airbus l'assassin habite à l'elysée - jacno.comjacno.com/livr.pdf · l'airbus a 320 à habsheim,...

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    AVERTISSEMENT

    Ce livre nest malheureusement plus disponible en librairie.

    Un fichier PDF a donc t cr partir dun des derniers exemplaires encore en ma possession.

    Ce qui suit est strictement conforme l'original. Seules des corrections grammaticales et orthographiques ont t apportes, outre la rectification de quelques erreurs matrielles dues au fait que le livre avait t boucl dans la prcipitation pour des raisons exposes par ailleurs sur mon site, et accessibles iciDans cette version lectronique, des liens pointant vers deux vidos et trois articles de presse ont t ajouts pour pauler la mmoire du lecteur, les vnements dont il est question dans ce livre ne datant effectivement pas dhier. La pagination de l'original, incluant des pages blanches, est respecte.

    Bonne lecture

    Nota : les liens entre le texte et les annexes (et inverse-

    ment pour revenir au texte) sont actifs.

    http://jacno.com/long.htm#rep21

  • AIRBUS LASSASSIN HABITE A LELYSEE

    Livre publi en septembre 1994 aux ditions

    PREMIERE LIGNE

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    TABLE DES MATIERES

    Avant-propos : .......7 Chapitre 1 : Il tait une fois un pilote ...........................9 Chapitre 2 : Le pavillon des cancreux.......................27 Chapitre 3 : Michel Asseline, les syndicats ................43 Chapitre 4 : Les politiques ..........................................55 Chapitre 5 : Les commandes de vol............................71 Chapitre 6 : Lassassin habite lElyse ....................83 Chapitre 7 : Mont Sainte-Odile...................................89 Chapitre 8 : La diagonale du fou ..............................101 Chapitre 9 : Mermaz, la raison dEtat.......................121 Chapitre 10 : Les petits trafiquants .............................129 Chapitre 11 : La Blanche Hermine .............................149 Chapitre 12 : Le monde du silence .............................161

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    Chronologie : ......................................................................169 Index des noms :.................................................................175

    Annexes :.............................................................................189 Annexe 1 : Rapport final Belotti et Venet.......................191 Annexe 2 : Main courante du 6 aot 1988 ......................192 Annexe 3 : Certificat du Pr Allilaire ...............................193 Annexe 4 : Courrier de D. Ruffieux-Gueullette ..............194 Annexe 5 : Lettre de Pierre Gille ....................................195 Annexe 6 : Rapport de Paul Turner, cote 3150 ...............196 Annexe 7 : Document Airbus Industrie...........................197 Annexe 8 : Lettre de Anne Lauvergeon ..........................200 Annexe 9 : Position des slecteurs dchelle ..................201 Annexe 10 : Cockpit de lA 320........................................202 Annexe 11 : Paramtres enregistrs par le DFDR.............203 Annexe 12 : Compte-rendu dincident du Cdt Pirou.........204 Annexe 13 : Exploitation du DFDR de Habsheim............206 Annexe 14 : Rapport du commissaire Gontier ..................209 Annexe 15 : Rapport de Robert Davidson ........................210 Annexe 16 : Paramtres de Habsheim (cdes de vol) .........211 Annexe 17 : Paramtres de Habsheim (moteurs) ..............216 Annexe 18 : Rapport de Dave Harmas..............................217 Annexe 19 : Rapport de Paul Turner, cote 3152 ...............218 Annexe 20 : Lettre de Edouard Balladur...........................219 Annexe 21 : Lettre de Dominique Baudis .........................220

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    AVANT-PROPOS

    Journal tlvis du dimanche 26 juin 1988 : Le crash de l'Airbus A 320 Habsheim, le temps des interrogations : Com-ment une merveille de technologie a-t-elle pu faire dfaut ? Le pilote chevronn a-t-il t trop sr de lui ? Le pilotage deux est-il remis en question ? L'avenir commercial de l'appareil est-il compromis ?.

    Le fleuron de l'industrie aronautique europenne s'est abm Habsheim, en Alsace, lors d'un vol de dmonstration, deux mois aprs sa mise en service. Du jamais vu depuis plusieurs dcennies. Cet avion tait pourtant prsent comme le plus sr de l'histoire de l'aronautique. Bourr d'ordinateurs. Des ordi-nateurs qui devaient mme corriger les erreurs des pilotes. Un dirigeant d'Airbus n'hsitait pas dclarer que L'A 320, ma concierge pourrait le piloter.

    Peut-tre pensait-il au manche balai...

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    CHAPITRE 1

    IL ETAIT UNE FOIS UN PILOTE

    Cette histoire -notre histoire- en dit long sur les mthodes de certain pouvoir. J'espre de tout cur que justice vous sera rendue.

    Voil ce que m'crivait Pierre Mhaignerie le 10 mars 1993

    la veille des lections lgislatives. Quinze jours plus tard, il entrait dans le gouvernement du nouveau Premier ministre Edouard Balladur. Il tait nomm ministre de la Justice. Avec le retour de la droite et la nomination de Pierre Mhaignerie comme Garde des Sceaux, je reprenais espoir. Aprs cinq ans de gouvernements socialistes s'appliquant enterrer mon affaire, je pensais que justice me serait effectivement rendue. Mais mon histoire -notre histoire- n'a toujours pas t dvoile, malheu-reusement. C'est pourquoi aujourd'hui, lass par la lchet et les mthodes de tout pouvoir, j'ai dcid de la raconter.

    Une longue histoire qui dbute il y a un peu plus de six ans

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    A cette poque j'avais 38 ans, j'tais pilote Air France, j'avais tout pour tre heureux. Je ne savais pas que tout allait soudainement basculer.

    Juin 1988, donc. La polmique sur l'Airbus A 320 bat son

    plein. Le premier vol de cet avion sous les couleurs d'Air Inter, le 22 juin, et le renouvellement, le lendemain, du mandat du prsident de cette compagnie, Pierre Eelsen, mettent le feu aux poudres. Certains syndicats de navigants avaient en effet deman-d l'viction de Pierre Eelsen, celui-ci ayant dcid d'exploiter l'A 320 en quipage deux. Exit le troisime homme, l'ingnieur de vol ! Pour ces raisons, une grve de 48 heures tait dcrte les 22 et 23 juin.

    Cette polmique sur le pilotage deux ou trois tait pour

    moi un faux problme. Ce qui m'inquitait rellement, c'tait la conception de ce nouvel avion. L'Airbus A 320 est un avion remarquable, que mme ma concierge pourrait piloter. Cette formule de Bernard Ziegler, directeur d'Airbus Industrie et pre spirituel de la petite merveille, tait loin de me convaincre. Je n'tais pas le seul penser ainsi. Avion d'une nouvelle re tech-nologique, l'A 320 s'en remet ce point l'lectronique, qu'en thorie le pilote en deviendrait presque superflu... Mais l'lectro-nique a ses limites. Et jamais un ordinateur ne pourra remplacer l'homme, parce qu' la diffrence de l'homme, l'ordinateur ne peut faire face l'imprvisible. Et dans l'aviation, l'imprvisible est toujours certain... L'avenir n'allait malheureusement pas tarder me donner raison.

    Le 24 juin de cette fin de printemps houleux, je djeune avec

    Dominique Ruffieux, une amie que j'avais connue lors d'un autre printemps chaud, vingt ans plus tt, en mai 68. Dominique m'explique que son mari aimerait me voir le plus rapidement possible. Aujourd'hui conseiller du prsident de la Rpublique Franois Mitterrand, il tait l'poque un proche collaborateur de Louis Mermaz, nomm ministre... des Transports aprs la rlection de Tonton, un poste qu'il quittera dbut juillet pour

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    le ministre de l'Agriculture, une semaine aprs la catastrophe de Habsheim.

    Le mari de Dominique et conseiller de Mermaz, s'appelle Jean-Franois Gueullette. JFG, pour les amis de la famille. Et intime des Gueullette, je peux dire que durant des annes je l'ai t...

    Je suis parti plusieurs fois en vacances avec eux. Pour faire

    du ski, pour nous adonner la voile, autant de loisirs qui nous passionnaient et nous runissaient. Quand ils habitaient Mcon, je leur prtais mon appartement lors de leurs week-end Paris. Et quand j'tais pilote l'Aropostale, il m'est arriv de les trans-porter gratuitement. Entre amis...

    J'tais bien entendu prsent leur mariage, le 20 fvrier 1982. J'tais le tmoin de Dominique. L'autre tmoin convoqu la barre nuptiale s'appelle Jean Glavany. Actuellement porte-parole du Parti socialiste, il a t chef de cabinet du prsident Mitterrand de mai 1981 juin 1988. Gueullette et lui s'taient connus sur les bancs de la fac, Nanterre. Une amiti qui ne s'tait pas effiloche avec le temps et qui s'tait mme renforce au sein du Parti socialiste. Quant moi, si je connaissais peu Jean Glavany, j'avais trs bien connu son pre, Roland Glavany. Il tait gnral, pilote d'essai du Mirage IV. Une vraie figure, le pre Glavany. J'ai souvent vol avec lui en 1975 pendant mon service militaire. Il tait alors commandant des coles de l'arme de l'air, Tours. J'y tais pilote de liaison sur biracteur, affect au service de ce commandement.

    Entre les Gueullette, Glavany et moi, l'entente tait telle que nous avions form un projet commun. Nous avions prvu de reprendre les chantiers Jacobe au Crouesty. Un petit chantier naval de plaisance situ sur la cte bretonne, dans le golfe du Morbihan.

    Ainsi, ce 24 juin 1988, quand, aprs nos papotages habituels, Dominique m'a dit que JFG voulait rapidement me voir propos de toutes ces affaires dAirbus A 320, j'ai immdiate-

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    ment pris mon agenda. J'tais libre le samedi soir. Deux heures plus tard, Dominique me rappelait pour confirmer. J'irai donc dner chez les poux Gueullette le samedi 25 juin.

    Ce samedi 25 juin, je me souviens avoir apport une

    bouteille de Gruaud Larose. Une bonne anne. Durant une demi-heure nous avons parl de choses et d'autres. Du retour des socialistes au pouvoir, de notre passion pour les voiliers. Et puis nous en sommes venus au plat de rsistance : les problmes de l'Airbus A 320.

    J'ai dress un tableau assez noir JFG, n'ignorant pas qu'il en rendrait obligatoirement compte Mermaz. Je lui ai prcis que la scurit tait en cause et qu'on allait au devant de ppins en France, en lui rappelant que les compagnies ariennes de premier niveau, Air France, Air Inter et UTA, n'avaient pas connu de catastrophes depuis une vingtaine d'annes. A deux reprises, je lui ai rpt qu'on aurait des accidents avec l'A 320. J'ai longuement expliqu les raisons de mes craintes. Des pannes multiples de plusieurs instruments et quipements trs importants avaient dj maill le vol inaugural du premier Airbus A 320 achet par Air France. Un vol basse altitude, au-dessus des Champs-Elyses, avec bord, comme passager d'honneur, le Premier ministre de la dfunte cohabitation, Jacques Chirac... J'ai ajout que j'tais prt en parler avec un conseiller du ministre des Transports, une fois le gouvernement dfinitif mis en place. JFG m'a rpondu qu'il interviendrait dans ce sens.

    Le lendemain, dimanche 26 juin, lors d'un meeting arien au

    dessus du petit arodrome alsacien de Habsheim, prs de Mulhouse, ce nouvel Airbus A 320 s'crasait dans un petit bois, en bout de piste. Trois morts, une cinquantaine de blesss. Mais j'tais loin.

