· web viewcette présence francophone des dominicains aux etats-unis a été doublée par un...

26

Click here to load reader

Upload: lekiet

Post on 15-Sep-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Histoire et présence dominicaine au Canada

Conférence au Collège Saint-Dominique de Bordeaux

Novembre 2000

La présence Dominicaine en Amérique du Nord

Les Dominicains aux Etats-Unis d’Amérique

Edward Dominic Fenwick, durant ces études au collège anglais de Bornhem, dans les Flandres, rêve d’établir la vie dominicaine aux États-Unis, son pays natal. Il était né dans l’état du Maryland. Le premier évêque de Baltimore, Mgr Carroll, heureux de recevoir les Dominicains donne l’autorisation au projet de Fenwick. Il invite les frères à s’établir dans le Kentucky, comme missionnaires. Le père Fenwick s’y rendra en compagnie de trois dominicains anglais. C’était l’époque où l’on était moins préoccupé par les formalités. En 1805, le maître de l’Ordre établit le territoire en province alors qu’il n’y a ni frère et ni maison. La première maison fut établie en 1806 à Springfield au Kentucky et l’on y érigea une église paroissiale puis un collège portant le nom de saint Thomas d’Aquin. Durant la courte existence du collège, Jefferson Davis, futur président des états fédéraux américains y fut étudiant. C’est à cheval que les premiers Dominicains américains parcourront les campagnes pour prêcher aux nouveaux colons et aux Indiens des Amériques et leur assurer un service sacramentel.

La présence dominicaine américaine a donc précédé de plusieurs années, celle du Canada. Les frères américains n’ont pas essaimé en territoire canadien. C’est dans un autre contexte que viendront s’établir au Canada et en Nouvelle-Angleterre les Dominicains de la province de France et de Lyon. De nombreux voyages par les frères français aux Etats-Unis donnent le goût à ceux-ci de préparer des implantations en Amérique du Nord malgré la présence des frères de langue anglaise. Il faut y voir d’abord l’insécurité suscitée chez les frères européens par les mouvements anticatholiques de l’Europe. On veut développer des points de chute en cas d’expulsion. De plus, certains frères français sont préoccupés du manque de vie conventuelle et d’observances aux Etats-Unis et rêvent d’y établir des couvents plus formels comme il en existe en Europe.

En 1881 des frères Français sont envoyés pour travailler auprès des populations d’immigrés canadiens aux Etats-Unis. Le pays leur est connu par les voyages de plusieurs frères effectués pour prêcher sur le nouveau continent. 1

À la suite des décrets hostiles aux religieux, le désir des frères Français de venir aux Etats-Unis d’Amérique se ravive. Le Père Chocarne, provincial de France, rêvait depuis longtemps d’établir des frères dans ce si vaste continent. La chronique du Couvent de Lewiston relate les raisons de cet enthousiasme : un grand souci missionnaire mais aussi le désir de trouver des lieux d’insertions pour les religieux qui sont ou seront expulsés de France. 2 L’implantation des frères est donc suscitée par un désir d’expansion apostolique et un climat d’insécurité.

Cette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux, dont les Dominicains. Le père Labore, Prieur provincial de la province de Lyon en exile, visita New York et fut saisi par les possibilités d’établir sa communauté aux Etats-Unis. Il fut encouragé par le provincial de la province américaine et aussi par l’archevêque de New York.

1 2 Jules Antonin Plourde, o.p., Dominicains au Canada, album historique, 1973, page 51, « De longue date, le père Chocarne, provincial de la province de France, rêvait d’une fondation aux Etats-Unis de l’Amérique du Nord. La fondation de Saint-Hyacinthe n’était dans sa pensée qu’une première étape vers la réalisation d’un projet qu’il avait conçu dès son séjour en Amérique, de 1966 et 1870. Il lui semblait que la vie dominicaine, telle qu’elle se pratiquait en France depuis la restauration dans notre patrie par le père Lacordaire, pouvait se transporter avec quelque fruit pour les âmes et prospérer au sein de la grande république américaine. Les difficultés, les troubles et les incertitudes dont l’horizon se chargea en France, à la suite des décrets hostiles aux religieux du 29 mars 1880, ranimèrent les désirs anciens du père Chocarne, et ses yeux se tournèrent de nouveau vers l’Amérique. On résolut de fonder une maison aux Etats-Unis, et le père Mathieu, prieur de Saint-Hyacinthe, fut chargé de chercher un lieu propre à la nouvelle fondation. »

1

Page 2:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Les Dominicains de la province de Lyon s’établirent dans une région de New York à Pleasantville qu’on appelait Sherman Park. Ce nouveau développement immobilier était surtout peuplé par des immigrés allemands et peu de catholiques romains y étaient résidants. Toutefois, on prévoyait que ce lieu serait vite habité par de nouveaux arrivants. Les Dominicains français achetèrent un hôtel presque neuf qu’ils convertir en couvent et qui était situé dans la campagne. Leur but était d’étendre leur activité à toute la région. Le couvent fut dédié à Notre-Dame-du-Rosaire et Saint-Michel. Les frères français y ouvrirent un Studium pour la formation intellectuelle de jeunes frères. Selon la tradition française, ils construisirent une église conventuelle tenant lieu de paroisse. Ils fondèrent deux nouvelles paroisses, Pleasantville et Kensico (maintenant Valhalla). L’agglomération a pris le nom de « Hawthorne » et les frères y furent présents jusqu’en 1915 lorsque le représentant du Maître de l’ordre décida d’unir les frères à la province américaine St-Joseph de New York. L’église conventuelle devint une paroisse formelle. Il semblerait que les raisons de l’union avec la province Saint-Joseph étaient financières. On y assigna des frères américains rapportant des revenus et pouvant subvenir au bien matériel de la communauté et éponger la dette. 3 Les frères de la province de New York ont quitté ces implantations le 1er juillet 2000 afin de diminuer leurs engagements en paroisse.

La fondation canadienne de 1873 naît dans un contexte difficile en France, mais aussi est suscitée par un mouvement ne provenant pas d’Amérique comme tel, quoique certains liens d’amitié et certains frères français connurent bien la situation aux Etats-Unis. Le Père Chocarne y avait séjourné pendant au moins cinq ans. Il faudra une longue maturation pour que le Canada accueille cette nouvelle initiative d’implantation.

Un mouvement pour la liberté.

Dans une petite ville située à environ 45 kilomètres de la grande métropole qu'est Montréal habite un prêtre du nom de l’abbé Joseph Sabin Raymond. Faut-il voir le nom de cette ville, Saint-Hyacinthe, lui-même dominicain, comme une prédestination pour ce petit diocèse. Peut-être !

C’est quarante-trois ans avant l’arrivée des frères, vers 1830, que commence l’odyssée d’un rêve, nourrit par les abbés Raymond et Prince, de s’insérer dans un mouvement bien connu en France, celui des « pèlerins de la liberté ». « Même si le collège de Saint-Hyacinthe était encore en 1830 un modeste établissement, on y lisait, on y savait, on y suivait ce qui était publié et discuté en France. On y admirait Lamennais, ‘le seul grand homme de l’Église de France’, allait déclarer le jeune Lacordaire, avocat converti, devenu prêtre et il apparaît qu’on y dévorait l’Avenir, le journal qu’il avait fondé en 1830, avec Montalembert. »  4

L’abbé Raymond, et d’autres professeurs du séminaire avec lui, nourrissent une grande admiration pour ce trio de la liberté : Henri-Dominique Lacordaire, Félicité de Lamennais et Montalembert. Il organise une séance au séminaire qui, présentée en 1833, est la répétition du Procès de l’École libre. 5 L’abbé Raymond, malgré son admiration pour les thèses de Lamennais et tout comme Lacordaire, n’« enchaînera pas son cœur » après la condamnation de Rome. Il s’inclinera devant l’autorité. Toutefois, il garda une grande admiration pour Lacordaire et le trio. Il l’exprimera ainsi « Alors, du sein de la France s’éleva ce cri de liberté qui, répété si promptement dans une grande partie de l’Europe, a fait tressaillir dans son retentissement jusqu’aux rives opposées de l’Océan. » 6

L’abbé Desaulnier, aussi professeur au même collège, est disciple de saint Thomas d’Aquin. On le décrit comme un précurseur de la restauration thomiste demandée par Léon XIII quarante ans plus tard. Jusqu’à 1840, le clergé

3 Les informations concernant les provinces américaines viennent du « The News Digest’, The Dominican Province of St-Joseph, Spring and Summer 2000, 4 Jean Houpert, Monseigneur Moreau, Édition sPaulines, 1986, page 1855 Avant même que ne paraisse l’encyclique Mirari vos de Grégoire XVI, barrant la route aux nouvelles tendances issues des doctrines de Lamennais, l’abbé Raymond avait préparé, pour les exercices littéraires de la fin d’année 1832 au collège de Saint-Hyacinthe, une séance qui n’était que la répétition du Procès de l’École libre. Présentée en 1833, à cause d’une épidémie, cette séance fit une beau tapage à Saint-Hyacinthe et engendra un remous de controverses dans les journaux locaux. L’abbé Raymond aiguisa sa plume pour défendre à sa manière, et à l’exemple de Lacordaire, la liberté qui ne courait pas au pays tant de périls. »6 Jules-Antonin Plourde, o.p., idem, page 15

2

Page 3:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

avait eu d’autres préoccupations que la réflexion théologique. L’Église dans le Dominion du Canada, devenue territoire anglais, était préoccupée par les conditions économiques et culturelles de la population française.

