la pensee economique coloniale dans l’Œuvre de marx...

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LA PENSEE ECONOMIQUE COLONIALE DANS L’ŒUVRE DE MARX ET ENGELS Il s’agit pour nous de présenter la pensée économique coloniale de Karl Marx et de Fédrich Engels dans ses traits essentiels. Nous ne voulons pas résumer cette pensée, mais l’exposer autant que possible, dans ses articulations, dans sa constitution interne. D’abord quelques remarques à propos des termes colonies, colonial et colonisation. I- PRECISIONS DE TERMES Nous avons trouvé deux références dans l’œuvre qui nous précisent ce que les auteurs entendent par colonies : Il y a un premier sens, celui usité par les économistes du XIXème siècle et qui entend par colonies, les colonies de peuplement : « il s’agit de colonies proprement dites comme aux Etats-Unis, en Australie etc... . Dans ce cas, la masse des colons cultivateurs, bien qu’ils apportent de la métropole des capitaux plus ou moins importants, n’est pas une classe de capitalistes, pas plus que leur production n’est capitaliste .» (1). Puis Marx ajoute : « Dans le deuxième type de colonies - plantations-, de prime abord des formes de spécialisation commerciale produisent pour le marché mondial, c’est la production capitaliste qui existe, bien que formellement seulement, puisque l’esclavage des noirs exclut tout travail salarié libre, donc la base de la production capitaliste. (2) L’auteur fait la distinction entre colonies de peuplement et colonies d’exploitation : Dans les premières, les populations européennes s’y sont installées à la faveur de circonstances historiques très particulières. Dans les deuxièmes, il y a présence de populations autochtones. Mais la distinction entre les deux sens du terme n’est cependant pas très rigoureuse.

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LA PENSEE ECONOMIQUE COLONIALE DANS L’ŒUVRE DE MARX ET ENGELS

Il s’agit pour nous de présenter la pensée économique coloniale de Karl Marx et de Fédrich Engels dans ses traits essentiels. Nous ne voulons pas résumer cette pensée, mais l’exposer autant que possible, dans ses articulations, dans sa constitution interne. D’abord quelques remarques à propos des termes colonies, colonial et colonisation. I- PRECISIONS DE TERMES Nous avons trouvé deux références dans l’œuvre qui nous précisent ce que les auteurs entendent par colonies : Il y a un premier sens, celui usité par les économistes du XIXème siècle et qui entend par colonies, les colonies de peuplement : « il s’agit de colonies proprement dites comme aux Etats-Unis, en Australie etc... . Dans ce cas, la masse des colons cultivateurs, bien qu’ils apportent de la métropole des capitaux plus ou moins importants, n’est pas une classe de capitalistes, pas plus que leur production n’est capitaliste .» (1). Puis Marx ajoute : « Dans le deuxième type de colonies - plantations-, de prime abord des formes de spécialisation commerciale produisent pour le marché mondial, c’est la production capitaliste qui existe, bien que formellement seulement, puisque l’esclavage des noirs exclut tout travail salarié libre, donc la base de la production capitaliste. (2) L’auteur fait la distinction entre colonies de peuplement et colonies d’exploitation : Dans les premières, les populations européennes s’y sont installées à la faveur de circonstances historiques très particulières. Dans les deuxièmes, il y a présence de populations autochtones. Mais la distinction entre les deux sens du terme n’est cependant pas très rigoureuse.

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(1) (2) K. Marx. Théories sur la plus value, Tome II, p.347,348, Paris 1975.

Le contenu a déjà été forgé par toute la tradition de l’économie politique bourgeoise depuis l’apparition en Europe des courants mercantilistes des seizième, dix septième jusqu’au dix neuvième siècle où le terme colonie est utilisé par E.G.Wakefield qui représente les partisans de la « la colonisation systématique » (3). Cette distinction entre ces deux types de colonies est adoptée aussi par F. Engels dans une lettre adressée à Kautsky le 12 Septembre 1882. Il s’interroge sur le devenir de ces pays et sur les modalités de leur libération de la domination coloniale. (4) Dans la suite de cette recherche, nous nous référons à ce que Marx écrit en note du 1er livre du Capital : ».*** Dans les colonies, il en est tout autrement... (puis en note), dit-il, il s’agit ici de colonies réelles, d’un sol vierge colonisé par les émigrants libres. Les Etats-Unis sont encore, au point de vue économique, une colonie européenne. On peut aussi du reste faire entrer dans cette catégorie les anciennes plantations dont l’abolition de l’esclavage a depuis longtemps radicalement bouleversé l’ordre imposé par les conquérants » (5). Nous nous tiendrons à ce dernier sens et nous remarquerons sans doute, au fur et à mesure de cette réflexion, que la recherche de Marx sur les colonies concerne en fait l’ensemble des pays qui sont sous la domination directe du capitalisme étranger. De plus, l’utilisation du terme colonial, comme dans la pensée économique coloniale, signifie pour nous une pensée économique relative aux colonies. Nous n’y mettons aucune consonance idéologique. Il faut distinguer entre colonial et colonialiste. (3) K.Marx.Le Capital, Tome I . Chap XXXIII, La théorie moderne de la colonisation. Ed.du progrès 1982, p.731 (4) Textes sur la colonialisme. Ed.Moscou.Correspondance.F.Engels-Kautsky

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(5) K.Marx. Le Capital. Tome I.Op .Cité, p.731

Du temps de Marx et Engels, et avant le XIXème siècle, nous n’avons pas rencontré dans nos lectures l’utilisation du terme de colonialisme. Ce dernier, pensons nous, naîtra pendant le XXème siècle, lorsque la domination coloniale se systématise et s’intensifie sous l’effet du développement du capitalisme et son passage au stade de l’impérialisme. Pendant le XIXème siècle, c’est le terme colonisation qui prédomine dans la littérature économique bourgeoise. Tandis que dans la littérature marxienne, le terme de colonisation signifie domination d’un pays colonisateur sur un autre. Il suffit de prendre l’exemple de l’Irlande. Ceci est un premier point qui précise le sens des termes. UN deuxième point important consiste à délimiter le cadre temporel dans lequel Marx pense les colonies et le problème colonial. 2- QUAND MARX ET ENGELS ONT-ILS ECRIT SUR LES COLONIES ? Ils ont écrit sur les colonies selon un rythme quasi ininterrompu entre 1846 et 1894. Ces deux dates sont importantes ; d’une part 1846, date d’ achèvement de la rédaction de l’idéologie allemande - qui sera publié qu’en 1932 - et 1894 date achèvement par F.Engels de la rédaction du livre III du Capital. Il serait utile d’établir une chronologie détaillée de ces écrits sur les colonies. Ce qui contribuerait d’une part à créer les conditions d’une étude approfondie de ces travaux, et d’autre part pour redonner sa place à cette réflexion dans l’œuvre, car nous pensons qu’au sein de la pensée marxiste, il y a eu en effet et il y a encore une sous estimation de l’importance de la pensée économique coloniale qui nous a été léguée par ces auteurs. Pour situer ces travaux, nous nous référons à deux cadres de références complémentaires l’un de l’autre :

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a) La situation des travaux ou des réflexions de Marx-Engels sur les colonies par rapport aux oeuvres de ces auteurs.

b) La situation des travaux sur les colonies par rapport au contexte historique de la période pendant laquelle ces travaux ont été écrits. Nous prenons bien sûr en considération la date de l’écrit et non la date de publication de l’écrit, car la date de l’écrit date mieux la pensée.

- La réflexion sur les colonies dans les travaux de

Marx-Engels. Par rapport au premier cadre de référence, nous avons l’ensemble des écrits ou des développements sur les colonies qui ont été faits pendant les années quarante du XIXème siècle : Premier ensemble : A. Il s’agit principalement des travaux suivants au sein desquels nous trouvons des réflexions sur les colonies :

1./ K.Marx : Les Manuscrits de 1844 - Economie politique et philosophie(T.2 des oeuvres en langue russe) 2./ K.Marx- F.Engels : La sainte famille(1844, t2). 3./ F.Engels ; La situation de la classe laborieuse en Angleterre(1844-1845, T2). 4./F.Engels : « Umrisse zu einer kritik der nationalökonomie » (1844 ,T1) 5./K.Marx-F.Engels : L’ idéologie allemande(1845_1846, T4). 6./K.Marx : Misère de la philosophie-1847). 7./K.Marx : Travail salarié et capital(1848, T4)

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8./K.Marx : Le discours sur le libre échange(1848, T4). 9./ K.Marx -F.Engels : Le manifeste du parti communiste (1848, T4). Pendant cette période et compte tenu des lectures que nous avons faites, la pensée économique coloniale est centrée sur les aspects pré-manufacturiers et manufacturiers de la domination coloniale par le capitalisme européen, surtout hollandais et anglais. Deuxième ensemble : B. Toujours dans ce premier cadre de référence à savoir pendant les années cinquante, soixante, soixante dix, jusqu'à la mort d’Engels en 1895 se succèdent les différentes rédactions du capital :

1./ Le premier manuscrit de 1847-58, connu sur le titre abrégé de « Grundriss », ou fondements... 2./ Contribution à la critique de l’économie politique(1847). 3./ Les manuscrits économiques (1861-1863). 4./ Le troisième manuscrit économique(1863-1865). 5./ Les théories sur la plus-value. 6./ Le Capital dans sa forme définitive avec la rédaction par Marx du Livre 1 (1867) et par Engels des Livres II et III en 1894, à partir des manuscrits laissés par Marx. Dans ce deuxième ensemble théorique, il semble, dans cette deuxième partie, qu’il s’agisse de réflexions sur l’économie politique des colonies ou encore de l’économie politique des colonies ou encore de l’économie politique du capitalisme et de ses effets de domination sur les colonies.

