florilege 147

52
1 FLORILEGE 147 juin 2012 Revue trimestrielle de création littéraire et artistique réalisée avec le soutien d’AG2R- LA MONDIALE Chaque époque a son art, l’art a la liberté - Gustav KLIMT

Upload: levenard-jean-michel

Post on 09-Mar-2016

240 views

Category:

Documents


4 download

DESCRIPTION

revue trimestrielle de création littéraire et artistique. Mois de juin 2012. Dessins de Marie-Odile VALERY.

TRANSCRIPT

Page 1: FLORILEGE 147

1

FLORILEGE 147 juin 2012

Revue trimestrielle de création littéraire et artistique

réalisée avec le soutien d’AG2R- LA MONDIALE

Chaque époque a son art, l’art a la liberté - Gustav KLIMT

Page 2: FLORILEGE 147

2

FLORILEGE est éditée par

l’Association Les Poètes de

l’Amitié

ABONNEMENT ( 1an - 4 N°) :

France : 28 Euros

Etranger : 40 Euros

Association Les Poètes de

l’Amitié

Présidents d’Honneur :

Maurice CARÊME

Jean FERRAT

Comité d’Honneur :

Lucien GRIVEL

Marie-Luce BETTOSINI

Cécile POIGNANT

Paulette-Jean SERRY

Monique et Yvan AVENA

Conseil d’Administration :

Président

Stephen BLANCHARD

Membres :

Christian AMSTATT

Yolaine BLANCHARD

Agnès FRANÇOIS

K.J.DJII

Annick GEORGETTE

Marie-Claude LEFEVRE

Jean-Michel LEVENARD

Marie-Pierre VERJAT-DROIT

Cotisation 2012 à l’Association :

Actif : 21 Euros

Bienfaiteurs : 210 Euros

Forfait Abonnement +

Cotisation (uniquement pour une

adresse en France) : 42 Euros

D.L. 2° trimestre 2012

Imprimerie ABRAX

21800 QUETIGNY

Editorial

Les rencontres poétiques de Bourgogne, 23ièmes du

nom, se dérouleront les 24, 26, 27 et 28 octobre à Beaune.

Nous souhaitons leur donner un caractère

participatif plus renforcé encore en insistant sur l’aspect

d’échanges entre les auteurs, revuistes, éditeurs présents

lors de débats largement ouverts sur les expériences de

chacun.

En outre, nous élargirons la démarche qui consiste

à aller vers le public en essaimant par petits groupes dans

divers lieux de la ville pour dire la poésie comme une

parole commune et quotidienne.

L’invité d’honneur de cette édition est le chanteur

Bernard Sauvat que certains d’entre vous ont pu

apercevoir il y a deux ans. Il revient pour un récital

complet qui permettra de faire connaissance avec la

plénitude d’un artiste soucieux de langage.

Plus d’information en contactant Mady Vernay (31

rue du faubourg st Martin – 21200 Beaune ou

[email protected])

Pour l’équipe de FLORILEGE

Jean-Michel Lévenard

Directeur de la publication : Stephen BLANCHARD

Comité de lecture – Rédaction : Annie RAYNAL,

Marie-Pierre VERJAT-DROIT, K.J.DJII, Marie-

Claude LEFEVRE, Jean-Michel LEVENARD

Pour toute correspondance concernant la revue :

(vos suggestions, remarques, coups de cœur, coups de

gueule, propositions de participation) :

Jean-Michel Lévenard – 25 rue Rimbaud – 21000 Dijon

ou e-mail : [email protected]

Concernant l’Association :

Stephen Blanchard – 19 allée du Mâconnais – 21000

Dijon.

Exonérée de T.V.A. – Prix : 8 Euros

C.P.P.A.P. : 0611 G 88402 - I.S.S.N. : 01840444

Visitez le site DES PASSANTES

http://des-passantes/over-blog.com/

Page 3: FLORILEGE 147

3

NO

TE

S D

E L

EC

TU

RE

SOMMAIRE N° 147 Juin 2012

CREATIONS

avec des dessins de Marie-Odile VALLERY p.4 Kéva APOSTOLOVA : 6 poèmes

p.5 Martine SANSNOM : 2 poèmes

p.6 Nicole PIQUET-LEGALL : 5 poèmes

p.8 Nicole HARDOUIN : 2 poèmes

p. 9 Adelina LENOIR-CICAICI : Pensées dans le miroir de la Grèce (poèmes)

p.10 Sabine AUSSENAC : 5 poèmes

p.12 Alain BERNIER et Roger MARIDAT : Compte et comptes (nouvelle)

p.15 Eric SAVINA : 2 courtes proses

p.15 Mathieu COUTISSE : Balade dominicale

p. 16 Cédric SCHENONE : 4 poèmes

p.18 Anne-Marie TEYSSEIRE : Celui-là (Prix du concours de la nouvelle)

p.20 Gérard MILLOTTE : Flashes en lisières

CHRONIQUES p.21 La Chronique huronnique de Louis LEFEBVRE

p.24 A ses enfants hors-la-loi, la littérature reconnaissante, par Jean CLAVAL : Denis

Diderot (1713-1784), Les Bijoux indiscrets (1748)

p.26 Faut vous faire un dessin ? par TOM

p.28 Maurice Blanchard, l’enfant sauvage de Montdidier, par Jean-Hugues

MALINEAU

p.31 Poésie espagnole contemporaine « El Grupo Cero -Madrid», par Clémence LOONIS

p.35 De la musique avant toute chose, par K.J.DJII : Tom JOBIM

p.37 Do Brasil par Yvan AVENA: Elizabeth Caldeira Brito

PASSE A TON VOISIN p.39 Christelle THEBAULT - Nouvelles : A l’ombre des grands bois, Annick DEMOUZON,

Prix Prométhée 2012 de l’Atelier Imaginaire

p. 40 Christian AMSTATT - Poésie : Le cri du regard, Jane PERRIN ; Le Grand Jeu 1 et 2,

Laurent Bayart

p 41 ; Louis DELORME - Poésie : Ciels de Vie, Claude MERE ; Le Ciel dans la rivière,

Annie LASSANSAA ; Escarbilles et Villégiatures, Jacques CANUT ; Recueil Poétique,

Marie-Annick FAYDI ; Le Bouquet d’Aurélie, Aurélie de la SELLE, Guillaume

SABRAN – Revues : Rose des Temps ; Inédit Nouveau p.46 Stephen BLANCHARD – Chanson : L’âme de Paris , Pierre MEIGE

p.47 Jean-Michel LEVENARD - Nouvelles : Nouvelles à chuchoter au crépuscule, Lucette

DESVIGNES - Roman : Les larmes d’Amélie, Christian AMSTATT (p.25)

p.47 Revue des revues par K.J.DJII : la revue Pages Insulaires

p.49 Cinéma de quartier, par Bertrand PORCHEROT : Détective Dee : Le mystère de la flamme

fantôme

P.50 L’Agenda des Poètes de l’Amitié

p.51 La Page des adhérents

p.52 Le Prix d’Edition poétique de la Ville de Dijon : Sous la lune Et autres saisons, de Jean-

François FORESTIER, présentation par Christian AMSTATT

Page 4: FLORILEGE 147

4

Kéva APOSTOLOVA

Je m’accompagne

comme l’ombre

de l’eau.

Un rayon de soleil

console mon visage :

je vis en viager.

Je tais ma vie

devant l’univers silencieux.

L’œuf est un oiseau

avant l’oiseau.

Le soleil

Ce soleil non vérifié à la main

L’excuse facile de certains

devant les vivants pour la vie elle-même ?

L’avenir a-t-il un avenir ?

Le ciel

vit sa vie.

Qui distribue

l’avenir ?

Je me fais du souci

après un crime non accompli.

Pour me sauver

je saute rapidement

dans les bras les plus proches :

les miens.

Kéva Apostolova, née en 1946 en Bulgarie, est rédacteur en chef de la revue Théâtre à Sofia. Auteur de nombreux recueils de

poésie, publiés en Hongrie, Pologne, Russie… et de pièces de théâtredont certaines ont été présentées sur scène à New-York

et Istambul. Traduction du bulgare par Anélia Véléva.

Page 5: FLORILEGE 147

5

Martine SANSNOM

Mont-Saint-Guibert

Ce dimanche a détruit mon château du bonheur.

De la rivière ondoie au bord de mes paupières.

Je marche, l’âme à vif, sur un sentier coupant

De souvenirs en verre éclatant de tristesse.

Sur l’arbre couché, mort, j’accroupis mon chagrin.

Que le blanc papillon lui rende son beau temps !

Dans les myosotis, la moutarde éternue.

Le poil à me gratter s’enroule au liseron.

Sur le seuil de sa porte, Lionel est assis,

Tout en bleu de travail, il pelait ses patates.

Fuse un « Bonjour, Monsieur ! » Fuse un « Bonjour, Madame ! »

Et l’ombre du pignon déjà, les engloutit.

L’Orne coule berceur, constellé d’aubépines ;

S’y mirent la groseille, les cerises acides

Et le geai, tout là-haut, frottant son bec au ciel

Tandis qu’un hochequeue boit la mer, dans mes yeux.

La « tâcheronne »

Je suis la « tâcheronne » des herbes potagères

Mille ans de servitude m’ont collé les talons

Et je tonds les chardons de mes petits ciseaux.

Pays de solitude et d’amour flamboyant

Me ceinturent d’orage, de lames de couteaux

Et je tonds les chardons de mes petits ciseaux.

Harcelé par l’ortie, l’espoir plus ne se porte

Sur le noir taureau fou vêtu de lune ardente

Et je tonds les chardons de mes petits ciseaux.

Un jour, la mort viendra, chevauchant des soleils

Planter un clou d’argent, là, juste entre mes yeux

Lors je tonds les chardons de mes petits ciseaux.

.

Martine SANSNOM, Prix d’Edition de la Ville de Dijon 2010 pour Les Roulettes russes.

Page 6: FLORILEGE 147

6

Nicole PIQUET-LEGALL

Solitude

ton ombre défile toujours

sur les sentiers abrupts

dans l’odeur des bois

inhumés

L’écho sans visage

hante les paysages

au-delà du miroir

Illisible

ta loi reste inchangée

et le réel

effrayant

se tapit

dans les méandres de

l’indicible

Impossible de rassembler

les morceaux épars

d’un devenir incertain

Hisser ses pertes

comme on dresse un

drapeau

jusqu’à l’épuisement

Les bras n’œuvrent plus

à verrouiller l’amour

Amour

mot mille fois ânonné

hors sens

Les mains sont retombées

écorce contre écorce

vides

Et l’on chemine ainsi

longtemps

aveuglé par le Rien

Les paumes saignent

à polir les marches

que nous devions gravir

Tentative échouée

de notre émancipation

Latence indéfinie

Solitude

Ô Solitude

La ternissure des peuples

chasse l’odeur des forêts

jusqu’à cette lente

décadence

au cœur des villes anonymes

Trop tard pour prier

Trop tard pour implorer

La sentence est là

entre les dents

exactement serrées

L’air est si sec

dans la morsure du sirocco

Et le désert qui s’allonge

à l’arrachement de nos

racines

dégage sous les pieds

l’originelle malédiction

Page 7: FLORILEGE 147

7

Souviens-toi

Avoir touché la genèse

toutes sources ouvertes

à profusion

dans les eaux vierges de

l’Etre

Avoir éprouvé sous la peau

le ressac incessant

d’un rêve de partage

Avoir habité le même corps

sans se soucier du devenir

cet océan de détresse

où nous savions mesurer

le risque de se perdre

avec l’abolition définitive

de toute volonté

Souviens-toi

de nos paupières

peuplées d’astres chauds

Le monde se transformait

ivoire et turquoise

Laisse l’insistance du vent

te plaquer contre le roc

et regarde en face

la houle soulever les

embruns

où se délite

la douleur des mères

où tu sais revenir

lorsque l'épouvante t’enserre

et que s’ouvre le précipice

à l’extrémité de ton souffle

Porte les yeux

sur l’évanescence des choses

Plonge sans penser

dans ces contrées nébuleuses

à perte de mémoire

Et va

tout blâme aboli

dans un détachement total

t’asseoir

sur la proéminence d’un cri

Page 8: FLORILEGE 147

8

Nicole HARDOUIN

OMBRES MAJUSCULES

Goutte à langue

coule s’écoule

mots-mensonges

masques-funambules

décalcomanie

au seuil de la pensée.

Langue à vent

passe repasse

le poids du croire

l’erreur du savoir

sur confiance en déroute.

Vent à bosquet

hache arrache

oiseaux barreaux

liberté offerte

aurore frondeuse

pour horizon invisible.

Bosquet à silence

cerne décerne

abécédaire d’échardes

ombres- majuscules

soie fuyant

sur strophes murmurantes.

Silence à anges

chante enchante

astres-prophéties

ailes-processions

lointains recommencements

ciel symphonie.

LE SANG DES MOUETTES

Les haubans de ta déraison dérivent

aucun radeau pour toi.

Sur la déferlante de tes regrets

le sable interroge le sang des mouettes

Dans tes aveux secrets

crisse le sel.

Ferme les paupières de la nuit

la mer revient toujours boire dans les nids du besoin.

Reprends souffle dans la bouche du jusant

hurle, brûle tes mirages.

La mer a retrouvé la clé des marges

les vagues renaissantes ont

des yeux pour rivages

des lèvres pour port.

La mer dort sur l’aile d’un albatros

libère tes embruns

Tu reviens de nulle part.

Page 9: FLORILEGE 147

9

Adelina LENOIR CICAICI

Pensées dans le miroir de la Grèce

Une fois arrivée sur les terres chargées de

sèves solaires,

assise à une table devant laquelle

la mer danse avec ses nymphes de sable,

je pense à la perfection divine du Créateur.

*

Nous étions de passage

sur les sentes de la mer,

les juments écumantes

enfonçaient leurs crinières

dans nos chairs humides

ô beauté des étreintes

dans les flammes divines !

*

Quel sublime goût de soleil et de terre

ont les tomates et les pêches,

les melons et les pastèques,

les olives et les poivrons en Grèce !!!

*

Quand je pense à l'Être qui coule,

j'imagine une source capable de filtrer

toute la misère du monde...

*

Ma mère est la divine terre

qui a enfanté et bercé

la semence que je fus

et l'Être que je suis...

*

Le plus authentique et magique commerce se trouve vers la fin de la plage

de Loutsa (en Grèce).

Un éventaire simple avec des caisses en bois, chargées de pêches voluptueuses,

tomates charnelles, pastèques gardant le sourire du soleil, aubergines-ballerines,

melons sanglotant de rire dans le miracle de la lumière, et un couple de grecs chaleureux

comme une matinée d'été.

Elle pèse les récoltes de la terre, pendant que lui, assis sur une vieille chaise, note dans un

cahier d'écolier le poids et les prix. matinée

Les deux ont un sourire pur comme les perles de la mer.

Page 10: FLORILEGE 147

10

Sabine AUSSENAC

Il faudrait ne pas aimer Noël

Savoir renoncer à ces cannelles folles et aux bougies

du temps.

Le sapin en Ardennes m’est statue de Commandeur.

Loin des arcades, deviner d’éternelles Abyssinies.

Il faudrait ne pas aimer Noël.

Une poupée à Auschwitz me regardera plus tard de

ses yeux de pierre vide.

Les osselets de ma mémoire et au loin,

les fumées.

Je me souviens du ressac et des fièvres

L’ange du soir me regarde ;

Ses yeux lilas fixés sur mes fêlures, il sourit.

Je me souviens du ressac et des fièvres, de la main de

ma mère au fronton des douceurs.

Bénédiction des jonquilles, comme des fées badinant

vers la mare. Petite fadette enhardie, je rayonne en

bouquets de mai.

L’ogre aura raison de toutes, mes innocences.

Page 11: FLORILEGE 147

11

L’autre côté de moi

L’autre côté de moi sur la rive rhénane. Mes étés ont aussi des couleurs de houblon.

Immensité d’un ciel changeant, exotique rhubarbe. Mon Allemagne, le Brunnen du grand parc, pain

noir du bonheur.

Plus tard, les charniers.

Il me tend « Exodus » et mille étoiles jaunes. L’homme de ma vie fait de moi la diseuse.

Lettres du front de l’est de mon grand-père, et l’odeur du gazon coupé.

Mon Allemagne, entre chevreuils et cendres.

Passer mon cœur à l’encaustique

Passer mon cœur à l’encaustique ; les piles de draps de lin aux broderies d’ancêtres asservies et

patientes apprennent fil du temps.

Ce silence aux veloutés d’orfraie ; la nuit chuchote et crisse, parfois l’Autan crie comme femme en

gésine.

La source, abreuvoir des miracles, légère en ses tons de cressons et d’abeilles.

Cristal en fusion de ruisseau, flambée de sarments aux éclats de vendanges, terre lourde en sillons

d’avenir, immensité de l’estive ensoleillée :

quatre éléments me constituent liberté.

Je suis quelqu’un de bien dans la tempête

Garder les yeux ouverts, ne jamais se coucher.

Mes étés bruisselants d’un million de cigales. Et la neige.

En dépit des terreurs, ne pas fuir à Varennes. En tout sol calciné planter Arbres de Mai.

Lili Marlen et Marianne, au pays des cent paix.

Je suis quelqu’un de bien dans la tempête.

Faire connaissance avec Sabine Aussenac :

http://www.lulu.com/shop/sabine-aussenac/british-kiss/paperback/product-20111249.html

http://www.amazon.fr/BRITISH-KISS-ebook/dp/B007S4DWN8

Page 12: FLORILEGE 147

12

DISPARUE DEPUIS UN DEMI SIÈCLE

Nous avons retrouvé, parmi de vieux papiers du début des années 60, cette nouvelle inédite "Comte et

comptes". Inutile de vous dire que nous avons été ravis, les auteurs sont incorrigibles, ils tiennent à ce

qu'ils écrivent !

Nous n'avons pas changé un mot, alors ne soyez pas surpris : on se gare en plein Paris devant des

magasins de luxe, on circule facilement. Il n'y a ni portables, ni caméras de surveillance, ni

électronique !

Nous vous souhaitons un bon voyage dans ce passé que nous avons bien connu.

COMTE ET COMPTES

Alain BERNIER et Roger MARIDAT

Le vendeur dévisage le client qui vient d'entrer, c'est un homme racé d'une quarantaine d'années vêtu d'un ensemble sport très élégant.

- Je voudrais voir un bracelet en diamants. Il a une voix basse, étudiée, mais son sourire

sympathique fait oublier ses intonations affectées. Il examine les différentes pièces qui lui sont

proposées et fait la moue. - Vous n'avez rien de plus beau ? Sur le ton de la confidence il ajoute : - C'est pour un anniversaire... Je voudrais que

ce soit parfait. Le vendeur est pris au dépourvu car le

bijoutier, Axel Armau, est absent. - Pour les pièces de collection il est préférable

que vous voyiez monsieur Armau, mais comme il n'est pas là je vais en parler à madame Armau. Si vous voulez bien attendre...