Dans un contexte différent, les débats pour la liberté en France pouvaient intéresser les Canadiens français d’Amérique. « L’abbé Raymond écrivait à Lacordaire à la fin de l’année 1933 : ‘Mais j’ai un autre titre à votre attention. Moi aussi j’ai défendu la liberté d’enseignement, et à l’aide de vos principes. Jusqu’à ce jour l’éducation a été parfaitement libre et tous les établissements de haut enseignement sont entre les mains du clergé ; mais on a voulu introduire une loi tendant à donner au gouvernement le privilège exclusif de l’instruction et devant même forcer   les   pères   de   famille   à   envoyer   leurs   enfants   aux   écoles   publiques. » 7 L’abbé Raymond avait réagi publiquement et violemment contre l’introduction d’une loi forçant les parents à envoyer les enfants dans ces écoles. Le projet de loi fut finalement retiré. Il poursuit dans sa lettre : « Toutes vos doctrines devaient trouver un écho en Canada. Les principes sur l’alliance de la liberté et de la religion, proclamés dans l’Avenir, furent aussi les nôtres. Mais au moment où nous nous proposions de les soutenir en thèse publique arriva l’encyclique que nous interprétâmes d’abord comme une condamnation de toutes les doctrines politiques de l’Avenir. » 8

D’un clergé patriote à un clergé soucieux de l’avenir de la culture française.

Le clergé de l’époque est un clergé patriote. Mgr de Ponbriand, dernier évêque de Québec, représente bien le modèle du prêtre à ce moment. Pour lui, la conquête est la conséquence du péché. Il faut donc prier pour la conversion des gens. Mais il demande à ses diocésains d’entretenir des rapports harmonieux avec l’envahisseur pour garder la paix. Après avoir encouragé tous les hommes capables de faire la guerre à collaborer avec les officiers français pour sauver la Nouvelle-France, il désire maintenant sauver la foi et la langue par la diplomatie. Il faudra quelques années pour que la population de langue française se ressaisisse et entre dans une démarche active pour reconstruire une cohérence sociale et culturelle francophone. Le nouveau clergé donnera la direction nécessaire pour contrecarrer l’envahissement culturel anglophone. Mais il faudra du temps.

De 1840 et 1855 le Québec vit une renaissance religieuse. Le clergé était peu nombreux et il fallait pallier le plus pressant. Comment rejoindre les Canadiens Français qui ne pratiquaient plus leur religion .  9 On ouvre écoles et séminaires, hôpitaux et orphelinats. On organise retraites et missions et l’on décerne au Séminaire de Québec une charte d’université catholique, la première en terre canadienne française. À la même époque, pour la formation des prêtres autochtones, on fonde un deuxième grand séminaire, celui-là à Montréal.

Les prêtres se consacrent à l’éducation des jeunes. Les évêques font venir de nombreuses congrégations françaises de religieux et religieuses, nouvellement fondées après la Révolution. L’Ordre dominicain ne fera pas partie de ce premier essaim de religieux. Toutefois, l’intérêt pour l’Ordre et l’étude de saint Thomas est déjà très vivace. L’abbé Desaulnier, du séminaire de Saint-Hyacinthe, introduisit l’étude du thomisme au Québec. Par la même occasion, les Jésuites précèdent les Dominicains, et arrivent à Montréal en 1842. Ils y apportent leur souci de la vie intellectuelle en fondant des maisons d’enseignements pour les garçons, là où la présence de l’Église est déficiente. Ils formeront les élites de demain. Les frères des Écoles Chrétiennes étaient venus dans les années 30 et ils sont suivis par de nombreuses implantations de Congrégations de religieux prêtres, de frères enseignants et de religieuses. Cette floraison d’apôtres est accompagnée de la naissance de plusieurs communautés autochtones.

Les sœurs de Sainte-Anne et les sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie pour l’enseignement viennent soutenir la mission des Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame qui ne fournissent plus à la tâche. Celles-ci se multiplient en nombre. Elles ouvrent des établissements pour l’enseignement supérieur aux femmes. Mère Gamelin fonde les sœurs de la Providence pour le soin des malades, des orphelins et des pauvres venant compléter l’œuvre des Sœurs Grises fondée par Sainte-Marguerite d’Youville avant la conquête anglaise. Les Sœurs Hospitalières Augustines de la Miséricorde de Jésus et les Hospitalières de Saint-Joseph, arrivées au

7 J. Antonin Plourde, o.p., Dominicains du Canada, livre des documents, Éditions du Lévrier, Montréal, page 178 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 189 Rolland Litalien, o.p. cit., page 12 « Presque tout Montréal devient catholique pratiquant, alors qu’en 1840 au moins un Catholique sur dix ne faisait même ses pâques. »

3

Page 4:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

premier temps de la colonie, fondent de nouveaux hôpitaux. Elles restent cloîtrées tout comme les Ursulines le sont pour l’enseignement.

Mais le diocèse de Saint-Hyacinthe nouvellement créé ne profite pas de cet afflux d’instituts religieux qui s’installent dans d’autres diocèse. Aucune communauté n’existe dans le diocèse.

Mgr Prince, ancien directeur du Collège, devenu évêque de Saint-Hyacinthe, lors d’un voyage à Rome en 1852 « entame alors auprès du maître de l’Ordre des Dominicains   les  premières démarches pour  l’implantation de l’Ordre dans sa ville. » 10 Quelques jours après la mort de Monseigneur Prince en 1860, l’abbé Zéphirin Moreau, futur bienheureux et actuellement vicaire général, écrit au maître général de l’Ordre, exprimant le souhait de son prédécesseur, et il ajoute : « Aussitôt après ma mort (m’a dit Mgr Prince) vous écrirez au bon père Jandel (le maître de l’ordre) pour lui dire qu’il envoie deux pères et un frère. La volonté de ce bon père (l’évêque défunt) était la  mienne et  de cette affaire,  qui  est  en marche  depuis  assez   longtemps,   je  serais  assez  heureux de  voir   la conclusion cette année. ». 11 Cette demande est datée du 16 mai 1860. Notons que ce Mgr Prince récemment décédé et si entreprenant pour la venue des frères est l’ancien directeur du séminaire de Saint-Hyacinthe et le grand ami et collaborateur de l’abbé Raymond.

Les premiers Dominicains du Canada

L’abbé Joseph-Sabin Raymond nourrissait depuis longtemps le désir de devenir Dominicain. Il est alors jeune professeur au séminaire de Saint-Hyacinthe et l’abbé Prince est le directeur. L’abbé Prince deviendra plus tard évêque de Saint-Hyacinthe. Ces deux personnages entretiendront une correspondance avec Lacordaire. En 1842-1843, l’abbé Raymond fait un long séjour en France et il y rencontre Lacordaire. Il lui fait part de son désir d’entrer dans l’Ordre. « Lacordaire l’en dissuade, estimant, semble-t-il, qu’il a une tâche plus importante à remplir comme professeur à Saint-Hyacinthe. » 12 Des sources disent que l’intention du père Lacordaire était de laisser l’abbé Raymond au Canada pour préparer la venue des frères. Il faut peut-être ajouter que le travail effectué par l’abbé revêtait une grande importance pour l’avenir de l’enseignement au Canada et qu’il était très faible de santé.

Nous sommes 70 ans après la conquête anglaise. L’approche pastorale du clergé met en valeur trois thèmes importants : sauver la foi en gardant la langue et la terre. La langue française protègerait du protestantisme. 13

Devenir propriétaire de sa terre garantissait la survie économique, évitant une trop grande pauvreté et une inévitable dépendance par rapport à l’envahisseur. La noblesse, les commerçants, les religieux masculins, les professionnels, et l’élite française en général, avaient pris le chemin du retour en France. Les Anglais ayant pris le contrôle de l’économie et des ressources, le colon français peu éduqué des campagnes et le clergé se voient marginalisé sur le plan social, économique et religieux. Les prêtres, submergés par le travail paroissial, enseignaient le latin aux enfants du village dans leur presbytère, dans l’espérance de faire renaître une classe plus aisée, des professionnels et un nouveau clergé. Ainsi, Mgr Moreau, futur évêque de Saint-Hyacinthe et maintenant bienheureux, apprit le latin de son curé de paroisse.

En 1854, l’abbé Raymond rédige un long mémoire qu’il intitule « Mémoire   pour   l’établissement  des   Frères Prêcheurs à Saint-Hyacinthe. » Il emprunte le titre à Lacordaire qui est cher à son cœur. Ce mémoire est écrit pour démontrer le bien-fondé de la venu des Prêcheurs et il dit que cela lui fut ordonné par son évêque. Que trouve-t-on dans ce mémoire ? La nécessité que les Ordres religieux se répandent dans le monde et soient

10 Jean Houpert, op. cit., page 18611 Jean Houpert, op. cit., page 18612 Jean Houpert, op. cit., page 185-18613 Rolland Litalier, op. cit., page 12, « Dans ce climat de renaissance catholique, le prosélytisme des Protestants eut bien peu de succès. Pourtant, ceux-ci pouvaient compter sur des structures et une organisation solides Vers 1840, dans la région de Montréal, il y a cinquante chapelles protestantes et quarante-trois ministres. Dont un certain nombre, venant de Suisse, parlent français. À la campagne les Protestants détiennent quarante et une écoles. De nombreux catholiques sont attirés par la qualité et la gratuité des ‘High Schools’. … Les autres sectes protestantes reprochent cependant à l’église anglicane son manque de zèle pour la conversion des Canadien français ; à cet effet, elles s’unissent et créent en 1839 la puissante French Canadian Missionnary Society. Mais son zèle et son argent, aboutit très tôt à un échec notoire et même, finalement, à un recul. »

4

Page 5:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

universels. Qu’ils sont appelés à rendre de grand service dans l’Église. Ils sont au service de la gloire de Dieu et de la sanctification de l’homme. Pour certaines personnes qui ressentent l’appel, elle est nécessaire à leur salut. Les religieux sont utiles à la société chrétienne. Les religieux sont les meilleurs guides spirituels. Ils sont des auxiliaires puissants de l’épiscopat. C’est dans les Ordres religieux que se forme la vraie science ecclésiastique. L’Ordre dominicain fait une synthèse de ce qui est proposé dans plusieurs ordres religieux : la contemplation, la piété, l’étude, la prédication et la mission. L’Ordre dominicain renferme tout cela. L’Ordre dominicain a pour fonction propre de prêcher. Les Dominicains ont des missions florissantes mais aussi des frères pour les travaux manuels. L’Ordre a la responsabilité de propager le Rosaire. L’Ordre a aussi la confrérie dite de la milice angélique ayant pour objet de préserver la chasteté.

