calle del barco 13

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Calle del barco 13 Nelly Labère Aurélia Frey Casa de Velázquez

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Maquette du livre de Nelly Labère et Aurélia Frey sur la Calle del barco de Madrid. Projet réalisé dans le cadre de la Casa de Velázquez.

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Calle del barco13

Nelly Labère Aurélia Frey

Casa de Velázquez

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Nelly Labère Aurélia Frey

Casa de Velázquez

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Cadavres exquis

Un jour j’ai rencontré un garçon qui m’a offert un livre de Sophie Cal-le. J’en ai déduit qu’il m’offrait ainsi une nuit dans son lit. Je ne m’étais pas trompée. Je ne l’y ai pas suivi mais dans mon lit j’ai pris le livre de Sophie.Autrefois, j’ai aimé un homme. Mais il est mort avant que je ne naisse, un vendredi 13. Cet homme m’a donné le goût de la lecture. Il est, pour moi, la vie mode d’emploi et l’envie d’aller voir toujours derrière les choses. C’est à lui que je dédie non pas le 11 rue Simon-Crubellier mais ce Calle del Barco, 13.À 33 ans, j’ai aménagé à Madrid dans la rue de la Barque, une arche de Noé jetée entre la Grand Rue et les quartiers de Chueca et de Ma-lasaña. Elle n’est pas loin de la rue du poisson. Depuis la France, je rêvais sa toponymie. Je l’imaginais, comme un aquarium, ouvert à mon imagination. De ses eaux troubles, je n’ai gardé que le meilleur : ses habitants curieux, ses chapelles ardentes, ses prostituées en résille, ses junkies hallucinés, ses églises baroques, ses vieux commerçants suspi-cieux et ses jeunes entrepreneurs investissant dans le quartier.Aurélia, sirène photographe, a échoué sur ses pavés. Elle a été mon œil rêveur et ma complice aventureuse. Plus que des clichés, elle a offert à cette rue de la Barque une identité.À l’heure où le livre s’ouvre et où l’objectif se ferme, je repense à ces cadavres exquis qui ont donné vie à notre projet. Qu’ils soient remer-ciés, vivants et morts, d’y avoir contribué.

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Rojo

Rouge

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Il m’a regardé longuement, droit dans les yeux, sans ciller ni obliquer. Je sentais juste le froid du pistolet embraser ma peur. Pourquoi crier ? Pourquoi parler ? Frères de sang, ennemis jurés, nous l’avions toujours été. Je me suis souvenu de ces heures à imaginer la confession ultime, celle qui me pardonnerait d’être né, de ne pas souffrir autant que lui et de ne pas savoir aimer. Depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, je l’ai toujours abhorré. Sa froideur, sa grandeur, sa raideur : un piè-tre représentant de la sainteté déguisé en poupée pour les parades et les festivités. Du galon, en veux-tu en voilà mais rien qui ne me fasse m’incliner. Moi, je suis rouge depuis le plus profond de mes artères, je n’ai de père que celui que ma mère m’a donné, je n’ai pour frères que ceux qui ont le poing levé. Je crache sur sa face parce que je n’ai pas de pitié pour celui qui se cache dans les corsets, qui s’accroche au-des-sus des lits et qui s’affiche dans un sourire composé. J’en avais oublié l’autre à côté, à genoux, en train de prier. À cette seconde, j’avais juste envie de le tuer, pour faire taire sa peur au ventre et sa foi en l’éternité, pour que les murmures cessent enfin, dans leur credo insipide, sur les lèvres crispées. Pas le temps de tergiverser. C’était lui ou l’autre. J’ai tiré. Le sang n’a pas coulé. L’un n’a pas bougé. L’autre s’est relevé. Il s’est enfui, certain que le Christ l’avait sauvé. Moi, je sais avec qui j’ai voulu en terminer.

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Je reviendrai. Je reviendrai. Dans la maison de mon père, je reviendrai. Je lui dirai, je lui dirai : contre le ciel et contre toi, j’ai péché. Je suis parti un jour de ma maison en détruisant la famille. J’ai péché ! Aujourd’hui, je suis triste et brisé. Je ne veux plus vivre seul ! Je reviendrai ! J’ai péché, mon père, je ne mérite pas d’être ton fils. Je reviens vers toi ! « Mon fils, je t’embrasse, je t’ai perdu. Et aujourd’hui que je t’ai retrouvé, viens à moi ».

(Chant de communion)

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Quand je regarde mes mains, je les vois pleines. Elles ont aidé, enseigné, caressé, prié, elles ont péché aussi.

