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Incidences psychologiques
Les incidences psychologiques des organisations flexibles par Christophe Dejours
Incidences psychologiques
• Christophe Dejours :• Professeur titulaire de la chaire
Psychanalyse-Santé-Travail au CNAM
• Directeur du laboratoire de Psychologie du Travail et de l'Action
• Médecin du travail, ergonome, psychiatre, psychanalyste.
• Ses travaux s'appuie sur la clinique psychosomatique.
• Auteur de :• travail : usure mentale (1980)• le facteur humain (1995)• souffrance en France (1998)• l'évaluation à l'épreuve du
travail (2003)
Incidences psychologiques
• Le modèle flexible conduit à des activités de conduite de process : il n'y a plus de rapport à la matière, aux outils, aux métiers.
• Les trajectoires sociales deviennent illisibles et imprévisibles.
• On peut différencier deux types de flexibilité interdépendants :• la flexibilité du travail• la flexibilité de l'emploi
Incidences psychologiques
• La flexibilité de l'emploi concerne l'adaptabilité des contrats, des statuts et des qualifications.
Flexibiliser un emploi c'est rendre variable ses caractéristiques : temps de travail, lieux et conditions de son exercice, éléments statutaires et juridiques.
• La flexibilité du travail concerne l'adaptabilité de l'activité productive, individuelle et collective.
Flexibiliser le travail c'est s'assurer que l'activité humaine spécifique demeure malléable, adaptable à des circonstances changeantes de la production.
Incidences psychologiques
• Le modèle flexible fait appel à l'autonomie des travailleurs. Il s'agit alors, a priori, de laisser à l'individus une marge de liberté plus importante.
• Or, le nombre de troubles psychopathologiques a augmenté rapidement depuis 15 ans.
Incidences psychologiques
• Explication :• la flexibilité du travail implique
la polyvalence, l'initiative, l'auto-organisation des tâches, la responsabilité de gestion et d'évaluation... c'est-à-dire une complexification du travail et un accroissement de la qualité ;
• ainsi, l'autonomie se transforme en auto-contrôle ;
• l'auto-contrôle est d'autant plus astreignant qu'à la flexibilité du travail s'ajoute la flexibilité de l'emploi (menace permanente de précarité).
Incidences psychologiques
• Le consentement à l'auto-contrôle et à la contrainte de concurrence entre tous les travailleurs est dirigée par les nouvelles techniques d'évaluation individualisée des performances et de la rentabilité.
• Pour Dejours, l'évaluation individualisée des performances (SEP) est le ressort d'une nouvelle technique de domination du travail.
Un exemple de cas : France-Telecom
• 10 suicides depuis Janvier 2014
• 35 suicides entre 2007 et 2009• Mise en examen de France-
Telecom en 2012 pour harcèlement moral.
• Mais une réalité en France :• 10 000 suicidés chaque
année en moyenne• L’éducation nationale et la
Police sont les secteurs les plus touchés.
“La prison de Stanford”
• 1971• Université de Stanford,
département de Psychologie• Une expérience menée par
Philip Zimbardo, psychologie sociale
“La prison de Stanford”
• Objectif de l’expérience : étudier les relations gardiens-prisonniers dans les institutions carcérales
“La prison de Stanford”
• Une prison reconstituée pour l’expérience
• 24 étudiants volontaires (12 gardiens, 12 prisonniers) répartis au hasard
• 14 jours d’expérience sont prévues...
“La prison de Stanford”
• Interruption de l’expérience après 6 jours, pour déviation des comportements des gardiens (humiliations, pressions psychologique et physique, comportements dégradants, etc.)
Pour résumer...
• L’individu se “soumet” à la situation dans laquelle il est placé.
• L’individu est rapidement “dominé” par le rôle qu’on lui a attribué.
Pour résumer...
• L’individu passe de l’état autonome à l’état agentique.
• L’individu perçoit l’autorité comme légitime.
• L’individu s’inscrit dans une idéologie du scientisme (perte des responsabilités, image de soi donnée par l’autorité).