Puis l’abbé répond à certaines objections qu’on apporte à la venue des frères: ils sont des étrangers, il n’y a pas de ressources financières pour les soutenir.

Les premières réalisations de la Famille Dominicaine

En cette même année est érigée la confrérie de la Milice Angélique. S’y joignent « vingt   prêtres,   seize ecclésiastiques (séminaristes) et soixante-et-un élèves. », du Séminaire de Saint-Hyacinthe. 14

En cette même année 1854, l’abbé Raymond écrit une longue lettre au père Lacordaire lui exprimant sa douleur de ne pas pouvoir être dominicain. Il mentionne sa santé fragile l’excluant pratiquement d’une entrée au noviciat à cause des nombreuses austérités de l’Ordre. Il lui annonce qu’il n’est plus supérieur du séminaire mais qu’il est devenu le vicaire général de son diocèse. Il lui fait une demande formelle d’entrer dans le Tiers-Ordre. « Je renferme  dans   cette   lettre  ma  demande   formelle   d’entrer   dans   le   Tiers-Ordre,   avec  mon   engagement   d’en accomplir les règles, pour suppléer à la promesse verbale exigée lors de la profession. Je demande du plus la dispense du jeûne et de l’abstinence pour les jours où ma santé ne pourrait s’y soumettre. Assez souvent je suis obligé d’être dispensé des commandements de l’Église sous ce rapport. Mon intention est de me regarder comme appartenant à l’Ordre, du jour où vous bénirez pour moi la ceinture qui en est en quelque sorte la livrée. »

Il ajoute qu’il dirige une personne âgée de 20 ans. Elle est une personne malade désirant depuis longtemps être religieuse. Il lui raconte sa guérison et propose qu’elle soit admise dans le Tiers-Ordre. Cette dirigée était Aurélie Caouette, fondatrice des religieuses du Précieux-Sang, une communauté contemplative dont les premières sœurs (pendant 14 ans) feront profession dans le Tiers-Ordre Dominicain au moment de leur profession perpétuelle. Aurélie Caouette avait une grande dévotion à Sainte Catherine de Sienne et voulait l’imité dans sa dévotion à la passion du Christ. C’est chez elles que se réunira la première fraternité laïque dominicaine, après que le Père Lacordaire eut donné son autorisation pour la fondation du Tiers-Ordre. Dans sa réponse, il en profite pour parler du Tiers-Ordre enseignant et il envoie des dépliants d’information afin de recruter des élèves d’Amérique pour son Collège de Sorèze. Cette lettre date la fondation du Tiers-Ordre au Canada, et aujourd’hui, nous pouvons dire qu’elle rend officiel l'établissement de la Famille Dominicaine par le biais du troisième ordre. Elle est datée du 1 er

août 1854. Bien dommage qu’on ait pas cru bon d’en fêter le 150e anniversaire en 1994. Une oublie sans doute. C’est cette date qu’il faut retenir pour la fondation de l’Ordre au Canada.

La lettre d’approbation parvient au Canada le 18 août. Le 23 août, l’abbé fait profession dans les mains de l’évêque de Saint-Hyacinthe, Mgr Prince, et lors de cette même célébration, l’évêque qui le reçoit dans l’ordre fait profession dominicaine dans les mains de l’abbé sur le champ. Une semaine plus tard, le 30 août, l’abbé Raymond reçoit dans le Tiers-Ordre Aurélie Caouette, la future fondatrice des sœurs du Précieux Sang, sa dirigée. Plus tard y sera reçu le curé de la cathédrale et plusieurs laïcs. L’Ordre était maintenant établi au Canada.

L’abbé Raymond devenait le premier Canadien à entrer dans l’Ordre et à y persévérer. De fait, un autre Canadien était entré aux Etats-Unis. Il se marginalisa puis quitta l’Ordre pour devenir prêtre diocésain. On le retrouve à Saint-Hyacinthe à un moment où il désire lui aussi établir l’Ordre au Canada en passant outre le clergé du diocèse et l’évêque. Il en fut vite découragé par le Père Jandel. 15 14 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 6115 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 63, note 28

5

Page 6:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

En 1857, l’abbé Raymond écrit au Père Jandel au sujet d’Aurélie Caouette et d’une possible fondation de sœurs dominicaines. Il mentionne avoir admis quelques laïcs dans le Tiers-Ordre. Dans cette lettre, l’abbé Raymond demande aussi, s’il est possible, d’envoyer des frères du Tiers-Ordre enseignant pour  « se charger de la haute éducation. » 16 Les lettres de Monseigneur Prince au Père Jandel font souvent allusion à la venue de Tiers-Ordre enseignant pour l’éducation en même temps que la venue des frères. Faut-il noter que si le Tiers-Ordre enseignant était venu à ce moment-là, il n’aurait peut-être jamais disparu étant donné la facilité du recrutement au Canada au 20e siècle et les nombreux envois de missionnaires à partir du Québec qui établir la vie religieuse dans de nombreux pays.

La correspondance envoyée au maître de l’Ordre, le père Jandel, indique que de nombreux obstacles empêchent la venue des frères au Canada. Il est clair que le désir de faire venir les frères de la part de ces prêtres enseignant au séminaire vient d’un grand attachement à saint Thomas et à la tradition intellectuelle de l’Ordre. Ils veulent des frères afin que ceux-ci contribuent à la réflexion théologique dans les milieux ecclésiastiques. 17

Les raisons du retard

Pourquoi le retard de la part de l’Ordre de répondre à tant d’insistance pour la venue des frères au Canada. 18 La correspondance vue sur une longue période entre le Père Jandel, le Père Lacordaire, Mgr Prince et l’abbé Raymond nous éclaire. Une certaine insistance de la part de l’évêque pour que les frères prennent la responsabilité d’une paroisse afin d’assurer leur soutien matériel et favoriser les vocations fait peur, 19 quoique, une lettre de Monseigneur Prince au père Lacordaire daté du 7 mars 1859 affirme « ils ne seront cependant point chargés de cures ni de dessertes proprement dites, afin d’être des auxiliaires plus efficaces sur différents points et de pouvoir surveiller le noviciat qu’ils ouvriront, j’espère, plus tard, dans la ville épiscopale. » 20 Mais Monseigneur Prince meurt et en 1861 le père Jandel exprime sa réticence à accepter une paroisse. « j’envoie à Saint-Hyacinthe un de nos religieux 21 (le père Balme qui n’ira jamais d’ailleurs) pour connaître les intentions de votre Grandeur …Ce père aura l’honneur de vous exposer la répugnance qu’inspire à lui et à ceux qui devraient lui être associés, la nécessité  de   se  charger  d’une  paroisse :   ce  que  Mgr  Prince   regardait   comme  indispensable  pour  assurer   les ressources de la mission. Ne voulant pas les contraindre à accepter une charge d’âmes que notre législation nous interdit et que nous ne subissons que par exception et par dispense, j’ai cru que le meilleur parti à prendre était de l’envoyer sur  les  lieux,  afin de s’entendre avec votre Grandeur et de concerter   les moyens ou du moins d’en atténuer, autant que possible les inconvénients. » La province de Lyon venait de prendre la décision de favoriser

16 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 4117 Rolland Litalien, Le prêtre québécois à la fin du XIXe siècle, Éditions Fides, 1987 « Comme tous les prêtres québécois de son temps, il (Zéphirin Moreau) a connu des études théologiques bousculées et émiettées, plus attentives à donner des solutions immédiatement pratiques aux problèmes sociaux et pastoraux de l’heure qu’à susciter une réflexion profonde sur les bases doctrinales de l’action pastorale. Mgr Moreau est le premier à déplorer explicitement cette formation étriquée, qu’il s’est employé à corriger et à parfaire en étudiant lui-même toute sa vie. », page 2-318 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 82 « Vous comprenez, mon très révérend père, que je ne puis pas m’adresser à une autre communauté : on sait en Canada et probablement aussi en Europe que ce sont les Dominicains que j’ai demandés et qu’ils ont accepté. Qui voudrait maintenant venir ici, à votre refus qui paraîtrait inexplicable ? D’ailleurs je vous l’ai déjà dit : ce sont les enfants de saint Dominique et les frères de saint Hyacinthe que j’ai toujours désirés pour mon diocèse et qui y paraissent les seuls appelés par la volonté de Dieu. Si absolument vous ne pouvez pas venir cette année, j’attendrai à l’année prochaine, puis si vous retardez encore, je m’en plaindrai au Ciel et à la terre, je ferai même parvenir mes soupirs jusqu’aux pieds du Vicaire de Jésus Christ. Ainsi vous voyez, très révérend père, que je ne renonce point à la partie. … Allons, très cher père maître général, consultez votre cœur et répondez-moi s’il vous plaît le plus tôt possible. » Lettre de Monseigneur Prince au père Jandel daté du 3 mai 185719 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 75, « Je comprends que votre œuvre se développerait plus aisément si vous n’aviez pas la charge d’une paroisse (46) ; mais réellement, ce soin, en vous mettant tout de suite en besogne, vous attirera peut-être plus efficacement des sujets pour le noviciat, qui s’ouvrirait plus tard. Dans tous les cas, il y aura toujours assez d’œuvres à faire dans la ville et dans le diocèse pour vous occuper constamment. » Lettre de Monsieur Prince au père Jandel daté du 10 novembre 1855.20 J.-Antonin Plourde, o.p., page 87, lettre de Monsieur Prince au père lacordaire daté du 7 mais 185921 J.-Antonin Plourde, o.p. page 100, note # 76 : « Il s’agit du père François Balme. Il est le troisième religieux, désigné par le père Jandel, pour se rendre au Canada, cette fois en qualité d’enquêteur. Voi à la note 78 toutes les tractations qui se firent autour de son départ, qui n’eut finalement pas lieu. »

6

Page 7:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

la fondation canadienne. Toutefois, après avoir reçu une lettre disant que les conditions pouvaient être difficiles, la Province se retira du projet.

