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LA FÊTE AU ROXY

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ROGER HENRI-NOVA

LA FÊTE AU ROXY

Roman d'espionnage inédit

COLLECTION FER E N CZI

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Toute ressemblance avec des personnages

ou des faits réels est fortuite.

© 1960, TOUS DROITS RÉSERVÉS

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CHAPITRE PREMIER

Je pose un pied sur la table. Puis le second pied. Hop ! je saute. Me voilà à terre, ankylosé par une heure d'observation jumelles en main, et dans un équi- libre précaire.

— Hé, c'est à toi. T'entends ? Verdeun, l'œil vague, se dresse sur la chaise qui

encombre une partie de la tour dans laquelle nous vivons depuis hier, lui et moi, un peu à la façon de la femme de Barbe-Bleue et sa sœur. Puis en se dan- dinant comme un ours, il s'approche du perchoir et me demande :

— T'as vu quelque chose ? — Rien. Mon compagnon soupire. La table aussi soupire quand

il grimpe dessus et de là sur la chaise. En haut il règle les jumelles, allume une cigarette. Puis à son tour commence le guet par la minuscule lucarne. Tout de suite il étouffe un juron, puis se retourne vers moi, l'œil égrillard.

— Ben papa, grasseye-t-il, si t'appelles ça rien, t'es pas dur !

Du fond de moi-même, je reconnais qu'il a raison.

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Le spectacle en vaut la peine. Au début du moins, car au bout d'une heure on se lasse de tout, même de voir la prestigieuse pépée qui se prélasse demi-nue — à deux cents mètres de là — sur une chaise longue sur- montée d'un dais. Mais enfin, il ne se passe effective- ment rien dans la villa voisine.

— Ben mon pote. Ben ça mon pote, répéta-t-il... C'est tout ce qu'il trouve à dire. Verdeun n'est pas

un brillant causeur. Pas un bien gros cerveau. Comment d'ailleurs un gros cerveau se rangerait-il dans cette petite tête au large maxillaire inférieur et au front de la hauteur d'un doigt ?

— Quel âge qu'elle a cette pépée-là ? demande-t-il. — Vingt-trois, vingt-quatre peut-être. Je n'en sais rien. — J'y servirais bien de nourrice. — Elle en a déjà une. — La vieille qu'est derrière ? — Oui. — Elle a l'air drôlement vache. Verdeun s'agite dangereusement au bout de son per-

choir. S'il se casse une jambe c'est la catastrophe. Com- me nous ne sommes que deux à prendre la garde je serais forcé de me taper seul — moi Faval, journaliste en chômage — une faction qui est déjà fatigante à deux. Il est vrai qu'être débarrassé d'un tel compa- gnon présente aussi de l'intérêt.

Il réfléchit sur ce qu'il va dire. Vu d'en haut le crâne de Verdeun m'apparaît encore plus fuyant. Un vrai pain de sucre. Pour l'instant à voir le pain de sucre se plis- ser, je comprends que Verdeun doit penser à quelque chose. Il commente ses pensées et se répète.

— C'te bibarde-là j'l'avais pas encore vue. Qu'est-ce qu'elle a l'air vache.

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Le fait est. Vue de dos la duègne — qui semble servir de dame de compagnie à la belle fille — évoque, du fait de sa carrure, une boîte d'allumettes posée sur sa grande base. La jumelle révèle un œil dur, des traits assez gros- siers. Elle doit avoir dans les cinquante ans, a un type sud-américain prononcé.

— Je vais faire un tour, dis-je à Verdeun. — Vas-y papa... J'ai devant moi un heure de tranquillité, même un

peu plus, car seul détenteur d'une montre, j'en profite régulièrement pour grignoter quelques minutes à cha- que tour de garde.

Un étage plus bas je traverse la cuisine. Du réfrigé- rateur bourré de conserves je tire une boîte de Pam- Pam, la sirote et sors.

La chaleur étouffante qui règne dans le parc ôte aux feuille des marronniers l'envie de bouger. Sur la pelouse la 15 CV de service, au moteur gonflé, est dirigée vers le portail donnant accès au chemin vicinal qui dessert les deux propriétés voisines : celle de la belle fille et celle dans laquelle j'habite provisoirement.

