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1 « L’important pour Jung n’est pas ce que nous avons pu refouler de nos désirs mais ce qui n’est pas encore né en nous ou n’a pas pu encore s’extraire et se différencier de « l’inconscience originelle.», Vivianne Thibaudier, « 100% Jung », (2011). « Les innombrables innovations du vivant se sont construites (…) à partir de la répression – temporaire de la plupart de leurs potentialités. Et la richesse de ces potentialités qui dorment au plus profond de notre corps dépasse sans doute de très loin ce que nous pouvons encore imaginer », Jean-Claude Ameisen, La sculpture du vivant : le suicide cellulaire ou la mort créatrice, Seuil, (1999). PENSEE VISUELLE, NEURONES MIROIRS, PULSION INDIVIDUANTE ET AUTO-ANALYSE DES REVES LE REVEUR PEUT-IL INTERPRETER SES REVES, OU DOIT-IL S'EN REMETTRE A UN ANALYSTE ? Auteur : Frédéric Paulus Docteur en psychologie, Docteur en sociologie, Psychothérapeute Directeur du Centre d’Etudes du Vivant de l’Océan Indien (CEVOI) Île de la Réunion / [email protected] Hommages au Père Jean Cardonnel, à Henri Laborit, René Lourau, Fédérico Navarro, Francisco Varela et Frédéric Tsang King Sang. Je leur suis redevable pour leurs contributions. Ils m’ont aussi apporté un supplément d’âme, je les ai rencontrés sur le chemin où ils m’ont conduit qui se crée en marchant toujours actuellement. J’ai aussi une reconnaissance particulière pour mes deux analystes, Mesdames Denise Demoy et Anne Altman LE REVEUR PEUT-IL INTERPRETER SES REVES, OU DOIT-IL S'EN REMETTRE A UN ANALYSTE ? Cet article suggère de s’affranchir d’une approche langagière des rêves au profit d’une réhabilitation de la pensée visuelle qui aurait subit une occultation et une dévalorisation liées à l’émergence du langage parlé et articulé chez Homo Sapiens devenu Loquens. Avant de proposer une réponse, posons-nous préalablement cette question : Comment faisaient nos ancêtres lorsqu’ils leur venaient des rêves et cela avant que le langage parlé et articulé ne soit apparu ? Notre réponse tâtonnante est celle-ci : doté d’un sens intéroceptif (plus développé que le notre) basé en grande partie sur la vision, nos ancêtres devaient avoir recours à une fonction d’évaluation semblable à celle qui se développe en analyse sans avoir la possibilité de nommer les éprouvés des images oniriques, la traduction somatique de l’image onirique, j’imagine qu’elle pouvait se présenter par une gestuelle éprouvée et donc incarnée, des mimiques exprimant les émotions, ou encore par un comportement introverti, ou a contrario extraverti.

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« L’important pour Jung n’est pas ce que nous avons pu refouler de nos désirs mais ce qui n’est pas encore né en nous ou n’a pas pu encore s’extraire et se différencier de « l’inconscience originelle.», Vivianne Thibaudier, « 100% Jung », (2011).

« Les innombrables innovations du vivant se sont construites (…) à partir de la répression –

temporaire – de la plupart de leurs potentialités. Et la richesse de ces potentialités qui

dorment au plus profond de notre corps dépasse sans doute de très loin ce que nous pouvons

encore imaginer », Jean-Claude Ameisen, La sculpture du vivant : le suicide cellulaire ou la

mort créatrice, Seuil, (1999).

PENSEE VISUELLE, NEURONES MIROIRS, PULSION INDIVIDUANTE

ET AUTO-ANALYSE DES REVES

LE REVEUR PEUT-IL INTERPRETER SES REVES, OU DOIT-IL S'EN REMETTRE A UN ANALYSTE ?

Auteur : Frédéric Paulus Docteur en psychologie, Docteur en sociologie, Psychothérapeute Directeur du Centre d’Etudes du Vivant de l’Océan Indien (CEVOI)

Île de la Réunion / [email protected]

Hommages au Père Jean Cardonnel, à Henri Laborit, René Lourau, Fédérico Navarro, Francisco Varela et Frédéric Tsang King Sang.

Je leur suis redevable pour leurs contributions. Ils m’ont aussi apporté un supplément d’âme, je les ai rencontrés sur le chemin où ils m’ont conduit qui se crée en marchant toujours actuellement.

J’ai aussi une reconnaissance particulière pour mes deux analystes,

Mesdames Denise Demoy et Anne Altman

LE REVEUR PEUT-IL INTERPRETER SES REVES, OU DOIT-IL S'EN REMETTRE A UN ANALYSTE ?

Cet article suggère de s’affranchir d’une approche langagière des rêves au profit d’une réhabilitation de la pensée visuelle qui aurait subit une occultation et une dévalorisation liées à l’émergence du langage parlé et articulé chez Homo Sapiens devenu Loquens. Avant de proposer une réponse, posons-nous préalablement cette question : Comment faisaient nos ancêtres lorsqu’ils leur venaient des rêves et cela avant que le langage parlé et articulé ne soit apparu ? Notre réponse tâtonnante est celle-ci : doté d’un sens intéroceptif (plus développé que le notre) basé en grande partie sur la vision, nos ancêtres devaient avoir recours à une fonction d’évaluation semblable à celle qui se développe en analyse sans avoir la possibilité de nommer les éprouvés des images oniriques, la traduction somatique de l’image onirique, j’imagine qu’elle pouvait se présenter par une gestuelle éprouvée et donc incarnée, des mimiques exprimant les émotions, ou encore par un comportement introverti, ou a contrario extraverti.

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Fondamentalement, ce que nous nommons « les rêves » de nos jours, nous apparaissent précieux en tant que phénomènes téléosémantiques considérés comme des expressions du psychisme antérieures sur le plan phylogénétique à l'émergence du langage articulé. (Voir les ouvrages de Laplane D, La pensée d'outre-mots. La pensée sans langage, (1999) et Mithen S, The Prehistory of the Mind, (1997) et Roger Saban, Aux sources du lange articulé, 1994, et Dereck Bickerton, le langage d’Adam, 2010.

Etant donnée notre suspicion quant à l'abord trop unilatéral du psychisme au moyen du langage parlé tant valorisé par la plupart des écoles de psychanalyse nous privilégions le langage des images produites par le cerveau considérées comme des productions auto-émergentes directement produite par l’organisme. Cette suspicion fut renforcée par l'avis d'Antonio Damasio, pour qui « l'hémisphère cérébral gauche a tendance à fabriquer des récits qui ne s'accordent pas nécessairement avec la vérité», Le sentiment même de soi, (1999, p 191). Ainsi devrions-nous être en présence de matériaux plus authentiques pour approcher la logique du psychisme compte-tenu des récentes découvertes en biologie et particulièrement en neuroscience et science de l’esprit. Les rêves seraient considérés comme des expressions du psychisme antérieures sur le plan phylogénétique à l'émergence du langage articulé, permettant d’approcher « l’archéo-psychisme », ou « l’archéo-inconscient », celui qui devait animer la « psychologie des profondeurs » de nos ancêtres.

Dans le rêve qui suit le cerveau imageant semble apparaître comme prodigieusement « intelligent » car il traiterait subliminalement les informations qui nous assaillent en en faisant émerger des scénarios oniriques durant le sommeil anticipant des réalités à venir. L’exemple ci-dessous semble illustrer cette hypothèse. Le rêve de l’assassinat d’Anouar El-Sadate Ce premier exemple provient du témoignage d’une élue conseillère municipale de la ville de Saint-Denis de la Réunion qui pris la parole alors que je présentais, dans les années 1990, une théorie supposée rendre compte des fonctions oniriques, notamment de la fonction prospective des rêves. Cette fonction est plus connue auprès du grand public comme la « prémonition des rêves ». Cette dame avait rêvé quelques jours avant l’assassinat d’Anouar El-Sadate, selon une description fidèle à ce qui se passa dans la réalité. L’attentat du Président fut mis en scène dans un de ses rêves par anticipation apparemment. Cette dame en fut troublée car elle se demandait si elle avait pu « intercéder dans la réalité de cet assassinat ? ». Mon attitude aura consisté à lui poser la question de son intérêt pour l’Egypte. Elle était en fait égyptologue et ne ratait aucun des articles du journal « Le Monde » qui évoquait régulièrement l’actualité de ce pays. Son rêve pouvait être interprété comme une anticipation suscitée par l’intelligence de son inconscient originel. Cette expérience, vécue, mobiliserait un savoir cognitif incarné, qui aura mis en forme un scénario subliminal de fiction anticipant une réalité qui s’est avérée. Devons nous qualifier cette faculté « d’intelligence ? ». Et ce savoir incarné, nous l’imaginerons comme un pré-requis à ce rêve, ou cette pensée visuelle inconsciente. Pour que le cerveau puisse créer ce scénario ne lui faut-il pas une connaissance préalable à cette mise en image, des comportements humains en action dans le rêve ? On peut imaginer que nos aïeux n’avaient pas besoin de théorie pour comprendre les déterminismes comportementaux de leurs contemporains, le décryptage de leur comportements se présentait sous leurs yeux, à savoir, ceux qui