Une lettre datée du 19 décembre 1872 de Monseigneur Charles LaRocque, successeur de Monsieur Prince à la tête du diocèse, au père Jandel réouvrait le dialogue après plusieurs années de silence. Elle met les choses au clair sur les intentions de l’Évêque. « Je crois savoir que l’un des obstacles qui empêchèrent le projet de se réaliser fut que la communauté devait se charger de ministère pastoral en la desserte d’une des deux paroisses de la ville. Je dois vous informer de suite que cette condition est encore aujourd’hui un sine qua non comme autrefois ; et que, si vous ne pouviez pas l’accepter, il serait certainement inutile d’entrer dans de nouvelles explications. »22

Aussi, la préoccupation du maître de l’Ordre de retourner à une observance plus stricte a fait que des religieux étaient moins disponibles pour une fondation ailleurs qu’en Europe. Ce souci prenait la priorité dans les desseins du Père Jandel. Dans ce contexte, il était difficile de demander constamment à la France de fournir des recrus pour les nouvelles fondations. On attachait aussi une plus grande importance aux fondations qu’on devait effectuer en Orient.

Les religieux, qu’ils fussent de la province de France ou de celle de Lyon, pressentis pour la fondation canadienne, au moment voulu, tombent malades et l’un meurt soudainement, un autre est élu prieur. Pour le Tiers-Ordre enseignant, la priorité est accordée à soutenir les maisons d’enseignement en France et l’idée de sacrifier des religieux pour cette nouvelle fondation inquiète le Père Lacordaire.

En 1868, Le père Bernard Chocarne qui a vécu aux Etats-Unis de 1966 à 1970, futur provincial de France, est de passage à Saint-Hyacinthe pour prêcher au Tiers-Ordre et rencontrer plusieurs prêtres. Il prêche à Montréal se rendant aussi dans une réserve indienne desservit par les prêtres de Saint-Sulpice. Il écrit à son frère « J’en aurais bien long à te raconter sur mes courses au Canada. … L’évêque d’ici est tertiaire, le curé a fait une partie de son noviciat à Flavigny ; je suis donc en famille (30). Quelles bonnes gens que ces Canadiens ! Bon cœur, simplicité, générosité, aimant la France en dépit de toutes ses trahisons, comme le chien lèche la main qui l’a battu. C’est la France d’il y a deux siècles, avec ses coutumes, ses chants, ses traditions. La conquête, loin de changer le caractère canadien, n’a fait que le fixer davantage dans les sympathies nationales : c’est un pays d’ancien régime sous tous rapports. …  il me faut encore donner une petite instructions aux tertiaires de Saint-Hyacinthe. » 23

Le Père Bernrad Chocarne porte une sympathie certaine envers la fondation de l’Ordre au Canada et en Amérique. Sa correspondance le révèle tout au long de ses voyages en Amérique. Il était à même de constater l’excellent potentiel de développement de l’Ordre sur le nouveau continent. Il jette toutefois son regard d’abord sur la Louisiane. Ayant été élu provincial de la province de France au chapitre de Flavigny en 1971, il écrit au père Jandel. En présence du fait que le potentiel de vocations en Amérique est important, que les frères envoyés à Mossoul seront peu nombreux, encourager par son conseil provincial, il soumet la proposition de  « réserver à la province de France une mission dans les État-Unis d’Amérique et de m’autoriser à ouvrir des négociations dans ce but. » 24

22 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 10523 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 4824 J.-Antonin Plourde, o.p., idem, page 104, Lettre du père Chocarne au père Jandel daté du 27 juin 1871. « en présence de ce double fait : de vocations nombreuses pour les missions étrangères et du faible contingent que Mossoul recevra de nous, je viens, révérendissime père, vous faire une proposition, après y avoir été autorisé et encouragé par le conseil provincial. Je vous demande de vouloir bien réserver à la province de France une mission dans Etats-Unis d’Amérique et de m’autoriser à ouvrir des négociations dans ce but. … C’est un champ immense ouvert à l’apostolat, surtout à l’apostolat de la parole. La grande lacune du clergé américain, c’est de n’avoir pas d’hommes qui aient le temps et les moyens de répondre aux aspirations religieuses des esprits cultivés, catholiques ou protestants. Ler clergé est absorbé par le travail matériel des paroisses ; tous les Ordres religieux ont des paroisses qui les occupent exclusivement ; les missionnaires sont rares t surtout peu propres à un enseignement élevé et entraînant. La place des Frères Prêcheurs est là. Nos pères d’Amérique, que vous connaissez, se laissent absorber eux aussi par le travail des paroisses, ou n’ont pas l’initiative littéraire et théologique suffisante.Le bien à faire est non seulement immense mais facile. La seule langue à savoir est l’Anglais, et deux ans y suffisent. Quant aux ressources matérielles, nulle part elles n’affluent plus abondantes aux mains des religieux et des prêtres. Nos pères d’Amérique, je le crains, nous verraient arriver avec quelque regret : ils redouteraient la comparaison. Mais la vigne est si vaste ! Et en s’établissant en Louisiane et dans la vallée du Mississipi, là où la langue française est encore parlée par une partie

7

Page 8:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Deux religieux sont envoyés pour prêcher l’Avent 1971 et le Carême 1972. Les commentaires sont élogieux sur la prédication des frères. L’évêque de Louisiane demande des frères et le Maître de l’Ordre, tout en recommandant une certaine prudence dans la réalisation immédiate du projet, approuve qu’on la considère. Il suggère que cette fondation est surtout importante pour assurer un point de chute en cas d’expulsion des frères de France. Le Père Chocarne s’embarque à nouveau pour prêcher le Carême en Louisiane et passe aussi par Saint-Hyacinthe à la demande de l’évêque. Il accepte afin de mieux se rendre compte de la situation. Toutefois, la Congrégation intérimaire de 1973 à Paris retient la fondation canadienne proposée par Monseigneur Larocque. Celle-ci présentait l’avantage d’un recrutement plus certain. « Le grand avantage de cette position serait de pouvoir nous recruter aisément dans le clergé local où les vocations religieuses sont nombreuses, tandis qu’en Louisiane elles sont très rares. » 25 Des séminaristes de Saint-Hyacinthe avaient déjà pensé à entrer dans l’Ordre.

Sitôt dit, sitôt fait, les quatre premiers frères seront envoyés pour la fête de Notre-Dame du Rosaire, octobre 1873. Dans sa lettre annonçant l’arrivée des frères, le père Chocarne écrit avec prudence :   « L’œuvre   sera modeste au début, mais l’avenir nous reste. » 26 Le même jour, le père Chocarne écrit au père Louis-Thomas Bourgeois, en attente aux Etats-Unis pour lui dire qu’il a été choisi pour fonder la mission dominicaine de Saint-Hyacinthe et il en sera le premier supérieur. Il sera accompagné des Pères Réginald Bernard, Louis Mothon, tous les deux du couvent du Havre, et le frère Simon Grame, convers profès du couvent de Flavigny.

L’ambition pastorale et le souci de la formation intellectuelle des premiers frères

Le 5 octobre 1873 les premiers frères dominicains avaient pris possession officielle de la paroisse Notre-Dame-du-Rosaire de Saint-Hyacinthe. La fondation dite « à   l’essai »  par les capitulaires fut le commencement d’une aventure qui portera beaucoup de fruits. La sympathie du public et du clergé est unanime. Selon la coutume de l’époque, l’abbé Joseph Sabin Raymond, resté dans l’ombre depuis plusieurs années, lors de la célébration d’accueil fait le sermon qui dure cinquante minute. On est suspendu à ses lèvres.

Les frères furent « écrasés » par les demandes de prédication dans le diocèse. Un an après, on célébrait avec grande pompe le sixième centenaire de la mort de Saint Thomas d’Aquin. C’est alors qu’ils se firent connaître et reçurent de nouvelles recrues.

Un an après la fondation, le 10 septembre 1874, les frères Hyacinthe Gadbois et Dominique-Ceslas Gonthier traversent l’océan pour prendre l'habit dominicain à Abbeville en France. Le frère Hyacinthe mourra très jeune, à l'âge de 35 ans, après seulement dix ans de vie religieuse. Le frère Dominique-Ceslas Gonthier mourra à l'âge de 63 ans après 41 ans de vie religieuse. Pendant les 20 premières années, de ceux qui ont pris l’habit, 37 de ces candidats ont fait profession dans l'Ordre. Plusieurs sont morts en bas âge de la tuberculose. Les austérités et les rigueurs de l’hiver n’ont pas contribué à les garder en bonne santé. 27 Le père Bourgeois insiste déjà pour l’ouverture d’un noviciat à Saint-Hyacinthe.

Quatre des frères français venus et décédés au Québec étaient prêtres diocésains avant d’entrer dans l’Ordre. Est-ce que cela expliquerait leur facilité d’adaptation dans le ministère paroissial et le travail pastoral auprès des jeunes ?

Le souci de l’enseignement de la philosophie et de la théologie

de la population, ils en auraient moins d’ombrage et il y aurait là le territoire d’une immense province. … Je sais que cette idée serait accueillie avec grande faveur par la province … »25 Dominicain du Canada, Album historique, page 2626 Lettre datée du 27 juillet 1873.27 Dominicains au Canada, idem, page 33 « Les vocations elles-mêmes se firent nombreuses dès le début, en particulier celles de frères convers. Mais peu persévérèrent à cause des difficultés du commencement. »

8

Page 9:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Au demeurant, le rayonnement apostolique des frères par la prédication de retraites et par le ministère paroissial n’a pas empêché ceux-ci de préparer l'avenir. 28 Cinq ans après la fondation, « le 15 novembre 1878, arrivaient à Flavigny-sur-Ozerain,  où déjà sept   religieux canadiens  se  préparaient,  dans   l’étude et   la  retraite  à  leur   futur ministère,  deux évêques du Canada en route pour  le tombeau des saints apôtres. » 29 C’était Mgr Moreau, évêque de Saint-Hyacinthe et Mgr Duhamel, évêque d’Ottawa. L’année suivante c’est l’évêque de Saint-Hyacinthe lui-même qui écrit à l’archevêque d’Ottawa. La lettre est datée le 3 décembre 1879, donc six ans après la fondation canadienne, pour solliciter sa bienveillance et lui demander d’accueillir les frères. 30 Une correspondance soutenue montre les difficultés d’une telle fondation et les réticences de part et d’autres pour que les frères s’installent définitivement dans ce nouveau lieu.