    Ce dimanche 26 juin, en fin de matine, je suis en effet Roissy pour un courrier en Boeing 747 cargo. Dcollage

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    13 h 45. Puis cinq heures quarante cinq minutes de vol jusqu' Koweit City. Une escale de deux heures quinze, un peu longue en raison de problmes de chargement. On peut mettre plus de cent tonnes de fret dans un 747 ! Encore trois heures de vol jusqu' Karachi o nous arrivons 3 h 45 du matin, heure locale. Au lit 5 heures. Contrairement aux habitudes, nous n'irons pas pcher le crabe, d'autant plus que nous repartons le soir mme pour Paris.

    Le lundi soir, l'aroport de Karachi o nous nous pr-sentons 1 heure du matin, 22 heures Paris, nous apprenons le crash d'un A 320 d'Air France en vol de dmonstration en Alsace. Trois morts. Trois passagers. Nous n'en saurons pas plus. Je suis triste. Et coeur. Je pense aux propos que j'ai tenus JFG. Je me suis consol en me disant qu'il n'y avait eu que trois morts. Je me suis dit, galement, que l'avertissement n'tait pas trop cher quand on sait que dans une catastrophe arienne les morts se comptent par dizaines, voire par centaines. Des mesures allaient ncessairement tre prises. Pour le reste, il me fallait attendre mon retour Paris, afin d'en savoir plus. Dcollage 2 h 40 locales de Karachi. Neuf heures vingt de vol, avec une escale d'une heure Douba. Au cours de la dernire tape nous en apprendrons un peu plus par la radio de bord. Le nom du commandant. Les circonstances de l'accident. Et le fait que Mermaz avait dj blanchi l'avion le lundi soir. Vraiment rapide Mermaz.

    Nous arrivons Roissy 10 heures le mardi matin. Bien sr,

    dans les bureaux d'Air France les commentaires sur l'accident vont bon train. Mais je ne trane pas. J'habite le sixime arron-dissement de Paris. Le Syndicat national des pilotes de ligne a son sige prs de la porte de Pantin. C'est sur ma route. Je m'y arrterai en passant.

    Je me gare en face du syndicat. Je traverse. En uniforme. Peu de monde dans la rue. Mais il suffit d'un passant... un passant qui s'arrte et m'interpelle : Vous tes pilote ! Je suis surpris. Et l'inconnu enchane : Les pilotes, vous tes des assassins !

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    Vous tuez les passagers... et de dbiter tout un florilge d'amabilits l'gard de la profession. Pour le passant honnte, il n'y a dj plus aucun doute. Le responsable des morts de Habsheim, c'est le pilote ! Je vois que pour l'intox, Mermaz et son administration ont battu un record de vitesse.

    Je reste peu de temps au syndicat. On ne fait pas Paris-Karachi aller-retour sans y laisser quelques plumes ... d'oreiller ! La fatigue se fait sentir. J'obtiens toutefois quelques infor-mations techniques sur l'accident. Mais je me rends compte galement que la section Air France du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) et la direction nationale de ce syndicat, adoptent une attitude assez troublante. Je ne suis pas vraiment surpris. J'avais dmissionn du SNPL trois ans plus tt en raison de la politique de complaisance mene par ce syndicat. Toute-fois, je venais de me rinscrire, au mois de mai, afin d'y avoir une activit, et de tenter, avec quelques collgues syndicalistes, de mettre un peu d'ordre dans la maison.

    Je rentre chez moi. La catastrophe de Habsheim est dans tous

    les kiosques, tale la une de tous les journaux. J'en achte deux. Arriv chez moi, j'coute mon rpondeur tlphonique. J'y trouve un message de Dominique. Elle me flicite pour ma clairvoyance ! Avec l'A 320, on va avoir des accidents ! Mon avertissement n'avait pas t donn la lgre.

    L'motion de Dominique est perceptible. Elle parle de l'accident de Metz. Compte tenu des autres messages, elle a appel tard le dimanche soir ou tt le lundi matin. Mais, depuis son appel, Mermaz a blanchi l'avion. L'quipage qui tait aux commandes est dj conduit au bcher. Tout cela est trop prcipit... C'est louche et a sent l'arnaque. Ce message de Dominique sera le dernier avant longtemps. En toute logique les Gueullette auraient d m'appeler en me demandant de prendre contact avec eux. Ce silence radio m'intrigue. Je dcide de conserver la cassette de mon rpondeur. Je la mets de cot et la remplace par une autre. Il est temps d'aller se coucher.

    L'aprs-midi, j'appelle JFG. Mal l'aise, mon interlocuteur. Il

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    ne sait pas trop quoi me rpondre. Il m'affirme alors, gn aux entournures : Je ne suis au courant de rien. Voil qui com-mence bien faire... Je lui rappelle qu'il voulait me voir propos de l'A 320 et que, compte tenu de ce que je lui avais dit le samedi soir, il serait surprenant qu'il soit rest silencieux auprs de Mermaz. Et bien oui, il n'aurait pas encore eu le temps... Mermaz est trs occup... Je n'insiste pas. Inutile d'entrer en conflit.

    J'appellerai ensuite Dominique. Je serai plus ferme : Ils draillent Jean-Franois et Mermaz. Pourquoi Mermaz a-t-il blanchi l'avion aussi rapidement ? J'ai poursuivi sur le mme ton, en rappelant mes propos du samedi soir. La pauvre Dominique tait bredouillante. Mais je voulais clarifier autant que faire se peut la situation. J'enfonce le clou : Mais toi, personnellement, Dominique, cela ne te parat pas curieux cette prcipitation ? Silence. Tu ne crois pas qu'aprs ce que je vous ai dit samedi, n'importe qui, votre place, aurait eu l'ide de m'en demander un peu plus aprs l'accident ? Nouveau silence. Et le message que tu m'as laiss ? Silence toujours. Et, bien sr, vous n'avez pas parl de cela, Jean-Franois et toi depuis dimanche soir ! Silence encore. Allez, tout cela ne tient pas debout et je suis assez coeur. J'attendais autre chose de vous. Et l enfin une rponse, la rponse que je sentais arriver : Mais tu sais, Norbert, il faut peut-tre tenir compte de l'intrt collectif.

    La couleur est annonce. Le scandale -le mot n'est pas trop fort- vient de natre.

    Je n'insisterai pas. A quoi bon ? Et dans les semaines sui-vantes, j'viterai de les appeler afin de ne pas entrer en conflit ouvert avec eux. J'appellerai juste une fois Dominique au cours du mois de juillet. Nous ne parlerons pas de l'accident. En outre, la prudence commandait aussi d'attendre pour juger.

    L'quipage accident -Michel Asseline, commandant de bord, et Pierre Mazires, commandant de bord faisant fonction de copilote- se retranchait dans le silence, attendant les conclusions du rapport prliminaire d'enqute, prvu pour la fin juillet.

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    Du cot des syndicats, ce n'tait pas joli, joli... Ds le lendemain de l'accident, le Syndicat des pilotes de l'aviation civile (SPAC) avait dcid une fois pour toutes que la cause de la catastrophe rsidait dans la composition de l'quipage rduit deux pilotes en raison de la suppression de l'ingnieur de vol.

    Pour sa part, le SNPL ne dfendra pas l'quipage, ni la profession qui tait globalement mise en cause par les pouvoirs publics et la direction d'Air France. Le lendemain de l'accident, Jean-Yves Boiffier, secrtaire gnral de la section Air France du SNPL, tablissait l'ordre du jour du prochain conseil syndi-cal, prvu le 6 juillet. Ce conseil (une vingtaine de membres l'poque) se runit une fois par mois, en dbut de mois. Et pour le 6 juillet, la surprise gnrale, Jean-Yves Boiffier ne fait pas figurer l'accident dans l'ordre du jour !

    Ds le lendemain du drame, faisant refrain aux dclarations de Louis Mermaz, le SNPL avait mis publiquement l'avion hors de cause. Le 28 juin, il diffuse un tract auprs des pilotes, intitul COUP DUR. Il y affirme que l'avion est hors de cause. Dans la foule, un autre tract est distribu par le SNPL, intitul SNOMAC, OU VAS-TU ?, qui attaque le syndicat des ingnieurs de vol... tout en dclarant qu'Asseline et Mazires sont responsables de l'accident !

    Voyant la tournure que prenaient les vnements, j'ai alors

    dcid, et j'ai par la suite toujours respect cette ligne de conduite, d'tre trs prudent dans mes analyses et de me mfier en premier lieu de moi-mme. A chaque fois que je souhaiterai intervenir, je vrifierai que je suis en bton, inattaquable... Pas question de sortir des neries. Pas question de rvler des faits sans preuves qui puissent les tablir... ces faits fussent-ils rigoureusement exacts !

    Le jeudi 30 juin, je contacte quelques pilotes avec lesquels

    nous avions projet de crer un syndicat, un an plus tt. Les statuts et le logo taient prts depuis un an. C'est la politique de complaisance mene par le SNPL depuis le dbut des annes 80

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    qui nous avait amens ce projet, projet que nous conservions prcieusement sous le coude.

    L'heure n'tant plus la discussion mais l'action, nous dcidons de lancer officiellement le syndicat. Son nom : le Syndicat des pilotes de ligne d'Air France. Le SPLAF. Aprs l'accident de Habsheim nous avons hsit conserver le nom, SPLAF pouvant donner penser une volont d'humour macabre et dplac... Mais il n'tait plus temps de tergiverser. Modifier les statuts et le logo aurait pris trop de temps. Le premier juillet notre syndicat est dclar. J'en suis le prsident de bureau. Son secrtaire gnral est Yves Stephan, par ailleurs dlgu du personnel lu sur la liste du SNPL. Nous sommes tous des contestataires, des dissidents du SNPL. Les statuts sont dposs, conformment la loi. Le premier tract est distribu le vendredi premier juillet en fin d'aprs-midi. Le voici dans son intgralit.

    ACCIDENT DE MULHOUSE : A SUFFIT

    Aprs la campagne dlirante sur les salaires et les conditions de travail, la charge honteuse contre les pilotes dAir France.

    QUELQUES ELEMENTS DE REFLEXION

    C'est la faute du pilote, c'est surprenant, il tait charg de l'instruction de ses collgues d'Air France. Suivez mon regard et concluez : les autres sont vraiment des nuls.

    La faute du pilote ? Elle n'est pas dmontre, au contraire.

    Selon les autorits, les moteurs taient plein gaz et l'avion descendait. Curieux. Et c'est l'ordinateur qui, en empchant le dcrochage, aurait sauv des passagers. Ne serait-ce pas l'ordi-nateur qui, en limitant l'action du pilote, a entran l'accident ?

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    Les consignes crites de la compagnies sont formelles. Dans une telle situation, il faut tirer jusqu'au buffeting [jusqu' l'angle maximum de monte].

    Le pilote se serait mis dans une situation anormale ? Les condi-tions normales de certaines remises de gaz sont : 10 mtres de hauteur, absence de visibilit, cisaillements de vent courants cette hauteur, trajectoire descendante au moment de cette remi-se de gaz, et tout cela aprs quatre tapes.

    NE NOUS LAISSONS PAS INTOXIQUER PAR UNE CAMPAGNE DE PRESSE DESTINEE AUTANT AU PUBLIC QU'A NOUS MEMES

    TOUS MOUILLES

    Airbus, La Direction Gnrale d'Air Inter, MERMAZ, les auto-rits de certification, la Direction Gnrale d'Air France.