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Troisième ensemble : C. Le troisième ensemble de réflexions et de travaux dans lesquels nous trouvons une pensée économique coloniale est constitué :

- par des travaux qui portent directement sur des continents ou des pays appartenant au « tiers monde » actuel ou sur des pays tels que l’Inde, l’Irlande, la Chine, l’Algérie et d’autres ou encore sur les pays colonisateurs. Dans cette partie, la pensée de Marx-Engels cerne de près la politique coloniale, sa stratégie de domination et d’exploitation, les formes de conquête, d’annexion et les mouvements de luttes sociales contre cette domination et cette exploitation. Il y a là des pages admirables d’une étonnante actualité, mais il n’y a pas que cela ; Marx et Engels n’examinent pas le problème colonial et la situation des colonies seulement dans un « tête à tête « avec le capitalisme étranger qui les domine politiquement et économiquement. Ils s’interrogent sur le devenir de ces sociétés en prenant en considération non seulement les données alors présentes de la domination mais aussi l’état des structures économiques et sociales pré-coloniales et sur lesquelles repose aussi l’édifice de domination du capitalisme étranger. C’est une réflexion sur l’avenir à partir de la prise en considération du devenir de ces pays. Un autre aspect de la réflexion marxienne sur lequel on ne se penche pas ou presque pas est la critique de l’économie politique bourgeoise et ses incidences sur les colonies. Il y a chez Marx-Engels une critique de l’histoire de la pensée économique colonialiste *, avec toutes ses nuances que ce terme peut avoir. Il s’agit là de tous les économistes bourgeois et petits bourgeois partisans à des degrés divers, de la domination du capitalisme étranger sur les colonies.

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D’une façon générale, la réflexion sur les colonies n’est pas exclusivement économique ou économiste. Elle rejoint aussi par ses questionnements, toute la réflexion et la recherche de ces deux auteurs sur les conditions historiques de la naissance du développement et du déclin des formations sociales. •••• En entendant par là, les économistes qui sont pour le maintien et l’extension des formes multiples de la domination des pays et des continents par le capitalisme en voie d’expansion.

Il s’agit pour cette période surtout des pays capitalistes européens. a. Quelques précisions d’ordre méthodologique. Dans ce deuxième cadre de référence, il faut aussi situer les travaux de Marx-Engels sur les colonies à deux niveaux de réflexion méthodologique : Le premier consiste à situer le problème colonial dans les conditions historiques de la formation, du développement et du déclin du capitalisme. Mais la duré historique de vie des colonies est plus courte que celle du capitalisme européen pour plusieurs raisons. Il faut alors distinguer entre les conditions générales du développement. (6) Une traduction de cinquante volumes a été achevée en anglais tandis que la traduction en langue arabe se trouve au treizième volume à partir de la traduction en langue russe. Si cette traduction n’a pas été arrêtée, il est possible que d’autres volumes aient vu le jour. Du capitalisme

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européen et les fonctions économiques et sociales des colonies dans l’accélération et le développement de ce capitalisme.

Marx est très clair sur ce point. Il faut donc éviter de confondre entre processus économique général et processus économique particulier, afin d’éviter d’occulter des situations historiques différentes. Ce que ne fera pas par ailleurs l’économie politique bourgeoise. Marx et Engels, avons nous dit, écrivent et pensent les problèmes des colonies entre 1846 et 1894. Pendant cette période, le capitalisme se développe à un rythme intensif. L’Angleterre a pris une avance historique grâce au développement des forces productives que lui ont conférée la réussite et le triomphe de la révolution industrielle. A ce développement intensif et fort inégal entre pays capitalistes européen et à l’intérieur de chacun d’eux, il y a un développement extensif de ce capitalisme par l’expansion coloniale des principaux pays colonisateurs. C’est cette relation entre développement intensif interne et développement extensif externe, représenté par l’expansion coloniale, que Marx et Engels analysent pendant cette période. De l’intensif et de l’extensif dans le capitalisme et dans les colonies. Quelques explications : Nous entendons par développement intensif interne du capitalisme, le développement prioritaire des forces productives et des rapports de production par l’accroissement de la productivité du travail. Le développement extensif se fait par l’extension des forces productives et des rapports capitalistes de production à la suite de restructurations dues à des rapports politiques capitalistes nouveaux. Ce processus caractérise l’ensemble des pays capitalistes européens dans lesquels triomphent les révolutions bourgeoises. Le développement extensif du capitalisme commence avec l’accumulation primitive du capital et prend fin à l’intérieur des pays capitalistes quand il est relayé progressivement par des acquis et les applications scientifiques et techniques de la révolution industrielle. Le

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développement prioritaire d’un aspect ne signifie pas l’élimination de l’autre. Il s’établit toujours un rapport prédominant de l’extensif sur l’intensif ou inversement et qui donne une synthèse nouvelle dans la formation économique et sociale du capitalisme à une période déterminée de son histoire. Par contre, le développement extensif externe du capitalisme européen est, du point de vue des peuples colonisés, ce processus d’expansion colonial qui s’insère ou trouve une place spécifique aussi bien dans le processus de développement extensif que dans le processus intensif de ce capitalisme. Il y a alors un ensemble de hiérarchies et de synthèses qui résultent de ces situations historiques différentes sur les colonies. Il faudrait entreprendre des recherches plus approfondies dans le domaine de l’histoire économique du capitalisme et des colonies pour leur trouver leurs supports réels et leurs expressions concrètes. Est-il possible de tenter une préconisation de cette domination ?

1- L’étape de développement extensif interne du capitalisme engendre un profil de domination coloniale et un type de rapports de production dans les colonies. Le profil de domination et le type de rapports de production engendrés par ce capitalisme dans les colonies, pendant cette étape de son développement extensif, est le résultat d’une synthèse qui se fait entre la superstructure du capitalisme colonisateur et les rapports économiques et sociaux préexistants dans les colonies. Le moyen par lequel se fait cette synthèse est la politique de domination ainsi que la politique économique que le capitalisme étranger cherche à concrétiser sur le terrain de la colonie, à son seul profit, pendant cette étape extensive de son développement.

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Cette synthèse n’est alors autre que le résultat du rapport qui s’est établi pendant cette étape entre l’exigence de développement extensif interne du capitalisme et son développement extensif externe qui prend la forme dune expansion coloniale. Nous tenterons d’illustrer ces différents aspects de ce rapport en cherchant des exemples dans l’œuvre de Marx-Engels. 2- La deuxième étape, celle du développement intensif interne du capitalisme entretient une autre approche avec le processus de développement extensif externe du capitalisme dans les colonies Cette deuxième étape se caractérise par une autre disposition, une redisposition des composants de la superstructure du capitalisme étranger. Les forces militaires et extra - économiques prennent un recul tactique et stratégique par rapport aux mécanismes politiques et économiques de domination et d’exploitation des colonies. Durant cette étape, il s’agit pour le capitalisme étranger de détourner, de dévier les processus de développement et faire que les colonies ne puissent pas passer à la phase intensive de développement de leurs forces productives et de leurs rapports de production. La synthèse qui se fait à partir du rapport de domination qui s’établit entre l’exigence du développement intensif interne du capitalisme étranger et la nécessité du maintien de son développent extensif externe dans les colonies, donne naissance à un ensemble de rapports « économiques et sociaux légèrement différents de ceux qui se forment durant la première étape. Les formes d’exploitation économiques directes semblent prédominer par rapport aux formes extra-économiques, militaires ou autres, violentes qui maintiennent avec la force le processus d’exploitation de la colonie pendant la première étape du développement extensif externe du capitalisme. Ceci est explicable par plusieurs causes dont la principale, à notre avis, est que pendant la seconde étape, une « greffe » économique et sociale s’est faite, greffe préparée pendant la première étape qui a pour objectif de déstructurer les structures pré-capitalistes et

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d’amorcer une réorientation de certaines d’entre elles selon la logique voulue par le développement intensif interne du capitalisme étranger. C’est dans ce cadre méthodologique que nous allons inscrire la suite de nos réflexions en tentant de « traverser » une partie de l’œuvre de Marx-Engels, et tester ainsi l’approche proposée.

L’œuvre de Marx-Engels est à la fois riche et aussi pour cette raison qu’il est plus juste de parler de l’existence de niveaux hiérarchisés de connaissance de cette œuvre. Nous pensons que la pensée économique coloniale de ces auteurs, au lieu d’être un corps de connaissance isolé, - comme très souvent on a tenté de le faire croire, dans la littérature marxiste -, est un corps de connaissance qui a une place logique et historique aussi bien dans le corps théorique de l’économie politique que dans la théorie de l’histoire propres à ces deux développerons ce point plus tard. En attendant, il y a des développements intermédiaires qu’il faut faire d’abord à ce niveau.

3- Examen de la démarche de Marx-Engels par rapport au contexte historique du capitalisme européen.

Pour faire ressortir les différents moments méthodologiques mentionnés ci-dessus, il est important de mettre en lumière les indications de Marx -Engels sur les rapports de production qui caractérisent le pays ou plus exactement un certain nombre de pays à la veille de la colonisation. Nous savons que cette partie de l’œuvre de Marx -Engels, en apparence inégale et insuffisante, demeure encore insuffisamment connue. Il est vrai que nous avons des indications précises et fort détaillées sur l’Inde surtout, sur l’Algérie ou encore aussi sur l’Irlande. De plus, la connaissance du continent asiatique se trouve plus poussée que la connaissance de l’Afrique.

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A cela, il y a plusieurs raisons : a - pour avoir une idée définitive de l’étendue de la connaissance par Marx-Engels des pays et des continents avant ou à la veille de la domination coloniale, il faut pousser l’effort systématique de lecture des « archives de Marx-Engels », qui comportent cinq volumes consacrés à l’histoire des peuples, des dynasties, des états non seulement l’insertion de la pensée économique, coloniale, non pas seulement européens, mais aussi non européens. Cet aspect de l’œuvre doit nous penser à chercher l’insertion de la pensée économique, coloniale, non pas seulement dans la théorie économique de ces auteurs, mais chercher à voir la relation entre colonies et pré - capitalisme. Le pré - capitalisme ayant fait l’objet d’études, de la part de ces auteurs, il trouve sa place dans la conception marxienne de l’histoire. b- la connaissance insuffisante de l’Afrique sub-saharienne souvent mentionnée par certains critiques de Marx-Engels, doit nous pousser à confirmer cette objections.

