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La prise en compte des objectifs de développement durable lors de la préparation d’un marché public Les incidences d’une prise en compte grandissante des considérations environnementales et sociales dans les mar- chés publics sont notables et devront conduire les acheteurs publics sinon à repenser leur stratégie globale d’achat à tout le moins à mobiliser au mieux les nombreux outils juridiques à leur disposition et dont le maniement peut parfois se révéler complexe. L a commande publique est devenue en quelques années un levier privilégié des politiques publiques en faveur d’une croissance durable. Le changement est si profond et rapide qu’un ancien ministre n’hésite plus à y voir une « politique publique à part entière » (1) . Il est vrai que le concept de développement durable, longtemps perçu comme « une mode sans grande portée juridique » (2) , a désormais acquis une valeur normative indiscutable. Cette notion est issue du rapport Bruntland (3) qui en a donné une définition restée célèbre : le développement durable « vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compro- mettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». La prise de conscience progressive de la nécessité de favoriser un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable, d’abord traduite par l’adoption d’engagements interna- tionaux, a dû naturellement investir le champ du droit national pour avoir l’efficacité espérée. Dès 1995 (4) , le législateur a fait sienne la définition du rapport Bruntland en introduisant la notion de dévelop- pement durable dans le Code de l’environnement (5) , et en favorisant parallèlement l’émergence de concepts qui irriguent désormais le droit positif : principe de précau- (1) « Emmanuel Macron met la réforme de la commande publique au service de l’investissement public », in le Moniteur réglementa- tion, 18 avril 2016. (2) (4) M. Prieur, « Le développement durable en droit interne, apparence du droit et droit des apparences », AJDA 2003, p. 210. (3) « Our common future », Rapport Bruntland, 1989. (4) Loi n° 95-101 du 2 février 1995, relative au renforcement de la protection de l’environnement. (5) Code de l’environnement, art. L. 110-1. Vincent Michelin et Christophe Cabanes Cabinet Cabanes-Neveu et Associés – Avocats à la Cour Mots clés Critères de sélection des offres • Définition des besoins • Variantes • Clauses d’exécution Contrats Publics – n° 170 - novembre 2016 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/ 43 Dossier Bien préparer les marchés publics

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La prise en compte des objectifs de développement durable lors de la préparation d’un marché publicLes incidences d’une prise en compte grandissante des considérations environnementales et sociales dans les mar-chés publics sont notables et devront conduire les acheteurs publics sinon à repenser leur stratégie globale d’achat à tout le moins à mobiliser au mieux les nombreux outils juridiques à leur disposition et dont le maniement peut parfois se révéler complexe.

La commande publique est devenue en quelques années un levier privilégié des politiques publiques en faveur d’une croissance durable.

Le changement est si profond et rapide qu’un ancien ministre n’hésite plus à y voir une « politique publique à part entière »(1).

Il est vrai que le concept de développement durable, longtemps perçu comme « une mode sans grande portée juridique »(2), a désormais acquis une valeur normative indiscutable.

Cette notion est issue du rapport Bruntland(3) qui en a donné une définition restée célèbre : le développement durable « vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compro-mettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

La prise de conscience progressive de la nécessité de favoriser un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable, d’abord traduite par l’adoption d’engagements interna-tionaux, a dû naturellement investir le champ du droit national pour avoir l’efficacité espérée.

Dès 1995(4), le législateur a fait sienne la définition du rapport Bruntland en introduisant la notion de dévelop-pement durable dans le Code de l’environnement(5), et en favorisant parallèlement l’émergence de concepts qui irriguent désormais le droit positif : principe de précau-

(1) « Emmanuel Macron met la réforme de la commande publique au service de l’investissement public », in le Moniteur réglementa-tion, 18 avril 2016.

(2) (4) M. Prieur, « Le développement durable en droit interne, apparence du droit et droit des apparences », AJDA 2003, p. 210.

(3) « Our common future », Rapport Bruntland, 1989.

(4) Loi n° 95-101 du 2 février 1995, relative au renforcement de la protection de l’environnement.

(5) Code de l’environnement, art. L. 110-1.

