1974 – jean-paul le guénic

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1974 Jean-Paul Le Guénic Œuvre protégée Page 1 1974 comédie de Jean-Paul le Guénic 3 personnages : 1 femme 2 hommes Par ordre d'entrée : Colbert : Historien de 2014. Il n’a jamais connu sa mère morte lorsqu’il avait 6 mois et il ne connait pas son père. Il a été élevé par ses grands parents. Il se rend le 11 mai 2014 chez le médecin de garde, le docteur Dupuy. Alice : Journaliste de 1974. Elle travaille au Parisien Libéré dans la rubrique politique, elle est enceinte d’un mois et demi au moment de l’histoire d’un père qui se veut discret. Elle a rendez-vous ce 11 mai 1974 chez le docteur Dupuy. Darry : Voyant de son état de 1974, homosexuel, fantasque et d’un style vestimentaire coloré, il a tendance à s’emballer lorsqu’il veut développer une idée. Il a rendez-vous ce 11 mai 1974 chez le docteur Dupuy. Synopsis : Une salle d’attente médicale, celle du Dr Dupuy. Un homme entre, il a quarante ans et nous sommes en 2014, le lendemain de la victoire de Conchita Wurst à l’Eurovision. Un temps. Une femme entre, elle en a trente et nous sommes en 1974, le lendemain du débat Giscard-Mitterrand pour la présidentielle. Que s’est-il passé ? Comment et surtout pourquoi ces personnages se rencontrent pour la première fois dans cette singularité temporelle ? Ils font connaissance, chacun prend l’autre pour un illuminé… Un voyant arrive avec lourdeur et légèreté, il vit aussi en 1974 mais a plein de théories sur l’avenir… Ses visions décalées pourront-elles aider les deux autres à comprendre le sens de leur rencontre. Comme avait dit (ou dira) Mitterrand, un certain 10 mai 1981, quelle histoire !!! Le décor : Une salle d’attente avec un décor de 2014 qui se change en quelques secondes en un décor de 1974. Une table basse avec une nappe pour la scène de démonstration du trou de ver. Note de mise en scène : La mise en scène peut être classique ou résolument moderne en incluant des vidéos. La musique, autre marqueur d’époque, devra trouver sa place soit en toile de fond des dialogues soit lors des transitions entre scènes. La durée : 1h40

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Page 1: 1974 – Jean-Paul Le Guénic

1974 – Jean-Paul Le Guénic

Œuvre protégée Page 1

1974

comédie

de Jean-Paul le Guénic

3 personnages : 1 femme – 2 hommes Par ordre d'entrée :

Colbert : Historien de 2014. Il n’a jamais connu sa mère morte lorsqu’il avait 6 mois et il ne connait pas son père. Il a été élevé par ses grands parents. Il se rend le 11 mai 2014 chez le médecin de garde, le docteur Dupuy.

Alice : Journaliste de 1974. Elle travaille au Parisien Libéré dans la rubrique politique, elle est enceinte d’un mois et demi au moment de l’histoire d’un père qui se veut discret. Elle a rendez-vous ce 11 mai 1974 chez le docteur Dupuy.

Darry : Voyant de son état de 1974, homosexuel, fantasque et d’un style

vestimentaire coloré, il a tendance à s’emballer lorsqu’il veut développer une idée. Il a rendez-vous ce 11 mai 1974 chez le docteur Dupuy.

Synopsis : Une salle d’attente médicale, celle du Dr Dupuy. Un homme entre, il a quarante

ans et nous sommes en 2014, le lendemain de la victoire de Conchita Wurst à l’Eurovision. Un temps. Une femme entre, elle en a trente et nous sommes en 1974, le lendemain du débat Giscard-Mitterrand pour la présidentielle. Que s’est-il passé ? Comment et surtout pourquoi ces personnages se rencontrent pour la première fois dans cette singularité temporelle ? Ils font connaissance, chacun prend l’autre pour un illuminé… Un voyant arrive avec lourdeur et légèreté, il vit aussi en 1974 mais a plein de théories sur l’avenir… Ses visions décalées pourront-elles aider les deux autres à comprendre le sens de leur rencontre. Comme avait dit (ou dira) Mitterrand, un certain 10 mai 1981, quelle histoire !!!

Le décor : Une salle d’attente avec un décor de 2014 qui se change en quelques secondes

en un décor de 1974. Une table basse avec une nappe pour la scène de démonstration du trou de ver.

Note de mise en scène : La mise en scène peut être classique ou résolument moderne

en incluant des vidéos. La musique, autre marqueur d’époque, devra trouver sa place soit en toile de fond des dialogues soit lors des transitions entre scènes.

La durée : 1h40

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1974 – Jean-Paul Le Guénic

Œuvre protégée Page 2

1974 ____________________________

Scène 1 : Un changement dans la continuité (de l’espace-temps).

Voix off : Le temps est une succession d’instants fixes avec le souvenir de quelques secondes passées et l’anticipation de quelques secondes à venir, sinon la 7e symphonie de Beethoven serait simplement… une note.

Musique

Un homme (Colbert) entre dans une salle d’attente en téléphonant. Son mobile coupe. Il s’assoit. Les lumières clignotent, bruit de transformateur. Il perd son signal de téléphone Il n’y a plus de réseau, de toute façon il est low bat…. Le décor est de style vieillot. Il ouvre un journal (le journal du dimanche). Nous sommes le dimanche 11 mai 2014 le titre est eurovision 2014 c’est Conchita Wurst... Une femme (Alice) entre à la mode des années 70 avec une perruque, des lunettes et un chapeau. Elle ouvre son journal. Nous sommes samedi le 11 mai 1974. Ils lisent un moment.

Musique s’estompe

Alice : C’est long…

Colbert : (lisant) Un peu oui…

Alice : Dupuy est toujours en retard.

Colbert : (lisant) Oui…Comme son père.

Un silence

Alice : Son père était médecin ?

Colbert : Oui et il tenait déjà ce cabinet. On attendait des heures.

Alice : Tel père tel fils comme dit le proverbe. (un silence) C’est curieux d’ailleurs. (silence - elle insiste) Vous ne trouvez pas ?

Colbert : (peu concerné) Quoi donc ?

Alice : Pourquoi dit-on tel père-tel fils alors que ce sont toujours les mères qui s’occupent de leur progéniture. On met toujours en avant les gènes du père chez l’enfant, en particulier chez le garçon, en oubliant que la deuxième moitié vient de la maman. Donc si on raisonne sur 50% de gènes et 80% d’éducation, on devrait plutôt dire telle mère-tel fils !

Colbert : (peu concerné) Oui… oui sans doute… (souhaitant couper court) En même temps, je n’ai connu ni ma mère, ni mon père.

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1974 – Jean-Paul Le Guénic

Œuvre protégée Page 3

Un silence

Alice : Excusez-moi, je ne voulais pas… (un silence)

Colbert : (l’air grave) J’ai été élevé par mes grands-parents… (il sourit) et ça s’est très bien passé.

Alice : Tant mieux… tant mieux !

Un long silence

Alice : Votre rendez-vous est à quelle heure ?

Colbert : 10h30… j’étais en avance.

Alice : Moi aussi… (il la regarde interrogateur) Enfin moi aussi c’est à 10h30, car moi je n’étais pas en avance comme vous vous l’êtes…

Colbert : 10h30 aussi ? Ah bon… Curieux…Le surbooking chez les médecins de nos jours…

Alice : (elle le regarde interrogative) Le « surbooking », ? Peut-être pourrais-je passer avant vous alors ? J’ai un autre rendez-vous après, c'est-à-dire, le samedi je suis très prise, vous comprenez.

Colbert : Disons que je suis là depuis déjà un moment… Et puis d’ailleurs on est dimanche, c’est pour ça que je suis là, parce que Dupuy est le médecin de garde, ce dimanche… Je ne suis pas venu depuis des lustres.

