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Raymond Aron La Communauté atlantique : 1949-1982 In: Politique étrangère N°4 - 1983 - 48e année pp. 827-839. Citer ce document / Cite this document : Aron Raymond. La Communauté atlantique : 1949-1982. In: Politique étrangère N°4 - 1983 - 48e année pp. 827-839. doi : 10.3406/polit.1983.5706 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1983_num_48_4_5706

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Raymond Aron

La Communauté atlantique : 1949-1982In: Politique étrangère N°4 - 1983 - 48e année pp. 827-839.

Citer ce document / Cite this document :

Aron Raymond. La Communauté atlantique : 1949-1982. In: Politique étrangère N°4 - 1983 - 48e année pp. 827-839.

doi : 10.3406/polit.1983.5706

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1983_num_48_4_5706

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POLITIQUE ÉTRANGÈRE I 827

Raymond ARON

LA COMMUNAUTÉ

ATLANTIQUE :

1949-1982

L'alliance de l'Atlantique Nord célébra en 1974 son vingt-cinquième anniversaire. Existera- t-elle encore le jour du cinquantième anniversaire pour célébrer ses noces d'or ?

Je ne me propose pas, dans cet article, de donner à cette question une réponse catégorique. Je m'en tiendrai à des considérations plus modestes. La communauté atlantique fut-elle une réalité, au lendemain de la dernière guerre ? Est-elle usée par le temps, menacée par l'éloignement progressif l'un de l'autre de l'Ancien Continent et du Nouveau Monde, le premier redevenu conscient de sa spécificité historique et le second lassé par son rôle impérial et incertain de sa mission ?

Gardons-nous, au point de départ, de succomber à la tentation des trop vieux ou des trop jeunes. Ne transfigurons pas la communauté atlantique telle qu'elle se forma d'elle-même à la fin des années 40. André Malraux, avec son goût des vastes perspectives historiques, élabora, en effet, de la communauté atlantique une théorie. Autour de l'Atlantique, comme autour de la Méditerranée dans le monde antique, une civilisation commune allait s'épanouir. Dans un autre article, il présenta les Etats-Unis en héritier de la culture européenne. En un sens, la civilisation commune, vision d'hier, est devenue réalité aujourd'hui. Les usines, les marchandises, les niveaux de vie, les jeans, les T-shirts se ressemblent bien plus aujourd'hui qu'au temps déjà lointain où l'Europe encore couverte de ruines appelait au secours la République américaine, riche et victorieuse. En fait d'économie, d'échanges commerciaux ou de mœurs, l'Atlantique ne sépare plus le petit cap de l'Asie où naquit la révolution industrielle du continent que peuplèrent des immigrés en quête de liberté ou attirés par des promesses de bonheur.

* Nous publions cet article, inédit en français, qui est sans doute le dernier à avoir été écrit sur ce thème par Raymond Aron. Nous remercions Atlantic Quaterly de nous avoir donné l'autorisation de faire paraître la version originale de ce texte.

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A travers l'histoire, la communauté de civilisation n'entraîna jamais l'alliance politique. Tout au contraire, les grandes guerres se livrèrent bien souvent à l'intérieur d'une zone de civilisation. Les Européens ne cessent d'affirmer que la guerre 1914-1918 fut une guerre civile. Formule que nous répétons presque tous, convaincus après coup que les enjeux des conflits entre les nations européennes ne justifiaient pas des torrents de haine et de sang. Ces nations s'étaient maintes fois combattues dans le passé sans renier après coup leurs victoires ou leurs combats. Le reniement s'explique par les conséquences d'une guerre hyperbolique. Les vainqueurs de 1914 ne parvinrent pas à maintenir une paix durable. La deuxième guerre fut gagnée par les Etats périphériques et la gloire de l'Europe à jamais éteinte.

Si l'Alliance atlantique fut scellée en 1949, ce n'est pas la communauté de civilisation qui en fut la cause majeure. Les Européens de l'Ouest choisirent, sans hésiter, le protecteur américain contre l'empire soviétique, pauvre, tyrannique, idéologique. Bien entendu, ce choix tenait aussi à la parenté des institutions politiques des deux côtés de l'Atlantique. Tous les signataires du Traité de 1949, à l'exception du Portugal, se gouvernaient selon des procédures démocratiques (élections libres, représentation, Etat de droit). Cette communauté politique subsiste aujourd'hui, elle n'avait pas suffi à retenir les Etats- Unis en Europe en 1919, elle n'aurait pas suffi davantage à les retenir en 1947 ou 1948 en l'absence de l'extension jusqu'au cœur du territoire allemand de régimes imités de celui de Moscou et soumis à lui.