En effet, la connaissance de l’Afrique pendant les années 50 du XIXème siècle se faisait par l’ouvrage de « Vigand’s Conversation Lexicon », publié en plusieurs volumes en 1846 à Leipzig. Cette source a été une référence pour la rédaction par Marx-Engels de certains articles, dont celui sur l’Algérie écrit par Engels le 17/09/1857. Il faut ajouter que l’étude du problème colonial par ces auteurs s’est faite aussi par le moyen des lectures critiques des sources d’information et de documentation fournies par les institutions de la bourgeoisie. La connaissance des pays colonisés, par la bourgeoisie des pays capitalistes, se faisait pendant cette période à un rythme lent, au fur et à mesure de la pénétration de ces pays par le capital qui utilise les moyens militaires, politiques et diplomatique mis à sa

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disposition. Entre 1846 et 1894 la pénétration des colonies par le capital de certains pays européens est loin d’être achevée. C’est pour cette raison d’ailleurs que l’information sur les colonies est inégales d’un contient à un autre. Marx et Engels, dans le suivi du développement de la question coloniale, ont toujours accordé une grande attention aux moments où les luttes de classes autour du problème colonial sont les plus fortes et les plus intenses pendant cette période historique. C’est surtout le capitalisme anglais qui surpassait les autres capitalismes des autres pays par plus de dynamisme et par plus d’agressions, d’invasions contre le contient asiatique surtout. Il est donc tout à fait logique qu’il y ait plus de littérature sur les colonies asiatiques et sur l’Asie en générale pendant cette période. Pour ce qui est l’Afrique et en faisant abstraction de l’Afrique et en faisant abstraction de l’Afrique du nord, qui semble tenir une place particulière par rapport à l’Afrique sub- saharienne, dans l’œuvre de Marx - Engels, il faudra faire remarquer que le contient africain, dans la stratégie du capitalisme du XIXème siècle, semble remplir la fonction de réserve du système capitaliste colonial pendant cette période. La conquête sub- saharienne se fera d’une façon systématique par les principaux pays capitalistes européens entre 1880 et 1914, si l’on excepte bien sûr l’Afrique du sud. Ceci n’exclut pas que l’Afrique noire ait été implantée dans le système colonial au début de sa formation, à partir du XVIème siècle par la traite des esclaves. Ce problème sera soulevé et étudié par Marx - Engels dans les développements sur l’accumulation primitive du capital ? La fonction de l’esclave et de l’esclavage dans les colonies est à classer dans le processus d’extension externe du capitalisme, dans les colonies.

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Donc l’étude des colonies par Marx-Engels se situe, non pas comme on l’a cru ou comme parfois on a tenté de le faire croire dans la relation exclusive capitalisme-colonies. Cette raison est réelle, mais elle n’est pas unique. La conception marxienne du problème colonial se situe aussi bien dans une relation avec le pré-capitalisme, sans oublier pourtant toutes les interrogations de Marx-Engels sur l’avenir des colonies, une fois celles-ci libérées du joug colonial. Réflexion sur les rapports de production dans les colonies à la veille de la domination capitaliste : pré- capitalisme et domination coloniale.

La conquête des colonies et leur domination par les capitalistes rencontre non seulement l’existence, mais aussi la résistance de rapports communautaires de production. Il est vrai que Marx prend comme exemple surtout l’Inde ou encore aussi le continent asiatique pour analyser ce type de rapports. Par exemple, la propriété communautaire se fonde sur une activité économique réglée par la coopération de type pré-capitaliste. Quelles sont les caractéristiques de l’activité économique et sociale de ces rapports communautaires de production soumis à un processus de dislocation de la part de la domination capitaliste étrangère ? Marx étudie une formation sociale pré-capitaliste de type asiatique où la base économique est faite par l’union immédiate de l’agriculture et du métier. Une division du travail invariable ou stationnaire, une taille de la propriété agricole de 100 à quelques 1000 acres, avec un procès de production autosuffisant, où la plus grande partie du produit est destinée à la consommation immédiate de la communauté. L’excédent seul des produits se transforme en marchandise et va d’abord entre les mains de l’Etat. Ces communautés revêtent diverses formes dans différentes parties de l’Inde, sous la forme la plus simple, la culture qui se fait en commun aboutit au partage des produits entre les membres.

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Pour ce qui est des éléments de la superstructure, il faut mentionner un certain nombres de fonctions telles le juge, le chef de police et le percepteur des impôts. Tandis que le teneur de livres règle les comptes de l’agriculture et du cadastre. D’autres fonctions telles la protection des voyageurs étrangers, la poursuite des criminels ou encore celui qui empêche les empiètements des communautés voisines sur les territoires d’autres communautés. Ajouter à cela l’inspecteur des eaux, l’homme de culte, le maître d’école, le forgeron, le charpentier...

Marx nous décrit avec beaucoup de détails et de précisions l’organisation à la fois économique et sociale de ce type de formation sociale où la « structure des éléments économiques fondamentaux de la société reste hors des atteintes de tous les tourments de la région politique » (7) ou encore « la simplicité de l’organisme productif de ces communautés qui se suffisent à elles même, se reproduisent constamment sous la même forme, et une fois détruites accidentellement, se reconstituent au même lieu et avec le même nom, nous fournit la clé de l’immutabilité des sociétés asiatiques, les changements violents de leurs dynasties (8). Il faudrait cependant éviter de croire en l’uniformité des rapports de production dans les pays qui seront soumis à la domination capitaliste coloniale. Marx constate l’existence d’une diversité de rapports de propriété dans ces pays, où les rapports de propriété communautaires, avec leurs deux types principaux, à savoir la communauté rurale et la communauté dans les villes, les villages, seront soumis à l’extension capitaliste coloniale dont l’objectif est d’aboutir à une nouvelle synthèse de rapports capitalistes coloniaux de production. Mais avant d’arriver à ce point, il serait important de donner une idée de cette diversité des rapports de propriété, et parfois des rapports de production dans les pays qui seront colonisés : (7) K. Marx, le capital, tome 1, Ed du progrès, p. 347 (8) K. Marx, le capital, tome 1, Ed du progrès, p. 347

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4- Il y a une diversité de modes de production que l’on ne peut pas réduire seulement à des rapports communautaires de propriété : « dans les sections de son procès de circulation où le capital industriel fonctionne soit comme argent, soit comme marchandise, son cycle s’entrecroise avec la circulation marchande des modes de production sociaux les plus différents, sous la seule réserve qu’il s’agisse de production marchande. Peu importe que les marchandises soient le produit d’un système fondé sur l’esclavage ou le produit de paysans (chinois, ryots des indes), ou de communautés (indes, hollandaises) ; ou d’une production d’Etat (telle qu’on l’a rencontrée fondée sur le servage, aux époques anciennes de l’histoire russe), ou de peuples chasseurs demi-sauvages, etc… (9) 5- Le niveau de développement des forces productives dans les pays qui seront colonisés a généralement atteint ce que nous trouvons dans le stade précapitaliste de la coopération : « l’emploi sporadique de la coopération sur une grande échelle, dans l’antiquité, le moyen âge et les colonies modernes, se fonde sur des rapports immédiats de domination et de servitude, généralement sur l’esclavage. (10)

Il ressort de cette réalité que le rapport de force qui s’établira, à la faveur de la domination coloniale sur ces pays, est toujours fondé sur un décalage historique entre le niveau de développement moyen des forces productives dans ces pays, et le niveau de développement des forces productives dans le capitalisme.

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(9) K. Marx, le capital, tome 2, p. 112 (10) K. Marx, le capital, tome 1, p. 324

Ce qui n’exclut pas que des types primitifs de manufactures aient préexisté en inde et en chine, dans certaines branches de l’activité artisanale : on emploie dans l’inde, pour la même opération, instrument moitié machine, la churka, avec lequel un homme et une femme nettoient 28 livres de coton par jour. Le docteur Forbes a depuis quelques années inventé une churka qui permet à un homme et une femme de nettoyer 750 livres par jour ». (11) c- Les pays qui seront soumis à la domination capitaliste, en plus des indications données par Marx sur leurs forces productives, ainsi que sur les moyens de production utilisés qui donnent une idée sur le fonctionnement de leur procès de production, se caractérisent aussi par un ensemble de rapports de production hétérogènes qui sont historiquement situés entre les différentes formes de la propriété communautaire, en passant par l’esclavage jusqu’à l’existence de rapports de production féodaux. Il faudrait ajouter que beaucoup de pays ont subi, avant le colonialisme, d’autres formes de dominations précoloniales, qui ont façonné leurs rapports de production et aussi en ont forgé d’autres. Est-il possible alors de fonder la thèse d’une pluristructure (12) précoloniales qui a pour fonction historique d’organiser une transition et qui sera agressée par la domination capitaliste coloniale ? L’existence d’une pluristructure est déterminée par la diversité des rapports de propriété, laquelle diversité peut provenir de la dislocation des rapports communautaires entre autres, sous l’effet soit de processus économiques, soit aussi sous l’effet de contraintes extra-économiques qui transforment ou redisposent autrement ces rapports de propriété. Marx nous donne des exemples très significatifs à propos de l’Inde et de l’Algérie, avant la conquête coloniale. (11) K. Marx, le capital, tome 1, p. 375

