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Architecture et nature Comment et pourquoi Renzo Piano compose-t-il avec la nature et intègre- t-il la végétation comme matériau de construction ? Margaux GILLET Mémoire de master Janvier 2011 Directeurs de mémoire Jean-François BLASSEL Juliette POMMIER Ecole d'architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée Document soumis au droit d'auteur

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Architecture et natureComment et pourquoi Renzo Piano compose-t-il avec la nature et intègre-t-il la végétation comme matériau de construction ?

Margaux GILLET

Mémoire de masterJanvier 2011

Directeurs de mémoireJean-François BLASSEL Juliette POMMIER

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Margaux GILLET

Mémoire de master Matières à penserJanvier 2011

Directeurs de mémoireJean-François BLASSELJuliette POMMIERGuillemette MOREL JOURNEL

Je remercie mes directeurs de mémoire, Jean-François Blassel, Juliette Pommier et Guillemette Morel Journel pour m’avoir guidée tout au long de mon travail d’analyse et de rédaction, les bibliothécaires pour m’avoir orientée dans mes recherches de documents, et mes proches pour la relecture finale du mémoire.

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Sommaire

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Résumé 5

Introduction 7

1. Le contexte générateur du projet 13

1.1 Requalification du lieu et urbanisme 13

1.2 Topographie : lien entre la forme du lieu et la forme du produit 19

1.3 Insertion éphémère en milieu naturel 23

1.4 Séquence d’entrée sur le site comme promenade paysagère 25

2. La végétation, de l’immatérialité au matériau 31

2.1 Végétation comme lien entre intérieur et extérieur 31

2.2 Végétation comme élément vivant de la composition 37

2.3 Végétation comme matériau à part entière de la construction 41

2.4. Une végétation recomposée, une nature réinventée 43

2.5. «Le jardin dans la machine» ou «la machine dans le jardin» 47

3. La maîtrise de la technique et le souci du détail au service de la nature 51

3.1 Usage des nouveaux matériaux et nouvelles techniques d’assemblage 51

3.2 Travail à l’aide de prototypes et de l’informatique 57

3.3 Pratique traditionnelle de l’architecture 61

Conclusion 67

Bibliographie 71Eco

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Résumé

Français

Ceci n’est ni la biographie de Renzo Piano, ni son oeuvre complète. Après plus de quarante ans de carrière sur la scène internationale, ce mémoire n’a pas la prétention de retracer la liste exhaustive de ses projets et leur histoire. Par la sélection de trois d’entre eux, il cherche à expliciter l’importance qu’accorde l’architecte génois à la nature. Son atelier de recherche aux environs de Gênes, le pavillon européen d’exposition IBM et la réhabilitation de l’usine Schlumberger à Montrouge sont trois projets au programme très différent, et pour autant très proches dans la subtilité avec laquelle ils entretiennent un rapport étroit avec leur contexte environnant. De leur étude approfondie, on comprend alors l’attitude simple et juste adoptée par le Renzo Piano Building Workshop pour une conception architecturale à la fois respectueuse de la nature et résolument contemporaine.

English

This report is neither the biography of Renzo Piano, nor his complete works. It does not pretend to sum up more than 40 years of international career or to display the exhaustive list of his projects and their history. By selecting three of them, it simply focuses on the importance that the Italian architect attach to nature. His research workshop around Genoa, the IBM european exhibition pavilion and the Schlumberger factory renovation in Montrouge are three projects that contain very different programs but are simultaneously very similar in the way they subtly connect to their surrounding context. Studying them more in details makes us understand the simple and right attitude adopted by the Renzo Piano Building Workshop to design an architecture that is at the same time respectful to the nature and firmly contemporary.

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Introduction

Problématique

D’après les définitions des mots «architecture» et «nature», le lieu commun de départ serait de dire que l’architecture n’est pas nature, et la nature n’est pas architecture. L’architecture, terme issu du latin architectura et tiré du grec αρχιτεκτων («maître-maçon»), de αρχι («chef»), et τεκτων («constructeur», «charpentier»), est un nom commun désignant une discipline qui associe art, science et technique de construire ou rénover des édifices terrestres ou navals. La nature, terme issu du latin natura et du grec φυσισ («plante», «rejeton»), mot qui évoque le fruit d’une «génération», est un nom commun signifiant l’ensemble de la réalité matérielle considérée comme indépendante de l’activité et de l’histoire humaines. 1 Elle n’est pas à confondre avec la végétation qui est un ensemble de végétaux – réunis par la nature quand il s’agit d’espèces spécifiques d’une zone géographique, climatique, géologique formant un certain type de paysage, ou réunis par l’être humain dans le cadre d’un paysage reconstitué par la main de l’Homme. Pourtant, à regarder de plus près dans les projets d’architectes contemporains, «architecture» semblerait rimer avec «nature», par la présence de végétation notamment, mais pas seulement.

A l’heure où la question de l’environnement est au cœur de l’actualité, des projets mettant en valeur une végétation plus ou moins abondante sont en effet de plus en plus nombreux à voir le jour. Qu’il s’agisse de toitures végétalisées, de façades végétales, ou autres coulées vertes à travers le bâti, les nouvelles technologies permettent la mise en place de verdure là où elle n’existerait pas d’elle seule. Il est donc indispensable aujourd’hui de faire la part entre toutes ces architectures usant de ce marketing culturel et environnemental qui s’est créé autour de l’écologie en ajoutant «une touche de vert». Fort heureusement, certains architectes ne font pas que jouer et profiter de cette image primordiale qu’a prise la nature dans notre société. C’est le cas notamment du célèbre architecte italien Renzo Piano, né à Gênes en 1937, qui place la nature au centre de ses

1 Site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/

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8 Architecture et nature · Margaux Gillet

1. Projet revisité du Centre Pompidou avec de la végétation«Centre Georges Pompidou Piano+Rogers : a statement», Architectural Design, n°2, 1977.

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Introduction 9

préoccupations – de la naissance du projet à la mise en fonction du bâtiment, en passant par sa conception et sa construction. Mais comment et pourquoi Renzo Piano compose-il avec la nature et intègre-t-il la végétation comme matériau du bâti ?

Nous tenterons de comprendre cette stratégie de conception du projet avec la nature et à l’aide de la végétation à travers l’étude de la méthode de travail de l’architecte : nous étudierons la hiérarchie des étapes du projet révélatrice de sa vision de l’architecture. Nous confronterons aussi son discours aux dispositions et dispositifs mis-en-place afin de saisir sa manière de concevoir l’architecture.

Corpus et méthode d’analyse

Piano a débuté sa carrière en 1964, diplômé de l’école Politecnico de Milan, par un travail qui était de l’ordre de la recherche et de l’expérimentation autour de la technologie et des matériaux. Influencé au départ par son père et son frère constructeurs, son approche de l’architecture a ensuite évolué autour de la question de la ville mais sans jamais perdre de vue ce rapport à la technique et aux matériaux qu’il avait exploités. C’est ainsi qu’il qualifie la progression de son travail qui va « des structures des mes premiers projets à l’organisme architectonique complet ; du bâtiment en soi au bâtiment dans son contexte, en liaison avec l’environnement ; de l’architecture à la ville en tant qu’organisme complet ». 2

A y regarder de plus près, cette évolution n’est peut-être pas non plus un hasard quant à la situation des débuts de Piano dans l’histoire de la modernité. Le début de l’œuvre se situe parfaitement dans la transition entre l’époque moderne en architecture, prônée par des personnages comme Le Corbusier ou Gropius et datée des années trente à soixante environ, et le temps de l’écologisme, courant de pensée idéologique autour du respect de la nature en pleine expansion en Europe à partir des années soixante-dix, et toujours d’actualité. 3 Ce retour à la ville que Piano exalte s’inscrit en réalité dans une période d’entre-deux que l’on appelle la post-modernité. Même des projets comme le Centre Pompidou qui a suscité de nombreuses polémiques à l’époque car jugé anti-urbain, est une œuvre aujourd’hui parfaitement inscrite dans l’histoire de la ville. A noter qu’après avoir remporté le concours en collaboration avec Richard Rogers avec ce projet ressemblant à une «grande machine», le projet a du être repensé afin de répondre aux restrictions de hauteur des constructions dans Paris. Le projet revisité est toujours basé sur la transparence, la flexibilité et la fonction mais intègre par ailleurs des angles arrondis et une végétation particulièrement abondante, [ill.1] dont Piano est certainement à l’origine. Il l’aurait probablement fait dans le but

2 Piano Renzo, Carnet de travail, traduction de l’italien par Nathalie Brauer, Editions du Seuil, Paris, 1997, p.246.

3 Ecologisme : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cologisme

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Introduction 11

d’apaiser les vives tensions des Français de l’époque. Bien que le président Pompidou, à l’origine du projet, appréciait cette nouvelle proposition, il ne présentait pas des surfaces et des hauteurs sous plafonds requises. Le projet retenu sera finalement un retour à la «machine» initiale avec une structure, une circulation et des réseaux exposés en façade. 4

Les édifices étudiés pour le corpus ne présentent pas nécessairement un rapport à la nature aussi concret et perceptible que ce projet intermédiaire du Centre Pompidou recouvert de végétation, mais entretiennent un lien étroit et parfois très subtil avec celle-ci. Le pavillon d’exposition IBM, destiné à promouvoir les nouvelles technologies de la célèbre enseigne d’informatique dans de grandes villes européennes, marque en quelques sortes le tournant entre ce temps de l’expérimentation et celui de la construction sur site, c’est pourquoi il fera partie du corpus d’analyse de ce mémoire. Construction éphémère, il se distingue des autres éléments d’étude tel que le siège de la société Schlumberger à Montrouge en banlieue parisienne, projet de réhabilitation d’un site industriel qui est le premier (et donc symbolique) d’une longue série dans la suite de ses réalisations. Son agence et atelier de recherche Renzo Piano Building Workshop à Punta Nave aux environs de Gênes est un exemple caractéristique dans un site à la géographie et à l’histoire très particulières. Le corpus ainsi choisi présente une variété dans la typologie des bâtiments (exposition, réhabilitation industrielle, bureaux), dans leur échelle (volume différents), dans leur forme (courbe, angulaire), dans leur temporalité (mobile, permanent) et dans leur géographie (climat, topographie, urbain/rural), ce qui nous permettra de montrer que le rapport à la nature n’est pas destiné à un seul type de construction dans l’œuvre de Piano.

L’analyse approfondie de ces trois bâtiments sera éventuellement complétée par d’autres œuvres de l’architecte génois, si ceux-ci paraissent plus pertinents pour illustrer une idée ou simplement si Piano les cite comme anecdote dans son discours que nous commenterons en parallèle de l’étude architecturale. Cette exploration se fera suivant un changement d’échelle, en commençant par l’analyse à l’échelle territoriale jusqu’à celle de l’échelle du matériau, voire du détail technique, en passant par l’analyse à l’échelle du bâtiment. Ainsi, la première partie intitulée «Le contexte générateur du projet» concernera le rapport du bâtiment à la nature environnante, géographique et historique, dans laquelle il s’implante. Puis la seconde partie, «La végétation : de l’immatérialité au matériau», abordera le rôle qu’attribue Piano à la végétation dans la conception de son bâtiment lui-même. Et enfin, la dernière partie appelée «La maîtrise de la technique et le souci du détail au service de la nature» s’intéressera au souci que l’architecte porte aux innovations technologiques quant à la transformation de la matière tout en conservant cet esprit de respect du matériau, afin de ne pas tomber dans l’excès de leur usage.

4 «Centre Georges Pompidou Piano+Rogers : a statement», Architectural Design, n°2, 1977.

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1. Le contexte générateur du projet

Un projet, une histoire ; un contexte, une relation

«Par maturation à travers ses projets, par la manière d’entrer en corrélation avec le lieu, avec l’environnement et la culture du lieu», Renzo Piano vise à ce que «chaque bâtiment raconte une histoire». 1 Nous allons donc voir comment, à travers les divers exemples du corpus, Piano prend différemment en compte le contexte, mais toujours avec autant d’attention, et s’en inspire. Qu’il s’agisse de la topographie, du climat, de l’histoire, de la mémoire culturelle, ou de la valorisation du site, l’architecte adopte systématiquement une posture valorisant la caractéristique transcendante du site, créant ainsi une relation toujours unique entre un projet et son contexte. Toutefois, on retrouve des thématiques croisées d’un bâtiment à un autre, sur lesquelles il ne fait jamais l’impasse, mais qui ne prennent pas nécessairement la même forme.

