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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1968 à 1974) CONTRAT DE MARIAGE ET RÉGIMES MATRIMONIAUX (1) PAR CLAUDE RENARD, PROFESSEUR A. L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE ET ALAIN DELIÈGE, AssiSTANT A. L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE·. SECTION Ire. -PRINCIPES GÉNÉRAUX. 1. CoNTRAT DE MARIAGE. - MINORITÉ. - Aux termes de l'article 1398 du Code civil, <<le· mineur habile à contracter mariage est habile à consentir toutes les conventions dont ce contrat est susceptible pourvu qu'il ait été assisté, dans le contrat, des personnes dont le consentement est nécessaire pour la validité du mariage>>. Un problème naît lorsque le tribunal de la jeunesse, sur base de l'article 160bis du Code civil, a été amené à autoriser le mineur à contracter mariage, en raison d'un refus abusif de ceux qui devaient normalement y consentir : cette autorisation au mariage emporte-t-elle autorisation de conclure les conventions matrimoniales qui en sont l'accessoire? Un jugement du tribunal de la jeunesse de Gand, du 16 février 1967 (Rechtsk. Weekbl., 1967-1968, 1000; Tijds. not., 1967, 92, (1) Les précédents examens de jurisprudence ont été publiés dans cette revue en 1969, p. 53 et suiv. (J. RENA.ULD), 1964, p. 353 et suiv. (J. RENA.ULD et N. LEOLERCQ), 1960, p. 225 et suiv. (J. RENAULD), 1956, p. 47 et suiv. (R. PmET et R. PmsoN), 1952, p. 219 et suiv. (R. PmET et R. PmsoN), et 1949, p. 253 et suiv. (R. PmET et R. PmsoN).

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Page 1: EXAMEN DE JURISPRUDENCE · acquis (voy. RENAULD, Examen de jurisprudence, cette revue, 1969, p. 55, n° 5), a été réaffirmé par la Cour d'appel de Liège (13 février 1974, Rev

EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1968 à 1974)

CONTRAT DE MARIAGE ET RÉGIMES MATRIMONIAUX (1)

PAR

CLAUDE RENARD, PROFESSEUR A. L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE

ET

ALAIN DELIÈGE, AssiSTANT A. L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE·.

SECTION Ire. -PRINCIPES GÉNÉRAUX.

1. CoNTRAT DE MARIAGE. - MINORITÉ. - Aux termes de l'article 1398 du Code civil, <<le· mineur habile à contracter mariage est habile à consentir toutes les conventions dont ce contrat est susceptible pourvu qu'il ait été assisté, dans le contrat, des personnes dont le consentement est nécessaire pour la validité du mariage>>.

Un problème naît lorsque le tribunal de la jeunesse, sur base de l'article 160bis du Code civil, a été amené à autoriser le mineur à contracter mariage, en raison d'un refus abusif de ceux qui devaient normalement y consentir : cette autorisation au mariage emporte-t-elle autorisation de conclure les conventions matrimoniales qui en sont l'accessoire?

Un jugement du tribunal de la jeunesse de Gand, du 16 février 1967 (Rechtsk. Weekbl., 1967-1968, 1000; Tijds. not., 1967, 92,

(1) Les précédents examens de jurisprudence ont été publiés dans cette revue en 1969, p. 53 et suiv. (J. RENA.ULD), 1964, p. 353 et suiv. (J. RENA.ULD et N. LEOLERCQ), 1960, p. 225 et suiv. (J. RENAULD), 1956, p. 47 et suiv. (R. PmET et R. PmsoN), 1952, p. 219 et suiv. (R. PmET et R. PmsoN), et 1949, p. 253 et suiv. (R. PmET et R. PmsoN).

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note THUYSBAERT) avait affirmé que l'autorisation accordée en vertu de l'article 160bis incluait celle de conclure tous pactes et arrangements se rapportant directement au mariage autorisé, perdant sans doute de 'vue la mesure de protection du mineur instituée par la finale de l'article 1398 du Code civil. Cette décision avait été justement critiquée par le professeur Vieujean dans cette revue (E. VIEUJEAN, Examen de jurisprudence 1965-1969, <<Les personnes>>, Rev. crit. jur. belge, 1970, p. 421, n° 17).

Pendant la période examinée, deux décisions donnent à la question une réponse plus prudente.

L'une, rendue par le tribunal de la jeunesse de Charleroi (Jeun. Charleroi, 20 juillet 1968, Rev. prat. not., 1968, 255), également commentée par le professeur Vieujean (loc. cit.), estime que <<si l'autorisation ainsi donnée par le tribunal de la jeunesse, en rendant la 1nineure <<habile à contracter mariage>> la rend également << habile à consentir toutes les conventions dont ce contrat est susceptible>>, conformément à l'article 1398 du Code civil, les dispositions de ce même article ne donnent pas pour autant à la mineure une pleine et entière capacité en vue de ces conventions, mais lui imposent pour en garantir la validité, un régime d'assistance, cette assistance étant assurée <<par les personnes dont le consentement est nécessaire pour 1~ validité du mariage>> de la mineure en cause>>. Le tribunal s'est conformé à ces principes : rappelant que la décision du tribunal de la jeunesse, basée sur l'article 160bis du Code civil, s'est légalement substituée au consentement du père pour la validité du mariage (seul consentement nécessaire en l'espèce en raison du décès de la mère), le jugement constate que l'assistance du père dans le contrat de mariage ne peut plus être requise et, pour respecter le régime de protection voulu par le législateur, autorise expressément la mineure à contracter les conventions matrimoniales dont le projet avait été joint à la requête.

La seconde (Jeun. Bruxelles, 12 juin 1968, Rev. p1'at. not., 1968, p. 386) ne tient pas un raisonnement différent qui dit que la mineure <<est habile à consentir, sans l'assistance de son père, toutes formalités et à poser tous actes juridiques en vue de ce mariage et de sa célébration, et notamment qu'elle est habile à consentir toutes les conventions dont le susdit mariage est susceptible selon les dispositions des articles 1398 et 1309 du (Jode civil>>. Loin d'écarter la protection léga.le, le jugement y

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renvoie au contraire expressément avec le correctif nécessité par le refus abusif du père à consentir au mariage : la seule assistance de la mère suffira à la mineure pour contracter les conventions matrimoniales quelles qu'elles soient (sur un cas semblable et dans le même sens, voy. civ. Bruxelles, 24 1nars 1961, Ann. not. et enr., 1962, p. 52). Le tribunal n'avait pas à dire davantage : ce n'est qu'en cas de défaillance de tous les organes familiaux désignés par la loi pour assister le mineur dans le contrat que le juge a le pouvoir de s'y substituer.

2. IMMUTABILITÉ DES CONVENTIONS MATRIMONIALES. - I.e tribunal civil de Bruges (29 janvier 1968, Rec. gén. enr. et not., 1969, n° 21.240, obs. A. C.) annule pour violation du principe de l'immutabilité des conventions matrimoniales, la disposition d'un acte passé entre époux et par lequel l'épouse conférait à son mari le droit de reprendre sur prisée tout ou partie des biens comn1uns. La solution est en principe conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation et à l'enseignement de la doctrine (voy. RENAULD, Examen de jurisprudence, cette revue, 1964, p. 353, no 1 et les références citées).

Dans cette doctrine, la nullité n'est cependant encourue que s'il s'agit. d'une<< convention>> relative au partage et non d'une libéralité, notamment d'une institution contractuelle. En ce dernier cas, la clause serait valable comme portant donation de part indivise, moyennant la charge d'en payer la contrevaleur.

Cette subtile distinction nous paraît sujette à caution. Tout d'abord, il sera toujours possible d'interpréter en fait la clause comme comportant donation, au moins hnplicite, du droit de reprendre en nature des biens communs : il est évident que l'époux qui l'a consentie a voulu conférer à son conjoint un avantage. Ensuite, et le tribunal le relève, l'acte n'emporte aucun appauvrissement du donateur, appauvrissement qui est pourtant un élément constitutif essentiel d'une donation; comment mesurera-t-on, pour le calcul du disponible et l'im­putation de la<< donation>>, l'enrichissmnent du donataire? Enfin et surtout sans doute, le seul effet réel de la clause est de substi­tuer au partage en nature prévu par la loi, un partage en valeur. Donation ou non, la clause demeure avoir pour seul objet une modification du mode de partage, ce qui est justement interdit par le principe de l'immutabilité.

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Cela dit, l'hypothèse révèle une fois de plus la rigidité excessive du principe et la nécessité de l'aménager lors de la réforme qu'on espère enfin prochaine.

SECTION II. - RÉGIMES D~ COMl\1:UNAUTÉ.

A. - L'ACTIF.

3. CRÉANCE D'INDEMNITÉ POUR PRÉJUDICE PERSONNEL. - La capacité de travail, productive de revenus communs, est inhé­rente à la personnalité de l'époux et ne constitue pas un bien de communauté. Ce principe, que l'on peut considérer comme acquis (voy. RENAULD, Examen de jurisprudence, cette revue, 1969, p. 55, n° 5), a été réaffirmé par la Cour d'appel de Liège (13 février 1974, Rev. gén. ass. et resp., 1974, no 9249). La Cour en fait toutefois une application apparemment curieuse. Encore qu'ils ne ressorteilt pas clairement de l'arrêt, les faits paraissent être les suivants. A la suite d'un accident qui l'avait handicapé, le mari avait dû recourir temporairement aux services de son épouse pour conduire son véhicule à l'occasion de ses visites professionnelles. Il était réclamé ·à l'auteur de l'accident une indemnité destinée à réparer le << dommage matériel >> e:ricourn de ce chef par l'épouse, qui avait sans doute dû interrompre une activité plus rémunératrice. Si telle est bien la situation, est-ce vraiment la<< capacité productive>> de la femme qui est en cause, et ne donne-t-on pas à cette notion une extension démesurée~ N'est-ce pas plutôt la perte de revenus tombant en communauté~ Si le mari pouvait ne pas être fondé à agir seul en récupération de cette inden1nité, ainsi qu'en déCide la Cour d'appel de Liège, ce devait alors être non parce que l'indemnité avait le caractère de bien propre mais, éventuellement, parce qu'elle constituait un bien réservé.

4. CAPITAL D'ASSURANCE-VIE. - La société Côte d'Or avait, par assurance de groupe, couvert le décès d'un de ses employés, lui-même veuf, au bénéfice des cinq filles de celui-ci. Au moment du décès de l'assuré, le mari de l'une des filles se trouva être en faillite et le curateur prétendit que le capital décès appartenait à la communauté; il agit donc en annulation du paiement effectué par la compagnie d'assurances.

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La Cour d'appel de Liège (20 avril1972, Jur. Liège, 1972-1973, p. 73), rappelant que la créance mobilière, née de la donation indirecte par stipulation pour autrui réalisée par l'assurance, tombe en communauté si le donateur n'a exprimé la volonté contraire, déclare justement que cette intention peut être tacite et résulter des circonstances; elle constate que celles-ci sont réunies en l'espèce et déboute le curateur. Les<< circonstances)), en l'occurrence, résident dans la destination même de l'assurance qui est de couvrir le bénéficiaire du préjudice personnel qu'il encourt en cas de décès prématuré de l'assuré; une présomption en découle norn1alement quant à l'intention du souscripteur de voirie capital de l'assurance demeurer personnel au bénéficiaire. La particularité de l'hypothèse, assez neuve à notre connaissance, est toutefois que ce bénéficiaire était, non pas le conjoint, mais la fille de l'assuré. Dans le cas où le bénéficiaire est le conjoint, << le but poursuivi est de pourvoir à un besoin essentiellement personnel qui ne se conçoit d'ailleurs que dans la perspective d'un événement qui aura nécessairement provoqué la dissolution de la cmnmunauté )>;l'affectation à un besoin commun est donc nécessairement exclue (RENAULD, cette revue, 1964, p. 357). Dans l'espèce soumise à la Cour de Liège, cette argumentation est partiellement en défaut, puisque le problème ne peut pré­cisément se poser que si la communauté existe encore au moment du décès de l'assuré, c'est-à-dire concrètement en l'espèce si à ce moment la fille bénéficiaire est mariée en régime de communauté.

Le fait que les revenus du capital assuré entreront dans cette communauté n'a, selon nous, aucune influence sur la présomption d'intention du souscripteur de l'assurance; cette intention demeure évidemment, spécialement dans le cas d'une assurance de groupe,_ de couvrir la bénéficiaire, veuve ou fille, d'un risque personnel. Que la fille soit mariée n'y change rien; qu'elle soit mariée en régime de communauté ou en régime de séparation de biens n'importe pas davantage puisque le devoir de contri­bution s'impose à elle en toute hypothèse.

Cette solution, conforme à des tendances de plus en plus généralisées dans la doctrine, évite une conséquence éminemment choquante en équité : voir une indemnité d'assurance destinée à sauvegarder le niveau de vie de la personne assurée, servir en réalité à désintéresser les créanciers de son époux failli.

Revue Critique 1976, 1 - 6

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5. REVENUS DES BIENS RÉSERVÉS DE LA FEMME. -CALCUL DE L'INDEMNITÉ DUE AU MARI A LA SUITE DU DÉCÈS ACCIDENTEL DE SA FEMME. -Un jugement du conseil de guerre d'Anvers (17 décembre 1970, Rev. gén. ass. et resp., 1972, n° 8881) décide, sans motiver davantage en fait, que devant l'impossibilité de prévoir la destination que la femme, décédée dans un accident, aurait donnée à ses revenus professionnels, le Inari ne peut faire intervenir ceux-ci à l'appui de sa demande en réparation. Nous nous rallions entièrement aux réserves exprimées par M. J. F. dans ses observations à la Revue générale des assurances et des responsabilités sous le jugement rapporté. Les particularités de l'espèce expliquent peut-être la décision, mais rien ne le révèle dans les motifs, qui semblent bien exprimer une notion générale plutôt qu'une conséquence occasionnelle de circonstances par­ticulières. Sous cet aspect, la décision est assurément critiquable. A ce compte, toute projection dans l'avenir des suites pré­judiciables d'une faute devrait être exclue, car elle est inévitable­ment toujours conjecturale. Il y a beau temps que l'on indemnise la perte de chance, pourvu que celle-ci soit raisonnablement fondée. En fonction du mode de vie des époux avant le décès de la femme et de leur milieu social, on peut définir plus ou moins exactement l'étendue de ces chances. On ne peut en tout cas affirmer a priori qu'elles sont inexistantes. Au surplus, n'oublions pas que la femme avait le devoir de prélever sur ses revenus professionnels sa part contributoire aux charges du mariage et qu'en l'espèce les biens réservés constituaient des biens communs.

B. - LA GESTION.

6. AFFECTATION HYPOTHÉCAIRE D'UN IMMEUBLE COMMUN PAR LE MARI. - ÛPPOSITION DE LA FEMME. - Un jugement du tribunal de première instance de Malines du 2 mars 1970 (Rec. gén. enr. not., 1970, no 21.380, p. 314) donne l'occasion de rappeler la portée de la célèbre circulaire du 14 août 1931 du procureur général près la Cour d'appel de Bruxelles, relative à la vente de biens dépendant d'une communauté conjugale (Pand. belges, v 0 Usages corporatifs des notaires, t. 127septies, col. 379 à 381; voy. aussi la lettre de M. le procureur du Roi de Bruxelles du 21 décembre 1932, Pand. belges, op. cit., col. 382-383).

Un mari assigne son épouse (séparée de lui) pour la contraindre

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à signer avec lui un acte d'emprunt de fonds destinés à payer le prix d'acquisition d'un immeuble commun; cet acte grève l'im­meuble d'une hypothèque, en garantie du prêt.

En vertu de l'article 1421, alinéa 2, du Code civil, le mari administre seul les biens de communauté. Il peut donc engager seul la masse commune par un emprunt. En vertu de l'alinéa 2 du même article, il peut également hypothéquer les biens de la communauté sans le concours de sa femme.

Toutefois, pour prévenir toute fraude aux droits de l'épouse, le procureur général de Bruxelles invite les notaires à ne prêter leur ministère que si le mari justifie des raisons de la non­intervention de sa femme et si l'acte n'apparaît en rien comme fait en fraude des droits de celle-ci ou en vue de nuire à ses intérêts.

En l'espèce, l'épouse était parfaitement au courant des inten­tions de son mari; elle refusait néanmoins de prendre part à l'acte, afin, sans doute (c'est nous qui le supposons), de n'être pas, comme le veut souvent la pratique, tenue <<solidairement et indivisiblement >>avec son mari.

Un notaire n'aurait donc pas pu exciper de la circulaire pour refuser de recevoir l'acte.