Il range rapidement les bijoux et va chercher la femme du directeur. Chantal Armau est blonde, jeune, ravissante, intelligente et son sourire commercial est irrésistible.

- Que puis-je pour vous, monsieur... ? Comme elle laisse traîner un peu la voix, il se

présente : - Rumeau, comte de Rumeau. Avec beaucoup d'habileté elle le questionne

devant le vendeur pourtant chevronné qui est toujours médusé par le savoir-faire de sa patronne.

- Permettez-moi une question indiscrète. La personne à qui vous destinez ce cadeau a les yeux de quelle couleur ?

- Verts.

- Alors j'ai un bracelet somptueux en émeraudes très pures. Evidemment le prix en est élevé.

- Combien ? - Je vais d'abord vous le montrer. Même si

vous ne l'achetez pas, c'est une merveille qui vaut la peine d'être regardée.

Elle se dirige vers le coffre et revient avec un écrin qu'elle ouvre religieusement.

- Admirable ! s'écrie-t-il. - Neuf cent mille francs, glisse-t-elle...

nouveaux évidemment. Le comte de Rumeau examine les pierres une

par une en connaisseur et soupire. - C'est... c'est une somme. - Mais c'est une affaire. Elle vante les mérites des placements en

bijoux et met tant de conviction qu'elle donne l'impression d'être une bienfaitrice de riches épargnants !

Au bout d'une vingtaine de minutes, il s'incline.

- Madame, je capitule. - Mais non, monsieur, c'est dans votre intérêt.

Quant à moi, je m'en sépare à regret. - Je vous le règle immédiatement... j'emporte

le bracelet avec moi. Il sort son carnet de chèques, en détache un

qu'il remplit aussitôt puis fouille dans ses poches. - Mon dieu ! J'ai oublié ma carte d'identité.

Pourtant je tiens à vous la présenter, je l'ai peut-être laissée dans la voiture.

Il se dirige vers la Mercedes qu'il a garée devant le magasin et regarde longuement dans la boite à gants.

Page 13: FLORILEGE 147

13

Pendant ce temps Chantal Armau examine le chèque et dit au vendeur à voix basse :

- Téléphonez vite à la banque pour voir s'il est provisionné.

L'employé revient, déconfit, quelques secondes plus tard.

- C'est fermé... A quelques minutes près ! Le comte de Rumeau rentre dans la bijouterie

l'air embarrassé. - J'ai dû laisser mes papiers à l'hôtel. Je suis

descendu au Palace et tout le monde pourra vous certifier qui je suis.

Le vendeur cherche le numéro de téléphone et, peu après, entend :

- Palace Hôtel. De Rumeau prend l'appareil, demande la

réception et passe l'écouteur à madame Armau. - Allo ! François, j'ai besoin de vous pour

certifier mon identité. - A votre service, monsieur le comte. Satisfait de Rumeau regarde Chantal puis le

vendeur et murmure : - C'est tout ce que je voulais vous dire. Merci. Il raccroche avec désinvolture et ajoute en

souriant : - Je crois que vous n'avez aucune crainte à

avoir. - J'en suis sûre, mais cette procédure est si

inhabituelle... et la somme tellement importante ! Il se rembrunit, fronce les sourcils et réplique

d'un ton sec : - Je ne veux pas vous forcer, madame, nous

pouvons en rester là. - Non ! Non ! Je vous en prie. Le vendeur est ravi de ne prendre aucune

responsabilité dans cette affaire et baisse le nez. Le comte plaisante de nouveau, sort avec

l'écrin et démarre rapidement. - J'espère que je n'ai pas fait une bêtise, dit

Chantal à voix basse en refermant la porte, mais c'était tentant la somme est inespérée.

Lorsque Axel Armau revient il écoute sa femme et semble très agité.

- Tu es folle ! Folle ! Il s'agit certainement d'un escroc. Venir un vendredi soir avant la fermeture est un coup classique auquel un bijoutier même débutant ne se laisse plus prendre depuis longtemps.

- Cet homme avait beaucoup de classe et le Palace m'a confirmé son identité.

- La classe ! C'est ce qu'il y a de plus dangereux !

Le vendeur hoche la tête, ravi de constater que sa patronne s'est montrée bien légère.

- Je prends les choses en main, dit Axel furieux. D'abord je téléphone au patron du Palace qui est une vieille connaissance.

Dès qu'il a son correspondant il lui expose son problème.

- Je vais me renseigner et je te rappelle, entend-il.

- Merci. Axel raccroche, fait les cent pas devant

l'appareil, guettant la sonnerie qui finit par retentir. - Alors ? demande-t-il en reconnaissant la voix

de son ami. - Mon pauvre vieux, je crains que tu ne te sois

fait rouler. Monsieur De Rumeau vient de passer deux jours chez nous dans une des chambres les moins chères. Il n'a aucun titre et je suppose que Lecomte – en un mot - est le nom de sa mère. Il a beaucoup plaisanté avec un des employés de la réception qui était très surpris de cette familiarité.

- Je comprends dans quel but il l'a fait, être reconnu au téléphone.

- Exactement ! Quant à sa voiture, elle est de location.

Il y a un court silence et le directeur reprend : - Maintenant tiens-toi bien car je vais

t'apprendre le pire. De Rumeau a quitté l'hôtel, il prend l'avion ce soir pour l'Amérique du Sud.

- C'est la catastrophe. Axel fait une scène violente mais rapide à sa

femme car il faut qu'il agisse avec le maximum de célérité pour tenter de récupérer son bien. Le vendeur, lui, se délectant de la situation, propose à ses patrons de rester avec eux afin de pouvoir les aider si besoin s'en faisait sentir.

Armau appelle la police et le commissaire Ravignac lui répond.

- Lecomte-De Rumeau, ce nom me dit quelque chose. Si je ne me trompe pas, il s'agit d'un homme qui n'a encore rien à son casier judiciaire, mais qui a été mêlé à de nombreuses affaires plus ou moins louches... Une espèce d'escroc international... mais très habile. Je pense que cette fois-ci nous allons pouvoir le coincer.

Effectivement il rappelle Armau quelques heures plus tard.

- Notre homme est arrêté et le bijou en sécurité... mais quelle histoire ! Il joue les victimes et prétend qu'il devait signer un contrat à Rio... Ces gens-là ont un culot extraordinaire.

*

* * Le lundi matin le commissaire Ravignac est

effondré. De Rumeau prouve que son compte en banque est alimenté et qu'il peut payer le bracelet. Quant à l'affaire qu'il devait conclure au Brésil, elle

Page 14: FLORILEGE 147

14

n'a pu, bien évidemment, l'être en temps utile et il demande de sérieux dommages et intérêts.

- Si monsieur Armau me verse cent mille francs, je veux bien me taire et ne pas porter plainte. Vous avez intérêt à lui faire entendre raison car c'est un bien mauvais cas pour lui... et pour vous aussi, monsieur le commissaire, qui avez montré beaucoup de légèreté dans toute cette histoire.

Discussions, palabres se succèdent et le commissaire convainc enfin Armau d'accepter cette proposition.

- Je vais aller lui porter le chèque et lui dire ce que je pense de lui, s'écrie Chantal. C'est un escroc ! Il nous extorque cent mille francs avec une facilité déconcertante.

- Calmez-vous, chère madame, - N'y va pas, ma chérie. - Personne au monde ne m'empêchera d'agir

comme je le veux. - Je pourrais servir d'intermédiaire, propose le

commissaire bouleversé par cette affaire qui risque de briser sa carrière si elle s'ébruite.

- Non ! réplique-t-elle, n'insistez pas. Le voyant pâle et nerveux, elle le tranquillise. - Ne vous inquiétez pas, commissaire, il n'y

aura pas de scandale. Vous avez fait le maximum pour mon mari et nous vous sommes très reconnaissants ; ce n'est de la faute de personne si nous nous sommes trompés sur cet individu.

Une heure plus tard, Chantal s'adresse à la réception du Plazza car De Rumeau a changé d'hôtel.

- Monsieur De Rumeau, demande-t-elle, pour madame Armau.

L'employé téléphone puis se penche vers elle. - Monsieur De Rumeau vous attend, le groom

va vous conduire à son appartement. A peine entrée dans le petit salon attenant à la

chambre, elle tend le chèque. - Voici ce que vous avez escroqué à mon mari,

monsieur. Il le lui prend des mains, l'examine puis se

dirige vers sa valise qui est fermée à clef ; il l'ouvre lentement, cherche l'écrin et le lui donne.

- Voici mon cadeau, madame ! Ils éclatent de rire et tombent dans les bras

l'un de l'autre. - Mon amour... - Ma chérie... - Tu vois, dit-elle, j'avais raison, mon mari est

tombé dans notre piège. - Je craignais qu'il n'ait pas suffisamment de

conviction pour pousser le commissaire à m'empêcher de prendre l'avion.

- Nous avions tellement trouvé de détails qui semblaient t'accabler... à tort !

Il l'embrasse longuement, la caresse, il est heureux. Bientôt tous les deux seront installés à Rio.

- Tout est en ordre, dit-il, j'ai nos billets pour ce soir.

Il prend le chèque, l'endosse au nom de Chantal puis le lui donne.

- Cela t'aidera à prendre tes dispositions pour que ta mère ne soit pas dans le besoin.

Elle le remercie puis s'exclame : - J'ai hâte de quitter la France, tes autres

affaires me font peur. - Tranquillise-toi, dit-il, tu sais très bien

qu'aucun scandale ne peut éclater avant quarante-huit heures et, à ce moment-là, nous serons loin.

Peu après il l'accompagne jusqu'à un taxi. - A tout de suite. - Je t'aime... Elle donne l'adresse de sa mère puis, quelques

secondes plus tard, se reprend et se fait conduire à la bijouterie.

- Ma chérie, dit Armau, j'ai encaissé le chèque, neuf cent mille francs c'est tout de même intéressant. Et toi ?

- Moi ! Je te rapporte le bracelet et le chèque de cent mille francs !

- De Rumeau ne va pas essayer de se venger, s'il ne te trouve pas à l'aéroport ?

- Il risque trop en restant en France... Ah ! Nous l'avons bien eu ce pigeon !

Page 15: FLORILEGE 147

15

Eric SAVINA

LES MANNEQUINS VIVANTS

Leurs cœurs ne sont pas de pierre, et pourtant,

ils sont nombreux à habiter des cités en béton.

Leurs mains ne sont pas en argile, mais ils

fabriquent presque toujours du provisoire.

Leurs yeux ne sont pas de verre, et malgré tout,

ils ne voient pas plus loin que le bout de leur

nez. Leurs oreilles ont des pavillons en berne

depuis bien longtemps. Dans un monde

uniforme, ils courent là où on leur dit d’aller,

sans savoir pourquoi. Durant leurs modestes

existences, ils liront plus de publicités que de

poèmes. Leurs modèles seront les vitrines des

grands magasins qui leur diront : « Soyez

beaux et taisez-vous ! Surtout ne pensez pas ».

Ils ressembleront à des mannequins de cire, à

des polichinelles sans expression, à des soldats

de plomb au regard figé, à des androïdes à

figures humaines et à des jouets mécanisés. Ils

mettront leurs cerveaux à la consigne et

avaleront la clef en ne laissant derrière eux que

des pas dans la neige.

SACRE JACK

Jack n’utilisait jamais de carte bancaire pour

payer ses achats

Jack ne rédigeait jamais de chèques pour régler

ses dettes de jeux

Jack ne procédait jamais par virement bancaire

pour s’acquitter de son loyer

Non, Jack l’éventreur payait toujours en petites

coupures

Mathieu COUTISSE

BALADE DOMINICALE

Un renard de contrebande

Et une blonde de cheveux

Etaient allés rendre visite

A la rombière qui est aussi sorcière

Et écouter pleurer,

Du fond de la propriété,

Ses saules réputés

Au retour ils ont dû contourner

La manifestation des maisons

Qui ne veulent plus de la journée de vingt-

quatre heures ;

Ils sont passés devant des cours de fermes

Où festoyaient de grands bouliers-compteurs

Ils ont, pour retrouver la route,

Interpellé un chimpanzé

Qui ne pût que les embrouiller

Tant il était déconcerté

D’avoir surpris un puceron

Tout juste sorti de prison

Comptant fleurette à des pucelles

Qui du coup devenaient plus belles

Ayant très peu risqué de leur anonymat

Ils sont rentrés comme des chats,

Ont commandé par téléphone

Une pluie sans acétone

Et trois éléphants rouges et bleus,

S’étant remis du khôl aux yeux,

Sont venus la leur apporter

En provoquant des craquements

Impatients de la fin des temps

Page 16: FLORILEGE 147

16

Cédric SCHENONE

Au grand jamais

Les gens intelligents souffrent

Et alors

Leur souffrance dure toujours

Ils souffrent

Du temps qui passe

Du spectacle

Des gens idiots

Et parfois

Des feuilles mortes

Qui s'envolent

Dans le vent

Mais jamais

Au grand jamais

Ils ne cessent

De se poser

Des questions

Les gens bêtes ne souffrent pas

Ou alors

Leur souffrance

Ne dure qu'un temps

Ils vivent

Sans se poser de questions

Sans songer

Au lendemain

Et parfois

Sans s'imaginer

Qu'ils font souffrir

Les gens intelligents

Mais jamais

Au grand jamais

Ils ne se posent

De questions

La citadelle assiégée

Que la paix soit avec moi

C'est ce que je peux souhaiter

Pour ça

Rien de plus simple

La providence n'a pas son mot à dire

Il me suffit

De me cloîtrer chez moi

De débrancher le téléphone

Et d'investir mon humble demeure

Comme on investit une citadelle

Dressée hiératique

Sur un îlot

Au milieu de l'Atlantique

Assiégée par des milliers de croiseurs

En lieu et place de missiles auto guidés

Je n'ai à ma disposition

Que ma morgue

Ma froideur

Voire mon mépris

Pour dissuader l'armada de raseurs

Et aussi la technique du mort

Afin de leur laisser supposer

Que j'ai disparu de la surface de la Terre

Mais c'est une technique à employer

Avec parcimonie

Ils pourraient s'inquiéter

Ce qui serait inquiétant

Pour ma tranquillité

Page 17: FLORILEGE 147

17

Un contemplatif à la mer

Je fais tout

En pensée

J'ai tout vécu

En esprit

Mais je suis un contemplatif

Et le contemplatif est foncièrement

Passif

Le contemplatif

S'il tombe à l'eau

Cherchera à la comprendre

Et se noiera

Rien ne se passe

Pendant des années

Ce qui nous semble

Des siècles

Le temps s'étire

A l'infini

En une morne plaine

Grise

Et soudain

Tout s'accélère

On est pris

Dans le tourbillon

Les rapides

De la vie

Le destin se joue

De nous

Bouchon voguant

Cahin-caha

Au rythme des flots

Cahotant

Et du courant

Mais le contemplatif

S'il tombe à l'eau

Cherchera à la comprendre

Et se noiera

La madeleine au goût de figue

L'odeur âpre du figuier

Me saisit au détour d'une rue

Sans âme

Mais ensoleillée

Une senteur sauvage

D'été

D'enfance

C'est l'odeur des promenades

Dans la campagne varoise

Avec mes parents

Chez l'oncle Dédé

Là-bas

Titanesques

Les batailles de figues se succédaient

On grimpait dans les arbres surchargés

Sans se soucier des branches trop fragiles

A l'écorce uniformément grise

Qui nous faisait songer

A la peau d'éléphants vus

La veille

Dans des reportages animaliers

Puis bien installés

A l'abri des larges feuilles palmées

On se gavait de fruits ultra sucrés

Il fallait peu de temps pour qu'entre deux

bouchées

La guerre fût déclarée

On s'envoyait alors

En pleine poire

Les figues noires

Molles et bien trop mûres

Qui éclataient sur nos visages hilares

Mon copain roux ajoutait le violet

Aux feux de ses cheveux

Et on se marrait

C'était le bon temps

Chez l'oncle Dédé

L'odeur âpre du figuier

Page 18: FLORILEGE 147

18

Anne-Marie TEYSSEIRE

Celui-là

Prix de la Nouvelle sur le thème « Blanc benêt et benêt blanc »

« Vous pouvez pas comprendre… Je suis arrivé un lundi matin dans ma classe et

je l’ai trouvé là. Assis- posé plutôt- au premier rang. Il avait déjà deux têtes de plus que les miens. Morel, le directeur est tout de suite arrivé. Il

m’a causé un peu à part, dans le couloir : « Ecoutez, Pedretti, il fallait absolument le

scolariser ce gosse. Il a pas de place ailleurs. Ça fait déjà six mois que ses parents font des

demandes partout. Légalement on pouvait pas refuser … alors bien sûr, on a pensé vous – ils avaient pensé à moi ! – Pedretti vous avez de la bouteille, vous savez les prendre et bla-bla-bla… » tout le baratin pour me faire avaler la pilule.

Pourtant, c’est vrai, je peux le dire : j’ai appris à lire et à écrire à tous les gamins du canton.

Deux générations même… J’en ai vu des cas en trente-cinq ans. Des

familles pas piquées des hannetons, des fils d’alcoolos, de suicidaires, des fils de salauds même ! Des caractériels, des timides, des mutiques, des gueulards, des têtes brûlées que personne n’arrivait à cadrer…

On me disait toujours : « M. Pedretti, avec vous y’a toujours un déclic. Vous arrivez toujours à en tirer quelque chose… »

Mais celui-là… Bon, j’ai fait ma classe comme d’habitude. Que dire ? il était pas gênant , pas gêné non

plus. Ça les a perturbés qu’un moment, les miens. Ils l’ont regardé comme un gros Martien, puis comme il se manifestait pas, ils l’ont oublié

Au bout d’une demi-heure, vu qu’il était toujours assis dans la même position, j’ai compris qu’il pouvait pas suivre, alors je lui ai donné une feuille et des feutres et je lui ai dit qu’il pouvait dessiner, qu’on verrait ensemble à la récré…

A la récré, il était toujours aussi calme et là, je l’ai mieux regardé. Les parents, des fois…quelle idée de lui laisser les cheveux longs jusqu’aux épaules et de l’affubler d’un pantacourt !

Je vous jure, ça fait bizarre dans une école primaire, des gros mollets poilus comme ça ! Puberté précoce, il paraît. Il lui manquait plus que ça…

Enfin. On a regardé son dessin : une maison avec deux fenêtres et un soleil. Voilà.

