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AU-DELA DES ETOILES (5) Le Mexicain était une adaptation théâtrale du récit de Jack London. Première mise en scène d'Eisenstein (avec Srnychliaiev) pour le théâtre du Proletkoult en janvier-mars 1921. Eisenstein avait éga- lement fait les ciC·cors c·r les costumes. (6) Valentin Smychliaiev, acteur et metteur en scène du premier studio du Théâtre d'Arr de Moscou, était l'auteur d'un petit ouvrage intitulé « La technique de traitement du divertissement scénique " édité par le Proletkoult <'Il 1922. ( 7) Au-dessus du précipice: pièce de V. Plétniev présentée au théâtre du Proletkoult en 1922. (8) Le sage avait pour point de départ la célèbre pièce d'Ostrovski Il n'est bon sage qui ne faille entièrement remaniée par S. Trétiakov (9) La Pérétrou était la troupe itinérante du théâtre du Proletkoult de Moscou. ( 1 0) Alexandre Ostoujev ( 1874-1953) était un artiste très célèbre en U.R.S.S., interprète des grands rôles du répertoire classique. ( Il ) Allusion au spectacle Le grillon du foyer de Dickens, monté en 1915 ct mis · au programme du premier studio du Théâtre d'Art de Moscou. (12) Eisenstein fait allusion à la pièce d'André de Lorde Au télé- phone dont Griffith a tin' un film en 1909, la Villa solitaire. ( 13) Alexandre Rodtchenko ( 1891 -1956), dessinateur, graphiste, photographe (il est un des créateurs du phow-montageJ, avait fait les décors pour plusieurs spectacles de Meyerhold (notamment pour la deuxième partie de La punaise de Maïakovski). Il faisait partie du groupe« LEF n. ( 14) « Vos doigts sentent l'encens >>chanson de Veninski; « Q.ue la tombe me punisse n romance populaire du début du siècle. ( 15) Chanson humoristique« sans fin >> \16) « Allah-Verdy >>(Dieu soit avec toi), refrain de chant popu- laire géorgien dom une version parodique antireligieuse était tres en vogue dans les années 20. LE MO!)lTAGE DES AITRACTIONS AU CINEMA Les présentes réflexions n'ont nullement l'ambition de servir de manifestes ou de déclarations, elles ne sont qu'une tentative pour éclairer tant soit peu les bases de notre difficile métier. Si l'on considère le cinéma comme un facteur d'influence émotionnelle sur les masses (tel est même le propos des« Kinoks » (1) qui désirent à tout prix sous- traire le cinéma de la série des arts), il convient de l'insérer dans cette série et, dans notre recherche des voies de l'édification cinématographique, d'utiliser largement l'expérience et les dernières réalisations obtenues par ceux qu i se fixent des objectifs analogues. Au premier chef, bien entendu, nous soulignerons l'importance du théâtre lié au cinéma par la commu- nauté (la similarité) du matériau fondamental: le spec- tateur, et la communauté de l'orientation et du but: le façonnage de ce spectateur dans le sens désiré à travers toute une série de pressions calculées sur son psychisme. Je juge superflu de m'étendre sur le sens de cette conception commune du cinéma et du théâtre (« l'agi- tation >>) étant donné que la chose est évidente et a été argumentée sous l'angle tant de la nécessité sociale Outte de classe) que de la nature même de ces ans qui, sur la base de leurs particularités formelles, sont conçus comme une série de coups portés à la conscience et aux sentiments du spectateur. Enfin, seules de pareilles aspi- 127

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(5) Le Mexicain était une adaptation théâtrale du récit de Jack London. Première mise en scène d'Eisenstein (avec Srnychliaiev) pour le théâtre du Proletkoult en janvier-mars 1921. Eisenstein avait éga­lement fait les ciC·cors c·r les costumes.

(6) Valentin Smychliaiev, acteur et metteur en scène du premier studio du Théâtre d'Arr de Moscou, était l'auteur d'un petit ouvrage intitulé « La technique de traitement du divertissement scénique " édité par le Proletkoult <'Il 1922.

( 7) Au-dessus du précipice: pièce de V. Plétniev présentée au théâtre du Proletkoult en 1922.

(8) Le sage avait pour point de départ la célèbre pièce d'Ostrovski Il n'est bon sage qui ne faille entièrement remaniée par S. Trétiakov

(9) La Pérétrou était la troupe itinérante du théâtre du Proletkoult de Moscou.

( 1 0) Alexandre Ostoujev ( 1874-1953) était un artiste très célèbre en U.R.S.S., interprète des grands rôles du répertoire classique.

(Il ) Allusion au spectacle Le grillon du foyer de Dickens, monté en 1915 ct mis ·au programme du premier studio du Théâtre d'Art de Moscou.

(12) Eisenstein fait allusion à la pièce d'André de Lorde Au télé­phone dont Griffith a tin' un film en 1909, la Villa solitaire.

( 13) Alexandre Rodtchenko ( 1891 - 1956), dessinateur, graphiste, photographe (il est un des créateurs du phow-montageJ, avait fait les décors pour plusieurs spectacles de Meyerhold (notamment pour la deuxième partie de La punaise de Maïakovski). Il faisait partie du groupe« LEF n.

