apport de la sophrologie en rééducation neurologique

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RECUEIL ANNUEL D’ERGOTHÉRAPIE 2016 | 55 Apport de la sophrologie en rééducation neurologique Mots-clés Sophrologie – ergothérapie - lésion médullaire – cérébrolésion - rééducation neurologique Résumé Dans cet article, nous nous proposons de décrire l’apport de la so- phrologie en rééducation / réadaptation neurologique, auprès de patients blessés médullaires et cérébrolésés. Après une explication des principes de la sophrologie, nous tenterons de montrer la complémentarité de la sophrologie et de l’ergothéra- pie. Nous basant sur quelques expériences sur le terrain, nous tente- rons d’expliquer en quoi cette méthode nous apparaît intéressante et créatrice et nous semble faire partie inhérente de la rééducation/ réadaptation. Enfin, nous développerons nos projets et perspectives au sein de notre pratique au CTR. Apport de la sophrologie en rééducation neurologique Bartholomeeusen Magaly et Boulert Eve, Ergothérapeutes Centre de Traumatologie et de Réadaptation ( CTR-Erasme ) [email protected] Magaly Bartholomeeusen, Eve Boulert

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Page 1: Apport de la sophrologie en rééducation neurologique

RECUEIL ANNUEL D’ERGOTHÉRAPIE 2016 | 55

Apport de la sophrologie en

rééducation neurologique

Mots-clés

Sophrologie – ergothérapie - lésion médullaire – cérébrolésion - rééducation neurologique

Résumé

Dans cet article, nous nous proposons de décrire l’apport de la so-phrologie en rééducation / réadaptation neurologique, auprès de patients blessés médullaires et cérébrolésés.

Après une explication des principes de la sophrologie, nous tenterons de montrer la complémentarité de la sophrologie et de l’ergothéra-pie. Nous basant sur quelques expériences sur le terrain, nous tente-rons d’expliquer en quoi cette méthode nous apparaît intéressante et créatrice et nous semble faire partie inhérente de la rééducation/ réadaptation. Enfin, nous développerons nos projets et perspectives au sein de notre pratique au CTR.

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Bartholomeeusen

Magaly et Boulert Eve,

Ergothérapeutes

Centre de Traumatologie

et de Réadaptation

( CTR-Erasme )

[email protected]

Magaly Bartholomeeusen, Eve Boulert

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e 1. Introduction

En tant qu’ergothérapeutes au Centre de Traumatologie et Réadaptation de Bruxelles ( CTR ), nous participons au processus de rééducation et réadapta-tion des patients. La patientèle, constituée entre autres de blessés médul-laires et cérébrolésés, vit une rééducation particulièrement longue, jusqu’à deux ans pour certains.

De l’éveil post-choc au projet de sortie, en passant par le premier lever, la mise au fauteuil, la reprise des activités de la vie journalière ( AVJ ), … le chemin est souvent long et difficile. De nombreuses questions et difficultés émergent chez les patients, concernant le présent, mais aussi l’avenir.

Chaque parcours de rééducation est unique et demande au thérapeute de s’adapter constamment dans et au sein de ses prises en charge. En tant qu’ergothérapeutes, notre vision holistique du patient, complétée par le tra-vail en équipe pluridisciplinaire, nous permet d’aborder la personne dans sa globalité.

En rééducation, les objectifs sont souvent posés par cette même équipe, en accord avec le patient. Mais comment donner à ce dernier les ressources, les moyens d’arriver à ces objectifs, en devant composer avec une nouvelle réa-lité, consécutive à la situation de handicap provoquée par l’accident ? Com-ment se réapproprier un corps chamboulé, vécu et perçu différemment, un corps souvent devenu objet de soins, de rééducation, avec des objectifs qui relèvent bien souvent de la performance ? Comment peut-il se réapproprier sa vie, son histoire, la façon dontson entourage le perçoit ?

La sophrologie,faisant partie du champ des méthodes à médiation corpo-relle, nous apparait comme une technique particulièrement intéressante et créatrice.

Nous proposons, au travers de cet article, de vous faire découvrir l’apport de la sophrologie pour nos patients blessés médullaires ou cérébrolésés, en lien étroit avec notre pratique ergothérapeutique.

2. Définitions

A. La sophrologie ( selon Esposito )

Afin de comprendre et définir le terme sophrologie, nous devons nous baser sur son étymologie ainsi que sur ses origines diverses.

Etymologiquement, du grec Sos, Phren et Logos, sophrologie signifie « étude de l’harmonie de la conscience » ( ESPOSITO R. , 2010 ). « La sophrologie se propose d’étudier la conscience humaine dans le but d’atteindre un certain niveau d’harmonie ; en cela elle possède un versant éducatif, un versant pro-phylactique et un versant thérapeutique. » ( BASTE, 2014 )

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rologiqueLa sophrologie présente plusieurs niveaux d’expérimentationet a l’avantage

de se pratiquerdans les différentes positions ( debout, assis ou allongé ), de

façon statique ou en mouvement.

Caycedo A., fondateur de la sophrologie, propose comme base de départ

une étude nouvelle de la conscience, et la divise en trois états et trois ni-

veaux. Les états désignent les aspects qualitatifs et les niveaux, les aspects

quantitatifs.

Dans les trois états, on retrouve la conscience ordinaire, pathologique et

sophronique ;

Dans les trois niveaux : la veille, le sommeil et entre les deux, le niveau so-

phro-liminal ( niveau entre la veille et le sommeil ).

Figure 1 : Eventail de la conscience ( Société Française de Sophrologie )

En sophrologie, nous recherchons ce niveau sophro-liminal, qui est neuro-

physiologiquement identique au niveau de relaxation obtenu par une autre

méthode. Dans ce même niveau, il est possible d’effectuer des exercices de

visualisation qui permettent de répondre à certaines nécessités thérapeu-

tiques. Nous développerons ces techniques dans la suite de l’article.

Dans chaque séance de sophrologie et tout au long de celle-ci, l’outil uti-

lisé est le terpnos logos. Le terpnos logos désigne la parole utilisée lors de

la pratique en sophrologie. En sophrologie ou dans d’autres techniques de

relaxation, le thérapeute adapte le fond et la forme de son discours, où la

voix est posée et les termes choisis afin de favoriser l’entrée et le maintien

du niveau sophro-liminal.