Je peux vous dire que je m’en souviens de son dessin : pendant un mois il a fait le même ! Exactement le même, tous les jours. Sans rien en dire. Une maison avec rien dedans.

Et quand il avait terminé, il attendait en souriant que le temps passe…

Evidemment, les autres gamins, ils le loupaient pas : « M’sieur, M’sieur, il a fini son dessin ! » et toute la classe de rigoler…

Un jour, ça m’a tellement mis en rogne que je lui ai crié : « Tu me les casses avec ta maison ! tu me les casses ! tu peux pas faire autre chose, non ? Ou alors rajouter un truc : un arbre, un oiseau, je sais pas, moi ! ». J’étais énervé et je lui ai balancé la feuille à la figure.

Le soir, quand j’ai ramassé les papiers sur les tables, je l’ai trouvé son dessin. Il avait rajouté un arbre : un bâton marron avec le bout vert et un v dans le ciel pour l’oiseau. Je sais pas comment vous dire, ça m’a démoli…

En tout cas, lui, il était jamais démoli. Il était

là, tous les jours au 1er rang, calme, posé comme un sac de farine sur le banc, avec ses mollets poilus et son sourire.

J’ai essayé de le prendre à part, de revoir avec lui les bases, le déchiffrage, les additions … oh ! il était pas de mauvaise volonté, mais vous comprenez, j’avais beau frapper à sa porte, ça s’ouvrait pas…

Pourtant, les cancres, ça me décourage pas. J’en ai vus des qui voulaient rien savoir ! eh

bien, moi , mon principe c’est que si ça rentre pas par les oreilles, ça rentre par les mains, et je leur fais construire des nichoirs pour les oiseaux, des cabanes dans les bois. On fait des plans, on coupe les planches, on visse, on cloue, …tiens, souvent aussi je leur fais faire un potager. Y’a toujours un moyen de les intéresser, et puis hop ! le déclic se fait.

Et si ça rentre pas par les mains, ça rentre par les pieds ! Je me souviens, le petit Bauzelle, rien à en tirer, onze ans déjà…eh ben, le mercredi, on est allé courir ensemble dans la garrigue. On regardait les collines, on respirait. Il adorait ça. On ramassait des plantes, on observait les saisons…Il travaille maintenant au bûcheronnage. C’est l’espace et la nature qu’il lui fallait, c’est tout.

Page 19: FLORILEGE 147

19

Mais celui-là… Au bout de quelques semaines, j’ai pas pu le

laisser sortir en récré avec les autres. Forcément, le voir assis par terre dans le bac à sable, à regarder les fourmis ou même à se tripoter, ça les excitait les autres. Ils arrivaient même à être méchants. Un jour, j’ai piqué une grosse colère : ils l’avaient fait coucher par terre et ils étaient en train de le recouvrir totalement de sable en rigolant. Lui, il était pas fâché. Il était jamais fâché. Alors, c’est moi qui me suis fâché contre lui. Je lui ai dit qu’il devait pas se laisser faire, qu’il était grand, qu’il devait se tenir debout, je l’ai secoué…

Bien sûr, mes collègues ne comprenaient pas : « C’est pas de sa faute, il est comme ça…faut pas le disputer ! » Mais enfin, Nom de Dieu, c’est pas acceptable.

Des fortes têtes, j’en ai eues à l’école. Des

violents, des sournois qui font leurs coups en douce. Ceux qui répondent et même tiens, Chabre, il s’appelait… un jour que je l’engueulais, il a fait mine de se dresser contre moi. Je l’ai attrapé par le col, je l’ai mis contre le mur, j’ai pas crié, non je lui ai simplement dit : « A la maison, tu fais peur à ta mère et à tes sœurs, ici mon petit vieux, c’est à moi que tu auras à faire ! » et je l’ai reposé. Il y a eu un grand silence et ça a été fini.

C’est pas une question de carrure, mais de dé-ter-mi-na-tion. C’est ce que j’explique toujours aux jeunes collègues !

Mais celui-là… Rien à faire, jamais colère. Jamais triste non

plus. Voilà : le pire c’est qu’il avait jamais l’air

malheureux. Il était là, posé au milieu de nous, tranquille, souriant, comme si la vie lui passait au travers…

J’ai tout essayé pour que ça bouge. Je me disais qu’un jour ou l’autre il serait intéressé par un truc, que ça lui ferait de l’effet, quoi, que la porte s’ouvrirait !

En février, j’ai pensé à l’association montée pour promouvoir la culture populaire, on y fait souvent des lectures un peu mises en scènes. Les gamins, même les grands, ils ont beau protester, ils adorent. Quand je leur dis « Le Conte du Genévrier », même les durs à cuire ils sont scotchés…

J’ai pensé : ça va le remuer… A la fin du spectacle je suis allé le voir.

Bouzidi et Da Silva qui d’habitude sont de gentils garçons, lui avaient posé sur la tête le programme où ils avaient écrit : « Le con du 2 février ». Et lui, il souriait là dessous, l’air tranquille, au milieu de ceux qui se bidonnaient…

Alors c’est moi qui l’ai remué : « Merde, je lui ai dit, t’es où ? mais t’es où ? réponds ! » - « ch’uis là » qu’y m’a dit ! « Arrête de faire le con ! arrête de faire le con !! ».

Ça me devenait insupportable. Il était bien quelque part ce gosse. Au fond de

ce gros corps inerte y’avait bien quelqu’un ! Comment dire…ça m’offensait que ça se

manifeste pas. Les collègues ne comprenaient rien : « Laisse-

le donc tranquille ! il est heureux comme ça » D’abord, qu’est-ce qu’ils en savaient s’il était

heureux ? Et puis le laisser tranquille !…c’est de tranquillité qu’il crevait ce gosse !

Il pouvait quand même pas se contenter d’être là, à sourire en refusant de subir la laideur du monde, à attendre quoi ? l’éternité ?

C’était une insulte à la vie ! Quoi, il avait pas le droit…

Ils refusaient tous de comprendre. Un jour, on était de cantine, Veyre et moi, et j’essayais de lui exposer mon point de vue, « Tu sais, pour lui – il m’a dit, en le montrant du menton (on pouvait pas le louper : il s’empiffrait, dépassant les autres de sa tête et du bonnet blanc à pompon qu’il y avait oublié) – toutes tes méthodes, c’est benêt blanc et blanc benêt ! » et de s’esclaffer.

Evidemment la saillie a fait le tour de l’école. Celui-là, il a commencé à m’obséder… Je rentrais énervé à la maison. Il me fallait 2 ou 3 pastis pour me remettre les

idées en place. Mais je peux dire que lui, je l’ai plus jamais laissé tranquille !

Je le lâchais pas. Pas question qu’il continue à faire l’animal au milieu de nous autres.

La nuit, je réfléchissais aux exercices, aux méthodes…J’allais la lui faire remplir sa maison vide !

Je m’occupais quasiment plus que de lui. Merde, un jour ou l’autre, il faudrait bien qu’il crie, qu’il souffle, qu’il souffre, qu’il soit un homme, quoi !

Le directeur est venu plusieurs fois me dire : « Pedretti, si vous voulez, on peut le mettre dans une autre classe…faut pas focaliser sur lui, faut prendre des distances… »

Prendre des distances…c’est bien le discours à la mode !

Page 20: FLORILEGE 147

20

Faut prendre des distances avec ses problèmes, avec les histoires des autres, avec la marche du monde…zen, on observe de loin.

Ben voilà, justement, c’est ce qu’il avait fait lui, il avait pris des distances et tellement qu’il s’était perdu ! qu’il était quelque part, mort-vivant, confit dans sa connerie et que tout le monde était content !

Alors là, non ! Je lui disais en tapant sur la table : « t’as pas le

droit de faire le légume comme ça, c’est trop facile ! tu es notre frère humain – oui, notre frère humain ! – et tu dois respecter ta dignité humaine. Voilà ! alors tu te tiens debout et tu récites cette putain de poésie ! et avec ton cœur, Nom de Dieu !! »

A la récré, comme les autres le voulaient pas au foot, évidemment, je le gardais. Et je le lâchais pas tant qu’il m’avait pas collé droit les illustrations de son cahier.

Plus question d’aller se vautrer dans le sable pour exciter la méchanceté des autres

Il a commencé à moins sourire. C’était déjà ça… Peut-être que je tenais le bon bout ?… Et puis un matin, je croise Veyre dans le

couloir, qui me dit, goguenard : « Il est gentil comme tout ton débile, Pedretti ! regarde, il fait des dessins pour tout le monde… » et là, il me sort cette foutue maison vide avec le poireau et l’hirondelle !

J’ai pété les plombs. Veyre, je l’ai attrapé par le col : « Fumier ! » je

lui ai dit et j’ai foncé dans ma classe. Il était là, tranquille, ahuri. Alors, j’ai craqué

encore. « Petit con, t’as pas pu t’empêcher de te

ridiculiser ! ça te plait, hein, qu’ils se foutent de toi ! ça te fait jouir, connard ! je me tue à te civiliser, et toi, tu vas promener tes mollets poilus et ta maison vide partout pour leur faire plaisir !! »

Et plus je lui tapais dessus, plus j’avais mal… Y’avait rien à faire, rien, pour qu’il ouvre la

porte. La petite fête pour mon départ à la retraite qui

était prévue la semaine suivante, a été annulée. Pas la peine…

Vous pouvez pas comprendre… Celui- là, quand j’y pense, j’ai envie de chialer.

Gérard MILLOTTE

FLASHES EN LISIERES

Après Auschwitz, plus de poésie(s).

La liberté, c’est comme la poésie,

ça ne se donne pas, ça se mérite.

Il y en a qui aime le pouvoir

comme je hais l’argent.

Quand on n’a pas mal,

on ne sent rien.

Le rire est le propre de l’homme,

le souris de la femme.

Le paradoxe du poète : penser que

l’angoisse des autorités n’existe pas.

(écrit à la mi-janvier 2012 ! …)

Page 21: FLORILEGE 147

21

LA CHRONIQUE HURONNIQUE

de Louis LEFEBVRE

agrémentée de dessins de Marie-Héllène

PLOUTOS

Comédie d’Aristophane (388 av. J.C.)

Il est le Fric.

Il domine le monde.

Il est le dieu unique de la religion de la

Finance.

C’est un nouveau monothéisme.

Un Mammon moderne.

Et ce fascisme qui règne dans les

temples appelés « Banques », n’a pas besoin de

guignols comme les Franco, les Mussolini et

les Adolf.

Ce FRIC fasciste – ce Facho-Fric – est

insaisissable. Invisible. Sa force entraîne tout

sans qu’on puisse le combattre ou seulement

l’endiguer.

« Debout les damnés de la terre !

Debout les damnés de la faim !...

qu’ils chantent aujourd’hui, les Grecs

(en grec).

Mais l’Internationale est devenue

l’Internationale du FRIC.

Les prolos ne savent même plus contre

qui, contre quoi, lever leurs drapeaux noirs ou

rouges.

Le Ploutos d’antan était un bon bougre

de dieu.

Aristophane nous raconte dans sa

comédie que le pauvre dieu est aveugle.

« Quand j’étais jeune, j’avais ménacé

Zeus de ne frayer qu’avec des gens justes, des

sages, des gens honnêtes. Et c’est pour cela

qu’il me rendit aveugle. »

Ploutos ne voit pas à qui il donne la

richesse et il peut être trompé par le premier

filou venu.

Zeus avait inventé la loterie en quelque

sorte.

Il ne voulait pas que la vertu et

l’honnêteté soient récompensées en ce monde.

Sinon le monde devient un paradis et ce

n’est plus le monde des hommes.

Il faut que la richesse tombe au hasard

ou soit le fait des salopards, des fourbes, des

malins, des cyniques.

La comédie d’Aristophane ressemble à

une fable triste.

« Debout les damnés de la terre !... »

Vous pouvez gueuler les damnés de la

terre : les crésus, les nababs, les rentiers, les

marquis de carabas, les nantis, les rupins, les

culs cousus d’or continuent à rouler carrosse !

Ploutos ne voit rien.

Mais Aristophane s’amuse avec le conte

du dieu non-voyant.

Un brave travailleur – un prolo grec –

Chrémyle (Chrémimile pour les intimes)

décide d’aider Ploutos. Il le conduit au temple

d’Asclépios, le dieu de la médecine. Afin que

le dieu guérisse le dieu.

Chrémyle rêve d’un peu de justice

quand Ploutos aura recouvré la vue. Il nous

explique :

« Les femmes galantes de Corinthe,

quand il se trouve que c’est un pauvre qui leur

fait des avances, elles n’y font pas même

attention ; mais si c’est un riche, elles lui

résentent aussitôt leur derrière ».

Ah ! on découvre la vie des Grecs dans

l’Antiquité en lisant Aristophane !

Ainsi on apprend que les putains de

Corinthe sont cher et qu’à un bon client elles

présentent « leur derrière ».

Spécialité de Corinthe – comme le

raisin.

Page 22: FLORILEGE 147

22

Chrémimile mène à bien son beau projet

et Ploutos est guéri !

Chrémimile a gagné le gros lot. Voici au

moins un prolo qui ne chantera plus « Debout

les damnés de la terre ! ».

« Qu’il est agréable d’être riche !

La huche est pleine de blanche farine et

les amphores de vin rouge au bouquet

agréable.

La citerne déborde d’huile et le grenier

de figues sèches.

Nos vieux plateaux à poissons tout

pourris, on les voit en argent et notre lanterne

est devenu en ivoire.

Ce n’est plus avec des cailloux que nous

nous torchons, mais avec des têtes d’ail… »

Oui, on entre dans l’intimité du monde

grec avec Aristophane.

Tout est bien qui pourrait finir bien.

Mais voici une nouvelle venue : La

PAUVRETE.

La PAUVRETE vient se plaindre :

« Je veux vous faire voir clairement que

seule je suis la cause de toutes vos prospérités

et que c’est grâce à moi que vous vivez. »

Cette vieille peau raisonne aussi bien

que Socrate.

« Tu ne pourras pas dormir dans un lit,

car il n’y en aura pas ; ni sur des tapis car qui

voudra tisser s’il a de l’or. Vous n’aurez pas

d’essences pour parfumer la jeune mariée, ni

de robes coûteuses…

Or quel avantage d’être riche quand on

est privé de toutes ces choses-là ?

Mais grâce à moi, il y a en abondance

tout ce dont vous avez besoin, car c’est moi qui

force l’ouvrier besogneux et indigent, à

chercher des moyens de vivre. »

Cette vieille salope de Pauvreté raisonne

comme les crésus, les nababs, les rentiers, les

marquis de carabas, les nantis, les rupins, les

culs cousus d’or.

Si Ploutos donne la richesse à tout le

monde, plus personne ne travaille, tout le

monde se la coule douce et c’est la catastrophe.

La pauvreté au contraire oblige les pauvres à

bosser.

« Debout les damnés de la terre ! » oui,

debout ! et de bonne heure pour aller pointer à

l’usine !

Chrémyle voit défiler chez lui plein de

gens qui se plaignent. Arrive un prêtre qui a

perdu son gage-pain.

« Comme ils sont riches, plus personne

ne fait d’offrande. »

Aristophane ne conclut pas. Il ne dit pas

si Chrémyle est allé à Corinthe. Et si Ploutos a

continué à mettre le monde cul par-dessus tête.

Ploutos, s’il est encore de ce monde –

mais il l’est certainement puisque c’est un

immortel – doit contempler bien tristement la

Grèce.

Le Fric-Facho a ruiné son pays.

Des ruines partout.

Les ruines, on connaît en Grèce. Mais là,

ce sont des ruines d’un nouveau genre : des

ruines de Grecs. Des ruines de prolos grecs.

Qui chantent « Debout les damnés de la

terre ! »

Zeus, au Mont de Piété, donne ses foudres d’or,

Hermès, son caducée, Athéna, son égide,

Héra, tous ses bijoux, Coré, ses plus beaux morts.

On emplit le Mont de Piété. L’Olympe est vide.

Ploutos voit comme dans les Champs élyséens,

Errer un peuple gris dans Athènes qui pleure.

On est là sans espoir, on ne sait plus très bien

Pour qui sonne le glas et pourquoi on demeure.

La ville est bien malade, elle tremble et gémit.

De force, des salauds l’ont mise en quarantaine.

Il n’y a plus ici ni amour, ni amis.

Les loups de Reggiani sont entrés dansAthènes.

Tout cela n’est pas très gai.

Mais que les Grecs relisent Aristophane,

ils verront que la Pauvreté octroie bien des

biens :

« Regardez les orateurs : tant qu’ils sont

pauvres, ils sont justes envers le peuple et la

cité ; se sont-ils une fois enrichis aux dépens

Page 23: FLORILEGE 147

23

des deniers publics, les voilà aussitôt devenus

injustes et qui complotent contre le

gouvernement démocratique. »

Quant aux riches, à qui la Pauverté ne

donne aucun de ses dons :

« Ils sont podagres, ventrus, ils ont des

jambes épaisses et un embonpoint insolent… »

Oui, les Grecs, songez que les nantis

n’ont pas de chance.

Le riche a la peau grise et le foie vermoulu ;

Le banquier cousu d’or se flétrit, ne dort plus ;

Le plein aux as pourrit sur pied ; l’aristo fane ;

Le Fric dessèche tout, nous dit Aristophane.

LES GRECS ONT DECIDE DE TIRER

PARTI DE LEURS VIEILLES PIERRES

Extraits du catalogue des ventes publiques

(dessins de Marie-Hellène)

Temple encore en bon état. Peut être

aménagé en bungalow pour les vacances.

Prix à débattre

ZEUS lançant un javelot.

2,09 m

Musée national – Athènes.X

La statue est vendue par

morceaux.

Ici, la tête. 20 000 €.

De quoi payer un professeur grec

pendant 10 ans.

BITON

marbre – Delphes – 2,18

m.

Biton ? C’est peut-être

Cléobis. Cléobis et Biton

étaient jumeaux.

Comme leur maman se

rendait au temple, ils

s’attelèrent à son char.

Les dieux, en ré-

compense, leur don-

nèrent une jeunesse et

un sommeil éternels.

Drôle d’idée ! Cléobis et

Biton auraient préféré,

j’en suis sûr, recevoir

chacun une belle fille et

vivre de la vie de la terre.

On voit ici que l’on a

commencé à débiter

Biton : il a encore ses

coucougnettes mais il lui

manque son zob.

D’où la petite chanson

grecque :

« La bite à Biton

Où est-elle, ma mère ?

La bite à Biton

Elle s’est fait la paire !… »

Page 24: FLORILEGE 147

24

« La littérature reconnaissante

à ses enfants hors-la-loi »

par Jean CLAVAL

DENIS DIDEROT (1713 – 1784)

Les Bijoux indiscrets (1748)

Comment Diderot fut-il amené à écrire Les

Bijoux indiscrets, roman détonnant, peut –on sans

conteste avancer, dans l’œuvre de l’écrivain

philosophe ?