( 14) « Vos doigts sentent l'encens >>chanson de Veninski; « Q.ue la tombe me punisse n romance populaire du début du siècle.

( 15) Chanson humoristique« sans fin >> \16) « Allah-Verdy >>(Dieu soit avec toi), refrain de chant popu­

laire géorgien dom une version parodique antireligieuse était tres en vogue dans les années 20.

LE MO!)lTAGE DES AITRACTIONS AU CINEMA

Les présentes réflexions n'ont nullement l'ambition de servir de manifestes ou de déclarations, elles ne sont qu'une tentative pour éclairer tant soit peu les bases de notre difficile métier.

Si l'on considère le cinéma comme un facteur d'influence émotionnelle sur les masses (tel est même le propos des« Kinoks » (1) qui désirent à tout prix sous­traire le cinéma de la série des arts), il convient de l'insérer dans cette série et, dans notre recherche des voies de l'édification cinématographique, d'utiliser largement l'expérience et les dernières réalisations obtenues par ceux qui se fixent des objectifs analogues. Au premier chef, bien entendu, nous soulignerons l'importance du théâtre lié au cinéma par la commu­nauté (la similarité) du matériau fondamental: le spec­tateur, et la communauté de l'orientation et du but: le façonnage de ce spectateur dans le sens désiré à travers toute une série de pressions calculées sur son psychisme. Je juge superflu de m'étendre sur le sens de cette conception commune du cinéma et du théâtre (« l'agi­tation >>) étant donné que la chose est évidente et a été argumentée sous l'angle tant de la nécessité sociale Outte de classe) que de la nature même de ces ans qui, sur la base de leurs particularités formelles, sont conçus comme une série de coups portés à la conscience et aux sentiments du spectateur. Enfin, seules de pareilles aspi-

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rations finales peuvent justifier les entreprises qui pro­curent au spectateur une satisfaction réelle (physique et morale), en tant que conséquence de l'action commune fictive du spectateur avec ce qui lui est montré (à travers l'imitation motrice de l'action perçue et « l'émotion psychique partagée »). Si ce phénomène, unique en son genre d'ailleurs et qui assure la force d'attraction du théâtre, du cirque, du cinéma n'existait pas, l'épuise­ment total des forces que l'homme recèle serait plus intensif, et les clubs sportifs compteraient un nombre bien plus grand de membres, qui s'y acquitteraient de leur dette envers leur propre nature physique.

Ainsi, de même que le théâtre, le cinéma n'est compris que comme « une des formes de violence ». Si les moyens sont différents, le procédé principal est commun, c'est le montage des attractions sanctionné par mes réalisations théâtrales du Proletkoult et que j'emploie à présent au cinéma. C'est la voie qui affranchit le film du scénario dicté par le sujet et qui, pour la première fois, enregistre sur le plan thématique et formelle ciné-matériau. Et qui, de surcroît, fournit à la critique la méthode permettant l' expertise objective des théo- ou ciné-phénomènes, laquelle remplace l'exposition imprimée des impressions et sympathies personnelles farcie de citations tirées du dernier rapport politique populaire à ce moment-là. L'attrac­tion (pour plus de détails cf. Lif n° 3-1923 et Oktiabr Mysli n° 1-1924) telle que nous la concevons est tout fait montré (action, objet, phénomène, combinaison, cons­cience, etc.) connu et vérifié, conçu comme une pres­sion produisant un effet déterminé sur l'attention et l'émotivité du spectateur et combiné à d'autres faits possédant la propriété de condenser son émotion dans telle ou telle direction dictée par les buts du spectacle. De ce point de vue, le film ne peut simplement se contenter de présenter, de montrer les événements, il est aussi une sélection tendancieuse de ces événements,

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leur confrontation, affranchies de tâches étroitement liées au sujet, et réalisant, conformément à l'objectif idéologique d'ensemble, un façonnage adéquat du pu­blic. (Pour ce qui est de la Kinopravda; la Kinopravda ne suit pas cette voie : le calcul attractionnel est absent de ses constructions, elle << prend » pour caractère attrac­tionnel des thèmes et pour maîtrise- purement exté­rieure et formelle le montage de bouts filmés séparés, dissimulant sous leur brièveté un « exposé des faits » épique, « asexué »). La large utilisation de tous les moyens d'influence fait de ce genre de cinéma non pas un cinéma possédant un style achevé, mais le cinéma de l'influence de classe utile, de classe en vertu de sa conception formelle même, étant donné que le calcul attractionnel n'est concevable que si l'auditoire est connu d'avance, sélectionné et homogène. L'emploi de la méthode du montage des attractions (confrontation des faits) est encore plus valable pour le cinéma que pour 1~ théâtre, car ce premier art que je qualifierais « d'art des confrontations », du fait même qu'il ne montre pas de~ faits mais des images conventionnelles (des photos) (en opposition à l'« action réelle » du théâtre, à vrai dire uniquement du théâtre de notre technique, celui que nous avons sanctionné), a besoin même pour exposer les phénomènes les plus élémen­taires que les éléments qui le composent soient confrontés (en les montrant successivement et séparé­ment). Le montage (dans la ciné-acception technique du terme) - l'essentiel pour le cinéma - est profon­dément fondé sur le caractère conventionnel du cinéma et la particularité correspondante de la perception.