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A. Caycedo a développé la sophrologie, avec son vocabulaire spécifique,sur

base de ses connaissances et expériences en hypnose, sur le training au-

togène de Schultz, la relaxation de Jacobson, ainsi que le yoga, le zen ou

la méditation. A. Caycédo s’intéresse également à la phénoménologie, sur

laquelle il s’appuie pour poser le cadre théorique de la sophrologie.

C’est Husserl qui a proposé une méthode d’étude de la conscience humaine

différente de la méthode cartésienne, qu’il a appelée «réduction phénomé-

nologique».Elle « est faite de cinq points : le retour aux choses elles-mêmes ;

la suppression du jugement ; la mise entre parenthèses du savoir acquis, la

captation pluridimensionnelle des sens ; l’intuition des essences. » ( ABRE-

ZOL, 1999 )

Il s’agit donc de revenir à l’essence même des choses, de les découvrir

comme si c’était la première fois. Or pour la personne blessée médullaire

ou cérébrolésée, tout est nouveau puisque le handicap ne faisait pas par-

tie de sa vie auparavant… mais il est, dans ce cas, encore plus difficile de

suspendre les évidences ou laisser tomber les à priori. Encore sous le coup

de l’accident, la maladie, la personne subit le handicap. Comment peut-elle

réinvestir son corps et, plus largement, sa vie ?

La phénoménologie apparait, par conséquent, comme une approche in-

téressante puisqu’il s’agit de revenir aux choses telles qu’elles sont, et de

prendre conscience du corps dans la réalité. La difficulté réside dans le fait

d’aborder les choses comme si c’était la première fois.

La sophrologie se base également sur quatre principes fondamentaux :

a. Principe du schéma corporel comme réalité vécue

Le schéma corporel est une notion complexe.

Selon Henri Piéron, « le schéma corporel est la représentation que chacun

se fait de son corps et qui lui permet de se repérer dans l’espace » ( BOON

H., 1976 ).

La notion de schéma corporel est fondée sur des informations sensorielles

multiples, tant intéroceptives, proprioceptives, qu’extéroceptives ; ainsi que

sur des informations sensitives et physiologiques. Il permet la conscience

du corps.

Nous verrons plus loin que dans le cas des affections neurologiques dont

nous parlons ici, le schéma corporel peut être transformé ou altéré, du fait

de la lésion cérébrale ou médullaire, mais également modifié par un chan-

gement de posture ou par l’utilisation d’objets tels qu’un fauteuil roulant

( FR ), un rollator, une canne,…

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b. Principe d’action positive

« Toute action positive dirigée vers un élément de la conscience ( corps ou esprit ) se répercute de façon positive sur la conscience toute entière.

Chaque fois que nous avons une pensée agréable, elle se répercute de façon

positive sur le mental mais aussi sur le corps. De même, toute sensation ou

perception agréable que nous éprouvons agit positivement sur le corps et

aussi sur le mental. La sophrologie prend le parti de renforcer tout ce qui va

bien chez l’individu. Il ne s’agit cependant pas de nier le négatif mais de le

mettre entre parenthèses le temps de la pratique. La sophrologie ne traite

pas le symptôme, mais donne au sophronisant( celui qui vit la séance )les

moyens de renforcer ses structures saines. Il est ainsi un partenaire à part

entière dans les équipes médicales et paramédicales. »( ESPOSITO R. , 2010 )

Ce principe permet à la personne de voir les choses et les évènements d’une

façon différente, de se détacher de la perception qu’elle en a afin de les vivre

au plus près de ce qu’elles sont, et d’en tirer tout le bénéfice possible dans

une perspective constructive.( BASTE, 2014 )

c. Principe de réalité objective

Afin de vivre au mieux dans le présent, les situations quotidiennes, de

s’adapter au mieux à la situation présente, il est essentiel de modifier le

regard que chacun porte sur lui-même et sur le monde, d’élargir sa vision.

Selon R. Esposito, la réalité objective n’est probablement pas un but attei-

gnable, tout au plus on peut s’en rapprocher. En fonction de l’histoire, du

vécu de chacun, il est difficile d’aborder les situations et les personnes sans

préjugés, sans à priori. Il est cependant possible de les appréhender avec

plus d’objectivité, de réalisme.

C’est ce que vise ce principe de réalité objective, en amenant la personne à

modifier le regard qu’elle porte sur elle-même et sur le monde; image sou-

vent modifiée par la situation de handicap.

d. Principe d’adaptabilité

Ce quatrième principe n’est décrit que depuis peu même s’il fait partie inté-

grante de la sophrologie depuis ses débuts. Il consiste à adapter la séance,

les techniques, au moment, à la personne et plus particulièrement à sa réali-

té objective. Chaque séance va donc se construire en fonction des dialogues

pré et post sophroniques ( avant et après la pratique du jour ).

La pratique de la sophrologie doit s’adapter au rythme du patient afin qu’il

puisse s’approprier la méthode, l’intégrer dans son quotidien et la vivre de

manière autonome.

B. Le blessé médullaire

« La paraplégie se définit comme une atteinte des deux membres inférieurs,

la tétraplégie comme une atteinte des quatre membres. Une lésion est dite

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complète s’il n’existe pas de fonction motrice ou sensitive dans les derniers

segments sacrés» ( MAILHAN, 2002 )

Dans son exposé sur l’ « anatomie, la neurophysiologie de la moelle épinière

et les conséquences des traumatismes », le Dr. A. Parent définit la –plégie-

comme étant la paralysie et l’anesthésie des régions du corps correspon-

dant à tout le territoire situé plus bas que la lésion de la moelle qui la pro-

voque. Dans le cadre d’une lésion incomplète, une récupération plus ou

moins importante de la force peut apparaitre, il y aura alors lieu de parler de

–parésie. ( PARENT, 2012 )L’aspect sensibilité peut également évoluer mais

n’a pas d’appellation spécifique. Une récupération totale est possible mais

ne sera pas abordée dans ce travail, ne correspondant pas à la population

définie pour la pratique.