Cette dernière donne dans le genre Renaissance pour chatelain local. C'est un bâtiment carré, trapu, surmonté d'un clocheton d'où l'on surveille la maison voisine, plus fine, plus racée, plus riche. Les deux résidences de luxe sont seules dans le coin, construites à flanc de coteau, séparées par un mur de quatre mètres de haut.

La lucarne de mon clocheton m'indique la direction exacte de la maison voisine. Je fais un grand crochet en arrière afin d'éviter d'entrer dans le champ de vision de Verdeun. Les six ou sept arbres qui se dressaient — chez nous — entre les deux propriétés ont été abattus récemment. On a bel et bien voulu dégager la vue pour

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rendre possible la surveillance optique de la belle voi- sine.

Près du mur, stop. Un petit coup d'œil en arrière. Ça va. Verdeun ne peut pas me voir. J'échappe à son angle de surveillance. La mousse étouffe mes pas. A deux mètres du mur d'enceinte j'empoigne une planche et la soulève. Elle découvre un bâti de ciment qui a dû ser- vir à abriter un compteur d'eau. Deux boîtes sont ran- gées côte à côte. Je débranche des fils de l'une d'elles, prends l'un des coffrets et reviens discrètement à la cuisine dont je laisse la porte entrouverte afin d'être averti d'une descente éventuelle du crétin qui, là-haut, poursuit son guet.

L'enregistreur est de marque allemande. Le cran 0 de la mollette a été réglé sur vingt et une heures. A par- tir de ce moment-là, à cause de l'obscurité, il a fallu substituer la surveillance auditive à la classique, jumel- les en main. Chacun des crans correspond à dix minutes et se déplace automatiquement au fur et à mesure que la bande sonore se déroule entraînée par un moteur. Ainsi on a une correspondance horaire précise des bruits et des heures auxquels ils se produisent.

Une belle invention. Ce n'est certainement pas Ver- deun qui aurait pu mettre au point un appareil de cette qualité. Je branche la prise et la bande défile lentement. Si je veux tout entendre au rythme normal il va me falloir autant d'heures que pour l'enregistrement. J'ac- célère donc le mouvement. Des sons bizarres emplissent la pièce. Je repère les crans qui se déclenchent, eux aussi, sur un rythme très accéléré. Ensuite il me reste à fair passer la bande aux heures repérées et j'aurai un profil sonore, comme on dit, de la soirée et de la nuit chez les voisins.

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En gros, ça donna à peu près ça : A vingt et une heures cinquante, après avoir pris le

café sur la terrasse, la belle fille est rentrée chez elle. Elle a laissé la porte-fenêtre ouverte et s'est mise à faire de la musique dans le salon, où plutôt à chanter. Quelqu'un chantonnait à la guitare : une femme. Puis un homme a dû se joindre à eux. Quelques notes de piano s'égrènent, solo, sur la bande. Puis à nouveau des chan- sons. Ça n'a peut-être pas la qualité d'un travail de pro- fessionnel mais ça en approche. Une voix de femme un peu grave se mêle au duo de la fille et de. l'homme. En tous cas, le magnétophone est d'une qualité qui per- met de capter les sons à plus de deux cents mètres. De nos jours on fait très bien dans ce domaine pour détec- ter les usines souterraines dans les pays amis et dans les autres... Mais inutile d'entrer dans le détail. Il n'en demeure pas moins que l'enregistreur est un appareil aussi indispensable pour le Renseignement que le piano Steinway pour un récital Chopin.

Une dizaine de minutes de silence succèdent à ce fes- tival de la chanson sud-américaine. J'entends chuchoter un homme et une femme. C'est tout. Une porte claque. Il devait être vingt-deux heures trente. Se déroule alors une petite scène intime très brêve, où il est question d'un certain Valério.

Grâce au plan de la villa je peux, en recoupant les bruits, supposer qu'une des femmes a quitté le salon

pour aller se coucher dans une des chambres du pre- mier. A vingt deux heures cinquante, reprise du duo musi-

cal homme et femme. C'est un concert fredonné avec accompagnement de piano. J'accélère le mouvement de la bande. Des hommes d'affaires font ainsi défiler de-

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vant leur téléphone une longue conversation réduite à quelques minutes. A des milliers de kilomètres le cor- respondant capte au magnéto cet enregistrement bizarre. Il lui suffit ensuite de le faire passer à une vitesse nor- male. Et tant pis pour les P.T.T.