Agé de trente-cinq ans, Diderot est l’amant

de Madame de Puisieux. Certains critiques

soutiennent que l’auteur avait besoin d’argent

pour subvenir aux dépenses de sa maîtresse.

Quelques éxégètes, sans éliminer ce motif peut-

être péremptoire, y associent le désir de prouver

la possibilité de mettre dans un écrit léger (irons-

nous jusqu’à dire licencieux ?) bien autre chose

qu’une succession de scènes libres et de

dialogues équivoques. Par ailleurs, incitation

implicite, publié en 1745 Le Sopha de Crébillon

fils avait obtenu un beau succès. La question se

pose seulement de trouver une idée plaisante,

base essentielle du projet. Diderot n’invente pas

la trame de son récit, il la puise dans un fabliau

érotique du Moyen Age, Le Chevalier qui faisait

parler les cons.

Les Bijoux se révèlent un livre à clef. Sans

avoir l’intention délibérée de faire une peinture

de la Cour, Diderot a surtout le désir de brocarder

l’habitude du roi de s’informer de la chronique

scandaleuse relevée par les agents des lieutenants

de Police de Paris. Nous pouvons identifier

certains noms du roman pour les transposer

aisément :

- le Congo, c’est la France

- Banza, Paris

- l’Afrique, l’Europe

- Erguebzed, Louis XIV

- Mangogul, Louis XV

- Mirzoza, Mme de pompadour

- Aglaé, Mme de Puisieux

- le génie Cucufa, la personnification de

l’attrition

On trouve dans cette œuvre maintes pages

de qualité, une satire des mœurs déplorables , de

l’éloquence factice, des préjugés. La sagesse et la

philosophie, exprimées d’une plume alerte, avec

finesse et verve, n’en sont point absentes.

Par la suite, Diderot affectera de dédaigner

son ouvrage, allant jusqu’à le désavouer avec une

attitude embarrassée lorsqu’il en entendra parler

même de façon flatteuse, assurant que « s’il était

possible de réparer cette faute par la perte d’un

doigt, il ne balancerait pas d’en faire le sacrifice

à l’entière suppression de ce délire de

l’imagination »(Mémoires de Naigeon).

Si Diderot est arrêté le 24 juillet 1749 et

emprisonné au donjon de Vincennes, ce n’est

toutefois pas suite à la publication des Bijoux

mais sous l’accusation d’appartenir au « parti

intellectuel » comme auteur de la Lettre sur les

Aveugles à l’usage de ceux qui voient et la

Promenade du Sceptique. La situation du

royaume exigeait une recrudescence de

surveillance, la vigilance de la police

s’intensifiait et le gouvernement usait de la plus

Page 25: FLORILEGE 147

25

ferme répression. Après aveux et promesse

d’amendement, Diderot obtient le 21 octobre son

élargissement.

Les Bijoux paraissent en Hollande, six

éditions s’en vendent en quelques mois, certaines

portant A Pékin ! Dès 1749, le roman est traduit

en anglais. Signalons qu’une édition de 1833,

ornée de figures, alarme les censeurs et entraîne

une condamnation insérée dans le Moniteur du 7

août 1835.

Il ne s’agit certes pas d’un chef-d’œuvre

mais ne faisons pas la fine bouche et ne boudons

pas notre plaisir, extrayons-en sa « substantifique

moelle » puis, pour les savourer alors sans ombre

d’obreption, relisons à cœur ouvert Jacques le

fataliste et son maître et Le Neveu de Rameau.

Pour ne nous en tenir qu’au XX° siècle et à

quelques auteurs de renom, nous n’oublierons pas

que Pierre Louÿs, Guillaume Apollinaire, Louis

Aragon, Raymond Queneau et Robert Turner (ici,

nous pensons évidemment à Trois filles de leur

mère, Les Onze mille verges, Le Con d’Irène, On

est toujours trop bon avec les femmes et Tite

Belle) n’ont pas hésité à tremper leur plume dans

l’encrier de la gaudisserie épicée pour nous

concocter à leur tour quelque ouvrage « de haulte

gresse enchargié d’esgayer la maison ». Que

s’esbaudisse l’ombre de Rabelais

Les larmes d’Agathe –

Etre femme dans le

Morvan, roman par

Christian AMSTATT –

Chez l’auteur, 51 rue L. de

Vinci – 21000 Dijon

(Editions Raison et

Passions – 210 p. 15 €)

Le Morvan dans les années 50. Le monde

vient battre aux portes d’Agathe, enfant

symbolique d’une civilisation paysanne sur sa

fin. Devenir femme sera le fruit d’épreuves

successives, ôtant tour à tour les « voiles » des

habitudes, des préjugés, des fatalités. La tenacité

d’une enfant qui ne se satisfait pas de ses

chagrins secrets et refuse de s’en tenir à une place

assignée.

Cette quête de soi, cette quête de sens,

menée en souvenir d’un ami mort, sacrifié, passé

lui aussi en pertes et profits, c’est l’obstination de

l’intelligence, de la volonté de justice, de

l’incroyance en l’absurdité des choses, du

discernement d’un avenir qui tient aux hommes,

et nouveauté révolutionnaire, révélation dans la

pensée d’Agathe, aux femmes.

L’environnement d’Agathe, c’est la

pesanteur des routines, l’absence de vision,

l’espoir tenu sous le boisseau du manque

d’audace. Ce qui sauve Agathe, c’est finalement

l’indifférence , le peu de curiosité que suscite ses

démarches, la liberté acquise par défaut.

Ses larmes sont sa force, le signe de son

non renoncement, le signe de sa conscience, de sa

révolte muette pour parvenir à comprendre et

maîtriser un jour sa vie. Elles nous mèneront aux

derniers débordements de sa maturité intellec-

tuelle, aux flots salvateurs de ses larmes de joie…

Jean-Michel Lévenard

Page 26: FLORILEGE 147

26

FAUT VOUS

FAIRE UN

DESSIN ?

Page 27: FLORILEGE 147

27

par TOM

Page 28: FLORILEGE 147

28

Maurice Blanchard, l’enfant sauvage de Montdidier

par Jean-Hugues MALINEAU

Paru dans « Balade dans la Somme, sur les pas des écrivains (Paris, 2003-réédition 2011),

collection de géographie littéraire, éditions Alexandrines (www.alexandrines.fr)

Pour Maurice Blanchard plus que pour tout autre écrivain ou poète, « la poésie et la vie sont intimement mêlées » dans la mesure où le poème est toujours écho métaphorique de la vie réelle, « souvenir du souvenir ».

Pour ce fils du pays né le 14 avril 1890, l’enfance solitaire et malheureuse nourrira les révoltes et les batailles intérieures à venir, elle nourrira de rancune sans pardon et de colère la future parole poétique.

Fils unique d’un père et d’une mère appartenant à de vieilles familles du faubourg Saint Martin, il naquit au pied de la colline de l’abbaye (prieuré des moines bénédictins), appelé « l’Abie » par les anciens Montdidériens.

Son père qui deviendra par la suite maire de Montdidier de 1923 à 1925, quitte sa mère dès la naissance de l’enfant. Celle-ci qui mène une vie plus que modeste « gardera » Maurice plus qu’elle ne s’occupera de lui, et Blanchard confiera qu’il ne se souvient pas d’une marque de tendresse de sa part son enfance durant ! Plus encore, sa mère, dans la misère elle-même, va refuser à son fils le droit le plus élémentaire à l’instruction.

Maurice qui est un élève sensible et très intelligent sera, malgré l’insistance de son maître d’école, engagé, à l’âge de douze ans apprenti serrurier chez le maréchal ferrant du faubourg.

Un peu plus tard, écrira Blanchard dans un poème autobiographique, « une grande joie, la loi de dix heures avec une ombre : nettoyer l’atelier le dimanche, ranger les outils et la ferraille. La loi n’en parlait pas, ni pour ni contre, donc… »

Cette solitude sans amour et cette misère vont faire de l’enfant craintif et timide un enfant « sauvage » et du futur poète une véritable « bête sauvage » qui s’identifiera lui-même au tigre, au jaguar ou au sanglier.

Pêcheur de brochets, tueur de lapins durant ses rares moments de répit, l’enfant amoureux de la rivière, des arbres et de la lumière, vit surtout dans une atroce souffrance solitaire : « Ce fut un enfant abandonné sur un fagot d’épines. Ce fut un adolescent sans espoir et sans lumière. Ce fut une taupe dans son royaume souterrain et la terre lui fut un refuge contre la bassesse du ciel. »

L’enfant joue même un jour à creuser sa tombe dans les feuilles mortes d’automne ; un autre jour, raconte-t-il, « à cinq ans, j’ai mangé le nez d’un innocent entêté. Comme le nez a saigné ! »

A huit ans, premier poème avec des mots qu’il invente, en dévalant la colline à toute vitesse par un soir de grand vent : Estave ô minaure / Sirtace dismen / Olh janosb héricante / Bahia la carsillo/ Mintem…1

Enfant oisif et humilié par l’esclavage des premiers travaux, c’est un enfant qui dérobe parfois, les poings serrés, quelques instants d’éternité :

« Au premier chant du coq, réfugié dans la grange, abandonné des humains et du soleil, enfoui dans la paille comme un rat craintif, je m’enivrais de silence et d’obscurité. Il me semblait vivre dans l’éternité, hors de ma chair, hors de mon sang, hors

1. Ce poème sera retranscrit 40 ans plus tard dans le

recueil : C’est la fête et vous n’en savez rien.

Page 29: FLORILEGE 147

29

des terrestres dégoûts et des humiliations et je vivais dans les lieux calmes et les profondeurs de l’Enfer. »

Si Maurice Blanchard évoque parfois son

enfance, il ne nous parle que très rarement de Montdidier hormis dans quelques pages de son journal dont nous présentons plus loin des extraits. Il quittera la Picardie vers 18 ans pour s’engager dans la marine (seule possibilité de faire des études et « de rejoindre la file des garçons instruits »). Ignorant alors que le voyage jusqu’à Toulon est payé aux jeunes conscrits, il part à pieds de Montdidier et marchera jusqu’à la Méditerranée !

« J’ai repris des forces en piétinant ma mère. Je chante à pleine gueule, va-du-bec, va-z-y voir je t’emmerde, je pousse un petit caillou, je pousse mon ventre. Vichy, quatre cent trente kilomètres, comme le temps passe… »

On connaît la suite…L’enfant surdoué, animé par une véritable boulimie de connaissances, deviendra en quelques années un célèbre ingénieur aéronaute (ses avions battront des records de vitesse et d’altitude) et, tard venu à la poésie, à l’âge de trente-sept ans, il est un des poètes essentiels du vingtième siècle qui a fait l’admiration d’André Breton, Paul Eluard, Julien Gracq , René Char et de bien d’autres parmi les plus illustres de ses contemporains.

On peut s’étonner dès lors que l’enfant malheureux et humilié soit si fréquemment retourné à Montdidier : «Pourquoi s’attendrir sur d’affreuses réminiscences ? Pourquoi se souvenir de saloperies d’enfances ? Je n’aimerai pas revoir le triste patelin qui m’a vu naître : pourquoi cette éducation collée aux gestes comme la terre des champs à mes semelles, quand je touchais les bœufs dans la plaine d’Assainvillers ».

Il nous faudrait longtemps peut-être pour expliquer ce nécessaire retour aux sources et ces apparentes contradictions ; qu’on se contente de cette citation éclairante : « Pour

écrire un poème, il faut recommencer sa vie, toutes ses vies ».

Pour Maurice Blanchard davantage encore puisque la victoire de la poésie qui consiste à reconquérir « une pureté première » passe nécessairement par une descente aux enfers :

« Les aurores se fabriquent dans les ténèbres » Poète encore très méconnu, après de

longues années passées à Paris, Maurice Blanchard retraité de l’aéronautique choisit en 1955 de retourner finir ses jours à Montdidier où il loue une maison ! Il y passera les cinq dernières années de sa vie jusqu’en 1960 et il y écrira ses derniers poèmes.

« Je revins au pays pour cultiver la terre, bien que la récolte n’eût plus à mes yeux que la valeur d’un rêve d’enfance. Et même infiniment moins ! Mais comment se fit-il qu’en descendant la colline, je me prisse à caresser les haies toujours vertes qui se mirent à frissonner comme des bêtes familières. Ce fut émouvant bien sûr ! L’écorce de ma vie se fendit et laissa perler sa noire résine ».

Sur cette même colline de l’Abie qu’il dévalait enfant en hurlant son premier poème, il chutera un jour d’hiver 1960, glissant sur une plaque de glace et mourra, quelques jours plus tard des suites de cette mauvaise chute.

Contacts : Editions Alexandrines, Marie-Noëlle CRAISSATI 31, rue du Coüédic – 75014 PARIS [email protected] Pour lectures de Maurice BLANCHARD : « Les Barricades mystérieuses » (NRF – GALLIMARD) « Maurice BLANCHARD » par Pierre Peuchmaurd (Seghers) «L’avant-garde solitaire » par Maurice BLANCHARD (L’Harmattan)

Page 30: FLORILEGE 147

30

LE FESTIN DU PAUVRE

L’affamé, avide et transparent, digère les couleurs. Les sons se hâtent et marchent sur les eaux

et voici le soleil encore un coup immobile pour un siècle ! Ô patience !

Ô patiente ! La forêt de mes mains s’épouvante et les rameaux tombent, tombent lentement. Ils

effacent les sentiers, ils effacent les souvenirs. Ma main de glace qui déchire l’angoisse, ma main

qui étoile les vitres hargneuses, ma main qui écrit ce poème : ma main est sage comme une

image. Je suis l’intouchable, le pestiféré, mais je suis fort et demain n’existe pas.

La faim extra-lucide aux grandes mains d’étrangleur a parlé : « Un monde, c’est quelque chose

que l’on mange, d’une façon ou d’une autre, par la chair ou par les yeux, par la flamme, le rabot

du cœur et ses bouquets de copeaux frisés qui sentent le printemps. » Seules les basses marées

sont mortelles.

L’HORLOGE DE LA TOUR

L’ivrogne s’est couché sur les marches de pierre, et la pierre est devenue douce. C’est un lit de

fleurs qui berce l’ivrogne, une chanson. Et la pierre est là, qui témoigne de l’éternité. L’homme

sage crache sur l’ivrogne, mais le Soleil brille sur les pierres et les nuages font trois fois le tour

du monde. Ils changent la lumière qui fait briller les pierres. Les yeux de l’ivrogne brillent et

chantent.

Aujourd’hui 21 juin, il est midi et c’est l’Été. Ce sera toujours midi et ce sera toujours l’Été.

L’hirondelle a bâti son nid au sommet de la Tour et le lierre du souvenir pique inlassablement

de son bec d’acier dans les jointures de la pierre qui brille et qui chante.

VIVRE C’EST INVENTER

Dans la nuit brisée par l’orage, assis sur la margelle d’un vieux puits, je fixai ce pétrifiant regard

de gorgone qui me dévorait déjà à l’autre bout du monde. Ce n’est pas avec les mains que l’on

saisit la vérité, c’est en chassant au plus profond de l’abîme les ténèbres de l’existence. Ainsi,

j’écoutais les chants harmonieux de la nuit qui montaient des vagues entrouvertes. Regarder son

aurore, c’est à un bonheur indescriptible.

ÉCLAIRER LES RUINES

O ! Passé, passé immense

Ventre éternel et farouche gardien

des secrets de l’existence : tu ne

mens point et je ne crois en rien

d’autre qu’en ta puissante et

Imputrescible mémoire.

Les roches scintillantes des

profondeurs

sont là depuis toujours, pour toujours

supports solides du grand silence,

grand-livre des événements

irréversibles.

Durant les longues nuits sans

sommeil mes ancêtres sont en moi,

ils combattent, s’entre-déchirent

et se tuent.

Leurs blessures sont affreuses

et leur cruauté me pénètre :

Elle imprègne ma moelle

Et mon cerveau.

Chaque matin, dans l’aube mouvante

et instable mes revenants titubent

et s’effacent.

4 textes de Maurice BLANCHARD

Page 31: FLORILEGE 147

31

POÉSIE ESPAGNOLE CONTEMPORAINE «EL GRUPO CERO - MADRID»

par Clémence LOONIS

de l’École de Poésie Grupo Cero- Madrid

LA POESÍA ES UN ARMA CARGADA DE FUTURO

-La poésie est une arme chargée de futur-

Gabriel Celaya (1911 – 1991)

Depuis la génération du 27 représentée

particulièrement par Federico García Lorca,

Dámaso Alonso, Vicente Aleixandre, les maîtres

du début du siècle passé, les générations se sont

succédées sous la même dénomination,

génération du 50, génération du 60 et ensuite

plusieurs « ismes » ont fait leur apparition,

chacun d’entre eux voulant rompre avec

l’antérieur, cherchant à se démarquer; certains

tendent vers le naturalisme, d’autres se faisant

appeler « L’autre sentimentalité », il y a aussi

« la poésie de l’expérience » que le groupe « La

Différence » dénonce comme étant protégée par

les pouvoirs publics. Voulant présenter à tout

prix quelque chose de nouveau, quelque chose

qui n’ait rien à voir avec le passé, ils reviennent,

d’une part à une espèce de réalisme sous forme

de récit de l’expérience, dénué de métaphores et

marqué par l’incommunication, la solitude, le

scepticisme, puis d’autre part, se dessine un style

minimaliste où les espaces blancs ont beaucoup

plus d’importance que les mots. Finalement, dans

ce laboratoire se produit bien peu de poésies.

Cependant, cette écriture existe parce qu’elle suit

les modèles idéologiques de l’état. Elle a aussi la

fonction de dissiper, de diluer, de faire passer à

un autre plan les mouvements qui ciblent

l’écriture d’une véritable histoire de l’homme,

une véritable production de connaissances, de

réalités.

À la poésie, on y arrive par la poésie et nier le

passé ne nous convient pas, car sans maîtres, on

ne peut pas écrire.

Dans chaque poème, il y a une poétique et dans

chaque poétique, une conception du monde, une

manière de penser la vie, l’amour, la création.

Depuis 30 ans, il existe en Espagne, à Madrid, un

mouvement scientifico-culturel fondé sur

d’autres questions. C’est l’École de Poésie et

Psychanalyse Grupo Cero pour qui la poésie est

une manière forte d’être dans la vie. Ses Ateliers

de Poésies privilégient la lecture des grands

poètes du monde entier et maintient une

constante diffusion gratuite de poésie universelle.

La meilleure poésie, des meilleurs, de tous les

temps que propose la revue Las 2001 Noches.