Alice : Dimanche… ça m’étonnerait…On ne peut pas être dimanche puisque le débat d’hier était programmé un vendredi.

Colbert : Quel débat ?

Alice : A la télé, le débat… Giscard – Mitterrand. C’était l’événement. Vous ne l’avez pas vu ?

Colbert : Euh Non. Je n’ai pas regardé la télé… (un silence, il est intrigué) Mais il y avait l’eurovision hier soir non ?… Ils n’arrêtent pas d’en parler. A cause de Conchita Wurst.

Alice : Conchita Wurst ?

Colbert : La femme à barbe qui a gagné l’eurovision hier, une… autrichien, ou un… autrichienne, comme vous voulez. Ce n’est pas précisément la chanson qu’on a retenu, pour le coup. Christine Boutin a tweeté qu’elle était choquée…Ca fait le buzz !

Alice : Le beuz ? Ahh, ahh… C’est qui Christine Boudin ?

Colbert : Boutin, avec un « t » comme… Boutin, l’ex ministre de Sarko, elle a tweeté qu’elle était choquée… par Conchita Wurst… la femme à barbe… qui a gagné…l’Eurovision…

Un ange passe. Alice regarde Colbert l’air dubitatif

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Œuvre protégée Page 4

Alice : (sourit poliment mais ne comprend visiblement pas ce que Colbert dit) J’ai l’impression qu’on ne parle pas la même langue. L’Eurovision c’était le mois dernier, non ? C’est ce groupe suédois qui a gagné… On n’arrête pas d’entendre la chanson. Hier le programme phare, c’était le débat.

Colbert : On ne doit pas non plus parler de la même Eurovision.

Alice : Dommage, c’était très bien le débat… Et puis c’était à la télé.

Colbert : C’était lequel ?

Alice : Celui entre Giscard et Mitterrand.

Colbert : Oui ça j’ai compris, mais lequel ?

Alice : Celui d’hier soir, je vous dis !

Colbert : Comme il y en a eu 2, je me demandais…

Alice : 2 ?

Colbert : Oui 2.

Alice : A ma connaissance, il n’y a eu que celui d’hier soir et il n’en prévoit pas d’autres. Je suis bien placé pour le savoir.

Colbert : Il y en a eu un en 74 et un en 81.

Alice : 81…1981 ? (elle rit) Vous êtes un rigolo, vous.

Colbert : (sérieux) A mes heures mais en l’occurrence pas là.

Alice : Vous dites qu’il y aura un débat Giscard - Mitterrand en 81 ? Remarquez c’est plausible, ça fera un septennat, tout juste. Comment vous savez ça ?

Colbert : Parce que j’ai de la mémoire.

Alice : Ou bien de l’imagination.

Colbert : Peu importe, on ne va pas se prendre la tête pour une vieille rediffusion. Qu’en pensez-vous chère Madame ?

Alice : Celui d’hier était en direct, cher Monsieur !

Colbert : (il la fixe) Entre Giscard et Mitterrand ? (il sourit)

Alice : Oui puisque ce sont eux qui sont au 2e tour dimanche prochain, le 19 mai. Vous revenez de l’étranger ou quoi ?

Colbert : Je suppose que je vous décevrais si… (il hésite) mais je vais le dire quand même ! Attention !... Mitterrand est mort.

Alice : (elle s’étonne puis ricane) Ca se saurait et hier soir il allait très bien.

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Œuvre protégée Page 5

Colbert : Il y a près de 20 ans… Son cancer a défrayé la chronique. Vous n’êtes pas au courant ? Il était déjà malade quand il est devenu Président. La prostate. Mort en 96, le 8 janvier je crois.

Alice : (elle ricane) Alors comme ça Mitterrand est mort, mais il deviendra Président ?

Colbert : Oui entre 1981 et 1995.

Alice : Et sinon, ça va vous ?

Colbert : Moi ? Oui oui oui , moi, ça va !

Alice : Je vous parle d’un fait politique majeur qui se déroule en ce moment, une présidentielle qui est réelle, tangible, dont on parle à 24h sur la une… et vous, vous êtes en train de discuter de la prostate de Mitterrand qui bien que mort, sera élu Président. C’est un test ?

Colbert : A moins que ce ne soit vous qui vous moquiez de moi. Bon allez, je ne vais pas gâcher mon dimanche à… (interrompu)

Alice : C’est un test ou bien comme dit le tube du moment : Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a, qui c'est celui-là ? (Alice chante) Complètement toqué, ce mec-là, complètement gaga ! C’est vrai ça, qu’est que vous avez ? En plus on est samedi, pas dimanche.

Colbert : (la fixant) Ok ok ok… Mais à toqué, toquée et demi… Bonne journée madame. (il reprend son journal et se tourne)

Un silence

Alice : Ce n’est pas parce que vous n’aimez pas la politique… (interrompue)

Colbert : J’adore la politique.

Alice : Mais vous n’avez pas regardé le débat.

Colbert : Non, ni l’Eurovision d’ailleurs. Vous êtes toujours curieuse comme ça avec les gens que vous ne connaissez pas…

Alice : Oui ! Je suis une professionnelle de la curiosité si vous voulez savoir !

Colbert : Une « curieuse » professionnelle, à mon sens.

Alice : Je suis journaliste. Je fais de la presse écrite, rubrique politique. Bob Woodward et Carl Bernstein sont mes modèles.

Colbert : Woodward et Bernstein… les deux du Washington post qui ont enquêté sur le Watergate, c’est ça ?

Alice : Ils enquêtent toujours.

Colbert : Ah…vous m’étonnez. Il resterait des choses à découvrir ?

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Alice : Sur Nixon, sans aucun doute… Imaginez des écoutes à l’Elysée… je ne vous dis pas le scandale.

Colbert : Il y en a eu sous Mitterrand.

Alice : Vous n’allez pas recommencer. Mitterrand ne sera jamais Président… Pas avec un Parti Communiste à plus de 20%, enfin. Les Français ne sont pas prêts. Et hier, Giscard a été le meilleur… Vous n’avez pas le « privilège du cœur ».

Colbert : Le monopole, le monopole du cœur.

Alice : Je croyais que vous n’aviez pas regardé.

Colbert : C’est pour ainsi dire un classique.

Alice : Je ne connaissais pas.

Colbert : Ou alors, ça été diffusé sur la chaine « Histoire » ?

Alice : C’était sur la 1ere chaine de l’ORTF avec Baudrier et Duhamel.

Colbert : Ah oui d’accord, L’ORTF bien entendu. Vous savez en quelle année on est ?

Alice : Vous blaguez ?

Colbert : Je ne crois pas non… (il s’interrompt puis Euréka) A moins…Vous venez voir le Dr Dupuy un dimanche parce que vous êtes en crise. C’est ça ?

Alice : Non mais dites donc !

Colbert : Parce que là-haut ça a l’air de chauffer un peu non ? (il crie) On n’a pas la lumière à tous les étages… Vous avez perdu la notion du temps.

Alice : Je ne suis ni sourde, ni folle cher monsieur, alors lâchez-moi les baskets ! Je sais exactement quelle date nous sommes… nous sommes le… 11 mai, le 11 mai !

Colbert : Oui, c’est ça le 11 mai… le dimanche 11 mai, c’est ok… Parce que pendant un moment j’ai cru que… (interrompu)

Alice : Samedi… on est le samedi 11 mai !

Colbert réfléchit

Colbert : De quelle année ? (il ferme les yeux)

Alice : Vous ne savez pas quelle année on est… Vous ne savez pas !

Colbert : (en colère, yeux fermés) C’est quelle année, bordel ?

Alice : (apeurée) 1974 !

