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P.-J. BONZONLA PROMESSE DE PRIMEROSEPOURQUOI Peter Peacock, enfant d'un misérable faubourg de Londres, est-il si intrigué par la jaquette noire et le superbe haut-de-forme de son père? Pourquoi recherche-t-il, avec une telle passion, certain vieux manège de chevaux de bois, à l'enseigne du Poney-Volant, qui tournait, un soir, sur une place de faubourg? Pourquoi enfin Peter part-il un jour pour l'Ecosse, sur les hautes terres du Nord ?...L'Ecosse, pays mystérieux où les brumes ont la densité de la nuit, où les vieux châteaux sont habités par des fantômes ! C'est sur le dos d'un petit cheval des Shetland que Peter Peacock parcourra ses landes couvertes de bruyères, à la recherche de la fillette qui l'a un jour consolé d'un grand chagrin. Mais les brouillards et les revenants ne vont-ils par se liguer contre lui ?C'est dans ce cadre extraordinaire et merveilleux de la haute Ecosse que Paul-Jacques Bonzon, peintre et conteur de talent, vous entraînera aujourd'hui dans ce nouveau roman où le mystère succède sans cesse au mystère.

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P.-J. BONZON

*

LA PROMESSE DE PRIMEROSE

*

POURQUOI Peter Peacock, enfant d'un misérable faubourg de Londres, est-il si intrigué par la jaquette noire et le superbe haut-de-forme de son père? Pourquoi recherche-t-il, avec une telle passion, certain vieux manège de chevaux de bois, à l'enseigne du Poney-Volant, qui tournait, un soir, sur une place de faubourg? Pourquoi enfin Peter part-il un jour pour l'Ecosse, sur les hautes terres du Nord ?...

L'Ecosse, pays mystérieux où les brumes ont la densité de la nuit, où les vieux châteaux sont habités par des fantômes ! C'est sur le dos d'un petit cheval des Shetland que Peter Peacock parcourra ses landes couvertes de bruyères, à la recherche de la fillette qui l'a un jour consolé d'un grand chagrin. Mais les brouillards et les revenants ne vont-ils par se liguer contre lui ?

C'est dans ce cadre extraordinaire et merveilleux de la haute Ecosse que Paul-Jacques Bonzon, peintre et conteur de talent, vous entraînera aujourd'hui dans ce nouveau roman où le mystère succède sans cesse au mystère.

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PAUL-JACQUES BONZON

LA PROMESSE DE PRIMEROSE

ILLUSTRATIONS DE PAUL DURAND

HACHETTE

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© Librairie Hachette, 1957. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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A ma file Isabelle.

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TABLE DES MATIÈRES

I. Un artiste du trottoir 14II. Peter Peacock 19

III. Le Poney-Volant 28 IV. Sur un vieux journal 37V. Le paquet d'épingles 42

VI. Vers les Highlands 51VII. L'école de Ring-Wall 59

VIII. Un dessin sur une roulotte rouge 66IX. Un petit cheval nommé Dikey 73X. Le château du Brouillard 83

XI. Le revenant de la Lande pourrie 94XII. Nouveau mystère 102

XIII. La voiture jaune 110XIV. Toujours plus loin sur les Highlands 119XV. La maison vide 130

XVI. La hutte aux biches 138XVII. L'autre revenant 150

XVIII. Les dessins d'Arthur Peacock 156XIX. Mac Pickle 165XX. Le cheval de bois 173

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CHAPITRE PREMIER

UN ARTISTE DU TROTTOIR

C'EST au n° 147 de la rue des Tulipes, dans le pauvre et grouillant quartier de Poplar, que vit le jour Peter Peacock.

Rue des Tulipes ! Quelle ironie ! La coupe colorée de ces belles fleurs s'est peut-être épanouie, autrefois, sur les berges de la Tamise; hélas! depuis longtemps, les poussières de charbon, les vapeurs de goudron, la suie des usines les ont tuées à jamais. Le joli nom est resté, mais un nom est bien peu de chose.

Arthur Peacock vivait depuis deux ans, avec Mary, sa femme, au deuxième étage d'une vieille maison dont les briques, autrefois rouges, avaient pris une indéfinissable

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teinte brune que la grisaille perpétuelle du ciel ne pouvait guère aviver. Arthur Peacock avait une bonne trentaine d'années. Grand, mince et blond, comme beaucoup de Britanniques, il avait servi, naguère, dans la marine de Sa Majesté. Puis il était revenu dans sa province, le Pays de Galles, reprendre son métier de mineur. Mais cette vie souterraine ne lui plaisait pas. Un jour il s'était installé dans ce quartier de Poplar, tout près du port de Londres, comme débardeur. Ce métier-là non plus ne lui convenait guère. Il n'aimait pas la vulgarité des dockers. Parfois, en déposant le sac qu'il venait de porter, il regardait ses mains et disait :

« Elles ne sont pas faites pour ce métier-là, mes mains....»C'est ainsi que l'arrivée en ce monde de Peter Peacock,

son fils, l'engagea à changer définitivement le cours de sa vie.« Master » Peter, déclara-t-il, brandissant le nouveau-né,

sache dès maintenant que ton père n'est pas plus fait pour fouiller les entrailles de la terre que celles des navires de l'Empire. Ton père est un artiste, Master Peter Peacock, tu entends, un artiste!... »

Peter, dont le visage encore cramoisi des nouveau-nés grimaçait, ne parut ni surpris ni impressionné par cette solennelle déclaration. Sa mère, par contre, avait compris.

« Good Lord! s'écria-t-elle, regardant son mari avec des yeux inquiets, que veux-tu dire?

— Je veux dire que ni la mine ni le port ne reverront Arthur Peacock. Je veux que, plus tard, Peter soit fier de son père.

— Il n'est pas honteux de travailler, Arthur.— Je n'ai pas dit ça. Tu connais comme moi la règle

anglaise : « L'homme qu'il faut à la place qu'il faut. » Je n'ai jamais été à ma place, ni à bord des navires de Sa Majesté,

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ni au fond de la mine ni sur les quais de la Tamise. »Le visage de sa femme marqua l'étonnement.« Quelle idée as-tu donc en tête?... Changer de métier,

juste maintenant où nous sommes trois au lieu de deux?... »Arthur Peacock ne répondit pas. Il haussa doucement les

épaules, déposa le bébé dans son berceau, se dirigea vers le poêle, saisit un morceau de charbon dans le seau et se mit à dessiner sur le mur.

« Que fais-tu là, Arthur?... »Il parut ne pas entendre. Sous les doigts du débardeur les

traits se multipliaient, s'enchevêtraient, prenaient consistance.« Eh bien! insista Mary.— Tu ne comprends pas?— Je vois bien que tu as voulu représenter ton fils dans

son berceau... mais où veux-tu en venir? »Arthur fronça les sourcils, recula d'un pas, considéra son

travail en penchant la tête et clignant des yeux puis, tranquillement, déclara :

« Désormais, je serai un pavement artist. »Le visage de Mary s'assombrit d'un seul coup. Il y eut un

long silence.« Quand j'étais enfant, reprit Arthur, tout le monde

s'accordait à me reconnaître des dispositions pour le dessin. Mes mains n'auraient jamais dû tenir autre chose qu'un crayon ou un pinceau. Je veux que plus tard, quand il sera grand, Peter puisse dire de moi : « Mon père était un artiste. » Comprends-tu cela? »Mary baissa la tête, prit son mouchoir, s'essuya les yeux et soupira longuement. Elle pensa : « Jusqu'alors nous connaissions seulement la pauvreté ; à présent nous serons misérables et malheureux. »

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Pour comprendre son désarroi il faut savoir ce qu'on appelle, à Londres, les pavement artists, autrement dit les artistes du trottoir. Munis de craies de couleur, ils choisissent les lieux les plus animés de la ville et, à même le trottoir, exécutent des portraits, des scènes de la vie quotidienne, des caricatures de tel ou tel personnage en vedette, des tableaux représentant les événements sensationnels, comme le couronnement de « Sa Gracieuse Majesté » ou le mariage d'une princesse royale. Les badauds s'arrêtent, regardent, intéressés ou amusés, et jettent sur le trottoir une pièce que l'artiste s'empresse d'empocher.

En somme, un petit métier comme un autre pour qui possède un brin de talent... ou même n'en a pas du tout. Au printemps, quand l'asphalte du trottoir redevient sèche, quand les citadins reprennent goût aux flâneries, il arrive que les pièces tintent, assez nombreuses, sur le pavé; mais que revienne la pluie qui rend les trottoirs luisants et gras, que reviennent la brume et le froid, les artistes de la craie deviennent de pauvres diables, grelottant sous leur parapluie, maudissant cette terrible humidité qui lave leurs dessins.

Sans doute beaucoup nourrissent-ils, au fond de leur cœur, le secret espoir de devenir célèbres, comme ce John Beridge dont plusieurs dessins sont aujourd'hui accrochés aux murs du plus grand musée de Londres, mais il n'y a eu qu'un seul John Beridge, et les artistes du trottoir se comptent par centaines.

C'est à tout cela que pensait Mary Peacock en s'essuyant les yeux.

« C'est bien, murmura-t-elle simplement sur un ton qui ne traduisait ni amertume ni enthousiasme, tu feras selon ton désir, Arthur. »

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Et elle serra plus fort contre elle son petit Peter comme

pour le protéger d'avance de tous les tourments, de tous les malheurs qui ne manqueraient pas de frapper à la porte du n° 147 de la rue des Tulipes, dans le quartier de Poplar à Londres.

Le jour même, délaissant les quais où les grues promènent sans cesse dans le ciel gris leurs bras décharnés, Arthur Peacock, ancien marin de Sa Majesté, ancien mineur, ancien débardeur, se rendait d'un pas léger dans le faubourg de Whitechapel. Chez un brocanteur du quartier juif, il achetait d'occasion une longue jaquette noire et un chapeau haut de forme. Puis, muni d'une boîte de craies, il allait se poster dans un angle de Piccadilly, une des places les plus fréquentées de la capitale, et commençait son métier d'artiste.

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CHAPITRE II

PETER PEACOCK

MARY ne s'était pas trompée en pensant que la misère remplacerait la pauvreté. Au n° 147 de la rue des Tulipes la vie devint difficile.

« Patience, répétait Arthur avec conviction, où a-t-on vu un artiste connaître le succès du jour au lendemain?... La gloire est une fleur merveilleuse qui demande beaucoup de soins, beaucoup de travail, pour éclore, mais quelle récompense quand elle fleurit!...

— Mais l'argent, Arthur, il faut tant d'argent pour vivre!

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— Il viendra... il viendra bientôt. Déjà, les curieux font un détour pour me voir; l'autre matin, le Lord Maire lui-

même s'est arrêté devant mes dessins. »Mary approuvait doucement. A quoi bon le contrarier?

Arthur n'était pas un mauvais homme. Il l'aimait, il aimait son fils. Ce n'était ni un buveur ni un dépensier, et personne n'aurait pu prétendre que la paresse l'avait poussé à abandonner les quais du port. Il croyait bien faire, voilà tout, et Mary savait combien il est difficile de faire entendre raison à celui qui se croit sur le bon chemin.

« Après tout, pensait-elle, qui sait s'il n'a pas raison?... Si un jour?... »

Cette lueur d'espoir, hélas! ne durait guère plus que la flambée d'une allumette. Elle se consolait en berçant son petit Peter qui s'éveillait à la vie et lui souriait si doucement.

En grandissant, Peter se révélait un enfant à l'esprit vif débordant d'imagination. Dès qu'il parla ce fut pour dire, à sa façon, des choses très jolies, pleines de fantaisie. Les mouettes étaient des hirondelles devenues blanches en recevant des flocons de neige. Les cheminées des usines étaient les jambes de géants qui cachaient leur tête dans les nuages parce qu'elle était trop laide. Quant aux sirènes des bateaux, entrant, dans le port, c'était la voix du vent grondant les nuages qui s'obstinaient à cacher le soleil.

Mais bientôt un autre sujet d'intérêt le détourna des nuages et des cheminées d'usine : le petit frère qui arriva à la maison, un petit frère minuscule, si petit, que Peter n'imaginait pas avoir été, lui aussi, si menu. Pour lui ce fut une grande joie, pour Arthur Peacock, une nouvelle fierté, pour la mère, un regain de tendresse... mais aussi d'inquiétude. Le métier d'artiste de trottoir demeurait précaire, si précaire que souvent le charbon manquait dans le seau et le pain dans le buffet.

Mais cela Arthur Peacock l'ignorait presque. Les mois

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et les mois qui passaient n'entamaient pas sa confiance. Avec un entêtement lamentable et magnifique il espérait encore. Chaque soir il continuait de rentrer, l'air satisfait. Déposant d'un geste large et digne son chapeau haut de forme sur le coin du buffet, il déclarait :

« Sans cette maudite averse qui a tout gâché, je me serais fait une belle journée. »

Mary ne manifestait rien, habituée à ces retours « aux poches vides » comme elle les appelait. Arthur avait toujours d'excellentes excuses : un jour, la pluie, un autre le vent ou le brouillard, un autre encore un accident de la circulation qui avait détourné la curiosité des passants; mais un jour viendrait....

Elle se contentait de soupirer en silence, sans jamais se plaindre.

Dès qu'il eut cinq ans, Peter commença d'aller à l'école, une de ces écoles de faubourg, laides, tristes, pareilles à une prison. Il s'y sentit perdu, étranger, non pas que ses petits camarades fussent plus riches, mieux habillés que lui, non. Mais il découvrit qu'ils aimaient mieux se battre que regarder les belles choses qu'on peut apercevoir dans la forme mou-vante des nuages.

C'est aussi l'âge où il commença d'être intrigué par le métier que faisait son père. Tous ses camarades de l'école avaient un père ouvrier ou débardeur, c'est-à-dire un père portant casquette, veste de toile et dont les mains étaient calleuses. Son père à lui portait une redingote noire et un chapeau haut de forme qui en faisaient un personnage impressionnant et magnifique. Alors il posa des questions à sa mère.

« Pourquoi Dad est-il si beau pour aller travailler, tous les jours? Pourquoi ses mains ont-elles quelquefois du vert,

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‘Sans cette maudite averse, je me serais fait une belle journée’

du rose, du jaune, au lieu d'être noires comme celles des autres papas?...

— C'est que ton père est un artiste.— Qu'est-ce que c'est : « un artiste »?— Celui qui fait de belles choses, des dessins avec de

belles couleurs.— Puisque papa est si bien habillé, pourquoi n'habitons-

nous pas une belle maison?— Cela viendra, Peter.— Quand?— Un jour... plus tard... il faut avoir beaucoup de

patience dans la vie, beaucoup.— Ah ! » soupirait Peter sans bien comprendre.Et il continuait de vouer une admiration éperdue à ce père

d'allure si digne, le seul dans tout ce quartier de Poplar à porter une jaquette aussi longue, une coiffure aussi haute et brillante.

Cette gloire dont il auréolait son père, il la sentait rejaillir sur lui. Une immense fierté gonflait son cœur d'enfant. Il oubliait que la maison était bien froide, l'hiver, et que son estomac criait souvent la faim. Il ne voyait pas non plus que la jaquette noire de son père luisait d'usure, que le chapeau haut de forme s'effilochait sur les bords.

Cette sérénité dura jusqu'au jour.... Ah! ce jour! Quel triste souvenir dans la mémoire de Peter! Dans la cour de l'école, il jouait avec des camarades de son âge quand une querelle éclata entre les gamins à propos d'une bille qui avait disparu. Accusé à tort, Peter se défendit de son mieux et à bout d'arguments déclara :

« Puisque vous ne me croyez pas, en rentrant je le dirai à mon père; il viendra vous allonger les oreilles. »

La dispute s'envenimait. Les gamins en étaient venus aux

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mains. Des grands s'étaient approchés, se donnant garde d'intervenir, ces sortes de petits règlements de compte étant rigoureusement respectés en Angleterre. Malgré son acharnement à se défendre, Peter commençait à perdre pied.

«Je le dirai à mon père », lança-t-il encore!C'est alors que quelqu'un cria :« Ah! il peut en parler de son père, c'est un mendiant!— Parfaitement, un beggar, un mendiant », reprirent les

autres en chœur.Peter reçut l'insulte comme on reçoit un coup de fouet. Il

se mit à frapper de toute la force de ses petits poings. « Mon père n'est pas un mendiant... c'est un artiste.

— Un artiste?... Va donc voir un peu ce qu'il fait. » Tous se mirent à rire en répétant : « Un mendiant! Un beggar!... »

.La cloche de la rentrée interrompit la querelle. Peter rajusta sa veste déchirée et se glissa dans le rang sans mot dire. Après la rougeur de la colère il était devenu blême. Durant toute la fin de la classe il n'écouta pas. Ses oreilles tintaient sans cesse de ces mots affreux : ton père est un mendiant.

« Dear me, s'écria sa mère en le voyant rentrer, hirsute dépenaillé, le visage décomposé, qu'est-il arrivé?

— Mummy, explosa-t-il en sanglotant, « ils » ont dit que papa était un mendiant! Dis, ce n'est pas vrai?... »

Il raconta son aventure. La pauvre femme n'arrivait pas à le consoler. Peter lui prit le visage dans ses mains pour l'obliger à le regarder dans les yeux et répéta, anxieux :

« Dis, Mummy, ce n'est pas vrai, papa n'est pas un mendiant?... »

Mary Peacock le serra contre elle et essaya d'expliquer :« Ton père n'est pas un mendiant, mon petit Peter; tes

camarades sont de mauvaises langues, ils auraient mieux

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fait de se taire. Ton père fait de très beaux dessins que tout le monde admire. Un jour il deviendra célèbre... et nous serons riches.

— Est-ce bien vrai ce que tu dis?— T'ai-je jamais menti, mon petit Peter? »Et c'était vrai, la pauvre femme ne mentait pas. Pour

oublier son inquiétude, peu à peu elle s'était forcée à partager l'optimisme d'Arthur Peacock et, ma foi, par moments, elle croyait à son beau rêve.

A demi rassuré, Peter reprit le lendemain le chemin de l'école, décidé à lever là tête très haut devant ceux qui oseraient encore prétendre que son père était un mendiant. Hélas ! les enfants sont souvent cruels. Dans la cour de récréation il lui arrivait parfois d'entendre encore le mot désobligeant. Il ne sut plus s'il devait croire sa mère ou les garçons de Poplar. Une envie terrible le tenaillait : questionner son père. Mais quand il le voyait rentrer, si noble, si digne, quand il le voyait déposer majestueusement son chapeau haut de forme sur le coin du buffet, les questions qui lui brûlaient les lèvres se retiraient. Non, il n'était pas possible que son père fût autre chose qu'un grand homme.

Cependant, un jour, il voulut éclaircir tout entier le mystère qui entourait Arthur Peacock, son père. Il se souvint de ce qu'avaient dit une fois, les grands de l'autre classe : « Si tu tiens à savoir ce que fait ton père, va donc voir du côté de Piccadilly. »

Il était grand à présent, il avait huit ans, c'était lui qui faisait les commissions le soir, après l'école, il savait se débrouiller tout seul dans les rues et même prendre le « tube » ainsi qu'on appelle le métro, à Londres. Car depuis la naissance du second petit frère, William, Mary Peacock ne quittait guère la maison.

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C'était un après-midi de mars. Le temps était maussade et froid avec un méchant vent du nord qui râpait la peau. Il n'y avait pas classe ce jour-là parce que deux school-masters étaient malades. Peter avait réussi à réunir juste assez d'argent pour aller jusqu'à Piccadilly et revenir. Personne ne s'inquiéterait de lui à la maison puisqu'il avait l'habitude d'aller jouer dans les rues.

Dans le métro il se sentit étrangement ému. Il lui semblait que tout le monde le regardait, savait où il allait et ce qu'il allait faire. N'osant demander si la station de Piccadilly était encore loin il se collait le front contre la vitre pour lire les noms, aux arrêts.

En quittant le « tube » il retrouva le même petit vent froid, le même ciel terne, un peu plus gris encore. Était-ce le soir qui tombait ou la pluie qui menaçait? Déjà flambaient sur les murs de grandes enseignes lumineuses éblouissantes.

« Piccadilly, pensa-t-il, je suis à Piccadilly. »En bon petit Anglais fier de tout ce qui est anglais, il

n'ignorait pas qu'il se trouvait au centre même de la capitale de l'Empire britannique. La place lui parut immense, magnifique, avec sa statue au milieu.

« Puisque mon père travaille dans un aussi beau quartier, se dit-il encore, il ne peut pas être un mendiant. »

Alors il se mit à sa recherche. Trop de rues aboutissaient au large rond-point, il y avait de quoi se perdre. Et que de monde ! Il levait la tête très haut pour essayer de reconnaître le fameux chapeau haut de forme. Il avait l'impression d'être très loin de chez lui, d'avoir fait un grand voyage sous terre, cependant il ne se sentait pas perdu. Les passants étaient bien habillés, tout le monde avait l'air riche; à mi-voix il répétait, heureux, soulagé :

« Mon père est un artiste, un artiste.... »

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La place lui parut immense, magnifique.

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Il eût été bien en peine d'expliquer ce qu'il mettait exactement sous ce mot, mais il en devinait toute la noblesse. Son cœur d'enfant se gonflait d'aise. Il était fier d'être le fils d'Arthur Peacock. Ah ! si les garçons de Poplar étaient là !

La place était encore plus vaste qu'il ne l'avait découverte au sortir du « tube ». Il traversait des rues et des rues, respectant scrupuleusement les passages zébrés réservés aux piétons. De temps en temps il s'arrêtait au bord du trottoir, se hissait sur la pointe des pieds et promenait son regard à la ronde. Où donc était son père?

Cependant le temps s'assombrissait de plus en plus; une petite pluie fine, chassée par le vent, commençait de faire briller les pavés. Il releva le col de sa veste. Quand il eut bouclé le tour de la place, il s'inquiéta, mais ne se découragea pas. Le voyant ainsi, le cou tendu, le regard anxieux, des passants l'interpellèrent.

« Tu t'es perdu, demanda une dame, tu cherches tes parents?

— Oh! non, fit fièrement Peter, j'attends mon père qui travaille dans ce quartier. »

Et il recommença le tour de Piccadilly Circus. Chaque fois que, de loin, il reconnaissait le cylindre noir et brillant d'un haut-de-forme son cœur battait. L'après-midi déclinait vite et la pluie devenait plus serrée. Las de chercher sur le pourtour même de la place, Peter s'aventura dans les rues qui s'y jetaient. Il commençait de désespérer quand tout à coup il tressaillit. Là-bas... sur le trottoir!... Il prit son élan, puis, saisi d'une subite appréhension, freina sa course. Il fit un grand détour, traversa la rue et, du trottoir d'en face, regarda de tous ses yeux. Alors, brusquement, le cœur de Peter se serra. Une sorte de vertige emplit la tête de l'enfant. Un flot de larmes noya ses yeux.

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CHAPITRE III

LE PONEY-VOLANTL'HOMME au chapeau haut de forme est bien Arthur

Peacock son père. Abrité par la marquise d'un magasin, il se tient immobile devant le dessin qui s'étale à ses pieds et que la pluie délave. Une main enfoncée dans la poche de sa jaquette, de l'autre il tient quelque chose de brillant qu'il agite au passage des gens en répétant d'une voix éteinte :

« Épingles!... les bonnes épingles!... » II paraît las et triste, presque accablé. Peter se sent défaillir. Il a pourtant le courage de faire quelques pas pour ne pas être vu. Il a mal. Oh! oui, très mal. Les gamins de

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l'école ont donc dit vrai? Les dessins sur le trottoir rapportent-ils si peu que son père soit obligé de vendre des épingles comme le plus misérable mendiant? Le mot cruel des garçons de Poplar hurle à ses oreilles. « Mendiant!... ton père est un mendiant!... »

Transi, effondré, il attend et regarde. Devant chaque passant Arthur Peacock a le même mouvement du bras et répète inlassablement :

« Épingles!... les bonnes épingles!... »Par instants, Peter le voit jeter un regard vers son travail,

son pauvre et patient travail que les pieds des passants effacent sans pitié. La nuit se fait maintenant complète et la pluie n'a pas cessé. Trempé, les cheveux plaqués sur le front, Peter attend il ne saurait dire quoi. Par moments il souhaite que son père l'aperçoive. Alors il courra vers lui, se jettera dans ses bras. A d'autres, au contraire, il redoute d'être vu. Que faire? Son cœur se déchire. Non, il ne faut pas que son père sache qu'il l'a vu. Peter a découvert un secret; il ne trahira pas son père.

Enfin, au bout d'un moment, un moment qui paraît affreusement long à Peter, Arthur Peacock, regarde une dernière fois son dessin, fourre son paquet d'épingles dans sa poche, ramasse ses boîtes de craies et s'éloigne. Peter le suit des yeux aussi longtemps qu'il le peut. Alors il se précipite à travers la rue pour voir ce qui reste du dessin. Hélas! la pluie et les semelles l'ont ravagé. Malgré tout, Peter croit reconnaître des visages d'enfants, de trois enfants, le sien à lui Peter, et celui de ses deux frères... et ces trois visages, à cause des traînées de craie, ont l'air de pleurer. Peter se sent malheureux, très malheureux.

« Il nous aime bien, pourtant », murmure-t-il doucement.Il reste là un moment avant de se décider à rentrer. Il ne

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veut pas arriver en même temps que son père. Non, personne ne saura ce qu'il a vu, même pas Mummy, elle aurait trop de chagrin.

Le cœur lourd, il traverse la place. Les lumières vives qui tout à l'heure lui faisaient paraître la ville si belle sont devenues des épées de feu qui le menacent. Qu'est-il venu faire dans ce quartier?...

Dans le métro il voudrait rester longtemps, longtemps et ne jamais arriver. Il est très tard. A son chagrin s'ajoute la crainte d'être grondé. Que dira-t-il en rentrant? Il faudra mentir. Il aime si peu le mensonge. Oh! pouvoir repousser l'instant où il ouvrira la porte, où se posera sur lui le regard interrogateur de sa mère. Pourra-t-il, froidement, inventer une histoire?...

Pour le retarder, cet instant terrible, il quitte le « tube » deux ou trois stations avant la sienne. Il fera le reste du chemin à pied ; il aura le temps de réfléchir.

Il se trouve alors à Stepney, une place moins luxueuse, moins illuminée que celle de Piccadilly mais aussi animée. Sur les trottoirs se dressent les baraques d'une fête foraine de quartier : loteries, tirs, manèges. Il s'approche d'une loterie; la grande roue multicolore tourne lentement en cliquetant. Un homme bonimente en proposant des cartons numérotés. Il porte, comme son père, un chapeau haut de forme. Peter se sent honteux et s'éloigne.

Il ne pense plus du tout à rentrer. Plutôt si, il y pense, mais la peur, l'embarras sont plus forts. Il erre longtemps devant les baraques et, finalement s'arrête, sans savoir pourquoi, devant un antique manège de chevaux de bois. Ce manège a pour enseigne Au Poney Volant. Sur le fronton figurent de petits chevaux ailés qui semblent bondir vers le ciel, mais la peinture est écaillée et le ciel bleu a des

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accrocs. Le manège tourne presque à vide au son d'une sorte d'orgue de Barbarie que les haut-parleurs des boutiques voisines couvrent de leur voix acide.

Debout sur le manège, une sacoche de cuir fauve pendant jusque sur ses genoux, une fillette circule entre les chevaux cabrés, encaissant le prix de la tournée. Elle se déplace avec une aisance parfaite sur ce plateau mouvant. Par moments elle rejette en arrière, d'un joli mouvement de la tête, sa longue chevelure blonde qu'aucun ruban ne retient.

Sans savoir pourquoi, Peter la suit dans tous ses mouvements. L'argent ramassé, elle saute sur une monture, s'assied en amazone et se laisse emporter au son de la musique. Puis, tout à coup, elle saisit le sifflet pendu à son cou, lance un appel strident. Le manège ralentit et s'arrête.

La fillette se trouve juste en face de Peter.« Allons, un petit tour?... »Peter secoue la tête.« Je n'ai pas un penny. »La fillette sourit.« Ça ne fait rien, la journée est presque finie... et la fête

aussi. »Peter sourit à son tour pour remercier, mais ne se décide

pas. Un nouveau coup de sifflet et les chevaux repartent, montant et descendant le long des barres de cuivre torsadées. Peter reste là, incapable de s'en aller. Parfois, au passage, la fillette lui sourit d'un air de dire : « Vraiment, tu as tort de n'être pas monté. » 

Le temps passe; il est tard, très tard. Peter ne sait plus très bien ce qu'il fait là, ni même où il est. La ronde du manège lui donne le vertige. Et voilà que, tout à coup, non seulement les chevaux de bois, mais les baraques environnantes, le

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sol, tout se met à tourner. Il vacille, essaie de se cramponner à quelque chose; ses mains ne rencontrent que le vide. Il s'abat sur le sol que sa tête heurte durement.

... Quand il revient à lui, ses yeux cherchent en vain les chevaux du manège, ses oreilles n'entendent plus la musique.

« Où suis-je? »Un petit visage se penche sur lui.« Mon Dieu! tu as très mal?...— Où suis-je?— Dans la roulotte du manège. Tu t'es blessé en tombant.

Nous t'avons porté ici. Tu as une petite coupure au front; elle ne saigne déjà plus. »

Peter promène de grands yeux étonnés autour de lui. Il a peine à se croire dans une roulotte. La pièce est toute petite mais propre, reluisante et il y fait si tiède.

« Mon Dieu, s'écrie encore la fillette, pourquoi restais-tu ainsi planté devant le manège jusqu'à en avoir le vertige?

— Je ne sais pas.— Pourquoi avais-tu l'air si triste?— Et que faisais-tu dehors, si tard? » demande aussi une

voix de femme.Peter ne répond pas. Il pleure.« Où habites-tu, insiste la femme, il faut rentrer chez toi,

mon petit. »Peter secoue la tête.« Oh ! non, je n'ose pas. »La fillette le regarde longuement, puis, à voix basse :« Tu ne veux pas me dire ce que tu as? »Il lève les yeux vers elle. La voix de la fillette est douce,

son sourire très doux aussi.Il hésite. Comment dire son chagrin ; est-ce que

quelqu'un pourrait comprendre?

