asselin olivar - pensee francaise

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    BIBEBOOK

    OLIVAR ASSELIN

    PENSE FRANAISE

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    OLIVAR ASSELIN

    PENSE FRANAISE

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1233-8

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Credits

    Sources : Bibliothque lectronique du bec

    Ont contribu ce e dition : Gabriel Cabos

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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    Pense franaise

    Pages choisies e ce soit au sujet de la guerre, de Wilfrid Laurier, des tudiants

    ou encore de Dollard Des Ormeaux, lauteur (Asselin) sexprime dans unstyle qui lui est propre. Chez lui, lironique et lincisif avaient prsancesur tout le reste, ce qui lui aura valu maintes et maintes fois de svresrprimandes de la part des autorits en place lpoque, notamment duclerg.

    Marc F. Bellemare

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    CHAPITRE I

    Olivar Asselin : sa vie

    C H B , Olivar Asselin a, un temps, migraux tats-Unis, Fall River, Mass., o il a travaill dans une -lature de coton. Plus tard, en 1894, il deviendra rdacteur dunhebdo franais de ce e ville,le Protecteur Canadien, mais il collaboreraaussi dautres journaux. Il senrle dans larme amricaine durant laguerre contre lEspagne (n 19 sicle), puis revient au bec en 1900. Journaliste fougueux, Asselin fonde plusieurs journaux, dont Le Nationa- liste , puis participe, aux cts de Henri Bourassa, la fondation duDevoir .Il a tent, sans succs, de se faire lire dput nationaliste. Ce qui ne lem-pchera pas de lu er sur tous les fronts : les droits du franais, les lacunesde notre enseignement, le secours aux indigents... En 1955, un grand prixde journalisme, le prix Olivar-Asselin, a t cr.

    Olivar Asselin est n le 8 novembre 1874 Saint-Hilarion (Charlevoix)dune famille de fermiers. Il est le quatrime de quatorze enfants. Vers1880, la famille dmnage Mont-Joli o M. Asselin, toujours court

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    Pense franaise Chapitre I

    dargent, ouvre une tannerie tout en continuant cultiver la terre.De 1886 1892, Olivar fait ses tudes classiques jusquen rhtoriqueau sminaire de Rimouski. Malgr son caractre frondeur, indisciplin,cest un lve brillant qui remporte de nombreux prix.

    Sjour aux tats-Unis. Un incendie ayant dtruit la maison de com-merce paternelle, la famille migre aux tats-Unis, Fall River, Massa-chusse s, o Olivar travaille quelques mois dans une lature de coton.Durant ses loisirs, il sadonne la lecture des journaux franais, prenddes notes, rsume des articles, polit son style. En 1894, il devient rdacteur

    du Protecteur Canadien, hebdomadaire de Fall River, collabore quelquesautres journaux de la Nouvelle-Angleterre, dont lEveningPost , de Woon-soket, o il crit en anglais. Il senrle dans larme amricaine durantla guerre contre lEspagne (1898-1899) sans toutefois participer la cam-pagne, et revient au bec en 1900.

    Journalisme et politique. Tour tour rdacteur au Herald de Montral, La Patrie , au Canada , aux Dbats et La Presse , o il fait la connais-sance de Jules Fournier, Asselin devient, en 1901, secrtaire de LomerGouin, alors ministre provincial de la colonisation dans le cabinet lib-ral. Ce poste permet Asselin dobserver de prs les rouages de la poli-tique et de se documenter la Bibliothque du Parlement. Toutefois, lefonctionnarisme convient mal ce temprament de lu eur jaloux de sonfranc-parler. Dailleurs les anciens partis lui paraissent routiniers, lthar-giques. En 1903, il donne sa dmission et fonde, en collaboration avecHenri Bourassa, La Ligue Nationaliste pour dfendre les droits des Cana-diens franais et comba re limprialisme. Comme aucun journal nestprt assumer fond ce programme, Asselin lance lanne suivante l-hebdomadaire Le Nationaliste dont il restera le directeur jusquen 1908. Ilparticipe, ensuite, toujours aux cts de Bourassa, la fondation du De- voir , prend part la campagne lectorale de 1911. Bien que ba u commecandidat nationaliste, il contribue puissamment, tant par ses articles quepar ses discours, la dfaite de Wilfrid Laurier.

    LEurope et la guerre. Il se rend ensuite en Europe en qualit de d-lgu du gouvernement fdral pour enquter sur lmigration des fran-cophones au Canada. Il constate que le gouvernement ne fait peu prsrien pour les a irer chez nous et rdige un rapport dans lequel il sinsurge

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    Pense franaise Chapitre I

    contre ce e situation. Ce voyage convainc Asselin quil faut tout prixresserrer nos liens culturels avec la France.De retour au Canada, il sintresse aux activits de la Socit Saint-

    Jean-Baptiste dont il est nomm prsident en 1913, lu e pour la recon-naissance des droits du franais, dplore dans ses articles et confrenceslavilissement de la langue franaise au Canada ainsi que les lacunes denotre enseignement. Il estime que la langue et la foi sont deux domainesdistincts et dnonce ceux qui, sous prtexte de conserver la religion, re-fusent dtablir des liens plus troits avec la France.

    Ces ides, quon juge trop radicales, lui font perdre la prsidence de laSocit Saint-Jean-Baptiste et lui valent une condamnation de la part deMgr Bruchsi, archevque de Montral. Asselin rplique avec violence.

    Fatigu et dcourag, Asselin senrle dans larme en 1915, recruteun bataillon et part pour les champs de bataille, estimant que cest l laseule faon efficace daider la cause de la France. Il explique son point devue dans une brochure intitule Pourquoi je menrle (1916). Sa bravoureau front lui vaudra la Lgion dhonneur en 1918.

    Le nationalisme culturel. De retour au Canada, il devient agent de pu-blicit (1920), se dsintresse momentanment des questions politiqueset fonde luvre de la merci pour venir en aide aux indigents auxquels ilconsacre la plus grande partie de ses loisirs.

    Il revient au journalisme en 1930 comme directeur du Canada , lor-gane du parti libral ; donne sadmission, en 1934, pour fonder tour tourdeux hebdomadaires,LOrdre etLa Renaissance , qui, malgr leur haute te-nue li raire, nauront, lun et lautre, que quelques mois dexistence.

    Censur par le cardinal Villeneuve cause de ses a aques contrenotresystme denseignement et contre le pouvoir temporel de lglise (1935),Asselin renonce au journalisme et devient prsident de la Commissiondes pensions de vieillesse de la province.

    Il meurt dartriosclrose, Montral, le 18 avril 1937.Sources : Histoire de la li rature canadienne-franaise par les textes ,

    Grard Besse e, Lucien Geslin et CharlesParent, Centre ducatif et cultu-rel, Inc., 1968.

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    Pense franaise

    E 1937, G Dagenais a runi en un volume, sous le titrePen- se franaise , des textes rests jusque-l pars dans des journauxet des priodiques auxquels Olivar Asselin avait collabor.

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    Prface

    M . O A a t le matre le plus grand et le plus clbrede la pense franaise au Canada. Il a vcu dans sa lumirepour la servir avec la ferveur dun adorateur et dun amant.Il la fait rayonner par son style, dont il na jamais cess daiguiser la lo-

    gique et de purier la clart. Il la illustre par un esprit critique sensible toutes les disproportions, cest--dire tous les ridicules. Il la dfen-due sans merci contre linconscience, la so ise et la pousse des gniestrangers. La faillite de la dernire aventure de jeunesse, le mot est de lui,quil a tente pour notre renaissance franaise, la disparition de lOrdre ,a prcipit sa mort. Son uvre dcrivain et de matre fait de lui la plusgrande gure de notre histoire li raire. Mais M. Asselin ne fut ni un

    pote ni un romancier. Louvrage li raire le plus long quil ait publi,cest son tude de luvre de labb Groulx. Et lon peut se demandersrieusement si les faiseurs de manuels et danthologies seront moins in- justes son gard, maintenant quil est mort ( lexemple de tel de sesanciens compagnons darmes qui se dcida, un peu tard, lui rendre letmoignage qui, quelques annes plus tt, et prvenu certaines accusa-tions de mauvaise foi quon a portes contre lui), quils ne lont t pourson ami Jules Fournier.

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    Pense franaise Chapitre I

    Il est possible, en effet, que ce que les hommes de le res vani-teux que ces deux polmistes ont blesss ne leur pardonnent pas, ce soitmoins les coups les plus cruels quils ont ports que la brlante leondhumilit quils ont donne, eux qui savaient crire, en ne laissant au-cune uvre purement li raire de quelque importance. Fournier et As-selin nont jamais refus daider les jeunes talents quils dcouvraient.Combien de jeunes aspirants-crivains M. Asselin, jusqu la n de savie, na-t-il pas encourags, quelquefois mme plus que leurs dons ne lemritaient ? Fournier et Asselin croyaient simplement quils taient in-

    capables de faire uvre li raire qui pt entrer, ft-ce trs humblement,dans la li rature franaise et ils se sont dfendus de jouer . Son tra-vail de journaliste mme, bien quil se st aupremier rangde ses confrrescanadiens-franais, na jamais satisfait M. Asselin. On comprend facile-ment lexaspration quexcitait chez lui le plus malfaisant de nos dfautsnationaux, la bate satisfaction de soi-mme, linconscience de sa mdio-crit.

    Prsent par lun de ses collaborateurs auxquels il sa acha le plus,Valdombre, je connus M. Olivar Asselin en aot 1933, alors quil tait r-dacteur en chef au Canada . Je venais de terminer mes tudes classiques.Mme Asselin et Mme Jules Fournier, pouses et veuves admirables deces deux grands journalistes, mapprirent plus tard que cest une ressem-blance physique avec Jules Fournier qui me valut, ds le premier abord,la sympathie de M. Asselin. Celui-ci, on le sait, entretenait un souvenirfervent et actif de son ami. Tout ce qui le lui rappelait lmouvait. Lami-ti Asselin-Fournier est lune des plus belles, sinon la plus belle, de notrehistoire li raire. Jai eu le bonheur de conserver ce e sympathie, quunhasard maccorda, jusqu la mort de M. Asselin. Tous ceux qui ont b-nci de son amiti, mme dans une faible mesure, savent combien elletait gnreuse.

    elques semaines avant sa disparition, quand la maison dditionde lAction canadienne-franaise, dont M. Roger Gagnon venait dtrenomm prsident et M. Bernard Valique e, directeur li raire, me pro-posa de demander M. Asselin lautorisation de prparer sous sa sur-veillance un recueil de pages choisies dans toute son uvre, je vis l loc-casion de lui tmoigner ma reconnaissance. Il tait entendualors que mon

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    rle devait se limiter la prparation matrielle du recueil. M. Asselinsigna lui-mme le contrat avec la maison ddition et devait prendre laresponsabilit du choix. Malheureusement, ltat de faiblesse dans lequelil se trouvait saggrava graduellement et je venais peine de me me reau travail quand il mourut.