Encore aurait-il pu, pour mettre sa responsabilité à couvert, exiger et la preuve du refus de l'épouse et une indication des raisons de son attitude. Et il est vrai que si une correspondance aurait suffi à cet égard, mieux valait encore un jugement.

7. COMPROMIS PORTANT QUE LA VENTE EST CONSENTIE PAR

LES DEUX ÉPOUX. - SIGNATURE PAR LE MARI SEUL. - Un immeuble commun est vendu par acte sous seing privé moyen­nant un prix pour partie en capital et pour partie en rente viagère. Le compromis porte que la vente est consentie par les deux époux, d'ailleurs désignés dans l'acte comme étant <<les vendeurs>>. La convention n'est toutefois signée que par le mari et l'acquéreur, l'épouse ayant considéré que la vente lui était défavorable étant donné son mauvais état de santé.

La vente a-t-elle été valablement conclue~ L'acquéreur peut-il contraindre le mari à en passer acte authentique ~

Pour justifier une réponse négative, le tribunal civil de Bruxelles (17 décembre 1971, Rev. not. belge, 1972, p. 96) donne un premier motif qui relève de la théorie générale des obligations.

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L'acte traduit, dit-il, la volonté de l'acheteur de ne traiter qu'avec les deux époux conjointement et de payer le prix de l'acquisition entre leurs mains à tous deux. La vente n'a pas pu être réalisée puisque les exigences sine qua non de l'acheteur n'ont pas été satisfaites.

Le tribunal donne un autre motif, à notre sens plus intéressant, 1nais non moins discutable : la rédaction du compromis fait apparaître que le mari n'a pas agi en qualité de gérant de la communauté, décidé à faire usage, quant aux immeubles qui la composent, des pouvoirs que lui reconnaît l'article 1421.

On peut sérieusement douter que le mari puisse déléguer à sa femtne ses pouvoirs de gestion de la communauté, fût-ce pour un acte isolé, davantage encore, qu'il puisse décider de ne pas agir en sa qualité de chef de la communauté. Tout au plus peut-il donner à son épouse mandat révocable d'accomplir certains actes en son nom (PLANIOL et RIPERT, Traité pratique, t. VIII, 2e éd., par BouLANGER, n° 500; CoLIN et CAPITANT, Oou'l's élémentaire de d'roit civil français, t. III, 9e éd., par JuLLIOT DE LA MoRAN­DIÈRE, no 364; LAURENT, Principes de droit civil, t. 22, n° 7; DE PAGE, t. X, n° 536; RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Ier, no 676; KLUYSKENS, Het huwelijkscont'l'act, n° 146; contra civ. Seine, 2 juin 1906, Rev. prat. not., 1907, 570).

En l'absence d'un tel mandat, la participation du mari à l'acte, relativement à un bien de la communauté, ne peut s'inter­préter que comme un exercice des pouvoirs que lui confère l'article 1421. Or, dans ce cas, la présence de la femme, encore qu'utile à certains égards (DE PAGE, t. X, n° 471; RENAULD, op. cit., n° 697), est superflue pour la validité intrinsèque de l'acte.

Le juge n'a-t-il toutefois pas songé à la théorie de la fraude? Il évoque le contrôle auquel sont soumis les pouvoirs du mari sur les biens communs et relève que l'épouse est décédée quarante jours après la signature du compromis, signe du caractère défa­vorable de la vente pour la femme.

A supposer même qu'il y voie les éléments constitutifs d'une fraude du mari, le juge ne constate pourtant aucune complicité dans le chef du cocontractant, seul cas dans lequel il pourrait, pour réprimer la fraude, prononcer la nullité - ou mieux l'inopposabilité - de la vente (VIEUJEAN, <<La sauvegarde des intérêts familiaux par l'épouse commune en biens>>, note sous

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civ. Liège, 1er février 1963, et Hasselt, 26 février 1964, Rev. crit. jur. belge, 1964, p. 128, n°8 13 et 14; RENAULD, op. cit., no 619).

8. POUVOIRS DE LA FEMME SUR SES BIENS PROPRES. -Il est de plus en plus fréquent qu'une femme commune en biens se demande si elle peut disposer de ses propres sans l'autorisation de son mari et si elle peut percevoir elle-même le 'produit de l'aliénation pour en user librement.

Dès 1964, la Cour de cassation décidait, sur la première question, que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 30 avril 1958, << la femme con1mune en biens, agissant seule, peut valable­ment aliéner à titre onéreux un bien personnel, mais sous réserve du droit de jouissance qui appartient à la c01nmunauté >> (cass., 23 janvier 1964, Pas., 1964, I, 546; RENAULD et LECLERCQ, cette revue, 1964, p. 379 à 384). Le tribunal civil de Bruxelles rappelle ce principe dans son jugement du 9 avril 1971 (Pas., 1971, III, 106).

La femn1e comn1une en biens peut donc disposer librement de la<< nue-propriété>> (plus exactement de la pleine propriété sous réserve de l' << usufruit >> particulier que constitue le droit de jouissance de la communauté) d'un de ses propres.

Peut-elle égalen1ent disposer, sans l'autorisation de son mari, d'un usufruit immobilier qui lui a été légué 1 Le tribunal de première instance de Bruxelles opte pour l'affirmative. Nous avons peine à le suivre sans réserve. Sans doute le droit de jouis­sance de la communauté n'est-il pas à proprement parler un usu­fruit (DE PAGE, Traité élémentaire, t. X, n° 242; RENAULD, D'l'oit patrimonial de la famille, t. Ier, n° 540); mais s'appliquent à lui toutes les règles de l'usufruit, tant que la nature de la commu­nauté ou une disposition particulière ne s'y opposent pas. L'es­pèce était donc, en définitive, celle où un usufruit (le droit de jouissance de la communauté) porte sur un usufruit (le droit propre de l'épouse). Or, dans ce cas, l'usufruitier en second est substitué au premier dans la jouissance du bien (DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, 1854, t. X, n° 329; PLANIOL et RIPERT, Traité pratique, t. III, 2e éd., par PICARD, n° 814). Dès lors, la communauté avait, au maximum_ pour le temps de sa durée, la jouissance du bien (PROUDHON, Traité des droits d'usufruit, 2e éd., t. Ier, n° 287). Comment la femme pouvait-elle disposer de son

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droit pour cette période sans porter atteinte au droit de jouissance de la communauté~

Il ne faut pas conclure à l'impossibilité pour la femme com­mune en biens de disposer de la jouissance de ses propres avec ou indépendamment de la <<nue-propriété>> de ceux-ci. Le tribunal civil d'Anvers lui rappelle seulement qu'il lui faut, pour ce faire, obtenir l'autorisation du tribunal sur le pied de l'article 226quater (Anvers, 30 janvier 1969, Rechtsk. Weekbl., 1968-1969, col. 1558; Rec. gén. enr. not., 1970, n° 21329, p. 101). Le tribunal civil de Nivelles (2 janvier 1968, Rec. Jur. Niv., 1969, p. 74) a étendu le champ d'application de cet article à l'hypothèse où le mari se trouve dans l'impossibilité de manifester sa volonté (en l'espèce, par suite d'une affection mentale).

Sur la question des pouvoirs de l'épouse relativement au produit de la vente, à la supposer autorisée, les décisions citées du tribunal civil de Bruxelles et du tribunal civil d'Anvers s'accordent sur ce que le prix de vente doit être affecté à la communauté. Les modalités de cette affectation varient : ici, le service sera assuré par un remploi cmnme bien propre à la Caisse générale d'épargne et de retraite, les fruits étant attribués comme le veut l'article 1401, 20 (Anvers, 30 janvier 1969, précité); là, le bénéfice de la vente sera affecté à des dépenses de ménage ou à des économies réalisées au profit des enfants et de l'épouse (civ. Bruxelles, 9 avril 1971, précité).

En revanche, ces décisions ne répondent pas de manière identique à la question : qui peut percevoir le prix de la vente ~ Le tribunal d'Anvers autorise l'épouse à recevoir sa part dans le prix à condition qu'elle soit placée en re1nploi par le notaire commis, tandis que le tribunal de Bruxelles, suivi en cela par le tribunal civil d'Arlon (20 décembre 1973, Jur. Liège, 1973-1974, p. 147) autorise l'épouse à percevoir seule le produit de la vente.

Un courant de réforme des régimes matrimoniaux peut éven­tuellement donner raison à ces dernières décisions ; la technique juridique, dans son état actuel, est davantage en faveur du tribunal civil d'Anvers (voy. VIEUJEAN, cette revue, 1970, p. 487-488; cmnp. RENAULD, op. cit., no 725). En effet, si la créance du vendeur est propre par subrogation, les deniers versés par l'acheteur sont communs, par le jeu du quasi-usufruit de la communauté (VIEUJEAN, op. cit., p. 487). En touchant le produit de la vente, la femme fait donc tomber les deniers dans

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la communauté. De ce fait, elle perd tout pouvoir sur eux, y compris celui d'en faire remploi. Et l'article 226quater ne permet pas au tribunal de l'autoriser à remployer : ce texte vise les actes que l'épouse voudrait accomplir sur ses propres; il ne peut pas être étendu aux actes de disposition des biens communs (RENAULD, op. cit., n° 684). Le tribunal civil d'Arlon a d'ailleurs aperçu la difficulté, qui, tout en autorisant la femme à percevoir le prix de la vente, ajoute que le mari sera<< sans aucune respon­sabilité comme chef de communauté>>. Cette exonération de responsabilité doit s'entendre pour la période postérieure à l'autorisation de justice. Il reste que le mari devra, le cas échéant, répondre des suites préjudiciables de son inaction.

9. AcTIONS EN JUSTICE.- STATUT DE LA FEMME.- On sait que depuis le célèbre arrêt déjà cité (supra, no 7) prononcé par la Cour de cassation le 23 janvier 1964, la femme commune en biens peut valablement aliéner ses biens propres en pleine pro­priété moyennant l'autorisation de justice (voyez dans cette revue, J. RENAULD et LECLERCQ, Examen de jurisprudence, 1964, p. 377, n° 20; idem, note KIRKPATRICK, 1962, p. 209 et suiv.; idem, VIEUJEAN, Examen de jurisprudence, 1970, p. 487; comp. idem, 1971, p. 507; VIEUJEAN, Revue trimestrielle de droit civil, 1965, p. 466 et suiv.). Cette doctrine est fondée sur l'article 226quater du Code civil; logiquement on doit donner une interprétation parallèle de l'article 226ter, dont le texte, relatif au droit d'ester en justice, est semblable. En conséquence, si la femme peut seule et sans autorisation ester en justice quand il s'agit d'une action intéressant l'administration urgente ou conservatoire de ses propres comme en cas de carence du mari, ou encore quand il s'agit de rechercher un droit strictement personnel, comn1e l'indemnisation d'un accident de travail par exemple (voyez RENAULD et LECLERCQ, Examen de jurispru­dence, cette revue, 1964, p. 384, et VIEUJEAN, Examen de jurisprudence, cette revue, 1970, p. 482), en revanche elle ne peut intervenir, même avec autorisation de justice, dans les actions qui concernent les biens communs; elle ne peut agir, mais avec cette autorisation, à défaut de celle du mari, que dans les litiges intéressant ses propres.

Ces principes apparaissent, plus ou moins en filigrane, dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 février 1968 (Pas.,

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1968, I, 697; voy. le com1nentaire de M. VIEUJEAN, cette revue, 1970, p. 482). Une femme mariée en communauté légale avait acquitté les frais de funérailles et des dettes de décès de son père, tué dans un accident d'automobile; elle réclamait à l'auteur de l'accident le remboursement de ces débours, invoquant, pour s'affranchir d'une autorisation maritale ou judiciaire, le caractère prétendument propre de l'indemnité réclamée. La Cour de cas­sation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles, qui avait admis cette argumentation, déclaré recevable l'action de la femme et condamné le défendeur à payer à celle-ci les indemnités réclamées. La Cour de cassation rétorque, à la suite du pourvoi, que les dettes en question incombent à la communauté si la succession est <<mobilière>>; l'arrêt n'est dès lors pas légalement justifié quant à la recevabilité de l'action, car <<de la seule circonstance que la défenderesse a payé lesdits frais et dettes ne résulte pas qu'elle ait qualité pour en demander en justice au tiers responsable le remboursement, sans le consentement du mari ou autorisation éventuelle par le juge>>. En l'occurrence, l'indemnité n'avait rien de personnel à la femme : elle formait un élément de l'actif d'une succession, entrée tout entière, semble-t-il, en communauté. Dès lors, seul le n1ari possédait compétence pour agir en remboursement; tout au plus la fmn1ne aurait-elle droit éventuellmnent à une récompense contre la communauté, si elle avait acquitté une dette de celle-ci au 1noyen de deniers propres.

La règle suivant laquelle la fem1ne n'a pas qualité pour réclamer le paiement de sommes dues à la communauté- en l'occurrence des loyers- a encore été rappelée dans un jugement du tribunal civil de Bruxelles du 10 novembre 1969 (Pas., 1970, III, 77).

Une autre application des principes est faite par la Cour d'appel de Bruxelles en son arrêt du 6 décembre 1971 (Pas., 1972, II, 35; Journ. t'rib., 1972, 225). Une smnme de plus de 100.000 francs était réclamée à une femme mariée sous le régime de la communauté légale, pour solde d'une fourniture de vête­ments s'étendant sur six 1nois environ. Il semble bien que le litige ait été d'emblée situé par le demandeur en dehors de la sphère du mandat domestique, sans doute en raison de l'ampleur apparemment excessive des achats; il soutenait en effet que la fem1ne, désormais capable depuis la loi du 30 avril 1958,

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<< devait dès lors répondre des engagements par elle librement consentis en dehors des limites du mandat domestique>>. C'était une fois de plus confondre capacité et pouvoir et la Cour ne manque pas de le souligner nettement. Par confirmation de la décision du premier juge, elle déclare l'action <<irrecevable>>, en raison du fait qu'en l'espèce il n'apparaissait pas que la femme possédât des biens réservés ou des immeubles dont elle eût pu engager la nue-propriété.

Cette restriction est certes judicieuse en soi; capable, et sans pouvoir sur la communauté en général, la femme a en revanche pouvoir sur la nue-propriété de ses propres et en outre sur ce compartiment particulier de la communauté que constituent les biens réservés; elle peut donc engager l'une et les autres.

Toutefois le demandeur, vendeur des vêtements, n'en était pas moins recevable dans son action, par l'effet même de la distinction de la capacité et du pouvoir, dont la Cour de Bruxelles ne paraît pas avoir pénétré les ultimes subtilités. En effet, la femme avait bel et bien pris un engagement intrinsèquement valable, sous le couvert de sa pleine capacité; sans doute son défaut de pouvoir sur les biens communs d'une part et l'absence de biens propres et de biens réservés d'autre part, privaient en fait cet engagement de toute efficacité immédiate pour le créan­cier. Celui-ci n'en pouvait pas moins valablement faire constater en justice cet engagement et se procurer un titre exécutoire contre un débiteur })eut-être momentanément inexpugnable, mais susceptible de devenir à tout moment, en raison de cir­constances diverses, comme par exemple la dissolution de la communauté, vulnérable à l'exécution forcée. Le demandeur poursuivait sans doute un but moins théorique et il est probable que la Cour de son côté a été plus frappée par l'aspect pratique des choses que par leur aspect doctrinal. Mais ce n'était pas que pure théorie. Le créancier avait qualité et intérêt légitime et suffisant pour être recevable en son action contre la femme; par contre, s'il avait assigné le n1ari, il eût été irrecevable puisque celui-ci n'avait contracté aucun engagement ni de son chef ni du chef de sa femme par le biais du mandat domestique.

Il est essentiel de rappeler que la notion de patrimoine est une notion abstraite; toute personne possède un patrimoine qui répond de ses engagements, même si ce patrimoine ne contient aucun actif ou si les valeurs passives surpassent les valeurs

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actives (voyez dans le même sens la note de Mme VLIEGHE· CASMAN à la RevurJ du notariat belge, 1973, p. 21).

o. -LE PASSIF.

10. COMPOSITION DES MASSES. - DETTES PRÉSENTES ET FUTURES DE LA FEMME.- La règle, édictée par l'article 1409, 1°, du Code civil, selon laquelle les dettes mobilières présentes des époux tombent en communauté est tempérée par l'article 1410 : les créanciers n'auront de recours contre la communauté pour les dettes mobilières contractées par la femme avant le mariage que pour autant que celles-ci aient date certaine. Une collusion entre l'épouse et son créancier per1nettrait sinon, par une anti­date, de faire échapper au régime des dettes directes une dette contractée en fait pendant le mariage. Quoique l'article 1410 ne porte aucune restriction, doctrine et jurisprudence ont toujours reconnu que la condition de date certaine n'est pas requise dans les cas où, en droit commun, la preuve de l'existence de la dette peut être rapportée autrement que par écrit (voy. RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Ier, n° 893 et références). La Cour d'appel de Bruxelles (19 novembre 1968, Pas., 1969, II, 32) rappelle cette interprétation toute classique dans le cas d'une dette commerciale.

