yahya michot, l'amour de dieu dans le kitâb al-mabda' wa l-ma‘âd de mollâ Ṣadrâ

5/10/2018 Yahya Michot, L'amour de Dieu dans le Kitâb al-Mabda' wa l-ma‘âd de Mollâ Sadrâ - slidepdf.com

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Islam-West Philosophical Dialogue

The Papers Presented at the World

Congress on Mulla Sadra

( May, 1999,Tehran)

Volume 9

Yahya ill. Mieho!

L'amour de Dieu dans Ie Kiuib

al-Mabda' wa l-ma'iid de Mollfl Sadra

P.427-464

Mulla Sadra

Religion and Gnosis

Tehran, 1383/2004



L'amour de D ieu dans Ie Kitdb

al-Mabda' wa l-ma'iid de MoIIa Sadrfi

Yahya AI.Michot

II est question d'amour en plusieurs pages des Asfdr, la

grande somme philosophique du plus fameux sage de

Shiraz dont ce congres mondial honore la memoire.

Ainsi, si les mouvements celestes sont les mouvements les plus

nobles, c'est parce qu'ils sont des mouvements "damour et de desir" (ishqi

shawq£) et que leurs moteurs sont "des amoureux divins, des anges

intellectuels et d'autres, psychiques", la motion des spheres par les premiers

etant "une motion a titre de fin, a savior la motion d'un moteur immobile, a

I'instar de la motion de I'amoureux ('ushiq) par le bien-aime (ma 'shuq) et de

la motion de I'etudiant par Ie professeur ou, plutot, par la quiddite du

savoir". I

De maniere plus generale, il peut etre etabli que "1'ensemble des

existants sont amoureux ('ashiq) de Dieu - Loue est-ll! - et desireux de Le

rencontrer et de parvenir a la demeure de Sa generosite't.i La structure et Ie

fonctionnement de l'univers etant ce qu'ils sont, cet amour de Dieu peut

cependant s'accompagner d'un amour pour Ses creatures, miroirs de Sa

manifestation, et I'amour du cree conduire a aimer le Createur. D'ou entre

autres I'integration, dans la spiritualite du Shirazi, d'un amour chaste des

beaux visages d'adolescents et, plus globalement, de la "beaute humaine en

laquelle il y a beaucoup des traces de la beaute de Dieu et de Sa majeste".'

La realite s'accompagne de metaphres, et "Ia metaphore est le pont menant a

la realite: al-majdz qantarat al-haqiqo", Que ce soit de maniere directe ou



428 Yahya M. Michot

detournee, il n'y a jamais que Dieu qui soit vraiment aime et il n'est de

veritable amour que de Lui. Faut-il entin preciser qu'objet d'amour absolu,"

l'essence de Dieu est bien entendu airnee de Lui-erne encore plus que de Ses

creatures?

L'amour de Dieu, compris au sens de l'amour portant sur Dieu, fait

a vrai dire I'obje t, dans les Asfdr, d 'un traitement long et precis en lequel on

reconnait de multiples influences avicenniennes. Qu'en est-il neanmoins de

I' amour de Dieu au sens de I' amour dont Dieu est non plus I' obj et mais le

sujet? Certes, un amour divin subjectif est de soi implique dans toute

affirmation que l'essence de Dieu est aimee de Lui-meme. Dieu, cependant,

nairnerait-Il que Lui-meme? En d'autres termes, quid d'un amour, par Dieu,

de Ses creatures? Force est de constater le peu d'attention accorde par Mella

Sadra, dans les Asfdr, a ce second aspect de la problematique de I'amour

divino Alors que, par exemple, il consacre une section a "I'amour des

elegants et des ephebes pour les beaux visages'v' il ri'en reserve aucune a

I 'amour subjectif de Dieu. Avicenne intitule pourtant ainsi un des chapitres

de la Najdt relatifs aux attributs divins: "Que [l'existant necessaire] est par

essence aimable et aimant, plaisant et trouvant du plaisir. Que le plaisirconsiste en la saisie du bien qui convient"." Dans la theodicee des Asfdr, on

chercherait en vain un titre equivalent. Reste done a glaner les allusions a cet

amour se rencontrant ici et la dans I'ouvrage. II apparait alors que Ie Shirazi

I'envisage principalement selon deux angles.