    Un seul volume de pages choisies ne peut donner la mesure duneuvre aussi considrable et aussi diverse que celle de M. Asselin. Pense franaise ne rend justice ni au journaliste, ni lcrivain. On simaginefacilement dailleurs les difficults qua comportes la prparation du re-

    cueil. Difficults provenant de la nature mme de luvre, dont la plusimportante est videmment la dispersion de la pense de M. Asselin ende nombreux articles loigns les uns des autres et portant sur des faitsaujourdhui oublis, souvent indiqus seulement par un nom, par une al-lusion, ou sur des textes dont la reproduction tait impossible cause deleur longueur. Difficults provenant de considrations demi trangres luvre elle-mme, que seul M. Asselin aurait pu rsoudre. Une ditioncomplte de son uvre, abondamment annote, pourra lui rendre justice.Il est malheureusement craindre que des obstacles de toutes sortes nenrendent la publication impossible dici plusieurs annes.

    Il me reste remercier un vieil ami de M. Asselin, M. Aegidius Fau-teux, qui jai soumis Pense franaise page par page, davoir voulu meconseiller sur les questions dopportunit qui se posaient.

    Grard Dagenais.

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    CHAPITRE II

    Cessons nos luttes fratricides !

    L devant eux une grande et noble tche. Celle dle-ver la race canadienne-franaise, par la parole et par lexemple,au-dessus des stupides querelles dans lesquelles elle sest pui-se depuis quarante ans, par suite des conseils intresss des plus vils deshommes, les politiqueurs.

    Croit-on que, dans un pays o la minorit compte pour un tiers etpeut, par consquent, avec lappui des lments les plus libraux de lamajorit, faire et dfaire les cabinets, un chef de gouvernement commesir Wilfrid Laurier et un chef dopposition comme M. Charles Tupper,eussent demand aux Chambres un crdit de deux millions pour dfrayerune expdition militaire en Afrique-Sud, sils navaient eu la convictionque quarante annes dun parlementarisme troit, et dune politique debleus et de rouges applique tout, jusqu nos phares, nos quais, noschemins de colonisation, avait abaiss le caractre de nos hommes pu-blics, abtardi leur volont, atrophi leur sens moral ?

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    Pense franaise Chapitre II

    Nous avons eu un beau rveil en 1886. Aprs cinq ans de mercirisme,nous nous sommes rendormis on sait o.Mais si lhistoire est svre pour ceux qui poussrent Mercier la

    ruine,elle ne le sera pas moins pourcertains hommespublics de ces tempstroubls, qui, en lui prtant un loyal concours, lui eussent permis de rali-ser ses projets de rgnration, et rsolurent, au contraire, de ne rien fairepour dtourner la province du bourbier o elle sengageait, pourvu quunhomme dont ils enviaient la puissante intelligence ft bientt prcipitdu pouvoir. On dira peut-tre, pour excuser ce crime de lse-nationalit,

    quil fut provoqu par des manques de tact que des caractres moins auto-ritaires, plus conciliants que Mercier, nauraient point commis. Mais quedirait-on dun individu, qui, voyant un rival lu er en vain pour sauver lavie dune femme que tous deux aiment, refuserait de leur porter secours,parce quon lui demande trop rudement cet acte dhumanit ?

    Si donc il tait criminel pour certains hommes en 1886 de se tenir lcart du mouvement national dans lequel la masse, lhonnte et sainemasse du peuple canadien-franais, donnait avec enthousiasme, nest-cepas aujourdhui limprieux devoir de tous les hommes de bonne volont,quelles quaient pu tre dans le pass leurs affiliations politiques, de sunirsur le terrain commun de lautonomie et des droits de notre province ?

    Limprialisme, voil lennemi ! Il menace le Canadien-franais detous les partis, de tous les camps. Sil sest trouv au Parlement dixhommes assez fortement tremps pour rsister la tentation des her-mines, des parchemins et autres moyens de corruption, et voter contre lapolitique nfaste de leurs propres co-partisans, ne devons-nous pas ou-blier la diffrence de quelques-unes de leurs ides pour ne nous souvenirque de leur union ce e heure suprme ? e nous importe quils sap-pellent encore conservateurs ou libraux, bleus ou rouges, sils sont dac-cord dans la rsistance aux ennemis de leur nationalit, sils sont rsolus opposer jusquau bout aux exhortations et aux promesses des partisexistants le non possumus des hommes de cur.

    Le Club Letellier, lautre jour, invitait messieurs Angers, Bourassa etMonet venir exposer leurs buts sous ses auspices, au cur mme deMontral. Nos jeunes amis libraux, tout en conservant sur dautres su- jets leurs opinions particulires, shonoreront aussi bien quils travaille-

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    Pense franaise Chapitre II

    ront dans lintrt des leurs en faisant lavenir lhommage de leurs invi-tations, dans la discussion de limprialisme, tous ceux indistinctementqui ont prfr le devoir aux honneurs, le brouet noir des Spartiates auxplats de lentilles de lennemi.

    Les Dbats, 1 avril 1900.

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    CHAPITRE III

    M. mile Nelligan

    S notre vieille camaraderie desquisserici quelques traits de son trange gure. Ce sont dintimes sou-venances que partagent avec nous les fervents dil y a quatre oucinq ans, lors des amicales runions dans la chambre e de la Monte duZouave, chez Louvigny de Montigny.

    Longtemps mconnu de ses amis, Nelligan parvint se fauler dansle cnacle des jeunes li rateurs qui avaient entrepris de comba re lestendances bourgeoises de notre li rature nationale.

    Cest lui qui proclamait les thories de lart pour lart et brandissaitloriamme de la rime millionnaire. Il psalmodiait plutt ses vers quil neles dclamait ; puis, tout coup, il sinterrompait brusquement, roulaitune cigare e et jetait sur lauditoire un regard mant et circulaire.

    La plupart le trouvaient trop rveur, et tous dchiffraient avec peinele sens de ses tirades accompagnes toujours de gestes trs larges. Maispersonne, cependant, ne se rendait compte du travail dorientation qui se

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    Pense franaise Chapitre III

    faisait alors chez le jeune pote.M. Nelligan est avant tout un dile ante du mysticisme, chez qui lapit peut parfois passer pour impie. Dans certaines uvres dadoles-cence, on dirait quil gote le charme douloureux du pch et quil netrouve pas le sacrilge dpourvu de majest. Mais ses vers, ceux publisdans le volume de lcole Li raire ainsi que les autres, seront oublisparce que lui, lauteur, possde trop le culte du mot et de lpithte, parcequil recherche lclat de la phrase, quil se laisse bercer sa musique etquil croit au prestige des sonorits.

    Il est de lcole symboliste avance et ne peut tre que de ce e cole.Il en connat tous les procds dont le premier consiste nommer lesa ributs ou qualicatifs dune chose pour la chose elle-mme.

    La saxe tinte... il est aube ; ...sur lescalierChante un pas satin dans le frisson des gazes; Alors quun naturaliste aurait dit : La pendule de Saxe tinte et laube

    parat : dans lescalier on entend un bruit de pas satin...Plus loin, dans un Rve de Wa eau, sonnet o la clart cde le pas la

    sonorit, citons ce dernier vers dun symbolisme profond et dune beautrare :

    Nous djeunions daurore et nous soupions dtoiles ! Il est dautant plus beau quil sagit ici de deux bergers vtus de loques

    et mangeant au gr de loccasion, sadorant en frissonnant jusquauxmoelles par les soirs des crpuscules roux.

    Ce dernier vers est un clou, et il sen trouve plusieurs dans les posiesde M. Nelligan, placs tantt au commencement de la pice, tantt aumilieu, tantt la n. Et les clous de M. Nelligan ont ceci de bon, quilssont presque toujours des trouvailles, de nes trouvailles comme celle quitermine la Romance du Vin que nous avons dj publie :

    Je suis si gai, si gai, dans mon rire sonore,Oh! si gai que jai peur dclater en sanglots! Il a pu comme re certains excs de lyrisme, certaines audaces ; mais,

    on les lui pardonne en faveur de sa jeunesse etde sa belle me. Il aime tantlart ! il aime tant sa mre dont ses vers sont remplis ! il porte en lui-mmetant dillusions!

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    Il a crit ces vers aumilieu duterre terre de lavie bourgeoise, dumer-cantilisme et du ddain de ceux que les subtilits artistiques ne sauraientmouvoir, et sa puissante imagination la fait se sparer des laideurs en-vironnantes.

    Et grce ce e tonnante facult disolement, et aussi parce quil asouffert, on peut lui prdire quil vivra heureux et marchera le front serein travers toutes les rancunes et les bassesses humaines.

    Les Dbats , 6 mai 1900.

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    CHAPITRE IV

    Limprialisme par la faim

    O dcouvrir un srum infaillible, absolu, contre la rvo-lution politique et les pays continentaux feraient bien de senemparer de peur que lAngleterre, qui en a dmontr lexcel-lence, ne se hte de le faire breveter.

    vrai dire, il y a longtemps que Messieurs les Anglais sen servent la sourdine, et quelques-uns de leurs amis du continent, qui ont aussileurs petits ennuis, paraissent lavoir au moins souponn. Mais jusquces derniers mois les expriences de lAngleterre touchant ce merveilleuxremde, quoique, en somme, assez satisfaisantes, navaient pas donn dersultats trs positifs. ant aux continentaux, ils lappliquaient un peuau petit bonheur, sans en connatre exactement la porte, comme on fai-sait usage des caractres dimprimerie avant Gu enberg.

    Mais, maintenant, nous sommes xs, et les lments en travail dervolution nignorent plus ce qui les a end, sils ne samendent, pas plusque les avantages quils recueilleront, sils se soume ent docilement la

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    Pense franaise Chapitre IV

    cure nouvelle.Depuis mille ans, plus ou moins, nos amis les Irlandais, opprims parleurs voisins dAngleterre, ne pouvaient laisser scouler un sicle sans sepayer une rvolution. Au lieu de se rsigner la servitude et la famine jusquau moment psychologique o ils auraient bni la main qui leur et jet dans la bouche un objet quelconque jusqu la cristallisation dumot de Cambronne ( La garde meurt et ne se rend pas ), ils partaientdonquicho ement en guerre contre les pouvoirs tablis et sen allaient jusquen France chercher des Anglais pour taper dessus (voir Fontenoy).

