16 juin 2016 - frstrategie.org

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Patrick Hébrard Valérie Niquet Maître de recherche, Fondation pour la re- cherche stratégique Résumé Alors que la cour d’arbitrage rend son jugement sur la procédure initiée par les Philippines contre la République populaire de Chine, les tensions s’accroissent en mer de Chine. Dans un espace devenu zone test de la puissance chinoise face à ses voisins, mais aussi face à la communauté internationale, les enjeux vont au-delà des simples questions territoriales régionales. Ils touchent à la mise en œuvre des règles du droit international et aux principes de résolution non-conflictuelle des tensions. La première note : « Le recours des Philippines auprès de la Cour d’Arbitrage – aggravation ou sortie de crise en mer de Chine ? » dresse un tableau précis des revendications territoriales et maritimes en mer de Chine méridionale, ainsi que des enjeux économiques et juridiques liés à ces revendications et au jugement rendu par la Cour d’arbitrage de La Haye. La seconde note : « la stratégie de la Chine en mer de Chine : des objectifs multiples », replace la montée des tensions en mer de Chine dans le contexte plus global d’une stratégie chinoise qui tente de s’affranchir du système de normes internationales et d’imposer un rapport de force au nom des droits souverains non négociables de la RPC. 16 juin 2016

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P a t r i c k H é b r a r d

V a l é r i e N i q u e t

Maître de recherche, Fondation pour la re-

cherche stratégique

Résumé

Alors que la cour d’arbitrage rend son jugement sur la procédure initiée par les Philippines contre la République populaire de Chine, les tensions s’accroissent en mer de Chine. Dans un espace devenu zone test de la puissance chinoise face à ses voisins, mais aussi face à la communauté internationale, les enjeux vont au-delà des simples questions territoriales régionales. Ils touchent à la mise en œuvre des règles du droit international et aux principes de résolution non-conflictuelle des tensions.

La première note : « Le recours des Philippines auprès de la Cour d’Arbitrage –

aggravation ou sortie de crise en mer de Chine ? » dresse un tableau précis des revendications territoriales et maritimes en mer de Chine méridionale, ainsi que des enjeux économiques et juridiques liés à ces revendications et au jugement rendu par la Cour d’arbitrage de La Haye.

La seconde note : « la stratégie de la Chine en mer de Chine : des objectifs multiples », replace la montée des tensions en mer de Chine dans le contexte plus global d’une stratégie chinoise qui tente de s’affranchir du système de normes internationales et d’imposer un rapport de force au nom des droits souverains non négociables de la RPC.

16 juin 2016

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Abstract

While the arbitration court renders its judgment on the case initiated by the Philippines against the People’s Republic of China, tensions are increasing in the South China Sea. The region has become a test-zone for China’s power policy against its neighbors but also the international community. Beyond regional territorial issues, the implementation of the rules of international law and the principles of peaceful resolution of tensions are threatened.

The first note offers a comprehensive presentation of territorial and maritime claims in the South China Sea as well as the economic and legal issues related to these claims and to the judgment of the Permanent Court of Arbitration.

The second note examines the rise of tensions in the South China sea in the broader context of a Chinese assertive strategy that attempts to evade the system of international norms and establish a new balance of power in the name of the non-negotiable sovereign rights of the PRC.

Le recours des Philippines auprès de la Cour d’Arbitrage – aggra-vation ou sortie de crise en mer de Chine ? Patrick Hébrard

Le 22 janvier 2013, les Philippines initient une procédure d’arbitrage contre la Chine en vertu des articles 2871 et 2962 de la Convention sur

le Droit de la Mer. En réponse, la Chine présente une note verbale au département des affaires étrangères des Philippines rejetant l’arbitrage et retournant la plainte contre les Philippines. Dans sa note, la Chine précise que les deux pays ont effectivement un différend concernant une partie de leur zone maritime en mer de Chine du sud et qu’ils ont convenu de traiter ce désaccord par des négociations bilatérales. Le 30 mars 2014, les Philippines soumettent leur Mémoire au Tribunal et le 7 décembre 2014, la Chine adresse à la Cour Permanente d’Arbitrage une note verbale lui demandant de transmettre sa position de principe sur la question de la compétence de la juridiction et précisant que « Le gouver-nement chinois réitère qu’il n’acceptera jamais ni ne participera à l’arbitrage initié de façon unilatérale par les Philippines ».

Par une note verbale adressée au Tribunal, le Vietnam, considérant que ses intérêts peuvent être affectés par la procédure, demande à pouvoir disposer de l’ensemble des documents traitant de cette procédure. Les Philippines donnent leur agrément à cette demande à laquelle la Chine s’abstient de répondre. La

1. Article 287

Choix de la procédure

1. Lorsqu'il signe ou ratifie la Convention ou y adhère, ou à n'importe quel moment par la suite, un État est libre de choisir, par voie de déclaration écrite, un ou plusieurs des moyens suivants pour le règlement des différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la Convention :

a) le Tribunal international du droit de la mer constitué conformément à l'annexe VI ;

b) la Cour internationale de Justice ;

c) un tribunal arbitral constitué conformément à l'annexe VII ;

d) un tribunal arbitral spécial, constitué conformément à l'annexe VIII, pour une ou plusieurs des catégories de différends qui y sont spécifiés.

2. Une déclaration faite en vertu du paragraphe 1 n'affecte pas l'obligation d'un État Partie d'accepter, dans la mesure et selon les modalités prévues à la section 5 de la partie XI, la compétence de la Chambre

pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins du Tribunal international du droit de la mer, et n'est pas affectée par cette obligation.

3. Un État Partie qui est partie à un différend non couvert par une déclaration en vigueur est réputé avoir accepté la procédure d'arbitrage prévue à l'annexe VII.

4. Si les parties en litige ont accepté la même procédure pour le règlement du différend, celui-ci ne peut être soumis qu'à cette procédure, à moins que les parties n'en conviennent autrement.

5. Si les parties en litige n'ont pas accepté la même procédure pour le règlement du différend, celui-ci ne peut être soumis qu'à la procédure d'arbitrage prévue à l'annexe VII, à moins que les parties n'en conviennent autrement.

6. Une déclaration faite conformément au paragraphe 1 reste en vigueur pendant trois mois après le dépôt d'une notification de révocation auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.

7. Une nouvelle déclaration, une notification de révocation ou l'expiration d'une déclaration n'affecte en rien la procédure en cours devant une cour ou un tribunal ayant compétence en vertu du présent article, à moins que les parties n'en conviennent autrement.

8. Les déclarations et notifications visées au présent article sont déposées auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, qui en transmet copie aux États Parties.