Vincent Michelin et Christophe Cabanes Cabinet Cabanes-Neveu et Associés – Avocats à la Cour

Mots clés

Critères de sélection des offres • Définition des besoins • Variantes • Clauses d’exécution

Contrats Publics – n° 170 - novembre 2016 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/ 43

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tion, de pollueur payeur, ou encore principe de partici-pation selon lequel « chaque citoyen doit avoir accès aux informations relatives à l’environnement ».

D’abord timide, l’introduction des considérations sociales et environnementales dans le champ de la commande publique a pris un réel essor, à un point tel qu’il serait difficile de donner un aperçu un tant soit peu exhaustif des textes existants en la matière.

On retient toutefois la charte de l’environnement intégrée en 2005 dans le bloc de constitutionnalité(6) et qui énonce à son article 6 que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable », ou la circu-laire du 3 décembre 2008 (NOR : PRMX0900026C), rela-tive à l’exemplarité de l’État au regard du Développement Durable dans le fonctionnement de ses services et de ses établissements publics(7).

Et encore le décret n° 2011-1000 du 25 août 2011 qui a introduit la possibilité de conclure des contrats globaux de performance, dans lesquels le titulaire s’engage sur des objectifs d’efficacité énergétique ou d’incidence écolo-gique, la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’éco-nomie sociale et solidaire qui a institué les « schémas de promotion des achats publics socialement responsables » ou plus récemment la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 qui a modifié les dispositions de l’article L. 541-1 du Code de l’environnement aux termes desquelles « la commande publique durable est mise au service de la transition vers l’économie circulaire et de l’atteinte des objectifs » qui y sont attachés.

L’objectif affiché par le législateur est clair : la commande publique, par son effet d’entraînement, doit contribuer « à faire émerger et à déployer des pratiques vertueuses, notamment en matière d’économie de la fonctionnalité, de réemploi des produits et de préparation à la réutili-sation des déchets, et de production de biens et services incorporant des matières issues du recyclage »(8).

C’est finalement l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 qui est, pour l’instant, l’expression la plus aboutie de l’évolution du droit de la commande publique vers un processus d’achat éco-responsable, en intégrant à son article 30 relatif à la définition des besoins la triple dimen-sion économique, sociale et environnementale du déve-loppement durable : « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lance-ment de la consultation en prenant en compte des objec-tifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ».

Si cette rédaction ne diffère pas sensiblement de celle de l’ancien Code des marchés publics(9), les incidences d’une

(6) Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.

(7) JORF n° 0036 du 12 février 2009 page 2489.

(8) Article 70 de la loi du 17 août 2015, prec.

(9) L’ancien article 5-I du Code des marchés publics précisait que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négo-

prise en compte grandissante des considérations envi-ronnementales et sociales dans les marchés publics sont notables et devront conduire les acheteurs publics sinon à repenser leur stratégie globale d’achat à tout le moins à mobiliser au mieux les nombreux outils juridiques à leur disposition et dont le maniement peut parfois se révéler complexe.

Une réflexion globale à mener au moment de l’élaboration de la stratégie d’achat

Développement durable : obligation ou opportunité ?

La question peut surprendre mais mérite bel et bien d’être posée, compte-tenu de la rédaction actuelle des dispositions de l’article 30 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 qui indiquent que les acheteurs publics doivent définir leur besoin « en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimen-sions économique, sociale et environnementale ».

Car que signifie concrètement « prendre en compte » ?

S’agit-il d’une simple incitation ou au contraire d’une obligation pour les acheteurs publics d’intégrer dans leurs achats publics des objectifs en matière de dévelop-pement durable ?

Et puisque la notion de développement durable recouvre une triple dimension : économique, sociale, et environ-nementale, l’acheteur public doit-il systématiquement « prendre en compte » ces trois composantes lors de la préparation de son marché ?

La question semble se poser avec d’autant plus d’acuité que nombreux sont ceux qui considèrent encore que les achats publics durables sont forcément plus onéreux et qu’un arbitrage doit par conséquent être opéré entre développement durable et contraintes budgétaires.