    Rsultat : une moiti de la race vendait lautre moiti ; quelques cour-tisans, comme ce omas Moore, dont un journal montralais a reproduitles traits sous une couronne de lauriers le jour de la Saint-Patrice, sen-graissaient la Cour, dont ils taient les Triboulets, et la grande massedes rvolts se faisaient pendre. Si un lord anglais, dans la suppression dela rvolte, perdait un cheveu, en eut-il perdu vingt mille violenter lespaysannes du pays dompt, ses compatriotes vengeaient cet outrage enfaisant pourrir quelques milliers dIrlandais dans dobscurs cachots.

    Heureusement pour eux, et pour cet univers quils approvisionnentsi largement de rhteurs, de comdiens, de politiciens et de boxeurs, nosamis les Irlandais ont compris la folie de leur donquicho isme. Depuis1798, date laquelle ce fou glorieux dHumbert descendit prs de Donegalavec une poigne de sans-culo e, ils ont volu. Ds les mil huit cent, onles voit senrler en foule sous les drapeaux anglais. Ils sont dabord enEspagne et plus tard Waterloo, avec Wellington. Ils sont avec Nelson Aboukir et Trafalgar. On les trouve partout, empochant une paie qui estpour eux la bouche longtemps convoite. Ils y prennent got. En 1855,ils sont Sbastopol. Ils sen vont au diable sans mot dire Balaklava. Onleur passe la main sur la nuque, on leur chatouille le bedon. On les choie,on les fait manger comme des hommes, au lieu de leur donner du foin. Ilssongent maintenant peine leur le, leurs frresqui nesontpas soldats, leurs femmes, leurs surs, leurs vieux parents. elques sous par jour, venus point, ne sont pas ddaigner. La solution du problmequi proccupait leur race, ils la tiennent. Ctait bien la peine, vraiment, Robert Emmet de jouer sa tte et Gra an de braver les prisons anglaises.Le soldat irlandais sera dsormais le fort--bras des ctes britanniques.

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    Pense franaise Chapitre IV

    De la Crime aux Indes, des Indes lgypte et de lgypte au Transvaal,en passant par dautres tapes, il va ferraillant pour les oppresseurs dessiens. Il se fait ba re sans regret, comme il triomphe sans enthousiasme.Il se fait mme volontiers faire prisonnier, comme Nikolsons Nek et Stromberg. Bref, il gagne son shilling a day . LAnglais, qui sy connaten hommes aussi bien quen btail, sait que penser de la bravoure de cesmercenaires. Mais chut, sil sen ouvrait le cur, on saurait bientt quoisen tenir sur le vritable tat des esprits dans le Royaume-Uni.

    Les protestations de John Redmond, Michael Davi et tous les autres

    dputs irlandais, cela ne signie rien : voyez donc comme les Irlandais sesont fait hacher au passage de la Tugela ! Le cri dopprobre pouss par lapresse irlandaise de tous les pays la vue des horreurs sud-africaines, celane saurait compter : voyez donc les pertesmagniques subiespar la mmebrigade au repassage de la mme rivire ! La bravoure irlandaise est unerplique tout. La presse anglaise, les hommes dtat anglais parlent avecloges des hros celtiques , et le bon paddy, dautant plus sensible auxhonneurs quil y est moins accoutum, saperoit, dlices, que la faim enle poussant au service du matre quil abhorre la tout simplement conduit la victoire. Les rares Irlandais rests en Irlande ne peuvent plus mmelever la voix contre la tyrannie anglaise, que M. Bull ne leur rponde : Ah! que vous me chagrinez ! vous navez pas la mmoire du cur. Vousdevriez au moins vous rappeler quelle mort glorieuse jai procure laplupart de vos enfants sur mes champs de bataille. Et comme voici laSaint-Patrice, pour vous prouver que jai assez de grandeur dme pouroublier le mal que je vous ai fait, je veux bien vous perme re de porter,ce jour-l, un shamrock votre boutonnire. Je vous aime, et, mon Dieu,si vous persistez vous agiter, je me verrai peut-tre oblig de vous fairerappeler la raison par ces dles soldats irlandais, vos compatriotes, qui,eux, savent faire justice la droiture de mes sentiments .

    un discours si convainquant, les Irlandais se sont rendus. Et les jour-nalistes jaunes , qui avaient compt sur la prochaine rbellion irlandaisepour boomer leur stock dans les grands prix, peuvent en faire leur deuil.Leur seul moyen dsormais de tirer partie des descendants de Brian Borusera de leur passer, aux jours de fte nationale, une feuille de journal avecune feuille de shamrock.

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    Pense franaise Chapitre IV

    Tout cela parce que lAngleterre, par une politique prvoyante et sui-vie, a mis nos amis dIrlande en si bel apptit quils sont maintenant heu-reux daccepter delle un os ronger.

    Sils continuent se bien conduire, on leur perme ra sans doute, dansquelque cent ans, de se moucher dans des mouchoirs verts, de se coifferde chapeaux verts et de porter des culo es vertes lenvers. ant se rgaler de gazon vert et de feuillage vert, il y a belle lure e que danscertaines rgions dIrlande, grce la domination britannique, on jouit dece e libert.

    Enn, qui sait quels privilges et quels honneurs leur dvouement,n de la faim, ne conduira pas les ls de la Verte Erin!Ah ! la faim, quand nira-t-on par se convaincre quelle peut souvent

    tourner au bnce de celui qui la subit aussi bien que de celui qui lim-pose?

    Rduite par certains procds, elle remplacera peut-tre un jour lavapeur et llectricit dans la mcanique.

    Applique aux arostats, elle nous perme ra daller la lune.Cest une force, quoi ?Si je ne craignais deffaroucher les mes timides, je mcrierais mme : La faim, cest la vie!Les Dbats , 25 mars 1900.

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    CHAPITRE V

    La comdie parlementaire

    L P sest faite avec le a-a ordinaire,que lhomme du protocole, navr lui aussi par la mort de lareine, avait assombri juste assez pour empcher les grandesdames de distraire la dputation par un trop luxurieux talage de leurscharmes. Ces dames, lexception de deux ou trois qui avaient arborles couleurs de lUnion Jack, staient jusquau menton vtues de noir,dabord parce que le noir est aussi lgant que simple, ensuite parce quecest la mode par le temps qui court. Ce e parure sombre me ait si bienen relief le rose de leurs joues et lincarnat de leurs lvres, quon sest de-mand, en les voyant, pourquoi dordinaire, aux crmonies de ce genre,elles sefforcent da irer les yeux du sexe mle plutt sur leurs seins quesur leur visage.

    Le discours du Trne lisez le discours de nos ministres, puisque legouverneur gnral du Canada ne reoit $50,000 par anne que pour ser-vir de porte-voix au cabinet ne renferme rien de nouveau.

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    Pense franaise Chapitre V

    Son Excellence, il va sans dire, est profondment peine de la mort dela reine et profondment heureuse de lavnement dEdouard VII. Dansun pays monarchique, le premier devoir du fonctionnaire est de savoirpleurer et se rjouir avec la Cour, comme celui du sujet est de se tenirconstamment les yeux xs sur les chefs de claque du loyalisme.

    Son Excellence est re des lauriers conquis par les soldats canadiensen Afrique australe ; heureuse dapprendre que Son Altesse le duc deCornwall daignera passer par le Canada son retour dAustralie, enchan-te de voirque le projet de la pose ducble transpacique est en voie de se

    raliser ; au septime ciel de constater que le peuple canadien se loyalietous les jours davantage.Enn, de quoi Son Excellence nest-elle pas re, de quoi nest-elle

    heureuse, de quoi nest-elle pas enchante ? Un peu plus, son bonheurtiendrait du dlire.

    Dans sa rponse ce boniment quil a lui-mme rdig, M. Laurierdira quil est heureux que Son Excellence soit heureuse de tant de choses,re de tant de choses ; le bonheur gagnera tout le monde ; et il ne resteraplus au cabinet qu laborer ces lois qui doivent nous conrmer dans lapossession de la Terre Promise.

    Ce e rponse,on aurait pu la faire ds jeudi, mais M. Laurier, qui nousavait promis un discours sur la mort de la reine, sest dit que ce discours,anqu dune allocution du chef de la gauche, serait bien suffisant pourune sance et, sur sa proposition, la Chambre a ajourn au lendemain.

    Les tribus sauvages de lEmpire en apprenant quelles sont orphelines,offriront sans doute au Ciel le plus pur du sang de leurs vierges et de leursguerriers. Cest le propre des peuples civiliss, au contraire, de manifesterleur chagrin de la mme manire que leur joie, et comme le parlementa-risme est lune des expressions les plus leves de la civilisation, lidede lajournement sest prsente lesprit de nos dputs aussi naturel-lement que sil se ft agi de la naissance dun rejeton royal; au lieu denoyer leur douleur dans le sang humain, ils se sont donn trois jours decong pour tre plus mme de la noyer dans le scotch et le champagne.La Coutume le voulait ainsi la Coutume qui partage le pouvoir avec lesouverain dans lEmpire britannique. Ne touchez pas la Coutume, mmepour supprimer le gentilhomme de la Verge Noire, qui gagne mille ou

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    Pense franaise Chapitre V

    quinze cents dollars par an pour montrer, dans les crmonies officielles,son crne au gouverneur et son derrire la galerie.Il est deux vnements que le monde politique a endait avec impa-

    tience : le choix du nouveau chef conservateur et le discours de M. Lau-rier; ni lun ni lautre na provoqu denthousiasme dans les milieux olon juge les hommes et les choses autrement que par les faveurs ou lesprots quon peut en tirer.

    Le caucus conservateur a t trs harmonieux : entendre ceux quiy ont pris part, on dirait que le candidat X., qui avait jur de dcapiter

    le candidat Z., a pos sa candidature en chantant un air dopra; que Z.a ripost par un solo de trombone et que la lu e, aprs avoir fait cou-ler des ots de rondes, de blanches, de noires, de croches et de doublescroches, sest termine par un grand chur o toutes les voix se confon-daient dans un parfait accord. La vrit est souvent bien diffrente de cetableau. Chez les conservateurs, M. Borden avait pour adversaires unedemi-douzaine de nullits, dont quelques-uns ont dj commenc intri-guer sournoisement contre lui ; sa victoire facile et par consquent peuglorieuse rjouit les libraux encore plus que les conservateurs, parcequelle met lopposition dans un tat dvidente infriorit au point devue de la direction. est-ce en effet que M. Borden ? elle expriencea-t-il de la vie parlementaire? elles preuves a-t-il donnes de ses ca-pacits? Ce nest pas un orateur : le hha ! dont il fait prcder ses p-riodes est celui dun homme qui on crase ses cors. Ce nest pas nonplus un meneur dhommes; au parlement on dit que cest un bon gar-on, a nice fellow , mais combien de nice fellows ne faut-il paspour faire un chef de parti ? lu pour la premire fois en 1896, il a partagavec M. Monk la bonne fortune de dnicher une affaire vreuse, cest l lesecret de sa promotion ; et comme pour consacrer dnitivement le prin-cipe que chez les conservateurs il faut avoir dnich quelque chose pouraspirer une chefferie,ses collgues se sont empresss de lui conjoindrele dput de Jacques-Cartier. Voil donc le parti conservateur reconstituavec,pour base, la Vitaline et la machine lectorale de Huron-Ouest. AvecMM. Hope et Casgrain pour lieutenants, il ne manque plus quune arme M. Monk ; en a endant quelle lui arrive, les conservateurs ontariens,qui ont le nombre de leur ct, parlent de se donner eux aussi un chef.

