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Histoire de l’astronomie dans le Midi de la France JEAN - CHRISTOPHE SANCHEZ OBSERVATOIRES ET ASTRONOMES DU GRAND SIÈCLE AU DÉBUT DU XX e SIÈCLE LOUBATIÈRES S CIENCES Préfaces de Gérard Coupinot et René Souriac

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Par une analyse comparée des foyers scientifiques méridionaux,toujours replacés dans leur contexte, le Midi apparaît comme un espace où des astronomes s’illustrent, observent leciel, cartographient le territoire, les littoraux et mesurent les sommets pyrénéens.Au Siècle des Lumières, des érudits équipent les premiers observatoires, mais ce n’est qu’au xixe siècle que sont créés les observatoires contemporains, non sans difficultés. L’astronomie demeure encore une aventure. En 1905, des astronomes partentobserver l’éclipse de Soleil en Castille, d’autres en Algérie. En 1910, c’est le retour de la comète de Halley et les astronomesobservent inquiets cet astre qui, pensait-on, menaçait d’empoisonner l’atmosphère.À l’heure des télescopes géants et des sondes spatiales, ce livre est une invitation à découvrir l’histoire du Midi de la France àtravers l’étude de l’astronomie de Copernic à Einstein.

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Histoire de l’astronomie dans le Midi de la France

J E A N - C H R I S T O P H E S A N C H E Z

OBSERVATOIRES ET ASTRONOMES

DU GRAND SIÈCLE AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE

LOUBATIÈRES SCIENCES

Préfaces de Gérard Coupinot

et René Souriac

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CET OUVRAGE A ÉTÉ PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS

DU CENTRE RÉGIONAL DES LETTRES DE LA RÉGION MIDI-PYRÉNÉES

© Nouvelles Éditions Loubatières, 2008 10bis, boulevard de l’Europe, BP 27

31122 Portet-sur-Garonne [email protected]

www.loubatieres.fr

ISBN 978-2-86266-553-5

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JEAN-CHRISTOPHE SANCHEZ

Histoire de l’astronomiedans le Midi de la France

OBSERVATOIRES ET ASTRONOMES

DU GRAND SIÈCLE AU DÉBUT DU xxe SIÈCLE

Approche historique, culturelle et régionale

des sciences astronomiques

Préfaces

de Gérard Coupinot

et René Souriac

LOUBATIÈRES

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À Magali, Élisa et Estelle,mes trois étoiles.

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« Tandis que les grands hommes font marcher les sciences, augmen-tent le nombre des vérités, par des découvertes nouvelles, l’histoirerépand ces vérités, elle fait descendre les connaissances, comme les eauxamassées sur la cime des montagnes, que la pente distribue dans lesplaines par des canaux. Ce bienfait des hauteurs appartient auxcampagnes ; les connaissances les plus élevées appartiennent égalementà tous les hommes. Nous y sommes parvenus par degrés ; les moyensde recherche ont été pris dans la nature, nous l’avons soumise enemployant sa puissance contre elle-même ; les découvertes sont lesœuvres des hommes : il n’y a donc rien dans ces connaissances, dansces moyens, dans ces découvertes, qui ne puisse être saisi par des lecteursattentifs. La lecture de l’histoire des sciences ne demande pas que l’onsoit savant, elle est un moyen de le devenir (…). L’historien a devantlui un grand tableau, les traits, les couleurs y sont, il n’a besoin que dele copier fidèlement pour le placer sous les yeux de ses lecteurs. L’es-prit humain a été jeune, il a été pauvre avant d’être riche, il a été igno-rant de ce qu’il ne savait pas, comme ceux des hommes qui lisentaujourd’hui pour s’instruire. Les idées se sont successivement amas-sées, mutuellement engendrées, l’une a conduit à l’autre. Il ne s’agitdonc que de retrouver cette succession, de commencer par les idéespremières; la route est tracée, c’est un voyage qu’on peut refaire, puisqu’ila été fait : l’individu doit marcher dans sa lecture de quelques heures,comme l’espèce a marché dans une longue suite de siècles. »

BAILLY (J.-S.), Discours préliminaire, Histoire de l’Astronomiemoderne…, tome Ier, 1785.

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PRÉFACES

Après son magnifique livre sur Le Pic du Midi de Bigorre et son obser-vatoire, Jean-Christophe Sanchez nous offre un nouvel ouvrage sur unchapitre de l’histoire des sciences. Il s’agit plus précisément de celle del’astronomie et des astronomes dans le Midi de la France. Fruit d’unelongue et patiente recherche dans un cadre plus général, il replace leprécédent opus dans le contexte du siècle des Lumières et du xixe etnous narre de plus la lente évolution des idées au cours du temps.

Héritage de sa thèse de doctorat d’Histoire, mention très honora-ble, soutenue en décembre 2005 à l’université de Toulouse le Mirail,c’est la garantie d’une exhaustivité et d’une rigueur historique et scien-tifique qui en font un ouvrage de référence pour la période et le cadregéographique considéré.

Le « Midi » de la France est bien connu de l’auteur qui y a réaliséses études et ses premiers travaux. Le milieu astronomique lui est égale-ment familier puisqu’il a passé plusieurs étés à l’observatoire du Pic duMidi de Bigorre pour organiser les visites pour les touristes à l’époqueoù c’était l’Observatoire lui-même qui gérait le tourisme au sommet.Il a d’ailleurs continué à faire œuvre de diffusion des connaissances enpubliant un opuscule à usage des visiteurs depuis que le site est ouvertau public toute l’année depuis juin 2000.

Les talents de pédagogue de l’auteur sont d’ailleurs certains, ainsique le prouvent les nombreux articles, conférences grand public etinterventions dans des circonstances variées. De plus, il a acquis depuislongtemps une maîtrise de l’informatique et des sites internet ayantconstruit des sites pour les enseignants et en particulier sur l’histoiredu Pic du Midi et ses activités scientifiques au cours des xixe et xxe siècles.Pour ne citer que quelques exemples particulièrement significatifs, ilfaut parler des conférences à la société Ramond de Bagnères-de-Bigorreet à la Société astronomique des Pyrénées Occidentales à Pau.

Le sous-titre de l’ouvrage : Observatoires et astronomes du Grand Siècleau début du XXe siècle – Approche historique, culturelle et régionale des

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sciences astronomiques nous indique dès le départ le fil conducteur quenous allons suivre au cours des pages.