    A 320 AND Co

    Samedi 25 juin, j'ai dn, sa demande et sur ce sujet, avec un Conseiller de MERMAZ. J'ai abord de nombreux sujets, entre autres le fait que nous allions vers plusieurs accidents dans les compagnies franaises et en particulier avec l'A 320. Le lundi, son pouse me laissait un message sur mon rpon-deur : ta dmonstration est clatante, c'est all trop loin... mais le mardi elle m'a avanc la raison d'Etat. Par ailleurs, Mermaz ne pouvait ignorer les rcentes conclu-sions d'une enqute de la FAA [administration amricaine] sur les consquences sur la scurit de certains conflits sociaux. Il n'en a pas moins maintenu EELSEN, sans explication et sans un mot pour adoucir le conflit.

  • 19

    Et pour quels motifs et dans quel intrt la Direction Gnrale d'Air France organise-t-elle ce qui apparat tre des coups de pub pour Airbus et l'A 320 ?

    LES SILENCES DE LA DIRECTION GENERALE D'AIR FRANCE

    Quand le Chef d'une entreprise doit faire face ce genre de coup dur, il la dfend, et souvent, mme, par le mensonge. Air France n'a mme pas dit la vrit : cela ne concerne pas le travail en ligne de ses pilotes et ne remet pas en cause la scurit des vols de la Compagnie. La Direction Gnrale se moque de ses 35 000 salaris.

    Qu'attend-elle ? En laissant se dvelopper un climat excrable, qu'un nouvel accident se produise pour charger nouveau le pilote et tenter de masquer sa responsabilit dans l'accident au moyen d'une nouvelle campagne contre le pilote ?

    Quant au courage de ces gens l. Quelle vole de moineaux ds le lundi : c'est la faute du pilote d'Air France... qu'ils ont pourtant tous pouss prouver que lA 320 c'tait autre chose.

    On a vu le rsultat !

    En conclusion, quelques motifs gnraux de rejoindre le

    SPLAF et un bulletin d'adhsion. Connaissant les pratiques de la direction d'Air France nous

    avions prcis sous le logo : STATUTS DEPOSES. Or qu'ad-vint-il ? Ds le lendemain, la direction faisait retirer les tracts des casiers des pilotes. Ces casiers sont des bacs courrier. Chaque navigant dispose d'une telle bote aux lettres son nom. C'est notre seul moyen de communication. Mais Air France n'aime pas la communication !

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    Ce retrait des casiers, entrave illgale aux droits syndicaux, a prsent au moins un avantage. Nous savions dsormais que nos analyses taient convaincantes. Il faut dire que notre mise en cause de l'avion, en particulier les commandes de vol, bien que rdige avec prudence, n'avait pas t porte la lgre. Toujours bton, toujours inattaquables, telle tait notre devise.

    Aussi, le 5 juillet nous avons procd la distribution d'une

    copie de ce tract, prcisant : COPIE APRES RETRAIT DES CASIERS. PLAINTE A ETE DEPOSEE A LINSPECTION DU TRAVAIL. Ce tract sera lui aussi retir ! Il faudra l'intervention de dlgus du personnel pour mettre fin ces actes.

    Malgr les btons mis dans ses roues, notre syndicat

    commence tourner. Les adhsions arrivent. Avec, souvent, un petit commentaire pour nous encourager et nous fliciter. Il arrive que les nouveaux adhrents ajoutent qu'ils en ont assez de la politique de collusion du SNPL et de celle du SPAC qui ne jure que par l'quipage trois et en oublie tout le reste.

    Nous avions mis en cause les commandes de vol. Je livre ds maintenant la rponse qui sera donne par les expertises judiciaires, en avril 1994 :

    Toutefois, le fonctionnement des commandes de vol, lors de

    cet accident, fait apparatre une particularit, non connue de l'quipage, et non mentionne dans le manuel FCOM d'Airbus Industrie et dans le Manuel TU A 320 d'Air France : la bute arrire du manche peut tre atteinte avant une incidence de 17 (alpha max) lorsque la pousse est faible.

    Six ans avant la remise de ce rapport judiciaire final, nous

    avions raison ! Ce sont bien les ordinateurs qui ont limit l'action du pilote, une valeur qui n'est pas celle figurant dans la documentation. (voir annexe 1). Mais l'poque, c'tait la politique du mensonge officiel qui prvalait.

  • 21

    Avec toutefois une exception, une note discordante. La querelle entre un juge d'instruction et l'administration. Marie-Christine Marchioni, juge d'instruction, avait t dsigne pour mener l'enqute judiciaire sur le crash. Mais elle partait en vacances le lendemain de cette dsignation. C'est donc le juge de permanence qui assure l'intrim et prend, si ncessaire, les mesures d'urgence dans l'enqute. Ce juge, c'tait Germain Sengelin. Qui a pris les mesures d'urgence qui s'imposaient. En effet, l'administration avait rcupr les botes noires le soir de l'accident. Les fameuses botes noires. Qui sont de couleur orange pour tre plus facilement retrouves aprs un accident. Il s'agit des enregistreurs de vol, qui sont au nombre de deux. Le DFDR (Digital Flight Data Recorder) qui enregistre les param-tres techniques, c'est--dire tout ce qui concerne le fonctionne-ment des diffrents organes de l'avion. La capacit d'enregistre-ment du DFDR quipant l'Airbus A 320 est de 379 paramtres. En fait, 217 seulement sont enregistrs, ce qui est suffisant. Le second enregistreur est le CVR (Cockpit Voice Recorder) qui enregistre les conversations dans le poste de pilotage, et, plus globalement, l'ensemble des bruits dans le cockpit. Le juge Sengelin a donc demand l'administration, par ordonnance judiciaire, de restituer les enregistreurs. Ce qu'elle refusera.

    La polmique deviendra publique. Finalement, le juge Sengelin enverra les gendarmes saisir le matriel. Mais il se sera coul dix jours avant que la justice puisse contrler ces pices conviction essentielles.

    Que sont pendant ce temps devenues ces botes noires, dont

    la lecture des enregistrements aurait d fournir les causes de la catastrophe ? Ont-elles t trafiques ? La suite devait rvler des pratiques plus que sujettes caution...

    Ds le dbut de l'affaire, quelques pilotes ayant leurs entres

    dans l'administration (la Direction gnrale de l'aviation civile -DGAC-), me fourniront quelques renseignements complmen-taires. Il faut dire que mon pre a travaill 25 ans dans cette administration, a cre des relations... J'apprendrai ainsi que les

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    enregistrements avaient t grossirement trafiqus et que nous avions vu juste avec les commandes de vol, et, plus gn-ralement, les ordinateurs de bord. Et j'apprendrai aussi, de la bouche d'un ami politique, que cette administration avait pour consigne, et elle avait une totale libert de le faire, de confirmer officiellement les dclarations de Mermaz qui avait mis l'avion hors de cause ds le lendemain de l'accident.

    Quant l'quipage accident, il continuait se taire. Le

    commandant de bord, Michel Asseline, tait inaccessible. Je me procurai toutefois son numro de tlphone... Je l'appelle au cours du mois de juillet. Je ne pourrai rien dire. C'est lui qui parle pendant 45 minutes ! Pour me vanter les mrites de l'A 320 : C'est un trs bon avion. Il doit voler. Il ne faut pas y toucher.... Deux fois je lui ai demand : Mais toi, dans tout a ? Rponse : Moi, ce n'est pas important, ce qui compte, c'est l'A 320 !. Alors qu'il tait tran dans la boue par les officiels et Airbus Industrie. En l'coutant, je cherchais comprendre. Et j'en arrivais deux hypothses. Ou bien il tait manipul, son orgueil excessif permettant une telle dmarche, ou bien il y avait une magouille, une entente, voire des accords secrets, entre les pouvoirs publics et lui. La responsabilit tant partage entre l'avion et Asseline, peu importent les proportions, il pouvait y avoir un accord visant blanchir l'avion dans un premier temps, puis relever Asseline ensuite, une fois l'avenir commercial de l'A 320 assur. Asseline confirmera dans son livre paru en octobre 1992 que je l'ai appel en juillet 1988 et qu'il m'a conduit.

    Et les Gueullette ? Aucun signe de vie. Dominique et JFG ne

    se manifesteront pas au mois de juillet. Je savais qu'ils prenaient leurs vacances en aot... On verrait la rentre.

    Quant moi, mon mtier me conduisait aux quatre coins du

    monde. Malgr ces voyages par dessus les ocans et les continents je continuais suivre l'affaire de prs. Le dossier technique de l'accident de Habsheim s'toffait. Il ne restait plus

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    qu' attendre la publication du rapport prliminaire de la com-mission administrative d'enqute, annonce pour la fin juillet. J'tais serein, bien qu'on m'ait prvenu que je devenais dange-reux et qu'il avait t dcid de me faire taire. Il m'avait t prcis qu'on allait me faire passer pour fou et qu'on s'attaque-rait ma licence de pilote de ligne. J'avais effectivement constat que certains cadres d'Air France, relays par quelques pilotes infods la direction, avaient dj commenc dire que Jacquet est traumatis par l'accident, a arrive toujours des choses comme a aprs un tel vnement. J'avais eu deux arrts de travail rcents en raison d'une anguillulose -cela figure dans mes dossiers mdicaux- et, de cette maladie d'origine tropicale, bnigne, affectant le systme digestif, on allait faire une maladie... psychiatrique !

    J'aurai aussi durant cette priode quelques contacts avec des

    journalistes. Des journalistes prudents, ce qui se comprend. Je savais qu'Air France et quelques dirigeant du SNPL avaient dj dclar la presse que je n'allais pas bien de la tte. Intox qui va produire ses fruits...

    Le rapport prliminaire est rendu public le vendredi 29 juillet

    par le ministre Michel Delebarre, successeur de Mermaz. J'en aurai connaissance le 30. Mais ce mme jour, j'avais pu lire dans l'hebdomadaire Le Point, dat du lundi premier aot mais mis en vente le samedi 30 juillet, que j'tais l'exemple du pilote traumatis aprs un accident. Cela me confirmait que mes informateurs taient bien renseigns et que les pouvoirs publics sortaient le grand jeu et essayaient de manipuler la presse.

    Toutefois, le plus intressant restait le rapport prliminaire. Premire constatation. Les annexes sont nombreuses : un

    plan de l'arodrome de Habsheim, une carte rgionale avec la trajectoire suivie par l'avion, une transcription des communi-cations radio entre l'avion et l'aroport de Ble, une transcription

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    des changes radio entre l'avion et l'aroport de Habsheim, une transcription des conversations dans le poste de pilotage (vingt pages, tires du CVR, l'enregistreur des sons). Cette transcrip-tion n'tait pourtant pas dfinitive. Tous ces documents n'ap-portent rien sur le fonctionnement des systmes de l'avion. Il manquait le principal, le dpouillement de l'enregistrement des paramtres de vol (DFDR).

    Mais on trouvera dans le rapport quelques valeurs de paramtres, qui confirment, aprs analyses techniques, que les commandes de vol sont en cause.

    Je prfre rpondre ds maintenant une question qui me sera souvent pose, aprs qu'il ait t vident que les enregis-trements avaient t trafiqus : comment pouvez-vous soutenir qu'il y a eu falsification de ces enregistrements, et, dans le mme temps, utiliser les dpouillements pour mettre en cause les com-mandes de vol ? La rponse est simple. Les tripatouillages sur les enregistrements ont t interrompus par la justice -le juge Sengelin- qui a fait saisir tout le matriel, avec difficult il faut le rappeler. Les faussaires n'avaient pas termin leur travail et l'anomalie des commandes de vol n'avait pu tre totalement masque. Un travail de falsification parfait est long et difficile, la plupart des paramtres tant lis entre eux.