Cependant, les atteintes motrices et sensitives, bien qu’ayant déjà un im-

pact important sur le schéma corporel, l’image de soi, la perception des

sensations,… ne sont pas les seules conséquences d’une blessure médul-

laire. En fonction du niveau touché, il faut également prendre en compte les

séquelles respiratoires, neuro-orthopédiques ( spasticité, ostéomes ), neuro-

végétatives ( baisse de tension artérielle, thermorégulation ), vésico-sphinc-

tériennes, cutanées ainsi que les douleurs.

Ces déficiencesinfluencent de manière non négligeable la réalisation des

besoins, des activités de la vie journalière et des habitudes de vie de la per-

sonne concernée, ce qui est généralement traduit en termes de capacités ou

incapacités, de situations de participation sociale ou de handicap.

C. Le cérébrolésé

Nous parlerons ici de lésion cérébrale acquise ( traumatisme crânien, AVC,

… ). La lésion cérébrale acquise désigne toute lésion cérébrale survenue

après la naissance. Les différentes causes peuvent être :

– un traumatisme crânien ( TC ) survenu suite à un coup sur la tête, un acci-

dent de la voie publique,…

– un accident vasculaire cérébral ( AVC ) consécutifà une hémorragie céré-

brale ou un accident ischémique, une rupture d’anévrisme

– une anoxie,…

Le TC ( qui est une lésion diffuse du cerveau ) est nosologiquement à dissocier

de la cérébrolésion, mais les deux peuvent avoir des séquelles comparables.

De plus, il s’agit le plus souvent d’un polytraumatisé, avec des séquelles

propres, neurologiques, des troubles neuropsychologiques et comporte-

mentaux.

Ces séquelles peuvent être variables tant dans leur aspect que leur gravité,

et peuvent persister à distance de l’accident. On observe principalement

des troubles physiques et des troubles cognitifs. Ces troubles des fonctions

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cognitives sont dominés par l’asthénie, les troubles de la mémoire, des fonc-tions exécutives et de l’attention. ( DEMORAND, 2010 ).

Les déficits peuvent être d’ordre neurologique ( atteintes motrices et senso-rielles ), neuropsychologique( troubles de communication, de la mémoire, attentionnels, de la pensée, des fonctions exécutives -altération du raison-nement logique, troubles d’élaboration des stratégies simples ou com-plexes ), comportementaux ( euphorie, impulsivité, désinhibition,.. ), percep-tifs, praxiques, agnosiques.

L’atteinte motrice peut se présenter sous forme d’une hémiplégie qui « est la perte plus ou moins complète de la motricité volontaire dans une moitié du corps ». L’hémiplégie s’accompagne de troubles associés souvent cognitifs, spécifiques à chaque hémisphère cérébral. Notons la particularité de l’hémi-négligence ou négligence spatiale unilatérale ( NSU ) qui est définie comme « l’incapacité pour le patient de rendre compte, de réagir à et de s’orienter vers des stimulations signifiantes ou nouvelles présentées dans l’hémi-es-pace controlatéral à une lésion cérébrale ». La NSU concerne les différentes modalités sensorielles ( les entrées visuelles, auditives, tactiles ou olfactives ). De plus, elle « peut revêtir différents aspects selon l’espace impliqué. On reconnaît la négligence corporelle ou extracorporelle selon que le trouble se manifeste respectivement soit sur l’espace corporel du patient ( corps et/ou espace proche à portée de main ), soit sur l’espace lointain ( par exemple regarder au loin avant de traverser une route ) ».( DEMORAND, 2010 ) Cette négligence corporelle entraine également une négligence motrice unila-térale, qui se traduit par une sous-utilisation fonctionnelle de l’hémicorps hémiplégique.

3. La rééducation/ réadaptation

A. L’ergothérapie

Comme le définit l’arrêté royal ( Moniteur belge du 4 septembre 1996 ), le rôle de l’ergothérapeute au sein de la prise en charge de la personne blessée mé-dullaire ou cérébrolésée concerne tant la rééducation que la réadaptation.

La rééducation consiste à stimuler et développer les différentes fonctions au rythme de la récupération neurologique. Dès que possible, l’ergothérapeute utilise les activités dites écologiques ( des AVJ aux habitudes de vie ), signifi-catives pour la personne.

De la récupération progressive des différents gestes et fonctions naît peu à peu la phase de réadaptation. La priorité n’est plus de chercher de nou-veaux mouvements mais d’utiliser ceux-ci pour qu’ils soient fonctionnels au quotidien. Il s’agit donc de découvrir le potentiel de chaque geste afin de le compléter adéquatement ( aide technique, adaptation de l’objet, aménage-ment de l’environnement ) et de trouver le compromis confortable en terme

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de coût énergétique. En parallèle, la réintégration de rôles socio-familiaux

et la réinsertion socioprofessionnelle passent également au premier plan.

L’ergothérapeute veille donc à maximiser tant l’indépendance que l’autono-

mie de la personne en proposant des moyens de compensation, des adap-

tations ou des aménagements si cela s’avère nécessaire.

B. Ergothérapie et sophrologie : complémentaires ?

La sophrologie vient judicieusement compléter la pratique ergothérapeu-

tique.

R. Esposito définit d’ailleurs la première comme une « pédagogie de l’exis-

tence qui peut avoir des effets thérapeutiques ». Par l’apprentissage de tech-

niques concrètes, un entrainement régulier et une application de l’attitude

sophrologique au quotidien, elle permet à la personne de ( re )découvrir ses

potentialités, de se ( ré )intégrer dans son environnement, dans le but de

recouvrer un fonctionnement optimal dans sa vie personnelle, profession-

nelle et/ou la sphère de ses loisirs.