Tout d’abord, il était nécessaire de définir le terme « Midi » dési-gnant à la fois le point culminant du soleil dans le ciel et une vaste régionau sud-ouest de la France identifiée ainsi dès l’Ancien Régime. Avantde passer à l’astronomie des Temps modernes, l’auteur nous rappellel’héritage de l’Antiquité et du Moyen Âge, depuis la physique de Aris-tote et l’astronomie de Ptolémée encore bien implantée dans la scolas-tique du Moyen Âge avec l’accord de l’Église, jusqu’à la séparation entreastronomie et astrologie marquant le début des Temps modernes. Il étaitaussi nécessaire d’évoquer le cosmos héliocentrique de Copernic, TychoBrahé, Kepler, Galilée, Descartes qui ont intégré l’astronomie dans lecorpus scientifique et mathématique en le différenciant de la religion,séparant ainsi les cieux des étoiles de ceux des dieux. Est-ce une récu-pération de l’Église lorsqu’elle envoie des astronomes sur des terres loin-taines comme les missionnaires de la cartographie, ainsi un Jean Richaudenvoyé au Siam par le roi Louis XIV, un Gaston Pardies et un Emma-nuel Maignan au xviie siècle, tous issus de la mouvance jésuite ?

Les élites urbaines discutent de la pluralité des mondes tandis queles politiques, en la personne de Colbert, voient le profit à tirer de l’as-tronomie dans une expansion économique, créant des écoles d’hydro-graphie pour accéder à la mesure des coordonnées géographiques précisesdes lieux. La détermination de la latitude est chose aisée, il suffit demesurer la hauteur de l’étoile polaire au-dessus de l’horizon nord, maisla longitude pose un gros problème car elle nécessite l’utilisation d’unehorloge très précise et ne dérivant pas dans le temps.

Vient alors le temps des académies et des premiers observatoires fondés,à la fin du xviie siècle, par ou avec le soutien de Colbert ministre deLouis XIV. C’est d’ailleurs l’Académie royale des sciences, fondée en1666, qui crée dès 1667 l’Observatoire royal, en dehors du Paris del’époque. Avec le xviiie siècle, celui des Lumières, les observatoires astro-nomiques de province, privés et publics, voient le jour avec des astro-nomes comme Plantade et Clapiés, en particulier à Montpellier en 1706et surtout à Toulouse en 1733. Déjà des premières observations astro-nomiques ont lieu au Pic du Midi de Bigorre avec des objectifs de géodé-sie et d’altimétrie, avec Monge, Darcet, Darquier, Vidal, Reboul…

La Révolution apporte des changements mais aussi des pérennisa-tions, si certains observatoires sont « dénationalisés », d’autres sont aucontraire créés ou développés. C’est sous une tutelle centralisatrice et

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avec de nouvelles structures qu’une nouvelle génération d’astronomesentre en jeu. Là encore les astronomes du « Midi » jouent un grand rôle.La première moitié du xixe siècle, du Consulat à la Seconde Républiquevoit la mise en place des Facultés des sciences, les astronomes devenanten même temps professeurs. C’est l’époque où l’observatoire de Toulouse,à l’étroit dans ses locaux du centre-ville et ne répondant plus aux attentesde l’astronomie s’installe dans un ensemble construit sur la butte de Joli-mont. Les observatoires de Bordeaux et de Montpellier suivent des trajec-toires opposées le premier se développant tandis que le second se priva-tise. Heureusement sous la Seconde République et le Second Empire,des savants rouvrent l’observatoire dit de la tour de la Babote à Mont-pellier grâce à des initiatives privées. C’est aussi le cas pour l’observatoired’Abbadia à Hendaye fondé par Antoine d’Abbadie et légué à l’Acadé-mie des sciences. En 1870, le général de Nansouty, célèbre pour avoirrefusé de capituler à Sedan, mais rétrogradé pour avoir manqué de vigueurface aux mouvements insurrectionnels de Toulouse, rejoint les idées desélites locales qui rêvent de construire un observatoire au sommet du Picdu Midi de Bigorre. En compagnie de l’ingénieur Vaussenat, l’observa-toire se construit, d’abord à la station Plantade à Sencours au pied duPic et au sommet lui-même en 1878. D’abord consacré à la météorolo-gie, des observations astronomiques sont réalisées très rapidement etsurtout à partir de 1907 date à laquelle son directeur d’alors BenjaminBaillaud fait construire la première coupole. Elle sera suivie d’une douzained’autres jusqu’à celle du télescope Bernard Lyot qui lui permet d’entrerla tête haute dans le IIIe millénaire après avoir frôlé la fermeture en 1998.Désormais ouvert au public, il accueille une centaine de milliers de visi-teurs par an, avec pour quelques dizaines d’entre eux le privilège de passerune nuit dans « le vaisseau des étoiles » sous un ciel extraordinaire auxcôtés des scientifiques en mission dans les différentes coupoles et desamateurs qui ont accès à un télescope de 60 cm mis à leur dispositiondans les années 1980 par le directeur d’alors : Jean Paul Zahn.

Bien d’autres activités liées à l’astronomie et aux astronomes du « Midi »sont évoquées et analysées dans cet ouvrage dont le sérieux de la documen-tation est l’œuvre d’un historien moderne qui j’en suis sûr nous préparedéjà d’autres ouvrages en relation avec les savants et les ingénieurs du « Midi ».

Gérard COUPINOT

Astronome Émérite, Observatoire Midi-Pyrénées

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Le mérite de Jean-Christophe Sanchez est grand. Comme il le soulignelui-même à plusieurs reprises, l’intérêt des historiens pour les sciencesest modeste. L’histoire des sciences n’est certes pas absente du champde la connaissance mais elle a été traditionnellement l’apanage, d’aborddes scientifiques eux-mêmes, naturellement soucieux d’établir des jalonschronologiques dans les progrès des savoirs ; ensuite des philosophes,préoccupés de théorie de la connaissance et normalement enclins à envérifier les avancées par une analyse des méthodes de la recherche propreà en valider les résultats. Ces attitudes sont tout à fait légitimes et il enrésulte des travaux de grande qualité : je ne citerai en exemple que ceuxde Gaston Bachelard, qui aborde la question par le biais de l’épistémo-logie, c’est-à-dire la science qui s’efforce d’analyser les méthodes et lesmoyens de la connaissance scientifique 1.

Les historiens ne se sont donc guère intéressés aux travaux des scien-tifiques, malgré plusieurs appels récents que mentionne Jean-Chris-tophe Sanchez 2. Ce constat ne manque pas d’être paradoxal à uneépoque, la nôtre, tellement marquée par la science et la technique. Lorsd’un colloque organisé à Montpellier en 1984 sur l’enseignement del’histoire 3, son principal animateur René Giraud, avait souhaité quese développe justement, dans les écoles, collèges et lycées, un enseigne-ment de l’histoire des sciences. Ce vœu n’a guère été exaucé !

