de formation

mais l’argent reste à la base de leur rêve et de leur parcours.

262

Entretien avec Steed, minute 23, p. 6 263

Ibid.

Page 102: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

101

Cela est d’autant plus vrai que, comme nous allons à présent le comprendre, l’argent

est nécessaire pour réussir dans le sport.

Section 2 : L’argent, nécessaire vecteur de la performance

sportive

Nous avons pour l’instant compris que l’argent est un but de la performance sportive

et ce dès la construction d’un parcours futur par les joueurs. En ce sens, ils sont influencés par

le mythe qui donne le sport à voir comme un milieu ultra-financé et ce quelle que soit la

discipline. Or, il apparaît aussi que l’argent rend ou non possible la performance sportive.

Avant même d’être un objectif des cursus sportifs, l’argent serait un agent considérable dans

l’accès au plus haut niveau. L’argent n’est ainsi pas uniquement une conséquence de la

performance sportive mais aussi la cause principale de son développement.

A/ Quand progresser est coûteux

Nous avons déjà pu comprendre dans la première partie qu’intégrer un centre de

formation n’est pas donné à tous et que cela a un coût. Si c’est l’obstacle social que nous

avons principalement appréhendé, dans le sens où les sélections pour rentrer dans la structure

formatrice conditionnent un niveau d’origine social moyen voire aisé, il faut à présent noter

que c’est aussi une barrière purement financière qu’il faut franchir pour accéder à l’élite

sportive. Les réponses à la question qui cherche à savoir s’il est plus facile de réussir dans le

sport quand on a plus d’argent montrent l’importance du capital économique dans la réussite

sportive. C’est ainsi que François affirme :

- « Déjà en terme de euh... parce que moi j’associe l’argent avec une condition en

famille plus facile, par exemple les transports ou les choses comme ça, par exemple j’avais

des amis quand j’étais à Meyzieu qui jouaient pas dans un club un peu plus haut parce que

leurs parents pouvaient pas les amener tous les jours à la salle, des choses comme ça. Ça

c’est l’aspect argent. Après dans le basket, ça va en termes d’équipement. Et encore quand on

Page 103: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

102

s’entraîne tous les jours, il faut du matériel. Les chaussures on les change trois fois par an,

des choses comme ça »264

Matériellement, il faut donc des moyens pour s’assurer un avenir dans le sport. Nous

avons déjà évoqué la question des voyages que la famille faits ou non, mais nous avions traité

cette question en termes d’efforts, d’habitus. En fait, les transports nécessaires à la pratique du

sport pour aller, si ce n’est à l’entraînement, aux matchs à l’extérieur ou aux sélections sont

aussi dépendants des moyens économiques. Pensons aussi aux camps d’été et autres stages

qui ont lieu pendant les vacances et qui permettent de pratiquer de façon intense hors saison

officielle. Ces camps ont un coût variable mais les plus réputés sont financièrement très

sélectifs. C’est-ce qui est mis en avant par Nicolas :

- « Ben quand on a plus d'argent, ça permet de faire des stages que les autres pourront

pas faire, l'été, les camps d'entraînement... Plus simple je sais pas mais ça permet de faire des

trucs que les autres pourront pas faire. »265

Tout le monde ne peut pas se permettre d’acheter des tickets de transport en commun

ou de train, ou bien de payer l’essence requise pour faire les déplacements. Or cela a un coût

réel et même important sur plusieurs années. M. Madeleine ajoute d’ailleurs que :

- « Venir au centre de formation de Bourg, pour certaines personnes, ça coûte de

l’argent donc à partir de ce moment-là si les gens peuvent déjà pas financièrement subvenir à

ça, forcément ils seront pas au centre de formation chez nous donc… »266

Le centre de formation n’est pas disponible à tous car il faut pouvoir payer pour y

rentrer. Bien entendu, la sélection ne s’achète pas et dépend des critères que nous avons

énoncés précédemment, mais une fois les joueurs admis, il faut encore qu’ils puissent financer

leurs études au sein du centre. C’est là aussi ce qui explique la moyenne sociale de

provenance des joueurs. On constate alors que ceux-ci sont conscients de ce privilège et de

l’effort fait par leur famille. Marius explique ainsi :

264

Entretien avec François, minute 29, p.7 265

Entretien avec Nicolas, minute 23, p.8 266

Entretien avec M. Madeleine, minute 26, p.7

Page 104: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

103

- « Je pense que c’est plus cher que je sois là pour mes parents oui. Enfin si j’étais

resté au lycée à côté de chez moi tout ça, j’aurais eu tous les billets de train en moins tout ça.

Donc c’est parce que mes parents peuvent payer que je suis là aussi. » 267

Ce discours répondait à la question qui tend à savoir si c’est plus cher pour la famille

que le joueur soit au centre de formation et non dans un cursus « normal ». Neuf joueurs sur

les dix ont répondu à la façon de Marius que oui, il y avait un réel effort financier à faire pour

pouvoir intégrer le centre de formation. Ronny poursuit en ce sens, en allant encore plus loin :

- « Y'a du piston, y'a du piston... y'a du piston. Tout est plus facile quand t'as plus d'argent

de toute façon ! Donc réussir dans le sport aussi. Direct, tu connais plus de monde et tout.

Bien sûr ! Plus t’as d’argent plus c’est simple. »268

Ronny fait ici le rapprochement entre capitaux sociaux et économiques. Et avec

raison : dans la plupart des cas, ces deux capitaux sont extrêmement liés. C’est notamment ce

qui explique ce qu’il appelle le « piston » et qui est traduit comme suit par Marius :

- « Ben y’a certains de mes amis, ils ont des parents qui ont de l’argent et qui sont

hauts placés dans le basket. Du coup ils peuvent intégrer des centres qui sont vraiment forts,

genre à Cholet, l’INSEP, tout ça. »269

Marius insiste ici sur le fait qu’avec des relations, il est plus facile d’aller dans les

meilleurs centres de formation. Les connaissances familiales seraient donc un gage de réussite

et un facteur important permettant l’accès aux meilleures formations. Et comme M.

Madeleine l’expliquait :

- « Tous les centres de formations ne se valent pas. Ceux des clubs de Pro A attirent

plus de monde forcément. Et ils ont plus de moyen, un plus gros staff… Donc ils sortent plus

souvent que nous des joueurs professionnels. […] Ça coûte d’être au centre de formation à

Bourg, mais ça peut coûter encore bien, bien plus cher. Les meilleurs centres de formations,

ils réclament beaucoup. Faut de l’argent quoi. »270

267

Entretien avec Marius, minute 21, p. 6 268

Entretien avec Ronny, minute 36, p.10 269

Entretient avec Marius, minute 16, p. 5 270

Entretien avec M. Madeleine, minute 18, p.6

Page 105: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

104

Les centres de formations en France sont donc un système à plusieurs vitesses, et si

l’on en croit M. Madeleine, plus on se rapproche de l’excellence dans la formation et plus la

structure est payante. Alors, les plus riches seraient favorisés dans la qualité de leur formation

tandis que les moins aisés devraient se contenter des places restantes dans les structures plus

amateures. Cela est révélateur de l’inégalité qui existe dans l’accès à la formation. L’argent,

comme l’expliquent les joueurs, est véritablement un facteur qui détermine la propension à

être un jour professionnel. Il est alors judicieux de noter la position de M. Fauchelevent sur la

question :

- « [Ce n’est] pas du tout [plus facile de réussir avec plus d’argent], ce n’est pas une

question d’argent. C’est de la volonté. L’argent n’a rien à voir là-dedans. »271

Cette prise de position catégorique et antinomique par rapport aux dires des autres

entretiens s’explique par la carrière de M. Fauchelevent : fils d’employé et de nourrice, il est

devenu professionnel à l’âge de 20 ans et a joué 14 ans aux plus hauts niveaux français. Son

parcours le laisse donc penser que la réussite n’est pas une question d’argent mais une

question de volonté : il prend son cursus en modèle pour expliquer un phénomène qui est

pourtant plus global. Si lui a réussi sans moyen, il pense que n’importe qui peut y arriver. On

retrouve ce type de réponse chez seulement deux joueurs. Tony, tout d’abord, qui est lui aussi

clair sur la question :

- « Ah non, ça n’a aucun rapport avec l’argent ! Mais alors absolument pas. Enfin tu

veux faire quoi avec de l’argent ? Non non, vraiment pas ! »272

Tony, ayant déjà signé un contrat professionnel, n’a pas vraiment d’autres choix que

de répondre cela s’il veut légitimer sa position. Rares sont les adolescents qui peuvent

assumer un privilège et se rendre compte si jeunes de l’importance du milieu social d’origine

quand ils ont atteint leur but. Ainsi, dire que l’argent est un facteur déterminant dans la

réussite aurait signifié être un privilégié, un « pistonné ». Or Tony est conscient de la qualité

et de l’ardeur de son travail. Il voit donc dans la signature de son contrat une récompense

méritée, que l’argent n’a en rien changé.

271

Entretien avec M. Fauchelevent, minute 28, p.8 272

Entretien avec Tony, minute 23, p.6

Page 106: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

105

L’autre joueur qui pense que l’argent ne facilite en rien l’accès au haut niveau est

Chris. Comme nous l’avons déjà expliqué, ce joueur est fier de s’être construit seul et le

revendique. Il ne veut donc rien devoir à personne dans son hypothétique réussite, c’est

pourquoi il affirme que les fonds disponibles ne changent pas la trajectoire empruntée.

De ce fait, c’est le parcours personnel plus que l’origine sociale qui détermine ici la

différence de conception du rôle de l’argent dans la réussite sportive. Pourtant, à la vue des

arguments présentés, il est-certain que l’argent est une ressource nécessaire pour percer dans

le sport. Ce postulat remet largement en cause l’idée d’une méritocratie du sport, où tout le

monde serait au même niveau face à l’adversité. Il s’agit dans un dernier temps de

comprendre la position des joueurs sur cette remise en cause profonde du mythe, qui montre

que le basket de haut niveau n’est pas ouvert aux masses mais se destine en fait à des athlètes

originaires d’un rang social moyen, si ce n’est aisé.

B/ Et la méritocratie ?

Nous venons de comprendre que le sport de haut niveau n’est pas ouvert à tous : les

critères de sélection et l’accès aux formations empêchent les moins aisés de réussir. Ce constat

a été rendu possible par les propos des joueurs et on peut donc s’attendre à ce qu’ils mettent

en doute la méritocratie affichée du sport. C’est effectivement le cas : l’ensemble des joueurs

ainsi que les membres du staff ont répondu négativement à la question qui demande si ceux

qui s’en sortent le mieux dans le sport sont les plus méritants. Les raisons sont celles qui ont

déjà été évoqué précédemment : la différence de talent, de taille, de dispositions physiques et

de capital économique. C’est ainsi que M. Fauchelevent affirme :

- « Non, il y a aussi les notions de critères physiques : par exemple, un mec qui fait

deux mètres dix mais qui arrive pas à mettre un tir, bah on a quand même besoin d'un mec de

deux mètres dix, parce qu'il fait deux mètres dix on va le prendre. Et un gamin plus petit qui

va être joueur banal, qui va être noyé dans une forme de masse on le prendra pas même si

c'est un gros bosseur, même si... donc c'est pas forcément le plus méritant. »273

Cette citation est la plus claire, sans doute en raison de la différence de vécu et de

vocabulaire entre M. Fauchelevent et les joueurs et c’est pourquoi nous la prenons en

273

Entretien avec M. Fauchelevent, minute 24, p.8

Page 107: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

106

exemple. Mais il faut rappeler que dans les douze entretiens, on trouve une réponse similaire à

celle du directeur du centre de formation. Si le critère choisi ici pour justifier l’échec

méritocratique est entièrement aléatoire et ne dépend donc pas de l’origine sociale mais de la

taille, Ronny met lui en avant un autre phénomène :

- « Y'en a mais pas beaucoup. Non ça existe pas. Pas dans le sport professionnel. Pas

dans le basket. Faut de l’argent. C’est pas du mérite ça l’argent ! »274

Or, le mythe est fondé sur un idéal méritocratique : c’est l’idée que chacun, de

n’importe quelle origine sociale et sans distinction de revenus puisse être à égalité sur un

terrain de sport. Plus encore, le rôle confié au sport était de réussir là où le politique avait

échoué : dans l’égalité des chances. Ce qui ressort de la recherche est que cette égalité n’est

pas réelle et que la différence de milieu social d’origine est le facteur déterminant qui permet

ou non l’accès au plus haut niveau.

On constate cependant étonnement que les joueurs ne remettent pas en cause la

possibilité d’ascension sociale par le sport. Ils montrent bien que ce sont les athlètes des

classes moyennes ou aisées qui ont le plus de chances de réussir mais laissent entendre que

n’importe qui peut connaître une ascension sociale grâce au sport. On retrouve cette idée dans

les propos de Nicolas :

- « Ben oui. Aux Etats-Unis, y'a beaucoup de joueurs qui quand ils étaient jeunes

vivaient dans les banlieues des grandes villes et qui dans le basket sont mondialement connus,

et gagnent beaucoup d'argent donc ça leur a permis d'évoluer. […]Ben ouais, que par

exemple les joueurs professionnels, quand ils parlent de leur enfance déjà. On voit... Et avec

leur famille, quand... que... ça fait plaisir, en offrant des trucs qu’ils ne pouvaient pas se payer

avant. On voit dans des reportages, on lit quoi. »275

L’ascension sociale est donc possible selon Nicolas. On note encore une fois que c’est-

ce qui est lointain qui est pris en exemple, la NBA. Hors cette ligue, au niveau des salaires et

du prestige qui en découle, est unique au monde. Pourtant, c’est celle qui revient le plus

souvent pour justifier l’idée qu’une ascension sociale est possible par le sport. C’est

notamment ce qu’explique Ronny :

274

Entretien avec Marius, minute 33, p.11 275

Entretien avec Nicolas, minute 16, p.6

Page 108: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

107

- « Ben oui dans le football déjà. Ou au basket aux Etats-Unis. C’est toujours la

même histoire. Le gangster d’un quartier qui passe son temps à jouer et à s’entraîner et qui

se fait repérer par un entraîneur et qui finit en NBA et qui roule en Mercedes. Non mais

même toi tu le sais ? C’est ça le stéréotype. Mais c’est possible, même des fois en France

dans le basket, quelqu’un qui passe d’une classe moyenne à une classe haute on va dire. »276

Cette citation donne plusieurs informations différentes. Tout d’abord, et pour les

raisons que nous avons expliquées précédemment, le joueur se rapporte à la NBA et au

football pour justifier un propos qui, en raison de la tournure de la question, aurait dû le

concerner avant tout. De surcroît, Ronny parle ici aussi de la valeur du travail. C’est parce que

le jeune « gangster »277

américain a passé du temps à s’entraîner qu’il a pu être remarqué.

Intuitivement, on voit le lien qu’il y a entre travail et réussite sportive alors que Ronny est

sans doute le joueur le plus virulent dans la critique du sport comme sphère méritocratique.

Ce paradoxe mérite des explications : Ronny est acerbe vis-à-vis de la méritocratie mais

seulement sur le système français, qu’il côtoie depuis plusieurs années et dont il a observé les

failles. Par contre, les systèmes américains ou footballistiques sont connus uniquement par le

relais qu’en font les médias. Comme nous l’avons compris dès l’explication du mythe, ces

médias apprécient tout particulièrement les récits de « formidables », « d’exceptionnelles »

ascensions sociales. De ce fait, le joueur reçoit et assimile la compréhension de ces différentes

sphères comme les médias le donnent à voir et non comme son propre cursus lui permettrait

d’analyser. La NBA reste un monde à part dans le basket mondial et les joueurs du centre de

formation demeurent candides face à cet univers rêvé. Ils sont proches du professionnalisme

en France mais pas aux Etats-Unis, ce qui explique leur crédulité dans la perception de ce rêve

lointain. Ainsi, ce qui est vrai ici ne le serait pas ailleurs. Et cet ailleurs, c’est déjà dans un

autre sport sur le même territoire. Il apparaît alors que l’absence de méritocratie est dénoncée

seulement dans le basket et non pour l’ensemble du système sportif et social français.

Enfin, la dernière phrase de la citation est révélatrice d’une réalité que nous n’avions

pas encore totalement expliquée : la mobilité sociale ne toucherait en fait que les classes

moyennes. Les joueurs de ces classes auraient une réelle possibilité d’ascension sociale vers

un milieu plus aisé. A la vue des publics du centre de formation, cette analyse paraît

276

Entretien avec Ronny, minute 25, p.6 277

Ibid.

Page 109: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

108

intéressante. Etant donné que les joueurs sélectionnés viennent de classes moyennes, il est

logique que la mobilité sociale touche particulièrement ces athlètes. Dans l’interprétation du

mythe que nous avions proposée au départ, nous considérions l’ascension sociale comme le

passage d’un milieu défavorisé à une classe aisée. C’est en effet la mobilité qui réunit les

extrêmes et qui est donc la plus « spectaculaire », portée par les médias. Or, le parcours d’une

classe moyenne à un milieu plus aisé est aussi une ascension sociale. Cette mobilité est

marquée par un prestige social qui découle de la position de sportif de haut niveau et une

hausse pas forcément extraordinaire mais notable des revenus. Citons alors M. Fauchelevent

qui explique :

- « Il y a une exposition, aujourd'hui le sport pro c'est une bulle qui a l'air de vivre un

peu en marge de toute forme de crise parce qu'aujourd'hui on parle de la crise partout mais

dans le sport on signe toujours de gros contrats à gros coups de millions, on fait des pubs

avec des sportifs, on utilise les images des mecs à droite et à gauche. Le discours, et moi, là je

l’expérimente moi-même qui ai été ancien sportif, c'est qu'aujourd'hui je fais passer des

choses avec des entraîneurs, alors d'autres entraîneurs encore meilleur que moi avant ont

essayé, mais comme ils ont pas cette image d'ancien sportif etc, et ben ça avait moins de

poids. Donc voilà, moi je pense que toute cette exposition là, ça permet une ascension

sociale. »278

En lui demandant si cette ascension en termes de reconnaissance était aussi financière,

M. Fauchelevent a poursuivi en affirmant :

- « Dans la réalité des faits pas pour tout le monde. Elle est extraordinaire pour

certains mecs. Encore une fois ceux qui traversent l'Atlantique. Mais ceux qui restent en

France. Elle est pas extraordinaire mais elle reste bien au-delà de ce que gagne un travailleur

lambda en France. Aujourd'hui des joueurs de rotation en Pro A gagnent plus de 10 000 euros

par mois. Même des cadres avec beaucoup de responsabilités dans des boites, qui font

beaucoup beaucoup plus d'heures gagnent pas 10 000 euros par mois. Donc malgré tout ça,

reste dans le basket comme dans d'autres sports, comme dans presque tous les sports -le hand,

le rugby- des sommes hors normes quoi. »

Ces propos, tenus par un ancien professionnel, semblent justes et précis. L’ascension

278

Entretien avec M. Fauchelevent, minute 26, p.9

Page 110: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

109

sociale est ainsi permise, pour des joueurs venant de classes sociales moyennes ou même déjà

aisées. Ce n’est pas l’ascension sociale que les médias mettent en avant, ni celle qui fait rêver

les foules. Mais cela montre que le sport, dans certains cas, permet de hausser son niveau de

vie. Notons encore une fois que cette mobilité n’est pas méritocratique et qu’elle est loin de

porter le message social que le politique tente de donner au sport. Mais elle marque les

joueurs dans leur façon de considérer le basket-ball. Ceux-ci voient avant tout les conditions

de vie sensationnelles de joueurs appartenant à des sphères différentes ou éloignées de celles-

ci.

Les joueurs en centre de formation confondent différentes réalités et mélangent les

situations : de ce fait, de nombreux paradoxes sont apparus dans les entretiens. Cela vient

avant tout de leur situation : entre enfance et âge adulte, entre naïveté et maturité.

Page 111: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

110

Conclusion

Au terme de notre raisonnement, il est nécessaire de dresser un bilan de la recherche.

Comme nous l’avons compris, et c’est d’ailleurs l’hypothèse que nous avions faîte en

introduction, l’origine sociale constitue un socle de socialisation qui se révèle être déterminant

dans la façon de percevoir, d’appréhender et de représenter le mythe de l’ascension sociale

par le sport. Ce mythe s’est construit en parallèle à trois phases de l’histoire du sport. La

première est-celle de la massification de la pratique sportive, où la pratique bourgeoise a

laissé place à une pratique de foule. La seconde est une phase de professionnalisation du

sport, engendrée par la décroissance du bénévolat et la commercialisation puis la

médiatisation des compétitions sportives de haut niveau. Enfin, la dernière phase, plus

récente, est-celle de l’intégration comme nouveau rôle confié au sport. Cette intégration a été

personnifiée par des modèles issus de quartiers populaires ayant atteint la richesse et une

popularité mondiale.

Nous avons alors distingué plusieurs thèmes permettant de comprendre comment les

joueurs en centre de formation interprètent ce mythe. L’éducation, qu’elle soit scolaire ou

familiale est décisive dans la construction de la pensée de l’adolescent. En effet, nous avons

observé que le rapport aux études change considérablement selon l’origine sociale. Cette

distinction nous a permis de créer trois groupes, en fonction du rapport qu’entretiennent les

joueurs à la scolarité et donc nécessairement à leur avenir dans le sport ainsi qu’à leur

possibilité réelle d’atteindre ou non le niveau professionnel, en suivant un classement effectué

par le directeur du centre de formation et confirmé officieusement par l’entraîneur. Les

différents groupes que nous nous sommes attachés à constituer établissent alors un

« niveau »279

, au sens de Goblot : ils permettent à chacun de se distinguer à l’intérieur d’un

même univers fermé. La « barrière »280

, ce qui permet au groupe d’être fermé, c’est-à-dire la

limite entre ce qui peut constituer le groupe et ce qui lui est extérieur, est ici la phase de

sélection. Or, comme nous l’avons compris, les critères choisis ne laissent passer la

« barrière » qu’à des joueurs venant d’une certaine classe sociale ou presque. Le « niveau »

est déterminé au sein du centre de formation à l’aide de deux principaux critères : la

279

E. Goblot, La barrière et le niveau : étude sur la bourgeoisie française moderne, Puf, Paris, 1925, p. 19 280

Ibid.

Page 112: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

111

possibilité effective de devenir un jour professionnel et encore une fois le milieu d’origine.

L’origine sociale est effectivement notoire puisque, même si tous les joueurs viennent d’une

classe considérée comme « moyenne », il subsiste de réelles différences. Le terme « moyen »

signifie en fait qu’aucun joueur n’est complètement défavorisé ni extrêmement aisé. On a

néanmoins remarqué que les trois joueurs ayant le plus de « chances » de devenir un jour des

professionnels du sport sont les plus aisés, au contraire des trois joueurs ayant le moins de

possibilités dans le sport de haut niveau qui viennent, eux, des milieux sociaux les plus bas en

comparaison des autres joueurs. Nous avons alors compris que ces trois catégories sont aussi

liées à l’engagement et à l’accompagnement familial qui demeurent un facteur primordial

dans la réussite des joueurs.

De surcroît, l’enquête a mise en avant les difficultés physiques et mentales que les

joueurs éprouvent durant leur passage en centre de formation. Le travail est alors montré

comme l’agent nécessaire pour réussir et le dépassement de soi et de ses limites semble

inhérent au fonctionnement de la structure. Cette méritocratie apparente est largement remise

en cause par les joueurs qui invoquent d’autres facteurs dans la progression vers le plus haut

niveau : la taille et le talent, éléments incontrôlables mais aussi les capitaux sociaux et

économiques qui sont inévitablement liés au milieu social d’origine. Alors, dans ce contexte,

le mythe de l’ascension social ne touche pas les joueurs du centre de formation de la même

façon qu’il imprègne la société en générale. Mais il serait hypocrite de dire que ce mythe ne

touche pas les joueurs et qu’il ne guide pas leur conduite. En effet, le prestige social, approché

durant les années de formation et la richesse économique ont guidé depuis l’enfance le rêve de

professionnalisation des joueurs. Et même s’ils s’en détachent, même s’ils dévoilent à travers

leur quotidien beaucoup de limites à ce mythe, ils en sont imprégnés. Alors c’est l’origine

sociale qui différencie les discours et la profondeur « d’enracinement » du rêve. La famille et

les habitus liés au milieu social dans lequel elle se situe jouent un rôle déterminant dans la

manière dont les joueurs vont comprendre le sport, s’accaparer les valeurs transmises au sein

du centre de formation et rester humble ou non face à un monde rude et sans pitié. Mais le

centre de formation n’est pas qu’un lieu d’apprentissage du sport : c’est un centre

d’apprentissage des règles de la vie et de la conduite en société.

En outre, si la recherche a été productive, dans le sens où elle propose de réels

résultats, elle aurait pu l’être encore plus. Cela tient d’abord au choix du panel d’interviewés.

Page 113: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

112

Comme nous l’avions justifié en introduction, réaliser des entretiens avec tous les joueurs du

groupe était nécessaire pour avoir un résultat global et pouvoir comparer la différence dans les

propos en fonction de l’origine sociale. Au terme de la recherche, ce choix paraît satisfaisant

car il aurait été très compliqué de constituer la typologie qui est finalement la clé de voute de

la recherche si certains joueurs avaient été laissés de côté ou si les deux membres du staff

n’avaient pas été interrogé. Par contre, et c’est-ce que les résultats montrent, il aurait été

particulièrement juste de faire des entretiens avec des parents de joueur. Ceux-ci ont une

immense place dans la construction des représentations de leur enfant et avoir leur avis non

seulement sur le mythe mais aussi sur le sport professionnel et sur l’avenir de leur fils aurait

été judicieux. Cela aurait alors permis une analyse plus approfondie et sans doute plus

rigoureuse de l’importance du milieu familial, qui s’est révélé être un facteur clé dans la

différence d’interprétation du mythe de l’ascension sociale par le sport. Le temps disponible

pour effectuer l’enquête explique la limite du nombre d’entretiens réalisables mais ceci nuit à

la qualité du résultat final.

De même, comme nous avons pris soin de l’expliquer tout au long du raisonnement,

les résultats sont absolument inhérents à l’établissement choisi. Il est donc tout à fait possible

et même probable que ces résultats aient été différents si nous avions observé un autre centre

de formation. Les conclusions que nous avons tirées sont par contre bien valides, puisque

elles sont situées dans un espace-temps bien défini, mais ne peuvent être élargies. Elles sont

par contre révélatrices de tendances et de facteurs qui resteront déterminants dans

l’explication des différences d’interprétations quelle que soit la structure étudiée. Le rôle joué

par la famille est ainsi crucial dans le choix de parcours des joueurs et ce dans n’importe quel

centre de formation, en raison de l’importance du milieu d’origine dans la réception et

l’intériorisation des habitus qui y sont liés. Cependant, les résultats restent liés à un

établissement en particulier et perdent dès lors une portée universelle. Bien que l’enquête n’ait

pas eu vocation à recouvrir une telle étendue, il est regrettable que les conclusions ne

s’appliquent qu’en un lieu et en un moment donné. Pour pallier cela, il aurait été sensé

d’étudier plusieurs centres de formations. Ainsi, une comparaison entre les différents types de

fonctionnement et donc les différences de représentation aurait été possible. Cette

comparaison aurait permis de mettre en avant les facteurs les plus déterminants dans la

différence d’interprétation et de comprendre ce qui est inhérent au fonctionnement des centres

ou ce qui est marqué de façon plus globale, sociétale. En d’autres termes, une telle enquête

Page 114: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

113

aurait résolu le problème qui empreinte cette recherche : qu’est-ce qui est, dans les

représentations des joueurs, influencé par le mythe et qu’est-ce qui l’est par la famille ou par

le staff des structures formatrices. Evaluer les rapports de forces ou de domination dans ce qui

construit le mode de fonctionnement et de pensée d’un joueur n’est pas possible sur un seul

centre mais l’aurait été sur deux. Là encore, le temps disponible ne permettait pas de réaliser

autant d’entretiens et donc une telle recherche. Cette impossibilité est regrettable car, sans

cela, les résultats auraient eu une portée beaucoup plus étendue.

De surcroît, le sujet choisi imposait de définir le mythe. Il semble nécessaire, pour

comprendre comment les joueurs l’appréhendent, de savoir comment il s’est construit et

comment il a émergé dans la société. Le mythe est le cœur du sujet et il ne fallait donc pas

laisser de zones d’ombres, ou en tout cas le moins possibles, sur son émergence et sa portée.

Cela étant, malgré un grand nombre de plans imaginés, il semblait inévitable de ne pas

déséquilibrer une partie par rapport à l’autre ou aux autres. De même, ajouter la description à

l’introduction aurait considérablement alourdi un moment de la recherche qui se doit d’être

claire et concise. C’est pourquoi le plan proposé est déséquilibré et propose une première

partie surchargée. La première sous-partie entièrement narrative aurait peut-être pu être

disloquée et répartie dans les autres parties. Cela a été tenté mais ne donnait pas un résultat

assez clair et c’est-ce qui justifie le choix de laisser l’explication de la construction en une

première sous-partie, qui reste tout de même un temps à part dans le recherche.

Par ailleurs, le fait que les interviewés ne soient pas tous des inconnus est de facto un

biais qui altère les résultats des entretiens. Dans certains cas, cela n’a pas été un mal puisque

les joueurs ont eu immédiatement confiance et nous avons montré comme cela est important

auprès d’adolescents. Mais, pour un entretien en particulier, les propos du joueur n’ont pas été

une ressource très fiable puisqu’il n’a pas pris l’entretien au sérieux. Ce désagrément a été

résolu avec l’aide d’un collègue qui a contacté le joueur a posteriori afin de lui reposer des

questions et dont les réponses semblent plus honnêtes. Le centre de formation observé est le

seul à avoir accepté d’organiser les rencontres avec les joueurs, sur des temps d’études définis

et dans un emploi du temps très réglé. Dans les autres structures, il aurait fallu attendre les

vacances pour que les joueurs soient dans leur famille, les contacter un par un et espérer qu’ils

soient tous disponibles. Dans le temps imparti, ce risque semblait dangereux à prendre. C’est

Page 115: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

114

pourquoi, malgré la familiarité avec quelques interrogés, le choix du centre observé s’est

imposé.

Ces limites de la recherche laissent à penser que le raisonnement n’est pas complet et

qu’il mériterait d’être prolongé. A travers le choix du panel des entretiens et du type de

structure étudié, nous avons mis en exergue une façon de représenter et d’appréhender le

mythe. Il serait alors intéressant de pouvoir comparer cette étude avec une étude similaire

traitant de l’imaginaire d’un autre type de public. Cela pourrait être le cas avec des joueurs

plus jeunes mais déjà dans des filières de haut niveau, par exemple dans un pôle espoir que

nous avons évoqué. Les jeunes joueurs, a priori moins mûrs, auraient sans doute tenu des

propos autres, notamment en ce qui concerne le rêve, les modèles et la passion. Mais cela

pourrait aussi être le cas avec des sportifs déjà professionnels. Si quelques-uns ont été cités ici

grâce à une précédente enquête, ils n’avaient pas été interrogés sur le mythe en tant que tel et

la plupart des réponses étaient inexploitables ici. Alors, en interviewant à nouveau ces

joueurs, on pourrait comprendre s’ils sont des « représentants » du mythe ou bien par exemple

s’ils sont critiques au sujet de leur métier. En d’autres termes, changer le panel d’interviewés

serait dorénavant judicieux pour poursuivre la compréhension des représentations. Cette

recherche est une première étape, qui aborde un thème et en propose une interprétation.

Cette interprétation mérite d’être poursuivie car elle laisse encore des zones d’ombres

sur les représentations que les joueurs peuvent avoir du mythe sociétal. En effet, nous n’avons

par exemple pas traité ici de ce que le mythe peut engendrer comme réaction dans un objectif

de réussite. Face à la désillusion qu’un grand nombre de joueurs connait, il serait important de

comprendre les différences de réaction. Ainsi, nous n’évoquons pas ici le cas des conduites

dopantes chez les sportifs. Or, nous pouvons supposer que celles-ci découlent du dépassement

de soi que nous avons évoqué. A force de demander toujours plus aux sportifs pour atteindre

les sommets de leur discipline, face à l’attente des masses d’un résultat qui doit être

spectaculaire et qui repousse les limites physiques, les parcours des sportifs diffèrent, en

fonction de leur personnalité et donc de leur éducation et de leur entourage. Ce besoin de

réussir est sans doute lié à l’émergence du mythe : quand les joueurs se rendent compte que le

rêve qui guide leur parcours risque de s’effondrer, plusieurs possibilités s’offrent à eux : le

dopage, le retour à une vie plus « normale » mais parfois aussi la dépression où le recours

Page 116: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

115

encore plus important au travail et au dépassement de soi. Cela amènerait aussi à s’interroger,

plus que nous n’avons pu le faire ici, sur le rapport aux autres au sein d’un sport collectif.

Comme le montrait un des joueurs, la blessure de l’un peut faire la réussite d’un autre. Dans

ce cas, où commence l’individualisme et où s’arrête l’esprit d’équipe ? Plus encore, jusqu’où

la poursuite du rêve peut-elle mener, notamment dans le rapport aux autres ? La construction

de la personnalité individuelle au sein d’un groupe est un sujet particulièrement important

dans le sport collectif, qu’il faudrait appréhender d’autant plus pour comprendre les logiques

de rivalité et d’amitié dans une structure telle que le centre de formation. Ces logiques sont,

semble-t-il, au cœur de la construction de soi dans un établissement formateur, moment

crucial dans la réflexion sur les possibilités d’avenir et sur les choix de vie. Ces thèmes ont été

abordés mais méritent d’être plus approfondis et pourraient constituer des sujets de recherche

à part entière.

Enfin, et c’est-ce que les thèmes évoqués précédemment laissent à comprendre, il

faudrait pour appréhender l’interprétation du mythe s’interroger sur le rapport au corps

qu’entretiennent les joueurs. En effet, les pratiques sportives sont souvent données en

exemple pour leurs vertus physiques et hygiénistes. Le sport serait alors un formidable moyen

d’être bien dans sa peau, de construire un corps robuste et élégant. Or, et c’est-ce que nous

avons commencé à saisir, le corps est particulièrement mis à l’épreuve et meurtri dans la

recherche de performance. A l’exemple d’un des joueurs cités, le sport peut même « casser »

le corps pour interdire ensuite toute pratique sportive. Le recul incessant des limites, le

dépassement de soi et la volonté d’être toujours meilleur ne laissent pas la santé indemne.

Donnons par exemple un chiffre marquant : l’espérance de vie pour un footballeur américain

est actuellement de 47 ans281

, soit près de quarante années de moins qu’un américain normal.

Si ce chiffre est un extrême dans le monde du sport, on note une recrudescence des décès sur

les terrains ou durant la pratique professionnelle. La quête de la performance aurait donc un

prix, qui est selon un des joueurs interrogés le « sacrifice ». Ce sacrifice serait peut-être celui

du corps, de la santé et à terme de la vie. Alors, un autre sujet mériterait d’être abordé et

même traité pour comprendre les effets du sport. C’est-celui qui demande ce que coûte, à tous

points de vus, une carrière sportive professionnelle.

281

Chiffre donné par le site footballamericain.com à la page http://www.footballamericain.com/nfl/nfl-et-

esperance-de-vie.html, rédigée le 11 mai 2012 et consultée le 24 mai 2012

Page 117: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

116

Table des Annexes

GUIDES D’ENTRETIENS ................................................................................................................................. 117

GUIDE D’ENTRETIEN DES JOUEURS .......................................................................................................................... 117 GUIDE D’ENTRETIEN STAFF .................................................................................................................................... 119

ENTRETIENS ................................................................................................................................................. 121

ENTRETIEN AVEC STEED, ....................................................................................................................................... 121 ENTRETIEN AVEC YVEN, ........................................................................................................................................ 131 ENTRETIEN AVEC CHRIS, ....................................................................................................................................... 142 ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS, .................................................................................................................................. 153 ENTRETIEN AVEC NICOLAS, .................................................................................................................................... 162 ENTRETIEN AVEC LUC, .......................................................................................................................................... 170 ENTRETIEN AVEC TONY, ........................................................................................................................................ 184 ENTRETIEN AVEC MARIUS, .................................................................................................................................... 193 ENTRETIEN AVEC DORIAN, ..................................................................................................................................... 204 ENTRETIEN AVEC RONNY, ...................................................................................................................................... 210 ENTRETIEN AVEC M. FAUCHELEVENT, ...................................................................................................................... 222 ENTRETIEN AVEC M. MADELEINE, .......................................................................................................................... 230

DOCUMENTS ................................................................................................................................................ 240

LICENCES SPORTIVES EN 2010 EN FRANCE ................................................................................................................ 240 « HIERARCHIES » SOCIALES DE DISCIPLINES SPORTIVES ET COTATION DE LEUR DIMENSION ENERGETIQUE PAR RAPPORT A LEUR

DIMENSION TECHNIQUE ........................................................................................................................................ 241

Page 118: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

117

Guides d’entretiens

Guide d’entretien des joueurs

Consigne: J'aimerais que tu me parles de ton parcours sportif, du centre de formation et du

sport professionnel en général.

I / Généralités - Présentation

1) Peux-tu te présenter brièvement ?

Age, origine géographique etc.

2) Comment es-tu arrivé à la JL Bourg ?

Parcours précédent, type de recrutement

II / Le basket

3) As-tu toujours été dans le milieu du basket ?

D’autres sports avant ?

4) Pourquoi t'es-tu tourné vers ce sport en particulier ?

5) Est-ce un sport porteur de valeurs ?

Y a-t-il des différences entre les sports ?

6) Qu’est-ce qui est attirant pour les jeunes dans le basket?

7) Trouves-tu que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?

Par rapport aux autres ? Comment est-ce caractérisé ?

8) Est-ce un sport qui fait rêver aujourd'hui ?

Pourquoi ? En quoi ?

9) Quels sont tes modèles dans le basket et le sport ? Pourquoi ?

III / Le club

1) Peux-tu m'expliquer le fonctionnement du club ?

2) Comment est-ce que le lien est fait entre la section amateur et la section professionnelle ?

3) Comment fonctionne le centre de formation ?

Quelle priorité ? Pourquoi ?

4) Qu’est-ce qui est le plus important pour toi ? Les études ou le basket ?

5) Est-ce que des joueurs du centre de formation intègrent l’équipe pro ?

6) Que font les joueurs du centre de formation si ils ne deviennent pas pro ? Y a-t-il une

reconversion prévue ?

7) Et toi, qu'espères tu à la fin de tes années au centre de formation ? Que feras tu si tu ne

deviens pas professionnel ? Et les autres à ton avis ?

8) D’où viennent principalement les joueurs recrutés au centre de formation ? A ton avis, de

quel milieu social sont-ils issus ?

9) Quelle est la politique de formation des joueurs ? Qu’est-ce que l’on cherche en

particulier ?

Le résultat, le plaisir, la progression à court et/ou long terme ?

10) A ton avis, comment se situe le club sur l’échiquier du basket ?

Niveau financier, structurel, politique => des améliorations à envisager ?

Points faibles/forts ?

11) Pourquoi es-tu venu ici ? Et si un autre club, plus prestigieux, t'avais proposé ?

Page 119: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

118

12) Crois-tu en tes chances de devenir professionnel un jour ? Si non, déception ?

13) A quel moment t'es-tu dit que tu pourrais y arriver un jour ? Pourquoi ? Comment cela

s'est-il passé ?

14) Pour toi, que représente la JL Bourg ?

IV / Le sport professionnel

1) Qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui, de manière général ?

2) Quel différence y a-t-il entre le basket et les autres sports, au niveau professionnel ?

3) Qu'est-ce qui t'attire dans ce milieu ? Pourquoi vouloir devenir professionnel ?

4) Est-ce que tu espères que ta vie sera « plus facile » si tu deviens professionnel ?

Si oui, pourquoi ? Et en quoi ?

5) Est-ce qu'aujourd'hui le sport permet une ascension dans la hiérarchie sociale ? Pourquoi ?

6) Qu'est-ce qui te fait voir cette ascension ?

Médias, connaissances... ?

7) Est-ce que tu penses que c'est un des rôles du sport ? Ou bien devrait-ce en être un ?

8) Selon toi, est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?

Est-ce que tout le monde peut réussir à percer dans le sport ?

9) Est-ce que tu penses que l'Etat ou les politiques publiques font en sorte que le sport

permette une ascension sociale ?

10) Qui t'a permis de réussir dans le basket ?

11) A ton avis, est-ce que c'est plus facile de réussir dans le sport si on a plus d'argent ?

12) Quelle place occupe ton entourage dans ta réussite au basket ? Plus coûteux pour eux ?