Si au théâtre l'influence est principalement obtenue par la perception physiologique d'un fait qui se déroule réellement (2), (un crime, par exemple), au cinéma, par contre, elle est obtenue par confrontation et accumulation dans le psychisme du spectateur des associations voulues par Je dessein du film, et excitées

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par les éléments séparés du fait décomposé (pratique­ment en cc fragments de montage »). Des associations qui, dans leur ensemble, ne fournissent que de cette façon, indirectement, le même effet (et souvent un effet plus puissant). Prenons par exemple un même crime: mains qui saisissent la gorge, yeux qui remontent sur le front, couteau brandi, la victime ferme les yeux, le sang jaillit sur le mur, la victime tombe à terre, la main essuie le couteau: chacun de ces fragments vise à cc pro­voquer » les associations.

Un processus analogue se produit au cours du montage des attractions : en fait, ce ne sont pas les phé­nomènes qu'on confronte, mais des enchaînements d'associations, liées dans l'esprit d'un spectateur donné à un phénomène donné (3) (on comprend parfaitement que la série d'associations provoquées chez l'ouvrier ou chez l'ancien sous-lieutenant cosaque par la vue d'un meeting dispersé par la force, et, par conséquent, l'effet émotionnel confronté au matériau mis en image soit quelque peu différent).

J'ai eu l'occasion de vérifier, et de manière fort pré­cise, la justesse de cette thèse dans un exemple concret: faute d'avoir respecté cette loi, pourrais-je dire, l'effet comique d'un procédé aussi éprouvé que l'illogisme est tombé à plat. Je fais allusion au passage de Mister West (4) où un camion géant remorque un minuscule traîneau transportant la serviette de Mister West. Cette construction se retrouve sous des versions différentes dans n'importe quelle entrée de clowns excentriques, à commencer par le petit haut de forme pour finir par les énormes caoutchoucs. L'apparition d'une pareille combinaison sur la piste est suffisante. Mais quand elle a été montrée à l'écran d'un seul coup dans une même image (à vrai dire à la sortie d'une porte cochère, avec donc une petite pause de la même longueur que la corde qui reliait le camion au traîneau) toute cette combinaison n'a produit qu'un effet très faible. Et si le

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vrai camion perçu immédiatement dans son immensité est opposé~ la vraie serviette ?ans son format insigni­fiant, et qu Il suffise dans la vre de les montrer côte à côte, le cinéma exige au contraire que l'on commence par donner cc l'image » du camion pendant un inter­valle de temps suffisant pour introduire les associations correspondantes, et qu 'on donne ensuite son char­E~ment dé~esurément léger. Parallèlement, cela nous a!t pens~r a une.scène analogue d'un film de Chaplin

ou plusieurs metres de pellicule sont consacrés à l'ouverture terriblement compliquée des serrures d'un coffre-fort géant (5) après quoi seulement (et même dans un autre plan, je crois) on montre les brosses le chiffon et le seau qu'il renferme. Les Américains ~ti­lisent avec brio cette particularité quand ils veulent caractériser les personnages d'un fi lm: je pense à la façon dont Griffith cc présente » le cc Mousquetaire », le chef de bande, dans Intolérance: il montre un mur de sa chambre entièrement couvert de femmes nues avant de le montrer .lui-même. C'est beaucoup plus fort et ciné­mato~raphique que, par exemple, la présentation du surverllant de la work-house dans Oliver Twist avec la scène de la cc poursuite »des deux infirmes, c'est-à-dire par le moyen d 'un acte (procédé purement théâtral de description grâce à l'action), et non par l'excitation des associations voulues. . 1.1 ress,ort .clairem~n~ de t~u~ ceci que le centre de gra­

v!te de 1 actwn au ~mema, a 1 opposé du théâtre, ne ré­srde. pas dans les mfl.uen~es directement physiologiques, 9umque ~ne contammatwn purement physique puisse etre parfo1s obtenue (dans une poursuite, dans le mon­~ge de deux fr~gme.nts offra~t des mouvements oppo­s~s dans un;, meme Image). L effet purement physiolo­gique de. 1 a-coup et du rythme du montage n'a, semble-Hl, absolument pas été étudié ni calculé et si on l'utilise, c'est uniquement en vue d'une illust;ation narrative (correspondance du rythme du sujet avec

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l'histoire exposée). Nous « prions de ne pas confondre » le montage des attractions et son procédé de confrontation, avec l'habituel parallélisme de mon­tage dans l'exposition du sujet - le même déb~t nar­ratif de la Kinopravda où l'on commence par devmer de quoi il retourne avant de se passionner « tous en­semble »pour le thème.

Plus proche du montage des attractions existe le pro­cédé (à vrai dire assez discrédité par Palais et forteresse (6) à cause de la naïveté de la mise à nu du procédé) de simples confrontations contrastées, qui produit sou­vent un effet émotionnel précis et puissant (chaînes que l'on fixe aux pieds du prisonnier dans le ravelin et jambes de la âanseuse ; à vrai dire dans ce même Palais il faut signaler qu'on a complètement perdu de vue le calcul de la confrontation dans la construction des images destinées à ce but- leur construction ne contri­bue pas à créer l'association, mais au contraire 1~ dé­truit, et elle pénètre dans la conscience non pas v~suel­lement, mais littérairement: par exemple, Netcha1ev .se frappe la tail~e, dos à la cam~ra, con~re la porte l?nl­lagée et le dtrecteur de la pnson, pns en plan den~ semble dans un coin près d 'une fenêtre, tient un canan enfermé dans une cage; les fers passés au pie.d sont pris à l'horizontale alors que les pointes le sont en 4 fois plus gros et à la verticale, etc. .. ). .