(www.las2001noches.com)

“Si est possible le poème, est possible la vie”

écrit le poète fondateur de l’école, Miguel Oscar

Menassa. *

Quand la poésie se libère des lois qu’elle enfreint

parce qu’elles sont des modèles idéologiques, elle

devient un instrument de connaissance, une

manière différente de lire les phénomènes qui ont

lieu dans le monde.

La poésie est fondamentale pour comprendre le

monde et pour agir sur la réalité.

« Quand irons-nous, par-delà les grèves et les

monts, saluer la naissance du travail nouveau, la

sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des

démons, la fin de la superstition… » écrit

Rimbaud, parce qu’il sait, tout comme Saint John

Perse que c’est à partir de la poésie que se

fabrique le monde et qu’un autre monde est

possible; “L’amour est son foyer, l’insoumission

Page 32: FLORILEGE 147

32

sa loi et son lieu est partout, dans l’anticipation”

Discours de Stockholm, réception du Prix Nobel,

1960

« La poésie doit être faite par tous, non par un »

écrit Lautréamont

« La poésie doit être lue par tous » écrit le

Grupo Cero.

La poésie ne souffre pas des misères du temps

chronologique et sa valeur est hors de la valeur

d’usage et loin, très loin, de la valeur d’échange,

puisque comme nous le savons la poésie, dans sa

différence radicale, n’équivaut à rien de possible.

Sa sphère d’action, l’avènement, ne peut ni

s’utiliser ni se vendre mais, cependant et ce n’est

pas en vain que le poète le dit : la poésie n’abrite

en son sein que les grands travailleurs.

Penser le poète comme un travailleur domine

l’exercice régulier de la lecture et de l’écriture.

La poésie est une possibilité pour chaque être

humain, c’est un travail, comme l’est parler ou

marcher mais le poète n’est pas la poésie et c’est

dans l’acceptation de cette différence que

s’inaugure la possibilité d’écrire.

Pour le Grupo Cero : écrire, publier et diffuser,

sont un même acte. C’est pour cela qu’il a fondé

en 1981, la Maison d’Édition du même nom et a

publié depuis lors à compte d’auteurs, plus de

180 livres et de nombreuses revues de poésies

gratuites.

Et comme l’a souligné le Grupo Cero, il y a plus

de 30 ans :

« La poésie est une arme contre l’ennemi,

utilisez-là ».

*Né à Buenos Aires en 1940, il vit à Madrid depuis

1976. Poète, Médecin, Psychanalyste, Peintre,

Éditeur, Metteur en scène, Acteur…Candidat au prix

Nobel de Littérature 2010.

Il a publié plus d’une cinquantaine de livres et cette

année il célèbre ses 50 ans de poète.

(www.miguelmenassa.com)

LA MORT DE L'HOMME

C'est de nouveau la nuit

et en général

la maison dort.

Une voix à la radio

dit les dernières paroles.

Je me distrais avec la fumée

et mille choses me passent par la tête

et aucune n'a à voir

avec l'idée de m'allonger tranquillement

sur le lit

et dormir.

Au milieu de tant de papiers

je finirai par être un écrivain

et je fixe mon regard sur le lointain

et je laisse l'histoire de l'homme

faire irruption

avec la violence du destin

dans ma nuit.

J'allume des cigarettes en abondance

l'une après l'autre comme si c'étaient

de scintillantes grenades contre les

oppresseurs.

Depuis des millions d'années

l'homme vit à genoux.

Les grenades éclatent sur mon visage.

De primitives présences

peuplent ma nuit de rites sauvages.

Cérémonies où la mort

est toujours une chanson

sublime et mystérieuse.

Des bêtes indomptables

semblables à l'homme

par la maladresse

de leurs mouvements

dansent autour de moi

rageuses

sylvestres.

En mauvais français

elles me disent que leur chef

veut parler avec moi.

Page 33: FLORILEGE 147

33

Assis sur mon lit en train d'écrire

je demande que cessent de rugir les tambours

que cesse la danse

qu'on me laisse écrire ce poème.

L'homme a faim et soif depuis des millénaires.

Nous sommes cet homme affamé et assoiffé poète

chantez avec nous:

Nous venons de la Mésopotamie

et des Caraïbes

et en cherchant la perfection nous sommes

arrivés

jusqu'aux mondes qui se cachent

au-dessus du ciel

et nous n'avons rien trouvé.

Il y a toujours un homme qui a faim.

Il y a toujours un homme qui meurt de soif.

Ici même poète

dans ta maison

logent l'oppresseur et l'opprimé.

Assis sur mon lit en train d'écrire

je dis aux sauvages

que nous sommes en pleine nuit

je leur demande poliment qu'ils arrêtent de

danser

j'ai besoin de m'enfoncer parmi les lettres

ma faim

mon unique soif.

Ils arrêtent de danser

et celui qui se distingue

par son extrême humanité

me fulmine du regard.

Qui est plus cruel

poète?

Qui est plus sauvage?

Celui qui meurt en luttant

pour un morceau de pain

ou celui qui ne meurt jamais?

Qui produira l'extermination

poète?

Mes armes ou tes vers?

Et maintenant poète laisse ta plume

commence à marcher et pense.

Assis sur mon lit

en train d'écrire

je dis au sauvage

que je ne veux pas quitter ma chambre

et que j'ai toujours su que penser

n'était pas nécessaire et que je désire

et c'est la dernière fois que je le lui dis

continuer à écrire ce poème.

Avant de continuer je m'arrête

sur l'intelligence du sauvage:

il parle bien et tandis qu'il parle

il laisse échapper entre les mots

Page 34: FLORILEGE 147

34

son haleine

pour que tout semble vital

déchirant.

Moi je suis l'homme

crie la bête enchaînée.

Et toi poète, tu es l'homme ?

Écrire pour qui ?

Où les amis

et où les ennemis?

Dis-moi poète,

ton chant

a-t-il besoin du futur

pour être ?

Ce poème que tu écris

contre tout

à qui servira-t-il ?

Voyons poète un vers

qui me dise maintenant même

qu'est-ce que l'homme?

Assis sur mon lit en train d'écrire

je me rends compte

que l'intelligence du sauvage

terminera par brûler

tous mes papiers écrits

dans ce bûcher

que ces paroles ont construit

autour de moi.

Je cesse d'écrire

je le regarde fixement dans les yeux

et je murmure ses propres paroles

en un seul vers un homme

en un seul vers un homme

et je me décide à écrire ce vers.

Je soutiens avec mon regard

le regard du sauvage

et avec de rapides mouvements

je prends la mitraillette

et je tire plusieurs rafales

sur le corps du sauvage

qui les yeux exorbités

par la surprise

tombe

pour mourir et disparaître.

Assis sur mon lit j'écris maintenant

avec l'assurance

de celui est arrivé au sommet:

Un poète a assassiné son homme

pour écrire ce poème

et ça

c'est un homme.

Miguel Oscar Menassa

Traduit de l'espagnol par Claire Deloupy

Page 35: FLORILEGE 147

35

De la musique avant toute chose…

par K.J.Djii

TOM JOBIM

ou de l’opportunité d’une musique populaire de qualité.

Il reste toujours des fossés à combler et les

manches de pelle manquent bien souvent de bras.

Prose/poésie : c’est quoi cette hérésie ? Peinture

figurative/peinture abstraite : Abstraction faite de

certains neurones par trop sédimentés, il s’agit

dans les deux cas de représentation. Musique

populaire/musique savante : Bartok a-t-il écrit de

la musique savaire ou populante ? Il est vrai

qu’en son temps, il se faisait traiter tantôt de

folkloriste et tantôt de moderniste, voire de

décadent (Sa musique a été interdite dès 1933 en

Allemagne).

Mais il est des contrées où ce fossé

n’existe pas ou tout du moins, reste suffisamment

petit pour être aisément enjambé. C’est le cas de

la musique populaire brésilienne (MPB qu’ils

disent là-bas) qui, contrairement aux idées

reçues, n’est pas uniquement de la musique de

carnaval à grands renforts de sourdots, quikas et

berimbaos, ou de la musique à danser et à jouer

au foot sur les plages de Rio, mais bel et bien une

authentique musique de haute qualité, tant dans

l’écriture que dans l’expression.

Un cas précis, Desafinado, composé par

Tom Jobin (1) sur des paroles de Newton

Mendonça. Cette chanson, universellement

connue a immédiatement été adoptée par la

population brésilienne mais aussi par un grand

nombre de musiciens et sa place dans le

Realbook, recueil des grands standards de jazz,

n’est pas un hasard.

Musique facile d’apparence, tout le monde

en connaît la mélodie, sauf qu’au bout de

quelques mesures, un siffleur négligent en perdra

le fil et s’emmêlera les cordes vocales (2).

Pourquoi donc cette notoriété planétaire et cette

facilité d’apparence ?

Voyons de près. Ce qui surprend dès la

première lecture, il s’agit de la partition, c’est que

cette musique qui colonise instantanément le

cerveau, n’est pas un de ces airs simple voire

simpliste, inséré dans une structure qui ne l’est

pas moins et arrangé de même. Afin de pas

utiliser de notions trop techniques, le refrain ou

ce qui peut être appelé ainsi, n’apparaît que trois

fois et jamais de la même manière, et aucune

partie intermédiaire ne ressemble à ce qui se

nomme un couplet alors que c’est une chanson.

D’ailleurs, il ne s’agit justement pas d’un couplet,

mais plutôt d’une variété amazonienne de reptile

qui fourrage dans tous les demi-tons que

comporte la gamme (3). Tous ; aucun n’est laissé

de côté, d’où la grande richesse harmonique de

cette musique qui devrait faire dresser les oreilles

des musiciens classiques et hérisser le poil aux

rats (cadémie des stars).Ces douze demi-tons font

bien entendu référence à l’école viennoise du

début du XXème siècle, lorsque Schoenberg et

ses condisciples, Berg et Webern abandonnèrent

le système tonal pour le remplacer par l’atonalité

et le dodécaphonisme. Mais, à la différence de

leur musique qui reste malgré tout, parfois âpre et

quelque peu aride, Desafinado est un

enchantement de souplesse et de sinuosité. Il faut

aussi préciser que Tom Jobim a pris des cours de

piano auprès de l’Allemand Hans-Joachim

Page 36: FLORILEGE 147

36

Koellreuter qui s’intéressait de très près à cette

technique de composition.

Quant au reptile amazonien qui est l’une

des causes de cet enchantement, il est

directement issu de la saudade, terme brésilien ne

possédant pas d’équivalent correct en français

(4), qui est l’expression la plus représentative de

la culture du pays et de son esprit. C’est une

douceur bien balancée, sur un rythme très souple,

tant dans le jeu instrumental que vocal, et qui

confère à cette musique un caractère

éminemment féminin et sensuel. Ajoutons une

pelletée de richesses harmoniques (5) histoire

d’enterrer la culture hallidesque de Johnny et

nous nous retrouvons face à un véritable petit

chef d’œuvre de deux minutes digne de figurer au

panthéon des grands.

Enfin, et le trou sera bouché, la diffusion

de la musique au Brésil ne se heurte pas à la

sacro-sainte loi des 70 ans pour entrer dans le

domaine public qui sévit en Occident ou du

moins, n’est pas appliquée de la même manière.

Ainsi, la partition appartient au patrimoine

humain des musiciens et des auditeurs et non aux

mains des maisons d’édition et autres prêteurs sur

gages.

Musique populaire/musique savante ? A

vos binious (6).

1-De son vrai nom Antonio Carlos

Brasileiro de Almeida Jobim (Rio de

Janeiro 1927-New York 1994). Le point

de départ de sa carrière est la

rencontre avec Vinicus de Moraes en

1956 qui lui demande d'écrire une

musique pour sa pièce Orfeu da

Conceiçao ; c'est immédiatement un

triomphe et la pièce sera adaptée au

cinéma par Marcel Camus en 1959

sous le titre Orfeu Negro. En plus de

Moraes, Tom Jobim a joué avec tous les

grands de la musique brésilienne tels

que Baden Powel, Joäa Gilberto ou

Nara Leäo qui sont à l'origine de la

bossa nova. Il a composé plusieurs

centaines de chansons et enregistré

plus de 50 disques. Il est aussi l’auteur

d’autres mélodies mondialement

connues comme La Garota de Ipanema

ou Aguas de março. Il sera quelque peu

abandonné de son public brésilien à la

fin de sa vie pour s'être trop rapproché

de la musique américaine et de Franck

Sinatra notamment.

2-Pipeau à deux cordes.

3-Les 7 notes de la gamme (do ré mi fa

sol la si) sont divisés en 12 demi-tons.

4-Saudade pourrait être associé à

quelque chose comme la nostalgie ou la

mélancolie (qui est une sorte de vague

à l’âme à la sexualité floue). Le terme

allemand de sehnsucht conviendrait

mieux à qui comprend la langue.

5- L’armature, comportant un si bémol

à la clé, fait penser à une gamme de fa

majeur, mais il n’en est rien puisque

sur les 68 mesures composant la pièce,

45 accords différents s’y succèdent.

L’accord de fa majeur qui soutient

effectivement les deux premières

mesures ne se retrouve qu’à trois

reprises.

6-Attention, de fausses partitions

circulent sur internet.

Page 37: FLORILEGE 147

37

Do Brasil par Yvan AVENA

Elizabeth Caldeira Brito : poète de l´amitié

Je n´aime pas trop les hommages publics.

Il y a quelque chose d´artificiel dans les grandes

manifestations de remise de médailles et de

diplômes comme dans les « hommages

posthumes » que les hommes politiques se

croient obligés d´organiser, pour des écrivains ou

des artistes qu´ils n´ont, pourtant, jamais essayé

de connaître et de fréquenter quand ils étaient

vivants. Une certaine pudeur absurde

m´empêcha, souvent, d´exprimer toute

l´admiration et l´amitié - et aussi la

reconnaissance – que j´ai éprouvées pour certains

de mes amis artistes ou poètes. Bien après, quand

ils n´étaient plus là, j´ai regretté de ne pas leur

avoir dit tout mon bonheur de les avoir connus.

J´ai, effectivement, déploré de ne pas les avoir

suffisamment remerciés de tout ce qu´ils m´ont

apporté et m´ont offert, dans le domaine de l´art

de vivre et de comprendre les hommes. C´est que

souvent les grandes et inoubliables rencontres de

notre vie restent très discrètes, très simples. La

main qu´on vous tend, pour vous éviter de mettre

le pied dans une flaque d´eau boueuse, n´est

jamais filmée par la télévision. La main de

l´amitié est toujours discrète, désintéressée et

sans malice. C´est la main du cœur.

A Goiânia, où nous sommes arrivés, déjà

âgés (j´avais 74 ans), et où nous avions comme

seul ami le professeur Ruy Rodrigues da Silva

(que nous avions connu en Afrique), beaucoup de

mains se sont gentiment tendues pour nous éviter

de trébucher, mais aussi pour nous ouvrir

généreusement les portes - toujours quelque peu

secrètes - du monde de la poésie de cette région.

Je souhaite aujourd´hui exprimer, tout

particulièrement, ma reconnaissance à Elizabeth

Caldeira Brito qui fut, depuis notre arrivée à

Goiânia, notre ange gardien. Cette aimable, belle

et talentueuse poète publia son premier livre

« Dimensões do vivir » (Les dimensions du vécu)

en 2004, soit un an après notre premier séjour

d´un mois à Goiânia. Néanmoins grâce à

quelques pages manuscrites de ses poèmes,

j´avais pu l´inclure dans mon exposition « Poesia

Brasileira », dans laquelle je présentais les

poèmes illustrés de 29 poètes brésiliens reconnus.

Je m´en félicite. Elizabeth (Beth pour les amis),

qui venait de la danse (elle avait été la directrice

de l´école de ballet de Goiânia) a, depuis, publié

plusieurs livres, dont « L´envers des heures et

autres », trilingue (portugais, espagnol et

français) et occupe de nombreuses fonctions

d´animatrice ou de présidente de diverses et

prestigieuses institutions culturelles que nous

énoncerons à la fin de cet article.

Elizabeth Caldeira Brito représente, dans

mon esprit, tout ce qu´il y a de gentillesse et

d´amabilité dans les rapports avec les Brésiliens

de cette région. Goiânia, qui est la capitale

moderne et animée d´un Etat grand comme les

2/3 de la France, malgré ses 1.200.000 habitants

(en constante augmentation) continue de garder,

dans ses rapports humains, une douceur

décontractée de village. Personne ne s´énerve

quand il faut attendre son tour et, dans les

magasins, les vendeuses sont toujours souriantes

et aimables, comme si vous étiez le seul client de

la journée. C´est vrai aussi que les Brésiliens ne

sont guère ponctuels dans leurs rendez-vous,

mais personne ne semble s´en formaliser. Ça

n´empêche pas le pays d´avancer et de se

développer. Et même d´avancer très vite. Peut-

être même trop vite, poussé par la

« mondialisation » commerciale qui rabote, sans

pitié, tous les particularismes culturels. Pourtant

Elizabeth, qui est une femme moderne, une

femme consciente de ses droits et qui a des

obligations professionnelles (elle est responsable

de l´administration de l´Institut Historique et

Géographique de l´Etat de Goiás), soutient

également la commission locale de Folklore. Je

me moque parfois, gentiment, de cette activité

folkloriste qui m´exclut. J´ai gardé, après

quelques années dans le Gers, une certaine

aversion pour les gens qui sont attachés, sans

Page 38: FLORILEGE 147

38

nuances, aux « traditions ancestrales ». Mais

c´est, peut-être, ce manque de vieilles traditions

qui éveille, chez les Brésiliens, le besoin de

vouloir conserver le souvenir de ce que leurs

grands-parents leur ont transmis. Ça ne va guère

plus loin dans le temps. (La ville de Goiânia

existe depuis moins de 80 ans...). Donc, à part

cette adhésion sentimentale au passé, tout au

Brésil est découverte. Le regard des intellectuels

est réceptif à toutes les couleurs de l´horizon. Ce

n´est pas par hasard que le surréalisme a pénétré

si facilement et si profondément l´esprit des

artistes et des poètes latino-américains. Un

écrivain mexicain disait à un journaliste : « Pour

nous le surréalisme est une littérature de mœurs

traditionnelles ».

Donc Elizabeth Caldeira Brito est non

pas un écrivain régional (j´ai envie de dire,

comme les suisses, une écrivaine car la sensibilité

féminine existe) car, ce qu´elle exprime, dépasse

aisément les frontières nationales. La plupart des

traductions de poèmes que j´ai envoyées à des

revues françaises, belges et suisses ont été

publiées et appréciées. C´est une poète

d´aujourd´hui !

Bibliographie

-«Dimensões do viver»- Ed.consorciadas UBEGO

2004

-“Quatro poetas Goianos & um pintor francês” - Ed.

