la connaissance, la vérité, la science daristote à la révolution galiléenne

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La Connaissance, la Vérité, la Science D’Aristote à la révolution galiléenne

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  • La Connaissance, la Vrit, la Science DAristote la rvolution galilenne
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  • 2 Quest-ce que connatre ? Dans le langage familier, le verbe connatre est probablement le plus souvent employ avec un complment dobjet dsignant une personne comme dans ces exemples : Tu connais quelquun ici ? Celui-l, je le connais. Vous connaissez Charles et Yvette, nest-ce pas? La langue ordinaire a dailleurs rifi* ladjectif inconnu pour dsigner une personne : un inconnu. Connatre est donc primitivement reconnatre , savoir que lon a dj peru un objet ou encore associer des perceptions prsentes un ensemble de perceptions passes.
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  • Texte : NIETZSCHE (1881 1882) ce besoin du dj-connu L'explication suivante m'a t suggre dans la rue : j'entendais un homme du peuple dire : il m'a reconnu et je me demandais aussitt : qu'est-ce que le peuple peut bien entendre par connaissance ? Que veut-il, quand il veut de la connaissance ? Rien d'autre que ceci : ramener quelque chose d'tranger quelque chose de connu. Et nous autres philosophes aurions-nous entendu davantage par le terme : connaissance? Le connu signifie : ce quoi nous sommes assez habitus pour ne plus nous en tonner, notre vie quotidienne, une rgle quelconque dans laquelle nous serions engags, toute chose familire enfin : qu'est-ce dire? notre besoin de connaissance ne serait-il pas justement ce besoin du dj-connu? La volont de trouver parmi tout ce qu'il y a d'tranger, d'extraordinaire, de douteux, quelque chose qui ne soit plus pour nous un sujet d'inquitude? Ne serait-ce pas l'instinct de la crainte qui nous incite connatre? La jubilation de celui qui acquiert une connaissance ne serait-elle pas la jubilation mme du sentiment de scurit recouvr?... NIETZSCHE, Friedrich, Le Gai Savoir, Paris : Gallimard, 1967, pages 242 - 243 3
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  • 4 Lintuition sensible nouvelle En dcouvrant la racine de toute activit de connatre dans la re-connaissance, nous adoptons une perspective empirique*. En effet, la source unique de toute intellection se trouve dans lintuition* sensible. Dun point de vue volutionniste, il est sans doute intressant que les animaux craignent lapparition dun objet quils ne peuvent reconnatre daucune faon. Un objet totalement inconnu est naturellement craint.
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  • 5 PICURE, 342-270, p.157 La connaissance libre de la crainte Celui qui ne connat pas fond la nature de l'univers, mais se contente de conjectures* mythologiques, ne pourra pas se dlivrer de la crainte qu'il prouve en face des choses les plus importantes, de sorte que sans l'tude de la nature il n'est pas possible d'avoir des plaisirs purs. Paroles d'picure n49, in Doctrines et Maximes Car ce qu'il nous faut dsormais pour la vie, ce ne sont pas des thories sans raison et des opinions vaines, c'est une doctrine qui nous permette de vivre sans trouble. Or, pour nous assurer une assiette inbranlable, il suffit d'expliquer toutes choses, en restant d'accord avec les phnomnes, par plusieurs hypothses galement possibles. Lettre Pythocls