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correspondaient à la survie, boire, manger, copuler, rechercher du plaisir, luter en cas d’agression, la fuite lorsque la lute s’avère impossible ou inefficace, la coopération, la recherche de la domination. Ces savoirs communs à nos ancêtres nous devrions toujours les posséder bien qu’ils puissent être cachés derrière des alibis ou des théories ou encore des croyances. Doté de ce patrimoine bio-culturel notre rêveuse aura pu percevoir une issue (fatale) aux difficultés que rencontra le Président Egyptien à réformer son pays avant d’en être consciente. Toutes informations captées par les sens finissent-elles « par poser les fondements d’une riche intuition du monde ?» selon Stanislas Dehaene ; « Le code de la conscience », p. 268, (2009-2013). On en déduirait également que la pensée visuelle inconsciente précéderait la conscience. Une autre question pourrait être soulevée. C’est celle d’une pulsion individuante de cette dame qui n’aura pas pu se porter au secours de ce chef d’Etat. Celle-ci fut interloquée (et inhibée) par la créativité de son inconscient producteur d’information dont on peut suggérer qu’elle se serait identifiée par empathie et à distance à Sadate. Aurait-on affaire à un inconscient qui abolirait les frontières ? Elle aurait vécu en rêve cet assassinat par implication projective selon le mécanisme d’empathie qui commence à être envisagé par les neurosciences qui étayent la théorie de l’esprit. Son insatisfaction pourrait être interprétée comme provoquée par son inhibition. Son inconscient, sans aucun doute différent de celui de Freud, aurait eu l’intelligibilité prévisionnelle de cet assassinat, et elle en aurait été inhibée. Elle ne se sera pas portée au secours de la victime. Ce qui me fait interpréter sa circonspection d‘avoir fait un tel rêve fut de relever la persistance de son malaise après plusieurs décennies. Hypothèse : Créateur d’images engendrant une pensée visuelle, avant l’apparition du langage, le cerveau serait doté d’une fonction téléosémantique « éclairant » nos nuits par nos rêves. Ainsi, le cerveau, du fait d’une mémoire qui serait ouverte sur le monde, ne serait pas uniquement un organe de stockage de l’information mais un organe de liaison avec la banque de données du champ perceptif « abolissant les frontières » dans lesquelles se mêlent passé, présent et futur. La méthode suggérée sollicite l’implication du rêveur en fonction de sa psychologie Suivant une approche qui m’implique, je rapporte trois rêves qui devraient étayer l’hypothèse de l’antériorité d’une pensée visuelle se manifestant, notamment en rêves et qui serait intelligible qu’en fonction d’une liaison interprétative entre les rêves et la psychologie du rêveur dans une culture donnée. Je présente en même temps une méthode qui permet d’en extraire leur sens, un peu comme un chercheur d’or qui tamise le sable pour en extraire des pépites. Ces rêves dans leur singularité peuvent-ils faire l’objet d’investigations scientifiques ou seront-ils relégués dans l’impasse des phénomènes subjectifs étant donnée notre implication ?

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« Les variantes sont l’œuvre d’un sujet lui-même en devenir, in fieri, en proie à ce que Valéry nommait la self-variance. Un sujet clivé, partagé souvent entre des motivations et des postulations rivales et contradictoires, qu’il doit à la fois exprimer et réprimer. Il tente de résoudre ses conflits intérieurs en les projetant sur l’aire transitionnelle de la page blanche, où le plus intime s’extériorise, et où le pulsionnel se symbolise. Avec la matière du vécu et des émotions, il construit une image du monde et un assemblage de mots qui donnent un instant figure de l’irreprésentable de son désir.», La matière-émotion, Michel Collot, Puf, (1997, p. 109).

Trois premiers rêves : Implication personnelle Nous avons ce préjugé qui nous paraît fiable et peut-être plus fécond d’approcher la logique du psychisme par d’autres vecteurs que par la verbalisation du patient. Je me propose donc d’occuper la place « sur le divan » du psychanalyste. J’évoquerai trois rêves qui me servent pour ouvrir une recherche sur la logique des rêves et du psychisme comme « voie royale » d’accès au psychisme. Ces rêves induisent des questions sur la logique sous-jacente du psychisme. Mais avant toutes considérations nous devrions relever la distinction entre psychisme « primaire » a priori non connoté pathologiquement dont on peut penser qu’il est l’émergence d’une préfiguration génétique et le psychisme «secondaire» lié à l'influence culturelle pouvant être inhibé épigénétiquement (et) ou névrosé. Et revenant à l'expérience personnelle, mon psychisme est approché tel qu'il se fait sentir au travers de ces trois rêves, dont on tentera d’extraire, ce qui est de l’ordre du psychisme primaire de celui du psychisme secondaire. Le rêve initial fut « relayé » la nuit suivante par deux autres rêves. Pour les analyser, il est nécessaire de les situer en fonction de ma psychologie de l'époque et du contexte de leur émergence. Je peux dire que le déclenchement de ces trois rêves fut causé par l’invitation d’un ami psychiatre - psychanalyste à faire partie d'un groupe de travail en psychologie. Ce groupe devait fonctionner comme un « cartel » de psychiatres et de psychologues cliniciens. Il était intitulé : « Le pays de l'autre », « conférences publiques de psychanalyse transculturelle» ». Le projet était de s'engager à développer une approche transversale des phénomènes humains dont l'approche psychanalytique serait le moyen de « lecture » en quête de lisibilité et d'intelligibilité. Il était également prévu de présenter à la presse un séminaire interdisciplinaire où la psychanalyse devait tenir une place centrale. Cette invitation suscita en moi un affect composé d’au moins deux polarités : D’une part, un sentiment de plaisir. Il me semblait que ce contentement s'inscrivait dans le sens de mon évolution sociale et psychologique. Cette invitation était en effet pour moi synonyme de reconnaissance, d'admission dans un groupe de recherche professionnelle, de début d'insertion et d'adaptation dans la société réunionnaise. Ne sommes-nous pas là devant une logique « adaptative » darwinienne ? Au delà de ces raisons disons «conjoncturelles», cette évolution s'inscrivait dans un contexte de mise en perspective d'évolution de ma vie professionnelle : j'attribuais un sens et donc une valeur à cette invitation tout en l'idéalisant, certainement en imaginant sortir du statut d’analysant en ambitionnant d’occuper la position de psychanalyste.

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D'autre part, j'avais des sentiments presque opposés où se mêlait une certaine inquiétude, voire une certaine angoisse de ne pas me sentir à la hauteur de la tâche, où s’imbriquait un sentiment d'infériorité associé à un troisième sentiment, celui de me retrouver dans un milieu « hostile » a priori. Ces sentiments envahissaient mon esprit. Cette « hostilité » était le « pur » produit de mon imagination ou peut-être la mémoire inconsciente du temps de nos lointains ancêtres qui étaient rarement bien accueillis lorsqu’ils arrivaient sur un territoire occupés par d’autres. S'agissait-il d'un milieu hostile à mes références jungiennes ou à la crainte d'affirmer une singularité intellectuelle ? Il faut préciser que je me trouvais sur l’île de la Réunion depuis six mois, à ma connaissance seul me « réclamant » de Jung sur le plan de la psychologie analytique. Par ailleurs, je me demandais si je serais capable d'assumer les responsabilités qui allaient m'être confiées. Une fois par mois, il fallait animer ou encadrer des débats et des conférences. De surcroît, nous allions former un groupe de cinq personnes qui ne se connaissaient pas auparavant. Nous sommes devant ce que nous pouvons appeler un état mental, ici causé par l'annonce de cette invitation. A un état mental on peut associer un état physiologique correspondant mêlant enthousiasme et anxiété. Nous allons maintenant procéder à l'étude de cette série de trois rêves étalés sur deux nuits. Rêve de la première nuit : Un bain de mer et l'émergence d'un gisement de sel. Ce rêve a eu lieu l'avant-veille de la première réunion de constitution du groupe. Je me trouvais sur la côte Sud-est de l'île de La Réunion à cet endroit appelé « Enclos » où il est interdit de s'installer pour vivre du fait du risque de coulées de laves du volcan du « Le Piton de la Fournaise » dominant les lieux. Il me vint un désir irrésistible de me baigner malgré les risques. La mer était déchaînée de ce côté selon son habitude. Je savais la présence de requins... Malgré tout, je me risquais à faire quelques brassées. C'est alors que je me sentis soutenu par l'eau grâce à sa forte teneur en sel. Un gisement de sel se répandait dans la mer. Je me trouvais comme porté par lui et rassuré à ma grande surprise. De quoi me redonner confiance. Fin du rêve. Auto-analyse du rêve : A mon réveil, la première impression fut comme une sorte d’invitation à agir. Aussitôt après, en interrogeant ce rêve j'ai instantanément ressenti les sensations éprouvées à Massada en Israël en me baignant dans la Mer Morte en 1974. Ce rapprochement fut instantané, par analogie spontanée pourrait-on dire (analogie enactive aussi). Je garde de ce bain un souvenir unique : vous vous sentez comme porté du fait de la forte teneur en sel. La sensation inédite, surprenante, m'est restée en mémoire, une mémoire saisie émotionnellement et devenue « inconsciente », mais belle et bien incarnée. Le rêve ne participerait pas à la consolidation d’un souvenir ancien, thèse actuellement défendue par certains, mais au contraire c’est l’élucidation du sens, favorisé par l’analogie qui ferait émerger le sens du rêve, c’est ce que Francisco Varela appelle la cognition enactive. L'émergence du sens du rêve serait secondairement associée à la sensation contenue dans ce souvenir. Une sorte de relation, de similitude, semble s'établir immédiatement entre la sensation d'avoir été porté par le sel de la Mer Morte et la sensation du rêve actuel associée à une confiance en soi.