    Le 30 juillet 1988, nous ne disposions pas des lments

    suffisants pour affirmer publiquement que les enregistreurs avaient t trafiqus. En revanche le dossier technique sur les commandes de vol tait suffisant. Nous passerons un com-muniqu l'Agence France Presse. Dominique Beaujouin de l'AFP, prendra toutes les prcautions qui s'imposaient. Il prendra l'avis de pilotes d'A 320. Le dimanche soir, la dpche AFP tombe, reprise par tous les quotidiens le lendemain (extraits) :

    LA REPLIQUE DES PILOTES

    Un syndicat de pilotes d'Air France, dissident du SNPL, le SPLAF, a mis en cause l'inconsistance du rapport dans un communiqu.

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    [...] M. Asseline, interrog par tlphone, s'est content de souligner face aux attaques dont il est l'objet avec son copilote Pierre Mazires, qu'ils taient des pilotes responsables et comp-tents et qu'il avait confiance dans le ministre et dans la justice. [...] M. Asseline n'a mis aucune opinion, rappelant sa volont de rserve pendant la poursuite de l'enqute. Norbert Jacquet, responsable du bureau du Syndicat des pilotes de ligne d'Air France (SPLAF), qui se prsente comme une fraction dissidente de la section Air France du SNPL, estime en revanche que l'quipage a t induit en erreur, tout en prcisant qu'il n'est pas le dfenseur de MM. Asseline et Mazires. [...] Dans un communiqu dnonant l'inconsistance du rapport prliminaire et ses omissions, M. Jacquet reproche au contrai-re la commission de n'avoir publi que les informations sono-res de la radiosonde, qui rvlait que l'avion volait 30 pieds d'altitude. Il rclame la publication des valeurs affiches par 1'ordinateur pour l'altimtre baromtrique, qui avait connu des incidents auparavant. Le SPLAF met galement en cause une limitation anormale par l'ordinateur de l'action du pilote sur les commandes de vol...

    Mais, au cours de ce week-end, je ferai d'autres constatations. Encore plus tonnantes. J'tais suivi...

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    CHAPITRE 2

    LE PAVILLON DES CANCEREUX

    J'tais suivi. Et ce n'tait pas une impression. O que j'aille, gauche, droite, l'AFP ou la banque, il y avait toujours deux Dupont et Dupond pour m'emboter le pas. Pas une filature discrte, non, une compagnie bien voyante, comme si on cher-chait m'impressionner. La manuvre m'apparaissait cousue de fil blanc. La filature tait trop grossire. Il tait vident que son seul objet tait de m'intimider, de me dstabiliser, de me rendre mfiant... A partir de l, on pouvait facilement m'attribuer un dlire de perscution...

    Le samedi 6 aot, on m'avertit de la parution de deux nou-

    veaux articles de presse. Le SPLAF a indiqu dans son communiqu l'AFP que l'quipage avait t trahi par les com-mandes de vol, trahi par l'ordinateur, trahi par l'lectronique. C'est ce que reprend le journal L'Humanit, sous le titre Les automatismes avaient programm l'atterrissage. Dans Le

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    Figaro du mme jour figure cependant la rubrique Trans-ports une information qui, d'apparence plus anodine, s'avre toutefois plus instructive : Air France conteste la reprsen-tativit d'un syndicat.

    De quel syndicat ? Le ntre bien entendu ! L'article du Figaro signale qu'Air France a ainsi dcid de contester la reprsenta-tivit du SPLAF devant le tribunal du 15me arrondissement. Se dbarrasser du SPLAF, puis de Norbert Jacquet, voil comment en un temps deux mouvements touffer le scandale de Hab-sheim. Mais si, pour casser la lgitimit du syndicat, un tribunal peut suffire, pour moi, il faut trouver autre chose. A-t-on dj trouv ? Les filatures dont je suis l'objet font-elles partie du plan ?

    Ce mme samedi 6 aot, je suis au Canon des Gobelins, un

    caf du 13me arrondissement. Je n'y suis pas entr parce que j'avais soif. Non, je suis entr pour clarifier les choses.

    Cet aprs-midi, comme je remontais le boulevard des Gobelins, j'avais encore les deux ombres mes basques. Alors je suis entr dans le premier caf venu. Et lorsque, une fois install une table, j'ai tourn la tte, quelle n'a pas t ma surprise de voir au bar les deux Dupont et Dupond de service, qu'une irrpressible envie avait pris d'entrer prendre un demi ! Tout juste s'ils n'ont pas lev leur verre ma sant quand je les ai dvisags !

    Trop, c'est trop ! Je suis descendu au sous-sol, j'ai demand le tlphone et j'ai appel la police.

    Une demi-heure plus tard, celle-ci dbarque au Canon des Gobelins. En force peut-tre pas, mais en nombre assurment. Un panier salade et une voiture banalise, quatre policiers en uniforme et deux en civil. Je suis invit prendre le panier salade. Si je suis victime de manuvres d'intimidation, que je vienne m'expliquer au commissariat.

    Et les deux Dupond et Dupont dans tout cela ? Se sont-ils

    clipss quand la marchausse a dbarqu ? Non pas. Ils ont prfr prendre un autre demi avec les deux flics en civil,

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    comme cela se fait entre collgues aprs une journe de travail bien remplie.

    Au commissariat, j'ai t interrog par le commissaire Bernard -je n'apprendrai son nom que bien plus tard- qui m'a dans un premier temps confi l'inspecteur Isabelle Leroy, avec qui j'ai discut assez longuement en attendant son retour. Au vu des articles de presse, cet inspecteur m'a dclar qu'elle avait effec-tivement lu nos prises de position dans Libration du dbut de la semaine. Rien que de plus normal...

    En revanche, l'attitude du commissaire me paraissait cu-rieuse. J'avais d'emble prcis que je risquais d'tre victime d'un abus psychiatrique. Tel tait le but de la filature voyante. Mais, prfrant ne pas m'couter plus longtemps, le commissaire est all tlphoner dans un bureau voisin. Et quand il est revenu, il m'a dclar que j'avais l'air fatigu. Il a ajout qu'il pouvait me faire dposer par une voiture l'hpital de la Piti-Salptrire ! C'tait norme. Mais devant l'attitude du commissaire j'ai pr-fr ne pas discuter et j'ai adopt la politique du profil bas. C'est comme cela que ce samedi 6 aot je me suis retrouv embarqu quasiment de force vers la Piti-Salptrire. Sur la simple volont du commissaire Didier Bernard.

    Un an plus tard, je prendrai connaissance de la main courante

    relative ces vnements (main courante N 2139, voir an-nexe 2) :

    Relatons que ce jour l'heure figurant en tte du prsent

    s'est prsent au Service un individu [identit, adresse]. L'intress a souhait informer les services de police des problmes qu'il tait susceptible de rencontrer la suite de la cration par lui d'un syndicat de pilotes de ligne dAir France ayant dnonc les malfaons techniques des Airbus. L'intress a fait tat de filatures ventuelles sur lui. Il a sembl rencontrer actuellement des problmes psychologiques. Il a t conduit l'hpital de la Piti par la scurit publique (tat ne ncessitant pas un envoi IPPP [l'infirmerie de la prfecture de police de

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    Paris]). En raison de la profession du sus nomm, son emp-loyeur a t inform au 48 64 20 30.

    Non seulement le commissaire m'expdie l'hpital mais en plus il croit de son devoir d'informer mon employeur. En appelant le numro de la direction des oprations ariennes qui ne figure dans aucun annuaire. Comment se l'est-il procur ? Qui le lui a donn ? Savoir qui il a tlphon avant de m'expdier en psychiatrie apporterait une rponse...

    On portera le jugement qu'on voudra sur mon choix de ne pas

    m'tre oppos mon transfert aux urgences psychiatriques. Compte tenu de l'attitude de la police, il me fallait tout prix viter de faire un scandale. J'aurais de toute faon t conduit en psychiatrie, avec le risque de voir ajouter une rbellion la force publique. La police savait parfaitement quoi s'en tenir avec la presse du jour que j'avais sur moi. Elle ne s'est pourtant pas gne pour agir comme elle l'a fait.

    Et me voil donc chez les fous. Bof... J'expliquerai tout

    cela au psychiatre de permanence, le docteur Fontaine, qui constatera ma bonne sant mentale, et la confirmera plus tard par crit. Et puisque ces sympathiques policiers avaient eu la gentillesse de me conduire l'hpital, j'en profiterai pour voir le gnraliste en raison de mes troubles intestinaux. Cet interne, le docteur Sourabie, me prescrira 6 jours d'arrt de travail.

    Je suis donc arrt du 6 au 11 aot, ce dont j'informe mon

    employeur le jour mme, par tlphone. J'envoie normalement le certificat d'arrt de travail, par la poste.

    Dans les jours suivants, je suis averti par tlphone qu'Air

    France m'a programm une visite mdicale de reprise, le vendredi 12 aot, devant son mdecin du travail. Cette visite n'est pas rglementaire au regard du code du travail. J'apprendrai galement que la direction d'Air France avait prvenu mon secteur de vol. Pas de courrier si je ne passais pas cette visite.

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    L encore, plutt que contester la lgalit de cette visite, ce qui aurait permis la direction de me faire passer pour un rebelle procdurier, je me rendrai chez le docteur Bellanger, mdecin du travail. Visite classique. Auscultation gnrale, tension, rflexes, examen du nez, des oreilles, de la bouche... Puis le Dr Bellanger commence tre gn et tendu. Il estime que je dois consulter un spcialiste. Il m'annonce qu'en atten-dant, je ne dois pas voler. Il me remet un certificat d'inaptitude au poste de travail et un bulletin de consultation chez le spcialiste. Je lui demande pour quelles raisons il me suspend de vol. Rponse : Parce que j'en ai le droit. Nous en resterons l. Je n'avais mme pas eu besoin de lire le bulletin de consultation pour savoir que j'tais convoqu chez le psychiatre d'Air France.

    Je prends quelques renseignements auprs de vieux routiers

    de la compagnie. On me confirme que certains mdecins sont dvous corps et me la direction, au point d'tre de simples excutants, aux ordres. Il y a dj eu des prcdents. Des pilotes ont t discrtement vacus de la compagnie, avec la compli-cit active des syndicats, sous de faux motifs mdicaux, en parti-culier psychiatriques.

    Je prends galement connaissance d'un tract du SNPL du

    9 aot, donc antrieur ma visite mdicale et ma suspension de vol. Ce tract fait tat de mon dlire pathologique. Aprs l'article du Point, cela commenait faire beaucoup. A Air France, la rumeur est savamment distille et alimente. Dans les couloirs de la maison, l'pisode de la Piti prend un tour vraiment dlirant : j'aurais t ramass par la police en train de haranguer la foule dans une gare parisienne et aurais t conduit en psychiatrie par le SAMU ! Et de faux bruits en vrais men-songes, la rumeur commence peser... Elle va bientt servir d'alibi la machine administrative.

    Mais ma bonne volont des limites. Je reprends rendez-

    vous avec le Dr Bellanger et je le revois le 19 aot suivant. Je lui donne tous les lments qui lui permettent de se faire une vraie

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    opinion : Vous voyez bien qu'il n'y a rien de psychiatrique dans tout cela et qu'on veut me faire passer pour fou parce que j'ai cr un syndicat qui drange. Alors restons-en l. Ma suspen-sion de vol ne repose sur rien. Elle ne se justifie pas. Vous devez la lever. Le Dr Bellanger maintiendra sa dcision bien que je lui aie dit qu'il permettait ainsi la direction de poursuivre sa campagne sur le mode psychiatrique. Il maintient que je dois voir le psychiatre. Je lui rponds qu'il est exclu de passer une visite chez un salari d'Air France. Il me fait alors savoir qu'il m'indiquera ultrieurement le nom du spcialiste que je dois consulter.

