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La face cachée des discriminations Rapport 2016

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  • La face cache des discriminationsRapport 2016

  • 2

    Glossaire

    AADAntiviral dactiondirecte

    AAHAllocation adultehandicap

    AFEFSocit franaisepour ltude du foie

    ALDAffection longuedure

    AMEAide mdicaledtat

    ANRSAgence nationale derecherche sur le sida et les hpatites virales

    APSAutorisation provisoire de sjour

    ATUAutorisation temporaire dutilisation

    CaarudCentre daccueil et daccompagnement la rduction des risques pour usagers-es de drogues

    CEDHCour europenne des droits de lhomme

    CEPSComit conomique des produits de sant

    CesedaCode de lentre et du sjour des trangers-es et du droit dasile

    CISSCollectif interassociatif sur la sant

    CMUCouverture maladie universelle

    CNCDHCommission nationale consultative des droits de lhomme

    CNSConseil national dusida et des hpatites virales

    CsapaCentre de soins, daccompagnement et de prvention en addictologie

    HASHaute autorit de sant

    HSHHomme ayant des rapports sexuels avec des hommes

    IgasInspection gnrale des affaires sociales

    InedInstitut national dtudes dmographiques

    InseeInstitut national de la statistique et des tudes conomiques

    ISTInfection sexuellement transmissible

    LFSSLoi de financement dela Scurit sociale

    LGBTPersonne lesbienne, gay, bisexuelle ettransgenre

    OCDEOrganisation decoopration et de dveloppement conomique

    OEBOffice europen desbrevets

    OfiiOffice franais delimmigration et delintgration

    PUMaProtection universelle maladie

    PVVIHPersonne vivant avecle VIH

    RCPRunion deconcertation pluridisciplinaire

    RDRRduction des risques pour les usagers-es de drogues

    SCMRSalle de consommation moindre risque

    TeOEnqute Trajectoires et origines , mene par lIned et lInsee

    TrodTest rapide dorientation diagnostique

    TRT-5Groupe interassociatif Traitement et recherche thrapeutique

    UDIUsager-e de drogues par injection

    VHBVirus de lhpatite B

    VHCVirus de lhpatite C

    VHVEnqute VIH, hpatites et vous , mene par AIDES

    VIHVirus de limmuno- dficience humaine

  • 3

    Lanne passe, en pigraphe de notre premier rapport VIH/hpatites, la face cache des discriminations figurait une citation de Rainer Werner Fassbinder : Ce quon est incapable de changer, il faut au moins le dcrire. Les suites de cette publication ont dmenti le ralisateur allemand : la dnonciation des discriminations subies par les personnes concernes par le VIH et les hpatites aconduit des volutions. Le testing men par AIDES sur les refus de soins subis par les personnes vivant avec leVIH a fait ragir les ordres professionnels mdicaux. Ila galement favoris la mise en place doutils lgaux pour mieux mesurer et lutter contre ces refus. Linterdiction faite aux personnes vivant avec le VIH dintgrer lcole nationale de la magistrature fait dsormais partie du pass. Alors que les nouveaux traitements contre lhpatite C taient encore en 2015 rservs aux patients-es les plus atteints-es, suite une forte mobilisation interassociative, la ministre de la Sant, Marisol Touraine, a annonc depuis lgalit daccs aux traitements pour toutes et tous. Ces russites sont la preuve quaucune discrimination nest voue perdurer : tout fatalisme en la matire serait un renoncement.

    Ces progrs ne doivent cependant pas nous faire oublier lampleur de la tche quil reste accomplir. En effet, aujourdhui encore, le sida et les hpatites rvlent les ingalits qui traversent notre socit. Ainsi, la mobilisation contre les discriminations nest pas le prolongement de lalutte contre les pidmies, elle en est aujourdhui le cur mme. Les discriminations affectent tous les domaines dela vie. Elles loignent du soin les personnes concernes, mais elles limitent galement laccs la prvention. Si dimportants progrs thrapeutiques ont t raliss ces dernires annes et que de nouvelles stratgies deprvention ont merg, ces avances nauront pas les effets esprs sur la dynamique des pidmies sans une lutte acharne contre toute forme de discriminations. Lastigmatisation que subissent par exemple les usagers-es de drogues, y compris dans les lieux de soins, compromet les efforts en matire de sant publique engags depuis 20 ans.

    Nos victoires comme nos constats confirment une fois de plus que les discriminations et stigmatisations ne sont pas et ne doivent pas tre abordes comme des questions individuelles. Pour les victimes dabord. La mobilisation collective est le recours le plus efficace pour briser la spirale de la peur. Organiss-es collectivement, nous avons dmontr que les premiers-es concerns-es sont les plus aptes lutter

    efficacement contre les ingalits et les injustices quils-elles subissent. Cest la raison pour laquelle nous plaidons pour que des recours collectifs puissent tre engags contre les discriminations. lheure o nous mettons ladernire main ce rapport, cette avance est en passe dtre intgre la loi.Mais galement pour celles et ceux qui se rendent coupables de discrimination. Comme nous le montrons dans ce rapport, si la discrimination sopre, cest quune institution, une lgislation ou un groupe la tolre, voire lencourage.

    Cette anne, au-del des discriminations condamnes par la loi, nous nous sommes intresss-es des formes destigmatisations mais aussi des entraves dans laccs certains droits ou la sant. Le rapport est divis en cinq chapitres. Chacun expose la diversit des difficults quotidiennes quaffrontent les personnes concernes par le VIH et les hpatites ainsi que les menaces qui psent surleur prise en charge.

    1. Un sombre tableau des discriminations actuelles travers lenqute VIH, hpatites et vous montre comment les motifs de discriminations se cumulent pour celles et ceux qui sont les plus vulnrables. La prcarit, plus que tout autre caractristique, expose ces formes derejet.

    2. Bien que nous ayons obtenu lannonce officielle de laccs universel aux traitements contre lhpatite C, le prix trs lev des nouveaux mdicaments menace notre systme de sant solidaire.

    3. Dans un contexte de durcissement des politiques migratoires, la prcarit administrative des personnes trangres met en pril leur sant.

    4. Le refus obstin des pouvoirs publics reconnatre le droit lautodtermination de ltat civil contribue la marginalisation des personnes trans et fait le jeu de lpidmie.

    5. Les politiques pnales ciblant les personnes qui consomment des drogues et celles qui se prostituent mettent bas les efforts de sant publique pour lutter contre le VIH et les hpatites dans ces communauts.

    Dans cette dmarche de documentation, nous poursuivons cette anne notre travail avec le Dfenseur des droits. Cette collaboration est le signe dune prise de conscience au plus haut niveau des enjeux de lpidmie. Nous esprons que cette collaboration inspirera lensemble des institutions dela Rpublique.

    Aurlien Beaucamp,prsident de AIDES

  • 4

    Les difficults des personnes vivant avec le VIH pour accder leurs droits et pour les voir respecter constituent une proccupation de longue date du Dfenseur des droits. Laction de lInstitution dans ce domaine se dploie au travers de sa mission de protection, avec le traitement de saisines reues notamment en matire de discrimination, et de sa mission de promotion de lgalit et de laccs aux droits.

    Les discriminations envers les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et/ou une hpatite virale persistent dans tous les domaines de la vie quotidienne, en matire demploi ou daccs aux biens et services. Ces discriminations sont multiformes : il peut sagir de refus de soins mdicaux ou funraires, de discriminations dans laccs au travail ou au logement bases sur des prjugs lis ltat de sant. Il ne faut pas non plus ignorer les discriminations multiples et intersectionnelles auxquelles sont exposes des PVVIH.

    Ces personnes doivent en effet bien souvent faire face, en sus de la maladie et de la stigmatisation quelle entrane, dautres prjugs et formes de discrimination. Cest particulirement le cas des hommes ayant des relations sexuelles avec dautres hommes, des usagers de drogues, des personnes qui se prostituent ou des personnes migrantes qui tendent subir une forme de double sanction sociale qui contribue freiner leur accs aux droits et aux soins.

    Le combat contre les discriminations vcues par les PVVIH reste dactualit et il reste encore beaucoup faire.

    Jai eu loccasion dexprimer la position du Dfenseur des droits dans le cadre davis relatifs des projets de loi. Ainsi, malgr nos efforts dans le cadre des dbats sur le projet de loi Sant, la situation na pas volu en matire de soins funraires. Labrogation de larrt du 17 novembre 1986 sur linterdiction de soins de conservation sur le corps des personnes infectes par le VIH ou une hpatite virale fait figure dArlsienne. La rvision de ce texte reste un objectif du Dfenseur des droits qui continue de solliciter le ministre des Affaires sociales et de la Sant en ce sens.

    Par ailleurs, dans le cadre du projet de loi sur la pnalisation de lachat dactes sexuels, javais attir lattention des parlementaires sur les risques que pourrait entraner une telle pnalisation. Ma position sur cette question est proche de celle de la communaut internationale, dont lOnusida, qui estime que la pnalisation tend favoriser la clandestinit

    des personnes qui se prostituent et, ce faisant, complique laccs aux droits de ces personnes et augmente les risques de violence et de transmission du virus et autres infections sexuellement transmissibles.

    Il me semble donc primordial de sopposer toute action qui tendrait marginaliser des publics particulirement exposs et qui vivent avec le VIH, et de rendre visibles les nombreuses entraves laccs aux droits des PVVIH. Le combat contre ces discriminations doit se poursuivre car si le nombre de personnes nouvellement infectes diminue chaque anne, le nombre de personnes porteuses du virus continue daugmenter, particulirement chez les jeunes hommes homosexuels, et la mconnaissance et les prjugs sont toujours vivaces au sein de la socit. Pour mieux les prvenir et faire cesser la stigmatisation, prise de conscience et vigilance, qui ont tendu samenuiser, sont ncessaires. Cest lobjectif du prsent rapport auquel mon Institution apporte sa contribution pour la deuxime anne conscutive.

    Plus que jamais, la mobilisation des associations, telles que AIDES, et des pouvoirs publics reste de mise afin que toutes les personnes vivant avec le VIH ne soient pas exclues du fait de leur tat de sant et afin quelles puissent voir pleinement garantis leurs droits fondamentaux.

    Jacques Toubon,Dfenseur des droits

  • 5

    Je naime pas marrainer .

    Je naime pas lide quil faille des portes-paroles, avec des visages connus.

    Je naime pas quil faille incarner les causes. Je suis toujours mfiante envers la pipolisation des combats, alors que je mincline devant ceux qui militent.

    Je naime pas lide que cest moi quon tend le micro, moi qui nai quune mini-connaissance du sujet, quand on le refuse aux spcialistes, aux militants, aux victimes .