D'une part, l'amour de Dieu pour le cree participe de Son amour de

Lui-meme: "11 est celle des choses qui a le plus de jouissance (bahja) et

d'amour (mahabba) de son essence et, [part ant] , de ce qui s'ensuit

necessairement comme biens de son essence, en tant qu' il s' agit de biens". 7-

"L'existence, s'agissant de toute chose, est aimable (rnahbubi, plaisante. En

rajouter est egalement plaisant et recherchable. Le parfait sous I'ensembledes aspects est donc aime de Son essence et voulant Son essence par

essence, de meme que [voulant] ce que suit Son essence en fait des biens

s'ensuivant necessairement par accident. [Ces biens] sont done aimes de Lui

non par essence mais par consecution et accident".8

"Rien, parmi les existants, n'est done denue d'une part de l'amour

(mahabba) divin, de l'amour ('ishq) divin et de la providence seigneuriale.

Si cela en etait denue un instant, cela disparaitrait en effet et perirait", 9



L'amour de Dieu dans le Kitab ... 429

D'autre part, "la volonte et l'amour (mahabba) sont une seule et

meme chose, comme la science. Et, s'agissant du Necessaire Tres-Haut, ils

sont identiques a Son essence". 10

Une vision minimaliste et ontologisante, focalisee sur l'essence

divine, voila a quoi peut en fait se resumer l'approche sadrienne de l 'amour

subjectif de Dieu dans les Asfdr. Inutile par ailleurs d'esperer un traitement

plus ample et plus riche du theme dans ces deux autres oeuvres

particulierement importantes que sont Le Livre des Penetrations

metaphysiques'' et La Sagesse du Trone.1 2

Le manque dinteret du Shirazipour ce philosopheme y est en effet encore plus patent.

Une telle situation ne manque pas d'interroger l'historien de la pensee

musulmane. Elle illustre en effet une position deliberee dans un debat

theologique pluriseculaire qu'il convient devoquer brievement. Ibn Taymiyya

(ob. 728/1328) en eclaire utilement la teneur et precise 1identite de plusieurs

d. 1 3

e ses protagomstes:

"[Divers] groupes de [savants] et de Docteurs ont eu pour doctrine

que Dieu Lui-memo n'est pas aime et que [L'] aimer, c'est seulement aimer

Lui obeir et L'adorer. Lui, ont-ils dit, n'aime pas non plus Ses serviteurs, les

croyants. Son amour est seulement Sa volonte d'agir bellernent envers eux etde les gouvemer.

"Parmi les adeptes de la theologie (kaldni), des gens s' attachant a

soutenir la Sunna se sont mis a tenir de tels propos. Meme [divers] groupes

de compagnons de Malik [b. Anas], dal-Shafi'I et dAhmad [b.Hanbal] Y

sont tornbes. Ainsi le cadi Abu Bakr,14le cadi Abu Ya'la,15 Abu l-Maali

l-Juwayni" et leurs pareils. II s'agit en realite d'une ramification du

Jahmisme et du Mu'tazilisme. Le premier qui nia l'amour, dans l 'Islam, fut

Ja'd b. Dirham, 17 le maitre dal-Jahm b. Safwari" [ ... ]

"Ce que prouvent Ie Livre et la Tradition, et sur quoi il y a accord

des Anciens de la communaute, de ses imams et des Shaykhs de la Voie[mystique], c'est que Dieu aime (yuhibbu) et est aime (yuhabbu). C'est

pourquoi ceux des adeptes de la theologie qui ont soufise ont ete d'accord

avec eux a ce sujet. Ainsi AbU l-Qasim al-Qushayri," Abu Hamid al-Ghazali

et leurs pareils. Abu Hamid [al-Ghazali] a soutenu cela dans La revivification

[des sciences de la religion} et ailleurs. AbU - Qasim [al-Qushayri] a, de

meme, evoque cela dans [son] Epitre, selon la voie des Soufis, comme c' est



430 Yahya M. Michot

le cas dans Ie livre d'AbQ Talib [al-Makki]20 nomme La nourriture des coeurs.

Alors meme qu'il suivait a ce sujet les soufis, AbQ Hamid [al-Ghazali] s'est

[aussi] base a ce propos sur ce qu'il a trouve, dans les livres des philosophes,

comme etablissement de l'existence de quelque chose de ce type, la ou ils

disent que [Dieu] aime (ya 'shaqui et est aime (yu 'shaquv'."