    Dans la semaine suivante je recevrai trois coups de tlphone

    anonymes. Des menaces de mort. A chaque fois j'ai rpondu : Merci de me confirmer que nous avons raison et que vous paniquez. Les appels anonymes cesseront, au moins pour quel-que temps.

    Mon mdecin personnel, le Dr Reuter, crira au Dr Bellanger

    pour se faire communiquer le dossier de mdecine du travail, ce qui est une obligation lgale figurant dans le code du Travail. Le Dr Bellanger refusera. De mon cot, j'irai consulter un psy-chiatre, prs de mon domicile, dans une annexe de l'hpital psy-chiatrique Sainte-Anne. Le Dr Marcel, assist d'une interne, ne me trouvera absolument rien. Le 23 aot, je recevrai un tl-gramme du Dr Bellanger. Je suis convoqu le 26 aot devant le Pr Loo, l'hpital psychiatrique Sainte-Anne.

    Cela ne fut pas triste avec le Pr Loo ! La consultation a dur

    plus de trois heures. Petit petit, Loo a essay de me convaincre que je n'aurais pas d crer un syndicat. Je n'aurais pas d intervenir aprs l'accident de Habsheim. Cela crait des tensions chez moi, qui m'taient prjudiciables. Je le laisse faire. En fait, je le laisse s'enfoncer. Je me contente de lui signaler que les psychiatres dj consults ne m'ont rien trouv. Et je lui montre et dmontre que tout cela n'est que de l'intox : - J'ai tout de mme pris deux papiers avec moi. Le Point du

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    premier aot, mis en vente le 30 juillet, et un tract du SNPL sur mon dlire pathologique. Vous voyez bien que tout cela ne tient pas debout et rsulte de la volont de certains de tenter de me faire passer pour fou. Sa rponse tombe comme un coup de massue : - Mais, si c'est dans les journaux, c'est que c'est vrai ! J'en rajoute : - Finalement, le seul problme, c'est que j'ai cr un syndicat dissident. - [Le Pr Loo se dresse alors au dessus de son bureau, une main pose sur celui-ci, l'autre en l'air, index tendu, et sur un ton presque violent] Vous n'auriez pas d ! - Ah bon, si je comprends bien, c'est comme en URSS : dissidence = psychiatrie.

    Loo en retombera dans son fauteuil et mettra fin la consul-

    tation. Et il sera bien oblig de reconnatre qu'il n'a pas dcel de trouble mental.

    Il convenait toutefois de commencer tre prudent. En

    accord avec mon mdecin, qui le lui confirmera par crit, je demande au Pr Loo de ne pas communiquer, provisoirement, son avis au mdecin du travail en raison du refus de ce dernier de communiquer le dossier mon praticien.

    Mon mdecin avait galement crit au Dr Fontaine devant

    qui j'avais t conduit par la police. Le Dr Fontaine confirme par crit qu'elle n'a pas dcel de trouble mental et qu'elle m'a en-voy en mdecine gnrale pour mes troubles intestinaux : Mon Cher Confrre, Je viens de recevoir votre lettre du 26.08.88 concernant M. Jacquet Norbert, n le 25.01.50. En effet je l'ai vu le 6.08.88 et j'ai estim que son tat ne relve pas de psychiatrie. C'est pourquoi je l'ai adress un collgue en Mdecine. Veuillez etc..

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    Le coup fourr commence tre vraiment flagrant. Le moment est venu de se rappeler au souvenir de mon ami JFG. Je sais que les poux Gueullette rentrent de cong fin aot. Le mardi 30 aot j'appelle JFG l'Assemble nationale. Mermaz est devenu prsident du groupe socialiste l'Assemble. JFG en est le secrtaire gnral. Je lui dis que j'aimerais bien le voir. Rendez-vous est pris pour le soir mme, l'Assemble.

    Ce soir-l, vers 18 heures 30, il n'y a pas grand monde dans les couloirs du Palais-Bourbon. Dans le silence feutr qui sied au lieu, mes propos ne trouvent aucun cho. Et pourtant j'y vais fort, JFG se fait dire ses quatre vrits : Je sais que l'admi-nistration va maintenant s'attaquer ma licence. Et l'adm-inistration, ce sont les pouvoirs publics. Et les pouvoirs publics, dans cette affaire, c'est vous, c'est toi, c'est Mermaz, c'est Dele-barre. Si vous laissez se poursuivre ces mthodes de basse police, vous serez complices des faussaires ! JFG hoche la tte, comme un homme qui entendrait une vrit qu'il connat dj. Derrire son paule se profile la porte entrouverte du bureau de Louis Mermaz. Un bureau vide. J'ai compris... Dsormais, pour moi, derrire toutes les portes auxquelles je vais frapper, il n'y aura que le vide et le silence.

    En revanche, l'administration, elle, ne me lche pas. Quatre

    jours plus tard, le 3 septembre, je reois une lettre du Dr Casano, mdecin chef d'un centre d'examen mdical du personnel navi-gant (CEMPN). C'est le centre d'Air France. Il existait l'po-que quatre centres de ce type. Deux Paris, un Bordeaux et un Marseille. Ces centres agissent pour le compte de l'Etat. Tous les pilotes y passent, tous les six mois, leur visite mdicale de renouvellement d'aptitude. Un Conseil mdical de l'aronautique civile, galement caractre administratif, coiffe ces quatre centres.

    La lettre du Dr Casano, date du 2 septembre, est une nouvelle provocation : Le Conseil Mdical de l'Aronautique Civile nous demande de lui soumettre votre dossier. Nous vous remercions de bien vouloir prendre rendez-vous au Centre d'Examen Mdical du Personnel Navigant en tlphonant au

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    43.23.87.85. Nous restons votre disposition pour toute information complmentaire. Et ce, alors que la validit mdi-cale de ma licence expirait le 31 octobre et qu'une visite de renouvellement tait dj programme pour le 6 octobre. Quelle urgence y avait-il ? J'informerai JFG par un bref appel tl-phonique.

    De mon cot, pour contrer ces mdecins malgr eux, j'avais

    pris certaines dispositions. J'avais rendez-vous avec le Pr Allilaire le 6 septembre. Mon mdecin personnel avait parall-lement obtenu une consultation devant le Pr Brion, de renom-me internationale. Une sommit incontestable. Avant de m'adresser ce professeur, mon mdecin m'avait galement fait examiner par le Dr Vion, psychiatre, qui bien videmment ne dclera aucun trouble mental. Comme le Pr Allilaire qui constate que... tout tourne rond : Je soussign certifie avoir examin sur sa demande et celle du Dr Reuter, Monsieur Jacquet Norbert, 38 ans, et n'avoir constat aucun signe de trouble mental dcelable ce jour. Certificat fait la demande de l'intress et remis en main propre pour faire valoir ce que de droit (voir annexe 3).

    Le 7 septembre, je rponds cependant au Dr Casano : J'ai

    bien reu votre lettre du 2 septembre. Je souhaiterais en effet avoir des informations complmentaires. Vous remerciant, je vous prie etc.. En post-scriptum j'ajoute : Je suis surpris, deux titres, de la demande du Conseil Mdical de l'Aronau-tique Civile, aussi, je vous adresse, par prcaution, une copie de la prsente par recommand. Je tenais ce que tout soit fait par crit, avec des garanties.

    Comme seule rponse, je recevrai une convocation pour le 16

    septembre, sans explications. Prvenu seulement la veille, je ne pouvais lui donner suite, ce que j'cris au Dr Casano et au Conseil mdical, en leur fournissant quelques informations et, surtout, pour preuve de bonne foi et de bonne sant mentale, je leur transmets galement le certificat du Pr Allilaire. Une

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    nouvelle fois, comme seule rponse, je reois une convocation pour le 22, sans un mot d'explication. Le 22 septembre, je vois ainsi le Dr Casano qui me dclare... inapte tre pilote de ligne. L'Etat me retire l'usage de ma licence. Le Dr Casano ne me fournit aucune prcision. Il est oblig de me dclarer inapte pour raisons de scurit.

    Par la suite, malgr mes demandes auprs d'Air France, du

    Dr Casano et du Conseil mdical, je n'aurai aucune explication. Le 4 octobre, je consulte le Pr Brion. Le clbre professeur

    communique son avis, par lettre, mon mdecin. Cette lettre est reue par le Dr Reuter le 21 octobre. Pas de trouble mental. Je lui parais tout fait normal. Le mme jour, bien que restant officiellement dans l'ignorance des raisons de ces procdures, j'autorise, par lettre, le Pr Loo communiquer son avis au mde-cin du travail. Il ne donnera pas suite. Le Pr Loo fait en effet le mort. Aprs deux relances, il m'informera, dbut dcembre, qu'il a dcid de se dsister comme possible rfrence de conseil. Craignait-il de se prter un jeu dont la rgle tait moins l'objectivit que l'obstination condamner un pilote ?

    Entre-temps, Le 5 octobre, le Conseil mdical confirme la dcision d'inaptitude prise par le Dr Casano. Et j'apprends que ce Conseil est prsid par le mdecin gnral Robert Auffret, l'un des sept membres de la commission d'enqute sur l'accident de Habsheim, dont je conteste les travaux ! Ben voyons... le curieux hasard et l'trange concidence.

    Aprs le forfait du Pr Loo et les doutes que mon arbitraire suspension laisse planer, l'administration dcide d'abattre son dernier atout. Elle a compris qu'elle ne trouverait aucun spcialiste pour tremper dans cette psychiatrie sovitique la petite semaine. Alors, comme dernier recours, elle s'adresse la Grande Muette. Elle fait appel l'... arme ! Le 24 octobre je reois une nime convocation. Je dois me prsenter dans un Centre Mdical de Psychologie des Armes !

    Les limites de l'acceptable taient dpasses ! Je dcidai de ne plus rien faire tant que je n'aurais pas d'explications. Et je les

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    informais que je dposais plainte pour subornation de tmoin. En effet, j'apportais mon concours la justice, la demande du juge d'instruction. Un concours qui n'tait gure apprci par l'administration ! Il m'avait t dclar plusieurs reprises, devant tmoins, que tant que je m'obstinerai dans cette recherche de la vrit, ma situation ne s'arrangerait pas... Une menace intolrable, un chantage inacceptable. Plainte pour subornation de tmoin a donc t dpose le 15 novembre. La plupart des media ont rapport cet vnement. Au moins les choses taient claires. Mais, pour toute rponse, j'ai reu une nouvelle con-vocation... au Centre mdical de psychologie des armes.

    Tout cela ne semblait apparemment pas leur suffire. Le 2

    dcembre, l'Etat prend ainsi un curieux arrt, sign du directeur gnral de l'aviation civile, par dlgation du ministre, qui retire aux pilotes franais la possibilit de contester les dcisions d'in-aptitude devant les juridictions administratives. Il aurait t n-cessaire d'attaquer dans un premier temps cet arrt pour excs de pouvoir, avant d'engager une procdure au fond. Quinze ans au minimum !

    La plainte que j'avais dpose avait cependant entran quelques inquitudes... Aprs tre reste muette durant des mois, l'administration me fera enfin savoir, fin dcembre, que mon inaptitude faisait suite une lettre du 22 aot de la direction d'Air France. Dans un premier temps, je n'en saurai malheu-reusement pas plus.