Aux termes d'un arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1968 (Pas., 1968, I, 697), déjà cité (supra, no 9), <<les frais de funérailles et autres dettes relatives au décès sont des dettes qui, en principe, tombent à charge de la c01nmunauté si elles font partie d'une succession mobilière>>. Au premier abord, ~ette proposition pour­rait paraître trop large. En effet, en application du principe que la femme est sans pouvoir sur les biens communs, les dettes grevant une succession échue à l'épouse n'engagent la com­nlunauté que si le mari l'a autorisée à accepter la succession. Un second principe apporte cependant au précédent un correctif : les créanciers, ne pouvant voir leur gage initial réduit du seul fait de la succession, conservent leurs droits sur les biens succes­soraux même si ces derniers tombent en communauté. Et comme, de plus, l'équité exige qu'ils ne puissent souffrir de la négligence d'autrui, le défaut d'inventaire des. meubles successoraux étend leur droit de poursuite à tous les meubles des époux, que ceux-ci soient communs ou même propres au mari (articles 1416 et 1417

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du Code civil). Que cette solution laisse subsister le principe originaire apparaît en ceci que seuls les meubles - s'il s'agit d'une succession mobilière - peuvent être saisis et non les immeubles, communs ou propres au mari. Dans l'espèce examinée par la Cour, l'épouse avait acquitté les frais funéraires afférents à une succession purement mobilière et en réclamait person­nellement le remboursement au responsable du décès accidentel du de cujus. Il ne s'agissait donc pas du droit de poursuite des créanciers mais de la question de savoir qui pouvait exercer l'action en remboursen1ent contre ce responsable. A ce point de vue, la formule de la Cour de cassation est exacte ainsi que les conséquences qu'elle en déduit : dès lors que la dette des frais de funérailles était entrée dans la communauté, le mari seul avait qualité pour agir. Toutefois, la femme, ayant acquitté une dette de la communauté, conserve un droit à récompense à la dis­solution du régime.

11. POUVOIRS DE LA FEMME SUR LES BIENS COMMUNS. -MANDAT DOMESTIQUE. - L'article 1421 du Code civil, qui rend le mari administrateur exclusif de la communauté, a pour corol­laire logique que la femme, quoique capable, n'a, en principe, pas le pouvoir d'engager les biens communs si ce n'est de l'auto­risation du mari.

En matière contractuelle, il est admis depuis longtemps que les engagements pris par la femme pour les besoins du ménage engagent cependant la communauté et le mari dans la limite du mandat domestique. Mais s'il y a mandat, la dette naît dans le chef du mari, de sorte que le créancier ne peut poursuivre la femme (2).

Le juge de paix de Pâturages (30 septembre 1970, Rec. gén. enr. et not., 1972, n° 21.557) était sans doute conscient de cette conséquence. Aussi, pour condamner les deux époux chacun pour le tout et l'un à défaut de l'autre à payer les achats effectués par l'épouse pour les besoins normaux du ménage, il invoque non seulement le principe du mandat domestique mais aussi celui de<< l'autorisation tacite générale donnée par le mari, à sa femme, de contracter pour les besoins du ménage >>. L'argument est habile mais ne peut être approuvé dans l'état actuel du droit.

(2) Si ce n'est sur les biens réservés et certaines sommes figurant à son nom en compte d'épargne. Voy. RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Jer, n° 705.

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Car, dès lors que l'on écarte l'idée du mandat, ou bien cette proposition s'entend comme la délégation ou le partage du pouvoir de gestion des biens cmn1nuns dans la limite des besoins du ménage, ce qui serait contraire à l'article 1421 du Code civil; ou bien l'on veut dire que la femme s'engage personnellement pour les besoins du ménage et c'est perdre de vue que le régime de communauté légale organise forfaitairement la contribution de l'épouse aux charges du ménage par l'abandon à la gestion du mari des biens de la femme tombés en communauté et des revenus de ses propres (RENAULD, Les régimes matrimoniaux, no 702, et Rapport introductif aux travaux de la deuxième Journée d'Etudes juridiques Jean Dabin, Les 'régimes mat?·i­moniaux, Bruylant, 1966, p. 86, n°8 57, 109 et 120). On peut douter d'ailleurs qu'en dehors des cas prévus par la loi (pour l'exercice d'un commerce par exernple : articles 226quinquies et 1426 du Code civil), le mari puisse donner à la femme une auto­risation générale sans rompre l'équilibre sur lequel repose le régime de communauté (cmnp. DE PAGE, t. Jer, 2e éd., 1948, no 737quater).

12. SuiTE. -DÉLIT DE LA FEMME. -L'autorisation maritale ne se concevant guère en matière délictuelle, cer-tains (DE PAGE, t. X, no 581; PLANIOL et RIPERT, t. VIII, pe éd., par NAST, nos 335 et 351) ont prétendu que l'impossibilité de principe pour la femme d'engager seule les biens de la comn1unauté ne visait que les dettes nées d'actes juridiques. On sait que leur thèse n'a pas recueilli l'adhésion (voy. E. VIEUJEAN, <<Pouvoirs et capacité de la femme commune en biens>>, Ann. Fac. Dr. Liège, 1961, p. 439; RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Jer, no 690 et références citées note 26), quand bien mên1e on s'ac­corde à la prôner de lege ferenda, en raison notan1n1ent du sort peu enviable que réserve la règle actuelle aux victimes des délits commis par les épouses qui n'offrent pour seule et souvent illusoire garantie que la nue-propriété de leurs biens propres.

Devant la Cour d'appel de Liège (4 janvier 1972, Jur. Liège, 1971-1972, 161) la victin1e d'un vol commis par une femme commune en biens trouva néanmoins le défaut de la cuirasse : ayant profité du larcin, la communauté devait compte de son enrichissement et, avec elle, le mari. La solution, correcte, n'est pas nouvelle (voy. civ. Malines, 2 février 1960, Rechtsk.

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Weekbl., 1959-1960, col. 1363; cass., 21 janvier 1943, Pas., 1943, I, 31; civ. Louvain, 20 juin 1901, Pand. pér., 1901, no 920) et se rattache au principe général de l'enrichissement sans cause. Cependant, comment le profit de la communauté doit-il s'ap­précier? S'agissant d'espèces, suffit-il d'avancer par un raisonne­ment abstrait que la communauté en a néanmoins profité par le biais du quasi-usufruit? L'affirmative risque de conduire à des résultats inéquitables et s'harmonise mal avec le fondement de la règle. Aussi approuvera-t-on la Cour d'appel de Liège qui s'est attachée à rechercher si la communauté avait concrètement tiré profit du vol.

13. SuiTE. - RouLAGE. - Le principe que la communauté ne répond pas des dettes délictuelles de l'épouse est encore mis en échec lorsqu'une dispositi.on légale institue le mari civilement responsable de sa femme. Le législateur a utilisé cette technique dans divers domaines : article 173 du Code forestier, article 94 du Code rural, article 12 de la loi du 12 juillet 1956 établissant le statut des autoroutes, article 67 des lois coordonnées sur la police de la circulation routière.

Selon cette dernière disposition, <<les personnes civilen1ent responsables aux ter1nes de l'article 1384 du Code civil des dom1nages et intérêts et frais, le sont également de l'amende. Le mari leur est assimilé quant aux infractions commises par sa femme ( ... ) >>. Le tribunal civil de Louvain (26 février 1969, Rev. gén. ass. et 'resp., 1970, no 8398) et le tribunal correctionnel de Nivelles (28 février 1969, Rec. jur. Niv., 1970, 127) confirment la tendance de la jurisprudence à considérer que ce texte rend le mari civilement responsable non seulement des amendes mais aussi des dommages et intérêts (voy. DALCQ, Novelles, Droit civil, t. V, n°8 1847 et 2008). Le tribunal correctionnel de Nivelles précise que le mari est assimilé au commettant et qu'en con­séquence il n'est pas recevable à offrir la preuve prévue par l'article 1384 in fine. Il rappelle en outre que la circonstance que les époux vivaient séparés et étaient en instance de divorce au moment de l'infraction ne fait pas obstacle à l'application de cette disposition, le jugement prononçant le divorce ne pro­duisant effet, vis-à-vis des tiers, que du jour de sa transcription.

L'extension de la responsabilité civi.le du mari aux dommages et intérêts peut trouver appui dans les travaux préparatoires

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de la loi du 1er août 1899 mais conduit à ce paradoxe : si l'épouse est condamnée pour simple contravention à la réglementation générale sur la police de la circulation routière, les tiers lésés peuvent pourslùvre le mari; si l'épouse enfreint en outre les articles 418 et 420 du Code pénal, le mari pourrait ne pas être inquiété puisqu'en cas de concours idéal d'infractions, le juge ne prononcera que la peine la plus forte, soit celle portée au Code pénal (voy. DALCQ, op. cit., n° 2009 et références; CoNSTANT, Manuel de droit pénal, 1956, no 196).

Devant le tribunal civil d'Anvers (21 décembre 1972, Bull. ass., 1973, 595) une compagnie d'assurances a voulu tirer les conséquences ultimes de la responsabilité civile du mari : ayant dû indemniser la victime d'un accident du roulage provoqué par l'épouse conduisant sans permis, la compagnie assigna le mari en remboursement de ses débours. Le tribunal rejette la demande en se bornant à affirmer que l'assureur ne peut fonder son droit de recours sur l'article 6 de la loi du 1er août 1899 (actuel article 67 des lois coordonnées) afin de considérer l'époux comme civilement responsable. La décisio~ appelle une motivation plus précise. Car, sans entrer dans un débat qui sort de l'objet de cette chronique, on peut relever que la source de l'action récursoire est purement contractuelle (BEYENS, << L'assurance des véhicules automoteurs >>,

Novelles, Droit commercial, t. V, nos 388 et suiv.); que, dès lors, si le contrat a été conclu par le mari, il faut chercher comment fonder le recours contre l'épouse; que si ce fondement est de nature subrogatoire, l'action récursoire de l'assureur est celle du tiers. Partant, l'on ne voit pas très bien ce qui fait obstacle à l'application de l'article 67 des lois coordonnées.

14. ENGAGEMENT CONJOINT DES ÉPOUX.- Deux époux com­muns en biens avaient souscrit conjointement une ouverture de crédit auprès d'un organisme bancaire, le mari ayant en outre expressément autorisé sa femme à cet effet. Après la dissolution du mariage par divorce, la banque poursuivit la condamnation des deux époux, solidairement et indivisiblement, au paiement du solde en capital et intérêts. Le premier juge fit droit à sa demande. En degré d'appel, la Cour de Bruxelles (19 novembre 1971, Journ. trib., 1972, 505, et Rec. gén. enr. et not., 1973, n° 21.669 et obs.), tout en constatant que ni la solidarité ni l'indivisibilité n'avait été stipulée des débiteurs, condamna néan-

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moins les époux, chacun pour le tout et l'un à défaut de l'autre, à payer à la banque le montant réclamé, au motif que << la nature même des régimes matrimoniaux explique à elle seule que plusieurs patrimoines soient tenus de toute la dette sans qu'inter­vienne en la cause la solidarité ou l'indivisibilité>>. L'arrêt se fonde là sur un passage du traité de De Page (t. III, n° 330) qu'à dire vrai il interprète mal. Mme Moreau-Margrève l'a par­faitement montré dans une note aussi claire que complète relative à la décision commentée (Rev. Banque, 1973, 157 et suiv.). Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à cette étude et à celle de Mme Vlieghe-Casman (Rev. not. belge, 1973, p. 274 et suiv.) et nous limiterons nos observations à l'essentiel.

Le problème posé par l'arrêt est celui du statut d'une dette contractée conjointement par les époux, envisagé sous l'angle de l'obligation à la dette après la dissolution du mariage. A ce point de vue, il faut d'abord faire remarquer que, même lorsque les débiteurs sont mari et femme, une dette conjointe n'en demeure pas moins, dans son principe, une dette incombant à chacun d'eux pour moitié. Pour la moitié lui incombant, le mari a engagé les biens communs et ses biens propres, tant comme débiteur originaire que comme chef de la communauté. Qu'en est-il de la moitié de la dette contractée par la femme~ L'épouse en sera évidemment tenue comme débitrice originaire. En outre, l'engagement conjoint impliquant l'accord des débiteurs, on serait porté à croire que la communauté et le n1ari se trouvent également engagés comme ils le seraient par une dette contractée par la femme du consentement de son mari. En fait, le recours des créanciers est plus étendu (3) et l'autorisation expresse du mari n'ajoutait rien à leur garantie. Dans le cas d'engagement conjoint contracté par des époux, on considère en effet que, par dérogation au droit commun, le mari est débiteur non seulement de la moitié de la dette qu'il a lui-même contractée mais égale­ment de celle contractée par sa femme, c'est-à-dire, en fin de compte, pour le tout (RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Ier, no 1379; DE PAGE, t. X, no 835; BAUDRY-LACANTINERIE,

(3) ... dans la mesure où l'on admet qu'en cas de dette de la femme autorisée par le mari, celui n'est tenu, après dissolution de la communauté, que pour moitié (RENAULD,

Les régimes matrimoniau:c, n° 1381). On sait que certains auteurs ont prétendu que l'autorisation maritale rendait l'époux personnellement débiteur pour le tout (voy. DE PAGE, t. X, n° 550 et réf.).

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Contrat de mariage, n° 610). Ainsi le voulait la tradition, fondée sur la position dominante qu'occupait le mari dans l'association conjugale : <<lorsqu'on fait intervenir une femme à l'obligation du mari, écrit Pothier (Traité de la communauté, n° 729), l'inten­tion des parties est de procurer une plus grande sûreté au créancier plutôt que de partager et diminuer l'obligation du mari >>. Les articles 1484 et 1487 du Code civil sont également interprétés dans ce sens (voy. DE PAGE, t. X, n°8 565 et 585). Renonçant à la communauté, la femme, débitrice originaire de la moitié de la dette, en restait tenue à due concurrence, mais pas davantage. Sur le ·plan de la contribution, elle conservait d'ailleurs, la dette étant commune quoique née de son chef, un recours contre son mari (art. 1494 du Code civil). Celui-ci, réputé s'être engagé personnellement pour le tout et, de plus, bénéficiaire de la totalité de l'actif commun par la renonciation de la femme, pouvait être poursuivi pour la totalité.

Il peut paraître paradoxal que, pendant le mariage, la garantie du créancier soit plus étendue en cas de dette de la femme autorisée par son mari qu'en cas de dette conjointe des deux époux, le créancier pouvant en effet, dans la première hypothèse, poursuivre chacun d'eux pour le tout. Mais le paradoxe trouve sa source dans la notion d'obligation conjointe - en réalité, disjointe- et non dans le régime matrimonial qui, par rapport au droit commun, étend au contraire le recours des créanciers; Quant à la protection de ceux-ci après la dissolution du mariage, elle n'est pleinement assurée que par une stipulation de solidarité et d'indivisibilité (voy. MoREAU-M.ARGRÈVE, op. cit., p. 163, note 10), car dans le cas d'un engagement de la femme avec la seule autorisation maritale sans une telle stipulation, le mari n'est tenu que pour moitié (4) (5).

15. FEMME COMMERÇANTE. - L'article 1426 du Code civil porte que << les actes faits par la femme sans le consentement du mari, et même avec l'autorisation de justice, n'engagent point les biens de la communauté, si ce n'est lorsqu'elle contracte comme marchande publique et pour le fait de son commerce>>.

(4) Voy. toutefois la note précédente. (5) En l'espèce pourrait-on attribuer à l'ouverture de crédit consentie aux époux

une nature commerciale, auquel cas la solidarité serait présumée? C'est l'opinion défendue par Mme VLIEGHE-CASMAN dans son commentaire cité (Rev. not. belge, 1973, p. 278 et références).

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De son côté, l'article 226quinquies précise que <<la femme qui exerce une profession, une industrie ou un commerce, s'oblige personnellement pour ce qui concerne sa profession, son industrie ou son négoce. Si cette activité est exercée de l'accord exprès du mari, elle l'oblige aussi s'il y a communauté entre eux>> (voyez sur ce point civ. Bruxelles, 21 mars 1967, Pas., 1968, III, 127).