Dans un autre texte, le grand Shaykh damascain insiste sur la gravite

de toute negation de l' amour des creatures pour Dieu et de toute reduction de

l'amour de Dieu pour le cree a Sa volonter"

"La masse de ces theologiens du Kaldm a nie que Dieu soit aimable,

ou qu'll aime une chose, ou que quelqu'un L'aime. C'est la, en realite, nier

qu'Il soit Dieu Ulah), adorable. Le Dieu tal-ildh), c'est en effet le divinisable

(al-ma 'Iuh), qui est en droit d'etre divinise (uliha) et adore. La soumission a

Dieu (ta 'alluln et l'adoration (ta 'abbud) impliquent d'aimer a I'extreme et

de s'humilier a 1extreme. Beaucoup de ces [theologiens] furent cependant

accuses de se tromper et eurent done pour opinion que la divinite tal-ikihiyyai,

ce serait la puissance de creer, que Dieu, al-ildh, aura it le sens d'[un

participe actifJ al-dlih, "le creant", que les serviteurs, Dieu alaha-hum, "les

aura it crees", et non qu'eux ya 'lahiina, "divinisent" Dieu. Ainsi cela a-t-il

et e evoque par un groupe d'entre eux - al-Ash'ari" et d'autres.

"Voyant, parmi les preuves du Livre et de la Tradition, des propos

des Anciens et des Shaykhs des gens [possedant] la connaissance, les

[elements] prouvant qu'il faut que Dieu soit aimbable, un troisierne groupe

en vint a confesser que Dieu est aimable mais que Lui-meme naime une

chose qu'en ce sens: [la] vouloir. L'ensemble des choses etant voulues de

Lui, elles sont done aimees de Lui. C'est la la voie de beaucoup des adeptes

de l'examen, de l'adoration et du hadith, tels AbU Isma'il al-Ansari" Abu

Hamid al-Ghazali et AbU Bakr Ibn al-' Arabi."

"La realite de ces dires, c' est que Dieu aime la mecreance, la

perversite et la desobeissance, et qu'Illes agree. Et c'est ce qui est celebre au

sujet des dires d'al-Ash'ari et de ses compagnons. II fut le premier, rapporte

Abu l-Ma'ali [l-Juwayni], a dire cela. Ibn 'Aqil" rapporte de merne que les

premiers a avoir dit que Dieu aime la mecreance, limpiete et la

desobeissance furent al-Ash'ari et ses compagnons.

"Peut-etre diront-ils qu'll n 'aime pas cela comme religion, 11 1 ne

I'agree comme religion, de meme qu'ils disent qu'Il ne le veut pas comme




religion, c 'est-a-dire qu'll ne veut pas que celui qui Ie fait soit recompense."

Quant a la [chose] elle-memc, elle est [cependant] aimee de Lui comme le

reste des creatures. Pour eux, ces demieres sont en effet aimees de Lui etant

donne qu'il n'y a, pour eux, qu'une seule et meme volonte, englobant tout

cree, Tout cree est done, pour eux, aime, agree [de Dieu].

"Les masses des Musulmans en ont connaissance, on sait

necesairement le caractere corrompu de tels dires".

Que Mella Sadra dans les Asfdr ou ailleurs, ait des reticences a

parler de 1amour subjectif de Dieu peut se comprendre. 11lui serait en effet

possible de se revendiquer de precedents fameux en la matiere, et pas

exclusivement chez les Mu'tazilites. Idem pour son identification de l'amour

et de la volonte divines. Demeure neanmoins, alors, le risque de preter le

flanc a des reproches de derive jahmisante ou d'affirmation que Dieu "aime

la mecreance, la perversite et la desobeissance" du genre de celles qu'un Ibn

Taymiyya porte dans les textes cites ci-dessus. Demeure par ailleurs, et plus

fondamentalement meme, la question de son intelligence personnelle d'une

these de ce type: "Ce que prouvent le Livre et la Tradition, et sur quoi il y a

accord des Anciens de la communaute, de ses imams et des shaykhs de la

Voie [mystique], c'est que Dieu aime (vuhibbu) et est aime (vuhabbu)".