Le rapprochement avec l’ergothérapie se situe également au niveau des

objectifs de rééducation et des conséquences de la pathologie; schéma cor-

porel chamboulé, troubles de l’équilibre, impact sur la réalisation des AVJ,

projection dans l’avenir difficile…

Le patient voit effectivement son schéma corporel se modifier : absence ou

altération de la réponse motrice comme de la sensibilité, fonte musculaire

due à l’inactivité physique, compensation de l’anesthésie par la vue, modi-

fication des points de repères… Les limites corporelles, bien que physique-

ment identiques, sont également perturbées puisque naturellement «c’est

grâce au toucher que l’on comprend où finit notre corps, où commence

l’univers. »( RAINER & HENNING, 2014 )

Or, en sophrologie, comme l’explique Michèle

DECLERCK, sur base de la définition de A. Cay-

cedo, « ce schéma corporel ne nous intéresse

qu’en tant que « réalité vécue », ce qui recouvre

une double exigence : – le fait qu’il soit perçu

de l’intérieur, par le sujet lui-même, et non par

un quelconque observateur, perçu et non « dé-

duit » ; – et celui qu’il soit perçu dans sa « réa-

lité », c’est-à-dire dans sa relation au présent, c’est-à-dire indépendamment

de toute interprétation pathologique ou de l’invasion phantasmatique. »

( DECLERCK, 1999 )

La sophrologie peut aider la personne à voir, percevoir et ressentir son corps

tel qu’il est.

« Je sais bien que je

ne sens plus mais je

ressens les contacts,

les sensations. »

P1 - Paraplégique

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Le patient voit également son équilibre se modifier. D’un point de vue phy-sique, il lui faut retrouver une stabilité quelles que soient ses positions et activités. Les différentes activités de la vie journalière peuvent devenir de

véritables épreuves pour la personne lésée médullaire ou cérébrolésée et

leur exécution confronte directement le patient à l’impact fonctionnel du

handicap sur son quotidien. Mais sa vie a également basculé aux niveaux

familial, social et professionnel, il doit donc en plus recréer son équilibre

personnel.

La sophrologie, par ses différents principes, en parallèle et avec l’équipe

médicale et paramédicale, accompagne la personne dans la découverte de

ses points de repère actuels lui permettant de trouver le juste milieu entre

effort et récupération, se dépasser et renforcer les acquis. Il s’agit également

de l’aider à identifier par et pour elle-même, les ressources intérieures et

extérieures nécessaires pour « tenir le coup », se trouver et se retrouver.

Le traumatisme cérébral ou médullaire, par son caractère brutal et subit per-

turbe la notion même de l’avenir. Présent incertain, perte des repères, corps

modifié, … Il est généralement difficile pour la personne handicapée d’envi-

sager un futur. « Se projeter dans l’avenir, c’est avoir un projet sur soi, c’est

créer sa vie. » ( AUDOUIN, 2000 ) Or les desseins se limitent bien souvent à

réintégrer un quotidien, son quotidien. Comment construire un projet alors

qu’on ne sait pas encore comment se reconstruire ?

Dans la course de la rééducation, le patient éprouve parfois des difficultés

à se rendre compte de son évolution, les progrès étant souvent lents et in-

fimes.

Le rôle du thérapeute est donc de relever toutes ces étapes, positiver chaque

acquis, aussi infimes soient-ils, sans outrance et en restant objectif, afin de

les replacer dans un ensemble qui fait sens. Il ne s’agit pas de nier les difficul-

tés, mais de renforcer ce qui va mieux pour y trouver l’élan nécessaire pour

continuer à avancer.( ESPOSITO R. , 2010 )

Comme vient de le décrire R. Esposito, les principes sophrologiques d’ac-

tion positive et de réalité objective permettent à la personne de prendre

conscience, par elle-même, qu’il y a réellement progrès ; au-delà du discours

d’un thérapeute.

Pourtant chaque avancée, aussi minime soit-elle, chaque point gagné parti-

cipe à l’indépendance, l’autonomie et le bien-être de la personne. Les rele-

ver est du ressort de chaque thérapeute et tout particulièrement de l’ergo-

thérapeute par la mise en situation concrète.

La sophrologie vient compléter le tableau en permettant à la personne de

se rendre compte par elle-même du positif acquis et de la réalité telle qu’elle

est. Sans casser l’espoir de récupération, c’est le présent qui compte et qui

permet d’avancer le mieux possible, tel que la personne en est capable au-

jourd’hui, tout en continuant à viser un rien plus haut.

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C. Le patient en rééducation- réadaptation

Les objectifs de rééducation sont nombreux pour le patient et portent entre autres sur le travail de l’équilibre assis et/ou debout, le ( ré )entrainement et l’indépendance dans les AVJ et les transferts, la manipulation du fauteuil roulant, la station debout et/ou la marche, l’aménagement du domicile, la ( re )construction d’un/de projet( s ) de vie…( re )construction d’un/de projet( s ) de vie…

Figure 2 : Du patient à la personne, apport de l’ergothérapie et de la sophrologie

( BARTHOLOMEEUSEN, 2014 )

Ergothérapie et sophrologie semblent se compléter harmonieusement.

Chacune à leur manière, elles accompagnent le patient dans la réappropria-

tion de son corps et de son quotidien pour réenvisager un avenir personnel.

4. L’approche sophrologique

Les indications de sophrologie pour un patient peuvent être variées. Elles

concernent la détente ( en lien avec les tensions physiques/ psychiques ), le

schéma corporel, la positivation, les peurs, la projection dans l’avenir, la ges-

tion de la douleur…

La majorité des patients pourrait bénéficier de la sophrologie, quelles que

soient leurs difficultés ou leur stade de rééducation. Ainsi nous pourrons

la proposer à une personne alitée en début de prise en charge comme à

celle qui est rentrée chez elle et revient en externe, le handicap physique

nécessitant parfois quelques adaptations des différentes techniques. Il

existe cependant des contre-indications à la sophrologie dont notamment

les pathologies d’ordre psychiatrique. En cas de doute, l’avis du psychiatre

sera demandé.

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Dans notre conception de la sophrologie au CTR, la pratique se fait priori-tairement au sein de chaque discipline. Les sophronisations sont intégrées dans la prise en charge kiné ou ergothérapeutique. Toutes les demandes font l’objet d’une prescription médicale.

A. Le regard sophro face au handicap

Comme décrit plus haut, le traumatismecérébral ou médullaire provoque de nombreuses déficiences et incapacités mais a également un impact im-portant sur la personne et son quotidien.L’image et la perception du corps sont bouleversées et les situations de handicap s’accumulent.