Le rapprochement de ces deux textes suscite une interrogation dans la mesure où ni l'article 1426 ni l'article 226quinquies du Code civil n'exigent, expressis verbis, l'accord du mari pour permettre à la femme d'engager la communauté par son activité professionnelle; la solution est néanmoins certaine (voy. RENAULD, Examen de jurisprudence, cette revue, 1964, p. 377; VIEUJEAN, Examen de jurisprudence, cette revue, 1970, p. 482) : tant l'économie du régime de communauté que l'esprit de la loi de 1958 commandent que la femme ne puisse engager la communauté sans l'accord du mari. Cette interprétation, que l'on aurait pu croire communément admise, a dû être réafHrmée par plusieurs décisions pendant la période sous revue (trib. trav. Charleroi, 6 octobre 1971, Journ. trib., 1972, 122; J. de P. Ixelles, 10 décembre 1971, Rev. not. belge, 1971, 602; trib. trav. Liège, 9 mars 1972, Jur. Liège, 1973-1974, 19; trib. trav. Huy, 10 novembre 1972, Journ. trib. trav., 1974, p. 62). Aux termes mêmes de l'article 226quinquies, l'accord du mari doit être exprès; un consentement tacite est sans effet (J. de P. Ixelles, 10 décembre 1971, cité). La loi ne précisant pas les formes dans lesquelles cet accord doit être donné, la preuve de l'accord exprès du mari devient une question de fait laissée à l'appréciation du juge du fond (BAETEMAN et LAUWERS, Droits et devoirs des époux, Bruylant, 1960, p. 241); le tribunal de première instance de Bruxelles a pu décider qu'en signant pour autorisation maritale un emprunt destiné à la reprise d'un fonds de commerce par sa femme, le mari avait expressément donné son accord à l'exercice de l'activité commerciale de cette dernière (civ. Bruxelles, 19 février 1970, Rev. not. belge, 1972, p. 74). Il s'agit là d'un cas où le mari a accompli un acte positif impliquant de façon directe son accord à l'exercice du commerce par son épouse; c'est dès lors sans déviation (ou abus de langage) qu'on peut le qualifier d'autorisation expresse. En revanche, la tolérance silencieuse, même prolongée, du mari à l'égard de l'activité de sa femme est une attitude purement négative dont on ne peut induire une telle

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autorisation : le mari, peut-être d'ailleurs en accord avec la femme, peut désirer que les risques inhérents à l'exercice du cmnmerce de celle-ci n'affectent pas la communauté et, par ricochet, son propre patrin1oine.

Est-il loisible au 1nari de retirer cet accord? On sait que le législateur est muet sur ce point. Le tribunal de com1nerce de Verviers (comm. Verviers, 19 déce1nbre 1968, Jur. Liège, 1968-1969, p. 269) se montre réservé en décidant qu'en l'absence de tout texte légal per1nettant au mari dé révoquer son accord, il doit utiliser, en cas de mauvaises affaires de sa femme, le recours en justice prévu par l'article 215 du Code civil.

A défàut d'un texte contraire, il paraît pourtant logique et souhaitable de reconnaître au mari le droit de révoquer son autorisation puisqu'aussi bien il aurait pu ne pas l'accorder et qu'il ne jouit pas du système de protection dont bénéficie la femme en cas de mauvaises affaires de son conjoint (dans ce sens, BAETEMAN et LAUWERS, op. cit., p. 241, où l'opinion citée de M. DONNAY, Rec. gén. enr. et not., 1958, n° 19.979, n° 21, ne nous paraît pas opposée) : la seule protection du mari réside précisément dans son droit de ne pas avaliser - sans pour autant l'interdire- l'activité cmnmerciale de sa femme, ce qui implique nécessairement la possibilité de retirer son aval quand l'intérêt de la communauté dont il a la responsabilité et son intérêt propre lui paraissent l'exiger. Dans le système actuel, le mari est seul juge de ces intérêts, même si ce sera er.. fait le << désordre des affaires de la femme >> qui sera l'occasion normale du retrait de l'autorisation. C'est pourquoi, s'il est évident que la décision judiciaire rendue sur base de l'article 215 du Code civil et faisant défense au conjoint de continuer l'exercice de son activité professionnelle est pleinement efficace, encore nous paraît-il qu'on ne peut limiter à cette seule hypothèse les cas de révocation.

Mais le problè1ne est de savoir com1nm1t cette révocation extrajudiciaire doit être portée à la connaissance des tiers. Précédemment, la question était réglée par l'ancien article 223c du Code civil qui prévoyait que l'autorisation expresse était donnée ou sa révocation faite par déclaration au greffe du tribunal de première instance du domicile des époux ; la loi du 30 avril 1958 a abrogé cet article. Com1ne d'autre part l'utilisa­tion d'une 1nention au registre de commerce comme preuve de

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l'autorisation 1naritale a été écartée lors des travaux prépara­toires de la même loi (6), il nous semble qu'il faut décider que le retrait de l'autorisation, pas plus que l'autorisation elle-même, n'est assujetti à des formes déterminées. Toutefois, le mari qui a autorisé expressément sa femme à exercer un commerce ou une autre activité professionnelle a laissé se créer une apparence. S'il lui est loisible d'abolir cette situation en révoquant son autorisation, il n'en doit pas moins, sous peine de tromper la légitime confiance des tiers, prouver que ceux-ci avaient une connaissance certaine de cette révocation.

D. -DISSOLUTION. -LIQUIDATION. -PARTAGE.

16. SÉPARATION DE BIENS JUDICIAIRE. - CAUSES. - Deux

jugements, sans grand intérêt doctrinal, sont à rapporter. Le premier émane du tribunal de Bruxelles (23 mars 1968, Rev. prat. not., 1969, p. 39). Un époux, auteur en état d'ivresse d'un grave accident d'automobile, était sous le coup d'une action en remboursement de 565.000 francs intentée par sa compagnie d'assurances et se trouvait au surplus débiteur d'autres sommes importantes. Le tribunal déduit de ces circonstances le désordre des affaires du mari. Quant au péril de la dot, il résulte, confor­mément à l'opinion généralement admise en Belgique par la doctrine et la jurisprudence, de la lourde menace qui pèse sur la part de communauté de l'épouse, quoique celle-ci ne justifie que de faibles reprises (50.000 fr. environ) et reconnaisse n'avoir eu depuis son mariage aucune activité rémunératrice; mariée sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, elle n'en pouvait pas moins sauvegarder son droit à partager<< le fruit de l'épargne réalisée pendant la vie commune grâce aux vertus d'éconmnie ménagère de l'épouse>> (cmnp. cette revlie, 1964, p. 362, n° 8). Il reste que la femme demeure tenue du passif créé antérieurmnent à la demande de réparation, dans les termes des articles 1482 et suivants du Code civil, pour autant qu'elle accepte la communauté.

L'autre décision, qui émane elu tribunal civil de Tongres (22 n1ars 1968, Rechtsk. Weekbl., 1968-1969, 703), est très ana-

(6) Voy. Doc. Parl., Sénat, session 1957-1958, n° 19, et Ann. parl., Sénat, session 1957-1958, séances. des 20 novembre 1957, p. 67 à 70, et 21 novembre 1957, p. 84 à 87.

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logue. Le jugement se range à l'opinion admise en Belgique selon laquelle il faut distinguer deux ordres de causes de séparation de biens, d'une part, le péril de la dot - ce terme comprenant la part de la femme dans la communaut,é - et, d'autre part, le péril des reprises (voyez RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Jer, no 1085, p. 655, et DE PAGE et DEKKERS, t. X, n° 720). Dans le cas du péril de la dot- en l'espèce la part de communauté de la femme (huwelijksgoederen) -, le mal peut certes résulter du fait que le désordre des affaires du Inari provoque une 1nenace plus ou moins imminente d'insolvabilité; mais il peut aussi résulter d'une attitude fautive du mari, telle que la gestion frauduleuse, le détournement à son profit personnel ou au profit d'une tierce personne des revenus communs. Il n'est point nécessaire alors qu'il y ait désordre actuel des affaires du mari et danger immédiat d'insolvabilité. En l'espèce, le mari accaparait à son profit et à celui de sa maîtresse le revenu de son entreprise agricole, sans même en acquitter les dettes; il laissait aussi saisir les meubles coniu:mns pour une somme déri­soire. Dans ces conditions l'argument selon lequel les reprises de la femme n'étaient pas en danger était sans portée, puisque la conduite fautive du mari faisait redouter le<< péril de la dot>> et ruinait la<< confiance>> de la fmnme en sa gestion {RENAULD, op. cit., nos 1091 à 1093).

17. IMPUTATION DE LA PENSION ALIMENTAIRE ATTRIBUÉE A L'ÉPOUSE PENDANT ET APRÈS L'INSTANCE EN DIVORCE. - Le tribunal civil d'Arlon (civ. Arlon, 23 novembre 1971, Jur. Liège, 1971-1972, p. 220) et le tribunal civil de Bruxelles (16 avril1973, Rev. not. belge, 1973, p. 523) ont confirmé la jurisprudence antérieure (voy. RENAULD, Examens de jurisprudence, cette revue, 1960, p. 242, et 1969, p. 74) en décidant que les arrérages de la pension alimentaire payés à l'épouse par le mari pendant l'instance en divorce doivent, lors de la liquidation de la com­munauté, être hnputés sur la part de l'épouse dans les revenus de la communauté et sur les revenus de ses propres demeurés en 1nain du mari, l'excédent éventuel restant à la charge définitive de ce dernier.

Cette solution se justifie par le fait que la pension alilnentaire participe à l'exécution du devoir de secours imposé à chacun des époux par l'article 212 du Code civil et qui subsiste jusqu'à la

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dissolution du mariage (voy. cass., 30 avril 1964, Pas., 1964, I, 928; RIGAUX, Les personnes, t. Jer, << Les relations familiales >>, no 2138; E. VIEUJEAN, Examen de jurisprudence [1965-1969], <<Les personnes>>, cette revue, 1970, p. 602). La communauté étant censée dissoute au jour de la demande (art. 266bis), la femme a droit aux fruits des biens mis dans son lot depuis ce jour. Il n'est que normal que la femme supporte son entretien à concurrence de ces revenus. Le surplus incombe au mari à titre du devoir de secours, mais dans cette seule mesure (voy. RAUCENT, Rev. prat. not., 1955, p. 69; RIGAUX, note sous cass., 30 avril 1964, Rev. crit. jur. belge, 1965, p. 300, no 9; RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Jer, n° 1053). En faveur de cette solution, on fait valoir en outre, comme le relève le tribunal, que la pension alimentaire est fixée en proportion des revenus et ne peut donc normalement grever que ceux-ci (voy. RENAULD, Examen de jurisprudence, cette revue, 1969, p. 75).

En revanche, la pension après divorce accordée à la femme sur pied de l'article 301 constitue une dette personnelle du mari et ne peut dès lors s'imputer sur les revenus que la femme tire de sa part dans la communauté (civ. Bruxelles, 10 mai 1973, Journ. trib., 1974, p. 372).

Quant à la provision ad litem qui a été avancée<< par la com­munauté>> à l'épouse défenderesse condamnée aux dépens, le jugement cité du tribunal civil d'Arlon décide <<qu'elle donne lieu à récompense envers celle-ci>>. Le terme <<récompense>> ne doit évidemment pas être pris au sens technique puisque la communauté est censée avoir cessé d'exister entre époux au jour de la demande en divorce. Pour le reste, la solution est conforme à l'opinion générale (PIÉRARD, Divorce et séparation de corps, Bruylant-Sirey, 1927, t. Jer, p. 790; RAUCENT, op. cit., p. 71; DE PAGE, t. Jer, n° 958; RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Jer, n° 1054). La provision ad litem se rattachant, de l'avis des mêmes auteurs (adde : VIEUJEAN, loc. cit.), au devoir de secours, on pourrait voir là un obstacle à la faire supporter intégralement par l'épouse qui a succombé, et ce au-delà même des revenus des biens mis dans son lot. Mais l'équité commande d'admettre que le devoir de secours a ses limites : s'il justifie l'avance de la provision ad litem pendant l'instance, il ne peut permettre à l'époux qui succombe d'échapper aux frais d'une

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action qu'il a intentée à tort contre l'autre ou qu'il a, par un comportmnent fautif, obligé ce dernier à soutenir.

18. DISSOLUTION PAR DIVORCE. - PREUVE DE L'ACCEPTATION PAR LA FEMME. -Aux termes de l'article 1463 du Code civil, la femme divorcée ou séparée de corps qui n'a point, dans les 3 mois et 40 jours après le divorce ou la séparation définitivement prononcés, accepté la communauté est censée y avoir renoncé.

Les décisions sous revue témoignent, en général, des efforts constants de la jurisprudence pour éviter à la femme les con­séquences souvent injustes de cette disposition (voy. PIRET et PmsoN, Examen de jurisprudence, 1949-1951, Rev. crit. jur. belge, 1952, p. 245).

La théorie reçue en la 1natière a été excellemment rappelée dans un jugement du tribunal de première instance de Liège du 30 juin 1972 (Rev. not. belge, 1973, 119) : l'acceptation de la communauté par l'épouse après divorce peut être tantôt expresse, tantôt tacite; l'acceptation tacite se déduit de toute immixtion dans les biens de la communauté (art. 1454 du Code civil) et la question si tel acte constitue cette immixtion relève de l'appré­ciation souveraine du juge du fond (cass., 30 septembre 1965, Pas., 1966, 1, 142). A cet égard, le tribunal dégage très justement le principe qu'il y a immixtion chaque fois que l'acte accompli par la femme traduit sa volonté d'accepter la communauté (voy. également civ. Mons, 18 avril 1969, Journ. trib., 1969, 425). La distinction faite par l'article 1454 du Code civil entre l'acte d'immixtion et l'acte d'ad1ninistration pure ou conservatoire n'a point de valeur absolue et joue essentiellement au niveau de la preuve : <<lorsqu'il y aura acte d'immixtion, le juge devra consi­dérer qu'il révèle nécessairement la volonté d'accepter; par contre s'il y a des actes d'administration ou de conservation, la femme devra établir par des éléments circonstanciés que cet acte traduisait sa volonté d'accepter>> (dans ce sens, BAUGNIET, << De l'acceptation de la communauté par la femme divorcée ou séparée de corps>>, Rev. prat. not., 1933, 17; RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Jer, no 1155).

Le maintien de la fmnme dans l'immeuble commun et la détention par elle des meubles de la communauté impliquent-ils acceptation tacite? A deux reprises, le tribunal de première instance de Liège l'a admis (civ. Liège, 3 décembre 1971, Rev.

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not. belge, 1972, p. 21; civ. Liège, 30 juin 1972, cité). La juris­prudence dominante se refuse pourtant à voir dans la seule continuation d'une possession commencée avant la transcription du jugement· autorisant le divorce une manifestation suffisante de la, volonté de la femme d'accepter la communauté (voy. civ. Liège, 13 décembre 1952, et Liège, 8 octobre 1953, Rev. prat. not., 1954, 201; civ. Bruxelles, 17 février 1960, Rev. prat. not., 1963, 378; Bruxelles, 22 juin 1964, Pas., 1965, II, 187; Liège, 10 avril 1969, Rev. prat. not., 1970, 410; voy. également DE PAGE, t. X, n° 808, et RENAULD, op. cit., no 1193). Si l'accep­tation peut être tacite, elle doit à tout le moins résulter d'un comportement positif et non équivoque (voy. Liège, 10 avril 1969, cité; REN.AULD, Examen de jurisprudence, Rev. crit. jur. belge, 1964, p. 366) sous peine d'ôter toute portée à la présomption inscrite à l'article 1463 du Code civil.

Ainsi constituent une manifestation certaine de cette volonté d'accepter la communauté les remboursements que la femme a continué à opérer sans réserve en apurement d'un prêt contracté pour l'achat de l'immeuble commun, alors qu'elle n'y était plus tenue à dater de la transcription du divorce (civ. Liège, 30 juin 1972, Rev. not. belge, 1973, 119).

La preuve de l'acceptation de la communauté peut-elle résulter d'une correspondance dans laquelle la femme demande à son conseil, pendant le délai d'acceptation, de poursuivre la liquidation de la communauté? Le tribunal civil de Mons (civ. Mons, 18 avril1969, Journ. trib., 1969, 425) répond sans réserve par l'affirmative alors que la Cour d'appel de Liège (Liège, 10 avril 1969, Rev. prat. not., 1970, 410) est résolument en sens contraire au motif que la lettre produite par la femme n'a aucune force probante faute d'avoir date certaine. Ces deux opinions nous paraissent devoir être nuancées.