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Le voyageur au long cours

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Le voyageur au long cours

Le voyageur au long cours

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La coupe est pleine, la vessie se vide, le petit matin se lève sur l’Arche de Noé de la Calle del Barco. On devine les derniers espoirs oubliés sur les pavés, les étreintes furtives, les invitations au jour blême des visa-ges effacés. L’haleine blanche la gorge sèche, je cherche mes souvenirs incinérés. J’ai laissé en écharpe mes regrets accrochés au dernier fjord que j’ai croisé. S’il a fondu, que sa glace tinte dans mon verre. S’il s’est déplacé, qu’il mène à bon port l’étendard du naufragé. C’est ici que ma coque s’est brisée. Je l’ai rencontrée il y a trente ans à peine et elle est devenue mon port de sûreté. J’ai troqué la mer pour l’aimer… Quelle différence, en somme ?

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S’ils te prennent ton bateau, ils te prennent l’âme.

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Tout sur ma mère -ce que le film ne dit pas

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Tout sur ma mère -ce que le film ne dit pas

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Le cadre est doré et commence à se craqueler sur le côté gauche. Il est bon marché, en bois léger et recouvert d’une peinture qui a mal vieilli avec le temps. La photo a été prise un soir, les lumières au loin sont pâlies et on la voit qui sourit. Elle porte une blouse comme à l’époque, qui laisse voir une partie de son épaule parce que je tire sur sa manche. Le col est rond, la maille serrée et l’on devine le grain de sa peau. Elle a les cheveux relevés, attachés en chignon, certainement par des épingles ou dans une résille. Elle a le visage dégagé, légèrement incliné vers le côté où elle porte le bébé. On voit son alliance et la veine légère de son poignet. Elle a dans les yeux une mélancolie vague. Il doit être tard. Ou je dois l’avoir fatiguée. Je ne sais pas quand a été prise cette photo. Mon père, de chagrin, a tout brûlé. C’est ma tante qui me l’a donnée. C’est la seule chose que j’aie. D’elle, je ne me souviens de rien. Elle est morte un 13 et depuis j’essaie de conjurer le sort.

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À l’heure du face à face avec la chance, c’est un devoir de la regarder de face, qu’elle soit bonne ou mauvaise.

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Linda se fue

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Linda se fue

Linda est partie

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Celui qui veut monter, qu’il prenne une échelle (moi, je suis apolitique).

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Théo avait deux oiseaux, deux canaris jaunes, un mâle et une femelle, dans une même cage, un seul et même cœur. Mais Linda ne chantait pas. Théo s’est dit que, pour faire joli dans la laverie, c’était bien les canaris, mais un canari qui ne chante pas, ce n’est pas un canari. L’idée lui a pris d’aller voir Francisco, le maçon de la rue de la Barque, voisin d’en face et ami de longue date. Un canari, ce serait joli dans une maçonnerie. Ca mettrait de la couleur au gris les jours de pluie. Bien lui en a pris ! Francisco a dit oui ! Linda est partie ... Patatras. Le face à face des deux mâles s’est mué en sourde mutinerie. Les éléments les divisaient à présent : la cage contre le hublot, la rage contre le Théo. Seul le vrom-bissement des machines couvrait le silence insolent du canari souffrant. Les tambours tournaient, le canari se taisait et Théo s’ennuyait. Il eut l’idée de ramener Linda, mais un canari femelle, ça ne chante pas. Et puis que dirait Francisco ? Céder aux caprices d’un canari, de mémoire de laverie, cela ne s’est jamais ourdi. Mais le silence lui faisait mal aux oreilles et le canari au cœur. Il alla dans une animalerie pour trouver un ami. À la laverie, depuis, c’est un concert de canaris en stéréo party. Cages séparées, pour un meilleur effet, c’est le succès assuré de les en-tendre se raconter le temps où … Théo avait deux oiseaux, deux canaris jaunes, un mâle et une femelle, dans une même cage, un seul et même cœur. Mais Linda ne chantait pas. Théo s’est dit que, pour faire joli dans la laverie, c’était bien les canaris, mais un canari qui ne chante pas, ce n’est plus un canari … À présent Théo se dit que dans une laverie, c’est bien d’avoir un ami à qui raconter que … Un canari, ce serait joli dans une maçonnerie. Ca mettrait de la couleur au gris les jours de pluie. Bien lui en a pris ! Francisco a dit oui ! Linda est partie ...