    Je naime pas lide quil faille faire appel la sensibilit pour mobiliser, plus qu la raison. Mais je my prte parfois, puisquon na pas le choix.

    Le sida est la maladie de ma gnration. Jai eu peur, terriblement peur, trs concrtement peur. Et trs tt, avant mes 20 ans, javais dj accompagn et enterr des amis. Plusieurs. Jeunes et pds pour la plupart, pas tous, drogus certains. Peu importe. Moi, bourgeoise, duque , informe, socialement intgre, pas drogue, htro, jai t pargne. Pour linstant.

    Je reconnais ma chance. Je suis bien ne . Je mesure cette chance, de ne pas avoir eu ces combats-l mener, ceux de la diffrence. Et comme je ne saurais pas qui remercier si je voulais dire merci, alors je marraine.

    Et je lis ce rapport. Octobre 2016 Alors que je me rjouis que mes amis ne meurent presque plus, vivent avec le VIH parfois trs bien, peuvent loublier (on ne risquait pas de loublier quand javais 20 ans) Alors que je sais que mes enfants connaitront les risques mais pas la peur, je lis ce rapport et japprends que de nombreuses personnes sropositives subissent encore des discriminations lies leur srologie. Je pensais que les annes 90 taient loin, la honte et le secret aussi Cest confortable lignorance. Mais je prfre savoir, mme si la rage me prend.

    Les traitements marchent, mais ne sont pas accessibles tous. Lemploi, le logement, les soins : tout est plus difficile avec le VIH. Cela na parfois rien voir avec ltat de sant, cest li aux reprsentations, aux prjugs, aux fausses croyances.

    videmment, plus on est riche, plus on est blanc, plus on est franais de souche, moins on est junk, moins de difficults on a. Il y a les bons et les mauvais sropos Et puis il y a des sropos transsexuel(le)s, et des sropos prostitu(e)s

    Selon la loi franaise, une personne gravement malade ne peut pas tre expulse vers un pays o elle na pas accs au traitement. Elle a droit un titre de sjour. Mais cette loi nest plus applique correctement par les prfectures, exposant des personnes tre renvoyes vers des pays o elles ne seront pas soignes.

    Cest un exemple, il y en a dautres, qui glacent. Cest encore plus violent quand la source de ces difficults est inscrite dans la loi. Comment expliquer que les personnes transsexuelles ne puissent pas se dterminer en toute libert ? Que les personnes qui se prostituent soient loignes des moyens de prvention ?

    Il ne sagit pas de sapitoyer, personne na besoin de la compassion dusage, si facile tmoigner. Il sagit de lgifrer. Et de trouver ceux qui auront le courage de le faire. Pour plus de justice et plus de libert. Qui trouvera redire a ?

    Libre de se dterminer.Libre de se soigner.Libre de se battre pour ne pas subir.

    Merci aux militants de AIDES.

    Marina Fos,comdienne

  • 6

    Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

    ditos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

    I. tat des discriminations et des ingalits sociales lencontre des personnes concernes par le VIH et les hpatites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

    1. Principaux motifs observs de discrimination et de stigmatisation . . . . . . . . . . . . . 131.1 Discriminations en raison de ltat de sant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131.2 Discriminations fondes sur lorientation sexuelle ou lidentit de genre . . . . 151.3 Discriminations lies lorigine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161.4 Stigmatisations lies la consommation de drogues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

    2. Entraves dans laccs aux soins: une aberration de sant publique . . . . . . . . . . . . . 173. Impact des discriminations sur la qualit de vie des PVVIH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194. Des situations sociales ingalement discriminatoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205. Le recours collectif : une arme contre les discriminations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

    II. Difficultspersistantesdaccs aux traitements contre lhpatite C . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

    1. Des prix excessifs fixs de faon opaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281.1 Lafixationdesprix:uneaffairedtatsetdindustriels-les . . . . . . . . . . . . . . . . 281.2 Des prix pas toujours en relation avec les investissements dans la recherche et le dveloppement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

    2. France: la crise de laccs aux traitements contre lhpatite C . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292.1 Rationnerlaccspourconomiser? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292.2 Uneslectiondespatients-esencontradictionaveclastratgie largie de dpistage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312.3 Une mobilisation associative et institutionnelle pour laccs universel . . . . . . 322.4 AccsuniverselauxtraitementscontrelhpatiteC: denombreusesannonces.quandleffectivittotale? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

    3. Prix du mdicament: une menace pour lgalit dans laccs aux soins . . . . . . . . . 363.1 Despropositionstatiquesinsuffisantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363.2 Les associations et la socit civile, des forces de propositions troppeucoutes? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

    Sommaire

  • 7

    III. Restrictiondaccslasant despersonnestrangres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

    1. Les personnes trangres particulirement affectes par le VIH et les hpatites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 462. Le droit au sjour pour raisons mdicales malmen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

    2.1 Ledroitausjourpourraisonsmdicales:uneavancegagne grce et pour la lutte contre le VIH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 462.2 Loide2011:dgradationprogressivedudroitausjourpoursoins . . . . . . . . 472.3 Larformedu7mars2016:unavenirsombrepourlespersonnes malades trangres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

    3. Plaidoyer pour la protection universelle maladie (PUMa) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

    IV. Changementdtatcivildespersonnestrans: un parcours de combattants-es . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

    1. Personnes trans: une population expose au VIH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 542. Changement dtat civil: une construction jurisprudentielle lente et instable . . . . . 55

    2.1 Un changement dtat civil impossible en cas de transition volontaire . . . . . . 552.2 UneinflexionconsentiesuitelacondamnationdelaFrancesur la scne internationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

    3. Vers de nouveaux droits? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 573.1 Les tergiversations de lexcutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 573.2 Des initiatives parlementaires brimes par le gouvernement . . . . . . . . . . . . . . 573.3 LaloiJusticeduXXI esicle:uneoccasionmanque? . . . . . . . . . . . . . . . . 573.4 Une mobilisation associative et institutionnelle insuffisammententendue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

    V. Santetrpression:incohrence des politiques publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

    1. Usage de drogues: rpression contre sant publique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 641.1 Lesprit de la loi de 70, la guerre la drogue et linjonction aux soins . . . . . . . 641.2 checdelaloide70,stigmatisationetloignementdessoins . . . . . . . . . . . . 64

    2. Prostitution, travail du sexe: une mise en danger des personnes par la loi . . . . . . . 672.1 Racolage passif, un dlit dangereux pour la sant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 682.2 Pnalisationduclient:laresponsabilitchangedecamp, mais les enjeux de sant restent mpriss . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

  • 8

    tat des discriminations et des ingalits sociales lencontre des personnes

    concernes par le VIH et les hpatites

    I.CHAPITRE

  • 9

  • 10

  • 11

    Lpidmie de VIH a agi, depuis son apparition, comme un rvlateur des discriminations, des ingalits et des difficults daccs aux droits et la sant. Les progrs thrapeutiques ont permis lamlioration de ltat de sant des personnes vivant avec le VIH (PVVIH). Cependant, les discriminations demeurent nombreuses pour les populations sropositives et celles qui sont les plus exposes au risque de contamination.

    Ces discriminations peuvent tre multiformes: refus dun service, refus dun droit, vitement, mise lcart, attitudes humiliantes, jugements moraux,etc. Elles entranent alors des phnomnes de dsocialisation et ont un impact majeur sur la sant, la vie quotidienne, professionnelle et affective des PVVIH.

    Plusieurs rapports publics (Plan national de lutte contre le VIH/sida 20102014, Prise en charge mdicale des personnes vivant avec le VIH de 2013) soulignent limportance de lutter contre ces phnomnes qui entravent le succs thrapeutique et les actions de prvention.

    Les quelques donnes disponibles mettent en vidence une situation dfavorable pour la sant. Afin de disposer dlments supplmentaires, AIDES a men une enqute VIH, hpatites et vous (VHV) en mars 2016. Elle permet dvaluer les conditions de vie et les besoins des personnes qui frquentent les actions de AIDES, quelles soient sropositives ou non au VIH ou aux hpatites virales. Un volet sur les expriences de discriminations ressenties a t intgr travers une large srie de questions dans plusieurs domaines de la vie quotidienne. Les personnes dsignent de faon subjective les raisons qui auraient motiv les discriminations dont elles ont pu tre victimes (sropositivit, origine, orientation sexuelle, identit de genre,etc.).

    Ce chapitre prsente les rsultats de cette enqute. La mise en perspective avec dautres donnes apporte un clairage sur la nature de ces discriminations et leur impact sur la vie des personnes concernes.

  • 12TAT DES DISCRIMINATIONS

    ET DES INGALITS SOCIALES

    LENCONTRE DES PERSONNES

    CONCERNES PAR LE VIH

    ET LES HPATITES

    Enqute VIH, hpatites et vous en quelques chiffres

    vivent dans un logement prcaire

    26,9% de nationalitfranaise

    personnes ge moyen

    sont sropositifs-ves au VIH et/ou aux hpatites.

    exercent une activit rmunre

    ne sont pas en couple

    bnficient dune couverture sant

    ont un diplme de niveau bac ou plus

    dclarent une situation financire difficile

    consomment des produits psychoactifs (hors alcool et tabac), dont 36,3 % par injection

    84,5%

    1080 37,5

    29,6 %

    41,5% 57,3%

    96% 80% 29,3% 48,9%

    VIH

    Hpatite B (VHB)

    Hpatite C (VHC)

    317

    82

    7

    22

    743

    180

    19

    51

    15

    3

    0

    0

    Les personnes interroges dans le cadre de lenqute VHV frquentent les actions de AIDES. Elles sont touches par le VIH ou une hpatite, ou appartiennent une communaut particulirement expose au risque de contamination.

  • 13

    Enqute Trajectoires et origines (TeO)Enqute sur la diversit des populations de France, mene par lIned et lInsee et conduite auprs de 22000 personnes. Cest une enqute reprsentative de la population immigre et issue de limmigration en France. TeO a pour objectif dapprhender dans quelle mesure lorigine est en soi un facteur dingalit ou de spcificit dans laccs aux diffrentes ressources de la vie sociale.

    Enqute ANRS-Vespa2Enqute nationale reprsentative mene auprs de 3 022 personnes vivant avec le VIH suivies lhpital en 2011. Elle fait suite une premire enqute ralise en 2003 selon un protocole similaire. Elle vise tudier les conditions de vie des personnes infectes par le VIH et doit permettre dvaluer limpact des stratgies de sant publique, de suivre les indicateurs de sant et les indicateurs sociaux sur lemploi, le logement, le revenu.