1.1 Requalification du lieu et urbanisme

L’intervention sur le site de Schlumberger, installé depuis 1925 dans la banlieue sud de Paris, à Montrouge, est la première d’une série de projets de rénovations urbaines sur des sites industriels en reconversion. L’entreprise, spécialisée dans les systèmes de mesures des fluides notamment, produisait jusqu’alors des instruments mécaniques dont les grandes dimensions ont entraîné un étalement du complexe sur huit hectares, de part et d’autre de l’avenue Jean Jaurès. Mais au moment même où le concours est lancé, une transformation radicale vers une production électronique pour la détection et l’extraction du pétrole était en cours. Les locaux de l’usine nécessitaient donc moins de superficie car les engins seraient de taille réduite, mais une propreté et une protection supérieures pour de petites pièces électroniques de bonne qualité. C’est pourquoi les bâtiments de l’ancienne usine au centre de la parcelle étaient voués à la démolition. Les

1 Cassigoli Renzo, Renzo Piano : La désobéissance de l’architecte (entretien avec Renzo Piano), traduction de l’italien par Olivier Favier, Editions Arléa, Paris, 2007, p.125.

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2. Site de Schlumberger avant la réhabilitationBuchanan Peter, Renzo Piano Building Workshop, Œuvres complètes, vol.1, traduction française, Editions Phaidon, Londres, 1993-2000, p.92.

3. Vue aérienne de l’ensemble du site réhabilité par PianoPiano Renzo, Projets et architec-tures 1984-1986, Editions Electa Moniteur, Collection Mono-graphies d’architecture, Milan, Paris, 1987, p.17.

4. Plan d’aménagement du parc central et du forumBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.98.

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15Le contexte générateur du projet

grandes constructions de la périphérie étaient, elles, robustes et très austères mais elles faisaient partie de l’identité historique du quartier que Jean Riboud, conseiller culturel de l’usine, voulait conserver, et permettant par la même occasion un coût inférieur à une nouvelle construction. [ill.2] L’enjeu était d’autant plus grand que 2000 employés continueraient à travailler sur le site pendant les travaux. 2 Pour répondre à cette complexité, Renzo Piano a du faire preuve d’un «grand respect pour l’actualité du passé» 3, phrase qui lui permit de remporter définitivement le concours du client très exigeant et économiquement rigoureux qu’était Jean Riboud. Les anciens locaux de l’usine furent démolis pour créer un jardin central, sous lequel le nouveau complexe des lieux communs (restaurant, bar, banque, salle de conférences, salle de gymnastique…) fut placé. Ce qu’on appelle aujourd’hui «le forum» est couvert par une colline artificielle dont une faille constitue l’articulation principale du projet protégé de la pluie et du soleil par une structure tendue en Téflon. [ill.3]

«Le contexte est un élément de richesse, un matériau où puiser ses idées, une partition à déchiffrer». 4 A travers cette citation, Piano révèle bien à quel point il considère le contexte du lieu non pas comme un élément abstrait, mais comme un réel outil générateur du projet. «Car en architecture, c’est la feuille blanche qui paralyse, non l’influence du contexte». Quitte à s’y opposer, l’objet architectonique ne peut faire abstraction du site sur lequel il repose, c’est aussi, après tout, une façon d’en tenir compte ; une preuve de l’intérêt que l’architecte a eu à étudier l’existant. Pour la réhabilitation de l’usine Schlumberger, Piano est venu créer cette grande vague de verdure envahissant le cœur de l’îlot et dissimulant les nouveaux espaces construits, en contradiction directe avec le passé industriel du site. Il transgresse ainsi les préjugés des usines sans nature et permet par la même occasion de revaloriser la parcelle à l’échelle urbaine en la réintégrant dans le réseau d’espaces verts de la ville.

En collaborant avec le paysagiste Alexandre Chemetoff – avec qui il a eu bien d’autres occasions par la suite de travailler sur des projets communs – il crée un grand jardin au cœur du site. Cette espace composé à la fois de végétation de diverses essences et de bassins d’eau offre un paysage agréable, améliorant non seulement la qualité de vie au sein du site de l’usine, mais aussi au sein du quartier. Le jardin se déployant de part et d’autre de l’avenue Jean Jaurès, les passants de ce grand axe profitent évidemment du spectacle de cet «oasis» en plein cœur de ville, et peuvent également s’y promener puisque le parc est laissé ouvert au public. [ill.4] Il sert donc non seulement à refonder une unité au sein du complexe étalé de Schlumberger, avec l’avenue autrefois vécue comme un clivage entre les locaux de part et d’autre ; mais aussi à relier le site industriel lui-même au tissu urbain. Cette utilisation de la végétation à grande échelle, appropriable par les habitants de Montrouge, regagne donc sa place parmi les

2 Pontoizeau Yvette, «Restructurer à vif», Architecture d’Aujourd’hui, n°233, 1984, p.14.3 Piano Renzo, Op.cit., p.64.4 Ibid, p.247.

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5. Coupe d’implantation du forum et du parking souterrainBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.98.

6. Harmonie entre anciens locaux industriels et nouveau coeur vertBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.91.

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17Le contexte générateur du projet

espaces verts de la ville. Cette sorte d’«oasis» à proximité de Paris est vue à l’époque comme une «revanche de la nature» 5 sur l’ancienne ère industrielle du XIXe siècle dont le pays garde des marques profondes sur son territoire. Ce phénomène va même jusqu’à laisser à la nature la possibilité d’envahir tout le cœur d’îlot par le parking de 1000 places construit en souterrain, affirmant ainsi l’idée de ne pas mettre en compétition l’ancienne usine et les nouvelles constructions que sont le forum et le parking. [ill.5] Ainsi, le quartier a retrouvé une qualité de vie qu’il ne connaissait pas, et désormais, comme se réjouit la journaliste Odile Fillion : «Il fait bon se promener à Montrouge». 6

Le Building Workshop prit le parti de ne pas entièrement repenser la structuration des bâtiments existants mais plutôt le grand vide laissé au centre du site par la destruction de l’usine. La réhabilitation a en effet la réputation d’être coûteuse car on a tendance à trop y modifier les structures existantes. Alors que les vieux bâtiments nécessitaient de nouvelles fenêtres, Piano décida de conserver leur percement tel quel, restant fidèle au calepinage extérieur des façades d’origine, symboliques dans ce quartier au passé industriel. Il choisit simplement de les mettre en valeur en apportant de nouvelles menuiseries de couleur verte. L’économie ainsi faite permit de faire de nombreuses modifications intérieures pour amener les lieux aux nouvelles normes requises. Il met «sur le même plan la réhabilitation esthétique et la réhabilitation fonctionnelle» parce qu’il est, d’après lui, «impensable de redessiner un site désaffecté sans repenser sa fonction, son usage et sa finalité sociale». 7 L’économie réalisée a aussi permis de déployer des moyens suffisants pour aboutir à ce parc urbain de grande envergure et de qualité. Cette attitude de la part de l’architecte montre bien qu’il ne réduit pas l’architecture à l’esthétique d’une façade. Le fonctionnement intérieur prend une part importante dans ce projet, dont la beauté n’est pas pensée comme une fin en soi, mais plutôt comme une cohésion de l’ensemble, entre anciens locaux et nouveau cœur vert. [ill.6]

Concernant l’urbanisme, Renzo Piano parle de son concept de «La ville heureuse».8 Il ne prétend pas être urbaniste mais pense que l’architecte a un rôle à jouer dans l’aménagement des espaces verts de la ville : il parle de ces «trous noirs qui doivent être comblés […] une façon de faire de chaque partie de la ville un lieu d’urbanité». 9 Ces trous correspondent très souvent à d’anciennes zones industrielles qu’on tente de revaloriser aujourd’hui, en y construisant de nouveaux bâtiments, afin d’éviter l’étalement urbain. Mais plus que ça, il faut régénérer ces lieux désaffectés, afin d’attirer une nouvelle population qui y trouverait un espace de vie agréable, et ce, en y apportant des espaces verts par exemple. Piano a la spécificité de créer des lieux de verdure toujours appropriables par les

5 Fillion Odile, «Nature : la revanche», Architecture d’intérieure Créé, n°207, 1985, p.64.6 Ibid, p.69.7 Piano Renzo, Op.cit., p.62.8 Piano Renzo & Masboungi Ariella, Penser la ville heureuse, Editions de la Villette, Collection

Projet Urbain, Paris, 2005.9 Cassigoli Renzo, Op.cit., p.106.

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7. Emploi des matériaux locaux pour une continuité avec la ferme existante réhabilitéeBuchanan Peter, Op.cit., vol.2, p.80-86.

8. Croquis et coupe de l’implantation en escaliers et de la toiture pentuePiano Renzo, Carnet de travail, traduction de l’italien par Nathalie Brauer, Editions du Seuil, Paris, 1997, p.169.Buchanan Peter, Op.cit., vol.2, p.76.

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19Le contexte générateur du projet

populations voisines, comme c’est le cas à Montrouge. Vingt ans plus tard en 2004, dans la même thématique, un projet de réhabilitation industrielle pour le siège du quotidien Il Sole 24 Ore à Milan intègre lui-aussi un parc décrit par le journaliste Renzo Cassigoli : «une vague de terre plantée de grands arbres et de buissons qui fleurissent en toutes saisons […] sur laquelle les personnes pourront se promener, les enfants pourront jouer, et l’on pourra écouter de la musique en plein air. […] L’idée que Renzo Piano a fixé sur le papier dès ses premières esquisses part d’une exigence : celle de réinterpréter le rapport ville-nature d’après un concept défini comme osmotique». 10 On remarque ici l’importance du rapport entre architecture et nature, et de la recherche d’un équilibre entre environnement et technologie qui est fondamentale, avec comme point de référence central du projet : le jardin, qui est à la fois entrée du site, articulation entre les diverses entités de bâtiments et parc urbain.

L’attitude adoptée ici par l’architecte relève donc d’une opposition entre un passé industriel discrédité et une rénovation favorisant la nature et ses formes organiques au «flamblant neuf» des nouvelles constructions dissimulées sous la butte plantée. Il s’en dégage alors une unité au cœur du site et à l’échelle du quartier, de la présence du jardin de part et d’autre de la grande avenue.

1.2 Topographie : lien entre la forme du lieu et la forme du produit

Perchée sur les collines à quelques kilomètres de Gênes, deuxième port méditerranéen après Marseille, l’agence Renzo Piano Building Workshop est construite à Punta Nave proche de la commune de Vésima au beau milieu d’une zone protégée sur la côte ligurienne et donc quasiment pas construite. Elle est composée d’un système de terrasses couvertes de verre s’inscrivant parfaitement dans les terrasses déjà existantes du terrain naturel pentu. Elle a pour vocation de rappeler les cultures en terrasses typiques des côtes plantées de vignes et abritées d’oliviers à travers lesquels elle bénéficie d’une large vue sur la mer Méditerranée. L’atelier construit en bois, en acier, en pierre locale non taillée, en ardoise et en verre est une version sophistiquée et très perfectionnée des serres agricoles des environs. Piano y développa aussi une plantation de bambous en partenariat avec le centre de recherche de l’UNESCO, ce qui lui valut d’obtenir le permis de construire sur la zone côtière hautement protégée. L’esprit de ces matériaux est directement emprunté à l’ancienne ferme réhabilitée et conservée au nord du terrain et à laquelle la construction est accolée : la continuité avec l’existant est donc assurée en douceur. 11 [ill.7, p.18]En coupe, l’implantation en escaliers de l’atelier sur le littoral de Punta Nave, déjà perceptible dès les premiers croquis d’intention et créant des sortes de

10 Cassigoli Renzo, Op.cit., p.142.11 Buchanan Peter, Renzo Piano Building Workshop, Œuvres complètes, vol.2, traduction française,

Editions Phaidon, Londres, 1993-2000, p.76.