Sans famille qui t'accompagne, est-ce possible ?

13) Quelle place prend l’argent dans le club selon toi ? Et dans le sport professionnel en

général ?

14) Quelle place penses-tu avoir dans la réussite du groupe ?

15) Selon toi, que devrait-on changer dans le sport professionnel en général ? Et dans le

basket en particulier ?

IV/ Profil sociologique

1.1.1. Vous êtes:

1.1.2. Quel est votre âge ?

1.1.3. Quel est le métier de votre père ?

1.1.4. Quel est le métier de votre mère?

1.1.5. Quelle est, par conséquent, leur PCS?

1.1.7. Quel est votre niveau d'étude?

10. Par rapport au reste de la population, comment considérez-vous votre vie ?

Page 120: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

119

Guide d’entretien staff

Consigne: J'aimerais que vous me parliez du centre de formation, du milieu social d’origine

des joueurs et du sport professionnel en général.

I / Généralités - Présentation

1) Peux-tu présenter brièvement ?

Age, origine géographique etc.

2) Comment es-tu arrivé à la JL Bourg ?

Parcours précédent, type de recrutement

II / Le basket

3) As-tu toujours été dans le milieu du basket ?

D’autres sports avant ?

4) Pourquoi t'es-tu tourné vers ce sport en particulier ?

5) Est-ce un sport porteur de valeurs ?

Y a-t-il des différences entre les sports ?

6) Qu’est-ce qui est attirant pour les jeunes dans le basket?

7) Trouves-tu que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?

Par rapport aux autres ? Comment est-ce caractérisé ?

8) Est-ce un sport qui fait rêver aujourd'hui ?

Pourquoi ? En quoi ?

9) Quels sont tes modèles dans le sport ? Et dans le basket ?

III / Le club

1) Peux-tu m'expliquer le fonctionnement du club ?

2) Comment est-ce que le lien est fait entre la section amateur et la section professionnelle ?

3) Comment fonctionne le centre de formation ?

Importance des études ? Quelle priorité ? Pourquoi ?

4) Est-ce que des joueurs du centre de formation intègrent l’équipe pro ?

5) Que font les joueurs du centre de formation si ils ne deviennent pas pro ? Y a-t-il une

reconversion prévue ?

6) A ton avis, combien de joueurs sur le groupe ont des chances de devenir pro un jour ?

Peux-tu les classer, de celui qui a à ton avis le plus de chance à celui qui en a

le moins ?

7) D’où viennent principalement les joueurs recrutés au centre de formation ? A ton avis, de

quel milieu social sont-ils issus ?

8) Quelle est la politique de formation des joueurs ? Qu’est-ce que l’on cherche en

particulier ?

Le résultat, le plaisir, la progression à court et/ou long terme ?

10) A ton avis, comment se situe le club sur l’échiquier du basket ?

Niveau financier, structurel, politique => des améliorations à envisager ?

Points faibles/forts ?

11) Pourquoi es-tu venu ici ? Et si un autre club, plus prestigieux, t'avais proposé ?

13) A quel moment penses-tu que les joueurs ont pensé pouvoir devenir pro un jour ?

Comment cela s'est-il passé ?

14) Pour eux, que représente la JL Bourg ?

Page 121: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

120

IV / Le sport professionnel

1) Qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui, de manière général ?

2) Quel différence y a-t-il entre le basket et les autres sports, au niveau professionnel ?

3) Qu'est-ce qui t'attire dans ce milieu ? Pourquoi vouloir devenir professionnel ?

4) Est-ce que tu penses que les joueurs espèrent que leur vie sera « plus facile » si ils

deviennent professionnels ?

Si oui, pourquoi ? Et en quoi ?

5) Est-ce qu'aujourd'hui le sport permet une ascension dans la hiérarchie sociale ? Pourquoi ?

6) Qu'est-ce qui te fait voir cette ascension ?

Médias, connaissances... ?

7) Est-ce que tu penses que c'est un des rôles du sport ? Ou bien devrait-ce en être un ?

8) Selon toi, est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?

Est-ce que tout le monde peut réussir à percer dans le sport ?

9) Est-ce que tu penses que l'Etat ou les politiques publiques font en sorte que le sport

permette une ascension sociale ?

10) Qui a permis aux joueurs de réussir dans le basket, en règle générale ?

11) A ton avis, est-ce que c'est plus facile de réussir dans le sport si on a plus d'argent ?

12) Quelle place occupe l’entourage des joueurs dans leur réussite au basket ? Plus coûteux

pour eux ? Sans famille qui accompagne, est-ce possible ?

13) Quelle place prend l’argent dans le club selon toi ? Et dans le sport professionnel en

général ?

14) Peux-tu classer les joueurs par ordre d’importance dans la réussite du groupe ?

15) Selon toi, que devrait-on changer dans le sport professionnel en général ? Et dans le

basket en particulier ?

IV/ Profil sociologique

1.1.2. Vous êtes:

1.1.6. Quel est votre âge ?

1.1.7. Quel est le métier de votre père ?

1.1.8. Quel est le métier de votre mère?

1.1.9. Quelle est, par conséquent, leur PCS?

1.1.8. Quel est votre niveau d'étude?

10. Par rapport au reste de la population, comment considérez-vous votre vie ?

Page 122: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

121

Entretiens Entretien avec Steed,

Réalisé le 5 avril 2012

Steed me reçoit chez sa mère à Bourg-en-Bresse et nous nous installons dans son salon,

l’appartement étant libre. Je lui demande de ses nouvelles, l’ayant entraîné à des camps de

basket quand il était plus jeune. L’ayant contacté directement par téléphone, il sait déjà la

raison de ma venue. Je lui donne ensuite les modalités de l’entretien et nous commençons.

Question : Peux-tu commencer par te présenter ?

Réponse : Steed, j’ai 17ans, je joue à la JL Bourg Basket depuis 11ans. Sinon je suis en

Terminale S à Lalande et j’habite à Bourg.

Et t’as toujours été dans le milieu du basket ?

Euh…j’ai fait un an de foot au FCBB

Comment es-tu arrivé dans le milieu du basket ?

C’est avec mon père qui lui était vraiment dans le milieu du basket. C’est lui qui m’as

transmis cette passion. Mais ma mère a aussi fait du basket, ma sœur… C’est de famille

Pourquoi après te tourner vers ce sport en particulier. Comment as-tu fais le choix entre

le basket et le foot ?

J’ai fait un an de basket puis un an de foot et après je suis revenu au basket. Je ne sais pas

trop, je préférais le basket, c’était un sport d’intérieur, il y avait pas tout ce qui est pluie, froid

etc. Mais c’est surtout avec mes parents

Est-ce que tu penses que c’est un sport qui véhicule des valeurs ?

(…) des valeurs… (long silence)

Est-ce qu’il y a des choses qui sont rattachées au basket, des impressions, des valeurs qui

sont véhiculées ?

Ba déjà c’est un sport collectif, on dit qu’il faut être intelligent pour jouer au basket.

Selon toi qu’est-ce qui différencie le basket des autres sports ?

Par exemple par rapport au foot je dirai l’état d’esprit. Mon avis, le foot ça reste assez

spécial…enfin…Au basket il y a plus de respect, sur le terrain, on triche moins.

Comment es-tu arrivé à la JL Bourg ?

Page 123: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

122

J’habite à Bourg, mes parents jouaisent à la JL, ma sœur y jouaist aussi donc c’était le plus

simple.

Selon toi qu’est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket ?

Le fait que ce soit un sport collectif et pas individuel, ça crée plus de lien. Après…c’est un

sport…

Qu’est-ce qui peut pousser un jeune au basket plus qu’à un autre sport ?

Après c’est une question de goût de chacun. Le basket c’est un sport qui se joue avec les

mains et non avec les pieds. C’est un sport où il y aura beaucoup moins de contact qu’au

rugby, c’est un sport d’adresse. Dans le basket il peut y avoir aussi du spectacle. C’est peut-

être le sport où il y a le plus de suspens, un match n’est jamais gagné. Même deux secondes

avant la fin, ce n’est pas fini. Donc c’est peut-être ce côté-là.

Est-ce que tu penses que dans le basket, il y a une grande mixité sociale ? [Je lui explique

ce que j’entends par là]

Je pense qu’il y a une grande mixité sociale. Par contre ce n’est pas forcément un sport

accessible à tout le monde. Par exemple au foot, tu prends deux piquets, deux arbres, tu as un

ballon et tu peux jouer au foot alors qu’au basket il faut plus d’infrastructures, il faut un

panier etc. Sinon le basket peut être très répandu dans le monde, même dans les pays pauvres.

Il y énormément de joueurs qui sortent d’Afrique, qui viennent jouer dans les grands clubs

européens.

Est-ce que tu penses que les gens de toutes les classes sociales se retrouvent dans les

clubs, sur un terrain ?

Oui je pense. Le sport permet de réunir tout le monde, met tout le monde sur un même pied

d’égalité.

Est-ce que tu penses que le basket rassemble plus ?

Je sais pas, peut-être que le foot rassemble plus les gens des classes défavorisées.

Pourquoi selon toi ?

Le foot est le sport le plus populaire. Et c’est plus facile d’aller jouer dans un club de football

que dans un club de basket puisqu’il y a plus de terrains de foot que de salles de basket. Le

football est plus développé que le basket.

Est-ce que tu penses que le basket fait rêver aujourd’hui ?

Oui je pense, par exemple avec le dernier Euro et les Français qui sont arrivés jusqu’en finale

et ont fini vice-champions d’Europe. Ils sont aussi allés en finale des Jeux Olympiques (en

2000 ndlr).

Peux-tu maintenant m’expliquer le fonctionnement du club de la JL Bourg ?

Page 124: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

123

Euh…au niveau pro ou amateur ?

Explique-moi déjà cette différence.

Ce ne sont pas deux clubs différents mais ce sont deux parties d’un même club. Chez les

amateurs c’est surtout du bénévolat avec un comité directeur, comme dans n’importe quel

club, et des entraîneurs qui sont payés. Chez les pros, comme c’est professionnel, il y a un

directeur, un trésorier, un entraîneur pro, un assistant, un directeur du centre de formation et

un entraineur pour le centre de formation également. Il y a vraiment des échelons, différents

grades.

Et est-ce qu’il y a un lien entre la section pro et la section amateur ?

Oui, il y a des passerelles entre les deux. Nous, on fait partie de la section pro. Si on a des

blessés, des joueurs de l’équipe 2 peuvent venir compléter l’équipe. Nous on peut aussi aller

du côté amateur. Il y a des gens de l’équipe qui sont allés jouer avec les « Régional 1». Et ils

l’ont fait même à l’intérieur de la section pro : on nous a déjà appelé plusieurs fois pour aller

s’entraîner avec la section pro parce qu’ils avaient des blessés ou qu’il leur manquait des

joueurs.

Donc c’est le centre de formation qui fait un peu le lien entre les deux parties du club ?

Oui

Peux-tu m’expliquer comment fonctionne le centre de formation ?

Déjà on s’entraîne tous les soirs du Lundi au Jeudi. On est aussi en hébergement pour ceux

qui habitent loin, aux Trois Saules. L’école, quasiment tout le monde va à Saint-Pierre

puisqu’il y a un partenariat qui est fait avec la JL. Les repas se font soit à Saint-Pierre soit aux

Trois-Saône à l’hébergement le soir. Au niveau des transports, c’est la JL, les entraîneurs ou

les parents des joueurs qui conduisent le minibus pour aller en déplacement le week-end.

Toi tu es à Saint-Pierre aussi ?

Non moi je suis à Lalande, c’est plus près de chez moi, ma sœur était à Lalande aussi donc ma

mère a dit que c’était plus simple que j’aille là-bas.

Et est-ce que le fait que tu ne sois pas au centre d’hébergement change quelque chose

pour toi par rapport à l’équipe ?

On pourrait croire que je suis un peu à part mais finalement pas vraiment. C’est vrai que eux

se voient 24h sur 24 alors que moi je ne les vois le soi de 18h à 20h, le week-end quand on a

match ou quand on se rejoint pour aller voir le match des pros. Mais non ça va je me sens

intégré, comme tout le monde.

Selon toi, est-ce que c’est important les études ?

Page 125: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

124

Oui. Même pour quelqu’un qui prétend être pro, les études c’est important puisqu’ on n’est

jamais à l’abri d’une blessure et du jour au lendemain, on pourra peut-être plus jamais jouer

au basket de sa vie. Et s’il a rien derrière, il va se retrouver « dans la merde ». Donc oui il ne

faut surtout pas lâcher les études. Il faut au moins avoir son bac.

Pour toi, c’est quoi la priorité, s’il y en a une ?

Je pense que ça reste les études. Après c’est possible de faire les deux à la fois, réussi les

études et beaucoup s’entraîner même si ce n’est sûrement pas facile. Mais oui priorité aux

études.

Est-ce qu’ensuite, des joueurs du centre de formation intègrent l’équipe

professionnelle ?

Oui ça peut arriver. Le fait qu’ils nous appellent pour aller s’entraîner, pour aller remplacer

les pros, ça leur permet de nous juger, de nous évaluer. Et ensuite, au début de la saison

suivante, ils peuvent très bien…S’ils ont besoin d’un jeune pour faire le 11e joueur, ils

peuvent très bien recruter dans le centre de formation.

Et dès lors, que font les jeunes du centre de formation s’ils ne deviennent pas

professionnels ?

Ils peuvent soit continuer pour le plaisir, continuer de jouer à un bon niveau, dans une équipe

région. Certains peuvent arrêter pour leurs études, ils arrêtent un temps et reprennent après.

Y a-t-il une reconversion spéciale de prévue ou chacun gère comme il veut ?

Non je pense que chacun gère comme il veut ». Après on en parle au sein du centre de

formation avec les entraîneurs. Ceux qui habitent loin reviennent plus près de chez eux…

Et toi qu’espères-tu à la fin de tes années en centre de formation ?

Moi je veux faire médecine donc je pense arrêter pendant ma première année, pour un ou

deux ans s’il faut. Et après reprendre pour aller jouer à la JL dans l’équipe 2, donc dans

l’équipe senior. Ils m’ont proposé de jouer l’année prochaine en Nationale 3 mais j’ai refusé.

Mais est-ce que tu crois en tes chances de devenir un jour basketteur professionnel ?

Non pas du tout.

Pourquoi ?

On ne devient pas pro du jour au lendemain. Je pense que ça se voit quand un joueur devient

pro, c’est qu’il domine déjà chez les jeunes, il fait toutes les sélections par exemple

départementales, régionales, zone, nationales. Et après il fait au moins partie des

présélectionnés dans les équipes de France, il fait les camps. Non il n’est pas dévoilé du jour

au lendemain comme ça au public, il ne sort pas de nulle part. On voit quand un joueur a le

Page 126: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

125

potentiel, même en cadet il domine parce que de toute façon quand il va passer pro, c’est là le

changement le plus dur, là où il y a les différences d’âge et d’expérience les plus importantes.

Et c’est une déception ?

Non. Non pas du tout. Quand tu es petit tu rêves toujours de faire ça mais après... Non j’ai

toujours été réaliste, je savais très bien que je n’allais jamais devenir pro.

Et parmi tes coéquipiers, tu penses que certains peuvent devenir professionnels ?

Oui je pense que j’ai un coéquipier qui peut devenir pro, actuellement blessé au genou. Mais

il a des chances d’obtenir l’année prochaine un contrat pro.

Et parmi les autres joueurs qui ne vont pas devenir professionnel, est-ce que eux pensent

qu’ils vont le devenir ?

Est-ce qu’ils vont devenir pro ?

Est-ce qu’ils pensent qu’ils vont le devenir ?

Peut-être. Après ça peut être une forme de motivation aussi. On n’en a jamais vraiment parlé.

Après peut-être que certains sont là effectivement pour vraiment devenir pro et tant mieux

pour eux. Mais c’est vrai qu’on n’a jamais vraiment parlé de ça.

D’où viennent principalement les joueurs qui sont recrutés au centre de formation de la

JL Bourg ?

Ils peuvent venir d’un peu partout. Après cette année c’était beaucoup plus régional, ça venait

de Lyon principalement. Après ça montait un peu plus loin, vers Besançon, les Vosges…Ou

dans l’Ain aussi. Ils peuvent aussi venir directement de l’équipe minime France de la JL

Bourg et intégrer le centre de formation. Mais l’année dernière, c’était de toute la France,

même international : on avait un Lillois, un Parisien, un Marseillais et même trois Sénégalais.

C’est vrai que ça faisait un changement et que ce n’est pas toujours facile quand il y plusieurs

personnes qui ne viennent pas du même endroit, du même horizon pour arriver à s’entendre.

Parce qu’on passer 24heures sur 24 avec les mêmes gens.

Qu’est-ce qui est difficile selon toi dans le fait de mixer comme ça…

L’intégration, le fait que tout le monde n’ait pas les mêmes objectifs. Ensuite ce n’est quand

même pas facile d’être au centre de formation : on s’entraîne beaucoup, on a des longs

déplacements donc certains après peuvent être fatigués, ce qui peut influer sur leur caractère.

Après c’est un groupe donc il y a forcément des hauts et des bas.

A ton avis, de quel milieu social viennent tes coéquipiers ?

Principalement, ils viennent plutôt des classes sociales normales ou aisées. Toute façon, la JL

paye tout. Saint-Pierre c’est un lycée privé mais la JL paye la scolarité, la nourriture,

Page 127: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

126

l’hébergement. Donc tout le monde peut y rentrer, ce n’est pas forcément que pour les

personnes aisées.

Et dans la réalité, est-ce qu’il y a une vraie mixité ?

Non. Dans notre équipe, on n’a personne dont les parents soient soit au chômage ou qui

gagnent le SMIC. On a tous des parents qui gagnent bien leur vie.

Selon toi, quelle est la politique de formation des jeunes à la JL, qu’est-ce qu’ils

recherchent en particulier ?

Ils cherchent vraiment à nous faire progresser, à nous faire gagner de l’expérience. Chaque

année on joue le top 16, les 16 meilleures équipes de France, on joue la Coupe de France. Il y

a des passerelles avec les pros, les séniors 2. Dans le travail, on touche un peu tous les

domaines. On fait beaucoup de technique mais on travaille aussi le physique, c’est-à-dire

musculation, courses…C’est vraiment le travail.

Et selon toi, est-ce que leur but final est que vous deveniez professionnels ?

Oui je pense, mais le but c’est d’au moins faire de nous les meilleurs joueurs qu’on puisse

être, de développer au maximum nos capacités. Après si on a le talent pour devenir

professionnel, oui pourquoi pas. Je ne pense pas non plus qu’on devienne professionnel en

3ans, mais leur but, oui, c’est vraiment de nous faire aller de l’avant. Tant que tu travailles dur

c’est bon. Mais les coachs nous lâchent pas, ils veulent tout le temps qu’on travaille

beaucoup, qu’on donne tout ce qu’on a à chaque match, à chaque entraînement. C’est des

années très dures physiquement et mentalement.

A ton avis, comment se situe le club sur l’ensemble des clubs de basket au niveau de la

formation et au niveau plus global ?

Je pense que concernant le centre de formation, pour un club de Pro B, on est vraiment bien.

On a déjà joué contre des centres d’équipe de Pro A qui avaient de moins bonnes

infrastructures que les nôtres. Ensuite au niveau professionnel, par rapport aux autres équipes

de Pro B, cette année ce n’est pas ça, mais si la sauce prend, si l’année prochaine il y a du

changement…

…et a priori il y en aura…

Oui il y en aura, je pense que ça peut être pas mal.

Si un autre club plus prestigieux t’avait proposé de te recruter, qu’aurais été ton choix ?

Je ne sais pas, c’est compliqué parce que ça dépend de la distance. Si c’est pour un niveau

plus élevé et ne pas jouer ça ne m’intéressait pas. Cette année j’ai eu beaucoup de temps de

jeu et c’est ça qui m’a plus. En première année je faisais tous les entraînements en 1 mais le

week-end j’allais jouer en 2 pour avoir du temps de jeu. L’année dernière c’était en dent de

scie, ça pouvait varier d’un match sur l’autre. Alors que cette année j’ai eu du temps de jeu,

Page 128: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

127

j’ai un peu profité de la blessure de Pierre, comme tout le monde. C’est moche à dire mais

c’est vrai qu’après c’est un petit peu la concurrence, c’est un très bon pote, mais sa blessure

m’a permis d’aller dans le cinq de départ.

Tu m’as dit tout à l’heure que devenir professionnel était un rêve d’enfant. A quel

moment tu t’es dit que cela pourrait arriver ? Est-ce que tu te l’es dit et pourquoi ?

Comment cela s’est passé ?

Quand je pensais ça, j’étais vraiment petit, on ne se rend pas compte du niveau. On joue bien

au niveau département et après on va sur Lyon et dès petit on voit que d’autres sont forts.

Jusqu’à quand tu y as cru ?

Je n’en sais rien. Je pense que dès que je suis sorti du département, en benjamin, je me suis

rendu compte.

Et tu ne t’es jamais dit que le centre de formation pouvait t’apporter ça ?

Non je voyais plus ça comme un moyen de vivre ma passion à fond, de jouer contre des

équipes vraiment fortes, jouer à un très haut niveau. Non c’était vraiment plus dans l’optique

de vivre ma passion que de me dire qu’après mes trois ans, je deviendrais professionnel.

A ton avis, sur un autre thème, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel

aujourd’hui ? Si je te dis « sport professionnel »à quoi cela te fait-il penser ?

…Un métier, des joueurs très forts, des super équipes qui jouent un titre

Y a-t-il une/ des différences entre le basket professionnel et les autres sports ?

Oui je pense, notamment au niveau médiatique, le basket est en retrait par rapport au football

et au rugby. Pour l’engouement, les supporters de basket n’ont rien à envier aux supporters de

foot ou du rugby. Il n’y a qu’à voir en Grèce ou en Serbie, là-bas c’est le sport national et

dans les salles c’est une ambiance unique.

Qu’est-ce qui t’attires dans le sport professionnel ?

De pouvoir faire du basket un métier. Quand tu aimes un sport, ton rêve c’est d’en faire toute

ta vie, donc d’en faire ton métier. Ensuite l’idée de partir loin de chez toi, d’aller jouer à

l’étranger, ce sont des expériences à vivre.

Et selon toi, quelles sont les raisons qui ont attiré tes coéquipiers vers le sport

professionnel ? Ce sont les mêmes raisons, y’en a-t-il de différentes ?

Non je pense qu’au final, on est tous là par passion. Sinon on ne se ferait pas chier à venir au

centre de formation.

Est-ce que tu penses que la vie est plus facile quand on est professionnel ?

Page 129: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

128

Pas forcément, après ça dépend pas rapport à qui. Le gros désavantage, c’est que

généralement on ne reste pas dans le même club toute sa vie, on peut changer de club trois

fois en trois ans…On n’a pas la sécurité de l’emploi, on n’est pas à l’abri d’une blessure qui

nous brise notre carrière. On peut très bien être à Bourg-en-Bresse et se retrouver du jour au

lendemain au fin fond de la Suède. Après, tout ce qui est amis, famille… pour les enfants, ce

n’est pas facile, ils changent d’écoles tous les ans. Cependant c’est sûr qu’on est-certain de

faire quelque chose qu’on aime. Quelqu’un qui travaille à l’usine, je ne pense pas qu’il fasse

ça parce que ça lui fait plaisir.

Est-ce que selon toi, aujourd’hui, le sport permet l’ascension sociale ?

On peut s’enrichir avec le basket, il n’y a qu’à voir, pas trop en Europe malgré quelques

exceptions mais surtout aux Etats-Unis, il suffit de faire deux-trois saisons pour gagner assez

de sous pour toute sa vie. Donc oui je pense que dans certains cas, ça permet de changer de

classe.

Si on revient sur l’Europe et la France particulièrement ?

Il n’y’a vraiment que les gros joueurs qui gagnent vraiment beaucoup d’argent. Le basket

c’est éphémère, à 35ans il faut trouver autre chose, par exemple dans le coaching. Non, en

Europe et dans le basket je ne sais pas s’il y a suffisamment d’argent pour changer de classe

sociale.

Penses-tu que c’est un rôle du sport ?

Non je ne pense pas, il y a déjà suffisamment d’argent dans le sport, pas forcément dans le

basket européen mais dans le foot européen par exemple, les joueurs sont payés énormément.

Je pense qu’il y a suffisamment d’argent dans le sport…et il faut surtout s’intéresser au jeu en

lui-même.

Selon toi, la méritocratie existe-elle dans le sport ? C’est-à-dire celui qui a fait le plus

d’effort sera le plus récompensé

Non je ne pense pas. Chez certains joueurs c’est plus inné que chez d’autres, il y a une part de

talent Certains font énormément d’effort et y arrivent mais ce n’est pas une garantie. C’est

aussi une part de chance, quelqu’un qui était là au bon moment au bon endroit, qui a mis le

bon shoot…c’est peut-être pas forcément le plus méritant.

Selon toi, est-ce que tout le monde peut percer dans le sport professionnel ?

Oui je pense mais dans ce cas-là, pour que tout le monde puisse y arriver, il faut que tout le

monde puisse se donner à 1000% parce que c’est vraiment le travail qui peut nous emmener là

où on veut aller. Après que tout le monde puisse y arriver, je ne sais pas puisqu’il n’y aura pas

nécessairement toutes les infrastructures, des gens ne pourront peut-être pas rentrer n’importe

où s’ils n’ont pas assez de talent. Il y a aussi des problèmes d’argent ou des choses comme ça.

A ton avis, sans rien changer à ce qu’il y a actuellement, est-ce que n’importe quelle

personne peut y arriver ?

Page 130: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

129

Non je ne pense pas. En plus il y a certaines prédispositions. Dans le milieu du basket, on va

plutôt chercher de la taille donc les enfants qui sont plutôt grands seront plus avantagés que

les enfants qui sont voués à être petits et pour qui ça va être beaucoup plus durs. Je ne pense

pas que tout le monde puisse y arriver.

Penses-tu que l’Etat, que les politiques publiques, que les politiques font en sorte que le

sport permette une ascension sociale et permette à tout le monde de réussir ? Penses-tu

que c’est son rôle ?

Je ne pense pas. Concernant le basket ils ne s’en mêlent pas trop, ils vont plus du côté du foot.

Non je ne pense pas qu’ils aient un rôle à jouer là-dedans.

A ton avis, qu’est-ce qui t’a permis de réussi dans le basket, dans le sens où tu as intégré

un centre de formation ?

Mes parents m’ont déjà plongé dans le sport, je me suis beaucoup entraîné toute ma vie, j’ai

eu des bons entraîneurs à chaque année. J’ai eu aussi la chance en minime d’aller au pôle à

Lyon, ça m’a permis de beaucoup progresser. Je pense que c’est le travail finalement.

En plus du travail quelle place occupe ton entourage dans ta réussite ?

Ils se sont beaucoup investis, ils m’ont permis de beaucoup jouer au basket, d’intégrer le pôle

et me donner une grosse source de motivation. Quand tu fais un bon match et que ton père te

félicite, tu es content. Le lundi après-midi tu as plus envie de t’entraîner.

Penses-tu qu’il est possible de réussir sans une famille derrière qui accompagne ?

Oui je pense que c’est possible. Apres chacun a sa source de motivation et au final, ce ne sont

pas tes parents qui vont faire que tu vas être bon ou pas. Ça t’appartient plus à toi, ton

entourage sera pas toujours derrière toi pour que tu y arrives.

Selon toi, quelle place prend l’argent dans le club ?

(long silence) Et bien au niveau du centre de formation, l’argent va surtout aider les joueurs

au niveau logement école enfin études et nourriture. Ça permet d’intégrer plus facilement le

centre de formation et de ne pas se dire « J’aurai jamais les sous pour pouvoir payer ça à mon

fils ». Après il peut aussi y avoir un contrat avec les jeunes du centre de formation. Mais

généralement, l’argent est pour les professionnels et les dirigeants.

Dans le sport professionnel en général ?

Je pense qu’il y a beaucoup d’argent quand on voit ce que peuvent avoir les clubs, ce que peut

valoir un joueur, ce qu’il peut gagner des fois c’est vraiment énorme au niveau du salaire.

C’est même surement un excès.

Quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe, de ton équipe ?

Page 131: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

130

Le fait que je sois 3e année, je dois apporter un peu d’expérience aux 1ere année. C’est vers

des personnes comme Baptiste Pierre ou moi vers qui ils vont se tourner s’ils ont des

questions. Après c’est plus à nous de prendre la parole lors des entraînements, seconder le

coach. C’est d’ailleurs ce qu’il nous avait demandé en début d’année, d’être un peu leaders, et

de mener le groupe. Essayer d’être un peu l’exemple, le moteur aux entraînements.

Et enfin, selon toi, est-ce qu’il y a quelque chose qu’on va changer dans le sport

professionnel ou dans le basket en particulier ?

En général je pense… L’argent, les salaires exorbitants. Après pour le basket surtout en

France, développer les infrastructures, les salles. Que le basket soit plus médiatisé…

Trois-quatre questions pour finir : Tu as 17ans ?

Oui.

Le métier de ton père ?

Professeur d’EPS mais en ce moment il est entraîneur et à la fois éducateur pour ceux qui

passent le BE2

Le métier de ta mère ?

Institutrice

Par rapport au reste de la population, comment considères-tu ton niveau de vie ?

Je me considère bien, par rapport à la moyenne je pense que je suis un peu au-dessus.

Ok, c’est tout pour moi, tu as des questions, des choses que tu veux ajouter, redire ?

Non. C’est bon.

Très bien ! Je te remercie

Page 132: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

131

Entretien avec Yven, Réalisé le 18 avril 2012

Yven vient m’ouvrir la porte du centre d’accueil où les joueurs sont logés, à la demande de M.

Fauchelevent, et nous nous installons dans la salle d’étude, vide. Je lui explique la raison de

ma venue, les modalités de l’entretien et nous commençons.

Question : Est-ce que tu peux te présenter ?

Réponse : Je m'appelle Yven. Je suis cadet France à la JL, au centre de formation J'habite sur

Paris, et donc je suis là depuis la rentrée, depuis le 15 août. J'ai seize ans.

Quel parcours suis-tu à l'école ?

Là, je suis en première STG et pour l'instant on n'a pas encore choisi d'option.

Comment es-tu arrivé à la JL ?

L'année dernière je jouais sur Paris, en cadet France en deuxième div. Je cherchais à pouvoir

atteindre la première division, et je cherchais un centre de formation pour pouvoir mieux

suivre mes études. Et donc, c'est ici, en envoyant mon C.V. à M. Madeleine, il m'a appelé et

finalement je suis ici.

Et tu as toujours été dans le milieu du basket ?

J'ai commencé le basket en 4e, c'est vraiment ça qui m'a plu et je suis arrivé jusque-là.

Et tu as pratiqué d'autres sports ?

Non, j'ai commencé par le basket. Au début je faisais un peu de tout, je touchais un peu à tout

mais sans vraiment être licencié dans un club. Donc ça a été le basket.

Pourquoi t'es-tu tourné vers ce sport ?

C'est surtout l'influence des autres qui me disaient « tu es grand, il faut que tu fasses du basket

et tout » et en essayant ça m'a plu donc je me suis lancé dedans. Et la famille aussi donc je me

suis tourné vers le basket.

A ton avis, est-ce un sport qui est porteur de valeurs ?

(petite hésitation – humm) Je peux dire que oui. En tant que basketteur, je trouve, on est assez

bien reconnu dans la ville de Bourg en Bresse, on a une assez bonne image. Et j'pense que

peu importe où, étant sportif on a une bonne image en tant que basketteur. (petit temps) y'a

des valeurs... En tant qu'espoir collectif il y a une valeur d'équipe tout simplement.

Qu'est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket ?

Page 133: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

132

Ben, justement, d'inculquer ces valeurs, l'esprit d'équipe, plusieurs valeurs qui sont

importantes dans la vie, étant jeune, qu'on peut apprendre. Ensuite... ensuite je sais pas trop.

Déjà, le sport c'est un truc qu'il faut quand on est jeune, je pense.

C'est donc ça qui attire les jeunes vers le basket ?

Je sais pas, peut-être. Je ne suis pas sûr non plus. Je pense que c'est peut-être aussi l'image des

grandes star du basket et tout qu'ils... essayent de leur ressembler.

Qu'est-ce qui fait envie chez ces stars tu penses ?

Ben, on regarde un peu la célébrité, la popularité et puis... ben, ils gagnent cher d'argent aussi

donc c'est un peu tout ça.

Est-ce que tu penses que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?

(explique le concept de mixité sociale)

Ben... je dirais pas autant que d'autres sports comme le foot assez quand même. Pas un sport

de riche comme le golf mais c'est un sport assez mixte je pense, n'importe qui peut jouer au

basket.

Et comment tu te rends compte de ça ?

Je regarde notamment dans le club. Moi je dirais pas que je suis en haut de l'échelle sociale, je

dirais pas que je suis en bas non plus. Mais je regarde dans l'équipe, on va dire qu'y'en a qui

ont des assez bien ces et d'autres un peu moins et on est tous toujours soudés. C’est possible

hein ! Moi j’ai mon cousin il vient du même endroit que moi et il entraîne à un super niveau.

C’est lui qui m’a dit que je pourrai devenir très fort. Et puis y a des mecs de mon quartier qui

jouent à un haut niveau. Ou même quand tu vois genre Zidane, il avait rien et pourtant c’est

le Dieu aujourd’hui. Donc ça montre que tout le monde peut y arriver s’il le veut vraiment.

Est-ce que tu penses que c'est un sport qui fait rêver le basket ?

Bah ouais, comme je disais tout à l'heure, quand on regarde les joueurs NBA et tout, on rêve

souvent de devenir comme eux ou alors les joueurs pro comme à la JL, on veut souvent

atteindre le niveau pro comme eux et je pense que là ça nous donne envie.

Est-ce que tu as des modèles dans le basket ou dans le sport en général ?

Ben, y'a un modèle référence dans le basket qui est Mickaël Jordan mais je pense que ça, tout

le monde a dû le citer. Pour parler plus personnellement, moi ce qui m'intéresserait plutôt c'est

d'être un joueur comme Amare Stoudemire, que j'ai rencontré d'ailleurs, j'ai parlé avec lui et

c'était sympathique. Je veux faire rêver comme lui me fait rêver. Forcément ça fait envie.

Tu l'as rencontré comment ?

Sur Paris, il est venu l'année dernière, il y avait un match NBA / Europe tour à l'occasion de

Page 134: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

133

ça, la veille, il est venu dîner à un petit camp d'entraînement et j'en faisais partie grâce à mon

cousin qui m'a fait rentrer et j'ai parlé avec lui, il m'a donné quelques conseils c'était sympa.

Ok. On va passer à un autre thème, qui est le club.

Ouais.

Est-ce que tu peux m'expliquer comment fonctionne le centre de formation.

Je pense que c'est comme tous les autres centres de formation, ils sont plutôt axés sur les

études c'est à dire qu'il faut réussir ses études et après derrière on peut conjuguer avec le

basket. Après c'est plus une évolution collective j'ai l'impression heu, c'est plus axé sur

l'équipe. Essayer d'avoir de bons résultats en équipe et ensuite individuellement essayer de

bien progresser aussi. Donc je pense c'est plutôt ça. Après, c'est pas tout le monde qui a

l'objectif d'être pro après même si ça reste l'objectif du centre de formation. Mais heu.... ils

cherchent pas vraiment à former des joueurs pro, ils cherchent surtout à donner le meilleur de

nous-même et à atteindre notre maximum.

Est-ce que c'est important les études tu penses ?

Bah, l'année dernière j'aurais dit « pas vraiment » mais là cette année je me rends compte de la

réalité et ouais, j'pense que les études c'est très important.

C'est quoi, la réalité ?

Ben, le supérieur, par exemple si j'ai pas mon bac je pourrai aller nulle part et même avec le

bac j'aurai des difficultés donc je sais qu'il faut travailler, essayer d'aller le plus loin possible.

Mais, travailler parce que toi, tu penses devenir pro, ou pas ?

Ben, non j'pense pas. (rire gêné). Au jour d'aujourd'hui, je vois la réalité, j'me dis que déjà

personnellement par rapport à mon poste, il me manque des centimètres. Après, je sais pas si

je pourrai acquérir le niveau requis temps demandé donc j'préfère continuer mes études à côté

et être sûr d'avoir quelque chose à la fin, mais bon j’y crois quand même.

Tu sais que dans le club il y a une section amateur et une section pro...

Ouais

… à ton avis comment le lien est fait entre les deux ?

(petit silence) ben, les sections amateurs, de c'que j'en ai vu, parce que j'ai fait mon stage à la

JL – mon stage en entreprise – apparemment c'est la section amateur qui fournit un peu pour

le centre de formation et la section pro aussi. Mais derrière y'a pas vraiment de liaison entre

les deux, par exemple les joueurs de la section amateur ils passent rarement pro et l'inverse se

fait pas non plus. Donc après une liaison, y'en a pas vraiment. C'est avec les évènements

comme le tournoi qu'il y avait hier ou quelques tournois, des p'tites soirées et tout mais sinon

à part ça je pense pas.

Page 135: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

134

Et le centre de formation il fait partie de la partie pro ou amateur ?

Je pense de la section pro, mais en gros il fait un peu le lien entre les deux.

A ton avis, est-ce que beaucoup de joueur de la formation vont intégrer l'équipe pro ?

L'équipe pro de la JL ?

Oui, ou d'autres ?

Humm, ben, là pour l'instant cette année moi j'en vois, assez quand même, deux, trois mais

après je pense pas que tous on arrivera à être pro. J'pense pas.

Qu'est-ce qui fait la différence à ton avis ?

Ah après y'a les qualités individuelles, les qualités individuelles aussi, et puis p't'être aussi la

mentalité ouais. C'est à peu près tout j'crois.

Et toi aujourd'hui, qu'est-ce que tu espères à la fin de tes années au centre de

formation ?

Moi, déjà, j'espère avoir une bonne expérience, c'est déjà ça de bien commencer. Avoir

acquéris le maximum de qualités que je pourrais avoir, c'est à dire progresser le plus sur ces

deux ans. Après, être pro si c'est possible, ben, je le ferai. Mais si c'est pas possible ben je

continuerai mes études, je continuerai ma route.

Et dans le centre de formation, il y a une reconversion prévue, si jamais justement, tu

n'arrives pas à être pro ?

(silence) Pas vraiment mais ils nous suivent toujours pour savoir ce qu'on veut faire après le

bac. C'est à dire si y'en a qui veulent s'orienter vers une STAPS et tout. Ils s'en occupent assez,

sinon c'est pas prévu vraiment.

Tu as une idée de ce que tu voudrais faire si tu ne deviens pas professionnel ?

Je compte m'orienter aux les Etats-Unis, pour faire un an là-bas pour une expérience

professionnelle autant pour voir le basket et un peu pour voir une high school là-bas parce que

j'ai la possibilité de reprendre un an en high school là-bas vu que j'suis né en fin d'année.

Ensuite pour voir si je peux intégrer un college là-bas ce serait intéressant. Le basket c’est

autre chose là-bas. Faut voir ce que ça peut donner.

D'accord. Et à ton avis, d'où viennent principalement les joueurs qui sont recrutés au

centre de formation ?

Étant donné que je viens de Paris, un peu de partout, mais sinon, à part moi y'en a beaucoup

qui viennent de loin, y'a... Marius qui vient du pôle du Jura, sinon c'est surtout les joueurs qui

sortent du pôle de Lyon, du pôle lyonnais et qui partent pas à l'ASVEL. En fait on est un peu

Page 136: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

135

le club réserve de l'ASVEL.

Et à ton avis, de quel milieu social ils sont issus ?

Ben, par rapport à ceux que je voix, c'est assez bien placé, un peu plus au-dessus de la

moyenne mais après y'a des exceptions, y'en a qui sont bien au-dessus et y'en a qui sont un

peu au-dessous.

Et à ton avis, comment se situe le club si on parle d'échiquier du basket, au niveau de la

formation ? Par rapport aux autres clubs, est-ce qu'il est bien placé ?

Ben moi, je trouve que pour un club de Pro B il est bien situé, il a une bonne organisation.

Après, si on regarde les centres de Pro A, on peut pas vraiment comparer, c'est des grosses

structures, des grosses équipes. Mais pour un club de Pro B, franchement, on fait de bons

résultats.

Pourquoi es-tu venu ici ? Est-ce que c'est toi qui as choisi ce club ou est-ce que c'était la

seule opportunité ?

