l'enfant blu (jean-paul basly)

377
L 'enfant blu Uniquement réservé à ceux qui savent que les mères parlent le langage des oiseaux 1

Upload: sonia-rerat

Post on 02-Jul-2015

80 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

Page 1: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

L 'enfant blu

Uniquement réservé à ceux qui savent que les mères

parlent le langage des oiseaux

Jean Paul Basly

1

Page 2: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

2

Page 3: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

3

Page 4: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

4

Page 5: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

5

Page 6: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

" La vraie vie du désert n'est pas faite d'exode de tribus à la recherche d'une herbe à paître, mais du jeu qui s'y joue encore? Quelle différence de matière entre le sable soumis et l'autre ! Et n'en est-il pas ainsi pour tous les hommes ? En face de ce désert transfiguré je me souviens des jeux de mon enfance, du parc sombre et doré que nous avions peuplé de dieux, du royaume sans limites que nous tirions de ce kilomètre carré jamais entièrement connu, jamais entièrement fouillé. Nous formions une civilisation close, où les pas avaient un goût, où les choses avaient un sens qui n'étaient permis dans aucune autre. Que reste-t-il lorsque, devenu homme, on vit sous d'autres lois, du parc plein d'ombre de l'enfance, magique, glacé, brûlant, dont maintenant, lorsque l'on y revient, on longe avec une sorte de désespoir, de l'extérieur, le petit mur de pierres grises, s'étonnant de trouver fermée dans une enceinte aussi étroite, une province dont on avait fait son infini, et comprenant que dans cet infini on ne rentrera jamais plus, car c'est dans le jeu, et non dans le parc, qu'il faudrait rentrer.

Antoine de Saint-Exupéry ("Terre des hommes")

6

Page 7: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

7

Page 8: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

8

Page 9: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

9

Page 10: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La batteuse

Sans que jamais ne cessent de battre ses mâchoires, l'ogre dévorait depuis l'aube gerbes de blé, seigle ou avoine, que les servants, torse nu et en sueur, juchés sur ses épaules, jetaient en sa gueule grande ouverte. Entre les cuisses du monstre coulaient les déjections ambrées, graines effilées de l'avoine, graines plus rondes du blé, comme de bruissantes cataractes dans lesquelles, de temps à autre, la main calleuse d'un autre servant se glissait, recueillant cette pluie dense et la montrant alentours tel un trésor. Par saccades, sur le côté, d'un trou béant, surgissaient de cubiques rejets jaunâtres qu'encerclait prestement d'une ficelle une griffe à cinq doigts avant leur chute au sol de l'aire. Là, un autre batteur, d'un geste mécanique, maniant la fourche, s'en emparait les déposant sur les patientes charrettes qui, bientôt, s'ébranlaient, croulant sous l'amoncellement de paille. A l'avant de l'attelage, les boeufs roux ou blanchâtres, dont la marche apparemment tranquille hésitait cependant à chaque cahot du chemin, s'arcqueboutaient, mufles baissés vers le pas de leur maître....

Dans la torpeur caniculaire du jour qui s'avançait, la poussière peu à peu recouvrait tout, les silhouettes se faisaient floues, le repas pantagruelique se muait en ruée sauvage de moustiques en rut violant un crapaud gris semblant s'enfoncer dans la terre.

10

Page 11: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

11

Page 12: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les arbres fruitiers

Là, tout au début du chemin, côte a côte, deux immenses cerisiers, plus loin la haie du potager, par-dessus penchaient les branches aux pêches blanches, plus loin encore le mur clôturant le jardin derrière lequel ployaient les poiriers sous leurs fruits serrés. Passée la ferme et ses granges, le chemin continuait, à droite un prunier de Saint-Jean, à gauche un noyer qui mourut, hélas, un hiver. Entre les champs, entre deux haies, on marchait vers un pommier d'automne une petite vigne aux raisins dorés. Tout au bout on entrait, par un sentier ombreux, dans le bois où noisetiers et néfliers pullulaient cernés de vénérables chênes et opulents châtaigniers...Là, tout à la fin du chemin, les noisetiers de l'automne et les néfliers de l'hiver, là-bas, tout au début, les cerisiers du printemps...On marchait sur ce chemin ainsi qu'on parcourt les saisons, en s'étonnant toujours que la nature, sans effort ni erreur, retrouve immuablement ses sublimes atours, comme si, du temps, elle avait à jamais apprivoisé la sauvage errance, en se disant aussi qu'en observant nos pas, année après année, elle s'apitoyait sans doute, et versait quelques pleurs sur la laideur des jours qu'elle voyait, peu à peu, nous revêtir.

12

Page 13: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

13

Page 14: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les alouettes

Elles s'en venaient, par les premières brumes d'Octobre, en grappes hésitantes dont le vol saccadé hésitait entre champs de maïs décimés et prés jaunâtres, pour s'en aller aux semailles échues de Mars ou d'Avril, quand le blé en herbe transperçait à peine la terre, quand reverdissaient timidement les prairies.

Elles étaient les errantes des temps froids dont l'esprit paraissait veiller à ce que s'accomplisse encore et toujours l'oeuvre des hommes. Et lorsque, parfois, l'une d'entre elles immobilisait son vol sur le ciel plombé, il semblait que l'âme de la terre se figeait afin de mieux se contempler en son miroir.

14

Page 15: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

15

Page 16: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La Bouzigue

Une prairie grasse au tond d'un vallon, dominée par fougeraies et futaies, et que longeait un ru encaissé entre deux gorges, 1'humidité d'un versant couché vers le nord. Là, les vaches paissaient dans l'ombre étirée des soirs d'août alors qu'au sommet du coteau rasaient les feux de l'astre. L'écho des fermes lointaines montait avec le crépuscule, bêtes meuglantes vers l'étable, jappements brefs des chiens, voix courroucées des hommes.

Un arbre, pont de lierre et d'écorce, qu'avait couché la bourrasque en travers du fin ruisseau emprisonnait dans la profondeur des branches le monde des ombres et de l'écho, forteresse où je régnais en maître.

16

Page 17: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

17

Page 18: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le bouilleur de cru

Par les chemins de Janvier ou Février il s'en venait avec sa magnifique machine de cuivre rouge toute en dômes, colonnes et tubes, amoncellements de lignes, de circonvolutions inextricables, de courbes, spirales, torsades et vrilles autour d'un gigantesque ventre rond. Du bois flambait sous la chaudière, on emplissait sa gueule de vin blanc et l'on attendait qu'au bec de l'alambic larmoient, une à une, de fines gouttes claires. L'homme aux joues framboise les recueillait dans le fond d'un petit verre. Il les gouttait d'un geste lent et, alors que s'échappait de sa bouche comme un petit nuage bleu, sa langue claquait d'un air entendu ainsi que savent si bien le faire les puissants alchimistes chargés de faire, avec leur magnifique machine de cuivre rouge, l'Eau de Vie.

18

Page 19: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le frelon

Venant du jardin, il entrait parfois, l'été, lorsque la fenêtre était ouverte, comme un godelureau saoul de fruits et soleil s'infiltre la nuit venue dans une taverne, bredouillant et titubant, braillard et bedonnant, achevant sa virée nocturne sous la lueur d'un abat-jour. Et vous savez bien ce que sont ces adolescents un peu ivres, insolents et gêneurs, que leur danse et leur chant enivre plus encore et les pousse à penser que l'espace et le temps leur appartient, et que vous, les propriétaires, les nantis, les possédants, ils vous emmerdent ? Ainsi faisait le frelon, parfois les soirs d'été lorsque la fenêtre était ouverte, croyant entrer au cabaret du Tout Permis. Et vous savez bien, vous tous, ce qu'il advient bien souvent à ces insolents et irrespectueux jeunes fats ? Ils prennent, tôt ou tard, un coup de torchon, pas le premier s'ils sont malins, pas le deuxième s'ils entrent en fureur, mais ils prennent, tôt ou tard un bon coup de torchon, s'étalent dans la poussière et craquent sous le talon d'un nanti, d'un possédant, d'un propriétaire. C'est bien ce qu'il advenait, chaque été, un soir ou l'autre, aux frelons ivres venant du jardin.

19

Page 20: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les braconniers

Braver l'interdit, s'asseoir un tantinet sur la loi, gruger ses représentants était, pour le père et quelques voisins, aussi important sûrement que le butin procuré par le forfait. Ainsi de ces pêches aux filets tendus en travers de la rivière, ces rapines furtives que les garde-pêche traquaient par les chaleurs de Juillet à l'époque des basses eaux : les braconniers du Luy, en quelques minutes, se parlant à mi-voix, brouillaient l'eau bientôt couleur de terre où ablettes, goujons, aubours et cabots aveuglés tentaient ces fuites impossibles achevées la plupart du temps dans la nasse des filets. D'un habile mouvement tournant resserré vers la rive, on refermait le piège grouillant d'éclats d'argent pendant que moi, l'enfant, veillais à l'orée des chemins prêt à siffler doucement au vu de la silhouette lointaine d'un quelconque gardien de la loi.J'aimais ce rôle essentiel qui augurait des regards de fierté allumés en chaque visage, quand, le délit accompli, chacun des braconniers s'en retournerait par le chemin de terre vers le haut du coteau, avec son sac de jute empli de poissons tressautants.

20

Page 21: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

L'accordéon à la radio

Sur les airs virevoltants du bal musette, le dimanche matin vers les dix heures, ma mère préparait les vêtements pour la messe. Nous sentions le détachant, le fer à repasser et la brillantine, nous quittions Aimable, Vershueren et Azzola pour nous diriger, graves et droits, vers l'église. Nous passions ainsi, en peu de temps, d'une java frottante sur les bords de la Seine au Veni Créator solennel sous le regard blasé des apôtres de la Cène.

21

Page 22: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La grande armée

De sa main jaillissait une bille de verre, une agathe blanche torsadée de vert, et ses yeux suivaient fébrilement sa course. L'armée noire s'abattait par pans entiers, du capitaine, à l'avant, aux sous-officiers et aux hommes de troupes alignés en colonnes. Une saignée dans l'escadron, des corps amoncelés roulant encore le boulet de l'armée des rouges avait frappé. Se rendant coup pour coup, les deux blocs combattaient, en carré, en triangle, par petits groupes venant de face ou surgissant sur les flancs, jusqu'à l'arrière-garde et les renforts...Sur les carreaux ocres de la cuisine, près de l'âtre, avec les vieilles cartouches que son père lui donnait, l'enfant était, à Austerlitz ou Waterloo, tour à tour, Napoléon ou Wellington. Il épargnait toujours la vie d'un jeune sergent dont il avait aimé l'histoire à l'école, Cambronne qui, rescapé de toutes les batailles, gravissait peu à peu tous les échelons de la hiérarchie militaire jusqu'à se retrouver général et enfin Empereur.Sans favoritisme aucun, ou presque, uniquement par le fait du hasard, d'une bille qui roule, ainsi refait-on "l'Histoire" qui avait, il est vrai, un bien mauvais lanceur.

22

Page 23: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les chenets

Deux grosses gouttes d'or oblongues où la lampe foudroyait un soleil, deux grosses gouttes d'or de la taille de la main sur le gris de la plaque de fonte et sur le noir de l'âtre. Sur l'or, les fruits des saisons, les volcans et l'éclair, un incendie d'été, la fournaise des blés craquants au rythme des flammes qui dansaient, deux grenades de guerre, deux visages éblouis aussi...Entre le reflet immobile de la lampe et les illuminations scandées du feu, les regards s'enfouissaient pour se perdre...

Comme en l'étoile que regagnerait l'infime poussière errante dans l'infini, l'infime vie qui, obstinément, au delà du reflet, chercherait à rejoindre ce qui peut être.

23

Page 24: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le sport

Quand s'érigeaient ces jeux codifiés sur les prés verts, on pouvait voir là, sans doute, la nécessité d'instaurer sur ces espaces libres, où nos corps parfois semblaient se perdre, une privation, une contrainte que sais-je, un ordre qui ne serait point du règne de cette omniprésente nature en lequel naissances, semailles, récoltes, cueillettes. abattages, mort et vie, oscillaient entre les danses immuables des saisons, les caprices du temps et les fluctuations de la taille de la lune.Aussi sur le carré d'un champ, entre poteaux de bois que nos mains avaient taillés longuement, s'engageaient de féroces combats autour de balles et ballons de tout acabit, sur les chemins sinueux cavalcadaient les teignes sur leurs bicyclettes ainsi que forçats du Tour de France, contre le moindre mur claquaient les balles comme à Roland-Garros...

Chaque instant de liberté amenait ce jeu précis des corps que l'on enfermait dans les règles strictes du sport avec, en nos yeux, les modèles de ces nouveaux dieux, ces héros, ces champions auxquels on s'identifiait jusqu'à l'épuisement.

24

Page 25: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les chantres

Leur chant montait l'un après l'autre, couplet après couplet, du haut de la tribune au fond de l'église. Un fracas de cloche les recouvrait un instant, l'harmonium les relançait tour à tour alors qu'en bas les femmes aux timbres aigus se laissaient engloutir par ces sons graves et mâles comme soumises et dépendantes, comme plaintes étouffées d'esclaves que submergeraient les grondements dominateurs des affranchis. Le choeur résonnait bientôt comme un combat de voix une lutte d'influences où s'écouleraient paroles que personne n'écoute, attachés que seraient les gladiateurs à porter encore plus haut leur mélopée rugissante...Le premier coup du Sanctus sonné au clocher les réduisaient tous au silence.

25

Page 26: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les cartouches

Il s'asseyait à la table, le soir après le repas, et préparait ses munitions pour la chasse de l'aube. D'un léger coup de maillet il sertissait l'amorce, d'un dé a coudre empli jusqu'au bord il faisait couler le flot brun de la poudre, enfonçait une bourre d'étoupe par-dessus laquelle un nouveau dé, empli de plomb, s'égrenait comme pluie. Il finissait par clore la cartouche d'une fine rondelle de carton, puis l'installait dans la sertisseuse, minuscule ustensile de fer muni d'une manivelle. Il alignait ainsi une dizaine de cylindres de toutes les couleurs, bien dressés sur leur culot doré, pesant leur bon poids de mort

26

Page 27: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La chasse aux rats

Les viles canailles de l'ombre balançant, sur la poutre vermoulue d'un plafond noir, passaient telles les âmes des trépassés, fugaces surgissants entre les nuits...

L'oeil de l'homme frémissait de dégoût et s'allumait de haine, l'oeil de l'errant voyait la flaque pâle d'un Dieu immobile qu'il lui fallait fuir.

Les rats regagnaient alors toujours les ténèbres, et l'homme, resté seul, fouillait l'invisible des choses et des non choses.

27

Page 28: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les bruits de la ferme

Les volets, qu'on ne parvenait jamais à bien fermer tant le bois avait travaillé laissaient toujours, passer un rai de lumière traçant sur le mur un grand "T". Je fixais cette lettre dans la cacophonie du jour qui se levait sur la ferme, poules qui caquettent, vaches, dans l'attente du pré secouant leurs chaînes, cochons réclamant leur pitance du matin, hirondelles déjà en leur ronde incessante des nids des granges aux champs baignés d'aube, jappements brefs des chiens, piaillements des moineaux à la crête des toits ou juchés sur les pommiers... Je fixais ce "T" de feu au mur vert de la chambre et inventais le nom de pays étrangers et fort lointains dont les noms commençaient par cette lettre d'or : Tenemelek, Torsitanaboul, Tahatalitoudou, Tabalitokora, îles le plus souvent ou le Tahoutan prestigieux, plantigrade géant à la fourrure fauve, régnait dominateur et terrifiant. Il possédait plusieurs cris que, les yeux fermés dans la molle tiédeur des draps, j'écoutais serein. Caquetant dans sa promenade, grognant dès qu'il se découvrait une petite faim, meuglant lorsqu'une proie lui résistait, jappant quand il était heureux et sifflant ou piaillant pour appeler sa moitié, le Tahoutan de Torsitamaboul, comme celui de Tenemelek, de Tahatalitoudou ou de Tabalitokora, s'endormait toujours dans un "T" de lumière comme le soleil en dessinait d'innombrables sur le sol de ces pays là.