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Elle saute sur une monture, s'assied en amazone...

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« Raconte-moi, veux-tu? pourquoi n'oses-tu pas rentrer chez toi? »

Alors à voix basse, il se met à parler et la fillette l'écoute sans l'interrompre. Il raconte son aventure à Piccadilly, parle de son père, puis, honteux, se cache la tête dans les mains.

« Mon Dieu, soupire la fillette, c'est pour cela que tu as tant de peine? Les garçons de Poplar ne sont que des méchants. Comment t'appelles-tu?

— Peter... Peter Peacock.— Écoute, Peter, je connais les artistes, mon père en

était un. »Peter lève les yeux vers l'homme, assis au fond de la

roulotte.« Tu vois, reprend la fillette, il porte une jambe de bois.

C'était un clown acrobate, il faisait rire tous les enfants d'Angleterre. Et puis un jour il a eu un accident. Alors on a acheté ce vieux manège. Nous n'avons jamais été riches. Les artistes restent presque toujours pauvres; il ne faut pas avoir honte, n'est-ce pas, maman? »

Elle s'était retournée vers sa mère qui approuva. Peter sentit un immense soulagement l'envahir. Il oublia le spectacle de son père tendant la main pour vendre des épingles. Il existait donc dans le monde des gens qui pouvaient le comprendre ! Il se leva ; ses forces revenaient.

« Maintenant, il faut vite partir, rentrer chez toi, mon petit, répéta la femme.

— Si tu n'oses pas rentrer seul, moi je t'accompagnerai déclara vivement la fillette, je n'ai pas peur la nuit, dans les rues; j'ai l'habitude. Viens! »

Elle lui tendit la main. La place était maintenant presque déserte. Plus de musique, plus de guirlandes de lumières.

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Les boutiques avaient abaissé leurs auvents et les manèges sommeillaient sous leurs toiles.

Ils marchaient côte à côte en silence. De temps à autre, lorsqu'ils passaient sous une lampe, Peter levait les yeux vers sa petite compagne; il ne pleuvait plus. Malgré lui, Peter freinait la marche, ne sachant si c'était pour retarder le moment d'affronter son père et sa mère ou pour prolonger la douce sensation de tenir dans sa main une petite main amie. Ils ne disaient rien, mais leur silence était plein de confiance.

Quand ils pénétrèrent dans la rue des Tulipes et que, tout à coup, au deuxième étage d'une maison, Peter aperçut de la lumière, il tressaillit.

« N'aie pas peur, dit la fillette, je t'accompagnerai jusque chez toi, j'expliquerai que tu t'es fait mal en tombant dans la rue et que maman t'a soigné. On ne te grondera pas. »

Peter pressa la petite main un peu plus fort et murmura :« Tu es gentille... pourquoi es-tu si gentille?... »Confuse, la fillette ne répondit pas.

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CHAPITRE IV

SUR UN VIEUX JOURNAL...

TROP HEUREUX de retrouver Peter sain et sauf, ni Mary, ni Arthur Peacock ne songèrent à le gronder. Aussitôt au lit, Peter s'endormit... et aussitôt se mit à rêver. Des épingles, il voyait des quantités d'épingles, mais ce n'était pas son père qui les tenait. Une petite fille très blonde, montée sur une échelle, s'en servait pour accrocher sur les murs de Piccadilly Circus les dessins d'Arthur Peacock, des dessins étonnants, magnifiques, que les passants venaient en foule admirer. De temps à autre la fillette se retournait vers lui, Peter, et criait : « Qu'ils viennent, maintenant, les garçons de Poplar! »

Le lendemain il lui sembla que son grand chagrin de la

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veille avait disparu. Quand il vit son père passer la jaquette noire, enfoncer dignement le chapeau haut de forme, son cœur se serra à peine. Le monde était hostile, mais dans ce monde méchant existait tout de même un petit être qui comprenait.

Il n'eut aucune honte à retourner en classe ce matin-là. Il était prêt à affronter les moqueries de ses camarades. Il pénétra dans la cour, la tête haute et, comme par hasard, personne ne songea à le railler.

Mais que la classe lui parut donc longue ce jour-là!... Malgré des efforts prodigieux il ne pouvait s'y intéresser.

« Voyons, Peacock, demanda le maître, qu'avez-vous donc à vous fourrer constamment le doigt dans l'oreille? »

Ce qu'il avait dans l'oreille?... les airs de l'orgue de Barbarie du Poney-Volant qu'il n'arrivait pas à chasser. Quand enfin la dernière cloche sonna, il poussa un grand soupir et se précipita dans la rue. Non, il ne voulait pas encore une fois peiner sa mère. Il courrait vite sur la place de Stepney et reviendrait presque aussitôt... mais il aurait revu la petite fille. Le long des rues, il ne courait pas, il volait. Il arriva haletant sur la place. Tout à coup, il s'arrêta net, les jambes coupées. Presque tous les manèges et boutiques avaient disparu.

« Je me suis trompé », se dit-il.Hélas! il ne se trompait pas. La place, presque nue,

paraissait plus grande, mais c'était bien la même. Tout élan brisé, il erra entre les baraques à moitié démontées ou fermées qui restaient encore sur les trottoirs. Il reconnut l'emplacement du manège à la boîte aux lettres rouge qu'il avait vue la veille, tout près. Une grosse tache d'huile rappelait le moteur. Quelques papiers traînaient autour, ainsi qu'une cale de bois que les balayeurs londoniens n'avaient

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pas encore enlevée. Certainement le manège n'était pas parti depuis longtemps. Comme Peter paraissait chercher quelque chose, un bonhomme qui démontait sa baraque demanda :

« Qu'as-tu donc perdu?— Oh! rien.... » Puis, s'enhardissant :« II y avait bien un manège, hier, à cet endroit? Savez-

vous où il est parti? »L'homme eut un geste évasif.« II ne m'a pas chargé de le suivre.... Que lui voulais-tu?— Oh! rien », fit encore Peter.L'enfant ne s'en allait pas; l'homme, tout en décrochant

un panneau de bois, ajouta :« Mon petit bonhomme, à cette heure, ton manège doit

rouler vers la province. La saison est finie à Londres... surtout pour des bidets comme ceux-là. Ça n'amuse plus que les campagnards. Si tu y tiens tant que ça, tu le reverras peut-être à l'automne... s'il revient. »

Peter ne demanda plus rien et s'éloigna, le cœur lourd. Il fit le tour de la place, comme si, malgré tout, il espérait découvrir ailleurs les chevaux de bois, puis, sans même s'en apercevoir, il revint près de la borne rouge de la boîte aux lettres.

« C'est vrai, fit-il songeur, la petite fille l'a bien dit hier soir, la fête est finie. »

La tache d'huile le fascinait et, plus encore, la cale oubliée. Il attendit que le bonhomme de la baraque fût remonté dans sa roulotte puis, prestement, ainsi que l'aurait fait un voleur, ramassa la cale de bois qu'il enveloppa vivement dans un morceau de journal traînant sur le sol.

Comme s'il avait volé un trésor, il courut à perdre haleine,

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se croyant poursuivi par un policeman. Quand, enfin, il se jugea en sécurité, il s'accota à un mur, et déploya le papier pour contempler son souvenir. C'était un simple morceau de sapin taillé en biseau, mais, pour lui, il représentait bien autre chose. Jamais il ne s'en séparerait. Chaque fois qu'il aurait du chagrin il le regarderait, penserait que la main de la fillette avait sans doute manié cette cale.

L'ayant longuement regardée, il l'enveloppa de nouveau dans le papier et se hâta de rentrer chez lui.

« Mon Dieu! s'écria Mary Peacock en apercevant le paquet, que me rapportes-tu?... Je ne t'avais pourtant pas envoyé en commission! »

Peter rougit. Il était monté vite et n'avait pas eu le temps de réfléchir à ce qu'il dirait.

« Eh bien, Peter, pourquoi rougis-tu?... Qu'est-ce que c'est? »

Elle lui prit le paquet des mains, Peter n'osa protester. Mary regarda son fils en souriant :

« Oh! mon petit Peter, comme c'est gentil, tu as trouvé un morceau de bois et tu me l'apportes pour le brûler dans le poêle. Viens que je t'embrasse. »

Peter pâlit. Cette explication de sa mère était si inattendue qu'il resta bouche bée. Il eut une envie folle de reprendre son bien, mais qu'aurait-il dit?

« Embrasse-moi, mon petit Peter,... tiens, nous allons tout de suite mettre ce bois dans le feu qui est presque éteint. »

Peter sentit le fer se retourner dans la plaie. Il serra les mâchoires pour ne pas éclater en sanglots. Imprégnée de goudron et d'huile la cale se mit à pétiller dans le poêle. C'était le cœur de Peter qui se fendait et se consumait.

« Oh! pensa-t-il, si elle pouvait ne pas brûler jusqu'au bout ! »

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Quand tout le monde fut couché et endormi depuis longtemps il se releva sans bruit, revint dans la cuisine, souleva le couvercle du poêle encore chaud. Ses doigts fouillèrent avidement la cendre et ne rencontrèrent rien qu'un tout petit clou tordu par la chaleur et qui se trouvait peut-être enfoncé dans la cale. Il le retira avec précaution, souffla dessus pour chasser la cendre. Puisque le bois avait disparu, ce clou, il le conserverait précieusement. Dans le coffre, il prit le papier qui avait enveloppé son trésor et en déchira un bout. C'est alors que, tout à coup, sur une marge blanche de la feuille, il aperçut quelque chose écrit au crayon. Il lut ces mots:

« Peter, je penserai toujours à toi. »La feuille tremblant au bout de ses doigts il relut deux

fois, trois fois avant de croire ce qu'il voyait. Il relut encore, détaillant chaque mot, chaque syllabe. L'écriture était celle d'une enfant qui n'a pas l'habitude de manier le crayon. Il y avait même une faute à Peter écrit avec deux e. Mais pas une seconde le petit Peacock ne douta que c'était lui. Une larme, une larme énorme roula sur sa joue. Il plia soigneusement le papier, le serra au creux de sa main et, sans bruit, retourna se coucher.

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CHAPITRE V

LE PAQUET D'ÉPINGLES

DES SEMAINES, des mois passèrent. Peter espérait follement voir revenir manèges et boutiques .sur certaine place du quartier de Stepney. Avec l'automne ils revinrent en effet... mais pas le petit manège à l'enseigne du Poney-Volant.

Inlassablement, cependant, Peter vint rôder par-là presque chaque soir, espérant le découvrir. Christmas arriva et toujours pas de Poney-Volant dont la place était d'ailleurs prise par un marchand de sucreries. Qu'était devenue la petite fille?

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Partout, dans les faubourgs, l'hiver brumeux et froid ouvrait la porte à la misère et à la maladie, mais il n'arrêtait

pas Arthur Peacock qui continuait de couvrir les trottoirs de Piccadilly de ses dessins. Il conservait ou feignait de conserver son optimisme tandis que sa femme passait une partie de ses nuits à coudre des jouets sur des plaques de carton pour un magasin de Soho. Les enfants grandissaient. Peter avait presque dix ans, Jack bientôt sept et William commençait à babiller. Ils mangeaient davantage et il fallait plus d'étoffe pour les habiller,

A l'école, Peter travaillait de son mieux, mais quand, son devoir fini, il disposait d'un moment de liberté, il se mettait vite à dessiner sur son ardoise. Et sans cesse, sous son crayon, revenait le même dessin.

« Voyons, Peter, lui dit un jour le maître, est-ce une obsession?... Avez-vous juré de passer votre vie à dessiner des chevaux de bois? »

Une obsession? non; mais le besoin de se raccrocher à ses souvenirs pour ne pas être triste, et s'il avait juré quelque chose c'était de ne rien dire. A la maison, il ne se plaignait plus jamais du froid et il avait appris à faire taire son estomac quand il criait la faim. Plus jamais non plus il ne parlait de son père. Plus une question sur son métier, plus rien.

« Gomme tu es devenu raisonnable, remarquait parfois sa mère, un peu inquiète; pourquoi toi, si bavard autrefois deviens-tu silencieux comme les poissons de la Tamise?... »

Peter souriait doucement d'un sourire qui avait l'air de dire :

« Ne me demande rien d'autre, Mummy! »Des mois passèrent encore. Avec l'automne, Peter espéra

à nouveau revoir la petite fille du Poney-Volant. Le temps n'avait pas éteint son souvenir; au contraire, il l'avait embelli,

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magnifié. La petite fille était devenue un personnage merveilleux et jamais aucun manège n'avait fait tourner des

cavales aussi superbes. Il revint donc dans ce quartier de Stepney. Un jour, à force de chercher, il finit par apprendre quelque chose.

C'était un soir de novembre, une petite pluie fine tombait lentement, comme de la cendre, du ciel uniformément gris, une de ces petites pluies si fréquentes à Londres que personne n'y prête attention, mais qui vous traverse quand même. Une à une, boutiques et baraques étaient revenues se planter sur les trottoirs pour y passer l'hiver. Dans l'une d'elles, un gros Irlandais, les bras croisés sur la poitrine, attendait les amateurs devant les cartons et les pipes de son tir. L'homme avait une bonne tête. Peter s'approcha, s'enquit du manège de chevaux de bois.

« Vous savez bien, m'sieur, il s'appelle le Poney-Volant... un beau manège, avec de beaux chevaux qui ont de belles selles et des brides dorées. »

L'Irlandais sourit :« Le Poney-Volant, en effet, je me souviens... mais ce

n'est pas un beau manège comme tu dis; au contraire il était plutôt misérable et pas du tout « confortable ». — Où est-il?

— Ça, mon bonhomme, tu m'en demandes trop.... Au fait, si, je me souviens de l'avoir rencontré l'été dernier dans le Sussex.... Je crois qu'il n'avait pas l'intention de revenir à Londres.

— Ah! pas à Londres....— Que veux-tu, mon petit, ces manèges de rien du

tout ne distraient plus les gosses de Londres. Ici il faut du moderne, des manèges qui vous secouent les tripes. Il a dû remonter vers les pays pauvres, vers l'Ecosse.... Mais pourquoi

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t'intéresses-tu à lui? Si tu as de l'argent à dépenser, ne préfères-tu pas tirer sur ces pipes?... Justement, j'ai là un

excellent petit pistolet qui conviendrait parfaitement à ta main. »

Peter rougit et retourna sa poche vide. Il salua et s'éloigna.

En rentrant chez lui, il s'empressa de décrocher le calendrier et de regarder, au dos, la carte de l'Angleterre. L'Ecosse se trouvait tout en haut de la page, si loin de Londres, il soupira :

« Il est parti trop loin, il ne reviendra jamais. »Alors il devint un peu plus triste. Il n'eut plus le courage

de retourner sur la place de Stepney. D'ailleurs quelques jours après Christmas le temps jusqu'alors simplement brumeux et humide, devint très froid. Il neigea même à plusieurs reprises.

Malgré la saison inclémente, Peter voyait quand même son père partir chaque jour, comme d'habitude, le haut-de-forme bien droit sur la tête, l'air toujours noble, un carton sous le bras, le carton où il emportait les dessins exécutés le soir, à la maison, et qu'il essayait de vendre en même temps que ses épingles.

Une nuit, il fit si froid que, le matin, en s'éveillant, Peter découvrit des fleurs de glace sur les vitres.

« Arthur, déclara Mme Peacock, inutile de te préparer, il fait trop froid, tu n'iras pas à ton travail.

— Pourquoi? dit tranquillement Arthur, il ne pleut pas, les trottoirs sont secs... et ce soir les petits auront faim tout comme les autres jours. »

Elle eut beau insister, il partit quand même, sans relever le col de sa jaquette par souci de dignité.

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Le soir, on l'attendit longtemps, plus longtemps que d'habitude. Il tardait à rentrer. Dehors, il gelait à pierre fendre. Inquiète Mary ouvrit la fenêtre à plusieurs reprises pour essayer de l'apercevoir au tournant de la rue.

« Mon Dieu, soupirait-elle, s'il lui était arrivé quelque

chose?... »Peter, lui aussi, était anxieux. Tandis que ses deux

frères, insouciants, jouaient à quatre pattes sous la table, il vint s'asseoir près de sa mère pour la consoler. « Dad a peut-être fait de bonnes affaires », fit-il.

La mère sourit, incrédule, puis, se reprenant :« Oui, peut-être... probablement. »Un long moment s'écoula. Tout à coup, des freins d'auto

grincèrent en bas, dans la rue. Mme Peacock ouvrit vivement la fenêtre.

« Mon Dieu! une ambulance!... »Elle descend l'escalier en courant. Deux hommes

viennent à sa rencontre.« Madame Peacock?— C'est moi! Good Heavens! qu'est-il arrivé?— Votre mari s'est trouvé mal dans la rue. Il n'a pas

voulu qu'on le transporte à l'hôpital. »La pauvre femme n'ose s'avancer.« Mort?... il est mort? »Les deux hommes ouvrent les battants de la porte, à

l'arrière de l'ambulance. Arthur Peacock apparaît, étendu sur une civière, son chapeau haut de forme plein de boue posé à côté de lui. Mary se précipite, saisit la main qui pend, constate avec soulagement qu'elle n'est pas froide. Puis, se penchant sur la civière, elle appelle doucement :

« Arthur!... Arthur!... »

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Un faible sourire lui répond. Les deux hommes de l'ambulance ont beaucoup de mal, dans l'escalier étroit, à hisser la civière jusqu'au troisième étage. Ils déposent le malade sur le lit et replient aussitôt le brancard.

« Voilà, c'est quinze shillings. — Comment?— Quinze shillings, pour le transport....— Ah! bien. »Mary Peacock sort son porte-monnaie. Mon Dieu, y aura-

t-il assez? Ses doigts n'arrivent pas à saisir les pièces qui roulent à terre. Les deux hommes sortis, elle se précipite vers son mari et tombe à genoux près du lit en sanglotant tandis que Peter, immobile, très pâle, regarde fixement le visage défait de son père.

« Vite, Peter, va vite chercher le médecin, ne fais pas de bruit en sortant, il ne faut pas réveiller tes frères. »

Vingt minutes plus tard le docteur est là. .11 examine longuement le malade dont la voix dépasse à peine les lèvres tant la poitrine est prise. Le médecin hoche la tête.

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« C'est grave, murmure-t-il ; congestion, choc nerveux à la suite d'une chute. »

Puis, interrogeant Mary :« Que diable faisait-il donc dehors par un temps pareil?...

Quel est son métier? »Mary hésite un instant.« Mon mari est un pavement artist. »Le médecin fronce les sourcils. Peter surprend dans sa

petite moue une nuance de mépris.« Mon père est un artiste, un vrai artiste », reprend-il avec

assurance.Le docteur ne relève pas l'affirmation. Il se penche de

nouveau vers le malade, lui fait une piqûre, et reprend son chapeau en disant qu'il reviendra le lendemain.

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Le médecin parti, Peter refuse d'aller au lit. Il veut rester près de sa mère pour ne pas qu'elle pleure. Étendu dans son lit, une bouillotte aux pieds, Arthur Peacock essaie de sourire à défaut de pouvoir parler. A chaque inspiration ses lèvres se pincent et deviennent toutes blanches.

« Où souffres-tu? » répète Mary.Vers minuit le malade s'assoupit jet son visage se détend

un peu.« Puisque maintenant il dort, mon petit Peter, tu peux

aller te coucher.— Pas encore, Mummy, j'aime mieux te tenir compagnie,

je veux le veiller comme toi. »Il revient se planter au pied du lit, les deux mains crispées

sur la barre de fer et il ne cesse de regarder son père. Mary s'est assise tout près du malade, contre l'oreiller; durant un long moment elle écoute la respiration courte et sèche, puis, son mari endormi, elle se lève et se met silencieusement à remettre de l'ordre dans la pièce, s'arrêtant de temps

en temps pour détourner la tête et essuyer une larme. Avec un soin minutieux elle brosse le chapeau haut de forme maculé de boue, essuie le carton à dessin. Tout à coup elle aperçoit, dans un coin, un paquet ou plutôt une boîte de carton, déposée sans doute par les hommes de l'ambulance et qu'elle n'avait pas vue. Elle l'ouvre.

« Mon Dieu! un paquet d'épingles! qu'est-ce que cela veut dire? »

Levant les yeux vers Peter comme pour lui demander ce qu'il en pense, elle voit soudain l'enfant rougir et se troubler.

« Eh bien, Peter, qu'as-tu? Tu sais d'où vient ce paquet d'épingles? »

Elle s'approche, lui prend les mains.« Peter, explique-moi, ces épingles d'où viennent-elles? »

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Peter hésite. Puis, à voix basse :« Les épingles que papa vend à Piccadilly. »C'est au tour de la mère de détourner les yeux.« Des épingles, Peter... qui t'a dit?— Je l'ai vu, un jour. »La pauvre femme ne sait plus que penser, que dire. Elle

fait un grand effort pour ne pas éclater en sanglots. Puis, attirant Peter contre elle, elle le presse de questions. Alors le petit Peacock raconte comment, un jour, il est allé à Piccadilly, et comment, en secret, il a vu son père.

« Et tu ne m'avais jamais rien dit?— Je savais que tu aurais de la peine comme moi, je ne

voulais pas.— Ah! je comprends, mon petit Peter, je comprends

pourquoi tu ne me demandais plus jamais rien. Tu souffrais en silence et tu te taisais, mon pauvre Peter. »

Mais l'enfant se dégage et se redresse :« Mummy, fait-il, je crois quand même que papa est

un artiste. Les artistes sont toujours pauvres, je le sais. » Ils restent un long moment silencieux l'un près de l'autre.

Tout à coup, un léger bruit leur fait détourner la tête.Arthur Peacock vient de bouger. Un instant, ses yeux

s'entrouvrent. A voix basse il murmure :« Pardonnez-moi... je vous aime bien.... Je vous aimais

bien. »Et à nouveau il retombe dans sa torpeur.

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CHAPITRE VI

VERS LES HIGHLANDS

PLUS JAMAIS Arthur Peacock ne couvrirait de dessins les trottoirs de Piccadilly, plus jamais les passants ne l'entendraient répéter : « Les épingles! les bonnes épingles ! » Après dix jours de lente agonie il s'était éteint. Quelques instants avant de mourir il avait encore murmuré :

« Pardonnez-moi... la vie ne m'a pas donné le temps,... je vous aimais bien, pourtant.... »

Puis il s'était endormi pour toujours, un léger sourire auréolant ses lèvres, quelque chose comme un sourire d'espérance.

Mary Peacock avait beaucoup pleuré ce mari étrange,

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bon et insouciant, digne et misérable, mais les pauvres gens ne peuvent pas pleurer longtemps. Restaient les enfants. Plus d'argent. Heureusement, dans ces quartiers déshérités des grandes villes, on se donne volontiers la main. Tandis que Mary cherchait du travail, des voisins s'occupèrent des enfants. Elle finit par trouver un emploi dans une savonnerie de Poplar, mais que faire des petits? Une voisine se chargea provisoirement de William. Jack fut envoyé chez une cousine dans le « Chalk Country », le pays de la craie, pas très loin de Londres. Restait Peter, il avait onze ans passés; il était grand et solide. Mary aurait voulu le garder près d'elle, mais ce quartier de Poplar, plein de mauvais garçons, l'effrayait. Il aurait pu « mal tourner », comme elle disait. Puisqu’il aimait les arbres, les animaux, elle songea à la campagne. Un jour, à la savonnerie, une ouvrière à qui elle confiait

ses soucis proposa :«J'ai une sœur en Ecosse. Son mari possède des

troupeaux; je sais qu'il cherche souvent des bergers pour l'été.— En Ecosse, si loin, s'était écriée Mary, jamais il ne

voudra... et moi non plus. »A tout hasard l'ouvrière avait écrit. La réponse n'avait pas

tardé. On accepterait le jeune garçon. Il serait logé, nourri, irait à l'école l'hiver et passerait l'été sur les Hautes-Terres.

« Oh! non! fit encore Mary Peacock, c'est trop loin deLondres, jamais il ne voudra.... »Un soir, elle en parla pourtant à Peter et, contrairement à

ce qu'elle pensait, Peter accepta. Ce seul mot : Ecosse, venait de réveiller en lui le merveilleux souvenir qui y sommeillait. Il ignorait ce qu'étaient des montagnes, s'il saurait garder des troupeaux, mais là-bas il retrouverait peut-être le Poney-Volant.

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« Vraiment, Peter, tu n'as pas peur d'aller si loin?— Oh! non, Mummy, j'ai du chagrin de te quitter, mais

je n'ai pas peur. »Alors sa mère lui prépara ses affaires dans le sac de marin

de son père, un vieux sac de toile blanche devenue grise qui avait fait le tour du monde et où se lisaient encore les initiales d'Arthur Peacock.

Le jour du départ, Peter ouvrit le placard de la chambre et regarda longuement la jaquette noire et le chapeau haut de forme soigneusement conservés avec des boules de naphtaline. Puis il prit le carton de dessins et les regarda tous.

« Mummy, dit-il gravement, est-ce que je peux en emporter quelques-uns?

— Grands dieux! pour quoi faire?-— Je te promets d'en avoir bien soin. Je les regarderai

souvent. Ils sont très beaux, tu sais.... Peut-être qu'un jour?...— Que veux-tu dire, Peter?— Oh! rien, Mummy. »Mary Peacock soupira. Mon Dieu! est-ce que Peter, lui

aussi, voudrait dessiner, devenir un jour unpavement artist?Il devait partir seul, comme un homme, par un train de

nuit. Mary le conduisit à la gare. Ils traversèrent Londres en « bus » sur l'impériale, pour mieux voir. On était en mars ; un air doux, presque printanier flottait sur la ville. C'était l'heure vivante de la sortie des magasins, des ateliers et des bureaux. Peter regardait de tous ses yeux comme si ce fourmillement lui était inconnu. Soudain, comme le bus se rangeait le long d'un trottoir pour un arrêt, ils aperçurent un pavement artist planté devant un grand dessin à la craie. La mère et l'enfant se regardèrent. Leur cœur se serra. Pour cacher son émoi, Mary Peacock s'absorba dans la recherche

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de son billet au fond de son porte-monnaie. Jusqu'à la gare ils n'échangèrent plus un seul mot.

... On fait beaucoup de chemin dans un train, quand on dort. Lorsqu'il s'éveilla, Peter comprit qu'il était très loin de Londres. Ce n'était plus du tout le même pays : plus de grandes étendues labourées, plus de vergers. On aurait dit que, dans la nuit, des forces gigantesques avaient boursouflé le sol.

« Ces montagnes... est-ce que ce sont les Highlands? »demanda-t-il.Le clergyman à qui il s'était adressé sourit :« Pas encore, mon garçon, nous venons tout juste d'entrer

en Ecosse.— Mais alors, ces montagnes?...— De simples collines, les Highlands sont beaucoup plus

hauts... et plus pauvres aussi. Bientôt nous arriverons àGlasgow. »Glasgow, la plus grande ville d'Ecosse, parut à Peter très

sombre et très laide. Là, il devait changer de train. Oh ! cela ne l'effrayait pas de déambuler le long des quais, mais en quittant le train de Londres, c'était l'Angleterre, c'était Poplar, la rue des Tulipes qu'il quittait. Le dernier lien était rompu.

Le nouveau train était moins long, moins beau et plus lent que l'autre. Aussitôt après avoir quitté les rives de la Clyde, il commença de s'essouffler sur les pentes de plus en plus raides. Ponts, tunnels, viaducs se succédaient sans arrêt.

« C'est donc si loin, les Highlands », pensait Peter.Et pourtant il n'était pas encore arrivé. De peur de se

tromper, à chaque arrêt, il sortait de sa poche un petit papier sur lequel était écrit un nom : Forloch. C'était là qu'il devait descendre. Il n'y arriva qu'au milieu de l'après-midi. La

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Il vit un homme s'avancer vers lui.

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gare était toute petite, posée à flanc de colline au milieu des bruyères. En quittant le train bien chauffé, il trouva qu'il faisait très froid et grelotta. A Londres, la veille, c'était presque le printemps; ici, on sentait que l'hiver n'était pas fini.

Comme il cherchait, des yeux, parmi les gens qui attendaient sur le quai, il vit un homme s'avancer vers lui.

« Peter Peacock, sans doute?— Oui », fit timidement Peter.Il regarda l'homme qui était vieux. Il portait le kilt, cette

traditionnelle jupe à carreaux des Écossais, et des bottes d'un cuir presque rouge. Ses cheveux grisonnants encadraient un visage froid où brillaient deux yeux de charbon.

« Je suis venu t'attendre comme convenu, fait l'homme, où sont tes bagages? »

Impressionné et grelottant, Peter montre son sac.« Je n'ai que cela.— All right!... Sais-tu monter à cheval? » Peter se

demande s'il a bien entendu.« A cheval?... oh! non, monsieur.— Évidemment, à Londres on ne connaît que le « tube »

ou l'autobus.... Je veux dire, as-tu peur des chevaux?— J'aime les bêtes », fait Peter.La réponse semble satisfaire l'homme. Ils sortent de la

petite gare. Un cheval, attaché à une balustrade, attend, impatient et piaffant. En apercevant son maître, il pousse un petit hennissement de plaisir. Effrayé, mais n'en voulant rien laisser paraître, Peter hésite à s'approcher.

« Avance donc! Que diable, il ne va pas te manger! Tu monteras en croupe. Mets le pied dans cet étrier. »

Peter obéit, mais transi, fatigué par ce long voyage et par l'émotion, il chancelle et manque de tomber à la renverse.

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« Cramponne-toi donc, que diable! Ah! ces garçons des villes!... »

Installé sur la grosse croupe, serrant dans ses bras le sac de marin, Peter ne se sent rassuré qu'au moment où l'homme d'un saut léger, surprenant pour son âge, s'assied devant lui, sur la selle de cuir fauve.