    Air France refuse de me fournir des informations sur cette lettre. Elle oppose la mme fin de non-recevoir des questions crites des dlgus du personnel, se mettant une nouvelle fois dans l'illgalit.

    C'est finalement la mi-mars 1989, prs de six mois aprs

    que l'on m'eut abusivement retir ma licence, que je dcouvrirai enfin le pot aux roses. Le Conseil mdical, si souvent relanc, se dcide me communiquer la copie de la lettre d'Air France du 22 aot 1988, une lettre qui tait pour moi comme un arrt de mort. Une lettre de Henri Petit, directeur des oprations arien-

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    nes d'Air France : Nous avons t alerts, le 6 aot, par le Commissariat de police du 13me arrondissement sur l'tat psychique de ce pilote, qui a amen le commissaire le faire conduire l'Hpital de la Salpetrire. [Suit un rappel de mes arrts de travail] Compte tenu de ces lments, nous pensons ncessaire de vous saisir du cas de Monsieur Jacquet et vous demandons de statuer sur son aptitude exercer ses fonctions de pilote.

    Voil les raisons du silence de mes interlocuteurs. Voil pourquoi les mdecins ont agi comme ils l'ont fait ! Tous savaient que leurs dcisions ne reposaient que sur du vent, un rapport de police, qu'il n'y avait rien de psychiatrique dans cette affaire et qu'ils s'accrochaient dsesprment l'avis mdical d'un bien curieux commissaire de police, contredit le jour mme, 6 aot 1988, par le psychiatre devant lequel j'avais t conduit, le Dr Fontaine !

    A ce moment, la mi-mars 1989, je dcide de prendre un

    temps de rflexion pour savoir si j'allais donner suite la convocation au centre de psychologie militaire. Mais le 21 du mme mois, une lettre de la direction d'Air France va mettre fin mes interrogations : Etant amens envisager, compte tenu de votre situation, votre cessation de service la Compagnie, nous vous prions de vous prsenter pour un entretien pralable le 28 mars 1989 9 heures, Cit Air France, bureau 3041.

    Aprs la suspension, le licenciement ! J'appelle aussitt l'ami Gueullette, JFG. J'tais rest en

    contact avec lui et Dominique. Il est difficile d'expliquer nos relations depuis aot 1988. Tout le monde m'opposait le mur du silence. On voulait m'isoler psychologiquement. Il fallait cepen-dant que des amis puissent savoir ce que ce fou de Jacquet pouvait bien manigancer tout seul dans son coin. C'tait le rle de JFG. Les Gueullette m'espionnaient sans vraiment que je sois dupe...

    Cette relation, cette comdie joue de part et d'autre, s'est traduite entre autre par un change de correspondances. Ds la

  • 39

    mi-septembre 1988, j'avais adress une note JFG, aprs le retrait de ma licence. Je lui transmettais les documents relatifs ma situation mdicale : Si le fait dtre prsident d'un syndicat de pilotes vaut l'intress le retrait de sa licence par les services du Ministre, cela devient grave [] Tu constateras qu'il n'y a rien de psychiatrique dans cette affaire qui ne tient pas la route. Et, en conclusion : Merci de me retourner le dossier. Le 13 octobre, Dominique m'crit : Voil enfin ton dossier. JF en a une copie. [] Je t'embrasse (voir annexe 4). Une copie dont il n'avait srement gure besoin pour savoir o se situait la vrit...

    Aprs avoir reu la lettre m'annonant mon futur licen-ciement, j'appelle donc JFG : Jean-Franois ? Bonjour. L, vous poussez le bouchon un peu loin. Je vais tre licenci. Rponse immdiate de JF : On ne parle plus de ton affaire, alors tu es licenci.

    Rponse immdiate. Un couperet de guillotine. Pas une seule question. Pas une hsitation. Il tait clair que mon interlocuteur tait parfaitement inform. Il devait mme s'attendre mon appel. Je n'insistais pas. A quoi bon ?

    Dans les mois prcdents, j'avais entrepris des dmarches,

    trs discrtement, auprs d'amis socialistes, afin qu'ils s'informent sur le niveau de prise de dcision. En effet, dans l'entourage de JFG on s'tait content de me dire qu'on ne pouvait rien pour moi et qu'on subissait galement cette affaire. J'aurai des rponses concordantes, fin fvrier et dbut mars 1989. C'est aussi pour cela que j'avais souhait prendre un peu de recul ce moment. Les dcisions taient prises l'Elyse. Mitterrand avait t inform. Il savait qu'il n'y avait rien craindre de la part des syndicats. Le copilote de l'appareil acci-dent acceptait de se taire en change de la conservation de sa place Air France et il tait tenu par les psychiatres de la compagnie. Un modus vivendi avait t trouv avec Asseline, qui tait d'accord pour ne pas mettre en cause l'appareil, ce qu'il avait prouv par son silence. Je restais le seul perturbateur. J'tais dangereux. Cette affaire pouvait prsenter un risque

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    politique en raison de mes amitis socialistes. La dcision du chef de l'Etat fut claire et nette : il s'attaque des marchs d'Etat, tant pis pour lui.

    Le 28 mars 1989, je me rendais donc Air France. C'est M.

    Arondel qui m'a reu. Il tait bien entendu incapable de m'exposer un motif de licenciement valable. Pour ma part, je me contentais d'un bref rappel des faits, loquent mais dsormais inutile... les ds pips taient jets, mon sort rgl en haut lieu... Air France me licenciera. Sans indemnit, bien sr.

    Toutefois, dans les jours qui suivirent, cette affaire allait

    connatre un extraordinaire rebondissement. Fin mars, j'avais prvenu JFG que j'avais rcupr les preuves des traficotages des enregistrements. Le 4 avril, l'AFP diffuse une dpche. Trou d'information dans les enregistrements, coups de ciseaux dans la bande... Le fou Jacquet n'avait jamais perdu la raison. Il avait tout simplement raison ! La presse s'en est alors donne cur joie. Voici quelques extraits d'un article de L'Alsace du 5 avril 1989 :

    LE CRASH DE L'AIRBUS A 320 A HABSHEIM. HUIT SECONDES MANQUENT SUR LA BANDE

    MAGNETIQUE D'UNE BOITE NOIRE

    La polmique sur le crash de l'Airbus A 320, qui a fait trois morts le 26 juin dernier Habsheim, rebondit avec la divulgation d'un document du Centre d'essais en vol (CEP) de Brtigny-sur-Orge, dans l'Essonne, [] Ce rapport, dat du 18 aot 1988, rdig par M. G. Chales et contresign par M. A. Cheminal, chef du service des mthodes et moyens d'essais de Brtigny, vient d'tre rendu public par Norbert Jacquet, Prsident fondateur du Syndicat des pilotes de ligne d'Air France (SPLAF) qui avait t suspendu de vol par la compagnie nationale, pour raisons mdicales aprs qu'il eut

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    publiquement mis en cause la conception de l'Airbus et les autorits, comme la Direction Gnrale de l Aviation Civile (DGAC) qui ont trop rapidement certifi l'avion. Le document du Centre d'essai en vol (CEV) (N 162 SM 4/BY), intitul compte rendu de rcupration et d'exploitation d'enregistrement magntique suite un accident arien indique que le premier rsultat issu de l'exploitation de la bande magntique de la bote charge d'enregistrer 195 paramtres de vol de l'Airbus a t obtenu le 27 juin 6 heures du matin, moins de seize heures aprs le crash, et a t remis au cours de la mme matine la DGAC. On y lit plus loin : L'examen qualitatif de ces rsultats, bien que jug satisfaisant par la commission d'enqute, laisse apparatre un trou d'informations pendant quelques secondes, environ dix secondes avant la fin de l'enregistrement (perte de synchronisation du message). [] Pour Norbert Jacquet, ce trou d'information d'environ huit secondes sur la bande correspond au moment o le pilote remettait les gaz. Avant le trou, les manettes sont en position de ralenti. Aprs, elles sont plein gaz dit le pilote de Boeing 747 d'Air France, qui avait dj expliqu (L'Alsace du 23 novembre 1988) : Quelques secondes avant le crash, le com-mandant de bord avait le manche en bute arrire pour gagner de l'altitude et viter la fort. Mais cinq secondes avant le crash, l'ordinateur a alors donn l'avion l'ordre de modifier sa trajectoire de dix degrs vers le bas. [] Le document du CEV prcise que la bote noire, un enregistreur Fairchild, a t ouverte et sa bande magntique coupe juste aprs le premier galet gauche pour tre rcupre, puis transfre sur une bobine pour lecture. Norbert Jacquet s'inte-rroge galement propos de cette manire de procder : M. Dave Harmas, de la socit Fairchild San Antonio aux USA,

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    nous a indiqu par tlphone que la bande magntique pouvait tre lue sans aucune opration physique, par simple branche-ment lectrique sur le botier et qu'en tout tat de cause il n'tait pas ncessaire de couper la bande pour l'extraire. De son cot, le service de presse d'Air France a dclar ne pas tre en possession du document du CEV et a soulign que le syndicat de M. Jacquet n'a aucune existence. Voir aussi :

    Ceux qui pensaient avoir eu ma peau, en particulier les politiques -on ne parle plus de ton affaire, alors tu es licenci- sont tombs de haut.

    La polmique s'amplifiera dans les semaines suivantes. Je

    dclarerai au journal tlvis de TF1 que des faux ont t commis.

    Franois Mitterrand, inform de ces nouveaux rebon-

    dissements, confirmera sa dcision initiale : Il est hors de question de cder. L'Airbus doit rester hors de cause. Et il enverra un ministre, Michel Delebarre, au combat. Ce dernier annonce au dbut juin 1989 qu'il dpose une plainte contre moi. Et contre Michel Asseline. Le motif : diffamation de son administration.

  • NJFichier en pice jointeUn article du Parisien (Double clic)

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    CHAPITRE 3

    MICHEL ASSELINE, LES SYNDICATS

    Ce triste 26 juin 1988, o le vol de dmonstration de l'Airbus tourne au drame, c'est donc le pilote Michel Asseline qui se trouve aux commandes. Un personnage fort en gueule, haut en couleur. Commandant de bord Air France depuis 1967, il a t nomm chef de la subdivision Airbus A 320 en dcembre 1987. Pour ce vol de prestige, il apparat donc comme le pilote idal, l'homme de la situation. Une situation qui ds le soir de la catastrophe se retourne contre lui...

    En blanchissant rapidement l'avion, Louis Mermaz jette bien videmment Asseline en pture tous les ncrophages. Le pilote est coupable ! La presse se dchane contre lui. Il faut dire que son silence... On l'accusera mme d'tre un nazi. Face cette attaque en rgle, il reste trangement muet. Malgr sa grande gueule... Il est vrai qu'il sait ne pas pouvoir compter sur l'aide et l'appui des syndicats. Plus individualiste que syndicaliste, il s'est beaucoup investi pour le pilotage deux. Sa premire nomina

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    tion de cadre pilote date ainsi du lancement du Boeing 737 en quipage ... deux pilotes. Pour Air France et son directeur des oprations Henri Petit, il est donc un homme de confiance... Ce qu'Asseline explique dans son livre Le Pilote est-il cou-pable ? : En prenant ces positions, je n'avais pour but que de dfendre l'avenir d'Air France face la concurrence inter-nationale, qui ne manquerait pas de devenir froce, l'ouver-ture du grand march europen de 1993. Des positions qui ne lui ont pas valu la mme sympathie auprs des ingnieurs de vol, galement appels officiers mcaniciens navigants, les hom-mes condamns par le pilotage deux. Au soir de la catastrophe, certains ont regrett que cette charogne ne soit pas creve.