Non, c'est un choix que j'ai fait. Le premier choix qui était décisif c'est que ici, tout était pris

en charge, l'école qui est privée, ils me payent le foyer, la nourriture, tout ce qui est habits,

tout est pris en charge. Après, y'a juste à prendre en charge les billets de train pour rentrer sur

Paris, ça déjà c'était pas mal. Et ensuite y'avait un bon suivi scolaire avec les heures d'étude

qui étaient bien structurées, les entraînements tous les jours ça aussi ça m'intéressait parce que

l'année dernière c'est pas ce que j'avais. Et je savais qu'il y avait un bon encadrement avec M.

Fauchelevent et Madeleine donc ça m’intéressait aussi.

Et si un autre club disons plus prestigieux t'avais proposé – on parlait de l'ASVEL par

exemple tout à l'heure - est-ce que tu y serais allé ou pas tu penses ?

Ben ouais. Ouais parce que l'image de l'ASVEL ouais, c'est plus important. Mais après je sais

pas, je pense que j'aurais réfléchi aussi au niveau du jeu si j'avais plus de temps de jeu là-bas

ou ici, c'est surtout ça que j'aurais regardé. Parce qu'après, je pense, au niveau de... de

l'éducation ça aurait été à peu près pareil.

A quel moment tu t'es dit que tu pourrais devenir pro un jour, comment ça s'est passé ?

Quand j'ai commencé le basket, j'ai commencé en championnat départemental. Ensuite mon

oncle, il est venu me chercher parce qu'il était coach en minime France. Il m'a dit « Ouais,

ben, t'as un potentiel et il faut le développer », donc en gros j'ai commencé à jouer en minime

France et après je suis passé en cadet France et je me suis dit « Je pourrais essayer de percer »

donc à ce moment-là je me suis dit « Pourquoi pas essayer d'être pro et d'aller en centre de

formation ».

Et pour toi, que représente la JL Bourg aujourd'hui ?

Bah, c'était une opportunité que j'avais pour devenir professionnel et aujourd'hui je pense que

je leur dis quand même heu.... je les remercie quand même parce que c'est grâce à eux que je

veux continuer mes études et plus m'orienter vers le commerce et le management plus tard,

Page 137: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

136

grâce au stage que j'ai fait à la JL. Et derrière, j'ai bien progressé niveau basket et même dans

les valeurs qu'ils m'ont inculqué, que ce soit dans le basket ou en dehors.

Tu penses rester ici l'année prochaine ?

Ben, si je peux ouais.

Tu n'es pas encore sur ?

Ben, ça me dépendra de si ils me gardent ou pas. On sait jamais mais sinon ouais.

D'accord. A ton avis, aujourd'hui, qu'est-ce qui caractérise le sport professionnel en

général ?

Je dirais plus que c'est un sport de spectacle on va dire parce que c'est surtout les spectateurs

qui vont... ben, ouais, je dirais que c'est surtout ça.

Et est-ce qu'il y a une différence entre le basket et les autres sports au niveau

professionnel ?

Si on regarde par rapport au foot, qui au-dessus niveau heu financièrement et puis sinon, heu,

pas trop. Je pense que tous les sports sont au même niveau.

Et qu'est-ce qui t'a attiré dans ce milieu ? Qu'est-ce qui t'attire encore ?

Ben, le basket, je sais pas, c'est ma passion, ça vient comme ça, c'est dans ma nature et

l'influence de la famille, des amis. Et après je m'y plais bien donc c'est ça qui fait toute la

différence.

Mais, dans le milieu professionnel qu'est-ce qui t'attire ?

Ah, ben, comme je disais, c'est un peu le rêve d'être pro plus tard et de toucher un salaire pour

ce qu'on aime faire et après l'image aussi de la popularité, c'est intéressant.

Est-ce que tu espères que la vie soit plus facile si tu deviens pro ?

Plus facile je sais pas. Parce qu'on dit toujours que les sportifs c'est des fainéants mais bon ils

travaillent quand même toujours et ils s'entraînent difficilement. Mais je pense que, ouais, elle

serait quand même un peu plus facile que certaines des personnes qui travaillent sur les

chantiers notamment ou sur tout...

Pourquoi ?

Bah, notamment au niveau des horaires, au niveau du rythme de vie. Et ouais, donc c'est un

peu, un peu plus simple.

Et aujourd'hui, à ton avis, est-ce que le sport permet une ascension dans la hiérarchie

sociale ? (explications)

Page 138: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

137

Ben ouais. C'est différent. Là je suis joueur de basket et si demain je suis joueur pro, ben y'a le

« pro » qui se rajoute et ça change tout.

Qu'est-ce que ça change à ton avis ?

Ben, je sais pas, c'est... c'est une autre image de soi. Et tu peux dire que j'y suis arrivé, ça y

est, je suis pro. Et les gens ils reconnaissent le parcours qu'on a fait.

Est-ce que tu penses que c'est un des rôles du sport de permettre ça ?

Ben ouais (hésitation). Ben notamment acquérir des valeurs que le sport inculque mais aussi,

devenir pro c'est un peu l'objectif des centre de formation des clubs professionnels : former

des joueurs à devenir pro.

A ton avis, est-ce que la méritocratie existe dans le sport ? (explications sur la

méritocratie)

Non. Pas vraiment. Ben, après y'a des critères... Je sais pas. Un gars qui fait 1 mètre 50 et qui

peut bosser tous les jours il aurait du mal à devenir pro. Alors qu'un gars qui fait des bêtises

on le prendra direct pour être sérieux, pour progresser parce que c'est des bêtises, ils

bougeront pas […] Après y'a le facteur physique. Après un gars qui bosse dur c'est vrai qu'il

va progresser plus vite et qu'il aura l'envie...

A ton avis, est-ce que tout le monde peut réussir à percer dans le sport ?

Ben non. Justement, y'a le facteur du physique, l'égalité des qualités individuelles du potentiel

et tout à gérer pour...

Et qu'est-ce qui te montre l'ascension sociale que permet le sport ?

Ben, déjà les personnes ils changent. J'ai un ami là, Malik Cidibé, il est en pro à la JL, je le

connaissais déjà l'année dernière quand il était en cadet. Je le regarde l'année dernière, je le

regarde aujourd'hui il est pas du tout pareil. Il est passé à un niveau supérieur. Là c'est plus la

re-sta, qui sort en boite et tout alors que l'année dernière c'était un mec tout calme, il parlait

pas. P't'être qu'il s'ouvre aussi. Que ça permet de s'ouvrir vers les autres.

Comment on le voit dans la société ?

Je sais pas.

Est-ce que tu penses que l'état, les politiques publiques font en sorte de permettre une

ascension sociale par le sport ?

Ben... un peu si on regarde tout ce qu'ils mettent en place. Une fédération du basket, et tout...

J'ai pas réfléchi à ça. (silence) Par exemple y'a l'INSEP aussi qui met en place, pour les

sports, pour sortir les gros joueurs français qu'on connaît aujourd'hui...

Page 139: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

138

Et à ton avis, qu'est-ce qui t'a permis de réussir dans le basket ?

Ben... Je sais pas... P't'être l'envie, l'envie... essayer de faire le mieux que mes prédécesseurs,

essayer d'atteindre le plus haut niveau possible.

Est-ce qu'il y a des gens qui t'ont permis de réussir ?

Il y a eu mon oncle aussi qui a permis, quand je commençais le basket. Un de mes cousins qui

est intervenu qui faisait du basket aussi à l'école, qui est au Canada. Et ma mère aussi qui m'a

toujours soutenu.

Et justement, quel rôle tu donnes à ta famille dans ta réussite sportive ?

Ben, c'est un peu grâce à eux parce que si ils étaient pas derrière moi, ben je ne serais pas ici

aujourd'hui.

Et à ton avis est-ce que c'est plus coûteux pour eux que tu fasse ça qu'autre chose ?

Je sais pas. Peut-être plus simple ouais parce que je suis loin de ma famille et tout. Mais ils

sont contents que je réussisse mes études et que je m'épanouis dans le basket.

A ton avis, est-ce que c'est plus facile de réussir dans le sport quand on a plus d'argent

ou pas ?

Ben, ça j'pense pas, non.

Donc tout le monde est sur un pied d'égalité face au sport ?

Ouais, ouais.

Et quelle place prend l'argent dans le club, selon toi ?

Bah, la différence c'est que... par exemple ils y attachent plus d'importance vu que y'a de

l'argent en jeu, y'a de l'argent sur nous et tout. Donc sur ça, ils sont un peu plus stricts et tout.

Sinon, je sais pas.

Et dans le sport en général, est-ce que tu penses que l'argent a une grande place ?

Ben ouais, ça motive. Si on regarde les joueurs pro, ils sont souvent motivés par le salaire et

tout. Et même les joueurs qui veulent devenir pro, c'est pour le salaire qu'ils viennent aussi.

Et toi, est-ce que ça t'attire ?

Ben ouais, ça m'attire aussi. Comme tout le monde. Essayer de bien gagner sa vie en faisant

ce qu'on aime. Mais heu, ouais.

Est-ce que tu penses que c'est la principale motivation des gens ?

Page 140: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

139

Non, je pense pas non plus. On fait du basket parce qu'on aime le basket. On fait un sport

parce qu'on aime ça. Après, si on te dit qu'on peut te filer un salaire en faisant ça, ben ça

motive aussi.

Et est-ce que tu penses qu'il y a quand même des gens qui par le sport ont le but de

mieux vivre, de mieux gagner leur vie ?

Ouais, je pense que ça existe.

Et actuellement dans le centre de formation, tu penses que c'est une majorité de gens ou

pas ?

Non, je pense qu'ici y'a personne qui voit ça comme ça.

Où est-ce qu'il y a des joueurs plus comme ça alors ?

Ben l'année dernière p't'être les trois sénégalais qui étaient venus, justement, une personne qui

sortait d'Afrique, qui sortait d'une situation vraiment difficile qui essayent de percer dans le

sport pour pouvoir être mieux financés, pour pouvoir envoyer à leur famille aussi et les aider.

Donc ouais, y'a des gens qui font du sport pour les finances.

Quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe.

Ben, je sais pas... je sais pas si j'ai une place dans la réussite. Je suis pas leader du groupe

mais je suis pas à la fin non plus.

Est-ce que c'est important la place individuelle qu'on a dans l'équipe ?

Ben, pas vraiment. Nous on voit aujourd'hui ceux qui sont un peu chahutés ben... on a pas un

mauvais regard sur eux, mais après derrière ça crée des tensions dans l'équipe. J'pense que

c'est une équipe, on est tous sur le même piédestal ben c'est bien mieux. Parce qu'on est plus

unis et y'en a pas un qui nous regarde de haut et...

Est-ce que c'est le cas aujourd'hui ?

Ouais

Tu m'as dit qu'il y en a qui ont des chances d'être pro. Est-ce que tu penses qu'ils sont

privilégiés ?

Ouais !

De quelle façon ?

Ben, par exemple tu regardes, ceux qui sont p’têtre plus forts, si un jour il a pas envie de

s'entraîner, ben il va dire « j'ai un contrôle à réviser », il va rester seul pendant que nous on ira

s'entraîner. Ou alors y'en a qui vont aller s'entraîner avec les pros. Mais bon ça c'est pour

d'autres raisons. On va leur dire « Allez vous reposer parce que vous vous entraînez avec les

Page 141: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

140

pros » alors que nous on continue, on continue, on s'entraîne tout le temps. Y'a d'autres sortes

de privilèges aussi. Regarde, là, la saison est terminée, y'en a qui vont continuer à jouer avec

l'équipe réserve... ils s'entraînent, par exemple les entraînements de musculations y'en a des

spécials pour l'équipe et d'autres pour ceux qui vont devenir pro donc heu, pas tous pareil !

Et c'est injuste, à ton avis ?

Ben, je dirais oui, si on regarde on est une équipe, je pense qu'on devrait tout faire ensemble.

Mais après c'est comme le centre de formation. Après y'a d'autres centres de formation, pour

éviter ces tensions entre les joueurs, ils font tourner. Chaque joueur s'entraîne avec les pros.

Toutes les semaines ils changent de joueurs. Je trouve ça intéressant. Et comme ça tout le

monde a sa chance. Mais bon, après c'est la manière d'autres joueurs.

A ton avis, est-ce qu'il y a des choses qu'on devrait changer dans le basket ou dans le

sport en général ?

Ben, non pour l'instant ça a l'air assez pas mal.

Ok. Trois questions pour finir : ton âge c'est 16 ans ?

Oui

Quel est le métier de ton père ?

Il est dans L’événementiel.

C'est à dire ?

C'est à dire tout ce qui est conférence, quand il y a des grosses conférences, des discours

présidentiels, il s'occupe de la lumière, du son de tout ce qui est la mise en place des structures

et tout...

Mais il est cadre, employé ?

Il est employé.

Et la profession de ta mère ?

Ma mère elle est assistante maternelle mais aussi animatrice.

Tu les classerais comment au niveau de l'échelle sociale ?

Pas tout en bas mais pas en haut non plus. Dans la moyenne, quoi.

Et par rapport au reste de la population tu considères comment ton niveau de vie ?

Dans le monde ?

Page 142: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

141

En France.

Bah, moi je le considère bien mais après, par rapport à d'autres je suis p't'être en dessous un

peu.

Et par rapport au reste du monde ?

Ben, par rapport au reste du monde je suis bien parce que tu regardes, y'a plein de continents

en difficultés donc j'ai cette chance d'être né en France !

Merci.

Merci.

Page 143: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

142

Entretien avec Chris, Réalisé le 18 avril 2012

Chris vient me rejoindre dans la salle d’étude du centre d’hébergement des joueurs à la suite

de Jean-Marc. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de l’entretien et nous

commençons.

Question : Est-ce que tu peux te présenter déjà ?

Réponse : Ben je suis (...) Chris, je suis en première bac pro vente au lycée Saint-Joseph. Je

suis en deuxième année cadet à la JL Bourg Basket.

Ok. Et Comment tu es arrivé à la JL ?

Bah je suis arrivé à la JL à l’âge de 12 ans en benjamin. C’était la première fois que je

pratiquais du basket. Donc la JL m’a pris dans son club et ils m’ont formé pendant...de 12 ans

à maintenant. Je suis resté qu’à la JL.

D’accord. Et t’as toujours été dans le milieu du basket ou t’as fait d’autres sports ?

Bah j’ai toujours été dans le milieu du basket. Avant je faisais pas d’autres sports. Enfin du

sport de rue, du foot, du n’importe quoi mais en club c’est le basket que j’ai commencé à

pratiquer.

Et t’es originaire de Bourg ou ?

Non je suis pas du tout originaire d’ici, je suis originaire de la Réunion.

Et comment de la Réunion t’es arrivé à Bourg ?

Bah mes parents sont venus ici et ils m’ont emmené avec eux et voilà. Je suis venu à Bourg.

D’accord. Et pourquoi tu as fait du basket ?

Ben déjà euh...au début ce sport euh...c’est mon médecin en fait. Je suis allé voir mon

médecin et ma mère qui m’a dit euh... « ah mais madame votre fils il est grand, il est super

grand, pourquoi vous l’inscririez pas dans un club de basket ? » Ma mère elle connaissait rien

au basket et tout. Après le médecin a amené un bonhomme de la JL et du coup on est allé voir

à la JL et comme par hasard il restait une place et c’est moi qui l’aie prise. Et c’est comme ça

que ma carrière de basketteur a commencé. Et je me suis beaucoup entraîné. Beaucoup

beaucoup !

Et à ton avis, est-ce que c’est un sport qui est porteur de valeurs qui sont attachées au

basket ? (je lui explique ce que j’entends par valeurs)

Ben c’est déjà quand on parle de basket on parle de respect. C’est euh... un sport collectif

euh...qui a pour but de...de (...) avant et des personnes de différentes régions, de différents

Page 144: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

143

pays. Et euh...qu’est-ce que je peux dire d’autre ? Je sais pas trop...je sais pas trop quoi

répondre.

Ok pas de problème. A ton avis qu’est-ce qui est attirant pour un jeune au basket

aujourd’hui ? Qu’est-ce qui va faire qu’un jeune va se mettre au basket aujourd’hui ?

(il répète la question) Franchement je peux pas te répondre.

Tu sais pas ce qui peut l’attirer ?

(il répète une nouvelle fois la question) (long moment de silence) C’est une très bonne

question parce que...je sais pas. Je peux pas te répondre, je sais pas.

Mais est-ce qu’il y a des choses qu’on entend qui font parler du basket, qui vont donner

envie à ton avis ?

Bah...je peux dire les...smashs, les dunks. Les joueurs...les joueurs à haut niveau. Quand un

jeune qui s’y connait en basket entend parler de Tony Parker, de Antoine Diot, de Batum et

tout, ça peut le donner envie parce que...ce sont des jeunes qui ont réussi et euh...ça peut

donner envie d’apprendre.

Ok. Donc là je vais parler de mixité sociale (je lui explique ce qu’est la mixité sociale).

Est-ce que tu penses que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?

(il répète encore une fois la question) Ben... (il marque un long temps de pause.) Dans ta

question tu veux dire : est-ce qu’il y a une personne qui n’a pas d’argent peut faire du basket ?

Ben c’est plus est-ce qu’il y a aussi bien des gens qui ont beaucoup d’argent que des gens

qui ont pas d’argent qui jouent au basket ? (je lui explique une nouvelle fois ce que

j’entends par mixité sociale)

Ouais. Ouais.

Et par rapport aux autres sports tu penses que c’est pareil ?

Bah par rapport aux autres sports euh...je peux pas t’éclairer dessus parce que moi je...je

m’adresse à pleins d’autres sports mais...juste au point de vue regarder. Mais dans le fin fond

d’autres sports...non moi y’a que le basket.

Mais t’as pas une idée, quand tu vois, ce que tu en penses, est-ce que tu penses que c’est

pareil dans tous les sports ou ?

Logiquement ça devrait être pareil mais bon. Peut-être que c’est pas pareil. Je sais pas. Pour

moi ça doit être pareil.

Mais dans le basket en tout cas c’est comme ça ?

Oui dans le basket c’est comme ça. Pour moi y’a pas de mixité non...y’a pas de ça.

Page 145: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

144

Tu veux dire il y a tout le monde qui peut jouer au basket ?

Tout le monde peut jouer au basket, il suffit juste que t’aies un bon potentiel et tout de suite,

que tu sois riche ou pas riche, que tu sois pauvre...tout le monde peut jouer au basket.

Et est-ce que c’est un sport qui fait rêver à ton avis aujourd’hui ?

Ben... (marque un moyen temps de pause.) Pas plus que le foot. Parce que...enfin aux Etats-

Unis oui, mais ici en France, je trouve que le basket n’est pas assez porté haut par rapport au

foot. Parce que je trouve que...le foot c’est le sport numéro 1 ici en France. Le basket, je sais

pas...je sais pas où il est classé mais il est pas assez considéré pour moi. Je trouve qu’il

pourrait l’être plus parce que...c’est vachement un sport où...c’est vachement un bon sport

quoi. C’est un bon sport qui pourrait être considéré au même classement que le foot mais bon.

Tout le monde n’est pas du même avis que moi.

Pourquoi tu penses que le foot fait plus rêver que le basket ?

Ben...aussi euh...parce que euh...au foot, je sais pas, y’a peut-être plus de chances de réussir,

de finir professionnel au foot qu‘au basket. Au basket, c’est très dur de devenir professionnel.

Genre euh...dans une équipe de 10 joueurs, y’a peut-être un ou deux qui vont finir

professionnels, plus tard. Par contre au foot euh...tu perces facilement je crois.

Et est-ce que t’as des modèles dans le basket ou dans le sport en général ?

Moi dans le sport mon modèle c’est euh...au basket déjà c’est Kobe Bryant, et au foot, je peux

dire... (il hésite) Lionel Messi. (rires)

Pourquoi Kobe Bryant au basket ?

Oh Kobe Bryant parce que c’est un joueur polyvalent, c’est un joueur...y’a pas de mots pour

le qualifier, il est tellement bon. Il a une vision du jeu...hors normes. Il a une vision du jeu

comme aucun autre joueur et euh... à ce jour y’a pas de comparaison. Enfin moi je trouve pas

mais pour moi y’a aucun joueur qui peut lui arriver à la cheville. (il répète trois fois Kobe

Bryant) Y’a Michael Jordan ? Oui mais pour moi maintenant c’est passé c’est la place de

Kobe.

Et est-ce que tu peux m’expliquer le fonctionnement du centre de formation ?

(il répète la question) Alors le centre de formation a été créé pour le but de...de repérer tous

les jeunes talents de France, enfin de France ou du monde mais enfin... Oui du monde parce

que ici à la JL Bourg, il y a des jeunes qui sont venus du Sénégal, donc je peux dire du

monde. Parce que des jeunes talents qui vont peut-être qui vont avoir la chance de finir

professionnels plus tard donc euh...leur but c’est de leur former au plus haut niveau possible.

Et euh ouais c’est tout.

Tu sais qu’à la JL il y a une section amateur et une section professionnelle, et comment

le lien est fait entre les deux à ton avis ?

Page 146: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

145

(il répète la question) Ben...hum. Je sais pas.

Et toi dans le centre de formation, t’es dans quelle partie ?

Ah ben...dans le centre de formation, je suis encore amateur.

Et venant du centre de formation, est-ce que tu penses qu’il y a une chance d’intégrer la

partie pro un jour ou pas ?

Déjà quand t’es en centre de formation, c’est pour 3 ans. Tu signes pour 3 ans et euh...le club,

normalement, logiquement, s’il te prend dans le centre de formation, c’est pas pour te virer

une année après. Ils le prennent pour trois ans de suite, sans le virer après. Après ça dépend

des valeurs du jeune. Si le jeune euh...les clubs pros l’ont remarqué pendant ces trois ans de

cadet, il peut euh...intégrer le club Espoir, euh....l’équipe Espoir de ce club. Donc euh...les

équipes Espoir sont plutôt dans les clubs où y’a les pros. Genre ici à la JL on a pas de club

Espoir parce qu’on est pas en pro A, on est en pro B. Donc euh...quand même un jeune qui

sort du centre de formation intègre un club pro, enfin un club Espoir, il a beaucoup de chances

d’aller en pro.

Mais du coup à la JL où il n’y a pas d’équipe Espoir, il y a quand même des joueurs du

centre de formation qui intègrent l’équipe professionnelle ou pas ?

Oui. Enfin cette année y’a un joueur de mon équipe qui a signé pour être en pro. C’est sa

dernière année et il a signé pour le club pour l’année prochaine, ici à la JL.

Et que font les joueurs du centre de formation s’ils deviennent pas pro ?

Ben ça dépend, yen a certains qui arrêtent complètement le basket, qui se mettent dans leurs

études. Mais sinon y’a d’autres qui vont...y’a plusieurs équipes de la régionale 3, régionale 1,

régionale 2, les euh...départementales, y’a plein d’autres équipes. Mais ce sont des équipes où

tu t’am...pfff où t’es...enfin t’es R1, 2 et 3 t’es payé mais les autres équipes

c’est...départementales, c’est pour t’amuser, pour garder la forme. Mais les autres équipes, y’a

quand même encore un peu de compétition. Le mieux c’est être en Espoir pour espérer finir

pro.

Et toi, qu’est-ce que t’espères à la fin de tes années au centre de formation ?

Ben moi, ce que j’espère c’est de...aller en Espoir, dans un bon club Espoir et je me donne les

moyens pour. Et si j’arrive pas à trouver un club Espoir je vais en...Nationale 3, dans un club

Nationale 3 qui pourra peut être me permettre d’intégrer un club euh... Espoir après.

Et que feras-tu à ton avis si tu deviens pas professionnel ?

Ben ce que je ferai c’est...je continuerai mes études, je vais me mettre à fond dans mes études.

Puis...je continuerai quand même le basket dans un petit, dans un club quoi, pour garder la

forme, pour garder la passion quoi.

Page 147: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

146

Et est-ce que tu crois en tes chances de devenir pro un jour ou pas ?

Franchement...(il hésite un long moment) Non. Enfin si y a des chances quand même (il me

regarde malicieusement). Mais y’a peu de chance parce que y’a quand même une

concurrence, y’a beaucoup de la concurrence

(Nous sommes interrompus par quelqu’un qui tape à la porte)

Y’a beaucoup de concurrence donc maintenant, ces années, c’est très dur de devenir

professionnel. Comme j’ai dit, dans une équipe de 10, y’a peut-être un ou deux qui ont cette

chance, les autres, c’est chaud.

Est-ce que c’est une déception pour toi ?

Oui c’est une déception pour moi si j’y arrive pas, parce que moi j’ai dans l’idée que quand un

jeune a sacrifié trois années de sa vie pour être en centre de formation, la meilleure

récompense ce serait peut-être qu’il finisse pro quoi. Ouais parce que...euh, on a quand même,

enfin je vais pas dire gâcher parce que c’est pas le cas, mais on a quand même donné trois

années de notre vie à bosser à fond, à bosser, à se réveiller le matin pour aller à l’entraînement

et tout, mais je crois que la récompense ce serait qu’on finisse pro plus tard. Mais moi j’y

crois !

Parce que c’est un sacrifice pour toi là, le centre de formation ?

Je dirai pas que c’est un sacrifice, c’est euh... (il hésite un moment) d’une part c’est euh...c’est

une joie. C’est une joie d’être là parce que tu pratiques ta passion, tu pratiques ton sport que

t’aimes et t’as la chance de le pratiquer à haut niveau. Nous on peut dire en centre de

formation, on se qualifie de joueurs à haut niveau, parce que on...y’a déjà des très bons dans

notre niveau. Et donc euh...ouais c’est une petite déception que de, qu’un joueur qui a sa...qui

a donné trois années de sa vie, travaille à fond, qui a bossé sans relâche, peut pas finir pro

quoi. Parce qu’on est là pour ça, enfin tout notre but c’est quand on nous dit « ouais tu vas

être en centre de formation », notre but c’est de bosser et pour finir pro plus tard. Et ouais

quand tu te dis que peut être tu pourras pas finir pro, ça te donne un coup dans le moral, ça te

casse quoi.

Mais t’espères encore quand même ?

Oui j’espère ! Là il me reste, c’est ma deuxième année, il me reste l’année prochaine, je vais

continuer à bosser dur et je verrai bien ce que l’avenir me réserve. Mais...à côté, je travaille,

j’ai mes études quand même. Je travaille, mais euh...je travaille aussi en cours parce qu’on

sait jamais, les études c’est important quand même. Mais bon le basket c’est mieux…

Et si justement tu t’en sors pas dans le basket, qu’est-ce que tu souhaiterais faire à côté ?

Ben ce que j’aimerais faire à côté c’est douanier.

Et à ton avis d’où viennent principalement les joueurs qui sont recrutés du centre de

formation ?

Page 148: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

147

(il répète la question) Ben ils viennent de euh...des différents bouts de la France. Fin moi je

viens de la Réunion, y'a ceux qui viennent de Paris, y’a ceux qui viennent de Strasbourg, y’a

deux trois qui viennent de l’ASVEL de Lyon euh... yen a d’autres qui viennent du Juras, enfin

c’est de partout.

Et à ton avis de quel milieu social ils sont issus ?

Euh...ben...à peu près du même niveau social. Parce que dans notre équipe euh...dans notre

équipe je vois pas perso...comment je peux dire ça... Personne ne...enfin moi je crois,

personne n’a des soucis d’argent. Je peux dire ça comme ça, personne n’a des soucis d’argent.

après nos parents ont des bons emplois, on a tous des maisons... Je vois pas, personne n’habite

dans HLM dans mon équipe, on a tous des maisons, et mon père travaille, ma mère elle

travaille, et on vit bien quoi. On va dire ça.

Et à ton avis, qu’est-ce qu’on cherche en particulier avec les joueurs ici ? Enfin dans le

centre de formation de la JL ?

Ben...qu’ils aillent le plus loin possible. Qu’ils se donnent à fond, qu’ils euh... qu’ils montrent

de quoi ils sont capables.

Et est-ce que tout le monde est au même niveau à peu près ou est-ce qu’il y a vraiment

des différences ?

Tout le monde n’est pas au même niveau, y’a des...comment je peux te dire ça ? Dans les

années cadets y’a trois années. Y’a les premières les deuxièmes et les troisièmes années. Les

troisièmes années ont logiquement un niveau supérieur aux deuxièmes années. Les deuxièmes

années sont logiquement à un niveau supérieur des premières années.

Et ça pose pas de problème ?

Ben...non ça pose pas de problème parce que dans une équipe de basket, il faut avoir tous les

niveaux parce que sinon, c’est pas une équipe quoi.

Et est-ce que au niveau de la formation, la JL c’est un bon club par rapport aux autres

ou pas ?

Ben au niveau de la formation, la JL ils font partis des bons centres de formation de France.

Ils ont un bon centre de formation, un bon centre d’hébergement, il fait parti des meilleurs.

Pourquoi t’as choisi ce club de formation, est-ce que si un autre club plus prestigieux

t’avait proposé tu y serais allé tu penses ?

Ben...en ce moment... Pourquoi j’ai choisi celui-là parce que quand on m’a proposé de venir

en centre de formation ici à la JL, j’avais pas d’autres choix parce que déjà je connaissais pas

bien le basket, et ça faisait deux ans que je pratiquais du basket, parce que exactement en tout

ça fait 4 ans que je fais du basket. ça faisait deux ans que je faisais du basket et je connaissais

pas encore grand chose. Donc quand on m’a proposé de venir à la JL j’ai dit « OK je serai en

Page 149: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

148

centre de formation à la JL, cool, j’ai dit ouais ». Et l’année dernière...enfin déjà cette année je

devais pas être là. J’ai Aix Maurienne, je sais pas si tu connais, Aix Maurienne qui m’a

proposé d’aller jouer là-bas l’année dernière, enfin pour cette année. Du coup je devais y aller

mais vu que le centre de formation a changé de directeur, le directeur du centre de formation

c’est devenu M Fauchelevent, M Fauchelevent il m’a reproposé de rester ici. Il m’a...bref, il

m’a reproposé de rester ici (...)

Il t’a quoi ? Il t’a convaincu ?

Ouais il m’a convaincu de rester ici et du coup, je suis resté ici. Et ce même club, Aix

Maurienne, j’ai appris y’a pas longtemps, ils m’ont recontacté pour aller là-bas l’année

prochaine. Et du coup, vu que cette année, la JL j’en ai eu un peu marre, je peux franchement

j’en ai eu vraiment marre parce que euh... parfois j’ai l’impression que les coachs ont des

favoris dans l’équipe, et ça, ça me met hors de moi. Et du coup Aix Maurienne m’a recontacté

euh...je vais aller voir ça mercredi prochain.

Là du coup tu penses que c’est la fin avec la JL ?

Ben...y’a des grandes chances que oui.

Mais comment tu le ressens qu’il y a des favoris, comment tu le vois ?

Ben...y’a des favoris et le truc c’est que les coachs ils se cachent pas. Ils se cachent pas de la

montrer. Genre euh...ils vont favoriser certains joueurs et d’autres non... Quand je dis

favoriser c’est euh...comment dire ? Y’a plein de petites choses qui font ça c’est genre euh...

quand on va chez le médecin, y’a certains joueurs qui sont obligés d’aller en bus et d’autres

non. Ils vont les chercher et ils les accompagnent. Y’a des joueurs qui jouent 40 minutes par

match et d’autres non et ça c’est pas possible parce que dans une équipe, un joueur ne devrait

pas jouer 40 minutes par match quel que soit son niveau. Un joueur, tous les joueurs parce

que des joueurs dans notre équipe franchement, je te dis, ils jouent pas, ils jouent 0 minute.

Donc euh...(il réfléchit) y’a plein de trucs comme ça qui sont

(une nouvelle fois interrompus)

Juste, qui est-ce qui joue 0 minute ?

Ben c’est plus des premières années. Y’a un joueur en particulier Marius, lui euh... les coachs

ils le considèrent pas. Je peux dire ça comme ça parce que c’est mon avis. Et ça, ça devrait

pas être comme ça parce que quand un jeune vient en centre de formation c’est pour le faire

progresser. Et comme ils font, si un jeune reste assis sur le banc pendant 40 minutes, c’est pas

pour le faire progresser.

Et toi, t’as du temps de jeu ?

Oui moi ça va... J’ai beaucoup de temps de jeu. En début de saison, j’étais blessé, parce que je

me suis cassé un os au pied et donc j’ai fait 4 mois sans jouer. Et du coup, je suis revenu après

et...au début j’avais pas beaucoup de temps de jeu, je revenais de blessure, maintenant j’ai

récupéré et c’est cool.

Page 150: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

149

Ok. Et à quel moment tu t’es dit que tu pourrais y arriver un jour ?

(il répète la question) C’est tout le temps en fait. Y a des gens qui me disent que je suis un bon

joueur alors je les crois. Y’a des fois où, franchement je te le dis, j’ai envie de tout arrêter

genre tout abandonner, basket tout et de vivre avec mes parents. Ça fait 2 mois et demi que je

suis parti de chez moi...enfin j’ai vu ma mère oui, mais que j’ai pas vu mon père, ni ma petite

sœur, que j’ai pas vu ma maison. Franchement j’ai rien vu. J’ai envie de tout arrêter et de

vivre avec mes parents mais y’a une petite volonté, et c’est-cette petite volonté que j’ai en

moi, et qui me dit « vas-y continue » qui me donne envie de réussir, de me surpasser, de...tu

vois ?

Oui. Parce qu’ils habitent où tes parents là ?

Bah mon père il habite à Strasbourg, et ma mère elle habite à Villefranche, elle est avec mon

beau-père. Mais Je veux qu’ils soient fiers de moi. Je les vois pas presque. J’ai vu ma mère il

y a deux mois la dernière fois et mon père je ne l’ai pas vu de l’année, depuis le début de

l’année. Je vais faire des tests dans un autre club parce que je pense qu’on m’aidera plus là-

bas. Ici on me considère pas comme un grand joueur. Si je vais là-bas je pense qu’on va plus

voir comme je joue. C’est eux qui m’ont téléphoné, ça fait déjà deux fois.

Et pour toi aujourd’hui, que représente la JL Bourg ?

(il répète la question) Ben la JL Bourg représente une grande partie de moi, parce que

c’est...là que j’ai commencé. Et je dirai pas que c’est là que je vais finir mais c’est là que j’ai

commencé et peut être qu’un jour, qui sait ? Je vais venir jouer ici à la JL.

D’accord. Et à ton avis, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui ? (je

lui réexplique la question)

L’argent.

L’argent ? Pourquoi ?

Parce que c’est...c’est-cette image quoi. Qu’on nous donne, que les joueurs professionnels

donnent que ce soit au foot, au rugby, au basket, tous les sports, c’est l’image que les joueurs

pro nous donnent. Parce que quand t’entends au foot qu’un joueur a été transféré pour telle

somme, quand t’entends au basket que le joueur qui est arrivé a signé un contrat de tel somme

tu dis ben... « Je vais finir pro pour devenir riche » voilà, pour finir avec plein de sous pour

avoir des belles maisons, des grosses voitures, voilà. Aux Etats-Unis c’est ça, c’est-cette

image qu’on nous donne. Ca fait envie quand même, normal.

Et toi, ça te fait envie ça ?

Ben...moi oui, ça me fait bien envie parce que, j’aimerais bien gagner ma vie avec ma

passion. Ouais, j’aimerais bien gagner ma vie avec ma passion. Et de bien la gagner.

Page 151: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

150

D’accord. Et est-ce que tu penses qu’il y a une différence entre le basket et les autres

sports à ce niveau-là tu penses ou pas ?

Oui, il y a des très grosses différences. Ben moi je fais référence au foot, au basket, il a une

très grosse différence d’ordre financier.

Mais toi qu’est-ce qui t’attire dans le milieu professionnel ?

Moi c’est, non y’a pas que l’argent qui m’attire, c’est pas complètement...c’est aussi le fait de

faire un sport, le fait de montrer mon talent à plusieurs personnes, genre au public qui vient

me voir jouer. Le fait de faire plaisir, à certains gamins, plus tard parce que comme moi, tu

sais je t’ai dit Kobe Bryant me fait rêver, le fait de faire rêver certains gamins, ça, ça me

donne envie de...de finir pro.

Et est-ce que tu espères, si tu deviens pro, que la vie sera plus facile ou pas ?

Ben...non, je crois pas parce que, ça reste la même vie, ça change pas. Y’a rien qui change. Je

peux pas dire c’est comme si tu travaillais mais bon, c’est pas pareil. Mais...qu’est-ce qui

change ? T’as toujours les mêmes soucis, t’auras toujours les mêmes soucis de la vie, t’auras

des enfants, t’auras une femme, t’auras une voiture, t’auras une maison, t’auras les impôts à

payer, qu’est-ce qui change ? Rien, y’a rien qui change.

Et est-ce que tu penses que le sport aujourd’hui, ça permet de grimper dans l’échelle

sociale ? (je lui explique ce que j’entends par échelle sociale)

Ohhhh oui, ça oui, ça c’est...une personne qui est d’une classe sociale moyenne, grâce au

sport s’il a un potentiel hors norme, ouais. Parce que y’a plusieurs joueurs que je connais et

qui sont issus d’une classe sociale moyenne, mais quand je dis moyenne c’est surtout certains

très moyen, mais aujourd’hui qui sont, qui ont des supers contrats, même en cadet. Ils

commencent, comment je peux dire, ils sont en équipe de France, mais quand ce joueur il est

sur le terrain, le spectateur peut pas savoir qu’il vient d’un niveau social moyen. Ben voilà,

tout le monde peut, quel que soit ton niveau social, quand t’as envie de réussir tu réussis.

Et est-ce que tu penses que c’est un des rôles du sport de permettre ça ou pas ?

Oui, ouais. Enfin...oui. Il a plusieurs rôles le sport. Il a déjà le rôle de compétition, de faire

connaître la compétition dès le plus jeune âge. Il a aussi le rôle de pousser des jeunes jusqu’au

bout de leur limite.

Et qu’est-ce qui te fait voir que cette ascension est possible ?

(il hésite très longuement) J’ai pas très bien compris ta question.

(Je lui réexplique ce que j’entends par ascension sociale)

Comme je te dis, j’en connais, des gens. C’est pas forcément les médias, parce que les

médias...ils nous montrent pas trop. Quand un joueur il a percé, comme Zidane, là les médias

Page 152: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

151

s’intéressent à lui, parce qu’on voit de quel milieu social il vient. Tant que t’as pas percé, tu

peux pas le savoir.

Et est-ce que tu penses que la méritocratie (je lui explique ce que c’est que la

méritocratie) marche dans le sport ou pas ?

Ben je veux pas totalement dire ça. Certes il y a de la volonté mais il y a des gens qui peuvent

te casser, il y a des gens qui peuvent te donner plus envie, qui peuvent te donner un dégoût de

ta passion et qui peuvent faire...toi tu es sûr de toi, tu te donnes à fond dans ta passion, tu dis

« ouais tu vas finir pro » et t’as les moyens pour, mais y’a certaines personnes qui peuvent

faire que tu deviennes pas pro. Faut connaître des gens quand même, et puis que des gens

t’aiment bien aussi. C’est obligé ça !

Et toi ça t’es arrivé ?

Euh...moi je te dis je suis pas encore dans ce cas. ça m’est jamais arrivé mais pour l’instant.

Mais j’espère que ça m’arrivera pas.

A ton avis, qu’est-ce qui t’as permis de réussir dans le basket ?

C’est ma volonté de toujours vouloir aller plus loin.

Et à ton avis c’est plus facile de réussir dans le sport quand on a plus d’argent ou pas ?

Non enfin peut être mais pour moi, non. Parce que si t’as pas de talent et que t’as de l’argent,

il va te servir à rien ton argent.

Et est-ce que ton entourage a pris une grande place dans ta réussite ou pas ?

Ben ma famille me laisse vivre mon sport sans s’en mêler. A chaque fin de match, c’est moi

qui les appelle pour leur dire ce que j’ai fait mais sans suite quoi, ils disent pas « oui Chris

vas-y continue » Moi je suis tout à fait d’accord avec ça.

Est-ce que c’est quand même eux qui t’ont permis de réussir ou pas ?

Oui c’est mes parents parce que si mes parents m’avaient pas...déjà si ma mère m’avait pas

fait venir ici en France, si elle m’avait pas inscrit dans ce club, je serai pas là. Mais je me suis

construit tout seul, c’est tout, ils sont pas là.

Et est-ce que c’est plus coûteux pour eux que tu fasses ça plutôt qu’un cursus normal

pour eux on va dire ou pas ?

Financièrement, mes parents ils versent aucun sou dans mon sport. Ici à la JL, mon lycée est

privé, il est payé par la JL, ma chambre elle est payée par la JL. Ça coûte rien.

Et quelle place prend l’argent dans le club selon toi ? (je lui explique la question)

Ben...non. On parle pas d’argent.

Page 153: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

152

Et quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?