C'est en rapport a ce caractere problematique de l'approche de

l'amour subjectif de Dieu dans les Asfdr que j'aimerais examiner ici

quelques pages du Livre de fa genese et du retour'" du sage de Shiraz. Le

deuxieme des trois discours tmaqdlav du premierjimn de l'ouvrage, consacre

aux attributs du Tres-Haut, presente en effet Ie grand interet de se terminer

par une mise au point de cinq pages intitulee "Des modalites de Son amour

(mahabba) - Tres-Haut est-Il ! - pour les creatures". Et, comme s'il n'y

avait point deja, en ce simple fait, de quoi combler le chercheur laisse sur sa

faim par les Asfdr, il se revelo bientot, pour son plus grand bonheur, que les

pages en question ne sont rien d'autre qu'une variation philosophique,

nullement annoncee, sur un long passage du Livre de l 'amour de 1'Ihyd'

d'al-Ghazali!29

Une variation philosophique, c'est-a-dire non pas un resume ni une

paraphrase mais une reflexion s'infiltrant dans le texte Ghazalien pour le

reformuler et le remodeler, tout en en con servant la trame fondamentale, en

fonction des exigences d'une inspiration autre. 11vaut la peine de suivre le



432 Yahya M. Michot

mot a mot d'un tel exereiee en le visualisant. Aussi cornmencerai-je par

donner la traduction complete des deux textes Ghazalien et sadrien 1un en

regard de l'autre, en deux eolonnes, ces dernieres incornpletement distinctes

neanmoins car regulierement soudees l'une a l'autre au moyen des elements

de I 'Ihya'repris tels quels par le Shirazi.

Traduction

AL-GHAZALI MULLASADRA

Ihyd ', livre XXXVI Al-Mabda 'wal l-ma 'ad

Expose de l'amour (mahabba) de Des modalites de Son amour

Dieu pour [Son] serviteur, ct de (mahabbay- Tres-Haut est-Ill -pour

son sens les creatures

Sache-le, les temoignages du Coran

I Et d u hadith

Se completent l'un l'autre pour demontrer que le Dieu Tres-Haut aime (yuhibbu)

Son serviteur I Ses serviteurs.

Il est done indispensable de connaitre

Cet [amourJet ses modalites.

Presentons

Les temoignages [coraniques J de -en prernierement les

Son amour. temoignages transmis par lareligion (naqli), puis la

Le sens de cet [amour].

demonstration rationnelle

tal-burhon al- 'aqlii.

Le Dieu Tres-Haut a dit: "Illes aimera et ils L'aimeront".30 Le Tres-Haut a

aussi dit que:




"Dieu aime ceux qui combattent dans

Son chemin en rang [sem!]".31 Le

Tres-Haut a aussi dit: "Dieu aime les

repentants et Il aime ceux qui se

purifient" .33

Voila pourquoi Il a retorque-Loue

est-Il! - a qui pretendait etre l'aime

(habfb) de Dieu: "Dis: "Pourquoi

vous tourmente-t-Il pour vos

peches?,,35

Anas a rapporte, a : propos du [11 est rapportej.a propos du

"Dieu aime les repentants et Il aime

ceux qui se purifient'v" Il y a aussi

Ses paroles: "Dieu aime ceux qui

combattent dans Son chemin en rang

[serre]", 34

Prophete - Dieu prie sur lui et lui Prophete

donne la paix ! - qu'il a dit: -Dieu prie sur lui et sur sa famille ! -

"Lorsque le Dieu Tres-Haut aime un qu'il a dit: "Lorsque Dieu aime un

serviteur, aucun peche ne lui porte serviteur, aucun peche ne lui porte

dommage. Celui qui se repent du dommage. Celui qui se repent du

peche est comme quelqu' un qui n'a peche est comme quelqu'un qui n'a

pas de peche". Puis il recita: "Dieu pas de peche",

aime les repentants'?".

Le sens de ceci, c'est que lorsqu'Il

I'aime, Il revient vers lui avant sa

mort, si bien que ses peches passes

ne lui portent pas dommage,

mecreance passee ne porte pas

dommage apres qu' on devient



434 Yahya M. Michot

musulman.

Le Dieu Tres-Haut a done fait de Dieu a done fait dependre de

l'amour la condition du pardon du l'amour Ie pardon du peche. II a dit:

peche, II a dit: "Dis:

"Si vous aimez Dieu, suivez-moi; Dieu vous aimera et 11vous

d '1,,,17par onnera vos pee ies .-

Le Messager de Dieu - Dieu prie

sur lui et lui donne la paix ! - a

egalement dit: "Le Dieu tres-Haut

donne ee bas-monde a celui qu'Il

aime et a eelui qu'Il n'aime pas,

tandis qu'll ne donne la foi qu'a

celui qu'Il aime. Le Messager de

Dieu

-Dieu prie sur lui et lui donne la

paix ! - a egalement dit: "Celui qui

s'abaisse devant Dieu, Dieu I'eleve.