Mieux vaut donc s'interroger sur les causes de l'Alliance atlantique et se demander si ces causes persistent ou non — quitte à revenir en conclusion sur les données de culture.

En 1948-1949, les hommes politiques, comme de coutume, marchaient vers l'avenir à reculons. Américains et Européens voulaient tirer la leçon de la paix manquée de Versailles, ils se souvenaient de l'abstention des Etats-Unis pendant les années décisives. Les Européens répétaient : nous ne voulons pas être libérés mais défendus. Les Américains avaient reconnu que la sauvegarde de l'Europe occidentale constituait pour eux un intérêt vital. L'Alliance allait pour ainsi dire de soi, dès lors que les uns et les autres estimaient qu'il existait un péril. A l'époque, ce péril semblait évident. Les troupes soviétiques occupaient l'Europe orientale, un fragment de l'ancien Reich inclus. Les Américains avaient démobilisé leur puissante armée. Les Soviétiques réussissaient, par intimidation, par infiltration, à parachever la soviétisation de la Tchécoslovaquie. Le Traité de l'Atlantique Nord consolidait, consacrait une situation de fait : les Etats-Unis toléraient la zone impériale de l'Union soviétique, ils lui faisaient savoir : pas plus loin.

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Une année plus tard, à la suite de l'agression nord-coréenne, l'Alliance se donna une organisation militaire à laquelle les Allemands furent invités à prendre part. Dix ans après la capitulation du IIP Reich, deux coalitions, deux armées se faisaient face, des deux côtés d'une ligne de séparation, les miradors aux frontières de l'Est allemand, devenu la RDA. On peut se demander si cette mobilisation aurait pu être évitée, mais cette interrogation rétrospective n'intéresse que les historiens. Pour la première fois une Alliance, en temps de paix, dispose d'un état-major intégré, avec un plan de campagne en fonction d'une seule menace, celle que crée, en apparence ou en réalité, l'armée soviétique massée en RDA.

La situation, en 1982, demeure-t-elle la même qu'en 1949 ou en 1955 ? Nous répondrons à la fois oui et non. Les changements sautent aux yeux. L'Europe occidentale, en dépit de la crise actuelle, possède les ressources nécessaires à sa défense — à l'exception des armements nucléaires. Ni la Grande-Bretagne ni la France, ensemble ou séparément, ne peuvent équilibrer l'appareil nucléaire de l'Union soviétique (à supposer qu'en ce domaine la notion d'équilibre ait un sens). L'Union soviétique, elle aussi, diffère en profondeur du pays victorieux mais exsangue qui faisait trembler le monde. A s'en tenir aux chiffres de l'IISS ' , elle entretient au centre de l'Europe une armée blindée, supérieure en nombre, aux armées, hétérogènes et coalisées, de l'OTAN. Sans l'armée américaine, l'infériorité de l'OTAN ne laisserait aucune chance aux Occidentaux en cas d'agression militaire directe venant de l'Est.

Cette situation qui dure depuis 1950 doit-elle être considérée comme normale ou anormale, passagère ou durable ? Durable à coup sûr puisqu'elle dure et que le mouvement en faveur du retrait des troupes américaines, stationnées en Europe, me paraît plus faible aujourd'hui qu'il y a quelques années. Le fameux amendement Mansfield n'est pas oublié mais ni les démocrates ni les républicains ne le reprennent pour l'instant. Or, à beaucoup d'égards, cette situation devrait passer pour anormale. Etant donné le rapport de forces économiques entre les Etats-Unis et l'Europe, l'Alliance atlantique devrait, sans disparaître, se réformer par une répartition différente des tâches et des charges.

En 1945, les Etats-Unis jouissaient d'une prééminence comparable à celle de la Grande-Bretagne un siècle plus tôt. Qu'il s'agisse de l'économie, des finances ou de la force militaire, ils occupaient la première place. Le marché financier américain surclassait tous les autres ; le PNB représentait encore 50 % du produit national de tous les pays en dehors de la zone soviétique. Ce pourcentage est tombé de 50 % à 30 %, il continuera de baisser et se situerait vers 20 %

1. International Institute of Strategic Studies, Londres.

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à la fin du siècle. Cet abaissement relatif n'implique pas décadence au sens péjoratif du mot ; il suppose cependant que l'économie américaine s'est développée plus lentement que celle d'autres pays. Là encore, une distinction ou une réserve s'impose. Les pays en voie de développement atteignent souvent des taux de croissance plus élevés que les pays déjà industrialisés. La croissance tient partiellement au transfert de la main-d'œuvre des emplois non productifs à des emplois plus productifs (par exemple, le transfert vers l'industrie de la main-d'œuvre paysanne excédentaire). Mais certains pays industrialisés, le Japon en particulier, continuent à progresser plus rapidement que les Etats-Unis et à défier l'industrie américaine dans des secteurs de pointe (électronique en particulier).