28

Page 29: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les chemineaux

L'un grand et maigre, l'autre tout petit et tout aussi maigre, l'un avec des airs de Tati, l'autre de Chaplin, l'un bonasse et soumis, l'autre teigneux et acariâtre, deux clochards, deux errants, deux journaliers qui se louaient ça et là par les fermes et dépensaient dans les fêtes des villages leurs menus gains à boire, à boire et encore boire. Ils étaient à la fois la bonne conscience des gens qui leur offraient gîte et couvert, et leur mauvaise dès que Bacchus avait accueilli ces trublions en son sein. Alors, tels les fous du Moyen-Age, ces pelés, ces galeux devenaient la risée des soirs de fête dès qu'ils se mettaient à danser seuls, titubant dans les granges où se donnait le bal. Quolibets, moqueries, bousculades, aspersions, crachats, jurons que sais-je, se déversaient sur les gueux. Le bon peuple riait de ces polichinelles qu'emportaient les rires et le vin dans leurs pirouettes, leurs chutes, leurs révoltes parfois, leurs colères aussi qui ne faisaient que raviver la flamme perverse des tortionnaires....

On les retrouva 1'un après l'autre au petit matin d'un même hiver, dormant bleus et glacés en quelque fossé, ayant emporté avec eux la bonne conscience des gens du village et leur ayant laissé, généreusement, l'autre.

29

Page 30: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

L'arribère

On désignait le pré qui bordait le ruisseau du nom de " Belle Rive", terre humide et grasse que l'eau en crue de l'hiver parfois recouvrait, et qui au printemps offrait l'ondoiement lustré des foins balançant sous la brise, les effluves et couleurs des mille fleurs et plantes qui l'inondaient.L'été, les troupeaux recherchaient l'ombre des grands chênes sur la lisière, un léger vent portait la fraîcheur de l'eau. Couché dans l'herbe, le regard se noyait dans le bleu du ciel, les paupières bientôt s'inclinaient... Sommeil...

30

Page 31: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

31

Page 32: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les chants

Pour ces chants qui s'élevaient entre les murs chauds de l'auberge ou, dans les volutes de fumée, les faces rubicondes de chanteurs rougeoyants s'ouvraient en choeur, pour ces chants qui vous menaient vers prés, vallées et monts, où des âmes pleuraient en de nostalgiques promenades qui une amante envolée, qui un fils couché par la guerre, pour ces contes qu'un vieux rieur distillait entre les poils de sa moustache, pour ces histoires du pays vert, pour ces rires, pour ces quintes de toux jaillis du tabac gris, pour ces chants qui recouvraient à nouveau le son des bouteilles contre les verres, pour cette pullulante vie d'un soir de fête à l'auberge, les enfants, dans un coin, se faisaient si petits, si petits qu'en leur visage on n'apercevait plus que leurs grands yeux ouverts, étincelants comme gouttes de rosée, infimes sources frissonnantes entre les noirs et majestueux rochers, insignes rus sous les grands chênes dont les branches auraient raconté alentours 1'étrange histoire qu'avait été leur longue vie.

32

Page 33: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

33

Page 34: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La chasse

- Toi, l'enfant qui a armé ton bras d'un canon ainsi que les aînés, toi l'enfant qui t'enfonces en la solitude des sous-bois poussé par l'instinct du chasseur ainsi que le sont les aînés, toi qui t'apprêtes à accomplir le geste fatidique de la gâchette qu'on presse, toi l'enfant sais-tu qu'en ce jeu cruel auquel tu t'adonnes, tu frôles le crime dont s'enorgueillissent les aînés ? Dans la vol foudroyé d'une grise perdrix, dans la course culbutée du lièvre roux, dans la vie ivre soudain anéantie, c'est un peu de toi-même qui, peu à peu, s'engloutit...

- Moi, l'enfant, si je m'empêchais de marcher dans les traces des aînés, n'est-ce pas ma mémoire en entier que j'effacerai ?

34

Page 35: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

35

Page 36: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La maison de Cantou

Deux cent cinquante années, mille saisons ont coulé sur elle, mille saisons de froid, mille saisons de feu, mille saisons de bois, mille saisons de fer, huit patriarches ont tracé chaque jour une croix sur le pain, huit mères fruitières ont fait reluire les cuivres, tendu des rideaux aux fenêtres, et, dans les chambres, ont vagi vingt enfants peut-être, dont la plupart s'en fut un jour loin d'elle. Son jeune coeur battit pour un roi, maintenant brinquebale encore, mais est-ce pour une république? N'est-ce pas plutôt ce pleur long, profond comme un silence lorsque la pluie sur son toit trottine, qui l'emmène hors les ans à ne plus regarder seulement au loin que la ligne bleue du coteau ? N'est-ce pas ce rire, craquant comme ses poutres aux jours torrides de l'été, qui l'étire vers l'autre siècle à oublier les temps enfouis ? Maintenant qu'elle sait que toujours la main d'un maître doucement la caresse, maintenant qu'elle sait qu'elle n'a plus à aimer, à protéger, à combattre, elle peut paisiblement suivre le vol hésitant des feuilles d'automne, le passage hautain des oiseaux de l'hiver, le retour des hirondelles de juin, et, sur le bleu des crépuscules d'été, les glissades des avions lointains qui traînent leurs queues blanches, lentement, lentement, comme des écharpes agitées en signe d'éternels au revoir.

36

Page 37: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

37

Page 38: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le chemin

Pendant un bon kilomètre il fallait marcher sur ce petit chemin fraîchement goudronné, toujours le mène petit chemin pour se rendre à l'école, au catéchisme, à la messe ou à l'épicerie, toujours le même petit chemin, chemin de contrainte ou chemin de la dernière liberté avant d'accomplir son devoir d'écolier, d'enfant de Dieu ou d'obéissant commissionnaire. Marcel, Roger, Jean et Gérard racontaient, tout en marchant, des histoires.

Mais lesquelles ?

38

Page 39: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

39

Page 40: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Châtaignes et champignons

Partir dans la rosée des prés, dans l'ombre des sous-bois entre fougères d'or et rouge soleil d'aube, partir dans l'insouciance des âmes naïves attachées aux choses puériles, partir comme un guerrier sans armes avec sa panoplie de découvreur d'îles, les yeux béants prêts à se laisser envoûter ou séduire, partir pour le désir d'une odeur ou d'un vent, d'un chant d'arbre ou d' oiseau, d'une rondeur brune tapie aux herbes, partir pour le plaisir d'un corps qui tout à coup se penche et s'agenouille, d'un bras qui brusquement s'abaisse, d'une main tremblante qui recueille et s'emplit...

Partir dans la rosée des prés où les traces de pas dessinent les lignes de ces marches que l'on pourrait dire inutiles, pointillés hésitants sur les verts feuillets du temps où s 'écrivent histoires sans paroles seulement de silence, comme chansons de gestes...

Partir dans les ramées de septembre, se suspendre du regard à cette branche là, et tel le corbeau bleu porté par la brise d'aube, ouvrir ses ailes roses et enfanter la brume...

40

Page 41: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

41

Page 42: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La chatte aux trois couleurs

On disait d'elle qu'elle était la descendante d'une espèce fort gourmande et quelque peu voleuse qui portait, aujourd'hui, sur sa robe aux trois couleurs, la trace des méfaits d'une arrière grand-mère qui promenait autrefois sa toison blanche et pure, ainsi que toutes ses consoeurs, dans les cuisines odorantes d'un château du Moyen-Age. On disait que cette arrière grand-mère, emportée par une gourmandise insatiable, aimait à rôder autour de l'âtre où, sur le feu, bouillaient marmites et crépitaient poêlons quand ce n'étaient rissolantes broches, et là, bien souvent, d'une patte agile ou d'un coup de gueule preste, chapardait qui un boudin bien suintant, qui une grive moelleuse, qui un chapon doré tôt emportés en quelque recoin d'ombre et derechef engloutis. Jusqu'au jour où, flairant la rôtissoire sur laquelle tournait un rond cochon de lait, juchée sur le bahut de bois et tendant désespérément sa patte, elle perdit subitement l'équilibra et s'abattit aux braises charbons et flammes dans un miaulement de douleur. Elle n'y périt heureusement pas mais conserva, sur sa robe, les trois couleurs de son forfait : sur le blanc originel, les taches noires des charbons et les saignées jaunes et roussies du feu de l'âtre, les trois couleurs qui la désignèrent, et avec elle toutes ses descendantes, aux railleries et moqueries des cuisiniers, marmitons et maîtres de maison. Aussi, lorsque je voyais la chatte parfois fixer goulûment le contenu de mon assiette, je ne pouvais m'empêcher de sourire an pensant à sa pauvre grand-mère. Mais tout aussitôt je ne pouvais que bénir las hasards de l'Histoire qui l'avaient faite si belle en lui offrant cette superbe robe aux trois couleurs.

42

Page 43: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

43

Page 44: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les billes dans l'escalier

Du bord de la plus haute marche, il suffit de lâcher une poignée de billes et de leur laisser dévaler à leur convenance 1'escalier jusqu'à ce qu'elles s'arrêtent une à une - ce qu'elles ne manquent pas de faire avant la dernière marche pour peu que l'escalier en contienne plus de dix-sept - puis ensuite, après avoir éliminé la dernière, celle qui a descendu le moins d'obstacles, de refaire l'identique opération, du haut du même escalier, un nombre X de fois égal à ( x - 1) billes, éliminant chaque fois la traînarde pour n'en conserver plus qu'une que l'on décrète championne du monde, reine d'un jour, triomphatrice du grand prix etc... il suffit de faire simplement tout cela pour s'apercevoir que le monde ne fonctionne pas différemment quand il doit désigner ses élus. L'ennuyeux réside dans le fait qu'au jeu de la vie, contrairement au jeu de billes il n'y a qu'un seul lancer pour désigner les héros, et je sais, pour avoir pratiqué souvent l'exercice avec les petites boules de terre, que si l'on répète les parties, ce n'est jamais, non jamais, les mêmes qui gagnent, et pas nécessairement non plus les mêmes qui sont éliminées.

De là, j'en conclus que ce mystérieux lanceur de vies, que l'on dit présider à toutes nos destinées, est un petit, petit, très petit et bien mesquin joueur. A moins qu'il n'attende que chacun de nous ait fini de rouler pour... Bon, passons.

44

Page 45: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

45

Page 46: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Bouleversement Jamais le monde ne reverra tel bouleversement que celui qui s'abattit sur les campagnes dans les années cinquante de l'ultime millénaire, avalanche d'objets de plastique et métal mettant à bas les vestiges de l'autre ère. Balayés les meubles de bois par les cuisines, vaisseliers noircis de fusée, armoires et buffets aux portes couinantes et collantes des graisses d'innombrables festins. En lieu et place trônèrent de blanchâtres et lisses cubes de Formica. Rayés du monde des utiles les chars, charrettes, tombereaux et traîneaux que supplantèrent des remorques à pneus, occis les boeufs massifs qu'un tracteur rouge remplaça par les étables. Charrues et herses, râteaux et faneuses, laissèrent leur place à de nouveaux locataires flambant neuf la ferraille et ayant perdu le timon. Voitures à chevaux, adieu, vive l'automobile, bonjour les cubes émaillés des frigidaires et gazinières, le faux bois des TV rejetant aux greniers les radios en demi-cercle. La terre battue des souillardes se recouvrit de carreaux de grès, les cheminées ne s'illuminèrent plus de flammes et de braises, occupées par poêles et mirus puant le fuel. En cinq ans, tout fut consommé, le progrès s'engouffra dans les campagnes allumant dans les yeux des gens la fierté et l'orgueil des premiers pionniers de l'Ouest qui se crurent dépositaires du pouvoir humain sur la terre sauvage...

46

Page 47: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Jamais le monde ne verra tel bouleversement que celui qui, à la fin du même millénaire, frappera les campagnes. Les fils de ces mêmes pionniers de l'Ouest " sauront alors qu'ils n'étaient aucunement dépositaires du pouvoir humain sur la nature redevenue sauvage, lorsque les fermes, peu à peu. s'abandonneront aux ruines et au silence...

Car l'être ne parvient jamais à croire que dans l'extase d'un glorieux instant où il se trouve par hasard transporté, dans l'éblouissant spectacle du pouvoir qu'il exerce sur le monde, s'insinuent, déjà visibles, l'insignifiante fissure, 1'imperceptible tremblement qui sont l'augure d'un inéluctable et irréversible effondrement.Comme en chaque explosion de vie s'inscrit tout aussitôt sa déchéance...Comme dans chaque chose que l'on observerait avec acuité se lirait et la lumière la plus intense et l'obscur le plus dense, chacun de ces deux ennemis attendant un fléchissement de l'autre pour mieux régner, passagèrement, en maître.

47

Page 48: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La Héouguère

Cela se traduirait an bon français par la fougeraie. Et il est vrai qu'on n'aurait su autrement la nommer dans son moutonnement de ces plantes antédiluviennes qui du vert tendre du printemps tendant leurs crosses d'évêques s' en allaient s'assombrir des verts profonds de l'été ainsi qu'une forêt océane, avant de s'éteindre lentement dans les ors et les pourpres de l'arrière saison, sanglantes et odorantes dépouilles de la terre. Les poulpes noirs aux écailles d'écorce semblaient surgir de leur ventre pour aspirer le ciel et les nourrir, les grands chênes versaient bientôt leurs larmes en feuilles sur les corps couchés à l'hiver entrevu. Sur l'île de genets, au bout de la péninsule de bruyère, un Robinson écoutait le chant du vent entre les bras des poulpes, et priait Dieu pour que ne vienne, sur l'étendue verte, nulle voile blanche.

48

Page 49: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

49

Page 50: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le Frèrou

Voilà un bout de champ sur l'humble mamelon, où, lorsque vos pas vous mènent et qu'assis au sommet vous contemplez le monde, vous régnez en plein coeur d'une étoile de terre. Embrasez l'horizon, la vue est une ronde de coteaux bleuissants, un cercle de cinq lieues où le ciel se repose, coupole aux douces franges. Et les dix-huit clochers qui se tendent vers elle les dix-huit flèches sombres dressées sur les villages semblent piliers du ciel enracinés profond à l'extrême des branches de l'étoile de terre.

50

Page 51: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

51

Page 52: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La Vigne

Du haut de sa pente, le regard se trouvait au même niveau que la cime des chênes et châtaigniers qui la bordaient. Un minuscule ruisseau naissait là, au creux du versant, d'une source fontaine jamais tarie même aux plus chauds étés et alimentait un peu plus bas le lavoir avec un gros tronc d'arbre qui retenait l'eau. L'herbe était belle et dense, les bêtes allaient boire au lavoir et, sous las chênes trouvaient l'abri contre les traits de l'averse comme contre les rais de feu de l'été. Et quand meuglait l'une d'entre elles ainsi qu'un appel à regagner l'étable, l'écho de son ennui s'en allait s'étendre et rebondir sans fin dans la pli du ruisseau, de tronc en tronc, entre collines, pour s'en aller mourir dans la plaine du Luy...

Il fallait que l'enfant compte les secondes, les scandant d'un bâton frappant le sol, pour prolonger le plus longtemps possible l'écho et le pousser plus loin encore jusqu'à recouvrir le monde, il fallait que l'enfant compte les secondes pour frôler les limites de ce qu'il ne savait ni ne voyait, il fallait que l'enfant compte les secondes pour éprouver la force de son pouvoir.

A chaque meuglement d'une vache qui s'ennuyait, il fallait que l'enfant égrène les secondes pour s'emparer des infinis...

