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La poésie - « Amours enfuies » Clément MAROT, L’Adolescence Clémentine (1532) - « Chansons » Plaisir n'ai plus, mais vis en déconfort. Fortune m'a remis en grand douleur. L'heur que j'avais est tourné en malheur, Malheureux est, qui n'a aucun confort. Fort suis dolent, et regret me remord, Mort m'a ôté ma Dame de valeur. L'heur que j'avais est tourné en malheur : Malheureux est, qui n'a aucun confort. Valoir ne puis, en ce monde suis mort. Morte est m'amour, dont suis en grand langueur. Langoureux suis, plein d'amère liqueur, Le coeur me part pour sa dolente mort. SAINT-AMANT, Poésies (1629) « Plainte sur la mort de Sylvie » Ruisseau qui cours après toi-même, Et qui te fuis toi-même aussi, Arrête un peu ton onde ici Pour écouter mon deuil extrême ; Puis quand tu l'auras su, va-t-en dire à la mer Qu'elle n'a rien de plus amer. Raconte-lui comme Sylvie, Qui seule gouverne mon Sort, A reçu le coup de la mort Au plus bel âge de la vie, Et que cet accident triomphe en même jour De toutes les forces d'Amour. Las ! je n'en puis dire autre chose, Mes soupirs tranchent mon discours. Adieu, ruisseau, reprends ton cours, Qui non plus que moi ne repose ; Que si par mes regrets j'ai bien pu t'arrêter, Voilà des pleurs pour te hâter. Edward Munch, « Séparation » (1896) 96 x 127 cm – Munch Museum, Oslo Paul VERLAINE, Fêtes galantes (1869) « Colloque sentimental » Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux formes ont tout à l'heure passé. Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, Et l'on entend à peine leurs paroles. Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux spectres ont évoqué le passé. - Te souvient-il de notre extase ancienne? - Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ? - Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ? Toujours vois-tu mon âme en rêve ? - Non. - Ah ! les beaux jours de bonheur indicible Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible. - Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir ! - L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir. Tels ils marchaient dans les avoines folles, Et la nuit seule entendit leurs paroles. Guillaume APOLLINAIRE, Alcools (1913) « Le pont Mirabeau » Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu’il m’en souvienne La joie venait toujours après la peine. Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l’onde si lasse Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure L’amour s’en va comme cette eau courante L’amour s’en va Comme la vie est lente Et comme l’Espérance est violente Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure Questions 1- Quels sentiments révèlent ces différents poèmes ? 2- Quelles sont, à travers ces textes, les formes du lyrisme amoureux ? 3- Quel rôle jouent pour les poètes l’écriture et le lyrisme ?

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La poésie - « Amours enfuies »

Clément MAROT, L’Adolescence Clémentine (1532) - « Chansons »

Plaisir n'ai plus, mais vis en déconfort.Fortune m'a remis en grand douleur.L'heur que j'avais est tourné en malheur,Malheureux est, qui n'a aucun confort.

Fort suis dolent, et regret me remord,Mort m'a ôté ma Dame de valeur.L'heur que j'avais est tourné en malheur :Malheureux est, qui n'a aucun confort.

Valoir ne puis, en ce monde suis mort.Morte est m'amour, dont suis en grand langueur.Langoureux suis, plein d'amère liqueur,Le coeur me part pour sa dolente mort.

SAINT-AMANT, Poésies (1629)« Plainte sur la mort de Sylvie »

Ruisseau qui cours après toi-même,Et qui te fuis toi-même aussi,Arrête un peu ton onde iciPour écouter mon deuil extrême ;Puis quand tu l'auras su, va-t-en dire à la merQu'elle n'a rien de plus amer.

Raconte-lui comme Sylvie,Qui seule gouverne mon Sort,A reçu le coup de la mortAu plus bel âge de la vie,Et que cet accident triomphe en même jourDe toutes les forces d'Amour.

Las ! je n'en puis dire autre chose,Mes soupirs tranchent mon discours.Adieu, ruisseau, reprends ton cours,Qui non plus que moi ne repose ;Que si par mes regrets j'ai bien pu t'arrêter,Voilà des pleurs pour te hâter.

Edward Munch, « Séparation » (1896)96 x 127 cm – Munch Museum, Oslo

Paul VERLAINE, Fêtes galantes (1869)« Colloque sentimental »

Dans le vieux parc solitaire et glacéDeux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacéDeux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne?- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?

- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?Toujours vois-tu mon âme en rêve ? - Non.

- Ah ! les beaux jours de bonheur indicibleOù nous joignions nos bouches ! - C'est possible.

- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,Et la nuit seule entendit leurs paroles.