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    Pense franaise Chapitre V

    Des chefs, il en pleut : bientt tout le monde sera gnral.Le discours de M. Laurier avait runi la Chambre, part la troupedes anglomanes accoutums applaudir les lieux communs du premierministre, bon nombre de gens a irs par sa rputation dorateur. le liredans les journaux, on serait tent de simaginer que M. Laurier a eu dessanglots dans la voix, des a itudes tragiques, des gestes fendre lme.Erreur profonde : souriant comme toujours, le premier ministre avait lairdun homme qui vient de perdre sa belle-mre ; il a parl, parl, parlsur un ton dclamatoire qui aurait gt leffet du plus beau discours. Il a

    dcouvert des pleurs et des gmissements chez les Indous, que la domi-nation britannique ruine ; chez les peuples sud-africains, que la tyrannieanglaise crase ; chez les tribus barbares de lAsie et de lOcanie, qui neconnaissent de lAngleterre que ses balles et son whisky. Il sest crique la reine, par le message quelle adressa la veuve du prsident Lin-coln, avait rapproch pour toujours les deux races anglo-saxonnes ; ce quiest la fois une erreur et une baliverne, puisque les tats-Unis viennentdoutrager sciemment lAngleterre dans laffaire du canal de Nicaraguaet que le message de la reine madame Lincoln ntait que lexpressionlogique et protocolaire de la sympathie dune souveraine pour une autre.Les tories de la Chambre, en coutant ces exagrations, avaient lair depenser : Ce Laurier que nous avons accus de dloyaut, il est trs fort :il nous enfonce notre propre jeu, et nous ne pouvons rien dire . Duct ministriel on ntait pas plus a entif. Sir Richard Cartwright billaitaux mouches ; M. Tarte avait lair de calculer combien de quais il pourraconstruire dici 1905 dans le comt de Montmorency pour faire ba re M.Casgrain ou sur les ctes du Labrador pour gagner les Esquimaux au partilibral. M. Si on semblait chercher dans quel pays barbare il pourrait re-cruter des colons pour noyer la minorit franaise du Canada ; quelquesdputs dormaient ; dautres, loreille tendue, essayaient en vain de saisirquelques mots du speech dbit avec tant de volubilit par le pre-mier ministre. Il ne manquera pas de journaux ministriels pour compa-rer encore une fois, ce e occasion, Sir Wilfrid Laurier Dmosthne.Les hommes intelligents qui assistaient la sance de vendredi en sontrevenus avec lide quil nest quun acteur incapable de jouer la tragdie.

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    Pense franaise Chapitre V

    LAvenir,10 fvrier 1901.

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    CHAPITRE VI

    Tirez le dernier. . . Monsieur leMagister

    E , le dernier numro de lOiseau Mouche , les van-tardises du nomm Abner, je me suis souvenu de la victoireremporte par Don icho e sur ce lion qui rpondit ses pro-vocations par un billement et une volte-face. Il a trouv dans quelquesauteurs spcialit catholique que M. iers est apparemment fataliste,que Guizot eut le tort de natre protestant, que Villemain naime pas les Jsuites et que Sainte-Beuve est parfois trop partial et trop personnel, etil persiste dire que tout cela le justie davoir donn le coup de pied delne ces crivains qui ont contribu la rsurrection de lhistoire etcr la critique li raire.

    Il exige que je dmontre (comme si le monde entier ne se composaitque de poseurs et de faiseurs de son calibre) que les catholiques intelli-gents aiment Guizot, iers, Villemain, Sainte-Beuve, et, sur ma rponse

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    Pense franaise Chapitre VI

    que ces choses ne se prouvent que par leur vidence, il fait le Jean L-vesque et maccuse de lchet.On ne discute pas avec de pareilles gens; car il ny a gure, parmi les

    catholiques rputs instruits, quun professeur de li rature au collgede Chicoutimi pour juger les hommes et les choses de la France dil y atrois quarts de sicle avec les lune es dont se sert Mgr Labrecque pourplucher un article du Soleil.

    Pour ignorer que Guizot, sil eut le malheur de natre protestant, gou-verna cependant la France pendant dix ans du consentement des catho-

    liques, cause de sa droiture et de sa largeur de vues, et rendit lglise,dans son ouvrage sur les origines de la France politique, un hommagedont bien des catholiques nauraient pas t capables ;

    e si Sainte-Beuve fut un coquin, on ne trouverait pas ses crits cheztous les hommes qui se piquent de prendre, intellectuellement parlant, aumoins un bain par anne;

    e si Villemain naimait point les Jsuites, il en fut moins respon-sable que son poque, qui vit galement en guerre plus ou moins ouvertecontre les noirs , le futur cardinal de Bonnechose, le pre Ventura,Monseigneur Dupanloup, et the last mais pas le plus petit agneau de latroupe, laventurier politique Rossi, mort peu de temps aprs au servicede Pie IX et dans le sein du Seigneur;

    e si les ouvrages historiques de iers ne manquent pas de cho-quer le sens religieux des catholiques qui voient la main de la Providence jusque dans la nomination dun policeman et lcrasement dun caniche,cet auteur nest pas le seul dont la lecture est dangereuse pour la jeunessepuisque, dans les divers collges de Chicoutimi dont notre province estafflige, on interdit aux lves la lecture du grand Rohrbacher et de Cantu,deux auteurs catholiques.

    Si, par malheur, le fanatisme et lignorance qui svissent Chicou-timi dbordaient sur le reste du monde catholique, dans certaines mai-sons dducation classique on ne lirait plus Mgr Dupanloup parce queVeuillot a dit de ce prlat cent fois pis quil na jamais dit de Guizot, leprotecteur de ses dbuts politiques ; dans certaines autres, on ne lirait plusVeuillot, parce que Montalembert, dans un moment de mauvaise humeurqui se prolongea plusieurs annes, crivit Mgr Dupanloup que LUni-

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    Pense franaise Chapitre VI

    vers tait la honte du journalisme . Chateaubriand lui-mme, lauteurdAtala , Ren et autres ouvrages o il y a plus de gnie que de christia-nisme, serait compris dans le massacre, car ils sont rares les crivainsfranais du commencement du sicle, mme parmi les mieux intention-ns et les plus droits, qui naient pas subi linuence de ce milieu et dece e poque sceptiques. Vouloir juger ces hommes daprs nos opinionset nos prjugs, cest de la dmence pure et simple ; autant vaudrait faireun crime Platon de navoir pas obtenu pour son Banquet ou pour sa R- publique limprimatur dun vque.

    Voil pourquoi, au lieu de raisonner avec la tte de lino e qui chantedans le nid de LOiseau-Mouche, je**me contenterai de lui citer, titre decuriosit, ce quun avocat et homme politique catholique, M. Chauvin,disait le mercredi soir, 20 fvrier, luniversit catholique de Montral aucours dune confrence sur notre formation intellectuelle :

    La France,a dit M. Chauvin,nous offre lexemple de ces hommes culture leve et gnrale. Guizot, iers, Montalembert et, de notre temps,M. Hanotaux, hommes politiques et hommes de le res, laissant la tribune et sa vreuse loquence, pour se renfermer dans leur cabinet de travail avec leurs livres, leurs tudes et leurs manuscrits imprissables.

    Ce sont les modles qui simposent nos hommes publics. Je pourrais mener le magister DeGagn joliment loin dans ce e pol-

    mique, car ce nest pas encore, de ma part, me coter trs haut que de meme re au-dessus de lui par lintelligence et le savoir ; mais je marrte,de crainte que, le prsent numro des Dbats a eignant le monde civilis,on se demande par l dans quelle partie de lAsie, de lAfrique ou de lO-canie, se trouve ce pays o lon discute encore si Sainte-Beuve, Guizot,

    iers et Villemain ne mritent pas le carcan, le pal ou le bcher.Messire DeGagn, comme le lion de Cervants, et moins cause de

    ma force que de votre ineptie, je vous tourne le postrieur : vous pouvez, votre aise, y diriger les foudres de ce e intelligence que le Ciel semblevous avoir mise non pas dans la tte, mais dans les pieds.

    Les Dbats , 2 mars 1902.

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    CHAPITRE VII

    propos denseignementgratuit et obligatoire

    A M. X.,bec.Cher ami,Vous me demandez pourquoi je laisse prconiser dans leNationaliste len-seignement gratuit et obligatoire. Vous tes un homme intelligent, vousme voulez du bien : votre le re est donc pour maviser quen notre payscest briguer une mauvaise rputation que dadme re la discussion depareils problmes.

    Tout dabord rendez la vrit lhommage de convenir que les ad-versaires de linstruction gratuite et obligatoire ont t accueillis au Na- tionaliste avec les mmes gards que ses partisans. Un M. Daoust, que jenai pas lhonneur de connatre, a crit chez nous que ce systme dtrui-rait la criminalit ; un illumin du nom de Bgin, nourri par les curs

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    Pense franaise Chapitre VII

    de campagne qui ne lisent quun journal, en a prot pour nous traiterde francs-maons dans la Croix . M. Germain Beaulieu ma adress unenote de sympathie, un Jsuite de mes connaissances a rpondu M. Beau-lieu. Celui-ci a rpliqu, le religieux est revenu la charge, et jtais biendispos laisser le dernier mot qui laurait voulu prendre, quand lad-versaire de M. Beaulieu a subitement cess dcrire et, par une curieuseconcidence, un nouveau collaborateur est entr la Croix pour aider M. Bgin couvrir de boue M. Beaulieu et le directeur du Nationaliste.

    Mais reconnaissons, pour vous plaire, que jaie rellement pench du

    ct de M. Beaulieu; o est le crime?Depuis quand et de par quelle autorit lenseignement gratuit et obli-gatoire est-il chez nous un sujet rserv? Ce sujet fut trait il y a douzeans par M. Philippe Demers, devant le cercle catholique de Ville-Marie.Dans la suite, M. labb Collin en prit la dfense. est-il survenu depuisqui empche les catholiques du Canada et du Canada seulement, parailleurs on ne leur a jamais ni ce droit den parler?