Ben dans la réussite du groupe euh...je peux dire que j’ai une bonne place parce que j’apporte

quand même de ce que j’ai en moi quoi. Parce que j’ai plusieurs capacités que le groupe sans

moi aura pas. Ouais j’apporte...je veux pas dire totalement, quasi-tout, mais j’apporte une

bonne partie de moi quoi.

Et à ton avis, est-ce qu’on devrait changer quelque chose dans le basket ou dans le sport

pro en général ?

(il réfléchit) L’argent. Trop d’argent, trop d’argent, trop d’argent. ça devrait changer quand

même parce que...non aujourd’hui, même moi quand tu m’entends parler, tu te dis « j’ai envie

d’intégrer le milieu professionnel pour l’argent ». Normalement ça devrait pas être ça.

Normalement quand t’intègres le niveau professionnel c’est déjà pour le plaisir de jouer, pour

le plaisir de faire plaisir aux autres. Mais s’il y a quelque chose qui devrait changer c’est

l’argent. C’est que l’argent ça prend une grande partie dans notre sport, de tous les sports.

Juste deux trois questions pour finir, tu as 16 ans ?

Oui.

C’est quoi le métier de ton père ?

Architecte, il vient de faire faillite et il s’est mis à travailler avec une autre boîte.

Et le métier de ta mère ?

Aide-soignante.

Et de ton beau-père du coup ?

A la retraite.

Par rapport au reste de la population, tu considères comment ton niveau de vie ?

Je suis milieu, ni très riche, ni très pauvre.

Page 154: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

153

Entretien avec François, Réalisé le 17 avril 2012

François vient me rejoindre dans une salle d’étude du lycée Saint Pierre à la suite de Nicolas,

à la demande de M. Fauchelevent. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de

l’entretien et nous commençons.

Question : Est-ce que tu peux te présenter déjà ?

Réponse : Alors je m’appelle François, je suis au centre de formation de la JL Bourg, je suis

en première S et je vis sur Lyon.

Et comment t’es arrivé à la JL ?

Je suis arrivé à la JL parce que je cherchais un centre de formation, et que ben on est

tombé...ils cherchaient un joueur de mon poste et voilà, on est tombé en accord l’an dernier.

T’es arrivé cette année ou l’année dernière ?

Cette année.

D’accord, tu jouais où avant ?

Je jouais à Meyzieu.

T’as toujours été dans le milieu du basket ou pas ?

Euh non j’ai commencé assez tard, enfin tard, j’ai commencé dans le milieu de ma première

année. Avant j’ai fait plusieurs sports, j’ai fait du rugby, du judo, de la natation, de la

gymnastique, et puis voilà depuis benjamin je fais du basket.

Et pourquoi tu as choisi ce sport alors ?

Ben déjà quand j’ai commencé, j’avais l’avantage de taille parce que je suis grand et que je

m’y suis plu, j’ai un esprit collectif. Voilà c’est surtout l’aspect collectif que j’aime bien et

puis c’est un sport d’adresse fin...oui j’aime bien ça me plaît.

Et à ton avis, est-ce que c’est un sport qui porte des valeurs ?

Des valeurs hum... oui bien sûr. Apres je pense plus dans les valeurs du sport collectif, pas

particulier au basket, je pense pas qu’il y ait des valeurs pour le basket.

Et à ton avis, qu’est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket aujourd’hui ?

Ben...c’est parce que c’est un sport qui est pas très difficile d’accès, déjà. Il suffit d’avoir des

baskets et un ballon pour jouer au basket. Donc je pense c’est ça, après qu’est-ce qui peut être

attirant ? Bah l’envie de...parce que c’est un sport quand même médiatisé donc ça peut

Page 155: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

154

apporter l’envie de...moi je sais que je connais beaucoup de gens qui sont pas basketteurs et

qui suivent le basket, donc je pense que c’est l’aspect médiatique qui peut être intéressant.

Après c’est un sport collectif qui se joue en salle, donc il n’y pas l’aspect froid l’hiver etc.

Donc là je vais parler de mixité sociale (je lui explique ce que c’est), est-ce que tu trouves

que le basket c’est un sport où il y a une grande mixité sociale ?

Oui, et pourquoi ? Ben parce que déjà, c’est pas un sport qui coûte très cher, c’est pas comme

les sports comme équitation, au niveau matériel, on demande pas grand chose donc si tu veux,

il y a déjà cet aspect-là au niveau économique. Et après y’a pas de cible spécialisée pour être

basketteur, après c’est une question de taille souvent. Mais euh...non je pense que c’est un

sport avec plutôt une mixité sociale importante.

Et par rapport aux autres sports à ton avis, c’est plus, moins ?

Euh je dirai que c’est plus quand même, parce que c’est un sport qui est accessible, c’est

l’image que les gens en ont et que moi j’ai.

Et si tu devais classer avec tous les sports, tu mettrais le basket où ?

(il réfléchit) Je le mettrai en haut je dirai. Y’a des sports comme le foot aussi, qui sont bien

mixtes, oui en tête quoi.

Ok ça marche. Et est-ce que c’est un sport qui fait rêver aujourd’hui tu trouves ?

Euh oui...mais en tout cas en France, c’est un sport qui est pas énormément médiatisé, et dès

lors qu’on s’intéresse un peu à tout ce qui est rêve américain et chose comme ça ben oui, ça

peut faire rêver.

Et qu’est-ce qui fait rêver ?

Ben y’a l’aspect économique déjà. Jouer en NBA, je pense, en terme de salaire, c’est assez

énorme. Après y’a la médiatisation. Mais c’est vrai que je pense pas que c’est le facteur

premier, parce qu’en France, on n’en entend pas tant parler que ça, peut être cette année avec

Tony Parker et l’équipe de France qui a fait quelque chose mais...ouais je sais pas. (il hésite)

Est-ce que t’as des modèles dans le sport ou le basket en général ?

Ben dans le basket, y’a le modèle incontesté, Michael Jordan. Euh après dans le milieu du

sport, moi je suis plutôt pas le joueur forcément flashy mais le joueur qui a des valeurs, qui

respecte son corps, des choses comme ça. Ben...le joueur qui est bourré de talent, qui fait des

choses, le joueur qui le mérite quoi. Il faut travailler pour ça. Est-ce que j’ai des exemples... ?

(il réfléchit) Bah tu vois par exemple à la JL, un joueur comme Tsagarakis, il fait très

attention à sa qualité de vie, et c’est des joueurs que j’admire parce que dans leur travail ils

sont acharnés. Après y’a l’image de Kobe Bryant en NBA, un gars qui travaille comme un

fou...ça, ça voilà.

Est-ce que tu peux m’expliquer le fonctionnement du club ?

Page 156: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

155

Moi je m’y connais pas trop parce que je suis arrivé cette année mais en terme de

fonctionnement ben...y’a la partie amateur et la partie professionnelle. Y’a les pros, c’est

l’équipe pro hein et même l’équipe de France fait partie de la section amateur.

Et comment se fait le lien entre la section amateur et la section pro à ton avis ?

Et ben...déjà...nous les jeunes on est cadet de France donc on a l’opportunité de travailler avec

des pros. Déjà y’a ce premier lien là. Puis je pense ce qui lie c’est...les matchs, la salle, c’est

accueillant, y’a pas une barrière entre les joueurs et les spectateurs. Donc y’a un lien qui est

fait, le club, tous les efforts, ils organisent des événements pour que les jeunes puissent avoir

accès aux pros. Je vois hier après-midi, ils signaient des autographes, c’était ouvert tout

l’après-midi ou alors je sais qu’il y a...ils ont organisé un tournoi de console avec des joueurs

et un tournoi de trois contre trois qui allait être animé par des joueurs aussi. Ils font des

efforts.

Et comment fonctionne le centre de formation ?

Nous, les sportifs, on réside aux Trois Saules, donc on s’entraîne toute la semaine, sauf le

mercredi après-midi où on s’entraîne au lycée St Pierre. On a un coach et un responsable. La

plupart on est au lycée St Pierre.

Et est-ce qu’il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l’équipe pro après ?

Ben là on a l’exemple de Pierre-Hugues qui va sûrement signer un contrat pro pour l’an

prochain. Euh sinon...je sais pas si y’a beaucoup de joueurs qui ont signé des contrats pros et

qui sont restés longtemps, ça j’en ai pas trop entendu parler. Mais en tout cas oui, y’a des

joueurs qui ont des contrats pros après.

Et qu’est-ce qu’ils font les joueurs du centre de formation s’ils ne deviennent pas pro ?

Ben y’a un peu de tout, y’a ceux qui continuent dans la voie basket, y’en a qui intègrent les

équipes Espoirs. Yen a d’autres qui retournent par exemple près de chez eux, pour jouer dans

des clubs à un peu moins haut niveau N1 encore c’est beaucoup, mais N2 ou N3. Et après par

exemple Damien est parti dans le Nord pour jouer en N2 je crois, et y’en a qui se réorientent

de manière à faire des études normales et juste continuer le basket en amateur.

Pour toi, c’est quelque chose d’important les études ou pas ?

Euh oui, pour moi oui. J’ai toujours mis les études avant le basket parce que je pense que la

chance de vivre du basket est beaucoup plus faible que de vivre normalement avec un bon

diplôme. Donc je pense oui, les études c’est important.

Toi, qu’est-ce qui tu espères après la fin de tes années au centre de formation ?

Ben moi j’espère euh...ben déjà on parlait de valeurs au début, le basket ça apprend de la

rigueur parce que en étant au centre de formation, il faut adapter le travail et le basket donc la

rigueur dans tout ce que je fais. Et puis j’espère aussi, sur les deux années qui me restent,

Page 157: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

156

profiter de, en terme de basket parce que faut être clair, je pense pas jouer à aussi haut niveau,

fin en cadet France, on joue en première division donc c’est le meilleur niveau possible et je

pense pas que ça puisse m’arriver donc je vais profiter de ces deux années. Je vais quand

même tenter de rejoindre une équipe espoir. Mais je ne suis pas sûr d’y arriver du coup je vais

tout miser sur mes études.

Et si tu ne deviens pas pro, qu’est-ce que tu espères faire ?

Je m’en sors très bien au lycée, je suis en S et j’aimerais aller dans une école d’ingénieur. Ça

me permettrait d’être sûr de m’en sortir, d’avoir un métier tout ça, je voudrais faire l’INSA.

Exactement, mon métier, je sais pas encore mais je voudrais intégrer une école d’ingénieur

oui.

Et d’où viennent principalement les joueurs qui sont en centre de formation ?

Principalement euh...ben cette année on est plutôt de la région, on est trois lyonnais, yen a un

qui vient des Vosges, y’a un Parisien... Je sais que l’an dernier y’avait des Sénégalais, mais

bon ça dépend des années, mais pas de très loin de ce que je vois pour cette année.

En général, ils sont issus de quel milieu les gens qui viennent ici ?

Ben c’est plutôt divers. Cette année, je dirai que c’est un niveau assez aisé. Mais sinon, d’une

manière générale, c’est très mixte.

Tu penses qu’il y a des gens à la fois très défavorisés et très favorisés qui arrivent ?

Très défavorisés je pense pas non plus...Ben moi j’ai l’exemple en fait de quand je jouais à

Meyzieu, y’avait un garçon qui avait vraiment du talent, il venait d’un milieu défavorisé, il

avait des problèmes de comportement, des choses comme ça et je pense que pour rentrer en

centre de formation, ça doit être rare quand même, parce qu’il faut faire des efforts, des

choses comme ça. Donc non, il n’y pas de personne très défavorisée.

A ton avis ici, c’est quoi la politique de formation des joueurs, qu’est-ce qu’on va

chercher en particulier ?

Cette année, j’arrive pas vraiment à comprendre leur objectif, j’ai vraiment...je sais pas. J’ai

l’impression qu’ils ont un joueur qui est clé, qu’ils veulent euh...de chaque année, qu’ils

veulent mettre le plus haut possible. Et puis après ben je sais pas vraiment en fait, j’arrive pas

trop à le cibler l’objectif. Après c’est voilà, essayer de sortir le joueur à plus haut niveau

possible, atteindre l’équipe de France, des choses comme ça quoi.

Et à ton avis, quand on parle de l’échiquier du basket en général, comment se situe la JL

au niveau de la formation ?

Et ben...je pense qu’ils sont pas mal, parce que pour un club de pro B, ils ont quand même

sorti plutôt des bons joueurs. Après c’est sûr qu’ils sont pas flashy comme les clubs de pro A

avec énormément de moyens. Mais je pense qu’en terme de formation, ils sont pas mal. Je

pense que c’est un bon compromis fin...pour un club de pro B, je pense qu’ils sont un des

Page 158: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

157

meilleurs clubs de centre de formation de pro B je pense. Et puis comme on voit cette année,

on peut rivaliser avec les plus grosses équipe de pro A donc je pense qu’on est pas mal.

Et pourquoi tu es venu ici toi ?

Moi je suis venu ici, parce que déjà en termes de basket, le projet, ça convenait bien. Et puis

c’était pas très loin de chez moi, donc ça demande pas de quitter ma famille etc. Après moi ce

qui m’importait aussi beaucoup c’était l’aspect scolaire. Par exemple, l’ASVEL, le lycée est

beaucoup moins côté qu’ici. Donc ça, ça m’importait beaucoup. Et puis l’image du club est

plutôt bonne, fin on n’a pas une image, avec de réelle séparation entre le milieu pro et amateur

par exemple, ce dont on parlait tout à l’heure. Et puis je savais que le coach des pros était

plutôt ouvert et qu’il donnait sa chance aux jeunes. Donc ça, ça m’a donné envie de venir.

Si un autre club plus « prestigieux » t’avait proposé de venir, tu y serais allé tu penses ou

pas ?

Ben moi l’an dernier j’avais un dilemme parce que j’avais une copine sur Lyon et donc je

voulais pas trop partir loin donc je sais que j’aurai vraiment réfléchi... Après je sais pas. S’il

avait fallu que j’aille plus loin, je pense que j’aurais fait plus d’efforts dans le basket,

m’investir encore plus quoi, parce que cette année je fais vraiment basket et cours, j’essaye de

pas mettre de différence. Alors que si un club...fin je sais pas, je sais pas.

Par exemple, si t’avais pu aller à l’ASVEL, tu y serais allé ou pas ?

Et ben... (il réfléchit) En tout honnêteté, je sais pas parce que, déjà y’a l’image du club que je

trouve pas super, et puis j’ai parlé du lycée qui était pas super. Après, tout dépend de ce qu’ils

me proposaient, par exemple, sur des sports, ça aurait pu être intéressant et puis c’était proche

de chez moi donc ça aurait été 50/50.

Est-ce que tu crois en tes chances de devenir pro un jour aujourd’hui ?

Non.

Pourquoi ?

Euh...moi j’ai un parcours un peu pas normal en fait. Donc comme j’ai commencé tard, j’ai

fait un an et demi dans un club à côté de chez moi, qui est un club pas du tout à haut niveau,

où je m’ennuyais donc après je suis parti à Meyzieu. Et là, j’ai vite vu que je pouvais faire des

choses donc je suis allé en sélection, donc j’ai découvert les sélections en première année de

Minimes. J’ai tout de suite été pris. Et puis j’ai les tests d’entrée au pôle pour faire la

deuxième année Minimes au pôle sauf que j’ai pas été pris. Mais je suis rentré en décembre

parce que y’en avait un qui s’était désisté, donc du coup en terme de confiance et de moral,

j’avais un peu l’impression d’être un...pas le premier choix mais un peu par défaut qu’on

m’avait pris donc en terme de confiance, ça m’a pas aidé. Et puis euh...à la fin de l’année, j’ai

cherché un centre de formation et j’ai pas eu de retour donc j’ai un peu abandonné, je me suis

dit que ma chance était passée, et que j’aurai pas...voilà. Et puis cette année, je suis arrivé à la

JL, et je me suis rendu compte qu’il fallait un sacré niveau pour faire quelque chose. Et

Page 159: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

158

euh...voilà. En plus, je joue pas vraiment au poste que j’aurais voulu donc, ouais j’ai toujours

pas de poste attribué donc je pense pas que j’aurai mes chances.

Est-ce que c’est une déception pour toi ou pas ?

Ben oui parce que c’était un rêve pour moi d’être professionnel et de vivre du basket. Mais en

même temps je me rends compte que c’est un type de vie particulier. Quand je m’entraîne

avec les pros, je vois ce que c’est et je me dis que finalement c’est pas que du rêve et qu’il y a

des côtés un peu difficiles.

Et qu’est-ce qui t’attirait dans ce milieu ?

Ben déjà de vivre de sa passion, ça c’est clair. Enfin faire ce qui te plait tout le temps quoi. Le

basket c’est vraiment une passion, c’est pour ça que je fais tout ça, les efforts et tout. C’est un

plaisir de jouer, de progresser. Donc ouais vivre de ça, pouvoir faire que ça de ta vie. C’est ça

qui me fait vraiment envie. Enfin ça me faisait encore plus envie avant parce que j’y croyais

mais là même maintenant, si on me proposait de vivre du basket je voudrais direct.

Evidemment ! Et puis bah, cet aspect, cette vie où tu t’entraînes, t’as pas de contraintes

majeures en terme d’horaires, par exemple y’a pas de grandes vacances ou de week-end mais

en terme d’horaires, c’est plutôt intéressant. Puis en termes de salaires, de choses comme ça,

ça peut tout de suite être intéressant. Après ce qui m’a déplu, c’est-cet aspect, et j’ai

l’impression particulièrement au basket, que un joueur peut changer tous les ans de club, et ça

ça me plaît pas du tout. J’aurais aimé par exemple, si j’avais été pro, faire toute ma carrière

dans un même club, voilà et m’attacher aux valeurs d’un club plutôt que de changer tous les

ans, ça ça m’aurait pas plu.

Et à ton avis, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui ?

Je dirai hum... (il réfléchit) Je sais pas.

Je sais pas, si je te parle de sport professionnel, qu’est-ce que ça t’évoque, à quoi tu

penses ?

Ben ça m’évoque une vie particulière et euh...souvent un rêve pour beaucoup de jeunes. ça

m’évoque de l’argent. Hum...puis ouais une vie pas ordinaire.

Pourquoi c’est un rêve pour beaucoup de jeunes tu penses ?

Parce que je pense que, en terme de...les jeunes, l’éducation, quand on est jeune, ça fait pas

rêver de se dire de faire des études pendant, fin pour la plupart en tout cas, pendant

longtemps, pour avoir un métier quand on sait pas ce qu’on veut faire en fait. Alors que le

sport c’est j’aime ça donc je veux faire ça plus tard, et ça va être ben c’est-ce que j’aime donc

je veux faire ça quoi. Donc c’est pour ça je pense que les jeunes en rêvent. Et puis y’a aussi

l’aspect médiatique, par exemple tous les footballeurs qui sont hyper médiatisés, qui sont des

vrais stars, tout le monde connaît, ça, ça fait aussi rêver les jeunes je pense.

Et est-ce qu’il y a une différence entre le basket et les autres sports au niveau

professionnel tu penses ?

Page 160: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

159

Bah y’a ce que j’ai évoqué tout à l’heure, l’aspect du sportif qui peut changer à tout moment

de club, qui est je pense bien particulier au basket, fin c’est l’impression que j’avais. Et après

hum...non voilà c’est tout je pense.

Est-ce que t’espérais que ta vie serait plus facile si tu devenais basketteur ?

Euh...oui, oui. Ben d’ailleurs je pensais qu’en terme de progression dans le basket, je pensais

que si j’étais dans le milieu pro, j’allais forcément être bon et ça c’est pas du tout vrai. Il faut

avoir la volonté de progresser, il faut travailler dur tous les jours, et ça vient pas tout seul.

Après c’est sûr que oui, la vie sportive ça a vraiment l’image de quelqu’un qui se balade en

tatane toute la semaine, qui a entraînement et qui fait que ça de ses journées, donc la vie peut

paraître un peu facile.

Et aujourd’hui, est-ce qu’à ton avis le sport permet une ascension sociale ? (je lui

explique brièvement le terme ascension sociale)

(Tout de suite) Oui, clairement. Bah je vais prendre l’exemple du foot parce que c’est

flagrant, mais ça peut aussi être l’exemple du basketteur aux Etats-Unis, où des jeunes de

milieux très défavorisés, de banlieues très difficiles arrivent à gagner des millions d’euros et à

être des véritables stars dans leur pays quoi.

Et qu’est-ce qui te fait voir cette ascension, comment tu t’en aperçois ?

Ben déjà parce qu’on en parle. On a une espèce de fierté des fois, on vante ceux qui ont réussi

à sortir d’un milieu difficile pour arriver dans le milieu professionnel. Et puis ça se voit aussi

dans les études des personnes par exemple, je vois à l’entraînement, y’a un gars qui vient d’un

milieu un peu difficile aux Etats-Unis et sa manière de parler fin...ça se voit qu’il a pas eu une

enfance facile.

Est-ce qu’à ton avis ça c’est un des rôles du sport ou pas ?

Euh...ouais, on s’en rend peut-être pas compte, mais oui. Je pense que ça fait partie des rôles

du sport ouais.

Mais c’est important tu penses ?

Ben oui parce que on voit bien qu’aujourd’hui les milieux défavorisés ont du mal à grimper

les échelles sociales. Oui je pense que ça peut être important. Quand on s’attache pas aux

valeurs au début, en termes d’argent, pour donner la chance aux jeunes, je pense que oui, c’est

important.

Est-ce que tu penses qu’il y a une méritocratie qui existe dans le sport ? (je lui explique

ce que j’entends par méritocratie)

Oui, mais en même temps, y’a l’aspect, comme on dit, du petit coup de pouce. Par exemple,

y’a l’aspect, quelqu’un qui va être au basket, qui va être petit, il va tout de suite être

désavantagé par rapport à quelqu’un qui est grand. Mais c’est sûr que dans le sport plus

Page 161: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

160

particulièrement, c’est vraiment les efforts qui payent quoi. C’est quelqu’un qui a un gros

mental, une grosse faculté de travail, je pense qu’il peut réussir.

Est-ce que tu penses que tout le monde peut percer dans le sport ?

Non, je pense pas. Je pense que déjà il faut être bien entouré, faut savoir avoir des contacts.

Faut savoir euh...je pense l’aspect entourage et euh...faut avoir son petit coup de chance, de

tomber sous le charme, enfin qu’un coach nous apprécie et puis nous fasse monter. Enfin je

vois par exemple en équipe de France, ben j’ai un ami qui est en équipe de France qui me

disait que lui « ça aurait pu ne pas être moi, parce que moi mon coach a décidé d’aller me

présenter à mon coach de l’équipe de France et il a fait l’effort pour ça. Donc ça aurait très

bien pu être mon voisin, en termes de basket, qui était aussi bon que moi mais que le coach

avait pas choisi. »

D’accord. Et est-ce que tu penses que c’est plus facile de réussir dans le sport quand on a

plus d’argent ?

Euh... oui. Déjà en terme de euh... parce que moi j’associe l’argent avec une condition en

famille plus facile, par exemple les transports ou les choses comme ça, par exemple j’avais

des amis quand j’étais à Meyzieu qui jouaient pas dans un club un peu plus haut parce que

leurs parents pouvaient pas les amener tous les jours à la salle, des choses comme ça. ça c’est

l’aspect argent. Après dans le basket, ça va en termes d’équipement. Et encore quand on

s’entraîne tous les jours, il faut du matériel. Les chaussures on les change trois fois par an, des

choses comme ça. Mais dans les sports où on demande carrément, je vais pas encore dire

l’équitation, pas tout le monde peut se permettre de faire de l’équitation. C’est un sport qui

coûte cher et voilà.

Et à ton avis qu’est-ce qui t’as permis ou qui est qui t’as permis de réussir dans le

basket ?

Euh...je dirai euh... au tout début c’était ma taille, mon physique. Et je pense que j’ai quand

même une bonne capacité de travail et une bonne volonté. Malgré je pense pas que je sois le

joueur le plus talentueux qu’on ait vu mais je pense que j’arrive à cibler ce que j’ai besoin de

travailler, des choses comme ça. A mettre de l’intensité quand il faut.

Est-ce que tu penses que ta famille, ton entourage occupe un vrai rôle dans ta réussite ou

pas ?

Ben un vrai rôle... (il réfléchit) Oui, parce que déjà ils m’ont autorisé à partir au Pôle, ça

c’était important. Après je vois, plus ça avance et plus y’a une sorte de lassitude qui se créé un

peu parce que les matchs tous les week-end, des choses comme ça, ça demande des efforts.

Mais au fond quand même ils me soutiennent et ils ont quand même fait beaucoup d’effort,

c’est les premiers à m’encourager et à venir me supporter donc oui, je pense que c’est un

côté...important.

Et à ton avis, quelle place prend l’argent dans le club ?

Page 162: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

161

Euh...pour moi c’est une place importante parce que l’équipe pro dépend de l’argent. Parce

que c’est rare les équipes qui arrivent à se former, les équipes compétitives, avec peu de

moyen.

(Nous sommes interrompus)

Oui, clairement, ça a une place importante. Pareil pour faire venir des jeunes du plus loin

possible, il faut des moyens pour les héberger, tout ce qu’il faut pour les équiper.

Et finalement, quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?

Euh... (il réfléchit) Une place plutôt importante mais pas non plus...je dirai importante mais

pas non plus. Ouais une place moyenne. Mais vu qu’il y avait Pierre qui s’est blessé, notre

meilleur joueur, j’ai eu une place plus importante du coup, donc euh...je dirai que si je devais

être capitaine, je serai troisième capitaine.

Deux, trois choses pour finir. Ton âge, tu m’as dit 17 ?

Oui.

C’est quoi le métier de ton père ?

Il est ingénieur donc cadre supérieur.

Et ta mère ?

Cadre supérieure aussi.

Donc t’es en première S tu m’as dit. Et par rapport au reste de la population, tu

considères comment ton niveau de vie ?

Euh bah plutôt haut. S’il y avait une moyenne de niveau de vie, je me mettrai au dessus. J’ai

un niveau de vie qui me permet d’avoir une vie normale sans soucis d’argent.

Page 163: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

162

Entretien avec Nicolas, Réalisé le 17 avril 2012

Nicolas vient me rejoindre dans une salle d’étude du lycée Saint Pierre, à la demande de M.

Fauchelevent, pendant un temps consacré à la réalisation des devoirs. Je lui explique la

raison de ma venue, les modalités de l’entretien et nous commençons.

Est-ce que tu peux te présenter ?

Je m'appelle Nicolas. Je fais du basket depuis... Je fais du basket à la JL. Je suis en 1ère S. Et

je suis au centre de formation. J'ai dix-sept ans.

Comment t'es arrivé à la JL ?

Ben, avant j'étais à l'ASVEL. Et puis l'ASVEL ils... je suis parti de l'ASVEL. Et puis après je

suis venu à le JL parce que c'était pas loin de chez moi et qu'ils me permettaient de rester dans

un centre de formation.

Pourquoi tu n'es pas resté à l'ASVEL ?

Parce que l'ASVL, déjà leur internat... Ben... A l'internat y'avait peu de places. Et ils voulaient

faire venir des gens de l'extérieur, donc heu... Moi j'pouvais pas... comme j'habitais pas près,

'fin à Lyon, je pouvais pas rester à l'ASVEL sans être à l'internat donc j'suis venu ici.

Et t'as toujours été dans le milieu du basket ?

Heu ouais.

Y'a eu d'autres sport ?

Quand j'étais petit je faisais du judo, du tennis, de la natation aussi.

Et depuis combien de temps tu joues au basket ?

Ben, ça doit faire 7 ou 8 ans.

Est-ce que c'est un sport porteur de valeurs ?

Ben ouais j'pense parce qu'entre les coéquipiers, faut avoir de la confiance, c'est heu... après je

sais pas. Ouais y'a d'autres choses, là je sais pas.

Pourquoi tu t'es tourné vers le sport ?

Parce que j'étais grand, déjà. Et puis mon père jouit au basket aussi, donc j'allais le voir et,

donc près, j'en ai fait.

Qu'est-ce qui t'a attiré ?

Page 164: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

163

Je sais pas vraiment. D'être en équipe, de partager de bons moments. Quand on gagne et tout.

C'est le sport collectif quoi.

Pourquoi ça par rapport à un autre sport collectif. ?

Parce que je sais pas. J'aurais aimé faire du hand, du volley mais le basket, ça me plaisait bien,

j'étais grand...

Qu'est-ce qui est attirant dans le basket pour un jeune aujourd'hui ?

(silence suivi d'explications) Bah déjà l'hiver on s'entraîne à l'intérieur alors il fait pas froid.

(rires) Sinon je sais pas. Il peut y avoir du spectacle. Par exemple on va plus s'ennuyer devant

un match de foot, alors qu'au basket y'a tout le temps de l'action.

(Explications sur la mixité sociale) Est-ce qu'il y a une mixité sociale au basket ?

Ouais.

Et dans les autres sports ?

Ben, non, dans les sports individuels parfois y'a de l'équipement, plus cher...

Et dans les sports collectifs ?

Ben ouais, c'est pareil faut une paire de chaussure, un maillot, un short quoi.

Et, est-ce que ça fait rêver aujourd'hui le basket ?

Ben ouais, quand on voit les stars français en NBA, que, on se dit que là bas ils sont... c'est

super.

Qu'est-ce qui fait rêver ?

Ben, déjà, les Etats Unis.

Quoi aux Etats-Unis ?

Ben, je sais pas, comme c'est amplifié le sport, c'est super médiatisé, c'est heu... C'est, déjà les

Etats-Unis, c'est pas ça, mais on dirait que tout se passe aux Etats-Unis. Après y'a aussi en

Europe où c'est l'ambiance dans les salles et tout. C'est des ambiances de folie.

Quels sont tes modèles dans le basket ou le sport en général.

Je dirais un gars qui se donne, qui travaille tout le temps... Ben Michaël Jordan déjà. Après

y'en a plein.

Qui d'autre ?

Page 165: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

164

Je dirais... Kobe Bryant, Lebron James, c'est des joueurs qui... enfin c'est les meilleurs quoi.

Pourquoi t'es « fan » d'eux ?

Parce que, je sais pas, on essaye de leur ressembler des fois, ils font des trucs qu'on aimerait

faire aussi, ils mènent leur équipe à la victoire, ils... Après c'est leur comportement, des fois

qui ont aussi en dehors du terrain, sur le terrain qui heu, leur leadership et tout.

Est-ce que tu peux m'expliquer comment fonctionne le club de la JL ?

Ben, au niveau heu... C'est M. Fauchelevent, et M. Madeleine qui s'occupent de nous. Ils

s'occupent du recrutement, après y'a l'internat c'est encadré par Gilles. Et ça c'est important

aussi. Pour, en dehors du basket, pour pas qu'on soit encadrés.

Tu joues combien de temps au basket par semaine ?

Par semaine on doit être à dix heures plus les matchs. Et des fois y'a aussi les entraînements

pros.

A la JL il y a une section amateur et une section professionnelle. On fait le lien entre les

deux ?

C'est, ça se fait entre minimes et cadet. Parce qu'en minime c'est moins professionnel, après

en cadet on commence à pouvoir s'entraîner avec les pros. Et on est plutôt en contact avec

eux.

Est-ce qu'il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l'équipe pro ?

Ben oui. Ben là, Tony, s'il s'était pas blessé normalement il... Enfin cet année on a pas

l'agrément « Centre de formation » donc on peut pas jouer avec eux, mais cette année, Tony,

j'pense qu'il aurait pu jouer avec.

Et en règle générale, ça arrive souvent ?

Ben après y'en a... J'pense c'est un niveau assez bon parce que y'en a qui prennent différentes

voies mais bon y'en a qui partent aux Etats-Unis comme Johan Penera. Ben Jérome Sanchez,

il était à la JL, il est parti à l'ASVEL et là il est revenu, heu... ici pour jouer en Pro, Octavio

aussi. Donc oui.

Que font les joueurs du centre de formation qui ne deviennent pas pros ?

Ben... Je pense que... ils continuent à jouer au basket comme ça, en loisir, et puis, heu... ils

travaillent quoi.

Et dans le parcours, est-ce qu'une reconversion est prévue ?

Bah comme on fait les études en général on a toujours le bac, puis après, ben, on fait les

Page 166: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

165

études à côté...

Et tu penses que c'est important les études ?

Ben oui, parce que même si on devient professionnel, on peut toujours avoir une blessure,

quelque chose. Voilà quoi.

Qu'est-ce que tu espères à la fin du centre de formation ?

Ben, moi j'attends qu'ils me fassent progresser à mon meilleur niveau, au plus haut que je

puisse, jusqu'à ce que je sois cadet, pour après essayer de jouer au basket en Pro.

Tu penses que c'est possible ?

Ben ouais.

Et si jamais ce n'est pas le cas, qu'est-ce que tu penses faire ?

Ben, j'aimerais bien faire des études d'ingénieur.

A ton avis, d'où viennent les joueurs recrutés au centre ?

Heu, ffff... y'en a peu qui viennent de l'étranger parce que la JL c'est pas vraiment un grand

club. Après ils essayent de faire venir des joueurs de toute la France un peu.

De quel milieu social sont issus les joueurs ?

Ben de tous, toutes les classes sociales. A la JL des fois ils prennent en charge le logement, et

tout, donc si c'est ça, tout le monde peut venir, j'pense.

Et là, actuellement dans ton équipe ?

Je dirais, heu... 'fin les milieux... fin, moyen, un peu en dessus et un peu en dessous. Pas

vraiment pauvre pas vraiment riche.

Quelle est la politique de formation des joueurs ?

Ben ils attendent heu (silence) Je pense pas qu'ils attendent de nous qu'on soit bon tout de

suite. Ils veulent surtout nous faire progresser à long terme en fait. C'est une idée de potentiel

en quelque sorte.

Comment se situe le centre de formation dans les milieux du basket à ton avis ?

Il se situe pas trop mal pour un club de Pro B, parce que, on... on est quand même au niveau

de l'internat c'est des appartements donc c'est moins encadré... au niveau des entraînements on

s'entraîne bien....

Et pourquoi avoir choisi ce centre de formation en particulier ?

Page 167: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

166

Ben, après l'ASVEL, la JL ils m'avaient contacté. Et puis c'était quelque chose d'intéressant.

On allait avoir une bonne équipe déjà, et ça c'était quelque chose d'important. Et ensuite,

c'était à proximité de chez moi pour pas aller trop loin directement.

Et si un autre club plus « prestigieux » t'avais proposé, tu aurais dit quoi ?

Ben, j'aurais vu en fonction de l'équipe en fait. C'était pour gagner quoi. Je joue au basket

pour gagner.

Si tu avais pu rester à l'ASVEL, tu l'aurais fait ?

Ouais, je serais resté.

Est-ce qu'aujourd'hui tu crois en tes chances de devenir pro ?

Ouais je pense. [rires]

C'est dans longtemps ?

Ben en général c'est après cadet qu'on peut voir. Après ça dépend, si c'est un club de Pro A on

joue en espoir et on peut intégrer l'équipe pro. Ou sinon jouer dans un club en Pro B et

monter.

A quel moment tu t'es dit que tu pourrais y arriver un jour ?

Ben c'est petit à petit. Parce qu'au début je suis arrivé au pôle, au pôle du lyonnais. Et là, heu,

c'est les meilleurs joueurs du Rhône-Alpes. Après on arrive en centre de formation, là c'est des

joueurs de la France, donc c'est encore plus réparti. Et après y'a les présélections équipe de

France. Donc là j'ai été appelé. Donc là ça veut dire que y'a déjà... c'est d'jà pas mal quoi.

Donc là, tu es présélectionné ?

Ben, les présélections c'est en mai. Les championnats du monde c'est en juin.

Tu as des chances ?

Ouais, je pense qu'il y a moyen.

La JL Bourg ça représente quoi pour toi ?

Ben, j'pense que c'est un bon centre de formation parce que déjà, c'est assez familial, pas

comme d'autres centres où les gens ils arrivent, ils jouent au basket et voilà quoi. Ici, c'est...

Y'a une bonne entente entre les coachs. Entre tout le monde quoi. Même les entraîneurs pros

ils viennent nous voir jouer et tout.

Qu'est-ce qui caractérise le sport professionnel ? (explications)

C'est heu... ben d'être reconnu. Quand on est sportif professionnel, ça veut dire qu'il y a un

Page 168: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

167

certain niveau, que les gens ils savent que voilà quoi. Et puis après si y'a un peu d'argent... de

gagner sa vie quoi ?

Y a-t-il une différence entre le basket et les autres sports ?

Ben, par rapport au foot, par exemple, c'est pas pareil mais je saurais pas l'expliquer.

Qu'est-ce qui change ?

Ben l'argent. Dans le foot y'a plus d'argent. Mais dans le hand, y'en a moins que dans le basket

déjà.

Qu'est-ce qui t'attire dans le monde professionnel ?

Ben pour gagner ma vie en faisant ce que j'aime. Faire du basket, en faire tous les jours.

Est-ce que tu penses que ta vie sera plus facile si tu deviens professionnel ?

Ben après ça dépend à quel niveau on joue en pro. Si on joue au meilleur niveau

professionnel, oui. Mais après, on peut jouer en Pro B et avoir une vie normale.

Ce sera plus dur, plus facile.... ?

Non, je pense pas que ça sera plus dur.

Est-ce que le sport aujourd'hui permet une ascension sociale ? (explications)

Ben oui. Aux Etats-Unis, y'a beaucoup de joueurs qui quand ils étaient jeunes vivaient dans

les banlieues des grandes villes et qui dans le basket sont mondialement connus, et gagnent

beaucoup d'argent donc ça leur a permis d'évoluer.

Et en France ça existe aussi ?

Ben oui, je pense que ça existe aussi en France.

Comment tu le vois ?

Ben ouais, que par exemple les joueurs professionnels, quand il parlent de leur enfance déjà.

On voit... Et avec leur famille, quand... que... ça fait plaisir, en offrant des trucs qu'ils ne

pouvait pas se payer avant. On voit dans des reportages, on lit quoi.

Est-ce que tu penses que c'est un des rôles du sport ?

Ben je pense pas que c'est un des rôles mais c'est une conséquence que ça a quand même. Ca

arrive quand même.

Est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?

Page 169: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

168

Ben oui mais pas toujours. Parce que si on travaille tout le temps en général ça paye mais des

fois c'est pas possible.

Qu'est-ce qui peut faire que c'est pas possible ?

Ben déjà, au début y'en a qui ont un certain talent, que d'autres ont pas donc même si on

travaille plus que l'autre on n'arrive pas à avoir ce qu'il a lui.

Est-ce que tu penses que si tu travailles tu peux t'en sortir ?

Ouais, je pense qu'on peut s'en sortir après, ouais.

Et tout le monde peut réussir à percer ?

Non, je pense pas parce qu'après faut aussi être bien entouré. Des fois, faut faire les bons

choix. On peut vite faire un mauvais choix, être oublié. Et après, c'est dur de revenir quoi.

Est-ce que tu penses que l'Etat, les politiques publiques, font en sorte que le sport soit

accessible à tout le monde ?

Je sais pas.

Qui t'as permis de réussir dans le basket.

Mon père déjà j'pense. Il a fait du basket quand il était jeune aussi. Donc il m'a emmené

m'entraîner avec lui et tout. Après ben c'est les coachs aussi. Certains coachs qui quand ils

entraînent font passer des messages.

Quel rôle ont eu ta famille, tes proches dans te réussite sportive ?

Ben, ils m'ont toujours accompagné quoi. Ils... 'fin mon père ma mère ils viennent souvent

voir mes matchs. Dans mes choix ils m'ont toujours heu... ils m'ont jamais dit « non tu feras

pas ça, non on veut pas. »

Tu penses que c'est plus coûteux pour eux cette formation ?

Ben au collège déjà quand je suis parti au pôle. J'étais en internat, c'était un collège privé donc

il fallait payer le collège et par rapport au collège où j'étais avant...

Sans cette famille qui t'accompagne, tu aurais pu réussir ?

Ouais, j'aurais pas pu.

Est-ce qu'à ton avis c'est plus facile de réussir dans le sport quand on a plus d'argent ?

Ben quand on a plus d'argent, ça permet de faire des stages que les autres pourront pas faire,

l'été , les camps d'entraînement... Plus simple je sais pas mais ça permet de faire des trucs que

les autres pourront pas faire.

Page 170: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

169

Quelle place prend l'argent dans le club ?

(silence) Ben l'argent c'est, il en faut dans le club, pour recruter de bons joueurs, que le club

puisse monter et après avoir plus d'argent pour continuer à se développer, pour faire un

meilleur centre de formation ben, faire venir des autres joueurs.

Dans le sport pro en général ?

Ben oui il faut de l'argent.

C'est le plus important ?