2. Article 296

Caractère définitif et force obligatoire des décisions

1. Les décisions rendues par une cour ou un tribunal ayant compétence en vertu de la présente section sont définitives, et toutes les parties au différend doivent s'y conformer.

2. Ces décisions n'ont force obligatoire que pour les parties et dans le cas d'espèce considéré.

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Malaisie, le Japon, l’Indonésie, Brunei et la Thaïlande formulent des demandes identiques et se voient autorisés, avec le Vietnam, à assister aux auditions.

Les auditions sur la Compétence de la Cour et la Recevabilité des requêtes ont lieu les 7, 8 et 13 juillet 2015 à La Haye. La requête présentée par les Philippines ne concerne pas la question de la souveraineté territoriale sur les îles Spratley, Paracels et de Scarborough. Dans son différend avec la Chine, les Philippines sont venues demander au Tribunal une clarification de ses droits en mer de Chine du Sud, en conformité avec la Convention de Montego Bay3.

Le 29 octobre 2015 le Tribunal se déclare compétent pour juger sept des quinze requêtes présentées par les Philippines. La compétence sur les autres requêtes est abordée lors de l’examen du fonds de l’affaire pendant la seconde série d’auditions, les 24, 25, 26 et 30 novembre 2015. La décision du Tribunal est attendue dans le courant de l’année 2016.

Cette procédure initiée par les Philippines est la conséquence d’une détérioration progressive des relations avec la Chine et de l’impasse des négociations concernant la situation en mer de Chine du sud. Une présentation géographique de la zone permet de mieux comprendre les enjeux qu’elle représente pour les acteurs et les différends qui les opposent.

La mer de Chine méridionale La mer de Chine méridionale est bordée par la Chine, Taiwan, les Philippines, la Malaisie, Brunei, l’Indonésie et le Vietnam. Elle couvre de l’ordre de 3 500 000 km² avec de très nombreux îlots et rochers, dont certains ne découvrent qu’à marée basse. Sa profondeur moyenne est de 1 200 m avec un bassin profond qui s’étend sur 52 % de sa surface à une profondeur moyenne de 4 300 m.

La structure de la mer de Chine méridionale est encore très imparfaitement connue. Les montagnes sous-marines qui s’élèvent au centre de la mer de Chine méridionale sont vraisemblablement d’origine volcanique. Les récifs, bancs et îles des Paracels et des Spratley ne seraient que des sommets de montagnes sous-marines et de volcans reposant sur ces fragments. Lors de la formation du bassin océanique, les tensions engendrées par les mouvements de convection dans le manteau auraient, d’une part, arraché et fait dériver vers le sud ce qui allait devenir l’ensemble des Spratley, d’autre part étiré et aminci la croûte continentale. En conséquence, il semble concrètement impossible de prouver une quelconque continuité morpholo-gique entre le plateau continental et les archipels disputés.

Les Paracels comptent une quinzaine d’îlots répartis sur 200 km et divisés en deux groupes – les îles Amphitrite dans le nord-est avec Woody et Lincoln Island et les îles Croissant dans le sud-ouest, avec Triton, Pattle et Duncan.

Les Spratley comptent une centaine d’îles réparties sur 1 000 km² dont certaines sont de simples rochers recouverts à marée haute. Certains auteurs répartissent ces îles en 4 groupes : les Spratley de l’ouest, les récifs du sud, la zone dangereuse et les Spratly de l’est.

3. « Determines whether, under Article 121 of UNCLOS, certain maritime features claimed by both China and the Philippines are islands, low tide elevations or submerged banks, and whether they are capable of generating entitlement to maritime zones greater than 12 M » (Notification and Statement of Claim on West Philippine Sea DFA Philippines 22 January 2013).

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Les îles les plus importantes sont Thi Tu, Itu Aban, North East Cay et Spratly situées toutes quatre dans l’ouest.

Les revendications territoriales et maritimes Par une note verbale adressée le 7 mai 2009 à l’ONU, la Chine a officiellement revendiqué une zone maritime de 2 000 000 de km² et les îles circonscrites par un tracé de neuf traits en mer de Chine du Sud au prétexte de ses « droits historiques ».

Les archipels des Paracels et des Spratley sont revendiqués par plusieurs pays.

La Chine, le Vietnam et Taiwan revendiquent les Paracels qui sont occupés par la Chine. Le gouvernement chinois a pris le contrôle des îles Amphitrite en 1956 et de celles du Croissant en 1974.

Les îles Spratley sont revendiquées par Brunei, la Chine, la Malaisie, les Philippines, Taiwan et le Vietnam. L’Indonésie, quant à elle, conteste la ZEE revendiquée par la Chine.

La Chine revendique l’ensemble des îles et prend possession de plusieurs îlots en 1988 à l’issue d’un engagement sanglant avec les forces vietnamiennes près du récif Johnson, le 14 mars, entraînant la mort de 74 marins. Elle a étendu ses positions sur une dizaine d’îles. Taiwan a les mêmes revendications que la Chine et contrôle l’île Itu Aban dans les Spratley. Comme la Chine, leur revendication repose sur la découverte de ces îles et sur leur occupation.

Brunei revendique le récif Louisa situé sur son plateau continental, mais ne le contrôle pas.

La Malaisie revendique la partie sud des Spratley dont elle revendique cinq îles et en contrôle trois, la première, Swallow Reef, ayant été occupée en 1983. La base juridique de ses revendications tient au fait que ces îles reposent sur son plateau continental.

Les Philippines revendiquent la majeure partie de l’archipel à l’exception des îles Spratly, Royal Charlotte, Swallow Reef et Louisa Reef. Les Philippines ont pris possession de cinq îles depuis 1970 et en contrôlent aujourd’hui neuf. Leur revendication repose sur la découverte de ces îles.

Le Vietnam revendique également l’ensemble des îles Paracels et Spratley et contrôle

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aujourd’hui 21 îles dans les Spratley. Ce contrôle a débuté par la prise de 5 îles dans les années 1970. Ses revendications reposent sur des faits historiques de la période pré-coloniale et coloniale française.

Le Vietnam et les Philippines commencèrent à prendre le contrôle de certaines îles au début des années 1970. La Malaisie suivit dans le sud en 1983. Les tensions entre la Chine et le Vietnam du début des années 1990 s’étendirent aux Philippines à partir de 1995.

Les différends concernant ces deux archipels ne sont pas de même nature. Dans les Paracels, il s’agit d’un différend bilatéral entre la Chine et le Vietnam. Dans les Spratley le problème est multilatéral avec 6 à 7 pays concernés, et ce, bien qu’il fasse l’objet de négociations essentiellement bilatérales entre la Chine et le Vietnam, d’une part, du fait que le Vietnam tienne à englober la double problématique Paracels/Spratley et entre la Chine et les Philippines d’autre part.