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La che

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Mon nom à moi, c’est Romina. C’est mon nom de scène. Et main-tenant, c’est mon nom à moi. Parfois, on m’appelle Che à cause de mon accent. Mais mon nom de baptême, c’est Diego. 32 ans que je le porte comme une croix, 28 ans que je le prononce, 4 ans que j’essaie de l’oublier. Mon nom à moi, c’est Romina. Mon père, il s’appelle Diego lui aussi, comme mon grand-père. Le pre-mier garçon s’appelle Diego dans la famille. Je n’ai jamais aimé ce nom, celui de mon père. Il m’a toujours collé à la peau, comme une crème pas chère. Maintenant, les crèmes chères, je peux me les payer. Elles coûtent la peau du cul, comme dit ma mère. Cela n’a jamais été plus vrai. Bientôt, je pourrai effacer mon nom. Ça prend du temps et ça coûte cher. Mais ça aussi j’y arriverai. D’ailleurs mon nom, celui de mon père, ne va pas avec mes seins. Il jure. La vraie excroissance, ce ne sont pas mes seins, c’est mon nom. Dans quelques jours je retourne au pays. Ma mère et mes sœurs m’attendent là-bas. Je leur rapporterai de belles choses. Je pourrai aussi faire construire la maison, celle pour ma mère où les enfants de mes sœurs viendront jouer. Moi, je suis trop vieille pour avoir des enfants. Et puis les hommes me font peur. Ils men-tent et ils partent, toujours. Diego lui aussi est parti. Mais moi je reviens au pays.

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Quand je le lui ai annoncé, ma mère a beaucoup pleuré. Mais je lui ai dit : « Ton fils est mort mais ta fille vient de naître. Je serai toujours là, maman ».

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De fil en aiguille

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Mon rêve a été de me donner. Avoir la paix et me donner aux autres. J’ai une vie pleine.

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Elle a toujours vécu ici. En tout cas, autant qu’elle s’en souvien-ne. Elle n’aime pas que l’on parle d’avant, parce que avant c’était avant. Par contre, elle aime bien nous inviter chez elle pour man-ger des gâteaux et regarder la télé. Elle ne refuse pas de montrer les vieilles photos et les médailles militaires de José. Mais pas question de dire son vrai nom ou de la prendre en photo. Les gens du quartier pourraient la reconnaître et avant c’était avant. Son dessert préféré, c’est avec des fraises. Parce que les fraises ça fait riche et qu’on n’en mange presque jamais si ce n’est en été. Par contre, les biscuits trempés dans du lait, ça, elle connaît : ça donne pas la faim au ventre. Si elle devait recommencer, elle recom-mencerait tout pareil. Mais elle ne travaillerait pas dans une usine textile dix heures par jour, ça non. Elle se mettrait à son compte pour les dames du quartier. Et elle garderait sa vieille machine. Elle a son âge, vous savez ? Ses doigts lui font mal, parfois. Mais c’est la vie et c’est ainsi. Le soir, elle pense aux petits enfants qu’elle n’aura pas parce que son fils José, il a cinquante ans déjà et que sa bru, quoique gentille, elle reste laide. Elle pense aussi à l’autre, dans le froid de sa tombe. Il l’a épousée, lui a fait José et l’a laissée tomber. Mais si c’était à refaire, elle le referait aussi parce que c’était bon d’être dans ses bras. Maintenant, il est crevé et n’en parlons plus. À la télé, ils ont dit que demain il ferait beau. Alors, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Le linge sera sec et elle pourra le repasser. Et si demain il pleut, c’est pas bien grave : ils se trompent souvent à la télé.

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En piste

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En piste

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Le Barco est hybride et moi aussi.

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Approchez Mesdames et Messieurs. Bienvenue sous le plus grand Approchez Mesdames et Messieurs. Bienvenue sous le plus grand chapiteau du monde, le spectacle va commencer. Entrez dans la piste aux étoiles pour une représentation privée à guichet fermé. Les lions ont été remisés, les puces ont été écrasées et les cavaliè-res n’ont pas été montées. Ce soir, le spectacle, c’est moi ! Je suis un Monsieur Loyal qui extorque des billets, je déambule sur le fil imaginaire de mes talons pailletés, je roule sur ma boule à facettes dépareillées, je fais sortir de mon chapeau une parade emplumée : la grande Lulu à tête peroxydée, le géant vert aux paupières far-dées, le nain à grosse queue et le bambi fatigué. Mais le clou du spectacle, Mesdames et Messieurs, c’est Kataixa au cœur d’acier, dents noires et outrageux décolletés, elle est là pour vous faire bander. Entrez, Entrez, venez voir mon musée des horreurs nourri de mes secrets. Je suis lui, je suis elle, je suis vous et je sais que ça vous plait.

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Ostia !!

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Ostia !!Ostia !

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La mémoire tu ne la perds pas parce que tu deviens nonne.

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À 39 ans, on m’a opéré d’un cancer de l’utérus. Quand je suis revenue au couvent, j’ai dit aux sœurs : « Maintenant je ne peux plus avoir d’enfants ».

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- Bonjour Madame, je suis la mère Supérieure du Collège des Mercedarias de Don Juan de Alarcón. Je m’excuse de vous déranger mais je vous appelle parce que votre fille n’a de cesse de dire des gros mots. Et vous comprenez, nous sommes un peu embêtées. - Mais putain de bordel de merde, qui est le fils de pute qui les lui a appris ?Cette histoire vraie m’a été racontée par Natividad. Si les gros mots français touchent à la sexualité, les gros mots espagnols toucheraient-ils à la sacralité ? Combien de fois ai-je entendu « hostia » en imaginant une ostie ? Combien d’espagnols qui se « cagan en la leche » me suis-je représentés en train de dé-féquer dans le lait ? La sociologie, si elle est un sport de combat, nous attaque toujours lorsqu’on l’attend le moins…

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Saudade

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Aucun de nous ne fait rien tout seul dans ce monde sauf mourir.