Et pourtant l’historien a son mot à dire sur ce chapitre car celui-ciest un des plus importants de l’histoire culturelle : où donc repérer lesgrandes étapes de la pensée sinon d’abord dans les sciences ? Quandon parle de « miracle grec » par exemple, pourrait-on l’imaginer sansfaire référence à cette immense invention qu’a été l’autonomisation desmathématiques dans la pensée des vie, ve et ive siècles avant notre ère ?Il en est de même pour la révolution copernicienne ou la relativitégénéralisée d’Einstein.

Jean-Christophe Sanchez rend ainsi à la connaissance un grandservice. Passionné très tôt par l’histoire du Pic du Midi et de son obser-

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vatoire, il a souhaité réaliser une thèse d’histoire des sciences centrée surla France moderne, particulièrement sur le xviie siècle, époque d’ungrand bouleversement culturel et scientifique avec les personnalités deGalilée, Descartes et Newton, pour ne citer que les plus grands. Un seulde ces personnages est français, mais la science est universelle et il estimportant pour un historien de savoir comment un peuple, une société,une époque s’approprient des idées d’où qu’elles viennent. C’est ce qu’afait Jean-Christophe Sanchez en cherchant à inscrire dans le contexteintellectuel du temps la révolution qui se produit alors dans la sciencephysique. Et il a choisi pour ce faire l’astronomie de préférence à d’au-tres branches du savoir scientifique, je vais y revenir. Parcourant lesarchives des observatoires existant à l’époque, les écrits des scientifiquesde ce temps, leur correspondance et leurs publications, notre auteur aconstitué une véritable base de données sur la science au xviie siècle. Ilfaut remarquer à ce titre, dans un monde où les hommes circulent cepen-dant plus qu’on ne pourrait l’imaginer compte tenu des difficultés decirculation, l’importance de la correspondance: Jean-Christophe Sancheza ainsi révélé le rôle éminent d’un personnage pratiquement inconnude la « grande histoire », le père Marin Mersenne, (1588-1648), de l’or-dre des Minimes, d’obédience franciscaine. Sans être lui-même un véri-table homme de science – intéressé cependant par la théorie de la musique– il fut reconnu comme « le secrétaire de l’Europe savante » par sa corres-pondance suivie avec les savants de son temps, Descartes, Galilée, lesHuygens, Toricelli, Fermat… Partisan des thèses galiléennes mais jamaisinquiété malgré la condamnation qui frappait le grand savant toscan,il permit aux idées de circuler et de s’affronter par le biais des innom-brables lettres qu’il recevait et qu’il écrivait. Les publications scienti-fiques du temps n’ont plus de secret pour Jean-Christophe Sanchez,non plus que les archives des académies qui se créent à Londres en 1660et à Paris en 1666 4. Ainsi le corpus à partir duquel le livre qui suit estécrit est des plus complets.

L’objet de l’ouvrage que livre son auteur au public c’est de situer leMidi de la France dans le concert européen de la science depuis lexvie siècle, de Copernic à Einstein. Jean-Christophe Sanchez exploreainsi un champ d’histoire culturelle où le Midi se révèle un espace deculture important, sensible à toutes les nouveautés, aux inventions, etcapable d’apporter sa contribution à un mouvement général d’essordes savoirs, Peiresc et Fermat en sont de bons exemples.

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Au-delà de cet aspect régionaliste, en soi tout à fait légitime et remar-quable, Jean-Christophe Sanchez introduit le lecteur dans l’une desétapes culturelles des plus importantes pour l’histoire de l’humanitétout entière. C’est au xviie siècle, en effet, que naît la physique contem-poraine, celle qui explique pour la première fois scientifiquement lemouvement, dans le cadre de ce qui reste une branche fondamentalede la science physique, la mécanique, avec les conséquences technolo-giques qui vont s’ensuivre. Et cette mécanique, qui naît avec la loi dela chute des corps définie par Galilée vers 1610, est étroitement liéeavec la mécanique astronomique, celle que Newton invente en 1688avec ses Principes de la philosophie naturelle lorsqu’il propose les lois dela gravitation et de l’attraction universelle. On peut même dire que siles savants de ce temps sont à la fois mécanistes et astronomes c’est parnécessité, car il s’agissait avant tout d’expliquer l’Univers et son fonc-tionnement. La curiosité humaine ne peut pas se passer de représen-tations, plausibles quand elles ne peuvent être encore scientifiques.Celles qui prévalaient toujours au début du xviie siècle avaient étésynthétisées vingt siècles plutôt par ce grand éducateur de l’Occidentqu’a été Aristote. Ne pouvant accéder à une connaissance scientifiquedont l’Antiquité ne possédait pas les outils, ce philosophe disciple deSocrate s’était du moins efforcé de donner de l’Univers un schémacompréhensible de tous par sa logique même. L’homme étant au centrede la nature et la mesure de toute chose dans la pensée philosophiquedu temps, la Terre ne pouvait qu’être au centre d’un Univers fini, leSoleil et les planètes tournant autour d’elle, le firmament en forme devoûte clôturant ce monde : c’est la conception géocentrique du mondequi a prévalu jusqu’à ce que Copernic émette l’hypothèse que c’étaitplutôt le Soleil qui était au centre. Lui non plus ne disposait pas del’outil mathématique lui permettant de justifier la théorie héliocen-trique de l’Univers que les astronomes alexandrins du iiie siècle avantJésus-Christ avaient cependant déjà élaborée.

Mais voici que Galilée, en introduisant le calcul et une représenta-tion sous forme d’équation mathématique de la force qui entraîne lescorps vers le bas, bouleversait totalement les représentations admisessans discussion jusque-là. C’est ce « saut épistémologique », selon l’ex-pression de Gaston Bachelard, qui signifie le passage à la science, cardésormais la représentation pourra devenir irréfutable en toute rigueurscientifique. Il faudra cependant encore longtemps et surtout l’élargis-sement de la mécanique que représentent les travaux de Newton pour

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renverser complètement le schéma aristotélicien, Einstein élargissantencore la perspective.

Voilà ce dont parle le livre de Jean-Christophe Sanchez. Il abordel’une des plus prestigieuses manifestations du génie de l’humanité, l’in-vention de la science, quelle qu’en soit par la suite l’utilisation qu’enfera l’homme, bonne ou exécrable, ceci étant de la responsabilité dessociétés.