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  • Texte : Nietzsche, Friedrich, 1888 Ramener quelque chose d'inconnu quelque chose de connu, cela soulage, rassure, satisfait, et procure en outre un sentiment de puissance. Avec l'inconnu, c'est le danger, l'inquitude, le souci qui apparaissent -- le premier mouvement instinctif vise liminer ces pnibles dispositions. Premier principe : n'importe quelle explication vaut mieux que pas d'explication du tout. Comme au fond il ne s'agit que d'un dsir de se dbarrasser d'explications angoissantes, on ne se montre pas trs exigeant sur les moyens de les chasser : la premire ide par laquelle l'inconnu se rvle connu fait tant de bien qu'on la tient pour vraie . La preuve du plaisir (ou de l'efficacit) comme critre de la vrit... Ainsi, l'instinct de causalit est provoqu et excit par le sentiment de crainte. Aussi souvent que possible le pourquoi ? ne doit pas tant donner la cause pour elle-mme qu'une certaine sorte de cause : une cause rassurante, qui dlivre et soulage. Que soit pos comme cause quelque chose de dj connu, vcu par l'exprience, inscrit dans la mmoire, c'est la premire consquence de ce besoin. Tout ce qui est nouveau, inou, inconnu, est exclu en tant que cause. Ainsi, on ne se contente pas de rechercher comme cause un certain genre d'explications, mais bien une catgorie soigneusement slectionne et privilgie d'explications, celles qui permettent d'liminer le plus vite et le plus frquemment le sentiment d'inconnu, de nouveau, d'inou : c'est--dire les explications les plus courantes... Consquence : un certain type d'explication causale l'emporte de plus en plus, se condense en systme, et finit par dominer tout fait, ou plutt par liminer, purement et simplement les autres causes et explications. Le banquier pense aussitt aux affaires , le chrtien au pch , la jeune fille son amour. Le Crpuscule des idoles, Les quatre grandes erreurs, 5, Gallimard, p. 5. 6
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  • 7 La connaissance entrane la dnomination Un objet que lon peut dsigner comme connu va tre nomm. Une connaissance trs imparfaite saccompagne de dsignations trs vagues : Cette chose, je lai dj vue mais je ne sais pas comment a sappelle , Cet homme, je le connais mais jai oubli son nom. Connatre cest pouvoir donner une tiquette, un nom et pouvoir le dfinir. Je le connais bien, cest Eugne, le comptable de la menuiserie. Ce champignon, cest un satyre puant, un champignon qui ressemble un zizi et qui pue en se dcomposant.
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  • 8 Stabilit de lobjet connu Cette reconnaissance, que je prsente comme la premire pierre de ldifice de la connaissance, requiert videmment une certaine stabilit de lobjet denqute. Je reconnatrai quelquun qui a chang de coupe de cheveux si et seulement si dautres traits sont rests identiques. Il faut bien que quelque chose soit reconnu ! Mieux : cest la reconnaissance de caractres persistants dans un objet qui nous permet den connatre le changement. Les philosophes de lAntiquit ont soulign limportance de ce problme pour la thorie de la connaissance. La condition pour que nous puissions recueillir quelques bribes de connaissances est quau milieu du flux perptuel du changement nous reconnaissions des lots de permanence.
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  • 9 Lidalisme platonicien Pour Platon, connatre cest contempler ce qui dans lobjet est immuable, ternel, fixe : lide de cet objet. Un livre sera toujours un livre -- mme quand ce livre que jobserve sera mort -- car tous les livres ne font que reproduire lide ternelle du livre. Platon sinsurge donc contre la philosophie dHraclite* (le premier philosophe qualifi dobscur) dont le mot dordre tait Tout coule. Si lunivers tait seulement impermanence, jamais nous naurions la possibilit den rien connatre.
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  • 10 Hraclite (VIe-Ve sicle) Magnard, p. 43. Hraclite (v. 540-v. 475 av. J.-C.), philosophe grec qui affirmait que le feu est la source primordiale de la matire et que l'Univers entier se trouve en continuel devenir. Il est n phse, ancienne cit grecque de l'Asie Mineure, situe dans la Turquie actuelle. En raison de sa vie solitaire et de sa philosophie absconse et misanthropique, on le nomma parfois l'Hraclite l'Obscur. On ne peut pas descendre deux fois dans le mme fleuve.