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Ami, tu ne m’as pas oublié. Là-bas, quand tu sauras tout le mal que je me suis donné, quand tu comprendras la douleur de ces an-nées, quand tu verras dans mes yeux le poids des jours usés, tu me prendras dans tes bras et tu me diras que tu m’as pardonné. Que tu as effacé de ta mémoire ces lettres que je ne t’ai pas envoyées, tous ces mots jamais prononcés et ces promesses oubliées ; que tu as su t’éloigner de ma distance pour la chérir dans le souvenir, que tu as gardé notre enfance comme un infini à parcourir, que tu as poursuivi ta chance comme ton propre avenir. Je suis parti mais je ne t’ai pas quitté. Je suis parti et je me suis quitté. Je t’ai laissé la face tendre de l’homme qui n’a pas été blessé, le regard clair de celui qui n’a pas été humilié, la jeunesse et l’espoir auxquels j’ai succombé. Quand je rentrerai te retrouver, ce sera les pieds devant et le front haut mais les yeux fermés.

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ÀÀ feu doux Attention à l’ail. Il faut pas le faire revenir trop vite pour ne pas qu’il brunisse. Ensuite, la sauce, il faut la faire chanter et l’humidifier peu à peu en prenant bien garde à réserver la sauce sans trop la presser ni la brusquer. La cuisine, c’est un art, mon chéri, qu’il faut cultiver avec soin et avec passion. C’est comme l’amour, tu sais. C’est comme ça que j’ai appris avec ton père. Au début, c’est l’impatience qui parle et le désir de bien faire qui s’agite dans le cœur. Ensuite, tu comprends qu’il faut mettre de l’eau dans ton vin et une pincée de romantisme dans ton lit. Ne fais pas ta chochotte, ce que je te dis, c’est pour ton bien. Ecoute ta mère un peu, sur ce sujet, elle a de l’expérience tu sais… Qu’est-ce que je te disais à propos de la cuisine ? Ah, oui. La cuisine, c’est comme l’amour. Il faut savoir doser les épices et le piment sans oublier la coco qui fait le liant. Sans quoi, tu le sais comme moi, c’est l’aigreur qui prime dans la bouche et fait tourner le sang. Du temps où ton père était encore vivant, j’ai beaucoup appris du goût des hommes. Pour le ramener à la maison, rien de tel qu’un bon petit plat mijoté pour lui dire avec arôme combien de temps je l’avais attendu. J’en ai passé des nuits à l’attendre, tu sais, mais il m’est toujours revenu. Le piment dans l’amour, c’est la promesse d’un avenir radieux.

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Les yeux d’Elsa

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Les yeux d’Elsa

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J’aime. J’aime Elsa. J’aime Elsa qui se prépare. J’aime Elsa qui se prépare en dessinant ses sourcils. J’aime Elsa qui se prépare en dessinant ses sourcils d’un trait fin. J’aime Elsa qui se prépare en dessinant ses sourcils d’un trait fin qui souligne ses yeux. J’aime Elsa qui se prépare en dessinant ses sourcils d’un trait fin qui souligne ses yeux d’une ombre sombre. J’aime Elsa qui se prépare en dessinant ses sourcils d’un trait fin qui souligne ses yeux d’une ombre sombre, présage des nuits infinies. J’aime Elsa qui se prépare en dessinant ses sourcils d’un trait fin qui souligne ses yeux d’une ombre sombre, présage des nuits infinies et des matins d’hiver. J’aime Elsa qui se prépare en dessinant ses sourcils d’un trait fin qui souligne ses yeux d’une ombre sombre, présage des nuits infinies et des matins d’hiver où je me réveille à ses côtés, collé contre sa peau, humant le parfum de sa chair, caressant le lobe de son sein où je me plonge, je me blottis, ivre de sa soif de vivre et furieux, déjà, de la savoir hors de la sphère du rêve, palpitante, ouverte à l’amour du matin, quand la tension monte en moi et m’impose son désir impérieux de la prendre, de la sentir, de plonger ma main dans la moiteur de son sexe et de m’y plonger, tendu entre le besoin de la posséder et de la contempler, de jouir de cette image délicate d’où elle émerge entre les voiles du sommeil, la lèvre charnue et le cou délié où flotte le duvet de ses cheveux emmêlés dans lequel je me blottis, encore et toujours, lapant la rosée de ses souvenirs nocturnes et la fraîcheur de ce réveil hivernal qui me rappelle le nécessiteux, le besogneux esclavage du jour à venir, loin de l’alliance sacrée qui défie la pesanteur des heures passées loin d’elle.

