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GRANDS TEXTES Jean Audouze CLES ET ENJEUX DE L'ASTRONOMIE L'astrophysique connaît de grands succès grâce aux progrès de l'observation astronomique, qui ont conduit à une meilleure compréhension de l'univers. Pour progresser, l'astrophysicien doit intégrer les développements les plus récents de la physique des particules, de la physique nucléaire et de la physique théorique. 'astronomie et plus spécifiquement l'astrophysique, issue de son union avec la physique, sont aujourd'hui des stars. De nombreux événements qui intéressent un public de plus en plus large se déroulent actuellement sous nos yeux : l'une des sondes Voyager, qui se sont envolées en 1977 pour visiter les environs de Jupiter et de Saturne, a exploré pour la première fois Uranus, ses anneaux et ses satellites, en jan- vier 1986, et va fournir les premières images de Neptune, en août 1989- Grâce à cette mission fabuleuse, on sait que Jupiter est entouré d'un système annulaire comme les autres planètes géantes, on a assisté en "direct" à l'éruption d'un volcan sur Io, on sait que des milliers d'anneaux gravitent autour de Saturne, on 85

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GRANDS TEXTES

Jean Audouze

CLES ET ENJEUX DE

L'ASTRONOMIE L'astrophysique connaît de grands succès grâce aux progrès de l'observation astronomique, qui ont conduit à une meilleure compréhension de l'univers. Pour progresser, l'astrophysicien doit intégrer les développements les plus récents de la physique des particules, de la physique nucléaire et de la physique théorique.

'astronomie et plus spécifiquement l'astrophysique, issue de son union avec la physique, sont aujourd'hui des stars. De nombreux événements qui intéressent un

public de plus en plus large se déroulent actuellement sous nos yeux : l'une des sondes Voyager, qui se sont envolées en 1977 pour visiter les environs de Jupiter et de Saturne, a exploré pour la première fois Uranus, ses anneaux et ses satellites, en jan­vier 1986, et va fournir les premières images de Neptune, en août 1989- Grâce à cette mission fabuleuse, on sait que Jupiter est entouré d'un système annulaire comme les autres planètes géantes, on a assisté en "direct" à l'éruption d'un volcan sur Io, on sait que des milliers d'anneaux gravitent autour de Saturne, on

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dispose de documents détaillés sur le tectonisme d'Ariel et de Miranda... En mars 1986, les deux sondes soviétiques Vega 1 et Vega 2, ainsi que le satellite européen Giotto, sont allées à la ren­contre de la comète de Halley dont la vision sur terre fut, cette fois-là, décevante. Le 13 mars 1986, Giotto passa à 700 kilomètres du noyau de cette comète historique dont E. Halley tira parti pour aider I. Newton à établir la théorie de la gravitation. Grâce à ces deux missions spatiales, on connaît maintenant avec précision la morphologie et la composition chimique de cette comète qui reviendra illuminer notre ciel en 2061. Enfin, lorsque l'astronome I. Shelton découvrit la supernova 1987 A, le 23 février 1987, au télescope de Cerro Tololo (Chili), non seulement les astronomes mais aussi les physiciens des particules furent prêts à observer à la fois tous les détails de l'émission lumineuse, ainsi que le flux de neutrinos énergétiques émis lors du déclenchement de l'explosion de cette étoile.

L'astrophysique est donc, aujourd'hui, une science plus vivante que jamais : plus de la moitié des découvertes qui concer­nent l'univers et son évolution datent de moins d'une vingtaine d'années. Comment expliquer une telle vitalité, ainsi que l'en­gouement de l'honnête homme pour l'observation du ciel, les pla­nétariums, les émissions radio et télévisées qui parlent de l'espace, certains livres...? La raison est très simple : l'astronome "voit" enfin le ciel dans tous ses rayonnements, depuis qu'il peut s'échapper de la dictatoriale contrainte de l'atmosphère terrestre ; il dispose de détecteurs particulièrement sensibles de ces lumières ; grâce aux grands ordinateurs, il peut exploiter les images du ciel et entreprendre les vastes calculs qui lui permettent d'appréhender la complexité de l'univers et de ses composants. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'astronome ne se contente pas de "voir" le ciel, il peut aussi en "entendre" les émissions radio. Plus récemment, il capture les photons X et gamma très énergétiques, témoins des événements les plus violents qui se déroulent autour de nous, dans cette vaste immensité étoilée.