Le 16 novembre 1880, le père Chocarne investit donc le père Mathieu, son vicaire au Canada du mandat de trouver un lieu à Boston, alors une des grandes villes de l’Est américain pour l’implantation des frères. Et le Père insiste pour que ce ne soit dans aucune autre ville déclarant que les grandes villes étaient les endroits où les chances de réussite étaient les meilleures pour une fondation. 31

Mais la persévérance du Père Mathieu et de ses confrères vient à bout des difficultés. Après avoir regardé du côté de Boston, les frères vont convaincre le provincial de France d’accepter la fondation d’Ottawa. En 1884 les choses se précipitent et le prieur provincial de France donne son accord pour la nouvelle fondation. Le 18 août 1984, un câblogramme de Paris ainsi conçue arrive : « Accepté » . L’argument majeur pour approuver cette nouvelle fondation est celui de la possibilité d’ouvrir, à brève échéance, un Studium pour la formation des jeunes frères et d’établir une institution d’enseignement capable d’un rayonnement intellectuel à travers le pays.

En 1884, les frères prennent charge de la paroisse Saint-Jean-Baptiste d'Ottawa avec cette intention . « Je suis persuadé que si nous entrons à Ottawa, nous y resterons ( … ) nous aurons là notre maison d’étude » 32 « C’est ce qu’écrivait en juillet 1884 au vicaire général d’Ottawa le Père Albert Mathieu   33 au nom de la petite poignée de dominicains installés depuis peu au Canada. » 34 Les frères prendront d’abord la responsabilité d’une paroisse après avoir été invité durant la période de tergiversation à prêcher des retraites dans le diocèse.

L’idée d’un Studium était la condition émise par l’évêque. Déjà on voit grand. « Je ne m’oppose nullement à ce que notre grand couvent d’études, si jamais nous en avons un, soit à Ottawa. L’évêque en a manifesté le désir. Mais veuillez remarquer que ce qu’il a demandé, ce n’est pas un couvent d’études quelconques, c’est un grand couvent d’études formelles, parce qu’il désire avoir une faculté de théologie dans sa ville épiscopale. » 35

28 Dominicains au Canada, Album du centenaire, page 29, La retraite pastorale, prêchée par le père Bourgeois au séminaire de Saint-Hyacinthe, du 31 août au 6 septembre 1873, groupa 86 prêtres et fut une belle réussite. »29 Au nom d’une mission, idem, P. C.-Dominique Gonthier, vicaire provincial, discours d’inauguration du couvent30 Au nom d’une mission, idem, page 13 « Nos pères Dominicains, voyant les sujets canadiens entrer en assez bon nombre dans leur Ordre, se préoccupent de la pensée d’avoir, en un temps plus ou moins rapproché, un autre pied-à-terre dans le pays pour y déverser le trop plein de leur couvent de Saint-Hyacinthe. Deux père canadiens sont revenus de France cette année, deux autres devront revenir l’an prochain, et à chaque année subséquente de nouvelles recrues canadiennes viendront augmenter notre colonie dominicaine, si le Ciel, comme il est à espérer, continue à lui susciter des vocations parmi la jeunesse et le clergé du pays. Le bon père Mathieu, qui est à la tête de l’œuvre et qui la dirige sagement et sûrement, me disait il y a quelque temps qu’il serait heureux si votre Grandeur voulût lui confier un petit champ à cultiver dans sa vigne, et me demandait si je croyais qu’il fût bien venu à vous adresser une demande dans ce sens. Je lui répondis que je ne connaissais pas votre pensée à ce sujet ; toutefois je lui observai que la réalisation de ce projet me paraissait entourée de certaines difficultés, vu que vous aviez les pères Oblats dans votre diocèse, et que ce serait peut-être difficile pour vous d’assumer un autre corps religieux à côté d’eux dans votre ville épiscopale. Cependant, lui ai-je ajouté, il peut se faire que Monseigneur d’Ottawa soit aise d’avoir de vos religieux pour la desserte d’une des églises de sa ville (…)31 Jules Antonin Plourde, o.p., idem, page 51 « Partez sans retard pour Boston ! Je dis Boston, et non une autre ville du diocèse : l’expérience nous apprend que les fondations les plus prospères sont celles des grandes villes. » 32 Au nom d’une mission, Le Collège dominicain de philosophie et de théologie, Cent ans de présence, 2000, page 11.33 Dominicains Français, Vicaire provincial en Amérique 34 Au nom d’une mission, idem, page 1135 Lettre du père Chocarne

9

Page 10:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Mais il faudra plusieurs années pour que le projet s’achève. Le manque de ressources humaines et financières retarde la construction et l’ouverture d’un couvent d’études. 36

En attendant, en 1885, on commence la formation sur place, à Saint-Hyacinthe. Le couvent de Saint-Hyacinthe est érigé en couvent formel. La même année il devenait le premier noviciat en terre canadienne. Quatre ans plus tard, en 1889, y débutent les études de philosophie et de théologie, 16 ans après l’arrivée des frères. Ce souci de formation intellectuelle restera toujours présent à l’esprit des frères canadiens. Ils veulent en faire une partie importante de leur mission.

L'expansion de l'Ordre au Canada

Les Québécois à cette époque sont économiquement marginalisés. Ils sont nombreux à immigrer aux Etats-Unis, surtout en Nouvelle-Angleterre profitant de l’expansion des usines de cotons. Certains villages du Québec se dépeuplent. Le développement démographique du Québec reste important à cause d’un haut taux de natalité. Les évêques sont préoccupés à la fois de l’éducation de la jeunesse et de la mission en milieu populaire. Le clergé est peu nombreux et les communautés religieuses d’hommes presque inexistantes. Ils portent aussi de la condition matérielle de leurs ouailles tout autant que de leur foi chrétienne.

Notons ici que les Dominicains n'avaient pas participé à l’évangélisation au moment de la fondation de la Nouvelle-France. Les Jésuites étaient venus pour l’évangélisation des Indiens. Les Récollets étaient venus pour le service pastoral des colons français. Les Sulpiciens et les Prêtres des Missions étrangères de Paris assuraient l’éducation du clergé et des jeunes dans les séminaires. À la conquête par l'Angleterre, tous les religieux de sexe masculin avaient été expulsés, à l'exception des Sulpiciens considérés comme des prêtres diocésains. Ce n'est qu'à partir de 1830 que les communautés religieuses masculines peuvent revenir au Québec. La première communauté masculine sera celle des Frères des Écoles Chrétiennes. Monseigneur Bourget, archevêque de Montréal, déploiera beaucoup d'énergie à faire venir de France des communautés religieuses nouvellement fondées. En même temps il encourage la fondation de communautés locales. Les congrégations enseignantes et hospitalières profiteront d'un recrutement très nombreux dès leur arrivée en terre canadienne.

Durant cette période d’expansion de l’Église, les Dominicains arrivent sur le tard (1873), cent ans après le traité de Paris. Il leur a fallu quelques années pour faire leur place dans cette société déjà chrétiennement homogène et très religieuse. À l'époque, être un Catholique Romain est une façon de se démarquer de la culture anglaise et d’affirmer sa culture. Les liens avec la France sont toujours très difficiles et les moyens de communication ne permettent pas des contacts rapides et faciles. Mais le cœur du Québécois est toujours proche de ses racines. Le clergé cultive ce culte des ancêtres.

À partir de 1893, les candidats frappent à la porte de l’Ordre en plus grand nombre. Le 2 juillet 1908, le bienheureux Hyacinthe Cormier, maître de l'Ordre, institut alors le regroupement des frères de langue française en Congrégation générale, et puis en province le 1er octobre 1911. Il le fait sur la demande instante des Canadiens. Pour des raisons financières (les deux couvents des Etats-Unis encaissent d’appréciables revenus convoités autant par les Français que par les Canadiens. Ces implantations sont aussi des lieux susceptibles d’accueillir des frères en cas de nouvelles expulsions. Toutefois, la lenteur des décisions venant de France empêchent une gestion efficace et la résolution de cas plus urgents. Le maître de l’Ordre tranche la question en faveur d’une province incluant les deux couvents américains.

36 Lettre du Père Thomas Bourgeois, Provincial de France au Maître de l’ordre le 12 février 1894 à la suite de sa visite canonique au Canada. « De toutes les maisons que nous avons établies en Amérique, celle d’Ottawa paraît se présenter dans les conditions les moins favorables, au point de vue de l’expansion (…) Il faudra bien des années pour qu’on arrive, avec les revenus de la communauté, à pouvoir créer une maison d’études… Le Pays offre une moisson abondante pour la parole apostolique. Mais pour la recueillir, il faudrait que quelques religieux possédassent assez d’anglais pour donner des missions dans cette langue… Il y a, dans les centres protestants, des âmes proches de la vérité et prêtes à la recevoir… « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux>. »

10

Page 11:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Dès 1910, on organise l'Oeuvre des vocations dominicaines. L'Ordre est maintenant connu par ses prédicateurs qui sillonnent les routes de la province, prêchant des retraites dans les paroisses, les collèges et les communautés religieuses. Dans les séminaires, les directeurs spirituels dirigent leurs protégés vers l'Ordre. Cet engouement pour la vocation des Prêcheurs se maintiendra jusqu'en 1964. La Province canadienne compte alors 525 frères.

La mission intellectuelle en milieu universitaire.