Noir + extrait 24h sur la une du 11 mai 1974 – Léon Zitrone

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Scène 2 : Temps X

Alice : Je vous laisse ma place de 10h30. Dupuy connait un bon spécialiste. La perte de la notion du temps est le premier signe de la folie.

Colbert : Ce n’est pas moi qui aie perdu la notion du temps. Enfin je ne crois pas… C’est vous qui faites une régression temporelle.

Alice : Une régression temporelle ?

Colbert : C'est-à-dire… Pour vous le temps s’est arrêté dans les années 70 apparemment. Giscard, Mitterrand, le Watergate, Vous faites un blocage… Ca peut arriver en cas de choc émotionnel. Ou alors Alzheimer.

Alice : Qui est ce Monsieur Zeimer ?

Colbert : Ou alors vous le faites exprès ? Si c’est le cas, comme dirait Balladur, « je vous demande de vous arrêter »… (aucune réaction d’Alice) D’habitude Balladur ça fait rire…

Alice : Balladur, le chef de Cabinet de Pompidou ? Balladur, ça ne fait pas rire.

Colbert : En 74 ça ne fait pas rire mais en 95 c’était hilarant ! Balladur, 1er ministre de Mitterrand, candidat contre Chirac et qui demande à ses militants de ne rien manifester un soir de défaite. Le presque roi déchu s’adressant à ses sujets ! Il n’avait rien compris.

Un silence. Elle le regarde fixement, puis se met à sourire..

Alice : Vous avez raison, on se poile ! A propos Balladur est de droite !

Colbert : Sans aucun doute !

Alice : Et Mitterrand est de gauche, on peut dire qu’il est de gauche !

Colbert : Globalement oui.

Alice : Comment Balladur pourrait-il être 1er ministre de Mitterrand ? Vous percevez la contradiction ? Votre histoire ne tient pas debout. Déjà Chaban et Pompidou, c’était compliqué alors qu’ils étaient du même bord !

Colbert : C’est à cause de la cohabitation.

Alice : Qu’est ce que c’est encore que ça ?

Colbert : Ok, on va partir du principe que vous êtes bloquée en 74. il réfléchit) Vous venez voir quel docteur Dupuy ?

Alice : Comment ça, quel docteur Dupuy ? Je viens voir le Dr Jacques Dupuy. Il exerce ici depuis des années. Il a la quarantaine.

Colbert : Vous venez vraiment voir le père alors… (il joint ses mains de dépit)

Alice : Et vous ?

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Colbert : (toujours les mains jointes de dépit) Le fils.

Alice : Il nous manque juste le Saint Esprit, donc ! Jésus superstar, vous êtes à la mode !

Colbert : Eh bien moi, j’ai rendez-vous avec Philippe Dupuy, le fils de Jacques. Il a la cinquantaine.

Alice : Bien entendu ! Un fils qui est plus vieux que son père, c’est courant ! J’ai déjà croisé Philippe. Il a dix ans à peine. Un peu jeune pour ausculter, vous ne trouvez pas ! Qu’est ce que vous lui voulez à cet enfant ?

Colbert : Non mais ça va pas ? (cherche à ouvrir la porte du cabinet) Merde, merde, merde et merde !!! (il cherche à sortir mais la porte est fermée Il revient) La porte ne s’ouvre que de l’extérieur !

Alice : Ne soyez pas grossier en plus !

Colbert : Ca va, vous n’êtes pas ma mère !

Alice : Heureusement ! (un silence – Colbert fixe Alice) Vous voulez ma photo ? Dommage la pellicule n’est pas encore développée !

Colbert : Mais de quoi on parle là ? Bien ça a assez duré… je… (il s’arrête et sourit) Bien sûr, bien sûr… d’accord, une caméra cachée, une caméra cachée… Vous avez su que je venais… Ma notoriété d’historien a fait le reste. Elle est où ?

Alice : Vous voulez dire la caméra invisible… Vous croyez ?

Colbert : Ouf, je commençais à douter… j’ai même failli paniquer un moment… Waoow ! C’était bien fait ! Elle est où votre caméra ? Vous bossez avec François Damiens ?

Alice : Damiens ? Connais pas ! Je travaille avec Claude Bellanger au Parisien Libéré. Mais vous êtes qui, vous ?

Colbert : Au Parisien Libéré, comme ma mère, tiens ! Allez arrêtez, j’ai deviné maintenant, la caméra cachée.

Alice : Invisible !

Colbert : Très drôle ! Ok, elle n’est pas visible… Dites-moi juste où elle est !

Alice : Mais je l’ignore !

Colbert : Donnez-moi votre journal. Samedi 11 mai 1974… c’est bien fait… il est tout neuf votre journal.

Alice : Il est d’aujourd’hui, c’est normal. Regardez la date du calendrier sur le mur.

Colbert : Chapeau, on s’y croirait… les meubles, les couleurs, le journal, le calendrier… Comment vous vous appelez ?

Alice : Alice. Et vous ?

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Colbert : Alice ? Comme ma mère… journaliste comme ma mère, au Parisien Libéré comme ma mère… Heureusement vous ne lui ressemblez pas sinon je pense que je péterai les plombs. (Alice est gênée) Non… Vous portez une perruque sous votre chapeau.

Alice : Moi ? Noooon !

Colbert : Retirez votre perruque et vos lunettes, s’il vous plait ! (un silence) S’il vous plait…

Elle retire sa perruque blonde et son chapeau

Colbert : C’est pas vrai, comme ma mère… C’est un déguisement, dites-moi que c’est un déguisement !

Alice : Disons que pour la perruque, je souhaite rester incognito… Je suis journaliste, je travaille sur la campagne de Giscard et…

Colbert : Je ne parle pas de la perruque, je parle de votre tête. Vous êtes le sosie de ma mère.

Alice : Je croyais que vous n’aviez pas connu votre mère !

Colbert : Votre tête, c’est un déguisement !

Alice : Non c’est ma tête, ma vraie tête !

Colbert : C’est quoi votre nom de famille ?

Alice : Je souhaite rester incognito, je vous dis !

Colbert : (paniquant) C’est une histoire de ouf !!! (il cherche à sortir mais la porte est fermée)

Alice : Pardon ?

Colbert : De ouf ; de fou, vous ne comprenez rien !

Alice : Je ne vous le fais pas dire. Comment vous vous appelez ?

Colbert : Colb… (il la fixe un instant puis sourit) Marty Mc Fly.

Alice : Mc Fly, vous avez des origines écossaises ?

Colbert : (il la fixe, excité) Marty Mc Fly… vous ne bronchez pas… Je suis venu en DeLorean… (un silence, elle le regarde sans comprendre) ça ne vous dit rien ? Vraiment ?

Alice : Rien… vraiment. Ca devrait, Marty ?

Colbert : Ca date de 85. Retour vers le futur. Marty Mc Fly, vous ne le connaissez vraiment pas alors… son copain c’est le doc…

Alice : Le Docteur Dupuy ?

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Colbert : Non, Emmett Brown ! (un silence) Laissez tomber, j’ai cru que le nom vous ferait ciller, réagir, sourire au moins. J’ai l’impression que vous êtes sincère. Je m’appelle Colbert.

Alice : Colbert, comme…. comme le ministre des finances de Louis XIV ?

Colbert : Successeur de Mazarin, tout juste !

Alice : Mais c’est pas un prénom ça, Colbert !

Colbert : Il se trouve que c’est le mien. Ma mère l’adorait apparemment.

Alice : C’est pas mal… (un silence) En y réfléchissant, il est canon ce prénom. Ah oui vachement classe, c’est bath… (il la regarde) désolée… Colbert donc, vous venez d’où Colbert ?

Colbert : Là, tout de suite, par rapport à vous, je serais tenté de vous dire : « Je viens de quand », plutôt.