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  • 11 Quest-ce que cest ? La question premire, originelle devant tout objet non reconnu est : Quest-ce que cest ?. Elle est adresse lentourage par lenfant, qui souhaite que quelquun lui dise quil reconnat lobjet dsign et quventuellement il lui donne un nom. Une dfinition est une rponse la question Quest-ce que cest ? en mme temps quune cl pour une reconnaissance future dobjets semblables. La question premire engendre ainsi une action classificatoire qui est la premire construction de connaissances. Lobjet reconnu a des caractristiques communes avec des objets dj reconnus autrefois et ces caractristiques sont celles de la dfinition qui leur est commune. Mais si connatre cest dabord reconnatre ce qui est semblable, cest aussi, dans un deuxime temps, reconnatre les diffrences. Dans tous les cas, dfinir cest dire ce qui est essentiel, ce sans quoi lobjet ne serait pas ce quil est.
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  • 12 L'essence de l'homme selon Aristote Pour Aristote, la facult de connatre, lintellect, est lessence de lhomme. En cultivant son intellect, lhomme ralise ce quil est essentiellement et par l-mme il est heureux. L'activit de l'intellect l'emporte apparemment par son srieux, et ne tend aucune fin en dehors d'elle-mme ; elle semble aussi possder un plaisir achev qui lui est propre, et qui augmentera cette activit mme ; enfin, la suffisance soi- mme, le loisir et l'absence de fatigue qui sont accessibles un homme, ainsi que tous les autres caractres dont on fait le lot du bienheureux, se prsentent comme lis cette activit. Elle sera ds lors le bonheur achev de l'homme pourvu qu'elle remplisse la longueur acheve de la vie, car rien d'inachev ne compte parmi les lments du bonheur. (Suite in Magnard)
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  • 13 Savoir pour prvoir Pourtant la connaissance nest pas seulement un instrument qui loigne la peur et permet de vivre dans la srnit de la sagesse. Connatre permet de prvoir un effet. Bien connatre quelquun permet de savoir comment il ragira dans telles ou telles circonstances. Connatre une maladie cest aussi savoir comment elle va voluer. La connaissance est une saisie de ce qui reste invariant dans les changements, une familiarit avec la rptition des phnomnes.
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  • 14 COMTE, Des lois pour prvoir Sans doute, quand on envisage l'ensemble complet des travaux de tout genre de l'espce humaine, on doit concevoir l'tude de la nature comme destine fournir la vritable base rationnelle de l'action de l'homme sur la nature, puisque la connaissance des lois des phnomnes, dont le rsultat constant est de nous les faire prvoir, peut seule videmment nous conduire, dans la vie active, les modifier notre avantage les uns par les autres. Nos moyens naturels et directs pour agir sur les corps qui nous entourent sont extrmement faibles, et tout fait disproportionns nos besoins. Toutes les fois que nous parvenons exercer une grande action, c'est seulement parce que la connaissance des lois naturelles nous permet d'introduire, parmi les circonstances dtermines sous l'influence desquelles s'accomplissent les divers phnomnes, quelques lments modificateurs, qui, quelque faibles qu'ils soient en eux-mmes, suffisent, dans certains cas, pour faire tourner notre satisfaction les rsultats dfinitifs de l'ensemble des causes extrieures. En rsum, science, d'o prvoyance ; prvoyance, d'o action. Cours de philosophie positive, Volume 1, 1830 (Livre numrique Google)
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  • DESCARTES, Discours de la mthode, VI, 1637. Car elles (les notions de physique) m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir des connaissances qui soient fort utiles la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spculative*, qu'on enseigne dans les coles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers mtiers de nos artisans, nous les pourrions employer en mme faon tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme matres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement dsirer pour l'invention d'une infinit d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodits qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la sant, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car mme l'esprit dpend si fort du temprament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communment les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont t jusqu'ici, je crois que c'est dans la mdecine qu'on doit le chercher. 15
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  • 16 Prvision et vrit La connaissance rend possible la prvision qui son tour permet laction efficace sur le monde. Lorsque la prvision nest pas observe, la connaissance dont elle est tire est fausse. Une connaissance vraie permet de raliser des prvisions qui se vrifient par des observations. Ainsi, la vrit est la proprit des noncs qui donnent des informations sur ltat du monde pass, prsent ou futur. Un nonc ne peut tre vrai que sil peut tre test.