Dès la fondation de l’ordre, Saint-Dominique disperse les frères dans les milieux universitaires. Les frères de la province de Canada s’engageront eux aussi, le temps voulu, dans les universités canadiennes et à l’étranger. Si au Canada, l'Ordre n'a pas suivi le modèle de plusieurs communautés en fondant à l’origine des institutions d'enseignement pour l'éducation des jeunes dont elle serait propriétaire, elle a toutefois attaché une grande importance à la formation intellectuelle des frères et à la recherche en philosophie et théologique. Le 29 mai 1900 la petite communauté du couvent d’Ottawa, après avoir agrandi ses locaux considérablement, reçoit les frères en formation pour des études en théologie, venant du couvent de Saint-Hyacinthe. On y trouve alors 32 religieux, dont 3 professeurs et 17 frères étudiants en théologie. 37 Le couvent de Saint-Hyacinthe gardera le noviciat fort longtemps et les études en philosophie pour peu de temps. Les étudiants en philosophies sont transférés à Ottawa en 1902. Dès 1909, le Collège dominicain de philosophie et de théologie d'Ottawa est reconnu par l'Ordre comme Studium Generale . La même année le frère Bernard Deschênes est le premier frère envoyé étudier à l’École Biblique de Jérusalem. Il a fallu quinze années pour réaliser le rêve des fondateurs.

Cette détermination semble être la caractéristique de ces années d’enracinement en terre canadienne. Quelques mois avant l’arrivée des frères, alors que le couvent d’Ottawa est en construction, le 26 avril 1900, « Un terrible incendie  détruisit   une  partie  des   villes  de  Hull   et  d’Ottawa,   dont   les   trois-quarts  de   la  paroisse   Saint-Jean-Baptiste. » 38 Les frères vivant des revenus de la paroisse et de leur prédication se retrouvent alors avec de nombreuses difficultés financières, puisque les trois quarts de la paroisse a été détruite.

Malgré tout, le prieur, le futur cardinal Rouleau, ayant cueilli ses nouveaux frères à la gare, la petite équipe se met au pas de la vie conventuelle. L’inauguration ce fait quelques jours après leur arrivée. 39 Les années passent et l’équipe s’agrandit, contribuant la formation des jeunes frères mais aussi à un public beaucoup plus large.

L’enseignement des professeurs ne s’adresse pas seulement aux frères en formation. À travers la Revue Dominicaine et d’autres publications, le Prêcheur et Professeur réfléchissent sur les problèmes de la société de l’époque, 40 dont la lutte scolaire pour les écoles françaises en Ontario (1917). 41 Ils abordent les questions courantes du point de vue philosophique et théologique avec courage.

En 1921, Le Père Ceslas Forest, professeur, est détaché et devient cofondateur de la Faculté de philosophie de l’Université de Montréal. Et le 13 juillet 1923 on célèbre le 6e centenaire de la canonisation de saint Thomas d’Aquin. En 1925 on inaugure des cours du soir, donnés par la Société d’études religieuses ou Cercle Saint-

37 Au nom d’une mission, Le temps des enracinements, page 2138 Au nom d’une mission, Idem, Le temps des enracinements, page 2339 Au nom d’une mission, Idem, P. C.-Dominique Gontier, vicaire provincial, discours d’inauguration le o novembre 1900, page 23, « C’est fait. Le rêve impossible d’il a quinze ans s’est réalisé. Le couvent d’études des Frères Prêcheurs est installé sur les hauteurs de Primrose Hill, dominant la capitale, et regardant de loin les vastes régions de l’Ouest où il enverra peut-être un jour des apôtres en grand nombre aux peuples qui s’y multiplieront. Tout n’est pas fait cependant, et le peu qui a été fait, ne l’a été qu’au prix de sacrifices que connaissent seuls ceux qui les ont faits. Nous avons aujourd’hui à Ottawa un couvent de trente-deux étudiants en théologie (religieux ?). Avant longtemps, cette maison suffisante pour contenir quarante religieux, devrait en recevoir soixante. Qui fera sortir de terre les deux ailes et les deux pavillons qui complèteront le plant du couvent et permettront l’installation définitive ? Qui assurera à nos étudiants le pain de chaque jour et le vêtement pendant les six longues années qu’ils devront méditer la science sacrée, avant de porter aux peuples la parole sainte ?’ 40 Au nom d’une mission, Idem, Le temps des enracinements, page 24 « En plus de sa charge d’enseignement, la petite équipe des professeurs assure une collaboration régulière à la Revue Dominicaine, dans laquelle, mois après mois, il arrive aux lecteurs du Collège de rédiger la majorité des articles, intervenant en particulier, en philosophes ou en théologiens, dans des questions d’actualité comme la guerre, la peine de mort, le divorce, le protestantisme, la justice sociale… Désormais implantés en Ontario, ils suivent de près la question scolaire qui déchire la société de cette province à la fin des années 1910. »41 Albert Marion, Régent des études, Le problème scolaire étudié dans ses principes, Ottawa, Ottawa Printing Co.

11

Page 12:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Thomas d’Aquin. 150 personnes s’inscrivent au cours. Il faut agrandir les locaux et en 1926 on inaugure une nouvelle aile du couvent. En 1929, on met sur pied un programme d’études religieuses pour le public cultivé d’Ottawa. 42 En 1930 On inaugure des cours du soir en philosophie et en théologie pour les laïcs de la région : cinquante inscriptions. La même année, sous l’impulsion du Père M.-Dominique Chenu, on fonde l’institut d’études Médiévales qui sera transféré en 1942 et affilié à la Faculté de philosophie de l’Université de Montréal. L’Institut d’Études Médiévales sera organisé sur le modèle d’un même institut fondé par Étienne Gilson à Toronto, fonctionnant en langue anglaise. Le philosophe inaugurera les activités de l’Institut par une série de trois conférences. 43 Celui d’Ottawa fonctionnera d’abord comme un département du Collège. Plus tard, il sera transféré à l’Université de Montréal où il est maintenant intégré au département d’histoire ancienne. On fonde aussi en cette même année la Librairie dominicaine d’Ottawa pour la diffusion du livre philosophique, théologique et religieux. L’année suivante on compte 71 étudiants dominicains en philosophie et en théologie. Trois grandes figures viennent s’ajouter de manière régulière à l’enseignement des frères canadiens : Maritain, Chenu, Gilson.

On en reste pas à la philosophie, à la théologie et aux études médiévales. En 1930 le programme fait place à l’enseignement de la sociologie et dans les débuts des années 40 à la psychologie. Plus tard, le Père Noël Mailloux, fondateur du département de psychologie de l’Université de Montréal, fonda un centre d’expérimentation et de recherche en psychologie. Il devenait la référence au pays dans le domaine de la criminologie. Son centre de recherche et sa bibliothèque en science humaine étaient fréquentés par de nombreux universitaires. Après sa mort, un jeune dominicain, médecin de profession, prend la relève et le centre, transférer à Québec devient maintenant un centre de recherche en psychologie et en bioéthique.

En 1965, le Collège est reconnu comme Faculté pontificale par une charte lui donnant le pouvoir de conférer des grades canoniques. En 1967, c'est au tour du Gouvernement de la Province d'Ontario d'octroyer au Collège une charte civile universitaire permettant de conférer les grades civils en philosophie, en théologie et en théologie pastorale. Depuis, le Collège a accueilli plusieurs milliers d'étudiants, laïcs, prêtres, religieux et religieuses. En 1975, la Sacrée Congrégation accorde à la faculté de théologie le pouvoir de conférer les grades canoniques à tous les étudiants dominicains ou étrangers à l'ordre, ce que le collège pouvait déjà faire au niveau civil depuis 1967. De nombreux frères ont été appelés à enseigner au Collège et à l'institut de pastorale, formant plusieurs générations de Dominicains, mais aussi des milliers de laïcs, prêtres et religieux. Le Collège Universitaire Dominicain, sur ses deux campus d'Ottawa et de Montréal, et dans ses trois Départements ou Facultés, compte une centaine d’étudiants à temps pleins et plusieurs centaines d'étudiants à temps partiels chaque année. L’influence du Collège s'étend à travers le monde puisqu'il accueille des étudiants des pays d'Afrique, des États-Unis, d'Europe, d'Amérique Centrale et d'Asie. Depuis quelques années, les frères de la Faculté ont assumé la direction de la revue jésuite « Science et Esprit ».

Le dévouement des frères pour la vie intellectuelle ne s'est pas limité au service de projet interne à l’Ordre. Plusieurs frères ont été invités à poursuivre des études en Europe, surtout à Rome et à Paris, mais aussi en Allemagne et en Angleterre et aux États Unis d'Amérique. Le but était de former des religieux compétents, non seulement pour le service de l'Ordre, mais aussi pour l'enseignement dans les universités du Québec. Dès 1930, des religieux partent pour l'Europe. Ils reviennent et fondent des Facultés ou Départements dans les universités existantes et y travaillent comme professeur. En 1934, le Couvent d’Ottawa compte 120 religieux dont 62 étudiants dominicains et 20 frères prêtres encore aux études pour un total de 82 étudiants.

Le frère Georges-Henri Levesque, initiateur d’une pensée sociale pour le Québec.

Le frère Georges-Henri Levesque, après sa formation en sciences sociales à Lille et son enseignement au Studium d'Ottawa, fonde la faculté des Sciences Sociales de l'Université Laval à Québec à la demande des prêtres du séminaire. Cette Faculté deviendra le berceau de l'évolution sociale du Québec. Plusieurs des facultés de l’Université sont des rejetons de la faculté des sciences sociales. On y forma la future élite qui, de 1950 à 1980, seront les artisans de la transformation du Québec en société moderne. On surnommera son fondateur l’un des Pères de la Révolution tranquille au Québec. 42 Note : 43 Au nom d’une mission, idem, page 33-34

12

Page 13:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Mais le dynamique père Levesque n’en resta pas là. À Québec, au bord des chutes « Montmorency »  l’hôtel communément appelé Kent House et qui avait appartenu au Duc de Kent était mis en vente pour une somme très raisonnable. Ce lieu historique apprécié de plusieurs génération « passait  des mains de l’aristocratie et de la bourgeoisie industrielle, aux mains de religieux qui voulaient en faire un haut lieu de rencontres et de réflexion. » 44 Il devant un lieu important de rencontre de laïcs, d’universitaire. Un journal de Québec écrivait : « un centre de haute culture pour les groupements religieux et civils intéressés à l’étude des problèmes sociaux. » 45 C’était bien dans les cordes du père Lévesque de diriger cette maison puisqu’il avait toujours travailler à développer une pensée sociale pour le Canada Français.