    1 EUROPEAN COMMISSION, Discrimination in the EU in 2012, novembre 2012. http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_393_en.pdf

    2 Pour plus dinformations sur lenqute : http://teo.site.ined.fr3 MARSICANO lise, DRAY-SPIRA Rosemary, LERT France, et al., Les personnes vivant avec le VIH face aux

    discriminations en France mtropolitaine , Population et socits, n 516, novembre 2014, http://www.ined.fr/fr/publications/population-et-societes/discriminations-personnes-vivant-vih-france/

    CHAPITRE I1. Principaux motifs observs de

    discrimination et de stigmatisationLes textes officiels dfinissent prcisment ce quest la discrimination en France et dnombrent dsormais 21 critres de discrimination: Constitue une discrimination toute distinction opre entre les personnes physiques raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulire vulnrabilit rsultant de leur situation conomique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de rsidence, de leur tat de sant, de leur handicap, de leurs caractristiques gntiques, de leurs murs, de leur orientation ou identit sexuelle, de leur ge, de leurs opinions politiques, de leurs activits syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou suppose, une ethnie, unenation, une race ou une religion dtermine. (Article 225-1 du Code pnal)

    Dans lenqute VHV, 28,1% des personnes interroges dclarent avoir subi des discri-minations au cours des 12 derniers mois, quel que soit le motif ou la cause (n=295). En population gnrale, selon les rsultats de lEurobaromtre 2012 sur la perception des discriminations dans lUnion europenne 1, 16% des personnes en France disent avoir t discrimines dans les 12 derniers mois. Dans lenqute Trajectoires et origines (TeO) 2, ce sont 13% des enquts-es qui rapportent des situations de discriminations. Ainsi la frquence des discriminations observes chez les personnes qui ctoient les actions de AIDES est plus leve quen population gnrale.

    Les quelques tudes concernant les discriminations en raison dun statut srologique positif au VIH ou aux hpatites suggrent que de tels comportements favorisent liso-lement des personnes, compromettent le soutien social, dfavorisent lestime de soi, nuisent la scurit de lemploi et crent des obstacles dans laccs aux droits et la sant.

    La sropositivit est souvent le premier facteur de discrimination mais les attitudes discriminatoires sappuient galement sur des prjugs associs la pathologie VIH, comme lorientation sexuelle, lidentit de genre, la prcarit sociale, lorigine ethnique et la consommation de produits psychoactifs. La stigmatisation des comportements associs limite considrablement lefficacit des interventions visant rduire lesrisques de transmission.

    1.1 Discriminations en raison de ltat de sant

    Dans lenqute VHV, lorsque lon interroge les personnes sropositives au VIH (n=266) ou aux hpatites (n=85) sur la question des discriminations subies au cours des 12derniers mois, ce sont respectivement 30% et 32,1% dentre elles qui rpondent positivement. Dans lenqute Vespa23, 26% des rpondants-es rapportent des traitements discriminatoires au cours des deux annes prcdant lenqute.

    Parmi les PVVIH interroges dans VHV, 80% (n=56) font le lien direct avec leur infection. Ce chiffre est suprieur celui publi dans lenqute sur les discriminations lencontre des PVVIH, mene par lObservatoire SIS Association (Sida Info Service) en 2012, o prs dela moiti des participants-es dclaraient avoir vcu une exprience de discrimination due au VIH. Dans Vespa2, la sropositivit constitue le principal motif de discrimination dclar en tant rapport par 13% des personnes sropositives. Cette proportion estplus faible chez les personnes ayant une hpatite: 57,9%, soit 11 personnes dans lenqute VHV.

    des PVVIH victimes de discriminations le sont en raison de leur sropositivit au VIH

    80%

  • 14

    Diffrents domaines de discriminations ont t investigus: refus dun service ou dun droit, vitement, attitudes humiliantes, propos insultants, jugements moraux,etc. Ils traduisent parfois de la mconnaissance des modes de transmission, parfois de la stigmatisation due des prjugs qui altrent profondment la qualit de vie des personnes qui en sont victimes.

    Ces chiffres rvlent ltendue et la frquence des discriminations en raison de ltat de sant.

    Lenqute sur les Connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/sida de la population gnrale adulte vivant en le-de-France (KABP) mene en 2010 a dmontr que plus les circonstances impliquent un degr dintimit lev avec une personne sropositive, moins les rpondants ont une attitude favorable. Dans VHV, les domaines de discriminations suivent la mme tendance. En effet, 16,4% des PVVIH rapportent des discriminations sur leur lieu de travail alors quelles sont 43,6% subir

    Figure 1Domaines de discriminations lis la sropositivit au VIH, enqute VHV, AIDES, 2016 (n=55)

    Figure 2Domaines de discriminations lis la sropositivit une ou plusieurs hpatites, enqute VHV, AIDES, 2016 (n=11)

    TAT DES DISCRIMINATIONS

    ET DES INGALITS SOCIALES

    LENCONTRE DES PERSONNES

    CONCERNES PAR LE VIH

    ET LES HPATITES

    Relations sexuelles

    Relations personnelles

    Au sein de la communaut

    Milieu mdical

    Lieu public

    Travail

    Relations sexuelles

    Relations personnelles

    Au sein de la communaut

    Milieu mdical

    Lieu public

    Travail

    43,6%

    27,3%

    23,6%

    23,6%

    16,4%

    63,6%

    36,4%

    27,3%

    27,3%

    18,2%

    9,1%

    49,1%

  • 15

    des discriminations dans leur cercle familial ou amical et prs de la moiti (49,1%) dans leur vie sexuelle (figure 1). Les constats sont identiques pour les personnes vivant avec au moins une hpatite (9,1% dans le cadre du travail et 63,6% dans lentourage) (figure 2).

    Actuellement, les traitements permettent de rduire considrablement la charge virale dans le sang au point quelle devient indtectable. Dans ces conditions, les personnes sont non contaminantes. En France, on estime que 86% des PVVIH sous traitement ont une charge virale contrle4. Dans VHV, malgr un chantillon rduitqui ne permet pas de conclure par manque de puissance statistiqueil est important de noter que, lexception dune seule personne, toutes les victimes de discriminations dans lecadre de leurs relations sexuelles en raison de leur statut sropositif au VIH sont encharge virale indtectable. Dans lenqute Vespa2, les personnes victimes de ce typede discriminations sont pour les trois quarts dentre elles en charge virale indtectable. Lapeur dtre rejet-e par un-e partenaire sexuel-le ou de le-la contaminer est rapporte par 75%des PVVIH en charge virale indtectable5.Ces chiffres refltent la mconnaissance de lavis suisse (galement connu sous lenom de lavis Hirschel6) qui affirme quune charge virale indtectable rduit considrablement le risque de transmission jusqu parler de risque quasi nul. Lappropriation decette avance nest malheureusement pas suffisamment rpandue pour permettre aux PVVIH de rassurer leur(s) partenaire(s).

    Environ un quart des personnes victimes de discriminations en lien avec leur tat de sant ysont confrontes au sein de leur communaut ou dans le milieu mdical.Le milieu mdical est, une fois encore, mis en avant dans le domaine des discrimi-nations en raison de ltat de sant. Dans lenqute Vespa2, les participants-es sont 7% rapporter des expriences de discriminations dans les services de sant du fait de leur sropositivit au VIH7.

    1.2 Discriminations fondes sur lorientation sexuelle ou lidentit de genre

    En France, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) subissent des discriminations en lien avec leur orientation sexuelle ou leur identit degenre. Elles affrontent de nombreuses difficults quotidiennes: prcarit, agressions, difficults daccs aux soins, vulnrabilit lpidmie de VIH, notamment les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) qui reprsentent 42% des dcouvertes de sropositivit en 20148. Ces discriminations trouvent souvent leur origine dans les normes sociales, les prjugs et strotypes de genre. Elles sexercent dans de nombreux contextes, de la sphre prive la vie professionnelle, avec un fort impact sur leur tat de sant.

    En Europe, il existe peu de donnes officielles sur les discriminations motives par lorientation sexuelle. En 2008, un rapport de lAgence des droits fondamentaux de lUnion europenne a prsent une premire analyse juridique comparative des droits des personnes LGBT dans lUnion europenne. Il ressort notamment quil est indispensable, pour mieux lutter contre ces phnomnes, damliorer la collecte et la gestion de ces informations dans tous les domaines de la vie. Dans lEurobaromtre de 2015, 72% des Franais-ses interrogs-es estiment que les discriminations lencontre des personnes LGBT sont rpandues en France9.

    4 MORLAT Philippe (dir.), Prise en charge mdicale des personnes vivant avec le VIH. Recommandationsdugroupedexperts, CNS-ANRS, 2013.

    5 Vespa2, communication personnelle (quipe Inserm U912).6 VERNAZZA Pietro, HIRSCHEL Bernard, et al., Les personnes sropositives ne souffrant

    daucune autre MST et suivant un traitement antirtroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle , Bulletin des mdecins suisses, 89(5) , p. 165-169, 2008.

    7 MARSICANO Elise et al., Multiple discriminations experienced by people living with HIV in France: results from the ANRS-Vespa2 study , AIDS Care, 2014.

    8 INVS, Donnes de dclarations obligatoires, 2014.9 EUROPEAN COMMISSION, Discrimination in the EU in 2012, novembre 2012.

    CHAPITRE I

    des PVVIH victimes de discriminations le sont dans le milieu mdical

    23,6%

    des PVVIH victimes de discriminations le sont dans le cercle familial et amical

    43,6%

    des enquts-es victimes de discriminations le sont en raison de leur orientation sexuelle

    47%

  • 16TAT DES DISCRIMINATIONS

    ET DES INGALITS SOCIALES

    LENCONTRE DES PERSONNES

    CONCERNES PAR LE VIH

    ET LES HPATITES En France, seul le rapport annuel de lassociation SOS homophobie quantifie les violences et les discriminations raison de lorientation sexuelle et de lidentit de genre. Ce recueil est partiel car il ne repose que sur les contacts reus par lassociation. En2015, SOS homophobie a recueilli 1 318 tmoignages dactes LGBTphobes.

    Dans lenqute VHV, parmi les personnes dclarant avoir subi des discriminations au cours des 12 derniers mois (n=295), 47% lont t en raison de leur orientation sexuelle et plus dune personne sur trois en raison de son identit de genre (34,7%).Les HSH sont environ 80% (n=99) rapporter des discriminations en raison de leur orientation sexuelle. Ce type de discriminations est rapport par 8 femmes ayant desrapports sexuels avec des femmes sur les 14 interroges et 4 personnes trans surles 6interroges.