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  • 17 William JAMES, 1907* La vrit est un vnement qui se produit pour une ide. Celle-ci devient vraie ; elle est rendue vraie par certains faits. Elle acquiert sa vrit par un travail qu'elle effectue, par le travail qui consiste se vrifier elle-mme, qui a pour but et pour rsultat sa vrification. * In Magnard, p. 160. Ceci est une conception moderne de la vrit: si les thories ne correspondent pas aux faits, plutt que de nier les faits, il faut changer les thories.
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  • 18 Texte 26 : Galile, p. 180 Une vrification est dautant mieux possible quune connaissance est exprime en termes quantitatifs. La nature est descriptible en termes mathmatiques. (...) Galile : La philosophie est crite dans ce livre immense perptuellement ouvert devant nos yeux (je veux dire : l'Univers), mais on ne peut le comprendre si l'on n'apprend pas d'abord connatre la langue et les caractres dans lesquels il est crit. Il est crit en langue mathmatique et ses caractres sont des triangles, des cercles, et d'autres figures gomtriques sans l'intermdiaire desquelles il est humainement impossible d'en comprendre un seul mot.
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  • 19 Le positivisme, p.163. Texte 27 : Auguste COMTE, 1844. (...) L'esprit humain renonce dsormais aux recherches absolues qui ne concernaient que son enfance et circonscrit ses efforts dans le domaine, ds lors rapidement progressif, de la vritable observation, seule base possible des connaissances vraiment accessibles, sagement adaptes nos besoins rels. La logique spculative* avait jusqu'alors consist raisonner, d'une manire plus ou moins subtile, d'aprs des principes confus, qui, ne comportant aucune preuve suffisante, suscitaient toujours des dbats sans issue. Elle reconnat dsormais, comme rgle fondamentale, que toute proposition qui n'est pas strictement rductible la simple nonciation d'un fait, ou particulier ou gnral, ne peut offrir aucun sens rel et intelligible.
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  • 20 Dduction* et logique spculative* La science de lAntiquit et du Moyen-ge tait essentiellement dductive. A partir de la connaissance dune ide gnrale (lessence), on peut dduire des considrations particulires. Des dductions pratiques au dpart dune analyse conceptuelle imprudente permettent malheureusement lexercice de ce quAuguste Comte appelait, dans le texte prcdent, la logique spculative . Aristote, par exemple, convaincu que le poids est ce qui attire les corps vers la Terre, en dduit naturellement quun objet dun poids deux fois plus grand quun autre tombera au sol deux fois plus vite. Il faudra attendre que Galile ralise lexprience pour remettre en question cette dduction.
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  • Enfer et chaleur Un exemple amusant de logique spculative a circul rcemment sur Internet. Bien que son authenticit me paraisse suspecte, je vous le propose ici parce quil ma fait beaucoup rire ! (Merci mon ami Daniel Delalande davoir attir mon attention l-dessus.) 21 Voici la version d'une question "bonus" de chimie pose l'universit de Nanterre. La rponse d'un tudiant a t si loufoque que le professeur l'a partage avec ses collgues, via Internet, et c'est pourquoi vous avez le plaisir de la lire.... Question Bonus: l'enfer est-il exothermique 1 ou endothermique 2 (1 : vacue la chaleur, 2 : absorbe la chaleur) La plupart des tudiants ont exprim leur croyance en utilisant la loi de Boyle (si un gaz se dilate il se refroidit et inversement) ou ses variantes. Cependant, un tudiant eut la rponse suivante:
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  • La meilleure copie Premirement, nous avons besoin de connatre comment varie la masse de l'enfer avec le temps. Nous avons besoin de connatre quel taux les mes entrent et sortent de l'enfer. Je pense que nous pouvons assumer sans risque qu'une fois entres en enfer, les mes n'en ressortiront plus. Du coup aucune me ne sort. De mme pour le calcul du nombre d'entres des mes en enfer, nous devons regarder le fonctionnement des diffrentes religions qui existent de par le monde aujourd'hui. a plupart de ces religions affirment que si vous n'tes pas membre de leur religion, vous irez en enfer. Comme il existe plus d'une religion exprimant cette rgle, et comme les gens n'appartiennent pas plus d'une religion, nous pouvons projeter que toutes les mes vont en enfer... Maintenant, regardons la vitesse de changement de volume de l'enfer parce que la Loi de Boyle spcifie que pour que la pression et la temprature restent identiques en enfer, le volume de l'enfer doit se dilater proportionnellement l'entre des mes . Par consquent cela donne deux possibilits: 1) si l'enfer se dilate une moindre vitesse que l'entre des mes en enfer, alors la temprature et la pression en enfer augmenteront indfiniment jusqu' ce que l'enfer clate. 2) si l'enfer se dilate une vitesse suprieure la vitesse d'entre des mes en enfer, alors la temprature diminuera jusqu' ce que l'enfer gle. Laquelle choisir ? Si nous acceptons le postulat de ma camarade de classe Jessica m'ayant affirm durant ma premire anne d'tudiant Il fera froid en enfer avant que je couche avec toi , et en tenant compte du fait que j'ai couch avec elle la nuit dernire, alors l'hypothse 2 doit tre vraie. Ainsi, je suis sr que l'enfer est exothermique et a dj gel Le corollaire de cette thorie c'est que comme l'enfer a dj gel, il s'ensuit qu'il n'accepte plus aucune me et du coup qu'il n'existe plus... Laissant ainsi seul le Paradis, et prouvant l'existence d'un tre divin ce qui explique pourquoi, la nuit dernire, Jessica n'arrtait pas de crier "Oh....mon Dieu !...." (Cet tudiant est le seul ayant reu la note 20/20) 22
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  • Induction* La science moderne induit des hypothses (lois gnrales et thories) partir dobservations. Quand les hypothses sont formules, les scientifiques en dduisent des consquences observables qui doivent tre confrontes aux faits. 23
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  • 24 Texte 29 : Franois JACOB, 1979, p.163 Je crois que le cerveau humain a une exigence fondamentale : celle d'avoir une reprsentation unifie et cohrente du monde qui l'entoure, ainsi que des forces qui animent ce monde. Les mythes, comme les thories scientifiques, rpondent cette exigence humaine. Dans tous les cas, et contrairement ce qu'on pense souvent, il s'agit d'expliquer ce qu'on voit par ce qu'on ne voit pas, le monde visible par un monde invisible qui est toujours le produit de l'imagination. Par exemple, on peut regarder la foudre comme l'expression de la colre divine ou comme une diffrence de potentiel entre les nuages et la Terre ; on peut regarder une maladie comme le rsultat d'un sort jet une personne, ou comme le rsultat d'une infection virale, mais, dans tous les cas, ce qu'on invoque comme cause ou systme d'explication, ce sont des forces invisibles qui sont censes rgir le monde.
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  • 25 Texte 29 (suite). Par consquent, qu'il s'agisse d'un mythe ou d'une thorie scientifique, tout systme d'explication est le produit de l'imagination humaine. La grande diffrence entre mythe et thorie scientifique, c'est que le mythe se fige. Une fois imagin, il est considr comme la seule explication du monde possible. Tout ce qu'on rencontre comme vnement est interprt comme un signe qui confirme le mythe. Une thorie scientifique fonctionne de manire diffrente. Les scientifiques s'efforcent de confronter le produit de leur imagination (la thorie scientifique) avec la ralit , c'est--dire l'preuve des faits observables. De plus, ils ne se contentent pas de rcolter des signes de sa validit, ils s'efforcent d'en produire d'autres, plus prcis, en la soumettant l'exprimentation. Et les rsultats de celle-ci peuvent s'accorder ou non la thorie. Et si l'accord ne se fait pas, il faut jeter la thorie et en trouver une autre. Ainsi le propre d'une thorie scientifique est d'tre tout le temps modifie ou amende.