René SOURIAC

Professeur émérite des UniversitésUniversité de Toulouse Le Mirail

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INTRODUCTION

Les sciences ne sont pas un champ de recherche actif en histoire, onpeut le regretter. Lors des commémorations et autres célébrations rela-tives à l’histoire des sciences, les historiens auraient pu apporter leurcontribution mais ils ne l’ont pas fait. Ainsi, l’année 2005 avait étédéclarée, par l’Unesco et l’Assemblée générale des Nations unies, « Annéeinternationale de la physique ». Cette décision voulait célébrer le cente-naire des découvertes d’Albert Einstein (relativité restreinte et théoriede la lumière), fondements de la physique contemporaine. Si, à partirde 1905, l’homme d’aujourd’hui porte un regard sur les siècles passés,en 1805, Pierre Simon de Laplace publie le quatrième tome de sa Méca-nique céleste où les lois de la gravitation de Newton sont appliquéesaux mouvements de tous les corps célestes. Mathématicien, physicienet astronome, il se prépare à fonder avec Claude Louis Berthollet lasociété d’Arcueil qui allait réunir une partie du monde savant de lapériode révolutionnaire (ce sont Louis Joseph Gay-Lussac, FrançoisArago, Jean-Baptiste Biot, Étienne-Louis Malus, Siméon-Denis Pois-son, ou encore Louis-Jacques Thenard). Cette association de savants,à la fois école et laboratoire de recherche, milite pour une approchemathématique de la physique. Cette même année, l’armée impérialefrançaise remporte la bataille d’Austerlitz. Un siècle auparavant, en1705, Louis XIV règne depuis 1643 et Edmund Halley établit la pério-dicité des comètes et annonce le retour, pour 1758, de la comète obser-vée en 1531, 1607 et 1682. Enfin, en 1655, il y a 350 ans ChristianHuygens, découvrait le premier satellite de Saturne qu’il nomme Titan.Ce savant néerlandais a été appelé en France, en 1666, par Colbert,trois ans avant l’arrivée de Jean-Dominique Cassini, astronome italien.Les sciences et l’histoire peuvent donc se retrouver. Pour revenir à notreépoque, c’est aussi en 2005 que la sonde spatiale Huygens, nomméainsi en l’honneur du grand savant néerlandais, a plongé dans l’atmo-sphère et s’est posée à la surface de Titan. La communauté des histo-riens avait matière pour apporter une contribution historienne à l’An-

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née internationale de la physique. Mais les historiens français n’y ontpas participé. La loi de séparation des Églises et de l’État, la fondationdu parti socialiste sous l’action de Jean Jaurès en 1905 ou encore lebicentenaire de la bataille d’Austerlitz ont été l’objet de colloques, decommunications et publications. En France, traditionnellement, l’his-toire de sciences est le fait des scientifiques eux-mêmes et des philo-sophes des sciences.

S’intéresser à l’histoire de l’astronomie était déjà une préoccupationdes savants du Grand Siècle et des Lumières. Jacques Cassini II (1677-1756) publie, en 1740, les Éléments d’astronomie, ouvrage semble-t-ildestiné à l’éducation du duc de Bourgogne et qui débute par une histoirede l’astronomie 5. Il y présente le système astronomique développé parson père, Jean-Dominique Cassini I, qui repose sur un héliocentrismediplomatique dans un contexte de condamnation officielle de cettethéorie. J. Cassini II conçoit l’histoire de l’astronomie comme « Desconnaissances préliminaires nécessaires pour l’intelligence de l’astro-nomie ». Sont exposés chronologiquement les trois grands systèmes dumonde géocentrique selon Ptolémée, héliocentrique selon Copernicet géo-héliocentrique selon Brahé. Jacques-Dominique Cassini IV(1748-1845), dernier astronome de la dynastie, collecte et compile lesobservations réalisées et porte un regard rétrospectif sur l’Observatoireroyal et sur la contribution des Cassini 6. De ses travaux historiques, ilrédige en 1810 un Mémoire pour servir à l’histoire des sciences et à cellede l’observatoire de Paris, suivi de la vie de J. D. Cassini, premier du nom.En s’appuyant sur les archives de l’Observatoire et familiales, il y retracel’histoire de l’institution depuis sa fondation. Il témoigne en particu-lier des transformations de la période révolutionnaire. Il a aussi rédigéquatre volumes manuscrits des Fastes de l’Astronomie, dans lesquels ilbrosse les « Tableaux chronologiques de l’Histoire et des progrès decette science depuis la création du monde jusqu’au xixe siècle aprèsJésus Christ 7 ». Alexandre-Guy Pingré (1711-1796), astronome auto-didacte, entreprend de compiler l’ensemble des observations et travauxastronomiques réalisés au cours du Grand Siècle, ce sont les Annalescélestes du XVIIe siècle 8. Il s’intéresse aux anciens observatoires et auxfondations du xviie siècle (Tour de Copenhague, Greenwich, Leyde,Nuremberg et Paris). Il relate les inventions comme celle du micromè-tre, les découvertes entre autres des lois de Kepler ou de la lumièrezodiacale, les travaux sur la lumière, de carte de France, ou encore lescréations de l’Académie royale des sciences et de la Royal Society. A. Pingré

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a aussi rédigé, en 1783-1784, une Cométographie ou Traité historiquedes Comètes. Il y expose chronologiquement les différentes conceptionset théories sur les comètes et comme pour les Annales, il compile histo-riquement les différentes comètes observées. L’histoire de l’astronomieest un des centres d’intérêt de Jean-Sylvain Bailly (1736-1793), unefigure de la Révolution française, premier maire de Paris, immortali-sée par David au centre du tableau représentant le Serment du Jeu dePaume. Bailly n’est pas un astronome de formation, son activité prin-cipale et rémunératrice est celle de garde honoraire des Tableaux duRoi, comme son père. Néanmoins son intérêt, ses connaissances et sesrelations avec les principaux astronomes de son temps l’amènent à seconsacrer à la science d’Uranie. Ses compétences sont suffisammentsolides et il est admis à l’Académie royale des sciences, ainsi qu’à cellesde Bologne, Stockholm, Harlem et Padoue. Sa contribution à l’his-toire de l’astronomie repose sur les ouvrages qu’il a publiés entre 1775et 1785 9. Bailly, dans un « discours préliminaire sur la manière d’écrirel’Histoire de l’astronomie, et d’exposer les progrès de cette science 10 »,explique et justifie son travail. Pour lui, progrès et vérités sont les deuxtermes qui caractérisent son histoire de l’astronomie. Les sciences s’ins-crivent dans un processus de développement que ponctuent des décou-vertes qu’il présente comme un « enchaînement de faits ». Il considèrela science comme une accumulation d’« idées (qui) se sont successive-ment amassées, mutuellement engendrées », ou encore comme « leproduit ; la succession des opérations du génie ; et son histoire est l’his-toire des hommes et de leurs pensées ». La science est une « somme devérités » et il veut « les présenter dans leur ordre, depuis la plus simplejusqu’à la plus compliquée ». Pour Bailly, les progrès scientifiques ontpermis d’expliquer et de simplifier les conceptions astronomiques. Àla lumière des connaissances héliocentriques et newtoniennes de la findu xviiie siècle, il porte un regard rétrospectif et critique sur les anciennesthéories. « Les planètes ont paru d’abord tourner autour de la terre,rien n’était plus bizarre et plus irrégulier que leurs mouvements ; il afallu des siècles pour découvrir le vrai centre de ces mouvements, etpour les voir dans leur réalité. » Bailly prend en compte le nombre desauts épistémologiques et de révolutions intellectuelles qui ont conduitaux sciences modernes. Il conçoit le développement scientifique etl’histoire de l’astronomie dans sa complexité, comme « le récit d’unvoyage dans une route tortueuse et fermée d’obstacles, qui n’ont cédéqu’au courage et à l’industrie (…) ». Au début du xixe siècle, Jean