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Ce rêve pose déjà une première question relative à la remémoration. Guy Tiberghien, dans La mémoire oubliée (1997) précise que les réseaux neuronaux impliqués dans la dynamique de la mémoire « ne transformerait pas un input en out-put, par un processus représentationnel, mais serait un processus auto-organisateur, contraint par ses propres sorties et soumis à des modulations internes ; La cognition se décrit, dans ces conditions, comme un processus holistique d’auto-adaptation, un système dynamique non linéaire évoluant dans un espace multidimensionnel ». Guy Tiberghien semble proche de se rallier à la conception de Varela (1993) quand celui-ci suggère de substituer le concept d’enaction à celui de cognition, dont voici en rappel la définition : « la cognition dit Varela, loin d’être la représentation d’un monde préformé, est l’avènement conjoint d’une monde et d’un esprit à partir de l’histoire de diverses actions qu’accomplit un être dans le monde » (1993, p. 35)… Et Guy Tiberghien de conclure : « C’est une tout autre conception de la mémoire, encore largement spéculative, mais qui n’est pas incompatible avec de nombreuses propriétés du cerveau », (1997, p. 150). Après avoir relevé les concordances entre ces deux auteurs, nous retrouvons cette même communauté de vues avec d’Henri Atlan étant donnée l’auto-organisation enactive du rêve. Hypothèse d’une pulsion individuante Nous allons maintenant soulever une hypothèse centrale c’est celle d’une générativité auto-émergente du rêver expression d’une pulsion individuante qui pourrait fédérer toutes celles liées à cette prouesse du cerveau de créer des rêves : le rêve activerait non seulement des images mais aussi des comportements sous une forme simulée. C’est ce que j’aurais perçus intuitivement comme « une sorte d’invitation à agir ». Et aujourd’hui d’en faire état par cet article. Ce rêve, qui nous sert d’exemple déclenche la remémoration d’un souvenir ancien lié à une baignade, c’est déjà une action, dans une mer des plus sûre du monde ! Ce rêve peut être comparé à un interrupteur qui allumerait plusieurs ampoules, la seconde éclaire un souvenir ancien. La remémoration advient après coup comme pour permettre au rêveur d’en déceler l’action potentielle du rêve et sa signification. Le rêve créerait aussi fondamentalement de la nouveauté. La mémoire serait réactivée que pour nous en faire découvrir le sens. L’aspect créatif du rêve serait tout autre qu’un simple créateur d’image ou rappel mnésique. On pourrait y percevoir un double aspect, la nature du rêve biologiquement codée, en d’autres termes son instinctivité, d’une part, et sa signification qui se contextualise en fonction de la vie quotidienne du rêveur, d’autre part.

Hypothèse d’une générativité innée du rêver Avec l'essor de la recherche sur l'intelligence, et l'apparition de nouvelles méthodes, on découvre depuis les années 80 des compétences précoces chez les bébés : ils se révèlent capables de catégorisation, de calcul, de compréhension du langage, etc., comme le décrit Roger Lécuyer dans Bébés astronomes, bébés psychologues (1989). Ces découvertes remettent en question la conception d'une intelligence construite par l'action. Des conceptions nativistes du développement émergent, en opposition au constructivisme de

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Piaget. Ce fut l’époque « stadiste » pourrait-on dire. Thomas G. Bower fait l'hypothèse dès 1974 que l'être humain dispose à la naissance des compétences de base pour comprendre le monde. En 1990, Jacques Mehler et Emmanuel Dupoux diffusent ces idées en France dans Naître humain (Odile Jacob). Récemment Roger Lécuyer évoque des compétences insoupçonnées chez les bébés. (note) Bébé : des compétences insoupçonnées. Entretien avec Roger Lécuyer, Sciences Humaines, « L’enfant », Hors-série n°45, Juin-Juillet-Août 2004. Ces données nativistes on les retrouvent chez Stanislas Dehaene et Jean-Pierre Changeux, (1993) qui découvrent des compétences chez le bébé dans le domaine du traitement inconscient des nombres qu’ils nomment « détecteur de numérosité » reposant sur des dispositions neuronales innées. Pour tenter d’expliquer le choix d’une image onirique et non d’une autre en amont de la production des rêves, pourrions-nous envisager la présence d’un traitement inné qui opérerait ce choix ? Pourquoi un bison et non une chèvre ou un taureau ? Pourquoi un obstétricien ou un militaire ? Par une pirouette linguistique nous pourrions répondre par cette hypothèse : c’est un traitement inconscient téléosémantique des états mentaux du rêveur ? Ce serait encore attribuer à l’inconscient une compétence ! Laissons cette question en suspend, pour peut-être suivre un chemin détourné. A cet instant nous proposons la transposition de la thèse d’une grammaire générative et transformationnelle de la faculté de langage verbal selon Noam Chomsky (1985) en envisageant une semblable générativité du rêver. Noam Chomsky n’excluait d’ailleurs pas une extension possible de ses présupposés en disant : « J’avancerais, en outre, l’idée que des analyses analogues pourraient s’avérer fructueuses eu égard à d’autres structures cognitives qui se développent chez l’homme », (1979, p 65). Nous envisageons que l’aspect innéiste du rêver serait une faculté auto-organisée par des structures organiques dont le sous-bassement neuronal et oscillant formant comme « la literie du rêve », qui ferait émerger un langage d’images issues d’une sorte de lexique iconique mental stocké mis à « disposition » de l’instinct du rêve. Dans un second temps, nous chercherons une provenance à ce lexique d’images (ou bibliothèques d’images) en retrouvant notre rêveur à la première personne. Pour l’instant, il nous faudrait réfléchir aux propriétés qui définissent traditionnellement un langage, pour les transposer au langage d’image, soit :

1) les propriétés iconiques (pour le rêve) remplacent les propriétés phonétiques, elles

semblent illimitées, 2) les propriétés syntaxiques des images émergent suivant un ordre, ce qui est le cas.

« Mais la syntaxe existe-t-elle en dehors du sens, n’est-elle pas déjà organisée en fonction du sens ? », se demande, Marc Jeannerod, « Esprit où es-tu ? », p. 122, (1991),

3) quant à la dimension sémantique, celle-ci se rapporte au sens du rêve et à sa valeur informative. Caractéristique particulière du fait d’une dissociation qu’on pourrait qualifier de naturelle : le destinataire de l’information est le même que le créateur de l’information, nous serions devant un langage intérieur (« adressé » à un double ?) au soubassement cénesthésique et autopoïétique dans sa forme, si l’on comprend ainsi la production d’images autoproduites par le cerveau. Francisco Varela désigne en effet sous le terme « d’autopoïèse » la production du vivant par lui-même, ce qui inclus l’auto-organisation abordée par Henri Atlan (1974, 2011).

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Qu’est-ce qui changerait pour notre approche du rêve si l’hypothèse de la générativité auto-émergente du rêver était fondée ? Cela conférerait au rêve plus qu’un statut informatif existentiel car il valoriserait un langage intérieur (intime) sélectionné par l’évolution, dont on a vu qu’il pouvait être antérieur au langage parlé et articulé avec Roger Saban et Derek Bickerton. De là à penser que ce langage, plus proche des déterminismes biologiques du psychisme devrait nous permettre d’accéder à l’inconscient de l’Homme préhistorique toujours vivant en nous, il n’y a qu’un pas ! Ce pas pourrait être franchi si nous acceptions l’idée d’un double (non dualiste) qui se chargerait de décoder le rêve. Pour communiquer une information ne faut-il pas deux interlocuteurs : un émetteur et un récepteur ? Retrouverons-nous ce double ? Dans notre recherche sur l’innéité du rêve, nous veillerons à tenter d’identifier cet inconscient préhistorique, ou s’il peut être découvert drapé d’autres attributs que nous nous proposerons éventuellement de relever. Dès maintenant, nous pensons au qualificatif de cérébral, valorisé par Marcel Gauchet, tout en gardant en ligne de mire l’émergence du Soi ; tel que nous le supposons lorsque nous évoquons le processus d’individuation. Le rêve nous inciterait à devenir ce que nous sommes potentiellement phylogénétiquement compte-tenu de notre développement ontogénétique. L’individuation psychologique serait le résultat d’une interaction entre l’épigenèse et la neurogenèse.

Il ne faudrait pas trop hâtivement émettre d'autres déductions ou hypothèses car ce rêve devrait être considéré comme une première information, le premier rébus d'une suite qui nous réserve quelques surprises... Même si l’interprétation a eu recours à une information passée, le rêve crée une scène inédite, nouvelle, et il semblerait avoir une intentionnalité (une intelligence ?) sous-jacente qui semble se révéler en fonction de cette série de trois rêves. Il serait aussi réducteur de se lancer dans une interprétation définitive à la suite de ce seul rêve, car les deux autres qui suivent semblent indiquer des potentialités autres et complémentaires. Deuxième rêve. La nuit suivante, il m'est venu deux autres rêves. Le premier décrit une scène très brève : Je me trouve sur une route littorale localisée au pied d'une falaise dont des pierres tombent sans m'atteindre. Je les esquive en mimant un ailier joueur de rugby ou encore un lapin qui parcours la campagne en zigzag pour duper un éventuel chasseur. La crainte se retrouve derrière soi ou dessus de soi, comme lorsque vous longez une falaise. Fin du rêve. Interprétation du deuxième rêve : Le matin à mon réveil j'ai instantanément pensé à cette invitation à participer à ces conférences avec mes collègues. Je devais craindre des critiques éventuelles associées aux pierres qui pouvaient tomber de la falaise. La crainte de la chute des pierres qui devaient symboliser les critiques que j'aurais pu recevoir aurait activé le souvenir du jeu des craies comme symbole des critiques éventuelles. Le rêve m'indiquait que ces critiques ne me toucheraient pas. Mais je ne peux dire si l'interprétation que je viens de présenter était aussi nette dans mon esprit après ce premier rêve. Ce troisième rêve ci-dessous me confirma cette interprétation. Le travail opéré sur ce rêve, fait émerger secondairement, par analogie semble-t-il un souvenir d'enfance qui s’associe à ce rêve, comme une seconde image qui émerge immédiatement sans que celle-ci soit