    Ruse maonnique ? Manuvre anticlricale employe en France etdestine dans la province de bec prparer lavnement de lcoleneutre.

    Mon cher ami, cet argument vaudrait quelque chose si nous navionssous les yeux, vous et moi, lhistoire de la guerre livre pendant un sicle lide rpublicaine par les catholiques de France, guerre stupide, guerreinsense qui sert de prtexte aux mesures anticatholiques et antichr-tiennes daujourdhui, si elle nen a t la cause.

    Les F... M... veulent semparer de lcole comme ils se sont emparsde la rpublique ; allez-vous pour cela prcher lignorance ? Montrez-moidonc au Canada un anticlrical reconnu qui se soit prononc pour lensei-gnement gratuit et obligatoire ? M. Philippe Demers nest certainementpas un mauvais esprit. M. Germain Beaulieu est le digne secrtaire g-nral dune de nos plus belles socits chrtiennes de secours mutuel. M.Paul Martineau, que la Croix avait presque ruin auprs du clerg parlinsinuation, cause prcisment de ses dclarations en faveur de lu-niformit des livres et de lenseignement gratuit, faisait ces jours der-niers devant un auditoire protestant un pangyrique clatant de linstruc-tion religieuse. M. Godefroy Langlois na jamais, que je sache, nonc les

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    Pense franaise Chapitre VII

    vues que lon reproche M. Beaulieu, et vous lirez toute la brochure de laLigue de lEnseignement sans y trouver un mot en faveur de lenseigne-ment gratuit et obligatoire. Il vous incombe donc dexpliquer en quoi lesystme prconis par M. Beaulieu est contraire la doctrine de lglise ;comment, appliqu par les autorits auxquelles lcole est soumise dansla province de bec, il pourrait devenir un instrument de lacisation etde neutralisation.

    Sparons, pour les ns de la discussion, la contrainte et la gratuit.Ces deux principes ne sont pas ncessairement indissolubles : le Conseil

    de linstruction publique a approuv la distribution de livres de lectureuniformes, il ne sest pas prononc sur la contrainte.elle objection voyez-vous, au point de vue religieux, ce que la

    socit dfraie linstruction des enfants pauvres? En me ant le pre defamille et le contribuable sans enfants sur le mme pied devant limptscolaire, na-t-on pas reconnu, sans prjudice des droits de lglise, quelinstruction publique est une charge sociale, que dans un tat bien orga-nis linculcation de certaines connaissances lmentaires lenfant estun devoir social ?

    La gratuit des livres entranerait la mainmise de ltat sur lensei-gnement ?

    Mais que faites-vous de la dclaration de M. Martineau, que dans laprovince catholique de bec il ne saurait tre question denseignementneutre? e faites-vous du Conseil de linstruction publique, dont cestprcisment une des a ributions dexaminer les livres de classe ? efaites-vous des curs, que la loi constitue inspecteurs des coles de leursparoisses au point de vue religieux et moral ? Et puis, comment expliquez-vous que cent mille exemplaires de Mon premier livre aient t distribusaux coles primaires avec lassentiment des vques membres du Conseilde linstruction publique ?

    Vous avez bien le droit de voir une manuvre maonnique dans unsystme reconnu par lpiscopat : il est toujours permis au bedeau de par-ler de SA paroisse, de SON glise, de SES ouailles ; mais naccorderez-vouspas quon puisse croire la gratuit des livres sans sexposer lexcom-munication ?

    Passons maintenant la contrainte.

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    Pense franaise Chapitre VII

    Vous adme rez que, dans notre organisation sociale et conomique,lhommequinesaitnilirenicrireestceluiquisaitlireetcrirecequelesourd-muet est lhomme qui entend et qui parle. Il vit dune certaine vie,il peut goter un certain bonheur. Envisagau point de vue social, on peutposer en rgle gnrale quil est inoffensif, semblable ces machines quirequirent dautant moins da ention quelles sont moins compliques.

    Mais de ce e innocivit presque absolue de lille r, conclurez-vous que la socit na pas le droit dimposer ses membres certainesconnaissances lmentaires, essentielles, par exemple, lexercice du

    droit de suffrage ? De son bonheur relatif, conclurez-vous que cest violerle droit naturel que de forcer le pre de famille assurer ses enfants uneexistence meilleure ? Ltat porte a einte au droit naturel en nous impo-sant certaines prcautions sanitaires pour le bien gnral. Mme dans lespays britanniques, o le lgislateur a plus que partout ailleurs le respectde la libert individuelle, le bien gnral est fait souvent du sacrice desdroits de lindividu. Et ltat qui, daprs le pre jsuite Castelin, peut fer-mer la fabrique ou refuser le droit de suffrage lille r contrainte mo-rale que jai trouve excellente jusqu ce que M. Germain Beaulieu etmontr ce quil y a dinjuste punir lenfant pour la faute des parents,et que vous-mme, aprs mre rexion, trouverez plus injuste quunecontrainte pnale sexerant sur le chef de famille, ltat, dis-je, nau-rait pas le droit de rendre obligatoire la connaissance de la lecture, delcriture et des lments du calcul !

    La contrainte est condamnable par lglise, si lenseignement estcontraire la doctrine catholique, en dautres mots, ltat na pas le droitde forcer les parents envoyer leurs enfants une cole qui rpugnerait justement leur conscience. Mais ce e contrainte, qui la rclame cheznous? Mme aux tats-Unis, o la souverainet de ltat est admise parla grande majorit des citoyens, tout ce que lon exige du chef de famille,cest de prouver que lenfant apprend, dun matre quelconque, lire, crireet calculerdaprs les quatre rgles simples. y a-t-il en cela quelglise condamne ? Et puis, comment pensez-vous quil serait possible,dans la catholique province de bec, de forcer les parents envoyerleurs enfants des coles neutres ?

    La contrainte est encore condamnable si elle prive les parents ncessi-

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    Pense franaise Chapitre VII

    teux de laide de leurs enfants. Aux tats-Unis, en pareil cas, on exemptelenfant de lcole pendant la plus grande partie de lanne; il y a mmequelquefois exemption complte. est-ce qui nous empcherait dap-pliquer la loi de la mme faon?

    Si, comme on laffirme, tous les parents, chez nous, envoient leursenfants lcole, en quoi la contrainte portera-t-elle a einte leur droitnaturel ? Et si, nayant aucune raison matrielle ou morale de ne pas lesy envoyer, ils veulent cependant les tenir dans lignorance, quelle consi-dration, dites-moi, mritent de pareilles brutes?

    Notez bien que je ne prche pas, que je nai jamais prch linstructiongratuite et obligatoire. Je me suis fait, comme directeur du Nationaliste,une ligne de conduite de ne pas prendre da itudes que, mme tort,mme par ignorance ou par une interprtation trop troite des lois delglise, certains de nos lecteurs pourraient trouver rprhensibles. Deplus, je ne suis pas loin de croire que sil est vrai, comme laffirme M. Ma-gnan, que la frquentation scolaire a eint dans la province de bec unchiffre inconnu partout ailleurs, il ny a probablement pas lieu de chargernos statuts dune loi qui resterait le re morte ; que, dautre part, la gra-tuit mise en pratique par des dputs que lon achte pour cinquante,quarante, trente et vingt dollars, nirait probablement par tre coteuse.

    Lide que jai voulu affirmer en ouvrant les colonnes du Nationaliste M. Germain Beaulieu, cest quun systme denseignement nest pas ma-onnique parce quil prend fantaisie un fou quelconque de le prtendre.

    Cest quon nest pas plus tenu dcouter les philippiques du R. P.Ruhlman contre linstruction gratuite et obligatoire quon nest tenu decroire avec le R. P. Hamon que lenfer est au centre de la terre et quaprsle jugement dernier nous nous promnerons dans les espaces clestes encorps et en me.

    Cest que dans une ville o il existe une dizaine de journaux, il devraittrepossible unhonnte homme desedfendre, proposdune questionlibre, contre les insinuations malicieuses dun exploiteur de religion qui force de scrire des prtendues le res dvques, a ni par faire croire un certain nombre de gogos quil parle au nom du pape.

    1. Au-del du tombeau.

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    Le Nationaliste , 16 avril 1905.

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    CHAPITRE VIII

    Lettre ouverte M. leProcureur gnral

    N quil serait temps de me re un terme auxscandales accessoires qui accompagnent les trop nombreuxcrimes commis dans notre malheureuse province ?Vous me demanderez sans doute quels sont ces scandales car vous lesignorez certainement, puisque vous les laissez impunment staler augrand jour ; et vous me demanderez ensuite quels sont les moyens employer pour les faire cesser ?

    Cest prcisment ce que je veux vous indiquer ici.Le premier scandale, qui est en mme temps un danger social, cest la

    publicit dsordonne et immonde faite autour des crimes par les jour-naux dits sensationnels , au mpris de toute pudeur, de toute sensibi-lit, de toute justice et de toute probit.

    Lintervention des reporters de ces journaux dans des affaires aussi

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    Pense franaise Chapitre VIII

    graves est absolument odieuse. On leur impose le rle de raba eurs degibier, de chiens de chasse, de mouchards.On ne se borne pas les lancer sur la piste des coupables, on les d-

    lgue auprs des parents des individus suspects, an darracher leurmotion et leur douleur des propos quivoques de nature tayer uneaccusation branlante que de trs vulgaires gendarmes transformeront enun monument norme de so ise, de suffisance et diniquit, dans luniquebut dobtenir la mention de n limier , commencement et n de leurstupide orgueil qui na dgal que leur ignorance et la dpravation de leur

    sens moral.Les reporters pntrent librement dans les prisons, auprs des mal-heureux simplement prvenus ou souponns. Grce de perdes dis-cours, loffre dun mauvais cigare et la comdie dun faux semblant depiti, ils obtiennent des condences incohrentes qui, diaboliquement ex-ploites par le tintamarresque orchestre de leur journal, sment le doute,le mpris et la haine, dans les populations, lesquelles, hlas! ont une foitrop crdule en ces rcits fantastiques.

    Le reporter dun journal anglais de Montral a t trouver la femmeHacke le jour de larrestation de son mari. Il lui a dit quil tait chargpar son journal de plaider toutes les circonstances favorables linculpet de travailler faire clater son innocence. Il t montre de sympathie,inspira conance la pauvre femme quil abusait, lui soutira desportraits,des panchements, des communications touchant sa vie conjugale et cellede ses proches parents. Muni de ces renseignements arrachs par la du-plicit une crature simple et accable, il t le lendemain, sous un titreamboyant, un rquisitoire terrible contre Hacke , utilisant dune faonmprisable les petits secrets quil avait vols par hypocrisie.