Un des éléments visibles du handicap est bien souvent la présence d’un fauteuil roulant et/ou d’une aide à la marche. Tous ces « objets » viennent

prolonger les limites du corps pour compenser l’atteinte motrice, tout en

restant des éléments extérieurs.

Tous les points de repère sont à chercher, découvrir… jusqu’au point d’équi-

libre de la chaise roulante ou la façon de marcher avec un rollator, des bé-

quilles, des bâtons. Et pourtant la personne n’a bien souvent plus d’équilibre,

qu’il soit physique ou personnel. Le passé semble très loin, le présent est

douloureux et épuisant et l’avenir est finalement inconnu, par le fait même

de la présence de la chaise roulante et des diverses séquelles entravant tous

les gestes de la vie. L’horizon est difficile à percevoir lorsqu’on ne sait pas de

quel point de vue l’observer, ni comment il sera possible de s’y rendre.

Il est incontestable que «la perte de l‘intégrité

physique provoque de profonds bouleverse-

ments chez la personne blessée ( médullaire ).

Après le choc, la prise de conscience du handicap

nécessite de passer par le processus du deuil, un

parcours émotionnel qui doit mener progressive-

ment à l’acceptation d’un corps devenu différent ;

pour retrouver confiance en soi. ( … ) Comment,

en même temps qu’une rééducation physique,

repenser une vie entière en fonction de l’invali-

dité ? »( BOURGEOIS, 2005 )

Avant toute chose, il est par conséquent prioritaire de permettre à la personne

de se recentrer, de se poser et se reposer. Chaque thérapeute a parmi ses rôles,

celui d’accompagner son patient dans la recherche de nouvelles compé-

tences, de ressources jusqu’alors insoupçonnées ; le sophrologue lui permet

de les découvrir, les apprivoiser, se les approprier et les vivre sereinement.

« Grâce à l’entrainement et à la répétition, le sophronisant modifie le regard

qu’il porte sur lui-même et sur le monde, il élargit sa vision. Il apprend à mettre

la juste distance entre lui et les évènements, gagnant ainsi en efficacité et en

souplesse. »( ESPOSITO R. , 2010 ) Il peut ainsi s’ouvrir à tous les possibles en

tenant compte, objectivement, de ses capacités et potentialités.

« La sophrologie

m’a permis d’avoir

un autre regard sur

les événements,

d’entendre qu’il y a

d’autres points de

vue. »

P2 - Tétraparétique

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La sophrologie face au handicap récent, c’est donc tout d’abord offrir une pause à la per-

sonne dans sa tête et dans son corps mais aussi

rendre toute son importance à la phase de ré-

cupération qui devrait suivre chaque exercice,

clôturer chaque journée. Il s’agit de permettre

à la personne de se reconnecter avec le présent

en étant elle, ici et maintenant.

La pratique et l’entrainement permettent la redécouverte en douceur d’un

corps devenu différent et de réapprivoiser les sensations telles qu’elles se

présentent aujourd’hui.

Les situations de handicap, l’avenir peuvent être envisagés à l’avance en les

vivant le plus positivement possible et en laissant émerger des pistes de

solutions.

La sophrologie accompagne la personne dans la prise de conscience per-

sonnelle de ses capacités et incapacités, ses possibilités, ses ressources…

afin de pouvoir composer avec sa lésion tout en réinvestissant sa vie, limi-

tant ainsi les situations où le handicap est un handicap.

B. Les spéficités en lien avec la cérébrolésion

Les séquelles cognitives de la cérébrolésion peuvent demander certaines

adaptations, une approche plus spécifique ( diminution du temps de séance,

répétition d’exercices, augmentation de la fréquence… ).

Dans la définition proposée de la cérébrolésion, nous avons vu que la lésion

cérébrale provoque des troubles périphériques au niveau de la sensibilité,

de l’équilibre, du langage, du comportement.

La fatigabilité, les troubles attentionnels et exécutifs font partie de la réalité

du patient cérébrolésé et demande une grande adaptabilité du thérapeute.

Les lésions peuvent provoquer un ralentissement du traitement de l’infor-

mation et une diminution des ressources attentionnelles. Un niveau élevé

d’effort mental pourrait expliquer la fatigue perçue.

Les fonctions exécutives « sont les comportements qui contrôlent et or-

ganisent les comportements orientés vers un but et intégrant et coor-

donnant toutes les modalités ( sensorielles, perceptives, attentionnelles,

mnésiques ). » ( DE MORAND, 2010 ) Ces troubles exécutifs entrainent la per-

turbation de la conscience de soi, de la flexibilité mentale, des mécanismes

d’inhibition, de la réalisation d’actions complexes. Exécuter ces actions com-

plexes requiert plusieurs étapes : l’initiative, la planification, l’exécution avec

mise en place d’une stratégie, et l’autoévaluation ou autocorrection. Dans

le quotidien, ces troubles se traduisent par une incapacité à formuler un

projet, à entreprendre une activité organisée et planifiée. L’adaptation aux

situations nouvelles est dès lors limitée.

« Faire de la

sophrologie est

important pour se

poser et récupérer »

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Ces séquelles neuropsychologiques sont invalidantes dans la réinsertion sociale, familiale et professionnelle.

Dans la pratique, une action telle qu’effectuer un transfert du lit vers le FR

met en exergue ces différentes fonctions. Planifier les séquences d’une

action encore inconnue, en voyant son schéma corporel modifié, avec une

prise de nouveaux repères, représente un apprentissage complexe pour le patient.

C. Synthèse

Comme nous l’avons exprimé, le handicap, qu’il fasse suite à une lésion mé-dullaire ou cérébrale, donne lieu à de nombreuses difficultés qui pourraient entraver l’application et l’intégration de la sophrologie par le patient.

Figure 3 : Les entraves liées au handicap

Au vu de ces difficultés potentielles, le principe d’adaptabilité a ici encore plus d’importance pour le sophronisant comme pour le sophrologue, de même que toute la philosophie qui sous-tend la méthode.

Mais en parallèle, les apports de la sophrologie sont tout aussi nombreux pour répondre aux besoins du patient.