L'expérience du montage des attractions est la confrontation des sujets visant à un effet thématique. Je signalerai la version initiale du montage choisi pour le finale de mon film La grève: la fusillade de masse- o~, afin d'éviter que· les figurants de la Bourse du Travail aient l'air de jouer dans la « scène de la mort », et sur­tout afin d'éliminer l'effet d'artifice que l'écran ne souffre pas et qui est inévitable même avec« l'agonie JJ

la plus brillante, j'ai employé le procédé suivant tiré d'une scène non moins sérieuse, d'une part, et destiné à provoquer l'effet maximum d'horreur sanglante

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d'autre part: l'alternance associative de la fusillade avec des abattoirs. La première, en plans d'ensemble et plans moyens cc mis en scène J> ; la chute des 1 500 ou­vriers dans le ravin, la fuite de la foule, les coups de feu, etc... En même temps, tous les gros plans servent à montrer l'horreur vraie des abattoirs où le bétail est égorgé et écorché. Une des versions du montage se pré­sentait à peu près ainsi: l - Tête de taureau, le poignard du tueur la vise et sort de l'image vers le bas. 2 - Gros plan. La main armée du poignard frappe derrière l'image vers le bas. 3 - Plan d'ensemble. 1500 personnes dévalent la pente (de profil). · 4 - 50 personnes se relèvent; se frottent les mains. 5 - Le visage du soldat qui vise. 6 - Plan moyen : une salve. 7 - Le corps du taureau a un soubresaut (tête en dehors de l'image), il s'abat. 8 - Gros plan. La patte du taureau agitée de convul-sions. Sabots frappant la mare de sang. · 9 - Gros plan. Culasses des fusils. 10 - On ligote avec une corde la tête du taureau à l'établi. li - 1000 personnes passent en courant.

. 12 - Un cordon de soldats se dresse derrière un fourré. 13 - Gros plan. La tête du taureau meurt sous un coup invisible (les yeux se ternissent). 14 - Une salve, en plus petit, de dos. 15 - Plan moyen. On attache les jambes du taureau

cc à la juive >J (mode d'abattage du bétail en position allongée).

16 - Plus gros plan. Les gens dégringolent du haut de la falaise.

17 - On tranche la gorge d'une vache, le sang coule. 18 - Demi-gros plan. Des gens, les bras tendus, se lèvent dans l'image. ·

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19 - Un soldat portant une corde ensanglantée s'avance sur la caméra (en mouvement). 20 - La foule court vers la clôture, la brise, une embuscade l'attend derrière (deux-trois images). 21 - Des mains tombent sur l'image. 22 - On sépare du tronc la tête de la vache. 23 - Salve. 24 - La foule glisse la pente, tombe dans l'eau. 25 - Salve. 26 - Gros plan. Un coup de feu fracasse des dents. 27 - Les jambes des fantassins s'éloignent. 28 - Le sang coule dans l'eau, l'eau se teinte de rouge. 29 - Gros plan. Le sang jaillit de la gorge du taureau. 30 - Des mains transvasent dans un seau le sang conte­nu dans une cuvette. 31 - Fondu d'un wagon plate-forme transportant des seaux de sang ... en route vers l'usine de récupération. 32 - On tire la langue de la tête morte par la gorge tranchée (un des procédés d'abattage, sans doute pour empêcher les dents d'abîmer la langue pendant les convulsions). 33 - Les jambes de fantassins s'éloignent (en plus petit). 34 - On écorche la tête. 35 - 1500 morts en bas de la falaise. 36 - Deux têtes écorchées de taureaux morts. 37 - Une'main humaine dans une flaque de sang. 38 - Gros plan. Sur tout l'écran. L'œil mort du tau­reau.

1 nterti tre final. Dans la plupart de nos films russes, le désastre vient

de ce qu'on ne sait pas construire consciemment les schémas des attractions et qu'on ne tombe sur les combinaisons réussies qu'à l'aveuglette et rarement. On trouve des documents inépuisables pour l'étude de ces procédés (à vrai dire, sur le plan purement formel, non objectif) dans le film comique américain (le pro-

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cédé sous son aspect pur). Si nous pouvions voir les films de Griffith, au lieu de les connaître par des des­criptions, ceux-ci nous apprendraient beaucoup sur le plan du montage, mais cette fois-ci, dans une orienta­tion sociale hostile à la, nôtre. Il ne faut pas cependant procéder à une « transplantation » de l'Amérique, quoiqu'au début, dans tous les domaines, l'étude des procédés passe par l'imitation. Il faut exercer notre aptitude à sélectionner les attractions parmi nos propres matériaux.