    Ce personnage est un gredin ; mais ceux qui le paient pour faire sem-blable besogne le sont bien davantage.

    Remontez de dix annes en arrire, Monsieur le Procureur gnral, lpoque o ces murs hideuses se sont introduites dans notre journa-lisme ; et demandez-vous si de pareils abus, de pareilles manuvres nontpas entran des condamnations immrites ; si tout cela ne constitue pasdes lments de corruption sociale, quil est du devoir strict de lautorit,en droit et en morale, dtouffer cote que cote.

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    Pense franaise Chapitre VIII

    Aprs les scandales provoqus par la presse, il y a des scandales pro-voqus par les agents subalternes, auxquels on accorde si imprudemmentdes pouvoirs discrtionnaires disproportionns leur fonction, leur res-ponsabilit et leur mentalit. Pour ces gens-l, tout se borne faireune cause quand mme. Il leur suffit davoir une occasion ; peu importeque laccus soit coupable ou non. Leur acharnement est toujours com-plaisamment secondpar ladministration, et leur gloriole de policiers va-niteux et ignorants est voluptueusement satisfaite ds quils obtiennentune condamnation. Et plus la faute est douteuse, plus le succs est grand.

    Ils poursuivent une ide xe qui leur rapporte quelques louches avan-tages en cas de succs, mais qui ne les expose aucun risque dans le cascontraire. Dans lexercice sans contrle et sans modration de leur mtier,ils ont la latitude dtre injustes, mchants, implacables et cruels impun-ment, cest--dire avec dlices. Ils ont ainsi loccasion, dans une mesurerelativement large, dmarger dune faon extraordinaire au budget de la justice ; ils trouvent dagrables exemptions de service pendant la duredes enqutes et des audiences ; ils peuvent faire la roue devant les petiteset les grosses dindes de leur quartier, cause de lextrme importanceque leur communiquent momentanment les tincelants adjectifs dontles reporters amis les accablent sans mesure pendant des semaines.

    Parlerai-je des enqutes des coroners, o lon tient le public, et parconsquent les coupables non encore connus, au courant de tous les faits,de tous les progrs ainsi que de toutes les erreurs de lautorit ?

    Ny a-t-il pas, dans les comptes rendus circonstancis de ces enqutes,dtailles lexcs avec la complaisance des coroners, le risque grave defournir dutiles indications aux coupables, qui peuvent ainsi chapper la justice ou la lancer sur une fausse piste qui la me ra en chec ou luifera capturer un innocent ?

    Parlerai-je aussi du rle de la Couronne, qui, dans bien des causes,notamment dans une cause rcente, sest oublie au point de me re desentraves la dfense, voyant avec moi un acqui ement probable. Aulieu de sa acher la seule recherche de la vrit, trop souvent la Cou-ronne sa ache tendre des traquenards pour surprendre la dfense etassurer le triomphe quand mme de laccusation, comme si son rle, sondevoir, consistait uniquement fournir les bagnes et le bourreau. Assis-

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    Pense franaise Chapitre VIII

    tez quelquefois aux audiences de la Cour dAssises, Monsieur le Procureurgnral, et vous constaterez, peut-tre avec tonnement, que cest moinsle sort de laccus qui est en jeu que lamour-propre de vos substituts.Lorsque laccus est acqui , les amis de lavocat de la Couronne vont luiserrer la main et lui porter quelques paroles de consolation, comme silvenait dprouver un irrparable malheur. Et linfortun, mu, les remer-cie en sexcusant :

    e voulez-vous, dit-il avec rsignation, jai fait tout ce que jai pu.Mais que peut-on obtenir dun jury sensible, born, qui prend son rle au

    srieux et qui se gure quil y a des accuss innocents? Je prendrai marevanche dans laffaire Chose. Les journaux ont bien travaill lopinion et,grce eux, les preuves morales suffiront car tout le monde a pris laccusen horreur.

    La justice nest pas vnale dans notre province; elle est pire : elle estvaniteuse et machinale. Tout sujet qui chappe ses tenailles est pour elleune cause dhumiliation.Cest un vol fait sa frocit barbare,et cest sur-tout dans les sphres de la police que ce phnomne apparat visiblement.Les agents et les reporters, a ne fait quun corps. Les premiers fournissentdes renseignements quotidiens agrments de quelques faveurs justica-tives ; les seconds les encensent avec conviction et les consacrent grandshommes aux yeux des imbciles, dont le nombre est imposant, commevous savez.

    Perme ez-moi, Monsieur le Procureur gnral, de vous donner unexemple tout frais de la faon dont on cuisine la justice Montral.

    Bradley, le premier accus du meurtre de la petite Ahearn, a tabli unindiscutable alibi au moment de son arrestation. On a pass cet alibi soussilence, dans la presse et dans les bureaux, a endu que, si on en avaittenu compte, il ny aurait pas eu darrestation et, consquemment, pas decerticat dhabilet publier dans les palpitants comptes rendus de cetexploit.

    Eh bien, tout est lavenant. On dmoralise le public; au hasard, onvoue des tres lanimadversion des foules ; on je e le ridicule et la hontesur notre race; on foule aux pieds tout sentiment humain, et tout cela,pourquoi ? Pour faire de la sensation, pour faire monter le tirage des jour-naux dissolvants, pour louer des fonctionnaires complaisants ou des mou-

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    Pense franaise Chapitre VIII

    chards peu regardants payer la traite . qui la faute?Au mercantilisme, la routine,au laisser-faire, la btise, la cupidit.Oui, sans doute, toutes ces petites laideurs contribuent lexistence

    dun tel tat de chose ; mais la faute principale remonte vous, Monsieurle Procureur gnral, vous, qui laissez avec srnit galvauder la justice, vous que le scandale nmeut pas, quand vous avez le pouvoir, le droitet le devoir de vous opposer ce dvergondage et de balayer lgoutce torrent de salets quotidiennes. Cest vous qui, par votre majestueuse

    inertie, tes responsable des larmes, des dsespoirs, des rvoltes impuis-santes qui clatent dans des foyers jusqualors paisibles, o la fatalit aconduit un jour la police, suivie des reporters.

    On condamne pour mpris de cour un plaideur inexact ou ou-blieux des biensances devant un juge ; mais on laisse impunment ver-ser le mpris, le mensonge et la honte sur des femmes et des enfantsdsarms. On laisse impunment livrer les secrets des enqutes ; on laisseimpunment pntrer les reporters et certains curieux favoriss dans lacellule dun prisonnier, pour le harceler, lespionner, le trahir ou le mo-quer, alors quon ne lui permet que trs exceptionnellement dembrassersa femme et ses enfants, de les voir mme et de puiser dans ces treintesou dans ce e vision le rconfort moral ncessaire pour supporter les af-fronts, les misres et lignominie dune accusation peut-tre tmraire.

    Vriez ces choses, Monsieur le Procureur gnral, et si aprs vri-cation vous jugez inutile dintervenir parce que tout va pour le mieux,cest que vous aurez une plus grande fermet dme quon ne la soup-onn jusqu ce jour, et que votre puissante constitution vous permet debraver tous les cauchemars et tous les remords.

    Le Nationaliste,22 avril 1906.

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    CHAPITRE IX

    Le drapeau rouge

    L Montral serait-elle justiable dempcher le d-ploiement du drapeau rouge ? Telle est la question que M.Baillarg pose dans La Patrie sur ce ton alarmiste dont il a lesecret.

    Certains drapeaux ont une signication reconnue par les gouverne-ments et accepte de tout le monde civilis. Il nen est pas ainsi de lem-blme qui effraie M. le cur de Saint-Hubert : nimporte qui peut senservir pour exprimer nimporte quoi : tel point que sil prenait fantaisie M. Baillarg de larborer dans une procession de la Fte-Dieu, la chosesemblerait aussi logique que den faire le signe de ralliement dun partipolitique. On ne peut donc pas plus le supprimer par des dcrets et desordonnances quon ne peut prciser dans un texte de loi le sens du mot socialisme , avec lequel on a accoutum de lidentier et qui, selon lamanire dont il sentend, peut dier ou scandaliser M. le cur de Saint-Hubert.

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    Pense franaise Chapitre IX

    Lanarchie tend aujourdhui dlaisser le rouge pour le noir : cestdonc celui-ci quil faudra proscrire si lon admet quune couleur devienneodieuse parce quun groupe ou un clan suspect cherche la monopoliser.Et le noir disparu, comment fera-t-on pour exprimer son deuil ? M. le curde Saint-Hubert qui doit avoir beaucoup se plaindre du Sort, si on en juge par ses crits sera bien avanc !

    est-ce au juste que le socialisme, dont le drapeau rouge est plus

    ou moins lemblme ? Ce e formule politique, conue comme elle lest

    par quelques-uns, serait-elle ncessairement incompatible avec le catho-licisme ?Il y a les socialistes collectivistes, qui nient la proprit et rclament

    la conscation de tous les biens au prot de ltat. videmment, ceux-lsont en contradiction avec lenseignement de lglise, bien plus, avec lebon sens, qui veut que le Ciel, en douant chaque homme dune volont etdun libre arbitre, lui ait confr le droit de sen servir.

    Il y a aussi, croyons-nous, les socialistes qui prchent lorganisationde services dtat pour la production et la distribution de toutes les chosesncessaires la vie, mais sans demander la suppression de linitiative in-dividuelle, laquelle dsormais, ne pourrait plus sexercer que pour le bienpublic. Ceux-l peuvent sillusionner sur la possibilit dune telle rforme,mais si on veut se donner la peine dtudier la tendance conomique denotre temps concentration constante des richesses, accaparement desmoyens de production, augmentation du cot de lexistence dans une me-sure disproportionne laugmentation des salaires on sera bien forcdavouer que leur thorie a quelque chose de noblement idaliste qui faitdfaut au systme actuel, bas sur lgosme, la fraude et la force brutale.En tout cas, lglise ne les condamne pas, car ils ne mconnaissent aucunprincipe de droit naturel ou de droit divin; tout au plus si les bons es-prits ce qui revient gnralement dire les gens repus peuvent lesblmer de croire la perfectibilit de ltat social.