Ben non, il faut aussi de bons dirigeants, des gens qui font de bons choix.

Quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?

Je pense que j'ai une place... une bonne place. Enfin, je sais pas. Ben que l'équipe, cette année

comme il n'y a pas Tony, je prends un peu sa place, je dois, avec d'autres joueurs on est un peu

les leaders de l'équipe.

Est-ce que selon toi il y a quelque chose à changer dans le sport pro en général ?

(silence) Ben... J'ai pas d'idée...

Quelques questions pour finir. Quel âge tu as ?

J'ai eu 17 ans en janvier.

Quelle est le métier de ton père ?

Mon père il est directeur régional à Fondcash, c'est un groupe de Carrefour.

Et le métier de ta mère ?

Elle est assistante sociale.

Par rapport au reste de la population comment tu considères ton niveau de vie ?

J'pense qu'il est assez bon. Il est plutôt... il est bien.

Par rapport à la moyenne des gens ?

Au-dessus un peu.

Merci.

Page 171: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

170

Entretien avec Luc, Réalisé le 18 avril 2012

Luc vient me rejoindre dans le bureau mis à disposition par le directeur du centre

d’hébergement à la demande du directeur du centre de formation. Je lui explique la raison de

ma venue, les modalités de l’entretien et nous commençons.

Est-ce que déjà tu peux te présenter brièvement ?

Je m’appelle Luc, je suis à Bourg depuis cette année. Je viens de Nancy, en Lorraine, ça fait

loin. Je suis venu ici d’abord pour le basket avec Jean-Luc et Ludovic mais pas pour les

études. J’ai 15 ans et je suis en seconde.

Et tu es arrivé comment à la JL ?

Ben en fait, j’ai fait des détections, puis après ils m’ont recruté et c’était bon. Puis je suis

venu.

Ils t’ont recruté comment ?

J’ai appelé parce que je connaissais le...coach des pros, qu’il y a en ce moment. Donc j’ai fait

plusieurs entraînements avec eux. Puis après ils m’ont recontacté pour dire que je pouvais

venir si je voulais.

Tu jouais à quel niveau avant ?

Avant je jouais en Minimes région.

T’as toujours été dans le milieu du basket ou il y a eu d’autres sports ?

Avant je faisais du ski. Je fais beaucoup de ski.

Et sinon ça fait combien de temps que tu fais du basket ?

ça doit faire euh... 9 ans.

Pourquoi tu t’es tourné vers ce sport en particulier ?

Ben j’ai une soeur qui en faisait, qui en faisait avant moi et puis ça m’a attiré.

Tu saurais dire pourquoi ?

Au début, c’était pas vraiment parce que j’aimais le sport mais au fur à mesure, je m’y suis

accroché, c’est plus pour ça.

Est-ce qu’à ton avis c’est un sport qui porte des valeurs ?

Page 172: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

171

Ouais je pense. Comme dans tous les sports, y’a le respect. Et tu vois, donner le maximum de

soi-même.

Et par rapport aux autres sports, est-ce qu’il y a des différences ?

Hum...ben par rapport au sport individuel, il y a la cohésion avec les joueurs d’une même

équipe.

C’est important ça ?

Oui, je pense c’est vraiment important.

Parce que ?

Parce que...moi y’a certaines équipes où j’étais, on s’entend pas bien à l’extérieur du terrain,

c’est sûr, ça peut pas fonctionner.

Qu’est-ce qui est attirant à ton avis pour quelqu’un qui commence à faire du basket ?

Déjà c’est un sport où il faut qu’il s’amuse en premier. Puis prendre au sérieux si on doit aller

loin mais devoir s’amuser en premier.

ça c’est pour tous les sports non ?

Oui.

Est-ce que tu penses que dans le basket, il y a une grande mixité sociale ? (je lui explique

la question)

Oui, je pense que c’est tous les milieux au basket.

Et par rapport aux autres sports, tu penses que ça se passe comment ?

Je pense que c’est plus facile de faire du basket, et que par rapport à l’équitation ou des sports

comme ça, je pense que c’est plus facile, y’a plus de milieu.

Et si tu devais classer les sports en terme de mixité sociale, le basket, tu le mettrais à

quel niveau ?

Je le mettrais avec le foot. Tous les milieux sociaux peuvent faire ce sport.

C’est un sport qui fait rêver aujourd’hui ?

Un peu mais pas au foot je pense pas. C’est pas celui qui fait le plus mais moins que le foot.

Pourquoi moins que le foot ?

Page 173: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

172

En termes de célébrités, dans les sports longtemps, on mettait les footballeurs en premier. Puis

le basket, je pense pas qu’on soit les premières stars qu’on connaît niveau sportif.

Qu’est-ce qui fait rêver aujourd’hui pour un jeune ?

C’est ça ouais. C’est réussir, devenir une star.

Et en quoi le basket fait rêver alors ?

(il réfléchit) Je pense t’avoir expliqué, d’être célèbre. C’est un peu toujours la même chose

mais...ou qu’on nous reconnaisse. C’est ça. `

Toi personnellement, c’est quoi ou c’est qui tes modèles dans le sport ?

J’ai pas vraiment de modèles en particulier c’est...une globalité. Faut prendre un peu de tout et

le meilleur de chacun. Je pense pas qu’on arrive à trouver un idéal.

C’est quoi l’idéal ?

Ben...de reprendre toutes les valeurs que j’ai dit tout à l’heure.

Est-ce qu’il y a des choses ou des personnes qui incarnent ça ?

Ouais je pense qu’il y en a des basketteurs qui les représentent comme ça. Je dirai...beaucoup

de grecs je trouve, qui sont pas des modèles mais voilà. Pour nous, quand on dit basket, c’est

souvent ce qu’il se passe aux Etats-Unis, la NBA tout ça. Mais je pense que c’est pas

forcément des modèles du basket.

Plus les grecs donc ?

Voilà.

Pourquoi, parce qu’ils représentent plus les valeurs ?

Ben...c’est moins médiatisé mais si on les compare sportivement, je pense qu’ils peuvent plus

rivaliser. Je dirai qu’ils ont réussi sans forcément...être très connus mais ils ont réussi.

Est-ce que tu penses que pour les jeunes joueurs, ce sont des modèles aussi ?

Non, je pense pas. Pour moi, c’est des modèles mais pour beaucoup, c’est des stars du basket

comme Tony Parker, parce qu’il est parti aux Etars-Unis, que des joueurs comme ça. Mais ils

pensent pas aux joueurs étrangers qui jouent...pas des petits championnats mais qui jouent

dans des championnats qui nous intéressent pas en tant que français.

Les autres de ton équipe, en centre de formation, ils pensent plus comme toi ou ils

réfléchissent plus en termes de célébrités aux Etats-Unis ?

Je pense un peu des deux. Chacun a son point de vue là-dessus et...

Page 174: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

173

Toi tu en penses quoi ?

Moi, c’est plus l’Europe et tout ça. C’est surtout ça.

(Nous sommes interrompus)

Tu me dis que les autres pensent plus aux Etats-Unis, pourquoi à ton avis ?

On en entend beaucoup plus parler. Genre dans les médias, tout ça. Même si on s’intéresse

pas, on en entend quand même parler.

(Nous sommes une nouvelle fois interrompus)

Le fait qu’on en entende plus parler, c’est ça qui fait rêver ? Tout ça, ça fait envie ?

Oui, je pense tout ça.

Le bling bling ?

Voilà. (rires)

Complètement autre chose, est-ce que tu peux m’expliquer le fonctionnement du club

ici ?

Je sais pas, c’est un club...ça c’est un petit club déjà comparé à où j’étais à Nancy, c’est pas la

même chose, je veux dire...ça c’est un peu comme une famille, tout le monde se connaît. On

peut aller parler à n’importe qui...voilà. C’est vachement familial cette ambiance...le lycée

Saint Pierre, on dort ici...

Donc là, comment se fait le lien entre la section amateur et la section professionnelle ?

J’en sais rien du tout...je sais pas.

Toi tu appartiens à quelle section ? Tu sais ou pas ?

Euh...je suis en amateur.

Non... (rires)

Ah bon ? (rires)

Bon, ce n’est pas grave, et comment fonctionne le centre de formation ? Il s’organise

comment ?

Ben y’a Jean-Luc, c’est le directeur du centre de formation. Après y’a Ludovic qui nous

entraîne, avec Jean-Luc. On a un entraînement le lundi, un le mardi, deux le mercredi, puis

Page 175: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

174

après un jeudi, vendredi. Puis après, match le dimanche. On a des heures d’études obligatoires

ici et au lycée, pour les cours.

Est-ce que c’est important les cours quand même ou pas ?

Ouais, je pense que c’est très important parce que...si un jour on devient basketteur

professionnel, notre carrière s’arrête à 40 ans maximum. On vit pas toute une vie avec ce

qu’on a amassé en 20 ans. Quand on est sportif, il faut se reconvertir, c’est pour ça que les

études, c’est important.

Est-ce qu’il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l’équipe pro ?

Ouais, on en a un ou deux... Fin y’en a un, avant qu’il se blesse, il y était toujours, Pierre. Ils

faisaient tous les entraînements avec eux. Puis là, vu qu’il y a beaucoup de blessés, il y a des

cadets, un deux ou trois qui font l’entraînement avec eux.

Mais qui derrière vont devenir pro dans l’équipe ?

Je sais pas.

Et tu penses que c’est possible ?

Ah oui, oui, je pense que c’est possible.

Donc les joueurs du centre qui ne deviennent pas pro, qu’est-ce qu’ils font après ?

(il réfléchit) Je pense que c’est pas ça le plus important. Il faut juste faire comme on peut.

Tout le monde va trouver un métier, que ce soit dans le milieu du basket ou pas.

Mais est-ce qu’il y en a beaucoup qui y arrivent quand même ou pas ? A ton avis ?

C’est difficile je pense mais...il y en a qui arrivent.

A ton avis, le but du centre de formation, c’est quoi ?

Ben je sais pas...pas forcément d’amener à être pro mais jouer comme on peut, suivant nos

capacités. Je pense c’est ça.

Toi, qu’est-ce que tu espères personnellement du centre de formation ?

C’est de faire les trois années Cadet. Puis après c’est de soit rentrer en Espoir ou dans un club

de N1 ou N2. Et puis voilà.

Mais est-ce qu’à terme tu penses que tu peux devenir professionnel ou pas ?

Ouais je pense.

Et si jamais ça n’arrive pas, est-ce que tu imagines faire d’autres choses que du basket ?

Page 176: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

175

Euh...ouais j’y ai pensé.

Tu as des idées déjà ?

Oui.

Qui sont ? (rires)

Déjà l’année prochaine, je veux faire une première ES. Et puis après je pense faire une école

de commerce, quelque chose comme ça.

Et si tu devais avoir un regard sur le reste de ton équipe, est-ce qu’il y en a beaucoup qui

pensent devenir pro ou est-ce qu’il y en a qui envisagent autre chose ?

ça c’est assez mitigé. Yen a certains, ouais, qui le pensent vraiment. Yen a d’autres, un peu

moins quand même.

Est-ce que tu penses que pour ceux qui y croient vraiment, ça va se réaliser ?

Ouais je pense ouais.

Du coup est-ce qu’ils pensent à faire autre chose ?

Ouais, peut-être un peu ouais. C’est toujours dans un coin de leur tête, ils y pensent autant que

tout le monde, sauf que c’est le basket leur priorité.

D’où viennent les joueurs qui sont recrutés du centre de formation ?

Ben ici, je trouve que c’est assez local. On est deux à venir de l’extérieur, y’en a beaucoup qui

sont de l’Ain ou de la région lyonnaise. Je suis un des plus loin, je viens de Nancy. Je trouve

que c’est local ici.

Et de quel milieu social viennent-ils ?

Tous du même, je dirai.

Si tu devais faire une comparaison avec les personnes que tu côtois, tu penses que tu te

situerais comment ?

Je pense qu’on est tous à peu près au milieu.

Est-ce qu’il y a des personnes qui viennent de classes très hautes ?

Non.

Et de classes très basses ?

Page 177: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

176

Non plus.

Est-ce que tu penses que le basket, si toi tu te considères au milieu, peut te permettre de

passer un cran au-dessus ?

Je pense oui.

Et est-ce que les autres le pensent aussi tu crois ?

Je pense oui.

Est-ce que c’est une des motivations à ton avis ?

Non pas forcément. Pour moi non, la première motivation, c’est pour ça que je suis ici, c’est

pas de monter de classe sociale.

Est-ce que tu penses que pour certains, c’est le cas ?

Non.

Parce qu’on ne pense pas à ça derrière ?

Non.

Ok. Et là aujourd’hui, la politique de formation des joueurs à la JL, c’est quoi tu

penses ?

Hum, d’amener le plus possible, je pense. Ce qu’on peut pour réussir.

A ton avis, sur une sorte d’échiquier du basket, comment se situe la JL ?

Je pense qu’ils sont biens, ouais.

Biens c’est-à-dire ?

Ben...niveau formation, on est bien parce que notre équipe cadet, on est dans les 7 meilleurs

français. Puis le club pro aussi, parce qu’ils sont quand même en pro B. Puis voilà.

Quand tu es venu ici, est-ce qu’il y a d’autres choses qui t’attiraient ou c’est plus parce

que c’était possible là ?

J’ai fait beaucoup d’essais, j’ai fait Strasbourg, Maurienne, Nancy...et c’est ici que ça me

plaisait le plus en fait.

Et tu as été pris dans les autres ?

Ouais.

Page 178: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

177

Donc c’est toi qui as choisi de venir ici ?

Oui.

Et si un club plus « prestigieux » t’avait proposé, l’ASVEL ou Chalon, est-ce que tu

penses que ça aurait joué dans ton choix ?

Je sais pas. Bah après...peut être. Mais je pense pas.

Mais est-ce que tu penses que ceux qui vont dans ces centres de formation là ont plus de

chances de réussir ou pas ?

Non, pas forcément.

Parce que ?

Je trouve que la différence entre l’ASVEL et Bourg, y’a pas une énorme différence

mais...surtout au niveau cadet, après pro oui ça change, mais au niveau des jeunes, je trouve

pas que ça change énormément.

A quel moment est-ce que tu t’es dit que potentiellement, tu pourrais devenir pro un

jour ?

(il réfléchit) C’est vrai, on l’espère tous (rires), mais pas forcément quand tu commences le

basket. Mais moi ça a été vers 9 ou 10 ans.

Mais qu’est-ce qui t’a fait dire que tu pourrais t’en sortir ?

Ben parce qu’on essaye d’aller le plus loin qu’on peut. Quand tu te rends compte que t’es au-

dessus du niveau des autres, enfin là où tu joues, tu commences à te dire que tu peux être

professionnel un jour. Vu que c’est ta passion t’as envie de faire que ça. Et tu te dis, ben je

pourrai en vivre. Et ça te paraît merveilleux parce que, à temps plein, tu seras payé pour faire

ce que tu kiffes ! [rires] C’est quand même quelque chose de vraiment cool, et ça fait rêver.

C’est ça, vivre de ce que tu aimes, qu’on te paye pour t’amuser.

Et pourquoi tu voudrais devenir professionnel ?

(il réfléchit) Parce que c’est l’objectif qu’on se fixe quand on est en centre de formation.

Oui mais avant d’entrer en centre de formation, que tu as 9 ou 10 ans et que tu te dis

que ça pourrait le faire, qu’est-ce qui a fait ça ?

Pas forcément être une star mais voilà, c’est être connu... Pas forcément être connu, mais être

un bon joueur.

A ton avis, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd’hui, d’une manière

générale ? (je lui explique la question, à sa demande)

Page 179: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

178

Les gens fin...c’est leur métier déjà. Ils aiment leur métier parce qu’ils ont tout fait pour y

arriver.

Et sinon, quelle image on a du sport professionnel ?

Ben, plus pour le foot, mais souvent, quand on fait du sport au niveau professionnel, on aime

pas réussir les études, yen a beaucoup qui pensent ça je trouve. Alors que c’est pas forcément

vrai. Enfin je dis ça, c’est plus pour le foot, moins pour le basket, yen a beaucoup qui pensent

que on fait du foot parce qu’on sait faire que ça. Moi je pense pas que ce soit vrai mais bon.

Pourquoi est-ce que tu penses que c’est différent pour le basket ?

Parce qu’on réussit moins...pas qu’on réussit moins dans le basket, mais quand on se

concentre sur le foot, y’a plus de chances de devenir professionnel. Au basket, ils pensent plus

à leurs études que de se concentrer juste sur le sport.

Tu penses que c’est un problème de se concentrer juste sur le sport ?

Je dis ça, ça dépend des personnes. Je pense vraiment qu’on puisse y arriver et que...

(Nous sommes encore interrompus)

Donc tu penses qu’il y a une différence entre le basket et le foot, mais par rapport aux

autres sports, ça se passe comment ?

C’est les deux plus médiatisés. Fin y’a certains sports comme...le rugby c’est quand même

assez. Le tennis aussi. Y’a des sports comme le volley ou le handball, qui se médiatisent de

plus en plus alors qu’il y a quelques années, on connaissait rien. C’est tellement médiatisé.

Pour toi, c’est quoi la plus grosse différence entre le basket et le foot ?

Pour moi, la différence, je pense que c’est les salaires des joueurs professionnels.

C’est aussi ce qui fait la différence dans l’attirance pour les jeunes ou pas ?

Je pense que ouais.

Et pareil, tu penses qu’au foot, il y a de la mixité sociale comme au basket ?

Oui, c’est pareil.

Et toi, si tu deviens professionnel, est-ce que tu espères que ta vie sera plus facile

derrière ou différente ?

Pas forcément différente, mais plus facile, ouais je pense. Fin au niveau salaire non, mais par

rapport au bien et tout ça, je pense que oui.

Au bien, c’est-à-dire ?

Page 180: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

179

Pas avoir plus de facilité dans la vie, mais voilà, sportivement après, y’a une reconversion et

ça nous ouvre des portes.

Est-ce que tu penses que le sport aujourd’hui permet une ascension sociale ? (je lui

explique le terme)

Oui et non, parce que ça dépend à quel niveau on joue je pense. Si, pour le basket, on joue en

N1 ou en pro A, ce sera pas la même ascension sociale.

Oui mais est-ce que le sport, ça peut être un moyen pour monter dans le rang social ?

Oui, je pense.

Et est-ce qu’à ton avis, c’est un des rôles du sport ou pas ?

Non, je pense que c’est pas le but premier pour lequel on en fait.

Qu’est-ce qui te fait voir que cette ascension est possible ?

(Il réfléchit)

(Je lui réexplique la question)

Parce que le joueur professionnel, quel que soit le sport, il a quand même un revenu financier

assez élevé je pense. Je pense c’est surtout ça.

Et est-ce que tu penses qu’il y a beaucoup de sportifs professionnels qui viennent d’un

milieu défavorisé ?

Ouais, y’en a quelques-uns.

ça représente une majorité tu penses ou pas ?

En France, je pense pas. Dans d’autres pays étrangers, oui. Comme...en France, dans le

basket, il y a beaucoup de joueurs africains, qui viennent jouer dans des centres de formation

français. Je pense que c’est un exemple d’ascension sociale.

Et eux justement qui partent de très bas, est-ce que ce n’est pas un des buts du sport ?

Oui, ben oui. Plus que nous français. Je veux dire nous, on fait du sport, c’est plus pour

s’amuser alors que eux réussissent. Ils sont sûrs de mieux s’en sortir dans le milieu.

Est-ce que selon toi, il y a une méritocratie dans le sport ? (je lui explique ce qu’est la

méritocratie)

Oui, je pense que oui.

Page 181: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

180

Et par rapport à ailleurs dans la société ?

Je pense que c’est pareil partout.

Est-ce que tu penses que tout le monde peut réussir dans le sport de la même façon ?

La majorité ouais.

Qu’est-ce qui peut faire varier ça ?

(Il réfléchit longuement) L’intérêt qu’on y met...puis ouais, l’investissement, je pense c’est

surtout ça.

Est-ce que tu penses que l’Etat ou les hommes politiques font en sorte de permettre cette

ascension sociale ou pas ?

(Il réfléchit) Je pense ouais.

A quel niveau tu penses ?

Bah...pas pour le basket, mais y’a certains sports où ils donnent des subventions. Peut-être pas

l’Etat mais les Conseils Général, quand je faisais du ski, on avait des subventions ouais.

Sponsors, etc.

Et à ton avis, qu’est-ce qui t’a permis de réussir dans le basket ?

L’investissement que j’ai mis dedans. Je pense qu’il n’y pas tout le monde qui a envie de

passer onze heures dans la semaine à faire du basket.

A ton avis, est-ce que c’est plus facile de réussir dans le sport quand on a plus d’argent ?

Non.

ça change rien tu penses ?

Non, ça change rien.

Quelle place occupe ton entourage dans ta réussite au basket ?

Qu’ils soient avec moi, on peut dire qu’ils m’aident parce qu’ils apportent un soutien. Qu’ils

nous accompagnent dans ce sport et qu’ils nous suivent.

Mais toi tu penses que tu en es là parce qu’ils te l’ont permis ou c’est indépendant

d’eux ?

Ils me l’ont permis.

Et ta famille particulièrement ?

Page 182: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

181

Surtout.

Parce qu’ils t’ont aidé, etc. ?

Par exemple, quand je suis venu faire des détections en soit, j’aurais pas pu les faire. C’est

plein de choses comme ça. Genre s’ils avaient pas voulu être derrière moi, je les aurais pas

fait et puis ils m’auraient pas aidé à les faire.

Est-ce que ça coûte cher de faire une année en centre de formation ?

Je pense ouais.

Tu as une idée à peu près ou pas ?

Non.

Mais est-ce que là pour tes parents, ça coûte plus cher que si tu avais été dans un lycée

normal ou pas ?

Oui.

Et à ton avis, dans le club, à la JL, quelle place prend l’argent ?

Je trouve c’est...ouais on en entend pas beaucoup parler. Je suis cadet mais j’en ai jamais

entendu parler.

Et dans le sport professionnel en général ?

Ouais, là c’est...je trouve pas à la JL, pas énormément mais dans le club de ma sœur oui.

Elle joue où ?

A Bourges.

Mais elle joue en pro à Bourges ?

Elle joue en N1 et elle fait tous les entraînements avec les pros.

Plus généralement, à l’extérieur, pour quelqu’un qui n’est pas sportif, ce qui ressort

c’est l’argent, c’est le sport ?

Je trouve que ça dépend des personnes. Tout le monde ne perçoit pas ça de la même façon.

Y’a des gens qui pensent que le sport, on gagne beaucoup d’argent, puis d’autres non, ils

pensent qu’au sport en lui-même en fait.

Et quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?

Page 183: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

182

Je sais pas...dans le milieu. (rires)

Pourquoi ?

Déjà parce que, pour l’instant je suis plus jeune, et je peux progresser.

Et en France, selon toi, est-ce qu’il y a des choses que l’on devrait changer dans le

basket ?

Non pas spécialement.

Dans le monde du sport, chez les pros ?

Ouais si...je vais dire ça comme ça mais...je trouve qu’il y a un peu trop de...surtout des

joueurs professionnels, ils s’en foutent du club où ils sont. Encore une fois, c’est-certains

joueurs qui vont jouer une saison dans un club, ils foutent de ce qui va se passer après, de ce

qui s’est passé avant...de l’avenir du club quoi. Yen a d’autres qui vont jouer 4 matchs pour

remplacer un joueur et eux, ils vont vraiment s’investir à fond.

Et pour toi, qu’est-ce que représente la JL Bourg finalement ? (je lui explique la

question)

Y’a une bonne entente. Tout le monde aime bien tout le monde, même si y’a parfois quelques

problèmes.

J’ai quelques questions pour finir, ton âge, tu m’as dit 15 ans ?

Oui.

Le métier de ton père ?

Il est chef d’entreprise.

C’est une entreprise de quoi ?

De revêtement de sols.

Et tu sais combien il a d’employés à peu près ?

Il en a 8 je crois.

D’accord. Et le métier de ta mère ?

Elle tient un hôtel.

Tu sais le classement de l’hôtel ?

C’est un trois étoiles.

Page 184: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

183

C’est la gérante ou il lui appartient ?

Il lui appartient.

Donc ton niveau d’études, tu es en seconde générale ?

Oui.

Par rapport au reste de la population, tu considères comment ton niveau de vie ?

Normal, ni très haut, ni très bas.

Je te remercie, c’est tout bon pour moi.

Page 185: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

184

Entretien avec Tony, Réalisé le 18 avril 2012

Tony vient me rejoindre dans le bureau du directeur du centre de formation. Je l’ai déjà

rencontré dans le cadre du stage en septembre 2011 et ne lui pose donc pas les questions

auxquelles il avait déjà répondu. Je lui explique la raison de ma nouvelle venue, lui redonne

les modalités de l’entretien et nous commençons.

On va commencer… Est-ce que tu penses que le basket c’est un sport où y’a une grande

mixité sociale, c’est-à-dire qu’il y a des gens d’un peu de toutes les classes sociales ou pas

trop ?

Bah ouais y’a des gens de toutes les classes sociales, après, pfff, c’est quoi ces questions,

qu’est-ce tu veux que je te dise bah… le basket c’est pour tout le monde, toutes les classes

sociales quoi.

Est-ce que dans tous les sports tout le monde peut faire le sport, est-ce que…

Bah je pense que oui après moi je suis dans une classe sociale moyenne, aisée, je sais que le

basket, ça a jamais été un souci pour moi, pour en faire, après les autres, j’en ai vraiment

aucune idée mais je pense que tout le monde a accès au basket facilement et je pense que tous

les sports c’est pareil.

Tu penses que tous les sports c’est pareil ?

Ouais

Même les sports individuels ?

Bah ouais…

Ok

Bah après, je suis pas assez connaisseur pour dire, mais ça c’est mon opinion

Et… est-ce que un sport qui fait rêver les jeunes, tu penses

Ouais, bah ouais, de plus en plus, avec la montée de l’équipe de France

Ouais…

Et bah… Tony Parker, toutes les stars de l’équipe commencent à faire parler d’eux, ça

commence à faire rêver je pense, même pour nous… donc

Ca te fait rêver toi ?

Bah ouais, je pense que ça fait rêver tout le monde non ?

Qu’est-ce qui te fait rêver ?

Page 186: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

185

Bah tu regardes le palmarès, même, ouais, le palmarès de Tony Parker tu te fis « wow,

chapeau quoi » et puis même, tous les Français qui font parler d’eux en NBA… c’est bien

Et tu crois que ça attire du monde ou pas, ou c’est que les connaisseurs…

Bah non, ça attire, des plus jeunes âges, plus les petits ils entendent parler de… y’a un petit

dès 6 ans qui va commencer à entendre de Tony Parker, il va se mettre à regarder la NBA…

Ca marche… et c’est qui tes modèles, toi, dans le basket ou dans le sport ?

Français ?

Non, en général

Euh… j’ai qui en modèle… j’ai… Wade bon, tu connais ? Voilà, je sais pas, j’ai pas trop de

modèle à qui… ah si j’ai un modèle auquel je me réfère vachement… j’ai un modèle, mais tu

connais pas je pense…Rivers ? Tu connais ?

Du tout, c’est qui ?

C’est un gars qui joue à Duke, à l’université, qui va entrer en NBA là et c’est le fils de Doc

Rivers.

Ah si je vois

Bon il est pas mal médiatisé ah lui il me fait rêver…

Tu t’intéresses à la NCAA ?

Ouais vachement, plus que la NBA même, maintenant que c’est fini, je trouve ça vachement

bien.

D’accord et pourquoi lui il te fait rêver ou pourquoi ?

Bah il joue… franchement il a un jeu… Pas tout le monde l’aime mais bon, je trouve qu’il a

un jeu… beau à voir jouer quoi… et voilà je prends référence sur lui, parce que j’aime bien

son jeu.

Ok, très bien… est-ce que des joueurs du centre de formation intègrent l’équipe pro ?

A Bourg ? Bah ouais… C’est ça le principe d’un centre de formation je pense, je pense que

Jean-Luc il travaille pour ça en fait, pour faire monter le plus possible de jeunes en pro, après

la marche centre de formation-ProB, elle est hyper dure, c’est que c’est hyper dur, sauf si tu as

un talent vraiment fou, c’est vraiment dur, j’en connais pas qui ont réussi à passer la marche

d’un coup, y’a beaucoup, à Bourg, c’est beaucoup ça, ils font souvent un jeune en pro, qui fait

le dixième homme… qui vient du centre de formation… y’a eu Greg, y’a eu Pierre, y’a eu

Delaflore

D’accord et est-ce que là, dans les gens qui sont au centre de formation actuellement, tu

penses que y’en a beaucoup qui vont devenir pro un jour ?

Page 187: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

186

Nan…. Nan

Combien tu penses ?

Moi je parie sur un… celui qui est en équipe de France… Lui il sera, lui je pense qu’il va

réussir à percer et voilà je pense ça sera le seul.

Et toi ?

Nan… je me mettrais, mais moi je miserais pas sur moi en tous cas, s’il fallait dire quelqu’un

je dirai Nicolas je pense qu’il a beaucoup plus de chance que quelqu’un d’autre d’être pro.

Pourtant si on te propose de rester c’est bien…

Ouais ouais mais je préfère pas, franchement…

Nan mais c’est pas, je te l’ai déjà dit je suis pas un journaliste… je te demande pas…

t’as le droit de me dire que tu penses devenir pro sans que…

Nan nan c’est pas ça, si je pensais passer pro je te l’aurais dit mais vraiment pas ! Si j’avais

fait une saison sans me blesser, je t’aurais dit oui… mais je me suis blessé, on se remet

souvent en question quand on est blessé, donc voilà, donc pour l’instant, mon avenir est assez

incertain… J’aurais dû m’arrêter plus tôt. Là je faisais tous les entraînements avec les pros,

plus ceux avec le centre de formation. Ça m’a cassé ! C’était obligé que je me blesse à force

de faire toujours plus, toujours plus… (regard songeur) Mais même les coachs auraient dû

m’arrêter, je sais pas pourquoi ils voulaient que je fasse tout ça. Enfin si, pour que je

progresse c’est sûr, mais c’était pas prudent. Et au final ça fait six mois que j’ai pas jouer.

Normal ça me fait chier, surtout que j’aurai pu l’éviter. Mais à force de vouloir trop faire tu

vois, ben tu te casses. Et maintenant je sais pas comment je vais revenir. Je sais pas quand je

pourrai reprendre. Et si du coup j’aurai ma place dans le groupe pro. Normalement oui avec le

contrat. Mais ça va être chaud.

Ca marche… et les autres à ton avis, qui deviennent pas pro, à ton avis, qu’est-ce qu’ils

vont faire ?

Bah c’est difficile, y’a deux jeunes qui se sont fait virer du centre de formation donc… je

regarde ça… c’est alors après y’a ceux qui sont forts en étude.

Qui se sont fait virer quand ?

Ils se sont fait virer bah pour l’année prochaine là !

Ah ouais ?

Ils sont pas gardés.

Qui se fait virer ?

Yven et Marius. Donc le noir et Marius qui sera…

Page 188: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

187

C’est celui qui vient du Jura c’est ça ?

Ouais c’est ça, c’est chaud, c’est dur pour eux là et t’as ceux qui… Je trouve ça moche. On les

a pris pour trois ans et ils sont virés à la fin de leur première année. Pour eux le basket c’était

un rêve, ils croyaient vraiment ça. Et là on leur dit que c’est fini. C’était chaud tu vois, Marius

il m’a dit qu’il avait plus rien à faire de sa vie, que c’était la fin du truc. Il pleurait et tout, on

l’avait jamais vu comme ça. Enfin il est vraiment mal là j’crois, il s’en remet pas. Et puis

Yven il va retourner dans sa banlieue parisienne et il va s’remettre à faire des conneries. Là il

était cadré, il faisait des efforts et tout. Mais maintenant je le vois mal faire autre chose que

des conneries. C’est pas évident sa vie là-bas j’crois. Après je pense que comme François, qui

va réussir, s’il réussit pas dans le basket, il va réussir dans les études parce que c’est un vrai

bosseur, après ça dépend de la personnalité, Ronny, je pense qu’il va s’en sortir… et puis

voilà.

Et comment ça se fait qu’ils se soient fait virer les deux ?

Virés parce qu’il y a de la concurrence et qu’ils ont pas le niveau, ils ont pas eu le niveau cette

année donc virés, c’est dur… je sais pas il a 15 ans, c’est dur quoi, il lui « bah nan il est

viré », je trouve ça pas très cool…

Mais est-ce qu’ils sont… oui donc tu trouves que c’est pas cool pour quoi ?

Euh…parce que c’est, parce qu’ils sont jeunes quoi et je trouve que quand t’engages des

jeunes de 15 ans, tu pars sur les trois ans, forcément, après je sais pas je trouve ça dur pour

eux, pour quelqu’un qui quitte sa famille, qui doit, qui se fait virer au bout d’un an, après…

bon il l’a cherché parce que…

Qui ? Yven ?

Nan nan pas vraiment Yven mais Marius parce qu’il faisait vraiment aucun effort mais bon je

trouve ça dur pour lui

Il faisait aucun effort scolaire ?

Non, basket, voilà. Une catastrophe…

D’accord, ça marche et du coup, eux, là ils vont faire quoi les deux, tu sais ?

Marius il se rentre je crois, il veut arrêter le basket

Ah carrément ?

Ouais, ça l’a dégoûté et nan Yven je sais pas. Ouais lui, ça l’a bien démoli…

Il s’y attendait pas ?

Si, il s’y attendait mais tu sais, tu t’y attends et puis dès que ça te tombe dessus.

Ouais, je vois… et est-ce que tu penses que les joueurs qui sont là, peut-être toi, est-ce

qu’ils espèrent tous devenir pro ou pas ?

Page 189: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

188

Euh… ouais y’en a quelques-uns, ouais y’en a qui savent très bien que c’est cuit, mais y’en a

quelques-uns qui pensent et qui sont persuadés qu’ils seront pro.

Même si c’est pas le cas ?

Euh pffff… bah après je les connais pas assez, je les connais pas très bien, mais je pense oui

que pour eux c’est pas le cas…

Tu les connais pas très bien ?

J’ai pas été beaucoup avec eux cette saison, donc je les connais pas énormément mais bon je

sais qu’il y en a qui croient qu’ils vont être pro et qu’ils vont y arriver, un ou deux, y’en a qui

pensent, pour moi, ils ont… après peut-être d’un coup ils vont peut-être réussir mais bon c’est

mon avis.

Ouais, c’est ton avis qui m’intéresse, tant mieux… toi si… t’as ton projet d’études mais

ta priorité, elle est où ?

Euh… ma priorité, c’est-à-dire ?

Bah entre le basket, les études, tu mets la priorité où pour l’année prochaine ?

Bah je vais dire le basket, le basket même si, si je suis mal au point là, je vais tout faire pour

retrouver mon niveau et percer au basket. Moi je pense que l’école c’est très important. Je suis

en terminale S et j’espère bien avoir mon bac. Après, je continuerai avec la JL si ma blessure

se rétablit et je devrais être avec l’équipe pro l’année prochaine. Mais je vais quand même

essayer de faire un BTS en même temps. L’année prochaine je vais faire mon BTS, en trois

ans au lieu de deux. Et je veux le réussir pour avoir quelque chose à faire dans tous les cas.

Mais je sais que ça va être très compliqué. Le rythme physique est vachement soutenu en pro,

c’est super chaud pour tout faire, avec les déplacements le week-end. […] Pour l’instant,

j’avais pas de priorité, c’était autant le basket que les études. Mais l’année prochaine il va

falloir choisir et j’crois que ce sera quand même plus le basket. Je sais que plein de gens

trouvent que c’est naïf et inconscient mais bon, on verra bien…

Pourquoi naïf ?

Bah parce que si on prend les pourcentages de chances de réussir entre basket et études, les

études sont largement au-dessus… mais bon, ce qui me plaît c’est le basket…

C’est un peu plus kiffant le basket aussi…

Ouais c’est exactement ça…

Et est-ce que tu t’es dit, au début, quand t’as commencé à jouer, à prendre du niveau un

peu, est-ce que tu t’es dit que ça te permettait d’éviter l’école ou pas ?

Non… non non jamais, j’ai jamais fait le rapport basket, école donc…

Y’en a qui l’ont fait tu penses ?

Page 190: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

189

Non…

Ok. Et est-ce que là, si un autre club plus prestigieux te proposer d’y aller, tu irais ou

pas ?

Pas à cette période-là, pas en sachant que je suis blessé, que je suis toujours pas revenu mais

en fin de contrat, ouais c’est sûr, je voudrais partir.

D’accord. Et à quel moment tu t’es dit que tu pourrais y arriver un jour ?

Quand je suis entré en équipe de France il y a deux ans bah je me suis dit que quand même, je

pouvais peut-être y arriver, c’est quand même là qu’on commence à se dire « tu peux y

arriver, tu peux y arriver », tout le monde… les coachs, j’ai Marc et Ludo qui ont commencé à

me dire que je pouvais y arriver et tout… j’avais ça en tête voilà.

Et pour toi aujourd’hui, qu’est-ce que ça représente ?

Bah beaucoup quand même, ça fait trois ans que je suis et ils m’ont vachement aidé, que ce

soit niveau études ou basket… mais, bah voilà, je suis vachement reconnaissant de ce qu’ils

ont fait, surtout Marc, je suis vachement reconnaissant de ce qu’il a fait parce qu’il m’a quand

même beaucoup aidé et c’est dommage qu’il soit plus là. C’est lui qui m’a amené en équipe

de France. En fait il connaissait une personne du staff et il l’a appelé pour parler de moi, enfin

pour lui dire de me voir jouer tout ça. Et du coup le mec est venu et ça a accroché. Mais j’ai

grave eu de la chance parce que si Marc connaissait pas ce mec, ou bien si l’autre était venu à

un autre match…parce que genre ce jour-là je mettais tout, c’était énorme. Ben j’aurais peut-

être jamais été pris. Donc j’ai eu de la chance quand même.

Ouais ?

Ouais…

Tu regrettes ?

Ouais.

Tu t’entends pas avec M. Fauchelevent ?

Euh moyen…

Parce que…

Parce que on s’entend…enfin moi je m’entends pas avec lui

Ah ?

Après lui il a sa vision, mais moi, je m’entends pas avec lui…

Sur quoi ?

En général.

Page 191: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

190

Ouais…

Et puis il était beaucoup… il m’a vu trois mois au basket, après j’étais quand même de côté

pendant 6 mois…alors que Marc, même s’il était pas là, il prenait vachement de nouvelles et

tout… après Marc voilà, ça fait longtemps qu’il m’entraîne, avec M. Fauchelevent, ça fait que

trois mois donc voilà, mais je m’entends moyen…

Ok et avec les autres ça se passe bien ou c’est avec toi surtout ?

Euh… on est partagé avec M. Fauchelevent.

Ah ouais ?

Après c’est un peu de tout, t’as ceux qui se méfient, t’as ceux qui aiment bien…

Ils aiment pas du tout ?

Parce qu’ils disent qu’il est faux, y’en a qui disent qu’il est pas réglo…

Ca marche, pour revenir quand même au sujet, qu’est-ce qui t’attire dans le milieu

professionnel ?

Bah ce qui m’attire c’est gagné la vie par son plaisir, enfin tu vois, faire ce qu’on aime, être

payé, c’est la belle vie quoi…

Mais est-ce… qu’est-ce que c’est pour toi le milieu professionnel ?

Bah c’est un monde assez dur… un milieu, je sais pas je le connais pas trop ce monde-là, des

professionnels… il est dur d’accès, que ça devient de plus en plus dur d’être Français et de

rentrer dans ce monde, après on connait pas trop.

Tu réfléchis à l’argent ou pas ?

Non, pas pour l’instant.

Mais est-ce que tu penses que ta vie peut-être plus facile si tu deviens pro ou pas ?

Nan, c’est difficile si je deviens pro, plus difficile parce que je peux peut-être gagner

beaucoup pendant dix ans et après va falloir que je me refasse, donc ça, c’est compliqué,

surtout à 30 ans, donc ouais non c’est chaud, c’est pour ça que c’est dur, je pense pas que ce

soit plus facile d’être pro, justement, c’est plus dur… t’as pas une vie stable, tu joues, tu peux

être viré à tout moment, t’es sous pression quand même… donc après faut aimer, ça c’est sur.

Mais t’as quand même envie ?

Ouais, bah ouais, c’est clair.

D’accord, c’est la passion, c’est vraiment ça ?

Ouais bah ouais, c’est vraiment ça, la passion. Puis y’a vachement de côtés négatifs à être pro,

c’est la passion qui fait tout, tu t’en fous quoi.

Page 192: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

191

Et la reconnaissance, ça t’importe ou pas ?