Ecartons tout d'abord l'hypothèse où il y aurait eu un échange de correspondance entre les conseils de chacune des parties : dans ce cas, le mari ne peut évidemment pas se prétendre tiers (voy. Bruxelles, 22 septembre 1965, Pas., 1966, II, 213). Par ailleurs, il n'est pas contesté que l'acceptation de l'épouse, étant un acte unilatéral, ne doit point avoir été portée à la connaissance du mari durant le délai pour être efficace (BAUGNIET, <<De l'acceptation de la communauté par la femme divorcée ou séparée de corps>>, Rev. prat. not., 1933, p. 19; RENAULD, Droit patri-

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monial de la famille, t. Ier, n° 1194 et jurisprudence citée). Mais le mari peut-il, sur base de l'article 1328 du Code civil, dénier toute valeur au document qu'on lui oppose~ Nous ne le pensons pas. L'acceptation par la femme de la communauté est soumise à un régime de preuve particulier dont les principes ont été rappelés plus haut; elle peut nota1nment résulter de manière directe de faits dont la preuve, conformément au droit commun, peut être administrée librement. La lettre par laquelle l'épouse demande à son avocat de procéder au partage des biens communs n'est pas l'acte dont parle l'article 1328 du Code civil et qui, destiné à faire preuve, lie le juge une fois sa sincérité établie. Ce n'est évidemment pas dire que la lettre adressée par la femme à son conseil fera pleine foi quant à sa date. Cette solution irait à l'encontre de ce même droit commun et permettrait toutes les fraudes. Simplement, cette lettre constituera un élément de fait soumis, avec d'autres, à l'appréciation souveraine du tribunal (voy. DE PAGE, t. III, n° 792, 5o; civ. Gand, 23 janvier 1960 et 7 février 1962, Journ. trib., 1963, p. 187).

Par identité de motif, on approuvera l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 11 janvier 1968 (Jur. Liège, 1967-1968, 186) qui a autorisé l'épouse à prouver par toutes voies de droit, témoins compris, les faits allégués à l'appui de son acceptation tacite (contra : Liège, 10 avril 1969, Rev. prat. not., 1970, 410).

Le tribunal de première instance de Liège (civ. Liège, 30 juin 1972, Rev. not. belge, 1973, 119) a encore rappelé que si l'accepta­tion tacite de l'épouse doit découler d'actes accomplis par elle durant le délai de 3 mois et 40 jours prescrit par l'article 1463 du Code civil, la jurisprudence considère que les actes et les prises de position de la femme avant et après le délai d'accepta­tion sont de nature à valoriser et à circonstancier la volonté que l'on doit dégager des actes qu'elle a réalisés pendant ce délai (voy. RENAULD, Examens de jurisprudence, cette revue, 1964, p. 365, n° 9, et 1969, p. 71, no 18). Cependant, si la femme avait accepté prématurément, c'est-à-dire au cours de l'instance en divorce, la seule circonstance qu'elle n'ait pas exprimé d'inten­tion différente au cours du délai d'option ne suffit pas à lui éviter la déchéance de l'article 1463 (Bruxelles, 6 février 1973, Pas., 1973, II, 93). On remarquera que si le délai d'option commence à courir, en principe, à partir de la transcription du divorce dans les registres de l'état civil, encore faut-il, ainsi

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qu'en décide la Cour d'appel dfi Bruxelles (30 avril 1973, Rec. gén. enr. et not., 1974, n° 21.838), que la dénonciation prévue à l'article 1275 du Code judiciaire ait été faite à l'épouse, sous peine de priver cette disposition de tout caractère contraignant.

19. EFFETS DE L'ACCEPTATION DE LA FEMME. - La femme qui accepte la communauté consolide définitivement sa qualité d'associée et est réputée partie aux actes valablement souscrits par le mari comme chef de la communauté.

Ainsi, lorsque le mari agissant en cette qmûité a pris à bail un immeuble pendant le mariage, le droit au bail, meuble incorporel présentant un intérêt pécuniaire, fait partie de la communauté réduite aux acquêts et toutes les clauses du contrat sont opposables à l'épouse acceptante (Bruxelles, 29 juin 1972, Rev. not. belge, 1973, 130). En l'espèce, les conséquences revêtaient un caractère dramatique puisque l'écroulement d'un balcon avait occasionné la mort du mari-locataire et que celui-ci avait, dans le bail, renoncé à tout recours fondé sur les arti­cles 1386 et 1721 du Code civil. En vain la femme excipait-elle de l'absence de sa signature au contrat alors que son nom figurait à l'intitulé du bail; sa seule défense aurait été de renoncer à la communauté.

Ainsi encore, la femme acceptante est-elle tenue pour moitié du rembourseinent d'un prêt consenti avant le divorce à son mari par les parents de celui-ci, sauf à l'épouse a rapporter la preuve d'une simulation (civ. Termonde, 18 mai 1972, Rec. gén. enr. et not., 1973, n° 21.680). Le tribunal qui, à défaut d'une clause de l'acte stipulant la solidarité, décide que les conjoints seront tenus de la dette << chacun pour moitié >> semble cependant perdre de vue l'article 1484 du Code civil : le mari, débiteur originaire, doit être tenu pour le tout.

Autre est la situation lorsque le mari, outrepassant ses.pou­voirs, a vendu seul un bien appartenant en propre à la femme. Une jurisprudence ancienne, et déjà critiquée alors par une partie de la doctrine (voy. CoLIN et CAPITANT, 7e éd., t. III, no 195; PLANIOL, Ile éd., t. III, no 1051; ScmcKs et VANISTER­BEEK, Traité-formulaire, t. V, n° 1195 et références citées) déci­dait que la femme ayant accepté la communauté ne pouvait revendiquer son bien : l'obligation de garantie, contractée par le mari au moment de la vente, était tombée en communauté

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et la fen11ue, par son acceptation, s'en trouvait tenue. La con­séquence, qui heurtait l'équité, était que la fem1ne ne pouvait agir en revendication qu'à la dissolution de la communauté et seulement si elle renonçait à celle-ci.

Les auteurs récents ont justement montré que l'acceptation de la communauté par la femme n'impliquait pas ratification des actes que le mari avait irrégulièrement accomplis et que l'obligation de garantie inhérente à de tels actes demeurait personnelle à l'époux (voy. DE PAGE, t. X, n°8 812 et 636; RENAULD, Droit pat?·imonial de la famille, t. Jer, n°8 1144 et 670). Le tribunal civil de Marche-en-Famenne a confirmé cette théorie en décidant que la femme, quoique ayant accepté la communauté et recueilli en usufruit la succession de son mari, n'était nullement tenue par la vente d'un de ses propres consentie par son mari (civ. Marche-en-Famenne, 25 février 1972, Jur. Liège, 1971-1972, 268). Toutefois, pour des raisons qui nous échappent et qui tiennent sans doute aux circonstances de l'espèce (la vente litigieuse paraît être une cession amiable pour cause d'utilité publique), le tribunal semble n'accorder à la femme qu'une <<indemnisation>> au lieu du retour au statu quo ante.

Cela rejoint d'ailleurs l'idée que les pouvoirs du mari sur la communauté, loin d'être inconditionnels, ne lui sont accordés que dans le but de la gérer dans l'intérêt du ménage (C. RENARD et P. DELNOY, Le droit patrimonial de la famille, 1er fasc., <<Régimes matrimoniaux - Libéralités>>, P.U.L., 1972, n° 36).

A cet égard, il est intéressant de citer un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles (28 février 1968, Ann. not. et enr., 1968, 223) qui, par confirmation d'un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles (22 juin 1967, loc. cit.), déclare inopposable à la femme, comme ayant été fait en fraude de ses droits et ayant constitué dans le chef du mari un détournement de pouvoir, un bail consenti par le mari à ses parents dans des conditions anormalement avantageuses pour ceux-ci (voy., sur ce problème, l'importante note de E. VrEUJEAN, <<La sauvegarde dei intérêts familiaux par l'épouse commune en biens>>, cette revue, 1964, p. 111 et suiv.).

20. RECEL. -La Cour de cassation (cass., 6 juin 1969, Pas., 1969, I, 900) a confirmé la large extension donnée par notre jurisprudence à la notion de recel (voy. J. RENAULD, Examen de

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jurisprudence, cette revue, 1960, p. 250, n° 20). Le recel s'analyse en <<tout acte de Inauvaise foi par lequel l'époux commun en biens ou l'héritier veut acquérir sur les effets de la communauté ou de la succession un avantage illicite aux dépens de ses copar­tageants>>.

Si la seule intention de divertir ou de receler ne suffit pas à entraîner l'application des articles 792 et 1477 du Code civil, ces dispositions sont néanmoins applicables<< dès que cette inten­tion s'est manifestée par un acte frauduleux, même si, par suite de circonstances étrangères à la volonté de l'époux ou de l'héritier, cet acte est resté sans effet>>.

Cette doctrine a été reprise par la Cour d'appel de Bruxelles (Bruxelles, 8 décembre 1969, Rev. not. belge, 1971, p. 393) dans un cas où l'un des époux avait reconnu des dettes fictives au profit d'un tiers complice.

21. BÉNÉFHJ1ll D'ÉMOLUMENT. -Le bénéfice d'émolument est de droit; aucune réserve ne doit clone être faite par l'épouse au moment de l'acceptation de la communauté. La Cour d'appel de Bruxelles (Bruxelles, 30 juin 1971, Rev. not. belge, 1971, 561) a rappelé ce principe élémentaire et confirmé sa jurisprudence antérieure (Bruxelles, 5 janvier 1965, Pas., 1966, II, 4) selon laquelle aucun texte légal n'impose à la femme de faire procéder à l'inventaire prévu à l'article 1483 dans un d.élai de rigueur sous peine d'être déchue du bénéfice d'émolument dont elle dispose à la dissolution de la communauté (contra : Liège, 28 février 1967, Jur. Liège, 1966-1967, p. 281). La doctrine belge, qui refuse l'application par analogie de l'article 1456 du Code civil, est dans ce sens (SCHICKS et V ANISTERBEEK, t. V, p. 325; DE PAGE, t. X, n° 864; RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Jer, no 1397) : au juge à apprécier le crédit à accorder à un inventaire dressé plus de trois mois après la dissolution de la communauté. Ce point de vue a été pleinement consacré par un arrêt de la Cour de cassation du 25 mai 1973 (Pas., 1973, I, 892, et Rec. gén. enr. et not., 1974, p. 318 et obs.).

La Cour d'appel de Bruxelles, dans son arrêt précité, rappelle encore qu'à l'égard du mari, il n'est pas nécessaire que cet inventaire soit· dressé par acte notarié : tout écrit, fût-il un acte privé, suffit dès lors qu'il établit la composition de la com-

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munauté et ce que la femme en a retiré (v<;>y. civ. Liège, 3 novem­bre 1961, Jur. Liège, 1961-1962, p. 142).

22. OPÉRATIONS DE LIQUIDATION.- LICITATION.- AVANCES.

-La Cour de cassation (cass., 14 décembre 1967, Pas., 1968, I, 507) a justement décidé que l'obligation prévue par l'article 827 du Code civil de vendre les immeubles qui ne peuvent pas se partager commodément implique qu'il y a lieu, pour remplir chacun des époux de ses droits, de répartir entre eux les biens qui sont effectivement représentés lors de la liquidation de la communauté.

La Cour cassait par là un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles qui avait ordonné la licitation du seul immeuble dépendant de la communauté alors qu'il semblait, compte tenu des prélève­ments que le mari avait déjà effectués sur les biens cmnmuns, que ledit immeuble devait être attribué sans partage à la fmnme pour la remplir de ses droits. L'arrêt du 14 décembre 1967 a été annoté à la Pasicrisie (loc. cit., note E. K.) et commenté dans cette revue (Rev. crit. jur. belge, 1969, p. 455, note M. GRÉGOIRE

et J. RENAULD). Nous nous permettons d'y renvoyer le lecteur.

Dans un divorce prononcé aux torts réciproques des époux, la Cour d'appel de Bruxelles (25 juin 1974, Jou1·n. trib., 1974, 609) a autorisé la femme a obtenir de son ex-mari- qui demeure, pour la durée de la liquidation et du partage, <<possesseur temporaire ou, au moins, détenteur des biens et revenus dont il devra rendre compte>> - une avance sur ses droits dans la masse à partager. Cette faculté, distincte de la pension alimen­taire fondée sur l'article 301 du Code civil, avait déjà été for­mellement reconnue par notre Cour suprême (cass., 30 avril1964, Pas., 1964, I, 922; voyez sur la nature de cette avance la note F. RIGAUX, Rev. crit. jur. belge, 1965, p. 305 et références citées). La Cour d'appel souligne que ces avances doivent être accordées avec une grande prudence en sorte que les versements ne dépas­sent pas les droits de la femme. L'acceptation de la cmnmunauté par celle-ci étant incertaine, la Cour a égard aux reprises et récompenses importantes dont la femme justifie envers la com­munauté. Il va de soi que le trop-reçu par rapport aux droits de la femn1e, à tout titre, dans la masse à partager, devra être restitué.

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23. REPRISES ET RÉCOMPENSES. - EMPRUNTS HYPOTHÉ-. cAmEs.- Le règlement entre époux d'emprunts hypothécaires contractés en vue de la construction d'un immeuble sur un terrain propre à l'un des conjoints a fait l'objet de plusieurs décisions. En régime de communauté légale, deux d'entre elles mé1·itent d'être examinées en parallèle (en régime de séparation de biens, voy. infra, no 27).

La première émane du tribunal de première instance de Liège (civ. Liège, 31 janvier 1969, Rev. prat. not., 1969, 399; Jur. Liège, 1968-1969, 213; Rec. gén. enr. et not., 1970, no 21.374) qui avait à connaître d'un cas où, pendant le mariage, les époux avaient contracté un emprunt qui leur avait permis de con­struire sur un terrain propre à la femme. Lors de la dissolution, le mari soutenait que son épouse devait récompense à la corn­munauté ((du montant des sommes versées pour apurer l'emprunt contracté, en capital et en intérêts, y compris les frais d'acte>>.

La seconde a été rendue dans une autre affaire par la Cour d'appel de Liège (Liège, 22 octobre 1970, Pas., 1971, II, 47; Rec. gén. enr. et not., 1972, n° 21.556). Dans cette espèce, le futur époux avait obtenu, avant son mariage, un emprunt hypothécaire pour l'érection d'un immeuble sur un terrain qui lui appartenait. Les premiers juges avaient estimé que le mari devait à la com­munauté récompense de toutes les sommes déboursées par elle pour apurer le prêt.

Dans un cas comme dans l'autre, la dette tombait en com­munauté, soit comme dette mobilière présente (art. 1409, 1 °), soit comme dette directe (art. 1409, 2°), sous réserve d'une éventuelle récompense qui aurait rendu provisoire le passif com­mun ainsi créé. La Cour d'appel s'exprime donc par ellipse lorsqu'elle dit que· ((le litige doit être résolu à la lumière des dispositions des articles 1401, 2°, 1409, 3°, et 1437 du Code civil>>. De même, lorsqu'elle assimile l'emprunt à une dette personnelle dont le service des intérêts est, en vertu de l'article 1409, 3°, une charge de la communauté, il faut entendre ce terme dans le sens de dette incomplètement personnelle ou, si l'on préfère, de dette provisoirement commune (voy. AuBRY et RAu, Droit civil français, 6e éd., t. VIII, p. 89; COLIN et ÜAPITANT, Cours élémen­taire de droit civil français, ge éd., t. III, Paris, 1936, n° 266; voy. toutefois PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, ge éd., t. III, n°8 1122 et suiv.).

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La première question était si la communauté avait droit ou non à une récompense. Les deux décisions ont répondu affirma­tivement sans hésitation. Et pourtant! Si, dans l'hypothèse envisagée par le tribunal de première instance, il est manifeste, la construction ayant été payée au moyen de deniers communs, que la femn1e <<a tiré un profit personnel des biens de la cOin­munauté >> et doit donc récompense (art. 1437 du Code civil), un problème naît lorsque l'emprunt et la construction ont eu lieu avant le mariage.