Les enjeux Mer semi-fermée, la mer de Chine méri-dionale constitue un enjeu régional majeur, où des intérêts divergents s’affrontent pour la possession de domaines de pêche, de gise-ments de pétrole et de gaz naturels découverts dans le golfe du Tonkin, et pour la maîtrise d’une position stratégique au carrefour du trafic maritime reliant l'Asie orientale à l'océan Indien, au Moyen-Orient et à l'Europe (70 000 navires par an et 50 % du tonnage mondial).

La pêche

La mer de Chine méridionale est une zone de pêche ancestrale pratiquée par les pêcheurs de l’ensemble des pays riverains, activité qui fait partie de la culture traditionnelle de ces populations. La ressource y est abondante, mais menacée par la surpêche et les pratiques illicites utilisées (pêche à la dynamite et au cyanure). La consommation de produits de la mer a sensiblement augmenté dans toute la région, particulièrement en Chine4, qui interdit unilaté­ralement l’accès de ces eaux aux pêcheurs étrangers.

En avril 2012, 12 navires de pêche chinois ont été pris par les garde-côtes philippins dans les eaux des récifs de Scarborough. Les pêcheurs ont été relâchés à l’arrivée sur zone de deux navires de Surveillance des pêches chinois. En mai 2012, la Chine imposa un moratoire sur la pêche dans le nord de la mer de Chine méridionale à l’intérieur de la zone des neuf traits limitant aux seuls pêcheurs chinois le droit de pêcher et l’interdisant aux Philippins5.

Le 6 juillet 2015, l’ambassade de Chine à Manille adressa une note verbale au Département des Affaires étrangères des Philippines en ces termes : "The Chinese side issues 'Nansha Certification of Fishing Permit' to the Chinese vessels, allowing them to conduct fishery production activities out-side the areas under fishing moratorium. This is in conformity with the Chinese laws and relevant regulations. The Chinese side does not accept and firmly opposes the groundless protests and accusation of the Philippine side, and hereby requests the Philippine side to earnestly respect China's sovereignty, sovereign rights and jurisdiction, and to edu-cate its own fishermen, so that they can strictly abide by the fishing moratorium of South China Sea issued by the Chinese government and the administrative managements and law-enforcing authorities. The Chinese law-enforcing authorities will strengthen their maritime patrols and other law-enforcing actions, investigate and punish the relevant fishing vessels and fishermen who violate the fishing moratorium in accordance with the law"6.

Ces différends sur les zones de pêche offrent

4. 35 kg/hab. en 2010 en augmentation de 6 % par an entre 1990 et 2010 – source : The state of world fisheries and aquaculture 2014 – FAO.

5. Intervention de M. REICHLER devant la CPA - Final Transcript Day 3 – Jurisdiction Hearing – 13 juillet 2015.

6. Ibid.

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un prétexte utile à la défense des droits souverains des pays et a permis à la Chine d’étendre progressivement ses territoires.

Les ressources pétrolières et gazières

La Chine importe plus de 50 % de sa consommation d’hydrocarbures et les Philippines plus de 90 %. Bien que le montant des réserves en mer de Chine méridionale soit encore incertain, les gisements et gaziers offshore constituent un second enjeu. Le United States Geological Survey estime à 11 milliards de barils de pétrole et 5 400 milliards de m3 de gaz les réserves prouvées et probables7. En novembre 2012, la Chinese National Offshore Oil Company (CNOOC) évaluait les ressources à 125 milliards de barils de pétrole et 14 200 milliards de m3 de gaz. Il y a donc beaucoup d’incertitudes sur la réalité des ressources, ce d’autant plus que les tensions actuelles ne favorisent pas leur exploration. Les principaux gisements existants se situent dans les eaux de la Malaisie et de Brunei, au large de Bornéo, zone également revendiquée par la Chine. Des blocs d’exploitation peuvent ainsi être simultanément distribués par les compagnies en raison de ces conflits de souveraineté comme c’est le cas entre CNOOC et PetroVietnam.

Entre la Chine et les Philippines, un accord avait été conclu en 2004, sous la Présidence Arroyo pour une collaboration en matière de recherche dans la zone des Spratley entre la PNOC, compagnie pétrolière philippine et la CNOOC, avec la création de la Joint Marine Seismic Undertaking (JSMU). Une série de scandales et de corruptions mettant en cause l’action de l’Aide au développement chinoise a conduit le Congrès à annuler, en 2008, de nombreux projets dont le JMSU et à revendiquer à nouveau la propriété des îles concernées. Depuis, la Chine s’oppose à toute prospection attribuée par les Philippines à l’intérieur de sa ZEE et de la ligne des neuf traits, en particulier dans la zone de Reed Bank où du gaz naturel a été détecté8.

La maîtrise d’une zone stratégique

L’importance du trafic maritime circulant en mer de Chine méridionale justifie que la Chine y porte une attention particulière étant donné son caractère stratégique pour son économie - pour ses approvisionnements en matières premières et pour ces exportations de biens manufacturés. La Chine compte, en effet, sept ports de commerce parmi les dix premiers mondiaux avec 181 millions de conteneurs manœuvrés en 20149.

Une autre raison, plus stratégique encore, tient à la caractéristique des fonds de la mer de Chine méridionale qui offrent des profondeurs atteignant plus de 5 000 m en certains endroits. La faible profondeur de la mer de Chine orientale est peu propice aux déploiements des sous-marins stratégiques. C’est la raison pour laquelle, la Chine a construit une importante base navale au sud de l’île de Hainan pour y installer ses SNLE.

8. Ibid 5.

9. Source : Review of maritime transport, 2015.

7. « Oil and Gas Analysis Report on the South China Sea » February 2014.

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La base de Yulin accueille désormais les 4 SSBN de la classe JIN équipés des missiles balistiques JL-2 d’une portée estimée de 7 200 km. Une vingtaine de sous-marins Diesel, 2 SNA et 7 Destroyers et 21 frégates font de Yulin la base navale la plus importante de Chine.

Deux bases aéronavales sont implantées sur l’île de Hainan et la Chine a développé des capacités portuaires et aéroportuaires sur Woody Island, à 200 milles nautiques de Yulin, où deux batteries de missiles sol-air HQ-9 et des chasseurs J-11 ont été déployés en février 2016.

La Chine entend ainsi protéger les déploiements de ses SSBN vers leur zone de patrouille et assurer la sûreté de sa Dissuasion. Il est donc peu probable qu’elle accepte de transiger sur ce sujet.

Vers une aggravation ou une sortie de la crise ? La Cour Permanente d’Arbitrage rendra bientôt son verdict. Elle s’est déclarée compétente pour juger des requêtes 3, 4, 6 et 7 sur le statut d’îles ou rochers tels que Scarborough Shoal, Mischief Reef, Second Thomas Shoal, Subi Reef, Gaven et McKennan Reefs, Johnson Reef, Cuarteron Reef et Fiery Cross Reef, ainsi que les requêtes 10 sur la pêche, 11 sur l’environnement marin, 13 sur les opérations menées par les administrations chinoises.