    Il y a enn des hommes qui ne sintitulent pas socialistes etdont nan-moins les ides sur les besoins de la Socit et les devoirs de ltat s-carteraient assez des formules ordinaires pour mriter ce qualicatif. Ilsposent en principe le droit dinitiative et de proprit individuelle, ils ne

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    Pense franaise Chapitre IX

    veulent pas dun tat-Providence, qui, sans consquer tous les biens son prot, entreprendrait de corriger tous les maux inhrents lhuma-nit et nirait probablement par ntre quune bonne vache lait pourles malins. Et cependant, le rgime actuel les rvolte ; ils ont horreur deces gouvernements-empltres bons seulement pour faire suer des taxesaux administrs. Ils croient que dans un pays neuf comme le ntre, o ilny a heureusement ni aristocratie terrienne ni privilges hrditaires eto laristocratie nancire ne vient que de natre, o, dun autre ct, lesrichesses naturelles sont pandues partout sur le sol et dans les entrailles

    de la terre, il suffirait ltat, pour crer un tat social sinon parfait, dumoins bien suprieur ceux que lhumanit a connus jusquici :1 Dgaliser les chances de tous en ne crant aucun privilge;2 Dassurer au peuple la plus grande jouissance possible des richesses

    naturelles, soit en exploitant ces richesses lui-mme, soit en les faisantexploiter dans des conditions dtermines par lui ;

    3 De monopoliser les transports et autres industries qui ont de touttemps servi laccumulation de la richesse entre les mains du petitnombre et au dsquilibrement de la puissance politique ;

    4 De consquer au prot de la collectivit toute industrie dnitive-ment monopolise, qui e la faire rgir en son nom par des particuliers ;

    5 Dempcher la formation de trop grandes fortunes par limpt pro-gressif sur le revenu impt qui frappe, encore plus peut-tre que le tra-vail, lintelligence, don gratuit de la nature et source premire des inga-lits sociales.

    Ces hommes qui prennent ainsi la contrepartie de tout ce que nosmodernes Rois Fainants croient et pratiquent, ils sont eux aussi des so-cialistes leur manire, quils sintitulent libraux parce quils conoiventle progrs humain comme un affranchissement, rationalistes parce que,poursuivant un but politique, ils regardent le contentement des massespopulaires comme une condition essentielle de la vie et de la puissancenationale, conservateurs mme, parce que plaisante perversion desmots ! ils veulent conserver lordre social en le rgnrant.

    Va-t-on les excommunier pour un nom sur le sens duquel on ne sen-tendra pas ?

    Le socialisme chrtien prch par labb Daens et autres ecclsias-

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    Pense franaise Chapitre IX

    tiques europens a t condamn par le Souverain-Pontife cause de cir-constances particulires qui pouvaient prcipiter des masses insuffisam-ment claires, et naturellement impatientes, vers le collectivisme anti-catholique. Mais ce e doctrine qui au fond nest que celle du Christ continue tre prche sous dautres noms, en France et en Belgique, pardes catholiques minents dont le plus connu est un prtre, labb Lemire,dput la Chambre franaise.

    ant nous, nous navons aucune sympathie pour les viragos dutype Emma Goldmann, qui puisent dans le cosmopolitisme de leur race

    bien plus que dans leur lvation desprit la haine des vieux drapeaux, nipour certains hbleurs que nous connaissons, qui soupirent aprs lgalitgnrale dans ltat collectiviste, mais condition quon leur dlgue lesoin de conduire les autres. Et si le drapeau rouge ne reprsentait que ceshaines et ces calculs, nous le verrions sans moi charper par la police.

    Mais il reprsente aussi, en Amrique, le rve gnreux, lillusion sin-cre, de milliers de braves gens qui sentent glisser lhumanit dans lesbras dun autre Moloch, et qui, abandonns leurs seules lumires pardes classes suprieures ignorantes et jouisseuses, croient pouvoir la sau-ver par lapplication dun nouveau principe politique. Et sil nous fallaitchoisir entre ce rve et ce e illusion et lgosme crapuleux de journauxqui osent affirmer le bonheur parfait de louvrier canadien en face du trustde llectricit qui le prive de lclairage le plus hyginique et le plus par-fait, du trust des viandes qui lui fait payer au poids de lor larticle prin-cipal de son alimentation, du trust judiciaire qui lui prend un mois deson gagne pour une affaire de cinquante sous, sil nous fallait choisirentre ces deux tats desprit, peut-tre, Dieu nous en perme e laveu !serions-nous tent de pardonner aux socialistes de navoir pas dessinsur le champ clair de leur drapeau le groin dun Morgan ou la panse dunRockefeller.

    Le Nationaliste , Montral, 20 mai 1906.

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    CHAPITRE X

    Les tudiants au Nationaliste

    L , tudiants en mdecine de Laval, aprs une vi-site aux bureaux deLa Presse etdeLa Patrie,sont venus saluer lesrdacteurs du Nationaliste.Cest la premire fois, croyons-nous,quils font cet honneur un journal hebdomadaire. En rponse aux bonssouhaits de leur jeune et sympathique prsident M. Godin, notre direc-teur leur a dit, trs mal, quelques paroles qui pouvaient signier : Du hautdes fentres de la rue Sainte- rse, quarante ttes vous contemplent.

    Au souvenir de toutes celles qui se sont penches sur vous rueSaint-Jacques, vous vous demandez, sans doute, pourquoi Le Nationa- liste, journal si vivant, a lu domicile en un lieu si calme.

    En nous xant ici, nous pensions un peu cacher un tat de gnedont nous navons certes pas rougir, mais dont le monde aurait pu sau-toriser pour conclure linviabilit de notre entreprise. Vous tes jeunes,beaucoup dentre vous tes sortis du collge avec, pour toute richesse,un sourire aux lvres, et vous avez fait le rve de sduire la Fortune avec

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    Pense franaise Chapitre X

    un air damour que vous joueriez sous sa fentre par un soir dtoiles.Plus vous vieillirez, plus vous constaterez quelquefois aux pleurs devos yeux combien lapparence mme du succs en impose au commundes hommes, combien, au contraire, la seule sduction dun cur droitest lente agir sur leurs mes bornes. Vous comprendrez les tyranniesmorales je veux dire immorales exerces par des hommes qui en-trrent dans la vie comme les anciens entraient dans la mort : en glissantune pice dargent au bateleur. Vous comprendrez le prestige odieux etternel de lhomme cheval, cheval sur un cheval ou cheval sur un

    sac dcus. Vous les pitons, vous les petites gens qui prtendez votrepart de chausse, vous vous joindrez nous pour que le jugement dumagistrat montralais qui envoie les craseurs en prison, sapplique ga-lement dans lordre social. Et je ne doute pas quen travaillant bien, nousy arrivions, car le cur humain est comme les caveaux : les reptiles ensortent ds quon y fait pntrer la lumire. En a endant, nous resteronsici. Nous nous ba rons derrire le rideau, et la salle qui ne verra pas nosvisages amaigris et nos ventres creux, la salle qui entendra fuser, entredes larmes refoules, notre rire clair de Cadets de Gascogne, la salle, lapauvre salle des hommes nafs et moutons de Panurge, nous soutiendrade ses sympathies et de ses bravos.

    Nous avons voulu symboliser aussi, par notre choix, le recueillementdans lequel doivent slaborer les tches ardues.

    En lisantLe Nationaliste le dimanche, car votre dmarche daujourd-hui me prouve que vous le lisez, vous songez peut-tre comme il doittre facile de laisser ainsi sa plume courir sus tous les abus et commeil est trange que notre petite bande, fuyant le monde extrieur, ait ta-bli dans la presse canadienne-franaise une sorte de chouannerie. Mes jeunes amis, ce qui vous arrive de nous chaque semaine, ce nest pas lasubstance de notre me ni la eur de nos facults, cest linstinctif clatde rire devant la so ise, lirrpressible cri de dgot devant la lchet,limprcation devant le triomphe insolent de la force brutale sur la rai-son impuissante. Ce nest pas la synthse de nos nuits sans sommeil etde nos jours sans pain, ce nest pas mme lbauche imparfaite du plandress dans notre esprit pour lunion des forces nationales, cest linmersidu dune production mentale asservie presque tout entire aux be-

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    Pense franaise Chapitre X

    soins matriels de luvre. Partis les cheveux au vent et les yeux danslazur du ciel, nous avons d bientt reconnatre en la juste addition de2 et 2 la premire condition dexistence des empires. Nous nous sommesassis sans nous plaindre devant des besognes autres que celles que nousavions rves, soutenus par lespoir quun peu de justice sociale, un peude bien-tre et de bonheur national, germerait un jour dans lhumus f-cond de nos illusions mortes. Et pour que le jardinier ne ft pas distraitpar les frelons qui bourdonnent sur toute eur nouvelle, nous sommesvenus dans ce quartier vnrable o les intendants des rois de France,

    accomplissant au mieux de leur patriotisme des uvres sublimes et si-lencieuses, dictaient dj son devoir la Nouvelle-France du 20 sicle. Jeunes hommes qui avez fait le rve de conqurir la terre, vous non plus,vous naurez pas march longtemps dans la vie avant de vous trouver auxprises avec la ncessit matrielle qui vous prendra la gorge et qui vousdemandera vos efforts, vos sueurs, votre sang. Ne la maudissez pas. Ne luidemandez pas avec amertume le pourquoi de son insolence. Dites-vousque dautres hommes des industriels et des ngociants aux fronts rids,des paysans aux mains calleuses, des ouvriers aux reins courbs se sontsoumis sa loi pour vous rendre la vie meilleure, et que sans eux vousne seriez peut-tre pas appels lhonneur de conduire la socit. Rgleztoutes vos actions en vue du devoir prsent. Fuyez les frelons, penchez-vous avec amour sur votre bche ou sur votre houe, laissez la justiceimmanente des choses ou la Providence divine le soin de noter et dercompenser votre effort. Et quand le soir viendra, que la eur de votrerve ait port fruit ou quun rayon de soleil lait rejete, peine close,au pullulement universel, vous vous coucherez avec la rconfortante cer-titude davoir contribu, dans la mesure de vos forces, lharmonie de lacration.

    Je vous remercie davoir eu une pense pourLe Nationaliste dans votremanifestation. Ce e pense me prouve qu travers le dcousu ordinairede nos crits, vous avez su lire lintention droite, le dvouement sans m-lange aux intrts suprieurs de lHumanit et de la Patrie. Vous tesalls saluer, dans nos ans de La Presse et de La Patrie,des hommes quinentendent ni ne pratiquent comme nous, qui, notre sens, entendent etpratiquent plus mal que nous lapostolatdu journalisme. Ctait probable-

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    Pense franaise Chapitre X

    ment pour dire ceux-ci que vous ajoutez foi la nouvelle de leur retourprochain au bercail canadien-franais, ceux-l, que vous leur savez grde tmoigner, au milieu de leurs inconsquences, quelque a ention labelle cause de linstruction publique. Du reste, et je mempresse de le direau nom dun journal qui pr re lui-mme le geste fou au geste mesquin,ce serait un triste jour que celui o la jeunesse de Laval, vieillo e avantlge, aurait appris toujours contenir ses enthousiasmes.