L'article 1409, 1°, dispose en effet que la communauté se compose passivement de toutes les dettes dont les époux étaient grevés au jour du mariage, <<sauf la récompense pour celles relatives aux immeubles propres à l'un ou l'autre des époux>>. Ce texte suppose, pour qu'il y ait lieu à réc01npense, un lien direct entre la dette payée par la communauté et l'immeuble propre de l'époux. Si l'immeuble acheté ou construit avant mariage n'a pas été entièrement payé au 1non1ent de celui-ci, on reconnaîtra aisément que la dette tombée en communauté est <<relative à un im1neuble propre>> (voy. LAURENT, t. XXI, n° 403; PLANIOL, op. cit., nos 1280-1282). Mais si, comme tel paraissait être le cas tranché par la Cour d'appel de Liège, l'immeuble a été payé comptant au moyen d'un emprunt, peut-on dire que ce lien existe ? Sur un plan purement formel, force est de répondre par la négative car la dette tombée en communauté n'a pour cause que le prêt d'une som1ne d'argent (voy. Liège, 28 juillet 1887, Pas., 1888, II, 211; contra : DE PAGE, t. X, n° 406). Toutefois, un raisonne1nent aussi strict conduira souvent, dans la pratique, à des résultats choquants. Le système des récompenses a une fonction essentiellement économique : compenser les transferts de valeurs qui se sont produits pendant le mariage entre les masses, contrairement aux règles qui en déterininent la composition. Quelle différence y a-t-il entre le cas où c'est le vendeur qui se fait le bailleur de fonds et le cas où c'est un étranger? L'article 1409 du Code civil détermine le sort des dettes quant à leur nature commune ou propre, avec les conséquences que cela comporte quant au droit de poursuite des créanciers; ma.is c'est l'article 1437, dont la formule est large, qui détermine quand il y a lieu à récompense. Aussi ne vaut-il pas mieux laisser au juge le soin d'apprécier en fait s'il y a eu enrichissement d'une n1asse au détriment d'une

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autre? (voy. req., 6 juillet 1926, Sirey, 1927, p. 14; ScHICKS et VANISTERBEEK, TTaité-formulaire, t. V, n° 1175). C'est sans doute ce qu'a fait la Cour d'appel de Liège.

Une fois admis le principe d'une récompense dans les deux cas qui nous occupent, restait à en déterminer le montant.

A la défenderesse qui soutenait que << les revenus des biens pro­pres alhnentant l'actif de la communauté (Code civil, art. 1401, 2°), par une juste corrélation, les charges de ces revenus font partie du passif de la con1munauté et, partant, cette com­munauté n'a pas droit à récompense quant aux intérêts>>, le tribunal de première instance de Liège répond << que la corrélation entre les charges et les revenus qu'invoque la défenderesse ne trouve pas sa base dans la loi et qu'en fait il faut admettre que si l'emprunt qui a servi à construire l'immeuble et qui ·entraîna inévitablement remboursement en capital et intérêts n'avait pas été contracté, le bien propre de la défenderesse, à savoir initiale­ment le terrain dont elle était propriétaire, n'aurait pas acquis la plus-value qui lui a été donnée par la construction de la maison>> et<< qu'il y a lieu de s'en tenir à une autre corrélation, celle qui doit exister entre l'hypothèse de la récompense due à l'un des époux par la com1nunauté et celle de la récmnpense due à la conununauté par l'un des époux et de dire dès lors qu'il n'y a aucune raison en droit et en fait de faire un sort différent à la seconde hypothèse>>. En conséquence, le tribunal a fixé la récom­pense au montant des paiements effectués par la communauté en remboursement tant du capital que des intérêts de l'emprunt contracté.

Ce raisonnmnent nous paraît critiquable à plusieurs points de vue.

Tout d'abord, la décision nous paraît partir d'une idée inexacte. Le tribunal raisonne comme si l'épouse devait à la communauté récompense pour l'emprunt contracté, semblant assimiler celui-ci à une dette personnelle. Or l'emprunt, souscrit par les deux époux pendant le mariage, est évidemment une dette de communauté et la cause de récmnpense réside unique­ment en ce que la construction de l'immeuble devenu propre par accession a été payée au moyen de deniers tirés de la com­nlunauté. La 111anière dont la communauté s'est procurée ces fonds est indifférente : seul le coût de la construction entre en ligne de compte pour déterminer la récompense.

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Ensuite, dans la voie même qu'il a choisie, le tribunal adopte une position contestable.

D'une part, l'affirmation que la corrélation entre les charges et les revenus ne trouve pas sa base dans la loi apparaît comme peu orthodoxe. La règle de l'article 1409, 3°, selon laquelle les intérêts des dettes personnelles aux époux sont une charge de la communauté est traditionnellement présentée comme une con­séquence du droit de jouissance de la communauté sur les biens propres des époux; le motif en est que les intérêts dus au créancier se paient généralement avec les revenus, lesquels tombent pré­cisément en communauté (PLANIOL, op. cit., n° 1122). Si la corrélation n'est pas dans le texte de la loi, elle existe à tout le moins dans son économie.

D'autre part, s'il est exact que les avis sont divisés sur le montant de la récompense due à la communauté par l'époux dont un bien propre a été amélioré au moyen de deniers com­muns, encore ne faut-il pas assigner aux théories en présence une portée qu'elles n'ont pas. On sait que la majorité des auteurs (CoLIN et ÜAPITANT, op. cit., p. 216, 2o; PLANIOL et RIPERT, 11 e éd., no 1295, p. 222; AuBRY et RAu, op. cit., no 511bis, p. 187; CL. RENARD, Régime matrimonial de droit commun, p. 109; RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. rer, n° 1282) suivie par une jurisprudence .dominante (voy. références citées par RENAULD, op. cit., n° 1282, note 56; adde cass., 29 janvier 1953, Jur. cl. pé1·., 1953, no 7786, note R. PIRET) estime que la récompense due par l'époux est du montant de son enrichisse­ment, sans pouvoir dépasser le montant des sommes tirées de la communauté. Toutefois, une partie non négligeable de la doctrine (LAURENT, t. XXII, nos 478-479; THIRY, Gours de d1·oit civil, t. III, n° 360; EsMEIN clans AuBRY et RAu, op. cit., p. 188, note 5; ScmcKs et V ANISTERBEEK, Traité-formulaire, t. V, n° 1210; DE PAGE, t. X, n° 995) soutient que la récompense est toujours égale au montant prélevé, sans référence à l'en­richissement de l'époux. C'est de ce courant que se réclame le tribunal civil de Liège, citant expressément De Page, pour imposer à l'époux le remboursen1ent de toutes les sommes sorties de la communauté, y compris celles qui ont couvert les intérêts de l'emprunt. Mais jamais les tenants de cette théorie n'ont entendu déroger au principe que les intérêts des dettes person­nelles sont une charge définitive de la communauté et comme

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tels n'engendrent pas récompense. L'utilité pour le tribunal à invoquer cette théorie se limitait à l'hypothèse où la plus-value conférée au terrain eût été inférieure au prix de la construction.

La Cour d'appel de Liège, quant à elle, a estimé que<< si la loi accorde à la communauté un droit de jouissance sur les biens propres des époux, la conséquence en est - édictée d'ailleurs en termes exprès par l'article 1409, 30 - que le service des intérêts ou arrérages dus à leurs créanciers personnels est une charge de la communauté et que << légalement, le profit personnel réalisé par l'appelant à charge de la communauté et à concur­rence duquel il doit récompenser celle-ci au prescrit de l'ar­ticle 1437, est constitué par la fraction de la somme de ... représentant le capital emprunté à l'exclusion de la fraction de la même somme représentant les intérêts payés>>.

A ce point de vue, la décision nous paraît fondée. Contraire­ment à l'espèce précédente, l'emprunt constituait une dette présente du mari. La question de la plus-value que la construction apportait au terrain propre n'avait pas à être posée. Payant la dette d'un des époux, la communauté l'enrichissait à due con­currence, sous réserve du remboursen1ent des intérêts qui étaient légalement à charge de la com1nunauté.

SECTION III. - RÉGIMES CONVENTIONNELS.

A. - SÉPARATION DE BIENS.

24. SOUMISSION AU DROIT COlVIlVIUN. - PARTAGE DES BIENS INDIVIS. -Le régime de séparation de biens laisse, en principe, les patrimoines des époux complètement étrangers l'un à l'autre.~ Il se veut l'application du droit commun aux biens des deux conjoints (voy., pour une application, Cour trav. Liège, 15 mars 1974, Journ. trib. trav., 1974, 236). Si, en fait, la vie commune a entraîné des transferts de valeurs d'un patrimoine· à l'autre, il faut permettre aux époux d'exiger à tout moment le règlement des comptes qu'ils se doivent. Tel est le cas lorsqu'un des époux a remboursé des dettes personnelles à son conjoint ou a payé le prix des travaux effectués à des immeubles personnels à celui-ci (Bruxelles, 23 avril 1968, Pas., 1968, II, 201).

Lorsqu'un immeuble a été acquis conjointement par deux

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époux conventionnellement séparés de biens pour leur servir d'habitation conjugale, la demande en sortie d'indivision intentée par l'un d'eux pendant le mariage est-elle recevable~ Telle est la question qui se posait devant le tribunal de première instance de Bruxelles (civ. Bruxelles, 12 octobre 1972, Rec. gén. enr. et not., 1973, n° 21.692).

On sait que si l'article 815 du Code civil consacre le droit de l'indivisaire de provoquer à tout moment le partage de la chose indivise, la majorité de la doctrine, en Belgique tout au moins, limite le champ d'application de cet article aux indivisions fortuites ou inorganisées. Lorsqu'il s'agit d'une copropriété forcée ou, d'une manière plus générale, lorsque l'indivision établie est organique et constitue le moyen nécessaire pour atteindre un but légitime, le principe énoncé par l'article 815 du Code civil n'est plus applicable (voy. LAURENT, t. IX, no 233; DE PAGE, t. V, nos 1136 et 1153; BAETEMAN, <<Le statut juridique des immeubles acquis conjointement par deux époux séparés de biens>>, note sous civ. Bruxelles, 18 juin 1964, Rev. crit. jur. belge, 1971, p. 209).

Ces principes de droit commun doivent être appliqués aux indivisions entre époux séparés de biens : chacun d'eux peut, à tout moment, demander le partage de la chose indivise, mais si celle-ci a été affectée à un but déterminé, ce droit est suspendu tant que dure l'affectation (7).

Après la doctrine (BAETEMAN, op. cit., n° 11), le jugement commenté pose nettement que la destination d'habitation con­jugale donnée à un immeuble indivis entre deux conjoints séparés de biens constitue cette affectation qui fait échec à l'action en partage. En l'espèce toutefois, une séparation de corps était intervenue entre les époux et défense avait été faite au mad de pénétrer dans ce qui avait été la résidence conjugale. Aussi, le tribunal a-t-il fait droit à la demande du mari de sortir d'in­division au motif que<< lorsque, comme en l'espèce, il est certain que cette affectation n'existe plus dans la commune intention des époux, la règle exprimée dans l'article 815 du Code civil retrouve tout son empire>>. La décision est certes justifiée car, eu égard aux circonstances de la cause, l'affectation avait bel et

(7) Voy. aussi la. note récente de H. CASMAN sous le jugement commenté, cette revue, 1974, p. 544 et suiv.

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bien disparu. Il eût été cependant préférable de s'en référer à cette situation de fait plutôt qu'à la commune intention des époux. Exiger que la commune intention des époux subsiste pour faire échec à la demande en partage, c'est vider la théorie de sa substance, car il est évident que, dès lors qu'un des con­joints exige la sortie d'indivision, il n'y a plus d'intention com­mune d'affectation du bien. C'est plutôt dans la persistance objective de l'affectation qu'un des époux puise son droit de s'opposer à la demande en partage formée par l'autre (voy. civ. Bruxelles, 6 janvier 1973, Rev. not. belge, 1973, p. 513).

La Cour d'appel de Liège (Liège, 31 janvier 1972, Rec. gén. enr. et not., 1973, n° 21.691) a eu à connaître d'une action en partage intentée par un créancier du mari relativement à des biens meubles considérés comme indivis entre époux par une décision, sans doute critiquable (voy. infra, n° 25), mais passée en force de chose jugée.

La Cour en a ordonné le partage au motif que (( tous les créanciers ont le droit de saisir les biens de leur débiteur et, en cas d'indivision de biens meubles ou immeubles et quelle qu'en soit la cause, d'en provoquer préalablement le partage ou la licitation>> et ((que, dès lors, c'est à bon droit que l'appelant (le créancier) invoque l'article 1166 du Code civil>>. Eu égard à ce qui a été dit plus haut, cette motivation ne peut être érigée en principe. L'affectation de certains biens mobiliers à un but déterminé, meubles meublant de l'habitation conjugale par exemple, pourrait tenir en échec l'action en partage intentée par l'un des époux. L'action oblique n'étant que ((l'action du débiteur lui-même exercée par le créancier>> (DE PAGE, t. III, 1967, n° 198), le créancier de l'un des conjoints qui voudrait provoquer la sortie d'indivision sur base de l'article 1166 du Code civil risquerait de se voir opposer par l'autre conjoint l'exception tirée de la finalité de l'indivision. Pour arriver au partage, le créancier devrait se prévaloir d'un droit propre, clroit qui lui est d'ailleurs reconnu en matière immobilière dans l'ar­ticle 1561 du Code judiciaire (BAUGNIET, ((La saisie immo­bilière>>, in Répertoire Notarial, Larcier, 1972, n° 89; DE PAGE, t. IX, éd. 1974, no 1112).

25. PREUVE DE LA PROPRIÉTÉ DES BIENS MEUBLES. - La Cour de cassation a mis à néant par son arrêt du 13 novembre

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1969 (Pas., 1970, I, 232) une décision de la Cour d'appel de Liège relative à la preuve entre époux de la propriété de biens meubles.

Pendant l'instance en divorce, l'épouse avait introduit une action tendant à condamner son conjoint à lui remettre des meubles et objets ayant antérieurement garni l'appartement occupé par les parties mais demeurés en la possession du mari. La Cour d'appel de Liège avait fait droit à cette demande, estimant<< que c'est ... à tort que l'intimé (le mari) conteste la demande de son épouse puisqu'il n'établit pas qu'elle revendique des meubles qui ne lui appartiennent pas>>. A bon droit, la Cour de cassation a décidé<< que c'était à la défenderesse revendiquant un droit d'en établir l'existence et non au demandeur de prouver le contraire >>.

La preuve entre époux séparés de biens est en effet soumise au droit commun, sauf l'application des présomptions contenues dans le contrat de mariage. En ce qui concerne les biens meubles corporels, la présomption de propriété édictée par l'article 2279, alinéa 1er, du Code civil sera souvent écartée du débat entre époux en raison du caractère équivoque de la possession. Dans ce cas, ce sera à l'époux revendiquant à étayer ses prétentions soit en ,exhibant un écrit, soit même en se fondant sur des témoi­gnages ou des présomptions (RENAULD, Droit patrimonial de la famille, n° 1635; DELVA, note sous cass., 16 septembre 1954, Rev. crit. jur. belge, 1955, n° 3, p. 134; DoNNAY, Rec. gén. enr. et not., 1952, 19.140, n° 3; PIRSON et PIRET, Examen de jurisprudence, Rev. crit. jur. belge, 1949, p. 265; 0. RENARD et J. HANSENNE, La propriété des choses et les droits réels principaux, vol. III, P.U.L., 1975, no 378). La présomption de l'article 2279, alinéa 1er, du Code civil ne jouant pas plus pour l'un des époux que pour l'autre, à défaut de voir l'un des conjoints rapporter la preuve d'un droit de propriété exclusif dans son chef, les biens mobiliers devront, en toute logique, être considérés comme leur appar­tenant en indivision (DELVA, op. cit., p. 139, n° 7; PIRET et PrnsoN, op. cit., p. 266; voy. également Rev. trim. dr. civ., 1951, p. 149-150).

La Cour d'appel de Bruxelles (Bruxelles, 22 février 1972, Rec. gén. enr. et not., 1973, no 21.719) a eu à connaître d'un conflit opposant une épouse conventionnellement séparée de biens à un créancier de son mari qui avait saisi les meubles se trouvant

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dans un ·appartement propre à l'épouse et affecté à l'habitation conjugale. L'épouse revendiquait les biens saisis en argumentant, d'une part, de la clause de son contrat de mariage selon laquelle <<le mobilier sera censé appartenir entièrement à la future épouse >> et, d'autre part, de ce que l'appartement était sa propriété per­sonnelle. Elle se référait par là à une théorie qui présumait, jusqu'à preuve du contraire, que les biens meubles se trouvant dans l'habitation conjugale étaient la propriété de celui des époux qui était propriétaire ou locataire de l'immeuble (voy. BAUDRY-LACANTINERIE, 3e éd., 1906, t. III, p. 142, et COLIN et CAPITANT, ge éd., 1945, t. III, n° 637).

La Cour a d'abord rappelé que la clause d'un contrat de mariage qui déroge au droit commun concerne les rapports entre époux mais ne constitue pas un titre de propriété à l'égard des tiers, suivant en cela une doctrine et une jurisprudence dominantes en Belgique (voy. J. RENAULD, Droit patrimonial de la famille, t. Ier, no 1647 et références citées).