Nous arrivons ainsi progressivement à une question des plus critiques de notre époque, celle du scénario. La première chose dont il faut se souvenir est que, en dehors de l'« agitation >>, le cinéma n'exjste pas ou, plus exactement, ne doit pas exister. Le procédé d'« agitation >>à travers un spectacle consiste à créer un nouvel enchaînement de réflexes conditionnés en asso­ciant les événements choisis aux réflexes incondition­nés suscités (correspondant aux procédés). Si vous dé­sirez que votre héros soit sympathique, vous l'entou­rerez de chatons qui jouissent incontestablement de la sympathie générale; il n'est aucun film soviétique qui ne présente les officiers russes associés à des beuveries monstrueuses, etc. En se remémorant cette thèse fonda­mentale, on doit considérer avec la plus grande atten­tion les films joués, qui constituent un facteur d'in­fluence tellement puissant qu'il ne faut pas les négliger. Je pense que la campagne dirigée contre l'idée· même de ces films est consécutive à la mauvaise qualité effec­tive de la technique du scénario comme de celle de l'interprétation. Je m'étendrai sur le second point plus tard. En ce qui concerne le 'premier, dans notre concep­tion, les constructions concevables ne sont pas du tout les « petites histoires >> et << petits romans >> avec une « petite intrigue >> qui ne feraient que dégoûter de ces

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films. Pour exemple de ces constructions, je puis citer le projet visant à traiter un matériau historique et révo­lutionnaire, projet que j'ai présenté et qui a été accepté à l'issue de longs débats avec les partisans des films de << droite », consacrés à la vie quotidienne (ils rêvaient de mettre en scène la vie d'un militant clandestin quel­conque, d'un provocateur connu, ou encore une his­toire fictive imaginée sur la base de documents réels.) (Matériau, soit dit au passage, totalement ignoré par les « chercheurs » dans le domaine du cinéma et laissé entièrement à la disposition, et aux outrages, des metteurs en scène de droite : Andréï Kojouklwv, Stépan Khaltourine, Palais et forteresse (7) !).

Mon objectif pnncipàl dans ma conception de ce sujet a été d'exposer et de montrer la technique de la clandestinité, d'en faire une description productionnelle à travers certains modèles typiques. Comment confec­tionne-t-on les bottes - comment préparait-on Octobre. Pour notre spectateur dressé à s'intéresser à la production, les souffrances de l'acteur grimé pour res­sembler à Beideman (8), pas plus que les larmes de sa fiancée ne sont ni ne doivent être intéressantes ; ce qui l'intéresse c'est l'ancien régime de la Forteresse Saint­Pierre et Paul présenté dans l'exposition directe de ses méthodes et non dans les souffrances personnelles du héros.

Ce n'est pas la vie de l'agent provocat~ur Malinovski qui nous intéresse, mais les variétés, les types de provo­cateurs (de même qu'il existe des forêts de tel ou tel type), leurs procédés de fabrication, non pas le séjour de tel individu au dépôt, mais la prison elle-même, son atmosphère, ses mœurs m9ntrés sous des versions mul­tiples. Bref, la présentation de chaque élément du tra­vail clandestin, en tant que phénomène offert sous le nombre le plus grand possible de variétés et de modèles. Les circons­tances du transport de la littérature de propagande, l'imprimerie clandestine, etc., sous forme de fragments

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caractérisant les différents aspects de la chose, et non pas réunis en un sujet fondé autour de l'imprimerie clandestine, mais montés afin de révéler sous tous ses aspects, par exemple, un des faits de l'activité clandes­tine, l'imprimerie clandestine. Il faut miser sur les tâches de montage les plus intéressantes. Ceci est incon­cevable sans « mise en scène », mais sur un plan tota­lement différent. Prendre comme exemple un montage (comme les séries << Evasions ») de pures aventures, où sont conservés tous les matériaux attractionnels à des fins de connaissance historique. Pour passer à ce genre de constructions, nous avons choisi au premier chef le thème de la grève, le plus adapté de par sa richesse de masse à la forme intermédiaire entre le film visant à un effet révolutionnaire purement émotionnel, condition­nable par le sujet, et un film dont la construction serait comprise de façon nouvelle. Pour toute une série de considérations, dictées essentiellement par la nature même du matériau, nous avons dû traiter le film dans une forme proche du premier type.

En ce qui concerne l'utilité ou l'inutilité du scénario ou du libre montage d'un matériau filmé arbitrai­remen~ il convient de rappeler que le scénario, qu'il contienne ou non un sujet de notre point de vue, est (comme je l'ai déjà dit au sujet du théâtre. Cf Lej (9)), une recette ou un enregistrement de fragments de mon­tage et de combinaisons par l'intermédiaire desquels l'auteur se propose de soumettre le spectateur à une série bien précise de secousses, produisant sur lui un effet émotionnel général aéiditionnel prévu et exerçant la pression voulue sur son psychisme. Le plus souvent, étant donné que nos scénaristes sont totalement inca­pables d'aborder la construction d'un scénario, cette tâche incombe entièrement au metteur en scène. Une transposition du thème en enchaînement d'attractions, avec un effet final imposé d'avance: telle est la défi­nition que nous donnerions du travail du metteur en

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scène. L'existence ou l'absence de scénario ecnt n'a nullement une importance capitale; je pense qu'au cas où l'on effectuerait une opération sur le spectateur au moyen d'un matériau sans sujet homogène, il suffirait d'un schéma directionnel fondamental permettant de conduire aux résultats désirés et d'un choix libre du matériau de montage réalisé sur sa base (J'absence de ce schéma conduirait non à l'organisation du matériau mais à un impressionnisme sans espoir autour d'un sujet qui auràit pu être attractionnell. Dans le cas où cette opération s'effectue par l'intermédiaire d'une construction ayant un sujet ~ompliqué, un scénar.io dé­taillé est manifestement nécessaire. Les deux sortes de films ont un droit égal de citoyenneté, car en dernière analyse, nous allons avant tout voir dans Nathan le Sage le surprenant travail de la cavalerie, ses sauts par­dessus la caméra, exactement de la même façon que nous allons voir Vertov· pour sa réalisation du Stade Rouge. .