    En ce mois de juillet 1988, Michel Asseline est donc un hom-me seul, mais qui devait savoir pas mal de choses. C'est pour-quoi je me permets de prendre contact avec lui. Sa rponse est connue : C'est un trs bon avion. Il doit voler. Il ne faut pas y toucher.

    En septembre, je persiste et signe, j'appelle un de ses avocats,

    Matre Denis Garreau. Mme son de cloche : Avant tout, l'A 320 doit voler.... J'ose alors demander : Vous ne pensez pas que votre silence est dangereux face la raison d'tat ? Rponse : Non. Je n'aurai plus aucun contact avec Asseline jusqu'en dcembre 1988. Il tait aux Etats-Unis. Et je prfrais d'ailleurs ne pas en avoir : son comportement me laissait scep-tique... Je me demandais si son silence n'avait pas donn lieu quelques contreparties...

    Dbut dcembre, j'apprends cependant qu'il est rentr Paris.

    C'est pour moi le moment de le relancer. Je mets un peu la pression, en lui faisant comprendre demi-mots que je m'inter-roge sur son attitude. Je le rappelle quelques jours plus tard. Je lui dis que pour se taire comme il le fait, il doit avoir des assurances. Il sort alors de sa rserve. Il me dit que nous devons cooprer et qu'il me remettra des documents, discrtement, dans ma bote aux lettres. Ce qu'il fera. Des documents peu intres-sants...

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    Aprs une nouvelle escapade aux Etats-Unis, il revient en France en fvrier 1989. Nous nous verrons alors pour la premire fois. Il me remet d'autres documents. Cette fois plus intressants. Des listings de paramtres issus de l'enregistreur du DFDR. Ce qui m'tonne alors, c'est la lecture et l'analyse qu'en tire Asseline... Une analyse errone et tronque... ct de la plaque ! Et je sais de quoi je parle. Ces documents exclusifs, je les avais dj en ma possession. J'en avais tir des conclusions bien plus pertinentes que celles avances par Asseline.

    Je prendrai le temps de bien contrler mes analyses, avec le

    concours de pilotes d'A 320. Puis je remettrai l'enveloppe surprise quelques journalistes, fin mars 1989. C'est ce dossier qui a servi de support la dpche AFP dont j'ai parl prcdemment, dpche AFP qui a relanc la polmique.

    Quelle a t l'attitude d'Asseline ce moment ? Durant l't

    1988 -c'est moi qui avait donn son numro de tlphone l'AFP- il avait dclar, au moment de l'intervention publique du SPLAF, qu'il voulait rester digne face aux attaques de la presse. Il avait refus de commenter le rapport prliminaire de la commission d'enqute. Il se dclarait un pilote res-ponsable et comptent et il avait confiance dans le ministre et dans la justice. Et en ce mois d'avril 1989, malgr les rvlations publies dans la presse, il reste de marbre, comme en tmoigne l'article de L'Alsace dat du 5 avril : Nous avons interrog hier, par tlphone, le commandant Michel Asseline, mais ce dernier s'est refus tout commentaire sur l'aspect technique de l'affaire.

    Pas bavard Asseline. Surtout lorsque l'on apprend, la

    lecture de son livre, paru en octobre 1992, qu'il disposait de tous les lments techniques pour confirmer, et l'anomalie des commandes de vol, et les falsifications.

    Interview par l'hebdomadaire VSD, voici sa dclaration sur l'aspect technique (VSD du 13 avril 1989) :

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    Un pilote d'Air France qui vous soutient, Norbert Jacquet, affirme que certaines informations enregistres par l'une des botes noires, celle qui mmorise les paramtres de vol, sont aberrantes et que de toute faon il existe un blanc dans l'enregistrement. Que les botes noires en question ont mystrieusement cess de fonctionner au moment o l'avion a touch les arbres. Un choc peu violent qui n'aurait d, en aucun cas, provoquer cette panne. Que pensez-vous de ces nouveaux lments qui remettent en cause la validit d'une

    artie des investigations ? p - Norbert Jacquet ne fait que rvler des documents qui sont en possession de la commission d'enqute officielle, de la commis-sion d'enqute d'Air France, des syndicats, des parties civiles et de moi-mme. Ces pices, tablies par le CEV (Centre d'essai en vol de Brtigny), mettent effectivement en lumire le fait que pendant 1520 secondes au total les enregistreurs de vol tournent sans problme, mais que, quelques secondes avant le crash, les paramtres deviennent effectivement aberrants. Quelques secon-

    es cruciales. d Eh oui... Je ne fais que rvler des documents qui sont en

    possession... de tout le monde, y compris Asseline, mais tout le monde garde le silence !

    La polmique prendra de l'ampleur. Le directeur gnral de

    l'aviation civile envisage publiquement de me poursuivre en justice. Mais un procs engag contre celui qu'on a prsent comme un fou hallucin, cela ne faisait pas trs srieux...

    Le 2 mai 1989, je participe, sur TF1, l'mission Ciel, mon

    mardi, anime par Christophe Dechavanne. Cette mission a lieu en direct, ce qui vite toute suspicion de manipulation ou de censure. Je vais y faire un malheur ! Invites cette mission explosive, la direction d'Air France et la direction gnrale de l'aviation civile ont prudemment dclar forfait. Claude Bchet, prsident de la commission d'enqute officielle a galement dclin l'invitation. Courage, fuyons. Seuls prsents sur le

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    plateau, Xavier Barral, vice-prsident national du SNPL et une famille de rescaps d'un accident d'avion. Barral a confirm l'antenne qu'il reprsentait galement la direction d'Air France, la demande de cette dernire !

    Au cours de l'mission, Xavier Barral n'a pu que me fliciter. L'expos de ma situation mdico-professionnelle ne souffrait aucune contestation. Et lorsque j'ai mis en cause la fiabilit de l'Airbus et mis en doute l'honntet des enquteurs officiels, il n'a pu qu'approuver : Norbert a raison sur l'accident de Habsheim et sur lA 320. Norbert a fouill beaucoup de choses. Il a trouv pas mal de choses intressantes. Et il conclura sans sourciller que j'avais russi beaucoup plus brillamment que nous, c'est sr (le SNPL, en particulier).

    Un festival de compliments qui s'explique. Juste avant de pntrer sur le plateau, quelques dizaines de secondes avant le direct, j'avais dit Barral que j'avais en poche tous les docu-ments qui montraient que certains dirigeants de son syndicat n'taient pas trs clairs dans cette affaire. Sachant que j'avais de quoi prouver ce que j'avanais, il tait forcment dans ses petits souliers. Tous les chos de cette mission furent unanimes. Ma prestation avait t de qualit. Et c'est un euphmisme.

    A l'issue du conseil des ministres qui a suivi, le 10 mai,

    Michel Delebarre annonait des mesures de scurit dans le transport arien. J'avais conclu l'mission en ces termes : Le transport arien reste sr parce qu'on vit encore sur un acquis, mais on a tout lieu de craindre qu'il en sera diffremment dans les annes qui vont suivre. C'est la raison pour laquelle il appartient aux pilotes qui, finalement, sont les garants de la scurit bord -d'une part parce qu'ils sont bord, dautre part parce qu'ils sont techniciens-, je pense que c'est nous, pilotes, de tirer la sonnette d'alarme actuellement.

    Asseline tait reparti aux Etats-Unis depuis la mi-avril.

    Toujours sans laisser d'adresse. Aprs l'mission de Christophe Dechavanne, j'ai appel sa famille et son avocat, Me Denis Garreau. Je leur ai dit : Maintenant il doit parler. Sinon, il

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    accepte sa responsabilit dans l'accident. Le message va tre transmis et le coup va porter. En effet, quelques jours plus tard Asseline m'appelle des Etats-Unis. Je serai clair avec lui : J'ai parl avec des journalistes. Ils ne comprennent pas ton attitude. Certains laissent clairement entendre qu'il y a une entente entre toi et les pouvoirs publics. Ces journalistes veulent te parler. Ils ne savent mme pas o te joindre. Tout cela est en train de se retourner contre toi, alors que nous avons tout ce qu'il faut contre les faussaires. Et Asseline, qui ne peut plus se dfiler, me donne son numro de tlphone aux Etats-Unis et m'autorise le communiquer quelques journalistes. Mais uniquement des journalistes alsaciens. Ce que je ferai.

    Je commenais enfin voir le bout du tunnel. L'affaire vo-luait publiquement, elle faisait galement des vagues dans la profession. Au SNPL l'volution tait nette. Ceux qui m'avaient enfonc perdaient du terrain. Et ceux qui s'interrogeaient com-menaient comprendre et agir.

    Et fin mai, aprs onze mois de silence, Asseline passe la

    vitesse suprieure. Il dclare quelques journalistes que les bandes ont t trafiques. C'est une forgerie [anglicisme qui signifie falsification] complte qui a eu lieu. Sans ambigut, il met en cause Daniel Tenenbaum, directeur gnral de l'aviation civile, qu'il accuse d'avoir couvert les manipulations.

    Mais j'entendais rester prudent. Les techniques de rcupra-tion, je connais. Rcupration : prendre la tte d'un mouvement qu'on ne matrise pas, gagner la confiance de ceux qui sont l'origine de ce mouvement, puis organiser le virage son profit. Ou le demi-tour. Aussi, je continuais mettre la pression sur Asseline : Cela commence tre jouable. Les media suivent. La profession aussi. A nous d'enfoncer les faussaires, il ne faut plus lcher.

    Cependant, ce que je craignais devait malheureusement

    arriver. Dbut juin 1989 le ministre Delebarre annonce qu'il dpose une plainte contre Michel Asseline et moi, pour diffama-tion de son administration. Les dclarations publiques d'Asseline

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    permettaient au ministre de ne pas poursuivre uniquement le fou que j'tais.

    Et que fait alors Asseline ? Demi-tour. Tentant vainement de m'entraner avec lui. Le 14 juin Asseline se rend Mulhouse en vue d'tre inculp. En sortant du cabinet du juge d'instruction, Mme Marchioni, il dclare : A propos de mes prcdentes dclarations, je tiens prciser que j'ai rencontr le comman-dant Bchet, prsident de la commission d'enqute ministrielle. Il m'a apport des assurances quant l'intgrit des personnels de l'aviation civile chargs de cette enqute. Il a rpondu certaines questions que je me posais. Il reste des points vri-fier. Nous y travaillerons ensemble. Et voil le demi-tour. Alors qu' ce moment Asseline disposait dj de tous les l-ments sur les falsifications et l'anomalie de fonctionnement des commandes de vol1. Il conclut ainsi son communiqu : La poursuite de l'instruction exige maintenant du calme et de la srnit. En un mot comme en cent : Silence dans les rangs !

    Je m'attendais un coup tordu de la part d'Asseline et la vrit je n'ai pas t surpris. J'ai eu immdiatement connaissance de ces dclarations. L'aprs-midi mme, je passais un commu-niqu prcisant que personnellement je maintenais mes accu-sations de falsification. J'appelais la famille d'Asseline pour lui faire part de mon mcontentement. Le soir, il me laissait un message sur mon rpondeur. Je devais le laisser agir. Il s'occu-pait de tout. Maintenant, c'tait lui le chef : I'm the leader !