Alice : De la ville de Caen. Tiens donc.

Colbert : Arrêtez de faire du Devos s’il vous plait.

Alice : Moi je fais du Devos ?

Colbert : A quelle heure part le car pour Caen ? – pour où ?– Pour Caen !…

Alice : Ah ben je ne peux pas vous dire « quand » si je ne sais pas « où ».

Ils rient

Colbert : Vous connaissez !

Alice : Il est passé au grand échiquier la semaine dernière. Bon admettons, vous venez de quand… enfin de quelle date ?

Colbert : Je viens de quelques années dans le futur apparemment…

Alice : Oui ça je l’avais compris. Par exemple, Devos est encore célèbre dans votre futur ?

Colbert : Ce serait plutôt votre futur à vous puisque c’est mon présent. Oui Devos est célèbre… sauf qu’il est mort !

Alice : C’est gai ! Comme Mitterrand alors !

Colbert : Il y en a un paquet qui sont morts dans mon futur, vous savez.

Alice : Vous m’avez dit venir de 1985… 11 ans dans le futur ce n’est pas tant que ça. Il y a eu une extinction massive chez les vedettes ?

Colbert : A mon époque on en dit plus « vedettes », on dit « people ».

Alice : Mais vous venez bien de 1985 ?

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1974 – Jean-Paul Le Guénic

Œuvre protégée Page 11

Colbert : Non ce n’est pas moi, c’est Marty qui vient de 85.

Alice : Oui mais vous m’avez bien dit être Marty aussi ?

Colbert : Oui mais ça c’était au début, pour vous tester. Maintenant je suis Colbert…

Alice : Et c’est Colbert qui sait que Mitterrand est mort en 1996, donc !

Colbert : Le 8 janvier.

Alice : Donc… laissez-moi deux secondes ! Vous venez de 85 en tant que Marty et de 96 en tant que Colbert, c’est ça ? (un silence) Je dois vous avouer que tout cela n’est pas très cohérent et pour tout dire, légèrement, très légèrement… confusant.

Colbert : C’est le moins que l’on puisse dire… Vous me prenez pour un dingue, c’est ça ? Allez…dites-moi que vous êtes une actrice… pour la caméra cachée…Allez !

Alice : Non je suis journaliste au Parisien…

Colbert : Libéré, je sais.

Alice : Et en tant que journaliste, je me dois de vous poser la question !

Colbert : Vous n’en avez qu’une ?

Alice : (souriant) Qui va gagner la présidentielle qui se déroulera dimanche prochain ? Vous devez le savoir vous, l’homme du futur. (elle rit)

Colbert :. (il sourit) Giscard… de peu. Il fera moins de 51%. Chirac sera 1er ministre puis après il y aura Barre.

Alice : Barre… l’économiste ? Ce n’est pas un politique, c’est un intellectuel.

Colbert : Ca le deviendra. Mais Giscard sera quand même battu en 81 par Mitterrand.

Alice : La gauche au pouvoir, votre délire a de l’imagination.

Colbert : J’ai de la mémoire et des souvenirs, même si c’est un peu flou. J’avais 6 ans.

Alice : Attendez, vous aurez 6 ans en 81… vous naitrez en 1975 donc ? (elle sourit)

Colbert : En décembre 74 pour être précis.

Alice : (elle redevient sérieuse) Ah…décembre de cette année, vous êtes sûr ?

Colbert : Oui, c’est à peu près la seule chose dont je sois sûr…

Alice : (elle le dévisage) Et vous venez de quelle époque alors ?

Colbert : De 2014 ! Je vais bientôt fêter mes quarante ans.

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1974 – Jean-Paul Le Guénic

Œuvre protégée Page 12

Alice : (le fixant un long moment puis éclate de rire) Alors là, je veux bien faire quelques efforts mais même avec de l’imagination… Un moment j’ai douté, surtout par rapport à votre date de naissance mais là…

Colbert : Eh bien quoi… 1985 ou 2014, il n’y a pas de différence si vous admettez que je voyage dans le temps.

Alice : Mais en 2014 mon bon monsieur, tout le monde sera en combinaison d’aluminium et se déplacera dans des voitures volantes… Or, je suis arrivée après vous et en entrant, je n’en ai vu aucune garée devant le cabinet. Vous me parlez d’une époque qui se situe 14 ans après l’an 2000, 14 ans après l’an 2000… Déjà l’an 2000, vous vous rendez compte ? Vous, vous êtes juste normal… Effectivement vous n’êtes pas très à la mode mais vous êtes un homme du XXe siècle, ni plus ni moins. Bon, si on arrêtait la mascarade !

Colbert : Vous ne me croyez pas… C’est bien normal… Moi-même j’ai bien du mal à me croire… Ca commence à me rendre dingue d’ailleurs. Et pourtant je viens apparemment de voyager dans le temps. Waoow ! Dans un monde où je ne suis même pas né.

Alice : Techniquement on voyage tous dans le temps. Chaque seconde qui passe nous projette d’une seconde dans le futur. Le temps de le dire j’ai voyagé de 4 secondes dans le temps. Le problème avec vous c’est que vous voyagez plus vite et dans l’autre sens…

Colbert : Vous avez raison, c’est à peine croyable.

Alice : Je ne vous le fais pas dire… Je dirai même que ce n’est pas croyable du tout. Donc comme ce n’est pas croyable, eh bien moi, je ne vous crois pas.

Colbert : A moins que, ce soit vous qui avez voyagé dans l’avenir. Vous auriez fait un bond en avant de 40 ans.

Alice : Vous êtes vraiment marteau ou vous le faites exprès ? J’ai déjà eu du mal à supporter les 6h40 du Paris-Marseille la semaine dernière avec Valery et les autres journalistes.

Colbert : Eh bien justement, bienvenue dans l’avenir. Il ne faut plus que 3 heures pour faire Paris-Marseille par le train.

Alice : Sur des rails ?

Colbert : Sur des rails. Il roule à 300 à l’heure.

Alice : (Elle rit) Pfff ! C’est vous qui déraillez !

Colbert : (dépité) Et pourtant, je vous jure que c’est la vérité… ça s’appelle le TGV.

Un homme entre en jouant du tac tac

Colbert : Vous venez d’où, vous ?

Darry : J’ai rendez-vous à 11h00 avec le Dr Dupuy.

Colbert : Lequel ?

Darry : Comment ça lequel ?

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1974 – Jean-Paul Le Guénic

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Colbert : C’est un Philippe de 50 ans de 2014 ou un Jacques de 40 ans de 74 ?

Darry : Ce serait plutôt un Jacques de 40 ans. Ca va vous ?

Alice : (triomphante) Ah ça fait du bien d’être normale ! Monsieur… ?

Darry : Darry… Je suis le mage Darry, je suis voyant, voici ma carte. (il la tend à Alice)

Noir + musique

Scène 3 : Histoire ou prédictions

Colbert : Bon sang, un voyant maintenant. C’est n’importe quoi !

Alice : Darry, vous avez regardé quoi hier à la télé ?

Darry : Pardon mais vous posez toujours autant de questions comme ça ?

Colbert : C’est une journaliste ! Elle s’appelle Alice.

Darry : Une journaliste ? Une vraie journaliste ?

Colbert : Elle a une carte de presse si c’est ça la question.

Darry : (un peu précieux, se recoiffant) C’est pour une interview ?

Alice : Si vous voulez ! Alors Darry, vous avez regardé quoi hier à la télé ?

Darry : (se recoiffant) Le débat, voyons… Enfin quand je dis « voyons »… Quand un voyant dit « voyons », c’est une façon de parler sauf évidemment s’il invite un client à visualiser son avenir… Alors là évidemment, ça devient une consultation.