L'astronomie étant une science de l'observation, donc du regard, elle connaît une véritable révolution causée par l'irruption des nouvelles techniques de détection, la construction de téles­copes géants et l'accès à l'espace. Nos "yeux" sont véritablement

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bouleversés : notre ciel ne ressemble que fort peu à celui de nos pères. Tous ces instruments, toutes ces techniques ont donc modi­fié notre approche sensorielle de l'univers. Les sens même les plus aiguisés ne suffisent pas à établir une science. Celle-ci procède de l'intelligence de l'esprit humain. Une des recherches persistantes de celui-ci est d'établir des lois, des relations et cle chercher à uni­fier ce qui pourrait sembler disparate. Cette tendance fondamentale de l'esprit de l'homme gouverne les tendances les plus présentes de l'astrophysique.

Avec des yeux, des sens et un esprit nouveau, l'astrophysi-cien nous resitue dans l'univers. A l'aube du troisième millénaire, l'enjeu de l'astronomie moderne est peut-être de dresser la grande histoire de l'univers dans son ensemble ; celui-ci, en effet, n'est pas immuable, mais en perpétuel mouvement et transformation.

Une révolution du regard Les quelques succès récents cle l'astrophysique ne sont mal­

heureusement pas dus à un sursaut d'intelligence de la commu­nauté scientifique préposée à observer et à décrire l'univers. Ils viennent plutôt des progrès immenses accomplis par la technolo­gie et l'instrumentation scientifique. Ce n'est que depuis une date très récente que les astronomes disposent de télescopes géants ou envoient leurs détecteurs dans l'espace. Retraçons les principales étapes de l'histoire de l'observation astronomique : les premières lunettes et télescopes sont apparus au XVII e siècle, grâce en parti­culier à Galilée, Newton et Cassegrain. Leurs dimensions restèrent très modestes pendant plus d'un siècle. Au XIX e siècle, deux révo­lutions affectèrent la recherche astronomique : l'invention du prisme et des réseaux qui dispersent la lumière et qui permettent de l'analyser - ainsi que le montrèrent Fraunhofer et Kirchhoff - et, bien entendu, l'apparition de la plaque photographique et son uti­lisation astronomique. Sait-on que l'invention du cinématographe doit beaucoup à l'astronome Janssen qui est le père créateur de l'observatoire de Meuclon ?

C'est, évidemment, au cours du X X e siècle que les dévelop­pements technologiques s'accélèrent : construction des grands

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télescopes de diamètre supérieur à 2 mètres au mont Wilson, au mont Palomar et, maintenant, un peu partout dans le monde. Les astronomes français sont fiers d'avoir découvert les qualités uniques du site d'Hawaii : sur le sommet du volcan éteint Mauna Kea, à 4 200 mètres d'altitude, est situé notre télescope national que nous partageons avec le Canada. D'autres télescopes occu­pent ou occuperont également ce site, comme le télescope de 10 mètres de diamètre appartenant au California Institute of Technology et à l'université cle Californie et dont le nom est le Keck télescope. Ce télescope géant sera opérationnel dès 1993- Sur ce site d'altitude très accessible, les instruments sont placés dans une atmosphère un peu raréfiée, au-dessus de la couche nuageuse qui recouvre la grande île de l'archipel d'Hawaii, ce qui assure aux images une qualité exceptionnelle.

Jusqu'à maintenant, le diamètre des télescopes était limité à 6 mètres. Une nouvelle génération d'instruments dont les dia­mètres seront compris entre 8 et 16 mètres doit être mise à la dis­position des astronomes avant la fin de ce siècle. Avec de telles "jumelles", on peut espérer voir des astres plus faibles soit parce qu'ils sont plus éloignés, soit parce qu'ils sont intrinsèquement moins lumineux •. les deux axes de recherche les plus actifs aujourd'hui sont de partir à la découverte des systèmes planétaires proches de nous et des astres (galaxies, quasars...) les plus loin­tains, donc correspondant à des phases où l'univers était beau­coup plus jeune. En effet, quand on regarde loin, on remonte le temps naturellement, en raison du caractère fini de la vitesse de la lumière. La lumière se déplace avec une vitesse incomparable­ment élevée à notre misérable échelle, mais finalement assez modeste quand on la compare aux échelles de longueurs et de distances de l'univers. Pour se limiter à deux exemples, la galaxie satellite de la nôtre qui porte le nom de Grand Nuage de Magellan, se trouve à 170 000 années-lumière de nous. La lumière que nous percevons de cette galaxie fut émise avant l'apparition sur terre de l'homme de Neandertal. La galaxie d'Andromède, sœur jumelle cle la nôtre (la Voie lactée), est située à 2 millions d'années-lumière. La lumière envoyée par les astres les plus loin­tains a parcouru au moins 12 milliards d'années-lumière avant de nous parvenir. Loin d'être une contrainte à nos observations, la