Ici, j'évoquerai un autre aspeçt du travali touchant directement à la mise en scène. Q.uand, au cours du processus de construction, de filmage et de mise en forme on sélectionne les éléments de montage des frag­ments' filmés, on ne doit pas oublier les particularités de l'influence du cinéma exposées au début de cet article, qui définissent la conception du montage comme la langue indispensable, chargée de . sens et seule possible pour le cinéma, offrant un parfait paral­lélisme avec le rôle du mot dans le matériau verbal. Dans le choix et la présentation de ce matériau, l'ar­gument décisif doit être le caractère direct et l'éco­

·nomie des forces dépensées durant l'influence associa-tive. La première indication pratique qui découle de cette constatation est le choix du point de vue pour chaque élément, choix exclusivement conditionné par la précision et la force percutante dans la présentation indispensable de l'élément en question. En enfilant

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successivement les éléments du montage, on aboutit à ~n déplacement permanent du point de . vue par rapport au matériau mo~tré (ce qm es~ en s01 une des possibilités pureme.nt cmématograph1q~es les plus passionnantes). Stnctement parlant, l encastrement d'un ·fragment dans un autre fra~ent au ~<_;>yen d,u montage est inadmissible, chaque e~ement ~oit etr~ pre­semé le plus avantag~usem~nt_po~sibl~ et dun p~mt de vue exclusif. La partie du Cine-fait 9m ~asse apre_s, par exemple, un gro~ ~lan i.~tercalé, n_ecesstte un pomt ~e vue nouveau, différenCie de celm du fragment pre­cédant le gros plan.

Ainsi, dans l'exposition homogène d'un fait, le tra­vail du metteur en scène de cinéma, à la différence du metteur en scène de théâtre, exige, outre l'art de la mise en scène (établissement des plans et jeu) la science des points,calculés en fonction ?u montage, d'où !a ~améra « prend » ces éléments. J ai presque pu realiser ce genre de montage ?ans la scè?-: ?e la ~a&"<l:r:e de la Grève où j'ai prauquemen~ ~vit: la .repetition ~es fragments. Ces mêi?es considerations J~ment un role décisif dans le choiX des plans et le reglage des lu­mières. On n'a besoin d'aucune« justificatiol,l » par le sujet, quant au choix du point de vue:o~ des ~~ur<:es ?e lumière (sauf peut-être dans le cas ou 1 on desire msis­ter particulièreme,nt sur la réalité, . pa~ _exemple le contre-jour, qui ? _est. aucune_me,n~ « JUStifie_»: dans les prises de vue amencames en mteneur). A cote du pro­cédé de mise en scène d'une séquence et de son filmage par la. caméra, il existe un procédé d'exposition, que je qualifierais de futuriste, ?a~é sur ,le moi?-ta~e P,ur des associations et la descnpuon d un fait Isole; par exemple, l'impression .que produit cette bagarre peut être obtenue par le monta~e d 'éléll!ents qu:au~une suc­cession logique dans la mise en scen~ ne re~mt da~s _la séquence. L'accumulation de détalis _: objets ?nses, coups, procédés de la bagarre, expressiOns des VIsages,

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etc. .. ne produira pas une impression moins forte que l'analyse détaillée par la caméra de toutes les phases du processus de la bagarre qui se déroulent dans un ordre logique. Tels sont les deux montages pris séparément que j'ai confrontés dans la scène de la fusillade (par exemple, non pas l'enchaînement: cran d'arrêt- coup de feu - balle au but - chute, mais l'enchaînement chute - coup de feu - cran d'arrêt - ramassage des blessés, etc ... ).

En abordant le problème, que nous posons avec intransigeance, du fait de « montrer la vie quo­tidienne >> en tant que t'el, il faut indiquer que ce cas particulier est couvert par la thèse générale du montage des attractions et que nous devons donc mettre en doute l'affirmation selon laquelle l'essence unique du cinéma est de montrer cette vie quotidienne. Je pense que la solution consiste à étendre les propriétés cc de l'attraction de 1922-1923 >>, (répondant comme tou­jours à des aspirations sociales, - en l' occurence, l'orientation vers la cc construction >>, en tant que ma­tériau de ces aspirations et vers la cc présentation » avec publicité de cette édification - par exemple, grâce à un événement aussi considérable que l'Exposition agri­cole) à toute la nature du cinéma dans son ensemble. La canonisation de ce matériau, le fait de le considérer comme le seul acceptable, .prive le cinéma de souplesse par rapport aux larges tâches sociales, et lorsque -le centre de gravité de l'attention des cercles sociaux est détourné sur d'autres domaines (ce qui est déjà appa­rent), il ne reste plus qu'une cc passion » d'esthète cc pour la vie quotidienne» (de même que le jeu de la passion pour la cc machine » est déjà poussé à l'absurde, comme à l'exemple de ce film policier sovié­tique fort honoré où, pour figurer l'entassement de ma­chines lors de la mise en service d'une usine de guerre chimique, on voit se mettre en route des machines à fa­briquer les douilles et à imprimer les papiers peints, 140