Figure 4 : Les apports de la sophrologie

Apport de la soph

rologie en rééducation

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68 | RECUEIL ANNUEL D’ERGOTHÉRAPIE 2016

D. Les techniques sophrologiques

En sophrologie, il existe deux types de techniques ; les statiques, d’inspira-tion occidentale et les dynamiques, incluant des changements de position, d’origine orientale. A. Caycedoutilise le terme de « relaxation dynamique » ( R.D.C ) et les décrit en degrés. La sophrologie caycédienne( ou méthode Al-fonso Caycedo ) est composée de douze degrés, la sophrologie fondamen-tale s’intéresse aux quatre premiers.

La technique clé est la sophronisation de base qui permet d’atteindre le niveau sophro-liminal. Dans ce niveau peuvent être pratiquées les autres techniques incluant la respiration, le mouvement, les visualisations.

Mais la sophrologie se base également sur l’intégration au quotidien de la philosophie se basant sur les quatre principes décrits plus haut. Ceux-ci se révèlent au travers des techniques et surtout des dialogues pré et post sophroniques.

a. La détente ou sophronisation de base ( SB )

Une sophronisation de base invite à la détente :

– par le relâchement des différents muscles et régions du corps.

– en portant son attention sur les diverses régions corporelles pour une approche plus phénoménologique.

– dans la forme, les contours et l’espace de ces mêmes zones, dans l’esprit du second degré de la relaxation dynamique de Caycedo.

En fonction des conséquences sensitivo-mo-trices de l’atteinte médullaire ou cérébrale, la sophronisation peut combiner les différentes approches pour permettre tant la relaxation que la conscience du corps.

La SB permet dès lors de faire vivre au patient le sentiment

de la présence du corps, quelle que soit la lésion.

1 ) Jacobson

Dans la relaxation progressive de Jacobson, « la détente musculaire est obtenue par contrac-tion-décontraction successives de l’ensemble des groupes musculaires. » ( SERVANT, 2009 )

« Je ne savais pas

qu’il était possible

de se détendre

autrement qu’en

étant couché. »

P1 - Paraplégique« C’est bien de

s’occuper aussi des

bras car finalement

on ne s’occupe

jamais de ce qui

va bien. C’était

intéressant »

P4 - Paraparétique

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E. Jacobson part du principe qu’un relâchement musculaire entraîne la

détente mentale, les contractions au niveau des muscles résultant de

tensions émotionnelles.

Il s’agit donc de prendre conscience tant de la sensation provoquée par la

contraction que par le relâchement, successivement dans les différentes

régions du corps.

2 ) Schultz

En sophrologie, l’activation des sensations de détente peut se faire via le

training autogène de Schultz. « Le principe est d’induire une série de sen-

sations afin de provoquer un état voisin de l’hypnose par suggestion et

concentration. Les exercices, à point de départ mental, consistent à induire

des sensations de pesanteur, de chaleur… dans différentes parties du

corps. » ( SERVANT, 2009 )

« Cette technique peut être une stratégie intéressante pour favoriser les

premières détentes chez certaines personnes éprouvant des difficultés par

la méthode musculaire ou respiratoire. Elle constitue également une ap-

proche complémentaire de la perception des vécus corporel et mental des

sensations et des perceptions. » ( CHENE, 2008 )

La technique de Schultz offre ainsi l’opportunité de ( re )découvrir ses sensa-

tions, en avoir un contrôle et les ressentir dans une partie ( saine ou lésée )

plus ou moins importante du corps.

b. La respiration

La respiration est une fonction vitale.

En pratique sophro-phénoménologique, la respiration est essentielle, aussi

bien dans la prise de conscience que dans la maîtrise du souffle, permettant

d’atteindre des plans supérieurs de la conscience. ( Esposito ). La respiration

se déroule sur la base de cycles respiratoires ( inspiration et expiration ). Un

cycle ( inspiration et expiration ) se déroule en moyenne sur quatre secondes

chez l’adulte et l’adolescent.

Lors de séances de sophrologie, la respiration, son évocation, ses ressentis

prennent une grande place. «La respiration peut être convoquée à tout mo-

ment de la séance et permet un ressenti psychocorporel particulièrement

fin ainsi que le maintien d’un niveau de conscience abaissée.» ( BASTE N. )

c. Le mouvement ou la RDC1

« La relaxation dynamique de Caycedodu premier degré ( RDC1 ) repose sur

une succession de gestes, synchronisés avec la respiration et entrecoupés

de phases de récupération-détente. Ces gestes développent la conscience

qu’a l’individu de son schéma corporel. Elle mobilise essentiellement les ca-

pacités de concentration sur les muscles en jeu et les sensations physiques

obtenues par le mouvement, et sur le vécu de récupération après les mou-

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70 | RECUEIL ANNUEL D’ERGOTHÉRAPIE 2016

vements. Elle vise donc la prise de conscience du corps propre et son vécu harmonieux. » ( ETCHELECOU, 2009 )

Durant la rééducation, les mouvements effectués par le patient ou le thé-

rapeute sont bien souvent associés par le premier à la douleur et l’effort

physique intense. La phase de récupération, quant à elle, est généralement

réduite au minimum au sein de chaque traitement et laissée pour la fin de

journée.

Cette relaxation, théoriquement effectuée debout et incluant des change-

ments de position, se doit d’être adaptée en fonction du handicap. En ce

qui concerne les mouvements, nous proposons souvent des mouvements

correspondant au quotidien de la personne en lien soit avec les exercices

de rééducation, soit avec ses activités journalières ( prévention des plaies, se

coiffer, déplacer une jambe… ).