C’est-à-dire ?

Bah que les gens te voient…

Ouais… ouais c’est bien ça aussi, ouais, ça c’est le pied, nan nan nan, la reconnaissance c’est

un plus, mais c’est vrai que c’est sympa quoi, c’est clair, après, je connais pas non plus

vachement. Ben ça fait quand même kiffer, genre quand je joue avec les pros. Enfin que je

suis sur le banc. Les ptits qui viennent te demander un autographe et tout. C’est vraiment

agréable. Enfin ça fait plaisir tu vois, les gens qui te parlent dans la rue et tout. Moi j’aime

bien ça. Après c’est pas toute la gloire et tout de certaines stars que je dis hein, c’est juste là

être vu et qu’on sache qui je suis, c’est cool, mais j’sais pas trop.

Non mais de ce que tu vois.

Oui non, de ce que je vois, non non c’est clair, c’est un plus, c’est un plus.

Et à ton avis les gens qui jouent avec toi au centre de formation, ils viennent de quel

milieu social, enfin de quelle classe ?

Bah y’a de tout.

Y’a de tout vraiment tu penses ?

Bah ouais ouais, y’a de tout, t’as ceux qui viennent de la classe moyenne-élevée, et ceux qui

sont un petit peu plus bas, mais ouais y’a de tout… enfin dans cette équipe, après ça dépend.

Et ouais, dans les autres centres de formation tu penses que c’est pareil ?

Ouais ouais, bah l’année dernière, on avait trois Sénégalais…

Tu penses que les centres de formation, y’a des gens qui viennent un peu de tous les

milieux ?

Ouais, je pense que ouais… ouais le milieu social ça a rien à voir…

Ca change rien tu penses ?

Nan bah nan… le petit il est super fort au basket, il a pas de sous pour venir, le club il est tout

frais payé, il viendra quand même !

Ouais, donc c’est pas une question d’argent ?

Ah non, ça n’a aucun rapport avec l’argent ! Mais alors absolument pas. Enfin tu veux faire

quoi avec de l’argent ? Non non, vraiment pas !!

Qui t'a permis de réussir dans le basket ?

Page 193: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

192

Mes parents déjà quand même, au départ. Après ça dépend, y a le pôle espoir, la JL, Marc qui

m’ont permis de passer des palliés. Au départ c’est quand même mes parents parce qu’ils

m’ont toujours soutenus, ils ont jamais été contre ça. Ils m’ont toujours dit de faire attention.

Mon père me soutient beaucoup et je sais qu’il a pas très bien vécu ma blessure. Mais en

même temps il continue de m’encourager et il m’a toujours dit que si j’arrivais pas à être pro

c’était pas grave. Chaque fois que j’ai changé de club ou que j’ai fait des tests il m’a

accompagné et il a choisi avec moi aussi. Ils veulent le meilleur c’est sûr, mais ils font gaffe à

ce que je fais, pour pas que je prenne trop la grosse tête. Ils m’ont toujours fait que…Enfin en

sorte que je me méfie de ce que j’allais faire [il rigole]. Tu vois ? Enfin genre là quand j’ai

signé mon contrat pro ils étaient là évidemment et ils ont posé plein de question pour que tout

se passe bien.

Quelle place occupe ton entourage dans ta réussite au basket ? Sans famille qui

t'accompagne, est-ce possible ?

Oui c’est possible mais après ça dépend des caractères, y en a qui préfèrent d’autres non. Moi

je suis habitué à ce qu’il y ai mes parents. Mon père croit vachement en moi. Mais ça me met

pas la pression, il sera pas non plus trop déçu si je réussis pas. Mes parents ils ont toujours été

là, c’est eux qui m’ont permis de jouer au basket déjà quand j’étais petit. Ensuite c’est eux qui

ont fait tous les déplacements, qui m’ont permis de changer de club pour que je progresse. Et

puis qui m’ont inscrit au pôle aussi, alors que je sais que ça coûte plus cher. Et puis après ils

m’ont toujours accompagné faire les sélections, en équipe de France. Ils ont fait énormément

de déplacements pour moi et je dois les remercier pour ça. Bien sûr j’ai énormément

travailler donc c’est pas que eux, mais ça reste quand même grâce à eux je pense.

(Nous devons quitter le bureau et nous arrêtons l’entretien. Je lui pose encore quelques

questions une fois sortie puis prends des notes sur la discussion informelle après son départ.)

Page 194: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

193

Entretien avec Marius, Réalisé le 18 avril 2012

Marius vient me rejoindre dans le bureau mis à disposition par le directeur du centre

d’hébergement à la suite de Luc. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de

l’entretien et nous commençons.

Question : Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Réponse : Je m’appelle Marius, j’habite à Bourg, je joue au basket depuis 6 ans. Je suis venu

ici, au centre de formation à Bourg cette année, c’est ma première année. J’étudie au lycée

Saint-Pierre, donc lycée privé, et puis voilà.

T’es en seconde là-bas ?

Je suis en seconde.

Ok et depuis 6 ans c’est depuis que tu as 6 ans ou ?

Depuis...6 ans que je fais du basket.

Et comment es-tu arrivé à la JL ?

Et ben j’ai fait des tests l’année dernière pour rentrer ici et puis ils m’ont sélectionné.

Tu en as fait ailleurs aussi ?

J’en ai fait à Chalon, à Dijon et puis voilà.

Et t’avais été pris ailleurs ou ?

J’ai été pris dans un autre centre, qui était plus près de chez moi mais inférieur en catégorie.

Tu as toujours été dans le milieu du basket ou tu as fait d’autres sports ?

Au début, quand j’étais petit, je faisais de la natation. J’en ai fait pendant 12 ans. Puis après

j’ai arrêté parce que ça marchait pas avec mes horaires de basket et j’ai préféré continuer le

basket.

Et pourquoi tu t’es tourné vers ce sport en particulier ?

Ben tout d’abord, parce que je suis grand. C’est surtout ça, j’étais le plus grand...dans ma

classe, j’étais toujours le plus grand. Puis j’aime bien ça, c’est intensif, c’est un sport collectif

et puis euh...tu peux bien te dépenser.

Et est-ce qu’à ton avis, c’est un sport qui est porteur de valeurs ?

Page 195: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

194

Euh oui. Y’a le respect, le fair play, puis ma fraternité. Faut être ami, faut apprécier avec qui

tu joues.

C’est important ça tu crois ?

Oui c’est important.

Même pour les résultats ?

Bah oui. Si tu...tu gagnes pas un match tout seul, tu gagnes un match avec une équipe. C’est

super important pour le basket.

Et à ton avis, qu’est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket aujourd’hui ?

Hum ben les stars. Les stars de la NBA, quand y’a des matchs, ils s’habillent bien, ils ont des

belles femmes, tout ça. Puis le sport est beau à voir, y’a des matchs, y’a des trucs

spectaculaires. C’est vraiment bien.

Et quand tu dis les stars, c’est quoi qui attire, c’est par exemple le fait d’être aux Etats-

Unis ?

D’être connu aux Etats-Unis ouais, tous les enfants là-bas t’adorent.

Est-ce que tu penses que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ? (je lui

explique le terme de mixité sociale)

Ouais. Par exemple moi je suis dans une classe sociale qui est pas trop élevée, je suis en bas.

Puis je suis venu ici parce qu’ils me paient les cours. Je paye juste ici, ça va, mais si je payais

les cours, je pouvais pas venir. C’est pour ça que ouais, ce qui est bien, c’est que c’est pour

toutes les classes sociales. Enfin d’où je viens y a pas de boulot et tout…

Dans le basket en général, ça marche beaucoup comme ça tu penses ou pas ?

Je pense aussi.

Et est-ce que ça, ça change selon les sports à ton avis ?

Ben y’a certains sports comme le golf, où il faut avoir beaucoup d’argent pour y jouer, le

water polo aussi, surtout ça.

Pourquoi ?

Parce que...je sais pas, ce que j’ai entendu, c’est que ceux qui vont là-bas, c’est tous ceux qui

ont beaucoup d’argent, c’est pas ceux qui ont une classe sociale basse.

Et est-ce que c’est un sport qui fait rêver aujourd’hui le basket ?

Page 196: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

195

En France ? Ouais je pense mais plus aux Etats-Unis. Ouais en France, y’a des jeunes, on est

beaucoup au basket en France mais moins que le foot par contre.

ça fait moins rêver que le foot tu penses ?

Non je pense que le foot c’est le plus pratiqué en France je crois.

Et est-ce que par rapport aux autres sports, ça fait moins rêver, plus rêver ?

(il réfléchit) Hum...alors là. Bah...je pense que ça fait plus rêver. Enfin non moins rêver parce

que ça dépend des sports. Y’a genre le foot, ça fait plus rêver parce que tu peux, tu gagnes

beaucoup d’argent. L’exemple des grandes stars là, ils gagnent beaucoup d’argent alors que

dans les autres sports tu gagnes moins. C’est tout, c’est ça qui fait la différence.

Et tu penses que c’est l’argent qui attire ?

Ouais c’est surtout l’argent aussi. La plupart des gens sont attirés par l’argent ouais, sinon les

autres sont plus là pour se faire plaisir.

Quels sont tes modèles dans le basket ou dans les sports en général ? (je lui explique la

question car il me demande de préciser)

Au basket, c’est Michael Jordan. C’est mon modèle, c’est une star. C’est une star de NBA

connue mondialement...

Et pourquoi ?

Parce que ça a été un des plus grands joueurs de basket au monde.

Mais qu’est-ce qui t’attire chez lui ?

Ben il a gagné beaucoup de titres, sa manière de jouer, puis...le talent qu’il a aussi.

Ok. Et est-ce que maintenant tu peux m’expliquer le fonctionnement du club ?

Euh bah là c’est un centre de formation Ceux qui sont au centre, ils peuvent jouer en deux

catégories : y’a les cadets France, ceux qui jouent en première division et qui jouent pour le

championnat de France. Y’a les deuxièmes, c’est les cadets Région, ça se joue tout dans l’Ain.

Après t’as les filles, c’est les cadettes Région, y’a pas de France. Puis après, y’a les Baby, les

Poussins et puis t’as les Seniors qui jouent en R1. Et puis t’as les pros, qui jouent en pro B.

Donc il y a à la fois des pros et des amateurs ?

Ouais.

Et comment le lien est fait entre les deux ?

Ben ils se connaissent depuis longtemps. Ils se connaissent tous.

Page 197: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

196

Oui mais comment on passe des joueurs amateurs aux joueurs pros ?

Ben ça, ça dépend comme tu joues. Si tu te fais repérer par le coach, ou si t’es un bon joueur

tu vois.

Et le centre de formation, il fonctionne comment ?

Il sert à former les jeunes pour qu’ils aillent au plus haut niveau qu’ils peuvent aller.

C’est quoi généralement le niveau qu’on attend ?

Bah...on attend nous les pros, pro B, pro A. Mais c’est déjà bien d’aller en N1, N2.

Et comment ça fonctionne dans la vie de tous les jours le centre ? Comment s’organise ta

semaine par exemple ?

Bah le lundi, j’ai cours toute la journée, je commence à 8h, je finis à 6h et après j’ai

entraînement 1h30, de 6h à 19h30. Le mardi c’est pareil, mais je finis un peu plus tôt parce

que j’ai des cours spécial, ça dépend des personnes. Et puis après j’ai entraînement pareil le

soir. Le mercredi, on a entraînement le midi, entraînement le soir. Le jeudi, on a entraînement

le soir. Et puis le vendredi, on a entraînement le midi. Et puis le dimanche, on a match à

l’extérieur ou à domicile.

Et est-ce qu’il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l’équipe pro à la fin ?

Y’en a un cette année qui est pris en équipe pro, qui a un contrat pro. Puis les autres sinon, ils

vont avec les N1, N2, ou ils partent d’ici, ils vont...je sais pas, ils partent de Bourg.

Et est-ce qu’il y a quand même beaucoup de joueurs qui vont devenir pro à la fin ?

Non, pas tellement.

Qu’est-ce que font les joueurs du centre s’ils ne deviennent pas pro à la fin ?

Ben...on essaye de trouver un autre club qui est en dessous des pros, genre N1, N2, c’est déjà

pas mal, c’est un bon basket. Et sinon on essaye d’aller dans le scolaire, en fac, tout ça.

Parce que si tu es en N1, N2, tu gagnes déjà ta vie ?

Oui tu gagnes déjà pas mal mais tu peux avoir un boulot à côté. C’est pour ça qu’il faut

travailler.

Et toi, qu’est-ce que tu espères à la fin de tes années au centre de formation ?

Ben de pouvoir jouer au plus haut niveau que je suis. Et puis ou sinon avoir un boulot potable.

C’est quoi un boulot potable ?

Page 198: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

197

Ben un boulot que j’aime. Et puis que je puisse faire ma vie.

Et c’est quoi à ton avis, le niveau le plus haut que tu puisses atteindre ?

Pour l’instant je suis pas en capacité de juger, parce que pour l’instant j’ai pas toutes les

capacités nécessaires.

Mais tu as forcément des attentes, des espoirs ?

Ben le niveau que je vise, c’est N1, N2. C’est déjà pas mal.

Et pro, c’est possible à ton avis ?

Ben pro, je sais pas du tout. Franchement, je sais pas du tout. C’est vraiment dur et puis on est

beaucoup à vouloir y être. Et puis faut déjà avoir le talent.

C’est une question de talent tu penses ?

Ouais. Et puis aussi, savoir bien jouer, avoir le collectif, tout ça.

D’accord. Et à ton avis, d’où viennent principalement les joueurs qui sont recrutés au

centre de formation ?

Ben de toute la France, ils sont sélectionnés dans toute la France. Genre yen a un qui vient de

Paris. Celui d’avant, qui était là, il vient de Nancy. Puis moi je viens du Jura, juste à côté.

Et tu penses qu’ils sont principalement issus de quel milieu social ?

Euh...milieu je pense. En général.

Est-ce qu’il y en a qui viennent de classes très favorisées ?

(il réfléchit) Euh...non. Pas trop, je crois pas.

Et très défavorisées ?

Non plus. Mais il peut y avoir de toutes les classes mais là cette année, yen a aucun qui vient

d’un milieu bas.

Et dans d’autres centres de formation, tu penses que c’est pareil ?

Non, dans d’autres centres de formation, je pense qu’il y en a quand même qui viennent d’un

milieu bas. C’est possible.

Et quelle est la politique de formation du joueur ici, qu’est-ce que l’on cherche avant

tout ?

Page 199: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

198

Ben...devenir professionnel du basket.

Est-ce que vous êtes préparés, au cas où ça ne marche pas, à faire autre chose ou pas ?

Euh...non. On travaille à l’école surtout, au cas où qu’une blessure ou qu’on ait pas le niveau,

pour avoir un boulot à côté quoi.

Mais en premier lieu, ce qui est le plus important à ton avis, c’est l’école ou c’est le

basket ?

C’est l’école le plus important. ça te rattrape de tout.

Le club de la JL, tu penses qu’il est bien côté, ça se passe comment sur l’échiquier du

basket?

Ben il est bien réputé. Il a une bonne équipe pro B, on était en pro A. On a eu des bons

joueurs qui sont connus en France.

Et au niveau du centre de formation ?

Ben ça va, on joue bien. Pour l’instant, on est en poule haute, on est dans les trois premiers. Il

y a d’autres poules.

Et pourquoi es-tu venu ici ?

Parce que d’abord je cherchais un centre de formation. Puis j’ai trouvé que celui-là qui était à

proximité parce que j’habite pas très loin, j’habite à 45 minutes. Puis j’ai aimé la structure.

Comment c’était fait avec les cours et les horaires de basket. Puis l’entente avec les joueurs

aussi.

Tu les connaissais déjà d’avant ou pas ?

Non, mais...je me suis fait des bons amis on va dire. C’est une bonne entente par rapport

d’autres centres où c’est juste pour devenir basketteur professionnel, c’est chacun pour sa

pomme, tout ça. Alors qu’ici c’est, on travaille tous ensemble.

Et si un autre club plus prestigieux t’avait proposé, est-ce que tu y serais allé tu penses

ou pas ?

ça je sais pas du tout. Bah je pense que, avant que je vienne ici, ouais je serais peut-être allé.

Mais maintenant que je suis ici, je sais pas du tout. Je pense que je resterais un peu plus là.

Est-ce que tu penses que dans d’autres centres de formation, il y a plus de chances de

devenir pro à la fin ou pas ?

Ouais t’as plus de chances, mais là-bas c’est...c’est surtout situé pour ceux qui ont plus

d’argent. Puis...genre y’a des joueurs qui sont en équipe de France là-bas, et ils font plus jouer

ceux-là que les autres. En gros, y’en a qui viennent pour rien.

Page 200: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

199

Et pourquoi tu dis « ceux qui ont plus d’argent » ?

Euh...ça dépend. Dans certains clubs, y’a des parents qui travaillent dans le centre, tout ça. ça

peut les aider à aller au plus haut niveau.

Mais est-ce que l’argent que tu as en arrivant change quelque chose dans les centres de

formation ?

Non, non...enfin, je sais pas comment dire. Non je pense pas, non ça change pas mais ça

dépend d’où tu viens, de quelle famille tu fais partie et tout ça.

Parce que ?

Ben y’a certains de mes amis, ils ont des parents qui sont hauts placés dans le basket. Ils

peuvent intégrer des centres qui sont vraiment forts, genre à Cholet, l’Insep, tout ça.

Donc ce n’est pas qu’une question de mérite en fait ?

Oui.

Donc tout le monde ne part pas égalitaire ?

Non.

Est-ce que tu crois en tes chances de devenir pro un jour ?

Hum...c’est possible. Mais ça dépend de moi. Comment je vais...l’année prochaine ou dans

deux ans. Si je joue bien, si j’ai le niveau...

Et à quel moment tu t’es dit que tu pouvais devenir pro, comment ça s’est passé ?

Ben à la fin de ma troisième, j’étais en poly sport basket. Et puis mon coach m’a dit que

j’avais des chances. J’ai fait plusieurs tests en centre de formation, puis j’ai été pris à celui-là.

Puis je me suis dit, si j’y vais, j’ai peut-être une chance de devenir pro.

Et qu’est-ce qui t’attire là-dedans ?

Bah de jouer au basket à haut niveau.

C’est tout ?

Oui, c’est-ce qui m’attire le plus.

Il y a d’autres choses qui t’attirent par rapport au fait d’être professionnel ?

Non, c’est même pas une question d’argent, c’est juste pratiquer le basket et monter au plus

haut niveau possible.

Page 201: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

200

Pour toi, qu’est-ce que ça représente aujourd’hui la JL Bourg ?

Ben un bon club, un bon centre, puis des bons coachs.

Un autre thème maintenant, qu’est-ce qui caractérise le sport professionnel de manière

générale aujourd’hui à ton avis ?

Les stars, tout de suite. Les grandes stars du sport, du foot, du basket, tout ça. L’Equipe de

France...

Et les stars, c’est quoi en fait ?

Ben parce que t’es fan d’eux on va dire. Genre les stars du foot, t’as envie d’être comme eux,

t’as envie de jouer à leur niveau, d’avoir le salaire qu’ils ont, tout ça.

Donc c’est quand même une question de salaire ?

Ouais quand même. Mais quand t’es jeune. Après quand t’es plus vieux, tu te rends compte

que c’est pas ça qui compte.

Et c’est quoi qui compte ?

C’est se faire plaisir.

Est-ce qu’il y a une différence entre le basket et les autres sports au niveau

professionnel ?

(il réfléchit) Non, je pense pas.

Si tu deviens professionnel, est-ce que tu espères que ta vie sera plus facile ensuite ?

Ben oui, je pense.

Pourquoi ?

Ben pour euh...je sais pas. Je sais pas comment expliquer.

Dis moi le fond de ta pensée.

Ben je pense qu’elle sera plus facile ma vie parce que...je voudrais atteindre le but que je

voudrais.

Et au niveau financier, trouver un travail ensuite, est-ce que ce sera plus simple ?

Non je pense pas. Trouver un travail, ça va pas changer, si t’es professionnel ou pas. Tout

dépend de tes études.

Page 202: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

201

Et au niveau financier ?

Ben ça dépend si t’es bien payé ou pas.

Et ça tu n’y penses pas ?

Non, non.

Ok. Est-ce que tu penses que le sport permet d’avoir un meilleur rang social ?

Ouais je pense. (il réfléchit un long moment) Je sais pas comment expliquer ça par contre.

(je lui réexplique la question)

Ouais, je pense. Ben avec le sport, tu peux te défouler tout ça, tu changes de caractère, t’es

mieux avec les autres.

Et dans la société, avec les gens, tu penses que tu seras mieux ?

Oui je pense.

Et est-ce que le rôle du sport, c’est t’aider à être mieux financièrement ?

Hum...non.

Donc le sport ne permet pas ça tu penses ?

Non. Mais y’a d’autres manières de vivre bien, sans l’argent, tout ça. C’est avec le travail tout

ça. Mais je pense que c’est plus pour se dépenser, se faire plaisir.

Donc en fait c’est à côté du travail ?

Oui.

A ton avis, qu’est-ce qui t’as permis de réussir dans le basket ?

Ben...mon envie. J’aime bien le sport, j’avais bien envie de continuer. Et puis surtout ma

taille.

Parce que tu fais quelle taille ?

Je fais 1,94.

Et est-ce que c’est plus facile de réussir dans le sport maintenant si on a plus d’argent ou

pas ? (je lui donne un exemple pour illustrer ma question)

Je pense que si on a plus d’argent, on réussit mieux.

Page 203: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

202

Pourquoi ?

Parce que certains centres coûtent chers, surtout les plus hauts placés, ça coûte vraiment cher.

Quelle place occupe ton entourage dans ta réussite ? (je lui précise un peu la question)

Ben ils m’ont beaucoup aidé pour réussir dans le basket. C’est eux qui m’ont poussé à

intégrer ce centre, c’est eux qui ont demandé pour me faire passer les tests. Et puis ils sont

toujours là à m’encourager, à me motiver.

Et pour eux, c’est plus compliqué que tu sois là ?

Ben pour mes parents, ça leur fait bizarre qu’à mon âge, je suis déjà en internat, tout ça.

Qu’ils me voient que le week-end et pas la semaine.

Et pour eux c’est plus cher que tu sois ici, et que tu étudies ici plutôt qu’être à côté de

chez toi ou pas ?

Je pense que c’est plus cher. Enfin si j’étais resté au lycée à côté de chez moi j’aurais pas eu

les billets de train tout ça à acheter. Du coup je suis là parce que mes parents peuvent payer.

Sinon je pourrais pas.

Donc ils sont quand même là pour t’aider, même à ce niveau-là ?

Oui.

Et dans le club, quelle place prend l’argent à ton avis ?

Je pense qu’elle prend pas de place. ça dépend pas de l’argent dans ce club je pense.

ça dépend de quoi alors ?

Ben de si tu sais jouer au basket ou pas.

Et dans le sport professionnel en général ?

Euh...alors là. Je pense pas non plus.

Qu’est-ce qui est important ?

C’est de savoir jouer, avoir du talent.

A ton avis, est-ce qu’il y a quelque chose que l’on devrait changer dans le basket ou dans

le sport en général ?

Les salaires des grands joueurs de foot parce que...faut pas exagérer non plus. Pour un joueur

qui gagne 20 millions d’euros, ou je sais pas combien, c’est un peu trop je pense, par rapport

Page 204: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

203

aux personnes qui bossent tous les jours et tous les matins pour aller travailler et qui gagnent

moins qu’eux. Je pense qu’il faut...faut changer ça.

Et dans le basket, il n’y a pas ça ?

En basket, les salaires sont pas trop élevés non plus.

J’ai juste deux, trois questions pour finir. T’as quinze ans ?

Oui.

Quel est le métier de ton père ?

Electricien.

Il a sa boîte ou ?

Non, il travaille dans une agence.

Et celui de ta mère ?

Elle est directrice d’école.

D’une école primaire ?

Oui.

Tu es en seconde générale là ?

Oui.

Et par rapport au reste de la population, tu situes comment ton niveau de vie ?

Je suis au milieu je pense.

Page 205: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

204

Entretien avec Dorian, Réalisé le 18 avril 2012

Dorian vient me rejoindre dans le bureau mis à disposition par le directeur du centre

d’hébergement à la suite de Marius. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de

l’entretien et nous commençons. Il faut noter que, durant l’entretien, nous sommes

interrompus par le propriétaire du bureau. Celui-ci écoutait en fait l’entretien et a pris parti

le joueur sur la qualité de ses réponses. J’ai essayé de lui expliquer que nous ne pouvions pas

continuer dans ces conditions et lui ai demandé l’accès à une autre salle. Il m’a alors

répondu qu’il n’y en avait pas de disponible et j’ai donc terminé l’entretien, le joueur étant

extrêmement mal à l’aise et ne sachant quoi répondre.

Est-ce que tu peux te présenter ?

Ben je m’appelle Dorian, j’ai 15 ans. Je suis né le 21 avril 1996. J’habite dans l’Ain. Je joue à

la JL Bourg depuis cette année. J’ai une sœur de 20 ans. (rires)

Comment es-tu arrivé à la JL ?

J’étais à l’ASVEL en Minimes France. A la fin de mes deux années, je voulais trouver un

centre de formation. Donc j’ai contacté la JL et voilà.

C’est toi qui les as contactés ?

Ouais.

Pourquoi la JL ?

Bah parce que c’était près de chez moi. Puis c’était un bon club avec le plus haut niveau quoi.

Et pourquoi ne pas être resté à l’ASVEL ?

Ben parce qu’ils me logeaient pas donc je pouvais pas faire les trajets tous les jours. Alors

qu’ici je suis bien.

Tu as toujours été dans le milieu du basket ?

Ouais, ben ça fait...8 ans. 8 ou 9 ans peut-être.

Pourquoi tu t’es tourné vers ce sport en particulier ?

Ben...parce que j’avais un copain avant qui en faisait et j’aimais bien jouer avec lui. Et au fur

et à mesure, voilà, j’ai joué.

Qu’est qui t’a attiré ?

Ben...le collectif. De jouer ensemble, de jouer à 5 sur un terrain. Une fois que j’ai commencé

je voulais plus lâcher. Enfin j’avais tout le temps envie de progresser encore, d’être le

Page 206: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

205

meilleur. Parce que ça me plaisait vraiment t’sais, enfin c’était frais d’apprendre des nouveaux

moves, des cross et tout. Du coup je me suis mis à m’entraîner tout le temps à faire des shoots

chez moi dès que je rentrais de l’école, tout ça quoi.

Est-ce que c’est un sport qui est porteur de valeurs à ton avis ?

(Nous sommes interrompus pendant un long moment et la personne interrompt le joueur

pendant qu’il parle)

(du coup je lui explique la question car il ne retrouve plus ses mots)

C’est un jeu où il faut être intelligent...

(il nous interrompt encore une fois pour répondre à la place de Dorian)

Bah l’esprit d’équipe alors.

(il l’interrompt encore une fois)

Bah être ensemble, être unis.

(il l’interrompt encore une fois)

Bah savoir vivre avec les autres,

(il commente encore une fois la réponse de Thomas)

D’autres choses ou pas, à ton avis ?

C’est tout.

(il l’interrompt encore une fois)

Qu’est-ce qui est attirant pour un jeune dans le basket à ton avis ?

Ben...la compétition déjà. Vouloir toujours tout gagner. Etre toujours aux entraînements, à

travailler. Gravir les échelons pour arriver au plus haut niveau.

Mais par rapport aux autres sports ?

Bah euh...(il réfléchit) je sais pas.

Est-ce que tu trouves que dans le basket, il y a une grande mixité sociale ? (je lui

explique le terme)

Bah ouais, je pense qu’il y a un peu de tous les milieux.

Mais au niveau professionnel comme au niveau amateur ?

Page 207: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

206

Ouais, je pense. Tout le monde peut y arriver, en se donnant les moyens tout ça.

Est-ce que c’est un sport qui fait rêver aujourd’hui ?

Ouais parce que...quand on regarde la télé, les matchs et tout ça, même en vrai ou comme ça,

quand on voit les basketteurs...je sais pas, on a envie d’être comme eux.

Qu’est-ce qui fait envie chez eux ?

(nous sommes encore interrompus)

Bah déjà leur taille, leur physique...ouais quand ils sont au plus haut niveau et dans...comment

dire ? les salles, elles sont remplies et de jouer devant tout le monde et tout, c’est...ça fait

quelque chose.

C’est qui tes modèles dans le basket ou dans le sport en général ?

Ben le début de carrière de Antoine Diot, et voilà...comme (...) et tout et tout. Dans les matchs

qu’on voit à la télé et tout, ouais les joueurs comme ça, ça fait...ça fait rêver quoi.

Et pourquoi ?

Ben parce qu’ils ont...ouais parce qu’ils ont dû travailler et tout, pour arriver à ce niveau là. Je

me dis que si... on essaye de faire pareil, si on essaye de travailler comme eux ben, tous les

jours, ben qu’on pourra essayer un jour d’être comme eux.

Et pour Antoine Diot, pourquoi ?

Ben parce que...comme il est sur le terrain, vu que c’est un meneur de jeu, comme il est avec

les autres sur le terrain, moi j’aime bien comme il est.

Donc c’est dans sa façon de jouer que c’est un exemple ?

Ouais dans sa façon de jouer, son caractère, tout ça.

Ok. Est-ce qu’il y a d’autres choses qui t’attirent dans la façon de jouer de ces gens-là ou

c’est ça surtout ?

(il réfléchit)

Non, c’est plus ça ouais.

Ok. Est-ce que tu peux m’expliquer le fonctionnement de la JL, comment est organisé le

club ?

(il réfléchit un long moment)

Page 208: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

207

(je lui explique la question)

Bah y’a M. Fauchelevent, le directeur du centre de formation. C’est lui un peu qui prend les

décisions des cadets France tout ça, avec M. Madeleine. Après voilà, on est bien encadré tout

ça, avec...fin ouais, c’est tout bien encadré.

Et comment il fonctionne le centre de formation ?

Ben on est presque tous au lycée Saint-Pierre. C’est un bon lycée, avec des bons profs, tout

ça. Et euh...bah on s’entraîne tous les jours...voilà.

Tu sais que dans le club, il y a une section amateur et une section professionnelle ? Tu

appartiens à laquelle ?

A l’amateur. Fin...un peu des deux parce qu’on joue avec des pros.

Comment se fait le lien entre les amateurs et les pros ? (je lui précise la question)

Ben ouais, après les années cadets France, on peut aller intégrer directement l’équipe pro ou

alors jouer dans la section amateur pour encore après être en pro.

Est-ce qu’il y a des joueurs du centre de formation qui intègrent l’équipe pro ?

En France, y’a peu de jeunes qui sortent du centre de formation et qui deviennent pros.

Du coup, que font ceux qui n’y arrivent pas ?

Je sais pas...soit ils continuent leurs études ou alors ils jouent toujours au basket mais pas

forcément en pro ou...

Toi, qu’est-ce que tu espères de la fin de ces années au centre de formation ?

Ben j’espère intégrer une équipe pro à la fin de mes années Cadet France, continuer de

m’entraîner de temps en temps avec eux...

Et ton but, c’est de devenir professionnel à la fin ?

Oui.

Et si tu n’y arrives pas, tu pas pensé à faire quelque chose d’autre ou est-ce que tu

penses vraiment que tu vas y arriver ?

Bah je sais pas trop quoi faire plus tard quoi. Je sais pas encore...

A part basketteur ?

Ouais, j’ai pas encore trop d’idées là-dessus.

Page 209: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

208

Tu penses que c’est possible ou pas ?

Bah...ouais je pense. Il faut que je travaille, tout ça. Faut que je continue à travailler à l’école

et toujours au basket.

Qu’est-ce qui est le plus important pour toi, c’est l’école ou le basket ?

Ben les deux, ils sont aussi importants.

Pourquoi ?

Bah, parce que si j’arrive pas au basket, faut quand même que je vive bien. Faut que je

continue mes études, tout ça. mais bon si je peux arriver à être pro, ce sera mieux.

C’est quand même ton but ?

Ouais.

D’où est-ce que viennent principalement les joueurs qui sont recrutés en centre de

formation ?

Oh ben ils peuvent être recrutés...ben déjà des Minimes, du club déjà. Sinon bah...tout dépend

s’ils ont des demandes et tout ça. ça dépend de leurs demandes et de leurs choix.

A ton avis, de quel milieu social ils sont issus ?

Oh ben ça peut être de tout...

Dans ton équipe ?

Oh ben ils ont pas, fin ouais ils sont normaux. Je sais pas, ils ont...je pense qu’ils sont pas en

manque de sous mais ils en ont pas trop.

Ici, à la JL, quelle est la politique de formation des joueurs, qu’est-ce qu’on recherche en

particulier ?

Bah former le joueur déjà, et puis voilà, apprendre à vivre avec les autres. Voilà devenir des

bons basketteurs et des gens biens quoi.

Est-ce que le but, c’est de former que des pros à la sortie, ou est-ce qu’il y a autre

chose ?

(il réfléchit) Euh...ben ouais ils essayent, ils essayent quoi. Après tout dépend du joueur, s’il y

arrive ou pas.

Tu penses qu’il y en a beaucoup qui vont y arriver dans ton équipe ?

Bah je pense qu’il y en a deux trois oui, qui peuvent.

Page 210: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

209

A ton avis, comment se situe le club sur l’ensemble des clubs de basket, il est bien placé ?

Moi j’ai toujours trouvé qu’on en parlait pas assez du centre de formation de Bourg. Parce

que...on est bien, y’a du basket tous les jours, on est bien encadré...et puis voilà.

Tu penses qu’il est bien placé en fait ?

Y’a toujours des centres de formation qui sont au-dessus, parce qu’ils attirent plus de joueurs,

les clubs de pro A, des choses comme ça.

Et si un autre club plus « prestigieux » t’avait proposé ?

Bah honnêtement, tout dépend ce qu’ils m’auraient proposé.

C’est-à-dire ?

Ben s’ils m’auraient permis de jouer en cadet France tous les week-ends, m’entraîner avec les

cadets France tous les week-ends... Fin surtout pour ma première année quoi. Parce que moi,

ce que je voulais, c’était jouer en cadet France.

(Nous sommes à nouveau interrompus et je choisis d’arrêter l’entretien, qui n’a plus vraiment

de sens et qui, je le sens, met très mal à l’aise le joueur)

Page 211: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

210

Entretien avec Ronny, Réalisé le 17 avril 2012

Ronny vient me rejoindre dans une salle d’étude du lycée Saint Pierre à la suite de François,

à la demande de M. Fauchelevent. J’ai entraîné Ronny quand il était jeune et il est surpris de

me voir là. Je lui explique la raison de ma venue, les modalités de l’entretien et nous

commençons. L’entretien a perdu beaucoup de sa valeur car Ronny ne m’a pas complètement

pris au sérieux. Un ami à moi l’a donc recontacté par la suite en se faisant passer pour un

collègue à moi afin d’avoir des réponses plus vraies, qu’il n’a pas retranscrites entièrement

mais qui ont pu m’aider à intégrer Ronny à une des catégories. C’est pourquoi cet entretien

n’est pas entièrement révélateur de la posture de Ronny.

Question : Est-ce que tu peux te présenter ?

Réponse : Je m'appelle Ronny, je suis joueur de basket à la JL – en centre de formation à la

JL, en cadet France. J'suis en terminale littéraire au lycée Saint Pierre à Bourg et j'ai 17 ans et

bientôt 18.

Comment tu es arrivé à la JL ?

Je suis arrivé... en fait avant j'étais dans un petit club près de la JL, dans le département et j'ai

fait des sélections départementales et j'ai été accepté au pôle ce qui fait que je devais choisir

un club qui jouais au niveau national. Et la JL m'ont proposé alors j'ai accepté. Et depuis je

suis à la JL.

Tu as toujours été dans le milieu du basket ?

Heu... ouais. Et j'étais dans le foot aussi en parallèle.

Et pourquoi tu as choisi le basket ?

Bah, mon grand-père en faisait, mon père en faisait, mon frère en faisait et... et voilà.

Quelque chose t'attirait particulièrement, ou c'était juste parce qu'eux le faisaient ?

(silence) Ben, au début je me voyais pas faire autre chose vu que j'allais souvent voir mon

frère ou mon père jouer, donc j'me suis jamais vu... heu... faire autre chose, donc ça a été

naturel de choisir le basket.

Est-ce qu'à ton avis le basket est un sport porteur de valeurs ?

Ouais.

Lesquelles ?

Ben déjà j'pense, l'esprit d'équipe. Heu, la combativité souvent. Y'a beaucoup de scénarios de

match qui nécessitent de la combativité. Heu, l'intelligence aussi au niveau des systèmes. Pis

Page 212: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

211

c'est tout. Enfin, doit y'en avoir d'autres...

Et par rapport aux autres sports ?

Au niveau des valeurs ? (acquiescement) Ben, ça dépend le sport. Un sport collectif y'a

toujours les mêmes valeurs. Mais par exemple, si je ferais... si je faisais du tennis ce serait

plus au niveau individuel, des valeurs individuelles que collectives.

A ton avis, qu'est-ce qui attirant pour un jeune dans le basket ?

Bonne question !

(Explications)

Ben un enfant, tu lui parles de basket, le premier truc qu'il va te sortir c'est les dunks, c'est

Tony Parker,ou alors Michael Jordan.

Pourquoi à ton avis ? Parce qu'il dunk ! P't'être pas Tony Parker, Tony Parker c'est plus parce que c'est le fanion de

l'équipe de France depuis longtemps donc c'est un des principaux représentants du basket en

France. Et Michaël Jordan c'est parce que c'est une légende. Enfin, il dunk, tout le monde le

connaît pour ça à la base. Après pour ceux qui sont plus connaisseurs en basket il peut faire

d'autres choses, mais pour un enfant je pense que c'est surtout les dunks.

Et qu'est-ce qui attire là-dedans ?

Ben, c'est beau ! C'est impressionnant à voir un dunk, donc j'pense que c'est plutôt ça, ils sont

impressionnés, ils sont émerveillés devant le dunk, devant des actions spectaculaires.

Est-ce que tu penses que le basket est un sport avec une grande mixité sociale ?

Ouais. Une des plus grandes... non ! Ah mon avis c'est le deuxième sport où il y a le plus de

mixité sociale... après le foot.

Et comment ça se caractérise, comment tu t'en rends compte ?

Par exemple dans les villes, au niveau des... ben dans les villes au niveau des city stades – tu

vois c'que c'est ? - bah dans un city stade t'as le terrain de foot et les paniers de basket au

dessus pis voilà. Mais t'as pas de truc de rugby, ni de truc de hand. Après c'est au niveau des

ballons aussi...

Donc tu penses qu'il y a des gens de tous horizons qui jouent au basket ?

Ben ouais j'pense.

Et à ton niveau, c'est à dire en centre de formation, il y a toujours cette mixité ?

Non. Non non. Pour moi, les centres de formation ils sont plus intéressés par les qualités

Page 213: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

212

athlétiques des joueurs. Surtout en France. A mon avis, on essaye beaucoup trop de

ressembler aux Etats-Unis c'est à dire qu'on base les qualités d'un joueur sur ses qualités

athlétiques ou alors sur sa taille.

(Explicitation de mixité sociale)

Ah ok. J'pense qu'il y en a ouais. Ouais....

Pourquoi ?

Parce que c'est un sport qui touche un tas de classes sociales.

Et donc en centre de formation ou quand on s'élève dans les catégories ?

Ouais toujours. J'pense c'est ouvert à tout le monde. Après ça dépend du centre de formation.

Si le centre est capable de te payer l'hébergement, oui, après pour quelqu'un qui est pauvre et

que le centre de formation prend pas en charge l'hébergement ou l'école...

Qui sont tes modèles, en basket ou dans le sport en général ?

Tu veux des noms ?

A priori oui...

Y'en a beaucoup.... Antoine Rigaudot, j'sais pas moi. (Hésitations)

Pourquoi ?

J'en ai plein. Rigaudot parce qu'il est français, parce qu'il a réussi dans le basket, en équipe de

France, il a été champion olympique. C'est la première fois que ça arrivait j'crois...

(Hésitation) Parce que j'aime bien le voir jouer. (Hésitation) Y'en a plein.

Qu'est-ce qui t'attire chez ces joueurs ?

Au niveau du style de jeu. Ben, t'es beaucoup plus attiré par un joueur qui est beau à voir

jouer que par un joueur qui prend des rebonds et qui met des coups de coude. J'sais pas...

Et est-ce que tu te vois modélisé par des joueurs qui sont pas basketteurs ?

Zizou. (rires)

Pourquoi ?