Celui qui se grandit, Dieu 1abaisse.

Celui qui se rappelle beaueoup de

Dieu, Dieu l'aime".

Dieu Tres-Haut a dit:

II a aussi dit - sur lui la paix !: "Le II a aussi dit - Dieu prie sur lui et sur

sa famille !- , en rapportant les propos

du Dieu Tres-Haut:

"Le serviteur ne eesse pas de se rapproeher de Moi par les actes

surerogatoires que Je I'aime. Et lorsque Je l'aime,

Je suis son ouie par laquelle il

entend, sa vue par laquelle il

voit ... "[73] Et le reste du hadi'th.38

Zayd b. Aslam a dit:

... " Et Ie reste du hadith.

On trouve egalement dans Ie hadith:



L'amour de Dieu dans le Kitab ...435

"Pour sur, Dieu aime [Son] serviteur au point d'en arriver, par amour (hubb)

pour lui, a lui dire: "Pais ce que tu veux. Je t'ai pardonne". Ce que I'on

trouve comme mentions de 1'amour

dans les hadiths rapportes par la voie

des Gens de la Maison - sur leur

ensemble les prieres de Dieu !

depasse l' enumeration.

Que te suffise, comme ternoignage,

Ie fait qu'il est appele - Dieu prie

sur lui et sur sa famille ! -I'aime de

Dieu".

Nous l'avons rappele, Tu le sais,

L'amour du scrviteur pour Ie Dieu Tres-Haut est une realite et n'est

pas une metaphore (ma}/iz)

Pour Ie fait dobtemperer aux

commandements ct de se detourner

de ce qui est I' obj et des interdictions,

ainsi que le pretendent un group de

theologiens du Kaldm, tel al-

Zamakhshari39

et ceux qui suivent

ses traces.

L' "mour" (mahabba) en effet, Nous I'avons en effet expose,

I'''amour'' et ce qui en est synonyme,

Linguistiquement, exprime

L'inclination de I'ame vers I Lajoie [trouvee] aLa chose qui est en accord [avec le sujet] (muwafiq)

Tandis que I' "amour" Cishq) Qu' elle soit intellectuelle ou

expnrne I'inclination excessive. sensorielle, reelle ou [seulement]

Nous I'avons expose, Ie bel-agir est opinee. [156] Nous l'avons expose,

en accord avec I'ame et la beaute est le Necessaire Tres-Haut est plus



436 Yahya M. Miehot

d'elles deux. Il ri'est pas proper a la

egalement en accord avec eUe. La beau que toute belle [chose].

beaute et Ie bel-agir sont tantot saisis

par la vue et tantot saisis par la

clairvoyance. L'amour suit chacune

vue.

Quant it De meme,

I'amour de Dieu

Pour Ie serviteur, il n'est -Tres Haut est- II ! - pour Ses

fondamentalement pas possible qu'il creatures est reel et nest pas une

soit [comprendre] en ce sens. metaphore pour le fait de faire

parvenir la retribution pour les actes

d' obeissance, a111S1 qu'ils I' ont

pretendu." 11 est, au contraire,

[bicn] superieur a eela. Eh oui,u contra ire

Les noms-tous [les noms]-lorsqu'ils sont appliques au Dieu Tres -Haut et a

autre [chose] que Lui, ne sont pas appliques" aux deux en un seul et meme

sens,

Fondamentalement. I A un seul et merne degre

C'est a tel point que Ie nom "1'existence", qui est lela plus general/e des

Noms (al-asmd '), I Choses tal-ashyd ')

Pour ce qui est de I'homonymie, n 'englobe pas

Le Createur et la creation I Le Necessaire et le possible

D'unle seul/e e r merne

I Faeon (nahj).oint de vue (wajh).