Alice et Colbert se regardent l’air perplexe

Colbert : Bon ça va… Je suis chez les oufs ! Il faut que je sorte de là…

Darry : Les oufs ?

Colbert : (cherchant à sortir) Les fous, c’est du verlan ! J’ai du pousser la mauvaise porte.

Alice : Je crois que non au contraire, vous êtes chez un bon médecin. Ce n’est rien, Mart… Colbert, il n’y a pas mort d’homme, tout le monde peut avoir un petit coup de mou ou une absence. La vôtre est juste un peu spectaculaire, c’est tout. Vous allez en parler à Dupuy, il vous orientera vers un bon spécialiste. (elle regarde Darry en montrant Colbert avec compassion)

Colbert : Je n’ai pas de petit coup de mou, ni d’absence. Ce n’est pas moi qui suis fou ! Je viens de 2014, vous ressemblez à ma mère et l’autre est un voyant gay ultra voyant ! (un silence) je veux dire un voyant qui se voit de loin !

Darry : J’ai un style coloré, c’est tout… Mon surnom, c’est Ziggy Stardust, le personnage du jeune David Bowie. Vous connaissez ? Et oui, je suis très gai. C’est un vrai bonheur d’être

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moi si vous voulez tout savoir ! J’ai la gaieté chevillée au corps et il vrai que le simple fait de vivre m’émerveille ! C’est un choix !

Colbert : Quand je dis gay, je ne parle pas de ça… je parle de… (il regarde les deux autres en faisant des gestes) Vous comprenez ?

Darry : Non !

Alice : Non !

Colbert : (à Darry) Je parle de vos préférences, de votre inclination, de votre penchant. Vous êtes homo, vous êtes gay. Le côté précieux du mec qui a toujours un rhume… C’est pas grave, c’est juste un constat par rapport à cette situation là…

Alice : Mais ça va pas non ?

Colbert : C’est bon ! Je suis tombé dans le pays d’Alice et de l’autre là qui s’émerveille ! Il ne manque que Roger Rabbit en redingote. Comment voulez-vous que ça aille ?

Silence - Darry regarde le sol

Darry : (visage dur) Souvent les gens disent pédé tantouze ou lopette ! La plupart se fichent de nous, ils sont simplement moqueurs mais d’autres… d’autres nous pourchassent car nous sommes anormaux et toxiques. L’homosexualité est considérée comme une maladie mentale en France vous le savez ça, Monsieur ? On la confond même avec la pédérastie ! Si l’envie me prend de me promener main dans la main avec mon petit ami dans la rue, je peux être arrêté pour outrage public à la pudeur ! Etre homosexuel aujourd’hui, Monsieur, est plus difficile qu’au siècle des lumières. Nos parents nous rejettent, les hétéros nous contournent et il faut s’appeler Jacques Chazot pour être simplement toléré. (un silence) Et vous trouvez ça gai vous ? Gai, gai, gai ? Non, ce n’est pas le mot ! Les homos sont tristes monsieur, tristes, pas gais ! Alors moi dans cette France de de Gaulle et Pompidou, que 68 n’a égratigné qu’en surface, pour contrer tous les cons j’ai décidé d’être pour ! Pour la révolution sexuelle, pour l’affirmation de soi et de sa différence. Alors je cultive l’art du joyeux, de la légèreté, de la couleur, car j’ai la chance d’être aimé, monsieur, par un homme qui me désire et qui m’espère chaque jour et surtout chaque nuit. Croyez moi, beaucoup d’hétéros n’ont pas cette chance ! Mais je reste une exception. Les gens comme moi se cachent, masquent qui ils sont. La plupart sont mal dans leur peau, tristes, monsieur, tristes, pas gais !

Colbert : (gêné) Pardon Darry… Dans mon monde, vous savez, gay s’écrit aussi avec un « Y », et ça, ça change tout ! C’est un synonyme d’homosexuel. Ça vient de l’anglais, c’est admis et c’est même devenu une culture. C’est plutôt positif, non ?

Darry : Votre monde ? Et il est où votre monde. Au pays des merveilles ?

Colbert : Non, il est partout, là, ici, encore là… Il suffit juste d’attendre une petite quarantaine d’années. Avec Dupuy, ça ne devrait pas être trop difficile. Vous verrez, passeront les Village people, les coming-out de personnalités publiques, il y aura même un maire de Paris gay dans les années 2000.

Alice : Mais Paris n’a pas de maire.

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Colbert : Je vous jure que si, à partir de 77. Dans mon monde, les gays pourront s’unir. Ca s’appellera le mariage pour tous. Tout le monde ne sera pas d’accord mais la loi sera de votre côté. Sa figure de proue sera une femme ministre, noire.

Darry : Une femme ministre noire qui marie des pédés ! En France ? On nage en plein délire. Pourquoi ne pas imaginer l’âge de la majorité à 18 ans ou l’abolition de la peine de mort pendant que vous y êtes ! Ou tiens, pire… pire… la fin du paquebot « France ». Mais ça n’arrivera jamais, c’est un voyant qui vous le dit !

Alice : Vous osez suggérer qu’en à peine 40 ans, les homosexuels passeront, pardon Darry, d’un statut de malades mentaux à chargés de famille. Ca, il fallait vraiment y penser. Vous devriez écrire un bouquin. J’aimerai bien vous croire mais je vous fiche mon billet que les martiens débarqueront sur Terre avant qu’un pédé, pardon Darry, qu’un « Gay » se marie en France ! Vous ne voulez pas cent balles et un mars en plus ?

Colbert : Laissez-vous porter Alice ! Faites comme moi en ce moment ! Je suis en face du sosie de ma mère et quand je dis sosie, c’est juste la seule façon que j’ai trouvé pour avoir l’illusion que tout ça a un sens et que je ne suis pas fou ! Si ça se trouve, vous n’êtes même pas son sosie… vous êtes juste « elle ».

Alice : Stop, Colbert, stop ! (un silence) Vous n’avez jamais connu votre mère !

Colbert : Il reste des photos, des films super 8 et des extraits télé.

Alice : Désolée, je ne suis jamais passé à la télé !

Colbert : Pas encore, mais ça devrait arriver au printemps prochain. Comme vous, ma mère était au service politique du Parisien Libéré. Comme vous, elle couvrait la campagne de Giscard en 74. Comme vous, elle incarnait la trentaine fringante, libérée et féministe. Génération Gisèle Halimi. (scandant) Ce n’est qu’un début…

Alice : (scandant) Continuons le combat !

Colbert : Vous lui ressemblez je vous dis, et vous avez la même voix. Ou alors votre caméra cachée…

Alice : Invisible.

Colbert : Soit votre caméra est vraiment extraordinaire tellement elle est cachée et tellement elle est précise dans la reconstitution, soit ça devient carrément super flippant !

Alice : Super flippant ?

Darry : (vers Alice) Super flippant ! (vers Colbert) Super flippant ?

Colbert : Effrayant… angoissant.

Alice : “Super flippant”. C’est bath comme expression “super flippant”, hein Darry ?

Darry : Oui c’est in, sensass…

Alice : Comme expression, c’est super, « super flippant » !

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Colbert : (découragé) Je ne vous le fais pas dire.

Alice : (le consolant) Dites-moi quand même, dans cette histoire, comment va faire Valéry pour perdre en 81 ?

Colbert : Il sera confronté à la crise, l’inflation et le chômage, le deuxième choc pétrolier de 79. La fin des trente glorieuses. Il n’a pas eu de bol.

Alice : Allons bon, les trente glorieuses maintenant.

Darry : (actionnant son tac tac) Trente danseuses de french cancan qui cherchent la gloire… enfin c’est ce que je vois.