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machines qui sortent tout droit d'un cc court-mé­trage»!). Ou alors, il faudra opérer cc une révolution dans les fondements àu cinéma » lorsqu'il s'agira d'un ~i~ple ~hangement ~'attractions. Il ne s'agit nullement ICI de glisser subrepticement des éléments inacceptables quant à la forme et impropres au cinéma sous le cou­vert de cc tâches d'agitation», de même qu'aujourd'hui on justifie par l'agitation toute l'innombrable masse de rebut, de travail salopé et l'absence de principes que l'on voit au théâtre. J'affirme avoir la conviction que l'avenir appartient incontestablement au film-présenta­tion sans sujet, sans acteurs, mais cet avenir n'inter­v~en~ra que. quand. existeront des ~onditi?ns d' orga­nisation sooale qm permettront d obtemr un déve­loppement harmonieux et une élimination harmo­nieuse de la nature propre de l'homme qui pourra alors appliquer toute son énergie à l'action: l'huma­nité n'aura plus besoin de trouver sa satisfaction dans les actes énergétiques fictifs qui lui seront fournis par toutes sortes de spectacles qui ne se distinguent que par la façon dont ces actes sont provoqués. Cette époque est encore lointaine et, je le répète, il n'est pas possible de négliger l'immense efficacité du travail du modèle sur le public. Je suppose que cette campagne contre le modèle est conditionnée par le caractère répugnant de l'effet qu'il produit en raison du manque de système et de principes dans l'organisation de son travail. .

Ce cc jeu » est soit une péripétie semi-anesthésiante, où l'on ne tient pas compte le moins du monde du temps ni de l'espace (à peine si l'on tient tant soit peu compte du cc côté où se trouve la caméra »), soit un aplatissement stéréométrique, dans' un espace tridimen­SIOnnel, du corps et des membres du modèle dans diffé­rentes directions, ·évoquant de très loin certaines actions humaines (que le spectateur perçoit de la ma­nière suivante: cc tiens, on dirait qu'il se fâche »), soit des contractions locales successives des muscles du vi-

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sage totalement indépendantes les unes des au~res et de tout leur système dans son ensemble et qm passent pour être de la mimique. L'un et l'autre dans une coupe excellente de l'espace du cadre et de la surface de l'écran et selon des schémas rigoureusement rythmiques, sans le moindre « barbouillage >> o': lie~ non fixé. Mais ... le schéma rythmique est arbitraire, Il est institué par le caprice ou par le metteur en scène « à vue de nez >>, et non en fonction de la longueur dictée par les conditions mécaniques de l'acco~pliss.eme~t.du processus moteur en question ; quant a la disposltlon des membres (qui n'est justement pas le « mou­vement >>) elle est située en dehors de toute leur inter­action mécanique, en tant que système moteur unique d'un organisme unique. Présentée de cette façon, l'image perd l'effet émotionnel que ~on?e, la I?er­ception, si bien que le spectateur en est reduit a devi?er ce qui se passe sur l'écran. Et comme la. percepu?n émotionnelle est obtenue par la reproduction motnce des mouvements du personnage par celui qui les per­çoit, seul un mouvement qui se déroule avec les mêmes procédés que ceux employés normalement dans la na­ture peut provoquer pareill~ reproduction. Pour.pro~­ver la justesse de ce mode d action et de perceptiOn, Je me réfère ici (ce problème est traité et étudié en déta!l dans ma brochure consacrée au mouvement expressif publiée par le Proletkoult), ne .ser.ait-ce qu'à Lipps (Das Wissen vom fr emden 'I ch 1) qm CI te comme preuve de l'exactitude de ses voies dans son étude du « Moi >> de l'autre, l'affirmation (citée d'après Bekhterev) selon la­quelle, en sentant son « moi >> dans la mimique d'un autre, on n'obtient qu'une tendance à subi; une ém~­tion personnelle de même ordre que la sienne, mais non la conviction que le « moi >> de l'autre existe. En laissant de côté la dernière affirmation qui nous concerne peu, nous avons une très précieuse confir­mation de la justesse de notre conception de la cons-

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truction cc agissante>> (le film en l'occurrence) : ce ne sont pas les faits montrés qui sont importants, mais les combinaisons des réactions émotionnelles du spec­tateur. En vertu de quoi il est concevable, sur le plan théorique et pratique, de bâtir une construction sans lien logique dicté par le sujet, et suscitant une ch~ne de réflexes inconditionnés nécessaires, assoCiables (confrontables) de par la volonté du monteur aux phénomènes étudiés, i?~taur~nt ~insi u11:e chaîn<: de nouveaux réflexes conditionnes qm se conJuguent a ces événements, ce qui s'avère être la réalisation de notre directive sur l'effet thématique - c'est-à-dire l'exécu­tion de tâches d'agitation (10). C'est avec l'essence ainsi révélée du spectacle cc d'agitation >> qu'est refermé le cercle des arts agissants et qu'est faite la cc jonction » avec les sources originelles - je crois que les célèbres danses des sauvages primitifs en peaux de bête cc d'où est parti le théâtre >> sont une institution fort raison­nable des mages anciens, visant beaucoup moins à réa­liser des tendances plastiques (pour quoi d?nc.?) qu'à exciter de manière extrêmement précise les mstincts de chasse et les instincts de combat du public primitif. Le raffinement de l'art imitatif n'a pas du tout pour dessein de complaire à ces mêmes tendances, mais est destiné à obtenir un effet émotionnel maximum sur le spectateur. Cette orientation ~ri~ordiale et p:i~itive quant au rôle du spectacle qm s est perdu ulteneure­ment - avec les raffinements purement formels des moyens -n'est reprise aujourd'hui qu'en fonction des impératifs concrets de notre époque ...