    Les personnes LGBT peuvent tre rejetes par les proches ou par le milieu professionnel. Ainsi dans VHV, plus de la moiti des personnes rapportent que ces discriminations ont t vcues dans les lieux publics, 41,5% des enquts-es au sein dela famille et un tiers dentre eux-elles dans le cadre du travail.

    1.3 Discriminations lies lorigine

    En 2014, en France, les personnes nes ltranger reprsentent 48 % des dcouvertes de sropositivit au VIH. Rapport au nombre de migrants-es vivant en France, le taux de dcouverte de sropositivit par le VIH est de 55 pour 100 000. Comparativement, ce taux est de 6 pour 100 000 chez les personnes nes en France10. Ces chiffres indiquent clairement le risque accru dexposition et dinfection par le VIH pour la population migrante vivant en France, en particulier pour les personnes nes en Afrique subsaharienne. Prs de la moiti des personnes se sont infectes aprs leur arrive en France (voir enqute ANRS-Parcours page 46).

    Comme prcis dans le Plan national de lutte contre le VIH/sida 20102014, Lutter contre cette maladie implique de mobiliser de multiples leviers: [] lutter contre la stigmatisation des malades et les discriminations lgard des communauts les plus exposes au VIH. Or les personnes dorigine trangre ou perues comme telle sont frquemment victimes de pratiques discriminatoires et de stigmatisations en raison de leur origine, couleur de peau ou nationalit.

    Remarque:enraisonduneffectiftroprestreint,ilnapastpossibledtudierlelienentrelesdiscriminationsliesloriginesubiesdanslemilieumdicaletlacouverturemdicale.

    Figure 3Domaines de discriminations lis lorigine, enqute VHV, AIDES, 2016 (n=91)

    Lieu public

    Travail

    Relations personnelles

    Au sein de la communaut

    Relations sexuelles

    Milieu mdical

    45,1%

    32,1%

    27,2%

    19,8%

    16,0%

    12,3%

    des enquts-es victimes de discriminations le sont en raison de leur origine

    36,5%

  • 17

    Dans VHV, 36,5% des personnes victimes de discriminations le sont sur la base deleur origine relle ou suppose (n=91).

    Les lieux publics apparaissent comme le premier lieu dexposition aux discrimi-nations raciales, viennent ensuite le domaine du travail et le cadre des relations personnelles (figure 3).

    1.4 Stigmatisations lies la consommation de drogues

    Les usagers-es de drogues constituent une population particulirement expose au risque dinfections et tout particulirement du VIH et du VHC, dont les prvalences en France sont estimes respectivement 10% et 44% selon lenqute ANRS-Coquelicot de 2011 11.

    Daprs lOnusida, ces pidmies sont alimentes par lhomophobie, la stigma-tisation et la discrimination, et aggraves par des lois punitives. Discriminer les personnes qui consomment des drogues mne donc lexclusion sociale avec des impacts directs sur laccs aux soins et aux dispositifs de rduction des risques.

    Dans lenqute VHV, 31,3% des personnes dclarant avoir subi des discriminations dans les 12 derniers mois (n=77) font le lien direct avec leur consommation de pro-duits. Parmi elles, la moiti lont t dans les lieux publics ou au sein de leur entou-rage. Elles sont 41,1% dclarer avoir affront des situations de discriminations dans le cadre des soins de sant. Cette proportion est dautant plus inquitante que laccs aux soins pour cette population constitue un enjeu de sant publique.

    10 SANT PUBLIQUE FRANCE, Les dcouvertes de sropositivit VIH chez les migrants en France , juillet 2016.11 JAUFFRET-ROUSTIDE Marie et al. Estimation de la sroprvalence du VIH et de lhpatite C chez les usagers

    de drogues en FrancePremiers rsultats de lenqute ANRS-Coquelicot 2011 , Bulletin pidmiologique hebdomadaire, 2013, n39-40, p. 504509.

    12 AIDES, VIH/hpatites, la face cache des discriminations, 2015, pages 27-35.

    CHAPITRE I

    2. Entravesdanslaccs auxsoins:uneaberration de sant publiqueLarticle L.1110-3 du Code de sant publique prvoit qu aucune personne ne peut faire lobjet de discriminations dans laccs la prvention ou aux soins. Pour autant, des discriminations existent et se traduisent notamment par des difficults daccs auxsoins, voire des refus de soins.

    Dans lenqute VHV, 25% des personnes interroges dclarent avoir rencontr des obstacles dans leur accs aux soins au cours de lanne coule (n=256). Labsence decouverture maladie est clairement corrle aux difficults daccs aux soins: 54,1% des personnes non couvertes par une couverture maladie sont concernes (vs 23,8% des personnes bnficiant dune prise en charge). Les principaux obstacles voqus sont les difficults financires (57,3%) et les difficults administratives (49,6%).

    Concernant les refus de soins lencontre des PVVIH, le testing men par AIDES en 2015 auprs des dentistes et des gyncologues12 a permis dobjectiver leur existence et leur nature. Dans VHV, des questions spcifiques taient poses afin de mieux documenter ce type de situations. Ainsi, 10,2% des personnes interroges ont t confrontes des refus de soins au cours des deux dernires annes (n=99). Ces refus manent de mdecins gnralistes dans 43,3% des situations et de spcia-listes dans 63,3% des cas. Les dentistes sont les plus frquemment cits, et dans une moindre mesure, les chirurgiens-nes et les services hospitaliers des urgences.

    des enquts-es ont rencon-tr desobstacles dans leur accs aux soins, dont plus de la moiti en raison de difficults financires.

    des enquts-es ont t confronts-es des refus de soins.

    25%

    10,2%

  • 18

    Il tait demand aux personnes ayant dclar des refus de soins dmettre des hypothses sur la motivation de ceux-ci. Pour 31,5% des personnes, la consommation de produits psychoactifs est le motif du refus. Les refus de soins en raison de la sropositivit au VIH concernent 19,1% des rpondants-es. Viennent ensuite les refus de soins lis la couver-ture maladie (18%), lapparence vestimentaire (18%) puis aux ressources financires (16,9%). Les personnes sans emploi rapportent plus de difficults daccs aux soins que les personnes en activit (26,8% vs 22,4%), elles sont galement 2 fois plus souvent confrontes des refus de soins (12,5% vs 6,6% des personnes en activit).

    Dans lenqute Vespa2, les refus de soins dans les 24 derniers mois sont rapports par 11,4% des rpondants-es, qui citent comme principale motivation le statut srologique positif au VIH (85%), puis lorientation sexuelle (7,3%), la couleur de peau (6,8 %) et la couverture maladie (5,3 %)13.

    Remarque:lesdiscriminationsfondessurlapparence,physiqueouvestimentaire,sontsurtoutdocumentesdanslaccslemploi.LesrsultatsdelenquteVHVmontrentquela sanction sociale de lapparence vestimentaire pse galement dans laccs aux soins.

    En 2015, le testing de AIDES a mis en vidence que les PVVIH taient confrontes des refus de soins. En 2016, lenqute VHV confirme ce phnomne, qui cre inexorablement des obstacles dans la continuit des soins pour des personnes souvent vulnrables. linstar de nombreuses tudes traitant de la question du renoncement aux soins 14, dans VHV, les contraintes budgtaires apparaissent comme le frein majeur laccs aux soins, obligeant les personnes procder des arbitrages financiers au dtriment de leur sant. travers des indicateurs sociaux, comme la couverture maladie ou les ressources financires, on constate que la prcarit est un facteur dexposition aux traitements discriminatoires aboutissant des refus de soins.

    Tableau 1Perception de la raison durefusdesoins,enquteVHV, AIDES, 2016 (n=99)

    Principales raisons des refus de soins

    Effectif Pourcentage

    Consommation de produits psychoactifs 28 31,5

    Sropositivit au VIH 17 19,1

    Couverture maladie 16 18,0

    Apparence vestimentaire 16 18,0

    Ressources financires 15 16,9

    Lieu de vie 6 6,7

    Orientation sexuelle/identit de genre 6 6,7

    Sropositivit aux hpatites 5 5,6

    Origine (relle ou suppose) 5 5,6

    TAT DES DISCRIMINATIONS

    ET DES INGALITS SOCIALES

    LENCONTRE DES PERSONNES

    CONCERNES PAR LE VIH

    ET LES HPATITES

    la consommation de drogues

    la sropositivit au VIH

    la couverture maladie

    lapparence vestimentaire

    31,5% 19,1% 18% 18%

    13 Vespa2, communication personnelle (quipe Inserm U912).14 DREES, Renoncement aux soins. Actes du colloque, 2011.

    http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/actes_renoncement_soins_2012.pdf DESPRES Caroline, DOURGNON Paul et al., Le renoncement aux soins : une approche socio-anthropologique , Questions dconomie de la sant, n 169, octobre 2011, http://www.irdes.fr/Publications/2011/Qes169.pdf

    15 Ralise en partenariat avec le Fonds CMU.16 La loi de modernisation de notre systme de sant a t promulgue le 26 janvier 2016.17 Les autres instances comptentes : le Dfenseur des droits, le conciliateur de lAssurance maladie,

    les Conseils dpartementaux des ordres de mdecins et la DGCCRF. 18 Question issue de la grille dvaluation de la qualit de vie de l OMS WHOQOL.

  • 19

    Depuis la publication du rapport sur Les refus de soins opposs aux bn-ficiairesdelaC M U - C , d e l A C S etde l AME de 2014, le Dfenseur des droits poursuit son action sur le sujet. Les rsultats dune tude, qui seront publis fin 2016, sur Des pratiques mdicales et dentaires : entre diffren-tiation et discrimination permettent de caractriser des traitements diffrents dlivrs par des mdecins ou dentistes leurs patients-es selon leurs profils sociaux et en comprendre les logiques15. Dans le cadre de lexamen du projet de loi de modernisation de notre systme de sant16, le Dfenseur des droits a suivi avec attention les modifications apportes larticle 85 relatif aux refus de soins. LInstitution avait attir lattention des parlementaires sur les moyens ddis cette nouvelle mission et la ncessit de prendre en compte les recommandations issues durapport

    de lInstitution destines renforcer les droits des victimes.La cration de commissions places auprs des conseils des ordres de professionnels-les de sant charges dvaluer le principe de non-discrimina-tion dans laccs la prvention ou aux soins, mentionn larticle L. 1110-3, parles membres de lordre pose ques-tion. Les commissions ont pour mission de mesurer limportance et la nature des pratiques de refus de soins. Pour cefaire, elles peuvent notamment recou-rir des tudes, des tests de situation et des enqutes. LInstitution relve avec intrt la cration detelles commissions qui dmontrent la ncessit de pour-suivre lalutte contre les refus de soins. Toutefois, le rattachement des commis-sions auprs des ordres comptents pour le traitement des rclamations enmatire de refus desoins comporte le risque que ces derniers-es ne soient

    juge et partie17. Laqualit des travaux des commissions dpendra fortement des moyens attribus et des objectifs fixs par les prsidents des ordres. Cest pourquoi, lInstitution suivra avec attention les travaux raliss par les commissions. Prcisons que le nombre de saisines en matire de refus de soins tend augmenter depuis 2015. titre dexemple, la dcision du Dfenseur des droits MLD-2016-083 rend compte dun refus de soins oppos par un dentiste une personne bnficiaire de laide au paiement dune complmentaire sant (ACS). Dans ce cadre, lInstitution anotamment recommand la ministre de la Sant dorganiser, en partenariat avec lAssurance maladie, les conseils nationaux de lordre des mdecins et des chirurgiens-dentistes, le Fonds CMU et les associations concernes, une cam-pagne dinformation et de sensibilisation sur les refus de soins.