Tout ce qui est autre que le Dieu Tres-Haut, bien au contraire,

Son existence derive de I'existence du Leurs existences sont des ornbres e:

Dieu Tres-Haut. L'existence qui suit, des simu lacres imitant I'existencc



L'amour de Dieu dans Ie Kitab ... 437

en effet, n'est pas egale a I'existence du Reel Premier. Et malgre cela,

qui est suivie. [Leur] egal ite, pour ce I 'application de "I 'existence" a ce

qui est de se voir appliquer le nom [d' qui est autre que Dieu n'est pas une

"existence"], a seulement pour pareil meta phore au sens Iinguistique

Ie fait, pour Ie cheval et I'arbre, imajdz Iughawii mais, bien plutot,

d'avoir en partage Ie nom de "corps". une metaphore au sens gnostique

En effet, Ie sens de Ia corpo reite, sa (majdz 'irfdni], chez Ies Gens de

realite, est sembIabIe en eux Dieu. SembIabIement

deux;sans [pourtant] qu'aucun des

deux [Ie] merite [plus], de par Ie fait

qu'iI se trouverait fondamentaIement

en lui, Ia corporeite de I'un des deux

ne derivant pas de I 'autre. II n'en va

done pas ainsi du nom "I' existence"

pour Dieu, non plus que pour Sa

creation. Et cette distanciation est

encore plus apparente

Pour Ie reste des noms, tells "Ia science", "la volonte", "la puissance", etc.

En rien de ceIa Ie Createur ne ressembIe a Ia creation. CeIui qui a institue

Le Iangage I Les Iangues

A premierement institue ces noms pour Ies creatures seuIement;

Les creatures en effet I Etant donne qu'elles

Precedent Ie Createur dans Ies intellects et Ies entendements.

Leur utilisation a propos du Createur Et voila pourquoi Ie voyage se fait

s'est done faite par Ia voie de d'elles vers Lui - Tres-Haut est-II !

l ' emprunt, de la tolerance et du

transfert.

L'amour (mahabba),



438 Yahya M. Michor

Linguistiquement, exprime Dans Ie cas des creatures, est

I'inclination de l'ame [74] vers accompagne de deficience et de

quelque chose qui en accord [avec bassesse. Dans Ie cas du Crea teur, il

eUe] et [lui] convient. On ne se est d'une saintete preservee des

represente cependant ceci qu'en une insuf fisances, des deficiencies et

arne deficiente a laquelle manque ce des impuretes rele vant de la

qui est en. accord avec elle, qui possibilite,

retirerait une perfection de son Quant a la demonstration rationnelle

obtention et trouverait un plaisir a de I'existence de [l'amour] du Reel

l'obtenir. Or tout ceci, pour le Dieu Tres-Haut [pour le Cree], c'est ce

Tres-Haut, est impossible.Y Toutes qui a ete evoque pre cedcmment

perfection et beaute, splendeur et celui qui aime une essence ayant les

majeste possibles, dans le cas de la attributs de la magnificence et de 1a

divinite, sont en effet presentes, gran deur, de 1a puissance et de 1<1

produites et de production neeessaire, liberalite, de la bonte et de la

toujours et eternellement. On ne s'en generosite doit immanquable men!

represente ni Ie renouvellement ni la aussi aimer ce qui provient de son

cessation. [Dieu] n'a done point de essence, par son essence, cornme

regard pour autre que Lui, en tant effets et concomitants essentiels en

qu'il s'agit d'un autre que Lui. Bien jaillissant sans intervention d'autre

pI utot, Son regard porte seulernent [chose].

sur Son essence et Ses actes; et i t Si les effets de la chose et ses

n' est, pour ce qui est de l' existence, concomi tants avaient un autre

que Son essence et Ses actes. Voila aspect (haythiyya), different du fait,

pourquoi le pour eux, d' etre des effets et des

concomitants de cette chose, il serait




possible que se rattache a eux un

amour inderent indedependant, d'un

aure point de vue, different de celui

[consistant dans] Ie fait qu'ils sont

des suites. Mais lorsque les suites de

la chose n'ont d'autre aspect que Ie

fait d'etre des suites d'elle, a l'instar

des realites possibles par rap pOJ1au

Reel Premier, conformement a ce

que nous avons realise en son temps,

il n' est possible que la joie se

rattache a e1les que du point de vue

selon lequel i1 est trouve joie a Lui -

Tres-Haut est-II! Ou, plutot meme,

la joie trouvee aux concomitants du

Reel Premier et a Ses effets est,en

son identite meme, la joie trouvee a

Son essence - Tres-Haut est-II!