Colbert : C’est comme ça que seront appelées dans votre futur et dans mon passé, les années de croissance 45-75. Ensuite il y aura la crise, le chômage, le divorce entre Johnny et Sylvie…

Darry se fige et fixe Colbert

Alice : Mais oui, c’est ça, j’ai compris vous êtes une sorte de prédicateur… vous annoncez la fin du monde pour que les gens vous donnent du fric…Très peu pour moi. Vade Rétro Jéhovah. C’est bien votre mouvement qui annonce la fin du monde en 75.

Colbert : Je ne fais ni prédication, ni prédiction, je fais de l’histoire.

Darry : Pardon excusez-moi, mais vous êtes un peu voyant quand même ? (montrant le corps de Colbert) Enfin pas voyant au sens…car vous êtes plutôt sobre, voir même un peu foncé (montrant la tête) mais voyant, médium, vous voyez ? Vos trucs sur les gays, la ministre noire et la caméra invisible c’est que vous êtes voyant ? Alors, moi j’ai une question à propos du divorce de Johnny et Sylvie…

Colbert : Je suis historien.

Darry : Mais pourquoi vous faites de la voyance alors ?

Colbert : Mais ce n‘est pas de la voyance ! L’avenir pour quelqu’un du futur peut être du passé… (Darry est perdu) Si ce futur se situe plus loin dans l’avenir (Darry est hébété). Vous comprenez ?

Darry : Non… je crois que non. En même temps, vous n’êtes pas très clair !

Colbert : Vous l’avez dit vous-même, je suis foncé !

Alice : (à Colbert) Ne noyez pas le poisson ! Vous êtes un affabulateur qui se prend pour un gourou !

Colbert : Et vous, vous me courrez sur le haricot !

Darry : Il n’y a pas de honte à voir l’avenir bien au contraire… d’autant que j’aime bien sa vision des gays. Je pense que le problème de ce monsieur, ce n’est pas qu’il voit l’avenir, c’est qu’il pense être l’avenir. Il se prend pour un prophète ! Et ça, ça c’est dangereux !

Colbert : Vous, le petit médium, on ne vous a pas sonné.

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Darry : Eh bien c’est dommage car je suis un grand médium au contraire…

Colbert : (désignant plusieurs hauteurs) Grand, médium, petit… (il fixe sa main entre petit et médium) petit médium.

Darry : (il s’écarte) Il a carrément craqué son slip celui-là.

Colbert : Qu’est ce qu’il dit ?

Alice : Vous l’avez vexé, je crois.

Colbert : Je rêve, je suis perdu dans le temps et c’est lui qui est vexé ? Qu’il se taise, qu’il se taise sinon je vais vraiment craquer, là !!!

Alice : (à Darry) Si vous pouviez la mettre en veilleuse, Darry… Marty est perturbé.

Colbert : Je m’appelle Colbert, pas Marty ! Marty c’était juste comme ça pour vous faire réagir.

Darry : (montrant Colbert, l’air compassé) Bien compris chère madame. (il s’écarte et s’intéresse à la discussion de loin) On frise la discrimination des minorités, une fois de plus, mais comme d’habitude, je ne dis rien, j’encaisse. De quoi puis-je me plaindre ? En plus de pédé, je pourrais être femme, noir, kurde ou auvergnat, indien d’Amérique ou encore canadien francophone… Vive le Québec libre !

Alice : Vous avez fini Darry ?

Darry : Je crois que oui.

Alice : Bien. (à Colbert) Et vous, comment vous auriez fait ? (un silence) Pour voyager dans le temps, comment vous auriez fait ?

Colbert : Je l’ignore… (il réfléchit) Je suis allé voir le médecin.

Alice : Oui, ça ne m’avait pas échappé. Et c’est dans la salle d’attente que ça a commencé… je veux dire votre voyage ?

Darry : C’est vrai que dans la salle d’attente de Dupuy, on attend ! On attend tellement que si on n’y prend pas garde, on voyage dans le temps. Les cheveux poussent ou tombent selon l’âge des patients, les rides apparaissent. Il y en a qui ont tellement attendu qu’ils sont passés direct de la pédiatrie à la gériatrie, dans la salle d’attente du Docteur Dupuy !

Colbert : Attendez justement, il s’est passé un truc…Les lumières ont clignoté quand je suis entré…

Alice : Peut-être votre avion personnel quand vous vous êtes posé…Votre DeLorean, elle vole ?

Colbert : Ce n’est pas la mienne, c’est celle de Marty et elle ne vole que dans le 2e film.

Darry : Ah, donc on tourne un film, je me disais aussi.

Alice : Je ne comprends rien.

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Colbert : S’il vous plait, je suis sérieux. J’ai lu des trucs sur la théorie des cordes, les trous de ver dans l’univers.

Alice : Mais bien sûr… C’est évident… les trous de ver dans l‘univers… j’allais vous en parler.

Colbert : Si, si, regardez ! (il prend une nappe sur la petite table et fait ressortir deux dômes puis les rapproche). Voilà…ça c’est le sens du temps, d’accord ? Une singularité… cette bosse là, c’est 1974, celle là 2014… on les rapproche et là elles se touchent… Le trou de ver créé le même espace dans deux époques différentes…alors que le reste du temps, on est justement dans le même temps mais dans des espaces différents.

Darry : On n’est quand même pas venu là pour plier des serviettes.

Alice : Et ce que vous faites avec une nappe, il faudrait le faire avec…

Colbert : L’univers.

Alice : Mais alors bien sûr… Pourquoi on se gênerait ? L’univers en gros c’est une nappe en un peu plus grand… Ca y est, je sais !

Colbert : Vous savez quoi ?

Alice : (Diction rapide et s’énervant progressivement) Vous venez du milieu psychédélique, vous êtes un hippie à cheveux courts à la recherche de nouvelles perceptions sensorielles… Un mélange flowers powers avec H.G Wells et Jehovah… Peace and love, cool Raoul, relax Max… On prend du LSD, on fume un pétard au volant d’un combi Volkswagen vert et rose pour faire du time travel, pour être le premier à dénoncer la fin du monde causée par la connerie humaine à travers les âges. En fait vous ne croyez pas à l’avenir, alors vous le salissez. Vous êtes un pessimiste et vous n’avez plus de rêve, vous fuyez la réalité plutôt que d’y participer… A bas les politiques, l’autorité, la République, la société de consommation, Jacques et le haricot magique et vive l’anarchie, la liberté, Le Larzac et Woodstock ! Woodstock !!!! (elle est essoufflée)

Colbert : Hé, ho, je ne fais pas tout ça, je voyage juste dans le temps.

Darry : Si je peux me permettre, je pense que le rayonnement cosmique est une réalité. Moi par exemple, je reçois des messages du futur. Je suis pour ainsi dire en connexion avec un espace–temps que ce monsieur, Marty…

Colbert : Colbert…

Darry : Colbert ? Vous êtes sûr ? C’est un prénom Colbert ?

Colbert : Vous connaissez, Albert, Robert, Herbert, Hubert et Gilbert… Et bien maintenant il y a Colbert ! Continuez !

Darry : Je disais que je suis pour ainsi dire en connexion avec un espace–temps que …« Colbert » appelle « trou de ver ». Et pourquoi pas trou de ver au fond, un trou de ver qui me montre ce que sera l’avenir… Un peu comme on prédit les déplacements des planètes et des étoiles, on peut prédire des événements si l’on sait lire le cosmos. Enfin quand je dis lire, comprenez moi, le cosmos n’est pas un livre à proprement parler, ce serait plutôt une image qui devrait s’interpréter comme une carte météo avec des mouvements… (interrompu)

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Alice : Oh Darry, Darry… cool ! Eh ben, j’ai bien fait de me lever moi ce matin. Ca aurait été dommage de ne pas croiser ces deux énergumènes.

Darry : Sceptique maintenant vous êtes ma jeune amie, convaincue bientôt vous serez.