Et le cheval part au petit trot. La route traverse d'abord des landes à l'herbe courte et grise que les souffles tièdes du printemps n'ont pas encore fait revivre. Les maisons, coiffées de hauts toits d'ardoise, sont rares.

« Comme ce pays est triste », pense Peter en frissonnant.Devant lui, l'homme qui sera désormais son maître se

tient raide et se tait. Bientôt le chemin s'engage dans la forêt, une forêt dénudée mais épaisse et sauvage. Où donc cet homme le conduit-il? La peur s'empare de Peter, il serre de toutes ses forces son sac contre lui.

Soudain, le vieil Écossais tire sur les rênes. Le cheval s'arrête net.

« Là-bas, regarde », dit l'homme, le doigt tendu.Peter se penche. Est-ce que des bandits viennent de

surgir? De l'autre côté du chemin, il aperçoit une troupe d'animaux qui s'enfuit. Il a eu le temps de reconnaître des daims, comme ceux qu'il a vus, une fois, à Londres, dans Hyde Park, mais ceux-ci ne songent pas à venir vous lécher le creux de la main; ils fuient éperdument devant les cavaliers.

La forêt est interminable. Le soir qui tombe la rend sombre, terrifiante; Peter croit s'enfoncer dans un abîme. Accablé par la peur, l'émotion, la fatigue, il ferme les yeux pour ne plus rien voir. Alors, à travers ses paupières closes, passent les mille visages de Londres, de Poplar, de la maison de la rue des Tulipes où il a été tout à la fois si heureux et si malheureux.

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Puis ses pensées se mettent à divaguer. Le cheval qui l'emporte n'est plus un vrai cheval. Il est assis sur la selle dorée d'un cheval de bois qui l'emporte loin, très loin, vers un pays où sourit une petite fille blonde.

Et la forêt s'allonge toujours devant le chemin rocailleux. Enfin on atteint l'orée. Du même petit geste sec que tout à l'heure, le vieil Écossais retient son cheval.

« Là-bas, sur la gauche, le Ben Nevis, le mont le plus élevé de toute la Grande-Bretagne. »

Personne ne répond. L'homme se retourne. La tête en avant, appuyée sur son sac de toile, Peter s'est endormi.

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CHAPITRE VII

L'ÉCOLE DE RING-WALL

GOOD MORNING, monsieur Mac Pickle!— Good morning, monsieur Smith.— Quel est ce jeune garçon que vous m'amenez,

monsieur Mac Pickle?— On me l'a envoyé pour garder les troupeaux, mais, en

attendant qu'on mette les bêtes sur les hautes pâtures, je vous l'envoie à l'école.

— D'où vient-il, il n'a pas l'air d'un garçon du pays?— De Londres.

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— Good Lord!... C'est à Londres maintenant qu'on va chercher les bergers?

— Que voulez-vous, nos Highlands se dépeuplent, les jeunes ne rêvent que de descendre à Edimbourg ou à Glasgow; on prend ce qu'on trouve. »

Le maître d'école jeta un coup d'œil vers le garçon qui se tenait à l'écart, au bout de la cour, tandis que les autres enfants, dans le coin opposé, détaillaient le nouveau venu d'un air méfiant.

« II a le regard vif, fit M. Smith, il paraît intelligent. »Le vieux Mac Pickle hocha la tête.« Je le crois surtout fantasque. Ces gamins des villes,

voyez-vous, on ne sait jamais ce qu'ils ont derrière la tête. Je vous le laisse, vous en ferez ce que vous pourrez. »

Le vieil Écossais salua et s'en alla. Seul, dans le coin de la cour, Peter se demanda ce qu'il devait faire. A Londres il se serait aussitôt mêlé aux autres et on ne lui aurait rien demandé. Ces petits Écossais à l'air méfiant l'intimidaient. A plusieurs reprises il les avait entendus chuchoter d'un air hostile : « Un Anglais, il paraît que c'est un Anglais. »

Depuis quatre jours qu'il se trouvait à Ring-Wall, ce village perdu dans la montagne sur les flancs du Ben Allow, à quinze cents pieds au-dessus de la mer, Peter s'était déjà rendu compte du mépris qu'éprouvent les Écossais des Highlands pour les Anglais. Tout était si différent, en effet, sur ces hautes terres : les maisons, le climat, les gens, le costume et même la langue, truffée de mots étranges aux rudes sonorités.

Quand la cloche sonna, une cloche minuscule, accrochée au-dessus de la porte de l'école, Peter se demanda s'il oserait s'avancer. Les enfants, une douzaine en tout, se rangèrent silencieusement selon leur taille; devant, le plus petit qui

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n'avait certainement pas plus de cinq ans, derrière, un grand gaillard en kilt qui en portait douze ou treize.

Sur un signe muet du maître, Peter s'avança. La classe

était petite, très basse de plafond, avec, au fond, un gros poêle en faïence d'Edimbourg dont le tuyau traversait toute la longueur. Au lieu de s'asseoir, les écoliers demeurèrent debout devant leurs pupitres. Peter était resté immobile, bras croisés, au milieu de l'allée. Le silence était impressionnant. On aurait entendu voler une mouche.

Alors le maître saisit, sur une étagère, un étrange instrument, fait d'une outre en peau de chèvre et d'un long pipeau. Peter reconnut un « bagpipe », la cornemuse des Écossais. Lentement, un air monta dans la salle basse, un air doux, fin comme une musique céleste. Tous les enfants, du plus petit au plus grand, se mirent à chanter :

Highlands, my sweet highlands.... (Hautes-Terres, mes douces Hautes-Terres)

Puis la classe commença. Alors, seulement, le maître désigna la place libre à côté du grand garçon eh kilt qui jeta un regard hostile vers Peter en s'écartant ostensiblement. Durant toute la matinée, le jeune Écossais, qui se nommait Walter, ne lui adressa pas un seul mot.

A midi, presque tous les enfants mangeaient à l'école, car ils habitaient loin du village, certains à trois ou quatre milles. Peter resta à l'écart, sous le préau, pour manger le poisson fumé et le pudding au seigle qu'on lui avait donnés. De temps à autre il levait les yeux vers la montagne où traînaient encore des bandes de neige. Il se sentit seul, effroyablement seul. Oh! pourquoi était-il venu si loin? Est-ce sur ces sauvages Hautes-Terres qu'il retrouverait le Poney-Volant?

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L'après-midi, la classe débuta encore par le même air de bagpipe, chanté lentement comme un hymne religieux.

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La classe commença

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Pas plus que le matin, Walter n'adressa la parole à Peter.Le soir, en remontant vers le manoir de Mac Pickle, le

petit Peacock s'arrêta plusieurs fois pour s'asseoir sur les grosses pierres grises qui bordaient le chemin. La tête dans les mains, il pleura silencieusement. Le lendemain il eut grande envie d'avouer qu'il ne voulait plus retourner à l'école, qu'il préférait faire n'importe quoi à la ferme, mais le regard sévère du vieil Écossais l'intimidait trop.

Pendant huit jours, huit jours qui furent pour lui un siècle, il demeura un étranger dans cette petite école des Highlands. On ne l'ennuyait pas, on ne le brutalisait pas; bien pire, on l'ignorait. Dans la cour, les jeux s'organisaient sans lui; il sentait bien qu'on ne voulait pas de lui. Si au moins, en classe, il avait été seul sur son banc, mais Walter à côté de lui restait toujours aussi étranger, aussi muet. Et cependant ce Walter n'avait pas l'air d'un méchant garçon; avec les autres il riait d'un bon rire franc.

« Pourtant, se répétait Peter, je ne lui ai rien fait. »Un soir, n'en pouvant plus de solitude, il décida de faire

ce que depuis plusieurs jours il méditait : écrire à sa mère, lui dire qu'il ne pouvait plus, malgré toute sa bonne volonté, rester dans ce pays. Cette lettre, il eut beaucoup de peine à l'écrire. Mummy aurait du chagrin en la recevant; il voulait la rendre aussi douce que possible, pour qu'elle ne s'affole pas. Il la refit trois fois. Quand, pour finir, il eut écrit : « Ton petit Peter qui t'aime », il la glissa dans une enveloppe et la mit dans sa poche.

Le lendemain il partit pour l'école comme d'habitude. Sa lettre, il la porterait à la poste du village, le soir, avant de remonter chez Mac Pickle. De temps en temps il fourrait furtivement la main dans sa poche pour la sentir. Il s'en trouvait presque ragaillardi, en tout cas moins malheureux.

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L'après-midi il resta comme les autres jours, dans un coin de la cour, à regarder les petits Écossais jouer à leur jeu préféré. Ce jeu, le bing-ball, consistait à envoyer une balle de tennis contre le mur de la cour, à la rattraper, la faire rebondir deux fois et la renvoyer à l'aide d'une sorte de planchette munie d'une poignée qu'ils appelaient une « batte ». Ils s'y montraient tous très habiles, même les plus petits.

Cet après-midi-là, la partie venait de débuter quand un des enfants, ayant buté du genou contre une pierre, abandonna le jeu en jetant sa batte. Que se passa-t-il alors dans la tête de Peter? La batte était tombée à ses pieds. Il se précipita dessus et prit la place du manquant. Il y eut un instant de stupeur parmi lés petits Écossais, mais personne, pas même le grand Walter, ne dit un mot, et la partie reprit. Alors, fougueusement, presque rageusement, comme pour se venger d'avoir si longtemps été tenu à l'écart, Peter se rua sur la balle, la lança de toutes ses forces, la rattrapa, la relança encore. Il était partout à la fois; on aurait dit qu'il volait. Chaque fois qu'il réussissait à reprendre une balle difficile, lancée par un adversaire, il jetait un rapide regard à la ronde d'un air de dire :

« Voyez de quoi un petit Anglais est capable ! » Dans ce jeu d'adresse et de force, chaque fois qu'un joueur commettait trois fautes il était éliminé. C'était la règle. Naturellement, les petits succombaient les premiers. Bientôt ne restèrent en présence que le grand Walter et Peter. Ce -fut le début d'un duel acharné : Anglais contre Écossais. Le combat prenait tout de suite une importance singulière. Redoublant d'ardeur, Peter lançait la balle de toutes ses forces, s'ingéniant à ce qu'elle fît des rebonds difficiles à reprendre. Walter manqua un rappel, mais lui-même en manqua deux. Les petits Écossais, d'apparence si calme,

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poussèrent des hurlements de joie. Mais la partie n'était pas finie. Peter raidit ses muscles, attaqua de nouveau. Walter manqua une deuxième balle. Ils étaient à égalité. Enfin, après cinq minutes de lutte farouche, Peter réussit un si beau coup que Walter, malgré toute son adresse, fut incapable de reprendre la balle. Peter avait gagné. Victorieux, il s'arrêta au milieu de la cour, essoufflé, pantelant, s'attendant à voir toute l'école fondre sur lui pour lui faire payer sa victoire. C'est alors que le grand Walter s'avança vers lui, mais, oh! surprise, la main du garçon était ouverte, tendue vers lui.

« Tu t'es bien défendu, fit-il, tu as mérité de gagner. » Peter se demanda s'il avait bien entendu. Il regarda un instant cette main tendue vers lui avant de donner la sienne. Puis il leva les yeux et vit que l'autre lui souriait.

« Maintenant, nous serons camarades, Peter, veux-tu? » Peter sourit à son tour. D'un seul coup, la petite école de Ring-Wall et les Highlands venaient de se transformer.

« Nous serons amis », reprit-il en secouant la main de Walter.

Et ce soir-là, en remontant vers le manoir de Mac Pickle, si Peter Peacock s'arrêta encore au bord du chemin, ce ne fut pas pour pleurer, mais pour déchirer et éparpiller au vent des Highlands, la lettre qui, à cette heure, aurait dû faire route vers Londres.

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CHAPITRE VIII

UN DESSIN SUR UNE ROULOTTE ROUGE

LE MANOIR du Creux-aux-Cerfs, demeure de Mac Pickle, ne ressemblait en rien aux fermes d'Angleterre. Les deux tourelles qui en flanquaient les ailes faisaient davantage songer à un château du Moyen Age. A l'intérieur, les pièces étaient vastes, la cuisine surtout. Partout, aux murs, des trophées de chasse : bois de cerfs, hures de sangliers. De chaque côté de la cheminée (une cheminée où aurait brûlé un tronc d'arbre entier) on pouvait admirer de jolies têtes de biches allongeant leurs fins museaux. C'est devant cette cheminée que, chaque soir, tous les gens de la maison, maîtres et domestiques, se réunissaient, après le repas, pour écouter les

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traditionnelles histoires de revenants. Car toutes les histoires qu'on dit, aux veillées, en Ecosse, parient de revenants. Et c'étaient le plus souvent des histoires à faire frémir d'horreur.

Quand il montait se coucher dans la grande pièce nue qu'on lui avait donnée dans une aile du bâtiment (une pièce aussi vaste que l'appartement de la rue des Tulipes tout entier), Peter en frissonnait encore, et il lui arrivait de se mettre à quatre pattes sur le plancher pour regarder sous son lit.

Heureusement la sombre impression s'effaçait vite; il pensait avec moins d'effroi à ce pays étrange qu'il avait d'abord trouvé si hostile, si fermé. Il y découvrait au contraire une poésie extraordinaire. Tout petit, à Londres, Peter Peacock transformait en jambes de géant les cheminées d'usine; sur ces Hautes-Terres, il muait les forêts en temples aux mille colonnes, comparait les lacs à des berceaux d'argent pour les nuages accourus de la mer, et reconnaissait dans le bruit des cascades d'incomparables harmonies.

Mais, chaque soir aussi, il se redemandait avec une angoisse plus aiguë si ce pays était bien celui où il retrouverait le Poney-Volant.

On était en avril, l'herbe verdissait sur la montagne, grignotant les dernières langues de neige. Un soir le vieux Mac Pickle vint trouver Peter et lui posa la main sur l'épaule.

« Demain, tu iras encore à l'école, mais ce sera le dernier jour. Les moutons vont partir; tu accompagneras Duncan sur le Ben Allow. Duncan est mon meilleur berger; il aura soin de toi. »

Là-dessus, il l'entraîna vers les étables pour montrer les bêtes et expliquer ce qu'il attendait de lui.

Le lendemain, Peter Peacock descendit donc à Ring-Wall pour la dernière fois. Après avoir tant de fois souhaité

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ne plus revoir la petite école, il se sentit soudain très triste.

« Qu'as-tu donc? lui demanda aussitôt Walter. Il t'est arrivé quelque chose en chemin?

— II m'est arrivé, Walter, que je pars demain pour la montagne.

— Déjà? »Durant toute la journée, l'un et l'autre furent tristes. Le

soir, à la sortie, Walter proposa.« Si tu veux, je ferai avec toi un bout de chemin. »Ils remontèrent ensemble le sentier caillouteux bordé de

grosses pierres. Arrivés à un endroit nommé le Bout du Monde, parce que, dans le lointain, on pouvait apercevoir la mer et l'île de Skye, ils s'assirent. Longtemps ils restèrent côte à côte, ne trouvant rien à se dire. Peter tenait son sac de marin dans lequel il mettait ses livres et son repas de midi.

« Tu as un sac bien curieux, fit Walter; on n'en voit pas de cette forme dans notre pays.

— C'est le sac de marin de mon père; il a fait le tour du monde. Regarde, on voit encore ses initiales : Arthur Peacock.»

Walter regarda les lettres à demi effacées. « Ton père était donc marin?

— Il a servi Sa Majesté dans la marine royale, mais il n'était pas marin; mon père était un artiste. »

Walter considéra curieusement son camarade.« Un artiste! » fit-il avec, dans le ton de la voix, une

pointe de surprise et d'admiration.« II dessinait de très belles choses. Tiens, regarde! »Il prit vivement dans son sac un rouleau de carton duquel

il sortit des dessins.

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« Il y a longtemps que je voulais te les montrer; je n'osais pas; pourtant ils sont très beaux, n'est-ce pas? »

Walter, qui dessinait mal, parut émerveillé. Il les détailla longuement, puis, se tournant vers Peter, l'air grave :

« Nous sommes devenus bons amis, Peter, pourtant tu ne m'avais encore jamais parlé de ton père... et tu ne m'as jamais dit non plus pourquoi tu es parti si loin de chez toi. »

Peter se tut un instant. Gauchement il essaya d'expliquer : « Les artistes sont rarement riches; mon père mort, je devais gagner un peu d'argent.

— Londres est une grande ville, il me semble que- là-bas tu aurais trouvé mieux qu'ici; le métier de berger est mal payé et on ne voit jamais d'Anglais quitter leur pays pour venir s'installer sur les Hautes-Terres. Tu connaissais Mac Pickle? »

Peter secoua la tête. Voyant son camarade se troubler, Walter n'insista pas. Tous deux se levèrent en même temps et

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ils continuèrent de marcher côte à côte en silence. Puis, brusquement, Peter s'arrêta, posa la main sur l'épaule du jeune

Écossais. « Walter, nous allons nous quitter pour longtemps...

peut-être pour toujours.... Pourquoi ne pas te dire.... »L'air bouleversé, la voix tremblante, il s'assit à nouveau

sur une pierre et Walter l'imita.« Écoute, Walter!... »A mi-voix, comme si les buissons et les bruyères

pouvaient entendre, il parla de son père, de la rue des Tulipes, de la misère qu'abritait la maison. Enfin, il raconta comment, un soir, sur une place de Stepney, il avait rencontré une petite fille qui l'avait soulagé de son immense chagrin. Et il fit de cette petite fille un portrait plein de chaleur et d'enthousiasme.

« Si tu l'avais vue, Walter, avec ses cheveux blonds qui flottaient derrière elle comme des fils de lumière... si tu avais entendu sa voix, plus douce qu'une flûte.... Je n'ai jamais su comment elle s'appelait; je suis sûr qu'elle porte un joli nom, un nom de fleur, Primerose, par exemple... oui, c'est cela, elle s'appelait sûrement Primerose. »

Mais, son exaltation aussitôt retombée, il ajouta :« Hélas ! je me demande si je la retrouverai un jour. Je ne

savais pas que les Highlands étaient si loin, si hauts ! »Walter qui avait écouté le long récit sans l'interrompre

hocha la tête.« Qui te fait croire qu'elle est venue sur les Highlands?demanda-t-il.— Un jour, un marchand m'a affirmé que la roulotte était

remontée vers l'Ecosse.— L'Ecosse est grande, Peter, et les montagnes la font

plus grande encore.

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— Cependant, l'été, dans les villages, il existe certainement des fêtes, comme partout, des fêtes avec des baraques et des manèges?

— Bien sûr, dans les vallées, au bord des lacs, mais

Ring-Wall est trop petit, trop haut perché.— Tu en as vu de ces fêtes, toi, Walter, tu y es descendu

quelquefois avec tes parents? »Walter baissa la tête et s'absorba à arracher des lambeaux

de lichen sur la roche où il était assis. Après un long soupir il se tourna vers son camarade.

« Mes parents n'étaient pas riches, je ne suis guère sorti de chez moi. Je n'ai jamais vu une grande ville, ni une fête... et puis j'ai longtemps été malade, quand j'étais petit. »

Peter soupira à son tour, comprenant que Walter qui paraissait si robuste, si assuré aujourd'hui, n'avait pas toujours été heureux. Ils se levèrent encore et repartirent silencieusement. Les sourcils froncés, Walter semblait réfléchir profondément. Tout à coup, il s'arrêta :

« Tu as dit que le manège s'appelait le Poney-Volant?— C'était écrit tout autour, sur la banderole, et des

dessins représentaient de petits chevaux ailés.— Des chevaux ailés », répéta Walter en se grattant la

tête. Soudain, le petit Écossais s'arrêta au milieu du chemin. Peter le regarda, surpris.

« Qu'y a-t-il, Walter, parle!— Ce manège, je suis presque certain de l'avoir vu. »

Peter sursauta. Saisissant la main de son camarade, ilreprit vivement, la voix tremblante : « Tu l'as vu?— Il y a deux étés de cela. J'étais descendu faire une

commission à Kinlod, à une dizaine de milles d'ici, là où passe la grande route qui file sur Inverness. Il faisait très chaud, je

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m'étais assis dans l'herbe au bord de la route. Une roulotte est passée qui en traînait une autre plus petite, je

me souviens bien maintenant, une roulotte rouge avec, sur le côté, dessiné en couleurs, un cheval avec des ailes.

— Oh! Walter, un cheval avec des ailes!... C'était lui... c'était le Poney-Volant.... »

Puis, réfléchissant :« Et sous le dessin, rien n'était écrit? »Walter hésita, gêné.« Tu sais, Peter, j'habite loin du village. On ne m'a pas

envoyé de bonne heure à l'école. Il y a deux ans, je ne savais pas encore très bien lire.

— Ça ne fait, rien Walter, c'était lui, je suis sûr maintenant que Primerose est en Ecosse. »

Sa joie éclatait. Mais elle retomba vite.« Elle est en Ecosse, reprit-il, et peut-être que cet été elle

repassera encore sur la route d'Inverness... mais moi je serai là-haut, sur la montagne. Je ne la retrouverai pas. »

Walter lui posa doucement la main sur l'épaule.« Peter, fit-il, puisque je reste à Ring-Wall, je t'aiderai. A

présent, je suis grand, on me laisse plus facilement sortir-Quand je pourrai, je descendrai au bord de la grand-route; si un jour j'apprends quelque chose je monterai te le dire. Je te le promets. »

Peter releva les yeux vers son camarade. L'émotion lui coupait la parole. Il ne trouvait aucun mot pour le remercier. Il lui saisit les deux mains, les secoua violemment et, malgré lui, il ne put retenir une larme....

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CHAPITRE IX

UN PETIT CHEVAL NOMMÉ DIKEY

"VOIS-TU, là-bas, cette grande lande, du Ben Fellow? c'est là que nous nous arrêterons. Les pentes y sont molles. Aucun ravin à plus de trois milles à la ronde, les moutons ne risqueront pas, comme sur le Ben Allow, de se rompre le cou sur les rochers. Tiens! on aperçoit déjà la cabane, elle n'est pas grande mais bien couverte, même par les nuits les plus froides il y fait bon. »

Peter écoutait à peine le vieux berger. Il était las. Ils s'étaient mis en route de grand matin avec le troupeau qu'il

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fallait sans cesse, à force de galopades, de lancées des chiens, ramener sur le bon chemin. C'était la troisième fois qu'ils

changeaient de pâture depuis le grand départ d'avril. A mesure que la saison avançait, ils montaient un peu plus haut pour trouver de l'herbe neuve.

« Ici, nous arrivons sur le toit des Highlands, comme on l'appelle, expliqua Duncan, nous sommes à trois mille pieds au-dessus de la mer. »

Il était tard, mais le jour s'acharnait à ne pas mourir. L'été, en Ecosse, il semble que la nuit ne viendra jamais, et le soleil n'est pas tombé depuis plus de deux heures derrière la montagne que déjà les premières lueurs de l'aube font pâlir le ciel.

Quelques instants plus tard ils arrivaient à la cabane. Peter se laissa choir à terre, laissant Dikey brouter à son aise parmi le troupeau. Dikey était un petit cheval des Shetland, à peine plus haut qu'un poney, mais vif et nerveux bien qu'il ne fût plus très jeune. En le lui donnant, le vieux Mac Pickle avait dit :

« Je te le confie, Peter, je sais que tu aimes les bêtes et que tu en auras soin. Si tu sais bien le prendre il sera docile comme un agneau. C'est une bête intelligente qui s'attachera

à toi. »Mac Pickle avait dit vrai. Qui aurait pensé quelques mois

plus tôt que Peter Peacock, enfant de Londres, deviendrait un véritable cavalier?...

Mais, ce soir-là, il se sentait trop las, trop découragé pour s'occuper de Dikey comme il le faisait d'ordinaire. Dès le campement organisé, le troupeau parqué, il s'étendit dans la cabane, enroulé dans ses couvertures.

« Allons, mon petit Peter, fit Duncan, pourquoi cet air morose à mesure que nous gagnons les hauteurs, tu t'ennuies

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donc sur la montagne... ou alors, c'est ma compagnie qui te déplaît?...

— J'aime la montagne, Duncan, et je ne m'ennuie pas

avec toi.— Si le métier te semble pénible, rassure-toi, c'est notre

dernière étape. Nous allons couler ici des jours tranquilles jusqu'aux premiers flocons de neige. A peine aurons-nous à garder le troupeau... et je connais encore assez d'histoires de revenants pour t'en conter une tous les soirs... et puis, toi qui aimes tant dessiner, tu auras le temps de crayonner. »

Peter sourit pour remercier le vieux Duncan qui vraiment se montrait un paternel compagnon plein d'attentions pour lui, mais quand, la chandelle éteinte, il se retrouva seul dans son coin, sa tête se remit à penser. Plus de deux mois déjà qu'il avait quitté Ring-Wall. Les premières semaines, il avait follement espéré voir arriver Walter. Waiter n'était pas venu. La roulotte du Poney-Volant n'était donc pas passée sur la grande route. Et maintenant le troupeau se trouvait trop éloigné de Ring-Wall, Waiter ne pourrait venir jusque-là.

Cette nuit, sur son lit de bruyère sèche, il pensa longuement à Walter, à la roulotte, à Londres, comme à des êtres, des choses et des lieux perdus dans un monde lointain, perdus dans ses souvenirs.

... Une semaine passa, aussi paisible que l'avait annoncé Duncan, mais cette tranquillité profonde des hauteurs emplissait Peter d'un malaise grandissant. Il aurait préféré être obligé de courir sur les landes du matin au soir pour occuper son esprit anxieux. Un soir, le voyant plus sombre que d'habitude, Duncan s'approcha de lui.

« Écoute, Peter, je plaisante souvent sur notre belle liberté de bergers, je comprends tout de même que pour un garçon comme toi, qui vient de Londres, notre vie ne soit pas

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toujours très gaie. N'as-tu pas envie de prendre l'air de la vallée? Les bêtes sont au large, les chiens bien dressés,

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à moi seul je peux faire la besogne.... Si tu veux descendre, Mac Pickle n'en saura rien... et quand il saurait, il ne te le reprocherait pas.... D'ailleurs, je le prends sous mon bonnet. Qu'en dis-tu? »

Peter sourit d'un sourire triste.« Tu es bon pour moi, Duncan, mais je ne veux pas te

laisser seul. C'est la règle, je la connais, les bergers doivent rester ensemble. »

Duncan haussa doucement les épaules.« Bien sûr, c'est la règle de la montagne, mais que

risquons-nous ici? As-tu peur que je m'ennuie tout seul?

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La solitude et moi faisons bon ménage, ce que je te propose c'est de bon cœur. »

Peter ne répondit pas, mais, cette nuit-là, la proposition du berger lui fit faire un rêve étrange. Il traversait des forêts interminables, suivait des routes sans fin à la poursuite d'un autre cheval qui galopait devant lui, emportant sur son dos une petite cavalière dont la longue chevelure flottait dans le vent.

Le lendemain, au réveil, la cabane lui parut toute différente, plus grande, plus tiède et, par la porte de bois, la lande semblait plus verte, le ciel moins gris. Il se leva et déclara au berger :

« Tu sais, Duncan, ce que tu m'as dit hier soir, eh bien,... j'accepte. »

Alors il alla détacher son cheval et lui jeta la selle sur le dos. Tout heureux de voir son jeune compagnon sourire, le brave Duncan emplit lui-même de provisions les fontes de la selle.

« Tu en mets trop, Duncan, je ne pars pas pour une lune, ce soir je serai de retour.

— Bien sûr, mais la prudence est une vertu du berger.

N'oublie pas que rien n'est plus traître que la forêt. Il est si facile de s'y perdre. »

Peter Peacock mit le pied à l'étrier et partit au trot. Le soleil ne brillait pas, mais il laissait tomber sur les vastes pelouses une lumière tamisée, très douce et cependant intensément lumineuse. Peter se sentait le cœur léger. Jamais il n'avait été aussi heureux de monter un vrai cheval piaffant.

« Allons, Dikey, plus vite! »Heureux lui aussi de cette escapade, Dikey trottait dans le

vent léger des hauteurs, les naseaux grands ouverts. Il ne savait pas où son petit maître le conduisait; il devinait que

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c'était pour une grande aventure. Le sentier descendait lentement à travers les pâtures semées de trous et de bosses que Dikey savait éviter en bon cheval des Shetland.

Au bas des immenses prairies commençait la forêt, une forêt épaisse et odorante comme les terres d'Ecosse en possèdent tant. Traverser une forêt, à cheval, n'est pas sans danger. Pour un cavalier rien de plus sournois qu'une branche basse qui vous fouette le visage ou même vous désarçonne. Mais Dikey semblait connaître ce danger. Chaque fois que les arbres enserraient un peu trop le chemin il se mettait de lui-même au pas. Par contre, débouchait-il dans une clairière, qu'il partait au galop, comme une flèche.

« Le Poney-Volant, pensait Peter avec ravissement, je suis sur le Poney-Volant. »

La forêt était interminable, peuplée de daims et de cerfs qui bondissaient à leur passage. C'était merveilleux. Mais la pente, tout d'abord assez douce, s'accentuait progressivement en même temps que l'air s'adoucissait et que les senteurs sylvestres prenaient plus de force.

« Nous sommes déjà très bas », se dit Peter. Il disait « nous », car pour lui Dikey était un véritable

compagnon de voyage. Enfin, ils atteignirent les derniers arbres. Peter demeura ébloui comme lorsque le rideau d'un théâtre s'ouvre sur un décor de féerie. Au fond d'une vallée d'un vert sombre et velouté un lac miroitait sous le soleil sorti de ses écharpes de nuages. Ce lac, ou plutôt ce loch comme on dit en Ecosse, semblait tout exprès posé là pour baigner le bourg bâti à son extrémité.

En proie à une violente émotion, Peter avait arrêté sa monture. De tous ses yeux il contemplait la vallée. De part et d'autre de la petite ville courait une route qui paraissait large et

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où circulaient de nombreuses voitures. N'était-ce pas sur une route semblable qu'un jour Walter avait vu passer la roulotte de Primerose? N'était-ce pas pour cela que lui-même avait quitté ses hautes pâtures?...