La soumission à l’autorité
• De 1960 à 1963, Stanley Milgram mène une série d’expériences pour estimer à quel niveau d’obéissance peut aller un individu dirigé par une autorité qu’il juge légitime
Soumission à l’autorité
• Une annonce est diffusée pour rechercher des sujets qui consacreraient une heure de leur temps en échange de 4$
• Les expérimentateurs annoncent aux sujets qu’ils vont participer à une étude sur l’efficacité de la punition (ici des chocs électriques) sur la mémorisation
Soumission à l’autorité
• Les expériences comportent trois personnes :
• L’élève, qui doit mémoriser des listes de mots, et qui reçoit une décharge électrique en cas de mauvaise réponse (il est en réalité un acteur)
• L’enseignant, qui dicte les mots, vérifie les réponses et envoie si nécessaire une décharge électrique (sujet naïf)
• L’expérimentateur, qui s’assure du bon déroulement de l’expérience et qui représente l’autorité
Soumission à l’autorité
• A chaque mauvaise réponse de l’élève, l’enseignant doit augmenter la puissance de la décharge électrique par palier de 15 volts
• La décharge maximum est de 450 volts
Soumission à l’autorité
• L’élève (qui est en réalité un acteur) simule la souffrance due aux chocs électriques :
• à 75 V, il gémit• à 120 V, il se plaint qu’il souffre• à 135 V, il hurle• à 150 V, il supplie qu’on le
libère• à 270 V, il crie violemment• à 300 V, il annonce qu’il ne
répondra plus
Soumission à l’autorité
• Au total, 65% des sujets administrent un choc de 450 V (le maximum)
• En moyenne, les sujets s’arrêtent à 405 V
Soumission à l’autorité
• D’autres variantes de l’expérience ont montré que :
• 20 % des sujets allaient jusque 450 V en l’absence de l’expérimentateur
• 10 % lorsqu’un deuxième enseignant se rebelle
• 2,5 % lorsque les sujets peuvent choisir le niveau de choc
• 92,5 % lorsqu’un pair administre les chocs
• 0 % lorsque l’autorité est la victime
Les conditions de travail en groupe
• 3 groupes de 5 personnes tirés au sort
• Le même travail (un travail manuel) sera demandé aux 3 groupes
• Il n’y a pas de compétition : pas d’horaire, pas d’évaluation du travail. Il faut simplement que le travail soit fait
• Chaque groupe travaillera avec un moniteur, qui donnera la tâche à effectuer
Les conditions de travail en groupe
• Par groupe :• plusieurs feuilles de papier• 3 ciseaux• 5 règles• 2 rouleaux de scotch• 3 compas• 4 rapporteurs• 5 crayons• 2 gommes
Les conditions de travail en groupe
• Résultats : compte-rendu des observateurs pour chaque groupe...
Les conditions de travail en groupe
• L’objectif réel de l’expérience : étudier le climat psychologique du groupe, en fonction du mode de management
• Groupe 1 : moniteur autoritaire• Groupe 2 : moniteur démocrate• Groupe 3 : moniteur laisser-
faire
Groupe 1 : moniteur autoritaire
• Docilité et silence des participants devenus “écoliers”.• Pas d’esprit de groupe à l’égard du travail (individualisme compétitif)• Appel fréquent au moniteur de la part des membres du groupe
individuellement• Agressivité latente inter-membres• Dévalorisation latente de la tâche• Agressivité envers l’intrus, bouc émissaire• Rapidité dans l’exécution de la tâche (ce groupe est le plus rapide des 3)
Groupe 2 : moniteur démocrate
• Spontanéité et expansivité des participants• Esprit de groupe intégrant rapidement le moniteur• Division du travail et coopération• Entraide• Camaraderie. Auto-satisfaction collective• Valorisation de la tâche• Pas d’agressivité a priori envers l’intrus• Moins rapide que le groupe 1
Groupe 3 : moniteur laisser-faire
• Réaction d’auto-régulation réussie• Apparition d’un leader-substitut (compétent sur la tâche)• Coopération sans excitation ni enthousiasme directs mais par défi au
moniteur• Hostilité latente à l’égard du moniteur• Valorisation du travail de groupe. Dévalorisation de la tâche elle-même• Discussions-disputes entre les membres• Dévalorisation de la tâche avec tendance à l’abandon• Travaux solitaires de quelques-uns
Conclusions
• Les comportements individuels sont généralement des comportements réactionnels au climat du groupe. Ils sont expressifs de la situation vécue par le groupe et induits par le chef officiel du groupe
• C’est l’attitude du chef du groupe de travail qui peut rendre les autres dociles ou créateurs, passifs ou actifs, apathiques ou dynamiques, coopérants ou agressifs
Les causes des RPS
• Etude du Collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail (2009) : «Indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail» (http://www.travailler-mieux.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_08_10.pdf)
• 6 axes repérés :1.Exigences au travail 2.Exigences émotionnelles3.Autonomie - marges de manœuvre 4.Rapports sociaux, relations au travail 5.Conflits de valeur6.Insécurité d’emploi
1. Exigences au travail
• Elles définissent les exigences associées à l’exécution du travail en termes quantitatifs (contraintes de temps, quantité de travail excessive, etc.) et qualitatifs (complexité des tâches, concentration, demandes contradictoires, responsabilités, etc.)