52

Page 53: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

53

Page 54: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le confessionnal

En la petite maison noire toute en bois, la pièce du milieu était occupée par le maître de maison. C'était, de loin, la pièce la plus confortable avec siège et coussinets, les deux autres, de chaque côté, ne disposant que d'un agenouilloir et étant, de plus, très exiguës étaient réservées aux hôtes de passage qui venaient chercher là, auprès du généreux donateur subsides et offrandes susceptibles de les aider à endurer la rude et triste vie qui avait toujours été leur. Car faut vous dire que ces visiteurs là n'étaient point de ces grands seigneurs dont l'âme pure et blanche pouvait se lire en leur regard. Ce n'étaient que rôdeurs et manants de la plus vile espèce, bandits de grand chemin et braconniers des champs, coquettes jouvencelles, encore lubriques damoiseaux et époux infidèles, jaloux congénitaux ou envieux tout autant comme fieffés menteurs et détrousseurs de dots, médisantes commères et voleurs d'héritage sans parler des triviaux frappeurs de bêtes, de femmes ou d'enfants, ni des cruelles et revêches matrones et tyranniques belles-mères, quand ce n'étaient fainéants de naissance, ivrognes invétérés, grossiers rufians, aïeules au mauvais oeil ou vieillards atrabilaires verdis par l'avarice. La petite maison bourdonnait à peine tant les voix se faisaient basses, celle du maître pour masquer sa honte de ne pouvoir donner plus, celles des malheureux errants pour cacher aux suivants la grandeur du merci et le poids du magot.

54

Page 55: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le chien

Tu naquis, le chien, à l'âge de mon enfance où s'arriment mes premiers souvenirs, et tu t'en fus à cet âge autre où se quitte cette enfance, juste avant l'adolescence. En cela tu demeures en moi comme ce lien ténu entre toutes joies et peurs, entre découvertes et émois soudains, ivresses et pleurs, tu restes cette ombre de la mémoire qui frôla longuement mes pas, ce témoin, cet ami de tous les instants qui me cherchait sans casse de son regard si doux, qui semblait n'espérer qu'en moi et qui ne paraissait exister qu'à travers mes gestes ou ma voix, qui semblait se situer plus loin que tout l'amour humain.Tu vécus, le chien, en ta robe blanchâtre et ton museau sombre, l'aube de ma vie de petit d'homme, tu t'en fus en ta robe blanchâtre et museau grisonnant emportant ce dernier pleur d'enfant que tu imaginas sans doute encore être un rire ou un dernier jeu. Mon chien.

55

Page 56: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les chiens de chasse

Chiens de chasse roux et blancs, tachés de nuit ou flaqués de soleil, aux yeux pochés et las, aux longues oreilles pendantes qui vous donnaient un air si triste, chiens de chasse aux pattes courtes et musclées qui dandiniez vos corps comme font les oies grasses, quand vous vous rassembliez en meute, à l'aube, dans l'ombre de vos maîtres harnachés et que, tout à coup dans la rosée rouge, l'un d'entre vous flairait l'effluve de la bête, la fièvre s'emparait de vos corps, le feu s'allumait dans vos yeux, le tonnerre grondait en vos gorges et rebondissait par les vallons portant au loin l'écho du vivant resplendissant et vorace dont les sons graves et profonds coulaient lentement sur l'âme de l'homme à la fois comme un chant de deuil et comme un chant de triomphe.

56

Page 57: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

57

Page 58: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le corbillard

Lorsque la mort s'en était venue chercher quelque âme il restait, aux vivants du village, à inviter le corps désormais vide à regagner son lieu de repos aménagé au cimetière Ca qui obligeait le voisinage, quatre à six hommes des plus robustes, à tantôt pousser, tantôt tirer une simple charrette à bras dont les roues cerclées de fer, tout au long du chemin qui séparait la maison du mort de l'église, chantaient la chanson aigre et crissante d'un Satan ricanant comme en écho à la voix languissante du curé qui, elle, s'efforçait vainement de trouver le tempo mélodieux des anges du paradis Entre ces dissonances qui ne cessaient de s'affronter, il m'étonnait fort que le malheureux défunt, glissant en sa caisse de bois vernie, pût sereinement se déterminer, et il me plaisait alors de l'imaginer dans un dernier effort, se bouchant les oreilles et hurlant : -" Carape, Diu Bîban, e desha-t me causir "

58

Page 59: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les couturières

De l'aube au crépuscule, elles s'installaient durant trois ou quatre jours sur des chaises de paille, offrant leur rond derrière à la chaleur de l'âtre, et officiaient ainsi avec des gestes solennels de prêtresses antiques dans les odeurs feutrées des tissus qu'on déroule et les claquements de ciseaux avalant les étoffes. Les silences étaient brefs. Les recouvraient souvent de longs sermons s'envolant de leurs bouches dont les lèvres serrées sur le dard d'une épingle confessaient haut et fort les méfaits du village, tantôt les absolvant, tantôt réclamant pénitence…Dans le bruit saccadé des machines à coudre que leurs pieds, pantouflés de gris animaient, balancements rythmés d'ostensoirs jumelés sur les pédales d'harmoniums cliquetant de dissonants cantiques.

59

Page 60: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le curé et la ciboire

Il existait entre la prêtre et la calice sacré une telle similitude de symboles qu'en mon âme d'enfant je ne pouvais les dissocier, la même austérité des formes, solennité et grandeur dans leur présence dressée l'un sur l'estrade et l'autre sur l'autel, la même attitude de repli secret après le cérémonie qui les voyait regagner, l'un la sacristie et l'autre son tabernacle, l'identique sens de l'apprêt, l'un dans son surplis blanc et l'autre sous la délicate serviette de coton immaculé, la similaire sévère menace envers les fidèles prosternés, lui, l'homme dans son regard étincelant, et lui, l'objet dans l'éclat d'argent que la flamme d'un cierge enluminait...Et lorsque le prêtre, à l'instant de la communion, levait haut le ciboire l'image qu'il donnait de la justice divine avait la démesure du bourreau, de l'exterminateur brandissant à bout de bras l'instrument de son terrifiant et souverain pouvoir.

60

Page 61: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les hirondelles

Combien étaient-elles cette année à retourner sur leur lieu de naissance, en cette grange à bâtir entre poutres et solives les nouveaux nids de terre, combien nous avaient encore aimés pour conserver le souvenir d'un lieu, franchissant mers et monts, combien aussi n'avaient pas rallié le havre et dépassé leur vie des quatre saisons. Chaque été je dénombrais les nids, mesurant ainsi la force du lien qui nous unissaient, nous les hommes figés à elles les migrantes, la force du rêve qu'elles amenaient à dériver en nous, dans le vol de leur ventre blanc ou nous lisions les paysages d'au-delà les mers, la force de croire surtout que, peut-être, le temps n'était qu'un leurre puisque toujours recommencé, puisque les hirondelles, comme les beaux jours, nous revenaient immuablement , nous les sans doute immortels.

61

Page 62: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Deux chansons

Vingt- deux écoliers entre les haies d'aubépine que Juin enrobait de blanc, vingt-deux voix chétives qui égrenaient les perles de deux chansons comme pétales qu'une petite main effeuille. L'une commençait ainsi : - Mes jeunes années... courent dans la montagne... courent par les sentiers... tout emplis de fleurs… Et l'autre :- Fleur d'épine, fleur de rose c'est un nom qui coûte cher... Car il coûte double triple la valeur de cent écus…

Les voix se sont perdues entre deux vallons, là où coule un minuscule ruisseau. Sans doute ont-ils cessé de chanter, ont posé leurs chansons sur le filet d'eau et s'en sont allés jouer ailleurs entre ce nuage rose du couchant et la prairie bleue d'un ciel accueillant, sans doute une maîtresse au chignon gris porte-t-elle toujours, de temps à autre, un regard amusé sur leurs ébats, assise confortablement, ses deux fesses bien posées, chacune dans un cratère de la lune.

Sans doute...

62

Page 63: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

63

Page 64: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le dimanche matin

Le dimanche matin, du haut du coteau, j'écoutais hurler les chiens, tonner les canons, crier les hommes. J'aimais leur folie presque irréelle, j'aimais aussi la ruse d'un vieux lièvre fuyant que le fracas des fusils rendait plus libre encore.

Verra-t-on toujours des loups, la salive aux lèvres, poursuivre les troupeaux ?Verra-t-on toujours des lions rugissants épouvanter les gazelles ?Verra-t-on toujours des tueurs radieux se repaître d'un sang versé ?Verra-t-on toujours brûler en vain une étoile qu'un majestueux cratère cerné de fumées noires s'apprête à engloutir ?

- Oui ! répond aujourd'hui cet adulte atteint de cécité d'enfance.- Pas sûr ! murmure une voix lointaine.

64

Page 65: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

65

Page 66: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les doigts violets

Petites mains d'enfant, fragiles comme la tige des pensées mauves que le moindre souffle de brise parait pouvoir ployer emportant ses pétales d'avril comme de douces larmes, petits doigts d'écoliers qui rodez fureteurs et curieux du pupitre au visage traçant en l'air les signes saccadés d'un indicible ennui, vous cessez parfois votre danse espiègle et insouciante pour vous fermer alors tel un étau féroce, dans un geste nerveux plongeant vers un encrier un outil métallique et traçant au cahier de longs serpents de lettres.

Petites mains, les taches d'encre qui maintenant vous souillent, cette encre violette ou bleu de nuit, n'est-ce pas le deuil annoncé d'une enfance qui vous quitte ?

66

Page 67: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

67

Page 68: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Enfants de choeur

Les enfants, en leurs belles aubes blanches, avaient la pâleur des cierges de la vieille église et le regard lumineux de la flamme qu'ils contemplaient tout en mesurant ces gestes de vieux prêtres qu'on leur demandait d'accomplir, lenteur d'un pas glissé, d'une main qui se soulève alors qu'en eux bouillonnaient chaos et tempêtes. Le crucifix de bois, qu'ils portaient suspendu d'une corde encerclant leur cou d'oiseau, pesait son poids de morale que, sitôt la messe achevée, ils jetaient au vieux clou de la sacristie pour s'envoler à grands coups d'ailes, tel un vol d'étourneaux qu'appelle le vent libre.

68

Page 69: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

69

Page 70: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

L'épicerie

Cirage Lion Noir, savonnettes Cadun, savon Le Chat, dentifrice Colgate, tabac Caporal, papier cigarette Job, brillantine Roja, lessive Omo, bottes Baudou, espadrilles Etché, beurre Lanquetot, chocolat Poulain, café, Biec, biscottes Paré, biscuits l'Alsacienne, petits beurres Lu, pâtes Lustucru, sucre Beghin Say, huile Lesieur, margarine Astra, moutarde Amora, lames Gillette.. La marque avait déjà dévoré le produit lui-même et Alice servait derrière son comptoir de maîtresse d'école sur lequel trônait une imposante balance à plateaux avec une aiguille, semblable à celle des vieilles horloges, dont la pointe hésitait longuement entre deux divisions du cadran.Après la messe les femmes se rassemblaient là, un panier-filet à la main. Alice marquait sur un cahier, les voix se faisaient denses, une pièce parfois chutait d'un porte-monnaie ouvert et les têtes à l'unisson d'un coup se baissaient pour entrevoir la destination de la fuyarde. Alice posait un quartier de fromage engoncé dans le papier sulfurisé blanc : on scrutait anxieusement l'aiguille de la balance qui hésitait toujours entre deux divisions, un silence bref sous les yeux plissés, Alice donnait la sentence, les voix comme soulagées reprenaient leur cadence...Cirage Lion Noir, savonnettes Cadum, savon Le Chat…

70

Page 71: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

71

Page 72: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

L'espérouquère

Assis en rond, ils se réunissaient le soir dans les granges de Novembre autour d'un amoncellement d'épis de maïs qu'un à un ils prenaient pour, d'un geste preste de la main, les dénuder arrachant les fanes. Sous la lampe faible les paniers s'emplissaient, le poêle ronronnait, une odeur de vin chaud, de châtaignes grillées s'insinuait entre les conversations interminables. On aurait pu croire assister là, à l'un de ces rites sacrificiels de l'aube des âges, ces temps où de féroces guerriers dépeçaient, solennels, écaille après écaille, l'animal sacré censé les protéger de l'effrayant néant rôdant par la nuit alentours.

72

Page 73: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La luge

Jamais neige ne fut si blanche, jamais les champs ne furent si beaux, jamais les cris si profonds, jamais les rires si clairs qu'en ces hivers d'ailleurs et d'autrefois où des enfants au nez bleu, sur luges et traîneaux de bois, s'envolaient pour ce long rêve qui m'en finit pas de survivre, ce court voyage dont j'approche la fin, maintenant que me voilà...vieux.

73

Page 74: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les feux de l'hiver

Aux beaux jours de février, ces jours brefs de froid sec que noyait le faible soleil pâle, sur les terres jaunies où s'érigeait encore les tiges grises des maïs vides d'épis, squelettes filiformes qu'abattaient bientôt les faucheuses, on dressait de longues lignes d'épaves mortes, amoncellements ligneux et flétris, vestiges des récoltes passées sur lesquels dansaient peu après les flammes.Et, par la nuit tombante, lorsque le brasier s apaisait et doucement lâchait d' hésitantes fumerolles, on pouvait voir des traînées rouges strier l'ombre des champs, barreaux de sang sur des geôles de ténèbres entre lesquels s'agiteraient encore de voraces démons. De leur fourche brandie, ils jetaient aux feux mourants d'enfer ces dernières âmes d'un été à jamais perdu.Avec ces effluves stagnantes qui vous submergent et vous parlent des temps usés que l'on a condamnés au bûcher.

74

Page 75: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La bénédiction du bétail

Passaient, lentes et pansues, les vaches rousses aux cornes en arc de cercle, puis, dodelinantes le pis balançant à chaque pas, les blanches aux cornes dressées vers le ciel, suivies du troupeau des pies noires, têtes baissées sur l'herbe des chemins, passait la procession meuglante que poussait de la voix et de l'aiguillon les hommes endimanchés. Venaient encore les boeufs oranges, les gris et les noirs, par deux, liés par le joug, leur maître à l'avant, à quelques pas.Du portail du cimetière, le prêtre, sur le défilé cornu, effectuait toujours le même geste du goupillon trempé dans le seau d'eau bénite puis brandi en l'air dans le geste du signe de croix.Les bêtes poursuivaient leur chemin, nonchalantes, du même pas.

75

Page 76: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les histoires vraies

Mon père ne racontait que des histoires vraies, pas de fadaises ni d'entourloupes, uniquement des choses vraies.Ces étoiles d'un soir, d'une nuit, plutôt, d'hiver des années vingt, ces étoiles par dizaines qui s'étaient mises à bouger puis à strier le ciel de lignes de feu, ces étoiles qu'il avait vu par dizaines puis par milliers soudain agiter l'immensité...Cette boule de feu plongeant derrière la colline, une autre nuit d'un été de l'après-guerre, cette illumination qu'il avait voulu suivre courant vers le sommet, une boule de feu qui n'était plus qu'un incendie, une grange qu'avait atteint le météore...Cet embrasement des cieux, là-bas vers le nord, ces canons à la gueule rouge de l'an 40 vers lequel on le conduisît avant la longue nuit des prisonniers.Mon père ne racontait que des choses vraies, sans fadaises ni entourloupes, uniquement des choses vraies, ces choses où la lumière, toujours pleurait ses larmes rouges avant de disparaître sous l'ensevelissement de l'obscur.

76

Page 77: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

77

Page 78: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les fossés

Davantage que les chemins dont nos pieds avaient galoché d'innombrables fois méandres et sinuosités, piétiné tout autant l'ombre et la poussière des jours brûlants que les flaques et les lavis glacés des hivers, davantage que ces chemins d'enfance c'est vers ces fossés qui les longeaient que s'en va serpenter ma mémoire douce. Ici, une silhouette menue les enjambe et se main plonge au courant, là, une autre forme chétive s'accroupit et sa tête se penche, l'oeil rivé sur le creux bouillonnant, là-bas un dernier petit marinier pousse sa course suivant le flot : canyons d'argile rouge où s'engouffrait un torrent tumultueux, flot lent et puissant d'un fleuve majestueux, large rivière où s'étiraient les herbes, filet clair entre les cailloux d'un ru chantant, chacun de ces fossés, aux jours de pluie, offrait les mille spectacles de l'eau fuyante à ces trois ombres d'enfant qui d'un bout de bois, d'une ficelle ou d'un carton lançaient au courant radeaux, barques de pêcheurs ou vaisseaux pirates, bâtissaient moulins de saule, barrages et ponts de lianes, donnaient enfin la vie à d'étranges têtards de liège aux pattes d'allumettes, victimes s'enfonçant aux abysses ou héros surgissant d'un remous. Dérisoires objets sur un minuscule décor avec lesquels, cependant, l'imaginaire de petits d'homme mettait en scène les flamboyantes épopées de leur nouveau pouvoir.