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9. Relation entre les terrasses de Piano et les terrasses cultivéesSite officiel du Renzo Piano Building Workshop : http://rpbw.r.ui-pro.com/

10. Plan masse : volonté d’isolement à l‘échelle territorialePiano Renzo , Arquitecturas sostenibles, Editions Gustavo Gili SA, Collection Monografico arquitectura, Barcelone, 1998, p.18.

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21Le contexte générateur du projet

«marches», évoque les cultures en terrasses préexistantes. Le toit, lui, est un plan de verre baignant l’intérieur d’une lumière naturelle et obéissant parfaitement à la pente raide du terrain lisible avant l’intervention de la main de l’homme avec ces cultures en terrasses. [ill.8, p.18] En plan, on remarque qu’un décroché successif prolongé de terrasses extérieures sur la face ouest du bâtiment accentue ces gradins cultivés s’insérant les uns dans les autres avec des démarcations très lisibles en vue aérienne. Les angles ainsi formés élargissent encore la vue sur le Golfe de Gênes. Cette harmonie avec l’existant est renforcée par le fait que ces terrasses, celles de Piano et celles cultivées, aient des dimensions du même ordre de grandeur : environ trois mètres de hauteur pour six mètres de large. [ill.9]

Situé à mi-chemin entre l’autoroute au nord du terrain et le tunnel de la route en contre-bas, le bâtiment est sans accès direct par véhicule jusqu’à l’entrée. L’entrée se fait donc uniquement à pied grâce à un ascenseur à crémaillère ou par les quelques centaines de marches (en cas de panne). Cette prise de position de Piano est symbolique d’un respect du paysage existant auquel il n’enlève pas la qualité du cadre de vie en éloignant le parking à véhicules motorisés en contre-bas proche de la route longeant le littoral. [ill.10]

Dans la préface de l’ouvrage Carnet de travail de Renzo Piano, Kenneth Frampton cite une réflexion qu’il a établi entre «la forme du lieu» (placeform) et «la forme du produit» (Produktform) qui semblerait être, par nature, de l’ordre de l’opposition. Or, il explique bien que Piano aurait, lui, tendance à établir le lien entre «le caractère topographique du site et le mode de production». 12 Ainsi, il fait de cette différenciation entre la matière vivante de l’existant et le matériau inerte de construction la force du projet : c’est l’harmonie de leur forme qui nous montre instantanément, à nous spectateurs, que le même projet avec le même programme, pour le même client, mais sur un autre site, n’aurait pas été du tout ressemblant. A noter qu’il ne cherche pas par là à imiter le lieu et à se fondre dedans, mais à le respecter et le mettre en valeur avec «quelque chose en plus». Il crée une corrélation entre le site et le bâti, sans pour autant susciter d’analogie, ni fonder de démarcation : c’est de là que le projet tire toute sa force car il nous apparaît de l’extérieur ni naïf ou anecdotique, ni provocant. C’est pourquoi Piano parle de la ressemblance en employant le terme d’«allusion» plutôt que celui d’«imitation» 13 ; l’imitation qui pencherait vers une certaine rivalité avec la nature.

Cette transposition d’un contexte culturellement protégé à un projet qui s’y adapte formellement et matériellement n’a rien à voir avec la posture d’opposition adoptée quant à la réhabilitation de l’usine de Montrouge, elle n’en est, pour autant, pas moins respectueuse et valorisante pour le site. Au-delà du rapport à la nature existante par le respect des essences présentes et de l’inscription dans la pente du site, l’architecte valorise aussi la nature recréée par la main de l’homme, c’est-à-dire les terrasses cultivées, et les constructions

12 Piano Renzo, Op.cit., p.7.13 Ibid., p.255.

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11. Rapport au sol par des pieds sur vérins et platines d’acierBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.120.

12. Mise-en-oeuvre des voûtesBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.122-123.

13. Relation de la forme géométrique à l’environnement naturelPiano Renzo, Projets et architectures 1984-1986, Op.cit., p. 45.

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23Le contexte générateur du projet

environnantes par l’emploi de matériaux similaires à la ferme et aux serres. Dans le travail du Building Workshop, le contexte inclut donc évidemment la nature, sous toutes ses formes, mais aussi les édifices voisins, et ce pas seulement dans le cadre de réhabilitation, comme vu précédemment.

1.3 Insertion éphémère en milieu naturel

L’exposition itinérante IBM avait pour but de présenter dans vingt villes européennes les merveilles de l’avenir technologique au cours de trois années, transmettant un message fondamental : la télématique efface les distances et rend insignifiant l’emplacement physique du poste de travail. Un tel fait avait d’énormes conséquences sur l’organisation du territoire : il dépassa le concept traditionnel de «centre», qui avait gouverné jusqu’à présent le développement des services commerciaux et financiers de nos villes. Pour respecter une telle approche, il était nécessaire que l’exposition ne soit pas installée dans des bâtiments existants, mais dans un pavillon spécifique qui serait, chaque fois, assemblé sur place. Dans ce cadre de projet sans contexte particulier, destiné à voyager à travers divers climats et diverses histoires urbaines, le Building Workshop prit la décision d’installer systématiquement le pavillon dans des parcs luxuriants et bien entretenus des centres-villes : à Paris dans les jardins du Trocadéro, à Londres près de Holland Park, à Milan dans le Parco Sempione… 14 Ainsi il se devait de développer une interaction forte avec la nature environnante et du fait de son caractère éphémère, de respecter au maximum le sol sur lequel il allait se poser (des pelouses notamment). D’autre part, puisqu’il était destiné à présenter des ordinateurs dernière génération, l’équipe a voulu concevoir une enveloppe inhabituelle à cet usage, une forme plutôt traditionnelle, à savoir une serre composée elle-même de trente-quatre voûtes juxtaposées, larges de plus d’un mètre. Le pavillon mesure au total quarante-huit mètres de long sur douze de large avec six mètres sous le sommet de la voûte, un volume qui n’est pas insignifiant à l’échelle d’un parc urbain, mais qui réussit parfaitement à se dissimuler au paysage.

Pour un minimum de points d’impact sur le site après démontage du pavillon, chaque entrevoûte repose sur trois pieds en bois ajustables par vérins et fixés à des platines aciers répartissant les efforts sur le sol, ce qui évite un effet de poinçonnement de la terre. Le vide-sanitaire de quelques dizaines de centimètres ventile la superficie d’emprise au sol laissant la végétation existante continuer de pousser. [ill.11, p.22] Pour la mise-en-place de la serre, les demi-voûtes pré-assemblées sont fixées sur leurs articulations au sol pour ensuite être levées deux à deux par quelques hommes grâce à leur poids réduit. La fixation entre voûtes et le réglage des pièces de jonction se réalise à l’aide d’outils à la main par des ouvriers qui escaladent la serre. Le montage et le démontage, d’une durée de deux semaines chacun, et ne nécessitant aucun appareil de levage mécanisé

14 Pontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Architecture d’Aujourd’hui, n°235, 1984, p.62.

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14. Le funiculaire comme perte de perception entre intérieur et extérieurSite officiel du Renzo Piano Building Workshop , Op.cit.

16. Le pavillon au Champs-de-MarsSite officiel du Renzo Piano Building Workshop , Op.cit.

17. Le pavillon fait partie du nouveau paysage urbainBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.128.

15. Les sentiers et passerelles comme promenade dans le parcSite officiel du Renzo Piano Building Workshop , Op.cit.

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encombrant et lourd, la mise-en-œuvre ne provoque aucune dégradation abusive du site. Elle a donc bel et bien été pensée dans une volonté de respect total du site. [ill.12, p.22]

De cette détermination à vouloir conserver intact le site après intervention se dégage un dialogue équilibré entre la forme parfaitement géométrique de la serre, à la fois sphérique et rectiligne, et un jardin aux formes et aux rythmes aléatoires, bien qu’entretenu par la ville. [ill.13, p.22] Cette dernière rend volontairement un aspect naturel aux espaces verts, qui doivent être un lieu de ressource pour les habitants des centres-villes, à l’aide d’arbres de diverses couleurs, de différents volumes, et plantés suivant différentes densités. Ainsi, même pour un projet sans lieu défini précisément, Piano réussit habilement à faire naître une structure qui répond au contexte naturel commun dans lequel elle sera systématiquement implantée, et dont découlera alors aisément l’adaptation à l’histoire et à la géographie du lieu contigu.

1.4 Séquence d’entrée sur le site comme promenade paysagère

Le long funiculaire du Building Workshop éloigne non seulement le visiteur de la circulation dans une volonté d’isolement, mais en le promenant à travers les arbres sur quelques dizaines de mètres avant que celui-ci ne rentre dans un intérieur pourvu de végétation, il insiste également sur la transition du passage entre intérieur et extérieur, jusqu’à perdre la notion de seuil. Ce phénomène est amplifié par l’entrée, de taille modeste et avec sa porte de verre très discrète, qui ressemble en tout point au volume de l’ascenseur transparent lui-aussi. [ill.14] Cette succession «parking extérieur / ascenseur intérieur / palier extérieur / entrée intérieure» fait oublier au visiteur qu’il pénètre à un moment donné dans l’espace intérieur définitif.

A Montrouge, le grand jardin a été conçu comme un passage presque obligatoire pour les employés par cet espace central naturel accueillant des sentiers sinueux menant aussi bien au forum, qu’aux ateliers, aux bureaux, aux laboratoires et au parking en souterrain. Les circulations qui reliaient entre eux les bâtiments conservés du pourtour à chacun de leurs cinq étages ont été rompues afin de casser la dimension inhumaine de plusieurs centaines de mètres des couloirs. Désormais, des passerelles s’élancent au dessus de bassins qui débouchent sur les noyaux de circulation de chaque bâtiment isolé. Le contact à la nature, composée d’eau, de plantes aquatiques, et de végétation de diverses essences choisies par Alexandre Chemetoff selon les saisons, est incontournable certes, mais au sens propre du terme : cette traversée des employés par l’espace vert central et des habitants par l’avenue plantée de Jean Jaurès contribue à améliorer la qualité de vie dans le quartier et le rapport de l’usine avec le tissu urbain, en faisant de ce parc un point de rencontre majeur entre les utilisateurs. [ill.15, p.24] Il dédramatise de plus l’aspect austère des huit hectares du site industriel qui régnait auparavant

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18. Promenade sur le littoral ligurienPhoto aérienne de Google Earth

19. Promenade entre sentiers et passerelles urbaines à MontrougePhoto aérienne de Google Earth

20. Promenade au parc de Studley à YorkPhoto aérienne de Google Earth

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en plein cœur de la ville.

Pour le pavillon IBM, il semble évident que la promenade du visiteur à travers le jardin urbain précède inlassablement son entrée dans le pavillon situé au cœur d’une étendue verte : dans le Champs-de-Mars à Paris, [ill.16, p.24] dans le jardin du Muséum d’histoire naturelle de Londres, dans l’allée plantée du château de Charlottenburg à Berlin, dans le parc du château Sant’Angelo à Rome, sur les rives du Rhin à Bonn, dans le parc Vondel à Amsterdam… Les habitués des parcs même non intéressés par l’exposition continuent d’ailleurs à s’y promener malgré la présence du pavillon, et à emprunter les assises avec une indifférence déconcertante, comme s’il ne brouillait aucunement la vue habituelle du parc, voire mieux, comme s’il faisait désormais partie intégrante du paysage urbain. [ill.17, p.24]

Ce thème de la promenade à travers la végétation et le paysage avant d’entrer au sein du bâtiment lui-même fait perdre au visiteur la notion de seuil. Le passage entre intérieur et extérieur est tellement progressif et appréciable que le visiteur ne se préoccupe plus du moment, ni de l’endroit où il est enfin «entré». [ill.18-19-20] Tout ce travail de perte de perception articulé autour de la nature présente dans le paysage environnant du site est renforcé par une végétation présente au sein même de l’édifice, comme souvent dans les réalisations de Piano.