J’aime quand Elsa se farde. Son visage d’enfant se transforme alors sous la poudre et les couleurs pour de-venir cette autre que je ne connais pas, que je ne reconnais plus, qui m’entraîne dans le sillage de son parfum, cabot alléché par la cabotine présence de cette absence d’elle qui me prend moi, me saisit et m’entraîne vers d’autres désirs mais toujours le sien, au fond, qui m’envahit pour découvrir sous la cosmétique illusion, l’arc du sourcil primal qui m’enchaîne au souvenir intact et à la projection sublime de celle qui n’est pas, ou plus ou pas encore. Cachée sous cette ligne d’étoffe sombre, la prunelle jaillit, se fait inquisitrice pour m’adresser une demande dont j’ignore le sens mais qui anime le regard d’un éclat nouveau et toujours recommencé. Non, Elsa, je ne veux pas te laisser aller, je ne veux pas te laisser filer dans les bras douteux de gars baraqués qui te prendront à bras le corps, à bras ouverts, à bras portant pour te laisser danser de bras en bras, de bars en bars, de bas en bas, plus bas encore, plus haut la cuisse et la jambe, plus loin la main qui s’égare contre ton dos et moi là-bas, qui ne rêve que de toi, dans l’attente de ton retour où tu t’étendras contre moi, innervée et confuse de la confusion de toi et de la nuit dans laquelle tu te perds à chaque fuite éperdue loin de moi qui t’attend, toujours et encore, dans la muette réprobation qui m’anime chaque fois que le miroir me renvoie ta main au pinceau qui chevauche l’arcadienne courbe de ton sourcil.

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Tu dessines le ciel de ta voûte, auréolant la paupière rosée d’un bleu angélique, fresques patinées d’une cou-pole byzantine que seul ton œil sait allumer. Tu découpes de ton aérien tracé la frange de tes cils que hachure mon ciel de graciles morsures. Tu embrases la mobile paupière ourlée de velours d’une délicate ombre grisée qui trans-forme ton iris en ciel d’orage, changeant et furieux, accentuant le contraste de tes lèvres charnues et charnelles, dans une moue moqueuse d’où émerge la fossette de ta joue, nid d’amour où j’aime enfouir des baisers éperdus, ivres d’amour et de désir. Tu bordes ces arches d’un fil tendre que tu emplis d’un captif rouge. Je suis palpitant et étendu dans ce corps à cœur avec ton image, débordant de cette tension aveugle avec ton reflet éperdu dans le miroir. Tu deviens autre mais toujours la même tu aveugles de ta présence ma patience infinie. Tu es mon Elsa, ma douce, ma chair vivante, ma promesse d’aube et de jours nouveaux. Tu es infiniment pleine de toi, amoureusement belle de vie, changeante, aimante, amante et sans cesse renouvelée de ton ardente grâce. J’aime découvrir dans le creux de ton aine le parfum secret des souvenirs, te humant, te léchant, pour t’ouvrir à la fraîcheur de la nuit. Mais tu glisses et tu t’échappes dans un léger flottement de rire, arborant à présent cette moqueuse et ironique posture du désir refusé et sans cesse aboli. Elsa, que fais-tu de moi ? Que deviens-tu loin d’ici ? La pointe de tes seins se tend sous mes caresses et mes sens se multiplient comme autant de faisceaux qui parachèvent mon incandescence. Mais le duvet qui les couvre est autant de voiles à l’impudeur qui te déchire et je reste transi, au bord du geste ultime qui déferait l’illusion de cet instant d’éternité. Savamment tu enfiles le corset qui te lace de son érotique filet, immobilisant la courbe de ton omo-plate dans un ironique hoquet. Le grain de ta peau se marbre de cette tension lascive et tu resserres sur ton cœur la charpente de soie qui gonfle la chair.. Ta gorge se déploie dans cette armature vive et ta taille se resserre dans l’étau de tes mains. Je serre contre moi ce corps désormais vide et je passe, œillet après œillet, le noir lacet coulissant dans l’espace consacré. Je t’entoure, je t’enlace de mon désir étouffé, que ce lien stérile contient dans l’impossible corset. Lentement tu déploies sur ta cheville fine le bas que tu t’ingénies à monter, monter, comme une chenille qui ne sau-rait se perdre que dans l’épais duvet de ton sexe aguicheur. La chaleur m’envahit et je scrute dans chaque geste le progrès de cette métamorphose dont toi seule possède le secret. Ton dos se cambre pour accrocher de ta cuisse à ton bas l’attache finale qui parachève ton équipement d’amazone, guerrière intrépide qui ne demande qu’à chevaucher de son lustre et de sa patine le fantasme de son admirateur inquiet. Le talon se hausse, sous la pression d’un orteil peint, et se glisse avec délice dans la pointe qui l’étreint. Tes yeux rieurs m’épient avec suspens : es-tu celle que je connais si bien ? J’hésite et je doute devant cette femme que seuls mes doigts oseraient approcher. Tu restes Elsa, mon unique, ma beauté.