Quiconque aime un savant aime son

oeuvre (tasnij) en tant qu'elle est

son oeuvre. Or Ie monde en

l'ensemble de ses realites, de ses

dispositions et de ses formes est

l'oeuvre du Dieu Tres-Haut, sans

[qu'il y ait la] d'autre aspect [a

considerer], ainsi que nous l'avons



440 Yahya M. Michot

evoque. L'arnour du Dieu Tres-Haut

pour Son essence ayant ete etabli

anterieurement-jcet amour] est Sa

science memede SOil essence, qui

rassemble les attributs de la

perfection et les qualificatifs de la

beaute, est donc aussi etabli Son

amour pour Ses concomitants et Ses

effets, a savoir les existants du

monde en leur entierete,

Comme il est evident que 1existence

du possible en lui-meme et le fait,

pour lui, d'etre un des effets de la

puissance du Dieu Tres-Haut, sont

[taus] deux [157] une seule et merne

affaire, sans differenciation - les

existences des creatures sont ell

effet, en leur identite meme, les

faisceaux du flux du Reel et Ses

epiphanies -,1'existence de tout

possible n'est [rien d'autre] qu'un

des points de vue de la perfection du

Reel, de Son existence et de la joie

qu'Il trouve a Son essence, la joie

qu'Il trouve a l'ensemble de Ses

actes et de Ses effets etant incluse en



L'amour de Dicu dans le Kitab ... 441

cette derniere de meme que la

science qu'll a d'eux est incluse

dans Sa science de Son essence.

En outre, les classes de l' existence

des creatures different en proximite

et lointainete par rapport au Principe

le plus haut, en noblesse et en

bassesse, en perfection et en

deficience.

La creature qui a le plus de droit a

l'amour du Reel est le plus noble des

possibles et le plus proche dentre

eux par rapport au Tres-Haut dans

les deux chaines du commencement

et du retour, de la [vie] derniere et

de la pre miere.

La suit, pour ce qui est de l'amour,

ce qui [la] suit pour ce qui est du

rapport [au Tres Haut] et est proche

d'elle pour ce qui est du dcgre de

l'existence. Et de merne, graduelle-

ment, de plus airne en plus aime,

jusqu'a ce qu'on aboutisse au plus

bas des existants et au plus impur

des desobeissants, a savoir Iblis pour

les vivants et la hyle corporelle pour



442 Yahya M. Michot

les morts. [Tous] deux sont en effet

parmi les plus deficients des corps et

des simulacres et les plus

desobeissants des ames et des

esprits.

Si avait ete possible, pour al-

Zamakhshari et les autres theologiens

du Kaldm qui nient la providence du

Dieu Tres-Haut, ce qui lc fut pour les

connaissants extatiques [informes] de

la generosite du Dieu Tres-Haut pour

Ses creatures et de I'exces de Sa

bonte et de Sa misericorde a leur

egard, ainsi qu 'au fait de 1amour,

denue de l'insuffisance et de la defi-

cience, qui revient en realite a la j oie

qu'II trouve a }'existence de Son

essence, dont tous bien et perfection,

parure et beaute jaillissent, ils ne

l'auraient pas niee. Du fait cependant

qu'ils s'occupent d'autre chose que

Dieu et Ses signes, une telle

connaissance leur de meure voilee,

Bien plus, etant donne que leurs

intelligences sont confinees au

monde visible, ils ne rccoivent de




Au

Shaykh Abu Sa'id al-Mayhani 43

concept d'existence, ne parvi ennent

pas au harem du decouvrement et de

1a vision, et ne savent pas que [nos J

gens, au rang de Ia gustation et de 1a

foi, ant atteint plus complet que Ie

sensible et, par exces de desir et de

tro vation, donnent liberalement aux

guidance du Reel que vers Ie simple

esprits et aux ames.

-le Dietl Tres-Haut lui fasse -sanctifie soit son secret! -furent

elles sont rattachees

misericorde l-, quand on lui lut lues

Ces paroles du Tres-Haut: "Illes aimera et ils L'aimeront,,44

,dit: I .Il dit:"ll les aimera en realite. Il ri'aime en effet que Lui-mente", [Cette sentence

est a comprendre] en ce sens qu'Il est

le tout et que, I toute l' existence et [que]

dans I'existence, il n'y a rien d'autre que Lui.

Or,. I [C'est] comme pour

quelqu'un qui n'aime que lui-memo, les actes de Iui-merne et les oeuvres de

lui-meme.r: son amour ne depasse" pas son essence et les suites de son

essence, en tant qu'

I il est rattache

A son essence. II n'aime done que lui-meme.