Parce que c'est Zidane. Il a marqué deux buts en finale de la coupe du monde en 98. J'sais pas

fin. Parce qu'il a... c'est un des meilleurs joueurs de tous les temps au foot.

Et ça t'évoque quoi Zidane ?

Page 214: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

213

La classe. La classe. Il a la classe quand il joue. Il est beau à voir jouer. C'est comme Antoine

Rigaudot.

Maintenant, est-ce que tu peux m'expliquer le fonctionnement du club. (Explications)

Ben y'a deux sections à la JL. Une section amateur qui regroupe les amateurs et une section

pro qui regroupe... je sais pas comment expliquer. Une section amateur et une section pro. Et

je crois que le centre de formation fait partie de la section (hésitation) amateur. Et puis

l'équipe pro, et l'équipe Espoir si jamais on montait en Pro A ce serait la section Pro.

Est-ce qu'il y a un lien entre les deux ?

Des passerelles, ouais, évidemment. Ben on sait que la plupart du temps, quand il y a des

blessés, enfin, des petites blessures chez les pro, le staff technique ils font plus appel à des

joueurs cadets de la section amateur pour venir s’entraîner avec eux. Donc là déjà ça fait des

liens, enfin, déjà ça. Et puis il peut y avoir un joueur de formation qui finit son cursus de cadet

et qui signe Pro. Donc ui passe d'une section à l'autre.

Et ça arrive régulièrement ?

Ouais. (hésitation) Ouais, dans les dernières années c'est arrivé régulièrement y'a eu Grégory

Filet. Heu... heu... Grégory filet (rires). Mais peut y'en avoir l'année prochaine aussi. Je crois

que Pierre (?) est intéressé par le senior pro, je sais pas.

Donc, c'est un gros pourcentage qui intègre l'équipe pro ?

Un tous les cinq ans. Ou tous les trois ans.

Et ceux qui n'intègrent pas l'équipe pro, que font-ils à la fin de la formation ?

Ben, ils peuvent trouver un autre centre de formation. Rien ne les empêche d'aller jouer en

Espoir. Ou de trouver un autre club Pro B pour signer pro aussi. Sinon y'en a qui vont jouer

dans les championnats amateurs. Y'a de bons championnats amateurs comme la N2... N1, je

sais pas si c'est pro... ouais N1, N2... ou y'en a qui reste »nt dans la région, qui trouvent un

p'tit club sur le côté et qui se concentrent sur les études.

Est-ce que beaucoup deviennent pro ?

Ben, y'en a déjà deux. Jérome Sanchez et Octavio ils ont joué là en cadet. Après ils sont partis

à l'ASVEL donc on sait pas s'ils ont été formés là ou... Depuis que je suis là j'ai l'impression,

la philosophie du club, ils choisissent un joueur par année, par génération cadet, et en fait sur

les trois ans, ils ont plus tendance à faire progresser celui là – bon, sans délaisser les autres

joueurs sur le côté mais ils sont plus focalisés plus sur un joueur par génération et essayer de

le faire devenir pro que de faire tout un ensemble.

Et qu'est-ce qui est prévu pour ceux qui ne deviennent pas pro ?

Ben, l'équipe R1.

Page 215: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

214

Et pour vivre ?

Entraîneur ou arbitre.

Est-ce qu'on vous pousse à faire autre chose que du basket ou... ?

Bah ouais, c'est le principe d'un centre de formation un peu. De pouvoir faire du basket tous

les jours en continuant nos études. Donc après ils nous empêchent pas de tout mettre sur le

côté pour le basket, ou de mettre le basket de côté pour les études. C'est vraiment une

cohabitation des deux.

Et est-ce que les études c'est important ?

Ben ouais. Ouais. C'est super important.

Parce que ?

Au cas où on devienne pro, on n'est jamais à l'abri d'une blessure. Ou alors on peut vite

changer d'avis, arrêter d'être pro parce que ça nous plait pas, on s'épanouit pas, pour reprendre

un travail.

Qu'est-ce que tu espères toi, à la fin du centre de formation ?

… Je sais pas...

Honnêtement ?

Honnêtement ce que j'espère ? Ben qu'un club va m'appeler. Parce que je me sens pas d'aller

voir ailleurs. Ouais, j'espère qu'un bon club.

C'est quoi, un bon club ?

Pour moi, un bon club ? Après moi c'que j'espère, N1, N2 ou Pro A. Après je pense que c'est

pas possible. Même si c'est un club de N2, ça me va.

Et si c'est pas le cas ?

Je resterai à la JL.

Tu penses vivre du basket un jour ?

Ouais. Mais p't'être pas en tant que joueur.

En tant que quoi ?

En tant qu'entraîneur ou... par exemple, entraîneur, manager, des trucs comme ça...

Page 216: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

215

D'où viennent principalement les joueurs recrutés au centre de formation ?

De la région. La plupart ils ont fait le pôle. Si on regarde bien, la plupart ils ont soit fait le

pôle soit des sélections région.

Et à ton avis de quel milieu social ils sont issus ? (explication)

N'importe. Je sais pas. J'peux me tromper.

A ton avis ?

Mais ça dépend... Mais ça se fait pas de poser des questions comme ça.

Pourquoi ?

Ben, parce que... y'a plein de facteurs qui font que je peux penser ...

Qu'est-ce qui te gêne dans cette question ?

Ben je sais pas, de différencier heu...

Je ne te demande pas des noms, en particulier, mais en général, de quel milieu ils

viennent ?

Ah. La majorité de classe moyenne. Mais certains pas. Un peu en dessous. Et d'autres en

dessus, l'autre grosse majorité.

Et ici, c'est quoi la politique de formation des joueurs ? (explications)

Pas la performance, je pense pas... je crois que ce n'est pas dans la mentalité du club de faire

progresser un joueur juste... après c'est dur aussi, parce qu'il y a forcément la performance

quand même... je pense qu'ici ils cherchent plus à faire progresser le joueur pour qu'il obtienne

des performances lui tout seul mais pas l'inverse, pas chercher à obtenir des performances

pour qu'ils viennent dire...

Et à ton avis comment se situe le club ici sur l'ensemble des clubs en France, au niveau

de la formation ?

Il y a 16 clubs de Pro B. Il y a 16 clubs de Pro A. Moi je dirais dans le 25 premiers.

Et au niveau de la formation ?

Ouais, on a déjà sorti plusieurs pros. Philippe Baquet, qui joue en Pro B. Philippe Baquet il a

fait le centre de formation. Y'a qui d'autre. Jérome Sanchez, Da Silvera... Vu que le centre de

formation il est quand même jeune, une dizaine d'années, les pros ils vont pas forcément sortir

maintenant, ils peuvent sortir après. Si ça se trouve ils sont dans une classe intermédiaire

entre cadet et pros.

Page 217: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

216

Et pourquoi tu es venu ici ?

Que je sais pas. Parce que c'est la JL. Je sais pas. C'est le département de l'Ain, et je me

voyais pas...

Et si un autre club « plus prestigieux » t'avait proposé, tu aurais accepté ?

Non, je pense pas.

Est-ce que tu crois aujourd'hui en tes chances de devenir pro un jour ?

Non. Non, je pense pas que je finirai pro.

Et dans l'équipe, tu penses qu'il y en a beaucoup qui y croient ?

Ouais, j'pense qu'y'en a beaucoup qui y croient, ouais.

Tu penses que beaucoup vont y arriver ?

Non mais ils y croivent, c'est bien...

A ton avis, pourquoi, ils y croient ?

Parce qu'ils ont la grosse tête. Parce qu'ils croivent que ça y est, ils sont au centre formation,

ils jouent un peu alors...

Qu'est-ce qui les attire dans le monde professionnel, tu penses ?

L'argent ? Pas forcément... Je sais pas, plein de trucs.

Et toi, qu'est-ce qui t'attirerait dans ce monde ?

Dans le monde pro ?

Oui.

Faire du basket tous les jours et en plus gagner de l'argent pour, je sais pas, moi je trouve ça

parfait. T'as du temps de libre. Bon pas le week-end quand t'es en déplacement, mais t'as du

temps libre, les seules fois où... les seules fois où tu te lèves la semaine, où tu sors de chez toi

c'est pour aller t'entraîner, pas pour aller au travail, vraiment au travail... C'est pas un travail

comme un autre, à la base c'est une passion, alors si en plus t'es payé pour faire c'te passion, je

trouve ça bien.

A quel moment tu t'es dit que tu pourrais éventuellement y arriver un jour ?

Un moment de ma vie où j'ai pensé pouvoir y arriver ?

Oui.

Page 218: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

217

Hum... Ma première année de pôle je crois.

Pourquoi ?

Je venais d'être surclassé. Je venais d'être pris pour un stage de sélection région 93. Je me suis

dit que... j'avais pas forcément cet objectif là en tête. Fin j'avais pas la prétention d'avoir cet

objectif-là. Et en fait, bah, je me suis rendu... Quand ils m'ont pris, j'ai trouvé ça cool. Et je me

suis dit « Pourquoi pas faire pro ? »

Et pourquoi aujourd'hui tu n'y crois plus ?

Ben... Parce que... Parce que en fait j'ai pas envie. Ben déjà, parce que je pense que j'ai pas ce

qu'il faut pour et après parce que j'ai pas envie.

Qu'est-ce qui te fait pas envie ?

Parce que c'est un monde de merde.

Pourquoi ?

Parce qu'y a que des cons.

(…)

Parce que, parce que y'a qu'des cons. Je sais pas c'est un monde de merde.

Qu'est-ce qui est « merdique » dans ce monde-là ?

Ben tu vois bien. Y'a certains clubs ils gardent des joueurs un an et puis, 'fin, un joueur il peut

faire le tour de la France en dix ans. Y'a plus la stabilité qu'y'avait avant. Et aussi parce que

y'a qu'des cons.

Selon toi, qu'est-ce qui caractérise le sport professionnel aujourd'hui, de manière

générale ?

C'est à dire ?

Si on parle de sport professionnel à quoi tu penses ? (explication)

Ouais, non. Je vois pas ce que tu demandes.

(explications)

Ben, ça dépend le niveau de pro. Je verrais ça plutôt comme du prestige. Du prestige. C’est du

prestige le sport pro. Les gens te reconnaissent, t’aiment même sans te connaître. Y a pas de

boulot où t’as ça. Forcément c’est cool. Enfin ça fait partie du métier mais c’est bien quand

même, que les gens te reconnaissent comme ça. Je trouve en tout cas.

Page 219: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

218

Est-ce qu'il y a des différences entre le basket et les autres sports au niveau

professionnel ?

Ouais. Il y a des différences... La rémunération, les structures, y'a plein de trucs...

Et qu'est-ce qui attire à ton avis ?

L'argent, on est tous attirés par l'argent.

Est-ce que tu penses que ta vie sera plus facile si tu deviens professionnel ?

Ouais.

Pourquoi ?

Parce que professionnel, généralement, t'es recruté dans un club, déjà ils te fournissent

l'appartement généralement donc t'as pas à t'occuper de ça. C'est plein de trucs comme ça.

Après, je sais pas. Je sais pas si je peux dire que c'est facile parce que j'y connais rien, je sais

pas comment c'est vraiment à l'intérieur. Je dis ça, c'est-ce que je vois de l'extérieur. J'pense.

Est-ce que tu penses que, si tu devenais pro, tu changerais de classe sociale.

Ouais.

Est-ce que c'est le cas pour tout le monde ?

Ouais.

Est-ce que tu penses que beaucoup de gens jouent pour ça ?

Ben, ça dépend le niveau de pro. Ça dépend de la rémunération encore. Y'a certains joueurs ils

préfèrent aller dans une équipe au niveau en dessous de la leur. Je sais pas comment

t'expliquer. Y'a certains joueurs ils préfèrent jouer dans un niveau bas pour gagner plus, que

jouer au plus haut niveau pour gagner un peu moins. Tu vois.

A ton avis, c'est un des rôles du sport de permettre cette ascension sociale ?

Non.

Ce serait quoi le rôle du sport ?

En général ? Ben, déjà, c'est de faire une activité sportive. Ben, je sais pas. (hésitation) Avoir

des valeurs. S'inculquer des valeurs en pratiquant un sport.

Et le rôle du sport professionnel ?

Y'en a pas. C'est du business. C'est un travail... C'est une classe de travail comme une autre.

Page 220: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

219

Est-ce que tu penses qu'il y a quand même des gens qui évoluent socialement par le

sport ?

Ouais. Ben oui.

Comment tu le vois ?

Ben déjà le foot. Même le basket en NBA. En NBA, d'façon c'est toujours la même histoire :

le jeune gangster qui vient de banlieue qui arrive en fac, qui se fait drafter en NBA et qui

roule en Mercedes. C'est toujours le même truc, non ? C'est la caricature type.

Et ça existe vraiment ?

Oui. Ben oui. Même en France. Y'a des joueurs qui font du foot qui partent d'une classe

moyenne et qui arrivent à sauter plusieurs classes grâce à la rémunération qu'ils ont grâce au

foot.

Qu'est-ce qui te fait voir ça ?

Ben, la publicité. Les journaux, la télé, la radio,...

A ton avis, qu'est-ce qui t'a permis de réussir dans le basket ?

On peut pas dire que j'ai réussi.

Tu es déjà arrivé en centre de formation...

Ce qui m'a permis d'y arriver ? Heu... c'est d'la chance. De la chance. Déjà j'ai été pris en

section départementale parce que j'étais grand. J'étais pas forcément le meilleur de mon

équipe. Enfin à Belley, si. Mais j'étais pas le meilleur de ma génération. J'étais un des plus

grands. Et après, après, ben... ce qui fait que j'ai eu la chance d'intégrer le pôle... c'est là que

j'ai commencé à faire du basket tous les jours. Après, même si t'as pas forcément de talent, à

partir du moment où t'en fais tous les jours, tu progresses un minimum. Après moi j'ai eu la

chance de pouvoir essayer beaucoup. Ouais beaucoup. Ce qui fait que j'en suis là maintenant.

Donc, ouais c'est de la chance.

Quel rôle a eu ton entourage là-dedans ?

Ben. Un rôle primordial, forcément, ils auraient pu m'empêcher de le faire.

Est-ce que tu penses que ça leur coûte plus financièrement que si tu ne faisais pas ça ?

Je pense que ça leur a plus coûté qu'une scolarité normale.

Est-ce que tu penses qu'on a plus de chance de réussir dans le sport si on a plus d'argent

à la base ?

Ouais. Y'a du piston, y'a du piston... y'a du piston. Tout est plus facile quand t'as plus d'argent

Page 221: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

220

de toute façon ! Donc réussir dans la sport aussi. Direct, tu connais plus de monde et tout.

Bien sûr ! Plus t’as d’argent plus c’est simple.

Et est-ce que tu penses que la méritocratie existe dans le sport ? (explications)

Y'en a mais pas beaucoup. Non ça existe pas. Pas dans le sport professionnel. Pas dans le

basket. Faut de l’argent. C’est pas du mérite ça l’argent !

Pourquoi ?

Parce que dans le basket c'est que du piston. C'est pour ça que je te disais que c'étaient que des

cons. Ou alors si. Quand y'en a un qui y arrive au mérite, il va y avoir une sorte de bagarre

d'entraîneurs pour savoir qui c'est qui l'a formé ou des trucs comme ça. Donc ouais, non.

Pour réussir dans le basket qu'est-ce qu'il faut ?

Être au bon endroit au bon moment. Et faire les bons matchs au bon moment.

(Le directeur du centre de formation nous interrompt)

Quelle place tu penses avoir dans la réussite du groupe ?

Ca dépend des matchs. Ca dépend des matchs que je fais. C'est aléatoire.

Est-ce qu'il y aurait quelque chose à changer dans le sport pro en général ?

Ouais, les mentalités.

De qui ?

De ceux qui décident, de ceux qu'on met en place dans les clubs, des coachs, de tout le

monde. Et même des joueurs.

Il faudrait faire quoi alors ?

Tu peux rien faire. Il faudrait un exemple en fait. Il faudrait que quelqu'un, qu'une exception

le fasse et...

Qui fasse quoi ?

Qui arrive à... Il faudrait, 'fin, faudrait la création d'un personnage du basket qui ait une

mentalité différente de celle de l'opinion commune qui réussisse en fait.

Quelques questions pour finir. Tu as 17 ans ?

Oui.

Quel est le métier de ton père ?

Page 222: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

221

Je sais pas. J'te jure, je comprends pas son métier...

Un intitulé ?

Il est conseiller technique régional agricole. En gros, il vend des pesticides. C'est un cadre.

Et la profession de ta mère ?

Prof de français.

En lycée ? En collège ?

Les deux, là où elle travaille ça fait collège et lycée.

Comment tu considères ton niveau de vie par rapport à l'ensemble de la population ?

Dans la moyenne.

Merci.

Page 223: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

222

Entretien avec M. Fauchelevent, Réalisé le 23 avril 2012

M. Fauchelevent était mon tuteur de stage en août-septembre 2011 et est donc au fait de mon

travail. C’est lui qui a accepté d’organiser les rencontres avec les joueurs et de me donner

accès au centre de formation. Je le rejoins dans son bureau et lui réexplique brièvement les

modalités de l’entretien puis nous commençons.

Est-ce que tu peux te présenter ?

M. Fauchelevent, j'ai quarante ans. Je suis marié. J'ai deux enfants. Je suis directeur des

opérations basket de la JL Bourg Basket.

Comment tu es arrivé à la JL ?

J'y ai joué pendant douze ans. Puis j'ai été président pendant deux ans. Directeur sportif

pendant deux autres années avant de faire un break et de revenir cet été, enfin juillet 2011

pour reprendre un poste de direction sportive.

Est-ce que le basket est un sport porteur de valeurs, à ton avis ?

Ouais. Heu... Est-ce que c'est le sport lui-même qui est porteur de valeurs ou est-ce les gens

qui forment les groupes et les équipes qui les portent ? Moi j'pense que c'est plutôt les

personnes, pas le sport en lui-même.

Quelles valeurs alors ?

Toutes les valeurs qui peuvent être chères à certains individus. Valeurs d'humilité, de partage,

de travail, de patience, de respect, de combativité, de goût de l'effort.

Est-ce que c'est un sport qui fait rêver les jeunes aujourd'hui ?

Oui, j'pense que c'est un sport qui fait rêver les jeunes par la médiatisation qui en est faite

notamment du sport américain et de certaines réussites sportives de français aux Etats-Unis. A

mon avis elle fait surtout rêver par rapport à ça. (hésitation) C'est à mon avis l'axe principal.

Est-ce que tu penses que le basket est un sport où il y a une grande mixité sociale ?

Ça c'est sûr. A mon sens oui. Parce que déjà, si on balaye tous les niveaux, si on balaye tous

les niveaux c'est un sport qui est plutôt accessible financièrement donc ça permet aux

catégories sociales de venir pratiquer ce sport. Si on remonte un peu après dans les niveaux,

on mélange les cultures et les nationalités donc ça mélange encore plus, ça amène encore plus

de différence, d'ouverture et de mixité donc ouais je pense que vraiment... Bon déjà c'est un

sport co aussi où ça nécessite une dizaine de joueurs donc ça fait plus de monde. Encore une

fois, je pense que c'est un sport qui est pas cher, et donc qui est ouvert.

Et chez les joueurs français, est-ce qu'il y a finalement une grande différence dans les

Page 224: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

223

milieux d'origine ?

Dans le haut niveau ?

Oui.

Je vais répondre sur un a priori. Non je pense que non qu'il n'y a pas de grande différence de

niveau. Aujourd'hui, les critères de détection font qu'on s’intéresse à une certaine population.

Et cette population là elle aussi socialement assez ressemblante.

Autour de quel niveau ?

Plutôt bas.

Des milieux défavorisés, moyens ?

On va dire entre défavorisé et moyen, dans cette sphère là. En France, hein.

Quels sont tes modèles dans le basket et dans le sport, au niveau des personnalités ?

(silence) Ce qu'on peut déjà dire c'est qu'on se rend compte que quand on traverse un peu les

années pratiques, on passe de l'autre côté de la barrière, entraîneur voire dirigeant, les modèles

changent. Voilà. Donc moi j'ai toujours été assez fan de Michaël Jordan quand j'étais

pratiquant aujourd'hui que je suis un peu entraîneur dirigeant je suis assez fan d'entraîneurs

aussi, dont j'entends les discours et qui m'interpellent quoi. Qui me font dire « ah ouais, ça ça

me fait vibrer, ça ça me fait pas vibrer ». Des mecs comme Jean-Louis Borgues par exemple.

J'le dis sinon j'vais m'faire virer : des mecs comme Fred Sarre. (rires) Si je dépasse le cadre du

basket, heu, voilà, il y a beaucoup d'entraîneurs de foot qui ont un rôle un rôle un peu de

manager, avec un vision un peu globale, heu, des mecs comme Arsène Wenger, des Ferguson,

des mecs comme ça, des mecs qui durent avec des résultats, avec un club au très haut niveau.

Alors, il font pas tout tous seuls, hein. Tu vois un Popovich aux Spurs, ce genre de

personnages qui ont plus d'une facette.

Recentrons sur le club. Est-ce que des joueurs du centre de formation intègrent l'équipe

pro ?

Ah oui. Là, aujourd'hui dans l'équipe pro y'a deux joueurs qui ont été formés en partie ici

Octavio Da Silvera et Jérôme Sanchez. D'autres joueurs aussi qui ont fait un parcours « centre

de formation » et qui ont éclot dans d'autres équipes pro comme Charles Bronchard ; Y'en a

p't'être un ou deux encore. Si on cherche encore plus loin, Jérome Monnet qui est un pur

produit du centre de formation. Aujourd'hui les passerelles elles existent parce que toute

l'année les cadets France, au moins pour cinq ou six d'entre eux, se sont entraînés avec les Pro.

N'avaient pas malheureusement la possibilité de jouer, d'être sur la feuille, parce que heu –

c'est une aberration réglementaire-pas de contrat pas de chocolat. C'est con mais c'est comme

ça. Et l'intégration continue puisque Tony va faire partie du groupe des douze l'année

prochaine, on l'espère peut-être dans deux ou trois ans du groupe des dix. Nicolas qui en

équipe de France en ce moment on espère aussi le conserver pour le rentrer dans les pros.

Donc oui, c'est quelque chose qui existe et qu'on veut faire perdurer parce que de toutes

façons c'est l'objectif d'un club aussi de former. En tout cas c'est le mien, c'est ma vision du

Page 225: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

224

sport. On aura jamais assez de dollars pour faire du Chelsea ou du Manchester city ou de tout

ce qu'on veut. Donc former, c'est plus long, c'est sûr. Mais c'est plus gratifiant.

Aujourd'hui combien de joueurs du centre de formation ont des chances de devenir

pro ?

Aujourd'hui ? Un ou deux.

Lesquels ?

Nicolas et Dorian. Sans compter Tony qui sort des cadets France, qui reste dans le centre de

formation, donc ça fait trois.

Tu peux me donner un classement par chances de devenir professionnel un jour ?

Oui. Alors dans l’ordre : Nicolas, Tony, Dorian. Après je vois même pas comment faire un

classement, ils ont aucune chance…Bon on va dire François, Luc, Quentin, Ronny, Steed,

Chris. Ca c’est dans l’ordre mais c’est des joueurs moyens, ils peuvent pas être pro un jour. Et

puis les trois derniers…Non il en reste deux c’est ça ? Yven et Marius. Là c’est

catastrophique.

Est-ce qu'ils sont conscients de ça, ceux qui ont des chances de réussir et ceux qui en ont

moins ?

Oui. Ceux qui ont peu de chance de réussir le savent très vite. Et ils se recentrent aussi très

vite sur l'essentiel, c'est à dire le scolaire. Et ceux qui ont une chance de réussir le savent mais

le matérialisent pas, il s'en doutent pas. Aujourd'hui, p'têtre qu'un Nicolas commence à s'en

douter parce que l'équipe de France, parce que si, parce que là. Mais même un Tony à qui on

parle de conditions de contrat, c'est dur à matérialiser pour lui, il se rend pas compte. C'est

peut-être une mentalité franco-française.

Et quelle place vous accordez aux études ici ?

La première. La première, parce que c'est un discours qu'on tient... mais que beaucoup

d'autres doivent tenir. C'est à dire qu'il y a plusieurs choses qui peuvent arriver. Une carrière

ça peut être court, une carrière ça peut être brisé en une blessure, et une carrière ça peut durer

juste le temps de gagner correctement sa vie mais pas de devenir rentier donc derrière... Y' a

un gouvernement de gauche maintenant donc peut-être que l'âge de la retraite va revenir à des

âges raisonnables mais il faudra bosser derrière. Qui dit bosser dit avoir une situation donc...

au moins avoir une compétence ou deux autres que savoir jouer au ballon.

Est-ce que pour les joueurs aussi le lycée tient la première place ?

Je pense qu'en général ils sont assez conscient qu'il faut obtenir son bac, ça c'est un premier

pas qui paraît bien acquis dans leur tête ; Au-delà, après, c'est difficile à dire parce que le bac,

c'est à la fin de l'année cadet, donc derrière on bascule soit sur espoir ou pro, ça peut être un

choix à faire à ce moment-là, ou en tout cas au début des études secondaires. Donc j'pense

Page 226: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

225

malgré tout jusqu'au bac y'a aucun souci à se faire, la priorité on sait où elle est. Après, heu,

c'est un petit peu difficile à dire. Et j'pense qu'après le rêve basket prend plus de place que

l'obligation scolaire.

Comme il n'y a pas d'espoir ici, vous êtes peu concernés...

Non, mais l'exemple de Tony, où il a décidé de faire un BTS en trois ans, tout en intégrant le

groupe pro pour les entraînements etc... donc heu c'est une forme d'après bac et de poursuite

sportive au sein du club même si y'a pas d'espoir et puis de toutes façons ça dure encore un an

puisqu'à la fin de

la saison prochaine y'aura soit les juniors, soit les espoirs, donc une continuité de la formation

jusqu'à 21 ans.

Et pour ceux qui ne deviendront pas pro, vous prévoyez une reconversion ou c'est le

lycée qui s'en occupe ?

On fait un accompagnement léger. Mais, non on prévoit pas de reconversion. C'est eux qui

tracent leur chemin. Ils obtiennent leur bac. Ils font leurs vœux en terminale comme tous les

terminales. Et puis après ils essaient d'associer au mieux les deux projets. Si c'est un projet qui

peut se faire entre nationale 3 et fac et bien très bien. Si c'est fac de médecine et qu'il faut faire

du loisir en basket, très bien aussi. Après, le club heu... Nous notre démarche... On a pas les

moyens d'aller jusque là quoi. En terme de temps, d'investissement humain... voilà c'est... on

les encadre du temps qu'ils sont là mais quand leur parcours se termine en centre de

formation , si le bac a été obtenu, bon bah derrière c'est une nouvelle vie quoi. Sans nous.

D'où ils viennent principalement, les joueurs recrutés ?

Région lyonnaise, 'fin, région Rhône-Alpes. On instaure pas de quota parce qu'après c'est le

genre de choses qui revient comme un boomerang dans la gueule de gens, les quotas. Mais

bon, voilà, on essaye de recruter localement, même si localement on passera toujours derrière

des gros clubs comme Chalon, l'ASVEL, Roanne, etc, que le cercle restera toujours à 3m05.

Si on doit aller chercher des grands, on doit aller chercher dans des viviers plus étoffés

comme la région parisienne ou après une expérience qui a été tentée ici aussi... l'Afrique quoi.

Mais là c'est une autre organisation, c'est d'autres compétences, c'est un autre accueil, donc

voilà. Mais en général, là sur l'équipe de l'année prochaine, 85/ 90% de l'équipe sera Rhône-

Alpes.

À ton avis, de quel milieu social sont issus principalement les joueurs ?

Et ben on va dire que là, sur cette équipe encore une fois de l'année prochaine... bon y'en a je

connais pas trop pour les nouveaux là parce que j'ai pas encore forcément rencontré sur le

plan familial mais je dirais moitié moitié entre la catégorie dont on parlait tout à l'heure là –

défavorisée,... - et une autre moitié confortable.

A ton avis dans les autres centres de formation c'est comment ?

C'est par le bas.

Page 227: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

226

Comment ça se fait ?

Moi, à mon avis, c'est à cause effectivement de ces critères de sélection et de détection qui

sont essentiellement physiques, athlétiques. Et voilà, on parle beaucoup d'intelligence de jeu à

développer mais on parle peu d'intelligence tout court à la base. Donc bon, je suis pas en train

de dire qu'on recrute que des abrutis mais à priori, faut courir vite et sauter haut. Et puis

surtout être sûr qu'on soit bien grand à un moment donné quoi. Bah du coup, ça se concentre

sur un morphotype qui existe dans certaines catégories sociales. C'est pour ça qu'a priori on

est plutôt sur des morphotypes de black, de grands, des mecs qu'on voit beaucoup en région

parisienne, dans les centres de formation, y'a beaucoup d'africains aussi tous les centres de

formation, et donc plutôt des catégories pas aisées.

Quel est le but du centre de formation ?

C'est que quand ils sortent d'ici, qu'il y aient passé un an, deux ans ou trois ans, ils soient

premièrement meilleurs hommes que quand ils sont rentrés, meilleurs basketteurs que quand

ils sont rentrés, qu'ils aient progressé sur le plan scolaire. Et qu'on les ait fait s'épanouir un peu

et se responsabiliser un peu. Voilà. Et après s'il peut y avoir une réussite sportive par dessus

tout ça, je dirais tant mieux. Mais pour moi, c'est ma vision personnelle des choses, c'est pas

la réussite principale que j'attends au centre de formation. C'est à dire que quand ils sortent de

là, ils savent s'acheter un truc sans demander à leur mère, ils savent passer un coup de fil sans

faire « hum han hin », se tenir à peu près bien, tu vois, être des gens quoi. Des gens.. Ecrire

des textos sans 8000 fautes.

Et pour eux que représente la JL, à ton avis ?

Aujourd'hui... (silence) un tremplin. Ni plus ni moins. C'est à dire qu'aujourd'hui y'a pas

forcément une attache affective pour la plupart des joueurs avec le club parce qu'au départ ils

ont pas fait poussin, benjamin, minime ici. Ils arrivent en général ici en minime ou un cadet.

Ils voient d'abord ici un centre de formation. Qui s'appelle JL Bourg Basket. Mais un centre de

formation. Après ce qu'on va y mettre dedans pendant les années pendant lesquelles il vont

fréquenter le centre, c'est p't'être ce qui va rester après dans cinq, dix, quinze ans. On a fait des

bilans hier avec ceux qui sortent là, avec les cadets qui sortent et effectivement ils nous ont

dit avoir passé de belles années sur le plan humain. Après, ce sera pas des pros au basket, ça

ils le savaient, il s'en doutaient mais en tout cas voilà, ils... ils auront un petit réseau de

copains, d'amis, qu'ils comptent bien garder dans le futur quoi.

Dernière partie sur le sport pro. Qu'est-ce qui caractérise le sport professionnel à ton

avis ?

Gagner de la thune. Aujourd'hui, voilà, c'est ça. Bon, y'a le foot bien entendu mais bon...

maintenant c'est essayer de se mettre à l'abri le plus vite possible, pour soi et sa famille en

gagnant des sommes incroyables rapidement en faisant un sport.

Est-ce qu'il y a une différence entre le basket et les autres sports ?

Non. Non parce que même ceux qui aujourd'hui gagnent très peu ont le rêve d'aller gagner

beaucoup parce que tous n'ont pas les pieds posés sur terre donc voilà, ils espèrent. A tort

Page 228: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

227

souvent mais ils espèrent. Donc voilà je pense pas qu'il y ait une différence aujourd'hui entre

le basket et les autres sports.

A ton avis les joueurs du centre de formation qui aspirent à devenir pro, c'est dans ce

but là ?

Pour l'instant ceux à qui on pense, dont on a parlé, non. Non. Par contre l'aspect financier,

aujourd'hui, a déjà une place dans la discussion. Même s'il est très très... il est mineur. Il y a

forcément un accompagnement financier à faire et les parents ou les joueurs ne voient pas

d'autre façon de faire que de les accompagner sur le plan financier. On a beau mettre des

structures, des entraîneurs, des entraînements de qualité, tout ça c'est bien. Mais combien ça

va me rapporter quand même ? Même si c'est 200€ par mois, mais si c'est 400, même si c'est

la moitié d'un appart. Donc voilà, aujourd'hui pour certain j'pense que c'est encore quelque

chose de flou. Mais derrière aussi, y'a quand même, devenir pro c'est gagner de l'argent.

Est-ce que les jeunes qui rentrent au centre de formation aspirent à devenir pro ?

Oui.

Qu'est-ce qui les attire ?

Je pense que c'est une forme de reconnaissance individuelle, sociale, médiatique, l'image d'un

Parker. Devenir quelqu'un. Devenir quelqu'un de représentatif, qui compte, qui pèse. Voilà.

Très peu me disent aujourd'hui c'est vivre des aventures humaines avec un groupe, c'est

gagner des titres, c'est faire des concours de qui pisse le plus loin sous la douche. Non. Pas ça.

Est-ce que tu penses que les joueurs espèrent que leur vie sera plus facile s'ils deviennent

pro ou pas ?

A coup sur oui. Encore une fois en relation avec l'argent, en relation avec l'image que les

autres ont d'un sportif ; aujourd'hui les pros ils pensent que tout leur est du : ils doivent gagner

beaucoup d'argent, quand ils arrivent quelque part des fois ils ne comprennent pas pourquoi ils

doivent payer quand ils vont au restaurant alors que... « mais on est de la JL, on est pro » Oui,

ben oui, mais tu payes ta part. Donc oui, oui.

Est-ce qu 'à ton avis le sport permet aujourd'hui une ascension dans la vie sociale ?

C'est-ce que tous recherchent. Est-ce que ça la permet ? Oui. Sport pro, oui. Ah oui, oui, sans

aucun problème.

Pourquoi ?

Pourquoi ça la permet ? Parce qu'il y a une exposition, aujourd'hui le sport pro c'est une bulle

qui a l'air de vivre un peu en marge de toute forme de crise parce qu'aujourd'hui on parle de la

crise partout mais dans le sport on signe toujours de gros contrats à gros coups de millions, on

fait des pubs avec des sportifs, on utilise les images des mecs à droite et à gauche. Le

discours, et moi, là je l’expérimente moi même qui ai été ancien sportif, c'est qu'aujourd'hui je

fais passer des choses avec des entraîneurs, alors d'autres entraîneurs encore meilleur que moi

Page 229: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

228

avant ont essayé, mais comme ils ont pas cette image d'ancien sportif etc, et ben ça avait

moins de poids. Donc voilà, moi je pense que toute cette exposition là, ça permet une

ascension sociale.

Là, on parle d'ascension en terme de reconnaissance. Est-ce que c'est aussi financier ?

Dans la réalité des faits pas pour tout le monde. Elle est extraordinaire pour certains mecs.

Encore une fois ceux qui traversent l'Atlantique. Mais ceux qui restent en France. Elle est pas

extraordinaire mais elle reste bien au delà de ce que gagne un travailleur lambda en France.

Aujourd'hui des joueurs de rotation en Pro A gagnent plus de 10 000 euros par mois. Même

des cadres avec beaucoup de responsabilités dans des boites, qui font beaucoup beaucoup

plus d'heures gagnent pas 10 000 euros par mois. Donc malgré tout ça reste dans le basket

comme dans d'autres sports, comme dans presque tous les sports -le hand, le rugby- des

sommes hors normes quoi.

Est-ce que tu penses que c'est un rôle du sport, de permettre cette ascension ?

Non, en puriste je pense que c'est pas la première ascension que le sport doit permettre. La

première ascension c'est-celle dont je te parlais tout à l'heure, quand les joueurs sortent du

centre de formation. Voilà, c'est-cette ascension humaine, cette progression de l'individu dans

toutes ses composantes. Après, encore une fois, si ce mec là, qui est bien dans ses pompes, qui

est respectueux, humble, travailleur, il peut gagner de l'argent par son activité, je dirais, voilà,

c'est la deuxième ascension. Mais c'est pas l'ascension prioritaire. Et c'est là aujourd'hui qu'on

se trompe, que les familles se trompent en inscrivant leurs gamins dans les centres de

formation, en inscrivant plutôt leurs gamins au foot qu'au rugby, même si les gamins

préféreraient faire du rugby. C'est comme si on dit à nos enfants « Va plutôt passer ton bac

parce que t'aura l'air moins con que si tu veux apprendre à être boulanger » alors que si le

gamin il aime être boulanger, il gagnera bien sa vie en étant boulanger parce qu'il le fera avec

passion. Donc, non, je pense pas que ce soit la première ascension que le sport doit permettre.

Est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?

Non, il y a aussi les notions de critères physiques : par exemple, un mec qui fait deux mètres

dix mais qui arrive pas à mettre un tir, bah on a quand même besoin d'un mec de deux mètres

dix, parce qu'il fait deux mètres dix on va le prendre. Et un gamin plus petit qui va être joueur

banal, qui va être noyé dans une forme de masse on le prendra pas même si c'est un gros

bosseur, même si... donc c'est pas forcément le plus méritant.

Est-ce que tout le monde peut réussir à percer dans le sport ?

Non. Ben non. Il faut déjà soit c'que je viens de te dire, un minimum de... soit un critère que

les autres ont pas, soit du talent, ça tout le monde n'en a pas. Si t'as pas de physique, pas de

talent, mais que t'es un gros bosseur, tu n'y arriveras pas quand même parce que les exigences

du jeu et du haut niveau font qu'aujourd'hui faut avoir du physique, du talent et être bosseur.

Donc tout le monde ne peut pas y arriver.

Et à ton avis, qu'est-ce qui a permis aux joueurs du centre de réussir dans le basket en

règle générale ?

Page 230: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

229

Il y a une place primordiale de l’entourage parce que si l’entourage voit trop trop vite, trop tot

ça brise une carrière. L’inverse c’est pareil. Il faut que l’entourage s’organise dans l’équilibre

autour de la vie du pro. C’est-ce qui fait qu’une carrière est bonne ou non, voire même

possible ou non.

Est-ce que c’est plus facile de réussir quand on a plus d’argent ?

Pas du tout, ce n’est pas une question d’argent. C’est de la volonté. L’argent n’a rien à voir là-

dedans. Je suis désolé mais je dois y aller, j’ai une réunion. On s’appelle pour compléter si tu

veux.

Page 231: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

230

Entretien avec M. Madeleine, Réalisé le 23 avril 2012

J’ai déjà rencontré M. Madeleine pour une précédente recherche. Je lui explique la raison de

ma venue cette fois-ci et nous parlons un peu des résultats de ma dernière enquête. Je sais

qu’il est très occupé et a déjà confiance en moi, je décide de ne pas lui poser les questions

censées le mettre à l’aise et me faire gagner sa confiance. M. Madeleine est professeur d’EPS

dans un collège privé de Bourg-en-Bresse à mi-temps et est entraîneur du centre de formation

de la JL Bourg depuis 10 ans. Nous commençons immédiatement.

Question : Est-ce que vous pensez que le basket est un sport où il y a une grande mixité

sociale ?

Réponse : Une grande mixité sociale ?le basket avec une grande mixité sociale ? bah c’est un

essentiellement tourné vers les aspects masculins je pense

hum hum

Euh la preuve en est que ce soit dans les ligues ou que ce soit dans les fédérations, on essaie

de plus en plus de développer la mixité, donc non je ne pense pas que soit un sport euh

réellement mixte quoi

Et au niveau des provenances on va dire de classes sociales, en termes d’origine…

Je pense que ouais, ça touche plus, je pense que c’est assez uniforme…

Ok, d’accord et est-ce que c’est un sport qui fait rêver aujourd’hui, les jeunes ou pas, le

basket ?

Non je pense que le sport en général fait rêver les gamins, ça c’est sûr. Après je suis pas sûr

que le basket aujourd’hui fasse plus rêver que le foot, plus rêver que le tennis, j’en suis

persuadé on va dire. Voilà, moi pour avoir beaucoup de gamins dans mes classes en tant

qu’enseignant, peu de gamins pratiquent le basket de manière générale, dans la tranche 15-17-

20 ans, la tranche que moi j’ai, y’a peu de basketteurs, je suis pas sûr que ça fasse rêver

beaucoup de gamins. Par contre ceux qui ont mis les pieds dedans, qui rêvent un jour ouais de

faire du basket de haut niveau ouais ça sûrement, mais je suis pas sûr que le basket d’une

manière globale fasse rêver les jeunes

Et à quoi c’est dû à votre avis que… ça fait peut-être pas plus rêver les jeunes, voire

même moins a priori?

Chez un gamin ?