Saisi de ce sujet, le Conseil d’État y a apporté une réponse partielle en jugeant par une décision en date du 23 novembre 2011(10) que la prise en compte des objectifs de développement durable n’imposait pas aux acheteurs publics d’intégrer un critère relatif aux performances en matières de protection de l’environnement : « que le pouvoir adjudicateur doit, en application des dispositions précitées de l’article 5 du code des marchés publics, conci-lier, pour la détermination de la nature et de l’étendue des besoins à satisfaire, des objectifs de protection et de mise en valeur de l’environnement, de développement écono-mique et de progrès social ; que si les dispositions du I de l’article 53 lui permettent de se fonder notamment, pour attribuer le marché, sur les performances en matière de

ciation non précédée d’un appel à la concurrence en prenant en compte des objectifs de développement durable ».

(10) CE 23 novembre 2011, Communauté urbaine de Nice Côte d’Azur, req. n° 351570.

Contrats Publics – n° 170 - novembre 201644 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/

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Car il est bien évident que l’impact en termes de déve-loppement durable d’un achat public varie notablement d’une activité économique à une autre.

Et si tous les secteurs de la vie économique paraissent concernés, les objectifs à atteindre par exemple en matière environnementale, seront étroitement liés à ce qu’est l’objet même du marché : performance énergé-tique ou thermique et cycle de vie pour les bâtiments, gestion des déchets ou circuits courts pour la restaura-tion scolaire, émission de CO2 ou de NOx pour les pres-tations impliquant des véhicules terrestres à moteur comme le transport scolaire ou la collecte des déchets, recours à la dématérialisation pour les prestations intel-lectuelles, processus de production à partir de source d’énergies renouvelables pour les achats d’électri-cité, écolabels pour les fournitures bureautiques ou les produits d’entretien…

Il en va également de même des considérations en matière sociale, la nature des clauses sociales d’exécu-tion susceptibles d’être imposées dépendant par exemple du secteur d’activité concerné, de ses capacités, ou encore du marché local de l’emploi.

Car si d’une manière générale, tous les marchés sont susceptibles de comporter une clause d’exécution sociale ou de prendre en compte un aspect social, encore faut-il s’interroger sur « l’opportunité et les conséquences sur le tissu économique : certains services de prestations très spécialisées à forte dominante intellectuelle sont moins accessibles à de telles clause »(12), ou vérifier qu’il ne s’agit pas de prestations relevant de professions réglementées.

En second lieu, les acheteurs publics devront disposer d’une solide connaissance du marché des fournisseurs, afin d’une part de connaître l’ensemble des innovations en matière de développement durable, d’autre part de vérifier que la nature des exigences demandées ou impo-sées aux candidats sont adaptées au secteur concerné.

Les questions à se poser sont potentiellement nombreuses. À titre d’exemple et sans prétendre à l’exhaustivité :

– l’évaluation de la pertinence de l’acte d’achat s’effectue t-elle sur le court, moyen ou long terme ?

– la prestation achetée peut-elle être évaluée par rapport à un coût du cycle de vie, par exemple en ce qui concerne la construction d’un bâtiment qui peut produire des exter-nalités environnementales négatives en amont (extrac-tion des matières premières) et en aval (déconstruction du bâtiment) de la commande ?

– le choix d’un produit respectueux de l’environnement sera-t-il plus onéreux sur le long terme qu’un produit ordinaire ?

(12) « Commande publique et accès à l’emploi des personnes qui en sont éloignées », DAJ, Observatoire économique de l’achat public 2e édition – octobre 2015, p. 5.

protection de l’environnement, elles lui imposent seule-ment de retenir les critères permettant d’attribuer l’offre économiquement la plus avantageuse ».

Cette solution, si elle est logique, n’apporte toutefois pas l’éclairage espéré car elle n’envisage finalement le sujet que sous l’angle des modalités de choix des critères de sélection des offres, sans trancher le débat sur le terrain de la bonne définition de son besoin par l’acheteur public.

La question posée demeure donc, nous semble-t-il, toujours d’actualité, et elle a son importance si l’on consi-dère que rien n’interdit a priori qu’il puisse être reproché à un acheteur public de ne pas avoir pris en compte un objectif de développement durable qui serait intrinsèque à la commande.

Ou pour le dire autrement, il ne peut être exclu qu’une procédure de passation soit annulée au motif pris qu’une préoccupation en matière de développement durable a été omise.