Colbert : Vous avez déjà rencontré Maitre Yoda, vous ?

Darry : Maitre Yoda vous dites ?

Colbert : Non laissez tomber, c’est Star Wars, ça sortira en 77.

Alice : Comme le maire de Paris, en 77, c’est ça ? Vous fumez, Colbert !

Colbert : En 2014, c’est trop cher et interdit partout.

Alice : Ce n’est pas une question ! Vous fumez trop, vous tirez trop dessus…les pétards, les joints…ça vous donne des hallucinations… (il fait le geste de tirer sur un pétard).

Colbert : Trop cher, je vous dis !

Alice : Trop cher vous dites ? Dans votre monde imaginaire de 2014 par exemple, c’est combien le paquet de Gauloises ?

Colbert : Demandez à Monsieur Soleil.

Alice : (à Darry) Vous avez une idée par rapport à ce que dit le cosmos sur le prix des clopes en 2014, vous ?

Darry : En 2014 vous dites… C’est 14 ans après l’an 2000, vous vous rendez compte… C’est loin. (il fait du tac tac) Je ne suis pas sûr que les humains, au stade de développement où ils en seront, éprouvent encore le besoin de fumer au sens où nous l’entendons. (il fait du bruit avec son tac tac)

Alice : Silence on ne s’entend plus ! Arrêtez avec ces boules s’il vous plait Darry.

Darry : Mais je lis en elles. Si vous voulez que je vous dise le juste prix…

Alice : Vous lisez l’avenir dans vos boules ?

Darry : Je suis un grand médium contrairement à ce que certains pensent… Je vois un chiffre qui clignote dans ma tête… fois 3, fois 3… (il arrête le tac tac et scrute les boules). Le prix des cigarettes sera multiplié par 3.

Colbert fait signe à Darry de monter le chiffre plusieurs fois de suite avec sa main.

Darry : par 4 ?… Quoi par 5 ? 6 ? D’accord, Je vois un chiffre qui clignote dans ma tête… fois 6, fois 6… Le prix des cigarettes sera multiplié par 6.

Colbert : Il faut réajuster votre rayon cosmique, mon cher Darry, les blondes sont à 7 euros en 2014.

Darry : Vous parlez toujours de cigarettes ?

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Alice : Euros ?

Colbert : Oui on est passé à l’euro en 2002. C’est la monnaie européenne.

Alice : Tiens donc… Et ça fait combien en francs ?

Colbert : Vous multipliez par 6,5.

Darry : Je vous l’avais dit, fois 6, fois 6…

Alice : (elle calcule) Plus de 45 francs… (elle rit) vous êtes vraiment malade vous ! Les Gauloises sont à 200 balles aujourd’hui. 2 francs, nouveaux. Multiplié par plus de 20 à votre époque…

Colbert : Le tabac fait des ravages et on l’a taxé de plus en plus à partir des années 80.

Alice : La nocivité du tabac reste encore à démontrer cher monsieur. Vérifiez auprès de Dupuy !

Colbert : A mon époque, non. Il n’y a aucun doute. Ca donne le cancer ! Et vous, vous fumez ?

Alice : (irritée) Oui, d’ailleurs, si Dupuy tarde trop, je vais m’en griller une quoique vous pensiez.

Darry : (défiant Colbert) Je vous accompagnerai car je n’ai pas de feu !

Un silence

Colbert : Darry, comment voyez-vous le monde de 2014 ?

Darry : Vous voulez que je vous dise comment sera le monde en 2014 ? C’est ça ?

Colbert : Oui, tout juste.

Darry : Eh bien, (il actionne son tac tac et retourne les boules pour les scruter fixement) Eh bien je vois… je vois un monde sans pollution. La mode sera plutôt sur de la combinaison en argent qui captureront les rayons du soleil pour produire un chauffage individuel. Une technologie mise au point grâce au voyage vers Mars à partir de 2005 sensé lutter contre le refroidissement de la planète, une nouvelle ère glaciaire se prépare. On pourra commander son téléviseur à distance, les voitures seront sur coussins d’air et les trains aussi.

Colbert : Combien de temps entre Paris et Marseille ?

Darry : Attendez (il actionne son tac tac et retourne les boules pour les scruter fixement) Eh bien, Paris-Marseille en…Combien met on aujourd’hui ?

Alice : 6h40 !

Darry : Attendez… en 2014, mes boules disent la moitié…3h20.

Colbert : Presque ! Et au niveau politique ?

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Darry : C’est compliqué mais….(il actionne son tac tac et retourne les boules pour les scruter fixement) En France… 6e république en l’an 2000. (un silence) L’Europe des neuf, sera l’Europe des 15 oui j’ai bien dit des 15 ! Et il y aura un… (comme si il entendait des voix) ah bon ! Un noir à la maison blanche… qui pour le coup portera mal son nom. (il rit puis se fige) non, ce n’est pas raciste, car je suis moi-même une minorité, je vous rappelle. Mais c’était à cause de la couleur… sachant qu’on dit d’un noir que c’est un homme de couleur, ce qui est faux parce que le noir n’en est pas une, couleur je veux dire ! C’est comme le blanc, ce n’en est pas une non plus et d’ailleurs quand on dit d’un homme qu’il est blanc, il n’est pas blanc mais plutôt beige chêne clair sauf évidemment l’été s’il bronze alors là évidemment… (interrompu)

Alice : Il est bloqué là !

Colbert : (tapant du pied) Stop Darry !!! (un silence - Darry est essoufflé)

Darry : C’est pour ça que je viens voir le Dr Dupuy… Parfois je m’emballe, je m’emballe et en consultation, ça fait fuir le client.

Colbert : Ok Darry… Vous avez raison.

Darry : Raison ?

Colbert : On télécommandera sa télé et il y aura bien un noir à la maison blanche. (un silence)

Alice : Et Nixon ?

Colbert : Il démissionnera au début du mois d’août de cette année. Le 8 ou 9 quelque chose comme ça !

Darry : (actionne son tac tac) Attendez, je vais…

Alice : Stop Darry… Stop… (à Colbert) Entre le Vietnam et le Watergate, c’est plausible. Il n’est pas nécessaire de venir du futur pour affirmer cela. Sauf qu’il y a une faille dans votre petit jeu qui prouve que vous ne venez pas du futur.

Colbert : J’aimerais bien la connaître cette faille, parce que franchement ça m’arrangerait qu’il y en ait une, de faille. Si ça concerne le tabac, je vous jure que c’est nocif.

Alice : Vous venez de 2014, c’est bien cela ? Comment connaissez-vous aussi précisément les dates des événements que soi-disant vous relatez… La démission de Nixon le 8 ou 9 août 74, c’est comme si moi je me souvenais du jour exact d’un événement international quarante ans plus tôt… en 1934 donc. Vous balancez des dates au hasard. Vous êtes trop précis pour être honnête.

Colbert : Je ne suis pas trop précis, je suis historien.

Darry : (suspicieux) Puisque vous êtes si fort, parlez-nous du Front populaire en 34 alors.

Alice : Le Front populaire, c’était en 36, Darry !

Darry : Ah oui ? Vous êtes sûre ? En même temps je suis plus doué pour l’avenir que pour le passé.

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Alice : Vous là l’historien… Vous n’aurez donc pas de mal à répondre à quelques questions. En 34… voyons… tiens, il y a eu la nuit des longs couteaux en 34. Hitler fait le ménage chez ses amis S.A.

Darry : L’année des jeux Olympiques de Berlin !

Un silence

Alice : Non, Berlin c’était en 36, aussi.

Darry : Ah ? Comme le Front populaire alors.

Alice : C’est ça Darry… C’est ça !

Colbert : Les assassinats ont commencé dans la nuit du 29 au 30 juin 34.