Au moment de la guerre de Corée, les Etats-Unis doublèrent leur budget militaire en quelques mois sans imposer des sacrifices à un quelconque groupe social de la population. R. Reagan, pour élever le budget militaire de 5 % à 6, puis 7 % du produit national, doit réduire les dépenses sociales, accepter des déficits budgétaires considérables. Les Etats-Unis demeurent le numéro un, le seul Etat qui possède à la fois l'espace, le nombre, la productivité du travail mais sa supériorité militaire sur son ennemi et sa supériorité économique sur ses alliés sont simultanément mises en question. Bien plus, il n'est pas inconcevable que l'effort militaire des Etats-Unis soit partiellement responsable du déclin économique. 28 % du total des dépenses de recherche et développement y sont consacrés aux armements. Le même pourcentage n'atteint que 7 % en Allemagne et 4 % au Japon. Quelle conclusion tirer de ces chiffres ? Une conclusion presque de bon sens. Les dirigeants de Washington, un jour ou l'autre, vont prendre conscience des dangers à moyen terme que comporte le rôle impérial joué par la République américaine. Celle-ci s'efforce, presque seule, d'endiguer l'expansion soviétique au Moyen-Orient ou en Asie. Les Européens, les Allemands en première ligne, se refusent à s'engager dans la politique mondiale. La chute du régime impérial en Iran, l'occupation soviétique de l'Afghanistan créent une menace sur le golfe Persique, donc sur le pétrole indispensable à l'Europe. Or celle-ci, à l'exception de la France peut-être, refuse de se soucier de cette menace. C'est aux Etats-Unis que revient la tâche d'organiser une force d'intervention, susceptible d'opérer rapidement sur le terrain. Les Européens, même s'ils en avaient le ferme propos, ne possèdent pas les moyens nécessaires pour remplacer les Américains : faute de bases, de porte-avions ils laissent à leur grand allié la responsabilité de protéger une zone plus vitale pour eux-mêmes que pour les Etats-Unis. Dans l'hémisphère occidental, le pétrole nécessaire à l'économie de l'Amérique du Nord ne manque pas. Il n'en va pas de même pour les Européens.

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Washington pourrait légitimement demander à ses partenaires un concours plus substantiel. Mais en quoi consisterait-il ? Sur le papier, dans l'abstrait, la réponse pourrait être simple : les Européens fournissent la plus grande partie des troupes, utilisant les seules armes conventionnelles, les Américains réduisent considérablement leur armée stationnée en République fédérale d'Allemagne, ils n'y laissent que des détachements qui symbolisent leur engagement et conservent le contrôle des armes nucléaires. Cette répartition du travail, si Ton peut dire, se heurte à des obstacles évidents : à supposer que l'OTAN maintienne la doctrine de la flexible response, à savoir le recours aux armes nucléaires tactiques au cas ou au moment où les armées occidentales risquent d'être débordées, comment restreindre à ce point l'armée américaine ? Pour que le président des Etats-Unis donne l'ordre ou l'autorisation d'employer les armes nucléaires, il faut bien qu'il soit informé, conseillé par le commandement américain d'opérations. Et comment celui-ci resterait-il le généralissime s'il n'avait sous ses ordres que des troupes non américaines ? Tant que la doctrine de l'OTAN prévoit un emploi mixte d'armes classiques et d'armes nucléaires, l'armée américaine peut être réduite d'une division ou deux. Elle ne peut pas être réduite aux dimensions de troupes chargées exclusivement des armes nucléaires sans changer radicalement de fonction. Et l'OTAN, elle aussi, devrait procéder à une révision déchirante.

Peut-être une issue s'ouvre-t-elle grâce à la doctrine du no first use. Les Occidentaux déclareraient solennellement qu'ils n'useraient pas les premiers des armes nucléaires. Simultanément, les Européens prendraient en commun la décision de mettre sur pied des armées qui, ensemble, feraient équilibre sinon à la totalité des armées soviétiques, du moins aux forces massées en RDA. Un renforcement soudain de ces forces enverrait pour ainsi dire un message d'alerte. Européens et Américains répliqueraient par des mesures comparables. L'alliance transatlantique jouerait.