L’arbitrage ne porte pas sur la souveraineté des îles ou rochers. Cette souveraineté est d’ailleurs difficile à établir en raison d’un historique compliqué10 et du peu de documents permettant de la déterminer. Arguant du fait que des pêcheurs chinois naviguent en mer de Chine méridionale depuis le 2ème siècle avant J.C.11, la Chine oppose à la Convention de Montego Bay la théorie d’une mer historique. Cette mer correspond à l’étendue d’eau délimitée par la « ligne des neuf traits » et comprend les îles qui s’y trouvent.

Le régime juridique des « eaux historiques » a été débattu lors de la 14ème session de la Commission du Droit International12. Les conclusions limitaient la notion d’eaux historiques aux baies historiques et aux eaux territoriales. Outre le fait que la carte décrivant la « ligne des neuf traits » soit apparue pour la première fois en 1947, sous la République de Chine de Taiwan, lorsque les eaux territoriales étaient limitées à une distance de 3 nautiques, la notion de mer historique ne peut juridiquement s’appliquer à l’ensemble de la zone revendiquée par la Chine. De plus, nombre de rochers dans ces archipels, ne découvrent qu’à marée basse et ne peuvent donc prétendre à une mer territoriale13.

10. La mer de Chine méridionale : un enjeu frontalier majeur en Asie du sud-est – Yann Roche - Espace politique 2013-3 et Hearing on the Merits and Remaining Issues of Juridiction and Admissibility – Andrew B. Loewenstein – 24 November 2015.

11. Porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois Hua Chunying, le 29 juin 2015.

12. Document A/CN.4/126 – Régime juridique des eaux historiques, y compris les baies historique – Annuaire de la Commission du droit international 1960, vol II.

13. Article 13 – Partie II de la Convention.

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Enfin, bien d’autres pêcheurs des pays environnants ont mouillé leurs filets dans cette zone qui est depuis des millénaires une région de transit maritime. Rien ne permet de justifier le déploiement de flottilles de pêche chinoises dans les eaux revendiquées par les autres pays, comme cela s’est encore produit le 21 mars dans les eaux indonésiennes, le 24 mars 2016 dans les eaux de la Malaisie au large de Bornéo14 et le 4 avril, dans les eaux vietnamiennes. Il en est de même pour l’implantation de plateformes pétrolières dans des zones économiques exclusives contestées (cas de la plateforme HYSY 981).

Les autres points litigieux concernent les extensions des îles et les dommages créés à l’environnement par ces travaux de remblaiement. La comparaison entre les constructions chinoises sur les îles Paracels et les Spratley et les extensions des polders par les Néerlandais a fait l’objet de débats devant la CPA. Mais les juristes font une différence entre une extension acquise dans les eaux territoriales d’un pays sous souveraineté et des constructions ab nihilo, en pleine mer sur des rochers inhabités. Les décisions du Tribunal seront juridique-ment contraignantes, mais la Chine a annoncé qu’elle ne les prendrait pas en considération. Comment alors en imposer l’exécution ? Ce refus risque donc, au contraire, d’accroître le ressentiment des pays riverains et d’aug-menter la crise. Il est, de plus, susceptible de fragiliser la convention de Montego Bay que la Chine et les pays de l’Asie du sud-est ont ratifiée.

Cette situation est suivie de près par les États-Unis qui ont fait de cette zone une priorité stratégique et apportent leur appui aux Philippines. Après avoir fourni plusieurs navires aux Coast Guard philippins, les États-

Unis ont obtenu l’accord de pouvoir utiliser des bases aux Philippines en 2014. La signature d’un accord de coopération de Défense (Enhanced Defense Cooperation Agreement (EDCA)), en avril 2016, a confirmé la mise à disposition des États-Unis de cinq bases aux Philippines et la possibilité pour l’US Navy d’utiliser la base Subic Bay, réouverte aux armées philippines en 2015.

Les États-Unis et les Philippines ont décidé, le 14 avril 2016, d’effectuer des patrouilles communes en mer de Chine méridionale pour y assurer la liberté de navigation. La Chine a réagi vivement à cette décision : « This move by the United States and the Philippines has poisoned relations between countries in the region, aggravated regional disputes, triggered tensions and undermined peace and stability in the South China Sea15 ». La Marine américaine a déjà mené deux patrouilles dans les eaux revendiquées par la Chine et doit en effectuer prochainement d’autres assurant qu’il ne s’agit pas d’une provocation, mais de la manifestation de l’importance que les États-Unis accordent à la liberté de navigation, avec l’espoir que la Chine change d’attitude.

Les Philippines reçoivent aussi le soutien du Japon et se sont rapprochées du Vietnam avec lequel ils ont des différends sur les îles Spratley.

L’élection de Rodrigo Duterte à la Présidence des Philippines pourrait infléchir la ligne politique actuelle. Pendant sa campagne il a

14. The Strait Times 15. Déclaration du porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois – Lu Kang – à la presse.

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manifesté sa volonté d’engager des discussions bilatérales avec la Chine sur le différend qui les oppose, en échange d’investissements économiques, mais il a aussi proposé une discussion multilatérale, ce à quoi la Chine s’est toujours opposée. Cette élection pourrait remettre en cause les relations développées ces dernières années avec les États-Unis, le Japon et l’Australie qui n’apprécient guère les déclarations intempestives du nouveau Président.

La situation est donc confuse, mais le fait est que la Chine étend progressivement son contrôle sur les Spratley qui peuvent désormais être utilisées à des fins civiles ou militaires. Toutefois, il semble qu’elle n’accorde pas le même intérêt stratégique aux deux archipels. Ils ont installé des missiles et des avions de chasse sur les Paracels alors que, selon les commentaires chinois, les Spratley sont dédiées au tourisme et au soutien des activités dans la zone maritime, avec un aéroport, la construction de quais et d’un hôpital, la présence militaire n’étant là que pour surveiller et sécuriser la zone. Selon certains observateurs, la Chine s’apprêterait à construire des installations militaires sur les Scarborough ce qui provoquerait une nouvelle montée de la tension.

Conclusion Sans entrer dans le détail de la souveraineté sur les îles Paracels et Spratley qui est une complexité juridique, les prétentions chinoises en matière de ZEE, à partir de la ligne des neuf traits sont juridiquement infondées. Il y a donc matière à débat et les pays concernés à commencer par le Vietnam et les Philippines doivent être soutenus, sinon c’est la Conven-tion de Montego Bay qui sera fragilisée.