Mais il n’en restera pas là. En 1962, Le Rwanda devient indépendant et son président, Grégoire Kayibanda, connaissant l’œuvre de dominicain Louis-Joseph Lebret, fondateur de « Économie et humanisme », fait appel à la communauté des Dominicains canadiens pour son projet universitaire. Le père Lévesque est choisi pour fonder cette nouvelle université qui s’ouvrait aussi au Burundi et à une partie du Zaïre. Dès 1963 on fonde la Faculté de médicine, des sciences sociales et l’École normale supérieure. Puis, un an plus tard, la Faculté des lettres et la Faculté des sciences. Le père Lévesque, homme de commerce facile et grand diplomate, intéressa le gouvernement canadien à ce projet. Celui-ci, par le biais de son ministère des affaires étrangères, a soutenu financièrement de nombreux projets au Rwanda et Burundi. Les massacres de 1994 ont réduit presque à rien l’activité universitaire, mais dès l’année suivante quelques activités reprenaient. Comme c’était prévu, le projet était la propriété de l’état et les frères acceptaient généreusement de se retirer lorsque tout serait en place. Aujourd’hui les frères Canadiens œuvre ailleurs en enseignant dans les séminaires et s’occupant dans la formation d’une nouvelle génération de frères.

Il est décédé l’an dernier à l’âge de 97 ans. Deux autres frères enseigneront avec lui à l’Université Laval et l'un d'eux y était encore doyen encore il y a quelques années. À l'Université de Montréal, les frères ont été les initiateurs et fondateurs de l'institut d'Études Médiévales devenu aujourd'hui le département d'histoire ancienne. Les départements de philosophie, l'école de service social et le département de psychologie verront le jour grâce à grâce à leur zèle. À une certaine époque, une vingtaine de frères étaient impliqués dans l'enseignement, soit comme professeurs à temps plein ou comme professeur d'éthique à temps partiel dans les différentes facultés. Plusieurs frères de France ont contribué à l'essor intellectuel de la province canadienne. Les frères Salman de la province de Paris et De Durand de la province de Toulouse furent professeurs à l'Université de Montréal pendant de nombreuses années. Ajoutons les nombreux frères venus pour donner des cours ou des conférences tels les frères Chenu, Congar et d'autres dont j'oublie les noms. Un frère de France a aussi enseigné à l'université de Sherbrooke et d'autres y ont eu des engagements occasionnels.

Si les Dominicains canadiens ont contribué dans une large mesure au renouveau politique et social du Québec et à l’étranger, ils n’en sont pas resté à l’enseignement. Pendant de nombreuses années, deux petites communautés de frères ont partagé leur vie religieuse et leur dévouement sur le territoire de quartier défavorisé d’Ottawa. Leur présence n’étant plus requise plusieurs d’entre eux sont resté engagés au nom de la justice et de la paix dans des organismes nationaux et internationaux.

Engagement missionnaire à l'étranger

En 1928 la province canadienne se voit confié par le Congrégation pour la Propagation de la Foi un vicariat apostolique au Japon. Une trentaine de frères y œuvre encore aujourd’hui dans une dizaine de paroisses et deux couvents. On y compte une dizaine de frères japonais et quelques frères polonais collaborant avec eux. Nombreux seront les frères qui y passeront presque toute leur vie dominicaine. Plusieurs ont vécu dans des camps de concentrations durant la 2e guerre mondiale

Les communautés religieuses du Québec ont fourni à l'Église plusieurs milliers de missionnaires à l'étranger et ont envoyé en Europe plusieurs de leurs membres pour épauler des provinces ou régions en difficultés, fautes de 44 Dominicains au Canada, Album historique, page 14345 Dominicains au Canada, idem, page 145

13

Page 14:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

recrutements. Les Dominicains ne feront pas exception. En 1948, on confit à la province canadienne la responsabilité du relèvement de la Province du Portugal. Plusieurs frères seront assignés à cette tâche.

En 1960, les premiers missionnaires dominicains québécois partiront pour le Rwanda. Deux ans plus tard les frères fonderont l'université nationale du Rwanda qui, après quelques années, sera remise au Gouvernement.

Il continue leur présence à travers le dévouement de frère Rwandais et Burundais. Les frères ont ouvert un noviciat au Rwanda et un centre de formation en Philosophie est en voie de réalisation au Burundi.

La prédication

On a vu que le premier engagement des frères au Québec fut la prise en charge d'une paroisse. Le ministère paroissial a été un des ministères ou les frères ont excellé par leur zèle. Saint-Hyacinthe, Notre-Dame de Grâce à Montréal, Saint-Dominique à Québec, Saint-Jean-Baptiste à Ottawa, Sainte-Catherine de Sienne à Trois-Rivières, Sherbrooke, Sackville au Nouveau-Brunswick, Prince-Albert en Saskatchewan, sont des lieux où les frères ont donné aussi de leur dévouement et de leur énergie, traduisant à la manière dominicaine, un service pastoral compétent. Il faut rencontrer les paroissiens et écouter leurs commentaires pour comprendre comment les frères ont été estimés par leurs ouailles. Les frères franchiront les frontières du Québec pour prendre charge de deux paroisses en Nouvelle-Angleterre remplaçant les frères de France, d'une paroisse dans l'Ouest Canadien et d'une autre dans les provinces maritimes (est du pays).

Les prédicateurs itinérants étaient nombreux, mais, dès l'origine, on sent le besoin d'accueillir des retraitants qui désirent un ressourcement spirituel. Le couvent de Saint-Hyacinthe ouvrira ses portes aux personnes du sexe masculin qui voudront venir y séjourner. En 1948, une maison de retraite fut construite dans la banlieue de Saint-Hyacinthe sur une immense ferme donnée à l'Ordre. Cette maison d'accueil a reçu des milliers de retraitants jusqu'en 1990 où elle a été vendue, faute d'effectifs suffisants pour en maintenir la vocation.

Ajoutant à ces nombreux ministères la dévotion au Rosaire, dès 1886 les Dominicains établissent l'œuvre du rosaire perpétuel et en 1894 on fonde la Revue   du   Rosaire, version québécoise, aujourd'hui disparue. La promotion de la dévotion mariale se continue par l'œuvre du sanctuaire de Saint-Jude et du Très-Saint-Rosaire, à Montréal, où plusieurs frères accueillent les pèlerins pour la prière, les confessions. On y maintient contact avec les fidèles de la dévotion à Saint-Jude et au rosaire par un travail de correspondance échangée avec les amis de l'œuvre. Il y a quelques années on a commencé un pèlerinage dominicain du Rosaire d’une journée au sanctuaire du Cap de la Madeleine.

C’est la Saint-Prédication à l’œuvre qui pousse les frères du Studium, eux-mêmes très impliqués dans la prédication, à ouvrir en 1943 une école de la prédication. Elle sera ensuite déménagé au couvent de Québec pour évoluer en l960 comme Institut de formation pastorale dans un nouveau lieu bien organisé, celui du nouveau couvent Saint-Albert-le-Grand à Montréal. À sa origine, conçue pour les étudiants dominicains, l’école de prédication est devenue l’Institut de Pastorale accordant lune reconnaissance académique et universitaire à tout intervenant pastoral laïque, prêtre ou religieux. Il est fréquenté par des Canadiens, mais aussi par différentes personnes provenant de nombreux pays du tiers-monde. De nombreux missionnaires y ont été inscrits durant leur année sabbatique au pays.

L’action de prêcher revêt différente facette. C’est d’abord la communauté qui prêche par sa présence dans un milieu donné. Les frères ont toujours accordé une grande importance à la liturgie. Un jour j’avais rencontré un professeur d’école qui me disait que, plus jeune, il allait régulièrement à notre église d’Ottawa pour entendre les frères chanter l’office et particulièrement pour prier les Complies avec eux. Cette tradition fut poursuivie dans chacune des paroisses où la liturgie paroissiale revêtait l’ampleur, la beauté, s’ajoutant à la qualité de la prédication. Les couvents et les paroisses étaient reconnus pour leur accueil des personnes désirant recevoir le sacrement de la réconciliation. Mais là où les offices liturgiques revêtaient le plus de solennité était le triduum pascal. Pour tous les participants, le triduum pascal était comme une retraite. Là, se jouait un peu l’avenir de la liturgie. L’expérimentation des années cinquante devait amener à Ottawa un renouveau et un dynamisme qui

14

Page 15:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

perdure encore. Plusieurs frères ont contribué à ce renouveau tant à Ottawa qu’à l’Institut de Pastorale et dans les différentes communautés chrétiennes sous la responsabilité de l’Ordre. Deux revues à vocation liturgique furent l’initiative de nos frères : « Liturgie et vie chrétienne » et « Liturgie des heures ». L’Institut de Pastorale offre maintenant un certificat en pastorale liturgique.

Les médias : revues, radio, télévision et l ‘édition.

Les frères ont fondé plusieurs revues ou magazine. Notons la revue du Rosaire, et Sous-les-Cloîtres dont la chronique alimente aujourd’hui le travail de ceux qui s’intéressent à l’histoire dominicaine canadienne. En janvier 1915, les frères commencent la publication de la Revue Dominicaine qui dans les années 50 deviendra la revue Maintenant. Pendant longtemps elle fut une revue de qualité où les frères pouvaient y livrer le fruit de leur réflexion. Elle disparut lors des périples de la révolution tranquille ayant prise position au niveau politique. Son directeur fut forcé par Rome de démissionner.