Guillaume APOLLINAIRE, Alcools (1913)« Le pont Mirabeau »

Sous le pont Mirabeau coule la SeineEt nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienneLa joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l’heureLes jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à faceTandis que sous

Le pont de nos bras passeDes éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heureLes jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau couranteL’amour s’en va

Comme la vie est lenteEt comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heureLes jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semainesNi temps passé

Ni les amours reviennentSous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heureLes jours s’en vont je demeure

Questions

1- Quels sentiments révèlent ces différentspoèmes ?

2- Quelles sont, à travers ces textes, lesformes du lyrisme amoureux ?

3- Quel rôle jouent pour les poètes l’écritureet le lyrisme ?

Page 2: « Amours perdusekladata.com/5T-ieLMFRo38cvM2nDtaf5-IjSc/CORP-AmoursEnfuies.pdfFort suis dolent, et regret me remord, Mort m'a ôté ma Dame de valeur. L'heur que j'avais est tourné

Paul ELUARD, Le temps déborde (1947)« Notre vie »

Vingt-huit novembre mille neuf cent quarante six

Nous ne vieillirons pas ensembleVoici le jourEn trop : le temps déborde.

Mon amour si léger prend le poids d’un supplice.

NOTRE VIE

Notre vie tu l'as faite elle est ensevelieAurore d'une ville un beau matin de maiSur laquelle la terre a REFERMÉ son poingAurore en moi dix-sept années toujours plus clairesEt la mort entre en moi comme dans un moulin

Notre vie disais-tu si contente de vivreEt de donner la vie à ce que nous aimionsMais la mort a rompu l'équilibre du tempsLa mort qui vient la mort qui va la mort vécueLa mort visible boit et mange à mes dépens

Morte visible Nush invisible et plus dureQue la soif et la faim à mon corps épuiséMasque de neige sur la terre et sous la terreSources des larmes dans la nuit masque d'aveugleMon passé se dissout je fais place au silence.

Robert DESNOS, Corps et Biens (1930)« Dans bien longtemps »

Dans bien longtemps je suis passé par le château des feuillesElles jaunissaient lentement dans la mousseEt loin les coquillages s'accrochaient désespérément Aux rochers de la merTon souvenir ou plutôt ta tendre présence était à la Même placePrésence transparente et la mienneRien n'avait changé mais tout avait vieilli en même Temps que mes tempes et mes yeuxN'aimez-vous pas ce lieu commun ? Laissez-moi laissez Moi c'est si rare cette ironique satisfactionTout avait vieilli sauf ta présenceDans bien longtemps je suis passé par la marée du jourSolitaireLes flots étaient toujours illusoiresLa carcasse du navire naufragé que tu connais - tu teRappelles cette nuit de tempête et de baisers ? - était-Ce un navire naufragé ou un délicat chapeau de Femme roulé par le vent et la pluie du printemps- était à la même placeEt puis foutaise larirette dansons parmi les prunelliers !Les apéritifs avaient changé de nom et de couleurLes arcs-en-ciel qui servent de cadre aux glacesDans bien longtemps tu m'as aimé.

Mélancolie, Edward Munch, 1891, Huile sur toile, 72 x 98 cmBergen, Musée des Beaux-Art

Jacques BREL, « Ne me quitte pas » (1959)

Ne me quitte pas Il faut oublier Tout peut s'oublier Qui s'enfuit déjà Oublier le temps Des malentendus Et le temps perdu A savoir comment Oublier ces heures Qui tuaient parfois A coups de pourquoi Le cœur du bonheur Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas

Moi je t'offrirai Des perles de pluie Venues de pays Où il ne pleut pas Je creuserai la terre Jusqu'après ma mort Pour couvrir ton corps D'or et de lumière Je ferai un domaine Où l'amour sera roi Où l'amour sera loi Où tu seras reine Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas

Ne me quitte pas Je t'inventerai Des mots insensés Que tu comprendras Je te parlerai De ces amants-là Leurs cœurs s'embraser

Je te raconterai L'histoire de ce roi Mort de n'avoir pas Pu te rencontrer Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas

On a vu souvent Rejaillir le feu D'un ancien volcan Qu'on croyait trop vieux Il est paraît-il Des terres brûlées Donnant plus de blé Qu'un meilleur avril Et quand vient le soir Pour qu'un ciel flamboie Le rouge et le noir Ne s'épousent-ils pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas

Ne me quitte pas Je ne vais plus pleurer Je ne vais plus parler Je me cacherai là A te regarder Danser et sourire Et à t'écouter Chanter et puis rire Laisse-moi devenir L'ombre de ton ombre L'ombre de ta main L'ombre de ton chien Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas Ne me quitte pas