    CHAPITRE I

    Le point de vue du Dfenseur des droits

    3. Impact des discriminations sur la qualit de vie des PVVIHLa rptition dvnements discriminatoires peut amener les personnes victimes, par crainte de subir nouveau ce type de situations, des attitudes dauto-exclusion dans les domaines de la vie sociale et affective, ce qui nest pas sans consquence sur leur qualit de vie.

    Les facteurs associs la qualit de vie des personnes sont multiples. Il existe de nombreuses chelles dvaluation. Dans lenqute VHV, cest la mesure globale de la perception des personnes qui a t privilgie. la question Comment trouvez-vous votre qualit de vie ? 18, les PVVIH ont un ressenti globalement infrieur celui des autres enquts-es (figure 4).

    8,6%

    Trsbonne Ni bonneni mauvaise

    Mauvaise Trsmauvaise

    Bonne

    38,7% 38,7%

    10,2%

    3,8%

    12,4%

    42,5%

    33,6%

    9,6%

    1,9%

    Figure 4Qualit de vie perue selon la sropositivit au VIH, enqute VHV, AIDES, 2016 (n=1064)

    PVVIH

    Autres enquts-es

  • 20

    Figure 5Sentiment dtre isol-e ouentour-eselonlasropositivit au VIH, enqute VHV, AIDES, 2016 (n=1 028)

    PVVIH

    Autres enquts-es

    TAT DES DISCRIMINATIONS

    ET DES INGALITS SOCIALES

    LENCONTRE DES PERSONNES

    CONCERNES PAR LE VIH

    ET LES HPATITES Les PVVIH ont galement un sentiment disolement plus frquent que les personnes non sropositives au VIH. En effet, prs de 39 % dentre elles disent se sentir plutt seules contre 24 % des autres enquts-es. Le sentiment de grand isolement est 2 fois plus frquent chez les PVVIH, 8,4 % des PVVIH estimant se sentir trs seules (contre 4,1% des non PVVIH) (figure 5).

    Pour approfondir la question du soutien social, les personnes ont t interroges sur le sentiment de pouvoir compter sur leur entourage dans diffrents domaines de la vie (pour un coup de main dans la vie quotidienne, financirement ou matriellement, pour un soutien moral ou affectif).

    Les PVVIH bnficient moins souvent que les autres rpondants-es dun soutien quotidien ou dune aide financire ou matrielle de la part de leur entourage. En effet, compares aux personnes non sropositives au VIH, elles rapportent moins souvent de coups de main (79 % vs 71,5 %) ou de soutien financier (67,4 % vs contre 57,7 %) (tableau 2). Dans le domaine moral ou affectif, le sentiment de soutien est partag dans des proportions similaires quel que soit le statut srologique au VIH.

    *p significatif

    Remarque:indpendammentdustatutsrologiqueauVIH,lesHSHayantparticiplenquteVHVdclarentunsentimentdisolementmoinsfrquentqueleshommeshtrosexuels. On peut supposer que la solidarit communautaire et associative a des rpercussions positives sur la qualit de vie des personnes.

    4. Des situations sociales ingalement discriminatoiresMultidimensionnelles, les discriminations nont pas la mme incidence selon les caractristiques sociodmographiques et les situations sociales des personnes.Dans VHV, sans grande surprise, on constate que le risque dtre discrimin-e, dtre confront-e des difficults daccs aux soins, dtre victime de refus de soins et dtre isol-e est associ une situation sociale prcaire. Les personnes cumulent difficults sociales, problmes de sant et daccs aux soins.

    Tableau 2Sentiment de pouvoir compter sur son entourage selon la sropositivit au VIH, enqute VHV, AIDES, 2016 (n=1028)

    PVVIHAutres

    enquts-es

    Soutien quotidien 71,5 %* 79,0 %

    Soutien financier ou matriel 57,7 %* 67,4 %

    Soutien moral ou affectif 79,3 % 81,4 %

    Trsentour-e

    Pluttentour-e

    Pluttseul-e

    Trsseul-e

    15,1%

    46,2%

    30,3%

    8,4%

    22,0%

    54,2%

    19,7%

    4,1%

  • 21

    19 ATDQuartMonde,Discriminationetpauvret:lelivreblanc, octobre 201320 La loi visant lutter contre la discrimination raison de la prcarit sociale a t promulgue le 24 juin 2016.21 titre dexemple : larticle 2 par. 2 du Pacte international relatif aux droits sociaux, conomiques et culturels (PIDESC) de l ONU du 16 dcembre 1966 ; larticle 26 du

    Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) del ONU du 16 dcembre 1966 ; larticle 27 de la Convention internationale relative aux droits de lenfant; larticle 30 dela Charte sociale europenne rvise, larticle 21 de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne

    CHAPITRE IPour mieux comprendre la diversit des dterminants, des analyses statistiques

    plus pousses ont t ralises afin didentifier les principaux facteurs associs aux discriminations et aux difficults daccs aux soins. Dans les diffrents modles, les variables testes sont : ge, sexe, orientation sexuelle, nationalit, lieu de vie, situation conjugale, diplme, emploi, consommation de drogues, sropositif-ve VIH, sropositif-ve hpatite, couverture maladie, situation financire, prestations sociales. Parmi les facteurs associs des difficults daccs aux soins, labsence de couverture mdicale et lexistence de difficults financires apparaissent comme des facteurs importants. Le sentiment de discrimination est plus frquent chez les personnes qui peroivent des prestations sociales. On constate que les personnes socialement dsavantages, et a fortiori celles qui cumulent des vulnrabilits, sont plus enclines vivre des situations prjudiciables leur sant.

    Les ingalits de traitement en raison de la prcarit sociale, dfinies notamment dans le rapport de ATD Quart Monde Discriminationetpauvret:lelivreblanc19, ont des consquences sur leffectivit des droits des personnes, sur laccs lemploi etaux soins. Lintroduction en juin 2016 dun 21e critre de discrimination fond sur laparticulire vulnrabilit rsultant de la situation conomique peut apparatre comme une premire mesure de lutte contre lexclusion. condition, comme la prcis le Dfenseur des droits, de ne pas considrer quil sagit dune spcificit inhrente aux personnes mais dune situation temporaire ou chronique. Pour avoir une relle porte, linstauration de ce nouveau critre doit sinscrire dans des politiques efficaces delutte contre lexclusion, avec le renforcement de laccs aux droits des personnes etlvolution des reprsentations ngatives et des prjugs du grand public.

    Le Dfenseur des droits a suivi avec attention les dbats relatifs la proposition de loi n 2885 qui entend interdire la discrimination fonde sur la particulire vulnrabilit rsultant de leur situation conomique, apparente ou connue de son auteur en ajoutant ce critre la liste des critres interdits20. Dans le cadre de son avis du 31 mai 2016, lInstitution rappelait sa position quant la cration de ce nouveau critre qui comporte des risques.Aujourdhui, le droit franais en matire de discrimination vise dj 21critres prohibs, auxquels se sont ajouts lidentit sexuelle en 2012, le lieu de rsidence en 2014 et la perte dautonomie en 2015. De nombreux textes internationaux et conventions permettent dj dapprhender les droits des personnes en situation de prcarit sociale, ils posent les bases dun cadre juridique distinct de lutte contre la pauvret fond, notamment, sur les garanties contre les atteintes la dignit21.Le droit des discriminations vise en

    principe des critres qui relvent de caractristiques inhrentes la personne. Sagissant de la particulire vulnrabilit rsultant de la situation conomique, la condition sociale ou la pauvret, de mme que le lieu de rsidence ne constituent pas un invariant mais une situation susceptible dvoluer. La particulire vulnrabilit rsultant de la situation conomique est une situation, temporaire ou chronique, qui peut justifier une action de ltat mais qui nest pas une caractristique prenne de la personnalit. Ainsi pour le Dfenseur des droits, les rponses la lutte pour les droits des personnes les plus pauvres relvent moins de la lutte contre les discriminations (action de nature juridique) que de la lutte contre les exclusions (action de nature politique et sociale).Pour lInstitution, il sagit aussi dviter une situation analogue avec ladoption du critre de lieu de rsidence qui pose des difficults de mise en uvre pour le traitement des rclamations

    relatives aux discriminations lembauche ou le refus de service priv aux rsidents-es de certains quartiers. Lecritre est mobilis des fins tout fait distinctes puisquil nest invoqu que pour justifier un refus fond sur la distance entre le lieu de rsidence et le lieu demploi (voir la dcision du Dfenseur des droits n MLD 2015-114). En matire daccs au service public, le critre de lieu de rsidence est invoqu pour contester la tarification des services offerts par les communes ou la rpartition des services publics sur le territoire. Dans de telles conditions, il ne semble pas pouvoir rpondre aux attentes des rclamants-es. Malgr les observations du Dfenseur des droits, la loi promulgue en juin 2016 a introduit dfinitivement parmi la liste des critres prohibs celui de la particulire vulnrabilit rsultant de leur situation conomique, apparente ou connue de son auteur . LInstitution sattachera suivre avec attention limpact rel de ce nouveau critre.