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Mais le soir réclame ta présence et je reste, moi, l’unique, l’inconsolé. Ma solitude t’accompagne dans ce rêve érotique jamais consommé où tu décides de défaire, geste après geste, l’œuvre composée. Où le talon, d’un geste sourd, se dégage du pied enfermé, exhibant l’orteil gracieux et pointant ses ongles teintés vers le ciel de mes ardeurs où le bas se défait, découvrant chaque parcelle de ta chair rosée, le musc de ton sexe agitant dans l’air ce parfum où sommeille le désir vengeur. Un frisson parcours mon corps et je délace ce dos prisonnier d’où émergent, comme deux nages, tes seins inquiets. Rendus à leur liberté charnelle, ils excitent leurs désirs enfouis et échappent à la soie dans la vivacité réunie de tes mains et des miennes, découvrant l’épaule, le cou et la nuque des morsures tex-tiles. Effaçant les traces des fards, tu retrouves ton visage d’enfant et ta moue câline m’invite à une étreinte sereine où je te sais mienne loin du bruit, de la fureur et du tumulte de ces sexes réunis désireux de conclure l’ultime assaut. Mais ton manteau dément mes illusions. Tu t’enfouis dans le tissu, masque du corps et maux du discours, dévoilant ma peine de te savoir exilée par erreur dans cette terre sans patrie qu’est la boîte de nuit où tu troques sans pudeur ce que tu dévoiles pour moi avec peine, travestie par le voile qui te sépare de la scène où tu ondules au rythme saccadé d’autres pulsations. Je sais ce que je devine avec peine, les regards posés sur toi à travers l’ombre du tissu que tu habites de tes mouvements habiles, moites et bandants. Devins de toi, ils n’ont que la partie sombre, la noirceur d’un corps découpé en ombres chinoises et qui palpite à l’unisson de ce désir qu’eux aussi ne pourront atteindre qu’avec ta permission. J’ai toujours cru en cette innocence exhibée dans le fond d’écran, implacable simulacre de nudité protégée par les lumières tamisées et les cadres dorés dans lesquels tu te dénudes.

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« Enfant, laisse-moi lever ta robe pour bien te voir ; ouvre dans mes doigts très vieux la rose bleue de ton ventre »

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Les personnes qui abandonnent ici des enfants pourront le faire avec la sécurité que jamais quelqu’un de la maison leur cherchera préjudice pour un quelconque motif.

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Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercleQuand le ciel bas et lourd me pète la têteJe me dis que je n’aurais pas dû vivre iciJe me dis que j’aurais dû changer de vieLisbonne, Rotterdam ? Paradis bigamesDu bonheur à quarante euros le grammeEt de l’étreinte consentieSous les plafonds pourrisDe mon cerveau À l’eauAllo ?Pas un motMon âme est morte depuis longtemps déjà.

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Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercleQuand le ciel bas et lourd me pète la têteJe me dis que je n’aurais pas dû vivre iciJe me dis que j’aurais dû changer de vieLisbonne, Rotterdam ? Paradis bigamesDu bonheur à quarante euros le gramme

Et de l’étreinte consentieSous les plafonds pourris

De mon cerveau À l’eauAllo ?

Pas un motMon âme est morte depuis longtemps déjà.

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Sorroche

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Sorroche

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Ingrédients : 2 livres de crevettes ½ livre de tomates ½ livre d’oignons (rouges) 1 cuillère de sauce tomate (ketchup) 1 cuillère de moutarde 10 citrons verts Sel, poivre, à votre convenance co-riandre finement ciselée à votre convenance PréparationMettre à bouillir 1 litre d’eau. Quand l’eau bout à gros bouillon, y mettre les crevettes 15 à 30 secondes. Les sortir de l’eau et les laisser refroidir. À part, couper les tomates et émincer l’oignon fi-nement. Faire mariner l’oignon dans le jus de 4 citrons. Mélanger ensuite l’oignon avec les tomates coupées et la coriandre. À la fin, ajouter les crevettes dans le jus de citron qui reste, en salant à vo-tre convenance. Mélanger le tout dans un bol. Servir accompagné de bananes coupées finement et frites (appelées « chifles »). En plus d’être délicieux, c’est pauvre en graisse. Je ne sais pas si c’est la faute de l’oignon ou du poivre, mais je me suis mise à pleurer à gros bouillon dans l’eau saline des crevettes à peine décongelées. Le goutte à goutte ne s’interrompt pas. Je renifle. Je m’essuie péniblement le visage. Le citron me pique les yeux et le souvenir du ceviche de Benjamin me rend acide l’âme. En Bolivie, il n’y a pas de crevettes, mais il y a quand même du ceviche et puis surtout Benjamin. J’ai mal au cœur. Comme à la Paz, j’ai le Sorroche, le mal de toi, le mal des montagnes, le mal du pays andin.