La place me manque pour discuter à fond la doctrine de no first use. A court terme, dans le contexte actuel, elle ne favorise pas le dialogue raisonnable entre Européens et Américains. Les premiers interprètent cette révision stratégique comme l'aveu que, désormais vulnérables, les Etats-Unis ne peuvent ni ne veulent prendre des décisions qui transformeraient leur pays en zone de guerre ou de destruction. Aveu au reste compréhensible : quel président appuierait sur le bouton qui projeterait un missile stratégique sur une ville soviétique sachant qu'une ville américaine subirait le même sort ?

Les dirigeants français, eux, affirment qu'ils n'hésiteraient pas à le faire si leur territoire « sanctuarisé » était attaqué. Nul ne sait si ces hommes agiraient comme ils affirment aujourd'hui qu'ils le feraient si la dissuasion avait échoué. Le cas de l'Amérique est singulier :

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elle n'a pas de frontière terrestre avec son ennemi potentiel. Son territoire ne peut être attaqué que par des armes qui franchissent les airs ou les mers. La dissuasion d'une agression venant d'un pays lointain ne prête guère au doute. Ce qui rend la dissuasion française incertaine, c'est que les théoriciens supposent que, attaqué par des troupes classiques, le président de la République n'hésiterait pas à risquer la survie de la nation elle-même.

Il ne dépend pas des dirigeants de Washington que la géopolitique favorise leur pays et défavorise leurs alliés. Ces derniers peuvent espérer que la menace de représailles dissuade l'ennemi d'une agression nucléaire. Mais doivent-ils miser sur la menace d'une réplique nucléaire pour dissuader une attaque menée avec des armes classiques ? Quel que soit le langage du président des Etats-Unis, les hommes du Kremlin ne seront nullement certains qu'il ordonnera le franchissement du seuil nucléaire.

Pour l'instant, l'Administration Reagan n'a nullement adopté la doctrine du no first use. Mais la campagne en faveur de cette formule pourrait bien se prolonger et s'amplifier. Pour deux raisons, l'une et l'autre valable : toute arme nucléaire, qu'elle soit tactique ou stratégique, est horrible ; n'importe laquelle explosant en Europe occidentale, où vivent tant de millions d'hommes sur un espace étroit, provoquerait ou risquerait de provoquer une sorte de panique. L'explosion d'une bombe nucléaire n'implique pas l'ascension aux extrêmes, mais nul ne sait à quel point s'arrêtera l'escalade. De plus, les Américains ont un intérêt national et légitime que des hostilités en Europe ne s'étendent pas jusqu'à leur propre territoire. En retour, les Européens craignent que, la menace nucléaire étant éliminée, une grande guerre classique redevienne possible — guerre moins catastrophique qu'une guerre nucléaire mais dont les Européens subiraient seuls les ravages.

La tension entre les Américains et les Européens est aggravée à la fois par la répartition des charges que les premiers jugent inéquitable et par la répartition des périls que les seconds jugent également inéquitable. Les Européens devraient payer davantage pour leur défense mais ils redoutent presque également une guerre nucléaire limitée et une grave guerre classique en Europe. La cause de ces « malentendus transatlantiques » n'a rien à voir avec l'érosion de la communauté atlantique. Elle tient à l'abaissement relatif des Etats- Unis et la difficulté de maintenir une organisation créée à une époque où la République américaine surclasserait tout à la fois son ennemi et ses alliés. Parce qu'elle ne surclasse plus son ennemi, ses alliés n'ont plus la même confiance en elle. Parce qu'elle ne surclasse pas, économiquement, nos alliés, elle supporte mal la lourdeur de la charge qu'elle porte bien que ces considérations demeurent provisoirement étrangères à l'équipe Reagan. Dans ce contexte, l'affaire du

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gazoduc révèle un autre dissentiment tout aussi profond. Pour le résumer d'un mot de Kissinger : à la longue, les Européens peuvent- ils se réserver le monopole de la détente en laissant aux Etats-Unis les obligations de l'endiguement ?