78

Page 79: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

79

Page 80: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Mon frère

L'aîné, le grand, le frère que l'on regarde toujours d'en bas et qui, loin, plus loin, plus haut porte ses yeux vers un ailleurs que le petit, le cadet juché sur la pointe des pieds cherche en vain à entrevoir.

L'aîné, le grand, le frère à travers lequel l'on éprouve force et ruse, son pouvoir certes infime et son savoir pas moins, l'art de la comédie ou de la tragédie dans la puissance d'un rire ou d'un pleur, peut-être surtout, en cette ombre que l'on sait protectrice, la féroce envie d'éloigner solitude et peur.

Mais, mon aîné, mon grand, mon frère, ce but que tu soutenais m'avoir marqué, ce ballon roulant au ras d'un des deux piquets plantés au petit champ jouxtant la maison, cinquante ans après je persiste à croire que dans ce sublime plongeon, du bout des doigts, j'avais bien détourné sa trajectoire remportant ainsi ma première victoire. Ce but là, tu l'as peut-être bien marqué, mon frère, mais ce n'était pas ce qu'il fallait que je me raconte pour grandir, et pour regarder ailleurs, ainsi que regardent les géants et les vainqueurs.

80

Page 81: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

81

Page 82: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Gaby, Roger, Marcel et les autres

Nous étions nés là, nous les fils de terriens, paysans, villageois, cul-terreux, bouseux, que sais-je, nous étions nés là sur ce bout de terre comme on dit, ce monde si petit, certes, mais bien rond, bien plein, bien à notre mesure, comme fait à notre échelle, à notre moule. Où les choses ne nous étaient pas offertes, où les choses qui mous manquaient nous les inventions à partir de celles qui nous cernaient. Où les gens m'étaient simplement que des personnes, ni rois ni gueux, sans prétention ni artifice, des personnes qui nous donnaient à voir à la fois l'universel humain et l'unique de chacun, l'originale empreinte qu'avait façonné, en chacune d'elles, le passage de la vie. Où l'espace que l'on aurait pu croire ordinaire et commun, ses images apparemment banales, nous offraient cependant tous les spectacles du monde. Où le temps nous tirait se révérence avec des airs toujours enjoués, où le temps au lieu de nous pousser vers le vide, consentait bien volontiers à nous conserver au chaud dans son ventre, où le temps jouait encore à cache-cache avec nous comme il sait si bien le faire avec les enfants. Nous étions là, amis de toujours, à croiser nos chemins, nos rires et nos cris, à mélanger rêves et désirs, peines et souffrances aussi, à échanger silences et paroles dans un jeu comme éternel sur cet espace clos et rond où nous réinventions l'histoire de l'univers. Sous le regard amusé des grandes personnes, ce regard d'accompagnement doux qui ne faisait que nous traverser, nous les petits fantômes d'un tout petit bout de terre.

82

Page 83: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

83

Page 84: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

L'harmonica

Pas de cheval ni de pistolets, pas d'immenses étendues, pas un seul canyon encore moins de ranchs, pas davantage de tribus d'indiens déchaînés, entraînés dans de féroces courses au coeur des bisons déferlant, non il n'y avait rien de tout cela dans le monde où je vivais, rien apparemment qui puisse me relier à ce Far-West qui hantait mes rêves d'enfant. Pourtant, si je réfléchis bien, il y avait une ou deux choses que je pouvais considérer comme communes à ces deux univers : j'étais moi aussi un cow-boy, un gardien de vaches - ô certes modeste puisque mon troupeau ne comptait guère plus d'une dizaine de bêtes lentes et pansues - et m'accompagnait tout le long du chemin le son de l'harmonica, ce petit instrument qui m'avait été offert pour un Noël plus riche que les autres. J'avais appris seul à en jouer et passais de longs moments, à l'appui d'un chêne sur la lisière herbue d'un champ, a déchiffrer note après note un air entendu à la radio jusqu'à le restituer couplet après couplet. Les sons qui sortaient de la boîte argentée étaient comme les chants de l'âme, une plainte, un pleur, une nostalgique ou inquiétante prière gui vous amenait à porter loin vos yeux vers la ligne d' horizon là où le ciel et la terre semblent s'étreindre, se fondre ou se combattre, chercher encore, au-delà, un vide immense à combler et rencontrer alors en soi une béance infinie tout aussi dense et éternelle. Comme sur l'écho d'un chant indien qui parlerait à l'univers, le cri d'un visage pâle étranger que le vide soudain envahit.

84

Page 85: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La fenêtre

Une fenêtre de bois noir où six carreaux ouvrent leur oeil quadrangulaire, une fenêtre de bois noir entrouvre ses bras , écarte un pan de mur maculé de fleurs grises et s'empare d'un lambeau de ciel que nulle âme au monde ne semblait désirer avant de le coudre entre deux volets et de le laisser battre tel un oriflamme d'oubli sur un manoir en ruines, tel un pavillon d'absence au mât d'un vaisseau fantôme...

Derrière la fenêtre, dans le bleu, un enfant toujours regarde..

85

Page 86: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le guide

Pourquoi ce corps qui avançait à pas lents suivant le sillon qu'avait tracé le soc à son passage précédent, pourquoi ce rôle de nabot, guide des bêtes tirant la charrue alors que, derrière, le père se cramponnait aux manches du "brabant" et, de la voix, conspuait ses boeufs ? Pourquoi cette rythmique marche qui me conduisait, ligne après ligne, d'un bout du champ à l'autre avec un corps presque absent et le crâne qui bouillonne, pourquoi, là, une enveloppe de chair s'échinait à faire son travail sur la terre et pourquoi, à peine plus haut, un esprit vers les airs s'envolait, s'évadait d'une prison trop close ?

Une chose était survivre, et l'autre, était-ce donc vivre ?

86

Page 87: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le broc

J'allais à la fontaine ainsi qu'un chercheur d'or car au creux de verdure brillait la tache d'eau, un filon translucide sur lequel je voyais se mirer les futaies, tressaillir la branche qui balance, se pencher un visage tremblé d'enfant.L'été était si chaud, le puits avait tari, j'allais à la fontaine ainsi qu'un chercheur d'or, un nomade au désert marchant vers l'oasis, un oiseau migrant plongeant vers la mer.Une frêle main tenait un broc bleu, effaçait l'image sur l'onde et l'emportait en gouttes vertes, vertes comme feuilles des grands arbres qui veillaient là-haut… Telles les feuilles des grands arbres qui le protègeaient… Là-haut…

87

Page 88: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Grand-père

Près de la cheminée, grand-père avait posé son âge dans son béret retourné sur ses genoux serrés. Et vers l'enfant qui contemplait le crâne sec et nu dont les rides ruisselaient sur le visage rose, le vieux, après avoir battu les cartes, les distribuaient une à une avec la délectation du magicien qui connaît la valeur de chacune d'entre elles. Commençait alors la Bataille, ce jeu qu'il apprenait à l'enfant hilare ou maugréant selon la découverte en se main preste retournant chaque image : un dix de trèfle lui arrachait un soupir, un valet de pique le frisson du vainqueur, l'as de carreau un cri de triomphe...

Sur la dame de coeur que la vieille nain s'apprêtait à jouer, le regard de grand-père s'arrêtait... S' arrêtait...

Mais l'enfant sans pitié, abattait déjà, son as de carreau.

88

Page 89: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le haut du champ

Le champ le plus grand, le plus profond, le seul qui donnait au paysage morcelé de cet étroit plateau à flanc de coteau un semblant d'amplitude, le seul qui amenait, à votre regard, l'impression que s'allongeait loin la terre, et à vos jambes qui le parcouraient la sensation d'affronter une immense étendue. On l'ensemençait très souvent de maïs, excepté l'un de ses flancs où, dessinant un triangle, une petite vigne étirait, entre piquets de bois et fils de fer tendus, ses ceps aux corps tordus et bras écartelés, quelques centaines de gueux comme crucifiés. Aussi, au plein été, ne pouvait-on que s'apitoyer sur leur triste sort de prisonniers que semblaient garder les maïs géants, armée de fiers grenadiers au plumet haut perché, un couteau vert à leur ceinture, tendant, menaçants vers leurs victimes les sabres tranchants de leurs feuilles acérées.

89

Page 90: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Henri

Il fut un après-midi de février que baigna ce rais de soleil pâle aux reflets de pierre tombale sur lequel battait le glas d'une rose, peut-être, chapelle de Saïgon dont le choeur s'était empli des flottaisons d'âme d'un tout jeune homme glabre, couché en uniforme de gendarme troué de rouge, soldat de plomb moulé de bois qu'avait sculpté la haine sur les terres d' Indochine.

Il fut cet après-midi de février aux rais de soleil pâle...

90

Page 91: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

91

Page 92: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les invitadous

Ainsi que le voulait la tradition, on déléguait deux messagers, deux jeunes voisins ou parents des mariés, pour inviter le village à la noce prochaine. En chaque maison, après avoir récité leur compliment, on leur remettait un morceau de ruban coloré qu'ils nouaient autour d'une canne en bambou. A la fin de ce périple qui pouvait durer la semaine, fous chantant par les chemins, titubant sur leurs bicyclettes, emplis des agapes qu'en chaque maison ils s'étaient vus offrir, il n'était pas rare de les voir faire tournoyer leurs bâtons enrubannés de toutes couleurs ainsi que bâtons de maréchaux et s'emplir momentanément de l'orgueilleuse fierté des chefs de guerre au soir d'une bataille gagnée.

92

Page 93: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

93

Page 94: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le jardin

Pousser ses pas dans le jardin, quand le soir d'une fin d'été commençait à se répandre, était comme pénétrer dans une boîte aux mille parfums où, rangés minutieusement les uns à côté des autres, de minuscules flacons auraient laissé échapper leurs senteurs infinies. Il n'y avait pourtant nul massif de fleurs éclatantes, nul pétale alangui, nulle corolle ouverte, seulement légumes et fruitiers dont les arômes, s'ils n'avaient la suavité, la mollesse des fleurs, n'en possédaient pas moins le pouvoir de vous emplir des opulences de l'été et de ramener à vos papilles le goût divin des bons plats mitonnés : soupes épaisses où trônent couennes grasses sur un fumet de céleri, daubes sombres et liquoreuses fleurant bon le thym, encore rôtis rissolants truffés d'ail ou tartes ocellées exhalant l'effluve des poires et pommes fumantes. On entrait dans le jardin comme en la main géante d'une mère, en sa main d'amour doucement refermée qui vous porte à ses lèvres.

94

Page 95: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

95

Page 96: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Jeux dans le foin

Jeux où filles et garçons s'enfouissent dans les parfums moelleux de l'été, jeux de nuit où les mouvances à tâtons éveillent les tressaillements de crainte, jeux où les voix chuchotantes s'éloignent et se rapprochent, où un rire, un cri, un hululement de gorge signale une présence tapie, jeux d'ombre où les mains s'autorisent parfois frôlement ou palpation fugace d'un corps avec l'émotion étrange de la chair qui frissonne, où la parole soudain se meurt envahie des salves lourdes d'un coeur qui se dérobe, jeux de découverte que l'on s'empresse de fuir, jeux à se perdre, se quitter, jeux de retrouvailles où la tendresse et la chaleur des sens incendiaient corps et âmes, vers minuit, dans les granges d'hiver.

96

Page 97: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

97

Page 98: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

e 11 Novembre

Des noms sur une plaque en marbre, de simples mots au petit monument... On nous disait Verdun, les Ardennes, Chemin des Dames. Chemin des dames ... Le nom était si beau... Des voix de faussets chantant la Marseillaise, le chant était si grand, les mots sur la plaque de marbre si petits, les fleurs si chétives, le monument comme éternel, si éternel… Et nous sans mémoire, sans images, lavés par la paix que l'on croyait tout aussi éternelle, nous les enfants de l'autre guerre et ses portes closes qu'on entrebâillait parfois à travers les paroles d'anciens prisonniers, d'anciens évadés, d'anciens rien du tout qui étaient peut-être passés à côté d'elle sans seulement la frôler… Nous les enfants de l'autre guerre qui chantions la Marseillaise, un poilu, deux peut-être, qui étaient-ils ? Baptiste à la moustache pointue de l'autre temps, au regard sévère et dur de l'autre temps, Victor aux larges mains noueuses de la première guerre de l'autre temps, Baptiste et Victor, oui… Et nous sans mémoire, sans images, seulement ces gravures des livres d'histoire et une carte de France où une règle d'écolier nous montrait les Ardennes, marron clair, marron foncé, pas de tache de rouge sang... Seulement la Marseillaise que nos voix de faussets égrenaient le regard respectueusement posé sur ces noms gravés en la plaque de marbre gris... Et qui imaginions, qui imaginions… Mais quoi ? … Le temps, déjà. la profondeur, la densité du temps, la cruauté du temps, seulement.

Jeux de récréation

98

Page 99: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Au jeu des quatre coins, dans l'alliance avec le semblable et sans pitié pour l'exclu qui cherche a gagner se place, chacun s'efforce de conserver immuablement la sienne ou son équivalent.

Au jeu de l'épervier, dans la même alliance avec un comparse, on tente de conquérir tout l'espace en s'emparant des solitaires qui, peu à peu absorbés, se joignent au troupeau des envahisseurs.

Ne sont-ce pas là ces mêmes jeux d'enfants qui président à toutes sociétés et toutes destinées du monde? Préserver son territoire et si possible l'agrandir jusqu'à occuper l'espace en son entier, gruger sans cesse le faible, l'isolé, l'inférieur an s'acoquinant avec les puissants jusqu'à acquérir le statut de dominant suprême ?

99

Page 100: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le jour des foies

Janvier sonnait bien souvent le glas des volatiles aux pattes palmées. Leurs ventres ronds et gras leur donnaient la marche essoufflée des matrones obèses cancanant en des parcs bien clos de l'ancien temps où leur taille était fine et que voltigeaient leurs pattes menues aux quatre coins des basses-cours. Janvier sonnait le glas des canes et des oies que, sitôt trucidées et tout aussi vite plumées. on alignait, flasques et molles cous pendants striés de rouge, sur les tables aux tréteaux de bois. Venait alors l'instant fatidique où les femmes ouvraient les ventres avec la minutie des sages-femmes qui d'un ciseau habile, entaillent finement les peaux pour accoucher d'opulents jumeaux. Leur main s'infiltrait entre les graisses avant de la retirer lentement, emplie d'un foie pâle et ferme. On déposait les foies l'un à côté de l'autre dans un panier d'osier, sous un torchon de lin blanc. On contemplait cela tous en rond, le cou tendu, les yeux brillants ainsi que l'on contemple un incroyable trésor.

100

Page 101: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le joug

On liait les destins des deux bêtes d'un bois grossièrement taillé et de longues lanières de cuir pour les conduire sur les chemins du labeur au service du maître, tirant, traînant charge après charge tout le long du jour. Et lorsque la main de l'homme, au soir, les libérait du poids du joug et de l'effort, se séparaient les deux bêtes qui, paisiblement. chacune de leur côté, se mettaient à paître. Esclaves domptées ou grandes philosophes ?