Kelps 2004

-“Aveso das horas & otros” – Ed, Secrétariat de la

Culture de la Municipalité de Goiânia 2007

-“Santuário da Cultura Universal” – Ed. Kelps 2010

-“Reverências – Secretariat de la Culture de la

Municipalité de Goiânia 2011

Membre actif des organisations suivantes :

- Académie de Lettres du Brésil

-Institut Historique et Géographique de Goiás

-Commission Goianaise de Folklore

-Union Brésilienne des Ecrivains

- Présidente de l´Institut Brésilien de Culture

Internationale.

« Beth» et Yvan (avril 2012)

Le temps

On cherche

dans les heures lentes,

consumées dans l´illusion,

l´espoir d´un seul chemin.

On cherche

dans les jours nébuleux

le brillant regard

qui, dans les assauts du temps,

se vêt de basses

et opaques brumes.

On cherche

dans un camp invisible

du désir silencieux

l´instant de rêve

que seulement le temps enseigne.

Et entrevoyant des aubes

d´infinis voyages,

d´heures amères

et d´invalides journées

que le temps ourdit

de singulières images.

Et il construit pour toujours

une malheureuse créature.

Page 39: FLORILEGE 147

39

Notes de Lecture

par Christelle THEBAULT

L'Atelier Imaginaire

« Mettons un rêve dans notre vie, et soufflons

dans les voiles » : Guy Rouquet, président de

l'Atelier Imaginaire, illustre ainsi avec ferveur

l'esprit de son association culturelle.

Jeune professeur de lettres, Guy Rouquet a fait le

pari réussi au début des années soixante-dix de

décerner un Prix littéraire hors de Paris, dans la

région lourdaise où il habite. Max-Pol Fouchet a

été le premier à le soutenir dans son projet et il a

honoré de sa présence à Lourdes la proclamation

officielle des résultats du premier Prix Prométhée

en octobre 1974 : « Il faut que vous sentiez que

quelque chose de grand est né. »

L'aventure a continué depuis et Guy Rouquet n'a

jamais cessé de poursuivre son action en faveur

de la création littéraire et artistique.

Ainsi, une quinzaine culturelle est organisée

chaque année, courant octobre : rencontres,

lectures, spectacles dans divers lieux de la région

lourdaise, sans oublier collèges et lycées. En

point d'orgue le dernier dimanche du festival, se

déroule la remise du Prix de Poésie Max-Pol

Fouchet et du Prix Prométhée de la Nouvelle,

décernés sur manuscrits, en vue de promouvoir

des talents nouveaux ou méconnus.

Depuis 1988, cette décade littéraire et artistique

se termine par cinq journées magiques, moments

forts d'échanges et de rencontres entre les artistes

et jurés internationaux des deux Prix et de jeunes

lauréats du Concours Général des lycées, invités

dans le cadre de la manifestation.

Ce temps de partage est un creuset d'émotions et

de découvertes magnifiques. Au-delà du plaisir

des spectacles, les jeunes côtoient en effet durant

ces journées de nombreux artistes, « passeurs de

rêve » et « compagnons de songe ». L'expérience,

belle et riche, donne ses lettres de noblesse à la

culture et au mélange des générations !

En octobre 2011, Annick DEMOUZON a reçu

le Prix Prométhée 2011 :

« A l'ombre des grands bois ».

« Nos souvenirs ne sont que brefs éclats jaillis de

l'obscurité dévorante. Bientôt, ils s'éteindront,

petites histoires de vies sans importance, vite

englouties dans le gouffre serein du Temps

amnésique. »

L'écriture est concise, nerveuse, comme une

succession d'instantanés photographiques. La

décomposition des instants donne de l'ampleur et

de la saveur aux textes, traversés par une émotion

palpable. Les répétitions et les phrases courtes

diffusent également une tension, une angoisse qui

croît par petites touches. Dans d'autres nouvelles,

l'écriture est plus légère et pétrie d'humour.

Le lecteur suit les pensées et les interrogations

des personnages, il balance parfois de l'un à

l'autre, et l'intrigue se noue comme se resserrent

les différentes voies possibles prises par une

situation le plus souvent ordinaire.

« Il a pensé : « Ce doit être cela, le bonheur. » Et

il aurait voulu figer cet instant, l'immortaliser,

que jamais il ne cesse. Mais il n'avait pas son

appareil avec lui. Alors il s'est forcé à bien voir,

très fort, pour ne pas oublier. »

Les personnages photographient ou regardent des

photographies, des paysages, des portraits, et ils

captent l'instant précis de la beauté, de la vie

frémissante autour d'eux, du passé enfoui, de

chaque âge de l'existence.

L'un pense : « Je n'ai pas pu me retenir. Je

mitraille. Il y en aura bien quelqu'unes de

réussies. Et je trierai. La photo, c'est mon trip.

Attraper dans ma boîte la beauté du monde, la

faire mienne. »

Et un autre prend conscience alors qu'il

photographie des inconnus dans la rue : « Une

illusion, une copie de la vie. Pas la vie. Je les ai

pris, saisis – je crois. Ils m'appartiennent – je

crois. Si peu. »

Aux amateurs de photographies et de nouvelles,

et à tous les autres, n'hésitez-pas à vous plonger

dans ce miroir de nos vies, de nos rêves et de nos

illusions !

Page 40: FLORILEGE 147

40

par Christian AMSTATT

Le Cri du Regard.

Jane Perrin

Dans son dernier recueil de poésie paru

en automne 2011, « Le Cri du regard », Jane

Perrin, vaillante octogénaire qu’aucun obstacle

ne rebute, passe d’un constat bien morose relatif

à la déliquescence de notre civilisation engluée

dans le maelström

« Notre CIVILISATION décline /elle est devenue

/troupeau obsédé, détricoté, /asservi

/devant un ECRAN /où se déchargent

évidemment /des lambeaux de vie, / des névroses

incurables, / sain ou pervers enfermement… »

à une volonté farouche de revendication et

d’insoumission

« Peuple/ Réveille-toi…/ Peuple / Fais éclater /

Souffrance et colère / Au-delà de ces ornières

Que ta justice / Soit ta LUMIERE »

« Il faut hurler / se révolter… »

mais plus encore, de reconstruction. En effet,

chez elle, rien n’est jamais perdu. Elle garde

toujours en elle cette foi en la vie, foi dans les

hommes, même s’il faut parfois les secouer un

peu.

« Homme que fais-tu / de ta liberté si chèrement /

conquise / et aujourd’hui, / galvaudée, /

piétinée ? »

« Alors / au fil des ans / au fil des ciels /

survoltant tous les orages / se peindra / la lueur-

chemin »

Le temps, sur elle et sur sa poésie, ne fait

qu’accroître son espoir d’une vie meilleure dans

une fraternité retrouvée.

« Homme, retrouve ton cœur / dans le silence de

tes pensées / loin de ce bruit-destruction /

désillusion »

Sans doute reprend-elle force et vigueur auprès

de ces jeunes qu’elle accompagne tout au long de

l’année dans des ateliers d’écriture, ainsi que

dans les représentations et spectacles qu’elle

égraine au fil des saisons. Ce qu’elle fait n’a rien

d’anecdotique. Ce chemin qu’elle trace et montre

à cette jeunesse est celui de l’effort mais aussi de

« l’horizon restauré » qui permet de conclure :

« J’ai franchi les vastes jardins / où les planètes

s’entrecroisent / et dans ton sein / NUIT / j’ai pu

ébaucher / un destin »

Poèmes courts, incisifs, sans fioritures ni

artifices, et qui font mouche à tous les coups. De

la poésie-diamant comme on aimerait en lire plus

souvent.

Par ailleurs, l’ouvrage est agrémenté de

photographies de l’auteur.

Le GRAND JEU 1 et 2.

Laurent Bayart.

Avec « Le Grand Jeu », Laurent Bayart

nous offre, en deux fascicules, une succession

ininterrompue d’images pleines de fraîcheur et

d’humour. Tout est basé sur une observation

détaillée des sensations ressenties par le poète,

qu’il s’agisse de la nature, des animaux, du

quotidien. En des images fugaces, c’est un

hommage à toutes les petites choses de la vie que

nous ne prenons plus suffisamment le temps de

capter. Un grand jeu, certes, mais un jeu où il y

néanmoins matière à réflexion.

« Une tortue échangiste / A troqué sa carapace /

Pour une coquille / D’escargot »

« Deux lacets / Enlacés / se tortillent / Dans la

terre du jardinet / Un nœud / Les rassemble //

Deux lombrics font du catch »

« Un papillon a mis / Un nœud / pour sortir »

« Deux sauterelles / Jouent à la pétanque / Avec

des punaises / tenant le rôle / Des boules // tandis

qu’un papillon / Fait office de cochonnet // Une

chenille graduée / S’est déguisée / En décimètre /

Afin de les départager »

Page 41: FLORILEGE 147

41

par Louis DELORME

Claude MERE - CIELS

DE VIE - Editions

Thierry Sajat.

On dit souvent qu’il

faut de tout pour faire un

monde. Et pour faire une vie

? Claude Méré, à la façon

d’un peintre soigne ses ciels,

ces ciels de vie, qu’ils soient

de nuages ou d’éclaircies,

comme il nous l’annonce

dans un court poème qui sert d’avant-propos.

C’est toute sa philosophie qu’il nous expose là.

La vie est faite de hauts et de bas, disent

certains. C’est à nous de rehausser les bas, de

prendre le dessus sur eux, à nous d’être à la

hauteur des hauts pour en tirer le meilleur. Il

s’agit là d’un humanisme (qui met l’homme et les

valeurs humaines au-dessus des autres : dixit

Larousse.) simple, pratique, qui ne cherche pas

midi à quatorze heures, qui avance selon la météo

de la vie quotidienne, une philosophie dont le

poète déplore la perte : " Naguère, on vieillissait

heureux, / on s’arrangeait avec son âge, / ses

reins, ses jambes, son visage / et l’on finissait

pour le mieux. // On n’avait regrets ni remords /

ni soucis de vieilles revanches, / ni la crainte des

échéances, / ni la hantise de la mort." (in Bilan)

On reconnaît çà et là le caricaturiste des

recueils précédents. La plume, restée jeune, fait

mouche à coups de petits traits incisifs : " C’est

aux cénacles des cabots / que les poètes collabos,

/ complicité, duplicité, / échafaudent leur vanité.

// Ils travaillent, vaille que vaille / à se doter

d’une médaille, / d’une nébuleuse notoire / dans

le firmament de l’histoire. // Ils rêvent d’un

sonnet d’Arvers, d’une bleuette de Prévert / qui

mettent les cœurs à l’envers." (in le Panthéon)

Comment le poète ne dénoncerait-il pas aussi un

monde qui va à vau-l’eau et nous entraîne

inexorablement vers sa chute : " On ne l’avait

pas mérité / les corbeilles de dividende / les

paradis de contrebandes / les faux-semblants de

vérité. // On ne l’avait pas mérité : / une télé de

gaudrioles, / des refrains en english-paroles, / les

détritus de la beauté..." (in La honte).

Il convient cependant de garder la tête

froide, de ne pas céder aux sirènes du

pessimisme, non ! Il y a encore l’enfance,

l’innocence, la vie toujours recommencée,

susceptible d’aller vers le mieux, à défaut du

meilleur. " Près de moi, l’enfant me sourit, / et

bat des mains, et cabriole. / Pas de crédit pour la

torgnole ! // Sa liberté n’a pas de prix. ! " (in La

leçon) Il y a l’amour qui perdure, qui n’a pas

d’âge lui, parce qu’il échappe à la morsure acide

du temps : " Les uns disent récidive, / et d’autres

fidélité. / vivait ce qui nous arrive / et survit

après l’été. // Je guettais sur le qui-vive / quand

la perdrix a chanté / et d’hier à la dérive /

l’oiseau a tout raconté. // Depuis, c’est à ne pas

croire / comme le chante Aragon. / Il fait beau

sur ma mémoire.// Il fait beau sur ma chanson. /

Il fait beau sur notre histoire. / Recommence la

moisson !" (in Comme hier)

Ciels gris, ciels bleus, ciels d’aurore,

ciels de crépuscule, Ciels d’automne, ciels de

printemps, ciels d’orage, éclaircies d’après

l’averse, ainsi va la vie. C’est à nous de savoir la

prendre par le bon bout.

Annie LASSANSAA –

LE CIEL DANS LA

RIVIERE – Editions

Bénévent " Le ciel dans la

rivière ". L’auteur

m’explique le pourquoi du

titre, comment elle a fait

ajouter des nuages dans le

tableau et comment,

lorsqu’on retourne celui-ci,

on voit effectivement le

ciel devenir rivière et le chemin devenir ciel au

soleil couchant. La poésie est là, avant même

d’ouvrir le livre.

Avec le premier poème :" SAVOIR

ENCORE S’EMERVEILLER ", c’est toute sa

philosophie que notre amie expose.

S’émerveiller, n’est-ce pas le vrai secret du

bonheur ? S’émerveiller avec un peu de naïveté,

de tendresse, d’humilité et beaucoup de

simplicité. Je pioche au hasard : "Savoir encore

s’émerveiller / Du fragile velours des roses,

Page 42: FLORILEGE 147

42

d’une confidence à mi-voix / Qu’un ami vous

offre en cadeau, d’un arc-en-ciel qu’on

entrevoit...// D’une fable de La Fontaine, de la

senteur du chèvrefeuille...// S’émerveiller, dans la

détresse, du réconfort De l’amitié... // Et des

légendes d’autrefois que l’on racontait près de

l’âtre, // ... Du jeune veuf désespéré qui retrouve

un nouvel amour... // De prendre la main d’un

enfant étrennant son premier cartable, //... D’un

ange de Botticelli, de quelques pages de

Colette..."

Emerveillement tous azimuts, à propos

de tout... et de rien, ai-je envie de dire. Les

choses les plus insignifiantes sont les plus

parlantes pour qui sait regarder, écouter, sentir,

goûter, palper. Je songe à ces tableaux du XVIIe

siècle où le peintre s’exerçait à représenter une

scène qui figurât les cinq sens. Emerveillement

devant les beautés de la nature, devant les

créations de l’homme, bref " Enfin s’émerveiller

de tout ce qui fait la Beauté du Monde"

Comme on en a besoin face à la laideur

qui s’exprime un peu partout !

L’auteur ne m’en voudra pas si je

continue dans l’ordre, laissant au lecteur toute la

suite que je n’aurai pas déflorée : avec " LE

BLANC ET LE NOIR ", notre poète joue du

contraste de l’obscurité et de la lumière : " Sous

le ciel de jais piqueté d’étoiles / Glisse sur le lac

un grand cygne blanc. Son plumage tranche sur

l’eau lisse et noire. // Et dans le silence,

commence soudain / La danse légère des flocons

de soie..."

Tous les poèmes sont à découvrir, à se

laisser enchanter par leur charme " Il y a des

jours comme ça / Où glissant dans son bain, on

croit voir la lagune, / Les coraux flamboyants et

les poissons volants... " // Il y a des jours comme

ça / Où cueillant au jardin un bouquet de lys

blancs, / L’on retrouve l’enfance au goût de lait

crémeux..."

Je pourrais continuer, parler encore de

l’osmose entre le ELLE et le LUI, l’auteur se

mettant dans la peau de l’un comme de l’autre,

faisant même, en une sorte de dialogue une

confrontation amoureuse, mais il me faut dire

quelque mots de la forme. Proche du classicisme,

Annie Lassansàa ne se laisse pas enfermer dans

des règles trop rigoureuses. Elle garde sa liberté

de verbe, n’insistant jamais sur la rime, lui

préférant de loin le rythme car c’est bien lui qui

nous entraîne, qui nous déroule le tapis vert de

poésie, où il nous plaît d’avancer. Outre

l’alexandrin, elle invente le vers de seize pieds,

réunion de deux octosyllabes ce qui permet de

raréfier la rime. (On l’a vu plus haut dans la

première citation). Comment résister encore à

vous donner une strophe d’un poème figurant sur

la quatrième de couverture ?

"Il en est des enfants comme des tourterelles ;

On les croit parmi nous mais ils lustrent leurs

ailes ;

De s’éloigner un jour, on les croit incapables ;

Pas déjà ! Pas si tôt ! Ils sont encore petits !

Mais voilà qu’ils sont prêts, qu’ils sont bientôt

partis ...

Ils sont tous différents et pourtant si

semblables..."

Si vous n’aimez pas ce recueil, je vous

autorise à me faire reproche de ce que j’avance.

Jacques CANUT–

ESCARBILLES –

Carnets confidentiels N°

35

Ah ! ces fameuses

escarbilles que crachait la

locomotive du temps des

chemins de fer à vapeur, qui

constituaient de fâcheuses

mésaventures ou au

contraire des aventures

heureuses, pour peu qu’un

joli visage fût chargé de les

ôter. Escarbilles est bien le

mot juste. Des particules de poésie qui vous

parviennent au fil du souvenir, du quotidien.

Beaucoup passent à côté parce qu’ils n’ont pas

l’œil qu’il faut pour les recevoir. Jacques Canut,

lui, possède une grande acuité d’observation et il

nous les livre finement. Aphorismes, Haïkus de

forme libre, courtes proses (très courtes même)

constituent le 35e de ces Carnets confidentiels

(déjà) qu’on a toujours plaisir à découvrir.

Confidentiel : on se sent privilégié par l’auteur

qui nous admet dans son cercle le plus intime :

aphorisme ? La discrétion est l’abri du sage // Un

bonheur dont il s’efforce de ne jamais se

glorifier. Ou encore : Le cœur ne voit bien

qu’avec l’intelligence. Haïku de forme libre :

Plus de pots de résine / dans la forêt landaise : /

on méprise les larmes / des pins. Courte prose

poétique : Par l’entrée du courrier / quelque

chose glisse / puis tombe avec fracas / sur le

Page 43: FLORILEGE 147

43

carrelage du couloir. // Le facteur est passé. // Je

me précipite. / Beaucoup de bruit pour rien. / Ce

n’est qu’un épais catalogue / Qui ne m’intéresse

guère. Il ne faut pas grand-chose pour attirer la

plume de Jacques Canut mais ce pas grand-chose

prend dans notre esprit une tout autre dimension.

Le temps qu’on surprend dans son vol, qu’on

interrompt le temps de la photo. Ce temps qui

nous rattrape de quelque façon que ce soit et qui

nous martèle sa dure réalité : Ces pendules qui

mentent / qui sèment les fausses graines / du

temps // Tic-tac... / pourquoi pas / tac-tic ? //

Pourquoi "Pile ou face"? / Et non " Face et

pile"?"

Le temps, critère majeur de l’existence,

paramètre incontournable de nos faits et gestes,

facteur essentiel qui met notre vie en équation.