La formule de Kissinger traduit une des singularités de la conjoncture actuelle. A la fin des années 40, c'était l'Europe occidentale qui se sentait menacée et demandait à Washington une promesse formelle de participation à la défense contre toute agression venant de l'Est. Aujourd'hui, tout se passe comme si les Européens craignaient la protection américaine. Le refus des Pershing II n'implique pas le refus des Gis mais il révèle un état d'esprit. Le changement de l'état d'esprit s'explique peut-être par la modification du rapport des forces, il tient aussi à la coexistence pacifique qui s'est établie dans le Vieux Continent et qui apparaît aux Européens de l'Ouest comme normale alors que le partage de l'Allemagne passait, il y a trente-cinq ans, pour scandaleux et celui de Berlin, il y a vingt ans, pour infâme. On s'habitue à tout, y compris au mur de la honte.

Mais pendant les années de détente entre Moscou et Washington, même lorsque H. Kissinger flirtait avec le condominium, les relations commerciales entre les Etats-Unis et l'Union soviétique ne se développèrent que très lentement. Vente de matières premières d'un côté, vente de céréales de l'autre, tels étaient et sont les postes les plus frappants de ces échanges dont la valeur, pour l'un et l'autre, demeure minime, inférieure à 1 % des importations ou exportations de l'un ou de l'autre. Probablement la valeur globale des échanges sous-estime-t-elle leur importance pour tous les deux : les Soviétiques achètent aux Etats-Unis les techniques de pointe qu'ils ne trouvent pas en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France, cependant que les fermiers du Middle West ne trouveraient pas ailleurs un autre acheteur de quelques dizaines de millions de tonnes de céréales. L'embargo mis par J. Carter à la vente de certaines techniques pétrolières et de céréales mettait en lumière l'originalité de ce commerce, non sans signification pour tous deux en dépit de la modicité des montants financiers en cause.

Pourquoi les Soviétiques ont-ils préféré le commerce avec l'Europe occidentale au commerce avec les Etats-Unis ? Il n'est pas nécessaire d'imaginer des arrière-pensées machiavéliques et un plan géostratégique. Les Soviétiques gardent pour la technique allemande le respect que Lénine et ses compagnons éprouvaient pour le pays de Karl Marx, de la grande social-démocratie et de l'économie planifiée de guerre. La République fédérale poursuit une tradition d'expansion vers l'Est, économique et commerciale dans les périodes de paix. De plus, la RFA accorde à la RDA des conditions exceptionnelles : l'ouverture de ses frontières aux produits de l'autre Allemagne, un crédit annuel. De plus et surtout, la diplomatie gaullienne de rapprochement avec

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Moscou, YOstpolitik de W. Brandt s'exprimèrent, de manière toute naturelle, en accords commerciaux. Tous les pays européens rivalisèrent pour obtenir des commandes, ils accordèrent tous des taux d'intérêt normalement réservés aux pays en voie de développement. Certains d'entre eux livrèrent des usines clefs en main, l'usine étant payée par des produits sortis de l'usine elle-même, construite sur des crédits et par des ingénieurs de France ou d'Allemagne. (Parfois, comme dans le cas de l'hôtel édifié par une firme française, à Moscou, même les ouvriers étaient importés). Certains de ces échanges — construire une usine d'aluminium qui sera remboursée en aluminium — me paraissent le comble de l'aberration capitaliste sur laquelle Lénine misait pour l'accomplissement de ses ambitions.

Le commerce Est-Ouest, entre les deux parties de l'Europe, demeure marginal. Le montant annuel des exportations françaises à destination de l'Union soviétique atteint à peine la moitié du déficit mensuel (une douzaine de milliards de francs) du commerce extérieur à l'été et l'automne de cette année (1982). Même pour la RFA l'ensemble de l'Europe soviétique ne constitue pas un débouché ou un fournisseur de première catégorie. Mais, en période de récession, les clients qui, globalement, absorbent 4 ou 5 % des ventes totales au dehors méritent d'être pris au sérieux. La nature des marchandises vendues à l'Union soviétique — les biens de production, les usines clefs en main — intéressent la grande industrie.

Il fut un temps où les échanges Est-Ouest furent transfigurés par un livre à succès Les armes de la paix2 mais aussi par l'illusion des hommes politiques. Les idées occidentales traverseraient le rideau de fer en même temps que les marchandises. La société soviétique s'adapterait à la technique occidentale et l'adaptation à la technique entraînerait une conversion des esprits et des institutions. Nous savons désormais que les hommes et les machines sont isolés de la société soviétique — isolement à beaucoup d'égards défavorable à l'efficacité du système mais efficace contre la corruption occidentale.