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(12) Une multiplicité de structures économiques et sociales de natures différentes, ou comme on dit aussi une multiplicité de modes de production. En Inde, sous l’influence du droit musulman et des rapports politiques de domination pendant la conquête arabe de l’Inde, des formes de propriété ont été introduites dans ce pays, telles la propriété Wakf ou les propriétés de type féodal. Comme résultat d’un processus de féodalisation à la fois inégal et hétérogène. Marx conclue dans une partie du résumé qu’il fait de l’ouvrage de Kovalevsky à propos de l’Inde : « la politique agraire des musulmans a ainsi correspondu à l’enseignement de leurs juristes lentement aussi des parties éloignées de l’Hindoustan. Ceci est prouvé par les chroniques arabo-perses et turquo-mongoles… . (12bis) C’est dire que chaque type de domination allonge en quelque sorte la gamme des rapports de production, à condition bien sûr que ce tuype de domination soit caractérisé par sa longue durée et par une grande intensité d’intervention dans la base économique de la société dominée et de sa superstructure. Plus cette société est successivement dominée par des forces étrangères, plus ses rapports de production se diversifient et deviennent hétérogènes les uns par rapport aux autres. Ceci reste une hypothèse de travail. Mais une hypothèse de travail qui s’appuie sur des prises de position intéressantes de Marx. Un premier exemple concerne l’Inde : « le processus de déclin des unions communautaires ne se limite pas à la création de a petite propriété paysanne. Le processus d’irruption de la classe capitaliste, comme processus étranger qui prend place au sein de la propriété communautaire a pour résultat la destruction du caractère patriarcal de celle-ci et par-là même aussi le déclin de l’influence du chef de la communauté, la guerre de tous contre tous commence ». (12) et Marx ajoute plus loin : (12bis) K. Marx, texte traduit par nous du russe à partir de la 2ème Ed. des œuvres – tome 45

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« C’est pour cette raison que dans aucun pays comme l’Inde, il n’y a un nombre aussi grand de processus relatifs à la propriété foncière ». (13) En précisant plus cette hypothèse de travail, nous dirions que les pays et les sociétés qui vont être colonisés par le capitalisme étranger se caractérisent par un système de structures économiques et sociales différentes et hétérogènes, qu’il faudrait peut être introduire dans une typologie. De plus, beaucoup de pays et sociétés qui ont été colonisés, sont en fait sortis d’un type de domination précoloniale, ou précapitaliste, pour entrer sous la domination capitaliste coloniale. Ce sont là deux étapes historiques qu’il faut distinguer et prendre en considération l’une par rapport à l’autre. Ceci pour fonder la distinction entre le retard et le sous-développement. Par exemple, l’Algérie aborde la domination capitaliste coloniale française avec une pluristructure donc un ensemble de rapports de production différents et hétérogènes dont une partie a été créée et façonnée par la longue domination turque. L’absence d’études scientifiques sur la relation entre la domination séculaire turque et ses effets de dislocation des structures économiques et sociales en Algérie nous empêche dans une certaine mesure de faire ressortir avec plus de précisions les effets de perturbation, de destruction et de dislocation des structures économiques et sociales par la domination coloniale française ou européenne quand il s’agit de pays à situations historiques comparables. Nous pensons que c’est un travail qui reste à faire. (13 K. Marx, op cité, p. 18 – texte p. 213

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Est-il alors fondé de croire que la formation sociale féodale turque en déclin à partir du XVIIième siècle ; en dominant le monde arabe jusqu’au XIXième siècle engendre un retard historique de développement des forces productives et des rapports de production dans ces pays et les rend plus vulnérables à une domination capitaliste coloniale ? La thèse du retard économique et social des pays qui tombent sous la domination coloniale capitaliste existe dans l’œuvre de Marx – Engels à partir des analyses que font ces auteurs des processus de stagnation et de circularité dans les sociétés où le poids de la propriété communautaire est grand dans l’activité économique et sociale. Nous prenons un deuxième exemple, pour faire des structures économiques dans des sociétés qui vont affronter l’épreuve historique de la domination coloniale. D’une part, comme nous l’avons dit ci-dessus, la domination précapitaliste, en l’occurrence la domination turque en Algérie, contribue à créer de nouvelles structures économiques et sociales : « la dégradation des formes collectives du statut foncier, résultant ici comme partout ailleurs de causes internes, fut considérablement accélérée, chez les arabes et les kabyles d’Algérie par la conquête turque de la fin du XVIième siècle. Conformément à ses lois, le turc laissa en règle générale le pays aux mains des tribus qui l’avaient ; mais une partie importante des terres non cultivées, qui appartenaient jusque là aux tribus azib-el-beylik » (terre du bey ou « beg » - furent cultivées aux frais du gouvernement turc… . Les beys locaux reçurent à cet effet, sur les fonds des caisses d’Etat, du bétail de trait et des instruments agricoles, et la population autochtone fournit la main-d’œuvre nécessaire à la récolte.

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Cependant, la plus grande partie des terres domaniales ne reste pas sous l’administration directe du gouvernement ; elle passa entre les mains de fermiers dont une partie était tenue chaque année de verser une certaine somme d’impôts en argent aux caisses d’Etat, et l’autre de fournir certains droits et prestations en nature au profit de l’administration domaniale. (14) D’autre part, le fonctionnement particulier de la superstructure dominante turque au sein de la formation sociale précapitaliste, crée les conditions d’une reproduction à long terme du retard coloniale française. Il devient alors indispensable dans la théorie économique relative aux pays dominés, d’introduire le concept de retard économique et social, concept distinct du concept de sous développement économique et social :* « la domination turque ne conduisit nullement à une féodalisation à la manière hindoustane (à l’époque de la décadence de l’administration des Grands Mongols). Ce qui l’empêche, c’est la forte centralisation de l’administration civile et militaire d’Algérie ; celle-ci excluait la possibilité d’un accaparement héréditaire des fonctions locales et de la transformation de leur titulaires en grands propriétaires terriens quasi indépendants des Deys ». (15) (14) K. Marx, le système foncier en Algérie au moment de la conquête française. Tiré des notes prises par Marx de l’étude du livre de M. M. KOVALEVAKI, tome 45 – P. 217 * L’insistance sur une telle distinction est importante pour tous ceux qui réfléchissent et veulent apporter des solutions théoriques et pratiques aux problèmes des pays qui ont acquis leur indépendance politique. (15) K. Marx Le système foncier en Algérie au moment de la conquête française. Tiré des notes pises par Marx de l’étude du livre de M. M. Kovalevski, tome 45, p. 217.

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Si nous avons insisté sur l’existence des rapports économiques et sociaux qui caractérisent à grands traits les formations sociales précapitalistes des pays qui seront colonisés par le capitalisme, c’est surtout pour souligner le tord porté, à notre avis, à l’approche méthodologique des problèmes des pays du « tiers monde » actuels et qui a isolé, découpé le fait colonial de l’histoire précoloniale de ces pays. Il y a une dialectique du retard et du sous-développement qu’il faudrait établir pour voir plus clair dans les problèmes et leurs solutions. Si nous ne tenons pas compte de la réalité même passée des rapports de production pré-coloniaux et si nous n’essayons pas de déterminer le tracé de leurs déformations et de leurs dislocations ou destructions par la domination capitaliste coloniale, nous ne pouvons pas contribuer à créer les conditions de réussite des politiques de développement ou des politiques économiques proposées dans les contextes nouveaux des indépendances politiques. C’est dans cet ensemble de structures économiques et sociales dégradés et à bout de souffle, que beaucoup de pays régis par des types de formations sociales précapitalistes vont être forcés d’affronter une nouvelle domination capitaliste. C’est un duel entre précapitalisme et capitalisme. Ce dernier devant chercher à détruire, à amoindrir celui-là. Marx – Engels posent aussi le problème des colonies en ces termes et dans ce cadre logique et historique. Mais comment ? c’est ce que nous allons examiner. 5/ Le développement extensif externe du capitalisme pendant l’étape de l’accumulation primitive du capital et ses incidences sur la formation des colonies

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C’est pendant le XVième siècle avec les expéditions entreprises par certains pays européens pour découvrir de nouvelles parties du monde et la systématisation des méthodes de l’accumulation primitive du capital pendant les XVIIième siècles que se forgent progressivement les rapports de force entre le capitalisme naissant dans les pays européens et les autres pays qui deviendront des colonies. Marx situe, entre autres les colonies dans le processus de naissance et de développement du capitalisme : « les différentes méthodes d’accumulation primitive que l’ère capitaliste fait éclore se partagent d’abord, par ordre plus ou moins chronologique, le Portugal, l’Espagne, la Hollande, la France et l’Angleterre, jusqu’à ce que celle-ci les combine toutes, au dernier tiers du XVIIème siècle, dans un ensemble systématique, embrassant à la fois le régime colonial, le crédit public, la finance moderne et le système protectionniste. Quelques unes de ces méthodes reposent sur l’emploi de la force brutale, mais toutes sans exception exploitent le pouvoir d’Etat, la force concentrée et organisée de la société, afin de précipiter violemment le passage de l’ordre économique féodal à l’ordre économique capitaliste et d’abréger les phases de transition… « . (16) La colonie est donc un instrument de développement du capitalisme dans les pays colonisateurs. De plus, elle est un accélérateur de ce développement. Le régime colonial, a-t-il une fonction prioritaire dans ce développement par rapport au crédit public, la finance moderne ou le système protectionniste ? Marx y voit le rôle prépondérant du régime colonial non seulement dans l’extension géographique du capitalisme, mais aussi le régime colonial. Il fut le « dieu étranger qui se place sur l’autel à côté des vieilles idées de l’Europe ; un beau jour, il pousse du coude ses camarades, et patatras, voilà toutes les idoles à bas » ; (17) (16) K. Marx, le capital, tome 1, P. 718 (17)K Marx, le capital, tome 1 ; p. 721