Cela, à tout le moins, si l’acheteur public n’est pas en mesure d’apporter la preuve convaincante qu’il s’est bien interrogé sur la bonne définition de son besoin au regard des objectifs en matière de développement durable.

C’était d’ailleurs la position du ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie dans une réponse ministé-rielle déjà ancienne mais qui ne semble pas avoir perdu en pertinence : « Ainsi, pour chacun de ses achats, le pouvoir adjudicateur a l’obligation de s’interroger sur la possibilité d’intégrer dans son marché (spécifications techniques, cahier des charges, conditions d’exécution) ou dans la procédure de passation (sélection des candi-datures ou critères de sélection des offres) des exigences en termes de développement durable, à partir d’un seul ou de l’ensemble des trois piliers »(11).

En clair, s’il ne semble pas encore peser sur les ache-teurs publics une obligation inconditionnelle de fixation dans leurs marchés d’objectifs en matière de développe-ment durable, il n’en demeure pas moins que ces derniers doivent systématiquement s’interroger sur la possibilité d’intégrer de tels objectifs, et être en capacité de justifier le cas échéant les motifs qui les ont conduits à ne pas les prendre en compte.

La préparation d’un achat public écoresponsable

La préparation d’un acte d’achat écoresponsable suppose de l’acheteur public qu’il intègre à sa réflexion de nombreuses considérations afin de déterminer de manière précise et proportionnée les objectifs de déve-loppement durable susceptibles d’être fixés dans le cahier des charges de la consultation.

Ces objectifs dépendront, en premier lieu, du secteur d’activité concerné.

(11) Rep. min. à QE n° 25167, Jo Sénat 11 janvier 2007, p. 75.

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Mais cette « mutation de la fonction d’acheteur public »(16) qui doit désormais intégrer à sa stratégie d’achat des considérations nouvelles en matière de développe-ment durable représente, sans aucun doute, une charge de travail non négligeable et un élément de complexité supplémentaire dans l’élaboration d’une procédure de mise en concurrence.

Et c’est également, en troisième lieu, cette considéra-tion peut être plus prosaïque, qui devra guider les ache-teurs publics dans la préparation de leur acte d’achat écoresponsable.

En effet, tous les acheteurs ne peuvent pas s’appuyer sur un référent en matière de développement durable ou sur une charte de « la commande publique responsable » ou de « l’achat public responsable » comme en disposent respectivement les villes de Lyon et de Paris.

Si tel n’est pas le cas, les objectifs fixés aux candidats en matière de développement durable devront alors être facilement analysables lors de l’évaluation des offres et aisément contrôlables lors de l’exécution du marché.

Car déterminer des objectifs de développement durable pertinents, les intégrer dans la procédure de mise en concurrence dans des conditions respectueuses des prin-cipes fondamentaux de la commande publique, vérifier le bien-fondé des engagements pris par les candidats qui en cette matière nouvelle pourraient faire preuve d’une grande imagination, apprécier les moyens appropriées d’un contrôle effectif desdits engagements, constituent à n’en pas douter une remise en cause significative des pratiques des acheteurs publics.

L’arbitrage entre les différents outils juridiques mobili-sables pour prendre en compte les objectifs en matière de développement durable devra donc également inté-grer cette contrainte.

Des outils spécifiques à mobiliser au moment de la mise en œuvre de la stratégie d’achat

De l’incitation…

Les acheteurs publics disposent de deux outils juridiques désormais éprouvés pour inciter les opérateurs écono-miques à intégrer dans leur offre des propositions qu’ils souhaiteraient ambitieuses en matière de développement durable.

Le premier et peut être le plus évident tient à la défini-tion des critères de sélection des offres, le législateur ayant grandement contribué depuis le code des marchés publics de 2004(17) à faire évoluer la liste de critères régle-

(16) François Wilinski, « De l’intégration du développement durable dans les contrats de commande publique », in Contrats et Marchés publics n° 12, décembre 2011, étude 11.

(17) Le Code des marchés publics de 2004, à son article 53, a introduit la notion de « performance environnementale ».

– quel est l’état d’avancée des innovations sur le secteur concerné ?