Je m'égare. A vingt-trois heures, fin du concert. A vingt- trois heures trente un bruit puissant se rapproche et se termine dans un grondement sourd. Même chose à minuit trente. A une heure trente. Le doute n'est pas permis. « Ils » ont organisé des rondes. Ils se doutent de quelque chose. Le grondement de tonnerre qui em- plit la cuisine vient du fait que, sans le savoir, le gar- dien de la propriété voisine a dû frôler le micro plan- qué dans le mur mitoyen.

Pourvu que cet imbécile de Verdeun n'entende pas ce que je fais. J'ai déjà dix bonnes minutes de retard pour prendre sa relève.

Avant de gommer la bande j'en repasse le début pour mon plaisir. Pendant une dizaine de minutes sous le charme de leur musique d'Amérique du Sud, la cuisine laquée blanche dans laquelle je suis, fait progressive- ment place au décor bariolé d'un cabaret de Janeiro. Des brésiliennes aux hanches pulpeuses se balancent, font voltiger des cotonnades autour de leurs jambes brunes. Des péones marquent le rythme en claquant dans leurs mains. Un vrai régal.

Ensuite je débranche la prise, gomme la bande et re- mets le moteur à la position zéro, c'est-à-dire prêt à démarrer. Quelques minutes plus tard l'enregistreur a regagné son trou dans le parc. Quant à moi, il est temps que je regagne mon pigeonnier. Encore un coup de jus de fruit. Avec cette chaleur...

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— J'arrive, dis-je à Verdeun, en levant la tête dans sa direction.

— Grouille-toi. Il a dû réaliser que je venais de le cravater sérieuse-

ment, car dès mon arrivée, il descend de son perchoir avec la rapidité d'un écureuil. Campé sur ses pattes il m'arrive au menton.

— Quelle heure qu'il est ? — Onze heures dix. — Le singe, il avait dit toutes les heures pour la

relève. Tu te souviens pas ? — Si, mais on peut être en retard. Il est en train de me souffler sous le nez et je lui

balancerais volontiers une paire'de gifles s'il n'y avait dans le comportement de l'équivoque personnage quel- que chose de faux et d'inquiétant qui retient mon geste. Quelle idée de m'accoupler avec un affreux pareil !

— Tu prendras dix minutes plus tard dis-je, conci- liant, afin d'éviter l'incident.

— D'accord. La fille est toujours dans la chaise lon- gue. Pendant que t'étais parti il y a le gros type qui lui a apporté des journaux.

— Rien d'autre ? — Rien. C'est tout. J'escalade la table, la chaise, j'empoigne

les jumelles qu'il a déréglées, cet imbécile, avec sa vue basse. En bas il attend je ne sais quoi, la bouche ou- verte et les bras pendants. La belle fille est légèrement de trois quarts, ses jambes surélevées, un large chapeau de soleil rabattu sur les yeux. Sa poitrine se profile agressive, malgré la pose allongée. Ça doit être formi- dable quand elle est debout. Le peu que je vois du vi-

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sage, à cause du chapeau, me permet d'affirmer que c'est vraiment une très jolie fille. Elle dort.

— Ça va durer longtemps ce boulot-là ? demande Verdeun.

— Je ne sais pas. Adresse-toi à la Direction. Ma réponse ne semble pas le satisfaire. Il commence

à manger ses ongles. — Si encore on pouvait avoir des pépées avec nous,

on s'enverrait un peu en l'air, gémit-il. — Tu as la radio en bas... Je préférerais qu'il sorte plutôt que de le savoir piqué

derrière moi, en contrebas, inactif et stupide. — La radio, peuh ! La musique, faut aimer ça, mon

pote. Ou alors si, tiens ,du musette. Ah ça, du musette ! Si j'avais su j'aurais amené mon biniou.

Il s'assied sur la chaise, à califourchon, empoigne un accordéon imaginaire et commence à fredonner « Perles de Cristal », les yeux mi-clos. Maintenant le voilà de- bout. Il danse. De mon perchoir j'assiste à cette mimi- que, absolument sidéré. Il se tortille comme un ver, puis s'immobilise.

— Eh oui mon pote ! C'est comme ça. Le biniou. Pas le violon hein, je dis le bi-niou ! Le biniou, et les nanas... Toi avec ta grosse tête tu te doutes pas...