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Ce régime remplit aussi une fonction, celle de parachever la liquidation des anciennes institutions et des rapports de la vieille Europe. C’est dire que, en plus de sa fonction économique, il remplit des fonctions « d’assainissement » des reliquats précapitalistes des superstructures du capitalisme européen. L’accumulation primitive du capital remplit, à notre avis, deux fonctions qu’il faudrait distinguer pour faire ressortir les particularités de chacune d’elles : Ce processus s’accomplit à la faveur de l’action conjuguée des contraintes extra-économiques qui sont au service des objectifs économiques proprement dits. (16) L’accumulation primitive du capital dans les pays européens a pour mission historique de fonder les deux classes sociales principales, la bourgeoisie et la classe ouvrière. a) Les contraintes extra-économiques ont pour but de stabiliser la colonie dans les rets du capital, par la destruction ou la perturbation des forces productives et des rapports de production précapitalistes existants. Ici le capital n’agit pas contre une classe ou un ensemble de classes ; il agit contre un peuple, des peuples, des pays. C’est l’intensité d’intervention des moyens extra-économiques (force militaire, guerre, violences de toutes sortes, spoliations, annexions et autres) qui permet une fois cette action stabilisée, de faire fonctionner les leviers économiques de la domination capitaliste coloniale. Marx écrit « la découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leurs commencement de conquête et de pillage aux Indes Orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore… » (18)

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(18) K. Marx, le capital, tome 1, P. 718

L’Algérie : « lorsqu’un droit étranger, extra européen, leur est « profitable », les européens, comme c’est le cas ici pour le droit musulman- non seulement le reconnaissement – immédiatement – mais « se trompent dans son interprétation » à leur seul bénéficie », comme dans le cas présent. La capacité française saute au yeux ; si le gouvernement était et reste le propriétaire les prétentions des tribus arabes et kabyles de telle ou telle parcelle de terre, dès lors qu’elles ne pouvaient justifier leurs titres par des documents écrits. Ainsi : d’une part, les propriétaires communaux antérieurs réduits à l’état d’occupations temporaires d’un domaine gouvernemental, d’autre part, pillage par la force des parties considérables du territoire occupé par les tribus et implantation sur elles des colons européens »… (avec) l’objectif à atteindre : la destruction de la propriété collective »… « l’introduction de la propriété privée de la terre chez une population qui n’y est pas préparée et qui éprouve de l’antipathie à son égard devait être la panacée infaillible pour améliorer le travail de la terre et, par conséquent pour élever la productivité de l’agriculture » (19) C’est à travers ces différents aspects de l’action des leviers extra-économiques que s’instaure le rapport de force qui permet de concrétiser le processus d’expansion capitaliste coloniale. L’aboutissement du processus d’accumulation primitive du capital qui s’exerce sur les colonies est d’instaurer la propriété privée coloniale et permettre la mise en place d’un processus d’accumulation du capital. Ceci ressort de l’œuvre de Marx. Donc, le rapport économique colonial est une synthèse qui résulte de l’action des leviers extra-économiques du pays colonisateur sur les rapports de production pré-coloniaux ou précapitalistes. Mais les rapports économiques coloniaux doivent être vus selon deux optiques :

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(6) K. Marx, texte inédit op cité, p. 80, 85, 87

1- Celle du pays colonisateur :

La reproduction du produit social de la colonie est déterminée par l’accumulation primitive du capital imposée à la colonie : violence institutionnalisée, terreur, massacres collectifs, travail forcé des indigènes, esclavage… C‘est dans cet « encadrement extra-économique « très particulier que fonctionne le monopole colonial qui est un rapport social de domination qui fait du commerce extérieur une sphère particulière de réalisation et de répartition du produit social de la colonie destiné à être approprié et valorisé par le capitalisme colonisateur.

2- L’optique de la colonie : Dans la colonie, nous avons des richesses qui sont des produits susceptibles de se transformer en valeurs d’usage, puis en valeurs et donc en capital. Cependant ces richesses, ces produits et ces valeurs d’usage sont le résultat de spoliations, d’extorsions, de pillages, d’exploitation d’échanges et de transferts vers le pays colonisateur, par l’intermédiaire du monopole du commerce extérieur qui permet la concrétisation d’une politique économique coloniale, d’une politique particulière de prix, l’ensemble s’exerçant dans et par des mécanismes de distribution et de redistribution qui doivent aboutir à une politique de croissance du capitalisme. 3- La synthèse des deux optiques : les deux optiques convergent vers des résultats finaux de l’activité économique, ainsi que de l’état des forces productives et des rapports de production qui s’excluent mutuellement : Dans le pays colonisé il y a contraction des éléments constituants des forces productives, destruction ou perturbation social de la colonie. Il n’y a pas de croissance. Il y a organisation du retard

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économique et social qui prend plusieurs formes, stagnation et régression des rapports économiques, sociaux… . Le texte suivant, bien que long, résume et confirme l’ensemble des situations que nous avons mentionnées ci-dessus : « la compagnie anglaise des Indes orientales obtient, outre le pouvoir politique, le monopole exclusif du commerce du thé et du commerce chinois d’Europe en Asie et d’Asie en Europe. Mais le cabotage et la navigation entre les îles, de même que le commerce à l’intérieur de l’Inde, furent concédés exclusivement aux employé supérieurs de la compagnie, les monopoles du sel, de l’opium, du bétel et d’autres denrées, étaient des mines inépuisables de richesse. Les employés, fixant eux mêmes les prix, écorchaient à discrétion le malheureux hindou. Le gouvernement général prenait part à ce commerce privé. Les favoris obtenaient des adjudications telles que, plus forts que les alchimistes, ils faisaient de l’or avec rien. De grandes fortunes poussaient en vingt quatre heures comme des champignons ; l’accumulation primitive s’opérait sans un liard d’avance. Le procès de Warren Hasting fourmille d’exemples de ce genre. Citons un seul. Un certain Sullivan obtient un contrat pour une livraison d’opium, au moment de son départ en mssion, officielle pour une partie de l’Inde tout à fait éloignée des districts producteurs, Sullivan cède son contrat pour 40 000 Livres Sterling à un certains BINN ; Binn de son côté le revend le même jour pour 60 000 Livres Sterling, et l’acheteur définitif, exécuteur du contrat, déclare après cela avoir réalisé un bénéfice énorme. D’après une liste présentée au Parlement, la compagnie et ses employés extorquèrent aux indiens, de 1757 à 1760, sous la seule rubrique de dons gratuits une somme de six millions de livres Sterling. De 1769 à 1770 les anglais provoquèrent une famine artificielle en achetant tout le riz et en ne consentant à le revendre qu’à des prix fabuleux. (20) Quelle sont alors les caractéristiques de la reproduction du produit social de la colonie dans ce rapport de domination capitaliste ? :

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(20) K. Marx, le capital, tome 1, p. 720

1. La reproduction du produit social colonial est toujours captive vis-à-vis du procès de reproduction capitaliste. 2. L’économie coloniale ou l’économie dominée, si ceci ne dépendait que du capitalisme qui l’exploite, est approchée ou considérée comme un gisement économique destiné à produire des richesses, des produits, des valeurs d’usage, des valeurs et du capital. 3. Tout dépend du rapport de forces et des facteurs politiques de résistance de la part des forces sociales au sein de la colonie, de leur opposition et de leur organisation contre les formes nombreuses d’extorsion du produit social de la colonie. 4. L’ensemble des richesses, des produits, des valeurs d’usage et des valeurs qui sont transférés au marché capitaliste des pays colonisateurs, grâce à l’action des contraintes extra-économiques qui s’exercent sur le processus économique au sein de la colonie, par l’intermédiaire du monopole colonial, se transforment en capital dans les pays capitalistes et produisent aussi un produit social de plus en plus amplifié que s’approprie le pays capitaliste colonisateur ou le système capitaliste développé. 5. La colonie ne participe dans le procès de reproduction du capital que par sa sphère de production de richesse naturelles et humaines. C’est la logique et les impératifs du gisement économique inséré dans le procès de valorisation du capital et du capitalisme. 6. La reproduction des rapports économiques et sociaux dans la colonie est toujours une reproduction pathologique. Un système de contradictions non résolues dont les effets pervers continuent de se faire sentir jusque de nos jours. C’est dire que les rapports économiques et sociaux coloniaux sont aussi des sédiments qui ne disparaissent pas avec l’indépendance politique des pays anciennement colonisés. 7. La tendance historique de la domination capitaliste coloniale est de faire de la colonie un producteur de richesse et non un producteur de capital. Mais la transformation de la richesse en capital est l’affaire

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du capitalisme colonisateur. Ceci est une tendance dont l’évolution est déterminée par les étapes d’évolution de la domination coloniale et des forces sociales de libération de cette domination. Le schéma ci-dessous résume la place et les fonctions de la colonie à l’étape de l’accumulation primitive du capital : Le gisement économique Les moyens utilisés dominant Les résultats dans le seul ou le colonial par le capitalisme système capitaliste dominant Richesses (-) Spoliations Richesses (+) Produits (-) Extorsions Produits (+) Valeurs d’usage (-) Pillages Valeurs d’usage (+) Valeurs (-) Exploitation Valeurs (+) Capital (-) Transferts Capital (+) La sphère productive de la Les prix de monopole Sphère de production et de colonie qui travaille pour le agissent dans le cadre consommation du pays pays colonisateur du monde colonial colonisateur ou du système capitaliste développé dominant Moins de travail social Sphère d’échange de Plus de travail social pour le pour la colonie. Circulation et de pays ou le système dominant répartition du pays colonisateur et contraintes extra-économiques

Résultat : Organisation du transfert Résultat : Moins de produit social du produit social Plus de produit social

Nous avons là le tableau général de la reproduction et de l’accumulation capitalistes pendant l’étape de l’accumulation primitive du capital, et son action spécifique dans les colonies. Le résultat est l’accaparement et l’absorption du produit social de la colonie par le pays colonisateur, dans les parties de l’économie qui reçoivent les injonctions de l’économie capitaliste dominante. C’est pendant l’étape de l’accumulation primitive du capital que l’essentiel du rapport social colonial de production, d’échange, de

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répartition et de consommation du produit social de la colonie est mis en place. Cependant, ce processus de mise en place du rapport colonial de production dure beaucoup de temps, parce que le capital et ses mécanismes institutionnels rencontrent non seulement des résistances mais aussi des rejets par la lutte intense des peuples des colonies. Marx et Engels ont décrit et analysé avec force détails cette lutte, ces rejets et les formes de résistance à cette pénétration. Mais la pénétration est aussi institutionnelle grâce à l’intervention intense des mécanismes de contraintes extra-économiques, mais au service de la pénétration et de la domination économique, politique et culturelle… Quels sont les effets de cette pénétration sur la colonie ? Marx écrit : « Dans la mesure où celle-ci (la production marchande capitaliste) se développe, elle exerce un effet décomposant et dissolvant sur toute forme antérieure de la production qui, orientée en premier lieu vers la consommation personnelle directe, ne convertit en marchandise que l’excédent du produit. Elle fait la vente du produit l’intérêt principal : d’abord, sans s’attaquer, en apparence, au mode de production lui même (ce fut par exemple le premier effet du commerce mondial capitaliste sur des peuples comme les chinois, les arabes etc…) ensuite, là où elle a pris racine, elle détruit toutes les formes de production marchande qui reposent ou bien sur le travail personnel des producteurs, ou bien sur la seule vente du produit excédentaire en tant que marchandise. Elle commence par généraliser la production de marchandises, puis elle transforme graduellement toute production marchande en production capitaliste ».(21) Il n’y a pas que cette forme de dissolution ; celle-ci se faisant par l’intermédiaire des mécanismes du marché.