Il reste donc un problème limité mais sérieux : les Occidentaux donnent-ils aux Soviétiques plus qu'ils n'en reçoivent ? Les échanges Est-Ouest sont-ils un marché de dupes ? Sont-ils une partie intégrante de la détente ? Permettent-ils aux Soviétiques de maintenir un énorme budget militaire, donc d'accroître le péril militaire ? Les Européens financent-ils le budget de défense de l'Union soviétique en même temps que le leur ? Ces questions, quelques Européens les posent depuis des années. Les Américains les posent à leur tour avec une insistance accrue, en raison du gazoduc.

Je ne me propose pas d'établir le bilan des profits et pertes des échanges Est-Ouest. Cette étude qui porte sur ce qui est et non

2. Samuel Pisar, Denoël, Paris, 1970.

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sur ce qui pourrait être prend pour prémisse que les Européens de l'Ouest ne renonceront pas au commerce avec le monde soviétique pour un ensemble de raisons économiques et politiques. Dans l'esprit des gouvernants et des peuples, ces échanges ne se séparent pas de la détente, quel que soit le sens exact de ce mot. Et l'on ne méprise pas les commandes aux usines dans une pareille période. La discussion porte seulement sur les modalités et l'ampleur.

La construction du gazoduc aurait pu choquer les esprits. Un conduit de milliers de kilomètres, qui amène du gaz naturel jusqu'à l'extrême Occident de l'Europe, évoque les grands travaux soviétiques du stalinisme, le canal du Don auquel travaillèrent des milliers de concentrationnaires. Les Européens perdent-ils leur sens et leur âme quand ils financent eux-mêmes les modernes pyramides ? En dehors de cet argument politico-moral, deux arguments peuvent être avancés contre l'entreprise : les Européens dépendront, pour leur ravitaillement en énergie, de la bonne volonté des Soviétiques qui, selon leur humeur et les épisodes diplomatiques, ouvriront et fermeront les robinets ; ils mettent à la disposition des Soviétiques un montant annuel de devises qui doublera environ le total de devises que leur rapportent leurs ventes aux Occidentaux.

Les Américains, à mes yeux, exagèrent le premier péril. Si les Soviétiques trouvent intérêt à ces échanges, Est-Ouest, ils n'utiliseront pas sans motif impératif un moyen de pression en tant que tel limité. Même la RFA ne dépendra que pour 30 % de son ravitaillement en gaz, celui-ci ne fournissant qu'environ un quart du total de l'énergie utilisée par le pays. La deuxième objection me paraît plus forte. Indirectement, le gazoduc, en assurant à l'Union soviétique des ressources massivement accrues en devises étrangères, donnera au commerce Est-Ouest une impulsion nouvelle.

La querelle du gazoduc aboutira à un compromis dont les grandes lignes s'esquissent. Les taux des crédits accordés à l'URSS seront relevés ; le contrôle sur les ventes de techniques de pointe susceptibles de contribuer à la puissance militaire de l'URSS sera renforcé. Peut-être les Européens ne participeront-ils pas à la construction du deuxième gazoduc. Mais ces épisodes d'actualité ne doivent pas nous retenir. L'Alliance atlantique peut-elle subsister si la conception du monde et l'attitude à l'égard de l'Union soviétique diffèrent radicalement à Washington et à Bonn ?

Je mentionne volontairement les deux capitales qui constituaient les deux piliers de l'Alliance et dont le désaccord précipiterait l'effondrement de l'édifice diplomatique, construit entre 1947 et 1955. Le plan Marshall avait été la première étape de la réintégration de l'Allemagne occidentale dans l'Occident. L'Alliance atlantique créa le cadre dans lequel le réarmement de l'Allemagne devint acceptable à la France. Quand cette dernière sortit du commandement intégré de l'OTAN,

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le centre de gravité de l'Alliance se déplaça. Les alliés de la dernière guerre sur le continent ne furent plus les partenaires privilégiés des Etats-Unis, c'est à la RFA que revient tout naturellement ce rôle. Elle fournit les contingents les plus nombreux, l'armée la mieux armée et la mieux entraînée ; elle se trouve en première ligne, elle tient le front en cas d'hostilités. Certes, le retrait de la France du commandement unifié complique en temps de paix les tâches de la logistique. De la frontière de la RFA jusqu'à la côte atlantique, l'espace, pour des armées modernes, manque d'ampleur. Si les troupes de l'OTAN ne peuvent pas user de l'espace français, elles sont condamnées à jouer le sort de la guerre sur la seule bataille de l'avant. A cet égard, la France demeure une pièce majeure de l'ensemble occidental. Une France qui glisserait au neutralisme ou à la démocratie populaire porterait probablement un coup mortel à l'Alliance, mais il en va de même du glissement éventuel de la RFA au neutralisme. L'Allemagne d'Helmut Schmidt ne se laissait pas tenter par le neutralisme. Le Chancelier, qui, déserté par les libéraux, se retira à l'automne de 1982, tint tête à la gauche de son parti. Quel que soit le résultat des élections, les partisans de l'Alliance atlantique l'emporteront de loin sur ceux que l'on appelle les « verts » ou les « alternatifs », ceux qui s'opposent au système globalement, écologistes ou pacifistes. Je ne pense pas que le danger vienne d'eux, bien que leur succès relatif révèle au moins une tendance de l'opinion publique. Le fait majeur, c'est que la RFA a repris conscience d'elle-même, en tant qu'Allemagne mutilée, fragment d'un peuple allemand auquel les conséquences de la dernière guerre interdisent de déterminer lui-même son destin.