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  • Texte 30 : Karl Popper, la falsification A l'aide d'autres noncs pralablement accepts, l'on dduit de la thorie certains noncs singuliers que nous pouvons appeler prdictions et en particulier des prvisions que nous pouvons facilement contrler ou raliser. Parmi ces noncs l'on choisit ceux qui sont en contradiction avec elle. Nous essayons ensuite de prendre une dcision en faveur (ou l'encontre) de ces noncs dduits en les comparant aux rsultats des applications pratiques et des exprimentations. Si cette dcision est positive, c'est--dire si les conclusions singulires se rvlent acceptables, ou vrifies, la thorie a provisoirement russi son test : nous n'avons pas trouv de raisons de l'carter. Mais si la dcision est ngative ou, en d'autres termes, si, les conclusions ont t falsifies, cette falsification falsifie galement la thorie dont elle tait logiquement dduite. Il faudrait noter ici qu'une dcision ne peut soutenir la thorie que pour un temps car des dcisions ngatives peuvent toujours l'liminer ultrieurement. Tant qu'une thorie rsiste des tests systmatiques et rigoureux et qu'une autre ne la remplace pas avantageusement dans le cours de la progression scientifique, nous pouvons dire que cette thorie a fait ses preuves ou qu'elle est corrobore . Popper, K., La Logique de la dcouverte scientifique (1934), Paris, Ed. Payot, 1973, pp 29-30. 26
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  • 27 Science et fausse science Lexistence ou la non-existence de consquences observables est un des critres de dmarcation entre les sciences et les fausses sciences. Une thorie qui naurait aucune consquence observable nest pas testable et ne nous apprend effectivement rien sur le monde. Pouvez-vous formuler des ides (provenant de mythes, de religions, de campagnes de pub) qui sont prsentes comme vraies mais nont aucune consquence testable ?
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  • Texte : astrologie et homopathie, Sokal, Alan () des systmes de pense font croire en des thories ou des phnomnes que la science moderne rejette comme radicalement invraisemblables. Par exemple, que la trajectoire des plantes peut influencer le cours des vies humaines - au- del des effets physiques bien connus comme la trajectoire d'un astrode il y a 65 millions d'annes qui a vraisemblablement eu un effet profond sur la vie sur Terre -, que des substances dilues jusqu' ne plus laisser subsister la moindre molcule du remde peuvent nanmoins avoir des effets thrapeutiques, ou encore que prier distance pour des malades peut acclrer leur gurison. Parce que ces doctrines prtendent s'appuyer sur des faits dont chacun pourrait faire l'exprience, alors qu'il ne s'agit que de tmoignages douteux, on les appelle pseudosciences . Sokal, A., Pseudosciences et postmodernisme, Paris : Odile Jacob, 2005, p. 40. 28
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  • Texte : mdecines alternatives, Aulas, Jean-Jacques L'apport pistmologique de Karl Popper est inestimable. La pertinence de son critre de dmarcation ou de falsification permet un reprage simple des assertions pseudoscientifiques. Par exemple, l'nonc : Il existe dans cette pice un fantme qui se cache ds qu'on l'observe n'est pas un nonc scientifique, car il est impossible de le rfuter. Il s'agit d'un nonc pseudo- scientifique. En revanche, l'nonc : Il existe dans la pice o je vis une modification trs particulire de la loi de gravitation puisque lorsque je lche un objet, celui-ci, au lieu de tomber, monte en l'air , bien que fort curieux, est testable et donc du registre de l'investigation scientifique. 29
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  • 30 Ds lors, il est clair que les rats de la pense rationnelle l'origine des thorisations pseudo-scientifiques des mdecines alternatives recouvrent strictement les mmes phnomnes et les mmes mcanismes que ceux qui sont en jeu par exemple dans le domaine de la parapsychologie. Ainsi, la croyance l'effet pharmacodynamique des remdes homopathiques est strictement du mme ordre que la croyance aux fantmes et la croyance aux mridiens de l'acupuncture et aux changes nergtiques recouvre les mmes illusions que la croyance la transmission de pense. La plus grande illusion qui baigne le cerveau de nos pseudo- scientifiques parallles est celle qui a tay durant des sicles la pense scolastique moyengeuse : l'illusion du post hoc ergo propter hoc, formule qui signifie littralement aprs cela, donc cause de cela . AULAS, Jean-Jacques, LES MDECINES DOUCES, Des illusions qui gurissent, Paris : Odile Jacob, 1993, page 73 74.