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(21) K. Marx, le capital, tome 2, p. 42

Il y a aussi des greffes de rapports de production. Marx signale l’existence d’un tel processus. Il y a des ruptures de rapports de production à partir d’une cassure introduite dans les rapports de propriété ; nous l’avons vu l’occasion de l’Algérie ou de l’Inde. Il y a des processus de dislocation de la base économique traditionnelle, comme il y a des processus lents de décomposition. Et c’est la conjonction des formes violentes d’intervention des leviers extra-économiques et des interventions économiques sans cesse répétées, des processus économiques étrangers sur l’activité économique et sociale que Marx relève rapidement dans ses analyses. Dissolutions, greffes, décompositions, dislocations ou ruptures toujours inégales, inachevées… . Un ensemble de structures économiques qui organisent une hiérarchie spécifique entre elles, tel est le résultat. Ces structures organisent entre elles une combinaison toujours spécifique dans chaque pays : « Quelles que soient les formes sociales de la production, les travailleurs et les moyens de production en restent toujours les facteurs. Mais les uns et les autres ne le sont qu’à l’état virtuel tant qu’ils se trouvent séparés. Pour une production quelconque, il faut leur combinaison. C’est la manière spéciale d’opérer cette combinaison qui distingue les différentes époques économiques par lesquelles la structure sociale est passée ». (22) Cette hiérarchie, cette combinaison est toujours déterminée par les degrés d’intensité d’intervention des leviers extra-économiques et des mécanismes du marché. Mais la domination coloniale n’a pas pour but d’épuiser le contenu précapitaliste ou précolonial porté par les structures économiques en voie de dislocation.

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Par exemple « dans les territoires où la domination anglaise a le moins altéré l’ancien système, les grands reçoivent, à titre de tribut ou de rente foncière, une aliquote du produit net de l’agriculture qu’ils divisent en trois parties. (23) (21) K. Marx, le capital, tome 2, p. 42 (22) K. Marx, le capital, tome 1, p. 565

La domination capitaliste coloniale ne poursuit jamais le but de « purifier » les structures économiques et sociales existantes dans les colonies ; la thèse qui se produit et qui donne lieu à des rapports économiques coloniaux est toujours une synthèse où l’on retrouve dans les rapports de production des différentes structures une combinaison souvent dosée entre des éléments capitalistes, des éléments de servage et de l’esclavage dans la gamme des structures coloniales qui sont encadrées par le marché capitaliste international. Cette combinaison a toujours pour objectif de permettre l’apparition et l’appropriation des résultats du surtravail colonial. A partir du moment où l’accumulation primitive a produit des résultats structurels dans les colonies, le mécanisme de domination et d’exploitation est quasiment mis en place dans la colonie. Il est appelé à se développer, à se préciser, à s’intensifier compte-tenu du développement du capitalisme dominant. Il peut passer du stade formel au stade réel de domination. Celle-ci devient réelle quand la colonie se trouve entièrement insérée dans la logique économique du capitalisme, quand le marché et ses contraintes économiques se subordonnent les contraintes extra-économiques. L’essentiel état l’existence permanente du processus d’exploitation ; comme dit Marx « mais dès que des peuples, dont la production se meut encore dans les formes inférieures de l’esclavage et de servage, sont entraînés sur un marché international dominé par le mode de production capitaliste et qui à cause de ce fait la vente de leurs produits à l’étranger devient leur principal intérêt, dès ce moment, les horreurs du surtravail, ce produit de la civilisation, viennent s’enter (se greffer) sur la barbarie de l’esclavage et de servage que la production dans les Etats du Sud l’Union Américaine était dirigée

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principalement vers la satisfaction des besoins immédiats, le travail des nègres présentait un caractère modéré et patriarcal. Mais à mesure que l’exploitation du coton devint l’intérêt vital dans ces Etats, le nègre fut surmené et la consommation de sa vie en sept années de travail devient partie intégrante d’un système froidement calculé. Il s’agissait de la production de la plus-value quand même ». (24) (24) K. Marx, le capital, tome 1, p. 230

Et c’est la subordination de l’ensemble des structures ou des modes de production existants dans la colonie, à l’impératif de production et d’appropriation de la plus-value, du produit net, du surplus et de produits sous forme de richesse, qui va déterminer l’activité économique de la colonie dans le marché capitaliste. Voyons, comment va évoluer cette combinaison de structures au stade de développement de la manufacture et de la fabrique capitalistes. 6- Le développement extensif et intensif du capitalisme et ses incidences sur les colonies a- La manufacture capitaliste et la colonie : L’ensemble mis en place, pendant l’étape de l’accumulation primitive du capital, va faire apparaître les grandes limites historiques que le capitalisme imposé aux colonies. D’abord, la destruction et l’altération des rapports communautaires sans leur remplacement par d’autres plus fiables fait que les pays colonisés rencontrent des très grandes difficultés à maîtriser les processus de production existants : « l’effet produit à temps ici de l’emploi simultané d’un grand nombre de journées combinées, et l’étendue de l’effet utile du nombre des ouvriers employés. C’est faute d’une coopération de ce genre que dans l’Ouest des Etats-Unis des masses de blé, et dans certaines parties de l’Inde, où la domination anglaise a détruit les anciennes communautés, des masses de coton sont presque tous les ans dilapidées ». (25)

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C’est dire, et ceci est encore valable pour les pays du tiers-monde actuels que pour pouvoir progresser, ces pays doivent mettre au point l’action adéquate des structures économiques et sociales, entre elles afin d’atténuer leur action divergente et hétérogène et permettre de créer les conditions de réussite de leurs politiques de développement. (25) K. Marx, le capital, tome 1 – p. 318, 319

Un autre aspect qui exprime aussi l’échec de la domination coloniale est que cette dernière ne crée pas les conditions normales de la séparation entre la ville et la compagne. Une altération constante de la relation entre la ville et la campagne constitue un frein structurel au développement des forces productives, non seulement dans les colonies d’alors, mais aussi dans les pays du « tiers-monde » actuels : « toute division du travail développée qui s’entretient par l’intermédiaire de l’échange des marchandises a pour base fondamentale la séparation de la ville et de la compagne. On peut dire que l’histoire économique de la société roule sur le mouvement de cette antithèse. (26) Or la division du travail dans la colonie et bien sûr aussi dans les pays du « tiers-monde », de os jours, reste une division du travail non seulement dépendante de celle du pays colonisateur, du système capitaliste, mais aussi profondément déterminée par ses besoins et par ses impératifs du profit. Sans une étude concrète et détaillée des formes de dépendance des éléments composants des forces productives et des degrés de dépendances de ces éléments, il est impossible de fonder une stratégie qui a pour perspective la diminution progressive des degrés de dépendance et la création d’espaces de souveraineté de l’économie de ces pays. Il s’agit en fait d’étudier en profondeur aussi les formes anciennes de la dépendance coloniale pour détecter leurs poids dans les politiques actuelles de développement, ou dans les politiques de croissance des pays du « tiers-monde ».

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A la différence de la coopération comme premier palier de la division du travail, dont l’existence est confirmée avant la domination coloniale, la manufacture semble exister sporadiquement dans des pays tels l’Inde, la Chine, les pays arabes. Du moins, c’est ce à quoi nous avons abouti à la lecture des travaux de Marx – Engels et plus particulièrement du capital : « la division territoriale du travail qui assigne certaines branches de production à certains districts d’un pays reçoit également une nouvelle impulsion de l’industrie manufacturière qui exploite partout les spécialités. Enfin, l’expansion du marché universel et le système colonial qui font partie des conditions d’existence générale de la période manufacturière lui fournissent de riches matériaux pour la division du travail dans la société. C’est dire alors que le décalage entre le niveau de développement des forces productives dans l’ensemble des colonies, excepté les plus avancées parleur héritage précolonial en moyens de production et en moyens humains, et le niveau de ces forces dans les pays colonisateurs, se manifeste déjà lorsque le capitalisme est à son stade manufacturer. Ce décalage ira en s’accentuant, parce que les colonies seront maintenues comme base d’expansion du capitalisme, comme gisement économique. La généralisation du capitalisme manufacturier dans les pays colonisateurs, en plus du décalage mentionné ci-dessus, est pour une part importante, due à l’étape précédente qui a permis de créer les conditions de développement du capitalisme, de son expansion, mais aussi d’asseoir solidement le processus d’accumulation du capital. C’est dans le stade manufacturier du capitalisme que les colonies vont devenir marché découlement des marchandises produites par les manufactures capitalistes et aussi comme fournisseurs de matières premières pour ces manufactures.