Ceci étant dit, il faut aussi reconnaître à la Chine le droit d’assurer sa défense et com-prendre que les autorités chinoises ne puissent pas céder sur la question de la sécurité de sa force nucléaire stratégique et de ses SSBN. La base de Yulin est à proximité des grands fonds où les sous-marins chinois peuvent effectuer leur patrouille en sécurité. Il est donc impor-tant que les protagonistes soient conscients des lignes rouges à ne pas franchir. S’ils par-viennent à négocier en les respectant, une sortie de crise devrait être possible. Aucun des acteurs n’a intérêt à déclencher un conflit où il aurait tout à perdre. En signant un MOU16 sur les règles de comportement en cas de rencon-tre inopinée dans les domaines maritimes et aéronautiques, en novembre 2014, la Chine et les États-Unis veulent limiter les risques.

16. Memorendum of Understanding.

Documents de référence

1 - Final Transcript Day 1 – Jurisdiction Hearing – 07-07-2015

2 - Final Transcript Day 2 – Jurisdiction Hearing – 08-07-2015

3 - Final Transcript Day 3 – Jurisdiction Hearing – 13-07-2015

4 - Award on Jurisdiction and Admissibility 29102015 – 29-10-2015

5 - Final Transcript Day 1 – Merits Hearing – 24-11-2015

6 - Final Transcript Day 2 – Merits Hearing – 25-11-2015

7 - Final Transcript Day 3 – Merits Hearing – 26-11-2015

8 - Final Transcript Day 4 – Merits Hearing – 30-11-2015

9 – China Ocean Law Review (Volume 2015 Number 1) Hong Kong

10 - A historical Encyclopedia from Angkor Wat to East Timor (pages 1240-1242) - Pierre Manguin

11 – ICC Asia report n°275 – 26 January 2016

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La stratégie de la Chine en mer de Chine : des objectifs multiples Valérie Niquet

Au mois d’octobre 2015, la cour d’arbitrage de la Haye s’est déclarée compétente pour répondre à la demande présentée en janvier 2013 par les Philippines contre la Chine à la suite du blocus du Banc de Scarborough situé dans la zone économique spéciale des Philippines, en 2012.

Le jugement, qui devrait être rendu avant l’été 2016, ne portera pas sur les questions de souveraineté, mais pourrait clarifier les positions sur le bien fondé de la ligne en neuf points définie par la Chine en mer de Chine méridionale, ainsi que la nature des récifs disputés, avec des conséquences en matière d’eaux territoriales et de zones économiques exclusives.

La Chine n’a fourni aucun document. Dans une note verbale du mois de février 2013, Pékin accuse en revanche les Philippines « d’occuper illégalement des îles qui (lui) appartiennent et de refuser le principe de négociations bilatérales prévu dans les déclarations de conduite ratifiées par la Chine et l’ASEAN en 2002 ». Dans ce contexte, Pékin rejette par avance la validité des décisions de la cour d’arbitrage1.

Plusieurs éléments permettent de comprendre les motivations de la stratégie chinoise d’affirmation de puissance et de provocation en mer de Chine méridionale. Certains éléments ressortent du discours officiel de la République populaire de Chine et concernent la défense des droits souverains et la réponse à une stratégie de containment qui serait mise en œuvre par les États-Unis en Asie, par États régionaux interposés.

L’affirmation des « droits souverains » de la Chine et la réponse aux « ingé-rences » extérieure Depuis la fin des années 1990, la Chine considère qu’elle jouit d’une période d’opportunité qui lui permet d’affirmer avec plus de force ses ambitions territoriales en Asie, notamment sur mer. Cette perception a été renforcée après 2008 et la crise financière et économique qui a frappée le monde occidental. C’est en 2010 que, pour la première fois, Pékin a déclaré que les intérêts maritimes de la Chine faisaient partie des

« intérêts fondamentaux » de la RPC, au même titre que Taiwan. Par ailleurs, dans le même temps, les progrès majeurs de l’éco-nomie chinoise lui ont également permis de se doter de moyens nouveaux, militaires et civils, permettant de mettre en œuvre cette stratégie d’affirmation de puissance.

Au niveau des principes, la Chine a considérablement renforcé son discours sur l’importance de l’espace maritime. Le Livre blanc de la défense publié en 2015 souligne que « la mentalité traditionnelle, qui veut que l’espace continental l’emporte sur l’espace maritime, doit être abandonnée et qu’une importance très grande doit être attachée à la protection des droits et intérêts maritimes de la Chine »2. La Chine met en œuvre, depuis le début des années 2010, une stratégie plus agressive d’affirmation de ses droits maritimes qui trouve sa traduction notamment dans les travaux de construction d’îles artificielles en mer de Chine méridionale.

Sur le fond, Pékin réaffirme constamment que ses activités en mer de Chine du Sud, dénon-cées par l’ensemble des parties, entraient totalement dans le périmètre de la souve-raineté de la Chine. Au mois de mai 2015, le Ministre des Affaires étrangères Wang Yi déclarait à son homologue américain John Kerry que « la détermination de la Chine à sauvegarder sa souveraineté et son intégrité territoriale était dure comme le roc »3.

Au mois d’avril 2016, Le président Xi Jinping a réaffirmé cette position en déclarant devant la conférence des ministres des Affaires étrangères du CICA (Conference on Inter-action and Confidence-building Measures in Asia) que la Chine défendrait fermement ses droits et intérêts dans la mer de Chine méridionale4.

Dans ce contexte, Pékin présente sa stratégie d’affirmation de puissance en mer de Chine comme une réaction « légitime » face aux pressions des Philippines et du Vietnam « qui poussent la Chine dans ses retranchements » en occupant « illégalement » un territoire appartenant à la Chine « sans contestation possible »5.

1. Sur : https://www.pcacases.com/web/view/7

2. China’s Military Strategy, mai 2015 sur : http://www.eng.mod.gov.cn

3. Wang Yi, entretien avec John Kerry sur : http://www.fmprc.gov.cn

4. Xinhuanews, 29 avril 2016.

5. « Truth Behind Reef Construction », China’s People’s Daily Online, 11-09-2014.

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Les enjeux pour la Chine sont de « reprendre l’initiative » face à l’Occident qui tente de contenir la réémergence de la Chine6. Au mois d’avril 2016, alors que le sous-secrétaire d’État Anthony Blinken en visite au Vietnam critiquait la stratégie de remblaiement de la Chine en mer de Chine méridionale, Pékin dénonçait les « actions par derrière et les manipulations politiques » qui encouragent les tentatives de remise en cause des « droits souverains » de la Chine par les Philippines et le Vietnam7.