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limite imposée par le déplacement de la lumière permet de mon­trer que l'univers est en évolution et a donc une histoire.

On ne se contente plus de regarder le ciel avec nos yeux, même munis de prothèses aussi importantes que ces télescopes atteints de gigantisme. Après la première observation radioastro-nomique effectuée par K. Jansky au cours des années trente, l'ac­cès aux ondes radio a été ouvert en 1945, après l'invention des radars. Les radiotélescopes qui sont à l'écoute de l'univers ont per­mis de très grandes découvertes : celle des quasars qui sont les noyaux des galaxies les plus lointaines ; les pulsars qui sont les restes très denses des étoiles ayant explosé (imaginez qu'un pulsar de même masse que le Soleil n'a qu'un rayon de 10 kilomètres) ; la distribution et la géométrie du gaz interstellaire dans la Voie lac­tée et les galaxies proches ; les nombreuses molécules interstel­laires dont la chimie reste encore un mystère et enfin la découverte, en 1965, par A. Penzias et R. Wilson, du rayonnement radiofossile. Ce rayonnement fossile n'est rien d'autre que celui qui est émis par le gaz de lumière libéré au tout début de l'histoire de l'univers (lorsque sa température était de 10 000 degrés environ), soit 1 mil­lion d'années après l'événement critique qui marqua l'émergence de l'univers à notre conscience. Cette découverte constitue le fon­dement de la cosmologie moderne.

Le bouclier de l'atmosphère terrestre Les ondes radio et la lumière visible sont les deux seuls

rayonnements capables de traverser sans encombre l'atmosphère terrestre. Celle-ci nous permet de vivre et constitue un bouclier aux radiations nocives qui mettraient notre vie en péril. C'est le rôle de la couche d'ozone (la molécule triatomique d'oxygène) de nous protéger du rayonnement ultraviolet émis par le Soleil, dont les effets cancérigènes sont bien connus. L'atmosphère terrestre affecte aussi le rayonnement infrarouge et les rayonnements X et gamma de grande énergie. Pour observer le ciel dans ces diffé­rents domaines d'énergie (ou de longueurs d'onde), il faut placer les détecteurs appropriés soit dans des ballons, soit dans des fusées, ou mieux dans des satellites. C'est ainsi qu'il a fallu

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attendre les années soixante-dix pour que l'univers puisse être effectivement vu dans ces différents domaines de longueurs d'onde. Le premier satellite gamma fut le satellite européen COS-B qui permit de cartographier les régions les plus chaudes du ciel, comme les restes actifs de supernovae. L'astronomie X a débuté avec le satellite Uhuru et s'est poursuivie grâce au satellite Einstein. L'un des mérites de cette astronomie est d'avoir localisé des astres pouvant être de bons candidats "trou noir". Un trou noir, en effet, est entouré de matière très chaude qui, avant de dis­paraître en lui, rayonne dans le domaine X. L'astronomie X est aussi l'astronomie de la chute de la matière (l'accrétion) sur diffé­rents objets stellaires ou galactiques.

Le rayonnement ultraviolet en provenance des étoiles chaudes du voisinage solaire a été détecté par le satellite Copernicus, dont les données furent exploitées dès 1973 par nos collègues de Princeton. Le satellite IUE (international ultraviolet explorer) qui nous gave de données depuis 1980 est peut-être l'instrument à l'origine du plus grand nombre de publications, depuis que les astronomes rédigent des articles. Grâce à ces mis­sions on comprend la physique du gaz interstellaire et des cou­ronnes de gaz autour de nombreuses étoiles. La composition du gaz interstellaire dans lequel baigne le système solaire n'a plus de secrets pour nous, grâce à Copernicus.