    Le point de vue du Dfenseur des droits

  • 22TAT DES DISCRIMINATIONS

    ET DES INGALITS SOCIALES

    LENCONTRE DES PERSONNES

    CONCERNES PAR LE VIH

    ET LES HPATITES

    Cumuls et croisements dediscriminations : des insuffisances juridiques

    Lapproche intersectionnelle, concept labor par la juriste Kimberl Crenshaw, fait actuellement lobjet de nombreuses discussions dans les milieux de la recherche et de lintervention sociale, particulirement parmi celles et ceux qui se proccupent des questions de discri-minations. Les discriminations intersec-tionnelles ne rsultent pas dun simple cumul de discriminations mais dune situation discriminatoire particulire. Ainsi, envisager la discrimination dans le cadre dune approche intersectionnelle, cest reconnatre que les discriminations en se cumulant, ne font pas que sim-plement sadditionner mais crent une situation particulire. Toutefois, le droit franais peine se saisir du concept dintersectionnalit. Il ne reconnat pas spcifiquement les discriminations multiples en dpit des directives euro-pennes qui prconisent une approche

    intersectionnelle dans la lutte contre les discriminations22. Cecumul de discrimi-nations est pourtant invocable en justice, mais le Dfenseur des droits constate que les recours pour discriminations lis plusieurs critres restent extrmement rares.

    Lapproche intersectionnelle comporte des limites dun point de vue juridique. La stratgie de la preuve qui est primor-diale en matire de discriminations peut devenir, dans ce cadre, complique. Il est difficile didentifier un lment de comparaison pertinent. En effet, la discri-mination tant caractrise quand existe une diffrence de traitement, fonde sur des critres fixs par la loi, face des situations quivalentes, le cumul de critres, en crant une situation unique, rend cette comparaison de situations problmatique, voire quasiment impossible.

    Cest pourquoi, le Dfenseur des droits ne recourt pas une telle approche dans le traitement des rclamations.

    Nanmoins la contextualisation de la discrimination permet parfois dapporter un clairage intersectionnel aux discri-minations caractrises. Ainsi, dans une dcision de lInstitution portant sur des faits de harclement sexuel lencontre dun prestataire de nettoyage de la Socit nationale des chemins de fer franais (SNCF), le Dfenseur des droits a sollicit une expertise sur les rapports de domination des femmes immigres dans les mtiers du nettoyage pour contextualiser les situations individuelles. Les conclusions de cette expertise ont t prsentes au juge saisi par les victimes dans le cadre des observations du Dfenseur des droits. Enfin, lInstitution vient de publier un rapport sur lemploi et les femmes en situation de handicap pour faire reconnatre lexistence dune discrimination cumule et absente des tudes systmatiquement asexues sur lemploi des personnes en situation de handicap.

    5. Lerecourscollectif:unearme contre les discriminations Le VIH ne se transmet pas juste par le sexe. Il se transmet par le sexisme, le racisme, la pauvret et lhomophobie , cest en ces termes que lactrice sud-africaine Charlize Theron dbute la Confrence internationale de lutte contre le sida de Durban en juillet 2016. Au Nord comme au Sud, les pidmies de sida et hpatites se nourrissent des discriminations. Pour faire reculer ces pidmies, il faut faire voluer les mentalits, faire reculer les stigmatisations et les discriminations. Diffrents moyens de lutte existent : des campagnes publiques, limage de celles de AIDES contre lhomophobie ou la srophobie ; des rapports scientifiques et institutionnels et galement des outils juridiques, existants ou construire, pour allier le droit la lutte contre les discriminations.

    Les discriminations sont un phnomne social. ce titre, la lutte contre ces traitements ingaux doit tre collective. Jusqu prsent, seules les dmarches juridiques indivi-duelles permettaient de les dnoncer. Ces dernires annes sont apparus les recours collectifs dans divers domaines. AIDES a activement milit pour que ce type de recours existe aussi dans le champ des discriminations.

    Une telle volution vient dtre consacre dans la loi portant sur la justice du XXIe sicle, dite Justice 21 adopte en octobre 2016. Par ce projet de loi, la justice investit des

    Le point de vue du Dfenseur des droits

    Le VIH ne se transmet pas juste par le sexe. Il se transmet par le sexisme, le racisme, la pauvret et lhomophobie.

    Charlize Theron Confrence internationale de lutte contre le sida, Durban, juillet 2016

  • 23

    22 La Commission europenne rappelle limportance du concept dintersectionnalit dans un rapport de 2007. COMMISSION EUROPENNE, Luttecontreladiscriminationmultiple:pratiques,politiquesetlois, septembre 2007 ouencore lInstitut europen pour lgalit des genres (EIGE) travers de nombreuses tudes.

    23 Projet de loi de modernisation de la justice du XXIe sicle.24 Lavis porte exclusivement sur le titre V du projet de loi relatif laction de groupe.

    CHAPITRE I

    Le projet de loi Justice 21 propose douvrir la possibilit de mener une action de groupe dans lensemble des domaines couverts par la lgislation sur les discriminations, y compris dans lemploi public23. Dans son avis du 7avril 201624, leDfenseur des droits sest prononc en faveur de la cration dun dispositif derecours collectif en matire de discriminations qui pourra par la suite tre dclin dans dautres champs. Nanmoins, il a appel la vigilance des parlementaires sur la ncessit de modi-fier certaines mesures prvues par la loi afin de garantir laccessibilit et leffica-cit de cette nouvelle voie de recours.Pour lInstitution, le champ dapplica-

    tion de cette action doit tre largi afin de couvrir lensemble des critres de discriminations prvus par la loi et des domaines dans lesquels sexercent les discriminations. Laccs la procdure doit tre ouvert toutes les victimes, mme si elles ne sont pas reprsentes par un syndicat ou une association. Laquestion du financement des recours est une proccupation majeure pour le Dfenseur des droits. Il a propos la cration dun fonds daide au recours collectif tel quil en existe dans la Province de Qubec. Enfin, lefficacit de laction de groupe en matire de discriminations lemploi dpend aussi du champ dapplication accord la

    rparation issue de la procdure. Ledroit rparation prononc par le-la juge doit sappliquer lgard de tous-tes les salaris-es victimes de la mme discrimination que celle examine dans le cadre dune action de groupe. Rduire cette possibilit aux seules victimes qui ont engag une procdure ne rendra pas la mesure efficace. Lobjectif de laction collective est de rparer les prjudices subis par un ensemble de salaris-es victimes des mmes discriminations. Sitel nest pas le cas, la mesure perdrait de son efficacit.

    Le point de vue du Dfenseur des droits

    champs peu explors jusqu prsent lui permettant dtre pleinement considre comme un outil de rgulation sociale au service de la lutte contre les discriminations et les ingalits explique ainsi lexpos des motifs.

    La version initiale du texte fondait ces recours collectifs en matire de discriminations sur une loi de transposition dune directive europenne sur la lutte contre les discriminations. Cette loi tant une retranscription presque directe du droit europen, elle ne reprenait pas lensemble des critres de lutte contre les discriminations reconnus en droit franais. Les discriminations en raison de ltat de sant, rel ou suppos, taient par exemple omises, empchant lusage du recours collectif contre les discriminations srophobes limage des refus de soins. AIDES sest mobilise pour intgrer la sant et lensemble des critres de discriminations reconnus en droit franais dans la loi de retranscription de la directive europenne. La lutte contre le sida et les hpatites fait voluer la socit dans son ensemble, cest une occasion de le dmontrer nouveau.

    Un amendement a t vot lAssemble nationale fin septembre 2016 afin dintgrer lensemble des critres de discriminations aux recours collectifs, y compris la sant. Ces recours collectifs constituent de nouveaux outils que AIDES a particip faonner. Il convient maintenant de voir comment les utiliser au mieux pour faire reculer les discriminations.

    ConclusionLes discriminations lencontre des personnes qui frquentent les actions de AIDES sont essentiellement fondes sur des prjugs portant sur la prcarit, le comportement sexuel et la consommation de drogues. La mconnaissance du VIH, des hpatites et des modes de transmission de ces infections aboutissent galement la mise en place de traitements diffrencis. Une approche moins stigmatisante dans les lieux daccueil des populations concernes, comme les lieux de soins, permettrait de rduire le risque dinfection et de promouvoir des comportements axs sur la sant.

  • 24

    Difficults persistantes daccsauxtraitements contre lhpatite C

    II.C H A P I T R E

  • 25

  • 26

  • 27

    Les prix des nouveaux mdicaments ne cessent daugmenter depuis plusieurs annes. Jusqu peu, les prix exorbitants ne concernaient que des traitements pour des maladies rares. Dsormais, des mdicaments pour des pathologies qui touchent des milliers de personnes voient leurs prix senvoler.

    Ces montants ne sont pas toujours justifis par linvestissement de lindustrie pharmaceutique dans la recherche et le dveloppement. Pour les pouvoirs publics, la tentation est forte de restreindre laccs aux nouveaux traitements certaines catgories de population plutt que de revoir le modle de ngociation des prix avec lindustrie pharmaceutique. En France, avec larrive des nouveaux mdicaments contre lhpatite C (VHC), un rationnement a t mis en place: le traitement a t rserv aux personnes les plus gravement atteintes et non lensemble des malades.

    Une mobilisation interassociative a t ncessaire pour que la ministre de la Sant annonce en mai 2016 laccs universel aux traitements pour tous-tes les patients-es dpists-es. Ce bras de fer en annonce dautres si le modle de financement de la recherche et de fixation des prix nest pas repens.

    Retour sur une bataille gagne et un combat venir afin que les discriminations ne sinvitent plus dans nos feuilles de prescription.

  • 28

    1. Des prix excessifs fixs de faon opaquePourquoi certains nouveaux mdicaments sont-ils si onreux? Pour le comprendre, il faut revenir sur le systme des brevets, cens protger linnovation, et sur les relations parfois opaques entre ltat et lindustrie pharmaceutique.

    1.1 Lafixationdesprix:uneaffairedtatsetdindustriels-les

    On distingue deux types de mdicaments: Les mdicaments brevets dits mdicaments princeps sont protgs par des brevets

    de proprit intellectuelle dont la dure est gnralement de 20 ans, parfois pro-longeable de cinq ans. Ce systme est cens encourager linnovation en permettant aux concepteurs-rices de tirer les bnfices de linvestissement dans la recherche. Cet argument est dailleurs trs utilis par les laboratoires qui oublient souvent de rappeler la part que leurs dcouvertes doit la recherche publique. Linvention brevete est gnralement disponible sur le march deux ou trois ans aprs le dpt de brevet. Les dtenteurs-rices du brevet disposent donc de 17 ou 18 ans dexclusivit commerciale. Cette priode assure une situation de monopole pour le mdicament brevet. Ce sont parmi ces mdicaments brevets que lon retrouve des prix exorbitants. Les dtenteurs de brevets sont en position de force pour exiger des prix levs: dans la mesure o ils sont la seule source possible, aucun effet de concurrence ne peut faire baisser les prix quils demandent, analyse Galle Krikorian, sociologue, spcialiste de la proprit intellectuelle et du prix du mdicament. Les possibilits de ngociation sont restreintes.