101

Page 102: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

L'odeur de la sacristie

Dans ce réduit, que l'on nommait pompeusement sacristie, flottaient de lourdes et obsédantes odeurs. Il me souvient des relents d'eau de Javel surgis des serviettes blanches dont l'abbé couvrait le ciboire, des étoles dorées empreintes de sueur, de l'encensoir aux effluves de charbon d'encens refroidis, des aubes immaculées imbibées de naphtaline, encore celles du vin aigre dans l'armoire de bois, ou des grandes hosties empilées dans une boîte de fer d'où, dès l'ouverture, se dégageait un léger fumet de pain chaud. Et, recouvrant le tout, la senteur de cire liquide montant d'un cierge jaunâtre qui, sans cesse, brûlait sur la table fraîchement lustrée. La porte était basse et étroite, la fenêtre à deux barreaux laissait passer juste un peu de jour, les odeurs vous encerclaient comme les liens les captifs des prisons.

102

Page 103: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le ver luisant

Parfois, lorsque la nuit s'enroule plainte longue aux collines, quand les cris scintillants des étoiles filantes s'achèvent en pleurs humides sur son visage d'ombre, il semblerait soudain qu'entre ces deux brins d'herbe, près du mur chaud du jour se glisse alors, brillant de mille feux, comme une pépite d'or vert, une paillette d'infini, une larme de ciel qui se serait perdue en ce jardin.

103

Page 104: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Lavignotte

Autrefois, sans nul doute, une petite vigne, aujourd'hui un pré long et étroit, en pente douce, qui offrait la particularité de commencer par un bosquet de chêne sous lesquels hautes herbes et fougères alternaient traversées par un chemin empierré. Cerné de haies touffues et de vieux troncs souffreteux que dévorait le lierre, c'était comme un abri, comme un camp retranché à l'abri des gêneurs où paissaient sans tracas les vaches pies, cantinières en caserne que veillait, somnolent. un petit général.

104

Page 105: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

105

Page 106: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

106

Page 107: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le lièvre

Ainsi qu'il m'avait été recommandé, je me dressais d'un coup à l'angle du carrefour où quatre chemins de terre dessinaient l'immuable marche des hommes du village, et là, gesticulant, bras et jambes écartés, coeur battant, j'obligeais la bête furtive, que semblait suivre un rayon de lune, à plonger vers un ravin étroit entre ses talus d'ombre... Les chiens passaient peu après, meute hurlante et essoufflée semblable à horde de démons noirs portés par la nuit claire... Un fracas de fusil résonnait au creux du vallon... Il était peut-être minuit, la pénombre était belle, la lune pleine et haute... Un de ses rayons luisait immobile, comme un doigt de feu posé sur le fond du vallon.

107

Page 108: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le lavoir

Tu es là, oui, tu marches poussant la brouette de bois par l'étroit chemin, ta charge est lourde du linge chaud que tes mains rouges ont essoré en torsades serrées, tu marches dans le champ et ton pas parfois hésite, ton dos s'arcqueboute, tu vas au creux du ruisseau où s'étale le minuscule lavoir. Un à un les draps plongeront dans l'eau claire, un cube de savon passera sur la planche de bois.... Tu es là, tes mains sont rouges, ta tête se penche, ton geste se répète, tu es là, maman, au petit lavoir en bas de la Vigne. J'entends tes pas, tes sabots noirs qui remontent le champ. T'entends ?... T'entends ?... T'entends ?...

108

Page 109: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

109

Page 110: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Lettres d'Algérie

Pour cette terre au loin, l'aîné faisait la guerre. Alger, Oran, Constantine, Blida, les Aurès, ces mots qui revenaient souvent dans les pensées, ces mots dont les radios déversaient, inlassablement, les sonorités et les journaux, immuablement, les grandes lettres... Embuscades, morts, blessés, il fallait vivre malgré cela, écouter en silence l'écho des canons lointains, espérer par dessus tout la bonté d'un Dieu, ou sa pitié, attendre. Attendre un carré de papier blanc avec, dans l'angle, un liseré aux trois couleurs du drapeau, attendre une lettre de l'aîné, une lettre d'Algérie. Lorsqu'elle était là, c'était un peu revivre, mais lorsque de longs jours s'écoulaient sans une missive, c'était comme si la mort rôdait. Vers midi, chaque jour, les regard cherchaient au bout du chemin la silhouette du facteur juché sur son vélo, et sur son visage qui se rapprochait, nous posions le masque sublime de l'espoir. Ce chétif bonhomme vêtu de bleu fut le messager des ombres en lesquelles, à l'abri des regards humains, malheur et bonheur sans cesse s 'affrontent.Vers l'impuissance des âmes soumises aux fracas des temps, vers l'inutilité des corps à parcourir l'espace, vers l'impossibilité des coeurs à vaincre la peur, s'en venait le porteur de destins.

110

Page 111: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Lunettes de théâtre

Il est souvent des objets qui vous appellent, qui vous hélant, qui semblent vous dire " Hé! Pstt ! Approche, regarde, je suis là ! ", des objets souvent inutiles ou presque, dérisoires parfois mais toujours rares à vos yeux ou empreints d'un délicieux mystère. Ainsi en était-il de ces fines lunettes de théâtre, jumelles devrai-je dire, nacrées de rose, bordurées de bagues dorées. Elles trônaient sur un petit meuble bibliothèque dans la maison voisine, comme deux soeurs timides, deux petites actrices avant leur premier rideau rouge, deux jouvencelles avant leur premier bal dans l'attente des trois coups sur la scène, d'un premier coup d'archet effleurant les violons de l'orchestre. Plutôt, peut-être, comme deux aïeules sereines et pensives qui auraient vécu longtemps à Paris et qui, retirées en quelque coin de province, se plairaient à regarder s'agiter le monde et poufferaient de temps à autre en se penchant l'une vers l'autre. Leur oeil ne vous quittait et, vous-même, ne pouviez vous empêcher de les observer longuement en rêvant à ce qu'avait été leur vie. Sans doute, lorsque vous vous détourniez et que vos pas s'éloignaient de leur espace, soupiraient-elles doucement, battaient-elles des paupières comme font les coquettes et rectifiaient-elles, d'un geste négligent maintes fois répété, sur leur genou, le pli soyeux de leur belle robe rose qui avait tant dansé aux salons de Paris.

111

Page 112: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les maraudeurs de miel

Ce sont, par cette nuit d'été, de sombres assassins en cagoule et gantés qui plongent, au ventre d'un géant chevelu, de fines lames de fer dont la pointe s'illumine de courtes flammes bleues ; ce sont d'avides équarrisseurs qui glissent un à un, dans les entrailles d'ombre de ce tronc de souffrance leurs mains comme des griffes que, jouisseurs ils retirent emplies de longs et gluants lambeaux tôt jetés dans des seaux rouges ; ce sont, par les nuits de plaine lune, d'obscurs et rapaces vampires qui se penchent sur des seaux jusqu'à s' agenouiller puis étreignent de leurs doigts et pressent de leurs poings les chairs flasques et molles à laisser s'écouler un sang épais et noir que, par instants, soulevant le voile qui les masque, ils goûtent goulûment en éclatant de rire... Sous l'arbre chevelu baigné de pleine lune..

112

Page 113: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le Luy

Sous les branches de saules et de frênes coulait la rivière d'Août, avec la lenteur alanguie d'une salamandre que clouerait aux pierres de bronze et aux berges d'ombre le flamboiement du ciel, avec le chant frais d'un clapotis ailé, le froissement intermittent d'un rameau frôlé, le chuchotement secret d'une voix aquatique, un éclat d'écaille, la ligne bleue fugace d'un Martin-Pêcheur, le zigzag des libellules violines ou d'émeraude, l'auréole grandissante, comme un cercle d'argent, sur le claquement de surface d'une ablette, on s'emparait de ces instants avec, au fond de soi, la même paix sereine qui envoilait déjà le premier rêveur des temps lorsqu'il se penchait sur l'onde.

113

Page 114: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Maman

Je voudrai dire, petite mère, petit oiseau si léger, si fragile, le clair de tes yeux qui furent mon nid, les rides au sourire rayons à mes jours, le gris des cheveux comme un ciel de lit,

dire, maman, tes frêles pas d'amour semés dans les chambres, ta main comme une aile bleuie tirant les rideaux, ta voix d'enfant nu qui chante comme elle prie.

Je voudrai dire encore ta caresse douce des lunes d'été, tes larmes souvent pour la soif des fontaines, tes rires parfois pour un cri dans le noir,

dire aussi la tendresse qui ruisselle au bout de cas paroles tues pour ne point trop étreindre, cette pudeur voilée qu'au pli des lèvres on découvrait quand même,

dire ta présence effacée un peu comme une excuse, l'humble offrande des saintes en ton corps qui se penche, ces bras tel un berceau où 1'amour, qu'on ne sait dire, se glisse et vous recueille.

Je voudrai surtout dire combien ta vie fut belle et pleine, combien je suis fier de toi,

dire, par delà le temps qui peu à peu éloigne, l'âge qui nos souvenirs dissipe, combien je t'aime, toi !

Je voudrai enfin te dire, petit oiseau si fragile, moi l'enfant si petit, mon manque éternel de toi, maman.

114

Page 115: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

115

Page 116: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Ma maison

S'il me fallait parler d'une chose en laquelle j'inscrirais ma maison en un temps et un lieu uniques où jamais nulle autre maison ne saurait exister, je ne parlerais ni du jardin de terre ou, seuls, oeillets et giroflées étaient autorisés à pousser, ni de l'allée entre cailloux à demi ensevelis, ni des chiens assis du toit rouge, pas davantage d'une cuisine au plafond noir, aux carreaux ocres, ni de cet escalier dont les marches gémissantes grimpaient vers le grenier que trottinaient les grises petites pattes de la nuit. S'il me fallait parler de la chose par laquelle continue à s'ériger en moi la silhouette indélébile de quatre murs et d'un toit qui ne rassemblerait à aucun autre édifice vivant, mort ou à naître, s'il me fallait parler d'une chose je murmurerai seulement le mot glycine et ferai resurgir comme une alcôve touffue, un ciel de lit aux nuages émeraude, un arc-forêt au-dessus de la porte, un bras d'ombre ployé comme une révérence, une main, mille mains qui se penchent ouvrant leurs doigts de grappes mauves pour offrir leurs parfums et vous dire ainsi : - Entre, n'aies pas peur, c'est chez toi, ici !

116

Page 117: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

117

Page 118: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Premiers jours d'école

Un jour de premier octobre, on emmènera les enfants sauvages vers la maison jaune aux volets de bois peints en vert, on les conduira bien propres en leurs tabliers de satin noir fermé sur le côté d'une longue traverse de boutons près d'un liseré rouge, on les conduira, comme au sevrage, goûter le lait d'une autre mère dont la voix ne chantera plus l'éternelle chanson des berceaux mais disséquera sèchement la belle morale, le droit calcul, le mot bien ciselé, la grande Histoire et la bonne Géographie. On emmènera l'enfant sauvage tirant les cheveux de sa mère et tournant le dos au chemin qui le conduit au bagne, l'enfant dont les yeux recherchent encore la couleur d'un toit entre les arbres, la volute de fumée échappée de l'âtre d'une maison tant aimée. On les pliera cas petits insolents trop bien nourris d'ignorance et liberté, trop bien gavés d'insouciance et d'impureté. Leurs ongles sont propres ce matin, leur tête n'a plus de poux et la crasse, que le fol été passé cisela, s'en était allée aux premiers frimas d'automne. Un vol de palombe passait peut-être sur le ciel gris, les feuilles des arbres déjà tourbillonnaient, une larme, mille larmes cachaient le toit de la petite maison et la fumée bleue qui s'en échappait. L'enfant sauvage s'agrippait encore au chignon de sa mère et criait :- Je veux pas y aller, maman, je veux pas y aller !

118

Page 119: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le marchand

Parmi tous les étals des marchands ambulants oui ouvraient sur la place du marché leurs camions aux regards des passants, il en était un qui attirait particulièrement mon attention et devant lequel je m'installais. Je ne me lassais pas de contempler l'accumulation des objets, outils et accessoires les plus variés, les plus insolites, les plus étranges aussi. Un bonimenteur, dont je n'apercevais que le torse, s'agitait telle une géante marionnette, brandissant à tour de rôle, devant un public silencieux et méfiant, brocs en émail, faux étincelantes, chaînes en rouleaux, cloches et clochettes en laiton, chaudrons de cuivre et plaques de fonte, fourches et râteaux, pioches, couteaux, marmites, casseroles clous et pointes de tous acabits, plats et fourchettes, pelles et marteaux… Comme de clinquants jouets de métal d'un Père Noël païen, Vulcain à barbe noire. Je ne doutais pas que cet homme-là avait, sûrement, pactisé avec l'enfer.

119

Page 120: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les masqués

La meute braillante dévalait les chemins pour pénétrer dans les maisons où chants, rires, cris d'effrois ou de joie s'engouffraient avec eux. Visages noircis de charbon tels faces des démons, habits loqueteux des gueux que la faim pousse au crime, grimaçant et gesticulant, le Mardi-gras était leur fête aux jeunes masqués du village. Pour quelques oeufs, quelques beignets, quelques boudins ou saucisses déposés en leurs paniers, ils entonnaient un dernier chant, effectuaient une dernière pirouette.

Je les voyais s'éloigner avec le sentiment au coeur d'être passé près d'un carnage épouvantable dont j'avais failli être la victime, je m'extirpais de ma cachette poussé par une l'effroyable et insupportable odeur qui emplissait mon pantalon. De ce jour, je compris que le masque de la peur était une visqueuse, dégoulinante et puante saloperie.

120

Page 121: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La vierge lumineuse

Avant que mes yeux ne se ferment, juste avant ce glissement vers ce monde entre mort et vie que l'on nomme sommeil, j'emmenais dans un dernier regard l'image d'une vierge lumineuse. La verte silhouette. posée sur la petite table près du lit, interrogeait la nuit, s'efforçait encore, par les ténèbres, de faire briller un peu de cet éclat volé au jour, de cet éclat qui lentement s'amenuisait jusqu'à presque disparaître, à l'instant où mes paupières se joignaient comme pour une dernière prière.

121

Page 122: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le musée de fer

Il n'est pas de bonne presse pour l'humain qui s'honore d'avoir pour les objets une tendresse particulière, cependant, je ne saurai taire celle qui m'a toujours habité au regard que je pose sur ces outils de fer et de bois que l'on avait vu, aux belles saisons de l'autre temps, rouler carrosse par tous les champs, et qui, en l'hiver d'aujourd'hui parvenus, s'enferment dans l'immobilité rouillée des inutiles que cernent herbes de cendre : râteaux et faneuses qui de leurs membres de fer rassemblaient ou dispersaient le foin, rouleaux, herses et charrues qui creusaient, malaxaient et écrasaient la terre, semoirs et moissonneuses qui accouchaient les graines de la mère à la fille, ainsi de tous ces trésors passés, créations de l'homme que l'on retrouve par les campagnes dévorés par la ronce, la rouille et dont le sexe de bois, le timon a pourri.J'oserai ce musée champêtre où ces curieux monstres de métal trôneraient, sous le silence des voûtes, dans l'immobilité froide des seigneurs ayant régné longtemps sur les terres aujourd'hui en friches.

122

Page 123: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La messe de minuit

Ce serait comme une marche crissante sur la neige d'un chemin, un enfant qui regarderait la scène mais ne la verrait pas. Ce serait comme un voyage sur les terres de minuit entre fougères d'argent ployées sous la lune pleine et fleurs d'étoiles- araignées tendues des herbes à la cime des chênes blancs. Ce serait comme la traversée d'une très vieille nuit de Noël dans une forêt étrange où un père soufflant un brouillard bleu s'envolerait entre les arbres aux trognes de sorcière, emportant avec lui la mère aux yeux de givre et l'enfant tout petit qui serrerait leurs mains chaudes, l'enfant qui regarderait la scène mais ne la verrait toujours pas. Ce serait comme un très vieux rêve déchiré, jauni et écorné, si lointain, si lointain qu'en l'homme devenu, il se serait enseveli.