Un bref appel de la langue, une légère pression des jambes sur les flancs et Dikey se remet en route.

Une demi-heure plus tard, Peter arrive au bord du loch, devant les premières maisons du bourg qui porte le nom de Killaden. Les rues sont étroites, les maisons vieilles et basses. Sur le pas des portes, des gens bavardent et regardent avec une certaine curiosité ce jeune cavalier enveloppé dans le long plaid à carreaux verts et jaunes que les tisserands de Kilmalcolm trament spécialement pour les bergers. Peter se soucie peu de l'effet qu'il produit. A peine entré dans la ville il remarque, pendant des fenêtres, des débris de banderoles, de guirlandes de verdure. Son cœur se met à battre. Certainement une fête vient d'avoir lieu dans cette petite ville.

Il suit la grande rue jusqu'à l'endroit où elle s'élargit en un vaste common, une place gazonnée comme en entretiennent presque tous les villages d'Angleterre. Là aussi, des traces

de fête. L'herbe foulée, piétinée n'a pas encore eu le temps de se redresser. Dans un coin un groupe de gamins jouent au hockey avec de simples bâtons. Il descend de cheval et les interpelle.

« N'y a-t-il pas eu une fête, ici, ces jours derniers? » Les enfants, un peu impressionnés par ce cavalier, s'arrêtent de jouer.

« Bien sûr! avant-hier il y a eu la fête du loch comme tous les ans au mois de juillet.

— Y avait-il des manèges?

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— Certainement, des manèges... mais seulement pour ceux qui n'ont pas de vrais chevaux. »

La réponse ironique agace Peter. Tirant Dikey par la bride il s'éloigne, traverse la place et s'adresse à une vieille

femme qui, manches retroussées comme un homme, tond sa pelouse devant sa porte.

« Un manège appelé le Poney-Volant?... non, mon garçon, fait la vieille, s'il était venu je l'aurais vu, je suis bien placée pour ça juste en face du common... mais je me souviens de lui. Il est venu une seule fois à Killaden, il y a deux ou trois ans de ça.... Il s'était installé là, juste devant ma porte. Il y avait même une fillette qui venait chaque matin chercher de l'eau à mon puits.... »

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Peter a écouté la vieille femme sans l'interrompre, essayant de cacher son émotion. D'une voix qu'il voudrait assurée il demande :

« Et vous n'avez plus jamais revu ce manège?... La petite fille ne vous a-t-elle pas dit où elle allait?

— La pauvre enfant! le savait-elle? C'était un bien minable manège, qui ne faisait guère ses affaires. Qui sait ce qu'il est devenu?... »

Peter ne répond pas. Il remercie la femme qui s'est remise à tondre son gazon, remonte en selle et refait d'un bout à l'autre la longue rue de Killaden.

« Primerose n'est pas revenue ici, songe-t-il, mais on l'a peut-être vue dans une autre ville des environs, pour une fête.»

Apercevant un cantonnier qui débouche un égout, il s'arrête et le questionne.

« Dans le voisinage, fait l'homme, certainement il y aura encore des fêtes : la semaine prochaine, à Barlochen, se tiendra la grande assemblée des bagpipers, on y vient de tous les Highlands.

— Est-ce loin?— Sur la route d'Inverness, à quinze milles d'ici. » Peter

remercie et s'éloigne. Quinze milles!... Non, la

LA PROMESSE DE PRIMEROSE

distance est beaucoup trop grande,... et puis, si des manèges doivent venir à cette fête, ils ne sont pas encore installés. Mieux vaut tout de suite remonter près de Duncan. Le vieux berger le laissera bien redescendre une autre fois; oui, c'est ça, il redescendra dans quelques jours.

Cet espoir le console de sa déception. Au moins est-il sûr à présent que Walter ne s'est pas trompé. Le Poney-Volant est bien en Ecosse, sa roulotte abrite toujours la petite fille blonde aux cheveux de lumière.

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« Allons, Dikey, au trot; il est tard, remontons vers le « toit des highlands » nous reviendrons bientôt.... »

Et il ajoute, comme si le cheval pouvait comprendre, « Nous retrouverons ensemble le Poney-Volant!... »

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CHAPITRE X

LE CHATEAU DU BROUILLARD

TOUT à sa joie de descendre vers la vallée, Peter ne s'était pas rendu compte du chemin parcouru sur le dos de Dikey. Ce chemin il fallait le refaire maintenant dans l'autre sens, c'est-à-dire en montant. Et il était plus tard encore qu'il ne le supposait. « Allons, Dikey, plus vite. »

Le chemin grimpait, raide et tourmenté. Malgré sa bonne volonté, Dikey ne pouvait soutenir son allure. Il se remit au pas. Au bout d'un moment il fit comprendre à son maître qu'il n'avait rien mangé depuis le matin et qu'un petit cheval, même de bonne volonté, ne vaut rien, le ventre

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creux. Peter hésita à s'arrêter. Le soleil déclinait au-dessus du loch. Ils devaient traverser la forêt avant la nuit. Cependant il mit pied à terre et laissa Dikey tondre l'herbe épaisse au bord du sentier. Pendant ce temps, Peter s'assit sur un talus. Une dernière fois, il regarda la vallée où courait la route blanche, la route suivie un jour par le Poney-Volant.

« Je reviendrai, murmura-t-il encore, je reviendrai! »Les deux compagnons se remirent en route, au pas, car

vraiment la pente se raidissait trop. A plusieurs reprises Dikey, de lui-même, essaya quelques temps de trot, mais il s'essoufflait vite. Malgré son inquiétude, Peter n'osait le pousser. A chaque instant il regardait la hauteur du soleil qu'auréolaient de petits nuages blancs. Tout à coup, Dikey venait une nouvelle fois de reprendre le trot, quand il s'arrêta brusquement, secouant l'encolure comme si quelque chose le gênait. Peter mit pied à terre, examina l'animal.

« Qu'y a-t-il, Dikey, un taon qui t'a piqué? »Mais en le tirant par la bride il constata que la bête

boitait, hésitant à poser le sabot avant-droit sur le sol.« Ta patte, Dikey! »Peter constata qu'une pierre aux angles vifs s'était

incrustée dans la corne juste au milieu du fer. Tous ses efforts pour l'arracher furent vains et il n'osa prendre son couteau de crainte de blesser davantage sa monture. Que faire?... Grimpant sur un monticule, il découvrit, à un demi-mille de là, enfouie dans la verdure, une petite ferme. Il y conduisit Dikey qui boitait de plus en plus bas.

« Ces chevaux des Shetland, expliqua le fermier ont le sabot trop étroit et la corne trop tendre; c'est un accident qui leur arrive souvent. »

L'homme eut beaucoup de peine à extraire la pierre avec une tige de fer. L'opération terminée, il se tourna vers Peter.

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« Où vas-tu donc ainsi, mon garçon; à ton accent je vois que tu n'es pas du pays.

— Je suis berger, je remonte vers le Ben Fellow où se trouve mon troupeau.

— Le Ben Fellow?... à cette heure? tu n'auras pas le temps de traverser la forêt du Bois-Noir avant la nuit.

— Je connais le chemin, je l'ai fait ce matin.— Une forêt est une forêt. Personne ne peut jurer qu'il ne

se perdra pas dans la forêt qu'il connaît le mieux. Crois-moi, mon garçon, ne te mets pas en route si tard. Passe la nuit ici, tu trouveras du foin et de la paille pour toi et ta monture. »

Peter hésita. Sans doute le fermier avait-il raison. Mais, là-haut, Duncan l'attendait. S'il ne rentrait que le lendemain,

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le vieux berger lui permettrait-il de redescendre une autre fois dans la vallée?

Il remercia l'homme et remonta sur le dos de Dikey qui, soulagé, repartit d'un bon pas. La nuit commençait à tomber quand ils atteignirent la forêt. Sans hésiter, comptant sur le long crépuscule des soirs d'Ecosse, Peter s'engagea sous bois, penché sur l'encolure de sa monture pour éviter les mauvaises branches et mieux reconnaître sa route. Mais la masse épaisse des feuillages que le soleil trop oblique ne pénétrait plus rendait la forêt de plus en plus sombre. A plusieurs reprises, des branches qu'il ne distinguait pas faillirent le désarçonner. Le sentier lui-même était à peine visible. Heureusement, l'intelligent Dikey semblait le reconnaître.

« Nous ferions mieux de nous arrêter », pensa Peter.Pourtant, pendant une heure encore, il continua de

s'enfoncer dans l'interminable forêt, espérant voir enfin les arbres s'écarter sur un large ciel étoile.

Tout à coup, comme ils traversaient un passage particulièrement sombre, Dikey s'arrêta, la tête relevée. Se dressant sur ses étriers, Peter chercha à voir ce qui avait bien pu effaroucher sa monture. Il aperçut alors, juste en face, à travers les branches, quelque chose qui ressemblait à une longue tache blanche, avec, au milieu, des traînées de feu. Il se mit à trembler, mais, courageusement, descendit de cheval et, après avoir encore cherché à comprendre ce qu'il y avait là-bas, tira Dikey par la bride. La longue tache claire était un lac, un lac minuscule enchâssé dans la forêt, et les traînées de feu, les reflets dé la lune.

A sa peur succéda l'angoisse.« Un lac, fit-il, ce matin nous n'avons pas rencontré de

lac. Nous nous sommes perdus. »La mort dans l'âme, effrayé par le bruit du vent dans les

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branches, il pensa qu'ils devraient attendre là la pointe du jour pour reprendre leur chemin. Il attacha Dikey et s'accota, accroupi au pied d'un arbre, enveloppé dans son plaid.

Une heure, deux heures passèrent. La nuit ne finirait-elle jamais? Au ululement du vent se mêlaient les mille bruits nocturnes de la forêt, frôlements, froissements, petits cris de bêtes surprises au gîte. La peur qu'il cherchait de toutes ses forces à écarter revenait aussitôt avec le moindre craquement de branche. Il pensa aux revenants, aux histoires terrifiantes entendues au manoir de Mac Pickle. Derrière chaque tronc d'arbre, il s'attendait à voir surgir des fantômes. Heureusement la présence de Dikey le rassurait un peu. Il lui semblait que son brave petit cheval était capable de le protéger des dangers de la nuit.

Plusieurs fois, afin de tromper sa peur, il s'approcha du lac pour voir si la nuit pâlissait. Enfin, une lueur verdâtre

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s'étendit dans le ciel, en même temps que l'air fraîchit. C'était l'aube. Apaisé, il attendit encore, puis détacha son cheval. Reposé de sa longue course de la veille, Dikey semblait tout heureux de repartir. Mais quelle direction suivre? Comment se reconnaître dans cet enchevêtrement de troncs moussus, de feuillages compacts, de sentiers mêlés?

Dans le jour qui grandissait lentement, Peter finit par relever, sur le sol humide, les empreintes des fers de Dikey.

Le plus sûr moyen de retrouver la bonne route est de refaire le chemin parcouru, en suivant ces traces. Mais que de temps perdu ! Le jour est encore si faible que, par peur de perdre de vue les empreintes, il marche à pied. Il parcourt ainsi trois ou quatre milles, davantage peut-être, sans retrouver l'endroit où il a pris la mauvaise piste. Son inquiétude grandissant, il s'arrête, examine de plus près les marques et constate avec stupeur qu'elles ne correspondent pas aux sabots de Dikey. Un autre cavalier est passé par là; ce sont ses traces qu'il suit.

Désespéré, il se laisse tomber sur une souche et, la tête dans les mains, réfléchit longuement.

« Tant pis, se dit-il, nous perdrons du temps mais le seul moyen est de redescendre jusqu'à la lisière de la forêt. Alors, nous finirons bien par retrouver le bon sentier. »

Hélas! la chance n'est pas avec Peter. La forêt s'acharne à le perdre davantage. Au bout d'une demi-heure l'air s'assombrit de nouveau, exactement comme si la nuit revenait. Levant les yeux, il aperçoit des lambeaux de brumes se déchiquetant aux branches.

« Le brouillard, nous sommes perdus ! » Peter Peacock connaît le brouillard de Londres depuis longtemps, la fameuse « purée de pois » comme on l'appelle là-bas; mais il a appris à connaître aussi le brouillard de

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montagne qui souvent, même au cœur de l'été, noie les Highlands dans son épais coton gris.

« Dikey, aide-moi, il faut que nous sortions de cette forêt.»

La brume est si épaisse qu'on ne distingue rien à dix pieds devant soi. Il faut aller au pas, et avec précaution. La forêt devient un décor fantastique, hallucinant. On la dirait peuplée de fantômes. Dikey lui-même ne semble pas rassuré; par instants il hésite, secoue sa crinière comme s'il pressentait un danger. Le sentier descend, remonte, redescend encore pour regrimper ensuite. Où sont-ils, où vont-ils?... Est-ce que des loups ne vont pas surgir pour les attaquer? des loups... ou des revenants? En même temps que la peur, la faim commence à tirailler les entrailles de Peter, et les sacoches sont vides.

Enfin voici la sortie de la forêt, les derniers arbres-fantômes. Voici de nouveau la lande. Le brouillard demeure aussi compact mais il est moins sombre. Peter sent sa poitrine s'alléger d'un poids énorme.

« Allons, mon bon Dikey, encore un petit effort, nous allons bientôt retrouver Duncan! »

Sur la terre gazonnée où le brouillard sème des myriades de gouttelettes, le pas de Dikey retrouve son assurance. Cependant à mesure qu'il avance, Peter est envahi par une étrange impression. Les pentes de cette lande ne ressemblent pas à celles de l'autre. Ils auraient dû déjà traverser le petit ruisseau qui la coupait, rencontrer les rochers qui trouaient les pelouses de place en place.

« Le ruisseau doit être plus loin », essaie de se dire Peter. Plus ils avancent, plus le doute le tenaille.

« Allons, Dikey, du courage! »Le petit cheval des Shetland allonge le pas, mais lui aussi

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…Une forme blanche apparaît

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a le ventre creux. De temps à autre il allonge le col pour flairer la prairie mouillée. Alors, à bout de force, ivre de fatigue et d'angoisse, Peter se décide à faire une halte, espérant que, pendant ce temps, le brouillard finira par se déchirer. Tandis que Dikey se met à brouter, il fouille ses sacoches et grignote le dernier petit bout de pain de seigle qu'il y trouve. Grelottant dans son plaid mouillé par le brouillard, il s'assied sur une pierre.

« Dune an, où es-tu? comment te retrouver?... »La faim et le froid l'engourdissent peu à peu. Une

violente envie de dormir s'empare de lui. Il résiste de toutes ses forces. L'épuisement est plus fort. Ses paupières se ferment insensiblement pendant quelques instants, il s'assoupit.

Lorsqu'il rouvre les yeux, la brume s'est éclaircie. Elle a perdu son aspect uniforme et se traîne sur la lande en longues bandes grises. Tout à coup, à travers les flocons de brouillard, il vient d'apercevoir les tours d'un château. Non, il n'a pas rêvé, c'est bien un château. Il n'est pas à plus de trois cents pieds. Il distingue sa longue façade grise; mais ses volets sont tous fermés? N'est-il pas habité?

Espérant pourtant follement trouver là du secours il se lève. Titubant de fatigue, il s'approche lentement. Il n'en est plus qu'à cent pieds. Pourquoi ce château semble-t-il mort?...

Soudain, il pousse un cri. Près d'une des tours une fenêtre vient de s'ouvrir. Une forme blanche apparaît, avec deux trous noirs à la place des yeux.

« Au secours!... Au secours!... »Sa voix s'étrangle dans sa gorge. Il voudrait fuir; ses

jambes, paralysées par la frayeur, restent rivées au sol. Alors, les yeux démesurément ouverts, il regarde le fantôme. Un instant il croit avoir rêvé. Non, c'est bien un revenant. La forme blanche agite les bras, des bras qui portent des chaînes.

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Elle referme la fenêtre, mais pour apparaître aussitôt à une autre.

« Au secours! Au secours!... »Peter croit devenir fou de frayeur. Voici encore le

revenant à une autre ouverture. Les volets claquent, les chaînes grincent c'est affreux ! Maintenant c'est la porte qui s'ouvre. Le revenant s'avance vers lui, traînant ses chaînes.

« Au secours!... »Le sang de Peter se retire de ses veines en même temps

qu'une sueur froide ruisselle sur tout son corps. Il s'effondre dans l'herbe en sanglotant....

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CHAPITRE XI

LE REVENANT DE LA LANDE POURRIE

EN ROUVRANT les yeux, Peter constata avec un indicible effroi qu'il n'était plus sur la lande, mais dans une grande salle nue et sombre. Aucun meuble, aucun siège, rien que le lit de paille sur lequel il se trouvait étendu. Les yeux hagards, cherchant à comprendre ce qui lui était arrivé, il ne parvenait pas à rassembler ses souvenirs. Soudain, ils lui revinrent. La vision du fantôme chargé de chaînes passa devant ses yeux. « Le revenant!... »

Au même moment, une porte grinça sur ses gonds. Mort de frayeur, il se cacha la tête sous la couverture qu'une main inconnue avait étendue sur lui.

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« N'aie aucune frayeur, dit une voix, je t'ai relevé sur la lande et transporté ici, dans mon château. Tu es mon hôte; la loi de l'hospitalité est sacrée en Ecosse. Il ne t'arrivera rien sous ce toit. »

La voix se tut. Un long silence s'écoula.« N'aie aucune frayeur », répéta la voix.Enfin Peter découvrit son visage. La voix qui avait parlé

était celle d'un vieillard à longue chevelure et longue barbe, à peine mieux vêtu qu'un vagabond.

« Le revenant ! murmura Peter dans un souffle.— Ne pense pas aux revenants.... As-tu soif?... As-tu

faim? Tandis que tu reposais cette nuit, je t'ai apporté ce bol de lait de chèvre, bois, il te réconfortera. »

La voix de l'homme était cassée, enrouée, mais sans rudesse. Peter hésita à prendre le bol que' la main ridée lui tendait. Il eut beaucoup de peine à boire tant sa gorge demeurait serrée.

« Le revenant!... le revenant!... » murmura-t-il encore.L'homme se tenait toujours devant lui, ne cherchant pas à

le rassurer.« Dis-moi plutôt qui tu es, mon enfant, et d'où tu viens.

Qui t'a envoyé sur cette lande? Je reconnais que tu' n'es pas Écossais, tu as l'accent de Londres, des faubourgs de Londres, plutôt. »

Peter approuva de la tête.« Et d'où vient ce poney des Shetland qui t'a conduit

jusqu'ici, vient-il d'un cirque? »Peter leva vers l'homme un regard étonné.« En tout cas, reprit le vieillard, il est visible qu'il a été

dressé pour des exercices difficiles.... Je sais aussi que tu aimes le dessin. J'ai retiré de ta sacoche, afin de les préserver de l'humidité, des croquis tracés par une main d'enfant, sans

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doute la tienne.... Il y en avait d'ailleurs d'autres, plus savants, exécutés avec beaucoup d'adresse, que j'ai également mis à l'abri. Mais qu'est-ce que tout cela signifie? Que faisais-tu sur la lande devant ce château? »

En parlant, le vieillard s'était encore approché de Peter et le regardait de toute sa hauteur. Devant le visage défait de l'enfant, il reprit.

« Tu penses encore au revenant, n'est-ce pas?... Oublie-le. Allons, lève-toi, viens avec moi. »

La voix était impérative. Peter se leva. A peine debout, il vacilla sur ses jambes.

« Bien sûr, fit l'homme, depuis combien de temps n'as-tu pas mangé? »

Il le prit par le bras, l'aida à traverser un long corridor et l'introduisit dans une autre pièce où brûlait un grand feu de cheminée.

« Assieds-toi », fit-il, lui désignant un tabouret de bois. Tandis que l'homme se dirigeait vers un placard pour y prendre un morceau de pain de seigle et une écuelle pleine de fraises des bois, Peter sentit de nouveau sa frayeur l'étouffer. Il revit le revenant, entendit le sinistre bruit de chaînes. Non, il n'avait pas rêvé. Sa tête en devenait folle.

« Mange, dit le vieillard, j'ai cueilli ces fraises ce matin exprès pour toi, et ce pain de seigle n'est pas encore trop rassis. »

Peter dut se forcer pour manger et boire. Au bout d'un moment, il redemanda encore :

« Le revenant?... Je suis sûr, hier soir, d'avoir vu un revenant.

— Crois-tu ?— Je l'ai vu comme je vous vois devant moi. » L'homme

eut un petit sourire énigmatique.

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« Suis-moi, nous allons visiter le château et tu verras. »II l'entraîna hors de la pièce. Peter le suivit à travers

d'interminables corridors, à travers des pièces immenses, aussi nues, aussi vides les unes que les autres, où régnait une acre odeur d'humidité et de moisi.

« Tu vois, il n'y a rien ! »II n'y avait rien, mais ce vide était plus impressionnant

que si les pièces eussent été emplies de mobilier. Ils redescendirent dans la vaste cuisine tiède. Peter avait une grande envie de fuir. Le brouillard s'était presque complètement dissipé. Il regarda par la fenêtre. Le vieillard devina sa pensée.

« Ah! fit-il, tu voudrais te sauver. Où irais-tu? Regarde le ciel qui se 'brouille. Avant une heure, la brume aura de nouveau recouvert la lande et tu redeviendras son prisonnier.... Explique-moi plutôt ce que tu faisais devant le château.

— Je m'étais perdu.— Où allais-tu?— Je suis berger, je remontais de Killaden vers le Ben

Fellow où sont mes troupeaux.— Le Ben Fellow, dis-tu?— Est-ce loin d'ici?— A plus de vingt milles. Tu as pris le mauvais chemin

dans la forêt... mais qu'allais-tu faire à Killaden? D'ordinaire les bergers ne quittent pas leurs bêtes sur les pâtures.

— J'avais envie de voir la vallée; le vieux berger qui est avec moi me l'avait permis.

— Et comment as-tu découvert ce château?— Je m'étais arrêté sur cette lande inconnue, perdu dans

le brouillard, je ne savais pas qu'un château se trouvait là.— Est-ce bien vrai ce que tu racontes?

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Peter dût se forcer pour manger et boire.

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— Oh! protesta Peter avec véhémence, pourquoi serais-je venu sur cette lande, alors qu'on m'attend là-bas où je serai grondé? »

Le vieillard fronça les sourcils et regarda fixement Peter. Il soupira.

« Je te crois, fit-il, mais il est bien curieux qu'un petit Anglais de Londres vienne se perdre sur ces Hautes-Terres. »

Que lui voulait cet homme? Pourquoi le harcelait-il de questions? Il pensa qu'il valait mieux tout raconter.

«J'étais descendu dans la vallée pour retrouver un manège de chevaux de bois.

— Des chevaux de bois? »L'homme parut incrédule. Assis devant l'âtre, Peter

regarda sauter les flammes, puis, les yeux toujours fixés sur le feu, commença de conter son étrange aventure. -Comme à Walter, il parla de Londres, de la rue des Tulipes, de son père, du manège de la place de Stepney.

« C'est parce que j'étais trop malheureux que je suis venu si loin; et il faut maintenant que je retrouve le Poney-Volant. »

Quand, son récit achevé, il releva les yeux, il constata avec stupeur que les yeux du vieillard brillaient et que deux larmes perlaient sur sa barbe blanche.

« Pardonne-moi, murmura l'homme, oh! pardonne-moi! »Peter ne comprit pas ce qu'il voulait dire, ni pourquoi son

visage avait pris cette expression presque triste.« Pardonne-moi de t'avoir effrayé; j'aurais dû comprendre

que le hasard, seul, t'avait conduit sur cette lande perdue. Non, tes yeux ne t'ont pas trompé. Hier soir tu as bien vu un fantôme... ce fantôme c'était moi. »

Peter leva vers le vieillard des yeux horrifiés.« Ne tremble pas ainsi, reprit l'homme, tu m'as conté ton

histoire; si tu me promets de garder le secret, tu sauras la mienne. »

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Il s'arrêta, se passa la main sur le front comme pour chasser de sombres cauchemars, puis vint s'asseoir devant la cheminée à côté de Peter. Il y eut un long silence.

« L'homme qui est près de toi, commença le vieillard, a été autrefois riche et heureux. Il vivait comme tout le monde, mieux que tout le monde. Médecin de son état, il avait une famille, des enfants. Tout semblait lui sourire... et puis, un jour, il y a trente ans.... »

II passa encore la main sur son front et soupira.« Et puis un jour, la vie s'est vengée d'un seul coup de ce

qu'elle lui avait généreusement accordé. C'était au début de l'été. J'étais en mer avec ma femme et mes trois enfants sur le bateau que je venais d'acheter, nous partions pour une croisière sur les côtes de France. L'océan était calme, nous étions heureux... trop heureux. Comme nous doublions la Cornouailles, la tempête s'est levée. Le bateau s'est brisé contre un écueil. J'ai vu disparaître sous mes yeux tous ceux que j'aimais. Pour mon malheur, j'ai survécu, mais, depuis ce jour-là, le monde souriant est devenu un monde inhumain que j'ai voulu fuir. Rien ne m'intéressait plus. J'ai erré partout sans pouvoir me fixer nulle part. Un jour j'ai découvert ce vieux château perdu sur la lande. La solitude du lieu m'a plu. Avec le reste de ma fortune je l'ai acheté, décidé à finir là mes jours, comme un ermite, dans la pauvreté. Hélas! la lande n'était pas aussi perdue que je le croyais. Autrefois le fameux écrivain Walter Scott y avait fait un séjour et, l'été, des curieux venaient souvent rôder autour. Comment les écarter? C'est alors que me vint l'idée, pour préserver ma solitude, de jouer au revenant. Cela réussit. Depuis trente ans, le château de la Lande pourrie est un lieu hanté que l'on fuit en se signant. Pour rien au monde personne ne voudrait y entrer... et c'est ainsi que je me suis condamné, chaque fois qu'un être humain

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se hasarde sur la lande, à endosser mon suaire et à agiter mes chaînes. »

II s'arrêta, le visage très pâle. Peter comprit que le vieillard livrait son secret pour la première fois.

« Si tu doutes encore, reprit l'ermite, regarde ! »II se dirigea vers le fond de la pièce, ouvrit un placard. A

une patère pendaient un long capuchon de drap blanc et une énorme chaîne comme celle des ponts-levis du Moyen Age. Peter sourit; toute sa frayeur s'était enfuie.

« Pardonne-moi, fit encore l'ermite. Hier soir, en découvrant que tu n'étais qu'un enfant, j'ai éprouvé du remords. Faire souffrir un enfant est pour moi une chose odieuse. »

Ils restèrent un long moment sans parler, le regard tourné vers la cheminée. Tout à coup, levant les yeux vers la lande, Peter constata que la brume l'envahissait de nouveau.

« De toute façon, assura le vieillard, il était trop tard pour repartir. Tu aurais dû coucher en route et tu te serais perdu une nouvelle fois. Passe encore une nuit ici. Je connais la Lande pourrie; demain à l'aube la brume aura disparu.... »

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CHAPITRE XII

NOUVEAU MYSTÈRE

LA PERSPECTIVE de passer une nouvelle nuit dans ce château, qui, deux heures plus tôt, lui aurait paru intolérable, n'effraya point Peter. Sans la pensée que, là-bas, le vieux Duncan l'attendait avec une impatience anxieuse, elle lui aurait paru presque douce, tant les confidences de l'ermite l'avaient soulagé.

Il pensa alors à Dikey qui s'ennuyait dans l'écurie, et surtout devait être affamé.

« Hélas! dit l'ermite, je n'ai pas d'avoine à lui donner, mais tu peux le laisser paître sur la lande. Il n'ira pas loin, te sentant là. »

Ils sortirent pour aller jusqu'à l'écurie, dans une aile du

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château. C'était une écurie immense, faite pour une dizaine de chevaux, et sérieusement décrépie. Dikey accueillit son maître par un hennissement de plaisir. Retenu par un pressentiment, Peter hésita à le détacher, mais Dikey regardait dehors d'un air si implorant qu'il le laissa aller; le petit cheval sortit de l'écurie en caracolant comme un jeune poulain.

« Oui, fit l'ermite, je ne me trompe pas; il ne saute pas comme les autres chevaux; il a fait de la voltige, des exercices d'équilibre et de souplesse. Je connais les chevaux; c'était ma passion autrefois. Ce Mac Pickle ne t'a jamais dit, par hasard, d'où vient cette bête? Certainement il ne l'a pas eue toute jeune. Elle a d'ailleurs une bonne dizaine d'années.

— Mr. Mac Pickle ne m'a rien dit. »Après une série de bonds joyeux le petit cheval des

Shetland se mit à brouter tranquillement près du château.« Laissons la porte de l'écurie ouverte, déclara le

vieillard, quand il sera rassasié, il rentrera tout seul. »L'ermite et Peter revinrent dans le château. Il faisait bon

dans la grande pièce illuminée par les flammes. Non, vraiment, Peter n'avait plus peur. Cependant la soirée lui parut longue. A chaque instant il pensait à Duncan. Dehors la brume demeurait toujours aussi épaisse. Autour du château, le silence était total. On se serait cru dans un autre monde, un monde lointain, détaché du reste de la terre. Cependant, au bout d'un moment, Peter releva brusquement la tête.

« Vous avez entendu?— Non.— On dirait, au loin, le bruit de quelque chose qui

roule.» Le vieil ermite secoua la tête.« La lande n'est pas tout à fait aussi perdue que tu

l'imagines. En contre bas court un chemin qui va rejoindre la vallée. »

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Ce disant, il poussa la porte pour écouter.« C'est bien cela, une voiture qui passe au bas de la

Lande pourrie. »Ils revinrent se chauffer devant l'âtre; le vieillard et

l'enfant se mirent à parler de l'Angleterre, de Londres. Au bout d'un moment, voyant la nuit s'étendre sur la lande, Peter pensa à Dikey. Il se dirigea vers l'écurie dont la porte était restée grande ouverte. Dikey n'était pas rentré. Il s'avança sur la lande et, de toutes ses forces, appela :

« Dikey! Dikey! »Aucun hennissement, aucun bruit de galopade ne lui

répondit. D'ordinaire, sur les pâtures, Dikey n'allait jamais très loin; au moindre appel il arrivait comme un chien bien dressé. Peter revint en courant trouver l'ermite.