Traduction: Andrée Robel

Ecrit en octobre 1924. Paru en 1925 dans le livre de A. Belenson

Cinéma d'aujourd'hui, cet article d'Eisens~~in n'a pas été repris dans les Œuvres chomes,

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en 6 volumes, éditées à Moscou. Nous n'en reproduisons ici que la première partie,

qui nous a été aimablement communiquée par le Cabinet Eisenstein.

NOTES (1) Groupe créé par Dziga Vertov en 1922 (année du manifeste

Naus).' et attaquant vivement le << cinéma d'an ll, le cinéma <<joué >>. Cf. ct-dessous, Sur la question d'une approche matérialiste de la forme et Notre 1 Octobre 1, respectivement p. 145 et p. 17 7.

(2) ~'action di~ecte animalo-visuelle à travers l'acte moteur qui li­mite 1 homme agtssant, vtvant, notre-semblable, différent de sa pâle ombre sur l'écran. Ces voies de l'efficacité théâtrale ont été éprouvées lors de ma mise en scène de Moscou, entends-tu .1 (Note de S.M.E.) . . _(3} On le comprend dans le temps (la succession) qui ne joue pas ICI s~u.leme~t le :ôle. d,t; .triste condition technique, mais aussi de condttlOn necessatre a ltmplantauon fondamentale des associations. (Note de S.M.E.).

(4) Les Aventures de Mi.ster West au payJ deJ bolchroilu: film réalisé en 1923-24 par l'" atelier n de Koulechov au V.G.I.K. (Institut du ci­néma) ;_il s'agissait .d:u~ exercice de<~ cinéma pur)) parodiant le style des feUilletons amencams, sur le theme du voyage à surprises d'un Américain naïf dans l'U.R.S.S. des débuts de la NEP.

(5) En montrant au préalable un nombre suffisant de banques (note de S.M.E.). ·

(6) Film de A. lvanovski (1924) d'après le roman de O. Forsch, Vê­tements de pierre.

(7) Andréï Kojou/t.hov, film de Protazanov (1917) avec Ivan Mos­joukine; Stéphan Khaltourine, film de A. lvanovski (1924) - l'un et l'autre " racontant '' la vie de célèbres révolutionnaires russes du XIX• siècle. Palais et fortereJJe, cf. note 6.

(8) Célèbre révolutionnaire russe enfermé pendant 20 ans à la For­teresse Saint Pierre et Paul et qui mourut dans un asile d'aliénés en 1887.

(9) Il s'agit évidemment de l'article le Montage deJ attractiom (voir ci­dessus, p. 115).

(10) Il faut aussi savoir que dans un spectacle ayant un effet drama­tique, le spectateur n'est pas placé dès le début dans des conditions de neutralité, mais qu'il sympathise avec une parti,e, en s'identifiant à ses actions et en s'opposant à l'autre partie, en réagis~am avec une tfmo­tion directement opposée dès le début à ses actions. La colère du héros provoqut> votre colère personnelle à l'égard de ses ennemis; par contre, la colère du scélérat provoque l'indignation de votre part. La lm de l'mfluenœ demeure en fait inchangée (Note·de S.M.E.).

SUR LA QUESTION D'UNE APPROCHE MATERIALISTE DE LA FORME

L'accueil chaleureux et unanime fait à la Grève par la presse et le caractère même de ses appréciations auto­risent à considérer la Grève non seulement comme une

_victoire révolutionnaire en soi, mais aussi comme une victoire idéologique dans le domaine de la forme. Ceci est particulièrement significatif actuellement, alors que l'on est prêt à persécuter aussi fanatiquement le travail dans le domaine de la forrhe en le stigmatisant du sceau du << formalisme >>, et en lui préférant ... le totalement informe. Avec la Grève au contraire, nous avons le pre­mier exemple d'art révolutionnaire où la forme se montre plus révolutionnaire que le contenu.

Et la nouveauté révolutionnaire de la Grève ne résulte absolument pas de ce que son contenu - le mouvement révolutionnaire - a été historiquement un phénomène de masse, et non individuel - c'est tout cela, dit-on, absence d'intrigue, de héros, etc., qui caractérise la Grève comme << premier film prolétarien >> - mais de ce que le film propose un procédé formel correctement déter­miné d'approche de la mise à jour d'une profusion de matériel historico-révolutionnaire dans son ensemble.

Le matériel historico-révolutionnaire, c'est-à-dire le passé«' productif 1 de la réalité révolutionnaire contem-

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