C'est en raison de la richesse d'information contenue dans le domaine ultraviolet que le télescope spatial, qui sera placé sur orbite en décembre 1989, observera les rayonnements ultraviolets aussi bien que visibles, jusqu'à l'infrarouge proche. Grâce à son caractère spatial, ce télescope ne souffrira pas des servitudes météorologiques. Par ailleurs, la résolution des images qu'il obtiendra sera exceptionnellement fine.

Un domaine intéresse enfin non seulement les militaires, mais aussi les astronomes : celui de l'infrarouge. Un satellite, Iras (infrared astronomical satellite), a marqué le véritable début de l'astronomie infrarouge, celle des nuages interstellaires, des étoiles froides et des berceaux d'étoiles. Un satellite de deuxième génération, ISO (infrared spatial observatory), dans lequel la France jouera un grand rôle, volera aux environs de 1995 et apportera sûrement de grands bouleversements clans ce domaine.

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On ne voit pas seulement l'univers par la lumière qu'il émet et que l'on observe au sol ou dans l'espace avec des détecteurs de plus en plus sophistiqués. Les physiciens qui s'intéressent aux rayonnements de particules, comme le rayonnement cosmique ou les flux de neutrinos cosmiques, veulent être aussi de la partie. En effet, l'astronomie ne consiste pas seulement à mettre des cellules photoélectriques ou des prismes aux foyers des télescopes. Elle se pratique dans les mines ou au fond des tunnels creusés sous les montagnes où le neutrino - cette particule très élusive - est traqué. C'est grâce à cette chasse difficile que l'on a accès directement à la physique de l'intérieur du Soleil ou que l'on vérifie, de façon écla­tante, les théories les plus complètes rendant compte des explo­sions de supernovae. Le rayonnement cosmique nous renseigne, lui, sur ces étoiles massives réparties dans le disque de notre Voie lactée, qui émettent ces particules énergétiques qui nous parvien­nent, enfin, après un long voyage d'une dizaine de millions d'an­nées.

L'astrophysicien dispose, aujourd'hui, d'une batterie im­pressionnante de stéthoscopes pour ausculter le ciel, d'endo­scopes pour scruter ses régions denses, de radioscopes pour en faire la radiographie... Il peut continuer, néanmoins, à rêver d'ap­pareils encore plus compliqués et coûteux : des ensembles de télescopes spatiaux capables de regarder les mêmes astres par interférométrie, des télescopes de diamètre encore plus grand, des détecteurs à ondes gravitionnelles ou à particules constituant la matière invisible contenue dans l'univers. Les budgets impliqués constituent une contrainte plus grande que la limite de son imagination.

Une révolution de l'esprit Une personne un peu chagrine pourrait penser que cette

accumulation d'observations, loin de bénéficier à la connaissance de l'univers, l'obscurcit et la rend totalement confuse. Par boutade, un collègue éminent, le Pr Martin Rees, de Cambridge, propose que les astronomes cessent toute observation pendant deux ans, par exemple, et réfléchissent plus profondément sur le matériel déjà accumulé. Cette attitude est un peu trop paradoxale : c'est

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grâce à tous ces faits engrangés, quelquefois de façon fastidieuse et difficile, que l'on dévoile quelques pans du grand mystère que constitue l'univers, son histoire et son évolution.

Nous vivons, en fait, une époque où l'astronomie et la phy­sique sont deux sciences qui s'épaulent pour tenter de com­prendre la nature intime des choses. Cette situation n'a pas toujours prévalu dans l'histoire de la démarche scientifique : jus­qu'au XVII e siècle et à l'avènement de la théorie de la gravité, l'as­tronomie régnait en science souveraine ; on s'intéressait davantage au ciel et les sciences physico-chimiques ont longtemps relevé de la magie ou d'obscures pratiques alchimiques. D'ailleurs, la phy­sique est sortie de ses limbes grâce à l'astronomie : l'établissement des lois de Kepler qui régissent le mouvement des planètes autour du Soleil ont contribué, autant sinon plus que le mouvement de la comète de Halley, à la formulation de la théorie de la gravité. C'est au XVIII e siècle, et surtout au XIX e et au début du X X e , que la physique est venue avec la chimie dominer le concert des sciences de la nature. Le XIX e siècle consacre l'avènement de la physique classique (l'électromagnétisme, la thermodynamique, l'optique, la mécanique) qui fera dire à Marcelin Berthelot : "L'univers est désormais sans mystères. "