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La colonie devient un agent accélérateur de la division manufacturière du travail. Les fonctions économiques de la colonie dans la division capitaliste du travail se précisent. L’action des contraintes économiques, des mécanismes du marché régis par le monopole colonial et tous les avantages qu’il tire des colonie, tendent à supplanter les contraintes extra-économiques. Le capital colonial est en place. La reproduction et l’accumulation du capital évoluent dans le sens de l’allègement des fonctions coercitives liées à l’accumulation primitive du capital. La greffe des rapports de production capitalistes dans la colonie a eu lieu. Le schéma explicatif proposé ci-dessus (page 24) évolue, compte-tenu de l’évolution du capitalisme et de ses relations aux colonies :

Le gisement économique Les moyens utilisés par le Les résultats dans le seul ou le colonial capitalisme dominant système capitaliste dominant Richesses (-) transfert Richesses (+) Produits (-) Pillages Produits (+) Valeurs d’usage (-) Exploitation Valeurs d’usage (+) Valeurs (-) Echanges Valeurs (+) Capital (-) Transferts Capital (+) La colonie : Le pays colonisateur : Sphère de production et es prix de monopole Sphère de production et de d’échange de la colonie agissent dans le cadre consommation du pays du monopole colonial colonisateur Sphère d’échange, de Circulation et de Répartition du pays colonisateur

Contrainte économiques Redisposition entre les deux

Tendent à se subordonner contraintes

es contraintes extra-

économiques

Reproduction et Continuation du transfert accumulation du produit social de la

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du capital manufacturier colonie vers les pays et les colonies capitalistes

y-a-t’il une différence dans le comportement et le fonctionnement des mécanismes de domination du capitalismes vis-à-vis de la colonie entre l’étape de l’accumulation primitive et le stade manufacturier du capitalisme ?

1- La comparaison des deux schémas (page 24 et 30) confirme l’existence d’une différence. C’est dire que la domination capitaliste coloniale évolue compte-tenu de l’évolution et du développement du capitalisme, de ses forces productives, de ses besoins, de sa tactique et de sa stratégie, mais aussi des formes de résistance et de lutte de la colonie contre la domination et l’exploitation du capitalisme étranger. Ceci est valable jusqu’à nos jours, c’est à dire dans les relations qui existent entre pays du « tiers-monde » et le système capitaliste international développé.

2- Cette différence, entre les deux étapes, qui se retrouve résumée dans les schéma montre que pour la colonie, l’accumulation primitive du capital est un processus de mise en place des conditions indispensables à la domination politique du capital et du capitalisme étranger sur la colonie. A la différence de ce qui est attendu dans les pays capitaliste, où l’accumulation primitive est un processus historique qui donne naissance à la classe ouvrière et à la bourgeoisie, dans la colonie, cette accumulation primitive permet l’expansion externe du capitalisme étranger

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en mettant en place les conditions de l’exploitation économique des colonies.

3- Il y a comme un détournement, une confirmation d’une étape historique importante qui fait que les colonies à populations non européennes, excepté l’Irlande, seront à jamais amputées de la matrice à partir de laquelle se développe normalement le capitalisme, si nous prenons pour référence le schéma marxien classique du développement du capitalisme. 4- Le capitalisme colonisateur s’approprie alors à partir d’un processus d’accumulation primitive spécifique qui s’exerce et se concrétise au détriment du développement de la colonie, une étape historique qui rétrécit à jamais les possibilité autonomes d’accumulation du capital dans la colonie.

La base de la dépendance sans cesse renouvelée du développement du capitalisme dans les colonies, et plus tard dans les pays devenus dépendants, se situe dans cette séquence historique. 5- Le problème dont l’existence est ressentie par Marx, mais qui n’a pas fait l’objet d’une analyse approfondie, est peut être celui de la relation entre le poids déterminant des contraintes extra-économique et la transformation des différents facteurs qui forment la contrainte extra-économique, en processus multiformes et différenciées qui concourent tous à l’exploitation de la colonie. Comment s’opère le passage de la contrainte extra-économique à la contrainte économique, quand la colonie est « stabilisée » dans l’ensemble économique du capitalisme ? autrement dit, les facteurs constituants de la contrainte extra-économique ne « s’évaporent » pas quand l’exploitation économique devient la préoccupation immédiate du capitalisme. Il y a un processus de conversion de dilution, des facteurs extra-économiques dans le processus économique d’exploitation de la colonie par le capital et le capitalisme. Où vont se loger les éléments composant ces facteurs une fois absorbés par les mécanismes économiques ?

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vont-t-il se concentrer et prendre place dans les prix de monopole ? dans l’échange non équivalent ? dans les transferts des capitaux ? dans les conditions politique du processus d’exploitation ou bien vont-ils continuer à agir d’une façon autonome et souterraine quand la violence apparente et brutale aura été remplacée par la violence économique ? 6- Ces points n’ont pas fait l’objet, à notre avis, d’une attention approfondie et soutenue, jusqu’à nos jours. Nous savons par contre que Marx a toujours accordé une très grande importance à la relation entre le politique et l’économique et comment l’un se convertit et s’exprime à la fois dans l’autre et inversement. Mais à la lumière de l’expérience accumulée des pays du monde, il est temps d’orienter la recherche dans ce sens.

7- dans ce cadre historique que nous étudions, celui de la mise en place et de l’action de cette accumulation primitive de la colonie, relation entre l’extra-économique et l’économique mûrit progressivement malgré la brutalité des processus économiques coloniaux de domination. Il y a alors deux processus de domination plus formel et l’autre réel de la colonie par le capitalisme. Trois situations historiques illustrent chacune à sa manière cette relation de domination. Elles traduisent cependant des niveaux différents et multiformes de cette domination.

1- L’accumulation primitive du capital et la phase d’absorption et de mise en place des conditions de la domination de la colonie par le capitalisme. C’est la phase de la domination formelle de la colonie. Le capital ne s’est pas encore subordonné tous les éléments de travail colonial. 2- La fonction économique et politique de la colonie dans le stade manufacturier de la domination capitaliste déclenche un processus de conquête économique de la colonie. Le passage de la contrainte

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extra-économique à la contrainte économique ne s’est pas entièrement fait.

Ces trois situations plus sensible à la phase de domination de la colonie par la fabrique industrielle qui traduisent des étapes historiques de développement du capitalisme n’apparaissent pas d’une façon nette ou tranchée quand il s’agit d’apprécier leurs impacts différents sur les relations entre colonie et pays capitaliste colonisateur. La relation entre ces niveaux de domination est beaucoup plus déterminée par les tendances ou par les phases du développement extensif interne et externe du capitalisme dans lesquelles se situent l’accumulation primitive du capital et la manufacture d’une part, et le développement intensif interne du capitalisme qui régit la fabrique capitaliste, d’autre part. Il est impossible au capital et au capitalisme manufacturier de maintenir sa domination sur la colonie et de continuer de progresser en s’appuyant seulement sur ses leviers économiques. Il doit se maintenir et avancer aussi grâce aux contraintes extra-économiques : « … la manufacture ne pouvait ni s’emparer de la production sociale dans toute sot étendue, ni la bouleverser dans sa profondeur ». (28) La relation du capitalisme aux colonies change lorsque ce dernier passe au stade de la fabrique. C’est un passage progressif au développement intensif du capitalisme. L’incidence de ce niveau de développement va avoir des conséquences plus profondes sur les colonies : La colonie subit le développement intensif du capitalisme par l’extension des marchés déjà sensible à la dernière phase de la manufacture. C’est dire que plus le capitalisme se développe rapidement, plus le décalage entre lui et la colonie grandit. La stagnation de la colonie crée sa propre inadaptation au mouvement du capitalisme. Plus ce développement intensif s’affirme, plus la colonie

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devient un marché passif d’écoulement des marchandises des pays capitalistes colonisateurs. Le cycle économique de la colonie, à cette étape de développement du capitalisme, tend à se voir imposer une logique forcée de consommation économique duquel sont exportés des produits des colonies destinés à des transformations. C’est le degré de développement du capitalisme qui détermine les différentes modalités de domination et d’exploitation des colonies. L’action de cette loi est valable de nos jours. Elle ne commence par être remise en cause que si dans les politiques de développement est inscrite une volonté d’autonomie vis-à-vis de la division coloniale du travail.

(28) K. Marx, le capital, tome 1 – p. 342 Ainsi la domination capitaliste sur les colonies se situe historiquement entre l’accumulation primitive du capital, comme processus général propre à tous les pays capitalistes, en passant par l’instauration et le développement de la manufacture et de la fabrique. La domination de formelle devient réelle graduellement mais jamais entièrement, d’une façon achevée comme dans les pays capitalistes européens, parce qu’il reste toujours dans les colonies des reliquats de structures économiques et sociales qui ne tombent pas sous l’emprise directe du capital et du capitalisme.

1- La fabrique et la colonie : Les effets de ce niveau de domination font que ce ne sont pas les travailleurs seulement dans les colonies qui sont touchés, comme nous constatons cela dans le cas des pays capitalistes, mais aussi les propriétaires des moyens de production des branches susceptibles de concurrencer des productions des pays capitalistes ; « c’est ainsi

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que, dans les fabriques de coton, de laine, de worsted, de lin et de soie du Royaume-Uni, le nombre total des ouvriers employés n’atteignait en 1835 que le chiffre de 354 684, tandis qu’en 1861 le nombre seul des tisseurs à la mécanique (des deux sexes et de tout âge à partir de huit ans) s’élevait à 230 654. Cet accroissement, * il est vrai, était acheté par la suppression de huit cent mille tisserons à la main, pour ne pas parler des déplacés de l’Asie et du continent européen ». (29) - le machinisme introduit une nouvelle division du travail qui se fait au détriment du développement des forces productives des colonies.