Il réfléchit un moment. — C'est vrai que t'es journalisse ? — Oui. — Dans quel canard ? — Pas dans un journal, dans une Agence de Presse. Son œil pétille. Le mot presse vient de déclencher

quelque chose dans sa petite tête. — De presse... Comme chez Renault. Gros rire. Dans les premières heures de notre co-habi-

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tation je me suis demandé si le type était un crétin ou un simulateur. Plus de doute maintenant, c'est un cré- tin. Du haut du perchoir je laisse tomber, excédé.

— Si tu veux casser la croûte... — Oui. Tiens je vais aller me taper une boîte de sar-

dines. Ouf ! la porte se referme sur lui. Il doit être à peu

près midi. Le soleil pique à la verticale sur la belle fille. Je crois me rappeler qu'hier à cette heure-là, le gros homme et la grosse femme, ont transporté avec respect sa chaise longue sur la terrasse. Elle la sui- vis d'un pas élégant et souple de danseuse. Elle a dé- jeuné seule. Les deux autres sont sûrement des domes- tiques. Rien d'étonnant à ce qu'un domestique, avec sa patronne, se permettre quelques privautés, ainsi que je l'ai entendu tout à l'heure lors du déroulement de la bande magnétique.

Et puis soudain mon attention s'aiguise étrangement. La duègne s'avance respectueusement tenant à la main un plateau. Elle touche délicatement l'épaule de la belle dormeuse. Celle-ci, brisée sans doute par ses efforts de la nuit passée, ne répond pas.

Je suis attentivement la mimique de la duègne qui insiste. Insiste. Curieux. Cette fois, elle touche la main de la dormeuse, la soulève.

Stupeur ! La main retombe inerte le long de l'accou- doir de la caise longue. Puis c'est la tête qui bascule. Je me sens étranglé par la surprise.

La duègne jette un regard affolé autour d'elle, sur la maison, sur son parc, sur mon pigeonnier. La voilà qui détale vers la villa. Une minute plus tard le gros hom- me se précipite à son tour en boutonnant sa veste de pyjama. Il pose sa tête sur la poitrine de la jeune

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femme. Il se relève, prononce quelque mots, secoue la tête, apparemment désolé.

La scène ressemble à une séquence de film muet. C'est dépouillé, sans chiqué, sans musique. La duègne fait un signe de croix, reste immobile, comme pétrifiée. Il faut que je téléphone tout de suite que je rende compte. Je bondis sur la table et de là au sol. La porte qui mène au premier est verrouillée.

— Verdeun ! Hé, Verdeun. Monte. Rien. Pas de réponse. Je pose la main sur le loquet.

Impossible d'ouvrir. La porte est bouclée de l'extérieur. — Verdeun ! me mets-je à beugler. Verdeeeeeuun ! Rien. Je crois comprendre. Une sueur glacée coule le

long de mes reins.

CHAPITRE II

Une heure ! Je n'exagère pas. Il me faut une heure pour sortir du pigeonnier, pour triompher de la ser- rure solidement vissée à la porte. Chacune des vis me demande un bon quart d'heure en m'aidant de la poi- gnée métallique du tiroir de la table qui supporte la la chaise. Finalement le battant cède. La sueur me coule sur le visage. Il me reste d'autres portes à forcer. Je ne suis pas au bout de mes peines, si je puis me permettre une telle facétie dans un moment pareil. La trappe, qui donne en effet accès du palier au rez-de-chaussée et dé- bouche sur l'escalier, est impossible à soulever. Je me rappelle la tringle verticale qui bloque la lucarne. Il me faut l'ôter de son logement.

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Nouvelle escalade. Pendant que j'y suis, je donne un coup d'œil au parc voisin. La belle fille n'y est plus. Ils ont retiré le corps. Moi je retire la tige de la fenê- tre. Je m'en sers comme d'une pince-monseigneur pour soulever la trappe qui finalement cède dans un craque- ment sinistre. Puis je descends l'escalier et me retrouve au rez-de-chaussée dans le silence angoissant de la mai- son vide. De l'autre côté du couloir, face à la cuisine, une porte s'ouvre sur le salon. Le téléphone gît au sol, fracassé sûrement à l'aide du gros cendrier que je trouve à côté. On veut m'empêcher de prévenir.

Des faits comme ceux-là donnent à réfléchir. A en juger par le regard de la duègne, elle doit penser que le coup venait du pigeonnier. Un coup de feu, alors ? Etonnant. D'abord je n'ai rien entendu. Ensuite il y a deux cents mètres. Mais si Verdeun n'y est pour rien pourquoi a-t-il filé ? Pourquoi m'a-t-il enfermé ? Pourquoi ce type, en qui on a confiance, m'a-t-il joué à mon insu ce tour pendable ?