Nouvelle année : / une porte s’ouvre. / Est-il

possible / de refermer l’ancienne ? Tout est dans

la coexistence du passé, du présent et du futur.

Comment ne pas décrypter, pour terminer, le

poème qui s’inscrit dans le dessin de couverture,

dû à Claudine Goux : La pelote des mots / heurte

le fronton de la lumière / brise la coupole des

pensées / et sentiments / S’évader avec ses ailes

de cristal ! La poésie est indissociable des mots.

Jacques CANUT –

VILLEGIATURES –

Carnets Confidentiels 36 L’homme est

inséparable des êtres qu’il a

connus et aimés, mais aussi

des lieux qu’il a fréquentés.

Aussi est-ce sans doute

pourquoi le déracinement est-

il vécu comme l’une des

choses les plus atroces. Même

consenti, souvent. Partout où

nous passons, nous laissons

nos marques et lorsque nous

retournons dans ces endroits

qui ont servi de cadre, de

théâtre, à notre vie, nous

retrouvons des atmosphères, des parfums, des

signes, des souvenirs que notre passage à

disséminés au hasard de scènes vécues. J’arrive

dans cet appartement atlantique / où ton séjour a

laissé / un signe de troublante / mais

incorruptible complicité. // Lumière tamisée sur

les crêtes des vagues. / Le temps souffle le

farniente. / Les tic-tac de la pendule /

s’enveloppent d’une léthargique / sérénité. Les

lieux que nous avons aimés, les objets que nous

avons tenus dans nos mains, le dessus des

meubles que nous avons caressés, une cruche

fêlée, un livre aux pages cornées, sont pour nous

autant de madeleines de Proust : Anciennes

villégiatures. / La mémoire en reconstitue / les

plus élémentaires détails ; / Un mur, une porte /

exhumés des silences du passé. Et le passé refait

alors surface : Apaisante fraîcheur de la maison

basse / où le soleil estival faisait de l’œil / à

l’ombre.

A l’opposé, un paysage nouveau peut

nous permettre de repartir sur de nouvelles bases,

d’oublier un passé trop lourd : Il est des paysa-

ges / qui furent indispensables / à mon chant, tel

ce "campo" / dont je peuplai l’immensité / sans

regretter / ma province natale.

Les outrages du temps accentuent

l’emprise sur nous de ces endroits que nous

avons tatoués de notre empreinte ; nous voilà

captivés, pétrifiés devant l’image présente qui se

combine avec celles passées : Il est des demeures

plus fascinantes / d’être restées inhabitées. // Les

toiles d’araignée flottent, / s’abaissent jusqu’à

moi. // Le bouquet de tournesols / que tu avais

cueilli / lors de ton bref séjour / me salue,

inaltérable /dans son vase. // Et je me souviens /

d’un été... Points de suspension révélateurs que

nous complétons de nos propres expériences et

réminiscences : c’est là tout l’art du poète.

Marie-Annick FAYDI

- RECUEIL

POETIQUE -

MONTAURIOL poésie

N° 85 " La poésie cesse à

l’idée," selon Jean

Cocteau. J’ai envie de dire

qu’elle y commence aussi,

d’une certaine façon. Celui

qui n’a rien à dire n’a qu’à

se taire. Ecrire sur l’écriture, lequel des poètes ne

s’est pas laissé aller à cette nécessité ? Qui donc

ne s’est posé le pourquoi de sa plume ? "Mot,

verbe phrase / Dire et pourquoi ? / Se dire qu’il

faut dire... / Dire pour dire. / Ecrire pour tenter

l’impossibilité à dire. / Ecrire pour faire trace,

humble ornière du Temps..." A quoi sert donc la

poésie ? J’ai envie de paraphraser " La Page

Page 44: FLORILEGE 147

44

blanche" de ce recueil où l’auteur, justement,

parle du rôle de l’écrivain et se demande "Que lui

sert d’être disert?" et donne en fait la réponse à

ma question: "A rien me direz-vous. A rien, c’est

donc à tout." Dans son avant-propos, notre poète

se demandait si elle faisait ce qu’on nomme

poésie et répondait : "Je sais juste le cri de

l’écrit." Ce cri qu’on retrouve plus loin dans le

recueil : "... Expulsé hors de la chair / Cri

primordial de l’expulsion / Cri tout nu dans

gosier noyé." Le cri de la naissance, le cri de

désespoir, le cri de haine, celui d’amour... Le cri

qui devient hurlement : " Hurlez, amis, mes frères

! / Bramez dans les forêts votre rut impuissant! /

Criez votre impossible mission d’être." Être ! Ce

seul mot nous pose problème : "Je sais, je sais /

Quoi ? / Je ne sais pas. / Que faut-il savoir ? / Au

juste... / J’ai fini par accepter... / Accepter quoi ?

Hé ! la vie... / La vie pardi ! " Comment concilier

le bien-être et le mal être ? C’est bien là qu’est le

problème.

Le doute, voilà l’autre chose importante !

Voilà l’honnêteté ! Dans un monde où beaucoup

continuent, après toutes les horreurs que cela a pu

provoquer par le passé, à vouloir imposer leurs

certitudes : " Hors de ma vue le crime du racisme

et de l’intolérance, du pouvoir exercé toujours

sur les plus faibles." Autre thème récurrent : la

solitude : "Ecrire pour tenter de dire toute cette

solitude et tout ce silence en toi, qui s’est fait à

ton insu et que tu ne comprends pas." On est

seul au milieu de la foule.

Heureusement, pour atténuer ce côté

sombre, il y a la nature, ses paysages, sa

tranquillité. Comment la poète ne pourrait-elle

rendre hommage, à la façon de Ronsard :"A ma

douce vallée, verdure et pâturages / Mon Loir

marécage, méandres vendômois, / /Ma place

Saint-Martin, mon carillon-émoi, / A ma

première école, à ma ville natale..." La lecture

est aussi plaisir.

Comment ne pas aimer ce mélange de

poèmes métrés et de prose poétique ? Comment

ne pas apprécier la diversité des questions

abordées ? La variété ne représente-t-elle pas la

première des richesses ?

Aurélie de la SELLE - Guillaume

SABRAN - LE BOUQUET D’AURELIE -

TARABUSTE éditeur La poésie est dans le mot, la poésie est

dans le trait, dans la couleur. Elle est aussi dans

les sens de celui qui arrange les mots, les formes,

les nuances. Elle est dans

l’œil de celui qui

regarde, dans l’oreille de

celui qui est à l’écoute,

dans les doigts de celui

qui modèle... Ainsi

naissent le poème, le

tableau, la musique, la

sculpture...

Heureuse

conjonction de planètes

que ce recueil : Aurélie

de la Selle pour cette

combinaison

d’aquarelles et collages;

Guillaume Sabran pour les textes, en lecture

bilingue (français et anglais) sur chaque page, en

jouant avec la disposition dans l’espace de la

feuille. Qui nous charme le plus, nous pousse le

plus à la réflexion, au plaisir, d’Aurélie et de

Guillaume ? On ne saurait le dire tant la lecture

du dessin et du texte se fait simultanément.

S’agit-il de poèmes mis en images ou d’images à

susciter le poème, de poéture ou de peintésie ?

On n’en sait rien et c’est tant mieux car cela

préserve intact le mystère, et cette volupté qu’il y

a à découvrir ce qui fait véritablement un tout.

Il faudrait, pour mon propos, pouvoir

reproduire comme exemple le dessin et les mots

qui vont avec : la première page nous montre

deux amoureux aquarellés : " Dix ans déjà / ai-je

accompli / mon temps de ta beauté ? - Ten years

yet / have I done / of your beauty my day ? ".

Pour traduire cette beauté, en guise de visage, le

collage d’un timbre de Marianne : celle à deux

centimes de franc, dans des tons indigo ; qui tord

légèrement le cou, ainsi que le prônait Léonard,

dans son traité d’esthétique, coiffée d’un

bandeau, un peu à la façon d’une statue grecque.

" Mon présent heurté / nourrit-il nos baisers ? // -

my stumbling present / does it feed our kisses ?

Reconnaissant ta voix / je riais de vraie joie -

Knoking your voice / in true glee I laughed. "

comme au quitter d’un autre / tu me retrouvais,

me comparant - as when another deserting / You

found me again, comparing. Je t’aime ma

distance, autrement / Dois-je désormais nous

partager - I love you my afar, differently / Shall I

now share us ?

Dans les pages de garde, la réflexion

suivante : " Vos textes dans les deux langues sont

la vie même. J’aime beaucoup aussi les peintures

pleines d’humour et de vivacité d’Aurélie. " Et

c’est signé Andrée Chedid. Qu’ajouter de plus ?

Page 45: FLORILEGE 147

45

ROSE DES TEMPS

REVUE DE

L’ASSOCIATION

PAROLE ET POESIE

Revue modeste,

certes : trente pages, mais

tellement denses, tellement

bien présentées, bien

qu’imprimées sur du papier

recyclé. Un exemple à

suivre !

Une douzaine de poèmes seulement mais

il faut bien répartir la place. En choisir un, ce

n’est pas faire injure aux autres qui sont tous de

bonne facture. De Claude Prouvost, président le

de l’Association Flammes Vives : Il neige sur

mon cœur. " La neige tombe sur mon cœur /

Dans la froidure vespérale / Comme une aura

sentimentale / Qui déguiserait sa noirceur. Je

n’ai plus la force des larmes / Et dans mes cris et

mes vacarmes, / L’absence a des yeux de

vainqueur. // De la peine et de la douleur / Ma

poitrine est la capitale / Mais l’esprit est le

cannibale / Qui vient dévorer la candeur. / Les

fées d’antan n’ont plus de charmes / Et mon âme

a rendu les armes, / La neige tombe sur mon

cœur."

Dans son éditorial, Patrick Picornot, le

président, dénonce cette société de

consommation qui a tendance à nous réduire à

l’état d’objets. Et nous sommes tombés dans le

piège. Nous avons abandonné notre statut de

sujet. L’homme n’est plus ce roseau pensant,

célébré par Blaise Pascal. Toujours sous la plume

de P. Picornot, puis d’Aumane Placide, suit une

intéressante étude sur Milosz, ce Lituanien, à

cheval sur le XIXe et le XX

e siècle, dont toute

l’œuvre est écrite en français. Milosz qui écrivait

dans son recueil intitulé La Terre : " Je n’ai point

de maison ; je n’ai point de patrie ; / L’univers

seul a su combler mon cœur amer. / J’aimais

également toutes les créatures / Et jamais je n’ai

su morceler mon amour. / J’ai vécu solitaire au

sommet de ma tour / Les yeux illuminés de

visions futures." Comme cette belle leçon

d’humanisme, d’universalisme, (Je suis l’enfant

du monde) semble loin aujourd’hui alors qu’elle

serait plus nécessaire que jamais !

De nombreuses pages, en fin de

brochure, sont dévolues aux recensions de

recueils et de revues ainsi que des annonces de

manifestations. La revue n’en est qu’à son

numéro 8 mais elle semble promettre beaucoup.

Et nous lui souhaitons de se développer, de faire

sa place parmi les auteurs, et surtout les lecteurs.

L’INEDIT NOUVEAU

N° 254 - janvier-février

2012 L’Inédit Nouveau en est à

son 254e numéro, c’est tout dire.

C’est dire la patience et le labeur

de Paul Van Melle et de sa femme

Jacqueline. Ce n’est pas de gaieté

de cœur qu’ils ont réduit ne

nombre de parutions de leur revue

qu’ils nous envoient maintenant tous les deux

mois. Ils ont voulu avant tout préserver la qualité.

L’inédit Nouveau reçoit quantité de

romans, de recueils, de nouvelles, d’essais,

d’anthologies, de revues, dont Paul, dans sa

rubrique "à tous mes échos" fait un compte-

rendu plus ou moins détaillé selon l’importance

de l’œuvre. Tous les ouvrages sont recensés avec

rigueur, toujours de façon bienveillante mais sans

complaisance aucune. Dans les milieux littéraires

et poétiques, sa voix fait autorité. Tous les

auteurs attendent avec impatience son avis.

Deux mois maintenant, c’est long ! Les

éditoriaux de Paul font aussi preuve d’un

engagement sans faille pour la langue et la

poésie.

Mais détaillons un peu le présent

numéro. Un graveur, Bruno Gentinetta, et une

poète de langue allemande Magdalena Rüetschi

se partagent la couverture sur le thème de la

goutte d’eau. Sa traduction française, aidée par

Marie-Louise Cuvelier-Hirzel donne ceci : La

goutte solitaire qui pend / se condensant

lentement / jusqu’au possible saut et / à

l’heureuse arrivée / dans son propre élément / un

son solennel / emprunté à l’univers. Au verso de

la couverture, Paul Van Melle fait l’étude

succincte des littératures orientales préislamiques

sous le titre : " au temps où l’orient sauvait (déjà)

l’occident. " Viennent ensuite des textes en prose

notamment un extrait d’autobiographie de

Charles d’Estève dans une langue d’une grande

élégance :" Etaient là rassemblés depuis

longtemps, non pêle-mêle mais chronologi-

quement, de petits dessins et des gouaches, échos

de mes promenades et de mes jeux, des poèmes

liés à des fêtes ou à des émotions personnelles...."

Cela donne envie de connaître la suite. Suit tout

un florilège de poèmes. Comment ne pas retenir

Page 46: FLORILEGE 147

46

un extrait du poème intitulé "Attendu que", de

Micheline Debailleul qui m’avait fait la

gentillesse de me donner des textes pour Soif de

mots :" Attendu que le soleil de midi / brille sur

la blondeur des épis sans contrepartie / qu’une

péniche creuse des sillons bruyants et larges /

sans que la rivière pour cette blessure ne lui

porte ombrage / Attendu que les enfants noirs et

blancs jouent dans la plaine / que leurs cris sont

joyeux et sans haine / Je sais qu’il est bon de

savoir toutes ces choses / qui meublent les

saisons traversières... "

Il y aurait encore tant à dire sur cet Inédit

Nouveau qui fait référence.

(Paul Van Melle Avenue du Chant d’oiseaux 11 -

1310 La Hulpe - Belgique)

par Stephen BLANCHARD

« L’âme de Paris », avec C.D. de

Pierre MEIGE (20 €)

Mail : [email protected] et

tél : 06.34.75.77.69

Ce recueil est dédié « à ceux et

à celles qui promènent leurs vies

dans Paris », du Paris Panam au Paris

Baudelaire, aux âmes errantes du

boulevard Montparnasse et du quartier Saint-

Germain, aux sanglots longs de Verlaine qui font

encore « chialer les poulbots » et c’est à la

terrasse du temps qui passe que l’auteur retrouve

ces p’tits coins d’Paradis, ses rêves de liberté.

Pierre Meige traîne sa bohème sur les quais de la

Seine, parfois au quartier latin ou il ne se passe

plus rien car ici on a bétonné le vieux Colombier

et par là, les artistes sont devenus des

« quincailliers littéraires ». Et puis, il y a la rue de

l’amour et ses muses qui font rimer les saisons,

l’ombre de Bernard Dimey, de Vian, de Jean-

Roger Caussimon, de Barbara et de la serveuse

du petit bistrot de la rue Modiano qui en a

« dépanné plus d’un ». Voilà toute l’ambiance de

ce recueil qu’il faut déguster le cœur en

bandoulière avec l’âme d’un saltimbanque

lorsque l’espoir et les luttes s’écrivent encore à

l’encre noire sur les murs d’un Paris canaille.

Pierre MEIGE s’en va retrouver sa jeunesse

comme un vieux gosse perdu, au hasard des rues,

le temps d’une romance éphémère … mais si

vous passez à deux pas de la rue Caulaincourt ou

du Pont Mirabeau, vous aurez certainement la

nostalgie d’y découvrir l’empreinte de quelques

larmes posées délicatement sur les pavés d’antan.

par Jean-Michel LEVENARD

Nouvelles à chuchoter au

crépuscule , Lucette DESVIGNES.

Editions de Bourgogne, 126 p., 15

€.

Le titre en appelle bien sûr

aux noirceurs et aux incertitudes de

la brune, et non aux splendeurs de

l’aurore. Que voulez-vous, c’est

ainsi de façon immémoriale, l’heure du crime est

nocturne…

Alors, on ne parlera pas d’enchantement,

mais d’ensorcellement. Et méfiez-vous, il n’y a

pas qu’à l’encontre de ses personnages que

Lucette Desvignes use de perversité, elle s’en

prend aussi à ses lecteurs ! Quand elle vous aura

guidé par la main, longuement par des chemins

diffus au cœur des tourments humains, elle vous

lâchera soudain… à vous de trouver l’issue… car

c’est l’une des particularités de ces nouvelles que

de conclure rarement les intrigues qu’elles

proposent. Après tout, puisqu’il faut bien que la

vie continue, n’est-ce pas de grande sagesse que

de passer son chemin… Si vous demeurez aux

bords des mots, fascinés, basculé du côté des

morts plutôt que des vivants, alors vous verrez

s’approcher le Chat, démon débonnaire et

domestique…

Ces nouvelles s’expriment pour la plupart

sur le mode mineur de la vie de vos congénères

(méfiez-vous, vous serez donc bientôt du lot des

victimes ou des bourreaux…), sans bien grands

signes annonciateurs (ça vous tombera donc

dessus, comme ça !), à l’exception d’une étrange

rencontre dans un désert tout à fait pharaonique

particulièrement destinée à profondément vous

éclairer sur le non-sens de toute vie (et la vôtre,

vous en pensez quoi ?)…

Page 47: FLORILEGE 147

47

Revue en revue

par K.J.Djii

Une fois de plus, cette chronique va être

consacrée à une seule revue, Pages Insulaires et

à son directeur de publication, Jean-Michel

Bongiraud.

La revue, crée en juin 2008, succède à

Parterre Verbal qui faisait une large place à la

poésie. Aujourd'hui, Pages Insulaires offre plus

de pages dédiées autant à la musique avec une

chronique régulière de Guy Ferdinande, aux

sciences et plus précisément à l'astrophysique

avec Roland Counard et plus généralement à des

articles de fond donnant ainsi à la revue une

réalité en cohérence avec les interrogations de

notre temps.

K.J.Djii : C'est quoi, créer une revue,

l'abandonner, en créer une autre ?

Jean-Michel Bongiraud : Le sous-titre de

la revue est : « Bimestriel perméable aux idées ».

Je pense que ceci est suffisamment parlant pour

ne pas développer.

Quoiqu'il en soit, Pages

Insulaires n'a pas fermé

la porte à la poésie, loin

de là, même si les articles

sont nombreux et les

poèmes un peu plus

rares !