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Reven(e)nte

Reven(e)nte

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Le soir m’étreint. Je m’endors en son sein. Me reviennent les sou-venirs de ces folles journées du corps à corps des cœurs fermés. Les lumières troubles, les odeurs éventées, les costumes moirés, et les voiles de fumée découpent mon monde des ombres et des désirs secrets. Prisonniers des regrets, rouge élimé, miroir piqué, commode brisée, bidet fêlé des histoires d’Ô. Cuir, soie, nylon, ont été mes éros de fortune ; musique de fête pour éclipser, peut-être, les soupirs consommés. Pour moi, les étreintes subtiles, les confessions intimes, les idylles sublimes et les corps décompo-sés. Mes pleurs se font l’écho du silence consenti, chuchotement dérisoire du désir dissipé en robe noire d’épousée : mon linceul me recueille et je me retiens de l’éveiller. Ombre des ombres, je suis louve et peu importe le prix puisque le deuil est ce qui me définit cette nuit.

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Elle se préparait toujours avec la lumière éteinte. Elle ne voulait pas se voir dans le miroir.

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Madrid est mon âme

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Madrid est mon âme

Madrid est mon âme

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Père Pedro

- 64 ans. Né dans la région de Cuenca. 3 frères et 4 sœurs. Est le 5e de la famille. Sa famille travaille dans les champs.- Arrivé à Madrid en 1973 et dans l’Église de San Ildefonso il y a 4 ans.- Vit avec 3 Pères, 1 fixe et 2 qui l’aident pour la messe.- Son travail principal est « le contact avec les gens ».- Caractéristique : laisse l’Église ouverte toute la nuit les samedis, comme les bars, pour que les gens aient la pos-sibilité de prier.- Ses souhaits : que les gens rencontrent Jésus Christ, qui est la plus grande des richesses, et que les gens aient des ascenseurs pour que les appartements ne se transforment pas en prisons.

Celso

- 65 ans. 1 fils et 1 fille.- Ne vit pas dans le quartier mais travaille dans le quartier.- A été 5 ans navigateur dans la flotte de Norvège. Est resté au Brésil 5 ans. Est revenu à Madrid à 30 ans, s’est marié puis est resté.- Avant : la porte n’était jamais fermée et ce quartier était une merveille.

José

- 35 ans. Né à Barcelone. Depuis 7 ans à Madrid. A un frère. Habite la rue depuis 4 ans et travaille dans la rue depuis 4 mois. Est acteur de théâtre et de télévision. Le 13 est sa première entreprise et il a ouvert le 12 décem-bre, jour de la Vierge de Guadalupe, à minuit – ce qui fait que c’était déjà le 13 !- A rencontré sa fiancée un 13 mai, jour de son anniversaire. Ils vont se marier le 13 juin, jour de saint An-toine, 13 mois après leur rencontre.- Signe distinctif : a un ami qui s’est fait tatouer un 13 sur le crâne. L’hiver, on ne le voit pas parce qu’il a les cheveux longs. Lui, ce qui lui porte chance, c’est un petit ange avec des tatouages dessinés. Il l’appelle César parce qu’il ressemble à un prix.- Rêve : que le numéro de la mauvaise chance se transforme en bonne étoile.

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Teo

- 54 ans. 5 filles et 1 fils de deux lits différents qui ont de 6 à 26 ans.- Vit à Madrid depuis 50 ans. Travaille et vit Calle del Barco depuis 12 ans.- Avant, il était transporteur routier mais il ne voyait pas sa famille. Après, il a tenu un bar-restaurant de rou-tiers. Maintenant, il lave le linge sale des familles.- Signe distinctif : va peut-être adopter un 3e canari.

Diego- 32 ans. Vit dans le quartier et travaille dans le quartier. Né en Argentine. A 2 sœurs ainées.- Aime aller au cinéma, se maquiller, avoir de belles tenues.- Rêves : avoir une maison en Argentine, vivre avec sa mère et tomber amoureux d’un gentil garçon.

Laura

- 76 ans. 1 fils de 50 ans. Son mari l’a quittée quand son fils a eu 3 ans. Retraitée, elle a vécu avec sa mère et sa sœur, en s’occupant d’elles.- En 1956 elle a quitté Valence pour Madrid et a toujours vécu dans la Calle del Barco.- Elle travaillait dans le textile du petit matin à la nuit tombée.- À présent, elle ne se lève pas avant 10 h du matin, se prépare, fait quatre bricoles à la maison et sort mar-cher dans la rue ; elle lit les journaux l’après-midi. Avec ses amies, elles se parlent par téléphone.- Rêves : elle pensait que quand elle allait arrêter de travailler, elle casserait le réveille-matin. Mais elle ne l’a jamais fait.