« Dikey n'est pas rentré!— Il s'est peut-être perdu dans le brouillard. Dès que le

temps se lèvera, il rentrera au galop. En tout cas, demain matin, tu le retrouveras à l'écurie. »

Pendant le reste de la soirée, Peter sortit plus de vingt fois pour l'appeler mais en vain. Enfin il se décida à se coucher, dans la grande salle où, la veille, l'ermite lui avait dressé un lit de fortune. Le sommeil tardait à venir. Bientôt le vent se mit à souffler, faisant grincer les girouettes, claquer les volets, ululer les cheminées. Il crut que non plus un, mais dix, vingt revenants l'assaillaient. Il se pelotonna sous sa couverture et se boucha les oreilles pour ne plus rien entendre.

Quand l'aube parut, une aube blafarde et glacée, il se précipita à la fenêtre. La lande, débarrassée de son manteau de brume, fuyait au loin, immense, déserte. Ses yeux en fouillèrent la vaste étendue, mais ne découvrirent point Dikey. Il descendit à l'écurie; toutes les stalles étaient vides. Son pressentiment ne l'avait point trompé. Il était arrivé quelque

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Le petit cheval sortit de l'écurie en caracolant.

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chose à Dikey. A son tour, cette fois, l'ermite se montra étonné. Cependant, il expliqua :

« Au bas de la lande se trouve une petite mare qui n'est jamais à sec; peut-être est-il allé y boire? »

Ils descendirent jusque-là. Sur le terrain boueux qui entourait la mare, Peter reconnut nettement la trace des sabots de Dikey. Il appela encore de toutes ses forces :

« Dikey!... Dikey!... »Rien ne lui répondit. Soudain il pensa au bruit entendu la

veille, sur la route.« Allons voir! »Sur le chemin détrempé par le brouillard, de nombreuses

traces de sabots restaient visibles et, parmi elles, Peter reconnut celles, plus étroites, de Dikey. L'ermite fronça les sourcils :

« Aurait-il suivi l'attelage qui est passé là?... »Ils marchèrent sur la route. Aucun doute, Dikey avait

suivi la voiture. L'inquiétude de Peter se changea en angoisse.« Il faut que je parte, que je le retrouve.— A pied, sur cette lande sans fin? Attends encore. Ton

cheval est une bête intelligente; il saura revenir seul.— Il faut que je parte », répéta Peter.Sa décision était prise, rien ne pourrait l'en détourner. Ils

remontèrent au château où l'ermite emplit la sacoche de toutes les provisions qu'il put trouver, sans oublier d'y remettre les précieux dessins.

« Mon pauvre enfant, fit-il, je regrette que mes vieilles jambes ne me permettent pas de t'accompagner. Je ne vais cesser de penser à toi et de m'inquiéter.... N'oublie pas que, si tu as besoin de moi, je serai là. Pour toi, ce château ne sera jamais hanté par les revenants. »

II embrassa Peter et, à grand regret, le regarda s'éloigner.Sa sacoche sur le dos, Peter redescend jusqu'à l'étroit

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chemin en suivant les empreintes. Nettoyé de ses brumes, le ciel apparaît comme un immense drap bleu tendu au-dessus de la lande. Le petit Anglais marche d'un bon pas. Où donc le conduiront les traces de son cheval? Vers quelle nouvelle aventure court-il?... Sa pensée vole sans cesse vers Duncan qui doit se ronger d'angoisse. Non, la distance qui le sépare du Ben Fellow est trop grande pour la faire à pied et surtout il ne peut reparaître devant Duncan sans son cheval. Il pense aussi à la colère de Mac Pickle quand celui-ci apprendra sa fugue.

« Il faut que je retrouve Dikey », répète-t-il tout haut, pour se donner du courage.

Heureusement les traces des sabots, sur le chemin, demeurent assez visibles. Ce sont celles de deux fortes bêtes... et la voiture, elle aussi, devait être lourde. Ses quatre roues ont laissé des sillons profonds. Mais pourquoi Dikey a-t-il suivi cet attelage? Il ne parvient pas à se l'expliquer.

Au bout de deux longues heures de marche il atteint le bout de la lande et l'entrée d'une forêt. De toutes ses forces, il veut croire que Dikey n'a pas pénétré sous le couvert, car il sait qu'un cheval, quand il est seul, n'aime pas les sous-bois. Encore une fois il appelle :

« Dikey!... Dikey!... »Hélas! toujours le même silence. En pénétrant dans la

forêt, il constate que les sabots du petit cheval des Shetland suivent fidèlement les autres traces. Courageusement, il s'enfonce à travers les hautes ramures, sous ces nefs immenses dont il aimait, à Ring-Wall, comparer les hauts fûts à des piliers de cathédrale. Seul, sans son petit cheval, la peur revient rôder autour de lui. Parfois une bande de chevreuils traverse la route comme une flèche, parfois aussi, à un détour du chemin, il se trouve face à face avec un grand cerf qui, d'un bond prodigieux, disparaît dans les taillis.

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Fatigué, inquiet, il s'arrête plusieurs fois pour reprendre haleine. Heureusement le vieil ermite de la Lande pourrie a bien garni sa sacoche. Vers midi, alors qu'il traverse une clairière, il ne peut résister au sommeil qui, depuis un moment, alourdit sa tête. Il se laisse tomber sur un tapis de feuilles mortes et s'endort.

Lorsqu'il rouvre les yeux, il constate que les ombres des arbres se sont prodigieusement étirées et que l'air a fraîchi. Il se lève, se secoue et se remet en route. Enfin, vers le soir, alors qu'il se demande s'il ne va pas être obligé de passer une nouvelle nuit en plein bois, il atteint le bout de la forêt et débouche sur une lande ou plutôt une prairie, car, à cause de l'altitude moins élevée, l'herbe pousse plus drue. Il s'engage résolument sur ce vaste espace nu jusqu'à un endroit où le chemin se divise en deux. L'attelage et aussi les sabots de Dikey ont suivi la branche qui remonte. Peter constate avec soulagement que ce chemin, moins large que l'autre, paraît aussi moins fréquenté. De longues bandes d'herbe poussent au milieu.

« Il doit conduire vers une propriété assez proche », se dit Peter.

Cette supposition lui redonne un peu d'espoir. Il reprend sa marche. Le soir descend lentement sur les Highlands, jetant sur toute chose ses voiles bleutés. Parvenu sur un mamelon, l'enfant s'arrête tout à coup. Au milieu des vastes pelouses, à un demi-mille de là, s'élève un manoir, un immense manoir flanqué de tourelles comme celui de Mac Pickle, mais beaucoup plus beau, avec des volets aussi verts que l'herbe de la prairie et les fenêtres aussi blanches que les marguerites qui l'émaillent. Aux fenêtres brillent des guirlandes de lampions que le vent du soir balance doucement. Devant le

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château (car c'est en effet plus un château qu'un manoir), des gens vont et viennent, parlant, riant, les femmes en robes éclatantes.

Halluciné, Peter reste planté au milieu du chemin, le regard fixé sur cet étrange tableau. Puis, baissant les yeux, il cherche à nouveau les pas de Dikey. Son petit cheval est bien venu jusque-là. Alors, il appelle :

« Dikey!... Dikey!... »Sa voix se perd dans la brise et Dikey n'apparaît pas.

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CHAPITRE XIII

LA VOITURE JAUNE

ALORS il s'approcha encore jusqu'à moins de cent pieds du château, cherchant à distinguer les écuries. Tout à coup une musique violente éclata devant l'entrée de la demeure. Sept ou huit Nègres, vêtus de rouge, frappant sur des chaudrons, des calebasses, soufflant dans de curieux instruments de cuivre, attaquaient une danse sauvage et endiablée. Peter se demanda s'il ne vivait pas un nouveau cauchemar. Poussant des cris aigus, excités par les applaudissements qui les entouraient, les Nègres se démenaient comme des démons sous les guirlandes de lanternes.

Peter se sauva pour se réfugier derrière le tronc d'un énorme chêne.

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« Je suis stupide, pensa-t-il soudain, c'est tout simplement une fête. »

II attendit un moment, puis, le calme étant revenu devant le château, à la faveur de la nuit tombante il s'avança de nouveau, jusqu'à atteindre le bâtiment des écuries. Pensant n'être vu de personne, il s'enhardit à pousser la porte. Au même moment des pas crissèrent dans l'herbe, derrière lui. Il sursauta et se trouva face à face avec un ours énorme. Il poussa un cri et voulut s'enfuir. L'ours le saisit par le bras et le retint.

« Je t'ai fait peur, hein? »Un ours qui parlait?... Il ne sut plus ce qui lui arrivait.

Mais l'ours éclata de rire, d'un rire parfaitement humain. Peter comprit qu'il se trouvait devant un masque.

« Tu as eu peur, répéta l'homme en enlevant son énorme tête d'ours... mais que diable fais-tu là au lieu d'aller te déguiser comme tout le monde?

— C'est que, je... je ne suis pas d'ici... je cherchais mon cheval.

— Ah! il est à toi?... Justement, je suis le valet d'écurie. Entre. »

Sa tête d'ours sous le bras, l'homme poussa la porte et alluma. Parmi les chevaux couchés dans les stalles Peter reconnut aussitôt Dikey qui, à la voix de son petit maître, se dressa sur ses pattes.

« Nous l'avons rencontré hier en revenant de chercher des invités de Sir Liverbrook. Il nous a suivis depuis la Lande pourrie. Nous avions beau le chasser, il était sans cesse derrière nous.... Je l'avais mis là, avec les autres, en attendant qu'on retrouve son propriétaire.... C'est donc toi?

— Je ne comprends pas, fit Peter, je ne comprends pas pourquoi il vous a suivis.

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— Peut-être a-t-il reconnu ou cru reconnaître quelqu'un parmi les invités de Sir Liverbrook que nous ramenions? D'où es-tu?

— Je suis berger au service d'un nommé Mac Pickle de Ring-Wall au pied du Ben Allow. »

L'homme hocha la tête.« Je ne pense pas que mon maître connaisse quelqu'un à

Ring-Wall et je n'ai jamais entendu parler de ce Mac Pickle. »Peter s'était approché de son petit cheval. Après lui avoir

longuement caressé l'encolure il le détacha.« Que fais-tu là? interrompit le valet.— Je vais repartir.— Maintenant?— On m'attend, je suis parti depuis trois jours; je m'étais

perdu dans la forêt.— Et tu t'y perdras encore! Laisse ton cheval dormir en

paix; tu passeras la nuit ici.— Mais, je....— Sir Liverbrook serait fâché de savoir un garçon de ton

âge dans les bois, en pleine nuit. Tu seras de la fête. Sir Liverbrook est un homme « furieusement » original, mais extraordinairement bon. Je vais te conduire à lui. »

Peter dut obéir. Sa tête d'ours sous le bras, le valet prit Peter Peacock par la main et l'emmena de force au château où la débauche de lumières l'éblouit. Ils traversèrent une salle pleine d'éclats de rire et de masques. Soudain, le valet qui avait remis sa tête d'ours s'inclina respectueusement devant une énorme hure de sanglier.

«Je me permets devons amener le jeune cavalier du petit poney des Shetland qui s'est réfugié hier soir dans l'écurie Ce garçon voulait repartir sur l'heure? J'ai pensé que.....

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— Comment, s'écria le sanglier en secouant son groin, partir en pleine nuit?... Mon garçon, vous allez me faire le plaisir de vous déguiser comme tout le monde et de participer à nos réjouissances. Plus la compagnie est nombreuse, plus on s'amuse. »

Puis, se tournant vers les autres masques : « Voici notre dernier invité; il vient de nous tomber du ciel. Nous l'attendions pour passer à table.

— Tu vois, je ne t'avais pas menti, fit le valet en le conduisant dans une pièce jonchée de masques et de déguisements de toutes sortes; mon maître, Sir Liverbrook, est le plus drôle et le meilleur des hommes. Rappelle-toi que dans cette maison il ne faut s'étonner de rien.... Tiens, choisis dans le tas. »

Abasourdi par cette ahurissante aventure autant que par la fatigue de sa longue marche, Peter prit au hasard le premier masque dont la taille convenait à sa tête et pénétra dans la vaste salle où une longue table était servie. Il se trouva assis entre un Nègre et une chèvre.

Soudain, le maître de céans agita une sonnette. Aussitôt tous les masques tombèrent découvrant cinquante visages. Peter, comme tout le monde, enleva le sien et se sentit horriblement gêné devant ces inconnus qui pourtant lui souriaient. Heureusement la chèvre... ou plutôt la dame assise à sa droite était bavarde. Il apprit ainsi, sans rien demander, des choses curieuses sur cet étrange Sir Liverbrook. Collectionneur enragé, il entassait dans cet immense château les choses les plus baroques. A plusieurs reprises, chaque été, il conviait ses amis dans ce domaine des Highlands où il leur offrait, comme ce soir, les distractions les plus imprévues.

Peter écoutait... et tout en écoutant cherchait parmi ces invités un visage déjà vu. Non, vraiment, il n'en reconnaissait

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Il s'avança de nouveau...

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aucun. Le mystère de la fugue de Dikey demeurait entier.Le repas fut abondant, varié et surtout bruyant. Il se

prolongea fort avant dans la nuit. Ivre de fatigue, Peter aurait donné cher pour être, à cette heure, étendu sur du foin dans un coin de l'écurie près de Dikey.

Enfin les invités quittèrent la table et se répandirent dans une autre salle où les attendaient les faux Nègres qui, juchés sur des tréteaux, recommençaient leur étrange musique pour le bal. Peter en profita pour sortir et retourner à l'écurie où son infidèle Dikey l'accueillit encore avec joie.

« Mon petit Dikey, pourquoi es-tu venu ici?... Par qui, par quoi as-tu été attiré?... »

Le cheval se contenta de hennir doucement en secouant sa crinière. Peter cherchait encore une explication quand une idée lui traversa l'esprit. Il sortit de l'écurie. Au bout s'élevait une sorte de long hangar dont les portes étaient ouvertes. Il y pénétra. L'intérieur était sombre; cependant, il n'osa allumer. Après avoir frôlé plusieurs autos, alignées côte à côte, il faillit tomber en heurtant quelque chose à terre. C'était un brancard de charrette, de la charrette qui, sans doute, avait traversé la Lande pourrie. Dans l'obscurité de la remise il ne put la distinguer. Il fouilla sa poche. La flamme d'une allumette jaillit. Peter resta stupéfait.

La charrette, un vieux véhicule à quatre roues, était peinte d'un jaune criard et, sur le côté, portait une inscription en grosses lettres rouges. Il se penchait pour lire quand l'allumette s'éteignit. Vivement, il en alluma une autre, et il lut ce mot : CIRQUE.

Durant quelques instants il resta perplexe, puis, brusquement, un souvenir lui revint. L'ermite de la Lande pourrie n'avait-il pas déclaré que Dikey avait sans doute travaillé

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dans un cirque? C'était donc là la voiture que Dikey avait reconnue et suivie.

Il rentra au château, un peu soulagé, et se retrouva au milieu des rires et du bruit. Cependant il n'avait pas le cœur à s'amuser comme les sept ou huit enfants qui gambadaient autour des danseurs. Avisant le valet à tête d'ours il lui demanda s'il pouvait dormir sur de la paille dans l'écurie.

« Jamais de la vie, mon garçon, Sir Liverbrook serait « furieusement » choqué d'apprendre qu'un de ses invités a dormi dans les écuries. Malheureusement toutes les chambres sont occupées, mais au grenier il reste encore une mansarde. »

Derrière le valet il grimpa l'escalier de pierre qui s'élevait jusqu'au sommet du château. Peter poussa une exclamation. Ce n'était pas dans un grenier qu'il pénétrait, mais dans un musée... et quel musée! Les objets les plus hétéroclites s'y entassaient : statuettes de bronze ou de plâtre ou même véritables statues, voitures d'enfants de tous les modèles; vaisselle, pots d'étain, horloges de tout style, certaines aussi grandes que des meubles, brouettes, objets chinois.... Il y en avait jusque sous les poutres.

« Je t'avais prévenu, fit le valet en riant, Sir Liverbrook est le plus « damné » collectionneur de la Grande-Bretagne... et encore, tu n'as pas tout vu. Au bout de ce grenier s'en trouve un autre aussi encombré.... Mais, viens plutôt par ici. »

Il l'entraîna dans une petite mansarde, au mobilier bizarre qui pouvait être grec ou égyptien... à moins qu'il ne fût persan.

« Étends-toi sur ce lit, j'y ai déjà couché; il est très confortable. »

Après tant d'émotions, de fatigues, Peter Peacock tombait de sommeil. Mais précisément ses émotions, sa fatigue, son anxiété étaient trop fortes. Malgré son désir de reprendre des

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forces pour le lendemain, il ne put s'endormir. Sa tête se remit à remuer mille pensées. Ah ! quelle étrange aventure que la sienne! Pourrait-il vraiment, demain, repartir sur le dos de Dikey retrouver Duncan?... Et que Primerose lui semblait loin à présent, plus loin que jamais.

Énervé par la musique qui monte d'en bas, il ne cesse de se tourner et de se retourner sur son matelas. Finalement, pour apaiser sa tête en feu, il se lève. Certain que personne ne montera au grenier, il donne la lumière et entreprend de

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l'explorer. Que d'objets dont il ne connaît pas le nom, dont il ne soupçonne même pas l'usage! L'ayant parcouru d'un bout à l'autre il pousse une porte et se trouve alors dans un autre grenier, aussi vaste que le premier et aussi encombré que le valet l'a assuré.

Il est presque arrivé au bout, quand, tout à coup, il s'arrête. Derrière de grosses malles cerclées de fer il vient de découvrir, entassés, pêle-mêle, têtes renversées, pattes en l'air, toute une collection de chevaux de bois. Il y en a bien deux douzaines, des grands, des petits qui, assurément, ne peuvent provenir que d'un manège.

Très ému, il s'approche pour les examiner. Ce sont de vieux chevaux de bois à la peinture écaillée, aux oreilles ébréchées, aux pattes cassées. Il en tire un du tas, puis un autre et les regarde, essayant de rassembler ses souvenirs. Comment étaient ceux de Stepney? Hélas! ses souvenirs sont bien lointains et ce n'étaient pas les chevaux de bois qui, alors, l'avaient captivé.

Il essaie d'en tirer un troisième, mais, la bride lui reste dans la main. Machinalement, il regarde le bout de cuir quand, tout à coup, ses doigts se mettent à trembler. Sur la lanière de cuir fauve, il vient de lire ces mots :

AU PONEY VOLANT.

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CHAPITRE XIV

TOUJOURS PLUS LOIN SUR LES HIGHLANDS

Où SIR LIVERBROOK avait-il eu ces chevaux? Y avait-il, circulant dans tout le Royaume-Uni, plusieurs manèges portant le nom de Poney-Volant?... S'il n'en existait qu'un, ces chevaux appartenaient au manège de Primerose... et ils avaient donc cessé de tourner. Toutes ces questions se posèrent très vite dans la tête de Peter. Il contempla longtemps le bout de bride, relisant vingt fois l'inscription imprimée au fer sur le cuir. Puis il fouilla à nouveau dans l'enchevêtrement des chevaux sans trouver autre chose que ces trois mots répétés sur chaque bride.

« Primerose, si ce sont les chevaux de ton manège, qu'es-tu devenue, toi? »

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Il voulut descendre demander au valet s'il savait où son maître les avait eus. En bas la musique s'était tue. Tout le château dormait. Il revint dans la mansarde et se recoucha, serrant toujours dans sa main la bride de cuir.

Le lendemain, malgré une nuit très courte, il s'éveilla de bonne heure. Après avoir encore une fois revu les chevaux dans l'autre grenier, il descendit dans la cour imprégnée de la rosée du matin. Le valet était occupé à refaire les litières.

« Déjà debout?... Prêt à partir?... »Embarrassé, Peter-raconta sa découverte dans le grenier

et posa la question qui lui brûlait la langue.Le valet hocha la tête.« Sir Liverbrook achète tant et tant de choses. Comment

me rappeler?— Sur la bride, insista Peter, sont écrits ces mots : Au

Poney Volant. »L'homme fronça les sourcils comme si ce nom lui disait

quelque chose. Puis, se posant l'index sur le front :« Ça y est, je me souviens. Sir Liverbrook a acheté ces

débris de manège il y a un peu plus d'un an à Beverloch. Foi de Highlander! que je suis bête, j'étais même avec lui quand nous les avons ramenés. Je pense que ces chevaux ne l'intéressaient pas vraiment... mais plutôt voulait-il faire l'aumône à de pauvres gens dans l'embarras. C'était un bien misérable manège. Tiens, je me, souviens, il y avait une gamine d'une douzaine d'années. Au moment où l'on chargeait le dernier cheval sur la voiture, elle s'est précipitée en pleurant pour l'embrasser. »

Suspendu à ses lèvres, Peter avait écouté le valet sans l'interrompre. Il se sentit pâlir.

« Et... et vous savez ce que sont devenus ces gens?...

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Ce sont de vieux chevaux de bois...

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— Grands dieux! comment le saurais-je?— Peut-être que Sir Liverbrook....— Certainement pas, je parierais dix shillings contre un

qu'il ne sait même plus qu'il a entassé ces chevaux dans son grenier. »

Peter passa la main sur son front moite. Il demanda encore :

« Où cela se passait-il?— Je te l'ai dit, à Beverloch.— Est-ce loin? dans quelle direction?— A une quinzaine de milles vers le sud. Le bourg est

bâti au bord d'un loch. Si tu veux t'y rendre, il faut prendre la route qui passe au bas de la prairie, la descendre pendant trois ou quatre milles, traverser un village et tourner à droite toujours en descendant pour atteindre la vallée.

— Beverloch, répéta Peter, Beverloch!... »Sans rien ajouter, il se dirigea vers Dikey, le sella, le

détacha et, sous les yeux étonnés du valet, partit au grand galop.

D'une seule traite il franchit ainsi toute la prairie. Alors, seulement il tira sur la bride et arrêta Dikey.

« Dikey, où allons-nous? »Un terrible débat se livra en lui. Remonterait-il vers le

Ben Fellow ou descendrait-il vers la vallée?... Debout sur ses étriers, il parcourut longuement l'horizon, de la droite où s'arrondissaient les hautes croupes des Highlands à la gauche où s'incurvait la vallée.

« Dikey, dit-il, tu m'as déjà mis sur la bonne piste; choisis encore une fois. »

Sentant la bride se relâcher, le petit cheval des Shetland secoua sa crinière, huma l'air, puis, sans hésiter, partit du côté de la vallée. Secrètement Peter Peacock le remercia.

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Le sort en était jeté. C'est vers Beverloch, vers Primerose que les conduirait leur nouvelle aventure.

« Pardon, Duncan, murmura Peter, pardon de te laisser dans l'inquiétude... quand je suis parti, je ne voulais pas... et maintenant, il faut que j'aille jusqu'au bout, je suis sûr que Primerose m'attend, qu'elle a besoin de moi. Pardonne-moi, Duncan, je ne peux plus faire autrement. »

II pressa les flancs de son cheval et se remit en route. Le ciel était clair, l'air léger; la journée serait belle. Bien reposé et surtout ragaillardi par un bon picotin d'avoine, Dikey avait retrouvé toute sa vigueur. Le chemin descendait; ils seraient vite dans la vallée. Comme trois jours plus tôt, le loch apparut brusquement au sortir d'un bois et, comme à Killaden, la ville ou plutôt le bourg, se trouvait à l'extrémité du lac. Cependant de loin ce bourg lui parut moins gai, plus sombre avec ses toits de grossière ardoise, plus vieux aussi.

Dès l'entrée, il descend de cheval et, s'avançant dans la rue étroite, s'adresse au premier villageois qu'il rencontre. Ce villageois est un boucher qui, le tablier sur le ventre, s'amuse à faire siffler deux chardonnerets dans une cage suspendue devant sa boutique. La mine joviale de l'homme inspire confiance.

« Un manège de chevaux de bois à l'enseigne du Poney-Volant?... Bien sûr mon petit gars, je l'ai connu. »

Puis se tournant vers le fond de la boutique :« Betty! viens un instant. »Une femme au chignon noué à l'ancienne mode

s'approche, tenant l'assiette qu'elle était en train d'essuyer dans sa cuisine.

« Ah! le Poney-Volant? Mon pauvre garçon, il n'existe plus depuis longtemps. Voici plus d'un an qu'il a été vendu...

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ou plutôt qu'une sorte de vieux fou, qui vit dans je ne sais quel château, là-bas, sur les Hautes-Terres, a acheté les chevaux... Dieu sait pour quoi en faire!

— Je sais, fait Peter, mais les gens de ce manège, que sont-ils devenus? »

La bouchère pose son assiette sur l'étal et s'approche comme pour une confidence.

« Les pauvres gens ! Ils étaient arrivés un jour à Beverloch pour la fête des bruyères. Il y avait une femme, un homme à moitié estropié et une fillette. Le lendemain de la fête, la femme travaillait à démonter le manège, quand elle s'est effondrée tout d'un coup. Elle était morte. Le médecin a dit que ce travail était trop pénible pour elle. C'était le cœur qui avait lâché. On l'a enterrée ici. Et le manège n'est pas reparti. L'homme qui s'appelait Loderwall a cherché à le vendre. Il a trouvé à liquider la roulotte en assez bon état... mais pour le manège qui ne tenait pour ainsi dire plus debout.... Heureusement, un jour, ce vieux fou des Hautes-Terres a passé par là. Il a acheté tous les chevaux.

— Et l'homme?... Et la petite fille?...— Ils sont restés longtemps ici; c'est pourquoi je connais

bien l'histoire. Ils avaient loué une maisonnette au bout du village. Et puis, un jour, l'homme est tombé malade. On l'a emmené à l'hôpital, à Inverness d'abord, puis, je crois, à Edimbourg. La petite est restée là, toute seule, pensant que son père reviendrait bientôt. Une bien gentille enfant, ma foi... mais si maigre; elle m'inspirait pitié. Elle venait quelquefois chercher de la. viande, je lui faisais toujours bon poids. Elle s'appelait Dily.... Et puis, un jour, je ne l'ai plus revue. J'ai su plus tard qu'elle était partie comme servante dans une ferme. Pauvre enfant! Je la revois toujours avec ses longs cheveux blonds, sa robe proprette malgré sa

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pauvreté et j'entends encore sa voix douce qui avait l'accent de Londres. »

Émue par son propre récit, la bouchère s'essuie les yeux avec son torchon à vaisselle. Quant à Peter, il a toutes les peines du monde à ne pas éclater en sanglots. La voix tremblante, il demande :

« Qui, à Beverloch, pourrait me dire où elle est?— Sans doute le propriétaire de la petite maison que ces

gens occupaient. C'est à deux pas d'ici. »Le boucher s'avance sur le trottoir, désigne une demeure

basse, qui fait saillie dans la rue.Peter remercie vivement ces braves gens, et tirant Dikey

par la bride, s'en va jusque-là, tandis que, tout bas, ses lèvres murmurent :

« Dily! elle s'appelle Dily.... »La maison est vieille et délabrée. Son propriétaire, un

bonhomme à la mine déplaisante, reçoit Peter froidement.« Est-ce qu'on t'a envoyé pour me payer ce qu'ils me

doivent? On ne devrait jamais s'intéresser à des vagabonds que personne ne connaît. »

II explique d'une voix maussade que la « mauvaise gamine » a quitté Beverloch pour être placée à Binross.

« Binross, répète Peter, est-ce loin?— Trop loin pour que je puisse moi-même aller me faire

payer, reprend le bonhomme en agitant le bâton qui lui sert de canne,... mais toi, avec ton cheval.... On prend la route de Lawers jusqu'à Damilton et c'est encore à douze milles de là.

— Et comment s'appelle le village?— Binross, je te dis... et le fermier, John Parton... du

moins c'est chez lui qu'elle est partie... mais depuis? Ces sortes de gens ne savent jamais rester en place. »

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Son propriétaire reçoit Peter froidement.

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Puis, posant sur Peter un regard aigu :« Mais tu ne m'as pas dit qui tu es et qui t'envoie. Est-ce

pour me payer?... »Peter Peacock n'écoute plus. Lawers, Damilton, Binross,

Parton ! Il cherche à fixer tous ces noms dans sa tête. Il salue rapidement le bonhomme et, sans répondre, saute sur le dos de Dikey... pas pour aller très loin. A la sortie du village, avisant une boutique il met pied à terre. Là, il achète une enveloppe, du papier, un timbre et, se faisant prêter un crayon, sur le coin du comptoir, il écrit.

Cher Walter,

Depuis trois jours j'ai quitté le Ben Fellow et Duncan pour rechercher Primerose. Je sais maintenant où elle est. Il faut que je parte la rejoindre car elle est malheureuse. Tu m'avais promis de m'aider, Walter, j'accepte. Pourrais-tu monter sur le Ben Fellow avertir Duncan qu'il ne m'est rien arrivé de fâcheux et que je remonterai là-haut dès que je pourrai. Je suis sûr qu'il me pardonnera s'il sait pourquoi je ne suis pas rentré. Merci, Walter, je t'envoie toute mon amitié.

Soulagé, il ferme l'enveloppe, puis, sur les sept ou huit pièces d'un penny qui lui restaient, il en prélève trois pour acheter un peu de nourriture. Enfin, ayant jeté sa lettre dans la boîte, au bout du village, il quitte Beverloch pour prendre la route de Damilton.

Certainement, il n'arrivera pas à Binross avant le soir, mais une nouvelle nuit à la belle étoile ne l'effraie pas. Il n'est plus le timide petit Peacock de Poplar ou le berger novice, mal à l'aise sur le dos d'un cheval. Il court une grande aventure. Il va sauver la fillette qui l'a, elle-même, sauvé un jour. Son

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cœur déborde de joie et de fierté. Il partaità la rencontre de Primerose pour chercher une protection

et c'est lui maintenant qui va la protéger. C'est tout simplement merveilleux.