Cette revue

correspond à mon

attachement à la culture

en général et à la poésie

en particulier. Le rôle de

celui qui crée une revue

est souvent solitaire et

d'une certaine manière,

cela correspond à mon

caractère, non pas que je

sois incapable de

supporter la contradiction

ou la relation, mais une

revue permet de vivre à son rythme. Je suis

admiratif des éditeurs qui, supportent un autre

poids, bien plus lourd que le revuiste. Il ne s'agit

pas simplement de publier et de laisser ensuite le

livre sur la table, il faut au minimum entreprendre

une action pour vendre le livre édité et cette

posture exige une disponibilité pérenne. Les

éditeurs, sans être plus nombreux que les

revuistes ont une existence plus longue que ces

derniers. Pour moi, la revue ne peut être

qu'éphémère, elle n'a pas à s'inscrire dans la

durée. Récemment, Action Poétique a publié son

dernier numéro et c'est presque une gageure que

celle-ci ait duré plus d'un demi-siècle ! Dans son

interview, Henry Deluy dit, avec innocence et

sincérité, que cette décision lui appartient et qu'il

n'a jamais voulu passer les « commandes » à

quelqu'un, même si le comité se compose de

plusieurs personnes. Et je le comprends, la revue

est l'histoire d'un homme bien souvent.

Créer une revue, c'est aussi être passeur,

faire l'intermédiaire, créer un lien entre le lecteur

et l'écrivain, entre l'idée et la pensée, entre le mot

et le poème. C'est établir en toutes circonstances

la possibilité pour chacun de pouvoir se relier à

l'intérieur de la revue à quelque chose et d'aller

au-delà. La revue ne s'arrête pas à sa simple

publication, tout ce qui y est

lu est véhiculé, acheminé,

colporté comme je l'ai écrit

une fois. On pourra dire que

c'est à une petite échelle,

mais cette échelle n'est

petite qu'en apparence,

malgré le silence ou le

dédain qui entoure ces

publications.

KJ : Justement, à

propos d'échelle, à combien

tire Pages Insulaires et

comment fonctionne-t-elle ?

JMB : Tout repose sur

les abonnés et notre bonne

volonté. Parterre Verbal a

duré 10 années, elle fut

assez rapidement

« reconnue » et avait près de

Page 48: FLORILEGE 147

48

150 abonnés. Elle était plus axée sur la poésie

avec des numéros spéciaux sur certains poètes,

Rousselot, par exemple, ou certains sujets,

comme L'enfant et la poésie. Pages Insulaires n'a

pas de lien avec Parterre Verbal, d'autant plus

que la moitié des abonnés d'aujourd'hui ne sont

pas ceux d'hier. Actuellement ils sont environ

120.

KJ : Le numéro de décembre était

thématique, titré « Les armes ou l'écriture ? » ;

Pages Insulaires est-elle une revue engagée ?

JMB : En ce qui concerne l'engagement, ce

terme semble galvaudé au même titre que la lutte

des classes même si tout ceci n'est pas près de

s'éteindre. En ce qui concerne la revue, j'ai

effectivement voulu marquer avec plus

d'insistance cette idée d'engagement. Mais je n'ai

pas conceptualisé, ou disons, émis une

« doctrine-mode d'emploi ». J'ai laissé la porte

ouvertes aux expressions, mais on peut dire que

ce qui se retrouve, si l'on veut dresser un portrait,

c'est un certain humanisme, une certaine lucidité

par rapport aux événements et aux souffrances de

la société actuelle. Mes convictions personnelles

n'ont pas d'influence particulière sur la revue,

même si indirectement elles peuvent être

ressenties. Je m'exprime à travers l'éditorial, mais

les textes publiés ne font pas l'apanage d'un parti

ou d'une mouvance particulière. C'est une

certaine idée de l'homme, de sa dignité, de son

rôle mais aussi de ses faiblesses qui réunit les

abonnés. Le combat se fait, comme je le disais

avant, par l'intermédiaire du colportage. Celui de

la rue, je veux dire le combat, s'il doit venir, n'est

pas souhaitable, mais la montée d'un extrémisme

politique, religieux, n'est pas sans danger, surtout

lorsqu'il est exacerbé par le pouvoir. Les idées

suffiront-elles sans les armes ? Je pourrais

militer, mais la revue me permet à la fois de

garder contact avec la réalité mais aussi d'avoir

un certain recul.

KJ : Dans Vivre Poème, Henri Meschonnic

écrit ceci : « La poésie doit transformer le

monde, elle transforme notre rapport au monde

ou elle n'est pas la poésie ». La poésie aurait-elle

une fonction ?

JMB : Dire que la poésie doit transformer

le monde ne me convient pas, même si

effectivement elle peut transformer notre rapport

au monde. Transformer le monde par la poésie,

c'est lui attribuer des vertus qu'elle n'a pas.

Pourquoi pas la musique ? C'est un vieux rêve

que de croire à un pouvoir de la poésie. Pour moi,

elle est affaire d'individu, et même d'avantage de

l'intimité même de chaque être. C'est en cela que

la poésie est inexplicable car elle pénètre là où

nul ne va, au plus profond de nous-mêmes. Et

puis, tout le monde n'est pas réceptif à la poésie,

ce n'est pas seulement une question de culture,

mais de sensibilité, d'écoute, de patience, de

réception personnelle. Enfin dire qu'elle n'est que

poétisation si elle ne transforme pas le monde,

c'est aller vite en besogne. Aucune poésie n'est

gratuite, même si mon attachement à une poésie

engageant l'homme pour son épanouissement

social et personnel me semble incontournable.

Elle n'est pas une vérité universelle, mais intime,

comme je l'ai dit auparavant. Tu vas me trouver

critique, mais je deviens très pragmatique quand

on veut me faire croire aux pouvoirs de la poésie.

Je dis dans mon éditorial que « la poésie est

quelque chose de tangible... de naturel... » ; elle

est l'homme avec tous ses méandres, puisqu'il ne

faut pas oublier que les mots composent l'homme

et la poésie en est le terreau.

En ce sens il n'y a rien de plus naturel,

mais qui dit naturel ne veut pas dire pouvoir ou

force motrice, mais d'avantage présence, celle

réelle et certainement éphémère de l'homme,

autant qu'effective. Pas de dieu ou de choses

extraordinaires, une réalité proche de nous, en

chacun mais insaisissable en tant que telle. Je

crois que c'est un peu cela la poésie.

Page 49: FLORILEGE 147

49

CINEMA DE QUARTIER

par Bertrand PORCHEROT, directeur de salle classée Art et Essai

DETECTIVE DEE : Le mystère de la

flamme fantôme

Réalisé par Tsui Hark

Vous aimez les polars, vous aimez les

intrigues de Cour, vous aimez la Chine, vous

aimez un peu le Kung Fu… Alors vous

apprécierez l’œuvre du réalisateur, acteur et

producteur hong-kongais via sa société Film

Workshop (Le syndicat du crime et The Killer

de John Woo ; le sublime Histoire de fantômes

chinois de Chin Siu Tung), Tsui Hark

(d’origine vietnamienne), auteur prolifique

d’une quarantaine de longs métrages. Tsui

Hark est un virtuose de la caméra qui a hérité

du surnom de « Spielberg asiatique » dans son

pays.

Détective Dee : Le mystère de la flamme

fantôme, sorti dans les salles françaises en avril

2011, est un divertissement digne des meilleurs

Wu Xia Pian (films de sabre) avec un côté

«enquête à la Sherlock Holmes». Le film de

cape et d'épée chinois, genre extrêmement

populaire en Chine connaît en Tsui Hark un de

ses plus grands représentants puisque c'est sa

série de films Il était une fois en Chine (avec

pour héros Wong Fei Hung, personnage

historique du XIXe siècle incarné par Jet Li)

qui le popularise dans le monde.

Dans Détective Dee, Tsui Hark porte à

l’écran pour la première fois la vie de cette

véritable icône du VIIe siècle. Son nom était

originellement Di Renjie ou Ti Jen Tsié. Il

termina sa carrière comme chancelier de

l'impératrice Wu. La légende du « juge-

détective » a été popularisée dans les pays

occidentaux par les romans écrits par le

diplomate néerlandais Robert van Gulik qui le

renomma « juge Ti ». De même qu’avec son

premier long métrage The Butterfly Murders

(1979), Tsui Hark nous offre un film d’action

en costumes avec une intrigue policière, où la

logique et la science finissent par l’emporter

sur la superstition.

Le récit suit un détective libéré de prison

(interprété par Andy Lau) en l’an 690 qui doit

élucider une série de meurtres mettant en péril

le sacre de la première impératrice de Chine,

Wu Ze Tian (première et dernière femme

chinoise à avoir accédé au trône). On retrouve

la figure du héros indépendant qui cherche à

résoudre une enquête pleine de faux semblants

(distinguer l'être et le paraître). En désignant

l'homme comme une somme indissociable de

défauts et de qualités, Tsui Hark montre des

alliances qui se font et se défont selon les

intérêts et les motivations.

Le film se passe sous l'ère de la Dynastie

Tang qui a régné de 608 à 907. A la suite de la

Dynastie Sui qui était parvenue à la

réunification de la Chine du Nord et du Sud,

cette dynastie a été synonyme de prospérité

Page 50: FLORILEGE 147

50

pour l'Empire du Milieu. De nombreux films

se passent pendant cette période comme

récemment Le Secret des poignards volants de

Zhang Yimou. Détective Dee tente de

s'intéresser au plus près aux mœurs populaires

de cette époque. Pour Tsui Hark, la Dynastie

Tang se distingue des autres époques de

l'histoire de la Chine

par son atmosphère

mystérieuse et roman-

tique. Il s'est rendu

dans la province de

Xi'an, berceau de cette

époque avec son chef

décorateur James

Choo, afin de créer

une atmosphère

crédible.

Ce héros re-

viendra, je l'espère,

dans une suite signée

Tsui Hark. En

attendant, ce dernier

retrouvera Jet Li dans

The Flying Swords of Dragon Gate.

Tsui Hark a créé une œuvre cohérente,

extrêmement riche, parfois inégale mais dont

les défauts sont noyés dans un déferlement

d'images ahurissantes et de personnages

fabuleux. De Tsui Hark je suis encore assez

loin d'avoir vu tous les films. D'une part parce

qu'en France ils ne sont pas encore tous sortis

et aussi parce que je manque toujours autant de

temps.

DVD sorti le 23 août 2011 chez

Wild Side vidéo mais

privilégier le Blu Ray si vous

souhaitez approfondir vos

connaissances grâce aux

bonus plus conséquents que

sur le DVD.

L’Agenda des Poètes de l’amitié 2012

Juin VENDREDI 1 : lecture Norge par les

Bibliambules dans le cadre de Talant Passion

Littéraire

JEUDI 7 : cénacle « portes ouvertes » au CMA

de Dijon

JEUDI 21 : cénacle « portes ouvertes » au CMA

de Dijon

SAMEDI 23 : Comité de Lecture de Florilège

(14h à 15 h) ; Conseil d'Administration de

l'Association (15h à 18h).

Les JEUDIS du 28 juin au 23 Août, tous les

quinze jours : Apéropoésie dans le jardin de

la Banque de France à Beaune

Juillet VENDREDI 20 : animation de la « Balade de

l’escargot » à Chenove.

Septembre Du SAMEDI 15 au SAMEDI 22 : exposition de

l'Association les Poètes de l'Amitié à la

Maison des Associations de Dijon. DIMANCHE 16 : dans le cadre de la Journée du

Patrimoine, participation à Arts Croisés à

Chalon/Saône

SAMEDI 22 : spectacle « lectures absurdes » au

lycée Stephen Liégeard à Brochon

DIMANCHE 30 : date limite de participation

pour le Prix d’Edition poétique de la Ville De

Dijon 2013

24, 26, 27 et 28 Octobre RENCONTRES POETIQUES DE

BOURGOGNE à BEAUNE

Mercredi 24 : interventions en maison de

retraite et à la bibliothèque municipale

Vendredi 26 : inauguration, remise du Prix

d'Edition poétique de la ville de Beaune ;

récital au théâtre municipal (invité

d'honneur Bernard SAUVAT)

Samedi 27 et dimanche 28 : animation diverses

(lectures, spectacles) dans la ville et à la

Chapelle St Etienne; lieu de rassemblement

et d'exposition des Rencontres, débat public...

Novembre SAMEDI 10 : Assemblée générale de

l’association Les Poètes de l’Amitié à Dijon

VENDREDI 23 : spectacle Dimey à Talant, salle

Gabin

VENDREDI 30 : spectacle Dimey à Chenôve, à

l’Escale

Décembre

LUNDI 31 : date limite pour participation au

concours de la nouvelle N° 40

Page 51: FLORILEGE 147

51

la page des adhérents

L'hôtesse noire

de Jean-Pierre PAULHAC

ISBN : 978-2-84924-266-7

14 x 21 cm ; 130 pages ;

13,00 €

Dans un bar à hôtesses,

dans une ville de province, deux

personnages se rencontrent.

Christophe, nouvellement affecté dans cette

cité vient chercher à tromper son ennui et

s'échapper de sa nostalgie – il a été expatrié en

Afrique, au Tchad – en acceptant des

conversations tarifées avec

Diane, une hôtesse d'origine

camerounaise. Il rêve d'être ailleurs, de

rejoindre « son » Afrique perdue, les amours

qu'il a pu y vivre et croit retrouver dans son

interlocutrice comme des réminiscences de ce

passé, un peu trop brûlant. Elle, ne le suit pas

du tout dans ce cheminement, déracinée

volontairement, oublieuse d'une Afrique qu'elle

ne connaît pas, ses préoccupations sont autres,

peut-être plus alimentaires, soucieuse de

subvenir à ses besoins essentiels, sans avoir

trop de perspectives.

Ce dialogue les amènera-t-il à se

rencontrer réellement ? Diane incarne-t-elle ce

que veut revivre Christophe ? Ou bien tout cela

n'est-il pas qu'un fantasme de plus ?

Dans le huis clos de ce court roman,

l'auteur poursuit son exploration de tous les

malentendus issus de la relation franco-

africaine et trace, à nouveau, le portrait

attachant d'une femme noire, tentant d'inventer

un chemin de vie original et indépendant.

Dans la fleur j’ai vu

de Jacques BOE

Cet ouvrage est un

bonheur que mal-

heureusement peu parta-

geront.

En effet, Jacques

Boé concocte artisa-

nalement de très courtes

séries de recueils alliant dessins et textes. En

l’occurrence, ici, il associe des gravures sur

bois aquarellées à des haiku déclinés en

hommage à seize fleurs magnifiées par ses

travaux graphiques.

Ce genre d’associations lui est habituel,

et Jacques sera l’un des exposants majeur de la

manifestation que nous préparons pour mettre

en lumière la complémentarité textes/images

qui nous semble l’une des clés pour renouveler

l’intérêt des « non-initiés » à l’écriture

poétique.

Nicole PIQUET-LEGALL est la lauréate

2012 du Prix de poésie Yolaine et Stephen

Blanchard, pour son recueil, Ne tue pas la

mésange bleue. La remise du prix aura lieu à

Dijon, lors de l’Assemblée générale des Poètes

de l’Amitié le 10 novembre prochain.

L’ouvrage peut d’ores et déjà être réservé (10 €

port compris) auprès de Stephen Blanchard,

(19 allée du Mâconnais - 21000 Dijon). Ce

recueil de poésie libre, sera disponible en

novembre prochain.

Oscar RUIZ-HUIDOBRO reçoit le Prix

Stephen Liégeard, doté par la mairie de

Brochon, - siège du château de Stephen

Liégeard, aujourd’hui transformé en lycée -

pour son ouvrage édité, Claire-Voie, ou La

pénombre en 365 jours.

La remise du Prix se déroulera le 22

septembre.

Page 52: FLORILEGE 147

52

Sous la lune et autres saisons.

Jean-François Forestier.

Préface de Perrin GRIMARD (poète, revuiste, éditeur)

Un ouvrage de 56 pages, 10 €, disponible auprès de l’Association) ;

Si l’un des moyens à la disposition de quiconque veut écrire est de noircir la page initialement

blanche, il semble que le premier travail de notre poète soit au contraire de s’être mis en demeure de

blanchir une page auparavant noire et de ne laisser volontairement que quelques lignes « chues d’un

désastre obscur » pour reprendre un vers célèbre de Mallarmé, comme si écrire commençait par une

action de diminution, de gommage, de suppression, pour ne laisser subsister qu’un message codé qui

de page en page se développe pour constituer une chaîne ininterrompue voguant sous la lune et (en)

autres saisons :

« De l’enfantement de l’automne / passant par une fin d’été racoleuse », en empruntant « les portes de

la nuit » « cette nuit noire de Soulages » « Dans les heures où la lune se démasque » et se poursuivant

« jusqu’aux écharpes de neige » quand « en gésine le printemps tarde »

Textes concis qui ne sont pas sans rappeler le Haïku ou le tanka et qui amènent, immanquablement, le

lecteur à s’arrêter sur ce fugitif, ce presque non-dit, cette retenue, cette pudeur, qui rendent le poème à

la fois non fini mais aussi poignant, offrant au lecteur le choix entre un arrêt sur image- image souvent

somptueuse- et une suite à venir qui de toute évidence ne pourrait surgir que de lui-même.

« Offense faite au champ de neige / De ma

nuit / Par l’oiseau noir de l’insomnie ».

« Lame luisante d’un couteau d’insomnie

/ Tu parais éclair sans génie / Puis

t’éloignes en riant / Me laissant à la

nuit ».

De la nuit à la nuit, de l’insomnie à

l’insomnie, qu’elle soit oiseau ou

couteau, il y a dans cet enfermement tant

de choses à dire. La route est tracée. Au

lecteur de combler ce vide entraperçu aux

contours internes et étincelants des vers

ciselés comme des bijoux.

Va et vient entre le noir et le blanc, le blanc et le noir, équilibre subtil qu’il est si difficile – pour ne

pas dire impossible - d’atteindre dans la vie de tous les jours. Un peu comme ce combat incessant

entre santé et maladie, vie et mort, dont on connaît l’issue malheureusement fatale mais qui

n’empêche nullement –au contraire- « Dans des couloirs sans fin / les voyageurs égarés, somnambules

inquiets de guetter à l’écran des destinations inconnues. »

« Et ce vide papier que la blancheur défend » pour revenir à Mallarmé, n’est plus alors ce symbole de

l’épreuve surhumaine et quasi impossible à surmonter du poète suant et souffrant sur son épreuve,

mais au contraire signe de respect entre le noir de cette nuit qui revient si souvent dans le recueil –

« cette nuit tapageuse – (qui) avait écrit un poème / effacé à la lucidité du jour » et cette soudaine

magistrale « gifle de lumière / l’ accroche de l’aube »

Christian AMSTATT

FLORILEGE – JUIN 2012

– Prix : 8 €