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Fran

- 32 ans. Célibataire. Né dans les Îles Canaries. A trois sœurs ainées et une mère belle à tomber.- Ne vit plus dans le quartier depuis 5 ans mais y travaille depuis 8 ans.- Jongle entre le bar dont il est le propriétaire et ses 13 compagnons de cirque.- A commencé le cirque à 15 ans, comme équilibriste puis comme voltigeur. Est parti 3 mois à Rio de Ja-neiro pour se perfectionner. Aujourd’hui se passionne pour les clowns.- Signe particulier : a créé dans sa tête un double féminin et indigène, Kataisa. Elle a les dents noires comme ses sourcils, une perruque blonde de travers, une poitrine exagérée et des amis junkies. Il l’a suicidée d’overdose, 5 ans après, sur les pavés barcelonais.

Convento

- 403 ans. Est né à Madrid. María de la Miranda est tombée amoureuse de lui, mais elle est morte avant sa naissance.- Avant, il vivait avec des sœurs contemplatives. À 296 ans, les sœurs ont dû manger : elles ont fondé un collège avec 2 entrées, calle Valverde pour les filles riches et calle del Barco pour les filles pauvres.- À 318 ans, les sœurs sont parties en prison et il est devenu un hôpital et une prison.- Aujourd’hui, il vit avec 600 enfants, 36 sœurs et 35 professeurs.- Caractéristique : respecte les convictions de tous (musulmans, athées, orthodoxes, protestants) et cuisine en fonction.

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Jorge & Fidela

- 45 ans. 5 frères et sœurs, 1 nièce et 1 neveu qui habitent tous le quartier. Célibataire. Vit avec sa mère de-puis 10 ans.- 71 ans. Veuve. Vit avec son fils depuis 10 ans.- A étudié à l’Alliance française de Lima pour intégrer l’IDEC à Paris (la Fémis). N’a pas obtenu son visa à cause du niveau de langue. Est parti en 1985 à Madrid pour étudier le cinéma à la Complutense. Est tombé amou-reux. Est resté.- N’a pas fait d’études. Est tombée amoureuse et s’est mariée.- A arrêté les études en 4e année : pas de futur dans le cinéma, à l’exception de la télé qu’il détestait. Après l’Université, a travaillé chez un antiquaire et s’est mis, 2 ans après, à faire des petits marchés. S’est associé avec un ami pour monter un magasin d’Antiquités mais dans les années 2000 les salles de vente se sont développées et ils ont tout arrêté.- A élevé ses 6 enfants et aujourd’hui a la chance de vivre à côté de ses deux petits-enfants- Travaille dans la sécurité depuis 8 ans mais continue à vendre des Antiquités à des particuliers et à faire de la restauration sur bois.- S’occupe de la maison et aime beaucoup cuisiner. - Caractéristique : n’a pas d’amis péruviens- Ses amis péruviens lui manquent.- Rêve : tourner un petit documentaire- Que son fils se marie.

Ana

- 21 ans. Est andalouse. A trois frères aînés. Est partie il y a 3 ans à Madrid pour faire du théâtre. Habite dans le quartier depuis moins d’une semaine.- Le théâtre est sa passion mais elle travaille dans un bar Calle del Barco pour gagner sa vie.- Sa famille lui manque et ses amis aussi. Elle aimerait les voir plus souvent. Mais elle n’aime pas qu’ils viennent à Madrid.- Rêve : que sa mère puisse la voir sur scène dans un grand rôle.- Signe distinctif : elle aime la poésie de Louis Aragon.

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X

- X ans. Est de Madrid. Vit dans la calle del Barco depuis X ans.- N’a ni passé ni futur ni famille. Seulement des tatouages.- Il n’aime rien si ce n’est la musique mais il déteste la salsa.- Signe distinctif : oiseau de nuit qui ne chante pas. - Son vrai nom : Felix comme Feliz (« heureux en espagnol ») mais avec un X à la fin.

Ellyn

- 33 ans. Est née en France. Vit seule dans le quartier. Travaille avec et pour les livres mais aime aussi et surtout les gens.- A trois passions : les voyages, la lecture et la cuisine.- Signe particulier: aime refaire le monde.

Puti

- Est vieux comme le monde.- N’a pas de nom excepté « tu viens ? »- Vit en vase clos avec ses cocottes et ses messieurs, ses dames sévères et ses voisins honteux.- A ouvert sous Franco et a fermé il y a quelques années.- Signe particulier : une bande de jeunes inspirés s’en est emparé pour le transformer en musée du souvenir branché.- Souhaits : qu’on le laisse enfin tranquille pour vivre avec ses fantômes en petite culotte et ses bidets.