– le marché, de par son objet, peut-il être réservé à une entreprise relevant de l’économie sociale et solidaire ?

Au-delà de ces interrogations concrètes qui permettront de définir les contours de l’acte d’achat écoresponsable, les acheteurs publics auront également à s’interroger sur la compatibilité des objectifs ainsi fixés avec le respect du principe de libre accès à la commande publique.

Car il paraît clair qu’imposer des objectifs trop ambitieux qu’un nombre seulement limité d’opérateurs écono-miques serait en mesure de satisfaire pourrait constituer une barrière illégale à l’entrée sur le marché, et par suite une atteinte au principe de libre accès à la commande publique.

En la matière, le tribunal administratif de Paris a récem-ment été amené à vérifier, à l’occasion d’une procédure en référé précontractuel, que le recours obligatoire à des véhicules propres (excluant par principe l’usage de véhicules à motorisation diesel) pour la réalisation de prestations de transport scolaire n’était pas constitutif d’une restriction illégale au libre accès à la commande publique(13).

Et si la procédure de passation a été validée compte tenu du nombre d’offres effectivement déposées, le juge a néanmoins relevé que la spécification ainsi imposée avait eu pour effet « de limiter la concurrence ».

Pour éviter un tel risque, et plus largement pour adapter au mieux les objectifs en matière de développement durable au secteur d’activité concerné, les acheteurs publics pourront opportunément recourir à la pratique du sourçage désormais prévue à l’article 4 du décret du 25 mars 2016(14).

Ce qui sera l’occasion d’appréhender au mieux le niveau de maturité du secteur économique concerné par exemple en matière de performance environnementale, et le cas échéant de justifier de la proportionnalité des objectifs imposés aux candidats.

Le récent guide sur l’achat public durable(15) fait d’ailleurs de « la participation des acheteurs à des salons profes-sionnels, la collecte de documents techniques, de cata-logues, de revues spécialisées, les rencontres sur le terrain... » un des leviers de la réussite d’un achat public durable.

(13) TA Paris Ord. 21 janvier 2016, Sté Transports Andrieux, req. n° 1521405/7-4.

(14) L’article 4 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 précise « [qu’] afin de préparer la passation d’un marché public, l’acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences ».

(15) Association des acheteurs publics, 7 janv. 2015, Guide pratique de l’AAP, prec.

Contrats Publics – n° 170 - novembre 201646 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/

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Peut-on en effet concevoir que pour un achat public, un critère environnemental ou social représente 70 % de la note finale ?

La question, certes non encore tranchée par la jurispru-dence, semble néanmoins devoir recevoir une réponse négative, la pondération devant rester en adéquation avec l’objet du marché, et le juge s’étant même à l’occa-sion d’un recours en référé précontractuel, autorisé à en contrôler la pertinence(21).

Enfin, s’agissant d’un critère éminemment subjectif, on rappellera qu’une exigence de précision est attendue du pouvoir adjudicateur(22) qui doit fournir « des indications sur ses attentes en la matière »(23), ce qui implique, par exemple, s’agissant d’un critère relatif à la « produc-tion d’un bilan carbone », que l’acheteur public précise, compte-tenu de l’existence d’une multiplicité de méthodes de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre, le contenu exact du bilan et ses modalités d’appréciation(24).

Les variantes constituent le second outil permettant aux acheteurs publics d’inciter les candidats (sans les contraindre) à intégrer au stade de l’élaboration de leurs offres des objectifs à caractères sociaux et environnementaux.

Si l’utilisation des variantes environnementales ou sociales demeure résiduelle(25), une personne publique peut tout à fait autoriser les candidats à modifier, à leur initiative, certaines clauses environnementales ou sociales du marché, par exemple afin qu’ils proposent une part plus importante d’emplois de chômeurs de longue durée que celle imposée par le cahier des charges du marché.

…À l’obligation

La clause d’exécution sociale ou environnementale, progressivement consacrée par le législateur dans les

(21) TA Paris ord., 30 octobre 2008, Groupement d’information et de soutien des immigrés, req. n° 0816312.