« L’ingérence » des États-Unis – premier garant de la stabilité régionale – est en effet au premier plan des préoccupations de Pékin. Après la crise de 2008, la RPC avait voulu croire à l’effacement de la puissance américaine en Asie, et la décennie 1991-2010, quand les États-Unis étaient effectivement impliqués sur d’autres terrains en Afghanistan et au Moyen-Orient, est qualifiée « d’âge d’or » des relations entre la Chine et l’ASEAN. La stratégie de rééquilibrage mise en œuvre par l’Administration Obama est venue remet-tre en cause la nouvelle assurance de la Chine.

En 2010, à l’occasion du sommet de l’ARF (Asean Regional Forum) à Hanoi, Hillary Clinton, qui pourrait devenir le prochain président des États-Unis, déclarait en effet que « les États-Unis ont un intérêt direct dans la liberté de navigation, un accès libre aux biens communs maritimes en Asie, et le respect du droit international en mer de Chine méridionale »8. Le retour des États-Unis en Asie, en dépit de ses limites, impose en effet à la RPC une réévaluation de la « période d’opportunité » dont elle pensait bénéficier pour imposer ses ambitions, notamment maritimes, au niveau régional.

Dans l’idéal, l’objectif de Pékin est donc de construire une architecture de sécurité régionale et un modèle de gouvernance « asiatique » excluant tout acteur extérieur. Comme le déclare Xi Jinping, la Chine est prête à résoudre « pacifiquement » les contentieux avec les États « directement concernés ». Au contraire, l’action des États-Unis en Asie encouragerait les « petits » États de la région à s’affirmer face aux positions légitimes de Pékin9.

Mais au-delà de l’affirmation de ses « droits souverains », les motivations de la Chine en mer de Chine méridionale relèvent également de la volonté de puissance militaire et de la puissance symbolique.

La dimension militaire des ambitions chinoises en mer de Chine méridionale Pékin considère que la mer de Chine méridionale représente un intérêt stratégique pour plusieurs raisons. La question des ressources énergétiques et halieutiques peut-être mise de côté, dans la mesure où les conflits en la matière pourraient être résolus s’ils ne constituaient que le seul point de contentieux avec les États de la région.

La mer de Chine méridionale constitue égale-ment une voie de communication maritime majeure, par laquelle transite un volume d’échanges évalué à 5 300 milliards de dollars en 2015. Mais cette dimension devrait plutôt jouer en faveur d’un apaisement des tensions, la Chine étant à la fois particulièrement dépendante, économiquement, de cette voie de circulation, et militairement hors d’état d’en assurer le contrôle effectif, particulière-ment en cas de conflit.

Pourtant, selon le porte-parole du ministère chinois de la Défense, au risque d’accroître les tensions, « La Chine va intensifier ses patrouilles navales et aériennes et accélérer la construction de ses capacités défensives dans la zone afin de préserver avec fermeté ses intérêts ». Au niveau militaire, les installations nouvelles construites par la Chine sur les surfaces remblayées qu’elle contrôle, permet-tent de renforcer concrètement sa présence et de construire une sorte de « détroit straté-gique » artificiel entre les archipels des Para-cels et des Spratleys. Ces éléments pourraient non pas interdire mais compliquer l’action des autres puissances dans la région, même si les « châteaux de sable » construits par Pékin demeurent extrêmement vulnérables, et ne pourraient résister en cas de conflit impli-quant les Etats-Unis10.

La Chine a ainsi construit des pistes d’atter-rissage sur les récifs remblayés de Fiery Cross, où deux appareils J11 ont effectué une pre-mière mission au mois d’avril 2016, Mischief et Subi dans les Spratleys et peut-être demain sur Scarborough selon des sources proches de

Zhao Xiaozuo, déclarait que « les petits États ne doivent pas provoquer les grands États ».

10. Andrew Erickson et al, « China’s Menacing Sand Castles in the South China Sea », War on the Rocks.com, 2 mars 2015.

6. Minnie Chan, « China to Build Up Atoll In Contested South China Sea », South China Morning Post, 25 avril 2016.

7. Xinhuanews, 20 avril 2016.

8. Sur : http://www.state.gov/secretary/ 20092013clinton/rm/2010/07/

9. Xinhuanews, 29 avril 2016. A l’occasion du Shangri La Dialogue 2015, un intervenant chinois, le colonel

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l’APL11. Dans les Paracels, sur Woody Island, siège de la nouvelle division administrative des « Sansha » et d’une garnison militaire, la Chine a également déployé une batterie de missiles antiaériens HQ-9.

En dépit de leur vulnérabilité, les positions chinoises en mer de Chine méridionale permettent de considérablement renforcer grâce à la construction de radars les moyens d’observation de la RPC face aux capacités des États-Unis, notamment aux Philippines, où Washington a désormais accès à huit bases. La Chine a positionné des radars dans l’archipel des Spratleys sur les récifs de Gaven, Hughes, Johnson Sud et Cuarteron à l’extrême sud de l’archipel.

Les positions chinoises en mer de Chine méridionale, peuvent également crédibiliser l’éventuelle mise en œuvre d’une nouvelle zone aérienne d’identification (ADIZ) en mer de Chine méridionale après la mer de Chine orientale. Par ailleurs, tous ces éléments permettent également à Pékin de crédibiliser – par une stratégie du fait accompli – ses revendications territoriales dans la région.

Enfin, à plus long terme, la Chine peut ambitionner de mettre en œuvre en mer de Chine méridionale, dans sa partie Nord-Est la plus profonde, une stratégie du bastion pour ses SNLE, impliquant un contrôle effectif de toute intrusion militaire potentielle, par la création d’une zone de recul stratégique d’ex-clusion de tout moyen d’observation ennemi.

Affirmation de puissance symbolique et contrôle des normes Mais la stratégie de la Chine en mer de Chine méridionale est aussi – et sans doute essentiellement – liée à des facteurs de politique intérieure liés à la nature du système politique. Confronté à des défis complexes et à une baisse significative de la croissance économique, le régime chinois est en quête de légitimité. Le recours au nationalisme n’est pas nouveau mais il a pris une dimension accrue avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping et les références au « rêve chinois de grande renaissance ». Ce discours pour être efficace doit s’appuyer sur des manifestations concrètes de puissance sur lesquelles peuvent s’appuyer les appels à la fierté nationale.

Dans ce contexte, les avancées chinoises en mer de Chine jouent un rôle majeur de

mobilisation de la population autour du parti communiste et de sa direction, artisans de cette renaissance en marche. Les manifes-tations de puissance navale que ces avancées sont censées démontrer sont symboliquement fortes, au même titre que le porte-avion Liaoning. Et en la matière, en l’absence de conflit réel, les images compensent avantageu-sement sur internet ou dans les médias une réalité encore limitée. La stratégie de Pékin en mer de Chine méridionale joue donc un rôle majeur dans la stratégie de légitimation du régime mise en œuvre par les autorités chinoises.