Une attitude inspirée par et pour le lieu

La lecture affinée du contexte, comprenant la nature, celle recomposée par la main de l’homme et les constructions, est un travail récurrent dans les travaux de Piano. Il commence par analyser chacun des sites dans lesquels le Building Workshop implante ses projets avec un regard d’urbaniste quand il s’agit de retisser des liens avec la ville, comme paysagiste quand il s’agit de valoriser au mieux les matériaux et les essences environnantes, et comme ingénieur quand il s’agit de faire des choix judicieux de mise-en-œuvre respectueuse du site. La naissance des premières esquisses à partir de l’inspiration du lieu est donc une caractéristique récurrente dans son travail, jusqu’à aboutir à une forme finale qui régénère, voire prodigue l’existant que ce soit en s’y opposant, en le dévoilant, ou en le complétant. Pour rendre compte de l’acte réfléchi de Piano dans sa démarche de corrélation avec le site mais aussi de distinction, voici la métaphore qu’il fait : «Le lit de l’édifice, comme le lit d’un fleuve, exprime son appartenance rocheuse au lieu : il est masse, opacité, permanence, éternité, au sens latin du mot. La construction, au contraire, est légère, transparente, provisoire, et ce non parce qu’elle est démontable, mais parce qu’elle appartient à un autre niveau, parce qu’elle possède une autre valeur». 15

15 Piano Renzo, Op.cit., p.251.

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21. Passerelle menant au premier étage du noyau centralBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.102.

22. Présence abondante de la végétation envahissant façades, circulations, bureaux et laboratoiresFillion Odile, «Nature : la revanche», Architecture d’intérieure Créé, n°207, 1985, p.69.Buchanan Peter, Op.cit., vol.2, p.104-105.

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2. La végétation, de l’immatérialité au matériau

La végétation à l’échelle du bâtiment

La nature n’est donc pas réduite à la seule présence ou respect de la végétation dans le cadre du contexte, mais nous allons voir comment cette dernière joue un rôle prédominant à l’échelle du bâtiment. Nous tenterons de comprendre comment Piano ne copie pas matériellement la nature qui l’influence pourtant tant dans l’inscription formelle du bâtiment au site, mais plutôt comment il met en valeur une harmonisation de l’édifice avec celle-ci, et notamment avec la végétation. Il préconise tout d’abord des matériaux de construction légers, transparents, et pas nécessairement «naturels», il traite aussi les éléments immatériels avec une grande délicatesse, et il use de la végétation comme un matériau de construction à part entière dans un dernier temps. Selon l’importance du rôle joué par la végétation pour chacun de ces critères dans l’édifice, il en émane une classification en deux types de rapports du bâtiment au site, à laquelle quasiment tous les projets du Building Workshop peuvent répondre.

2.1 Végétation comme lien entre intérieur et extérieur

Du cœur de la parcelle de Montrouge où loge une nature abondante, une passerelle en acier s’élève au-dessus d’un bassin pour pénétrer à travers un cadre en béton donnant accès directement au premier étage du noyau central de distribution. Là, les fenêtres d’origine et le remplissage de briques ont laissé place à un nouveau vitrage en retrait, comme si les vieux bâtiments semblaient avoir été érodés pour laisser apparente leur structure originelle. [ill.21] Loin d’être gratuites et décoratives, ces érosions symbolisent pleinement l’esprit de la réhabilitation mettant en évidence les différences entre le vieux et le neuf, force de leur alliance. Cette érosion semble être engendrée par une végétation qui prolifère à partir du nouveau jardin. Dans ce bâtiment au vitrage placé en retrait, les plantes ont comme envahi la façade jusqu’à éroder les deux niveaux inférieurs. La végétation des noyaux de circulation de chaque entité de bâtiment gagne la

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23. Passage de l’eau sous le vitrage dans la cage d’escalierBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.104.

25. Perte de repère entre intérieur et extérieur par la végétationSite officiel du Renzo Piano Building Workshop , Op.cit.Piano Renzo, Carnet de travail, Op.cit., p.171.

24. Construction de la structure légère acier-bois et de la toiture et parois en verreBuchanan Peter, Op.cit., vol.2, p.78.

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totalité des bâtiments en grimpant aux escaliers, en prenant d’assaut les paliers et en pénétrant même dans les bureaux et les laboratoires. [ill.22, p.30] Pour anecdote, dans ce bâtiment desservi par la passerelle directement au premier étage, la végétation accompagnée d’un bassin d’eau passent sous le vitrage et au bas d’une cage d’escalier, où tombent en cascade des plantes envahissant alors l’intérieur dans sa configuration la plus extrême : cette astuce à l’effet impressionnant est directement empruntée à l’architecte autrichien Richard Neutra. 1 [ill.23] La nature ne se limite donc pas à la vue qu’offre le jardin depuis les étages, mais répandue à l’intérieur comme à l’extérieur (végétation et bassin d’eau), elle permet au projet de brouiller le lien entre paysage et architecture, en l’occurrence ici d’estomper toute frontière visible entre le parc et le site industriel. L’architecture industrielle du siècle passé est pourtant communément associée dans nos pensées à l’antidote de la nature, à cause probablement de l’image de grosses machines fonctionnant soit au pétrole, soit à l’électricité : autrement dit à tout sauf quelque chose de naturel. Piano réussit donc ainsi le tour de force de casser le clivage idéologique entre ces deux mondes, et même plus de les faire coexister poétiquement.

Au Building Workshop, les éléments dominants sont le toit en verre avec des vitres encadrés de bois, des poutres en lamellé-collé et des persiennes et stores extérieurs contrôlés automatiquement par des cellules photosensibles. De fins poteaux en acier soutiennent le tout, ainsi que les parois vitrées sans encadrement. Les éléments verticaux de la structure, principale et secondaire, sont donc quasiment inexistants ne perturbant aucunement la vue sur l’extérieur. [ill.24] La transparence presque parfaite fait perdre toute notion de dedans/dehors, accentuée par la présence de végétation de part et d’autre du vitrage. La végétation extérieure plantée à proximité de la façade transparente, et donc avec une vision d’un feuillage du même ordre de grandeur que la végétation intérieure, brouille la limite entre l’intérieur et l’extérieur : sans repère comme le pied de tronc d’un arbre par rapport à une menuiserie par exemple, on distingue difficilement la végétation couverte de celle à l’air libre. [ill.25] Loin des constructions traditionnelles méditerranéennes prônant l’inertie thermique à l’aide de matériaux comme la pierre, le Building Workshop serait plutôt du registre de la pergola, avec une vigne vierge remplacée par un mécanisme sensible. Nous verrons donc que ce résultat d’une extrême discrétion est possible grâce à des technologies de pointe détaillées en troisième partie.

En ce qui concerne le pavillon itinérant IBM, «c’est à cause de cette simplicité [de la forme] que l’on peut commencer à travailler sur les détails et introduire de la complexité». 2 Le Building Workshop abandonne de façon presque systématique et polémique la conception architecturale comme complexité de l’espace. C’est pourquoi le plan du pavillon est le plus simple possible : rectangulaire à plan libre. [ill.26] En ce qui concerne la voûte, Piano explique qu’«il existe mille manières de

1 Buchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.93.2 Pontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Op.cit., p.62.

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27. Transparence du polycarbonate et finesse des assemblages bois/aluminium Fulvio Irace, Renzo Piano Visible cities, Editions Triennale Electa, Milan, 2007, p.161.

26. Relation de la forme géométrique à l’environnement naturelBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.124.

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faire une voûte, qui va de la plus banale à la plus complexe». Mais pour celle-ci, la conception devait avant tout répondre à la question du temporaire et de la lumière. Voyageant dans des conteneurs de camions, exposition et pavillon devaient donc être aussi faciles à monter et à démonter qu’un chapiteau de cirque avec des matériaux relativement légers. «J’ai toujours nourri un grand intérêt pour les travaux éphémères : l’absence de durée abat de nombreux obstacles et permet de procéder à une expérimentation de plus grande amplitude.» 3 C’est ainsi que l’équipe se tourna vers un choix de matériaux pour le moins inédit : un mélange entre matériaux nouveaux, que sont le bois lamellé-collé et le polycarbonate transparent, et anciens pour les pièces de fonte d’aluminium des connexions. La caractéristique technique pour laquelle est employé ici le polycarbonate est sa légèreté extrême quant à sa résistance élevée, mais c’est aussi et surtout sa caractéristique physique, la transparence, qui favorise alors un contact de l’intérieur avec la nature. La dualité entre les fines pièces en bois et en aluminium, possible grâce à la technologie des nouvelles colles, créent des assemblages de taille dérisoire quant à la transparence globale du volume. [ill.27]

De cette légèreté de la construction en réponse à la massivité rocheuse du site existant citée en fin de première partie, peut naître la notion de transparence, grâce à une construction qui n’est plus du registre de la maçonnerie jouant à la fois le rôle de structure et parement, mais d’une distinction entre structure par éléments filaires et remplissage par des matériaux légers. Ainsi le verre peut être le remplissage d’une façade tout entière créant cette notion de transparence, très présente dans l’architecture de l’équipe du Building Workshop, car elle permet une perte de la distinction entre l’espace intérieur et l’espace extérieur. Une légèreté en tant que mise en évidence des structures et élimination du superflu qui finit par s’associer à cette même transparence. Ainsi la transition lente entre dehors et dedans apportée par la séquence d’entrée paysagère est poussée à son paroxysme par la dématérialisation du traditionnel mur.

Piano dénonce l’incompréhension de certains pour son insistance dans l’emploi de la transparence. Il y voit à travers cette critique une «interprétation ancestrale de l’architecture, à laquelle s’oppose la légèreté : l’association «maison-abri-protection-solidité» jaillit assez naturellement dans notre inconscient.» 4 Il est vrai que la perte de démarcation précise entre l’intérieur et l’extérieur peut donner cette sensation de non-protection par la construction, et aussi de manque de solidité de celle-ci, puisque le verre est un matériau fragile, dans le sens technique du terme, à savoir non ductile : une fois sa limite de rupture atteinte, il se casse brutalement. Cette image du verre qui casse est ancrée dans nos têtes, elle n’est pourtant pas le reflet de sa résistance qui peut être très élevée. Mais Piano ayant une vision de l’espace «beaucoup moins étouffante», il explique que «l’espace de

3 Piano Renzo, Op.cit., p.82.4 Ibid, p.251.

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28. Plans des plantations suivant les saisons par Alexandre ChemetoffBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.95.

29. Analogie entre les teintes naturelles et les coloris attribués aux éléments structurels secondairesBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.95-96.Piano Renzo, Projets et architectures 1964-1983, Editions Electa Moniteur, Collection Monographies d’architecture, Milan, Paris 1983, p.192.J.M.H., «Restructuration d’un site industriel à Montrouge», Techniques & Architecture, n°359, 1985, p.55.

30. Harmonie de l’ambiance de travail,par la lumière naturelle uniforme et la communication entre niveauxBuchanan Peter, «Natural Workshop», Architectural Review, n°1183, 1995, p.79.

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35La végétation, de l’immatérialité au matériau

l’architecture» est pour lui «un microcosme, un paysage interne». 5 C’est pourquoi la transparence, comme dialogue entre architecture et nature lui permet de franchir les frontières entre l’espace de vie intérieur d’un abri et l’espace extérieur dans lequel il prend forme. L’ambiguïté ressentie par les usagers entre intérieur et extérieur est pour lui une qualité d’espace et non un défaut de conception. 6 De l’intérieur, le bâtiment nous semble ouvert sur le paysage proche et lointain (dans le cas de Punta Nave par exemple) ou bien ouvert sur le jardin extérieur (pavillon IBM), et à plus grande échelle sur le quartier, voire même la ville (inscription du parc de Schlumberger dans les espaces verts de Montrouge).

2.2 Végétation comme élément vivant de la composition

Dans le parc de Schlumberger, le paysagiste Alexandre Chemetoff assura la sélection des diverses plantes extérieures de façon à séquencer des changements de couleur au fil des saisons pour un paysage encore plus vivant et «confrontant le cycle de la nature au cycle de la technologie». 7 [ill.28] Les plantes intérieures, soumises à la ventilation, sont des plantes vertes transformant les nœuds de circulation abrités de verre en de vastes serres. Les diverses teintes (rouge, vert, jaune principalement) que prend la végétation au cours des saisons n’est pas sans rappeler les différentes couleurs attribuées par Piano aux éléments de structure secondaire : vert pour les châssis, rouge pour les charpentes métalliques, jaune pour les garde-corps (passerelles du parc central et escaliers des circulations) et bleu pour les conduits de ventilation. 8 [ill.29] Cette codification consiste à distinguer et raviver l’unique couleur grise du béton et du métal présente auparavant. Cette analogie entre les coloris donnés aux éléments structurels, présents aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, et les nuances révélées par la nature souligne l’unité des différents composants du site formant un nouveau tout, et magnifie la gaieté avec laquelle cette ancienne usine reprend vie. Cette faculté qu’a la nature à se transformer au cours de l’année compense, par sa présence animée, l’abstraction figée de tant d’édifices contemporains.