« Allons, Dikey, en route!... »Quand arrive le soir, il a dépassé Damilton et fait plus de

la moitié du chemin. Il s'arrête en bordure d'un boqueteau, près d'une source pour passer la nuit. Il est las, il a faim, mais son cœur est heureux. Certainement, au reçu de la lettre, Walter fera l'impossible pour monter prévenir Duncan. C'est bon d'avoir un ami sûr. Il laisse Dikey brouter à sa guise en bordure du bois tandis que lui-même s'assied contre un arbre pour ouvrir sa sacoche. Mais soudain, il pousse un cri :

« Mes dessins! »II a beau fouiller et refouiller le sac, le précieux rouleau a

disparu. Les a-t-il perdus en route? Il essaie de se représenter toutes ses étapes depuis le départ du château de Sir Liverbrook. Auraient-ils glissé hors de la sacoche? Non, il ne se souvient plus. Brusquement, la mémoire lui revient. Pendant la nuit, dans la mansarde du manoir, tandis qu'il cherchait en vain le sommeil, il les a regardés, ensuite il a posé le rouleau sur le rebord de la fenêtre. Oui, c'est bien cela. Et le matin, dans son émoi; il a oublié de les remettre.

Cette constatation le bouleverse. Si on trouve ces dessins, ne va-t-on pas les jeter comme de vieux papiers?... Une envie folle lui vient de rebrousser chemin. Il ne peut pas. Primerose l'attend. Peut-être que le valet d'écurie mettra le rouleau de côté, en attendant qu'on revienne le chercher. Oui, c'est cela, pense Peter, dès que je pourrai, je repasserai au château.

A demi soulagé, il se prépare pour la nuit, coupe des bruyères pour se faire un lit, étend des branchages feuillus

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sur sa poitrine et ses jambes pour se garantir du froid et surtout de la rosée du matin. Heureusement, le ciel s'est légèrement couvert, la nuit restera douce.

Écrasé de fatigue, il ne tarde pas à s'endormir à côté de Dikey qui, couché à trois pieds de son petit maître, semble le protéger. C'est curieux comme on s'habitue à coucher dehors. Un an plus tôt, il serait mort de frayeur. Il a appris à connaître la solitude des grandes étendues qui lui sont presque familières.

Aussitôt endormi, ses pensées volent vers Primerose, mais aussi vers son père. Il le voit à Piccadilly déposant à terre d'innombrables dessins sur lesquels il place des pierres pour que le vent ne les emporte pas. Mais une main, une énorme main passe derrière lui, enlève les pierres, et les feuilles s'envolent chassées par le vent. Alors lui, Peter Peacock, court pour les rattraper. Il réussit à les saisir toutes... sauf une qu'il poursuit à travers les rues de Londres jusqu'au moment où le dessin disparaît, happé par la fenêtre d'un immense palais. Grimpant le long du mur, il constate que ce palais est un musée et qu'une petite fille est en train de fixer le dessin entre deux tableaux aux cadres dorés.

Bouleversé par ce rêve étrange, il s'éveille grelottant et découvre qu'en dormant il a arraché toutes les feuilles des branchages qui le recouvraient et qu'il est transi.

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CHAPITRE XV

LA MAISON VIDE

DEPUIS le matin le ciel était couvert. Des nuages lourds raclaient leur ventre gris contre la montagne. Certainement la pluie ne tarderait pas. Peter invita Dikey à reprendre le trot. Dans une heure ils pouvaient atteindre Binross.

Le pays avait un aspect pauvre, l'herbe poussait mal sur la roche dure et, même dans les creux, les prairies restaient souffreteuses. Chaque fois qu'au loin il distinguait une ferme, Peter pensait :

« C'est dans une maison comme celle-là que je vais retrouver Primerose. »

Car il ne pouvait l'appeler Dily. Pour lui elle garderait

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toujours ce joli nom de Primerose qu'il lui avait donné. Enfin, à un croisement de chemins, une pancarte annonça pour la première fois Binross. Un peu plus loin il s'arrêta en bordure d'un pré, car Dikey avait besoin de souffler un peu.

Tout à coup, comme il élevait son regard vers la colline, il aperçut la silhouette d'un jeune garçon qui semblait fuir à travers champs pour éviter la route.

« II a eu peur de Dikey », se dit Peter en souriant.Et il pensa à sa propre peur, le jour de son arrivée à Ring-

Wall, quand Mac Pickle l'avait invité à monter sur le dos de son cheval. Il se leva pour héler le garçon et le rassurer, mais celui-ci, qui portait un sac, courut plus vite encore et disparut dans les taillis.

« Curieux, se dit-il, pourquoi pareille frayeur? »C'était sans doute un maraudeur, venant de ramasser dans

un champ quelques pommes de terre, quelques poignées de haricots.

Il revint s'asseoir sur le gazon, se hâta d'apaiser sa faim, se désaltéra à une source et se remit en route. Le temps, simplement couvert le matin, devenait menaçant. Dikey secoua ses oreilles aux premières gouttes de pluie. Peter pressa l'allure. A l'approche du but, sa poitrine se serrait. Était-ce donc dans ce pays perdu qu'il allait retrouver Primerose? A sa joie immense se mêlait une sourde inquiétude. Certainement il la reconnaîtrait... mais elle? Se souvenait-elle seulement de lui? Ils s'étaient vus juste une fois et il y avait plus de trois ans de cela. Non, ce n'était pas possible. Il n'aurait pas fait tant de chemin si Primerose ne l'attendait pas. Les mots écrits sur le bout de journal qu'il serrait précieusement dans son porte-monnaie revinrent à ses lèvres : « Peter, je penserai toujours à toi. »

Bientôt apparurent les premières maisons de Binross,

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pauvre village, à flanc de coteau, au pied d'un bois de maigres sapins. Sous la pluie qui commençait de tomber, les toits d'ardoise luisaient froids, sinistres. C'était donc là. Il ne put s'empêcher de penser aux illuminations, au tintamarre de fête de Stepney. Pauvre Primerose, comme elle devait souffrir!

Le village se composait d'une ou deux douzaines de maisons posées en désordre de chaque côté d'une rue ou plutôt d'un chemin, ni pavé ni empierré. Personne dehors. Il traversa le village sans rencontrer d'autre être vivant qu'un gros porc, noir comme un sanglier, qui rentrait tranquillement se mettre à l'abri. Arrivé au bout de la rue, il fit demi-tour espérant voir tout à coup sortir d'une maison une petite fille blonde. Hélas! la rue demeurait déserte. Cependant, au moment où il mettait pied à terre pour se renseigner, quelqu'un sortit d'une grange. Un homme? Une femme? Le visage, la chevelure étaient bien ceux d'une femme, mais elle portait une curieuse veste et des pantalons de gros drap comme les hommes.

« La ferme de John Parton? demande Peter.— John Parton, reprend la femme (car, d'après la voix, le

doute n'est plus possible), est-ce le vieux ou le jeune? »Peter hésite.« Celui qui a une servante nommée Dily.— Alors, le vieux... il n'habite pas au village; sa ferme

est à deux bons milles, par ce chemin; une maison basse avec trois bouleaux devant, il ne doit pas être chez lui. Il a dû aller à une noce avec sa femme. »

Peter a la bouche ouverte pour demander si leur servante les a accompagnés, mais il n'ajoute rien. Remontant sur Dikey, il s'engage sur le chemin indiqué. La pluie s'épaissit et fouette son visage. Dikey secoue sa crinière. La route

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monte, sinueuse, semée de fondrières. Bientôt elle rejoint le plafond bas des nuages, et Peter se trouve enveloppé dans l'humidité cotonneuse du brouillard. A chaque instant, il craint de dépasser la ferme sans la voir. Tout à coup, sur la droite, émergent les troncs blancs des bouleaux. Il saute à terre et s'avance, le cœur battant. La ferme est une vieille bâtisse grise, toute en longueur. Aucun bruit dans la cour, aucune volaille. Timidement, Peter frappe. Seul, un chien qui dormait dans sa niche lui répond. Il frappe de nouveau; même silence à l'intérieur. Les fermiers ont-ils emmené leur servante avec eux? C'est bien improbable. A Ring-Wall, il a appris qu'on n'abandonne pas une ferme pendant plusieurs jours, surtout l'été. Surpris, il traverse la cour et se dirige vers l'étable. Un cheval, trois vaches, une quinzaine de moutons sont là. Ils ne manquent pas de nourriture; visiblement, les vaches ont été traites ce matin. La servante n'est donc pas loin. Elle a dû sortir faire paître d'autres bêtes et, surprise par la pluie, s'est mise à l'abri.

Après plusieurs appels restés sans autre écho que les aboiements furieux du chien, il vient s'abriter sous une remise avec Dikey. Patiemment il attend. Pourquoi Primerose ne revient-elle pas? N'a-t-elle pas entendu les appels ou les aboiements du chien de gar.de?

Il est là depuis un long moment, quand, presque au-dessus de lui, pendue à une poutre, il voit briller une clef. Ce n'est ni une clef rouillée hors d'usage, ni une grosse clef d'étable ou de hangar. Il la prend, l'examine.

« C'est certainement la clef de la maison, pense-t-il, mais pourquoi se trouve-t-elle là? Si les patrons avaient emmené leur servante ils auraient aussi emporté la clef. Si Primerose est sortie, elle aussi l'aurait prise. Et pourquoi aussi les volets de la cuisine sont-ils fermés? »

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Tout cela est bien étrange. Après une longue hésitation il revient vers la maison. La clef correspond bien à la serrure et tourne sans grincer. Il se trouve alors à l'entrée d'une grande pièce sombre, noircie par la fumée, où il distingue vaguement un buffet écossais rustique, un lit à baldaquin, très haut, comme en possèdent beaucoup de cuisines écossaises des campagnes. Il s'avance sans bruit, comme un voleur, se heurte à une table et, tout à coup, sur cette table, aperçoit un petit rectangle de papier, bien placé en évidence, maintenu par une salière de verre. Tremblant, il soulève la salière, prend le papier et s'approche de la fenêtre. Tracés au crayon, il déchiffre ces mots :

J'étais trop malheureuse dans cette maison, je suis partie. Avant de m'en aller j'ai fait tout mon travail et soigné les bêtes que j'ai rentrées à l'étable.

Je vous demande pardon.

DlLY

Peter reste hébété, le papier entre les doigts. Partie! elle est partie. Les larmes lui montent aux yeux. Sans connaître les gens de cette ferme, il éprouve subitement pour eux une haine violente. Mais aussitôt sa colère fait place à l'angoisse. Où Primerose est-elle partie? Elle n'a certainement pas quitté la ferme depuis longtemps et ne peut être très loin. Tout à coup il pense à ce jeune maraudeur qui s'enfuyait à travers bois. Il revoit aussi la femme qui l'a renseigné au village de Binross et qui portait des vêtements d'homme. Ne parlait-on pas, à Ring-Wall, de curieuses coutumes des Highlands où les hommes portent le kilt et les femmes des sortes de braies? Plus de doute, ce garçon qui fuyait, c'était Primerose!

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D'un bond, il se remet en selle. Au galop il dévale le chemin rocailleux vers Binross qu'il traverse sous une pluie battante. Une demi-heure plus tard, il retrouve l'endroit où il a aperçu le jeune garçon. Plus bas voici le croisement de chemins où la pancarte indiquait la direction du village. Quelle route a suivie Primerose? Probablement a-t-elle voulu éviter Damilton. Elle a donc dû prendre celle qui descend directement vers le fond de la vallée.

Trempé jusqu'aux os, baissant la tête pour se protéger de la pluie qui lui fouette le visage, il lance Dikey en avant, l'obligeant parfois à sauter des fossés, à galoper dans les prés pour augmenter ses chances d'apercevoir la fugitive silhouette. Puis, retenant son petit cheval, il appelle : « Dily ! Dily !. »

Tenace, la pluie brouille l'horizon de son rideau gris. Primerose marche-t-elle toujours sous ce déluge, par ces chemins transformés en fondrières?

Bientôt apparaît un gros village au fond de la vallée. Primerose l'a-t-elle déjà dépassé? C'est peu probable; la pluie a gêné sa marche, elle a dû se mettre à l'abri. Quittant le chemin, il s'engage à travers champs. Soudain, à peu de distance de la route, il aperçoit, derrière des broussailles, une masse de rochers. Poussant son cheval à travers les arbustes il s'en approche. Ces roches noires se creusent en certains endroits pour former, au niveau du sol, de petites grottes. Il saute à terre et, abandonnant Dikey, se dirige vers une excavation plus profonde que les autres. Brusquement, il s'arrête. Au fond de la grotte se tient une forme accroupie qui essaie de se faire toute petite et se cache la tête dans les mains. Pendant quelques instants il reste paralysé par l'émotion, puis, à voix basse, il appelle :

« Dily!... Est-ce toi? »

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CHAPITRE XVI

LA HUTTE AUX BICHES

L'ENFANT n'a pas bougé. A-t-elle entendu? Peter fait un pas et va appeler de nouveau quand brusquement, la forme accroupie saisit le sac posé près d'elle et, l'étreignant désespérément, se cache derrière comme pour s'en faire un rempart.

« N'aie pas peur, Dily, je suis Peter, Peter Peacock, te souviens-tu ? »

La fillette n'écoute pas. Au milieu de sanglots elle s'écrie : « Non! non! laissez-moi... je ne veux pas retourner là-bas! »

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Peter essaie de la prendre par la main; elle se dégage vivement.

« Dily, regarde-moi, tu me reconnaîtras; je viens te sauver. »

Elle relève la tête. Ses longs cheveux blonds collés par la pluie se plaquent sur le front et les tempes. Dans un visage tiré, très pâle, les yeux tiennent une place immense.

« Qui êtes-vous? demande-t-elle.— Souviens-toi de Stepney, du Poney-Volant, de Poplar,

du petit garçon qu'un soir tu avais consolé et reconduit chez lui. »

Elle se redresse, les yeux égarés.« A Londres?... je suis donc à Londres! »La frayeur et l'épuisement lui font perdre la raison. Il

s'agenouille près d'elle. La pauvre enfant grelotte et il n'a rien, pas un vêtement sec à lui jeter sur les épaules.

« Regarde-moi, Dily, je suis sûr que tu me reconnaîtras... et ceci, te rappelles-tu? »

Il sort de son porte-monnaie le bout de papier chiffonné : « Peter, je penserai toujours à toi. » Tu ne te souviens pas?...»

Elle fixe Peter un long moment, puis, brusquement, lui saisit les mains et sanglote :

« Oh! toi!... c'est toi!... Mais qu'est-il arrivé, je ne comprends pas. Est-ce que ma tête devient folle?

— Je suis venu en Ecosse pour te retrouver.— Me retrouver, moi?— Je n'ai jamais oublié ce que tu as fait pour le petit

garçon de Poplar; pour te retrouver, j'ai traversé toute l'Angleterre. En Ecosse j'ai retrouvé ta trace et j'ai su que tu étais malheureuse.

— Tu veux me reconduire à Binross?— Je te conduirai quelque part où tu seras heureuse.— Où?

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— Je ne sais pas encore... mais tu seras heureuse.

— Heureuse, soupire-t-elle en secouant la tête, mon bonheur est mort avec le Poney-Volant. »

Elle parle avec peine et chaque fois qu'elle s'interrompt elle claque des dents. Alors Peter ouvre le sac où elle a entassé ses affaires. La pluie n'a pas eu le temps de les traverser.

« Change-toi, dit-il, je vais chercher un abri pour mon cheval et nous attendrons ici la fin de la pluie. »

De l'autre côté des rochers, il découvre un creux assez vaste où il amène Dikey qu'il attache à un gros caillou. Quand il revient vers la grotte, Dily a enlevé ses gros pantalons de garçon et passé une robe à elle.

« Oh! s'écrie Peter, à présent je te reconnais tout à fait. »Un sourire fugitif éclaire le petit visage, puis la fillette

redevient anxieuse.« Est-ce donc bien vrai?... ce ne sont pas « eux » qui t'ont

envoyé pour me ramener là-haut?... »II vient s'asseoir près d'elle au fond de la grotte. Ses

vêtements trempés collent à sa peau, mais il n'en éprouve ni l'humidité ni le froid. Dily le regarde longuement.

« Peter, s'écrie-t-elle soudain, moi aussi, maintenant, je te reconnais tout à fait. Pardonne-moi, c'est si extraordinaire, de te retrouver là, sur ces Hautes-Terres,... et c'est pour moi que tu es venu si loin?

— Pour toi!— Pour moi!... je ne suis donc plus toute seule.... » Après

son angoisse, elle ne peut retenir des larmes de joie. Ainsi, tandis que la pluie s'abat inlassablement sur la campagne, crépitant sur les feuilles, couchant l'herbe des prés, il lui raconte sa vie depuis le triste soir de Stepney. Il explique comment les hasards l'ont mis sur la bonne route, comment, à la ferme de John Barton, il a trouvé le billet sur la table.

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« Maintenant, toi, parle. Où allais-tu ainsi sous la pluie?»Elle baisse la tête.« Ma mère est morte il y a deux ans et j'ai perdu mon

père cet hiver à l'hôpital d'Edimbourg où on l'avait transporté. Une tante s'est occupée de moi, une tante que je ne connais pas, que je n'ai jamais vue et qui habite à Newcastle. C'est elle qui m'a fait placer dans cette ferme. Tu ne sais pas comme j'y ai été malheureuse! Quand je suis tombée malade après la mort de mon père, il fallait quand même que je travaille. Depuis longtemps j'avais envie de m'en aller. Je n'osais pas. J'avais peur de John Parton et aussi de ma tante. Quand mes patrons sont partis hier, il m'est venu une brusque tentation de fuir. Jamais je ne retrouverais une pareille occasion. C'est mal, je sais, de se sauver comme ça, mais je ne pouvais plus. »

Elle se reprend à sangloter et le pauvre visage amaigri se crispe de chagrin. Peter presse sa main un peu plus fort.

« Maintenant il faut oublier tous ces mauvais souvenirs, Primerose. »

La fillette relève la tête.« Primerose?... tu m'appelles Primerose?— Je ne connaissais pas ton nom, je l'ai appris ce matin

seulement à Beverloch. Je t'appelais Primerose, parce que c'est un joli nom de fleur. »

Un nouveau et léger sourire se répand sur le visage de la fillette.

« Comme c'est drôle, autrefois je rêvais de m'appelerPrimerose.— Alors, à partir de maintenant, ce ne sera plus un rêve,

je t'appellerai toujours Primerose. »Elle sourit encore, mais d'un sourire triste, inconnu de lui.

Il n'avait souvenir que du visage joyeux et rayonnant

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de la petite Londonienne qui tournait, cheveux au vent, sur le manège de Stepney. Quelles souffrances avait-elle éprouvées pour en arriver là?

Tandis qu'ils demeuraient, l'un contre l'autre, au fond de la grotte, il leur sembla que le temps s'éclaircissait. Peter se leva et sortit pour inspecter le ciel. Les nuages commençaient de s'effilocher sur la montagne et le vent tournait du côté de l'est. Dans cette direction apparaissaient même, dans la déchirure des nuées, de grands lambeaux bleu pâle.

« Nous allons partir, Primerose ! »Reprise par sa peur, la fillette sursauta.« Partir où?— Sur les Highlands, dans un château que tout le monde

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dit hanté, mais pour nous il n'y aura pas de revenants. »Il alla détacher Dikey et l'amena devant la grotte. « C'est un vaillant petit poney des Shetland... et c'est

grâce à lui que j'ai pu te retrouver. »Il aida la fillette à monter en croupe, puis sauta lui-même

en selle. Il ne pleuvait plus. Comme ils s'éloignaient, le soleil apparut brusquement entre deux nuages, un soleil déjà oblique d'après-midi, mais étincelant. Peter pressa les flancs de Dikey, qui partit au trot, emportant son double fardeau. De crainte de tomber, Primerose tenait Peter à bras le corps. Après tant de fatigue et d'émotions, sa tête chavirait. Ce qui arrivait était si extraordinaire. Mais à chaque instant son angoisse revenait à l'assaut. La voix inquiète, elle demandait : « Où allons-nous?

— Loin de Binross, je connais le chemin, nous arriverons sans doute avant la nuit. »

Chaque fois qu'ils rencontraient une voiture sur le chemin, elle étreignait Peter plus fort et se cachait la tête.

« Ne crains rien, Primerose, John Parton ne passera certainement pas par ici. »

Une joie inexprimable emplissait le cœur de Peter. Il était en train de sauver Primerose; ses remords d'avoir quitté Duncan achevaient de fondre comme neige au soleil d'avril. Il savait maintenant qu'il avait laissé le vieux berger parce qu'il devait partir. C'était comme si, à travers les montagnes, il avait entendu l'appel de détresse de Primerose. A chaque instant il se retournait vers elle et demandait : « As-tu froid?

— Je n'ai pas froid; ton dos me protège. » Et, tout bas, Peter se disait : « Je la protège, je la protège. »

Grâce au soleil, grâce à la forme des montagnes, le petit pâtre retrouvait sa route. La distance était longue. Ils auraient une forêt à traverser, puis une autre encore, mais il s'inquiétait

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uniquement pour Primerose qu'il aurait voulu mettre tout de suite à l'abri du froid et de la peur.

Au bout d'un moment, comme ils traversaient une prairie exposée en plein midi où l'herbe et la terre avaient déjà séché, Peter proposa une halte.

« II faut manger, Primerose, le voyage sera long. »Il ouvrit sa sacoche, où il n'y avait plus grand-chose, mais

Primerose avait emporté, dans son sac, un morceau de pain de seigle. Elle essaya d'en grignoter un bout; elle n'avait pas faim.

« J'ai seulement soif, très soif. »Une source coulait au bas de la pelouse. Elle but

avidement. Le soleil était chaud; les vêtements de Peter, encore humides, dégageaient une auréole de vapeur.

« Oh! soupira Primerose, je ne peux pas croire à ce qui m'arrive en ce moment, il me semble que ce n'est pas vrai. »

Malgré la douce chaleur, elle frissonnait. Peter s'inquiéta de sa pâleur. Il voulut encore l'obliger à manger; malgré tous ses efforts elle ne pouvait pas. Il pensa alors qu'ils devraient repartir sans tarder. Sitôt Dikey reposé, ils se remirent en route. Primerose se cramponnait toujours à Peter, mais, par moments, il lui semblait qu'elle serrait moins fort et même qu'elle vacillait. Alors il se retournait et demandait si elle était fatiguée.

«Je suis bien », disait simplement Primerose.Puis, plus bas, toujours sur le même ton inquiet elle

ajoutait :« Où allons-nous?... C'est donc si loin? »La première forêt traversée, une lande s'allongea devant

eux. Examinant les montagnes, Peter reconnut, au loin, celle qui dominait la Lande pourrie. Il n'avait pas fait fausse route. Hélas ! le soir tombait déjà. Auraient-ils le temps de

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traverser la seconde forêt avant la nuit? Primerose n'était pas lourde, cependant Dikey commençait à donner des signes de fatigue. A peine avait-il repris le trot qu'il se remettait au pas. Heureusement le ciel, complètement dégagé, laissait présager un long crépuscule et une nuit claire. Quand ils arrivèrent en bordure de la seconde forêt, Peter n'hésita pas à s'y engager.

« J'ai peur, murmura Primerose, où allons-nous?— Avec Dikey nous n'avons rien à craindre et les étoiles

nous guideront. »Cette forêt, moins grande que l'autre, mais plus épaisse,

était restée humide et froide. Primerose se reprit à frissonner. Peter enleva son plaid, séché au soleil sur la pelouse, et le lui donna. Hélas! sa chaleur n'empêcha pas Primerose de grelotter. Peter comprit qu'elle tremblait de fièvre.

« Oh ! soupira-t-il, pourvu que nous arrivions à temps. »Ils avaient traversé les trois quarts de la forêt, quand

Primerose poussa un cri. Il n'eut que le temps de la saisir au poignet pour l'empêcher de tomber. Elle s'était affaissée derrière lui, inerte. Il eut une peine inouïe à la descendre de cheval pour la déposer a terre.

« Primerose, qu'as-tu?... »Elle ne bougeait pas, à demi évanouie; elle murmura à

mots coupés :« Un shilling! un shilling seulement!... Tournez, tournez!

tous sur les poneys volants. »Elle délirait. Sa rencontre avec Peter l'avait trop ébranlée.

Elle se croyait revenue à Londres. Peter la souleva et l'étendit sur son plaid pour la protéger de l'humidité. Affreusement angoissé, il se demanda ce qu'il devait faire. Attendre qu'elle se remette pour repartir? Aller chercher du secours?... Il

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s'agenouilla près d'elle, lui frictionna les bras, lui tapota le visage.

« Primerose!... Primerose!... »Enfin elle rouvrit les yeux, parut reprendre ses esprits.

Regardant la forêt sombre autour d'elle, elle demanda :« Où sommes-nous? »Puis, un instant après :« J'ai si soif. »Gomment trouver de l'eau en pleine nuit?« Primerose, il faut repartir, nous sommes presque

arrivés, nous trouverons à boire là-bas. »Primerose secoua la tête.« Tu ne risqueras pas de tomber, insista Peter, tu

monteras devant moi et je te maintiendrai. »Elle fit encore non de la tête.« Il faut partir, Primerose, tu ne peux pas rester là. »Toutes les raisons données pour la convaincre furent

vaines. Il se résigna à attendre. Toujours étendue à

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terre, la fillette paraissait anéantie, presque inconsciente. « Dormir, soupira-t-elle, laisse-moi dormir. » Désespéré, Peter cherchait un endroit où elle serait mieux que sur ces feuilles mortes, quand, à peu de distance de la route, il aperçut une de ces huttes que les Écossais élèvent dans la forêt pour servir d'abri aux biches pendant les hivers trop rigoureux. La cabane était propre et sèche; il y restait même du foin. Il porta Primerose jusque-là, l'installa de son mieux. Elle respirait lourdement et, à chaque instant, fermait les yeux comme vaincue par une irrésistible envie de

dormir.« Comment te sens-tu, Primerose?— Je suis bien.— Dès que tu voudras nous repartirons.— Partir?... nous ne sommes pas dans le château? »

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Le délire la reprenait. Devraient-ils passer là toute la nuit? Il s'agenouilla près d'elle et attendit. Il lui tenait la main, la fièvre semblait monter. Il pensa un instant la porter sur le dos de Dikey et, en la maintenant de son mieux, essayer de gagner la Lande pourrie. Mais, ce n'était guère possible. Alors, attendre l'aube?... Mais si le mal empirait? Il hésitait quand, brusquement, il se souvint que l'ermite de la Lande avait été médecin, autrefois.

« Primerose, veux-tu que je te laisse un moment pour aller jusqu'au château où il y a un médecin. Dikey s'est reposé, il m'y conduira vite. Je serai bientôt de retour. — Oui, laisse-moi, je suis trop lasse... trop lasse. » II ramena du foin sous elle, étendit le plaid sur ses jambes et, le cœur serré, craignant qu'elle ne se trouve plus mal pendant son absence, se décida à partir. Par chance, la Lande pourrie était plus proche qu'il le pensait. Une demi-heure plus tard, il apercevait le vieux château baignant

dans un pâle clair de lune. Sautant à bas de son cheval, il courut à la porte et frappa avec le marteau de bronze qui pendait. Presque aussitôt, à l'extrémité du château, une fenêtre s'ouvrit à grand fracas et un fantôme apparut, les bras ouverts et gesticulants.

Malgré lui, Peter tressaillit. D'une voix étranglée il cria :« C'est moi, Peter Peacock. »Le fantôme continua de s'agiter comme s'il n'entendait

pas et il disparut. Peter resta interdit. Il n'était pas possible que le vieil ermite n'ait pas entendu ou ne l'ait pas reconnu. Il revint vers la porte et attendit. Elle ne s'ouvrit pas. Il frappa encore avec le marteau. La porte ne bougea pas et le fantôme ne reparut plus. Alors, de toutes ses forces, il appela encore.

« Au secours! C'est moi, Peter Peacock!... »Un silence lugubre entourait la vieille et immense

demeure. Peter se demanda si l'ermite était soudain devenu fou

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pour ne plus se souvenir... ou si lui-même perdait la tête. Alors la peur le prit. Il dut lutter contre lui-même pour frapper et appeler encore. Sous la clarté de la lune, le château prenait un aspect fantastique. Il lui semblait que, si le revenant s'était encore montré, il aurait eu moins peur.

« Au secours!... au secours!... »Fou d'angoisse et de désespoir, il se décida à rebrousser

chemin. Oh! pourvu que Primerose ne soit pas plus malade! Avant de quitter la lande, il se retourne une dernière fois; il lui semble que le revenant le poursuit. A coups de talon, il frappe les flancs du pauvre Dikey épuisé, qui ne comprend rien à cette course folle. A deux reprises il se trompe de chemin, et doit revenir sur ses pas. Enfin il aperçoit le mouchoir qu'il a attaché au bord du chemin, à la hauteur de la cabane, pour mieux la retrouver.

« Primerose! C'est moi, j'arrive. »Il s'élance à travers les buissons et tout à coup s'arrête,

cloué par la stupeur. La cabane est vide.

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CHAPITRE XVII

L'AUTRE REVENANT

LA HUTTE était vide et il ne vit personne aux alentours. De toutes ses forces, Peter appela : « Primerose!... »

Un écureuil effrayé traversa le chemin, froissant les feuilles mortes, et grimpa sur un gros hêtre; un oiseau partit à tire-d'aile, mais aucune voix ne répondit à Peter. Cependant, un peu plus loin, il découvrit le sac de Primerose et plus loin encore, dans la même direction, le plaid qu'il lui avait laissé pour la protéger du froid. Que s'était-il passé? Dans l'état où elle se trouvait quand il l'avait quittée, Primerose ne pouvait aller loin... et aller où? L'avait-on enlevée? Le sac et le plaid abandonnés indiquaient un départ précipité.