    La presse du lendemain refltait bien ce virage. Par exemple

    Libration du 15 juin 1989 : Si les propos d'Asseline appa-raissent comme un vritable recul par rapport ce qu'il avait affirm sur le trucage des bandes, Norbert Jacquet, pilote d'Air France rcemment licenci, maintient, lui, ses affirmations.

    Mais la manuvre d'Asseline m'avait une nouvelle fois isol dans mon combat. Les jours suivants, les journalistes avec qui j'tais en relation m'ont dclar qu'Asseline tant revenu sur ses

    1 Livre de Michel ASSELINE, pages 167 et suivantes, 210 et suivantes, 229 et suivantes, 313 et 314, 333, 345 et 346, 434 et 435.

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    dclarations, il tait difficile de me suivre sur ce terrain min, d'autant plus qu'il y avait un procs en diffamation.

    Ce demi-tour aura galement un effet dsastreux au sein de la

    profession. J'ai donc dcid de prendre mon mal en patience et de jouer le jeu avec Asseline. Je n'avais pas d'autre solution. Je n'avais plus aucun doute sur lentente conclue entre les autorits et lui, d'autant plus que JFG me raccrochera au nez pour la premire fois, me dclarant : Maintenant tu es tout seul. Et clac !

    Par la suite, mes relations avec Asseline seront places sous le signe de la prudence.

    Durant le procs en diffamation intent par Delebarre, je n'ai

    jamais compris son systme de dfense, dans la mesure o il ne s'est pas dfendu. Il n'a par exemple jamais voqu l'anomalie de fonctionnement des commandes de vol. Un sabotage complet de la part d'Asseline et de son avocat, Me Agron. Ils n'avanceront, timidement, que sous la pression. En fait, ils prfraient calmer le jeu. Et chaque fois je leur disais : Mais, ce n'est pas pos-sible, je vais finir par croire qu'il y a des accords secrets pour que vous vous dfendiez aussi mollement avec tout ce que nous avons !

    Le livre de Michel Asseline est intitul : Le pilote est-il

    coupable ?. La rponse est oui. Coupable de s'tre prt un jeu o il n'a finalement t qu'un jouet. Dans les pages de son livre, il s'interroge sur les nigmes qui jalonnent l'enqute de Habsheim, mais il ne tient pas y rpondre : Pour le bien de l'aronautique franaise, je ne souhaite pas donner la rponse ces questions. Les diffrents enquteurs chargs d'tudier la catastrophe de Habsheim, ont, jusqu' aujourd'hui, failli leur mission premire, qui est la prvention des accidents. La commission d'enqute officielle n'a cherch qu' mettre l'avion hors de cause.

    Le bien de l'aronautique franaise ? Asseline a-t-il t abus par ceux-l mme en qui il avait confiance ?

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    Rcemment, le 26 juin 1994, lors du funeste anniversaire de la catastrophe de Habsheim, les avocats d'Asseline ont remis au juge d'instruction leurs commentaires et remarques sur le rapport final des experts judiciaires Belloti et Venet. Un mmoire intressant. On peut lire que Le Commandant Petit savait trs bien ce qu'il faisait en envoyant le Commandant Asseline Habsheim. En cas de succs spectaculaire de cette prsentation, il en tirerait tout le bnfice au sein de la compagnie, amlio-rant son image personnelle. En cas d'chec, il se dfausserait entirement sur l'quipage et en particulier sur le Commandant Asseline.

    Et dans la foule Asseline amne une nouvelle pice au dossier. Une analyse du CVR, la bote noire qui enregistre les sons l'intrieur du cockpit, analyse confie au dbut 1994 un expert indpendant, Marc Neubert. Ses conclusions sont difiantes : La copie de l'enregistrement du CVR qui m'a t remise semble avoir fait l'objet d'au moins deux coupures. [] Sur ce mme enregistrement, l'annonce c'est bon terminant l'enregistrement ne provient d'aucun des deux membres de l'quipage de lAirbus accident.

    Pourquoi Asseline a-t-il attendu six ans pour produire ce rapport accablant ? Parce que selon lui il n'aurait pu rcuprer la bande qu'au dbut de l'anne. Et il dnonce la dimension poli-tique de l'affaire : Mermaz a t le premier blanchir l'avion. Delebarre et Quils lui ont embot le pas. Et il aura fallu attendre le retour de la droite pour que Henri Petit soit mis en examen !

    Henri Petit, proche de la famille Fabius, dont le frre tait un conseiller de Rocard... Henri Petit, l'poque directeur des op-rations ariennes Air France, aujourd'hui dans un placard dor, toujours directeur Air France...

    Dans le rapport qu'ils ont remis au juge Guichard, les avocats d'Asseline reviennent galement sur... les commandes de vol : Le problme ne provient pas d'une dfectuosit de ce systme mais de sa conception mme. Ce que je dnonce depuis juillet 1988 ! Une conception abracadabrante des commandes de vol.

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    Qu'Asseline change aujourd'hui son fusil d'paule et vienne combattre mes cts, cela me fait plaisir, mais cela m'tonne... Il faudra qu'il m'explique pourquoi il a tergivers durant six ans. Certaines rumeurs laissaient entendre qu'il avait ngoci son silence... au prix fort ! Lui-mme a reconnu dans son livre qu'il y avait eu des tractations, tractations qui n'avaient pas abouti. Une qualification sur Boeing 747 ne lui suffisait pas. J'espre que ce n'est pas dans l'attente d'un chque qui ne serait jamais venu qu'il a laiss traner les choses pendant six ans !

    Les syndicats

    Le conseil Air France du SNPL, le 6 juillet 1988, onze jours

    aprs l'accident, fut fort instructif. Alors que ce conseil s'achve habituellement vers 13 heures, 14 heures au plus tard, le pr-sident de la section Air France, Christian Roger, et quelques membres de son bureau, en particulier Jean-Yves Boiffier prsident de sance, feront traner les dbats. A ceux qui veulent voquer l'accident, qui n'est pas prvu au programme, il est rpondu que l'ordre du jour doit tre respect et que ce dossier sera abord aprs puisement des sujets prvus. Vers 15 heures, trois membres du conseil ont propos un vote pour une modification de l'ordre du jour afin d'en venir l'accident. Querelles, conflits, consultation des statuts, on tourne autour du pot...

    Le sujet ne sera abord qu' 18 heures 15. Les dbats seront significatifs, au point qu'un membre du conseil, Jean-Jacques Schowing, lancera trois reprises Christian Roger : Mais qu'est ce que tu caches ?! Finalement ce dernier s'est lev et a dclar qu'il tait fatigu, qu'il avait sa visite mdicale de renouvellement de licence le lendemain matin et il a quitt la salle. Le prsident de sance a immdiatement tent de mettre fin au conseil sous le prtexte que les dbats manquaient de srnit. Ces dbats se poursuivront durant quelques minutes supplmentaires et l'affaire en restera l. Le tout aura dur moins de vingt minutes. Alors que des discussions sur des points se-condaires, voire totalement anecdotiques, peuvent durer des

  • 53

    heures... Le SPLAF fera un compte rendu dtaill de ce conseil dans un tract du 11 juillet.

    Et comme si tout cela ne suffisait pas, Christian Roger,

    prsident de la section Air France du SNPL, va engager un procs en diffamation contre moi, en septembre 1988. Pas au pnal, au civil, devant le tribunal d'instance du 6me arrondis-sement. Il faut avouer que j'avais fini par dnoncer schement sa politique de collusion dans un tract du SPLAF. La procdure durera trois mois. Elle s'est retourne contre son initiateur.

    Les dbats devant le tribunal ont t chauds. J'y dclarais, et cela figure dans la procdure, qu'il ne me manquait que le chque d'Airbus Industrie pour comprendre l'attitude de Christian Roger. Plus tard, ayant compris que mon dossier tait solide et que je l'exploitais avec efficacit, sans avocat, ce qui est permis devant les tribunaux d'instance, Christian Roger s'est tout simplement dsist de sa demande. Il a motiv par crit ce dsistement par le fait que j'tais dsquilibr et irres-ponsable et qu'il ne lui apparaissait pas ncessaire de tirer sur une ambulance. Un mauvais prtexte pour battre en retraite... Je me suis bien entendu oppos ce dsistement, au risque de dplaire au tribunal. Christian Roger a finalement t dbout de toutes ses demandes et il a t condamn aux dpens. Il n'a pas fait appel. La leon en premire instance avait t suffisante. Le prsident du tribunal, au moment de mettre l'af-faire en dlibr, a demand l'avocat de Roger de lui confirmer que ce dernier tait bien pilote et non directeur d'Air France ! Eclat de rires gnral dans le prtoire.

    Quelques mois plus tard, Jean Pierson, administrateur-grant d'Airbus Industrie -en fait le patron d'Airbus Industrie- a cru bon d'interroger l'opinion publique, se demandant si certains pilotes franais n'taient pas pays par des concurrents amricains, ce qui aurait expliqu leur mfiance l'gard de l'A 320. Tiens, tiens... on pense l'arroseur arros... De tels propos laissent penser en effet qu'Airbus a recours de telles pratiques. Quand je dis qu'il ne me manque que le chque d'Airbus pour comprendre l'attitude de certains dirigeants du SNPL !

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    En 1988 et 1989, alors que je disais tout haut ce que beau-coup pensaient tout bas, ces mmes dirigeants ont tent par tous les moyens d'touffer l'affaire, mme si, au sein de la profession, et en raison de la contestation de cette politique lors des conseils syndicaux mensuels, il leur fallait donner le change et faire semblant de dfendre la profession pour garder une crdibilit que les vnements effilochaient chaque jour un peu plus.

    Dans de nombreux tracts et chaque livraison de son men-

    suel d'information La Ligne, le SNPL conduira une politique d'intoxication et de manipulation de la profession, entretenant systmatiquement les fausses rumeurs se rapportant mes prtendus troubles mentaux. J'avais pourtant remis au syndicat l'attestation du Pr Allilaire, une preuve irrfutable de ma bonne sant mentale. Mais le prsident national du SNPL, Alain Duclos, n'a jamais jug bon de m'accorder le moindre droit de rponse. Dans sa grande bont, il m'en a toutefois prcis les raisons, dans une lettre du 14 dcembre 1988. Par la polmique que j'entretenais, je ternissais l'image du syndicalisme ! Mais la vrit est plus simple et Alain Duclos ne me cachera pas les raisons de son attitude. L'administration lui avait retir sa licence de pilote pour motif mdical, il lui fallait la rcuprer, tout prix... Il me l'a d'ailleurs avou, quelques jours aprs m'avoir adress la lettre que je viens d'voquer : Habsheim, je m'en moque. Ce qui m'intresse c'est de rcuprer ma licence. Je lui ai alors rtorqu : Tu veux dire qu'il y a un change. Tu lches Habsheim et on te rend ta licence ? Rponse surpre-nante bien qu'vidente : Tu as tout compris.

    Toutefois, ces polmiques ne sont pas restes striles. Elles

    ont permis de faire un peu de mnage au sein du SNPL, pour le moins au sein de la section Air France. Cela a t long, mais petit petit, les taupes de la direction ont t dmasques et cartes des instances dirigeantes.

    Mais on en trouve encore. J'aurai l'occasion d'en reparler.

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    CHAPITRE 4

    LES POLITIQUES

    Cette affaire tait devenue absurde, ridicule, caricaturale. Ceux-l mmes qui l'avaient monte en pingle se piquaient leur propre jeu. Mme dans les pays o l'usage de la psychiatrie d'Etat relve de la routine quotidienne, on n'avait jamais vu un ministre engager un procs contre celui qu'on voulait faire passe