Elle n'a pas davantage admis la présomption de propriété des meubles au profit de l'époux propriétaire de l'immeuble, théorie qui paraît d'ailleurs dépassée à l'heure actuelle. Elle a décidé, suivant en cela la jurisprudence de la Cour de cassation depuis son arrêt du 16 septembre 1954 (Pas., 1955, I, 3) et la majorité de la doctrine contemporaine (DoNNAY,<< La preuve de la propriété des biens meubles sous le régime de la séparation de biens>>, Rec. gén. enr. et not., 1952, n° 19140, p. 194; RENAULD, op. cit., no 1644; contra : DE PAGE, t. X, vol. 2, 1950, no 1369), que, <<quand des époux séparés de biens ont apporté leurs biens meubles respectifs dans l'immeuble propre à la femme qui est habité par eux, il ne peut être exigé du créancier du mari qu'il fasse une distinction entre les biens de la femme et ceux du mari alors que la confusion créée par les époux eux-mêmes ne permet plus cette distinction; que le créancier du mari peut saisir tous les biens meubles se trouvant dans l'habitation, sauf le droit de la femme d'agir conformément à l'article 1514 du Code judiciaire>> (dans le même sens voyez civ. Bruxelles, 30 mars 1972, Pas., 1972, III, 49).

Le même raisonnement doit être tenu, mutatis mutandis, à l'endroit des créanciers de la femme.

26. CLAUSE SELON LAQUELLE LES ÉPOUX DOIVENT CONTRIBUER

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AUX CHARGES DU MARIAGE A CONCURRENCE DE LA TOTALITÉ DE

LEURS REVENUS RESPECTIFS.- PoRTÉE.- Dans un jugement à la fois longue1nent et fortement motivé, en même temps que très bien documenté, le tribunal de première instance de Liège (civ. Liège, 3 décembre 1971, Rev. not. belge, 1972, p. 78) confirme l'interprétation généralement donnée à la clause suivant laquelle les époux contribueront aux charges du mariage pour la totalité de leurs revenus : cette clause doit s'entendre en ce sens que chacun des époux doit, si nécessaire, consacrer tous ses revenus à satisfaire aux charges du mariage; elle ne signifie évidemment pas que les époux sont obligés de dépenser leurs revenus, quitte à se créer des besoins somptuaires et artificiels!

En fait, la question n'était pas là, mais bien si la clause avait pour effet de créer une indivision entre époux sur les deniers épargnés par eux (on avait découvert à l'époque du décès de l'épouse, et auprès d'elle, une somme d'environ 400.000 fr. et les héritiers du mari, décédé peu après sa fem1ne, en réclamaient la moitié).

Le jugement fait bonne justice de cette interprétation, qui fait honneur à l'esprit inventif du conseil du mari, mais méconnaît cette règle d'or selon laquelle les clauses dérogatoires aux prin­cipes sont de stricte interprétation : on ne peut, par le biais d'une simple clause de règlement des modalités de la contribution aux charges matrimoniales, créer en réalité une société d'acquêts jointe à la séparation de biens. Une altération aussi profonde du système séparatiste ne se conçoit qu'à partir d'une volonté certaine des époux; or la clause, relative aux charges du mariage, ne peut voir sa portée. définie que dans ce cadre même; il serait illogique et présomptueux d'en tirer des conséquences sur le plan de la propriété des biens : le devoir de contribution peut comporter le sacrifice de la totalité des revenus, mais ne peut imposer d'alimenter la capitalisation commune des économies.

Le jugement voit un autre argument contre la formation d'une indivision de revenus dans la clause du même contrat de mariage selon laquelle chacune des parties est <<réputée avoir fourni sa part contributive jour après jour, les futurs époux n'étant assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer aucune quittance l'un de l'autre>>. Le raisonnen1ent implicite est d'une impeccable logique mais subtil; les époux sont censés avoir fourni jour après jour leur part contributive et peuvent prétendre qu'elle fut de la

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totalité de leurs revenus; il ne pourrait dès lors évidemment pas subsister de revenus susceptibles de former une indivision. Il se révèle ainsi une fois de plus combien il faut manier prudemment le raisonnem.ent de pure logique; car, ce qu'on appelle <<pré­somptions>> dans les contrats de séparation de biens, ne sont en fait, la plupart du temps, que des suppositions, pratiques mais sans rapport avec la réalité. Il reste que les époux, en s'imposant mutuellement d'envisager avec largesse leur futur train de vie, n'ont certes pas 1nanifesté lille aspiration bien profonde à la formation entre eux d'une éventuelle indivision d'économies.

A ce propos le jugement aborde incidemment, car elle ne lui était pas directement posée, la question si la clause ne permet pas au juge d'apprécier plus librement le contenu des charges du mariage que s'il y avait proportionnalité des contributions. Le tribunal semble pencher pour l'affirmative, mais en termes très dubitatifs. Nous pensons quant à nous que le doute n'est pas permis; sous peine de ne donner guère de signification à la clause, il faut admettre que ses termes expriment clairement l'intention des époux de n1ener le train de vie que permettent leurs revenus cumulés et de ne pas se priver de ce superflu parfois plus indispensable que le nécessaire. L'un d'eux ne pourrait donc s'opposer à une dépense d'agrément, pourvu qu'elle demeure dans le domaine du raisonnable, sous prétexte de faire des économies. L'appréciation des éléments de fa.it, à coup sûr très délicate, relève de la sagacité des juges (8).

27. EMPRUNTS HYPOTHÉCAIRES. - La Cour d'appel de Bruxelles (Bruxelles, 23 février 1971, Rev. not. belge, 1971, p. 541) et le tribunal de première instance de Bruxelles (civ. Bruxelles, 31 mars 1972, Rev. not. belge, 1972, p. 259) ont tranché différem­ment deux espèces très semblables en matière d'emprunt hypo­thécaire.

Dans l'un et l'autre cas, les époux, mariés sous le régime de

(8) Notre point de vue concerne la clause bilatérale, comme en l'espèce. Autrefois, au temps de la puissance maritale, la clause, déjà usitée, concernait exclusivement la femme; l'interprétation donnée était alors que la clause n'imposait à la femme de remettre au mari la totalité de ses revenus que si les besoins du ménage l'exigeaient réellement. Cela pouvait donner à la clause un intérêt réel à l'époque où on n'apercevait pas toujours clairement que le devoir de secours, dominant celui de contribution, impliquait de toute façon l'obligation pour chaque époux de consacrer, si nécessaire, la totalité de ses revenus aux besoins essentiels du ménage.

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la sépç:t.ration de biens, avaient acquis ensemble, chacun pour moitié, un immeuble où ils fixèrent l'habitation conjugale; l'achat avait été financé au moyen d'un emprunt hypothécaire contracté par les deux époux mais qui fut rem~oursé des seuls deniers du mari. A la dissolution, les maris entendaient l'un porter au passif de la masse partageable le total des paiements effectués à la société prêteuse de 1nême que les frais de trans­formation et d'amélioration apportés à l'ünmeuble (tribunal de première instance de Bruxelles), l'autre retirer du produit de la vente du bien une part proportionnelle à sa contribution dans le coût de l'acquisition (Cour d'appel de Bruxelles).

La question principale était de savoir ce qui, dans les débours exposés, constituait des <<charges du mariage>>. Le contrat de mariage de chacun des ménages stipulait en effet, comme il est de coutume, que les futurs époux contribueraient aux charges du· mariage en proportion de leurs revenus respectifs, chacun d'eux étant censé avoir fourni sa part contributive au jour le jour de sorte à n'être assujetti à aucun compte ou justification à ce sujet.

La Cour d'appel de Bruxelles, contrairement à l'avis du premier juge, a décidé <<que les dépenses faites pour apurer, tant en principal qu'en intérêts, une dette contractée en vue d'acquérir l'habitation des époux ou d'en financer l'acquisition, constituent, au même titre que le loyer en cas de location de cette habitation, les frais de logement et font ainsi partie des charges du mariage, que dans la mesure où ces dépenses sont prélevées sur les revenus de l'un ou de l'autre des époux ... elles constituent, en l'espèce, sa part contributive auxdites charges et ne donnent lieu à l'établissement d'aucun compte· entre eux, par application de l'article 5 de leur contrat de mariage>>. La Cour précisait que néanmoins<< chacun des époux est redevable à son conjoint de la moitié des sommes que ce dernier établirait éventuellement avoir consacrées à l'acquisition de l'appartement par prélèvement sur des avoirs en capitaux qui lui appartenaient en propre>>.

La distinction faite par la Cour entre les prélèvements sur les revenus et les prélèvements sur le capital paraît en l'espèce fondée, car la présomption établie par le contrat de mariage ne visait que l'emploi des revenus.

En revanche, la conception des charges du mariage nous

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se1nble critiquable. Malgré quelques décisions rejoignant l'opinion de la Cour d'appel (civ. Bruxelles, 18 juin 1964, Pas., 1965, III, 135; cass., 28 mars 1969, Pas., 1969, I, 673), il nous semble qu'il faille distinguer dans le remboursement de l'emprunt ce qui correspond au coût de la construction ou de l'acquisition, lequel constitue pour l'époux propriétaire un investissement, et ce qui constitue une charge d'intérêts, lesquels sont assimilables à des frais de logement et participent comme tels aux charges du 1nariage. La doctrine contemporaine est dans ce sens (voy. RENAULD, Examen de jurisprudence, Rev. crit. jur. belge, 1969, p. 83, no 28, et Droit patrimonial de la famille, t. Ier, no 135; VIEUJEAN, Examen de jurisprudence, <<Les personnes>>, Rev. crit. jur. belge, 1970, p. 459, n° 32; BAETEMAN, note sous civ. Bruxelles, 18 juin 1964, Rev. crit. jur. belge, 1971, p. 212).

Le tribunal de première instance de Bruxelles s'est quant à lui rangé à cette doctrine lorsqu'il décide, citant Baeteman, que << lorsque des époux séparés de biens acquièrent indivisément un immeuble où ils fixent l'habitation conjugale, les intérêts de l'emprunt hypothécaire qu'ils contractent à cette fin sont assi­milables à des loyers et constituent comme tels des charges du mariage; que ne font au contraire pas partie de ces charges les règlements des capitaux nécessaires pour parvenir à l'acquisi­tion>>.

Comme en régime de communauté, il appartient au juge d'apprécier s'il existe en fait un lien entre l'emprunt et l'acquisi­tion ou la construction de l'habitation.

Par ailleurs, le même tribunal a estimé à bon droit que les travaux autres que ceux d'entretien, qui ont été exécutés pour l'amélioration du commerce exercé par le mari, devaient être supportés par celui-ci, sauf pour lui à se prévaloir de la plus-value éventuelle qu'ils ont conférée à l'immeuble indivis.

B. - SÉPARATION DE BIENS AVEC SOCIÉTÉ D'ACQUÊTS.

28. EcoNOMIE DU RÉGIME ET CONSÉQUENCES. - Les quelques décisions rendues en la matière témoignent de la grande liberté dont les futurs époux ont fait usage pour déterminer la composi­tion de la société d'acquêts jointe à un régime de séparation de

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biens et aussi des difficultés qui en découlent (voy. M. GRÉGOIRE,

<<Le rôle du notariat en matière de régimes matrimoniaux>>, in Congrès des Notaires de Belgique 1973, Gembloux, Duculot, p. 269). Tantôt la société d'acquêts est envisagée restrictivement, les conjoints pouvant acquérir des biens à titre personnel pendant le mariage, sans que le caractère exclusif de cette propriété dépende de la pro-venance des deniers qui auraient servi à leur acquisition (Bruxelles, 22 avril 1969, Rev. prat. not., 1970, p. 457); tantôt elle est conçue de manière large, recueillant notamment les fruits des biens restés personnels aux époux (Bruxelles, 16 avril1969, Rev. not. belge, 1971, p. 200; Bruxelles, 6 décembre 1973, Rev. not. belge, 1974, p. 466, obs. LAINÉ).

Cette liberté trouve toutefois ses limites dans l'économie du régime ; si celui -ci est considéré fonda1nentalement comn1e une séparation de biens, il est difficile de concevoir que la société d'acquêts ait, à l'instar d'une communauté, un droit de jouis­sance direct sur les biens personnels des conjoints (voy. cass., 7 octobre 1943, Pas., 1943, I, 376; RENAULD, D1·oit patrimonial de la famille, t. Jer, nos 1670-1671).

Lié au problème de la composition de la société d'acquêts est celui de l'obligation de respecter les formalités du remploi établies par les articles 1434 et 1435 du Code civil (voy. sur ce sujet, PIRET et PmsoN, cette revue, 1949, p. 267 et suiv.; RENAULD,

Examen de jurisprudence, cette revue, 1964, p. 375-376). Aux termes de la décision citée de la Cour de Bruxelles du 22 avril 1969, les époux ayant expressément prévu clans leur contrat de mariage que chacun d'eux conserverait la propriété personnelle des biens acquis par eux à titre onéreux pendant le 1nariage, <<les formalités du remploi ... qui tendent à ce qu'un bien déterminé ne tombe pas dans un patrimoine commun, n'auraient pu s'ap­pliquer à l'occasion d'une acquisition sans rapport avec ce patrimoine commun>>. La décision doit, nous semble-t-il, être approuvée : les formalités du remploi supposent non seulement que les sommes provenant de la réalisation d'un propre aient été absorbées par le patrimoine commun, mais encore que l'éconmnie du régüne conduise normalmnent à rendre communes les acquisi­ti ons faites au 1noyen de ces deniers.

La même solution paraît s'imposer chaque fois que le régime est don1iné par le principe de la séparation de biens : les deniers provenant de l'aliénation d'un propre constituent un capital et

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non des <<économies>> destinées à la société d'acquêts; la cir­constance que la société d'acquêts n'a pas la jouissance des biens personnels des époux fait échec au principe du quasi­usufruit et donc à l'absorption par la société d'acquêts du produit de la vente. A ce point de vue, il n'y a pas à distinguer les rapports entre époux des rapports entre les tiers. Mais, ainsi que le fait très justement remarquer Renauld (Droit patrimonial de la famille, t. Ier, n° 1684), l'accomplissement des formalités de remploi sera souvent nécessaire, en fait, pour renverser la pré­somption d'acquêts instaurée par l'article 1499 du Code civil auquel renvoie l'article 1581.

L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 19 avril 1972 tire une autre conséquence de la primauté du régime de la séparation de biens sur la société d'acquêts lorsqu'il décide que le conjoint, pour avoir droit à une <<reprise>> sur la masse commune, doit prouver non seulement le fait de l'aliénation d'un de ses biens propres, mais aussi que la somme a été investie dans la société d'acquêts. C'est là se conformer à l'enseignement de l'arrêt de la Cour de cassation du 7 octobre 1943 précité et à l'avis de la doctrine (DE PAGE, t. X, n° 1400, B; RENAULD, op. cit., n° 1690).

Dans un ordre d'idées analogue, la même cour (31 mai 1967, Pas., 1968, II, 3) décide que le mari ne peut être mis en cause dans une action en validation d'une saisie immobilière intentée contre son épouse, lorsque les revenus de l'immeuble saisi sont exclus de la société d'acquêts.

SECTION IV. -AVANTAGES MATRIMONIAUX.

29. CLAUSE D'ATTRIBUTION TOTALE DE LA COMl\iUNAUTÉ n'ACQUÊTS. - Le tribunal de première instance de Namur (Namur, 23 juin 1970, Rev. not. belge, 1971, p. 242, et Rec. gén. enr. et not, 1971, p. 401, n° 21.510) déclare que l'article 1525 n'est pas applicable en matière de communauté d'acquêts. Il résulte du contexte qu'en réalité cette affirmation concerne le droit de reprise des apports de l'époux prédécédé.

En règle générale, en effet, en communauté d'acquêts, ce droit ne pourra s'exercer en fait, puisque, en règle générale aussi, il n'y aura pas eu d'apport. L'affirmation n'en est pas 1noins trop péremptoire, car la pureté de la communa.uté d'acquêts

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peut être altérée par des clauses faisant entrer définitivmnent en communauté des biens présents.