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suscitée par la technique de la libre association. Une scène apparaît où je me trouvais à l'école lors de ma première année d'école primaire, je fus scolarisé dans une classe unique de campagne qui dispensait plusieurs cours, de la maternelle au certificat d'études primaires. J'étais le plus jeune élève de la classe dont l'instituteur était mon père. Il m'avait permis de venir à l'école pour m'occuper et m'être agréable. J'étais comme « la mascotte du groupe» des élèves parce que le plus jeune. J'avais un «statut» particulier du fait d'être le fils de l'instituteur-directeur de l'école, statut que je partageais avec mon frère, aîné de 15 mois. Mon père avait quelquefois l'habitude de nous envoyer de petits morceaux de craie pour nous rappeler à l'ordre, lorsque par exemple, nous bavardions pendant les cours. Un jour de gros orage, pendant la récréation qui se déroulait dans la classe où nous étions à l'abri, le Maître eut l'idée d'organiser un jeu qui consistait à m'envoyer des craies pour me toucher : je devenais la « petite souris ». Je devais esquiver les craies, ce que j'arrivais bien à faire. Je me demande si la vivacité de la mémorisation ne serait pas liée à l'action, de surcroît une action gratifiante de jouer. Un souvenir se stabiliserait d'autant plus facilement qu'il serait associé à un acte sensori-moteur gratifiant. Nous pouvons parler d'images motrices véhiculées dans le rêve. Ce deuxième rêve active un comportement inconscient, celui d’esquiver les pierres chutant de la falaise. Il y a deux énigmes à lever. Les pierres représenteraient les critiques. Autre image l’esquive comportementale, cette esquive serait-elle sous-tendue par un mécanisme adaptatif comme le penserait Marc Jeannerod ? « Si vous deviez attendre d’être conscient de ce que vous faites, dit-il, vos actions seraient si lentes que vous seriez anéanti à la rencontre du premier ennemi qui se présenterait ! L’idée est que le mécanisme qui produit les actions automatiques est un mécanisme adaptatif. Un autre exemple est la réaction à des stimuli menaçants. Le corps réagit, avec la réaction du système végétatif, une préparation à la fuite, mais ce n’est qu’après qu’on réalise consciemment la cause de cette émotion », (« La fabrique des idées », p. 209, (2011). Que l’on soit éveillé ou endormi l’inconscient « cérébral » n’aurait pas d’autres solutions : serait-il hérétique de penser que le rêve, dans ses potentialités conformément à ses déterminismes génétiques (sains) se manifesterait en faveur du maintien de sa structure ! « Le cerveau est fait pour agir » disait inlassablement Henri Laborit. La remémoration est encore une fois associée par une réflexion (une perlaboration) a postériori du rêve. On s’éloigne de la simplicité condensée du rêve qui devient dans notre interprétation au-delà du neurophysiologique un déclencheur d’associativité dépassant une connectivité physiologique impliquée dans la construction de l’image onirique. On toucherait là, la jonction entre le culturel et le biologique selon une vision moniste qui ne pouvait pas être pour l’instant envisagée d’une manière intégrée cliniquement et neurobiologiquement. Au réveil, l’interprétation immédiate du rêve permet de réduire la tension inhérente entre la dissociation entre le rêveur acteur et le spectateur du rêve qui réalise que c’est bien lui qui a rêvé, puisqu’il se reconnaît instantanément dans cette action du rêve au travers d’une action semblable puisée dans son passé par remémoration selon un traitement analogique, comme dans le rêve du gisement de sel. Une action similaire se trouve associée favorablement renforçant le dynamisme inconscient promu par le rêve. Si le rêve n’avait pas été interprété, consciemment donc, ce dynamisme aurait agit inconsciemment sans être renforcé par la prise de conscience. L’image onirique, ou la pensée qui « s’image » auraient recours à l’analogie pour en dégager un sens et donc une signification et celle-ci implique l’auteur

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dans son histoire, sa culture, sa psychologie. Le même processus de traitement analogique des images oniriques se retrouve dans ces trois rêves. Ce « traitement » peut-il être expérimenté à la lecture d’autres rêves, notre réponse est assurément oui, et nous donnerons rendez-vous pour une prochaine étude. Ce rêve semble « tourné » vers « l’avenir » n’oublions pas que ces mécanisme seraient automatiques et spontanés, devrions nous dire dépourvus d’intentions conscientes, précision qui justifie les guillemets. Ce n’est pas seulement le souvenir de l’esquive qui est évoqué analogiquement, c’est un comportement nouveau qui est simulé, il se trouve ainsi soudainement activé physiologiquement et générativement semble-t-il ? Le comportement d’esquive des craies a sans doute été classé dans un répertoire comportemental inconscient, mais le rêve crée un nouveau comportement, c’est en ce sens qu’il pourrait être assimilé à une générativité comportementale indiquant une finalité. Le rêve comme instinct activerait une procédure pour signifier instinctivement quelque chose de nouveau, l’assimilation analogique émergerait avec la prise de conscience qu’elle permet. Il y aurait alors comme un dialogue interne, qui pourrait activer deux registres de sensation, un registre enacté initialement par le rêve et l’autre par les effets du rêve lorsque celui-ci accède à la conscience, ce serait la confrontation des deux registres, le premier nouveau, le second déjà vécu, qui favoriserait la prise de conscience.

Troisième rêve : Je suis devant une bouche d'incendie qui commence à fuir. De l'eau s'en échappe. Je m'avance pour essayer de fermer la vanne et n'y arrive pas. La fuite d'eau s'amplifie : plus j'insiste, plus elle devient importante. Simultanément j’avais l’impression que de lutter contre une partie de moi, persuadé que je n’arriverais pas à stopper la fuite d’eau. Fin du rêve. Le fait de ne pouvoir bloquer l'eau me donnait l’impression de ne pouvoir contenir une force en moi... qui passait par une « bouche ». Si vous voulez participer à un cycle de conférence, c'est bien par la bouche que les paroles sortiront ! Cette métaphore pourrait être étayée plus longuement, mais ce n’est pas l’objet de cette communication. Le rêve serait-il la réalisation d’un désir inconscient ? La question n’est pas nouvelle. Dans un rêve il faut savoir, qui agit ? Est-ce l’acteur principal, le souffleur, le régisseur, et le critique, un objet qui semble occuper une place décisive, un animal qui s’interpose, un intrus qu’on n’attend pas ? Etc. Il y a aussi la démarche qui pourrait ré-envisager le désir dont on suggère la distinction entre le désir d’individuation, et celui déclenché par des objets extérieurs autre que soi.

Désir exogène ou désir d’individuation ?

Dans le premier rêve, mes préoccupations préconscientes semblaient avoir besoin de ce soutien symbolisé par le gisement de sel comme pour me rassurer de ce que fantasmagoriquement je projetais, à savoir : la crainte de me retrouver dans un univers hostile, «le milieu des psy» à références freudiennes. Je ressentais le sel en rapport avec la

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confiance en Soi (le Moi se retrouverait inclus dans le Soi suivant l’approche théorisée par Jung). Le filon de sel remplissait une fonction rassurante, il se localisait «sous» le corps. Est-ce le «proto-Soi» de Damasio ? La pulsion basique, exprimée par ce filon, me poussait apparemment à prendre des «risques». La découverte et la présence de ce «gisement» rassurent ma conscience, ou mon «Moi», qui semblait ignorer ce «gisement» provenant d'une entité plus globale, le Soi, dans mon interprétation. Ce serait un rêve rédempteur de la peur projetée. Cette partie de l'île qui représente l'inconscient sauvage, accidenté, dangereux, peut réserver de réconfortantes surprises ! (Nous avions avec des amis pêché un requin, un requin tout à fait réel, à peu près à cet endroit de «l'enclos», deux mois avant l'émergence du rêve). J'ai cru comprendre que le rêve me disait en d'autres termes : «Tu peux prendre des risques.» Ce premier rêve ne devait pas suffire pour modifier mon état mental constitué de ces deux sous-états mentaux. La représentation mentale qui «planait» au dessus de ma tête peut-elle être considérée comme un fantasme lié à l'impression de ne pas me sentir à la hauteur de la tâche, tout en désirant assumer cette tâche ? Ces configurations psychiques occuperaient la sphère du psychisme secondaire, si l'on reprend nos références langagières proposées initialement. Le deuxième rêve indiquerait que les critiques ne me toucheraient pas en réactivant un souvenir où je sortais «gagnant», non atteint par les craies symbolisant les critiques. Le troisième rêve suggérait qu’une force jaillissante de la bouche et qu'il fallait que «ça sorte». La rédaction de cet articlé s’inscrit dans la même problématique d’expression. Suivant une optique que l'on pourrait dire «jungienne», ces rêves sembleraient vouloir compenser un manque de confiance en soi initial, et l'on retrouverait là, la fonction de compensation de Jung, les deux derniers rêves me confirmant d'avoir confiance. Dans les trois rêves, des informations d'une partie du psychisme que l’on pourrait localiser en provenance de l'inconscient originel émergeraient à destination d'une autre partie du psychisme qu'on pourrait appeler le Moi, ou en terme jungien le complexe Moi. Je me pose la question de la valeur symbolique du sel. Dans la dynamique de mon inconscient, le sel devenait un élément dissous dans l'eau de mer qui remplit une «fonction de soutien». Dans le domaine culinaire, il est un élément essentiel à l’alchimie de l’art culinaire. On partage le sel comme le pain. Dans la liturgie baptismale «le sel de la sagesse» est le symbole de la nourriture spirituelle. Chez les Grecs, comme chez les Arabes ou les Hébreux, il est le symbole de l'amitié. J'ai dû me plonger dans des dictionnaires des symboles pour chercher d'autres repères porteurs de significations. Ces considérations s'avèrent intellectuelles, bien qu'elles puissent satisfaire l'esprit et susciter une certaine ouverture du psychisme «cognitif». Je sentais qu’il ne fallait pas s'éloigner de la «simplicité» du rêve. Et ne pas lui faire dire ce qu’il ne dit pas. On peut se référer au fantasme de la « mère porteuse » sécurisante. Une théorisation hâtive pourrait orienter le rêve dans une direction régressive des dynamismes psychiques. Je ne pense pas qu'il faille s'y orienter et cela d'autant plus que les deux autres rêves indiquent une direction différente.