(22) V. par exemple, pour une telle exigence de précision s’agis-sant d’un critère environnemental : CJCE 4 décembre 2003, Sté EVN AG, aff. C-448/01, point 58 : « le fait que le pouvoir adjudica-teur a omis de préciser dans l’appel d’offres quelle était la période pour laquelle les soumissionnaires devaient indiquer la quantité d’électricité de sources renouvelables qu’ils pouvaient fournir pourrait constituer une violation des principes d’égalité de traite-ment et de transparence, au cas où il s’avérerait que cette omis-sion a rendu difficile ou même impossible aux soumissionnaires de connaître la portée exacte du critère en question et d’être dès lors en mesure de l’interpréter de la même manière ».

(23) CE 28 avril 2006, Cne de Toulouse, req. n° 280197.

(24) CE 15 février 2013, Sté Derichebourg, req. n° 363921.

(25) Selon les résultats d’une enquête réalisée par la Direction des affaires juridiques du ministère en charge de l’Économie et des Finances auprès de 612 acheteurs publics, moins de 10 % d’entre eux auraient recours à des variantes sociales ou environnemen-tales – Voir La Lettre de l’Observatoire Économique de l’Achat Public (OEAP), n° 22, octobre 2011, 21 p.

mentaires pour permettre une prise en compte accrue des problématiques environnementales et sociales.

La jurisprudence communautaire avait d’ailleurs reconnu de longue date « la possibilité pour le pouvoir adjudica-teur d’utiliser des critères relatifs à la préservation de l’environnement dans le cadre de l’appréciation de l’offre économiquement la plus avantageuse »(18).

Désormais, presque la moitié des critères réglementaires de l’article 62 du décret du 25 mars 2016 sont en lien avec la satisfaction d’objectifs directement ou indirectement liés au développement durable, qu’il s’agisse de « l’ap-prentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l’environne-ment, de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture, d’insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ».

Y ajoutant la possibilité pour les acheteurs publics de prendre en compte au titre du critère prix, le coût du cycle de vie de la prestation commandée, afin d’inclure la prise en compte des coûts « internes » mais également de l’ensemble des externalités liées à la réalisation de la prestation.

La liste des critères réglementaires de l’article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 est désormais suffisamment complète pour que les acheteurs publics puissent y trouver les moyens pertinents, objectifs, et non discriminatoires d’un choix valorisant les actions en matière de développement durable.

Les pouvoirs adjudicateurs devront néanmoins veiller à sélectionner des critères en lien avec l’objet du marché, un critère lié par exemple « à la politique social d’une entreprise » et qui ne s’intéresse par conséquent pas aux mesures spécifiques mises en œuvre pour l’exécution du marché, étant à cet égard jugé illégal(19).

Étant précisé que cette règle de bon sens continue de s’appliquer même si par la suite le Conseil d’État semble avoir consacré une « présomption de légalité » des critères sociaux, en jugeant que « dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché qui, eu égard à son objet, est susceptible d’être exécutée, au moins en partie, par des personnels engagés dans une démarche d’in-sertion, le pouvoir adjudicateur peut légalement prévoir d’apprécier les offres au regard du critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté, dès lors que ce critère n’est pas discriminatoire et lui permet d’apprécier objectivement ces offres »(20).

En la matière, l’une des interrogations persistantes concerne la pondération retenue.

(18) CJCE 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland Oy Ab, aff. C-513/99, pt 57.

(19) CE 15 février 2013, Sté Derichebourg Polyurbaine, req. n° 363921.

(20) CE 25 mars 2013, Département de l’Isère, req. n° 364950.

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Selon une logique similaire aux clauses environnemen-tales et sociales, les acheteurs publics pourront égale-ment fixer des spécifications techniques comportant des caractéristiques environnementales, par exemple en référence à un écolabel, pour autant, comme le rappel-lent les dispositions de l’article 10 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, que les exigences ainsi fixées soient fondées « sur des critères objectivement vérifiables et non-discriminatoires » et qu’elles soient « accessibles à toute personne intéressée », ce qui implique que les candidats puissent utiliser tout moyen de preuve permet-tant d’établir la conformité de leur offre aux spécifications techniques du marché.