1. Exigences au travail
• 7 indicateurs :• La quantité de travail• La pression temporelle (4
sous-indicateurs)• La complexité du travail• Les difficultés de
conciliation entre travail et hors travail
2. Exigences émotionnelles
• Le travail émotionnel consiste, dans l'interaction avec les bénéficiaires du travail, à maîtriser et façonner ses propres émotions, mais aussi à maîtriser et façonner les émotions des bénéficiaires du travail (les clients : passagers, consommateurs, etc.).
2. Exigences émotionnelles
• 5 indicateurs :• La relation au public• L’empathie, le contact avec
la souffrance• Les tensions avec le public• Devoir cacher ses émotions• Peur au travail
3. Autonomie Marges de manœuvre
• Cette dimension se définit par deux sous-dimensions :• l’autonomie décisionnelle• et l’utilisation des
compétences. • L’autonomie décisionnelle
renvoie à la marge de manœuvre dont dispose le salarié dans son travail et sa participation dans la prise de décision.
• l’utilisation des compétences se définit par la possibilité par le salarié d’apprendre et de développer de nouvelles compétences.
3. Autonomie Marges de manœuvre
• 7 indicateurs :• L’autonomie procédurale (2
sous-indicateurs)• La prévisibilité du travail • L’utilisation et le
développement des compétences (3 sous-indicateurs)
• La participation, la représentation
4. Rapports sociaux, relations au travail
• Quatre notions reflétant les rapports sociaux en milieu de travail sont différenciées :• le soutien social de la part
des collègues et de la hiérarchie ;
• la violence au travail caractérisée par des mises en situation d’agression, d’isolement, de mépris ;
• la notion de reconnaissance et de sentiment d’utilité du travail effectué ;
• le fait de recevoir de la part de la hiérarchie des injonctions contradictoires
4. Rapports sociaux, relations au travail
• 7 indicateurs :• Le soutien social au travail
(2 sous-indicateurs)• La violence au travail (2
sous-indicateurs)• La reconnaissance (2 sous-
indicateurs)• Le leadership
5. Conflits de valeur
• Certains auteurs ont caractérisé cette situation d’« impératifs dissonants ».
• Les personnes sont dans l’obligation de travailler d’une façon qui heurte leur conscience professionnelle, ce qui représente une contrainte sur la santé mentale.
6. Insécurité d’emploi
• L’insécurité de l’emploi est définie comme l’impuissance ressentie à préserver la continuité souhaitée dans une situation de menace sur l’emploi.
6. Insécurité d’emploi
• 3 indicateurs :• La sécurité de l’emploi et
du salaire (2 sous-indicateurs)
• La «soutenabilité» du travail
Le questionnaire SATIN (INRS)
• SATIN : Questionnaire d’évaluation des conditions de travail et de la santé (rapport NS300) (http://lara.inist.fr/bitstream/handle/2332/2583/INRS_300.pdf?sequence=1)
• 80 questions, réparties en 4 rubriques :• Santé perçue (16 Q)• Exigences de travail et
capacités (8 Q)• Perception et évaluation de
l’environnement de travail (42 Q)
• Appréciation générale du travail (4 Q)
Mesure du Stress Psychologique
• MSP : décrire un état momentané de tension psychologique.
• Echelle de 1 à 8• 3 échelles (avec certains items
inversés) :• longue : 49 items• courte : 25 items• courte : 25 items
10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail
• Rapport de l’inspection générale des affaires sociales (2010)
• Les propositions :• 1. L’implication de la direction générale et de son conseil d’administration
est indispensable. • L’évaluation de la performance doit intégrer le facteur humain, et donc
la santé des salariés.• 2. La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne
s’externalise pas. • Les managers de proximité sont les premiers acteurs de santé.
• 3. Donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail. • Restaurer des espaces de discussion et d’autonomie dans le travail.
10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail
• 4. Impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé. • Le dialogue social, dans l’entreprise et en dehors, est une priorité.
• 5. La mesure induit les comportements. • Mesurer les conditions de santé et sécurité au travail est une condition
du développement du bien-être en entreprise.• 6. Préparer et former les managers au rôle de manager.
• Affirmer et concrétiser la responsabilité du manager vis-à-vis des équipes et des hommes.
• 7. Ne pas réduire le collectif de travail à une addition d’individus. • Valoriser la performance collective pour rendre les organisations de
travail plus motivantes et plus efficientes.
10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail
• 8. Anticiper et prendre en compte l’impact humain des changements. • Tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer l’impact
et la faisabilité humaine du changement.• 9. La santé au travail ne se limite pas aux frontières de l’entreprise.
• L’entreprise a un impact humain sur son environnement, en particulier sur ses fournisseurs.
• 10. Ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes. • Accompagner les salariés en difficulté.