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Ces rêves inspirent une première hypothèse : compenseraient-ils une disposition de l'attitude consciente ? Ce serait comme une « fonction de compensation » qui orienterait des énergies dans un autre sens. J'aurais tendance à accepter cette interprétation. De plus, nous savons que la biologie n'aime pas la déperdition d'énergie et là on pourrait dire que le rêve orienterait l'organisme biopsychique dans une direction économisatrice. On remarque également que toutes les images sous-tendent des actions potentielles, c’est pourquoi nous devrions parler d’images motrices et par la suite de « proto-comportements ». Selon Jung, l'activité de l'inconscient compenserait aussi l'exclusivisme de l'attitude générale due aux fonctions conscientes. La dynamique du changement tiendrait notamment à l'intervention compensatoire de l'inconscient. Avec Michel Jouvet, dans Le sommeil et le rêve (1992), on se demande si cette fonction que l’on postule activée lors des rêves contribuerait à la programmation - déprogrammation génétique de l’individualité psychologique ? Ce qui implique une certaine plasticité… Suivant l'optique jungienne, une fonction psychologique serait considérée comme une forme d'activité du psychisme qui malgré le changement des circonstances reste dans son principe semblable à elle-même, et en serait une des formes par lesquelles se manifesterait l’énergie psychique. Doit-on considérer ces trois rêves comme exprimant une fonction de compensation entre deux états mentaux conflictuels ? En outre, le jour de la première rencontre de constitution du groupe du «cartel», j'ai voulu présenter le premier rêve tout en faisant part de mes appréhensions. Economiquement, il est reconnu qu'il vaut mieux dire que l'on est angoissé quand on l'est ! Cela devrait nous économiser les énergies qui seraient mobilisées par nos défenses du Moi afin de cacher une partie de nos états mentaux liés au manque de confiance en soi. Cacher ses angoisses est particulièrement dévorateur d'énergie. Nous avons cherché un sens en évoquant des facteurs d'économies psychiques, mais est-ce tout ? Reprenons les analyses. Articulation « des » psychismes «primaire» et «secondaire» Je suggère que l'on envisage l'hypothèse de la pulsion issue du psychisme primaire, qui, après m'avoir poussé à me baigner, serait comme métamorphosée en prenant la forme de ce gisement de sel. Cela reviendrait à lui attribuer une intention, une finalité, de me pousser d'abord à prendre des «risques», à évoluer suivant une logique darwinienne innée et téléonomique selon la logique du psychisme primaire. Le psychisme primaire est-il seul à intervenir ? Nous sommes amenés à avancer la notion de mémoire-habitude acquise à faire face (ou non) à des situations nouvelles développées lors d'apprentissages antérieurs. Cette «mémoire-habitude» contribue à structurer le psychisme «secondaire». On pourrait imaginer que la pulsion, avant d’enacter instinctivement un rêve, portée par sa force intrinsèque, puiserait en même temps dans l'inconscient autobiographique des informations acquises qui l'inciteraient à pousser l'organisme dans une certaine voie. Elle serait, dans mon cas, en quelque sorte liée au niveau de professionnalisation et aux controverses coutumières rencontrées professionnellement. Dans ce scénario, les rêves seraient enactés par des stimuli à la fois externes, l'invitation à me joindre à ce groupe, et internes, le résultat du dilemme causé par ces deux états

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mentaux, l’un désirant participer au groupe de travail et l’autre marqué par une crainte des controverses, ces deux états engendrant un conflit psychique et physiologique. Ceux-ci trouveraient à devoir se confronter à la pulsion basique individuante liée au corps. Définissons dans un premier temps le conflit psychique en nous reportant au Vocabulaire de la psychanalyse : « On parle psychanalyse de conflit lorsque, dans le sujet, s'opposent des exigences internes contraires. Le conflit peut être manifeste (entre un désir et une exigence morale par exemple, ou entre deux sentiments contradictoires) ou latent, ce dernier pouvant s'exprimer de façon déformée dans le conflit manifeste et se traduire notamment par la formation de symptômes, de désordre de la conduite, des troubles du caractère, etc. La psychanalyse considère le conflit comme constitutif de l'être humain et ceci dans diverses perspectives : conflit entre le désir et la défense, conflit entre les différents systèmes ou instances (ça, moi, surmoi), conflit entre les pulsions, conflits œdipiens enfin où non seulement se confrontent des désirs contraires, mais où ceux-ci s'affrontent à l'interdit. » J. Laplanche et J.B Pontalis (1973). Nous avons l'intégralité de cette définition. Comment va-t-elle nous servir ? L'incompatibilité d'une représentation avec une autre représentation, créant un désaccord, engendre un conflit intrapsychique et a comme corollaire l'intensité de l'investissement de telle ou telle représentation. On peut s’interroger avec quelle force, une image onirique, une pensée ou un «acte de pensée» s'impose, là dans le rêve. C'est là que les psychanalystes traditionnellement font intervenir le concept d'investissement qui rend compte de l'intensité de l'occupation, par une représentation de l'activité mentale. C'est un concept économique dans le sens de l'énergie mobilisée qui se trouve attachée à une représentation ou un groupe de représentations, une partie du corps, un objet, une personne... On distingue un investissement potentiel et un investissement actuel ou réalisé. Dans les rêves pénibles tout arrive «en vrac». Ils déstabilisent les défenses des patients parce ceux-ci n'ont pas le recul nécessaire pour intérioriser les nouvelles données du rêve. Dans tous les cas nous évoquons le caractère dissociatif de l'expérience onirique, qui apparaît évidente lors de rêves pénibles. Non seulement le rêveur se voit agir, comme un double interrogatif, mais celui-ci est impliqué dans un scénario dont le rêveur ne peut ignorer que c’est bien lui qui en est le metteur en scène de ce scénario révélé. Lorsqu’un conflit éclate en rêve, nous pensons que le rêve en traduisant le conflit en image cherche à s’en libérer car ce conflit entraverait le processus d’individuation focalisant ainsi de l’énergie d’une façon névrotique et donc non dynamisante. Envisager que la pulsion basique soit à l'origine de la résolution du conflit entre deux états mentaux m'enthousiasme et me rend perplexe en même temps. Que la pulsion soit un guide aussi fiable me semble presque relever d'un pouvoir démiurgique. Envisageons l'éventualité d'une guidance inconsciente de la pulsion habituée à faire face à des «obstacles» suivant l'éventualité d'une certaine «mémoire-habitude» présentée plus haut. Il faudrait d'une part procéder à un long développement pour évoquer l'éventualité d'une sorte de connaissance qu'aurait l'inconscient des capacités que détiendrait un organisme au niveau du psychisme «secondaire», habitué à faire face à différentes situations. Là, nous abordons l'étude qualitative des acquisitions et de leur valeur potentiellement dynamisante. D'autre part, cela pourrait impliquer qu'il y aurait simultanément une fonction d'évaluation préalable à la décision par l'inconscient à pousser l'organisme à faire face à la situation en fonction de

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données internes. Ces «informations» seraient celles que mon cerveau aurait emmagasinées pour me permettre d'être à la hauteur de la situation, il s'agirait là de prise de décision à agir, ou au contraire à ne pas agir dans telle ou telle situation. Le rêve serait-il l’équivalent de l’émergence iconique d’une dissertation basée sur la thèse, l’évaluation d’une antithèse, pour enfin établir une synthèse ? Cette évaluation préalable à la décision confronterait des dispositions potentielles contenues au niveau du psychisme «secondaire» pour agir selon la logique du psychisme primaire. Psychismes «primaire» et «secondaire» se retrouveraient en interaction constante dans le mouvement d'évolution hybride biopsychique suscité par la dynamisation de ces trois rêves. Pour le sens commun, «peser le pour et le contre » avant de prendre une décision paraît être une opération évidente lorsqu’elle mobilise la conscience, mais peut-on imaginer un tel mécanisme inconscient, et de surcroît qui se mesurerait en m/s ? Ainsi devrions-nous interroger l’idée véhiculée par Henri Atlan, Ce mode d’interaction entre conscience mémoire et auto-organisation inconsciente fait apparaître une conscience intentionnelle, ou une intention consciente, non pas comme un phénomène premier, fondateur, mais comme un phénomène second dérivé.» Henri Atlan, (Le Vivant Post-Génomique ou qu'est-ce que l'auto-organisation ? 2011, p 213). Nous allons maintenant solliciter Alain Berthoz (2003), ainsi pourrions-nous étayer nos déductions, confirmer ou invalider ce travail de simulation de scénarios qui contribuerait à la prise de décision lorsque l’information du rêve arrive ou non au niveau conscient et sans sa contribution. Nous voici plongé dans un questionnement que rien n’annonçait en début d’étude. Alain Berthoz a recours à la notion de double et au pouvoir projectif du cerveau dans la prise de décision, in, La décision (2003). Pour le Professeur, « le cerveau fait qu’il n’assemble pas seulement les données du monde mais qu’il construit le monde sensible en fonction de ses projets, clé de ses hallucinations » (p. 148). Il dit également : « Au cours de l’évolution s’est produit un saut de complexité qui a conduit les primates et surtout, à mon avis, l’homme à disposer de mécanismes lui permettant de simuler mentalement toutes les fonctions cognitives et motrices sans avoir à intervenir sur le monde. Nous n’avons pas seulement un homonculus dans le cerveau, nous avons un autre nous-mêmes. La preuve la plus éclatante, poursuit-il, de cette réalité biologique est apportée par le rêve. », (p.151). Le double d’Alain Berthoz est-il le même que notre double : psychisme primaire et psychisme secondaire, ou réside-t-il dans la capacité de se dissocier ? Je rappelle qu’Henri Laborit (1981) disait, suivant une formule extrêmement laconique que « le cerveau était fait pour agir », (n’est-ce pas une autre façon d’évoquer ce psychisme primaire ?), le rêve préfigurerait des comportements potentiels (ou proto-comportements) en simulant des actions à venir. Une citation d'Antonio Damasio va nous venir en aide pour faire comprendre une certaine logique «bioculturelle» de la pulsion lorsqu’elle se manifeste dans le rêve, et ce malgré le caractère quelque peu spéculatif du raisonnement qui suit. La pulsion, bien qu'étant initialement d'origine biologique dans son instinctivité, en habitant un corps singulier, finit par « l'investir par incarnation cognitive » et en « avoir » une certaine «connaissance intuitive inconsciente». On peut imaginer que cet accès à la connaissance est issu d'une réalité «hybride» bio-culturelle mobilisant une cognition incarnée : « C'est comme s'il existait, dit Antonio Damasio, une passion fondant la raison, une pulsion prenant naissance dans la profondeur du cerveau, s'insinuant dans les autres niveaux du système