A Punta Nave, le toit en verre laisse pénétrer une lumière zénithale qui joue un rôle majeur dans l’enceinte de l’agence : elle baigne le volume intérieur d’une même ambiance qui varie au cours des saisons (à l’échelle de l’année) mais aussi en fonction des caprices de la météo : on y vit donc au rythme de la nature, selon un temps séquencé, loin du temps linéaire de la vie contemporaine. Cette sérénité commune dans laquelle travaillent l’ensemble des employés est à l’image de l’importance qu’apporte Piano au travail en groupe au sein de son équipe. A tous les étages, chacun est en contact avec les dessins et les maquettes des projets en cours d’élaboration. 9 [ill.30] La nuit tombée, des panneaux réflecteurs en toiture

5 Piano Renzo, Op.cit., p.251.6 Cassigoli Renzo, Op.cit., p.139.7 Piano Renzo, Op.cit., p.66.8 Pontoizeau Yvette, «Restructurer à vif», Op.cit., p.18.9 Buchanan Peter, Op.cit., vol.2, p.84.

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31. Lumière diffuse et zénithale même de nuitSite officiel du Renzo Piano Building Workshop , Op.cit.

32. Micro-climat renforcé par la présence abondante de la végétationPiano Renzo , Arquitecturas sostenibles, Op.cit., p.20.

33. Nature comme arrière-plan vivant de l’expositionPontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Architecture d’Aujourd’hui, n°235, 1984, p.65.

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associés à des spots dirigés vers le haut permettent d’éclairer, comme de jour, le volume d’une clarté diffuse et zénithale, évitant la lumière plombante du basique lustre. [ill.31] Cette atmosphère calme et apaisante renforce ce désir d’isolement déjà établi pour l’implantation du bâtiment à son échelle territoriale. Cette harmonisation est amplifiée par la présence abondante de végétation à tous les niveaux. En tant qu’élément vivant, ses légères ondulations de feuilles doivent être accentuées par les mouvements de convection engendrés par la climatisation présente à l’intérieur du volume 10 et ainsi compléter la mise en scène de la course du soleil. Les couleurs changeantes sont donc le résultat d’un mélange entre les matériaux, la végétation et la lumière naturelle qui les révèlent : le micro-climat que recherche Piano est bien là. [ill.32]

Pour la construction éphémère de l’exposition, le Building Workshop travaille aussi les phénomènes naturels de cet espace que sont la lumière, le bruit, la couleur, la transparence. La répétition des composants pyramidaux facettés parfaitement identiques en polycarbonate et la finesse des pièces de jonction en bois taillé et en aluminium coulé leur procure un aspect biomorphique. Il en résulte une relation particulièrement intime entre le pavillon et le feuillage sous lequel il se niche, ce dernier fournissant également à l’exposition un arrière-plan vivant. Le fait de placer les ordinateurs de manière à ce qu’ils soient vus sur un fond naturel rejoignait le principe originel de l’exposition qui était de présenter des ordinateurs aux jeunes comme partie intégrante naturelle de la vie quotidienne. La végétation mouvante de l’extérieur crée des jeux de lumière, d’ombres et de couleurs entièrement perceptibles à l’intérieur grâce à la surface transparente à quasiment 100% : les pièces très fines en bois et en métal ne perturbent en rien la perception du paysage à travers les modules de polycarbonate pyramidaux. [ill.33] «La légèreté est un instrument, et la transparence le contenu d’une poétique : c’est un passage capital». 11 L’élément immatériel qu’est la lumière s’inscrit dans une suite logique et poétique du travail du Building Workshop et comme une constante dans tous ses projets. De la dualité légèreté / transparence découle finalement le rapport transparence / lumière naturelle. Cette dernière, souvent diffusée par une source zénithale, permet une bonne perception des volumes mais pas seulement. «La lumière possède une intensité, mais également une vibration qui parvient à rider un matériau lisse, à donner une tridimensionnalité à une surface plane» 12 , comme nous l’explique l’architecte génois à propos de l’aéroport de Kansai au Japon. Quelque soit le maître d’œuvre d’un projet de musée, la lumière doit être parfaitement étudiée pour la mise en valeur et la longévité des œuvres exposées, c’est-à-dire sa direction, sa diffusion directe ou indirecte et son intensité au cours de la journée ne sont pas laissés au hasard. Mais pour Piano, la végétation ne joue pas seulement ce rôle : elle doit aussi

10 Buchanan Peter, Op.cit., vol.2, p.80.11 Piano Renzo, Op.cit., p.253.12 Ibid., p.254.

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34. Légèreté et finesse de la structure tendue s’insérant dans le paysagePiano Renzo, Projets et architectures 1984-1986, Op.cit., p.21.

35. Structure discrète et élégante de la toile tendue abritant la «rue» du forumBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.109.

36. La végétation partitionne l’espacePiano Renzo , Arquitecturas sostenibles, Op.cit., p.21.

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susciter la contemplation aux visiteurs, créer en eux une sensation de sérénité, de calme et d’apaisement afin que l’émotion que leur procure l’œuvre dépasse celle espérée dans un lieu d’une neutralité extrême. Il ne cherche donc pas par ce moyen à ce que son architecture prenne le dessus sur les œuvres présentes, mais au contraire que ces dernières soient exaltées sans même que le visiteur s’en aperçoive. 13

Non pas dans son rôle abstrait de transition entre intérieur et extérieur, la végétation comme élément vivant, mouvant, vient donc compléter cet exercice de mise scène de l’espace intérieur préétabli par la lumière naturelle au cours du temps. Dans ses coupes, Piano représente cet élément immatériel, la lumière, qu’il capte à l’aide de l’outil immatériel qu’il fabrique, la transparence : les vues orientées et les rayons lumineux prennent place dans le dessin à la manière d’un plancher ou d’une toiture. La lumière naturelle sur les feuilles vertes mouvantes de la végétation réfléchit sur les surfaces des teintes variées selon la saison et les espèces choisies, créant de légères vibrations à la fois fluides et irrégulières, avec des intensités évoluant au cours de la journée. Il s’y dégage une sorte de scène d’animation de l’espace intérieur, comme si la végétation en tant qu’élément vivant arrivait à transmettre son énergie afin de faire exister tous les matériaux immobiles. Ainsi, les propriétés changeantes de ces «immatériaux», accompagnés par la végétation mouvante, donnent vie à l’architecture du Building Workshop.

2.3 Végétation comme matériau à part entière de la construction

Par sa présence matérielle sur la butte de Montrouge, la végétation vient recouvrir le forum central de sorte à protéger l’étanchéité de cette toiture pentue d’une grande superficie et dans la continuité de la forme organique que prend la structure tendue. Grâce à la dualité des nouvelles technologies que sont le Téflon et les structures légères en acier, la toile tendue peut franchir de très grandes portées (ici treize mètres) afin de recouvrir de grandes surfaces avec une légèreté et une transparence extrêmes. [ill.34] Elle a pour rôle de protéger des intempéries et du soleil la «rue creusée» dans la colline au centre du parc. Cette butte habitée et recouverte de verdure est l’élément pivot entre le forum, le parc, les bureaux et les laboratoires, mais aussi l’élément naturel marquant du parc paysager. [ill.35] La technique parvient alors à embellir la nature avec laquelle elle coexiste, en copiant même ses formes organiques par le biais de la structure et de sa toile légères, s’inscrivant alors avec élégance dans l’héritage de passé industriel du site.

A la fois élément d’uniformisation de l’atmosphère, la végétation joue également un rôle dans la gradation de la quête d’isolement au Building Workshop, puisqu’elle permet la partition de l’espace intérieur. Les différents volumes créés par les gradins communiquent tous entre eux ; la végétation en obstruant habilement la vue, crée des sous-espaces de travail, de la même façon que le ferait

13 Piano Renzo, Op.cit., p.252.

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37. Coupe et plan intégrant la végétation comme élément à part entière de l’architectureBuchanan Peter, Op.cit., vol.2, p.82.

38. Arbres comme protection solairePontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Architecture d’Aujourd’hui, Op.cit., p.65.

39. Modules opaques et ambiance lumineuse Site officiel du Renzo Piano Building Workshop, Op.cit.

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une cloison, à la différence qu’elle ne fait pas perdre cette sensation de grand volume. L’idée était d’imaginer un environnement de travail plaisant en contraste avec le traditionnel box entouré de quatre murs. [ill.36, p.40] La végétation dessinée dans la coupe et le plan du Building Workshop montre bien à quel point il l’intègre dès la phase de conception au même ordre qu’une cloison, un garde-corps ou une porte, autrement dit comme un matériau à part entière de l’architecture du bâtiment. [ill.37]

Au-delà de servir d’arrière-plan naturel et vivant à l’exposition des nouvelles technologies présentée par IBM, les arbres environnants jouent le rôle de protection solaire pour l’espace de vie intérieur du pavillon. [ill.38] Selon les sites, en cas d’ensoleillement direct trop important malgré l’écrin arboré dans lequel se loge la serre, des éléments modulaires pyramidaux opaques à fixer sur la structure primaire peuvent être ajoutés aisément, afin d’ombrer davantage. [ill.39] La présence de plantes intérieures dans l’organisation spatiale de l’exposition amplifie l’union harmonieuse du pavillon avec sa nature environnante, au point de la rendre presque troublante. [ill.40, p.44] A noter que le socle supportant un plancher technique en treillis acier est peint de couleur verte sur l’extérieur non pas pour imiter la couleur de la végétation, mais parce qu’elle correspond au code couleur attribué aux gaines par le Building Workshop à l’époque (comme à Beaubourg et à Montrouge) : en l’occurrence ici, elle permet au pavillon de se fondre au mieux avec la végétation continuant de pousser sous le vide-sanitaire, tel un tapis sous un meuble. Le bâtiment semble flotter au milieu de l’étendue verte. [ill.41, p.44]

Le Building Workshop recourt donc aussi à la végétation dans sa forme la plus concrète, tel un matériau de construction qui aurait diverses utilités. Elle est usitée à des fins concrètes de cloisonnement de l’espace pour le Building Workshop de Punta Nave, de protection solaire pour le pavillon IBM, et de protection d’étanchéité en toiture pour l’usine Schlumberger. Elle est donc complètement intégrée à la composition et remplit systématiquement diverses fonctions à la fois, ce que des matériaux de construction habituels ne permettent pas nécessairement : elle peut partitionner l’espace en le laissant communiquer acoustiquement, elle peut ombrer en créant des jeux de couleur, elle peut laisser passer la lumière tout en obstruant la vue, elle peut protéger du soleil en laissant circuler librement l’air, …

2.4 Une végétation recomposée, une nature réinventée

Sur le site de Montrouge, le panel d’essences sélectionné par Alexandre Chemetoff est loin d’être le reflet d’une végétation autochtone. La présence de bambous géants dans le hall d’entrée du bâtiment principal et des nénuphars dans les bassins d’eau en sont qu’une représentation parmi tant d’autres : des chênes rouges d’Amérique, des peupliers d’Italie, des tulipiers de Virginie, des

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40. Lien entre la végétation intérieure et extérieureBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.111.

41. Plancher technique vert flottant au-dessus du solPontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Architecture d’Aujourd’hui, Op.cit., p.65.