Il y a trente-deux ans, je donnai à l'université de Francfort un discours Rede an die deutschen Studenten dans lequel je développai une thèse pas encore unanimement acceptée à l'époque : la division de l'Allemagne est tout à la fois le symbole et la consécration de la division de l'Europe entière. Elle durera aussi longtemps que celle du Continent lui-même. Dans une Europe dont chacune des moitiés se trouve sous la domination ou l'influence d'un des deux supergrands, aucun de ces derniers ne tolérerait que l'Allemagne entière passât dans le camp de l'autre. L'Allemagne pourrait-elle être entre les deux, unie et neutre ? J'excluai cette hypothèse en ce temps déjà lointain : puisque cette Allemagne, par hypothèse unie, se gouvernera ou bien selon les procédures démocratiques ou bien selon les procédures soviétiques, elle ne sera pas neutre, elle sera idéo- logiquement d'un côté ou de l'autre. Les Soviétiques, il est vrai, ont accepté une Autriche démocratique et neutre. Mais, par sa puissance économique, par ses virtualités militaires, l'Allemagne n'appartient pas à la même catégorie que l'Autriche. Ce qui est concédé à l'un ne sera pas concédé à l'autre.

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HOMMAGE À R. ARON / 837

Le lendemain de mon discours, la Frankfurter Allgemeine Zeitung commenta mes propos et fît observer que je pensais à tort que les Allemands de l'Ouest rêvaient chaque jour de la réunification et de leurs frères de l'autre côté de la ligne de séparation. L'Allemagne d'Adenauer, toute neuve, à peine sortie de la nuit, se consacrait à sa propre résurrection — acceptant, sans mauvaise conscience d'abandonner ses frères du mauvais côté. Si je donnais aujourd'hui une conférence de même ton, la réaction des auditeurs et de la presse trancherait sur celle de la Frankfurter. Allgemeine Zeitung de 1950. Pour le moins discuterait-elle le ton catégorique de mes analyses, la fatalité du partage aussi durable que l'empire soviétique en Europe.

Certes, les commentateurs me concéderaient que, dans l'avenir prévisible, il est improbable que Pankov et Bonn disparaissent au profit d'un Berlin capitale réunifiée. Mais la télévision de l'Ouest s'offre aux regards des Allemands de l'Est. Les conditions de visite à l'Est, pour les Allemands de l'Ouest, se sont améliorées. La séparation étatique subsiste, la distance morale entre les deux morceaux du peuple allemand s'est rétrécie. A Y Ostpolitik de Brandt, les dirigeants de la RDA avaient répliqué verbalement par YAbgrenzung, ce qui suggère le renforcement de la frontière. A cet égard, ils ont, me semble-t-il, échoué plutôt que réussi. Les deux Allemagnes n'ont pas d'illusion sur la réunification à court terme mais le chancelier de la RFA, quel qu'il soit, ne remettra pas en question les conséquences de Y Ostpolitik.

Les conséquences les moins discutables sont d'ordre humain : retour d'Allemands des pays de l'Est, réunions de familles, communication entre les deux populations. Les échanges économiques, qui, de Washington, apparaissent comme des contributions à l'effort soviétique du surarmement, font partie, vus de Bonn, du rapprochement progressif de deux morceaux d'un seul tout, artificiellement séparés. Ou, pour mieux dire, ils font partie d'une politique à long terme qui, à court terme, rend moins intolérable la condition des Allemands.