123

Page 124: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

124

Page 125: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le meunier

On lui donnait le blé, l'orge et le seigle, il ramenait farine et son. On lui vendait plumes et duvets d'oies. Quatre à cinq fois par an, son quintal porté par sa camionnette brinquebalante, il passait par les fermes s'annonçant d'une grosse voix qui résonnait longuement dans les basses-cours. Les chiens aboyaient ainsi qu'ils aboient la nuit après les fantômes pilleurs d'églises et de granges, les chiens hurlaient et le meunier les chassait comme les sorciers chassent les jeteurs de mauvais sort, d'un coup de sac de plumes d'oie fraîchement arrachées un soir de pleine lune.

Pauvre meunier, pauvre Sancho, les aubes de ton moulin, un jour ne plongèrent plus en la rivière et l'âme de Don Quichotte ne rôda plus dans l'ombre des greniers, les chiens des basses-cours n'aboyèrent plus au tintamarre de ta guimbarde, à ta voix de fantôme pilleur de granges, partis ailleurs en ce pays blanc comme farine où pleuvent comme neige, plumes et duvets.

125

Page 126: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

126

Page 127: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le mur

Les yeux fermés, marcher en équilibre sur le vieux mur et conduire ses pas d'un bout à l'autre avec en soi le sentiment du danger à chaque avancée du pied qui peut vous précipiter dans la chute, jouer à se dire qu'à droite le vide est grand sur le chemin qui s'éloigne, qu'à gauche le risque est moindre avec la terre molle du jardin, ne pas savoir que le jeu d'enfant auquel il s'adonne est celui du drame de 1'homme : la route et ses tracas, le jardin et son ennui, entre les deux, le mur sur lequel on marche les yeux fermés.

127

Page 128: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La mare

A l'orée de la nuit, sur l'infime mare sous le chêne, ressuscitaient une à une les myriades d'étoiles des premières nuits des temps, et, pour leur rendre hommage, sortaient de leur secret les hôtes des berges au jour ensevelis. D'entre les joncs, d'entre les herbes, des racines de l'arbre et de la terre du tertre, d'insignifiantes créatures nocturnes, vers chacune des fées qui dansait sur l'onde, sculptaient un chant comme une offrande à leur mystère. Mais le miroir, un soir, devint opaque, au creux de terre l'eau se tarit et les chants laissèrent peu à peu leur place au silence.- Qu'attends-tu, toi, le creuseur de mare ?- Moi ? Mais, moi je ne suis que le fossoyeur, le creuseur de tombes !Le miroir, un soir, devint opaque et les chants laissèrent, peu à peu, leur place. Au silence.

Pourtant, à l'orée de la nuit, ressuscitent toujours les myriades d'étoiles des premières nuits des temps que ne hantent jamais nulle absence.

128

Page 129: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La noce

Aux noces, dans les granges, était convié le village rassemblé autour de ses mariés. Les bancs de bois s'alignaient et les longues tables couvertes de nappes blanches voyaient défiler les plats immenses charcuteries et salades de toutes sortes, pot-au-feu, rôtis et poules au pot, pastis landais et vins du cru rouges et blancs en d'immenses bouteilles qu'il fallait saisir à deux mains pour les servir, tous ces présents, offerts par les maisons, qui allumaient lumières aux yeux rieurs et rougeurs aux joues emplies. Il ne fallait pas attendre bien longtemps, exactement le temps de vider quelques verres, pour que résonnent les premiers hymnes au " boutillé " chargé de renouveler le vin sur les tables. Ensuite il y avait les chanteurs et conteurs solitaires, les refrains repris en choeur par l'assemblée, les grivoises gueulantes à boire des jeunesses avant qu'entrent en scène trois ou quatre musiciens qui lançaient le bal. Les couples s'assemblaient pour pas lourds des polkas, enlevés des javas, tournoyant des pasos souvent laborieux et titubants de la part des cavaliers mais aisément remis en selle par la main de fer et le jarret d'acier de leur, souvent robuste, compagne . Au-dessus des mariés, tendu à même le mur, un immense drap blanc sur lequel, entre des guirlandes de fleurs, on pouvait lire en lettres d'or : "Honneur aux mariés " . Je ne vous vous parlerai pas des quelques agapes du soir devant lesquelles on s'attablait de nouveau, ni du repas du lendemain, le "noucet" qui rassemblait le dernier carré composé de la famille et de quelques amis... Repus...Ces noces ont bien sûr jalonné le siècle. Comme d' immuables et répétitives respirations d'âmes en communion où semblait se revivifier le sang du groupe humain. Et si l'on considère sous cet angle chacune des photos qui figeait les visages à chacun de

129

Page 130: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

ces rassemblements, on peut entrevoir, comme saisis par l' œil d'un microscope, le cheminement rituel des cellules qui le composent. Ballet éternel des êtres qu'enfants on alignait à l'avant de la scène, puis que, devenus jeunes adultes, l'on faisait trôner au sommet de l'édifice avant, atteignant l'âge mûr, de les faire se resserrer autour du noyau central que constituaient les mariés, pour enfin, vieillards sombres et graves, les disposer sur le banc du premier rang, juste derrière les enfants de la deuxième ou troisième génération que l'on continuait d'aligner, toujours aussi propres et bien coiffés, à l'avant.Eternelle roue qui a déjà dévoré le siècle emportant vers d'autres lieux que l'on espère bénis, toutes ces belles âmes qui ont tant chanté, tant dansé, tant aimé la vie et la bonne chère, qu'il n'en sera pas un, parmi tous leurs descendants, qui n'ait envie de leur dire :

- " Pour tout ce que vous avez été, je vous aime et que Dieu, s'il existe, vous garde "

130

Page 131: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

131

Page 132: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

132

Page 133: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

133

Page 134: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

134

Page 135: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

135

Page 136: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

136

Page 137: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

137

Page 138: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

138

Page 139: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

139

Page 140: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le pressoir

A chaque tour de vis, du ventre bardé de fer, coulait l'automne doré dans les chaudrons de cuivre, fontaine de vin nouveau à l'odeur des fruits ouverts, fontaine du sang blond de la terre dont le goût âcre et sirupeux s'en irait mûrir dans les flancs des barriques puant le soufre...Du panier au broyeur, du pressoir au chaudron rouge puis à l'ombre des barriques la main de l'homme s'activait, lourde de fatigue, lente de volonté tendue, triomphante quand elle frappait du maillet sur la bonde scellant ainsi la fin des vendanges. Et dans une dernière caresse d'amour, la main à plat tapotait longuement les ventres de bois comme pour conjurer, peut-être, le mauvais sort qui parfois rôde autour des laborieux enfantements.

140

Page 141: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La palombe

Je vois une étroite pinède au sommet d'un coteau, un flanc au nord où le printemps semait les clochettes de muguet, un autre vers l'ouest, truffé de terriers d'où de minuscules lapins s'éparpillaient entre les fougères, je vois une vétuste cabane de branches mortes où trois enfants s'étaient assis fumant des cigarettes de sureau, trois enfants chuchotant, soudain surpris et muets au claquement d'aile d'une palombe bleue posée comme une fleur sur le rameau d'un pin tout juste au-dessus d'eux, je vois trois enfants glissant une main hésitante vers leurs frondes jetées aux feuilles sèches, le regard suspendu au bel oiseau couleur de fumée, je vois l'envol subit entre deux branches, une aile frissonnante qui balaie tout à coup l'image enfouie en la boule de cristal.

141

Page 142: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

142

Page 143: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Ma noblesse

Enfant, alors que mes courses du jour m'entraînaient sans cesse vers les espaces vallonnés qui cernaient ma maison de coeur et mes champs de chair, je les voyais surgir souvent comme ces bornes mouvantes et éternelles arrimées au paysage, faisant corps avec lui et lui offrant même le relief dont parfois il manquait, l'authenticité, l'originalité qui lui faisait défaut comme à tous ces paysages du Bas-Béarn lorsque meurent indéfiniment les contreforts des Pyrénées à la lisière de la grande plaine landaise. Je les voyais surgir et leur présence rôdante, leur ombre dessinée, brusquement apparue et tout aussi rapidement évanouie au détours d'une baie ou d'un bosquet, s'imprégnaient si fort en moi qu'aux lieux je donnais leur nom. Comme en ces fiefs Moyenâgeux où vassaux et suzerains donnaient leur nom à la terre, ils étaient mes nobles, car tout autant que les contes, ducs et barons des temps échus, chacun d'entre eux se parait de l'insigne rare d'une particule : Bernadin de Garosse, Joannessou de Larroudé, François de Taillur, Pierre de Chigé, Jean d'Anglade, Paul de Biar, vous étiez ma noblesse à moi, et les attributs dont vous vous pariez, fusils et gibecières, fourches, râteaux, haches, serpes que sais-je, valaient bien, à mes yeux, lances et épées, baudriers cloutés d'or ou armures d'argent. Les chapeaux ou bérets, portés hauts ou penchés, avaient toujours sur vos têtes dressées l'orgueilleuse grandeur des heaumes coiffant de preux chevaliers.

143

Page 144: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

144

Page 145: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

145

Page 146: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

146

Page 147: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le vendredi saint

Ce jour-là, chaque année, il attendait avec une terreur grandissante trois heures de l'après-midi. Une terreur grandissante, un pressentiment lourd où se trouveraient mêlés aussi comme une attente enfouie, un secret souhait : les ténèbres allaient régner sur la terre, d'un coup disparaîtrait le soleil, une nuée étrange recouvrirait le monde, un éclair soudain jaillirait des infinis, incendierait la planète juste au moment où, jaillis des tombes des cimetières, se redresseraient tous les morts. Il attendait l'apocalypse on laquelle, avec effroi, il se projetait tel ce Christ, à son dernier souffle, expirant sur la croix...Chaque année, ce jour-là, il attendait…Et si ce n'était aujourd'hui, ce serait l'an prochain…

147

Page 148: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Pas dans le sillon

Après les dernières gelées de mars ou d'avril commençaient les labours, et les voix des hommes résonnaient, coléreuses ou rassurantes, conseillères ou impératives selon la marche des bêtes qui tiraient de lourds brabants de fer. J'aimais à marcher au creux du sillon lorsque la terre grasse s'ouvrait comme une plaie sous le tranchant du soc et jetait au jour tout un monde jusqu'alors enfoui. Ce n'était que fuites, reptations subites et maladroites, tortillements scandés ou creusements fébriles afin d'échapper à la colère d'un dieu qui bouleversait la terre. Tout en marchant et suivant la lame qui retournait le sol, j'observais minutieusement l'apparition de ces mille espèces de l'ombre : vers blancs comme endormis, lombrics visqueux parfois énormes, courtilières étranges plongeant prestement dans un trou rond, scarabées d'or ou de deuil, mille pattes divers et fourmis de toute taille, rouges ou noires, grouillantes dans l'amoncellement des oeufs, puis tant d'autres insectes dont j'ignorais les noms.J'attendais, à chaque sillon, de voir la créature unique, infime ou gigantesque, de rêve ou cauchemar, la créature magique que nul être, encore, n'avait entrevu et qui, cependant, régnait sur le peuple fouissant en l'antre de la terre, la créature qui arrêterait le pas du fils de Dieu et lui ferait dire :- Papa, viens voir vite, c'est quoi, ça ?

148

Page 149: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La vieille maison

Va vieillesse, va abandon, va autrefois, va!...Combien de rires, combien de voix, combien de pleurs résonnèrent entre tes murs de torchis, combien d'enfants cahotèrent leurs premiers pas sur tes carreaux rosis, combien de vieillards crachèrent leur souffle dernier en tes lits de bois ? Le silence s'est installé, les fours à pain sont noirs et froids et les pièces sont vides, le toit se creuse, les volets s'inclinent et la ronce et le lierre rampent par tes plaies. La ruine qui s'avance, chaque jour davantage, t'arrachera-t-elle enfin un signe, un son, un appel comme pour nous dire : "Faites- moi revivre... Un peu ? "

Va silence, va oubli, va !…

149

Page 150: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

150

Page 151: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La bib1iothèque

Une nuit, ils vinrent tous me rendre visite, Oui tous, sans que je les ai réellement invités même si, depuis quelques mois, j'avais passé de longues heures à les fréquenter et à m'en faire de sacrés bons amis. Seulement, dans leur empressement à venir à mon chevet, j'étais alité avec une forte fièvre , et avec la fatuité propre à tous les personnages, qui à force d'être célébrés attrapent la grosse tête, dans leur empressement donc, la bousculade fut telle, le charivari si monstrueux que je ne pus décemment m'occuper d'eux. Imaginez les trois mousquetaires faisant irruption, poursuivis par les gardes du cardinal, juste au moment où le Nautilus du capitaine Nemo faisait surface. Imaginez la colère de Buckingham qui s'apercevait que, sur l'herbe de son château, Rémi et la mère Barberin s'efforçaient de traire leur vache récalcitrante, juste à l'instant où Alphonse Daudet tançait sévèrement un sous-préfet endormi à l'ombre d'un moulin à vent, imaginez David Copperfîeld atteignant à la nage l'île de Robinson lorsque Vendredi s'interposait entre les pirates du Capitaine Flint et les indiens, les derniers des mohicans, conduits par Buffalo-Bill ! Imaginez un peu dans quel état pouvait se trouver ma chambre... Heureusement que d'Artagnan, à mon appel hurlé dans la nuit, surgit soudain, et, d'un coup d'épée, chassa illico tout ce monde. Cela fit, alors, un drôle de silence.Je crois que ce fut dès ce jour là que nul d'entre eux ne vint à nouveau, me rendre visite. Sans doute m'était-il apparu ridicule, dès lors, d'héberger si tardivement ces pauvres fantômes, moi qui me prenais presque pour un homme, peut-être, alors se sentirent-ils si profondément vexés qu'ils décidèrent, à leur tour de mépriser, à jamais, un si mauvais hôte ?C'est ainsi, pourtant, que s'en fut à grands pas mon enfance. Pauvre sot que j'étais, pauvre aveugle qui ne se doutait pas qu'il commençait là le cycle de ses trahisons.

151

Page 152: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

152

Page 153: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Papa

Tu marches, tu regardes droit devant, tu es de la terre, tu ressembles à la terre alors que femme que tu choisis était fille de l'eau que ride le moindre vent, tu as le pas lourd des patriarches mesurant les sillons, la main sûre des seigneurs de guerre guidant leurs attelages.Ta vie fut droite comme les lignes des labours si longtemps tracés, ta vie fut sévère et grave, ta vie fut logique, ta vie fut raison, ta vie fut réserve et repli, ta vie ne voulut pas de failles, pas de folie, pas de honte, pas de peine. Il te fallut rester digne, droit, honnête et sans tache, il te fallut enfouir ce qui dépasse, la mauvaise herbe et le fruit pourri, il te fallut être homme pur et dur, solitaire soldat, résistant du destin, prisonnier sur parole.Sans doute la joie, en toi, parfois s'est glissée, sans doute la douleur , un jour, en ton âme, a raviné longuement, sans doute, alors, toi aussi, tu as pensé à te laisser aller à rire, pleurer ou jouer, à faire n'importe quoi comme un enfant, mais cela ne pouvait être, tes larmes ont coulé en dedans, tes rires sont restés dans la gorge, ta main s'est arrêtée avant de faire signe.Je sais que tout cela, pour toi, avait trop de prix, je sais que tu ne voulais galvauder ces choses si précieuses, ni la larme, ni le geste, ni le rire, ni le mot, je sais que tu n'aurais su gaspiller l'essence de

153

Page 154: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

l'homme, détourner le sens de sa marche, je sais que tu ne désirais que leur conserver valeur et puissance comme si l'abondance et l'excès du geste, du rire, du mot ou des larmes n'étaient pas de l'homme mais de sa pâle copie.Tu avances, tu regardes droit devant, jusqu'au bout, tu es un seigneur de la terre, tu es ce rocher étrange planté en plein champ telle une stèle immuable qui attendrait toujours, là, caressé des brises comme balayé des tempêtes, qui attendrait toujours, là, quelque passant sublime, quelque rare et méditatif invité pour les convier, dans l'immobile silence, à regarder peut-être leur âme.Et je te regarde plus que jamais, papa, toi dont le père s'appelait Pierre.