Le début du X X e siècle est marqué par l'arrivée de la méca­nique quantique et de la relativité. La mécanique quantique tente de comprendre le comportement de l'infiniment petit, alors que la relativité peut envisager la physique de l'univers dans son ensemble. La mécanique quantique souligne le comportement aléatoire de la particule microscopique ; la relativité consacre le rôle essentiel du caractère fini de la vitesse de la lumière, l'inter­changeabilité (dans certaines conditions) entre le temps et l'espace et l'influence de la distribution de la matière, invisible ou non, sur la géométrie de l'univers. L'unification de ces deux démarches scientifiques (relativiste et quantique) reste un rêve encore inac­cessible aux physiciens.

Ce sont ces deux théories physiques fondamentales qui ont influencé l'astrophysique et permis à celle-ci de progresser. On ne peut comprendre l'origine de la luminosité solaire sans la méca­nique quantique et la relativité. Le Soleil brille avec l'éclat qu'il a aujourd'hui, depuis 4 milliards et demi d'années. Il n'a pu le faire

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que grâce aux processus de fusion thermonucléaire qui transforme 4 noyaux d'hydrogène en 1 noyau d'hélium. Ces transformations libèrent de l'énergie et permettent donc au Soleil de briller, en rai­son de la fameuse équivalence masse-énergie découverte par A. Einstein dans le cadre de sa théorie de la relativité. Ces réac­tions nucléaires, qui se déroulent au centre du Soleil, ne peuvent se produire qu'en raison d'un effet découvert par G. Gamow, qui découle de la mécanique quantique : l'effet tunnel. Grâce à cet effet, deux particules de même charge électrique - dont la phy­sique classique prédit qu'elles ne peuvent que se repousser -parviennent à se faufiler au travers de cette barrière répulsive, en raison du célèbre principe d'incertitude, selon lequel la position d'une particule ne peut être fixée de façon précise si l'on connaît bien sa vitesse. Etant nous-mêmes poussières d'étoiles, c'est-à-dire faits de matière façonnée par les générations stellaires successives, notre propre existence n'est que la conséquence de ces principes fondamentaux découverts par la physique moderne.

Les centres des étoiles ne sont rien d'autre que des usines à fusion thermonucléaire contrôlée. La nucléosynthèse - formation des différents éléments chimiques au cours de l'histoire de l'uni­vers - procède assez simplement de l'opération de la physique nucléaire dans les étoiles, durant les phases primordiales très chaudes de l'univers, et de celle qui résulte de l'interaction entre le rayonnement cosmique de grande énergie avec le milieu inter­stellaire. L'explosion de certaines étoiles et la physique du milieu interstellaire, par exemple, font intervenir les connaissances les plus raffinées de l'hydrodynamique. La thermodynamique condi­tionne l'état physique des étoiles ; l'optique trouve évidemment un champ d'application unique dans l'astronomie. Les gaz qui cir­culent autour des planètes et des étoiles sont ionisés, et leur phy­sique est gouvernée par l'électromagnétisme. Le concept de trou noir n'a de sens que dans le cadre de la relativité générale qui gouverne la dynamique de l'univers dans son ensemble, depuis qu'il a émergé à notre connaissance physique. C'est cette théorie qui rend compte de son mouvement d'expansion qui dure depuis 15 milliards d'années.

L'univers constitue donc un laboratoire unique dans lequel l'expérimentateur fait complètement partie de l'expérience. Si la

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cosmologie a beaucoup progressé récemment, c'est grâce aux très grands progrès de la physique des particules et de la physique théorique. En effet, une des conséquences de la théorie de la rela­tivité générale est que l'univers ne peut être en repos. Contrairement aux espérances d'A. Einstein - qui a tout fait pour concilier un univers statique avec sa théorie de la relativité -, l'uni­vers est oblige de se dilater ou de se contracter. Depuis 15 mil­liards d'années, il ne cesse de se dilater, ainsi que le montre le mouvement de fuite des galaxies les unes par rapport aux autres. Une des grandes questions cosmologiques est de savoir si cette expansion se poursuivra indéfiniment ou, au contraire, si l'univers se mettra à se contracter dans plusieurs centaines de milliards d'années.