Les dirigeants de Washington comprendront-ils et accepteront-ils une Allemagne dont l'intérêt national — de bonnes relations avec Moscou — ne s'accorde pas de lui-même avec l'intérêt national des Etats- Unis ? Ceux-ci continueront-ils à maintenir une armée en Europe alors que cette dernière aide l'Union soviétique à poursuivre son effort de surarmement ? Ces questions nous rappellent le problème formulé au point de départ. Si nous définissons communauté une nation ou un ensemble de pays, dont les cultures, au sens des ethnologues, appartiennent à la même famille, Européens et Américains constituent aujourd'hui une communauté tout autant, ni plus ni moins, que dans les années 40. Ou plutôt plus en un sens, moins en un autre. Plus au sens que j'ai indiqué au début de cet article :

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838 I POLITIQUE ÉTRANGÈRE

la prospérité européenne, en dépit de la crise, rapproche à bien des égards le mode de vie, les coutumes, les loisirs, les modes d'un côté et de l'autre de l'Atlantique. Les révoltes d'étudiants partirent de Berkeley et atteignirent l'Université libre de Berlin, au milieu de la RDA. Elles avaient éclaté au Japon, de l'autre côté du Pacifique.

Moins en un autre sens : ce qui a changé, c'est la conscience nationale, c'est la représentation politique du monde. Il y a trente ans les Européens, désarmés, craignaient la ruée des cohortes soviétiques et soutenaient — en majorité — l'intervention américaine en Corée. Ils trouvaient dans les décisions prises par Truman la confirmation de la valeur de la garantie donnée par l'Alliance atlantique. Comme me le dit Acheson, dans une conversation de 1950, c'est l'Alliance atlantique que nous sauvons à Séoul. Déjà au cours de la guerre du Vietnam, les Européens refusèrent d'interpréter le combat des Américains comme une application légitime de la politique d'endi- guement. A s'en tenir à leurs propos, ils jugeaient injustifié ou immoral l'appui donné par le corps expéditionnaire américain au gouvernement de Saigon. Mais ces arguments, avancés souvent avec sincérité, dévoilaient déjà l'état d'esprit, en profondeur, de la majorité des Européens, y compris des hommes d'Etat qui se croyaient obligés, à Bonn en particulier, de se déclarer solidaires de la République américaine. Ces Occidentaux ont consigné sur le papier l'acceptation des conséquences de la dernière guerre, du statut territorial imposé par le mouvement des armées. Les Européens ne veulent plus que la coexistence pacifique, leur détente, soit compromise, par des conflits lointains qui les concernent mais qu'ils se refusent à considérer comme tels. Les Européens se soucient de leurs intérêts régionaux, peu de l'intérêt mondial des Etats-Unis.

L'érosion de la communauté Europe-Etats-Unis n'a d'autre sens que celui-ci : l'Europe souhaite la présence américaine pour sa sécurité, pour traiter avec l'Union soviétique sur un pied d'égalité ; elle ne souhaite pas que les tensions entre les deux Grands se répercutent sur les rapports entre les deux blocs européens. Les gouvernants de Bonn, en dépit d'une opposition plus bruyante que nombreuse, veulent aussi la garantie américaine sans offrir une contrepartie en retour dans le reste du monde. Faut-il dire que les Allemands méconnaissent le défi soviétique ou qu'ils se refusent à regarder au- delà des limites du petit cap de l'Asie ? Peu importe : la question subsiste. L'opinion américaine soutiendra-t-elle une alliance dans laquelle la République donne plus qu'elle ne reçoit ? Si les Européens sont à ce point rassurés sur les intentions des Soviétiques auxquels ils prodiguent crédits et technologie, pourquoi payer le coût des centaines de milliers de Gis à quelques milliers de kilomètres de leur patrie ?

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HOMMAGE À R. ARON I 839

En même temps, le centre de gravité de la politique américaine tend à se déplacer. Avec Jimmy Carter sont venus les Géorgiens que les diplomates européens avaient peine à connaître et moins encore à reconnaître en dignes conseillers de l'homme le plus puissant du monde, R. Reagan amène avec lui ses Californiens, très éloignés du Vieux Continent. L'Alliance fut conclue à l'époque de la diplomatie du bipartisme, inspirée par Y Establishment de la côte Est. Cet Establishment s'est suicidé lui-même dans la crise du Vietnam. Responsable de l'engagement, il rejeta sur les républicains et R. Nixon une responsabilité dont ils devaient assumer une part. Du coup, la diplomatie de Washington est devenue moins prévisible. Jimmy Carter fut élu en promettant une diminution du budget militaire, R. Reagan en promettant un réarmement massif. Quel sera le programme du prochain et les Européens peuvent-ils s'accorder toujours avec des mots d'ordre contradictoires ?