    Encore une fois donc, merci, et que chaque anne, pareille poque,en nous rappelant ce beau jour, chacun de nous puisse demander sa

    conscience le tmoignage de ntre pas un frelon dans la socit, de na-voir jamais ressenti, au spectacle de la misre humaine, que la virilisantepassion de faire quelque chose pour la soulager.

    Le Nationaliste , Montral, 30 septembre 1906.

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    CHAPITRE XI

    Prface aux Souvenirs deprison de Jules Fournier

    E 1908 1909, Jules Fournier crit, dans Le Nationaliste , de vio-lents articles contre le gouvernement Gouin. En juin 1909, Lo-mer Gouin lui intente un procs pour libelle diffamatoire, pro-cs qui conduira Fournier en prison. Cest l quil trouve la matire crire ses Souvenirs de prison, que Olivar Asselin prfacera.

    Mon cher Fournier,and jtais journaliste, et que je mefforais de toujours dire la v-

    rit, et que je la disais pour protger le public contre les voleurs, jallaisen prison. Je fais maintenant dans lImmeuble; jai beaucoup menti de-puis quelques mois; jamais je nai t si considr de mes concitoyens.

    and jaurai dompt les derniers vestiges de ma timidit, que je sauraivoler franchement, voler tout le temps, et voler tellement que je ne pour-rai plus expliquer personne lorigine de ma fortune, je serai mr pour le

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    Pense franaise Chapitre XI

    de voler ni $60,000 ni $50,000 la Province, et que, malgr vos talents desduction trop peu connus (avis au Sexe !), vous navez nullement ce quilfaut pour gagner la Dame qui veille la porte du procureur-gnral sousles traits aimablement sphinx-triens du rond-de-cuir que nous savons(je ne le nomme pas, ne voulant pas faire de personnalits), perme ezquau moins, titre de frre en M. Morin, et en a endant que je racontemoi-mme, dans le Brief trayt de la Cocqueraile ; quelques-uns demes souvenirs dincarcration, je vous indique les moyens dobtenir ce efois, comme qui dirait, un peu de beurre sur vos pinards.

    En vous lisant, mon cher Fournier, je constate que, durant une partiedu moins de ma dtention, jai eu chaque jour, de plus que vous, unechopine de lait, un uf et une orange (le Gouverneur dira deux ufs,mais jen appelle au jeune et sympathique escroc quon laissait mourir defaim et qui je donnais lautre). Prome ez-moi seulement dtre discret car autrement, tout le monde, Mssieu Pansereau le premier, voudra alleren prison et je vous livre gratis le secret dune pareille bombance.

    Si vous avez soin de vous prsenter chez M. Morin avec une belle en-trocolite qui vous tire en moyenne un dcilitre de sang par jour, le m-decin (mme le docteur Robitaille, dont le cur valait mieux que loreille, je vous assure !) vous accordera tout la fois le lait, luf et lorange. Envous ba ant du bec et des ongles avec le Gouverneur , en lui faisant entre-voir la destitution si les nationalistes arrivent au pouvoir, au bout de deux jours vous aurez le lait, de quatre jours luf, et de six jours lorange. Vousnaurez plus ensuite qu vous laisser revivre ; vous lverez ddaigneuse-mentlenezsurleskelley et sur la jambe de bo e , et cest dun ventre fermeque vous irez vous vautrer dans les pissenlits en eurs du prau, pendantque Madame de Saint-Andr vous criera de sa voix dhonnte femme, travers les barreaux du quatrime : Bonjour Monsieur Asselin! BonjourMonsieur Fournier !

    Ce rve dentrocolite, pour peu que vous layez prpare par plu-sieurs annes de trs peu dargent et de beaucoup de misre, vous vousen assurerez en passant pralablement deux jours dans les cellules de lapolice provinciale, au rez-de-chausse du Parlement. (Vous savez en effetaussi bien que moi que la Province a jug prudent dinstaller sa policesous le mme toit que ses lgislateurs, et que ce nest pas sa faute si les

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    Pense franaise Chapitre XI

    agents qui devaient tenir labbitibisme en respect sont devenus les ins-truments des basses uvres de M. Charles Lanctot). Il faut, bien entendu,savoir choisir sa cellule. Prenez celle des femmes, droite en entrant. Ellea huit pieds sur six. Il y entre du froid par la fentre grillage (et la garde qui veille aux barrires du Louvre ...) Elle est basse; elle est humide; on yest ravir pour a raper des affections ent... (voir plus haut ).

    Mais, mon cher Asselin, direz-vous, nentre pas l qui veut ; ce nestpas tout le monde qui peut faire deux jours de cachot avant dtre, dans lelangage des greffiers, admis caution. Avouez que vous avez fait du luxe.

    Je vous laccorde, mon cher Fournier ; non cependant sans vous faireobserver quen cherchant bien, dans la province de bec, sous lergne glorieux du gouinisme, on nit toujours par trouver un juge as-sez consciencieux pour sinspirer, dans ses jugements, non de la Loi, quivarie suivant lintrt du lgislateur ; non de la Jurisprudence, qui nesten somme que la fantaisie de chaque tribunal relie en veau ; non de l-quit, dont la conception dpend et des hommes et des milieux; mais dela volont du Ministre, toujours infaillible dans la rtribution des magis-trats qui lui servent doutils. Prenez de prfrence celui qui relve le plusdirectement et qui soit le plus la merci du Procureur Gnral. Et surtout ah oui! surtout, tchez de rester nationaliste.

    Montral, ce 12 jour doctobre 1910.

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    CHAPITRE XII

    De la ncessit du repos pourles rformateurs

    L rformateurs est de simaginer que larforme est une affaire permanente, et de ne pas savoir quandsarrter. Tout abus qui a dur longtemps a des chances de du-rer longtemps, car le peuple, comme toutes les bonnes btes, ne raisonnepas, et pour lui faire prendre conscience de ses malheurs il faut lasser sonendurance lextrme. Le rformateur sera acclam sil sen prend desabus dont tout le monde se plaint ; o il se tue, cest vouloir enseigner ladiffrence entre lassez bien et le mieux des tres qui savent juste discer-ner entre le trs mal et le trs bien. Le Comit civique de Montral est entrain de tomber dans le discrdit, sans doute, dans une large mesure, pouravoir systmatiquement exclu de ses rangs les hommes didalau bncedes hommes pratiques,qui avec toute la bonne volont du monde auronttoujours la rputation de faire des schemes **comme Monsieur Jourdain

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    Pense franaise Chapitre XII

    faisait de la prose, mais aussi, disons-le, pour avoir cru quHercule doitmourir la pelle la main, sous la livre dun valet dcurie, parce quilne oya un jour les curies dAugias. Si le peuple aime se faire voler,pourquoi le priver compltement de ce plaisir ?

    Le rformateur intelligent est celui qui, la place balaye, sait rentrerchez lui jusqu la prochaine pidmie, qui e rappeler de temps entemps la plbe, par quelques paroles opportunes, quil vaut mieux pr-venir que gurir.

    Certes, lhabilet suprme est encore, linstar de quelques-uns de nos

    hommes publics, de se mler aux voleurs en temps de calme et aux rfor-mateurs en temps de crise ; mais pour jouer ce double rle avec succs, ilfaut une souplesse et une grce qui manqueront toujours au commun deshommes.

    ColliersWeekly,13 mai 1911.

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    CHAPITRE XIII

    Vieux gteux

    A six piastres du pied, les vingt ou vingt-cinq mille piedscarrs que mesure lemplacement de lUniversit Laval, rueSaint-Denis, sont richement pays ; et cela ne fait encore aumaximum que cent cinquante mille piastres. ant ldice, il nestamnag ni pour le commerce ni pour lindustrie ; mme pour y installerune bibliothque, il faudrait y faire des travaux coteux ; il faudra le d-molir pour donner au terrain toute sa valeur et ce e valeur, en me antles choses au mieux, ne saurait, sur une longue priode dannes, crotreplus vite quun capital plac 5 ou 6 pour cent.

    Dun autre ct, nul nignore que lemplacement actuel de lUniver-sit est un des principaux obstacles au dveloppement de linstitution. Envoyant, dans ce e atmosphre bruyante et malsaine, ce e grande botede pierre qui malgr son prtentieux pristyle pourrait tout aussi bientre une fabrique de tabacs, ltranger de passage parmi nous se demandecomment des gens intelligents ont pu me re l le sige dun enseigne-

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    ment que tous les peuples civiliss, depuis les Grecs, ont cru devoir tablirdans un milieu de recueillement et de sant morale. On se proccupe unpeu partout, Montral comme ailleurs, depuis quelque temps, de sauverpar lair, par leau et par la lumire les petits enfants quune mauvaiseorganisation sociale et la mauvaise ducation des parents ont privs dsle berceau de ces trois lments dexistence. Il est non moins vident quecertains milieux sont fatals au dveloppement intellectuel. Si lon entre-prenait dexpliquer la mdiocrit suffisante et satisfaite qui caractrise laplupart des diplms de lUniversit de Montral et qui les rend si ineffa-

    blement grotesques quand ils veulent se donner des airs, on en ferait sansdoute une part la mdiocrit de professeurs mal rtribus, et une part une direction somnolente et inintelligente, mais on en ferait aussi re-monter la cause au manque dair, de lumire et dhorizon physiques dontsouffre lUniversit. Il y a la direction mme des hommes qui le com-prennent : le vice-recteur, M. le chanoine Dauth, disait dernirement, une sance convoque par lAssociation Saint-Jean-Baptiste pour la dis-cussion de ce grave problme, que le bon amnagement dune universitmoderne exige au moins vingt-cinq arpents de terrain.

    Il est donc vident quen poussant la Ville acheter limmeuble de larue Saint-Denis au prix de $400,000 lon voulait surtout obliger lUniver-sit. Certes, le pre du mouvement, M. lchevin Morin, entendait bienque la Ville tirt le meilleur parti possible de ce e dpense et la possi-bilit dtablir immdiatement, lendroit le plus frquent de Montral,une grande bibliothque circulante, ntait pas ses yeux un mince avan-tage pour les citoyens ; mais son but ntait pas moins daider Laval sortir de linsigniance o, parmi dautres causes, des ressources pcu-niaires insuffisantes et un emplacement dfavorable la retiennent pourla plus grande honte de la race canadienne-franaise. Ensuite on auraitt plus fort pour demander la Ville un autre terrain et une subvention.Ensuite encore, on serait all rappeler M. Gouin ce e promesse lo-quente quil faisait lAssociation Saint-Jean-Baptiste il ny a pas deuxmois : e la Ville achte limmeuble de lUniversit, puis le gouver-nement provincial fera sa part. Bref, le march propos ntait quunpremier pas vers la rgnration peu prs complte de lUniversit. Etquico