154

Page 155: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

155

Page 156: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les prières de mai

Une minuscule vierge comme en sa niche de béton, quelques fleurs en plastique qu'une dévote voisine avait déposées, on priait devant la petite chapelle par les soirées de mai. Le crépuscule tombait à peine, il avait un ventre doux et des haleines de printemps, d'herbe grasse, de fleurs nouvelles, et autour du prêtre, entre deux cierges, d'une poignée de fidèles amassés au bord du chemin, montaient un cantique, une prière. L'Angélus, au loin, célébrait le jour finissant, les femmes ouvraient leur missel pour une dernière homélie à la vierge, dans les maisons les marmites fumaient dans l'âtre, des enfants s'enfuyaient ivres par les champs, silhouettes bientôt fondues aux ombres lentes d'un soir du mois de Marie.

156

Page 157: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La pèlère

Rouge, si rouge, presque noir, le sang de la bête s'écoulait de sa gorge, d'abord comme un torrent fou, puis un flot bouillonnant, bientôt un mince filet, par saccades à chaque soubresaut du corps qui peu à peu s'apaise, la révolte impossible, l'abandon ultime, l'impuissance acceptée, la sereine mais terrifiante emprise de la mort.Rouge, si rouge, presque noir, le sang de la bête se coagulait déjà, une légère vapeur flottant à sa surface. Et le coeur des hommes qui continuait à battre, plus fort encore peut-être, plus fort encore. Et le sang des hommes qui continuait à s'écouler en leurs corps brûlants, devant la bête froide, froide et blanche, si blanche, si blanche..

157

Page 158: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

158

Page 159: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

159

Page 160: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le repas dans la chambre

Il fallait garder les yeux ouverts le plus longtemps possible, il fallait encore prolonger ce jour de fête, ne pas s'abandonner au sommeil qui gagnait. Enfoui sous l'édredon rouge, écouter le bourdonnement des voix des hommes qui résonnait dans la chambre où la grande table avait été dressée, les regarder, violets et repus, se verser des rasades d'eau de vie dans les verres, frapper du poing sur la table en éructant un juron, et battre et distribuer les cartes, compter les points avec la voix monotone des prières, s'esclaffer bruyamment et boire goulûment la liqueur limpide ou porter à leurs lèvres d'infâmes mégots mouillés de salive qui dégageaient alentours un nuage puant le tabac gris. Il fallait se battre sans répit contre un sommeil qui s'en venait, cependant, nous recouvrir de sa main douce, il fallait enfin s'avouer, peu à peu, vaincu, clore ses yeux comme s'endorment les enfants que bercent les voix familières d'un monde qu'ils savent leur, entrevoir, une dernière fois, l'eau de vie flamber dans les verres, la flamme bleue amener doucement les rêves...

160

Page 161: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La "Pounterique"

Je la vois toujours comme un petit pont, une passerelle faite d'un maigre tronc d'arbre enjambant un profond ruisseau qu'il fallait franchir en quatre à cinq pas rapides, en équilibre au-dessus du vide dans lequel une chute aurait été, sinon mortelle, du moins très douloureuse. Je la vois toujours au creux d'un vallon, entre deux collines, au bout d'un sentier qu'il fallait descendre puis remonter.Sur l'une des collines était la maison natale de mon père, sur l'autre la maison natale de ma mère. Je la vois comme un trait d'union entre deux noms, entre deux terres qui m'enfantèrent.

161

Page 162: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

162

Page 163: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le barricot

Pour la fête au village, à l'auberge, on invitait d'un bon coup de mauvais blanc tirée d'une barrique achetée pour l'occasion, on invitait dans le quiller étrangers et amis, gens de la famille ou vagues connaissances, hommes le plus souvent, qu'un jeune du village servait à volonté entre deux donnes de cartes, deux parties de quilles ou deux tours de danse. Au passage on pissait d'un air dégagé dans l'angle du portail, on traversait la cour, l'orchestre appelait dans la grange, on revenait encore pour un verre jaune et aigre, puis quand sonnait minuit, les chants montaient bientôt , hommes debout, gueules grandes ouvertes, tantôt pour s'abreuver, tantôt pour le Beth Ceù. Se bâtissait un grand cercle allant s'élargissant dont le roulis montant aux jambes titubantes semblait suivre le rythme de la mélopée grave, comme une danse debout de peuplades primales. Par une curieuse alchimie, le chant assurait le tangage en évitant la chute, et le tangage, alors, renforçait fort le chant, sans que l'on sache très bien lequel, du tangage ou du chant, était le maître d'oeuvre du branlant édifice.Ce n'est que bien plus tard, dans la nuit avancée, lorsque commençait à sonner bien creux la barrique, qu'on s'apercevait de la fragilité des monuments humains : une simple bourrade dans un dos, un gros éclat de rire suffisaient à entraîner le cercle des buveurs dans la chute...On pissait encore abondamment, le nez dans les étoiles, puis on rentrait.

163

Page 164: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

164

Page 165: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les quilles

Neuf quilles de bois, ventrues, au long cou dressé se pavanaient tels d'opulents propriétaires campés sur leur lopin de terre, installés dans la quiétude d'un dimanche où ne résonnaient seulement que les tintements lents venus du clocher voisin, ponctuant la messe du matin. Elles trônaient dans l'ignorance du danger imminent, celui d'un dieu joueur en sa chemise blanche, col empesé ouvert sur la cravate sombre, celui d'un dieu vengeur dont le bras noueux balance et dont les yeux se figent ajustant lentement d'immobiles victimes, celui d un dieu d'enfer qui s'apprête à frapper du sceau du cruel destin, en la boule de bois qui tout à coup s'envole, l'ordre apparent des choses. Et lorsque, trois ou quatre d'entre elles roulant dans la poussière, se détournera leur bourreau vers un bruit de vin blanc coulant dru dans les verres, un autre dieu, plus loin, redisposera le monde...Neuf quilles de bois, ventrues, au long cou dressé, se pavaneront encore, tels d'opulents propriétaires.

165

Page 166: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La promenade

Juillet s'en venait, la maîtresse, de sa belle écriture, inscrivait au tableau :"Nous sommes en promenade" , et nous partions deux par deux, pour l'après-midi, vers un petit pré dans le creux d'un vallon où courait un maigre ruisselet. On ne louera jamais assez les vertus de cette école qu'on pourrait nommer buissonnière où, tout autant qu'entre les quatre murs d'un édifice, s'épanouissent les jeunes âmes, comme si le vent doux, l'herbe tendre, la vie qui surgit à chaque coin du pré, avaient le pouvoir de vous instaurer d'un coup pourfendeur d'aventure, comme si ces cris, ces rires, ces poursuites, ces chutes, ces luttes qui vous mêlaient à l'autre avaient la faculté, soudain, de vous installer enfin en l'autre, frère de rêve, jumeau aimé, ô miroir d'un jour !... L'après-midi étirait ses ombres d'été sur la poussière du chemin, une dernière course nous amenait sous le préau. On ne saurait décrire la jubilation qui se répandait en nous quand, rouges et chauds et la soif nous taraudant, nous nous jetions sur l'eau de l'arrosoir coulant dans la seule timbale de laiton qu'il nous fallait partager pour boire, c'était dégueulasse mais sacrément bon.

166

Page 167: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La séance de cinéma

Sur le drap tendu au mur, Jeanne d'Arc se mourait enveloppé de flammes grises, et un gros plan montrait ses beaux yeux noirs levés vers le ciel

blanc.Dans la fumée des cigarettes, le trait bleu du projecteur crachait le mot "Fin", juste avant les actualités de Pathé-Cinéma. Je voyais, ce soir-là au quiller de l'auberge, mon premier film, j'avais sept ans. Et la trentaine de spectateurs regardaient encore les images de la guerre d'Indochine, puis du Président Coty descendant les marches de l'Elysée entre les gardes républicains et prononçant des paroles de paix... Jeanne d'Arc venait de mourir sur le drap cloué au mur, enveloppée de flammes grises, et un gros plan avait montré ses beaux yeux noirs levés vers le ciel blanc. Mais l'Histoire allait si vite qu'elle avait tout effacé et montrait à présent, d'autres images: les visages pâles des soldats français, les visages gris des combattants viets. Sur les mènes fumées blanches des mêmes feux vengeurs, les mêmes martyrs aux prises à leurs nouveaux bourreaux... Nous vivions là, en 53, les premiers chocs du pouvoir de 1 'Image...

167

Page 168: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

168

Page 169: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La Fête-Dieu

Sur l'étroit chemin qui serpentait entre les haies, ils marchaient sur un tapis de pétales de roses que chacun d'entre eux, d'un geste lent, semait tout en chantant l'Ave Maria, et, à l'avant de la procession qui approchait de l'église, juste devant l'abbé solennel, un jeune enfant de choeur, titubant sous le poids d'un haut crucifix, se prenait pour l'élu d'un Dieu au parfum de rose.

169

Page 170: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

170

Page 171: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La soupe aux choux

Il vous faut imaginer une profonde assiette, un peu ébréchée, un peu jaunâtre, dont le pourtour se parait d'un entrelacement de fleurs aux couleurs fanées, et, à l'intérieur, fumante, une magnifique soupe aux choux verts coupés menu, au milieu de laquelle s'étalait une épaisse tranche de pain, bien gonflée par le bouillon, une tranche de ces pains de deux livres, à la croûte dorée sur le dessus et noirâtre au-dessous. Il vous faut imaginer le fumet chaud qui emplissait la pièce, il vous faut imaginer une cuillerée de graisse de canard, bien ronde comme la main de ma tante Mathilde qui la déposait sur le pain. Il vous faut imaginer la graisse fondant lentement, de petits cercles contigus flottant à sa surface, la pluie dehors, le vent, le froid, la pluie dehors et la cuisine chaude, et la soupe aux choux verts où s'étalait, sublime une belle, tranche de pain grasse...Il vous faut imaginer la petitesse des choses du passé qui, soudain, lorsque le temps est venu, remontent en vous comme une vague et vous recouvrent un bref instant avant de se retirer, vous laissant vide et nu avec seulement parfois, échoué sur le sable lisse, un objet, venu on ne sait d'où, qui s'incruste et qui vous hante.

171

Page 172: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

172

Page 173: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le tabac

La neige recouvrait le chemin et les tertres et les champs. Nos pas nous conduisaient vers la Vieille Maison, la fumée s'échappait de nos bouches, le silence nous rendait si vivants, mon père et moi. Nous refermions la porte au loquet de fer, une légère odeur de moisi, d'humidité rance, et surtout, oppressant, le parfum du tabac nous envahissaient. Les tiges séchées pendaient du plafond, bien alignées, forêt rousse et touffue qui vous frôlait la tête.Je détachais les feuilles une à une, les triais selon leur longueur : la main de non père se faisait précise et agile pour les assembler ainsi qu'un bouquet, avant de le ceindre d'une autre feuille, comme d'une cravate qu'on noue sur une marotte... Parfois nos yeux se posaient sur le silence bleu de l'horizon blanc, nos yeux semblables à ceux des marins qui, de leur vaisseau, contemplent, heureux, l'immense mer.

173

Page 174: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le tamis sur la neige

Il en est de notre vie comme de ce petit tamis qu' une main d'enfant a incliné sur la neige pour piéger les petits passereaux que le froid amène tout autour des maisons. Il en est de notre vie comme de ce petit tamis qui s'abat brusquement lorsque la main, tirant sur la longue ficelle, retire le fin bâton qui le maintenait oblique, qui s'abat brusquement sans capturer l'oiseau tôt enfui au frisson du cordeau.Il en est de notre vie comme de ce petit tamis qu' on redresse sans cesse, qu'on retend comme un piège, dans l'espoir d'emprisonner enfin un trop fuyant bonheur, une couleur bleutée d'une queue de mésange, le plastron feu d'un rouge-gorge, l'or de l'aile d'une bergeronnette, qui ne font que passer sur les ciels gris d'hiver, et vous laissent plantés, là, dans votre espoir déçu et votre solitude.

174

Page 175: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La jeunesse

C'était le temps des retrouvailles, dans un pré vert ou sur les rives du Luy, c'était la jeunesse des rires et des blagues.Les jeunes filles avaient des robes â fleurs et se joignaient par grappes, les gars forts en gueule avaient acheté la " Mutuelle " un tacot des années 40, et animaient un rodéo sur la terre battue du terrain de basket...Les enfants, dont j'étais, suivaient de loin le spectacle. Pour eux, le monde avait toujours été comme ça, et il resterait toujours comme ça.

Les enfants étaient inscrits dans une éternité sereine...

175

Page 176: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

176

Page 177: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

177

Page 178: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les tatis O.M.M.

Maintenant qu'a coulé sur elles le froid des tombeaux, que les étreint à jamais le silence, maintenant il faudrait dire qu'autrefois, qu'antan, qu'avant cela leurs joues étaient chaudes et rouges, leurs mains actives et leurs pas pressés, infatigables fourmis allant des fourneaux aux cheminées, patientes araignées tissant et tricotant la laine, mariant les étoffes, il faudrait dire aussi combien étaient frais leurs rires et enjouée la vie qu'elles racontaient au bout de paroles qui n'en finissaient pas de se survivre. Il faudrait dire mieux que cela ces petites âmes qui s'en sont allées, mais se peut-il quand on n'a que des mots qu'envoile un lourd silence...

Octavie, Marie et Mathilde étaient trois soeurs.

178

Page 179: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

La prière

Je vous salue Marie et Notre Père qui êtes aux cieux, acte de contrition, Je crois en toi son Dieu, prières ou cantiques, mots murmurés ou dits dans sa tête, lorsque la nuit est noire, la maison chaude, le lit douillet et que le silence écrase, toujours montaient ces chapelets de voix errantes que personne n'entendait peut-être jamais.

179

Page 180: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le terrain de basket

Les bonnes jeunes ou d'âge mûr ont rasé la terre, l'ont aplanie et remblayée, tous ont déversé leur sueur, torse nu sous le soleil de juillet, comme une chaîne de bras aux peaux tannées fouissant l'argile rouge, des rires et des voix qui s'interpellent, s'encouragent, se hèlent ainsi que le font, sur le pont, les marins du navire. Et c'était comme un navire de terre où l'on dressait deux mâts, deux poteaux de bois et leur hune de fer, deux mâts où me s'arrimerait jamais nulle voile. contre lesquels ne s'écraserait jamais de vent marin. Les hommes bâtissaient cependant cet espace libre propre à les faire s'embarquer pour un voyage au long cours, ce voyage qui les ramènerait vers cette enfance que la plupart avaient depuis longtemps quitté, cette enfance où l'on poursuit, dans l'ivresse des courses, un simple ballon fuyant.

180

Page 181: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

181

Page 182: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

182

Page 183: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Le vélo jaune

Dernier objet de l'âge d'enfant, premier objet de l'âge d'homme, il marquait la fin de l'école primaire, la fin du catéchisme. Avec l'argent de la communion solennelle, qui scellait notre intronisation de vrai enfant de Dieu, on achetait le vélo. Un été encore de jeux et septembre venu ce serait le collège. on remplirait de livres les sacoches rouges, on irait en pédalant voir le monde des professeurs au chef-lieu de canton. Nous ne serions plus enfants de choeur à la messe du dimanche, mous irions avec les hommes dans la tribune, au fond de l'église. tout en haut des escaliers. La vie commençait à nous rouler en sa vague. Fiers comme des guerriers, nous dévalions, sur nos destriers flambant neufs, les chemins du village. Le soir, nous prenions un chiffon et faisions briller les lettres d'or sur le cadre, nous nous appliquions à faire couler quelques gouttes d'huile sur la chaîne et les pignons, nous écoutions avec délectation le cliquetis des roulements à bille, nous nous endormions dans l'attente des heureux lendemains... Sur nos jambes cagneuses qu'avaient séchées les courses de l'enfance, nous mettions, peu à peu, ces gros mollets d'adolescents nourris du moulinet incessant du pédalier.

183

Page 184: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

184

Page 185: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Les âmes du village

Toi, François de Taillur, à la mouvance fébrile de l'ancien prisonnier toujours en cavale, qui aimait tant la compagnie, le vin gui coule dans les verres et le rire dans les coeurs, qui jouait aux cartes comme on joue sa vie, avec cette malice des éternels enfants...