Au-delà des clauses d’exécution, l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 a confirmé la possibilité pour les acheteurs publics de réserver certains marchés publics « aux opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés »(30) et l’a étendu aux structures d’insertion par l’activité économique et aux entreprises de l’économie sociale et solidaire(31) pour les marchés des services de santé, sociaux et culturels(32).

S’il ne s’agit pas d’une dispense de mise en concurrence, seules ces structures pourront répondre au marché, l’adoption d’un tel dispositif confirmant un peu plus l’inté-gration croissante des considérations d’ordre social dans le droit de la commande publique.

ConclusionChaque nouveau texte réglementant la commande publique contribue à préciser les contours de ce qu’est ou doit être un acheteur public.

On avait compris que l’acheteur public est celui qui a pour mission principale de contribuer à l’efficacité de la commande publique et d’assurer la sécurité juridique des procédures de passation des contrats publics.

Progressivement cette activité évolue vers un « mana-gement » des achats qui implique la prise en compte de nouveaux objectifs, au premier rang desquels ceux en matière sociale et environnementale.

Longtemps réduit à un rôle de « cost killer », le métier d’acheteur public est en pleine évolution, et implique une professionnalisation accrue pour associer à la rigueur juridique attendue, la connaissance précise d’objectifs de développement durable qui est désormais indispen-sable pour maîtriser la complexité d’un acte d’achat éco et socio-responsable.

(30) Article 36 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015.

(31) Définies par l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014.

(32) Article 37 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015.

codes des marchés publics de 2004 puis de 2006, est aujourd’hui devenue la voie traditionnelle – et privilé-giée – pour contraindre le titulaire d’un marché public à prendre en compte « des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi »(26).

Il en résulte qu’en matière sociale et environnementale, le pouvoir adjudicateur peut de lui-même fixer le niveau d’exigence qu’il souhaite voir atteint lors de l’exécution du marché, le recours à de telles clauses étant désormais facilité par la précision selon laquelle « sont réputées liées à l’objet du marché public les conditions d’exécution qui se rapportent aux travaux, fournitures ou services à fournir en application du marché public, à quelque égard que ce soit et à n’importe quel stade de leur cycle de vie, y compris les facteurs intervenant dans le processus spécifique de production, de fourniture ou de commer-cialisation de ces travaux, fournitures ou services ou un processus spécifique lié à un autre stade de leur cycle de vie, même lorsque ces facteurs ne ressortent pas des qualités intrinsèques de ces travaux, fournitures ou services »(27).

Dès lors que le lien avec l’objet du marché sera établi, les acheteurs pourront avoir recours à une grande diversité de clauses, comme l’insertion des personnes éloignées de l’emploi, la prévention de l’absentéisme, la préven-tion des conflits, la promotion du commerce équitable, la réduction des gaz à effet de serre, l’obligation de limiter ou de recycler les emballages, le recours à des approvi-sionnements en circuit court, la fourniture ou l’utilisation de produits issus du commerce équitable…

Les acheteurs publics devront néanmoins veiller à ce que la clause d’exécution ne soit pas directement ou indirectement discriminatoire, ce qui est par exemple le cas d’une référence à une zone d’habitation déterminée pour l’emploi du public concerné ou encore de l’exclu-sion des entreprises ayant recours au contrat nouvelle embauche(28).

De même, une attention particulière devra être portée à l’équilibre de la mesure ainsi imposée.

En effet, l’acheteur public doit s’assurer que les exigences fixées en matière sociale et environnementale soient proportionnées, autrement dit qu’elles puissent être satisfaites par le plus grand nombre d’opérateurs écono-miques, des objectifs trop ambitieux pouvant conduire à un effet d’éviction et au résultat finalement paradoxal de l’exclusion de certaines entreprises et notamment des TPE – PME, alors même que plusieurs rapports ont mis en évidence le rôle décisif que ces acteurs doivent jouer dans le développement des achats écoresponsables(29).

(26) Article 38 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 rela-tive aux marchés publics.

(27) Ibid.

(28) TA Bordeaux 5 décembre 2006, Assoc. permanente des chambres de métiers.

(29) Rapport France Stratégie ; « Compétitivité et développement durable – l’enjeu des TPE/PME », novembre 2014.

Contrats Publics – n° 170 - novembre 201648 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/

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