Les frères coopérateurs assumèrent la gestion d'une maison d'éditions : Les Éditions du Lévrier. Elle disparut dans les années 70 après avoir édité de nombreux ouvrages. En 1960, s’ouvrit en même temps qu’on inaugurait le Couvent Saint-Albert-le-Grand, Studium de philosophie, la librairie dominicaine, qui, elle aussi, a disparue à la période de la révolution tranquille. On émettait alors l’opinion que les religieux ne devraient pas faire du commerce et concurrencer les établissements laïques. Ce fut la déception de constater que les librairies séculières n’ont pas pris la relève pour continuer à faire connaître le livre religieux.

En 1932, L’Institut d’Études Médiévales inaugure une nouvelle collection : « les Publications de l’institut d’études médiévales d’Ottawa et éditées à paris par la maison Vrin. » 46 Ce même institut publie de 1941 à 1945, durant la deuxième guerre mondiale La somme théologique de saint Thomas d’Aquin en cinq volumes qu’on appellera l’édition Piana. En 1950, le père chenu publie son grand ouvrage « Introduction à l’œuvre de S., Thomas d’Aquin. C’était son cours d’introduction à l’œuvre de saint Thomas. Alors commencera la tradition pour les professeurs de reproduire leur notes de cours et de les mettre à la disposition des étudiants et parfois du publique. Nombre de ses cours on finit sur les tablettes de nos libraires.

S'ajoute à ces publications la Revue Communauté Chrétienne publiée par l'institut de pastorale des Dominicains de Montréal. Elle s'adresse plus spécialement aux animateurs de pastorale dans tous les milieux : prêtres, religieux ou laïcs. Cette revue est maintenant un magazine catholique portant le nom de « Présence Magazine ».

Dès les années quarante, un des plus grands prédicateurs itinérants du Québec, le frère Marcel-Marie Desmarais, commence au Brésil des conférences à la radio. Les trois missionnaires ayant été rappelés après la guerre, le père Desmarais continuera à donner des conférences à la radio au Québec. Il aura été le prédicateur le plus connu de son époque. Les auditeurs par milliers écoutaient ses conférences de Carême à la radio. Des expressions comme "L'essentiel c'est le ciel" et "Une pilule d'optimisme" lui on fait la réputation d’un prêtre proche de la vie des gens. Il était un prédicateur extrêmement enthousiaste et doué auprès des masses populaires. Il fut un homme communiquant l'espérance, capable de dire sa foi, en sortant des courants jansénistes très populaires à l’époque. Il a publié une trentaine d'ouvrages sur la prière et sur la vie chrétienne. Le père Desmarais aura été un des plus compétents vulgarisateurs des données de la foi en milieu populaire. Son style, parfois théâtral, le rendait pertinent auprès des gens simples. Avec l'arrivée de la télévision, il eut de la difficulté à faire le passage. Mais il demeura renommé pour sa foi et rayonna par le livre. Il eut comme jeune religieux le désir d’aller en mission à l’étranger. Malheureusement, la guerre 39-45 l’en empêcha. Il fut donc envoyé au Brésil rejoindre des frères français déjà établis. C’est là qu’il prit le goût de parler à la radio.

D'autres frères aussi furent impliqués à la radio en donnant conférence et catéchèse. Ils sont trop nombreux pour les nommer. Aujourd'hui, des plus jeunes ont pris la relève et ils sont demandés par les réseaux de télévision pour des reportages et comptes rendus sur les grands événements nationaux et religieux. Pendant une vingtaine d'années et encore jusqu'à récemment un frère a été responsable d'une émission religieuse hebdomadaire à la radio nationale.46 Au nom d’une mission, idem, page 35

15

Page 16:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

La pastorale en milieu universitaire

C'est l'engagement le plus récent des frères québécois. Depuis vingt ans, les frères avaient des implications au niveau pastoral en milieu universitaire lorsqu’une nouvelle étape commença au service de pastorale de l’université de Montréal, un engagement autrefois réservé au clergé diocésain. Il y avait eu une première implication à l'université Laval où un frère y a été aumônier pendant 10 ans. Cela c’était soldé par un succès. Le frère a quitté ce poste pour un autre engagement, mais l'élan était donné. Deux frères et une sœur dominicaine on travaillé à l'Université de Montréal, là même ou les frères ont encore deux professeurs à la faculté de théologie. La fondation d'un centre étudiant il y a 8 ans a apporté une nouvelle jeunesse et un nouveau dynamisme à l'implication des frères en milieu universitaire. Le départ des professeurs se voit donc remplacé par une autre forme d'engagement. Ceci n'exclut pas le réengagement des frères comme professeurs si des postent devenaient disponibles et des frères s’offraient pour y pourvoir. Toutefois, l’engagement en pastorale permet aux frères d'oeuvrer dans un milieu jeune et dynamique nouveau, hors du contexte académique, là où souvent l’étudiant peut soulever sa quête personnelle de sens et les motivations d’un engagement. La foi peut alors intervenir dans la vie de futurs dirigeants d’une société.

Les frères ont fondé un centre étudiant spécialement voué à la pastorale en milieu universitaire. Après plusieurs années de franc succès, ce centre est devenu le Centre de Pastorale de l’Université surnommé : Le Centre Benoît Lacroix. À son origine, on l’a voulu un centre géré par la famille dominicaine et les instances diocésaines. Après avoir été évincé de l’université, la pastorale universitaire y a trouvé refuge. Mais de nouveaux liens ont été créés et l’Ordre, par le biais de ce centre, aidé de plusieurs laïcs, gardent avec dynamisme cette présence à universitaire.

La province canadienne aujourd'hui

En 1966, depuis la fondation, on comptait 681 frères qui ont fait des vœux dans la province dont 540 étaient vivants. La Province comptait 314 prêtres et 20 frères étaient fils d’autres provinces. Les frères coopérateurs étaient au nombre de 104. La Province comptait 28 frères en formation et 3 tertiaires.

La Province canadienne compte actuellement 220 frères. Si on déduit de ce chiffre les frères engagés dans d'autres pays (États-Unis, Japon, Rwanda-Burundi), on retrouve au Canada environ 150 frères. Avec une moyenne d'âge très élevée. On peut imaginer les difficultés que cela représente et les ajustements qui s'imposent. Depuis quelques années des maisons ont été fermées ainsi que des couvents.

Nous assistons à une déchristianisation du Québec. Le phénomène d'une perte de vitesse de l'Église n'est donc pas un phénomène dominicain. Toutefois les Dominicains ont été une des rares communautés religieuses à garder un certain recrutement depuis 1976. Peu nombreux, l'Ordre a encore des responsabilités importantes au plan ecclésial, surtout le secteur de la formation des intervenants pastoraux, et y excelle par la compétence de ses professeurs en philosophie, en théologie et en théologie pastorale. Il semble, à court terme, que le Québec deviendra une terre à évangéliser. La vocation des frères sera de plus en plus d'actualité et se situera encore aux frontières.

Les frères sont souvent demandés pour l’animation de groupes de recherches en pastorale dont le projet « Risquer l’avenir ». L’étude des paroisses actuelles leur a été confiée. La recherche a été publiée et elle fait étape dans l’histoire de l’Église du Québec. On s’y réfère.

Les communautés devront trouver des ressources humaines et financières pour rechristianiser le Québec. Les intervenants seront moins nombreux et les besoins seront plus grands sur le terrain. Nous sommes très inquiets du manque de prêtres et de religieux et religieuse. Ne faudrait-il pas s'inquiéter du manque de chrétiens ? Ne faudrait-il pas s'inquiéter du manque d'engouement pour l'évangélisation de nos populations et surtout des jeunes ?

16

Page 17:  · Web viewCette présence francophone des Dominicains aux Etats-Unis a été doublée par un autre essaim de frères à partir de 1892. À cause de l’expulsion de France des religieux,

Le premier défi des frères sera de reconstituer des communautés plus jeunes à partir d’un recrutement soutenu de vocations. Des communautés visibles devront signaler que l’Église est encore vivante. L’Ordre garde une excellente réputation à cause de son enseignement en philosophie et en théologie et de sa compétence en liturgie. Il est apprécié pour son souci de réflexion en rapport avec une problématique pastorale sur le terrain. Peut-être que cette mission intéressera des jeunes à venir se joindre pour former une équipe dynamique de Prêcheurs.

La nouvelle génération voudra faire des choses nouvelles tenant compte de son charisme propre. Dans ce milieu déchristianisé, c’est une nouvelle mission qui les attend. La pastorale de maintien devra se transformer en une action évangélisatrice chez ceux qui ne connaissent pas le Christ. Le propre de la vocation d’enseignement doctrinale de l’Ordre devra s’étendre à un laïcat manquant de ressource. On ne pourra pas que faire de la haute spéculation ou de la réflexion historico-critique. Il faudra aller parler du Christ sur le terrain et aux gens d’aujourd’hui dans un langage qu’ils peuvent comprendre. Le Prêcheur de demain va devoir aller dans des milieux autres que les églises et les couvents.

Internet et les nouveaux moyens de communication représentent un défi pour les futures générations. La place publique passe maintenant par la nouvelle technologie. La Parole de l’Évangile ne devra pas se laisser damer le pion par les prophètes de l’économie à tout prix et d’une technolâtrie sans repères éthiques.

Le temps est à l'espérance malgré ces difficultés. Il y a beaucoup de travail à faire. Notre petit nombre n'arrêtera pas notre motivation. Car notre espérance ne vient pas de nos succès, mais de l'amour d'un Dieu qui ne cesse de s'offrir au monde. Plusieurs demandes d'information sur l'Ordre nous parviennent. Qui sait ce que nous réserve l'avenir ? Une chose est certaine. L'Esprit de Dieu est toujours là pour inspirer notre démarche. "La moisson est grande et les ouvriers sont peu nombreux. Priez le maître de la moisson pour qu'il envoie des ouvriers...."Cette prière, nous la faisons nôtre encore aujourd’hui. L’épopée n’est pas terminée. Le courage de ceux qui ont marqué le développement du projet dominicain en terre canadienne suscite notre admiration mais aussi donne une confiance en l’avenir.

Frère Guy Lespinay, o.p.

17