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Il pénétra de nouveau dans la hutte, espérant découvrir un indice, quelque chose qui pût expliquer l'inexplicable; rien.

Alors il chercha plus loin, suivant le chemin jalonné par le sac et le plaid. Le petit jour pointait, humide, glacial sous cette forêt trop touffue. Pas de traces de pas; le tapis de feuilles mortes n'avait conservé aucune empreinte. Désemparé, exténué, il agrandit, au hasard, le cercle de ses recherches, descendit jusqu'au ruisseau qui coulait plus bas, dans un ravin moussu. Dévorée par la fièvre, Primerose avait-elle voulu se désaltérer? Il appela encore de toute sa voix :

« Primerose!... »A chaque instant, il craignait de la découvrir tout à coup

inanimée, au pied d'un arbre, morte peut-être. Cette vision de Primerose sans vie, le visage exsangue au milieu de la forêt, lui fit passer entre les épaules un frisson d'épouvanté.

« C'est ma faute, je n'aurais pas dû l'abandonner.... »Durant plus de deux heures, il erra à travers bois, tantôt

sur le dos de Dikey, tantôt tirant son petit cheval par la bride. Il avançait au hasard, se déchirant aux buissons, sursautant chaque fois qu'une biche, débusquée, jaillissait d'un taillis ou qu'un « furly », ce gros oiseau du Nord, noir comme un corbeau, jetait en s'enfuyant son cri lugubre.

A bout de forces, vacillant de fatigue, il s'effondra sur le sol spongieux. Il n'avait rien mangé depuis la veille et pas dormi un seul instant. Dikey se planta devant son jeune maître et attendit.... Il attendit longtemps. Anéanti par sa fatigue, Peter n'avait pu résister au sommeil. Quand il rouvrit les yeux, la forêt était imprégnée d'une claire lumière et Dikey attendait toujours. A la hauteur du soleil qui plantait, à travers les branches, de grosses brassées de rayons, le petit berger jugea qu'il devait être près de midi. Se reprochant

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amèrement d'avoir dormi, il se leva vivement et rassembla toutes ses forces pour se hisser sur le dos de Dikey.

« Primerose!... Primerose!... »Il remonta vers la hutte aux biches, espérant que, par

miracle, elle y serait revenue. La hutte était toujours déserte. Alors il pensa avoir perdu trop de temps. Il devait aller chercher du secours. Ne sachant s'il trouverait d'autres habitations plus proches que le château de la Lande pourrie, il décida une seconde fois d'aller frapper à la demeure de l'ermite. Peut-être qu'en plein jour le vieillard le reconnaîtrait. Non, vraiment, il ne comprenait toujours pas ce qui s'était passé dans la nuit.

Tassé sur le dos de Dikey qui, lui-même exténué, se refu-sait à trotter, il déboucha sur la lande sauvage. La longue façade du château apparut, non plus baignée par la clarté blafarde de la lune, mais inondée d'un soleil presque rosé. Il s'arrêta pour l'examiner. Pas de fenêtres ouvertes, sauf une en bas, celle de la pièce où vivait habituellement l'ermite. Une cheminée fumait. Le vieillard était-il chez lui?

Il s'avança avec précaution, s'attendant à entendre les volets claquer et à voir paraître le revenant. Rien ne bougea. Il arrivait devant la porte quand celle-ci s'ouvrit.

« Ah! Peter, c'est toi!... »Le vieillard, si calme l'autre jour, avait un air presque

inquiet. Il saisit Peter par la main et l'entraîna dans le long corridor.

« Qu'y a-t-il? demanda Peter vivement. Cette nuit je....— Entre ! »L'ermite le poussa dans la grande salle du rez-de-

chaussée. Un feu de bois rougeoyait dans la cheminée. Tout à coup, au fond de la pièce, sur le lit même de l'ermite il aperçut dans la pénombre un corps étendu.

« Primerose », s'écria-t-il, le cœur battant.

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Il s'avança en tremblant. Immobile, les yeux fermés, le visage très pâle, elle laissait pendre une main inerte le long du lit.

« Morte?... Elle est morte?... »Le vieil homme secoua la tête et posa un doigt sur ses

lèvres pour l'inviter au silence.« Elle repose. »Alors Peter s'approcha sans bruit du lit, regarda le pauvre

visage creusé par la fatigue et la fièvre, voulut prendre la main qui pendait hors du lit. L'ermite le retint.

« Ne l'éveille pas, elle a tant besoin de repos. »Puis il entraîna le petit berger à l'autre bout de la pièce

près de la cheminée.«Je ne comprends pas, fit Peter la voix coupée par

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l'émotion, je ne comprends pas. Gomment est-elle venue jusqu'ici... et pourquoi cette nuit, quand je vous ai appelé, ne m'avez-vous pas reconnu?

— Cette nuit?... Tu es venu cette nuit?— J'ai frappé à la porte; vous êtes apparu à une fenêtre

sous votre drap de fantôme.... Vous ne vous souvenez pas? »Le vieil homme eut un faible sourire.« Tu comprendras tout à l'heure; laisse-moi t'expliquer.

Non, Primerose n'est pas venue seule. Cette nuit j'étais dans la forêt en train de braconner, comme il m'arrive souvent. Tout à coup j'ai entendu des gémissements et j'ai aperçu cette enfant effondrée au pied d'un arbre. Malgré le froid de la nuit, elle brûlait de fièvre. Je ne savais ni qui elle était ni d'où elle venait. Je lui ai parlé. Elle ne savait que répéter : « Peter... Peter Peacock. » Alors j'ai compris. Je l'ai enveloppée dans mon manteau pour la réchauffer et j'ai essayé de savoir où tu étais, mais elle s'est mise à délirer. Elle croyait voir des arbres qui marchaient et mettait les mains devant ses yeux en poussant des cris d'effroi. Je l'ai soulevée et chargée comme j'ai pu sur mes épaules. Dear me! elle n'était pas lourde, la pauvre petite. J'ai eu tout de même beaucoup de mal à la porter jusqu'ici.

— Est-elle très malade?— Un grand épuisement et un choc nerveux à la suite

d'une émotion trop vive. Il faut qu'elle puisse dormir longtemps, très longtemps, c'est le seul remède. »

A ce moment, Primerose laissa échapper un long soupir. Ses lèvres remuèrent. Elle poussa un cri.

« Les arbres!... les arbres qui marchent!... »Puis elle retomba dans sa somnolence. L'ermite et Peter

se regardèrent.« Où l'avais-tu laissée? demanda le vieillard.

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— Dans une hutte aux biches.— Alors je crois deviner. Pendant ton absence,

n'entendant aucun bruit, des cerfs sont revenus dans leur abri. Elle a pris leurs ramures pour des branches qui bougent. Effrayée, elle a voulu se sauver, a couru jusqu'à ce qu'elle tombe d'épuisement. Rassure-toi, son cauchemar s'évanouira vite. »

Puis, voyant Peter le regarder curieusement, il ajouta : « Et je veux aussi chasser ton propre cauchemar de cette nuit. Mon pauvre Peter, je t'ai encore fait très peur, n'est-ce pas? Eh bien, suis-moi. »

II entraîna le petit berger hors du château, et devant lui, souleva le lourd marteau de la porte. Aussitôt, à l'autre extrémité de la grande demeure, des volets claquèrent. Un revenant apparut, agitant les bras. Puis la fenêtre se referma d'elle-même.

« Un système assez compliqué de mon invention. J'ai passé plusieurs semaines à le fabriquer. Il suffit de soulever le marteau de la porte pour déclencher le mécanisme. Ce revenant me remplace quand je ne suis pas là. »

Puis posant la main sur l'épaule de Peter.« Mon pauvre Peter, tu n'avais pas besoin de cette

nouvelle frayeur. Pardonne-moi. »

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CHAPITRE XVIII

LES DESSINS D'ARTHUR PEACOGK

UN AIR léger courait sur la Lande pourrie qui, vraiment, sous cette pure lumière d'été, portait mal son nom. « Sortons, dit Primerose, allons nous asseoir sur le banc de pierre devant le château. » Peter voulut lui prendre le bras pour l'aider à marcher. « Oh! non, Peter, je ne suis plus du tout malade, tu sais. » II faisait bon sur le banc de pierre où le soleil était une véritable caresse. Après trois jours de grand repos et de sommeil, Primerose renaissait à la vie. Ses traits s'étaient détendus, les couleurs revenaient à ses joues. Dans la lumière de cette matinée d'été, ses cheveux paraissaient plus blonds encore.

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« Oh! soupira-t-elle, je voudrais rester ici avec toi et Old Father. »

Old Father (vieux papa) était le nom que, spontanément, elle avait donné à l'ermite de la Lande pourrie, qui s'en était montré tout ému.

« Hélas! fit Peter, ce n'est guère possible.— Il me semble que je serai encore malheureuse, que tu

vas partir, que je vais retourner à Binross ou qu'on m'enverra à Newcastle chez la tante qui ne m'aime pas. »

Peter ne répondit pas tout de suite.« Je sais, fit-il à mi-voix, hier soir pendant que tu

dormais, j'ai parlé de tout cela à Old Father.— Il ne veut pas me garder?— Il te garderait, Primerose, mais tu vois son existence;

il ne possède plus rien qu'une chèvre ; pour vivre, il est parfois obligé de braconner.... Encore, s'il n'y avait que cela! Tu penses bien, Primerose, qu'à Binross John Parton s'est inquiété de toi. Ici, sur cette lande perdue, on dirait le monde très loin, comme s'il n'existait plus, mais on te recherche. John Parton a écrit à ta tante et quand il saura (s'il ne le sait pas déjà) que tu n'es pas chez elle.... »

La fillette baissa la tête et serra la main de Peter. « J'ai peur, Peter. »

Ils restèrent pensifs.« Écoute, Primerose, demain nous partirons vers le Ben

Fellow et de là nous descendrons à Ring-Wall. Mac Pickle n'est pas, paraît-il, un méchant homme. Il pourra et voudra peut-être te garder.

— Et s'il ne veut pas, Peter? »Le petit pâtre ne sut que répondre. Sans doute le vieil

Highlander n'était-il pas aussi dur qu'on pouvait le croire au premier abord, mais il était Écossais. Dans toute la Grande-Bretagne on sait que, pour un Écossais, rien ne passe avant ses

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intérêts. Que dirait-il en voyant que son berger avait déserté les pâtures avec son propre cheval pour lui ramener cette petite bohémienne dont il n'aurait que faire?

« Tu vois, Peter, tu ne réponds pas !— Les Hautes-Terres sont grandes, Primerose, j'ai

pourtant eu la chance de te retrouver... nous aurons encore de la chance. »

La fillette sourit, un peu tristement, et n'ajouta rien. Ils demeurèrent silencieux un long moment, puis, comme la veille, oubliant leurs préoccupations du lendemain, ils parlèrent encore de Londres, de Piccadilly, de Stepney, de Poplar, du soir où ils s'étaient rencontrés.

« Londres, soupira Primerose, c'est si loin, si loin, jamais plus je n'y reviendrai... et pourtant c'est là-bas que je suis née, comme toi. Il m'arrive souvent, la nuit, d'y rêver. Alors j'entends la musique des manèges, le cliquetis des roues de loteries, je sens l'odeur chaude des gaufres. Mais ce ne sont que des rêves. De tout cela, il ne me reste rien. Londres est loin pour toujours et les petits chevaux du Poney-Volant ont disparu. Ils étaient simplement en bois, mais j'aimais les caresser comme de vrais chevaux.... Et toi, Peter, il t'arrive aussi de penser à Londres?

— Souvent, Primerose. L'autre nuit j'ai encore fait un rêve bizarre qui, depuis, ne cesse de me hanter. Mon père étalait ses dessins sur un trottoir de Piccadilly. Le vent les dispersait. L'un d'eux s'était envolé très loin, jusque dans une grande et belle salle où tu étais en train de l'accrocher, entouré d'un beau cadre doré. Maintenant que je t'ai retrouvée, Primerose, j'aimerais bien retourner là-bas, moi aussi. » Ils se turent de nouveau et regardèrent longuement la lande couverte de bruyères.

« Primerose, fit tout à coup le petit berger, puisque nous

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devons partir demain, il faut que j'aille aujourd'hui cherche les dessins de mon père que j'ai oubliés. Tu sais combien j'y tiens.

— Où sont-ils?— Dans un château, à douze milles d'ici. Rassure-toi, je

serai de retour avant la nuit. »Il jeta la selle sur le dos de son cheval et partit. Primerose

le suivit des yeux jusqu'au bout de la lande. Reposé de ses longues courses sur les montagnes, Dikey ne demandait qu'à galoper. Tout le long du chemin, Peter ne cessa de penser à Primerose, à cette aventure merveilleuse qui lui avait fait retrouver sur ces terres perdues sa petite consolatrice, et lui aussi avait peur à présent de la perdre de nouveau.

« Oh! soupira-t-il, si je pouvais l'emmener à Londres. »Quand, au sortir de la forêt, il déboucha sur la prairie où

s'élevait la demeure, il' arrêta sa monture. Lanternes et lampions avaient disparu. Le château paraissait désert. Il s'avança jusqu'aux écuries; elles étaient vides. Il hésitait à frapper à la porte du manoir, quand une servante sortit. Il apprit que Sir Liverbrook était parti à cheval avec des invités et que le valet d'écurie les accompagnait. Il demanda alors si quelqu'un au château avait trouvé les dessins oubliés dans une mansarde. La servante ne savait rien, simplement qu'on avait brûlé un tas de vieux papiers ces jours derniers.

Désappointé, Peter demanda encore quand Sir Liverbrook serait de retour.

« Ciel, s'écria la servante, on voit bien que tu ne le connais pas. Il peut rentrer dans une heure comme dans un jour... ou dans une semaine. »

Il décida d'attendre. La servante le fit entrer dans une grande cuisine aux cuivres étincelants et l'invita à se rafraîchir

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Le château paraissait désert.

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Au bout d'un long moment, voyant le soleil se rapprocher de la montagne, il voulut repartir. Il avait promis à Primerose de rentrer avant la nuit et ne voulait pas qu'elle s'inquiétât.

Le cœur lourd, il retraverse la prairie. Il vient à peine de s'engager dans le bois, quand le bruit de pas de chevaux lui fait tendre l'oreille. A travers un rideau de feuillage, il distingue un groupe de plusieurs cavaliers.

« By Jove! lance soudain une voix,' c'est notre jeune invité de l'autre soir. Tu tombes bien, mon jeune ami, suis-nous jusqu'au manoir.

— C'est que, proteste Peter....— Suis-nous, répète Sir Liverbrook, à la fois impératif

et cordial, j'ai à te parler. »Intimidé, Peter obéit. Tirant sur la bride de Dikey, il fait

demi-tour pour suivre la petite troupe.« Viens-tu chercher ce que tu as oublié? lui glisse

quelqu'un. Ne t'inquiète pas, je l'ai mis de côté. »Peter reconnaît le valet d'écurie.« Que me veut votre maître?... est-ce simplement pour

me donner mes dessins?— Tu le sauras bientôt. »Une demi-heure plus tard, Peter est introduit dans un

salon, curieusement décoré d'objets bizarres où Sir Liverbrook, qui n'a pas encore quitté sa tenue de cavalier, l'attend en compagnie d'un homme chauve. Sur un guéridon de marbre, il reconnaît aussitôt son précieux rouleau de carton.

« Tu vois, commence Sir Liverbrook, on n'a pas égaré le rouleau que tu as oublié. Comme je suis très curieux, je me suis permis de l'ouvrir pour voir ce qu'il contenait... et justement, au moment où je regardais les dessins, mon ami que voici et qui est un connaisseur se trouvait là. Ils l'ont intéressé.

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— Beaucoup intéressé », reprend le petit homme chauve. Un instant, Peter se demande si l'on veut se moquer de lui. Mais l'invité de Sir Liverbrook demeure sérieux.

« Ces dessins portent le nom d'Arthur Peacock. Qui est cet Arthur Peacock?

— Mon père.— Ah! ton père.... Où habite-t-il? » Peter baisse la tête.« Mon père est mort; il était pavement artist à Londres.— A Londres?... mais que fais-tu toi, sur les Highlands?— Ma mère est pauvre, je suis venu comme berger chez

un fermier de Ring-Wall.— Pavement artist, reprend le petit homme chauve,

vraiment ton père valait mieux que cela... beaucoup mieux. »Peter relève la tête. Non, l'homme ne se moque pas de lui.

Ses paroles lui font presque autant de bien que, naguère, celles de Primerose sur la place de Stepney. L'émotion est si forte qu'il pâlit. Il sort son mouchoir pour s'essuyer les yeux.

« Good Lord, s'écrie Sir Liverbrook, qu'as-tu?— Mon père n'était pas un père comme les autres,

bredouille Peter, je l'aimais beaucoup et j'aimais ses dessins. Je sais qu'à Londres on se moque des artistes du trottoir... alors, d'entendre dire qu'il valait mieux que cela.... »

Il essaie de sourire pour remercier. Il a surtout envie de pleurer.

« Et tu as conservé d'autres dessins de lui?— Oh ! oui, beaucoup. Quand il faisait trop mauvais

temps pour sortir, mon père dessinait à la maison. »L'homme réfléchit un instant, puis reprend : « Ainsi tu es

maintenant à Ring-Wall.... Pourrais-tu me donner ton nom, ton adresse?

— Peter Peacock, Berger, chez M. Mac Pickle. »

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Le petit homme chauve sort un carnet et note l'adresse. Peter a grande envie de demander pour quoi faire; il n'ose pas. Mais quand, ensuite, l'ami de Sir Liverbrook le prie de lui confier les dessins, il ne peut retenir un mouvement d'effroi.

« Ne crains rien, s'exclame en riant Sir Liverbrook, mon hôte n'est pas aussi fantasque et désordonné que moi. S'il les emporte il ne les perdra pas. »

A regret, il tend le rouleau qu'il avait repris et serrait dans ses mains.

«Je te les rendrai à Londres, déclare l'homme... ou si je ne te les rends pas, c'est que nous aurons à en reparler. »

Peter se demande ce qu'il doit comprendre. Tout dans ce château lui a paru si étrange. Que veut donc dire cet homme inconnu? Lorsque, un moment plus tard il se retrouva dehors, une grande envie le saisit- de revenir réclamer ses précieux souvenirs. Encore une fois, il n'osa pas. Cependant, au moment de se remettre en selle, oubliant sa propre émotion, il pensa tout à coup à la promesse qu'il s'était faite le matin en quittant Primerose. Apercevant le valet d'écurie qui sortait abreuver les chevaux, il courut vers lui. Gauchement, ne sachant comment dire, il demanda si Sir Liverbrook tenait beaucoup aux chevaux de bois entassés dans le grenier.

« J'aimerais tant en posséder un. »Le valet éclata de rire.« Un cheval de bois?... toi qui galopes sur une vraie

cavale!... et pour quoi faire, Seigneur? »Il rougit.« Pour rien... j'aime beaucoup les chevaux de bois....

Croyez-vous que Sir Liverbrook me refuserait?— Pas même besoin de lui en demander la permission.

Viens avec moi! »

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Il l'entraîna au grenier. Les petits chevaux du Poney-Volant gisaient toujours pêle-mêle, pattes en l'air. Peter en choisit un, celui qui ressemblait le plus à son propre cheval.

« Foi de Highlander, s'esclaffa encore le valet en voyant Peter attacher le cheval de bois sur la croupe de sa monture, tu es aussi fou que mon maître. »

Peter sourit et ne répondit pas. Gomme l'autre fois il partit au galop sur la prairie, heureux de rapporter à Primerose un souvenir du manège qu'elle avait tant aimé et qui lui rappellerait toute son enfance de petite fille heureuse....

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CHAPITRE XIX

MAC PICKLE

DEPUIS la veille, les vents de l'océan chassaient vers la côte des troupeaux de nuages qui galopaient sans fin sur les Highlands. Le temps était sombre, Mac Pickle avait éclairé la grande salle basse de son manoir. Assis au bout de la table, il faisait ses comptes : quatre-vingt-quinze livres pour la vente des toisons, soixante-sept livres pour celle des agneaux, quarante-neuf pour le lait. Non, jamais la saison n'avait été aussi mauvaise. Et cette épidémie qui lui avait enlevé deux de ses plus belles vaches... et le prix de la laine qui avait encore baissé de quatre shillings, comme si le gouvernement de Sa Majesté ne se souciait que des laines

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d'Australie. Vraiment, dans quelques années, la vie ne serait plus tenable sur ces Hautes-Terres....

Le menton sur le poing, il épluchait ses comptes en maugréant, quand un bruit de pas, à l'extérieur, lui fit dresser la tête.

« Grands dieux! qu'aperçois-je? »Il se leva et, les mains sur les hanches, se posta dans

l'embrasure de la porte.« Good Lord! je n'ai pas rêvé, c'est bien mon jeune

berger!... mais qui porte-t-il en croupe?... Qu'est-il arrivé pour que Duncan l'envoie? »

Il attendit que le cheval pénétrât dans la cour et, le sourcil froncé, regarda Peter et sa passagère sauter à terre. Posant un regard aigu sur le petit berger il demanda :

« Qu'y a-t-il là-haut? Est-ce que la foudre est tombée sur le troupeau, ou Duncan serait-il malade? »

Puis, levant les yeux vers Primerose :« Et qui est cette gamine? »Tout le long du chemin en descendant du Ben Fellow,

Peter avait vingt fois répété les mots qu'il dirait, en arrivant, pour expliquer ce retour; le ton sec et surtout le regard de Mac Pickle le glacèrent.

« Monsieur Mac Pickle, bredouilla-t-il, rien n'est arrivé au troupeau et Duncan se porte bien.

— Alors?... Êtes-vous à bout de votre provision de sel?... et pourquoi les flancs de Dikey sont-ils si creux? Il n'y a donc plus d'herbe là-haut?

Le ton vif indiquait une colère mal contenue. Toujours dans l'embrasure de la porte, le bonhomme semblait vouloir défendre l'accès de la maison.

« Monsieur Mac Pickle, je... je vais vous expliquer....— M'expliquer quoi?... que tu as laissé Duncan seul

avec les bêtes? Tu as donc oublié la règle?

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Il se posta dans l'embrasure de la porte.

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— Duncan n'est pas seul; le jeune Walter Krislen est avec lui.

— Comment? Que signifie cette histoire? »Agacé et intrigué, le vieil Écossais s'effaça et fit signe à

Peter d'entrer. Primerose, restée près de Dikey, tremblante de peur, se demanda ce qu'elle devait faire. D'un mouvement de tête, Mac Pickle lui fit signe de suivre. Le bonhomme se laissa alors tomber sur une chaise et, les mains sur les genoux, regarda longuement Peter, puis Primerose qui, n'osant soutenir son regard, baissait la tête en serrant nerveusement son mouchoir entre ses doigts. Dans la grande salle du manoir, on aurait entendu une mouche voler. Peter connaissait assez le vieux fermier pour savoir ce que ce silence présageait. Soudain le bonhomme assena sur la table un violent coup de poing qui renversa la cruche de bière.

« Good Lord! qu'attends-tu donc pour parler? »Alors, rassemblant tout son courage, Peter s'avança. Tant

pis si Mac Pickle l'injuriait ou même le frappait. Il ne voulait pas laisser accuser le brave Duncan.

« Monsieur Mac Pickle, commença-t-il d'une voix qu'il voulait assurée mais qui tremblait, il y a dix jours que j'ai quitté la cabane du Ben Fellow pour descendre dans la vallée, mais je ne suis pas parti parce que je m'ennuyais.... Si c'était à refaire, je recommencerais. »

Et il raconta son aventure. Il parla longtemps, très longtemps. A mesure que son récit se déroulait, il sentait revenir son assurance. Les mains toujours sur les genoux, son regard allant tour à tour de Peter à Primerose, le vieil Écossais écouta jusqu'au bout sans broncher: Quand le petit berger se tut, il y eut un nouveau silence angoissant. Peter crut que Mac Pickle allait exploser d'une colère terrible et il serra la main de Primerose. Se levant brusquement, le bonhomme

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écarta les deux enfants et sortit. Par la fenêtre à petits carreaux Peter le vit prendre Dikey par la bride et le conduire à l'écurie. Primerose se mit à pleurer, les épaules secouées de sanglots étouffés.

« Peter, il va me chasser et toi aussi. »Les instants où ils restèrent seuls leur parurent

interminables. Ils se demandaient s'ils devaient sortir, quand Mac Pickle reparut et revint s'asseoir sur sa chaise. Il leur sembla que la rougeur de son visage s'était atténuée. Qu'est-ce que cela signifiait? Il regarda avec insistance la malheureuse Primerose, qui, apeurée, serrait le bras de Peter et cherchait à se cacher le visage derrière son épaule. Puis le bonhomme se leva de nouveau, s'approcha de la fillette, qui sursauta en sentant une main effleurer ses cheveux.

« Tu étais vraiment si malheureuse là-bas? »La voix n'avait plus le même ton que tout à l'heure. Elle

découvrit son visage.« Oh! oui, bien malheureuse.— Ce n'est pas une raison pour s'enfuir. C'est mal de

partir ainsi. Te rends-tu compte dans quel embarras tu me mets?

— Je ne veux pas retourner là-bas. »Le vieil Écossais hocha la tête, puis caressa longuement

son menton rasé.« C'est- bien, fit-il, je ne te renverrai pas comme ça. Je te

garde, le temps de faire le nécessaire; ensuite, eh bien, nous verrons.... Quant à toi, Peter, ce soir tu coucheras ici, mais demain, dès l'aube tu rejoindras Duncan, tu entends?

— Je vous obéirai, monsieur Mac Pickle ! » Ayant ainsi décidé, l'Écossais appela sa femme. « Tu prépareras un lit pour cette gamine. »

Peter, soulagé, $'avança pour le remercier, mais

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Mac Pickle n'aimait pas les démonstrations sentimentales.

« C'est bon, c'est bon, fit-il en l'écartant; en attendant de savoir ce qu'on fera d'elle, elle aidera au ménage; n'en parlons plus. »

Restés seuls, les deux enfants se sentirent un peu rassurés. Ils ignoraient ce que l'avenir leur réservait, mais c'était un répit. Tandis que Mme Mac Pickle invitait Primerose à monter voir la chambre qu'on lui destinait, Peter alla dans la sienne ranger ses affaires. Sur la table, on avait déposé une lettre. Il reconnut aussitôt l'écriture de sa mère.

« Mon petit Peter, disait Mme Peacock, le temps me paraît bien long sans mes enfants. J'ai pu aller une fois dans le Chalk Country voir tes frères, mais toi, Peter, tu es si loin! Je ne sais si

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tu te plais réellement là-bas; moi, je pense avec chagrin au long hiver qui viendra bientôt. Je commence à regretter de t'avoir laissé partir dans cette lointaine Ecosse. Vois-tu, j'ose te le dire aujourd'hui, quand la saison des pâtures sera finie, j'aimerais tant que tu reviennes à Londres. J'aurais même besoin de toi bientôt. Je vais être obligée de quitter notre maison de la rue des Tulipes; je n'arrive, plus à payer le loyer. Il faudra déménager; c'est un gros souci pour moi et un gros chagrin aussi, j'aurais tant aimé vivre toujours dans la maison où a vécu ton père.

« Mon cher petit Peter, je souhaite que le bon air des Highlands continue de te faire grand bien; c'est ma seule consolation de te savoir si loin. Ta maman qui pense souvent à toi. »

Peter replia lentement la lettre et la mit dans sa poche.« Qu'as-tu? demanda Primerose en le retrouvant dans la

cour, tu as l'air tout triste. Mac Pickle t'a encore fait des reproches?

— Oh! non, Primerose, il ne m'a rien dit. »Mais il ne parla pas de la lettre.Le lendemain matin, à l'aube, ainsi qu'en avait décidé

Mac Pickle, Peter Peacock repartait vers la montagne, laissant Primerose au manoir de Ring-Wall. Combien de temps resterait-il là-haut? Un mois? peut-être deux, si le début de l'automne se montrait clément. Primerose s'était levée pour le voir partir. En l'embrassant elle serra sa main très fort comme pour le retenir.

« Peter, quand tu reviendras, est-ce que je serai encore là? C'est peut-être la dernière fois que je te vois. »

Peter détourna son regard pour ne pas montrer ses yeux humides. Il voulait être fort comme un homme, mais c'est difficile d'être un homme.

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Elle le regarda s'éloigner jusqu'à ce qu'il disparût derrière une colline. Alors elle rentra s'étendre sur son lit et eut grand-peine à retenir ses larmes.

Quelques heures plus tard, après une longue chevauchée à travers bruyères et genêts, Peter retrouvait Duncan et Walter. Une semaine plus tôt, au reçu de la lettre expédiée de Beverloch, Walter était monté là-haut, à pied, et s'était improvisé berger en attendant le retour du petit Londonien. Les deux camarades, qui s'étaient à peine vus, quand Peter ramenait Primerose de la Lande pourrie, se serrèrent longuement la main, silencieusement.

« Tu es un vrai camarade, dit simplement Peter, je voudrais pouvoir un jour te rendre tout ce que tu as fait pour moi et pour Primerose. »

Ils passèrent la nuit ensemble avec Duncan, dans la cabane, car Walter ne pouvait redescendre dans la vallée à une heure aussi tardive.

Et cette nuit-là, tandis que le troupeau dormait sous les étoiles, le petit berger des Highlands raconta longuement pour ses deux amis la belle aventure qu'il venait de vivre, mais dont, hélas ! il restait à connaître le dénouement.

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CHAPITRE XX

LE CHEVAL DE BOIS

QUATRE semaines ont passé, quatre semaines de solitude, quatre semaines aux journées tantôt brûlantes quand le soleil desséchait l'herbe courte des pâtures, tantôt glacées quand le brouillard entourait les monts.

Coupés du monde, Peter et Duncan ne recevaient vivres et nouvelles que par l'homme qui, tous les dix jours, montait vers eux.