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érables japonais, des pins blancs du Japon, du lierre d’Irlande, du pin de montagne, des berces de Sibérie... sont affectés sur le site selon la strate de terre et la saison à laquelle ils poussent. 14 La colline abritant le forum est une topographie entièrement réinventée qui n’existait pas auparavant sur le site, tout comme les bassins d’eau de forme rectangulaire recouvrant une majeure partie de la superficie totale du parc, et les sentiers sinueux. Ces artifices de la butte, des plans d’eau, et des formes courbes créant un paysage changeant d’aspect au cours des saisons sont une transposition directe d’une nature à la japonaise, dont la montagne et les cours d’eau sont une invariante. Ils reflètent une volonté de créer une nature semblant d’origine, bien que recomposée de toutes pièces. Noriaki Okabe, directeur de l’agence au Japon à l’époque, a travaillé sur le projet de Schlumberger ; on peut donc supposer son influence dans la nature figurée et inspirée du feng-shui présente à Montrouge aujourd’hui.

Après recensement de dix parcs des villes européennes dans lesquels le pavillon IBM a pris place – Bonn, York, Milan, Paris, Londres, Berlin, Lyon, Stuttgart, Rome, Amsterdam (les dix autres villes n’étant pas citées dans les documents accessibles) – on peut noter une majorité des implantations dans des jardins à l’anglaise. Leur esthétique est principalement basée sur une inspiration du côté sauvage de la nature et le refus d’une régularité topologique afin d’exhaler la poésie d’un lieu et de créer une esthétique du renouvellement. 15 Ce style artistique et architectural apparu dès le début du XVIème siècle dans la peinture marque aussi la volonté de fabriquer un décor naturel le plus originel possible malgré l’intervention de la main de l’Homme. Les parcs les plus symboliques de ce mouvement sont le parc de Studley à York, un des rares grands jardins anglais du XVIIIème siècle conservé dans sa forme originale, et dont les ruines de l’abbaye de Fountains servent d’arrière-plan au paysage, le parc Vondel à Amsterdam, le parc du château de Charlottenburg à Berlin et celui du château, aujourd’hui devenu musée, de Sforzesco à Rome. Les seules exceptions de la liste établie sont le Champs-de-Mars à Paris, typique jardin à la française prônant au contraire des formes géométriques, une symétrie et une régularité parfaites, et «l’implantation flottante» à Bonn : le pavillon était fixé sur une péniche sur le Rhin, ce fut le seul endroit où il ne reçut aucune ombre d’arbres adjacents.

La végétation comme partition intérieure du Building Workshop à Punta Nave, et les jardins en terrasses prolongeant l’espace intérieur suivant les marches des cultures environnantes sont aussi, la recomposition d’une nature sous une forme typiquement occidentale dans ce cas, où la végétation prend une place importante.

Que ce soit à travers la plantation de nouvelles espèces végétales non autochtones ou l’implantation dans un paysage semblant originel mais pourtant fabriqué par l’Homme, cette nature réinventée n’est pas à considérer comme

14 Buchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.9515 Jardin anglais : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jardin_anglais

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42. Agence du Building Workshop, « le jardin dans la machine »

43. Pavillon IBM, « la machine dans le jardin »

44. Siège de Schlumberger, « la machine dans le jardin » et « le jardin dans la machine»

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négative puisqu’elle permet dans tous les cas un maintien de la biodiversité, aujourd’hui menacée par l’expansion des villes qui fragmente les espaces naturels. Il s’agit d’intégrer davantage de nature, notamment en ville, par la plantation de végétaux de manière à favoriser l’indispensable circulation des espèces, tout en maintenant un tissu urbain dense pour éviter un étalement dans nos campagnes préjudiciable à la biodiversité 16 ; ce à quoi les édifices du Building Workshop participent généreusement.

2.5 «Le jardin dans la machine» ou «la machine dans le jardin»

Selon l’importance que prennent chacun des critères cités précédemment dans le rôle de la végétation au sein d’un espace, il se dégage une classification en deux catégories des édifices du Building Workshop : ceux intégrant le bâtiment, que Piano désigne souvent comme la «machine», dans le jardin et ceux envahissant l’intérieur du bâtiment par le «jardin», la nature. Parfois, la distinction n’est pas aussi évidente, donnant lieu à des projets à cheval entre les deux situations. En récapitulant rapidement les prises de position de l’architecte quant à la nature environnante et les rôles majeurs que prend celle-ci dans chacun des projets étudiés, nous pouvons les classer suivant ces deux catégories.

Pour ce qui est de l’agence à Punta Nave, le bâtiment présente un ancrage très prononcé au site existant auquel il s’adapte, la forme de la nature guide donc celle de la construction. Les terrasses extérieures sont prolongées à l’intérieur suivant les mêmes gradins dessinés en coupe. La nature inonde immatériellement l’espace intérieur en baignant le volume tout entier d’une lumière naturelle identique et diffuse, tandis que la végétation envahit l’intérieur par sa présence en tant que cloisonnement de l’espace. Tout laisse alors présager que la nature pénètre ici la construction, jusqu’à prendre le dessus, au point que l’espace intérieur se mette à vivre au rythme «des caprices du temps». Le jardin se propage donc dans la machine. [ill.42]

Le pavillon IBM, lui, s’installe avec légèreté et délicatesse dans chacun des sites destinés à l’accueillir, à la manière d’un bijou posé dans son écrin. La végétation extérieure vient spontanément le recouvrir jouant alors le rôle de protection solaire pour le volume intérieur. L’échelle du pavillon comparée à celle du parc environnant ne laisse pas de doute quant à l’emprise de la végétation sur la serre abritée. La machine prend donc place dans le jardin. [ill.43]

Au siège de Schlumberger, la classification n’est pas aussi évidente, car le Building Workshop n’a pas adopté la même attitude vis-à-vis de l’ancien et du nouveau. Les bâtiments existants conservés intacts en terme de structure primaire sont valorisés à l’aide de bassins d’eau et d’une végétation abondante s’infiltrant à

16 Site du Centre National de la Recherche Scientifique : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbioville/bioville.html

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l’intérieur des halls, grimpant les cages d’escaliers jusqu’à se glisser dans les bureaux : c’est le jardin dans la machine. Au centre de la parcelle au contraire, les nouveaux espaces que constitue le forum ont été construits à semi-enterrés dans cette butte de terre recouverte par la végétation et entaillée pour créer un accès discret à la vue du parc. La structure tendue s’inspirant des formes organiques qu’offre la nature abrite et dissimule encore plus cette rue intérieure. Le parking construit en souterrain de ce parc n’est aucunement perceptible de l’extérieur. La nouvelle machine se fond, elle, dans le jardin. [ill.44, p.46]

La végétation, lien entre «jardin» et «machine»

La végétation comme matière du bâti est donc, chez Piano, à cheval entre le matériau de construction, tel que le bois, le métal ou le verre, et les éléments immatériels que Piano intègre également à la conception, tels que la lumière, la transparence, les couleurs, l’acoustique… Ces derniers font partie, d’après lui, «de la composition, au même titre que les formes, les volumes, les matériaux». 17 La végétation joue à la fois un rôle en tant que matière concrète pour, par exemple, cloisonner l’espace intérieur de l’agence à Punta Nave ; et en tant qu’élément immatériel pour faire exister cette transparence partielle, ces vibrations de la lumière, ces jeux de mouvements et de bruits dont l’architecte parle. Bien que réinventée, elle a donc la mission essentielle d’être le lien, l’élément de transition entre la représentation d’une nature innée, un «jardin» proche de l’immatériel, et les matériaux concrets de construction fabriquant la «machine». Mais cette dernière ne se limite pas à entrer en symbiose avec la nature par l’intermédiaire d’une végétation présente ; le choix des matériaux et le traitement des détails de leur mise-en-oeuvre ajoutent aussi une valeur respectueuse de la nature à la conception du Buildinq Workshop.

17 Cassigoli Renzo, Op.cit., p.139.

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3. La maîtrise de la technique et le souci du détail au service de la nature

Outils naturels, matériaux concrets

Le contexte naturel dans lequel baigne l’édifice influence indéniablement par la suite la conception architecturale dans l’exploitation des potentiels immatériels et matériels qu’il offre. La nature n’est pas non plus formellement copiée à l’échelle du bâtiment, mais elle guide la réflexion conceptuelle pour une harmonisation complète du site avec l’édifice, avec des outils naturels et des matériaux qui ne le sont pas. Au contraire, ceux-ci sont souvent empruntés aux nouveaux savoir-faire de l’industrie, auxquels Piano s’intéresse particulièrement. Nous allons donc voir par quelles méthodes et dans quelles intentions le Building Workshop exploite la technique, sans mettre de côté pour autant le rapport du bâtiment à la nature.

3.1 Usage des nouveaux matériaux et nouvelles techniques d’assemblage

«De plus en plus, on voit apparaître une attitude plus juste selon moi, qui consiste à tenter de retrouver une certaine humanité, n’utilisant pas les apports scientifiques pour leur formalisme ou leur académisme, mais pour leur potentiel de langage culturel qui n’est pas nécessairement celui de la haute-technologie», 1 voilà ce que répond Piano quand on lui pose la question de la part du high-tech dans sa conception architecturale. Le pavillon itinérant IBM répond à ce concept parce qu’il est construit à partir d’éléments de très haute technicité dont on n’utilise pas seulement les qualités techniques : le polycarbonate est la plus performante des matières plastiques à l’époque de la construction en terme de rapport résistance / poids. Piano l’utilise sous forme de modules pyramidaux autoportants en augmentant l’inertie de la forme, et permettant une épaisseur encore plus fine de matière et donc une légèreté extrême de chaque pièce. Mais la caractéristique pour laquelle elle est aussi employée ici est sa transparence qui permet alors un contact de l’intérieur avec la nature. La forme demi-sphérique de

1 Pontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Op.cit., p.60.

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46. Analogie entre les connexions et les ramifications d’une feuille d’arbreBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.113.

45. Raffinement des pièces d’assemblages artisanales en bois sculpté et en aluminium couléPiano Renzo, Carnet de travail, Op.cit., p.85.

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grande portée réalisée comme un arc à trois articulations évite la présence de deux murs et un toit, et fait encore plus perdre cette sensation d’abri au dessus de la tête. Les pièces en bois lamellé-collé sculptées sont liées aux pièces en aluminium, fabriquées par injection comme les pièces de voitures, grâce à des colles spéciales qui apportent une solidité extraordinaire à l’adhésion d’éléments de matériaux différents. Le résultat est proche de l’organique. Piano explique exploiter les possibilités que leur offrait la chimie moderne 2, une sorte de «révolution silencieuse» : «Il y a un siècle, on ne savait pas coller ; on soudait, clouait, boulonnait». 3 Ces pièces minutieusement réalisées rendent non seulement hommage à l’artisanat, mais elles créent surtout une présence sensuellement tactile qui attire le visiteur. [ill.45] «C’est presque comme si les énormes gerberettes moulées du Centre Pompidou avaient été réduites et placées à portée de main». 4 Ainsi les composants de bois et d’aluminium donnent non seulement chaleur et caractère à la structure principalement transparente mais constituent également un intermédiaire d’une part, entre la construction et l’emplacement, et d’autre part, entre la construction et le visiteur. Ces trois matériaux sont pliés aux exigences d’une structure géométrique dont le traitement raffiné des points de jonction ajouté à la multiplication des facettes des pyramides atteignent une dimension presque organique : il n’y a plus rien ici de l’agressivité de la haute-technologie exacerbée, comme le raconte Piano : «Le bâtiment était si léger, dans sa transparence et dans sa fragmentation en mille petits détails, qu’il pouvait être placé n’importe où, et s’adapter à toutes les villes qui l’accueillaient. La nature du parc alentour lui permettrait de s’intégrer parfaitement à l’environnement». 5 De la structure primaire à la pièce de jonction travaillée artisanalement, le bâtiment dialogue directement avec le tronc, les ramifications et les feuilles des arbres voisins, comme Piano l’avait esquissé. [ill.46] Contrairement à l’attitude adoptée dans le rapport entre forme du lieu et forme du produit, pour lequel l’architecte préfère parler d’ «allusion» plutôt que d’ «imitation» (partie 1.2.), on est ici, à l’échelle du détail, très proche de l’ordre du mimétisme. La forme des pièces sculptées et moulées est directement copiée des formes de la nature, et la colle permet de reproduire parfaitement le rôle des molécules joignant les nervures de la feuille au limbe (plan donnant la forme globale de la feuille) : l’ensemble de la pièce structurelle, rendue homogène, adopte un comportement semblable à celui de la feuille d’arbre. 6

Comme vu précédemment pour l’agence du Building Workshop, la lumière zénithale joue un rôle majeur dans l’atelier de Punta Nave : à ciel dégagé, des persiennes en toiture et des stores en parois régulent automatiquement l’intensité du soleil imprégnant ainsi les espaces intérieurs de lumière naturelle tout au long de la journée, sans laisser passer de rayons lumineux directs sur les plans de travail. Les seuls éléments technologiques évidents à première vue sont

2 Piano Renzo, Op.cit., p.84.3 Pontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Op.cit., p.63.4 Buchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.110.5 Piano Renzo, Op.cit., p.84.6 Feuille d’arbre : http://fr.wikipedia.org/wiki/Feuille

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47. Photo du détail de liaison entre bois lamellé-collé et vitrage et des systèmes automatisés de stores et persiennes extérieursBuchanan Peter, Op.cit., vol.2, p.77.