A cet égard, l'hypothèse devant laquelle se trouvait le tribunal de Namur était ambiguë. Le mari défunt avait délibérément fait omettre par le notaire, dans l'inventaire de ses propres, certains biens et valeurs; d'une formulation assez obscure, il résulte que le tribunal voit dans cette omission la preuve d'une donation déguisée, par le mari à sa femme, des avoirs omis dans l'inventaire et cela pour le cas où il viendrait à décéder avant elle. La conception que se fait le tribunal du mécanisme de cette libéralité n'apparaît pas clairement. D'une part, un attendu déclare acquise la volonté du défunt de ne se réserver comme propres que les biens repris à l'inventaire; mais alors les autres biens ne peuvent être que communs et en fait cela semble bien avoir été l'intention du défunt. D'autre part, un autre considérant déclare que l'attitude du mari implique<< qu'il ne considère pas les biens non repris à l'inventaire con1me des apports à la com­Inunauté, mais 1narque sa volonté de renoncer, pour lui-n1ême et ses ayants droit, au droit de reprise>>. Ne devrait-on pas consi­dérer que les avoirs non inventoriés sont communs ou du moins présumés tels et, en vertu de la clause de l'article 1525, attribués à l'épouse survivante, la donation consistant effectivement dans l'abandon supposé du droit de reprise 1

30. LA CLAUSE D'ATTRIBUTION TOTALE DE LA COMMUNAUTÉ ET LA DISSOLUTION DE CELLE-CI PAR LE DIVORCE. -La clause d'attribution totale de la communauté doit-elle ou non être conçue nécessairement comme un gain de survie 1 La question est controversée, notan1ment quant au point de savoir si la clause peut être stipulée au profit d'un époux déterminé et de ses héritiers (voy. les références citées dans RENAULD, D1·oit patrimonial de la famille, t. rer, nos 1517 à 1520). Si on admet avec la plupart des auteurs (contra notamment DE PAGE et DEKKERS, t. X, nos 1257 et 1287) que la clause ne peut être stipulée qu'à titre de gain de survie, seule la dissolution de la con1munauté par décès en déclenche immédiatement les effets; si la communauté se dissout par divorce, séparation de corps ou de biens, il faudra la liquider provisoirement sans tenir compte de la clause en attendant que le décès de l'un des époux permette de faire jouer celle-ci au profit du survivant (Bruxelles,

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27 juin 1972, Pas., 1973, II, Il). Il est clair cependant que la clause << ne fonctionne aisément que lorsque la communauté se dissout par décès>> (DE PAGE et DEKKERS, t. X, no 1260). A notre sens, il ne s'agit pas seulement d'une question de plus ou moins grande facilité de liquidation (les complications d'une situation aussi artificielle sont évidentes), mais d'un problème de logique et d'équité naturelle. Il ne fait guère de doute que l'intention normale des futurs conjoints, lorsqu'ils adoptent la clause, est d'en limiter les effets au cas de dissolution de la communauté par décès : au moment où ils stipulent, c'est bien certainement, comme disaient les anciens auteurs,<< en contemplation>> de cette hypothèse et non de celle de la dissolution de la communauté par divorce ou séparation de corps, voire même de séparation de biens. Dans l'esprit des fiancés, à ce moment, leur but est d'assurer au mieux le sort du survivant, souci dicté par une affection réciproque qui s'évanouit en cas de divorce ou de séparation.

Aussi faut-il approuver la jurisprudence selon laquelle la clause d'attribution totale de la communauté au survivant (comme toute autre clause de même nature ou comme l'institu­tion contractuelle) peut être stipulée pour le cas de la dissolution du mariage par décès seulement (voy. note SPILMAN, cette revue, 1956, p. 99). La Cour d'appel de Bruxelles, par un arrêt du 30 juin 1971, confirme cette opinion (Rev. not. belge, 1972, p. 197). Observons d'ailleurs que dans cette affaire, le contrat de mariage contenait à la fois une clause d'attribution totale et une institu­tion contractuelle. La première était expressément réservée au cas de dissolution de la cmnmunauté par décès, mais <<non autrement >>; la seconde était réciproque et << du premier mourant au second mourant>>. La Cour constate l'existence d'une sorte de connexité intellectuelle entre ces deux clauses inspirées d'une unique intention et juge que la seconde, complément manifeste de la première, doit être considérée comme affectée de la même <<condition>> (comp. Bruxelles, 25 avril1972, Rec. gén. enr. et not., 1974, no 21.830, p. 308).

Peut-on aller au-delà 1 Le tribunal de première instance de Bruxelles (civ. Bruxelles, 17 février 1972, Rev. not. belge, 1972, p. 199) n'a pas hésité à franchir le pas dans une espèce où il apparaît des considérants de son jug_ement que la clause d'attri­bution totale de la communauté au survivant n'était pourtant

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pas expressément limitée au cas de dissolution de cette corn­munauté par décès. Le tribunal considère qu'il ressort d'une manière implicite, mais certlûne, des termes (terme<< survivant>> notamment) employés dans les deux clauses du contrat de mariage stipulant, l'une, l'attribution totale de la communauté au survivant, l'autre, une institution contractuelle réciproque du prémourant au survivant, que les époux n'envisagent que la dis­solution du mariage par décès. Il ajoute << que les institutions contractuelles réciproques, par leur nature même et par le but qu'elles poursuivent (assurer la subsistance du conjoint), ne se conçoivent qu'en cas de décès (note REINE SPILlVIAN, sous Gand, 13 mai 1954, Rev. crit. jur. belge, 1956, p. 109) >>.

Ainsi, dès lors que la clause est établie en faveur du survivant, on pourrait normalement présumer que les époux ont voulu exclure du jeu de cette clause l'hypothèse de la dissolution de la communauté par divorce ou séparation.

Il est d'autant plus certain qu'une telle intention peut s'ex­primer de façon implicite qu'elle est naturelle et que l'a1·ticle 1452, qui n'a pas caractère d'ordre public, ne s'oppose pas à pareille solution. Il reste que si elle peut être implicitement exprimée, l'intention des époux doit être concrètement certaine dans l'hypothèse considérée.

Selon certaines décisions, la clause, qu'elle soit explicitement ou implicitement établie pour le seul cas de la dissolution de la com1nunauté par le décès, produit néanmoins ses effets en cas de divorce ou de séparation. C'est alors la conséquence de l'ap­plication de l'article 1178 du Code civil, la den1ande en divorce de l'un des époux empêchant la <<condition>> de dissolution de la comn1unauté par décès de se produire éventuellen1ent au profit de l'autre. La<< condition>> est alors réputée accmnplie. La Cour d'appel de Bruxelles, dans son arrêt précité du 30 juin 1971, fait de ce mécanisme une application très discutable en faveur de la femme; celle-ci avait dmnandé originairement la séparation de corps, laquelle entraînait la dissolution de la communauté; le mari par la suite demande la conver~ion de la séparation en divorce, ce qui a pour effet de dissoudre le mariage. La Cour transpose la condition de dissolution de la communauté << par décès et non autrement>>, prévue expressément pour l'attribution totale de communauté, en une condition de dissolution du rnariage par décès dans le cas de l'institution contractuelle et

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conserve à la fem1ne, par le jeu de l'article 1178, le bénéfice de la succession de son ex -époux prédécédé. Pour logique que soit ce raisonnement, il n'en mène pas moins à un résultat qui choque l'équité. Dès lors qu'on argumentait par analogie, ne valait-il pas mieux s'en tenir à la dissolution de la communauté? Or celle-ci est le fait de la femme ... (voy. en ce sens F. LAINÉ, Rev. not. belge, 1972, p. 179 et suiv.; VANQUICKENBORNE et DEKKERS, Examen de jurisprudence, cette revue, 1975, p. 160, no 99; comp. DE PAGE et DEKKERS, t. X, no 1258).

On peut toutefois douter si l'intervention de l'article 1178 se justifie en la matière. On sait combien il est dangereux d'étendre l'application d'une fiction en dehors de l'hypothèse précise pour laquelle elle a été établie. Créée pour sanctionner l'attitude incorrecte d'un débiteur qui cherche à se soustraire à son o bliga­tion, faut-il l'appliquer à une stipulation de nature aussi spéciale et avec des conséquences qui apparaissent paradoxales ?

L'époux qui demande le divorce (c'est-à-dire, généralement, l'époux <<innocent>>) ferait en effet jouer l'article 1178 en em­pêchant désormais par son fait la dissolution du mariage par décès. Faut-il admettre que la communauté, par la vertu de l'article 1178, est fictivement dissoute par le décès et considérer que l'attribution totale se fera immédiatement au profit de l'époux défendeur? Ce serait dès lors le plus souvent l'époux <<coupable>> qui en bénéficierait (9). Ou bien faut-il admettre que l'intervention de l'article 1178 a pour seul effet de faire supposer la persistance de l'état de mariage n1algré le divorce, ce qui conduit à attendre que le sort ait désigné le survivant auquel la communauté sera attribuée? Ce serait nier la volonté, supposée certaine par hypothèse, de ne faire jouer la clause d'attribution totale qu; en cas de dissolution du mariage et de la communauté par décès.

Les virtuoses de l'abstraction peuvent être séduits par de telles subtilités; pour nous, ce sont là jeux d'esprit plutôt que sain usage de l'ars aequi et boni.

II faut dès lors se demander si les conditions d'application de l'article 1178 sont réunies. Sans doute n'est-il pas dans notre propos d'entrer profondément dans le débat que suscite l'ar-

(9) A la limite, cela conduirait à réputer décédé l'époux demandeur 1 Dans l'espèce jugée par la Cour d'appel de Bruxelles, le problème se trouvait simplifié par le fait du prédécès du mari.

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ticle 1178 sur la notion de condition (voyez Novelles, Droit civil, t. IV, vol. 2, <<La condition>>, par Y. HANNEQUART, nos 11 et suiv., 37 et suiv.) ou de dette (voy. DE PAGE et DEKKERS, t. VIII, 2e éd., n° 290, B). Nous nous bornerons à poser la question s'il est bien sûr que la stipulation selon laquelle l'attri­bution totale de la communauté ou l'institution contractuelle ne joueront qu'au cas de dissolution du mariage par le décès d'un des époux est une condition au sens technique.

Sans oublier qu'un effet rétroactif, lié en principe à la notion de condition, s'applique malaisément à l'espèce (10), la <<con­dition>> est-elle vraiment ici un élément adventice de l'acte juridique? Telle qu'elle est construite par les parties, la dis­position suppose nécessairement la dissolution de la communauté par le décès et est entièrement subordonnée à cet événement. Celui-ci nous paraît donc comme une donnée de l'hypothèse, un élément essentiel du champ contractuel, en l'absence duquel on ne peut concevoir aucune efficacité de l'acte juridique.

Enfin et d'ailleurs, qu'on n'oublie pas qu'au sens de l'ar­ticle 1178, le fait du débiteur qui a empêché l'accomplissement de la condition doit être fautif (cass., 5 mai 1955, Pas., 1955, I, 967; voy. en outre Rev. trim. dr. civ., 1934, p. 838); or, à notre sens, le fait de demander le divorce ou la séparation, strict exercice d'un droit, ne peut en lui-même constituer une faute. Celle-ci ne pourrait consister que dans le caractère vexatoire et téméraire de la demande, mais alors l'action n'aboutira pas!

Dès lors, que l'article 1178 soit ou non théoriquement appli­cable, il ne devrait jamais en fait pouvoir être appliqué dans ce contexte.

A vrai elire, si l'on voulait voir ici une condition, elle devrait plutôt résider non dans la persistance de l'état de mariage au moment du décès mais bien, pour chacun des époux, dans le prédécès de son conjoint.

Aussi, différente est la situation lorsque l'un des époux a donné volontairement la mort à son conjoint. La communauté et le mariage sont certes dissous par le décès- hypothèse envisagée par les époux- mais, le coupable ayant, par son fait, empêché le sort de désigner le survivant, on comprend qu'il soit fait

(10) Cet effet rétroactif est toutefois susceptible d'être écarté par la. volonté des parties (casa., 9 novembre 1956, Pas., 1957, I, 255).

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application de l'article 1178 du Code civil (directement ou par analogie, selon que la clause est une<< convention entre associés>> ou une institution contractuelle), ainsi qu'en décide la Cour d'appel de Gand dans son arrêt du 15 février 1973 (Rec. gén. enr. et not., 1974, n° 21.839, p. 337; voy. dans le même sens, Bruxelles, 17 novembre 1926, Rev. prat. not., 1927, 117, et civ. Arras, Il décembre 1935, Dall. pér., 1937, II, 27 et note NAST) qui attribue la communauté et la succession du meurtrier (décédé peu après) aux héritiers de la victime (Il).

Peut-être pourrait-on aller plus loin encore et se demander si le prédécès lui-même est véritablement une condition, au sens technique du terme. En effet, d'une part, l'article 725 du Code civil décide que, pour succéder, il faut nécessairement exister et, d'autre part, il a été rappelé que la plupart des auteurs ne conçoivent l'attribution totale de communauté que comme un gain de survie. Celle-ci apparaît dès lors comme un élément essentiel de l'ouverture du droit et les clauses dont question engendreraient, dans le chef de chacun des époux, un droit éventuel plutôt que conditionnel (camp. DEMOGUE, Rev. trim. dr. civ., 1917, p. 136). Si l'un d'eux fausse les règles du jeu, comme dans l'espèce soumise à la Cour d'appel de Gand, la sanction devrait être recherchée soit dans l'article 955, 1°, du Code civil en cas d'institution contractuelle, soit dans l'article 1134, dernier alinéa, en cas d'attribution totale de communauté (12). La juris­prudence ne paraît toutefois pas être entrée dans cette ultime distinction.

31. ATTRIBUTION TOTALE DE LA COMMUNAUTÉ.- EXCLUSION DE LA REPRISE DES APPORTS. - PoRTÉE. - Ün sait que la nature de l'attribution totale de la communauté au survivant des époux, avec exclusion de la reprise des apports du prédécédé, a fait l'objet de vives controverses, surtout en France où la Cour de cassation, après avoir estimé que l'opération constituait une libéralité pour le tout, se rangea brusquement en 1899 (13)

(Il) La règle joue alors dans sa formulation inverse : la condition est réputée défaillie lorsque le créancier en a provoqué la réalisation (voy. BAUDRY·LAOANTINERIE

et BARDE, Obligati,ons, 3e éd., t. II, n° 808). (12) Comp. DE PAGE, t. VIII, n° 566, note ll6. (13) Cass. fr., 2 août 1899, Dalloz, 1901, I, 433, arrêt logiquement issu de celui

rendu par les chambres réunies le 19 décembre 1890, Sirey, 1891, I, 129.

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à la solution inverse et décida qu'elle demeurait une convention de mariage et entre associés.

En Belgique, la jurisprudence adopte en principe une position intermédiaire, à la fois logique et sage, suivant laquelle la clause d'attribution totale de la communauté n'a le caractère onéreux d'une convention de mariage qu'à l'état pur, c'est-à-dire dans la mesure où elle ne porte que sur les acquêts et les biens devenus communs par l'apport de l'époux survivant.

L'attribution de propres du prédécédé ou de biens communs compris dans le droit de reprise de ces héritiers, prévu par l'article 1525, est constitutive d'une libéralité (voy. RENAULD,

Droit patrimonial de la famille, t. Ier, n° 1469, et cette revue, Examen de jurisprudence, 1969, p. 78). Telle est aussi l'opinion d01ninante en doctrine belge (voy. RENAULD, idem; comp. cependant les positions prises par MM. DE PAGE et DEKKERS,

t. VIII, n° 484, b, et t. X, no 1286, 30). Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 21 avril 1971

(Rev. not. belge, 1971, p. 253) confirme à nouveau cette juris­prudence.

Le même arrêt rappelle que le mari ne peut renoncer à la communauté. Si le contrat de mariage lui attribue la communauté en totalité, la renonciation à ce bénéfice ne porte donc pas sur son droit à la communauté, mais sur un droit de propriété définitivement acquis à son profit par les effets combinés de la loi et du contrat de mariage.

En conséquence, les héritiers de la femme prédécédée ne pourraient avoir recueilli la moitié de la communauté délaissée par la renonciation du mari que par l'effet d'une transmission à titre onéreux ou à titre gratuit avenue entre ce mari et ces héritiers. A défaut d'établir une telle transmission, la totalité de la communauté doit être considérée comme étant demeurée dans la propriété du mari et faire, à sa mort, partie de sa suc­cession. En l'espèce, les biens avaient été conservés par le mari. Ses héritiers (in casu, les enfants issus de son mariage avec sa femme prédécédée) doivent donc acquitter les droits de succession sur la valeur de la totalité des biens formant l'ancienne com­munauté.

L'arrêt rapporté et les problèn1es qu'il suscite ont fait l'objet d'une importante note de M. Stiénon dans cette revue (Rev. crit. jur. belge, 1974, p. 41 et suiv.).

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32. PROTECTION DES ENFANTS DU PREMIER LIT. - Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles (30 juin 1969, Pas., 1969, II, 237) se rallie à l'interprétation généralement admise en jurisprudence et en doctrine de la disposition finale de l'article 1527 du Code civil selon laquelle le partage égal d'économies résultant de revenus inégaux ne constitue pas un avantage sujet à retranche­ment. En revanche, le partage inégal des économies, quelle que soit leur origine, ouvre l'action dans la mesure du dépassement par rapport à la moitié.

Cette solution est entièrement conforme au principe général selon lequel toute dérogation à la règle légale du partage égalitaire des biens communs est considérée comme un avantage ouvrant aux enfants du premier lit l'action en retranchement (comp. DE

PAGE et DEKKERS, t. X, no 1315). A fortiori, l'attribution totale de la communauté à l'un des

époux ouvre-t-elle l'action en réduction (Bruxelles, 19 mars 1973, Pas., 1973, II, 116).

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