La saison avançait. La course du soleil dans le ciel devenait plus courte. Plus de ces aubes ou de ces crépuscules interminables. Parfois au réveil la vallée, au-dessus du Ben Fellow, semblait bourrée de gros paquets de brume.

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« Regarde ce furly qui tourne en rond sur les bois, remarqua un jour Duncan, mauvais signe, l'automne sera précoce, avant quinze jours nous verrons voltiger les premiers papillons de neige. »

Peter ne dit rien, mais il pensa : « Tant mieux, je retrouverai Primerose, puisque, quand le valet nous a monté les vivres, elle était encore à Ring-Wall. »

Mais il pensa aussi à la lettre que l'homme avait également apportée. Sa mère lui demandait encore de rentrer à Londres. Que devrait-il faire?

Un soir, le vent de l'océan se mit à souffler avec une violence inhabituelle, puis, virant au nord, se rafraîchit considérablement. Le lendemain, le sommet du Ben Fellow s'éveillait saupoudré de blanc. La neige ne s'attarda pas, mais, à partir de ce jour-là, les moutons, au lieu de s'éparpiller jusqu'au soir sur les immenses pelouses, revenaient de bonne heure s'agglutiner autour de la cabane.

Duncan, prévoyant l'approche de la brume, ordonna le départ. Après deux jours d'une marche difficile à travers les rocailles, sur des chemins bordant des précipices, le troupeau regagnait Ring-Wall.

Primerose était encore à la ferme. Le vieil Écossais, d'accord avec la tante de Newcastle, à qui il avait écrit, consentait à la garder jusqu'à l'automne, mais jusque-là seulement.

« II m'est impossible de faire mieux, lui avait-il dit, cet hiver je n'aurai besoin d'aucune aide, ce sera déjà beaucoup de nourrir Peter pour ainsi dire à ne rien faire. »

Après la joie de se retrouver, les deux enfants sentirent de nouveau planer la lourde incertitude du lendemain. Peter n'osait toujours pas parler des lettres reçues de Londres. Sa

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mère désirait qu'il revienne, mais pouvait-il abandonner Primerose? La nuit, au lieu de dormir, il revenait sans cesse à cet insoluble problème.

« Comme tout serait facile, si maman étant moins pauvre, pensait-il, nous partirions tous les deux pour Londres; »

Mais, aussitôt, il revoyait la maison de la rue des Tulipes qu'il faudrait d'ailleurs quitter, parce que le logement coûtait trop cher; il revoyait sa mère, fouillant dans son porte-monnaie pour savoir si elle aurait assez d'argent pour finir la semaine. Non, emmener Primerose n'était pas possible.

Plusieurs jours passèrent. Un soir, Mac Pickle déclara avoir trouvé une place pour Primerose, à une trentaine de milles de Ring-Wall.

« Je connais un peu les gens de ce manoir ; tu y seras bien traitée. Tu partiras la semaine prochaine. »

Primerose ne protesta pas; elle savait qu'il fallait obéir. On ne badinait pas avec Mac Pickle. Cependant, elle osa tout de même demander, avant de partir, la permission d'aller à Beverloch revoir la tombe de sa mère.

« A Beverloch?... et par quel moyen?— Peter aimerait m'accompagner, il a connu maman. »Mac Pickle hocha la tête et tira trois grosses bouffées de

sa pipe de bruyère.« C'est bon, vous prendrez Dikey... mais ménagez-le. »Ils partirent le lendemain de grand matin. Installée sur la

croupe de Dikey, Primerose n'avait plus peur. Elle se sentait même tout à fait en sécurité derrière l'excellent cavalier qu'était devenu Peter. Mais son cœur était triste comme le ciel bas de cette journée de fin septembre. A Beverloch, ils revirent la maison où elle avait vécu. Au cimetière, elle eut beaucoup de peine à retrouver la tombe de sa mère, envahie par les herbes folles. Tous deux se recueillirent devant la

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croix de bois, penchée par le vent, et dont la peinture

s'écaillait déjà.« Je n'ai plus personne, plus personne que toi », soupira-t-

elle, en serrant la main de Peter.En quittant le cimetière ils s'arrêtèrent sur le « common »

où le Poney-Volant avait tourné pour la dernière fois.« Tu vois, expliqua Primerose, il était installé là, entre un

montreur de bêtes et la baraque d'un marchand de jouets. Je vois encore ses petits chevaux tourner en rond au son de la musique. Ah! Peter, tu ne sais pas comme tu m'as fait plaisir, le jour où tu m'as rapporté celui que j'ai dans ma chambre. Je le regarde souvent; il me rappelle tant de choses. »

Sur le chemin du retour, pour éviter de revenir sur ce qui les tourmentait tant, ils parlèrent encore de Londres. Peter avait grande envie d'avouer que sa mère le suppliait de rentrer. Il n'en eut pas le courage. Il avait trop souvent vu pleurer la petite fille, naguère si souriante, du Poney-Volant.

Le soir tombait quand apparut, au loin, le toit d'ardoises du manoir de Mac Pickle, et une petite pluie fine comme une vapeur commençait de tomber.

« Déjà, soupira Primerose, c'était notre dernière sortie ensemble, j'aurais voulu ne jamais arriver. »

Mac Pickle, sur le pas de la porte, semblait les attendre. Après un bref coup d'œil sur Dikey pour constater qu'il ne transpirait pas, il sortit quelque chose de sa poche et le tendit à Peter.

« Tiens, une lettre de Londres, elle est arrivée ce matin comme vous veniez de partir. »

Peter tressaillit. Sa mère lui avait déjà écrit l'avant-veille. Était-elle malade? lui demandait-elle de venir tout de suite? En prenant l'enveloppe, il constata avec soulagement

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que l'écriture n'était pas celle de sa mère. Alors qui lui écrivait?

Comme il ouvrait la lettre, deux billets de banque, deux gros billets de cinq livres 'chacun, s'en échappèrent.

Il les ramassa et aussitôt examina de nouveau l'enveloppe.

Certainement, c'était une erreur, la lettre n'était pas pour lui. « Peter Peacock, relut-il, c'est pourtant bien mon nom. » Alors il déplia la lettre. L'écriture était plutôt fantaisiste et mal formée, il eut beaucoup de peine à la déchiffrer.

« Petit berger des Highlands, disait-elle, as-tu oublié le bonhomme qui, un jour, t'a dépossédé de tes dessins? Lui ne fa pas oublié. Il a tenu sa promesse, non celle de te les redonner, mais de rendre justice à un certain Arthur Peacock.

« Je suis heureux d'avoir réussi à faire reconnaître son talent. Je ne te retourne donc pas ses dessins; ils ont été vendus et, pour commencer, je t'envoie un petit acompte. Tu m'as dit, je m'en souviens, posséder beaucoup d'autres dessins à Londres, chez toi. Je ne connais pas l'adresse de ta mère; voudrais-tu me la donner au plus tôt. En attendant, accepte la sincère amitié d'un admirateur de ton père.

« WILLIAM BUTLER. 12, Régent Street. London. »

Peter aurait reçu un coup sur la tête qu'il n'aurait pas été plus ébranlé.

« Mon Dieu! s'écria Primerose en le voyant pâlir, qu'as-tu? »

Il s'était appuyé au mur de la maison et riait, pleurait en même temps.

« Primerose! oh! c'est trop beau, trop beau, je ne peux pas y croire. »

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Il n'en put dire davantage. L'émotion lui nouait la gorge. Il tendit la lettre à Primerose aussi bouleversée que lui.

« Ah! Peter, s'écria-t-elle en l'embrassant, j'étais sûre que cela arriverait un jour. Oh! que je suis heureuse pour toi ! »

Leur joie était trop forte, elle leur faisait mal.« C'est trop beau, trop beau, répétait sans cesse Peter en

pleurant. »Son émotion calmée, il entraîna Primerose dans la grande

salle du manoir où Mac Pickle venait de rentrer.« Monsieur Mac Pickle, déclara-t-il d'une voix

tremblante, je crois que Primerose n'ira pas dans la maison où elle doit partir, je l'emmène à Londres.

— A Londres? s'écrièrent en même temps le vieil Écossais et Primerose.

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— Lisez, monsieur Mac Pickle. » Puis, se tournant vers Primerose :

« Je sais que ma mère sera heureuse de t'accueillir. Tu seras chez nous comme chez toi.

— A Londres... avec toi. Oh! Peter, est-ce possible?... » Le soir même, Peter Peacock courait au village de

Ring-Wall porter deux lettres, l'une très courte où il donnait l'adresse demandée, l'autre très longue, où il contait à sa mère l'extraordinaire aventure qui lui avait permis de retrouver Primerose et de voir enfin reconnaître le talent de son père.

« Maman, terminait-il, j'aurais trop de chagrin si je laissais Primerose ici. Oh ! si je pouvais l'emmener avec moi à Londres!...

« Ton Peter qui sera si heureux de te revoir. » La réponse ne pouvait guère arriver avant trois ou quatre jours. Aussi quel étonnement pour Peter, quand, le surlendemain, alors qu'il nettoyait les litières dans l'étable, il vit Mme Mac Pickle lui tendre un télégramme que le facteur venait d'apporter. Un télégramme! Pour les pauvres gens de tous les pays, ce petit bout de papier est trop souvent le signe de mauvaises nouvelles. Il l'ouvrit en tremblant.

« JE VOUS ATTENDS AVEC IMPATIENCE. MARY PEACOCK. »

II courut comme un fou jusqu'à la cuisine où Primerose épluchait des légumes.

« Primerose! nous partons!... »Deux jours plus tard, après une dernière visite à Dikey, le

vaillant petit cheval des Shetland, qui, pour eux, avait été le « Poney Volant », les deux enfants quittaient Ring-Wall.

Mac Pickle avait aussitôt écrit à Newcastle pour avertir

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la tante de Primerose qu'il la laissait partir pour Londres dans une famille amie, où elle serait comme chez elle. D'un autre côté, il acceptait de se séparer de Peter. Sous son écorce rude de Highlander, le vieil Écossais se montrait un brave homme.

Au moment de la séparation, sur le quai de la petite gare de Forloch, où le fermier avait tenu à les conduire en voiture, Peter et Primerose lui sautèrent au cou. Le bonhomme s'en montra tout troublé. Pour cacher son émotion, au moment où Peter hissait dans le train l'encombrant cheval de bois que pour rien au monde ils n'auraient abandonné, il lança en riant :

« Foi de Highlander! je parie que vous n'avez même pas songé à lui emporter une poignée d'avoine.... Il faudra revenir avec lui, un été, pour respirer l'air de nos montagnes ! »

Au moment où le train allait s'ébranler, ils virent déboucher sur le quai, un jeune garçon, transpirant et soufflant qui se précipita vers eux. C'était Walter. La veille, quand ils étaient descendus à Ring-Wall lui faire leurs adieux, Peter et Primerose ne l'avaient pas trouvé. Il avait enfourché son vieux vélo pour venir jusqu'à la gare. Les trois amis eurent à peine le temps de se serrer la main.

« Toi qui aimerais tant connaître Londres, lança Peter tandis que le train démarrait, tu viendras nous voir. Nous ne t'oublierons jamais. »

Ainsi les deux enfants quittaient les Highlands, les hautes pâtures, les brouillards, les revenants. La merveilleuse aventure de Peter s'achevait. Tandis que le train roulait vers Glasgow, Peter pensait à ces six mois vécus là-haut dans ce pays sauvage, mystérieux. Naguère, Primerose l'avait aidé à trouver la vie moins amère, aujourd'hui il la sauvait

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du chagrin. Rien ne pouvait plus les séparer. Il comprenait maintenant le sens du rêve étrange fait, une nuit, dans la forêt. C'était bien grâce à Primerose que les dessins de son père seraient peut-être un jour, dans un cadre doré, accrochés aux murs des plus grands musées de Londres, car sans Primerose, jamais il n'aurait connu le château de Sir Liverbrook.

Et le lendemain, après une longue nuit dans le train, ils débarquaient dans la grande ville, retrouvaient son ciel pâle, ses fumées, ses bruits, ses cris, ses odeurs... ils retrouvaient leur enfance.

Tandis qu'ils s'en allaient côte à côte, les gens, à chaque instant, se retournaient et souriaient, amusés ou ironiques, à la vue de Peter portant, sous son bras, un cheval de bois.

Mais peu importait l'ironie ou la moquerie. L'amitié que les deux enfants avaient l'un pour l'autre les en protégerait pour toujours....

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ŒUVRES COMPLETES (Années)

Paul-Jacques Bonzon

ANNEE TITRE EDITEUR ILLUSTRATEUR1951 LE VIKING AU BRACELET D'ARGENT G.P. Rouge et Or Henri DIMPRE1953 LOUTSI-CHIEN Collection Primevère Louis LAFFOND1953 DU GUI POUR CHRISTMAS BOURRELIER-HACHETTE Maguy LAPORTE1953 MAMADI MAGNARD EDITEUR Christian FONTUGNE1954 FAN-LÔ SUDEL EDITEUR JEAN TRUBERT1954 LE JONGLEUR A L'ETOILE HACHETTE Jeanne HIVES1955 DELPH LE MARIN SUDEL EDITEUR Claude JUILLARD1955 LES ORPHELINS DE SIMITRA HACHETTE Albert CHAZELLE1956 LA BALLERINE DE MAJORQUE BIBLIOTHEQUE ROSE Paul DURAND1956 LE PETIT PASSEUR DU LAC HACHETTE JACQUES POIRIER1957 MON VERCORS EN FEU SUDEL EDITEUR Igor ARNSTAM1957 LA PROMESSE DE PRIMEROSE HACHETTE PAUL DURAND1957 LA DISPARUE DE MONTELIMAR HACHETTE Philippe DAURE1958 LA PRINCESSE SANS NOM HACHETTE J-P ARIEL1958 L'EVENTAIL DE SEVILLE BIBLIOTHEQUE VERTE François BATET1959 UN SECRET DANS LA NUIT POLAIRE Editions Delagrave Henri DIMPRE1960 LE CHEVAL DE VERRE IDEAL-BIBLIOTHEQUE François BATET1960 LA CROIX D'OR DE SANTA-ANNA IDEAL-BIBLIOTHEQUE Albert CHAZELLE1960 LA ROULOTTE DU BONHEUR DELAGRAVE Daniel DUPUY1960 CONTES DE L’HIVER BIAS Romain Simon1961 LES COMPAGNONS DE LA CROIX-ROUSSE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1961 J'IRAI A NAGASAKI BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1962 LE VOYAGEUR SANS VISAGE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1962 TOUT-FOU BIBLIOTHEQUE ROSE Jeanne HIVES1962 LE CHALET DU BONHEUR DELAGRAVE Daniel DUPUY1962 LES SIX COMPAGNONS ET LA PILE ATOMIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME AU GANT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS AU GOUFFRE MARZAL BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME DES NEIGES BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LES SIX COMPAGNONS ET LE PIANO A QUEUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LES SIX COMPAGNONS ET LA PERRUQUE ROUGE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LA FAMILLE HLM ET L'ÂNE TULIPE (Où est passé l'âne tulipe?) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1964 LA MAISON AUX MILLE BONHEURS DELAGRAVE Daniel DUPUY1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE PETIT RAT DE L'OPERA BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE CHATEAU MAUDIT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1965 LE SECRET DE LA MALLE ARRIERE (HLM n°2) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1966 LES SIX COMPAGNONS ET L'ANE VERT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1966 LES SIX COMPAGNONS ET LE MYSTERE DU PARC BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1966 LES ETRANGES LOCATAIRES (HLM n°3) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1966 L'HOMME A LA VALISE JAUNE BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 LES SIX COMPAGNONS ET L'AVION CLANDESTIN BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1967 CONTES DE MON CHALET EDITIONS BIAS Romain SIMON1967 VOL AU CIRQUE (HLM n°4) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 POMPON LE PETIT ANE DES TROPIQUES (avec M. Pédoja) DELAGRAVE Romain SIMON1967 LE MARCHAND DE COQUILLAGES (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 RUE DES CHATS SANS QUEUE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 LE RELAIS DES CIGALES DELAGRAVE Daniel DUPUY1968 LUISA CONTRE-ATTAQUE (HLM n°7) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1968 LES SIX COMPAGNONS A SCOTLAND YARD BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1968 LES SIX COMPAGNONS ET L'EMETTEUR PIRATE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1968 LE CHATEAU DE POMPON DELAGRAVE Romain SIMON1969 LES AVENTURES DE SATURNIN BIBLIOTHEQUE ROSE PIERRE LEROY1969 SATURNIN ET LE VACA VACA BIBLIOTHEQUE ROSE PIERRE LEROY1969 LES SIX COMPAGNONS ET LE SECRET DE LA CALANQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1969 LES SIX COMPAGNONS ET LES AGENTS SECRETS BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1969 UN CHEVAL SUR UN VOLCAN (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1969 POMPON A LA VILLE DELAGRAVE Romain SIMON1969 LE PERROQUET ET SON TRESOR (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT

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1969 QUATRE CHATS ET LE DIABLE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1970 LE BATEAU FANTOME (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1970 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIRATES DU RAIL BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1970 LES SIX COMPAGNONS ET LA DISPARUE DE MONTELIMAR BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1970 LE JARDIN DE PARADIS DELAGRAVE Romain SIMON1970 L'HOMME AUX SOURIS BLANCHES (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1971 SOLEIL DE MON ESPAGNE IDEAL-BIBLIOTHEQUE François BATET1971 LES SIX COMPAGNONS ET LES ESPIONS DU CIEL BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 LES SIX COMPAGNONS ET LA PRINCESSE NOIRE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 LES SIX COMPAGNONS ET LA BRIGADE VOLANTE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 YANI DELAGRAVE Romain SIMON1972 CONTES DE L’HIVER EDITIONS BIAS Romain SIMON1972 LE SECRET DU LAC ROUGE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1972 LES SIX COMPAGNONS A LA TOUR EIFFEL BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1972 L'HOMME A LA TOURTERELLE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1973 SLALOM SUR LA PISTE NOIRE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1973 LES SIX COMPAGNONS ET L'OEIL D'ACIER BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1973 LES SIX COMPAGNONS EN CROISIERE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES SIX COMPAGNONS ET LES VOIX DE LA NUIT BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES SIX COMPAGNONS SE JETTENT A L'EAU BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES ESPIONS DU X-35 (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1975 LE CIRQUE ZIGOTO DELAGRAVE Romain SIMON1975 LE RENDEZ-VOUS DE VALENCE les veillées des chaumières ???1975 LES SIX COMPAGNONS DEVANT LES CAMERAS BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1975 LES SIX COMPAGNONS DANS LA CITADELLE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1975 LA ROULOTTE DE L'AVENTURE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1976 LES SIX COMPAGNONS ET LA CLEF-MINUTE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1976 DIABOLO LE PETIT CHAT BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 DIABOLO ET LA FLEUR QUI SOURIT BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 DIABOLO POMPIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 LES SIX COMPAGNONS AU TOUR DE FRANCE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1976 LE CAVALIER DE LA MER (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1977 LES SIX COMPAGNONS AU CONCOURS HIPPIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1977 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIROGUIERS BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1977 DIABOLO ET LE CHEVAL DE BOIS BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1977 L'HOMME AU NOEUD PAPILLON (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1977 DIABOLO JARDINIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1978 LES SIX COMPAGNONS AU VILLAGE ENGLOUTI BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1978 DIABOLO PATISSIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1978 LES SIX COMPAGNONS ET LE CIGARE VOLANT BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1978 AHMED ET MAGALI DELAGRAVE Monique GORDE1979 LES SIX COMPAGNONS ET LES SKIEURS DE FOND BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1979 LES SIX COMPAGNONS ET LA BOUTEILLE A LA MER BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1979 DIABOLO SUR LA LUNE BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1980 LES SIX COMPAGNONS ET LES BEBES PHOQUES BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1980 LES SIX COMPAGNONS DANS LA VILLE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY

THEATRE1953 Coquette chambre à louer 1954 Camping interdit1954 L'insécurité sociale 1956 Les Carottes des Champs-Elysées 1956 Nous les avons vus 1956 Aux urnes, citoyennes ! 1957 Permis de conduire à tout âge 1957 La nuit du 3 mars 1957 Madame a son robot 1957 Plus on est de fous??? Devant le rideau

NOUVELLES 1952 Le Grand Linceul Blanc

(Francs Jeux Africains n°16 du 20 novembre 1952)1953 Les monstres de Maladetta

(Francs Jeux pour les garçons No 174 du 15 Aout 1953) 1959 Le chamois de Zimmis

Publiée dans le numéro 30 du 26 juillet 1959 "Ames Vaillantes" , illustrations de Yvan Marié (illustrateur attitré des Editions Fleurus).??? Le père Noël n'avait pas six ans

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ŒUVRES COMPLETES (Thèmes)

Paul-Jacques Bonzon

ANNEE TITRE EDITEUR ILLUSTRATEUR

Série : Hors série (23)

1951 LE VIKING AU BRACELET D'ARGENT G.P. Rouge et Or Henri DIMPRE1953 LOUTSI-CHIEN Collection Primevère Louis LAFFOND1953 DU GUI POUR CHRISTMAS BOURRELIER-HACHETTE Maguy LAPORTE1953 MAMADI MAGNARD EDITEUR Christian FONTUGNE1954 FAN-LÔ SUDEL EDITEUR JEAN TRUBERT1954 LE JONGLEUR A L'ETOILE HACHETTE Jeanne HIVES1955 DELPH LE MARIN SUDEL EDITEUR Claude JUILLARD1955 LES ORPHELINS DE SIMITRA HACHETTE Albert CHAZELLE1956 LA BALLERINE DE MAJORQUE BIBLIOTHEQUE ROSE Paul DURAND1956 LE PETIT PASSEUR DU LAC HACHETTE JACQUES POIRIER1957 MON VERCORS EN FEU SUDEL EDITEUR Igor ARNSTAM1957 LA PROMESSE DE PRIMEROSE HACHETTE PAUL DURAND1957 LA DISPARUE DE MONTELIMAR HACHETTE Philippe DAURE1958 LA PRINCESSE SANS NOM HACHETTE J-P ARIEL1958 L'EVENTAIL DE SEVILLE BIBLIOTHEQUE VERTE François BATET1959 UN SECRET DANS LA NUIT POLAIRE Editions Delagrave Henri DIMPRE1960 LE CHEVAL DE VERRE IDEAL-BIBLIOTHEQUE François BATET1960 LA CROIX D'OR DE SANTA-ANNA IDEAL-BIBLIOTHEQUE Albert CHAZELLE1961 J'IRAI A NAGASAKI BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1962 LE VOYAGEUR SANS VISAGE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1962 TOUT-FOU BIBLIOTHEQUE ROSE Jeanne HIVES1971 SOLEIL DE MON ESPAGNE IDEAL-BIBLIOTHEQUE François BATET1975 LE RENDEZ-VOUS DE VALENCE les veillées des chaumières ???

Série : Contes (2)

1960 CONTES DE L’HIVER BIAS Romain Simon1967 CONTES DE MON CHALET EDITIONS BIAS Romain SIMON

Série : Scolaire (11)

1960 LA ROULOTTE DU BONHEUR DELAGRAVE Daniel DUPUY1962 LE CHALET DU BONHEUR DELAGRAVE Daniel DUPUY1964 LA MAISON AUX MILLE BONHEURS DELAGRAVE Daniel DUPUY1967 POMPON LE PETIT ANE DES TROPIQUES (avec M. Pédoja) DELAGRAVE Romain SIMON1967 LE RELAIS DES CIGALES DELAGRAVE Daniel DUPUY1968 LE CHATEAU DE POMPON DELAGRAVE Romain SIMON1969 POMPON A LA VILLE DELAGRAVE Romain SIMON1970 LE JARDIN DE PARADIS DELAGRAVE Romain SIMON1971 YANI DELAGRAVE Romain SIMON1975 LE CIRQUE ZIGOTO DELAGRAVE Romain SIMON1978 AHMED ET MAGALI DELAGRAVE Monique GORDE

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Série : Les Six Compagnons, Mady et Kafi (38)

1961 LES COMPAGNONS DE LA CROIX-ROUSSE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELL1962 LES SIX COMPAGNONS ET LA PILE ATOMIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME AU GANT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS AU GOUFFRE MARZAL BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME DES NEIGES BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LES SIX COMPAGNONS ET LE PIANO A QUEUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1964 LES SIX COMPAGNONS ET LA PERRUQUE ROUGE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE PETIT RAT DE L'OPERA BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE CHATEAU MAUDIT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1966 LES SIX COMPAGNONS ET L'ANE VERT BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1966 LES SIX COMPAGNONS ET LE MYSTERE DU PARC BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1967 LES SIX COMPAGNONS ET L'AVION CLANDESTIN BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1968 LES SIX COMPAGNONS A SCOTLAND YARD BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1968 LES SIX COMPAGNONS ET L'EMETTEUR PIRATE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1969 LES SIX COMPAGNONS ET LE SECRET DE LA CALANQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1969 LES SIX COMPAGNONS ET LES AGENTS SECRETS BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1970 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIRATES DU RAIL BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1970 LES SIX COMPAGNONS ET LA DISPARUE DE MONTELIMAR BIBLIOTHEQUE VERTE Albert CHAZELLE1971 LES SIX COMPAGNONS ET LES ESPIONS DU CIEL BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 LES SIX COMPAGNONS ET LA PRINCESSE NOIRE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1971 LES SIX COMPAGNONS ET LA BRIGADE VOLANTE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1972 LES SIX COMPAGNONS A LA TOUR EIFFEL BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1973 LES SIX COMPAGNONS ET L'OEIL D'ACIER BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1973 LES SIX COMPAGNONS EN CROISIERE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES SIX COMPAGNONS ET LES VOIX DE LA NUIT BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1974 LES SIX COMPAGNONS SE JETTENT A L'EAU BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1975 LES SIX COMPAGNONS DEVANT LES CAMERAS BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1975 LES SIX COMPAGNONS DANS LA CITADELLE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1976 LES SIX COMPAGNONS ET LA CLEF-MINUTE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1976 LES SIX COMPAGNONS AU TOUR DE FRANCE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1977 LES SIX COMPAGNONS AU CONCOURS HIPPIQUE BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1977 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIROGUIERS BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1978 LES SIX COMPAGNONS AU VILLAGE ENGLOUTI BIBLIOTHEQUE VERTE Maurice PAULIN1978 LES SIX COMPAGNONS ET LE CIGARE VOLANT BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1979 LES SIX COMPAGNONS ET LES SKIEURS DE FOND BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1979 LES SIX COMPAGNONS ET LA BOUTEILLE A LA MER BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1980 LES SIX COMPAGNONS ET LES BEBES PHOQUES BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY1980 LES SIX COMPAGNONS DANS LA VILLE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE Robert BRESSY

Série : La famille HLM (20)

1964 LA FAMILLE HLM ET L'ÂNE TULIPE (Où est passé l'âne tulipe?) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1965 LE SECRET DE LA MALLE ARRIERE (HLM n°2) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1966 LES ETRANGES LOCATAIRES (HLM n°3) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1966 L'HOMME A LA VALISE JAUNE BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 VOL AU CIRQUE (HLM n°4) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 LE MARCHAND DE COQUILLAGES (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1967 RUE DES CHATS SANS QUEUE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1968 LUISA CONTRE-ATTAQUE (HLM n°7) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1969 UN CHEVAL SUR UN VOLCAN (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1969 LE PERROQUET ET SON TRESOR (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1969 QUATRE CHATS ET LE DIABLE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1970 LE BATEAU FANTOME (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1970 L'HOMME AUX SOURIS BLANCHES (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1972 L'HOMME A LA TOURTERELLE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1972 LE SECRET DU LAC ROUGE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1973 SLALOM SUR LA PISTE NOIRE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1974 LES ESPIONS DU X-35 (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1975 LA ROULOTTE DE L'AVENTURE (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT1976 LE CAVALIER DE LA MER (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT

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Page 191: Bonzon P-J La Promesse de Primerose IB 1957

1977 L'HOMME AU NOEUD PAPILLON (HLM) BIBLIOTHEQUE ROSE Jacques FROMONT

Série : Saturnin (2)

1969 LES AVENTURES DE SATURNIN BIBLIOTHEQUE ROSE PIERRE LEROY1969 SATURNIN ET LE VACA VACA BIBLIOTHEQUE ROSE PIERRE LEROY

Série : Diabolo (7)

1976 DIABOLO LE PETIT CHAT BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 DIABOLO ET LA FLEUR QUI SOURIT BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1976 DIABOLO POMPIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1977 DIABOLO ET LE CHEVAL DE BOIS BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1977 DIABOLO JARDINIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1978 DIABOLO PATISSIER BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS1979 DIABOLO SUR LA LUNE BIBLIOTHEQUE ROSE Pierre DESSONS

Série : Théatre (11)

THEATRE1953 Coquette chambre à louer 1954 Camping interdit1954 L'insécurité sociale 1956 Les Carottes des Champs-Elysées 1956 Nous les avons vus 1956 Aux urnes, citoyennes ! 1957 Permis de conduire à tout âge 1957 La nuit du 3 mars 1957 Madame a son robot 1957 Plus on est de fous??? Devant le rideau

Série : Nouvelle (4)

NOUVELLES 1952 Le Grand Linceul Blanc

(Francs Jeux Africains n°16 du 20 novembre 1952)1953 Les monstres de Maladetta

(Francs Jeux pour les garçons No 174 du 15 Aout 1953) 1959 Le chamois de Zimmis

Publiée dans le numéro 30 du 26 juillet 1959 "Ames Vaillantes" , illustrations de Yvan Marié (illustrateur attitré des Editions Fleurus).??? Le père Noël n'avait pas six ans

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ŒUVRES COMPLETES

Paul-Jacques Bonzon

9 Séries

118 livres écrits

Série : Hors série (23)

Série : Contes (2)

Série : Scolaire (11)

Série : Les Six Compagnons, Mady et Kafi (38)Série : La famille HLM (20)Série : Saturnin (2)Série : Diabolo (7)

Série : Théâtre (11)

Série : Nouvelle (4)

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