    Les mdicaments non brevets parmi lesquels les mdicaments gnriques des quivalents des mdicaments princeps. Les mdicaments gnriques doivent tre bio-quivalents avec le mdicament de rfrence. Les prix varient fortement entre les mdicaments princeps et les gnriques pour une mme molcule. Ces prix sont fixs au niveau national et varient considrablement dun tat membre de lUnion europenne un autre. Une tude de 2011 a montr des carts de prix de 1 4 pour les mdicaments princeps et de 1 6 pour les gnriques25.

    En France, le processus de fixation des prix est complexe et opaque. En effet, les prix rels sont toujours tenus secrets le prix facial nest pas le vrai prix dachat. Les accords entre tats et laboratoires ne sont jamais rendus publics. Les ngociations sont menes par le Comit conomique des produits de sant (CEPS). Cet organisme interministriel est plac sous lautorit conjointe des ministres chargs de la Sant, de la Scurit sociale et de lconomie. Il est lgalement charg de fixer, en ngociation avec les industries pharmaceutiques, les prix des mdicaments et les tarifs des dispositifs mdicaux usage individuel pris en charge par lassurance maladie obligatoire. En matire de mdicaments, le CEPS met en uvre les orientations quil reoit des ministres comptents-es concernant la fixation des prix des mdicaments, le suivi des dpenses et la rgulation financire du march du mdicament. Pour ce faire, le CEPS peut conclure avec les entreprises ou groupes dentreprises pharmaceutiques des conventions. Les associations dusagers-es de la sant ny jouent aucun rle dcisionnel. Mme les parlementaires nont pas accs ces documents protgs par le secret des affaires. La ngociation du prix se fait en dehors de tout contrle dmocratique.

    1.2 Des prix pas toujours en relation avec les investissements dans la recherche et le dveloppement

    Lindustrie pharmaceutique justifie des niveaux de prix levs par les cots investis dans la recherche. Mais les variations de prix dun tat lautre sont la preuve de la dconnexion pour les laboratoires entre le niveau dinvestissement et le prix de vente.

    25 SCHOLZ Nicole, Les mdicaments dans l Union europenne : pr ix et accs , tude du Service de recherche du parlement europen, avri l 2015, http://www.europarl .europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2015/554203/EPRS_BRI (2015) 554203_FR.pdf

    Leprixfacial,cestquoi?Cest le prix public ou prix de rfrence. Le prix facial ne correspond pas toujours au prix effectivement pay par le systme de sant. Il nest gnralement pas le vrai prix, celui issu des ngociations prix/volumes ou des remises consenties par le fabricant.

    D I F F I C U L T S P E R S I S T A N T E S D A C C S A U X T R A I T E M E N T S C O N T R E L H P A T I T E C

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    Ces diffrences ont t particulirement criantes avec larrive sur le march europen en 2014 des nouveaux traitements contre le VHC, les antiviraux daction directe (AAD), notamment celui commercialis par le laboratoire Gilead, le Sovaldi (sofosbuvir). Ces mdicaments rvolutionnent la prise en charge, offrant un taux de gurison virologique trs lev (plus de 90%), des dures de traitements courtes (trois mois) et des effets indsirables limits. Mais les laboratoires font payer ce progrs au prix fort. Pour une dure de trois mois, le cot des combinaisons dAAD oscille entre 25 000 et 70 000. Le prix du Sovaldi (sofosbuvir) varie, lui aussi, largement dun pays un autre. Cette grande disparit tarifaire est encore plus nette au niveau mondial: cette mme molcule est ainsi vendue 160 en Inde et environ 19 217 aux tats-Unis pour un mois26.

    Ce niveau de prix trs lev a conduit 13 pays sur 17 pays de lEurope de lOuest mettre en place des politiques de restriction en limitant laccs aux AAD aux personnes pour lesquelles la maladie tait la plus avance28. La France en fait partie.

    2. France:lacrisedelaccsaux traitements contre le VHCEn France, le prix facial du Sovaldi (sofosbuvir) est fix 41 000 pour trois mois de traitement. Le prix dune cure est plus lev car il ne sutilise jamais seul, mais en association avec dautres molcules. Certaines combinaisons de traitements peuvent coter plus de 100 000 selon la dure de prise (des traitements de six mois sont parfois ncessaires). La France mtropolitaine, qui compte plus de 200 000 personnes vivant avec le VHC, se trouve confronte une quation de sant publique indite: des traitements trs efficaces avec des taux de gurison jamais atteints jusqualors pour le VHC, des prix exorbitants et un nombre trs lev de patients-es concerns-es. Une telle configuration constitue alors un dfi pour les finances publiques et la prennit dun systme de sant solidaire.

    2.1 Rationnerlaccspourconomiser?

    Ds 2014, lAgence nationale de recherche sur le sida et les hpatites virales (ANRS) lance une tude conomique afin dvaluer limpact budgtaire des AAD29. Dans cette tude, les cots sont valus partir du prix des AAD demand par les laboratoirespharmaceutiques dans le cadre des autorisations temporaires dutilisation (ATU).

    26 MAPCROWD, 2016, http://mapcrowd.org/fr. Il sagit dune plateforme de crowdsourcing en ligne pour faciliter la collecte et le partage dinformations jour sur le VHC.27 ANDRIEUX-MEYER Isabelle (Mdecins sans Frontires), Les nouveaux traitements pour les hpatites et les confections HIV/HCV, symposium UNITAID, AFRAVIH 2016, Bruxelles. Dans cette prsentation, les prix sont en dollars. Ils ont t ici convertis en euros.28 28 juillet, Journe mondiale des hpatites virales, Mdecins du Monde, 28 juillet 201629 tude ralise par lquipe de Sylvie Deuffic-Burban, sous la direction du Pr Yazdan Yazdanpanah: Inserm U1137 IAME Infection, Antimicrobiens, Modlisation, volution, Universit Paris Diderot , Paris

    Figure 1Prix en euros par boite27 dun mme traitement VHC (soit pour un mois), Europe, 2016 CH

    APITRE II

    SuisseFrance

    Royaume-Uni Allemagne

    Espagne ItaliePortugal

  • 30

    30 MEFFRE Christine et al. , Prevalence of hepatitis B and hepatitis C virus infections in France in 2004. Social factors are important predictors after adjusting for known risk factors, JournalofMedicalVirology, V. 82, 2010, p. 546-555.31 PIOCHE Corine et al., Estimation de la prvalence de lhpatite C en population gnrale, France mtropolitaine, 2011, Bulletin pidmiologiqueHebdomadaire, n13-14, 2016, p. 224-229.32 COMEDE, La sant des exils. Rapport annuel 2015, 2016.

    33 ENEL Catherine, MINELLO Anne et HILLION Patrick, Reprsentation des professionnels et dpistage des hpatites B et C chez les migrants: une tude qualitative en Cte dOr, Sant publique, 4 (24), p. 303-315.34 HARRIS Magdalena et RHODES Tim, Hepatitis C treatment access and uptake for people who inject drugs: a review mapping the role of social factors, HarmreductionJournal, 10 (7), 2013.

    Assurer laccs universel aux traitements contre le VHC est un enjeu dautant plus crucial que lpidmie touche particulirement des populations vulnrables. Elles sont les premires victimes des politiques de rationnement, qui contribuent la reproduction des ingalits sociales et territoriales de sant.

    En 2014, le premier rapport Dhumeaux consacre un chapitre aux soins et accompagnement des personnes en situation de vulnrabilit rappelant les conditions de vulnrabilit sociale et les discriminations dans la prvention et le soin dont les personnes migrantes peuvent tre victimes. Il indique aussi que le VHC tout comme le VHB (virus de lhpatite B) a la particularit dune distribution trs ingale dans la population. Ainsi, les infections virales par le VHC sont trois fois plus frquentes chez les personnes en situation de prcarit. Ltude de Meffre et collaborateurs30 dmontre que le fait de bnficier de la complmentaire de la couverture maladie universelle ou de laide mdicale dtat (AME) et dtre n dans un pays de forte endmie sont des facteurs de risque dinfection par le VHC, notent les experts-es en charge du rapport Dhumeaux 2016.

    La prvalence moyenne de linfection chronique par le VHC en France mtropolitaine chez les personnes trangres, nes ltranger, est ainsi estime entre 1% et 1,5% 31.

    De nombreuses personnes migrantes vivant en France en situation de

    vulnrabilit ne connaissent pas leur statut srologique pour le VHC. Le diagnostic dinfection chronique par le VHC, chez 224 migrants-es rsidant en le-de-France depuis deux ans en moyenne, est connu avant larrive en France pour 13% seulement. La dcouverte en France de leur infection, travers un dpistage, ne concerne que 39% des personnes avant quelles ne ralisent un bilan de sant en centre de sant, selon des donnes du Comede32. Le dpistage les concerne tout particulirement; do limportance dune offre de dpistage de proximit comme celle des tests rapides dorientation diagnostique (Trod). Les experts-es reconnaissent que les nombreux obstacles rencontrs par les migrants-es, quel que soit leur statut administratif et leur prcarit socio-conomique, majorent leur vulnrabilit face laccs au dpistage et aux soins en France33. Par ailleurs, les traitements de rfrence sont inaccessibles aux populations revenu faible ou intermdiaire en labsence de couverture maladie. Dans le monde, moins de 2% des personnes infectes par le VHC ayant besoin dun traitement y ont effectivement accs34.

    Le niveau de prix des nouveaux traitements peut constituer une source de retard ou de refus de soins envers des populations considres comme marginalises ou juges comme non prioritaires par le milieu mdical. Une vigilance accrue des associations est ncessaire afin de documenter dventuels obstacles en France dans laccs aux soins des personnes infectes par le VHC ou le VHB. Un

    certain nombre de situations ont t rapportes, dont certaines en lien avec les ples spcialiss de soins des hpatites. Elles ont dores et dj donn lieu une volution des pratiques: mise en place dun rfrentiel daccueil des patients-es sans discrimination, amlioration de laccessibilit un service dinterprtariat, dveloppement de lducation thrapeutique adapte aux besoins des patients-es vivant la rue, ou dans des conditions socio-conomiques difficiles.

    En France, le VHC fait partie de la liste des affections de longue dure (ALD). Cest lALD6 qui ouvre une prise en charge financire 100% des soins. Il y a cependant diverses restrictions qui dtaillent les soins pris en charge 100%. Ce protocole est souvent mal connu. Le fait dtre en ALD nexonre pas du paiement, sa charge, de diffrents forfaits, franchises et dpassements dhonoraires. Ce qui peut tre une source de difficults dans laccs aux soins voire un motif de renoncement aux soins. Toute personne dmunie, franaise ou trangre en France depuis plus de trois mois, a droit une protection maladie de service public. Le type de couverture maladie des trangers-es dpend de la rgularit ou non du sjour (au regard de la rglementation sur la police des trangers-es). En cas de sjour stable mais irrgulier en France, les personnes trangres disposant de faibles ressources relvent du dispositif de lAME qui garantit une protection hauteur dun 100% scurit sociale pour ce type de traitement.