Mais cette image de puissance passe aussi par la capacité de la RPC à imposer ses propres normes, opposées aux normes « occiden-tales ». Sur les questions de souveraineté en mer de Chine, en refusant par avance le jugement de la Cour permanente d’arbitrage de la Haye, la Chine se place en dehors de la communauté internationale alors même qu’elle a ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM/UNCLOS).

Selon Pékin, le recours par les Philippines où d’autres États au tribunal d’arbitrage est en effet un élément de la guerre hybride menée contre les intérêts de Pékin, une « provocation sous le déguisement du recours à la loi ». Ce rejet de la part des autorités chinoises pose par ailleurs des questions quant à la capacité de la Chine à adhérer aux engagements qu’elle peut prendre dans le système international.

La question du respect des normes et des engagements se pose pour la mer de Chine. Ainsi, Pékin n’a pas respecté les engagements qu’elle avait pris à la suite d’une médiation américaine imposant aux Philippines comme à la Chine de se retirer du Banc de Scarborough. Seules les Philippines avaient retiré leurs bâtiments et la Chine a maintenu son blocus. Mais les mêmes interrogations peuvent également se poser en matière d’engagement climatique ou tout autre engagement que Pékin interprète en fonction d’un rapport de force plus ou moins favorable.

D’une manière générale, les autorités chi-noises ne reconnaissent en manière de droit international que leur propre interprétation, qui peut évoluer en fonction des rapports de forces et des situations. Ainsi, la Chine conteste le statut d’île attribué par le Japon à Okinotori, qui ouvre droit à une zone économique exclusive. En revanche, Pékin affirme que l’ensemble des récifs, souvent submergés à marée haute à l’état naturel,

11. Sur Fiery Cross, la longueur de la piste est de 3 000 mètres. http://www.amti.csis.org et Minnie Chan, « China to Build Up Atoll In Contested South China Sea », South China Morning Post, 25 avril 2016.

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qu’elle occupe en mer de Chine méridionale sont bien des îles.

De même, la Chine appuie ses revendications sur l’archipel des Paracels sur la découverte de porcelaines datant des dynasties Tang et Song, qui apporteraient la preuve d’une occupation durable par des pêcheurs chinois, mais ces îles, sur la grande voie de communication maritime allant du Sud de la Chine à l’Asie du Sud-Est, ont servi de refuge et de lieux d’occupation temporaires à l’ensemble des États commerçants de la région.

Par ailleurs, la Chine tente d’imposer sa propre définition du droit de libre passage pour tous les bâtiments dans ce qu’elle définit comme sa zone économique exclusive (ZEE) en limitant ce droit aux bâtiments civils, les navires militaires étant soumis à autorisation. Ce point est particulièrement important en mer de Chine, alors que la RPC tente d’interdire les opérations de reconnaissances navales ou aériennes, dans le périmètre de sa nouvelle base de SNLE sur l’île de Hainan.

Au-delà de la mer de Chine, Pékin a donc l’ambition d’imposer un nouvel ordre en Asie fondé sur « le respect mutuel et la prise en compte du « niveau de confort » de chacun, ce qui signifie en clair que les États du pourtour chinois doivent accepter les revendications chinoises, notamment en mer de Chine. Il s’agit pour la Chine de mettre fin à une architecture de sécurité « dominée par les États-Unis » en Asie, alors même que Pékin n’a pas réussi à imposer, dans ses relations avec Washington, le concept de « nouvelles relations entre grandes puissances », qui justement s’appuie sur la prise en compte du « niveau de confort » de chacun.

Des cinq principes de la coexistence pacifique qui fondaient la politique étrangère de la RPC, on est désormais passé à un niveau différent, qui serait l’acceptation, par la communauté internationale, des revendications territoriales chinoises.

Les moyens mis en œuvre Depuis le début des années 2010, Pékin a déployé une batterie de moyens qui lui permettent de mettre en œuvre ses objectifs en mer de Chine.

Le remblaiement intensif des récifs constitue le premier élément de la stratégie d’affirmation de puissance de la Chine en mer de Chine méridionale. Du mois de décembre 2013 au mois d’octobre 2015, en un laps de temps très court, la surface remblayée par la Chine a atteint 12 000 km². Les activités de

remblaiement se poursuivent et aujourd’hui sept récifs, Cuarteron, Fiery Cross, Gaven, Hughes, Jonhson South, Mischief et Subi, sont concernés, en contradiction avec la décla-ration sur le code de conduite de 2002 que la Chine s’était engagée à respecter12.

La Chine pourrait à court terme étendre cette stratégie au banc de Scarborough, rompant avec un autre principe qui visait à interdire aux parties en présence de rompre le statu quo en matière d’occupation de territoires.

Cette stratégie de remblaiement a également été rendue possible par le progrès des moyens techniques dont dispose la RPC. La Chine s’est par exemple dotée depuis le milieu des années 2000 d’une très importante flotte de dragues, dont la troisième plus importante au monde, mise en service en 201013.

Au-delà de ces activités de remblaiement qui consolident la présence chinoise en mer de Chine, on note également le développement des capacités navales militaires, paramilitaires et civiles au service des ambitions régionales de la Chine. Le Livre blanc de la défense 2014 soulignait la nécessité pour la RPC de développer un système de forces navales moderne et en accord avec ses besoins14.

Mais surtout, la Chine a considérablement renforcé ses moyens paramilitaires et civils de contrôle avec les garde-côtes et la milice maritime. Pékin possède aujourd’hui la plus importante flotte de garde-côtes dans le monde, avec 205 bâtiments. La Chine a notamment mis en service en 2015 et en 2016 deux bâtiments de garde-côtes CCG 3901 d’un tonnage supérieur à 10 000 tonnes, porte-hélicoptères et armés d’armes à tir rapide de 75 mm et de deux canons anti-aériens. La Chine est seule à posséder ce type de bâtiments armés, dont la taille surpasse celle des bâtiments de garde-côtes japonais équivalents (Shikishima, 6 500 t)15.

La construction de ce type de bâtiments en Chine s’est accélérée après 2012, en réponse

12. Pékin accuse le Vietnam et les Philippines de procéder également à des remblaiements. L’ordre de grandeur des surfaces concernées n’est toutefois pas le même. Dans le cas du Vietnam, la surface concernée est inférieure à 500 km². Rosa Tran, « China and Vietnam land Reclamation Comparison », South China Sea Research, 14 mai 2016.

13. Andrew Erickson, Kevin Bond, « South China Sea and Beyond : Why China Huge Dredging Fleet Matters », The National Interest, 12 août 2015.