La réponse à cette question tient à la présence ou à l'absence de matière dite "noire" ou "invisible". Nous sommes faits nous-mêmes comme les étoiles et de ce qui est visible de matière nucléaire. Par des arguments un peu indirects liés à la teneur en hélium et en deutérium (ce qui remplace le noyau d'hydrogène dans l'eau lourde), nous démontrons que cette matière visible nucléaire ne représente environ que le dixième de la masse totale qui constitue l'univers. La densité de masse totale de matière visible et invisible s'apprécie à partir des effets qu'elle induit sur les mouvements des grandes structures de l'univers que sont les amas de galaxies. Il faut donc chercher ce qui constitue cette matière "noire invisible" ; c'est là que les physiciens de particules interviennent en imaginant l'existence de particules massives non nucléaires que nous découvrirons peut-être grâce à l'astronomie. Si la matière noire ou invisible est plus dense que ce que l'on croit aujourd'hui, alors l'univers pourrait se contracter de nouveau dans un futur lointain. Si, au contraire, elle ne constitue pas plus de dix fois la masse totale de la matière visible, alors l'univers se dilatera continûment et connaîtra un destin de plus en plus dilué et froid.

A partir des observations astronomiques de la lumière dans toutes les longueurs d'onde et de celles des particules cosmiques, on commence à avoir quelques idées sur la nature de notre uni­vers. Nous savons maintenant qu'il n'est pas statique, que les étoiles constituent les sources d'énergie principales et aussi les "usines" où se transforme la matière observable.

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L'esprit du physicien, qui n'est après tout qu'un homme, le conduit à chercher une unité dans le comportement de l'univers. La communauté scientifique est en train de se convaincre que les interactions fondamentales constituant les ressorts de l'action uni­verselle sont peut-être de même nature. Ces interactions sont la gravité, l'électromagnétisme - tous deux à longue portée - et les deux forces nucléaires faible et forte, à portée extrêmement courte. La force nucléaire faible est la force du changement, celle qui transforme les protons en neutrons (et vice versa) et aussi celle qui nécessite l'émission ou l'absorption de neutrinos ; la force nucléaire forte n'est rien d'autre que celle qui assure la cohésion des noyaux d'atomes.

Un premier pas vers l'unification de ces forces a été effectué par les théoriciens Glashow, Weinberg et Salam, dans les années soixante-dix, qui ont imaginé l'unification de la force nucléaire faible avec l'électromagnétisme. Ce premier pas a été confirmé par les expériences du Cern en 1983- Les physiciens cherchent maintenant à unifier les deux autres forces, ce qui représente une démarche difficile à effectuer ; peut-être la solution viendra-t-elle d'une observation astronomique. En effet, le destin de l'univers s'est scellé lors d'une phase très dense, extrêmement chaude et brève, où la physique des particules a dicté son comportement à l'ensemble du monde dans lequel nous vivons. Le spécialiste de la cosmologie a donc besoin de connaître la physique des particules pour comprendre cette phase singulière. En retour, le comporte­ment de l'univers - conséquence de cette microphysique - nous enseignera peut-être les caractéristiques physiques des particules élémentaires.

L'esprit scientifique tourné vers le ciel exige donc de s'ap­puyer sur les avancées les plus récentes des sciences expérimen­tales, c'est-à-dire établies sur la Terre. Cette analogie, cette corres­pondance entre le ciel et la Terre est l'un des fondements de l'astrophysique moderne qui édicté que ce qui est vrai ici est aussi vrai partout dans l'univers.