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nerveux, et se traduisant finalement par la perception d'une émotion ou par une influence non consciente orientant un processus de prise de décision. La raison, de sa forme pratique à sa forme théorique, se développe probablement sur la base de cette pulsion innée, par un processus ressemblant à l'acquisition, (c'est nous qui soulignons), d'une compétence supérieure dans la pratique d'un art. Si vous n'avez pas l'incitation de la pulsion, vous n'acquerrez jamais la maîtrise de l'art. Mais si vous possédez cette pulsion, cela ne garantit pas automatiquement que vous deviendrez un maître.», L'erreur de Descartes, (1995), p. 307. On a voulu accorder un certain crédit à l'hypothèse d'une impulsion et d'une direction téléonomique sous-jacente de la pulsion dépendante de la biologie et donc du psychisme «primaire», compte-tenu des acquisitions du psychisme «secondaire». Cela est sérieusement envisageable sur le plan biologique, mais comment sauter le pas sur le plan psychique ? La pulsion purement organique installée dans le psychisme primaire pourrait-elle à elle seule orienter le psychisme «secondaire» suivant une direction pertinente par rapport à la réalité ? « Il ne suffit pas d'avoir l'incitation de la pulsion, il faut aussi acquérir la maîtrise de l'art », ce qui signifie dans mon cas : « détenir des références solides pour se repérer dans l'univers des psychanalystes ». J'ai souligné « acquérir », pour insister sur la dimension de l'acquis. La pulsion ne serait pas si démiurgique que cela ! Cette mise au point nécessiterait un chapitre spécial. Pour l'instant, dans notre hypothèse, la pulsion semble puiser des ressources et des informations dans l'existant du couplage structurel organisme-environnement, l'existant entre inné et acquis et cela de façon instantané ne dérogeant pas à son instinctivité. Nous avons suivis jusque là un raisonnement hypothétique à partir de cette éventualité d'une direction téléonomiquement guidante de la pulsion sur le plan psychique d’autant plus guidante qu’elle a eu accès à la conscience. Il faut aussi rajouter l'hypothèse d'une habitude de la personne à faire face aux difficultés rencontrées dans le quotidien, autant que faire se peut. Autrement dit, il est dans mon habitude de faire confiance à mon inconscient a priori. Cela méritait d'être précisé. Dans notre conception du psychisme, l’image d’un ensemble de composants en interaction (de « psychés parcellaires » dans le vocabulaire jungien), nous paraît satisfaisante. Et nous avons évoqué aussi le principe du couplage structurel organisme-environnement articulé selon l'histoire de la personne. Ce couplage structurel aura façonné épigénétiquement l’ensemble de ces composants, le « ça » freudien, le « Soi » jungien, le « moi », le « surmoi », la « Persona », ou le « moi social », « l'Ombre », « l’animus », « l’anima »,… auxquels il faut associer la notion de « complexes psychologiques », qui selon Jung auraient une marge de manœuvre enactive inconsciente. Tous ces composants sont en fait de la mémoire innée et acquise, donc de l'information potentiellement enactante. Dans cette hypothèse, en présence d'un état mental, différents composants (ou rassemblement de neurones) devraient être activés du fait des propriétés de la matière vivante neuronale suivant « le principe de réseaux solidaires » déclenchant une réaction auto-organisatrice produisant des images et (ou) des comportements simulés. En transposant les apports de F. Varela et d'A. Damasio dans l'abord de mes rêves, nous sommes en présence de deux états mentaux, qu'on pourrait dire «opposés», l'un voulant déclencher un processus de participation à ce cartel, l'autre semblant freiner les velléités du premier. On peut appeler cette opposition un

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conflit entre deux représentations, créant une légère dissociation. L'émergence d'une force supérieure aux forces antagonistes en présence semble avoir suscité le dépassement du conflit et engendrer un nouvel ordre. On peut imaginer que cette force, en émergeant, modifierait la configuration des deux états mentaux initiaux mis en tension d'opposition du fait de la réactivité stimulante ou inhibante des différents composants (ou « agents de l’esprit » selon Marvin Minsky, stimulés par ces deux états mentaux. Cette configuration se retrouverait modifiée dans le sens d'une dynamisation créatrice par l'émergence de la pulsion productrice de rêves, de significations et d’une plus grande possession de son soi avec un S pour le différencier du soi purement organique. Nous rejoignons ainsi la conception du Soi de Jung. C'est l'ensemble des potentialités innées dont le mélange unique va former l'individu ; c'est la totalité de tout ce que l'on est potentiellement. Ce point est important car inscrit dans la nature, le Soi doit également être animé d'émergences. La question plus sujette à caution viendrait de ce qu'il est envisagé fréquemment par les jungiens comme étant le centre de la personnalité globale, animé (ce centre) d'oppositions où les tensions de la psyché se réconcilient en « conjonction des opposés ». Après évaluation de la «situation», la pulsion aurait fait la «synthèse» des forces en présence dans différents « agents de l’esprit » en présentant une solution qu'elle traduirait en langage d'images, c'est-à-dire en rêves afin de dépasser les oppositions initiales. La raison d’être de la pulsion serait alors de «synthétiser» les différents états mentaux des différents composants du psychisme et d'en faire émerger un nouveau, qui deviendrait une « solution». Dans le premier rêve, le désir irrésistible de me baigner serait ainsi lié à la force initiale de la pulsion malgré la menace de la mer «déchaînée». Dans mon cas, la pulsion se serait «fondue» dans des images potentiellement «soutenantes» pour dépasser les autres dispositions des états mentaux qui pouvaient freiner son évolution et cela d’une manière automatique engendrant un sentiment de confiance en soi. Confiance en soi conjoncturelle ou confiance en soi structurelle ? Nous introduisons la notion de conscience de Soi qui est éminemment subjective en demandant : «Avez-vous confiance en vous ?» Cette question devrait attirer votre attention et éveiller un état mental. Formulée après que vous ayez eu un succès professionnel ou affectif vous risquez de me répondre : «Oui, très confiant (ou assez confiant) en moi.» Notre sentiment «subjectif» de nous-mêmes serait en fait très changeant. En m'impliquant dans cette façon de voir, je dirais que la confiance en moi qui remonte à cette scène de l'école m’était intérieure sans que j'en sois conscient. Ce savoir sur moi-même était entreposé dans mon inconscient autobiographique, ma conscience l'ignorait. Je me demande si l'on ne pourrait pas en déduire que notre inconscient activerait une connaissance supérieure de nous-mêmes que n'aurait pas notre propre connaissance consciente. On imagine que la pulsion « hybride » bio-culturelle serait impulsée, d'une part par la charge énergétique qu'elle contiendrait génétiquement ce serait sa dimension innée et d'autre part elle serait également «guidée» par la mémoire inconsciente de l'organisme dans lequel elle évolue. Pour conforter cette façon d'analyser le contexte bio-culturel de la pulsion, j'évoquerai un processus semblable qui se serait déroulé avec la remémoration de l'eau chargée de sel qui vient me soutenir. Le gisement de sel pouvait symboliser le soutien de la pulsion. Celle-ci, dans sa dimension biologique, se sentirait soutenue par des éléments de sa mémoire génétique et culturelle sur lesquels elle se fonde pour pousser l'organisme vers de nouvelles

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adaptations. Le premier rêve a également activé au réveil, instantanément par analogie un souvenir qui remonte à l'année 1974. Le second, encore plus ancien, celui de la scène des jeux de craies, remonte à l'année de mes quatre ans. La confiance en soi qui serait enactée par ces trois rêves serait une sorte de conscience inconsciente. Elle pourrait être considérée comme une information ou mieux une connaissance dont disposerait l'inconscient. Dans ce cas, nous aboutissons à cette éventualité : l'inconscient mettrait la pulsion au service de l'ensemble de la personnalité pour la faire avancer, désinhibant l’inhibition selon une logique de téléonomie psychique qualifiée de darwinienne. Plus haut, il été déjà envisagé une hypothèse allant dans le même sens, qui conférerait au rêve une fonction de déclencheur de comportements nécessaires à la vie et à la survie. La valeur existentielle de l’agir est comprise si l’on compare un organisme, animal ou humain avec les plantes. Les végétaux n’ont pas besoin de se déplacer, ils puisent leur nourriture dans le sol. L’animal, et donc l’homme ont besoin de se déplacer dans leur environnement pour assurer leur survie. C’est cette fonction d’activation de comportements, si elle devait être entravée par l’inhibition répétée que le rêve chercherait à rétablir.

Il faut ouvrir le livre, le lire et le comprendre pour rappeler et activer ce qui est conservé en mémoire. Et ce sont les idées des utilisateurs humains qui orientent les recherches en mémoires, et activent le contenu de ces mémoires en leur donnant des significations nouvelles. Le rappel de la mémoire – comme l’indique mieux le mot anglais retrieval – n’est en effet pas une simple copie de ce qui était conservé. Le rappel est toujours effectué dans un contexte de pensée. Le contenu de ce qui est rappelé est associé à une ou plusieurs idées, et il acquiert une signification différente de celle qu’il avait quand il fut conservé. Henri Atlan, « Les échanges de savoir : La bibliothèque comme une métaphore d’organisation biologiques », p. 202, Interdisciplinarités, « Le genre humain », Seuil, (1998).