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  • 31 Une double illusion La rflexion pistmologique conduit penser que seule la science nous permet dobtenir des connaissances relles autorisant des prdictions effectives. Elle peut galement nous prmunir dune double illusion : Laugmentation du savoir saccompagnerait dune diminution de lignorance. La science donnerait un sens la vie.
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  • 32 Le savoir engendre lignorance Lacquisition dune connaissance nouvelle signifie toujours ncessairement lapparition dun certain nombre de questions dont la formulation ntait pas possible auparavant. Ceci revient dire que laccroissement du savoir engendre invitablement un accroissement de linconnu. Ce dernier ne peut plus tre pens sur le modle dune peau de chagrin qui se rtrcirait chaque fois quun petit morceau en serait enlev. En rduisant lignorance dun ct, nous ltendons inexorablement dun autre ct.
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  • La science ne donne aucun sens nos vies Il nous faut aussi renoncer lillusion suivant laquelle la science donnerait un sens. Elle ne soccupe en effet ni des fins ni des valeurs. Elle ne dit pas ce que sont le bien et le mal. Elle ne nous console en aucune faon lorsque nous sommes dsesprs. Pour se rassurer, lhomme du XXIe sicle nest pas beaucoup mieux nanti que lhomme de lAntiquit : il doit lui aussi se tourner vers les religions et les mythes. Mais attention ! Richard Dawkins nous le rappelle dans le texte suivant ce nest pas parce que la science ne peut rpondre une question que la religion le peut. 33
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  • Texte : Science et Thologie, Dawkins, Richard. en croire un clich fastidieux (et qui la diffrence de beaucoup d'autres n'est mme pas vrai), la science s'occuperait du comment alors que seule la thologie aurait les moyens de rpondre au pourquoi. Au nom du ciel, que peut bien tre une question pourquoi ? Les phrases qui commencent par pourquoi ne sont pas toutes valables : pourquoi les licornes sont-elles creuses ? Et certaines questions ne mritent tout simplement pas de rponse : de quelle couleur est l'abstraction ? quelle est l'odeur de l'espoir ? Ce n'est pas parce qu'une question peut tre formule dans une phrase grammaticalement correcte qu'elle a un sens ou qu'elle mrite de retenir notre attention et d'tre prise au srieux. Et mme si c'est une vraie question, ce n'est pas parce que la science ne peut y rpondre que la religion le peut. 34
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  • Dawkins (suite) Peut-tre y a-t-il des questions vraiment profondes et senses qui chapperont toujours au domaine de la science. Peut-tre la thorie quantique frappe-t-elle dj la porte de l'insondable. Mais si la science ne peut rpondre telle question fondamentale, qu'est-ce qui donne penser que la religion puisse y rpondre ? J'ai ide que ni l'astronome de Cambridge, ni celui d'Oxford ne croient vraiment que les thologiens ont comptence rpondre des questions trop profondes pour la science. J'ai ide que ces deux astronomes se sont eux aussi efforcs d'tre polis : les thologiens n'ont rien d'intressant dire sur rien ; jetons-leur un os ronger, qu'ils se cassent les dents sur une ou deux questions auxquelles personne ne peut et ne pourra peut-tre jamais rpondre. la diffrence de mes amis astronomes, je ne pense pas qu'il soit mme ncessaire de leur donner un os ronger. Reste encore trouver une bonne raison pour supposer que la thologie ( la diffrence de l'histoire ou de la littrature bibliques) est le moins du monde un sujet d'tude. Dawkins, R., Pour en finir avec Dieu, Robert Laffont, Paris, 2008, pages 66 67. 35