Ainsi, il y a deux façons de regarder et d'étudier le ciel et l'univers. On peut se laisser impressionner par les distances qui séparent chaque galaxie, les nombres d'étoiles visibles (plusieurs centaines de milliards de milliards !), la masse totale de la matière

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visible, le temps pris par la lumière pour venir d'un quasar lointain jusqu'à nous... Certains peuvent dire : "L'univers me donne le ver­tige" ou : "Que sommes-nous devant une telle immensité ?" ou encore : "N'y a-t-il pas une arrogance et une suffisance insuppor­tables à se permettre de décrire l'histoire de l'univers et de le trai­ter comme un échantillon de laboratoire ?" Ce point de vue n'est évidemment pas partagé ici. Plus l'on connaît l'univers, si tant est qu'on le connaisse jamais, plus l'on peut s'y sentir bien et avoir l'envie de protéger ce qu'il est, c'est-à-dire la niche écologique qui permet à la vie de perdurer.

L'homme dans l'univers aujourd'hui L'astrophysicien est aujourd'hui un historien et un géo­

mètre. Il sait que l'univers visible a un âge de 15 milliards d'an­nées environ, que notre système solaire date de 4 milliards et demi d'années. Il sait que d'ici à 5 milliards d'années, la Terre fera partie à nouveau d'un Soleil fortement dilaté et que, 1 milliard d'années plus tard, celui-ci terminera son évolution, d'abord comme nébuleuse planétaire, puis comme naine blanche. Il sait que l'étoile Bételgeuse finira par exploser comme la supernova magellanique de 1987 dans un temps compris entre demain et quelques millions d'années...

En étudiant l'astronomie et l'astrophysique, nous avons le sentiment que, en dépit de sa grande brièveté, notre vie prend sa place dans l'évolution de l'univers. Nous savons que la Terre est le seul endroit viable à l'intérieur du système solaire, d'où la néces­sité de la protéger et de faire en sorte que l'on puisse continuer à y vivre. Nous sommes intimement persuadés que nous ne sommes pas les seuls êtres "intelligents" à vivre dans l'univers : l'existence de systèmes planétaires autres que notre propre système solaire est maintenant bien prouvée. Reste à savoir où se trouvent nos plus proches voisins. Nous pensons actuellement qu'ils sont trop loin pour qu'un véritable dialogue puisse s'instaurer.

Malgré le caractère unique de la planète bleue - la planète miracle, pour reprendre le titre adopté par la série télévisée d'ori­gine japonaise -, la Terre fait intimement partie de l'univers. Elle est régie par les mêmes lois physiques. La Terre est un objet astro-

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nomique à part entière. En énonçant cela, nous ne devons pas perdre de vue qu'elle n'est pas unique, que l'univers ailleurs res­semble à ce qu'il est ici.

Qu'on nous permette enfin quelques remarques "philoso­phiques" qui sont et seront le moteur de toute recherche astrono­mique présente ou future. Nous avons une idée de l'histoire pas­sée de l'univers, quel peut être son avenir ? Comment la science de l'infiniment petit va-t-elle continuer à changer notre conception de l'infiniment grand ? Quelle est la place de l'homme et de son esprit dans ces vastes immensités ? Parviendra-t-il à coloniser de vastes étendues, à correspondre ou à entrer en contact avec d'autres civilisations ?

L'astrophysicien de demain va tenter de répondre ou tout au moins de s'attaquer à ces problèmes. Il sera aidé par une tech­nologie et une instrumentation de plus en plus raffinées qui lui permettront de "voir" et "entendre" le ciel avec davantage de pré­cision. Les progrès des autres sciences expérimentales, en particu­lier la physique nucléaire et la physique des particules, mais aussi la chimie et la biologie, vont se répercuter dans la compréhension accrue de l'univers, de son histoire et de ses évolutions. N'oublions pas enfin les puissances de calcul, de traitement de l'information et d'interconnexion des très grands ordinateurs auxquels les scientifiques du ciel feront de plus en plus appel.

Des problèmes aussi difficiles que la mesure directe de la masse et des dimensions des étoiles, la mise en évidence des "fossiles" stellaires et des nombreuses planètes qui doivent se trouver à notre voisinage, la confirmation ou l'infirmation de l'existence de grands "vides dans le ciel", la détection de galaxies et de quasars encore plus lointains... seront à la portée des nou­velles générations d'astrophysiciens qui, bien sûr, trouveront encore bien d'autres énigmes à résoudre.

C'est, du point de vue de l'astronomie et de l'astrophysique, une période réellement exaltante, qui n'est cependant que pré­mices. Une grande aventure scientifique commence. Où nous conduira-t-elle ? Je laisse le lecteur en rêver ou en décider.

Jean Audouze

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