Toi. Garrosse, qui portais en toi l'ombre des sous-bois, toi dont le pas de silence avait l'amble des pas des troglodytes et dont la voix rauque parlait si bien aux poissons et aux oiseaux ainsi que marmonnent sous leur coiffe sombre les machiavéliques braconniers…

Toi, Larché, sous ton béret penché sur le côté presque en déséquilibre, qui promenais la lenteur d'un gros pachyderme et tonitruait vers les troupeaux du haut du coteau, tel un ténor d'opéra, qui du haut de la scène, agonit le parterre...

Toi, Lasprou, le voisin le plus proche, ton visage un peu rouge, ton éternel mégot de tabac gris posé au coin des lèvres, tes bottes et ton fusil, tes colères qui faisaient vibrer les granges, ton regard clair qui semblait toujours chercher au loin comme un vol de palombes…

Toi, Paul de Bearn, vieux garçon à l'âme pure, aux mains grasses et blanches qui savaient si bien se tendre, aux mots patois gui trébuchaient dans ta bouche comme hésitants à trop dire ou à mal dire, aux mots français qui surgissaient comme une déférence, un respect, une sobre humilité offerte à l'étranger que tu ne sentais pas tout à fait de ton monde...

Vous, de la vieille maison de Tisné, Jean, petit et sec, ployé par la toux qui te courbais dans ta marche lente par les champs, Anna, noire comme un corbeau, encapuchonnée d'un fichu de deuil qui passais, trotte-menu, par tous chemins, Simon, dont l'ombre ronde et replète se découpait au sommet de la colline, prés de ta maison derrière laquelle plongeait l'ombre des bois profonds et des taillis de ronces...

185

Page 186: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Toi, Jean le forgeron, serti dans ton antre prés de l'enclume et de l'énorme soufflet, patriarche magicien qui maniais, avec la précision d'un orfèvre, marteaux et pinces, martelant ces ovales pour ferrer les bestiaux, et toi, Altred, le frère, petit bonhomme un peu comme un lutin qui t'occupais des bêtes et des champs...

Toi, Pierre de Chiger que les fougères, souvent, recouvraient, j'écoutais le bruit de ta pierre à aiguiser passant sur la faux, et dans une trouée, apercevais ton geste ample de faucheur au corps noueux et sec, semblable a la tige de ces mêmes fougères, toi qui surgissais toujours entre deux haies, entre deux sentes, entre deux prés tel un gnome des forêts de légende...

Toi, Jean de Nicou, ton béret penché, une douceur de gestes et la voix si paisible, toi le sonneur de cloche, le batteur de temps de midi à l'angélus, des messes aux vêpres qui t'en fus sans doute pour te vêtir des beaux habits de carillonneur du paradis...

Toi, Lacabe, aux paroles qui sortaient comme d'entre deux portes rouillées, qui parcourais les chemins et les champs et les bois avec, en toutes saisons, un fusil sur l'épaule, un chien larmoyant sur tes talons, toi qui t'installais de longs moments dans les cuisines devant un verre de vin blanc, contant les courses d'un lièvre, l'envol d'une compagnie de perdreaux, le passage d'un nuage de palombes ainsi qu'on parle de sa famille...

Vous, René et Albert, les beaux- frères de Cazenave, l'un des chemins de terre, l'autre des chemins de fer, vos airs rusés et matois, la bonhommie de vos visages comme reflets de vos coeurs doux, vos voix qui s'évanouissaient si souvent dans un rire...

Toi, Jean de Cousquet, tueur de cochons, rouleur de cigarettes et ne crachant pas sur un petit verre, toi l'oncle, que personne ne surpassait dans cet humour avec lequel tu regardais le monde et tous tes congénères, philosophe des champs au patois qui était une musique.

Vous, Gabriel de Cassou, Paul de Courtiade, René d'Antoni, toi Eugène, toi Charlot, toi Péry, toi

186

Page 187: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Madeleine et toi Rosa, toi René de Lacède et toi Gérard de Courtiade, toi Jean d'Anglade, toi André de Bacqué, vous grand-père et grand-mère de Cantou que j' ai à peine vus, toi grand-père de Cabette, toi Alice toi Eugénie, toi Ida et toi Catherine, vous tous aussi encore que je ne peux nommer mais que je contiens, vous tous qui vous êtes en allés, je veux vous dresser immuables sur le papier, je veux vous inscrire dans ce temps qui était à peine mien mais surtout tellement vôtre.

Pour qu'à jamais, je vous revois avec mes yeux d'enfant, pour qu'à jamais, je vous revois lorsque vous combattiez la rudeur de la terre de vos mains généreuses, emmuriez son silence de vos rires ou vos plaintes, érigiez ses frontières de haies, murs et jardins que joignaient ces chemins dessinés par la sueur de vos marches incessantes sous vos corps bien souvent las, savouriez aussi ses offrandes, du vin blanc aux poulardes, que vos bouches jouisseuses, grandes ouvertes entre vos joues rouges, lapaient comme brigands, pour qu'à jamais je vous revois façonnant et aimant ce village qui fut mon premier monde, pour qu'à jamais nul ne vous oublie…

…ne vous oublie…

187

Page 188: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

188

Page 189: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

189

Page 190: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

190

Page 191: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

191

Page 192: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

192

Page 193: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

193

Page 194: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

194

Page 195: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

EPILOGUE

L'enfant blu

S'en van vertat, rason sus l'aigua de l'arriuQue los engoleish com lo so e com la nuèit,

Plors e jờias, tanben las floretas d'abriu .Se'n van com caminaires deu temps blanc e vuèit

La vertat, la rason.

Cada alet, cada vida deu haut tonneraSigua la lei mes shens saber on se pausar :L'ausèth causeish lo cèu, lo vèrmi la tèrra,

Lo vern de tèrra e cèu, sus l'òmi jumpaChipicada question.

On cercar sapiença e saber ? On ? Nat crit,Nat signe, nada lusor, nat repaus, nat lheit !

Soi l'orfanin perdut, lo hueitiu espaurit,L'estrangèr, l'innocent shens familia, shens tèit

Shens braç on s'adromir.

Que m'an dit sovent : " N'as pas qu'a créder ! Créder !Qu'as l'òmi, qu'as la sciencia o qu'as le bon diu !

Créder, qu'ei tot…Quiò…". Mes créder que cau poder,M'ei la sciencia tròp escura, tròp luenh lo diu

E plan tròp près l'òmi.

Drin com contes o legendas, bataleraChorrant hens l'aurelha deu shord que voi estar.Atau me ha pusheu, qu'ei paur de m'enhonsar

Au puts deu vieilh savent, qu'ei paur de me bruslarAu ciri deu curè.

Uei, que'm soi assedut au ribatge doçor,Hens l'èrba au ras de l'aiga, dab los uelhs d'un nin

Saunejant : agulhas de Paris, deus juncs l'odor,Parpalhons de huec, cent pecs au miralh shens fin.

E jo, com eths, arren.

E jo, arren : sonque espiar lo corrent davant,Espiar au hiu escur estelas aluquets

E véder los cèus infinits, alas de sangEspeludas de quan en quan d'eslanbrecs

Viatjadors e daurats,

Escotar lo clapòt, lo chebit aus calhaus,Enténer batahàris hòus hens l'univers,

Tocar d'un dit blanc eslurradis esquiròus,

195

Page 196: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

E prener au cò, lo hialat blu aus pesh d'inhernCadut d'éternitat…

E jo, arren : sonque espiar lo corrent de vent,Shens parlar, los mots sovent son gran mentit,

Shens díser paraulas de curè, de sabent…Deishà's portar per lo cant, lo pols, lo crit,

Lo batement d'amna,

Estrénher tremolant l'immensitat shens adge,L'invisible desconeshuda on sola

Vertat ei avançar, combàter, sauvatgeShens piètat, on rason ei mauescan dança

Avugla, amara,

Ahonarse com un mainadje aus ventes de la mair, s'ahonarse d'un còp, s'estirar,

Còrrer sus l'aiga, s'embriagar hens sus cendès,Respirar son aire roje e esperar son man,

Plorar enquèra un crit :

"N'em deshas pas aciu ! Aida'm ! Ne'm deishes pas…!"Atau qu'èri hens l'erba doça de l'arriu,

Cercant lo qué e lo perqué sus escaillasVerdas de la sèrp s'esluenhan com un adiu

A l'òmi desmunit.

S'en viengò lavetz, trèit blu hregan lo caumàs,Com estela de l'aiga, l'enfant blu, l'ausèth,

Tot d'un còp estancat, suspenut a las nublas,Que m'espia l'uelh lusenh e'm diso d'un shiulet :

" Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

lo cap trop petit !…

196

Page 197: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

trop petit !…

197

Page 198: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Légende des photos

Page 7 : Laborde Canton Marie, née Harritchoury et sa fille Suzanne vers 1915.

Page 11 : La batère . Sur la batteuse, Garrosse, et en bas Eugène de Larché et François de Tailleur.

Page 31 : Laborde Canton René, vers 1950.

Page 33 : On construit la grange de chez Lahitte. Un petit verre versé par Baptiste aux deux frères de Micq, à Jean de Cousquet, Eugène de Lafiette.

Page 35 : Louis de Lasprou et ses chiens.

Page 37 : Les Laborde Canton, vers 1900.

Page 39 : Assise sur le tronc d'arbre, Simone de Lahitte.

Page 46 : Lesquibe Laborde Maria, dans la grange de Laborde.

Page 47 : Devant l'école un attelage de vaches, avec Charlot de Lasserre et Jean de Lacabe.

Page 57 : Louis de Lasprou

Page 59 : Les deux couturières, Octavie de Cousquet et Yvette de Laborde.

Page 63 : La classe de l'école de Mialos en 1944, avec ses réfugiées de guerre venues de l'Oise. L'institutrice, Madame Dufau étant enceinte de Marcel, avait été remplacée par une jeune suppléante, Raymonde Le Pallec qui ne devait plus quitter le village. Elle se maria quelques année après René de Canton.

Page 65 : Après une battue, dans les années l975, Tailleur, Antony, Lasserre, Lafiette, Laborde, Tarrou, Nicou, Cabette, et en bas Urdes, Lamagnère, Haou et Lasprou.

Page 67 : Une photo de la classe vers 1970. L'école sera fermée quelques années plus tard (en 77).

198

Page 199: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Page 69 : Les communiants de Mialos et Séby en 1949 avec l'abbé Wolf qui resta près d'un demi-siècle curé (et assureur !) de la paroisse

Page 71 : Elisa de Lahitte, l'épicière, mère d'Alice.

Page 77 : Un groupe de prisonniers de guerre en Allemagne (1943) parmi lesquels Louis de Cabette, debout au troisième rang à droite, avec un béret et un blouson sombre.

Page 81 : Suzanne et André de Cabette vers 1942.

Page 83 : La bande de copains, posant pour une noce vers 1952.

Page 88 : Pierre, dit Orphelin, de Cabette. Cette photo avait été cousue sur une lettre et envoyée à Louis de Cabette, prisonnier en Allemagne.

Page 91 : Le mariage d'Henri de Canton avec Andrée Labarthe-Mousseigne (Nénette) vers 1950.

Page 93 : Les invitadous, Jeannot de Laborde et Henri de Lasserre.

Page 95 : Suzanne de Cabette.

Page 97 : Alice et Louis de Lasprou en train de faner.

Page 99 : Les enfants de l'école vers 1968.

Page 109 : Suzanne de Cabette.

Page 110 : André de Cabette en Algérie (1958)

Page 115 : Louis et Suzanne de Cabette en mariés ( vers 1932)

Page 120 : Avant un méchoui, les jeunes et les moins jeunes du village (années 65) Page 125 : Vers 1930, Le jour où l'on arracha l'arbre pour bâtir la mairie, en présence du meunier de Séby (à cheval), Baptiste de Lahitte (accroupi), Baptiste de Tailleur, François de Tailleur, et Gabriel de Lafiette

Page 129 : A la noce d'Ida de Cazenave, le voisinage trinque et s 'amuse avant d'assurer le service.

Page 130 : La noce d'André de Cabette (1960).

199

Page 200: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Pape 131 : La noce d'Irène de Mousseigne vers 1945.

Page 132 : La noce de Gérard de Labarraque (1959)

Page 133 : La noce de René de Sabay (1968).La noce de Jeannot et Marie de Laborde (1955).

Page 134 : La noce d'Yvette et Rérni de Laborde (1954).

Pape 135 : La noce de Jean et Monique de Lasprou (1966).

Page 136 : La noce de François et Marie de Tailleur (1952).

Page 137 : La noce d'Alice de Lahitte vers 1952. Derrière le groupe on peut apercevoir le quillier, aujourd'hui disparu.

Page 138 : La noce de Marcel et Geneviève de Cousquet (1962).

Page 143 : Un repas du troisième âge à Séby dans les années 70. On peut reconnaître René de Cazenave, Charles d'Anglade, Jean de Sabay; Henri de Péry.

Page 144 : Bernadin de Garrosse.

Page 145 : François de Tailleur.

Page 149 : La maison de Mousseigne avec Yvette et Jeannot de Laborde dans les années 45

Page 152 : Louis de Cabette en habit de militaire (1929)

Page 156 : Une pélère chez Lahitte, Jeannot de Laborde, Gérard de Labarraque etc..

Page 157 : La même pélère, avec Victor de Bacqué, Alice de Lahitte, Yvette de Laborde, Valérie d'Antoni, Suzy de Cousquet etc…

Page 158 : Pélère de Lasprou Alice de Lasprou, Rosa de Lasserre etc…

Page 158 (bas) : Un pèle-porc chez Tailleur avec André de Cabette et Fernand de Bacqué (accroupis), Bernadin de Garosse, Gerard d'Anglade. Jean de Cousquet et Francois de Tailleur vers 1970).

200

Page 201: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

Page 161 : Chez Canton, en haut Jeannette de Nicou, Suzanne de Cabette, Madeleine de Cassou, Jean de Nicou, René de Canton, Marie de Mousseigne. En bas, Louis de Cabette, Henri de Canton, Jean Paul et André de Cabette mon, vers 1950.

Page 163 : Devant chez Cazenave, André de Cazenave, Jean de Cousquet, Baptiste de Tailleur.

Page 165 : Chez Cazenave, Jeannot de Laborde sur son vélo, à côté Madame Dufau, l'institutrice avec ses enfants Denise, Marie, Jean et Marcel , à droite Yvette de Laborde. Vers 1948.

Page 167 : Henri de Canton en Indochine où il sera tué en février 1951.

Page 169 : Enfants et adolescents du village dans les années 1962.

Page 171 : Mathilde de Laborde. Page 174 : Un groupe de jeunes dans les années 50.

Page 175 : D'autres groupe de jeunes toujours vers 1950.

Page 176 : Les jeunes et moins jeunes du village au cours d'un voyage en Espagne ainsi qu'un autre groupe avec en fond l'église .

Page 177 : Mathilde de Laborde, Octavie et Jean de Cousquet, Marie de Mousseigne.

Page 179, 180, 181 : Quelques équipes de Basket des années 60 à 70.

Page 183 : Les communiants de Séby et Mialos vers 1958.

Page 187 : Entre Cabou et Lasserre, quelques figures dans les années 50.

Pages 188, 189, 190, 191, 192 : Quelques noces du passé, mais lesquelles ?

Page 193 : " Deban lou pintou ", François de Tailleur, Joseph de Haou et Bernadin de Garosse, les trois rois mages !

201

Page 202: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

202

Page 203: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

203

Page 204: L'enfant blu (Jean-Paul Basly)

S'en viengò lavetz, trèit blu hregan lo caumàs,Com estela de l'aiga, l'enfant blu, l'ausèth,

Tot d'un còp estancat, suspenut a las nublas,Que m'espia l'uelh lusenh e'm diso d'un shiulet :

" Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

Qu'as lo cap trop petit !…

lo cap trop petit !…

trop petit !…

204