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les persiennes et les stores à cellules photoélectriques, complétés éventuellement en été par une climatisation indispensable à la bonne ventilation du volume. Mais là où réside la «vraie» technologie, c’est dans l’utilisation complémentaire du bois lamellé-collé et du verre. Les vitres, très hautes, ne tiennent pas grâce à des menuiseries qui ponctueraient la vision d’épaisses bandes verticales opaques, mais grâce à des contreventements faits d’ailerons en verre extrêmement fins assurant le maintien latéral. Ces baguettes sont fixées par si peu de moyens qu’elles n’admettent pas de déformation de leur cadre afin de toujours assurer une étanchéité parfaite. La technique du lamellé-collé permet de réaliser des poutres en bois franchissant de très grandes portées et résistants particulièrement bien à la flexion : la flèche est quasiment inexistante pour la portée de six mètres ici présente. Cette perfection du détail rend inutile l’utilisation de menuiseries ou joints coulissants en sommet des parois vitrées, pour une transparence poussée à son paroxysme. 7 [ill.47] Le souci du détail du bâtiment n’est pas de l’ordre du mimétisme formel des formes végétales comme c’est le cas du pavillon IBM vu précédemment, il s’agit plutôt d’un dialogue entre structure principale / structure secondaire / détail structurel et la végétation environnante intérieure / extérieure, sublimant la transparence.

Pour Piano, «la recherche de formes d’expression contemporaines ne peut venir que de l’innovation technique, l’élément le plus caractéristique de notre civilisation et l’influence majeure de la culture matérielle du projet». 8 Ce nouveau langage qui découle de la technologie et des sciences peut bien entendu, d’après lui, être utilisé dans l’architecture contemporaine, mais il n’est jamais générateur de ses projets, puisque comme vu précédemment en première partie, c’est l’inspiration des lieux qui fait naître ses premières idées. L’usage de la technologie doit répondre à des besoins bien définis par une étude approfondie des enjeux climatiques du projet, phase de recherche qui ne peut s’affranchir d’une pratique traditionnelle de l’architecture. La prouesse technique ne peut donc en effet être la seule réponse à une architecture contemporaine. C’est ainsi qu’il interprète la modernité dans son non-rapport à la chronologie à travers la comparaison entre tramway et bus : «Le tramway ne pollue pas, il est économique, rationnel et fiable : c’est donc un moyen de transport plus moderne que l’autobus, même s’il date d’il y a cent ans». 9 De cette prise de position, il en résulte une expression élégante de la technologie dans ses bâtiments, notamment en termes de structures légères et sophistiquées, mais il n’en ressort pas nécessairement de mécanismes «gadget» tombant en panne après quelques usages. Sa vision de l’architecture attribue donc à la technique le rôle d’outil au service du projet engendré par son contexte naturel. Mais à noter que l’outil employé n’est pas invariant, et permet donc des relations bien dépendantes du projet jusqu’à l’échelle du détail (le mimétisme pour le pavillon IBM, le dialogue pour le Building Workshop).

7 Buchanan Peter, Op.cit., vol.2 p.79.8 Piano Renzo, Op.cit., p.256.9 Ibid., p.256.

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49. Simulation informatique du niveau d’éclairage avec présence d’un arbre au premier plan à droite et modules opaques le long de la voûtePontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Architecture d’Aujourd’hui, Op.cit., p.62.

48. Bernard Plattner travaillant à la structure tendue du forum au parc de MontrougePiano Renzo, Projets et architectures 1964-1983, Op.cit., p.180.

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3.2 Travail à l’aide de prototypes et de l’informatique

Comme héritage de ses débuts dans la recherche et l’expérimentation, Piano a gardé des méthodes de travail très réalistes et matérielles pour un architecte. Plus que de simples maquettes, ce sont de réels prototypes à échelle réduite qui lui permettent de simuler les conditions climatiques du site, le fonctionnement d’une structure... Il explique par exemple que pour le musée de la Menil Collection à Houston, il a fabriqué «une petite machine» appelée «pompeusement the solar machine, destinée à reproduire à Gênes, la position du soleil à Houston». 10 Placés dans le jardin du Building Workshop, les prototypes à échelle 1/10 ont permis d’étudier la diffusion de la lumière. Pour la réhabilitation de l’usine à Montrouge, la maquette fabriquée par Bernard Plattner simule le comportement structurelle de la structure en toile tendue franchissant une portée de 13m à taille réelle. La toile de Téflon est supportée par une structure ductile dotée d’un minimum d’éléments en compression plus robustes que les nombreux câbles très fins en tension stabilisant le tout. [ill.48] Les moyens déployés pour la réalisation de ces maquettes mettent bien en évidence l’attention véridique que porte Piano aux questions de l’environnement, aux enjeux qu’il se fixe pour atteindre une qualité de vie et d’espace au sein de ses bâtiments. Et quel meilleur moyen de se rendre compte instantanément d’un résultat que celui de la simulation en temps réel ? Peter Buchanan, dans les Oeuvres complètes volume 1, explique que cette construction de prototypes «s’inscrit dans une volonté de participer pleinement aux enjeux de la planète et de notre époque […] c’est en cela que le travail de Piano diffère de celui de nombre d’architectes, trop souvent enfermés dans ce que lui-même appelle «la prison dorée du style» et dans la doctrine confortable et superficielle d’un travail «efficace et économique» ». 11

L’autre usage de technologie douce, l’informatique, concerne la maîtrise de l’éclairage naturel et la régulation de la température au pavillon IBM. L’utilisation de l’outil informatique dans la conception architecturale était comme évidente pour ce pavillon célébrant la marque IBM, mais néanmoins complémentaire. Un double système de travail fut mis-en-place pour étudier au mieux l’ensoleillement de la serre : l’un purement expérimental sous forme de tests et essais à grandeur nature, et l’autre basé sur des calculs par réitérations et approximations successives de l’optimisation lumineuse de la structure. Pour ce genre de travail très répétitif et fastidieux, un programme par ordinateur a été établi par localisation. A la date donnée, pour une latitude donnée, une simulation informatique était lancée mettant en jeu les conditions thermiques et d’éclairage, elle prenait en compte l’orientation du pavillon et la position des arbres environnants. [ill.49] Elle déterminait alors l’emplacement exact des éléments pyramidaux opaques qui étaient fixés à l’intérieur des éléments transparents, et du réseau d’écrans qui, ensemble, tamisaient la chaleur et la luminosité. «Encore un exemple de technologie «soft» puisque ce n’est pas la forme en soi, mais

10 Piano Renzo, Op.cit., p.17.11 Buchanan Peter, Op.cit., vol.1 p.10.

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50. Conduites d’airs assistées mécaniquementBuchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.112.

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l’aspect du bâtiment qui varie par l’intervention de la technologie». 12 Pendant les coups de froid, la condensation sur les pyramides était chassée par un souffle d’air chaud émis par des tuyères, identiques à celles utilisées dans l’aviation, et disposées dans de petites gaines branchées de part et d’autre d’une conduite courant le long du pavillon et suspendue aux arcs centraux des arceaux. L’air était extrait via des éléments posés sur piédestal le long du centre du pavillon. [ill.50] La technique permet dans ce cas une interprétation précise des variations de la nature afin de compléter la conception architecturale traditionnelle pour un confort optimal des usagers.

Pour maîtriser la technologie, il ne suffit pas d’un résultat techniquement correct, d’une structure parfaite et de détails proprement exécutés, mais d’un espace magique, vivant, humain, même s’il comporte des imperfections. La technologie doit être dans ce sens là un instrument et non une fin en soi, évitant ainsi une architecture monocorde. «On aime l’esthétique de la machine, mais on n’est pas méfiant vis-à-vis d’elle». 13 L’informatique vient alors comme outil de travail complémentaire aux prototypes établis par le Building Workshop quand cela présente une réelle opportunité pour atteindre l’objectif d’un microclimat intérieur dans lequel on se sente encore mieux.

Savoir vivre avec son temps, c’est donc pour Piano savoir user de la technologie à bon escient, pas seulement comme outil de conception pure, mais aussi comme potentiel de réponse à un programme contraignant. Pour la création de son atelier Building Workshop à Punta Nave, Renzo Piano recherchait le lieu idéal pour la création qui requiert, d’après lui, «de la sérénité et de la tension, du calme et de l’énergie, de la lenteur et de la rapidité».14 Sur les côtes liguriennes, entre collines et mer, la nature offre en effet une variété de spectacles au cours des saisons entre temps calme et mer agitée… Mais Piano explique là qu’il ne s’agit pas d’un lieu d’«ermitage», puisque l’atelier est en communication permanente avec l’extérieur, notamment avec son agence dans le Marais à Paris et ses chantiers dans le monde entier et ceci grâce aux nouvelles technologies. Plutôt que de critiquer cette explosion des nouveaux moyens de communication auxquels il est souvent reproché de faire perdre toute notion de temps, d’intimité et d’indépendance, l’architecte génois l’utilise au quotidien, au point d’en faire un atout qui lui permet «de vivre face à la mer». 15 Plutôt qu’une utilisation formelle de la haute-technologie visible dans la forme finale du projet, il s’en sert ici comme un atout pour envisager et concevoir un espace de travail sur le littoral déconnecté du centre urbain : d’un côté la mer à perte de vue, de l’autre les collines protégeant des terres intérieures. Savoir exister et évoluer avec son époque, c’est ce qui permet aux bâtiments du Building Workshop de toujours faire figure à la tête du mouvement contemporain.

12 Pontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Op.cit., p.64.13 Piano Renzo, Op.cit., p.84.14 Ibid., p.17.15 Ibid., p.17.

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La modernité pour Piano, c’est qu’ «une architecture doit pouvoir exprimer l’époque ou elle naît». 16 Piano suggère de faire attention à elle, car elle est un «piège», tout comme les mots «progrès» et «croissance». Et pour ne pas tomber dedans, il faut entre autre maîtriser les techniques que l’on met en œuvre, et ne pas en abuser. Il dénonce la volonté de «croissance sans limites qui a fait éclater nos villes» : c’est en effet à cause de cette perversion d’une ambition toujours grandissante qu’aujourd’hui «on en arrive à réfléchir à une architecture durable».17 La pratique de l’architecture recourt à de nombreux domaines en tout genre, dont l’art, la culture, la technique, l’histoire, les mathématiques, l’anthropologie, la géologie, et bien d’autres font partie. Certains peuvent y voir une multitude de contradictions, mais Piano va, lui, au-delà de ces lieux communs en considérant l’architecture comme un tout, et en tentant au mieux de ne laisser aucune de ses facettes de côté. Il n’existe donc pas dans son travail de césure entre l’environnement et la technique. Ce sont deux outils avec lesquels il compose, non pas en confrontation mais en interaction. Ainsi le projet fini, on a cette sensation d’équilibre entre la nature et la technologie, aucun de ces deux éléments ne prenant le pas sur l’autre. La nature est au contraire magnifiée par le souci du détail. La nature prend alors, grâce à la technique parfaitement exécutée, une valeur incontournable dans l’existence du projet rendu à la fois vivant et unique.