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Baptiste Joseph Delambre (1749-1822) apporte sa contribution à l’his-toire de l’astronomie. Ses ouvrages constituent une base de ressourcebiographique qui complète utilement pour la fin du xviiie siècle cellede J.-S. Bailly. Dans l’ensemble de son œuvre, cet aspect constitue unepart non négligeable de sa notoriété et paradoxalement de la critiquedu personnage que d’autres considèrent comme un astronome en cham-bre. En effet, si François Arago le qualifie de « plus grand astronomede l’Europe », il ne fait pas l’unanimité chez ses contemporains. Succes-seur de Jérôme Lalande au Collège de France, depuis 1807, il se consa-cre à l’histoire de l’astronomie. De son vivant, il publie l’Histoire del’astronomie ancienne (1817), l’Histoire de l’astronomie au Moyen Âge(1819) et l’Histoire de l’astronomie moderne (1821). Ce n’est que cinqans après sa disparition que son travail s’achève par la publication en1827 de l’Histoire de l’astronomie au XVIIIe siècle, ouvrage dont la publi-cation est assurée par son élève C. L. Matthieu 11.

Pour un historien, s’intéresser aux sciences reste un domaine encoretrès largement vierge et parfois semé d’embûches12. C’est par un parcourspersonnel singulier et par un intérêt personnel pour l’astronomie, queles sciences sont devenues pour moi un champ de recherche. Cet ouvrageest le résultat de recherches universitaires qui se sont conclues en 2005par une thèse d’histoire sur l’astronomie et la physique dans le royaumede France aux Temps modernes. Le but n’est en aucun cas de couvrirdans le détail l’histoire de l’astronomie, de nombreux ouvrages, quel’on retrouvera en bibliographie, l’ont déjà entrepris. Il n’est pas nonplus question de mener une étude des progrès scientifiques et tech-niques en astronomie, dont le contenu ne serait pas accessible à unpublic non initié. Il s’agit d’une histoire culturelle qui, à travers la trameet le contexte historique et culturel (de la Renaissance au début duxxe siècle), a l’ambition de brosser une histoire de l’astronomie et desastronomes à travers une étude comparée des foyers scientifiques et desobservatoires dans le quart Sud-Ouest du Midi de la France.

Il y a plus d’un siècle, le 20 juillet 1878, la première pierre de l’ob-servatoire du Pic du Midi de Bigorre est posée. Cet événement estl’aboutissement d’un projet ancien, initié à la fin du siècle des Lumières,et de travaux qui remontent au xviie siècle. Ce passé scientifique avaitenthousiasmé les fondateurs de l’observatoire à l’instar de Célestin-Xavier Vaussenat.

« Oui, Messieurs le Pic du Midi a son histoire, disait-il, elle est digned’intérêt, car elle se repère sur les travaux et les recherches que, pendant

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ces quatre derniers siècles, nos plus illustres savants dans les sciencesphysiques et naturelles ont faits tant sur ses flancs que sur son sommet. »

S’intéresser au Pic du Midi a permis de renouer avec l’activité scien-tifique et de montrer son développement à l’échelle régionale du Midi,ainsi que sa place au niveau national. S’y succèdent des savants pari-siens et des savants du Midi venus des foyers scientifiques montpellié-rain, bordelais et toulousain. À la fin du xviie et tout au long duxviiie siècle, ces savants y effectuent des recherches dans les sciencesphysiques et naturelles ; ils envisagent même d’y établir un premierobservatoire. Malgré les travaux et une certaine notoriété du site, leprojet n’aboutit pas alors que des observatoires sont créés dans le Midià Montpellier, Toulouse, Béziers, Bordeaux et Montauban. Déjà auGrand Siècle, des jésuites ont établi des stations astronomiques à Pau,Bordeaux, Nîmes et La Rochelle. Mais pour le Pic du Midi ce n’estqu’au dernier tiers du xixe siècle qu’un observatoire est créé, grâce àl’action des élites culturelles, réunies, à Bagnères-de-Bigorre, dans unesociété savante qui se place sous l’autorité éponyme de Louis Ramondde Carbonnières, savant des Lumières et de la Révolution. Après JosephPitton de Tournefort, Ramond a fait des Pyrénées un champ de décou-verte scientifique. À la fin du xixe siècle, des observatoires fondés ausiècle des Lumières, seul subsiste celui de Toulouse, désormais installésur la colline de Jolimont. Les autres ont disparu tandis que ceux d’Ab-badia à Hendaye et de Floirac dans la banlieue de Bordeaux sont fondés.

En histoire des sciences, mener une étude régionale, ici le Midi,peut poser problème. Comme le note l’historien Lucien Febvre, « lascience est par essence une œuvre universelle, indépendante des fron-tières et des nationalités. Cependant, ce ne saurait être une chose vaineque de suivre son développement dans un pays particulier. D’abordparce qu’on peut légitimement se proposer de savoir ce qu’un paysdonné a fourni au progrès scientifique. Ensuite, parce qu’en chaquepays, en fonction des particularités de sa civilisation, de sa culture, leprogrès scientifique a une allure spéciale 13 ». Dans cette filiation, ilsemble pertinent de s’intéresser à des études territorialement délimi-tées. Si l’astronomie méridionale n’est pas déconnectée des évolutionset des progrès scientifiques qui s’initient en Europe et en France à partirde Copernic, elle présente des caractères et un développement origi-naux qui oscillent entre autonomie et prise en charge par la politiqueet les institutions scientifiques que Colbert met en place à partir de ladécennie 1660.