Bien entendu les deux sorties de la villa, celle du de- vant, celle de derrière, sont fermées à clé. C'est parfait. Restent les fenêtres. Je vais y penser. Et pas plus tard que tout de suite.

Avant de me décider je remarque mon veston qui pend à la patère. Rien ne manque. Ni argent, ni papier. De plus en plus perplexe je colle le nez à la fenêtre ouvrant sur la pelouse. La 15 CV est toujours là. Je vais filer à toute vitesse au cas où les voisins viendraient me saluer. Il est vrai qu'ils devraient être là, vu le temps que j'ai perdu. A la cuisine, je vide gloutonne- ment un Cinzano dry.

Quand j'arrive à la hauteur de la fenêtre, je perçois un grattement furtif. Il y a quelqu'un à la porte prin-

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cipale. Je reviens sur mes pas. Le plus ennuyeux de l'affaire est que je n'ai aucune arme sur moi. Mainte- nant je constate que le battant est en train de s'ouvrir lentement. Verdeun, peut-être, qui revient ! Non. Ce n'est pas Verdeun. Ou si c'est lui, il n'est plus seul. Deux ombres se glissent furtivement dans le couloir. Successivement les portes s'ouvrent les unes après les autres. La cuisine. La salle à manger. Une sorte de bu- reau. Ils se rapprochent fatalement du salon. Plus le temps de sortir !

Il existe bien une porte qui dessert le parc, derrière, mais il est bien tard pour l'emprunter. D'autant que s'ouvre la porte du salon. Un pied se glisse dans l'entre- bâillement, puis une main aux doigts abondamment garnis de bagues. Entre maintenant avec précaution le gros homme de tout à l'heure. Il a eu le temps de s'habil- ler de sombre. Ses rares cheveux noir d'ébène, sont col- lés en haut de son crâne. Il fait un pas. Deux pas. Me voit. Hurle. Inutile de m'expliquer longtemps la même chose. Derrière lui apparaît un long canon bleuté.

La surprise que me cause cette visite est telle que je lève machinalement les mains. Alors le gros homme s'élance sur moi et commence à palper fébrilement les poches de mon pantalon. Pourtant je ne prête guère d'attention à cette fouille qui d'ailleurs, ne donne rien. L'automatique et moi on se surveille. Seul avec mon visiteur, j'en arriverais à bout. Ce gros-là n'a sans doute aucun entraînement physique. Il sue abondamment. Au fur et à mesure qu'il s'énerve je retrouve mon calme, puis d'une poussée, je l'envoie dinguer sur une chaise. Derrière moi une statuette se volatilise en petits mor- ceaux. J'ai senti le vent de la balle. Simple avertisse-

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ment. C'est la duègne qui vient de tirer. Elle est vêtue de noir : robe, chaussures, bas. Un vrai Borniol.

Il y a du suspense dans le salon, comme on dit. La Walkyrie doit avoir dans les cinquante ans elle aussi. Une flamme inquiétante flambe dans ses beaux yeux. Ses yeux ! Elle n'a que cela de bien d'ailleurs. Le nez est aplati et une moustache légère folâtre au-dessus de ses lèvres serrées exsangues. Je n'ai rien à attendre de cette créature si ce n'est le contenu de son chargeur. Tout de suite je me tiens à carreau. Vaut mieux.

Le bonhomme lui s'est décollé de la chaise. Je l'en- tends s'adresser à la femme dans une langue volubile qui ressemble à de l'espagnol. Elle répond en quelques aboiements, l'arme toujours bien en ligne. Ils sont en train de se fixer une ligne de conduite.

— Vos mains en l'air petit salaud, siffle l'homme. Façon de parler, de m'appeler petit salaud, car j'ai une

bonne demi-tête de plus que ce poussah. Mais je ne vais pas chicaner sur sept ou huit centimètres dans un moment pareil. Je remets les mains en l'air. L'homme quitte la pièce mais la femme reste à quelques mètres de moi. Elle doit savoir se servir d'une arme et je ne l'aurai pas à l'esbrouffe. Je tente tout de même un pas à gauche et un bref sourire découvre les dents de la femme en noir. Encore un geste, pense-t-elle et...