3.3 Pratique traditionnelle de l’architecture

«Dans le Building Workshop, les éléments de technologie d’avant-garde impressionnent moins que le bois et le stuc rose». 18 Peter Buchanan veut dire par là que ce qui est frappant, ce n’est donc pas l’emploi des nouveaux matériaux industrialisés qui restent finalement discrets, mais plutôt leur faculté à se mélanger si naturellement aux matériaux traditionnels, que sont ici le bois et le stuc rose, enduit naturel à base de chaux et teinté dans la masse. La dualité du bois lamellé-collé et du verre permettant une transparence extrême ne fait que magnifier à l’échelle du détail la relation de l’espace intérieur avec la nature. Que ce soit à première vue ou après étude du bâtiment, il me semble évident que ce n’est pas de la présence du high-tech des cellules photosensibles que le projet tire sa force, mais plutôt de la rencontre entre l’artisanat local (la pierre, le bois, l’enduit), les matériaux industrialisés (le verre, le lamellé-collé, l’acier) et les nouvelles techniques d’assemblage (les joints collés du verre structurel, les pièces très fines de fixations en acier). La dimension écologique de ce projet ne provient donc pas des inventions dernière génération ; elle s’en tient plutôt à son côté traditionnel à travers l’identification à la serre typique des environs.

A y regarder de plus près dans la réhabilitation du site industriel de Montrouge, là

16 Cassigoli Renzo, Op.cit., p.122.17 Ibid., p.39.18 Buchanan Peter, Op.cit., vol.1, p.12.

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où l’innovation domine, c’est plus dans la politique d’intervention que dans la technologie elle-même, car l’idée ici était de travailler sur l’existant en dessinant de nouvelles pièces qui, fabriquées ailleurs dans une logique d’atelier, sont ensuite amenées sur le site et montées sans détruire ni traumatiser les structures primaires existantes, c’est-à-dire sans créer d’incompatibilité entre les tolérances des objets nouveaux très précis et celles de la construction du début du siècle. «Nous avons seulement prouvé que, à condition de mener un chantier intelligemment, méthodiquement, en tenant compte de l’existant et en évitant les techniques coûteuses, tel l’air conditionné remplacé par des systèmes plus pauvres de ventilation, nous pouvions respecter les contraintes économiques. D’autre part, nous conservons des bureaux vastes, de grande hauteur, avec un nombre de m² supérieur à celui prévu dans les constructions récentes, et nous gagnons un parc sur lequel s’ouvrent les bâtiments». 19 En expliquant cette démarche, Renzo Piano prouvait que le projet n’avait absolument pas été axé uniquement sur l’enjeu prestigieux de l’élément culturel et environnemental que constituaient la réhabilitation et le parc, puisqu’après une étude très sérieuse, construire sur ce qui existait s’était avéré comme économiquement positif. La juste intention génératrice du projet semble donc bien loin d’une image valorisante de marketing.

«La question n’est pas de choisir entre la condamnation et l’exaltation de la technologie. La technologie doit être utilisée avec discrétion, il ne faut pas en faire un étalage. Notre métier tient de l’équilibre entre art et technique. Si tu les sépares, il tombe d’un côté ou de l’autre». 20 Piano parle des évolutions techniques dont l’architecte peut se servir sans tomber dans l’excès d’une utilisation abondante, et avec une certaine retenue, pour ne pas faire de son bâtiment une démonstration de nouvelles technologies. Il veut dire par là qu’elle ne doit être ni l’alimentation, ni le frein à l’imagination du projet. L’architecte devrait y avoir recours que s’il en a besoin. De cette posture modeste et néanmoins très savante quant aux nouvelles technologies, la végétation apparaît dans ses bâtiments de manière relativement réservée mais pour autant très efficace. Pour lui, un espace vert ne doit pas être «un élément décoratif à ajouter», 21 une fioriture ; il doit être une valeur ajoutée au projet, la végétation lui permettant notamment la création de microclimat et de lieux isolés en plein cœur de ville comme vu dans les exemples étudiés. Sa posture écologique survient donc comme une évidence, mais pas à la manière de la nouvelle tendance prônant le «développement durable», elle apparaît, dans les projets du Building Workshop, comme un retour à la pratique architecturale traditionnelle dont l’enjeu climatique fait partie intégrante de la conception depuis que l’architecture existe.

Non exhibée, la technologie se manifeste invariablement chez Piano comme un effet et non comme un instrument. Ce lien ténu, mais rationnel, qu’entretient

19 Pontoizeau Yvette, «Restructurer à vif», Op.cit., p.14.20 Cassigoli Renzo, Op.cit., p.28.21 Ibid., p.149.

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Renzo Piano vis-à-vis de la technique et de la transformation de la matière relève d’une transmission familiale, celle de son père architecte et entrepreneur : «J’ai grandi sur les chantiers. C’était l’émerveillement quotidien. Mon père était capable de transformer la matière». 22 À l’écoute de la commande et du site, Renzo Piano met en jeu une technologie sophistiquée mais jamais ostentatoire pour donner une réponse la plus juste possible, qui exprime la singularité du projet. L’attitude de l’architecte est «d’écouter les besoins» sous-tendus par un projet sans toutefois céder au compromis. La «désobéissance de l’architecte» est pour lui une forme d’engagement et une condition préalable à l’acte de construire. Ce juste milieu qu’il réussit toujours à établir entre art et technique provient donc de cette culture du chantier inculquée dès son enfance. Par conséquent, elle semble elle-même être à l’origine de sa collaboration étroite avec le monde de l’ingénierie dans sa conception architecturale. L’intérêt pour les matériaux, le souci du détail technique, la culture du bien-faire donnent dès les phases d’esquisses une place primordiale au rôle des ingénieurs, avec qui il a souvent tissé des liens d’amitié, notamment Peter Rice qui fut son grand complice pendant de longues années.

Une nature pas seulement ornementale

Il résulte comme d’un malentendu d’associer Piano au high-tech depuis la création du Centre Pompidou, par lequel il s’est fait connaître en 1977, mais qui reste finalement le plus technologique de tous ses projets. Beaucoup de visiteurs du pavillon IBM furent ainsi surpris par la suite de la faculté avec laquelle il a eu recours à un travail artisanal du bois et de ses connexions avec l’aluminium, et ceci grâce aux nouvelles colles. Le Building Workshop arrive ainsi à concilier la technique et ses nouvelles inventions avec une pratique architecturale traditionnelle qui apparaît comme naturelle dans tous ses travaux. Les édifices ne présentent donc pas la nature à travers une image décorative issu tout droit du marketing environnemental et culturel, mais au contraire elle est à la fois acteur du confort climatique de l’espace de vie et elle inspire la réalisation du détail technique avec lequel elle entretient une relation spécifique au projet : dialogue, mimétisme, interprétation...

22 Piano Renzo & Renevier Frank, Chantier ouvert au public, Les Editions Arthaud, Collection Architectures, Paris, 1985.

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Conclusion

Résultat de l’analyse

L’analyse globale montre tout d’abord que l’architecture de Renzo Piano répond systématiquement à la question du comment et du pourquoi à travers toutes les échelles de la conception, du site au détail technique en passant par le bâtiment lui-même.

En adoptant une attitude toujours différente en fonction du projet, le travail du Building Workshop, par son attention singulière, approuve l’idée qu’à un contexte et un programme particuliers correspondent un projet. Le comment ne trouve pas obligatoirement réponse dans une nature copiée. Le rapport peut être de l’ordre de l’opposition, du dialogue, de l’interprétation ou du mimétisme et peut changer pour un même projet selon les échelles. Par exemple pour le pavillon IBM, sa forme géométrique régulière vient en opposition aux formes naturelles, tandis que les pièces de jonction miment une forme organique. A Punta Nave, à l’inverse, la forme du bâtiment fait allusion à celle du lieu, alors que le détail de fixation du verre n’est presque pas matérialisé intensifiant la transparence. Dans tous les cas, il se crée une parfaite corrélation entre la construction et sa nature environnante. La végétation vient compléter, voire idéaliser ce rapport du bâtiment à la nature. Elle permet la transition entre le rapport à grande échelle avec le contexte – la végétation existante est liée directement à la géographie du site – et le rapport à l’échelle de la technique – elle détermine la technologie employée ou le détail dessiné, que ce soit dans sa forme, sa matérialité, ou sa potentialité (de transparence par exemple). Elle joue donc à la fois le rôle d’outil et de matériau de construction, et même parfois celui d’élément immatériel. Toutefois, des invariantes figurent dans chacun des bâtiments, notamment la séquence d’entrée comme promenade paysagère et le rapport entre «machine» et «jardin». Mais celles-ci ne paraissent pas être une contrainte que le Building Workshop s’impose au préalable du projet. Au contraire, elles semblent découler naturellement au cours de la conception, comme une évidence complétant le reste du travail de corrélation avec la nature.

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La raison pour laquelle Piano compose avec la nature dès la première phase d’esquisse d’un projet correspond directement à une volonté de ne pas s’inscrire brutalement dans un site. Ce respect à l’égard de l’existant est valable même quand le rapport entre construction et nature est de l’ordre de l’opposition, comme c’est le cas pour l’usine Schlumberger où l’harmonie entre la parc de Montrouge et les bâtiments existants l’emporte sur le clivage idéologiquement fondé entre usine et nature. Le Building Workshop travaille avec détermination avec la nature, dont la végétation est une composante : sa présence enrichit donc le lien avec l’édifice, sans qu’elle ne figure comme un produit «tape-à-lo’eil» de marketing, tel un mur végétal par exemple. Elle vient naturellement dans la logique de conception du projet. Son usage de la technique restant toujours très justifié et sans abus, celle-ci ne prend pas le dessus sur l’aspect architectural des bâtiments du Building Workshop. Son architecture reste alors à la fois contemporaine par l’usage des nouvelles technologies qu’il ne rejette pas, et humaine et réaliste dans sa conception traditionnelle.

Ouverture

Alors que la nature était bien souvent oubliée dans l’architecture du siècle passé – ou alors mal intentionnée à cause de l’engouement grandissant pour le mouvement écologique depuis quelques dizaines d’années – Piano a su inlassablement apporter à l’architecture du Building Workshop une importance et une justesse dans sa relation à la nature de la fin de l’époque moderne à nos jours. Il serait alors intéressant de constater dans les années à venir ce que l’architecture de Renzo Piano, après plus de quarante ans de carrière internationale, a fait évoluer dans l’architecture contemporaine. Les édifices du Building Workshop répandus principalement en Europe, bien que présents sur les quatre autres continents, auront-ils une influence dans le rapport exemplaire à la nature sur les nouvelles architectures du futur ?

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Bibliographie

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Ouvrages :

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Revues :

• Pontoizeau Yvette, «Restructurer à vif», Architecture d’Aujourd’hui, n°233, 1984, p. 14-23.• Pontoizeau Yvette, «Pavillon d’exposition IBM», Architecture d’Aujourd’hui, n°235, 1984, p.60-65.• «Piano de A à W», Architecture d’Aujourd’hui, n°246, 1986, p.20-37.• Fromonot Françoise, «Renzo Piano Portrait», Architecture d’Aujourd’hui, n°308, 1996, p.30-43.• Fillion Odile, «Nature : la revanche», Architecture d’intérieure Créé, n°207, 1985, p.64-69.• J.M.H., «Restructuration d’un site industriel à Montrouge», Techniques & Architecture, n°359, 1985, p.42-55.• Hespel Christophe, «Chantier collines d’acier», AMC, n°145, 2004, p.26-27.• Buchanan Peter, «Natural Workshop», Architectural Review, n°1183, 1995, p.76-80.• «Zentrum Paul Klee in Bern», Detail, n°7/8, 2005, p.781-788.• Marti Andreas, «Zentrum Paul Klee, Bern», Domus, n°872, 2004, p.28-43.• «Centre Georges Pompidou Piano+Rogers : a statement», Architectural Design, n°2, 1977.

Sites Internet :

• Site officiel du Renzo Piano Building Workshop : http://rpbw.r.ui-pro.com/• Ecologisme : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cologisme• Site du CNRS : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbioville/bioville.html• Site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/• Jardin anglais : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jardin_anglais• Site du Centre National de la Recherche Scientifique : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbioville/bioville.html• Feuille d’arbre : http://fr.wikipedia.org/wiki/Feuille

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