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chapitre premier

LE MIDI, L’ASTRONOMIE ET LES ASTRONOMES

« Il est convenable de conserver en détail exact des démarches faitespour former dans Toulouse une Société qui a pour objet de cultiver lagéométrie et les diverses parties de la physique. La postérité le verraavec plaisir et sera satisfaite d’apprendre le nom de ceux qui ont concouruavec plus d’ardeur à un établissement si utile (l’Académie des scienceset belles-lettres de Toulouse)… », peut-on lire à la première page dutome premier des registres de l’Académie des sciences et belles-lettresde Toulouse.

Force est de constater que l’histoire ne se fait pas sans sources commel’ont dit, à la fin du xixe siècle, Gabriel Monod, Charles-Victor Langloiset Charles Seignobos. Or les sources en histoire des sciences sont undomaine encore vierge pour les historiens et elles sont souvent mécon-nues et parfois inconnues. Cette difficulté est d’autant plus grandepour un historien qui n’a jamais fréquenté de prés ou de loin le milieuscientifique. De plus les sources restent encore difficiles d’accès. Eneffet, elles sont disséminées dans de nombreuses institutions, aussivariées que les observatoires, les Académies des sciences, les différentesbibliothèques ou les archives, ces derniers sites étant plus connus deshistoriens. Les observatoires actuels dans le Midi sont, en dehors decelui de Toulouse, des créations de la seconde moitié du xixe siècle. Lesfonds concernant les stations, observatoires et travaux astronomiquesdes xviie et xviiie siècles sont versés dans les fonds municipaux oudépartementaux des archives. Les Académies des sciences, que l’onretrouve au siècle des Lumières dans les villes qui ont un observatoire,ont aussi conservé un fonds documentaire relatif à l’activité astrono-mique, aux travaux réalisés et aux individus qui pratiquaient cettescience. Pour Toulouse, la continuité depuis la fondation de l’observa-toire au xviiie siècle, explique en partie la richesse de son fonds biblio-

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graphique. En outre, les sources sont d’une très grande diversité. Cesont des ouvrages scientifiques, des articles parus dans les revues savantes,des tables de calculs, des notes ou des registres d’observation, desrapports financiers (achat de matériel scientifique), des lettres consé-cutives à des travaux scientifiques ou à des missions, des communica-tions diverses sur des phénomènes observés ou des expériences réali-sées, des listes d’académiciens ou de personnel, des registres d’observation.

Depuis le milieu des années 1980 s’est mis en place le projet de laGreenwich List of Astronomy, lancé par Derek Howse14. La liste est l’abou-tissement d’une proposition de la réunion de la Commission 41 (Histoirede l’astronomie) de l’Assemblée générale de l’Union astronomiqueinternationale, à Grenoble en 197615. Il s’agit d’établir une liste mondialedes observatoires, des instruments et horloges astronomiques, de 1670-1850. Préparée par Derek Howse (autrefois au musée maritime natio-nal à Greenwich), elle est éditée dans la partie IV du volume 17 du Jour-nal for the History of Astronomy 16. La liste Greenwich a été complétéepour le Languedoc par les travaux de Jean-Michel Faidit 17. Pour leMidi, les informations concernent Alès, Aramon, Béziers, Bordeaux,Carcassonne, Marvejols, Mirepoix, Montauban, Montpellier, Nîmes,Toulouse, et Viviers.

C’est cet ensemble documentaire qui constitue la matière de larecherche historique.

Les sources pour une histoire de l’astronomie

Les sciences participent au mouvement qui prend naissance en Europeavec l’invention et la diffusion de l’imprimerie 18. Les écrits scientifiquesà la Renaissance quittent définitivement le monde des manuscrits pourcelui des imprimés. Si les premiers incunables relèvent, à 45 %, de lareligion, 55 % concernent les œuvres littéraires, les livres de droit et lesouvrages scientifiques 19. L’activité intellectuelle qui caractérise la Renais-sance en Europe se traduit donc par l’essor de l’écrit scientifique. Lesastronomes et les physiciens participent, comme les théologiens, juristeset hommes de lettres, au développement des publications. Au xviie siècle,outre les ouvrages, apparaissent et se développent les journaux savants,éphémérides et mémoires des académies et Sociétés scientifiques, ainsique les almanachs, pronostications et prédictions qui sont les vecteursde diffusion d’une culture scientifique populaire.

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LES OUVRAGES

Aux Temps modernes, l’astronomie connaît un développement intel-lectuel qui apparaît très nettement à travers la production bibliogra-phique. Parmi les différents travaux publiés par Jérôme Lalande setrouve la Bibliographie astronomique parue en 1801 20. Le travail qu’ila réalisé montre la volonté de tendre vers l’exhaustivité et le person-nage lui-même apparaît comme un homme intègre et rigoureux dansses recherches, ce qui fait de sa bibliographie un ouvrage de référence 21.Une première approche par grandes périodes permet de constater uneaugmentation régulière des publications de la seconde moitié du xve

à la fin du xviiie siècle. De 1471 à 1499, Lalande recense 162 ouvrages,1 085 de 1500 à 1599, 1 709 de 1600 à 1699 et 2 009 pour lexviiie siècle. De 1471 à 1499, période qui est celle des premiers tempsde l’imprimerie, les publications astronomiques représentent 162unités 22. Ce sont notamment les ouvrages des astronomes qui font lelien avec les connaissances du Moyen Âge : Regiomontanus, Manili,Sacro Bosco. Aucun érudit français n’apparaît alors. Au cours duxviie siècle, 1085 ouvrages sont recensés par Lalande contre 162 pourles trois dernières décennies du xve siècle 23. La moyenne annuelle passede 5,4 à 10. Il apparaît nettement que, tout au long de l’époquemoderne, les publications astronomiques, tout comme les écrits scien-tifiques, sont en augmentation. C’est en 1543, au milieu du xve siècle,qu’est publié le De revolutionibus orbium cœlestium. C’est l’ouvragemajeur pour les conceptions astronomiques occidentales, à l’originede la révolution scientifique et des remises en cause du paradigme aris-totélo-ptoléméen, c’est-à-dire l’ensemble des savoirs de la physique deAristote et de l’astronomie de Ptolémée, connaissances majoritaire-ment acceptées et enseignées. Cette période de révolution scientifiqueparaît par l’augmentation des ouvrages. À la suite de Copernic l’acti-vité intellectuelle connaît un essor sans précédent qui se traduit à traversles publications des astronomes du xve siècle, dont celle de TychoBrahé 24. Pour le xviie siècle, Lalande recense 1 709 ouvrages et arti-cles 25. Par rapport au siècle précédent, l’augmentation est de 57 %. Lamoyenne annuelle des ouvrages passe de 10,8 à 17,09. Au cours de cesiècle, la production bibliographique est l’œuvre, dans un premiertemps, des membres de la première génération des mécanistes, suivispar les cartésiens et les premiers académiciens. Enfin au siècle desLumières, Lalande comptabilise 2009 publications, soit 40,46 % par

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rapport au total des Temps modernes (4965) 26. La moyenne annuelleest la plus importante de la période avec 20,09 % des imprimés.