Il y a alors la continuation de l’approfondissement de la domination sur la colonie. Le caractère captif du processus de production de la colonie se précise plus. * Il s’agit « de l’accroissement du capital total qu n’amène pas de changement dans sa composition, parce qu’il ne modifie pas les conditions de la production » selon la supposition de Marx ; tome 1 – p. 429 (29) K. Marx, le capital, tome 1 – p. 349 Le marché de la colonie doit répondre à une demande précise du marché capitaliste, parce que le développement intensif, par la généralisation de la fabrique, exige une spécialisation étroite. La division coloniale du travail devient effective et stable à cette étape du développement du capitalisme : « D’une part, les machines effectuent directement l’augmentation de matières premières, comme, par exemple, le cottongrin a augmenté la production du coton ; d’autre part, le bas prix de produits de fabrique et le perfectionnement des voies de communication et de transport fournissent des armes pour la conquête des marchés étrangers. En ruinant par la concurrence leur main-d’œuvre indigène, l’industrie mécanique les transforme forcément en champs de production des matières premières dont elle a besoin, c’est ainsi que l’Inde a été contrainte de produire du coton, de la laine, du chanvre, de l’indigo etc…, pour la Grande-Bretagne » (30).

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Le marché de la colonie parachève ses contours à partir de la demande et de l’offre qui est organisée par le marché capitaliste et où la fabrique devient la force motrice qui régit la division coloniale du travail. Et c’est à partir pratiquement du XIXième siècle, quand la fabrique triomphe dans les pays capitaliste, européen que le marché des colonies acquiert son profil quasi définitif, celui que nous connaissons aujourd’hui dans beaucoup de pays de « tiers-monde » actuels, malgré les indépendances politiques. Il est vrai que ce marché continuera de se différencier et de se diversifier au fur et à mesure de l’apparition de la demande du capital. Le profil dominant de la spécialisation qui s’exprime au XIXème siècle, quand la révolution industrielle s’installe dans le processus économique du capitalisme est une division entre l’industrie et l’agriculture. Le capital préférant spécialiser les colonies dans l’agriculture à partir, bien sûr, des exigences d’accumulation du capital qui avaient pour but de contrebalancer l’influence négative de la rente, obstacle à l’accroissement des profits. (30) K. Marx, le capital, tome 1 – p. 430

Ce point de vue a longtemps prédominé pendant cette période et les discussions sur la rente, le profit et le salaire, telles que développées par l’école ricardienne avaient laissé des traces profondes dans les programmes économiques des gouvernements d’alors. Ce profil de spécialisation correspondait donc effectivement à un besoin du capital et du capitalisme qui poussait les colonies vers la spécialisation agricole : « une nouvelle division internationale du travail, imposée par les sièges principaux de la grande industrie, convertit de cette façon une partie du globe en champ de production agricole pour l’autre partie, qui devient par excellence le champ de production industriel ». (31)

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Cette tendance du développement du capitalisme en s’approfondissant et en se spécialisant encore plus lorsque le capitalisme passera au stade impérialiste et lorsque les besoins du capital en matières premières non agricoles deviendront encore plus urgents et plus grands. Le cycle moderne du capital se consolide avec le triomphe de la fabrique capitaliste. La place dans ce cycle et la fonction des colonies deviennent de beaucoup plus apparentes qu’elles ne l’étaient du temps de la manufacture. Les formes permanentes de la dépendance coloniale se forgent déjà à cette période. La colonie devient organiquement vulnérable au déroulement du cycle économique du capital et du capitalisme dont elle dépend. Elle n’échappe pas aux crises qui la frappent et toutes les conséquences que ces crises ont sur le procès de reproduction propre à la colonie : (31) K. Marx, le capital, tome 1 – p. 431 « mais dès que la fabrique a acquis une certaine assiette et un certain degré de maturité ; que sa base technique, c’est à dire la machine, est reproduite au moyen de machines, dès que le mode d’extraction du charbon et du fer, ainsi que la manipulation des métaux et les voies de transport ont été révolutionnés ; en un mot, dès que les conditions générales de production sont adaptées aux exigences de la grande industrie, dès lors ce genre d’exploitation acquiert une élasticité et une faculté de s’étendre soudainement et par bonds qui ne rencontrent d’autres limites que celles de la matière première et du débouché… . En rendant surnuméraire là où elle réside une partie de la classe productive, la grande industrie nécessaire l’émigration, et par conséquent, la colonisation de contrées étrangères qui se transforment en grenier de matières premières

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pour la mère – patrie ; c’est ainsi que l’Australie est devenue un immense magasin de laine pour l’Angleterre » ; (32) Ce cycle captif est l’expression de la stratégie du capitalisme qui fait de la colonie un gisement économique, c’est à dire production de matières premières et consommation de produits, le tout échappant à une valorisation réelle et diversifiée d’une partie du produit social par la colonie. C’est cette tendance qui s’affirme le plus. Avec la répétition à long terme des éléments constituants de ces rapports de production coloniaux, il y a une pathologie économique qui s’instaure dans la colonie. Ceci se traduit par la difficulté d’existence de perspectives de développement, parla stagnation et pire encore par ce que nous appelons une dialectique régressive des rapports économiques et sociaux : « l’Angleterre a détruit les fondements du régime social de l’Inde, sans manifester jusqu’à présent la moindre velléité de construire quoi que ce soit. (32) K. Marx, le capital, tome 1 – p. 430, 431 Cette perte de leur vieux monde, qui n’a pas été suivie de l’acquisition d’un monde nouveau, confère à la misère actuelle des Hindous, un caractère particulièrement désespéré, et sépare l’Hindoustan, gouverné par les Anglais, de toutes ses traditions anciennes, de son histoire passée dans son ensemble ». (33) Mais ceci ne signifie point que les peuples colonisés sont soit passifs à ces malheurs qui s’abattent sur eux ou encore aussi, ne résistent pas, ne luttent pas contre cette pénétration et cette domination capitaliste coloniale. Quelques exemples seulement pour appuyer cette idée. F. Engels à propos de l’Inde écrit : « nous somme également informés qu’il y a toujours plus d’officiers britanniques qui croient que la guerre de partisans, conséquence inévitable de la dispersion des plus grandes

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unités des insurgés, sera pour les Anglais beaucoup plus harassante et meurtrière que la guerre présente avec ses batailles et ses siège… » (34) Les formes de lutte dépendent des particularités des contextes historiques et autres, ainsi que des rapports de forces qui existent à une phase donnée de la lutte entre le pouvoir colonisateur et les peuples colonisés. Au terme de cette partie de la recherche sur les colonies et le capitalisme, il faudrait souligner des acquis théoriques et pratiques.

1- l’analyse par Marx des colonies et de leurs relations avec la domination capitaliste, révèle l’importance de leur place et de leur relation organique au sein de cet ensemble. 2- La colonie est ce domaine de mise en place spécifique d’exploitation capitaliste par le mouvement organisé de l’ensemble des contraintes extra-économiques et économiques pour aboutir à la réalisation de cet objectif.

(33 ) K. Marx, la domination britannique en Inde, textes sur le colonialisme – p. 37 (34) F. Engels, textes sur le colonialisme – p. 204

3- Historiquement, ce processus d’exploitation s’exerce dans le rapport entre le capitalisme en voie d’expansion et de développement et les différents paliers, niveaux ou étapes du précapitalisme. En entendant par là un rapport d’exploitation exercé parle capitalisme qui se subordonne dans les colonies des rapports de production soit esclavagistes, soit féodaux, soit ceux propres au mode de production asiatique, soit encore aussi l’ensemble historiquement combiné de ces rapports précapitalistes. 4- C’est ce processus permanent d’exploitation qui maintient et organise les différentes modalités de rattachement, d’insertion de la colonie dans l’ensemble du capitalisme.

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5- Et c’est aussi ce processus complexe qui n’est pas seulement économique – comme nous l’avons constaté – qui organise par l’intermédiaire de toutes les formes de violence, le développement des rapports capitalistes marchands dans les colonies, base indispensable pour le développement, extensif et intensif du capitalisme pendant les étapes de l’indépendance politique. 6- Ce développement est organisé, régulé par la politique économique coloniale qui imposent à l’évolution de la colonie des limites. Celles-ci reproduisent alors sans cesse le décalage nécessaire entre le niveau de développement économique et social du pays colonisateur et celui qui caractérise la colonie. Ce décalage structurel est déterminé par la logique et les fonctions du gisement économique qui représente l’activité principale de la colonie qui se résume dans :

7- l’exportation de matières premières 8- l’exportation de main-d’œuvre et de savoir faire technique et technologiques * 9- l’exportation de richesses, de valeurs d’usage, de produits 10- l’exportation de valeurs et de capital.

11- C’est alors l’exportation organisée et sans répétée tant que le rapports économiques coloniaux n’ont pas du surplus, ce qui a contribué ________ la vision théorique et pratique des fonctions de la colonie des ____________________________. Il s’agit par contre

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_________ à __________ par le capitalisme étranger du problème social de la colonie. 12- C’est dans cette fracture structurelle profonde que se reproduisent sans cesse les formes multiples actuelles de la dépendance des pays du « tiers-monde », vis-à-vis du système capitaliste contemporain. 13- Nous pensons que les résultats auxquels est parvenu Marx sur la place et les fonctions économiques de la colonie dans le capitalisme sont essentiels ; ils gardent toute leur actualité. 14- Mais la relation entre colonie et pays colonisateur ne se réduit pas dans l’œuvre de Marx – Engels seulement à cet aspect. Les colonies prennent place ou encore trouvent leur insertion dans l’ensemble de la construction théorique de Marx.

Nous allons voir dans la deuxième partie de cette recherche, comment les colonies s’insèrent dans d’autres ensembles de la théorie marxiste. * Le terme industrie proviendrait du terme Hindousse emprunté par les arabes à l’Inde. Il suffit de se rappeler l’avance e matière de fabrication des _______, de leur différents colonie dont les termes sont d’origine Hindoue, ou arabe. Exemple coton, mousseline (de la colle ________________), ______, satin, crêpe________, taffetas… .