Ainsi, le cerveau, du fait d’une mémoire qui serait ouverte sur le monde, ne serait pas uniquement un organe de stockage de l’information mais un organe de liaison avec la banque de données abolissant les frontières dans le champ perceptif, dans lesquelles se mêlent passé, présent et futur. A quoi servent les rêves dans les sociétés de la modernité, ou de la post modernité ? Ne sont-ils pas, vestiges d’un passé, déclassés du fait de la concurrence dans l’apparition du langage qui caractérise sapiens Homo- Loquens ? Pour un biologiste évolutionniste (c’est un pléonasme) le maintien de cette faculté onirique devrait être interprété comme la persistance d’une fonction qui aurait été sélectionnée par l’évolution. Et cette concurrence par « sélection somatique » du langage parlé au détriment du langage généré intérieurement, illustrerait la thèse de Gérard Edelman, dans : Biologie de la conscience, (2000), qui évoque un mécanisme de compétition et de la sélection darwinienne appliquée à la construction du cerveau dès les premiers mois de la vie embryonnaire. Le cerveau serait sollicité et stimulé en fonction d’un contexte qui privilégie les stimuli environnementaux ; et nous pensons au détriment d’une sorte d’introspection qui proviendrait de la pensée visuelle et qui elle profitait, notamment, de la fonction discriminante liée aux neurones miroirs, récemment découverts (G. Rizzolatti, 1990). Il en résulterait progressivement, suivant une échelle de temps de l’hominisation que nous ne pouvons précisément circonscrire, l’apparition d’une cartographie neuronale qui aiderait progressivement à maîtriser le monde par le langage, ou qui chercherait à le maîtriser ! Et de là à considérer les théories (concurrentes) qui sont censées rendre compte de la vie psychique, il n’y a qu’un pas.

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« Le génome, aussi complexe soit-il, se demande Jean-Paul Baquiast, Animateur du site « Admiroutes », peut-il porter en lui les instructions nécessaires à la formation de la future cartographie neuronale ? ». Ou cette nouvelle configuration neuronale émergeante est-elle le résultat d’une construction sélective épigénétique abolissant les frontières entre corps et esprit ? Cette éventualité est de nos jours envisageable du fait de « La fin du tout génétique » (Henri Atlan). Les neurones se connecteraient d’abord au hasard (stochastiquement) puis de plus en plus systématiquement, pour répondre à des sollicitations nouvelles modifiant épigénétiquement le développement. Progressivement, les circuits de base dévolus à la communication se stabilisent en des groupes de circuits impliqués au niveau du langage parlé et articulé concurrençant le langage iconique et analogique de la pensée visuelle. Et comme les états mentaux, qui sont aussi des états physico-chimiques qui modifieraient l’environnement protoplasmique des neurones. Dès 1963 le Professeur Henri Laborit recherchait des régulations possibles liées au fonctionnement du noyau, il disait : « Si nous considérons celui-ci et la molécule d’ADN qu’il contient comme la forme la plus complexe et en conséquence essentielle de la vie, alors, comme nous l’avons constaté à degré d’organisation où nous avons appréhendé cette dernière, comme nous le constaterons encore aux degrés qu’il nous reste à envisager, ils doivent, pour assurer le maintien de leur structure, agir sur le milieu environnant, à savoir le protoplasme, pour assurer la constance de ses propriétés. Il s’agit là de la boucle rétroactive en réponse à l’action des variations physico-chimiques et énergétiques du protoplasme sur le métabolisme et l’activité fonctionnelle du noyau. Celui-ci, loin de rester le coffret soigneusement fermé où resterait emprisonné le matériel génétique, participerait alors de façon active à la fonction cellulaire, celle-ci n’ayant peut-être alors pas d’autres signification que d’assurer le maintien de la structure de ce noyau même », p. 57-58, « Du soleil à l’Homme, L’organisation énergétique des structures vivantes », (1963). Chacun de ces états peuvent interférer en sollicitant le génome activant des images produisant les rêves, qui eux-mêmes se chargeraient de modifier la conduite de l’organisme, les rêves présentant des images motrices (patterns of behavior) que nous considérerons comme de proto-comportements. Cette hypothèse, dans un contexte « d’ère post-génomique » est de nos jours plausible, surtout avec la montée en puissance de l’étude des processus épigénétiques, (voir, Edith Heard, Epigénétique et mémoire cellulaire, (2013).

Des implications humanistes de grande portée sont une conséquence logique et naturelle aux changements de concepts sur le cerveau et la conscience. Plus que le progrès en physique subatomique et en théorie de la relativité, le récent revirement dans la conception de l’esprit conscient, en accord avec l’extension macrodéterministe correspondant au reste de la réalité, modifie profondément le genre d’univers dans lequel la science aurait voulu que nous croyons », p. 57, « Structure et signification de La révolution de la conscience », Roger. W Sperry, 3

ème Millénaire, (1989), traduit par Valérie

Longeais.

Une vision résolument moniste du nouveau mentalisme Le rêve, en accédant à la conscience engendre des nouveautés cognitives, perceptives et de raisonnement. Est-ce tout ? Derek Denton, un des précurseurs des études sur la conscience en Australie, y voit des « forces opératoires », qui, « l’emporteraient » sur les « forces chimiques internes ». En se ralliant au nouveau mentalisme de Roger Sperry, il pense que « L’interaction organisationnelle au sein des hiérarchies neuronales, produisant la conscience transcende les forces physiologiques tout comme celles-ci transcendent les forces

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moléculaires, qui elles-mêmes transcendent les forces atomiques et subatomiques. Les forces cognitives exercent vers le bas, un contrôle interactif sur des hiérarchies organisées de processus physiologiques. On peut voir, de la même façon, que peut s’exercer un contrôle en sens inverse. Les processus conscients peuvent être déterminés, (nous pensons par les rêves, (rajout de notre part)) et l’attention en éveil, par des événements situés plus bas dans l’échelle physiologique ; crampes stomacales, vessie pleine. Une volonté ou un désir, d’accomplir une action spécifique est ainsi mise en œuvre », p. 179-180, « L’émergence de la conscience, de l’animal à l’Homme », (1993-1995). Hégémonie ou dominance des analyseurs de rêves ? Cet exposé évoque également, sur le plan sociétal, la regrettable hégémonie Freudo-lacanienne qui s’inscrit dans cette « suprématie » du langage parlé, au détriment du langage visuel stricto sensu de la pensée, au moins dans la culture psychanalytique, si bien que certains psychanalystes se sont octroyé la compétence d’analyseur de rêves. On objectera que seul le rêveur peut auto-analyser ses rêves selon une méthode qui le place dans la situation de revivre ses rêves afin de tenter de les interpréter grâce à ses neurones miroirs, il accéderait ainsi à la sémantique de ses actions oniriques, le rêve s’exprimant par image motrice, l’équivalent d’un verbe qui désigne une action. Le vocabulaire et la syntaxe des images composant les rêves étant essentiellement constitués d’images motrices, le rêveur en revivant ses rêves et se voyant agir évaluerait la sémantique de ces images par introspection. Et comment ne pas évoquer l’alternative désinhibante du rêve, à l’inhibition, notamment de l’action qui aurait codé nos organismes épigénétiquement, et là nous aurons une pensée reconnaissante pour les travaux d’Henri Laborit mettant en évidence les désordres en chaîne liés à l’inhibition de l’action. Quel inconscient ? Dans son ouvrage L’inconscient cérébral, Marcel Gauchet (1992) cherche à répondre à la question : « Comment s’est formée la conception contemporaine de l’inconscient ? ». Il nous semble que cette question constitue un préalable pour envisager une approche fondamentalement renouvelée de l’inconscient. Il ressort que l’année 1900 en même temps qu’elle marqua le début de l’influence des thèses freudiennes a vu l’ancrage de l’inconscient orienté vers une approche historique et langagière du sujet au détriment de son enracinement biologique dont Freud disait pourtant de celui-ci qu’il constituait « un domaine aux possibilités illimitées » Freud (1981, p 110). Marcel Gauchet mesure bien la difficulté de rapporter l’inconscient à l’appareil nerveux, selon la représentation généralement partagée des précurseurs neurologues, Marshall Hall (1790 – 1857), John Hughlings Jackson (1835 - 1911), Henry Maudsley (1835–1918) (psychiatre anglais), et pour les psychologues, Théodule Ribot (1839-1916) qui met en évidence la mémoire inconsciente, Pierre Janet (1859-1947) qui étudie l’écriture automatique inconsciente et le somnambulisme notamment. C.G. Jung quant à lui considérait que « tout fonctionnement inconscient posséderait un caractère d’automaticité instinctive », « Réflexion théoriques sur la nature du psychisme » in Les Racines de la conscience, Buchet / Chastel, 1971, tr. p. 534. Il se rallie à Pierre Janet (Les névroses, 1909) qui distingue la partie inférieure et la partie supérieure de l’expression de