Dans le Midi, tous les astronomes ne sont pas prolixes en la matière.Pour le Grand Siècle, les ouvrages les plus significatifs sont ceux de clercsqui s’intéressent à l’astronomie comme le Minime toulousain EmmanuelMaignan ou les jésuites Ignace-Gaston Richaud et Jean Pardies27. Au siècledes Lumières, Antoine Darquier fait imprimer à ses propres frais deuxvolumes où il a rassemblé toutes ses observations astronomiques de 1748à 1780 28. Les fonds anciens conservés dans les bibliothèques et archivesdu Midi montrent que les savants avaient des bibliothèques riches où l’as-tronomie occupait une place significative. Ainsi à Toulouse, l’on peut seréférer aux fonds de l’observatoire ou encore à celui de Garipuy 29.

LES JOURNAUX ET PUBLICATIONS DES ACADÉMIES SCIENTIFIQUES

Au XVIIe siècle, les sciences s’institutionnalisent dans des académies.Dans le royaume de France, c’est en 1666 que Colbert, pour la gloirede Louis XIV, propose de fonder l’Académie royale des sciences. Puis,un an plus tard, en 1667, il initie les travaux de construction de l’Ob-servatoire royal de Paris. Dès lors, la monarchie s’intéresse aux scienceset influe par des commandes concrètes, en finançant des missions scien-tifiques et en rétribuant des savants par des pensions et gratifications.Ce processus s’accompagne aussi d’une normalisation, mise en évidencepar Robert King Merton 30, qui aboutit à constituer à la fois l’éthosscientifique, « l’ensemble des valeurs et des normes teintées d’affecti-vité auxquelles l’homme de science est sensé devoir se confirmer 31 »,et à structurer socialement la science. La décennie 1660, dans le royaumede France, est caractérisée par ce double processus.

C’est en 1665, le 5 janvier, qu’est fondé le Journal des Sçavans, sonbut est d’informer le public « de ce qui se passait de nouveau dans larépublique des lettres », selon l’avertissement de son fondateur Denisde Sallo 32. Au xviiie siècle, les encyclopédistes écrivent que c’est « lepremier et le plus ancien de tous les journaux, le seul qui ait duré plusd’un siècle sans dégénérer de sa perfection ; le seul qui compte parmises auteurs une suite de personnes illustres dans tous les genres, le seulqui soit encore composé par une compagnie de savants choisis dans lesdifférentes parties des sciences et de la littérature. Tous ces avantagesdonnent au journal des savants le premier rang parmi les journaux ;comme la nature de son régime et de sa constitution en assure ladurée 33 ». Ce journal est la publication de référence de la communauté

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Observations astronomiques d’Antoine Darquier, 1777Académie des sciences de Toulouse

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scientifique française, surtout dans les dernières décennies du xviie siècle,où le journal apparaît comme le canal de publication de l’Académieroyale des sciences. Il est un moyen pour diffuser les observations astro-nomiques qui sont réalisées au Grand Siècle. C’est dans ce journal queles astronomes jésuites Richaud et Pardies communiquent leurs travaux34.

À la fin du siècle, l’Académie royale des sciences se dote d’un médiapropre qui devient le canal officiel de l’activité scientifique. Les Histoireset Mémoires de l’Académie royale des sciences apparaissent comme legrand rival du Journal des Sçavans35. Cela est surtout vrai après les réformesde la fin du xviie siècle et tout particulièrement avec la réforme de l’abbéBignon de 1699, qui obligent les vingt académiciens pensionnaires etles vingt associés, par l’article 6, à « déclarer au commencement de l’an-née l’ouvrage auquel (chacun) compte travailler. Indépendamment dece travail, les académiciens pensionnaires et associés sont obligés d’ap-porter à tour de rôle quelques observations ou mémoires ». À partir decette date, l’activité scientifique de l’académie se traduit par des publi-cations propres, et dès lors le Journal des Sçavans perd sa fonction demédia officieux de cette institution 36. Qui plus est, l’académie est à l’ori-gine de missions scientifiques dont les résultats sont insérés dans sesMémoires. L’académie est l’institution de référence dans le royaume etune des principales du continent. En publiant leurs travaux dans sesMémoires, des savants touchent une large communauté scientifique quidépasse les frontières du royaume. Les Mémoires sont le canal qui permetd’obtenir la reconnaissance de l’ensemble ou tout du moins de nombreuxdes savants. C’est pourquoi, nous trouvons les communications d’astro-nomes provinciaux qui y présentent leurs observations 37.

Le Midi connaît lui aussi ce processus d’institutionnalisation dessciences qui se traduit par la fondation d’académies. Dès le xviie siècle,le mouvement se dessine à Toulouse avec la société des Lanternistes,fondée en 1640 et regroupant des lettrés et savants. À Nîmes, en 1632puis en 1682, une académie est créée, mais elle ne semble pas avoir euune inclination significative pour la science d’Uranie. C’est au siècledes Lumières que sont créées les Sociétés et Académies des sciences quiont un rôle dans le développement de l’astronomie. La plus anciennefondation est montpelliéraine. C’est en 1706 qu’est fondée la Sociétéroyale des sciences 38. Elle est suivie par les académies de Bordeaux en1712, de Pau en 1718 et de Béziers en 1723. Malgré les prémices dela société des Lanternistes, ce n’est qu’en 1729 qu’est fondée à Toulouse

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la Société des sciences, devenue Académie royale des sciences, inscrip-tions et belles-lettres en 1746 39. Les élites de Montauban, en 1730-1744, constituent à leur tour une académie. Des villes où les sourcesn’ont pas permis d’identifier une activité astronomique disposent aussid’Académie des sciences. C’est le cas à Limoges, en 1759, avec la Sociétéd’agriculture, sciences et arts, et d’Agen en 1776. Toutes ces fonda-tions académiques se font sous la protection du roi, ou d’un hommeinfluent. « Le roi pour exciter davantage l’émulation des membres qu’ily nomma, voulut que la société royale des sciences [de Montpellier]demeurât toujours sous sa protection, de la même manière que l’Aca-démie royale des sciences. »