La pratique de la RDC1 est un outil essentiel par rapport au vécu du mouve-

ment dans la détente, à l’importance de la récupération, la ( re )découverte

du corps, de ses sensations, …

d. Ancrage

« L’enracinement est l’état d’être présent à soi-

même maintenant. » ( BURNOTTE, 2013 ) Cette

pratique d’ancrage peut être complétée/ren-

forcée par la visualisation d’image, le plus sou-

vent celle d’un arbre, symbolisant ce lien à la

terre. En effet, « être ancré, c’est être connecté

à la terre. ( … ) mais aussi l’acceptation d’être

présent ici et maintenant. C’est être bien pré-

sent dans son corps, s’y sentir en sécurité, l’habiter pleinement pour pouvoir

agir au mieux en toutes circonstances. C’est avoir la pleine conscience que

nous sommes parfaitement à notre place à chaque moment de notre vie. »

( TEYSSEDRE, 2012 )

Lorsque la personne est en chaise roulante,

l’enracinement devra tout d’abord se pratiquer

en position assise. Il faut tenir compte du fait

que la chaise constitue un intermédiaire entre

la personne et la Terre ; il s’agit presque d’un

double ancrage.

Il s’agit donc de sentir, ressentir et visualiser les

contacts entre son corps et le sol et ainsi trou-

ver ou retrouver une stabilité, une place.

e. Imagerie mentale

L’imagerie mentale est bien évidemment un outil important. Notre cerveau

ne fait pas la différence entre un geste réalisé physiquement et le même

geste réalisé mentalement. Elle est déjà utilisée au sein de la rééducation

« L’ancrage m’aide à

ressentir mes points

d’appui, à compléter

la sensibilité. »

P2 - Tétraparétique

« L’ancrage m’a fait

prendre conscience

différemment de cette

partie du corps que je

ne sens plus mais qui

est toujours là. »

P1 - Paraplégique

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sous forme d’imagerie motrice, qui consiste à répéter mentalement un geste

moteur sans exécution réelle.

« L’imagerie motrice correspond à un processus

actif durant lequel la représentation d’une action

spécifique est reproduite intérieurement au ni-

veau de la mémoire de travail sans production de

l’acte moteur. La notion de reproduction de l’acte

moteur sous-entend une expérience antérieure de

celui-ci ; sans quoi aucune représentation interne

du mouvement n’est accessible. » ( DELIRE, 2014 )

En sophrologie, l’imagerie mentale intervient

également et entre autres dans le rappel des sensations, dans toutes les

techniques de futurisation…

L’imagerie mentale et/ou motrice est par conséquent un atout majeur dans

la représentation du mouvement.

Ces techniques d’imagerie sont largement utili-

sées en sophrologie. Un patient en fauteuil rou-

lant qui appréhende l’apprentissage d’une nou-

velle technique de transfert, avec la crainte de

tomber, peut envisager par l’imagerie toutes les

étapes qui amèneront à un transfert exécuté de

manière sécuritaire. Les techniques d’imagerie

permettent au patient de passer de la position

de spectateur à celle d’acteur, avec la présence

des sensations et émotions qui accompagnent

cette action, tout en restant dans l’imagerie et

non dans la réalisation motrice. Un patient hémi-

plégique dont les sensations kinesthésiques et proprioceptives de l’hémi-

corps plégique sont altérées et qui a des difficultés à sentir ses appuis au sol

lors du passage de la position assise vers la position debout, éprouve des

craintes pour la reprise de la marche dans ce contexte. Imaginer la marche

en niveau sophroliminal permet aussi au patient de prendre confiance en

ses capacités en vue de la réalisation motrice.

Les techniques d’imagerie mentale sont également utilisées pour permettre

au patient de s’imaginer réadapté dans sa vie future, sociale, familiale, pro-

fessionnelle, avec les limitations présentes et avec lesquelles il doit mainte-

nant vivre.

E. En pratique

P1, paraplégique à neuf mois de rééducation, ne se sent plus capable de faire

les choses, et a peur de rentrer chez lui. Le travail a porté sur la conscience

des capacités, la réalité objective et la positivation, la projection dans l’ave-

nir, l’imagerie mentale et la mise en situation dans la détente.

«J’ai réussi mon

transfert car j’étais

relax alors qu’en

réel, je suis hyper

tendue quand je

dois le faire. »

P3 - Paraplégique

« Je ne sais

pas encore si

je retournerai

travailler, ni où…

mais ça ne me

tracasse plus. On

verra, il y a d’autres

pistes à poursuivre. »

P1 - Paraplégique

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Page 18: Apport de la sophrologie en rééducation neurologique

72 | RECUEIL ANNUEL D’ERGOTHÉRAPIE 2016

P2, tétraparétique à quatorze mois de rééducation, se crispe facilement, a

des difficultés à se réapproprier ses nouvelles sensations sur une sensibilité

qui réapparait, le sentiment de ne pas être à sa place et se sent inutile sur

un terrain de basket alors qu’il y jouait. Le travail a porté sur la détente, la

découvertedes sensations et du ressenti, l’imagerie mentale dont une pro-

jection sur un terrain où il s’est vu coacher un jeune.

P3, paraplégique à six mois de rééducation, a peur d’effectuer ses transferts

donc se dépêche, ne se penche pas assez et se met en danger pour « en finir

le plus vite possible ». Travail sur le mouvement effectué en détente, la respi-

ration, l’intégration de l’environnement et l’imagerie mentale.

P4, paraparétique à quatre mois de rééducation, est tendue, a un senti-

ment de lourdeur dans les jambes, des difficultés de proprioception et un

équilibre debout précaire. Le travail porte sur la détente, l’ancrage, le mou-

vement dans la détente, la conscience des points d’appui et les sensations

réelles, perçues et ressenties.

P5, tétraparétique en externe depuis 3 mois, exprime des difficultés à gérer

ses douleurs, son quotidien et « être incapable de se poser ». Le travail a por-

té sur la détente, la conscience des capacités, la gestion de la douleur et de

la fatigue, la respiration.

P6, trauma-crânien et polytrauma à dix-huit mois de rééducation, a des

douleurs neuropathiques et éprouve des craintes par rapport à son retour

à domicile, ses relations aux autres et avec son corps. Le travail a porté sur

la prise de conscience de l’importance de prendre un temps de repos en

journée, entre ses différentes activités.

P7, trauma-crânien et paraplégique à un an de rééducation, appréhende les

transferts FR-voiture, a la crainte de tomber et appréhende le retour à domi-

cile. Le travail a porté sur la détente, la confiance en ses capacités.