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l’instinct, la « fraction inchangeable, automatique, se révèle constituer la partie inférieure de la fonction (psychique), la fraction volontaire et modifiable, la partie supérieur », p 495. Nous retrouvons notre distinction entre psychisme primaire et secondaire, introduisant un « dualisme » fonctionnel dans un ensemble unitaire moniste. Freud impose donc « son » inconscient pourrait-on dire en rupture de filiation avec ces précurseurs qui véhiculaient une conception tâtonnante cérébralisée, réflexe et neurophysiologique de la psychologie. Marcel Gauchet y voit deux raisons pour expliquer cette rupture de filiation. La première est liée au combat contre l’interprétation organiciste des troubles mentaux dont les controverses sur l’hystérie le montrent. La seconde raison est liée au fait que l’inconscient promue par la physiologie nerveuse s’avère sans aucun rapport avec l’inconscient promu par la psychanalyse. Pourtant le « premier » Freud, le neurologue, souhaitait « fournir une psychologie relevant des sciences de la nature » première phrase de son « Projet, ou Esquisse » : « Deux desseins me tourmentent dit-il à son ami Fliess : examiner quelle forme prend la doctrine du fonctionnement psychique quand on introduit le plan quantitatif, une sorte d’économie de la force nerveuse, et, deuxièmement, dégager de la psychopathologie un gain pour la psychologie normale. En réalité, une conception globale satisfaisante des troubles névropsychotiques est impossible si l’on ne peux pas se rattacher à des hypothèses claires sur les processus psychique normaux.» lettre 64 – 25 mai 1895, Freud S, Lettre à Wilhelm Fliess, (2006). Cette ambition ne sera pas réalisée et dans la lettre 71 – du 19 août de la même année, il dira de l’esquisse, « je ne veux plus rien en savoir ». L’occultation de ce travail fait dire à Marcel Gauchet, que Freud renonça ainsi à devenir le « biologiste de l’esprit » comme le prétend Frank J. Sulloway (1979 - 1981). Une profusion d’inconscients Il n’est pas le lieu de poursuivre ici l’analyse des causes de l’isolement de Freud vis-à-vis des chercheurs en neurologie et en psychologie de son temps. Il nous faudrait également mentionner la dépendance de Freud d’avec son ami Fliess, puis son désaccord, qui devait renforcer son caractère solitaire. De nos jours, cette occultation de l’organique revient en force bousculant le microcosme relativement fermé des psychanalystes par une profusion d’inconscients sous le même homonyme avec des attributs spécifiques suivant la spécialité du chercheur qui questionne l’inconscient. On devrait se rapporter à la minutieuse et très documentée critique que nous propose Lionel Naccache dans « Le nouvel inconscient, Freud, le Christophe Colomb des neurosciences » (2006) : « Le piège redoutable dans lequel Freud me semble être tombé n’est autre que celui qui a guetté tous les penseurs de l’inconscient : comment parvenir à sortir de notre propre regard conscient afin de décrire ce qui échappe au lieu mental dans lequel notre discours explicite est définitivement enfermé ? ». Nous souscrivons. Et il rajoute : « L’atout des neurosciences de la cognition pour aborder ce défi intellectuel réside dans l’utilisation froide et systématique d’une analyse objective à la troisième personne de ces phénomènes mentaux inconscients touchés du doigt par Freud », p. 363. Remerciant Lionel Naccache pour cet ouvrage qui à terme devrait contribuer à sortir la psychanalyse de sa tour de Babel freudienne, nous suggérons quant à nous de tenir compte des avancées des sciences qui tentent d’objectiver la subjectivité, et ainsi d’accorder un accueil attentif aux déductions des recherches cliniques, surtout si celles-ci se proposent

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d’impliquer le chercheur à la première personne. « On peut et on doit faire confiance à l’introspection subjective » affirme Stanislas Dehaene, Le code de la conscoence, p. 69, (2009-2013). Il dit encore : « Mes collaborateurs et moi-même avons élaboré une théorie précise, l’hypothèse de l’ « espace de travail neuronal global ». Nous proposons que la conscience correspond à une diffusion globale de l’information dans le cortex. Elle émerge d’un réseau de connexions corticales dont la fonction est de diffuser, à l’ensemble du cerveau, certaines informations sélectionnées en fonction de leur pertinence. Une idée est consciente lorsqu’elle est codée par une assemblée de neurone au sein de cet espace de travail », p. 32, Stanislas Dehaene, (2009-2013). Selon notre intuition, la sensation de « pertinence de l’information » serait liée au traitement inconscient analogique immédiat de l’image onirique qui fait dire : « soudain je me rends compte-de… ». Déductivement nous sommes devant une sorte d’évidence, l’inconscient dans le prisme de la pensée visuelle, et dans son expression onirique existant bien avant l’apparition du langage, les peintures rupestres et des grottes préhistoriques en ces temps reculés seraient là pour nous donner les scripturaux sous nos yeux. Nous avons voulu faire parler cet inconscient en accordant un certain crédit épistémique à la pensée visuelle et faire « parler » les images en approchant l’intimité du rêveur à la première personne et qui aime se qualifier « de grand défenseur » de la psychologie analytique basée sur les rêves. Nous proposons d’attribuer les caractéristiques d’un instinct de signification à l’inconscient animant la pensée visuelle véhiculant des images et générant les prémices de comportements renouvelés par simulation onirique. Ces potentialités auraient été dévaluées face à la concurrence « dominante » (ou hégémonique) de l’abord de l’inconscient au moyen du langage parlé. Et c’est Jacques Lacan, en France particulièrement, qui aurait ancré l’approche de l’inconscient dans la cure en rapport avec « la fonction et champ de la parole et du langage », (« Ecrits », 1966). Dès lors, le langage d’image aurait été sous évalué dans sa pertinence sémantique, mais comme la biologie est conservatrice elle a maintenu ce langage intérieur d’où proviennent sans doute les rêves s’articulant avec la psychologie du rêveur. La pensée visuelle pourtant très sollicitée par les yeux et les multiples structures neuronales impliquées dans la production d’images, devrait être ré-explorée, au grand jour, sous les rampes de la recherche fondamentale, ce qu’entreprend actuellement, notamment, Guy Orban, in « La vision, mission du cerveau, Les trois révolutions des neurosciences », (2007). Marcel Gauchet termine sa démarche d’exploration épistémologique en relevant : « D’oubli en métamorphose, l’inconscient cérébral, au fil de ses réinventions, pourrait en somme avoir le dernier mot.», dernière phrase du livre, (1992, p. 198). L’animal privé de parole a recours aux comportements, comme nous autres aux gestes pour communiquer et manifester nos émotions, ce que nous faisons également, en joignant le geste à la parole, gestuelle que perçoivent les nouveau-nés Humains dotés d’un sens perceptif inné comme nous l’avons évoqué trop succinctement. Marcel Jousse avait bien perçu ce langage du geste qui aura subit l’obsolescence du temps.

Nous élargissons ainsi la notion d’ « Instinct du langage » selon Steven Pinker (1999) à celui de l’image. On définit généralement l’instinct par ses racines biologiques, par sa présence au sein du règne animal et Humain, par son incompressibilité et immédiateté, par son auto-régulation…, ce qui est le cas pour le rêve. Il nous resterait à prouver la présence d’une grammaire générative de la fonction imageante dont l’analogie semble occuper une place

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centrale (voir : « L’analogie, Cœur de la pensée » Douglas Hofstadter et Emmanuel Sander, 2013), plongeant ses racines dans l’instinct producteur de significations et générant des simulations de prototypes comportementaux, des prototypes imagés, avant leurs possibles existences réelles. Ces deux linguistes, il est peut-être réducteur de leur attribuer que cette étiquette restrictive, prétendent que « l’analogie est le mécanisme qui, sans que nous en ayons conscience, dicte le choix de nos mots et notre compréhension des situations les plus quotidiennes ». Freud, ne disait-il pas : « Nous pouvons espérer parvenir, par l’analyse des rêves, à connaître l’héritage archaïque de l’homme, à découvrir ce qui est psychiquement inné », (1900, p. 467). Pour l’instant, si l’on entend bien Isabelle Stengers (1992) : « la psychanalyse prétend au privilège, inouï pour tout autre champ de savoir scientifique, de n’avoir aucun compte à rendre.», (p. 39) Faut-il reléguer la théorie des rêves selon Freud aux vestiges du passé ? Certes non, il nous faudrait seulement en extraire « le bon grain, de l’ivraie ». Et surtout soumettre les hypothèses qui semblent de nos jours plausibles au verdict des neurosciences et sciences cognitives. Mais cette intégration, ne s’est-elle pas réalisée au détriment du langage intérieur, intime, celui qui incarné s’exprime en rêves ou en pensée visuelle ? Ou encore si l’on suit Marcel Jousse qui en appelle à « la nécessité scientifique de rechercher, dans les faits inconscients de l’immense laboratoire ethnique, la spontanéité humaine que ne nous donnent plus guerre les laboratoires de notre milieu trop volontaire, trop, conventionnellement, poliment et ironiquement surveillé. « Nous n’avons plus un seul geste spontané », dit-il en citant M. Mauss…», Marcel Jousse, « Le style oral, rythmique et mnémotechnique », (1981, p.331). C’est oublier le rêve ! Il serait comme un geste instinctivement spontané. La psychanalyse comme thérapie de la mémoire serait à conforter face à ses détracteurs, (cf. notamment, « Le Livre Noir de la psychanalyse », (2005). N’est-elle pas une alternative à la psychopharmacologie ? Mais saura-t-elle accepter d’être en quelque sorte transcendée par les fonctions de la pensée visuelle ? Quant à la doctrine psychanalytique qui a voulu extrapoler ses découvertes en rendant compte de la vie psychique « non névrosée », elle se serait fourvoyée en se référant à un inconscient connoté de trop négativement appauvrissant ainsi à la fois la richesse et la complexité de l’inconscient, d’où l’émergence d’une multitude d’inconscients qui illustrerait cette richesse.

Conclusion ou ouverture des cadres de la pensée ? Cette communication soutient que la potentialité de pensée dans sa dimension visuelle serait conservée, l’évolution étant conservatrice. Elle se manifesterait en rêves, en langage iconique ayant toute les caractéristiques d’un instinct, sélectionné antérieurement à l’émergence du langage parlé qui me sert aujourd’hui, non pas à vous convaincre mais seulement, en toute humilité, à solliciter votre sens interne, et la nuit fera le reste : « La nuit portant conseil ». Cette potentialité de pensée, ne se fossilisant pas se serait tout de même gravée sur les parois des cavernes et autres œuvres d’art qui peuvent ravir de nos jours nos sens : http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2002/33/paulus.htm et peut-être réduire l’emprise de certaines théories spéculatives langagières.

Frédéric Paulus 183, rue Legendre, 75017 Paris. Le 24/04/2016 Métropole : 06 33 28 51 72, La Réunion : 06 92 29 65 69.