Ces académies ont animé la vie scientifique de ces villes par la socia-bilité qui les caractérisent, les travaux réalisés, les prix distribués, les rela-tions qui existent entre elles et les Mémoires qu’elles ont rédigés. Ellessont toutes en relations avec l’Académie royale des sciences de Paris etavec l’Observatoire royal. Par un réseau de correspondants dans lesprovinces, les deux institutions parisiennes influencent et orientent l’ac-tivité astronomique. Les provinces sont appelées à contribuer à des obser-vations conjointes avec Paris ou à fournir des comptes rendus sur desphénomènes visibles depuis le Midi, ou bien encore à collaborer auxcommandes comme la cartographie du royaume et le prolongement duméridien de Paris. Les réunions académiques ont le mérite de contri-buer à la diffusion des connaissances et des idées nouvelles à travers desexpériences et observations qui sont reproduites 40. Le développementdes séances publiques, les distributions de prix, les soutenances ou lesprésentations d’expériences en font des foyers de culture scientifique.Des académies provinciales sont animées par des maîtres de mathéma-tiques ou de physique qui font connaître leurs observations astrono-miques, leurs travaux ou leurs lectures. C’est le cas des pères Du Fescet Sarrabat à Bordeaux, et du père Cavallerry à Toulouse 41. Dans cesdeux villes, comme à Montpellier et Béziers, les académies ont un rôleimportant dans la création d’observatoires astronomiques.

La Compagnie de Jésus, qui joue un rôle essentiel dans l’essor scien-tifique, peut compter, au xviiie siècle, sur un média, les Mémoires deTrévoux 42. À partir de 1701 et jusqu’à la suppression de la Compagnie,c’est dans les Mémoires de Trévoux, que les astronomes jésuites publientmajoritairement leurs travaux astronomiques (48 % des productionsécrites). Tous les jésuites n’accordent pas aux Mémoires la primeur de

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Histoire et Mémoires de l’Académie des sciences de ToulouseAcadémie des sciences de Toulouse.

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leurs travaux. Les publications académiques permettent ainsi de cernerdans l’espace l’activité astronomique des observatoires de province.Ainsi à Toulouse, l’activité de l’observatoire nous est surtout connuepar les Mémoires de l’Académie. Ce cas de figure se présente dans lesvilles où des liens existent entre l’observatoire et l’académie, comme àBéziers, Bordeaux ou Montpellier.

Si les principaux astronomes méridionaux, dont nombreux sontceux qui ont le titre de correspondants de l’académie, privilégient lesMémoires, ils ne négligent pas pour autant les Mémoires des académiesde province auxquelles ils appartiennent. Montpellier, Toulouse,Bordeaux et Béziers sont les plus actives et les plus prolixes.

À cela s’ajoutent les journaux étrangers dont les Philosophical Trans-actions de la Royal Society (le premier numéro date de 1665) et les ActaEruditorum (publiés à Leipzig à partir de 1685). Si les PhilosophicalTransactions ne sont pas le canal le plus utilisé par les savants français,elles sont néanmoins à l’échelle du continent un média important oùles savants anglais acquis au newtonianisme publient leurs recherches.Les Acta eruditorum sont la publication scientifique issue des Étatsgermaniques et qui garde le latin comme support de diffusion desconnaissances 43. Mais les astronomes méridionaux ne publient guèredans ces journaux étrangers, d’ailleurs leurs homologues provençauxne les utilisent guère plus. Secondat de Montesquieu, savant bordelais,publie néanmoins un article dans les Philosophical Transactions, à proposd’étranges pierres trouvées à Bagnères-de-Bigorre et de mesures destempératures des sources thermales 44.

LE XIXe SIÈCLE

Au xixe siècle, la tendance s’accentue, le nombre de publicationsaugmente significativement. En 1880, il y avait une centaine de revues,un millier vers 1850 et dix milliers en 1900 45. Les revues nationales sontde loin les sources principales. Sous le Consulat, l’Académie des sciencesreprend ses travaux auxquels des savants du Midi comme Ramond deCarbonnières puis Arago apportent leurs contributions. De nouvellesrevues apparaissent à l’instar de la Revue des Deux Mondes, de la Revue dela Société française de physique à partir de 1881, ou du Bulletin astrono-mique fondé en 1884. Les académies des sciences de province, elles aussirétablies avec l’apaisement des conflits de la période révolutionnaire repren-nent leurs activités et publications. Elles sont rejointes par des sociétés

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ISBN 978-2-86266-553-5

25€

Histoire de l’astronomie dans le Midi de la FranceJ E A N - C H R I S T O P H E S A N C H E Z

www.loubatieres.fr

diffusion Dilisudwww.dilisud.fr

Docteur en histoire, Jean-Christophe Sanchez est aussi astronome.Ses deux centres d’intérêt devaient un jour se rencontrer ; c’est chosefaite dans cet ouvrage, prolongation de sa thèse de doctorat, où ilnous conte les riches heures de l’astronomie dans le Sud de la Francedu xviie siècle à nos jours, sans omettre de proposer au lecteurquelques éléments de connaissances qui concernent la période anté-rieure à celle choisie.

« L’Astronomie est une science certaine et sublime, et va jusqu'à laplus haute portée de l'esprit humain. » Antoine Furetière (1619-1688), Dictionnaire universel.

Par une analyse comparée des foyers scientifiques méridio-naux, toujours replacés dans leur contexte, le Midi apparaîtcomme un espace où des astronomes s’illustrent, observent leciel, cartographient le territoire, les littoraux et mesurent lessommets pyrénéens.

C’est à partir de leurs travaux que l’on mesure l’épopée dupalois Richaud parti, en 1685, faire des observations au Siam.Au Siècle des Lumières, des érudits équipent les premiers obser-vatoires, mais ce n’est qu’au xixe siècle que sont créés les obser-vatoires contemporains, non sans difficultés. L’astronomiedemeure encore une aventure. En 1905, des astronomes partentobserver l’éclipse de Soleil en Castille, d’autres en Algérie. En1910, c’est le retour de la comète de Halley et les astronomesobservent inquiets cet astre qui, pensait-on, menaçait d’em-poisonner l’atmosphère.

À l’heure des télescopes géants et des sondes spatiales, ce livreest une invitation à découvrir l’histoire du Midi de la France àtravers l’étude de l’astronomie de Copernic à Einstein.

couverture: Syst�me Copernic, Atlas Celarius, Observatoire Midi-Pyr�n�es