14. China’s Military Strategy, mai 2015 sur : http://www.eng.mod.gov.cn

15. Franz Stefan Gady, « Beijing Builds Monster Ships for Patrolling South China Sea », Diplomat, 13 janvier2016.

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sans doute à l’infériorité manifeste de ses capacités face à celles du Japon lors des incidents autour de l’archipel des Senkaku16 qui avaient suivi le rachat des îlots par le gouvernement japonais à un propriétaire privé.

La Chine renforce également la milice mari-time, créée dès 1949, adaptée au concept de « guerre hybride » que la Chine met en œuvre en mer de Chine. Avec plus de 200 000 bâti-ments, la Chine possède en effet la plus impor-tante flotte de bateaux de pêche au monde et 50 000 de ces bâtiments seraient engagés dans les activités de la milice maritime.

Les équipages sont entraînés par les forces des garde-côtes et de la PLAN (People’s Liberation Army Navy). Ils reçoivent un dédommage-ment pour ces heures d’entraînement des-tinées à leur permettre d’accomplir des missions de sauvetage en mer, mais également de surveillance et de « défense du territoire national ». Les autorités locales à Hainan subventionnent également le carburant et l’installation de systèmes GPS qui permettent à cette milice maritime d’étendre son rayon d’action en mer de Chine17.

L’action coordonnée des milices maritimes, des garde-côtes et de la PLAN en appui dissuasif a considérablement renforcé les capacités d’action de Pékin en mer de Chine méridionale. La RPC dispose des capacités de mettre en œuvre une stratégie de harassement qui se traduit par une multiplication des incidents avec les États-Unis, les Philippines, le Vietnam et même l’Indonésie pourtant non concernée par le conflit territorial.

En 2016, un bâtiment de garde-côtes chinois est intervenu alors que l’Indonésie interceptait un bâtiment de pêche illégal, dans une zone qualifiée par Pékin de « zone traditionnelle de pêche » de la Chine. La RPC s’est également attaquée aux bâtiments d’exploration pétro-lière près du banc de Reed, dans la ZEE des Philippines. Hanoi a accusé Pékin d’avoir à deux reprises sectionné les câbles d’amarrage de bâtiments de forage vietnamien.

Un incident grave a également eu lieu avec le bâtiment de surveillance américain (écoute sous-marine) T-Agos Impeccable en 2009 et à plusieurs reprises des avions chinois ont provoqué des incidents avec des appareils de surveillance aérienne américains18.

Des conséquences majeures en termes de risque d’escalade Cette stratégie d’affirmation de puissance en mer de Chine méridionale, qui s’appuie sur des moyens officiellement « civils » destinés à placer la responsabilité de l’escalade chez l’adversaire, augmente considérablement les risques de confrontation. D’ores et déjà, on constate, en réponse aux avancées chinoises, une militarisation du théâtre de la mer de Chine méridionale et l’implication croissante d’autres puissances régionales19.

Depuis 2015, les États-Unis ont procédé à plusieurs opérations Freedom of Navigation Operation (FONOP) dans la zone des 12 miles autour de récifs occupés par Pékin, ainsi que dans l’espace aérien revendiqué par les autorités chinoises.

De leur côté, les Philippines et le Vietnam renforcent leurs capacités navales militaires et civiles. Des accords ont été conclus avec le Japon pour la fourniture de bâtiments de garde-côtes. Confronté à des tensions avec la Chine en mer de Chine orientale, le Japon a en effet renforcé son implication en mer de Chine méridionale. En 2015, à l’occasion d’une visite en Indonésie, le chef d’État-major des forces maritimes d’autodéfense avait déclaré que « le Japon (avait) un intérêt dans la région ».

Au niveau diplomatique, lors du sommet des ministres des Affaires étrangères du G7 qui s’est tenu à Hiroshima au mois d’avril 2016, un communiqué commun a pu être signé appelant « tous les États à éviter toute action telle que le remblaiement de territoires et leur militarisation, et à agir en accord avec les principes du droit international, y compris en matière de liberté de circulation maritime et de survol ».

Au niveau militaire, pour la première fois au printemps 2016, les forces maritimes d’autodéfense (JMSDF) ont participé à un exercice commun avec la marine vietna-mienne et visité la base de Cam Ranh.

Conclusion : la nécessité d’un signal fort Face à ce risque croissant de conflit, dans une zone d’importance majeure pour l’ensemble de la communauté internationale, un signal fort est nécessaire pour mettre un coup d’arrêt

EP 3 américain et un avion chinois, causant la mort du pilote chinois. Le dernier incident a eu lieu au mois de mai 2016.

19. Rappelons que les États-Unis sont liés aux Philippines par le Traité de défense mutuelle de 1951.

16. Diaoyo pour les Chinois.

17. Mega Rajagopal, « China Trains Fishing Militia to Sail into Disputed Waters », Reuters, 30 avril2016.

18. En 2001, un incident grave avait eu lieu entre un

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à une stratégie aventuriste en mer de Chine méridionale qui ne peut être dissociée de la radicalisation idéologique du régime chinois.

Alors que la cour d’arbitrage se prépare à rendre un jugement, la RPC a accentué les pressions diplomatiques, notamment auprès de ses alliés traditionnels en Asie du Sud-Est, mais pas uniquement. Il s’agit pour la Chine, dans l’éventualité d’un jugement négatif, d’en réduire les conséquences en créant des divi-sions dans l’interprétation du jugement au sein de la communauté internationale, entre les pays de l’ASEAN eux-mêmes, mais éga-lement entre États européens et entre l’Europe et les États-Unis.

A l’inverse, un soutien universel et fortement exprimé au jugement rendu ne pourrait que démontrer la détermination de la commu-nauté internationale en faveur d’une évolution non conflictuelle de la résolution des conflits en mer de Chine méridionale. Par ailleurs, cette position ne pourra que peser favora-

blement en faveur d’une intégration plus positive de la puissance chinoise, membre permanent du Conseil de sécurité et à ce titre acteur majeur de la communauté interna-tionale, au système mondial.

La question du soutien au caractère contrai-gnant du jugement pourra notamment se poser, en raison du précédent qu’il pourrait créer pour d’autres États signataires de la CNUDM (UNCLOS). Toutefois, c’est justement cette dimension contraignante, et le soutien clair et sans ambiguïté apporté par la communauté internationale, qui permettra d’apaiser les tensions en Asie orientale et de poser les bases de relations qui ne seraient plus fondées sur le rapport de force entre

« petits pays » et « grands pays »20.

20. En 2010 le ministre des Affaires étrangères Yang Jiechi avait déclaré « Il y a des petits pays et il y a des grands pays, c’est un fait », établissant ainsi une hiérarchie de puissance entre la Chine et ses voisins. Sur http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/07/29/AR2010072906416.html

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