Alice : Ouais… les longs couteaux c’était bien en juin enfin je crois… 29-30 vous dites ? Darry, ça vous dit quelque chose la nuit des longs couteaux ? (Darry actionne son tac tac) Mais pourquoi vous actionner vos boules. C’est du passé, pas de l’avenir !

Darry : Vous avez raison. De toute façon, je suis contre les armes blanches. D’ailleurs quand on dit armes blanches, on devrait plutôt dire à lame luisante. Vous savez que « blanc » en ancien français désignait tout ce qui brille et que… (interrompu)

Alice : Et l’affaire Stavisky. Le film de Belmondo sort mercredi prochain, le 15 mai… C’était quand en 34 ? Je suis journaliste, j’ai vu le film en projection privée, je me souviens de tout.

Colbert : Je vous jure que je suis historien.

Alice : Alors, à quelle date est sortie l’affaire ?

Colbert : Je n’ai pas le jour précis en tête, il faut que je réfléchisse.

Alice : Ah vous voyez…

Colbert : Mais je sais que c’était en janvier 34, les flics on retrouvé le corps de Stavisky à Chamonix dans un chalet sous la neige… (il réfléchit) voyons… début janvier 34… le 8 je crois, le 8 janvier. Bon sang, Stavisky est mort le même jour que Mitterrand !

Alice : Ne m’embrouillez pas, ne m’embrouillez pas…

Darry : Quoi, Mitterrand est mort ? C’est pas vrai !

Colbert : Si je voulais vous embrouiller, je vous dirai que les américains vont élire un acteur comme Président en 80, que dans les années 90 le mur de Berlin s’écroule, que l’URSS s’effondre sans un coup de feu et que dans la foulée l’Allemagne se réunifie. Et tiens, la France est championne du monde de foot en 98.

Darry : La France, championne du monde de football ?

Alice : L’URSS s’effondre et le mur de Berlin s’écroule… Tout ça sans le moindre coup de feu ? (elle rit) Alors ça c’est un scoop ! Depuis un mois, Pompidou est mort, Golda Meir a été renversée, Willy Brandt a démissionné, la chambre des députés anglais est dissoute, Il y

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a une révolution au Portugal pendant que les italiens font un référendum pour savoir s’ils maintiennent le divorce, tout ça sans parler de Nixon, et selon vous, c’est l’URSS qui va s’effondrer ? Brejnev est un roc !

Darry : Quant à la France championne du monde, ils ne sont même pas qualifiés cette année en RFA !

Colbert : Il n’y aura plus de guerre froide, plus de bloc est-ouest à proprement parler mais une putain de nouvelle ère commencera le 11 septembre 2001.

Alice : Le 11 septembre 2001 ! La troisième guerre mondiale ? Une guerre atomique ?

Colbert : Non, il n’y aura plus de confrontation est-ouest je vous dis !

Darry : Alors qu’est ce qui se passe le 11 septembre 2001 ? C’est le départ de l’Odyssée de l’espace ? (il rit puis un silence) Vous n’avez pas vu le film de Kubrick, vous !

Colbert : Non, en fait ce sera des… (interrompu)

Alice : Non, ne dites rien Colbert, je ne veux pas connaitre l’avenir.

Colbert : Vous ne voulez pas connaitre l’avenir… Ca veut dire que vous me croyez un peu alors ?

Alice : Je ne sais pas.

Colbert : Vous avez raison de ne pas savoir… A mon époque, on est tous des Sim’s qui ont des copains virtuels sur facebook, qui tweete à mort des trucs dont tout le monde se fout et il suffit de taper n’importe quel mot sur Google pour avoir…

Alice : Google ?

Darry : Voyons…Google ! (il actionne son tac tac)

Colbert : Un moteur de recherche !

Alice : Mais, c’est quoi un moteur de recherche ?

Darry : (retourne les boules pour les scruter fixement) Je vois le moteur, je vois la recherche mais je ne vois pas le moteur de recherche !!!

Colbert : Des algorithmes informatiques qui indexent et trouvent les meilleures occurrences… Bon, les occurrences, ce sont des milliards d’informations en temps réel grâce à internet. (elle le regarde perdue) Bon, Internet c’est un réseau informatique mondial, accessible à tout le monde… vous y trouvez des textes, des photos, de vidéos, des logiciels. (elle le regarde perdue) Bon, les logiciels ce sont des programmes informatiques qui permettent… (interrompu)

Alice : Stop ! Stop !!! Qu’est ce qui vous arrive à utiliser des mots comme ça ? Vous avez fini oui ? Enfin Marty, ça ne va pas ? Des vidéos, des photos, vous vous rendez compte le volume de pellicule que ça nécessiterait…Vous délirez là !

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Colbert : Non je raconte !!! Et moi c’est Colbert ! (il crie) Vous ne comprenez pas ? Tout est numérique aujourd’hui ! Le code PIN de votre téléphone est plus important que votre carte d’identité.

Alice : Restez poli !

Darry : Le code pine, enfin Colbert… le code pine… comme si vous pouviez téléphoner avec votre pénis !

Colbert : Mais c’est pour vous connecter, bordel ! Il n’y a plus de disque, plus de pellicule, plus de cassette ! Il vous faut juste une connexion au grand réseau mondial ! C’est ça la révolution du futur, c’est pas les combinaisons en aluminium, ni les voiture volantes ! Et je ne sais toujours pas ce que je fous ici ! (un silence) Pardon excusez-moi. C’est hallucinant ce qu’il m’arrive.

Alice : Vous êtes halluciné, je confirme…C’est vrai que tout cela relativise la crise, le chômage, la fin des trente glorieuses. Allez, rassurez-vous on va tout faire pour que cela n’arrive pas.

Colbert : Mais c’est déjà arrivé.

Alice : Vous avez des preuves de ce que vous dites, je ne sais pas un livre d’histoire, un objet du futur, une encyclopédie universalis du XXIe siècle..

Colbert : (il montre son mobile) Je pourrais l’avoir sur mon smartphone… mais il est low bat. (un silence) Bon, ça veut dire batterie à plat. Et de toute façon le réseau n’existe pas encore… merde !!!

Alice : (elle lui prend des mains) On dirait ce nouveau truc Là… une calculette électronique. Il y en a une ou deux à la rédaction.

Colbert : Vous travaillez vraiment au Parisien alors ?

Alice : Libéré oui…

Colbert : A mon époque, il ne sera plus libéré, mais le canard sera toujours enchainé et Charlie hebdo surveillé par la police.

Alice : Fin de la liberté de la presse ? C’est quoi, une dictature en France ?

Colbert : Non défense de la liberté d’expression ! La police les protège contre des connards qui leur veulent du mal en attendant que ça se calme.

Alice : La police protégeant Charlie hebdo, on aura tout vu ! Vous avez vu leur « une » de la semaine dernière ? Valéry était fou !

Colbert : On s’en fout ! Votre année de naissance c’est 44 n’est ce pas ?

Alice : (troublée) Oui, le 19 juillet.

Colbert : Merde, ça cadre… Et où ?

Alice : C’est trop facile. Devinez !

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1974 – Jean-Paul Le Guénic

Œuvre protégée Page 25

Colbert : A Caen évidemment, la ville de Caen… Le jour de sa libération.

Alice : Comment vous savez ça ?

Colbert : Soit je suis le plus gros crétin de tous les temps qui se fait rouler dans la farine par une caméra cachée, soit nous sommes vraiment en 1974 et je suis votre fils qui naîtra à la fin de l‘année. C’est facile à savoir. Je suis né le 18 décembre donc grosso modo vous êtes tombée enceinte en mars et si on est le 11 mai, vous en êtes à… deux mois !

L’intégral fait 37 pages. Pour connaître la suite, merci de contacter l’auteur…

Jean-Paul le Guénic

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