Ouais

Oh parce que déjà y’a peu de connaissances de ce sport là, parce que médiatiquement y’a peu,

y’a peu de relais donc voilà, c’est un sport qui est compliqué aussi, alors peut-être que les

gamins, les gamins qui se mettent dedans pour une partie, ne poursuivent pas dans cette

direction voilà, voilà, après… je ne sais pas y’a peut-être, ça a peut-être changé, y’a peut-être

peu d’identification des jeunes vers certains joueurs, il y a quelques années en arrière… euh…

internationalement vous aviez pas forcément, pas forcément de gros exploits donc forcément

un peu moins de médiatisation. Ce qui changera peut-être

Page 232: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

231

Ok et est-ce que vous avez des modèles dans le basket ?

Moi personnellement ? Des modèles de joueurs ?

En général…

Des structures ?

Ouais plutôt de personnalités, ouais, de joueurs…

Personnalité de joueur euh… ouais quelqu’un dont je fais souvent référence parce que j’ai eu

la chance de l’avoir et à qui on a tendu une perche pour être le parrain du centre de formation,

c’est Antoine Diot qui véhicule des valeurs qui me sont proches voilà, qui a de l’intelligence

qui a su allier à la fois une carrière sportive et mener à terme tout ça d’une manière judicieuse

avec des vraies valeurs, ouais pour moi lui, c’est quelqu’un qui représente quelque chose

d’intéressant… après euh je suis pas quelqu’un qui m’identifie à des gens donc voilà

Ok et les jeunes actuels du centre de formation, vous pensez, vous pensez que c’est qui

plutôt leur modèle, s’ils en ont ?

Ouais s’ils en ont… alors là je vais peut-être complètement me planter par rapport notamment

à ce qu’ils ont pu te répondre, ce sont des gamins qui sont beaucoup axés quand même je

pense sur les championnats américains… donc pour la plupart soit bah peut-être des Français

mais je vais pas trier j’ai envie de dire, soit carrément des joueurs, des joueurs NBA quoi, je

suis pas sûr qu’ils aient cité beaucoup de joueurs français comme modèle, je peux me tromper

mais…

Non pas beaucoup… pas beaucoup… et donc on va revenir plutôt sur le centre de

formation. Est-ce qu’il y a des joueurs qui intègrent l’équipe pro ?

Alors qui intègre l’équipe pro, alors oui dans le sens où c’est une vraie volonté en fait pour

nous de pouvoir intégrer les jeunes du centre, notamment sur les séquences d’entraînement

hebdomadaires, ça c’est s’est, ça c’est énormément fait cette année de part les différents petits

pépins qu’il y a pu avoir à l’équipe, l’équipe professionnelle, beaucoup de gamins ont pu

intégrer par chance durant la semaine l’entraînement des équipes pro euh deux, voire trois

gamins par séance, ce qui est quand même énorme… euh après bah ma foi toute la difficulté

est de trouver la passerelle entre le joueur du centre de formation, qui est un joueur

essentiellement cadet, donc sur une tranche d’âge 15-18, donc la, le pallier il est hyper

important, autant il peut être fait sur la séance d’entraînement autant après sur la partie

intégrer l’équipe professionnelle et être sur le banc samedi soir, ça, c’est encore autre chose,

parce que la tranche d’âge et puis l’expérience, et euh… et le cursus de formation fait que les

gamins sont encore pas assez aboutis je pense pour pouvoir franchir ce cap, alors après ça

dépend aussi des jeunes… on a eu le cas l’année précédente de Jérôme Sanchez qui était

encore cadet et qui a réussi à intégrer le banc chez les pros dès les weekends puis je pense

qu’on a un ou deux gamins qui peuvent le faire maintenant, après ça dépend de la volonté, à la

fois des dirigeants et du staff, de construire une équipe dans laquelle on peut déjà imaginé

intégrer des jeunes en 9è place, 10ème

place, 12ème

place…

D’accord et est-ce qu’il y a une majorité de joueurs, là actuellement au centre, qui vont

finir professionnel ou pas

Une majorité non, je crois que dans aucun centre de formation les gens peuvent se targuer de,

enfin, d’avoir des joueurs capables, en majorité d’avoir… des potentiels pour évoluer en pro,

maintenant qu’on est ait quelques jeunes sur lesquels on puisse entre guillemets jeter une

Page 233: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

232

pièce comme je dis souvent, euh je pense qu’il y en a, bon je ne les citerai pas, mais je pense

qu’à Bourg, on a la chance, depuis trois ans, d’avoir quelques gamins, sur qui on pourra peut-

être compter, pour l’équipe pro j’entends

D’accord et quelle place vous mettez sur les études, dans le centre de formation ?

Ça c’est souvent la question que posent les parents quand ils veulent, quand ils viennent

rendre visite : « quelle place on accorde aux études »… nous, moi depuis que je suis là, la

volonté elle a toujours été de mettre les études au premier plan et de mettre le basket au

second plan, c’est-à-dire bah greffer du basket sur les études, ce qui sera peut-être d’ailleurs

une volonté différente après le passage du bac, donc après le cursus cadet qui sera pour

certains gamins euh… de réussir la démarche inverse, c’est-à-dire de basculer un petit peu on

va dire dans le monde pro mais toujours essayer d’y greffer quelques parties d’études, donc,

avec, pourquoi pas des cours, soit des cours dans des structures qui acceptent ça, c’est-à-dire,

beaucoup d’absentéisme et en fait des cours par module quoi ou alors des cours avec le

CNED et là en fait, on renverse la volonté, nous depuis que je suis ici, c’est 100% de la

volonté sur la réussite du bac pour les gamins, la première de nos réussites et le premier de

nos arguments qu’on met en avant quand on reçoit les gens, c’est de dire que depuis des

années on a 100% de réussite au bac et que 100% des gamins qui ont entamé une démarche

scolaire chez nous l’ont réussie, que ce soit un bac, un bac pro et pour certains qui étaient

vraiment en difficulté, notamment des étrangers, des passages de diplômes, des passages de

brevet du collège, tout ça, ça a été à chaque fois validé, donc voilà, pour nous c’est la

première des missions : poursuivre correctement la scolarité des gamins. Et si les résultats ne

suivent plus ou chutent, on peut priver les joueurs d’entraînement jusqu’à ce que les résultats

remontent. On ne leur laisse pas le choix. Et même pire, on les emmerde tout le temps avec

les cours, on leur rabâche que c’est important, qu’ils doivent avoir leur bac. C’est la priorité

du centre de formation.

Et est-ce qu’à votre avis, pour les joueurs c’est important, est-ce qu’ils se rendent

compte de cette hiérarchie, on va dire, ou pas ?

Je pense parce que sans arrêt ça leur est rabâché… le fait aussi que les joueurs participent à

tous les conseils de classe, des jeunes, le fait qu’ils soient aussi toujours présents à l’étude,

montre bien qu’on a un regard permanent sur ce qu’ils font, donc je pense qu’ils en sont

conscients de ça… ils en sont conscients aussi au travers le fait que parfois ils sont punis

parce que scolairement, ils ont pas donné, ils se sont pas donnés les moyens de pouvoir réussir

donc ça que du coup les gamins, ouais, je pense qu’ils sont conscients de ça, enfin je l’espère.

Les gamins qui jouent ici sont tous au lycée. Et depuis que le centre de formation existe, tous

les joueurs qui sont passés ici sont sortis avec leur cursus entamé réussi. C’est un bac général

pour certain, un bac technique pour d’autres ou bien un engagement en terminal pour ceux qui

dont déjà redoublé. Quand on avait des joueurs étrangers, c’était même un brevet français.

Mais dans tous les cas, ils réussissent. L’école est pour nous une priorité. Mais ils s’entraînent

tous les jours ou presque et forcément, le basket, c’est très très important. Leur vie se partage

entre le basket et les études pendant trois ans. Ils ont peu de temps libre, et on exige qu’ils

fassent les deux à fond. Mais la première priorité c’est les études.

Donc le basket ne peut pas, enfin, selon vous, ne doit pas être perçu selon vous comme

une échappatoire au milieu scolaire ?

Non en aucun cas

Ok

Page 234: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

233

Par contre que ce soit un échappatoire dans le sens positif du terme, c’est-à-dire, c’est un

endroit où je vais venir, quelque part, me ressourcer, ça oui c’est un exutoire. C’est la passion

des joueurs qui sont là, le basket et j’espère que jouer au basket leur vide la tête, leur permet

d’être bien. Qu’ils se ressourcent avec le basket mais en aucun cas c’est quelque chose qui va

devenir primordial et qui peut être en remplacement du basket, oui de l’école, oui, ça s’est pas

possible, enfin pas chez nous

Est-ce que c’est le cas dans tous les centres de formation à votre avis, enfin de ce que

vous pouvez en voir ?

Oh je crois que de plus en plus les centre de formation privilégient les aspects scolaires parce

que c’est une demande permanente des parents donc ça c’est une vrai volonté après toutes les

formations ne fonctionnent pas pareil, y’a des structures qui proposent le bac en 4 ans, à

l’entrée de cadet 1ère

année, nous c’est pas notre cas euh donc ils poussent encore plus loin, ils

ont réaménagé mais ça les oblige par contre à avoir une année de plus dans leur cursus, nous

c’est pas du tout la volonté, c’était de greffer la scolarité, seconde-1ère

-terminale, qui

correspondent aux années cadet et ensuite de privilégier l’aspect scolaire et après d’y greffer

le basket, après… je pense que honnêtement les centres de formations, du moins ceux que je

connais sont moins, on un regard important sur les aspects scolaires, parce contre tous ne sont

pas gérés de la même manière

Est-ce que l’aspect scolaire entre en compte dans la sélection des joueurs au début ou

est-ce que vous les corrigez après si ça ne va pas ?

On a un regard d’abord sur les bulletins des gamins, voilà, scolaires, après on un regard sur

les aspects basket, si dans les deux cas tout va bien, pas de souci, si on se trouve face à

quelqu’un baskettement parlant intéressant mais qui est en forte dérive scolaire, c’est clair

qu’on ne le prendra pas, quel que soit le type de joueur, si maintenant on a un basketteur qui

est intéressant, qui est en difficulté scolaire au moment où on va le rencontrer, on va essayer

de prendre des garanties sur sa volonté de s’investir dans ces aspects, si on ressent qu’il y a la

réelle volonté, à ce moment-là on le prendra et on essaiera de mettre en place dans choses

pour que le gamin soit dans les meilleures conditions pour réussir, voilà un petit peu comment

ça va être gérer, tout en sachant que le partenariat qui est fait scolaire est un établissement qui

est quand même on va dire très exigeant au niveau des des gamins, pour nous ça nous met

entre guillemets une pression supplémentaire et des difficultés supplémentaires on va dire

pour intégrer les gamins dans les classes surtout les gamins qui sont en difficulté, alors on

essaie d’allier tout ça mais ce qui est sûr c’est qu’un gamin qui est à la dérive, qui est en

pleine dérive scolaire, surtout comportementale, lui il a aucune chance de venir au centre de

formation. Quand même, On ne prend que des joueurs qui ont dossier scolaire sans problème.

On est très attentif à ça. C’est-à-dire qu’un joueur, même si il est excellent au basket, s’il pose

des problèmes en classe, qu’il a redoublé et qu’il n’a pas corrigé sa façon de travailler ou bien

qu’il a un dossier trop faible, on ne le prendra pas. Pour nous, la première priorité c’est que les

élèves complètent leur cursus. Donc oui, on a déjà refusé des joueurs qui étaient peut être

meilleurs techniquement, qui avaient un plus gros potentiel basket, mais on savait qu’on allait

avoir des problèmes. Et puis pour le contrat avec le lycée St Pierre, si on veut que ça continue,

on doit faire en sorte que les joueurs soient sérieux au lycée. C’est pour ça qu’ils ont un temps

d’étude obligatoire chaque soir. Après, ça dépend des années, des joueurs qui viennent. On

laisse aussi des chances à certains joueurs qui n’ont pas forcément un dossier excellent après

les avoir rencontrer. Mais des fois, comme cette année, ça ne marche pas.

D’accord et d’où viennent principalement les gars qui sont recrutés ?

Page 235: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

234

On a entre guillemets aucune aucune limite on va dire de frontière, si ce n’est entre guillemets

la barrière de la langue… on a accueilli des joueurs de tout territoire français, on a accueilli

des joueurs des DOM-TOM, on a accueilli des joueurs du Mali, on a accueilli des joueurs du

Sénégal… on n’a pas de limite et encore, et encore plus nous entre guillemets que les autres,

aussi paradoxal que ça puisse paraître. La bonne et simple raison, c’est que nous on n’a pas…

l’attractivité des grands clubs… euh Villeurbanne, Le Mans, Cholet, Nancy, etc., ce qui fait

que sur le territoire français, on n’est jamais privilégié par rapport aux volontés des jeunes, on

va dire aujourd’hui qu’un gamin qui fait, qui sort de minime qui fait 2m, qui est français, sur

le territoire, qui a un peu de ballon, même s’il en a pas beaucoup, il ne sera jamais pour nous

donc nous si on veut pouvoir lutter par rapport à ces clubs là on n’a pas le choix que d’aller

chercher des gamins d’encore plus loin qui sont après face à des difficultés différentes mais si

on veut pouvoir lutter, faut qu’on puisse recruter ailleurs que sur le territoire français

Et c’est quoi le premier but du centre de formation aujourd’hui ?

Le premier but du centre de formation chez nous ça va être de construire une équipe qui va

correspondre à l’image qu’on veut véhiculer du centre de formation, c’est le premier truc,

deuxième truc, ça va être de former des ados, de construire de hommes, les emmener comme

je l’ai dit tout à l’heure vers la réussite scolaire qui devait être la leur, ce pour quoi ils sont

destinés et petit à petit idéalement d’y intégrer le basket et d’amener chaque gamin à son plus

haut potentiel individuel voilà, ils finiront pas tous pro parce qu’ils en ont pas tous la capacité.

Que le gamin qui en a les capacités, c’est de ne pas le rater voilà et puis le gamin qui avait un

niveau qui était plus proche d’un championnat régional ou national, qu’on puisse l’amener là

où il mérite d’aller et si on a atteint cet objectif à la fois scolaire, d’identité, de construction

d’un ado avec des valeurs qu’on veut véhiculer, de l’amener à son plus haut niveau de basket,

j’estime qu’on a rempli notre mission. Mais dans l’ensemble, les joueurs jouent vraiment le

jeu. On a eu un problème avec un joueur cette année qui n’a pas fait assez d’efforts, et qui n’a

jamais été assez investi. Mais tous les autres bossent beaucoup et font vraiment ce qu’on leur

demande. Ils ont complètement compris ce qu’on attendait d’eux.

A votre avis est-ce qu’ils ont une conscience qu’ils ne seront pas tous pro un jour ?

Ouais je pense qu’ils en ont conscience… même s’ils en ont tous envie je pense qu’au fond

d’eux bah la plupart, j’espère sont conscients que de toute façon… la marche est haute quoi et

comme l’a dit… un gamin lors d’un entretien, c’est vraiment quand on va se mouiller à

l’entraînement des pros la semaine qu’on se rend vraiment compte de toutes les dimensions,

l’écart qu’il peut y avoir entre un mec qui vont faire son métier et un jeune qui est par

forcément prêt.

D’accord, et à votre avis, de quel milieu social ils sont issus principalement, enfin, de

quelle classe, les joueurs que vous avez accueilli ?

En même temps je réfléchis… aujourd’hui dans l’équipe qu’on a…. je dirai d’une classe

euh… moyenne +, d’une classe plutôt correcte tout en sachant que les dés sont pipés, c’est pas

représentatif en fait, c’est pas représentatif, le centre de formation est pas représentatif je

pense de comme on disait tout à l’heure de la mixité sociale pour la bonne et simple raison

que venir au centre de formation de Bourg, pour certaines personnes, ça coûte de l’argent

donc à partir de ce moment-là si les gens peuvent déjà pas financièrement subvenir à ça,

forcément ils seront pas au centre de formation chez nous donc…

Et c’est différent dans les autres centres de formation, vous pensez ?

Page 236: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

235

Ouais c’est différent, y’en a pour qui c’est beaucoup plus cher, euh, y’en pour d’autres pour

qui c’est… pour qui c’est pas du tout chez du tout parce qu’ils vont avoir de la gratuité et c’est

le cas chez nous, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne chez nous donc voilà je suis

pas… je peux pas dire grand-chose de plus. En fait chaque centre fonctionne comme il en a

envie, et je sais que certains, surtout dans les niveaux inférieurs, ne donnent pas d’importance

aux études. Chez nous les joueurs sont tous logés au même endroit et on contrôle. A d’autres

endroits, ce n’est pas la même chose.

A votre avis en règle générale, dans les autres équipes que vous rencontrez, dans les

autres centres de formation est-ce que y’a des grands écarts de classe sociale au sein

d’une même équipe ou est-ce qu’on se rapproche quand même souvent d’une classe

moyenne ?

Je pense qu’on se rapproche d’une classe moyenne malgré tout parce que si c’est pas le centre

de formation qui coûte de l’argent ça va être autre chose le gamin il vient de loin bah ça va

être des trajets, ça va être plein de trucs qui font, c’est un état d’esprit, après par contre, les…

les profils de gamins dans les centres de formation en France sont vraiment différents selon

leur lieu géographique et leur niveau quoi, aujourd’hui le centre de formation de Paris il

ressemble en rien du tout à celui de Bourg… celui d’Antibes ressemble pas à celui de… de

Paris… voilà, c’est… c’est pas les mêmes personnes, tout en sachant que si on prend un

compas et qu’on fait un rayon de tant de kilomètres autour de la région parisienne, là on va

trouver des profils qui vont être identiques… à mon sens

D’accord et pour les joueurs qui sont ici à votre avis, qu’est-ce que représente la JL

Bourg ?

Ah ca représente pour eux je pense, ça a représenté l’opportunité pour eux de rentrer dans un

centre de formation, c’est une réelle opportunité pour certains… euh ça ca serait curieux de

savoir, ce que ça représente réellement pour eux… j’en sais rien ce que ça représente pour

eux… toutes les valeurs que nous on voudrait faire passer, je suis pas sûre du tout, je suis pas

sûr de ça, ça représente peut-être l’appartenance à une certaine forme d’élitisme, ça représente

peut-être la possibilité pour eux de s’épanouir dans le sport qu’ils aiment, ça représente

beaucoup d’investissement, beaucoup de contraintes, beaucoup de trucs comme ça, j’imagine

ouais, les ados de 15-18ans, même si on les côtoie tous les jours, on ne sait pas forcément ce

qu’ils pensent

Ouais

On a un rapport en plus qui est… pas qui est compliqué au contraire, qui est simple et qui est

sain et par contre ils ont toujours ce rapport de coach, de coach à joueur sur lequel ils créent

une certaine barrière, y’a des conversations qu’on a pas, parce que je sais pas moi, parce

qu’ils parlent beaucoup plus entre eux qu’ils parlent au coach

Ouais ouais… et vous m’avez dit qu’il y en a beaucoup qui auraient voulu être pro en

tous cas…

Beaucoup je sais pas… je pense qu’au fond d’eux chaque gamin si on lui demande « est-ce

que tu veux être pro » le gamin dit oui…

Oui mais qu’est-ce qui les attire dans ce milieu professionnel à votre avis ?

Je pense que c’est pratiquer, vraiment, le sport qu’ils aiment, être sous le feu de la rampe, une

certaine forme de reconnaissance et je suis même pas sûr que ce soit une question d’argent…

en tous cas aujourd’hui, le gamin, et puis je pense que c’est là qu’ils se mettent le doigt dans

Page 237: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

236

l’œil c’est qu’aujourd’hui, des, entre guillemets, des smicards au basket, ça existe… y’a des

gamins, je suis même pas sûr, je suis même pas sûr que les gamins ils le sachent, aujourd’hui,

il vaut mieux être, il vaut mieux avoir un boulot et jouer dans un club de nationale 2 de la

région lyonnaise que d’être premier contrat pro à Bourg le gamin il gagne plus d’argent,

aujourd’hui un très bon joueur de nationale 2, un joueur reconnu de nationale 2, un poste 4-5,

ça coûte 2000 euros par mois mais il peut bosser à côté et il va enquiller 4000 euros par mois,

un joueur de nationale 3, à un poste 3, un bon poste 3, va falloir commencer à lui balancer

800-1000 euros, donc le gars qui va toucher entre 800 et 1000 euros par mois, avec son boulot

à côté, il gagne plus qu’un premier contrat pro quoi

J’ai une anecdote, quelqu’un qui gagne 3000 euros par mois en N3

Oui c’est possible

A côté de Lyon là

Moi je suis, j’ai été effaré, je dis ça parce que je suis tombé sur une pub, j’ai envoyé un gamin

faire un essai dans l’ouest lyonnais donc qui se maintiennent en N2 bon lui c’est un poste… et

ils me disaient « ouais tu connais pas un poste 5, machin » euh des jeunes qui sont passés chez

nous, si j’en connais, je leur ai dit, « ouais parce qu’on est prêt à leur donner 2000-2500 euros

par mois »… putain ! pour jouer en nationale 2, c’est un truc de fou, c’est… nan c’est

incroyable, j’étais tombé sur le cul, j’avais quitté un peu les championnats seniors on va

dire… pfff c’est impressionnant, nan mais c’est vrai je pense qu’il vaut mieux être dans un

championnat fédéral, avoir son boulot à côté, gagner 3…, qu’être premier contrat pro dans un

club comme nous

D’accord, donc au fond ce qui guide leur passion, c’est vraiment une chose basket

Je pense ouais, et d’être sous le feu de la rampe, tout ce qui va avec quoi

D’accord et donc ils pensent…enfin, je vais vous la poser quand même…ils pensent pas

que leur vie sera plus facile s’ils deviennent pro, à votre avis ou est-ce qu’ils pensent

quand même ?

Etre pro, être pro basket, c’est pas un métier ça, c’est pas la vraie vie quoi, ouais ils sont pas

tous comme ça, j’en ai eu un chez moi pendant… pendant bah il était, il est au chômage

pendant deux mois, le mec il est pas dans la vraie vie… je me lève tard le matin, je commence

à déjeuner, je vais faire un tour à la muscu puis je fais ma petite sieste, j’ai mon entraînement

du soir, je rentre, je suis un peu fatigué mais pas trop, je reste sur le net parce que je discute

avec un mec à l’autre bout d’un autre pays jusqu’à 2h du mat’… c’est pas la vraie vie, genre

ouais pour eux je pense que c’est plus facile que d’aller au turbin chaque jour, ça je pense que

oui…

Et est-ce qu’ils ont quand même ça dans la tête ou pas ?

De quoi ? d’être pro ?

Bah non justement, ça de…

J’en sais rien du tout… honnêtement je pense pas, je pense pas qu’ils choisissent ça en se

disant ‘putain on va se la couler douce », je pense pas, on leur dit tellement que c’est dur,

qu’il y a peu d’élus, que c’est dur d’y arriver que ouais, sans doute, à mon avis, ils pensent

pas, attention je dis pas que c’est facile, je dis simplement que c’est pas la vraie vie…

Ca marche et est-ce qu’aujourd’hui vous pensez que le sport permet une ascension dans

la hiérarchie sociale ou pas ?

Page 238: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

237

Une ascension je sais pas, une reconnaissance sûrement… euh une ascension… tout dépend

ce qu’on entend par ascension

En gros un changement de classe sociale, en tous cas au moins, parce que là, on va

laisser la reconnaissance de côté, mais au moins en terme de salaire

Bah je pense qu’il y a vraiment honnêtement y’a vraiment de tout, pour certaines personnes,

pour certains joueurs, y’a pas, ça va être une vraie, une vraie ascension sociale, ça, c’est sûr,

pour d’autres honnêtement, je sais pas… j’en suis pas persuadé

Mais est-ce que les gens pour qui ça représente une ascension, pour eux, à votre avis, ils

sont quand même nombreux ou est-ce que c’est un petit nombre ?

Ça c’est la question qu’il faut aller poser au mec d’à-côté, qui est en plein dans les chiffres en

ce moment, boah je pense qu’il y en a quand même une bonne partie qui, pour qui c’est une

ascension sociale, voilà, ça maintenant on voit la partie… la partie émergée de l’iceberg, on

voit pas la partie immergée, après je pense qu’il y a aussi un paquet de mecs pour qui aussi

c’est compliqué, y’a aussi des mecs qui sont au chômage, comme dans tous les jobs, donc

voilà, je pense que ça représente quand même… peut-être ouais une ascension sociale,

attention sur une durée qui est limitée, on est pas en NBA quoi

Ouais

Et encore plus quand on est à Bourg, quoi, c’est pas des salaires qui sont phénoménaux même

si ça représente de l’argent hein pour jouer au basket

Et est-ce que cette ascension possible, c’est un des rôles du sport à votre avis ou est-ce

que ça devrait en être un ?

Est-ce que c’est un rôle du sport ? bah c’est une résultante, est-ce que ça a un rôle, dès

l’instant où on va rentrer dans une volonté de développer un sport professionnel, ça a un

rôle… maintenant est-ce que c’est le rôle premier du sport, non… c’est là toute la différence

entre ce côté-là et puis celui-là, voilà.. c’est pour ça quand on entend des trucs comme des

mecs de nationale 3 à 3000 euros par mois…y’a un truc qui va pas là-dedans, ça c’est pas du

sport pro, c’est du championnat amateur quoi

Et est-ce que la méritocratie existe dans le sport ?

Bah intrinsèquement ouais… je pense que y’a des facteurs limitants mais quand je dis ça

j’essaie de trouver des raisons pour lesquelles y’en a qui pourrait pas… pas percer, dès

l’instant où la personne à toutes les aptitudes physiques… bah on m’a même parlé d’un jeune

qui a fait le tournoi inter-comité, qui est champion de France avec une équipe benjamin et qui

joue avec un bras, au basket… donc voilà… donc je pense pas qu’au départ il y ait un mec qui

soit plus prédestiné à réussir qu’un autre, je dirais même qu’il y en a pour qui ça sera pas, on

mettra plus facilement une pièce sur un que sur un autre, ça je pense que c’est dans tous les

métiers pareils, que ce soit au basket ou dans un autre job… quand on s’appelle fils de ou

voilà, je pense qu’on a forcément un petit avantage au départ voilà, ou sur internet on regarde

le gamin Tchicamboud, s’il s’appelait pas Tchicamboud y’aura pas 50 vidéos sur youtube

voilà même si le gamin il tripote la balle, des gamins comme lui y’en a des centaines en

France, seulement c’est le fils de Steed Tchicamboud, il met une vidéo sur le net et tout le

monde jette un œil dessus… voilà donc après je pense pas qu’il y ait de facteurs limitant.

Et est-ce que c’est plus facile de réussir quand même dans le sport si on a plus d’argent

ou pas, à votre avis ?

Page 239: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

238

Bah j’ose espérer que non, de toute façon y’a des sports pour lesquels… là on parle du

basket ?

En général

En général c’est pas forcément vrai, moi je parle d’un sport que je connais parce que ma fille

elle est pratique ça, c’est l’équitation, dans l’équitation y’a un facteur déterminant, c’est

l’argent, ça c’est, ça c’est déterminant on en discutait avec son entraîneur qui est quelqu’un de

reconnu, lui il hésite pas à le dire que demain, c’est jamais, enfin, c’est pas jamais, c’est pas

forcément les meilleurs cavaliers qui gagnent les titres les plus importants, aujourd’hui, un

cavalier qui va gagner les JO, c’est pas forcément les meilleurs cavaliers, c’est-celui qui aura

eu la capacité financière à avoir les meilleurs chevaux, la meilleure préparation ou qui arrivent

à un moment où ça fait de l’argent, si y’a pas l’investissement possible et même dans les

petits niveaux, c’est déjà ça, quand je dis les petits niveaux, c’est déjà dans les niveaux

départementaux et régionaux, quand vous avez une gamine de 14 ans qui monte un cheval qui

coûte déjà euh… 20-30-40 000 euros bah elle monte pas forcément mieux que votre fille mais

vous vous pouvez pas payer un cheval qui coûte 20-30-40 000 boules quoi donc du coup,

dans certains sports ouais, ça c’est sûr que l’argent peut être un vecteur de réussite, dans

d’autres sports, j’y crois pas du tout

Et dans le basket par exemple ?

Bah j’espère pas non, ou alors je sais pas tout mais je pense je pense pas aujourd’hui

quelqu’un qui ait de l’argent puisse réussir une carrière joueur par contre que quelqu’un qui a

de l’argent puisse faire réussir un club oui, ça c’est possible, si on regarde les deux sens

investissements en cours

A votre avis, qu’est-ce qui leur a permis de réussir, réussir au moins à rentrer, à venir

jusqu’à là ?

Hum alors dire un déjà c’est que… chaque gamin qu’on a choisi cette année et depuis des

années comme ça au centre de formation est un gamin qui peut rentrer dans des, dans un

cursus scolaire qu’on pouvait lui proposer par rapport à ce que je disais tout à l’heure ça veut

dire se donner les moyens scolairement de pouvoir réussir, ça c’était le premier critère,

deuxième critère, ça a été que nous par rapport à la construction de l’équipe qu’on veut faire,

chaque gamin pourra avoir un projet, on va dire, dans son, dans son profil, voilà chez nous et

puis pour certains parce qu’on a senti que le gamin il avait non seulement de la motivation et

qu’il avait un truc, donc euh… sur lesquels on essaye de se projeter et de se dire ce gamin là

dans 3 ans, ouais comment on pourrait essayer de le faire évoluer et ce vers quoi il peut tendre

donc on se lance voilà, des fois on se plante, on s’en rend compte tout de suite, des fois on se

plante, on s’en rend compte au bout de 3 ans parce qu’on a pas réussi à l’emmener là où on

avait imaginé pouvoir l’emmener, des fois, c’est le gamin qui se trompe…

Quelle place occupe l’entourage des joueurs dans leur réussite au basket ? Sans famille

qui accompagne, est-ce possible ?

Une place immense. Ils ont un très très grand rôle. Pour moi c’est-ce qui fait toute la

différence entre des joueurs qui ont à la base, a priori, le même niveau. Parce que si les

parents mettent une trop grande pression, s’ils parlent tout le temps de professionnalisme, de

résultat, d’argent et tout ça, le gamin il explose au bout d’un moment. Y a des parents, ils

voient leur gamin en centre de formation ils pensent que ça y est c’est bon, ils sont pros et

riches. C’est pas le cas du tout, on essaye de leur expliquer. Mais y en a qui vivent leur rêve

par procuration avec leurs enfants. Enfin quand t’entends ce que te disent les parents et la

Page 240: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

239

passion qu’ils mettent à chaque match c’est fou. Vraiment c’est fou. Donc forcément, le

gamin qui a toujours entendu parler de sa réussite, qui voit tout le monde derrière lui, il

choppe un boulard énorme. Et même s’il était très fort, parce que très technique ou très

athlétique, en étant jeune, quand il arrive à ce niveau il se casse la gueule. Et même des

joueurs qui intègrent l’INSEP282

ou qui sont en équipe de France jeune ça leur arrive. Parce

que la réussite, à moins d’être un champion hors norme, ce qui arrive des fois, c’est avant tout

de l’humilité. Et l’humilité c’est tes parents qui te l’apprennent, dans leur façon d’éduquer.

Alors bien sûr à l’inverse, les parents qui s’en foutent et qui ne poussent pas leur gamin, ou

bien qui ne voient jamais rien et qui suivent ça de loin parce que comme ça il est plus chez

eux, c’est pas mieux. Puisque à un moment il manque l’effort, l’aide qui permet d’aller tout au

bout du projet. Nous on essaye de l’apporter, bien sûr, mais on remplacera jamais le boulot

des parents. Et tu vois pour Antoine Diot, dont je te parlais tout à l’heure. Et bien je suis, mais

alors persuadé que sa réussite il l’a doit énormément à ses parents. Son père c’est mon

collègue donc je le connais très bien et sa mère aussi. Du coup j’ai vu tout le travail qu’ils ont

fait avec lui. Ils lui ont toujours montré l’importance des études, que le sport ne suffisait pas

pour être bien dans sa tête. Ils ont toujours voulu qu’il garde quelque chose à côté pour

s’ouvrir, pour ne pas se fermer sur le sport. Les joueurs qui se ferment et qui oublient qu’il y a

autre chose à côté, une vie réelle, ils font rarement une grande carrière. En France en tout cas.

Les parents d’Antoine lui ont toujours appris ça. A prendre étape par étape, à pas se brûler les

ailes. A voir d’abord le sport comme un jeu. A insister sur la possibilité de blessure et donc

que tout peut s’arrêter d’un coup. Et pas à réfléchir en termes d’argent qu’il pourrait y avoir à

la sortie. Tout le temps, tout le temps, tout le temps, ils ont fait en sorte qu’il garde la tête

froide. Et qu’il gagne peut être moins d’argent très vite, ça c’est sûr, mais que sa carrière soit

une grande carrière. Et le résultat c’est qu’il était en équipe de France à 20 ans, à côté des

meilleurs joueurs. Il a su garder la tête froide. Et c’est-ce qui manque à beaucoup aujourd’hui.

Parce que les parents ils voient les même choses que leurs enfants, donc ils rêvent de la

même chose. Et quand rêve des enfants et des parents se confondent, généralement, c’est pas

bon du tout. Sportivement en tout cas.

C’est tout pour moi ! Merci beaucoup.

282

Ndlr : Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance, le lieu de rassemblement des meilleurs

jeunes sportifs français.

Page 241: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

240

Documents Licences sportives en 2010 en France

Page 242: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

241

« Hiérarchies » sociales de disciplines sportives et cotation de leur

dimension énergétique par rapport à leur dimension technique

Page 243: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

242

Bibliographie

Ouvrages cités

D. Baillet, Les Grands thèmes de la sociologie du sport, Paris, l’Harmattan, coll. Logiques

sociales

R. Boudon (dir.), Le Dictionnaire de sociologie, Paris, Larousse, 1997

P. Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1979

P. Bourdieu et JC. Passeron, La Reproduction, Minuit, Paris, 1970

P. Bourdieu et JC. Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Minuit, Paris, 1964

P. Bourdieu, Questions de sociologie, Minuit, Paris, 1981

JM. Brohm, Sociologie politique du sport, Paris, Editions universitaires, 1976

JM. Brohm, Sociologie politique du Sport, Presses universitaires de Nancy, Nancy,

nouv.éd., 1992

F. Charton, Les Dieux du stade : le sportif et son imaginaire, Paris, Desclée de Brouwer,

1998

P. de Coubertin, Pédagogie sportive, Paris, 1922

J. Defrance, Sociologie du sport, Paris, La découverte, 1995

F. Dubet, La Galère. Jeunes en survie, Fayard, Paris, 1987

F. Dubet et D. Lapeyronnie, Les quartiers d’exil, Le Seuil, Paris, 1992

E. Dunning et N. Elias, Sport et Civilisation, Paris, Fayard, 1994

E. Durkheim, De la Division du travail social, (1893), Paris, PUF, 1960

A. Ehrenberg, Le culte de la performance, Hachette, coll. « Essai », Paris, 2008

M. Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, « Idées », 1963 ; rééd. « Folio essais »,

1988

W. Gasparini et G. Vieille-Marchiset, Le sport dans les quartiers. Pratiques sociales et

politiques publiques, Paris, PUF, coll. « Pratiques corporelles », 2008

E. Goblot, La barrière et le niveau : étude sur la bourgeoisie française moderne, Puf,

Paris, 1925

B. Jeu, Analyse du sport, Paris, PUF, 1993

J. Kellerhals, PY. Trouto et E Lazega, Microsociologie de la famille, Paris, Presses

universitaires de France, Collection "Que sais-je?", 1984

C. Levy-Strauss, Mythologiques, tome I : « Le Cru et le cuit », Paris, Plon, 1964

Page 244: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

243

C.Pociello, Les cultures sportives, Paris, PUF, 1995

C. Pociello, Sports et société, Paris, Vigot, 1981

I. Queval, S’accomplir ou se dépasser, Gallimard, collection « Bibliothèque des sciences

humaines », Paris, 2004

P. Simonnot, Homo Sportivus, Paris, Gallimard, 1998

T. Terret, Histoire des sports, Paris, L'Harmattan, 1996

T. Terret, Les Jeux interalliés de 1919. Sport, guerre et relations internationales, coll.

« Espaces et temps du sport », l’Harmattant, Paris, 2003

M. Weber, Essays in Sociology, Oxford University press, 1946

Articles cités

H. Abdallah, « L’effet Zidane ou le rêve éveillé de l’intégration par le sport », in Hommes

et Migrations, Juillet-août 2000, n°1226, pp.5-14

Direction Nationale de Contrôle de Gestion, « Rapport d’activité de la ligue

professionnelle de football », 2012

Gen. Canonge, « De l’éducation physique en France », in Gazette des hôpitaux, 1909,

p.1003 et suiv.

O. Chabay, « De l’amateurisme au sport business », 2 juin 1999, La Documentation

Française

N. Djennad, « Devenir journaliste pour un jeune issu de l’immigration », Migrations

société, vol.13, numéros 75-76, mai-juin 2001

« Interview d’A. Finkelkraut », Libération, édition du 18 juillet 2009

O. Galland, « Les parents assurent un rôle d’amortisseur », Libération, édition du 30

décembre 1997, p.19

W. Gasparini, « L'intégration par le sport. », Sociétés contemporaines 1/2008 (n° 69)

E. Lachaud (Pour la race. Notre soldat, sa caserne, Henri Charle-Lavauzelle, Paris, 1909,

chap.1

P. Mignon, « Intégration par le sport, et si on regardait du côté des instances », in Le sport

peut-il tenir ses promesses sociales, coll. « Le dossier du mois », La ligue de

l’enseignement, juin/juillet 2010

Page 245: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

244

Ministère des Sports, « Les principales activités physiques et sportives pratiquées en

France en 2010 », Stat-info, n°11-12, décembre 2011

M. Rigouste, « L’immigré, mais qui a réussi… », Le Monde diplomatique, juillet 2005

Secrétariat d’Etat aux Sports, à la Jeunesse et à la Vie associative, « Les licences 2004.

Une approche par disciplines sportives », Stat-info, n°05-06, décembre 2005

Université Lyon 1, « Sport et banlieue », Spirales, n°10, 1996

Ouvrages et articles non cités ayant inspiré la recherche

M. Anstett et B. Sachs (dir.), Sports, jeunesses et logiques d'insertion, Paris, La

Documentation Française, 1995

L. Arnaud, Politiques sportives et minorités ethniques. Paris, L'Harmattan, 1999

JY. Authier, MH. Bacque et F Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions

politiques et pratiques sociales. Paris : La Découverte, Coll. « Recherches », 2007

P. Blanchard et N. Bancel, L'intégration par le sport ? Quelques réflexions autour d'une

utopie. Migrance, 2003 (n°22), p. 50-59.

JP. Callède, Les politiques sportives en France : éléments de sociologie historique, Paris,

Economica, 2000

JP. Callède, La sociologie française et la pratique sportive : essai sur le sport. Forme et

raison de l'échange sportif dans les sociétés modernes, Pessac, Maison des Sciences de

l'Homme d'Aquitaine, 2007

P. Chantelat, M. Fodimbi, J. Camy, Sports de la cité. Anthropologie de la jeunesse

sportive, Paris, L'Harmattan, 1996

D. Charrier , J. Jourdan, « Pratiques sportives et jeunes en difficulté : 20 ans d'innovations

et d'illusions... et des acquis à capitaliser », in M. Falcoz, M. Koebel (Dir.), Intégration

par le sport : représentations et réalité. Paris : L'Harmattan, coll. « Logiques sociales »,

2005

JP. Clément, J. Defrance et C. Pociello, Sport et pouvoirs au XXème siècle, Grenoble,

Presses Universitaires de Grenoble, 1994

J. Defrance, « Introduction » in Société de Sociologie du Sport de Langue Française,

Dispositions et pratiques sportives. Débats actuels en sociologie du sport, Paris,

L'Harmattan, coll. « Sport en Société », 2004

Page 246: Le mythe de l‘ascension sociale par le sport : …...1Extrait du discours « Investir sur le sport pour l'avenir de la France », Tribune de Denis Massaglia, président du Comité

245

P. Duret, Sociologie du sport, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2008

A. Ehrenberg, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991

S. Fleuriel, Le sport de haut niveau en France. Sociologie d'une catégorie de pensée,

Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2004

Y. Gastaut (coord.), « Sport et immigration : parcours individuels, histoires collectives »,

Migrance, 2003(n°22)

Y. Gastaut (coord.), Dossier « Pratiques sportives et relations interculturelles ». Revue

Migrations Société, vol. 19, 2007 (n°110)

G. Mauger, Précarisation et nouvelles formes d'encadrement des classes populaires. Actes

de la recherche en sciences sociales, 136-137, mars 2001, p. 3-4.