P8, tétraparétique, en externe depuis deux mois, appréhende la gestion du

quotidien et se sent débordée. Elle exprime le besoin de lâcher prise et d’ac-

cepter de devoir composer avec la fatigue et certaines incapacités motrices.

Le travail a porté sur la détente, la réappropriation des sensations positives,

la gestion de la fatigue et le lâcher prise.

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5. Projets et perspectives

Les projets sont nombreux mais leur concréti-sation n’est pas toujours évidente. Les séances de sophrologie proposées s’ajoutent à d’autres

thérapies déjà existantes. Dès lors, les patients et

nous-mêmes sommes confrontés à des difficul-

tés d’emploi du temps dans un horaire chargé.

Les contraintes architecturales : manque de local,

environnement parfois bruyant, ajoutent à la dif-

ficulté.

Nous souhaiterions que la sophrologie fasse partie du programme de réé-

ducation et réadaptation, et puisse être proposée à un nombre plus impor-

tant de patients.

A. Groupe pour les thérapeutes

Un groupe de pratique de la sophrologie a été mis en place en avril 2013

par et pour les ergothérapeutes. Outre la découverte de la sophrologie, les

objectifs poursuivis sont la gestion du stress et la prise de recul.

A raison d’une séance par semaine, les exercices sont basés sur la décou-

verte des sensations, l’évacuation des tensions et l’apprentissage d’outils

pour gérer les vécus difficiles des patients ainsi que le quotidien d’un métier

prenant.

Les membres ont rapidement appliqué la sophrologie dans leur quotidien

en adaptant les techniques vues aux différentes situations, relatées via les

dialogues pré et post-sophroniques des séances.

La pratique de la sophrologie a permis d’améliorer la prise de recul au quo-

tidien, l’apprentissage de techniques rapides de relaxation et donc la dimi-

nution des pics de pression.

B. Groupe pour les patients

Le projet est de proposer la sophrologie à un groupe de patients ( 8 à 12 ),

pour d’une part rendre accessible la sophrologie à un plus grand nombre de

patients, mais également permettre l’échange du vécu de chacun au sein

du groupe.

C. Groupe pour les familles

La famille, l’entourage proche de nos patients sont, autant que ceux-ci,

confrontés à des hospitalisations longues, à la rééducation, au handicap…

Ils doivent souvent se partager pour être présents tant pour le « patient »

que pour le reste de la famille et tout en poursuivant leurs activités profes-

sionnelles ou autres. Cette période est bien souvent synonyme de stress.

« N’arrêtez jamais

d’essayer de mettre en

place la sophrologie

au CTR, c’est trop

précieux pour les

patients. »

P3 - Paraplégique

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74 | RECUEIL ANNUEL D’ERGOTHÉRAPIE 2016

Les doutes, questionnements et décisions à prendre s’accumulent, pouvant

les laisser désemparés, fatigués… mais se sentant obligés de tenir le coup.

L’objectif de ce groupe serait de permettre aux proches de nos patients de

se poser, prendre du recul, gérer les émotions liées à l’annonce du handicap.

Il s’agit de leur donner des outils et leur apprendre une attitude, utilisables

au quotidien.

L’avantage de le proposer au sein du CTR est double. D’une part, les théra-

peutes formés à la sophrologie, travaillant dans l’institution, connaissent le

domaine du handicap, la rééducation et sont donc plus à même de com-

prendre le vécu des familles, les accompagner dans leur quotidien sans

pour autant entamer une thérapie au sein du groupe. D’autre part, c’est per-

mettre aux proches de s’occuper d’eux-mêmes tout en étant là, sur place,

diminuant ainsi la culpabilité qui pourrait en découler.

D. La cérébrolésion

Nous avons vu que la prise en charge des personnes cérébroléséesrevêt

quelques particularités. L’objectif serait de pouvoir intégrer la sophrologie

au plus tôt dans nos prises en charge, lorsque le patient est encore au lit, afin

de travailler sur la représentation du schéma corporel étant donné les sen-

sations proprioceptives et kinesthésiques altérées, et en préparation à la ré-

éducation motrice ( par exemple les retournements au lit, en tenant compte

de cet hémicorps perçu comme absent par le patient héminégligent, … )

E. Techniques sophro-ergothérapeutiques

L’idée est de développer des techniques sophrologiques liées au travail er-

gothérapeutique. Mettre le patient en niveau sophroliminal et

– lui faire trouver ses propres points d’appui pour un transfert, par l’ancrage,

la conscience du corps et des sensations

– laisser émergerses solutions pour une situation donnée ( aménagement

domicile, loisirs )

– lui permettre d’intégrer les adaptations en réalisant en imagination une

activitétel qu’il en est capable ( repas, AVJ )

– …

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6. Conclusion

D’un bout à l’autre de la rééducation, dans le

décours de la réadaptation, en interne ou en ex-

terne, l’apport de la sophrologie au sein de la réé-

ducation est indéniable pour le patient cérébro-

lésé ou blessé médullaire. Elle favorise la prise de

conscience de et par la personne de ses progrès,

son identité et des changements qui s’opèrent à

tous points de vue.

En parallèle de l’ergothérapie, la méthode au tra-

vers de ses pratiques, ses principes et sa philoso-

phie accompagne la personne dans la reconquête

de son autonomie, tout en reprenant conscience

de sa globalité.

L’importance de l’instant présent et la richesse

du vécu, quel qu’il soit, ne sont plus à démontrer

mais la personne en situation de handicap, sous

le choc de celui-ci ou perdu dans sa rééducation,

a tendance à l’oublier. La sophrologie rappelle ces

évidences et ramène la personne à ce qu’elle est

et ce qu’elle vit ici et maintenant, sans jugement,

quels que soient ses handicaps, visibles ou non.

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« Ce qui est intéressant

dans la sophrologie,

c’est que toutes

les séances sont

différentes et riches en

découvertes. »

P1 - Paraplégique

« La sophrologie

m’offre des pauses

dans la journée. Des

pauses physiques et

mentales »

P5 - tétraparétique

En fin de séance

« Je me suis allégée de

dix kilos»

P8 - tétraparétique

Apport de la soph

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Page 22: Apport de la sophrologie en rééducation neurologique

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