L'homme vient de passer devant la fenêtre du salon. Il fait le tour de la maison. Quelques secondes s'écou- lent interminablement. Il repasse devant la fenêtre en cavalant. J'entends sa course dans le couloir. Une fois dans le salon il dépose sur la table un objet dont la vue me coupe le souffle. Un fusil à canon court, trapu et surmonté d'une lunette. Avec ça on peut descendre discrètement un homme à deux cents mètres. Ou une

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femme. Et en silence grâce à l'échappement qui ter- mine le canon.

Il soupèse l'arme, recommence à parler en espagnol. A chaque phrase le ton monte. L'exposé se termine en vociférations. Seule la femme reste calme et d'ailleurs invite son compagnon à l'imiter. Finalement celui-ci s'adresse à moi. Il parle un français assez bon, mais teinté d'un accent que je cherche à situer.

— Vous connaissez cette arme ? — Non, réponds-je, je ne la connais pas... Il émet une sorte de petit ronronnement. — Elle était au pied de la maison. — Ça ne veut rien dire. Afin d'appuyer ma bonne foi je m'approche du fusil.

A dix centimètres de moi une balle vient pulvériser un vase de Chine. Je repense à Verdeun et cette seule idée va me faire exploser de rage. Je me défends comme je peux pour l'instant.

— Vous n'avez qu'à vérifier. Mes empreintes ne sont pas dessus...

L'œil fixe, l'amazone écoute la traduction, aboie une phrase. L'homme traduit.

— Pourquoi nous surveillez-vous avec des jumelles ? Sale affaire. Je vais avoir du mal à m'en tirer. — Qui êtes-vous ? Ces gens-là commencent à me bassiner avec leurs

questions. Brusquement le ton change. La grosse mé- mère s'énerve. Dans sa langue qui semble assez four- nie en jurons elle me désigne la porte, du canon de son automatique. L'homme traduit inutilement car j'ai compris.

— Suivez-nous. — Pourquoi ? Je suis chez moi.

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Le petit gros retraduit. La réponse m'arrive absolu- ment inattendue, mais très logique.

— Parce que Dona Soledad — d'une balle — perce une pièce de monnaie à dix pas.

— Faites lui mon compliment. Il s'abstient de répéter, sachant vraisemblablement

l'exquise Walkyrie fermée aux choses de l'humour. Elle me regarde passer devant elle, crache par terre en signe de mépris. Il n'y a pas grand-chose à espérer de cette femme-là. Elle tirera au moindre pas de travers.

On sort de la villa. D'un coup de pied elle referme la porte derrière moi. Doux Jésus, quelles moeurs !... Tous les trois on s'avance en faisant crisser le gravier de l'allée sous nos pas. Le chauve ouvre mon portail et balance la clé dans les frondaisons. Très intelligent. Une, fois sur le chemin vicinal, le type aboie.

— Baissez le mains. Et pas un cri. A gauche. De mieux en mieux. Personne sur le chemin. Dom-

mage. Qu'un couple égaré passe à proximité et la situa- tion peut évoluer à la vitesse du tétanos, en ma faveur. Mais l'endroit est désert. Je fourre mes mains dans mes poches. L'exquise Dona Soledad marche en canard à deux mètres derrière moi, avec l'allure dégagée de la tante de province qu'on promène sur les Champs-Ely- sées. Sa main reste obstinément enfouie dans la poche de son ample jupe noire.

A peine cent cinquante mètres et nous voilà à leur villa. Personne ne nous voit entrer. En principe ils ne sont plus que deux à habiter dans cette propriété de luxe. On escaslade, dans l'ordre initial, le perron de mar- bre et l'on franchit le seuil. Dès l'entrée c'est un éblouis- sement. Un luxe inouï, peut-être tapageur mais réel, règne dans le hall : des tableaux, des tapisseries, un

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— Vous traquez un émigrant, vous assassinez sa femme, vous livrez sa vieille mère à un tueur. Déci- dément, Benoît, dans les Services Secrets on a encore plus de moralité que je ne le pensais.

— Je me demande, Faval, si vous n'êtes pas réelle- ment un imbécile.

— Je vois les faits. C'est bien ça qui vous chiffonne. — Et Guaranez, vous le voyez, lui? — Parfaitement, je le vois, dis-je avec aplomb. Un

dictateur émigrant, c'est un émigrant. — Non, Faval. C'est une source d'ennuis pour le

pays qui lui donne asile.

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