    D I F F I C U L T S P E R S I S T A N T E S D A C C S A U X T R A I T E M E N T S C O N T R E L H P A T I T E C

    VHC et prise en charge des populations vulnrables

  • 31

    Les schmas de traitements retenus dans les calculs sont ceux prconiss dans le rapport dexperts-es sur la Prise en charge des personnes infectes par le virus de lhpatite B ou de lhpatite C, dit le rapport Dhumeaux et par la Haute autorit de sant (HAS). Les auteurs-es de ltude ont donc calcul les cots de traitement en considrant que tous-tes les patients-es avec une fibrose avance seraient traits-es par AAD au cours des trois prochaines annes 20 000 personnes la premire anne, 9 000 la deuxime et 2 500 la troisime, soit un peu moins de 32 000 patients-es au total. Seuls les cots directs des mdicaments ont t pris en compte. Sur cette base, les auteurs-es estiment que limpact budgtaire du traitement par AAD serait compris entre 2,3 et 3,1 milliards deuros pour les trois annes considres. La HAS recommande laccs aux traitements innovants aux stades de fibrose du foie F2 svre, F3 et F4 ainsi qu tous les stades de fibrose pour certaines populations: personnes co-infectes VIH et VHC, personnes atteintes de cryoglobulinmie mixte systmique et symptomatique, personnes atteintes de lymphome B associ au VHC. Sont alors cartes des populations pourtant cibles par le rapport Dhumeaux, notamment les usagers-es de drogues et les personnes dtenues qui relveraient dune approche non spcifique et donc du cadre gnral.Sur la base de ces expertises, les pouvoirs publics dcident dengager une politique de rationnement avec des mises sous traitement sur la base de critres daccs restrictifs, ceux de la HAS, et de modalits de prescription contraignantes (les runions de concertation pluridisciplinaire ou RCP). Cette stratgie est prsente comme la plus mme de concilier le droit la sant, les impratifs de sant publique, les besoins des populations, lquilibre des finances publiques et la prennit de notre systme de protection sociale. Elle a pour effet une slection des patients-es et un rationnement de laccs aux soins, en cartant toute vritable approche de sant publique. On repousse la fin de lpidmie de VHC, sine die. Ces difficults daccs aux traitements ont t largement analyses dans ldition 2015 du rapport VIH/hpatites, la face cache des discriminations35.

    2.2 Une slection des patients-es en contradiction avec la stratgie largie de dpistage

    Le rapport Dhumeaux recommande la poursuite des stratgies de dpistage cibl en fonction des populations et des circonstances et le renforcement de la complmentarit des acteurs permettant dlargir loffre de dpistage aux populations risque. Comme il nexiste pas ce jour de vaccin contre le VHC, la meilleure stratgie prventive est le renouvellement rgulier du dpistage dans certaines populations et dans certaines circonstances: personnes consommatrices de drogues par injection ou sniff, hommes ayant des relations sexuelles avec dautres hommes (HSH), personnes originaires de ou ayant reu des soins dans des pays de forte prvalence au VHC (Afrique, Moyen-Orient, Asie du Sud-Est,etc.), personnes dtenues ou ayant sjourn en milieu carcral.36 Le rapport encourage galement le dploiement des tests rapides dorientation diagnostique (Trod) VHC.

    Le 24 mai 2014, la HAS publie ses recommandations sur la place des Trod dans la stratgie de dpistage du VHC. Compte tenu de leurs performances et des avantages prsents par les Trod (utilisation simple, rapidit du rsultat, acceptabilit, absence de prlvement veineux initial, utilisation dans un cadre dlocalis), la HAS positionne les Trod comme une offre de dpistage complmentaire intressante pour permettre de proposer le dpistage, dans un cadre mdicalis et non mdicalis, certains individus que les structures habituelles de dpistage narrivent pas actuellement rejoindre. La HAS dfinit des catgories de populations susceptibles de bnficier prioritairement des Trod VHC:

    les personnes risque loignes des structures daccs communs; les personnes originaires ou ayant reu des soins dans des pays forte

    prvalence du VHC; les usagers-es de drogues; les personnes dtenues; les personnes vivant avec le VIH (PVVIH).

    35 AIDES, VIH/hpatites, la face cache des discriminations, 2015, pages 36-40.36 DHUMEAUX Daniel (dir.), Prise en charge des personnes infectes par les virus de lhpatite B ou de lhpatite C. ANRS-AFEF, 2014, p. 20-34. Le rapport 2016 confirme ces recommandations.

    Le rapport DhumeauxIl sagit dun rapport dexperts-es sur les hpatites virales B et C, confi lANRS, sous la direction du Pr Dhumeaux. Des recom-mandations dans les domaines sanitaires, sociaux, thiques et organisationnelles sont mises. Aprs une premire dition en 2014, une version ractualise est parue en octobre 2016.

    CHAPITRE II

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    Pour la HAS, les structures dans lesquelles lutilisation des Trod VHC peut tre envisage sont les centres de soins, daccompagnement et de prvention en addictologie(Csapa), les centres daccueil et daccompagnement la rduction des risques pour usagers-es de drogues (Caarud) et les permanences daccs aux soins de sant (Pass), les structures associatives et mdico-sociales. Il sagit trs clairement dune offre de dpistage de proximit dont la vocation est datteindre des groupes et populations loigns du systme de soins, notamment du fait des discriminations quils-elles subissent, quelles soient conscutives leurs pratiques, leurs ressources, leur statut,etc. En cela, les Trod sont aussi un outil de lutte contre les discriminations en sant.

    Dans son avis de mai 2014, la HAS propose un encadrement pour lutilisation des Trod et insiste sur le suivi des personnes dpistes. Elle indique ainsi: Lutilisation des Trod ne se conoit, par ailleurs, pas sans la mise en place pralable dune collaboration des diffrents acteurs impliqus dans la prise en charge et laccompagnement des personnes dpistes. Lobjectif tant de garantir laccs un traitement adapt, la prise en charge des ventuelles comorbidits et de favoriser ladoption de comportements de prvention pour limiter la transmission du VHC autrui. Au terme de plusieurs mois dattente, un arrt est finalement publi le 1er aot 2016. Il fixe, de nouveau, les conditions de ralisation des Trod VIH, mais surtout, nouveaut, celles des Trod VHC en milieu mdico-social ou associatif. linstar de ce qui a t mis en place, avec succs, dans le dpistage du VIH, loffre de dpistage concernant le VHC fait toute sa place au dpistage communautaire. Agir en proximit, cest bien videmment adapter les outils. Ces derniers mois, AIDES sest mobilise pour la mise en place des Trod VHC.

    Mais cette stratgie ne peut fonctionner que si laccs universel est garanti. Pourquoi dpister si toutes les personnes diagnostiques ne se voient pas proposer un traitement efficace, court et sans effet indsirable ? Comment limiter la transmission du VHC autrui sans proposer aux personnes qui en sont atteintes un traitement curatif?

    2.3 Une mobilisation associative et institutionnelle pourlaccsuniversel

    En dcembre 2015, un collectif dassociations (AIDES, le Collectif hpatites virales, Le Comede, Mdecins du Monde, le TRT-5, SOS hpatites) demande dans une lettre ouverte la ministre de la Sant, Marisol Touraine, un largissement de laccs aux traitements contre le VHC. Les prix de ces nouveaux traitements exigs par les laboratoires ont des rpercussions graves et indites sur nos principes mmes daccs aux soins. Les recommandations du premier rapport dexperts sur les hpatites virales [rapport Dhumeaux, mai 2014, ndlr], qui constituaient une avance importante dans la lutte contre la maladie, ont ainsi t renies, notamment celles permettant une vritable approche de sant publique37. Pour en finir avec la politique de rationnement alors conduite qui provoque une perte de chance pour les malades, les associations sollicitent la ministre pour la mise en uvre dune vritable stratgie nationale de lutte contre le VHC, reposant prioritairement sur la prise en charge des nouveaux traitements anti-VHC par lAssurance maladie pour toutes les personnes infectes par le virus et ncessitant un traitement, quel que soit leur stade de fibrose, en accord avec toutes les recommandations dexperts, hormis celles de la HAS.

    Deux volutions sont ncessaires pour mettre en place une telle stratgie. La premire consiste en une volution des modalits de prescription de ces

    traitements pour permettre une monte en puissance du systme de prise en charge. Pour les associations, seuls les cas cliniques les plus complexes doivent passer en RCP, permettant ainsi de fluidifier la prise en charge et le suivi des malades. Cette volution est soutenue par la Socit franaise pour ltude du foie (AFEF).

    Lautre mesure importante est la rengociation la baisse des prix de ces nouveaux traitements. Louverture des prescriptions, consquence directe de laccs universel, ne peut se faire qu cette condition.

    37 Lettre signe par le Collectif interassociatif sur la sant (CISS dont SOS hpatites est membre), CHV, TRT-5, AIDES, COMEDE, Mdecins du Monde, 15 dcembre 2015.

    D I F F I C U L T S P E R S I S T A N T E S D A C C S A U X T R A I T E M E N T S C O N T R E L H P A T I T E C

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    Les personnes malades originaires de pays dits en dveloppement remplissent les conditions requises pour lobtention dun titre de sjour en raison de ltat de sant (article L. 313-11 11 du Code de lentre et du sjour des trangers et du droit dasile). Ce dispositif lgal garantit la continuit des soins pour des patients-es trangers-es dont le retour dans le pays dorigine les exposerait des consquences dune exceptionnelle gravit, dues un dfaut de prise en charge. En 2011, le ministre de la Sant a rdig des instructions relatives aux procdures concernant les malades trangers-es atteints-es dune hpatite virale: Lorsquil ny a pas demble dindication thrapeutique, puisque lhistoire naturelle des infections virales B et C peut conduire des complications graves [] et puisque le dlai de survenue de ces complications nest pas individuellement prvisible, une surveillance rgulire aux plans clinique, biologique, virologique et morphologique [] simpose. Les moyens ncessaires un suivi efficace et adapt ne sont habituellement pas accessibles dans lensemble des pays en dveloppement. Selon le pays dorigine, des malades trangers-es vivant avec le VHC peuvent donc avoir accs un traitement et un suivi mdical en France. Il nen demeure pas moins quil existe de nombreux obstacles. Concernant le cas spcifique des nouveaux AAD, le recours obligatoire