[158] Considere, 6 [juge] equitable,

le rang de ce shaykh a la demeure

majestueuse et au rang important!

Comment il a realise l'affaire et I'a

comprise! De meme en effet qu'il a

eu connaissance qu'aimer les effets



444 Yahya M. Michot

propres d'une chose revient en

realite a aimer cette chose-In meme,

il s'est decouvert a lui, du fait de

[ses] exercices sapientiaux et

pratiques, que les realites des

existences des possibles ne sont

[rien d'autre] que des effets du Reel

Tres-Haut et des suites de Lui, sans

difference daspect ainsi que Ie

pretendent les [gens] voiles [face a

la verite] - a savoir que le fait, pour

Ie possible, d' etre exist ant est une

chose et que le fait, pour lui, detre

un effet, une suite, est une autre

chose, tant et si bien que la

multiplicite s'ensuit neccssairernent,

s'agissant de la realite de

l' existence, et l' independance pourles choses, s 'agissant de la

generation (Kawll), en ceci que

l'attribut d'indigence envers le Reel

serait un accident pour les possibles,

non essentiel pour eux. La realite

verifiee, par l' assentiment, est bien

plutot que la realite du possible

n'est [rien d'autre] que l'indigence

meme et le rattachement a I' autre. 11

est ombrageux d' existence,

secretoire d' essence. Pour chacun

d' entre les possibles il y a cependant

une espece d'imitation du Reel

Tres-Haut different en fonction de

sa proximite et de sa lointainete, de

la multiplicite de ses gangues et de




leur paucite comme c' est le cas dans

les miroirs, differents les uns des

autres par les mesures, les positions

et les polis sages, qui im itent Ia

forme d'une seule et merne

personne: ils different

inevitablement, dans leurs

imitations, en grandeur et petitesse,

convexite et concavite, rectilignite

et sinuosite, purete et impurete,

alors meme que ce qui est vu, en

I'ensemblee d'eux, est une seule

forme, invariante. Similaire est le

statut des possibles pour ce qui est

de recevoir l'epiphanie du Reel

Premier et pour ce qui est de leur

imitation de Son essence.

Ramenons le fil de notre propos la

ou nous en etions et revenons au

[sujet] dont nous nous sommes

separe, a savoir que Ie Necessaire

Tres-Haut n'aime que Lui-merne,

Son amour pour autre que Lui ne

menant pas a une deficience en Lui-

Exalte est-II, bien au dessus de cela!

Ce qui est propose commc Iormules concernant Son amour pour

[un de] I un de

Ses serviteurs

Est sujet a interpretation et son scns d'un point de vue plus

particulier que Ie point de

vue general

revient au retrait (kash/) du voile de son Coeur si bien qu'il Le voit de son

Coeur, ala capacite qu'Il lui donne detre proche de Lui et a la volonte qu'Il

en a pour lui dans I'eternitc"



446 Yahya M. Michot

Du fait de la force de sa preparation,

qui se produit pour lui de par le flux

le p lu s sa in t.

L'arnour Chubb) [de Dieu]

-T re s-H au t e st-Il 1 -

Pour celui qu'Il aime est done eternal, pour autant gu'on Ie rapporte'" a [Sa]

volonte etemelle

qui exige de donner a ce serviteur et a [Sa] science eternelle de

la capacite de chemiuer sur les voies l'aspect [pris par] I'ordre du Bien.

de cette proximite,

Et lorsqu'on le rapporte" a Son action,

au seCO UTSqu'Il lui apporte, a Sa

guidance et au fait qu'U lu i facilite Ie

chemin du Reel, par lequel se

Retire le voile du Coeur de Son serviteur, c'est un adventice

qui advient de par I procedant de

L'advenue de la raison qui l'exige

Ainsi que Ie Tres-Haut l'a dit: [el] qui est appelee "Ie flux

qU i

"Man servi teur ne cesse de sesanctifie" .

[159] Il a ete fait allusion au premier

rapprocher de Moi par les oeuvres [type d'amour" par ce s paroles]: "Le

sureroga toires que Je l ' aim e.',. bienheureux est bienheureux dans

l'eternite, et Ie mi se ra bl e m i se ra ble a

jamais", Ainsi aussi en va-t-il des

paroles de I'emir des croyants - sur

lui la paix 1: "Sachez-le d 'une

science certaine, quelque importantequ e soit Ia manoeuvre du serviteur,

quelque forte que soit sa ruse et

quelque intense que soit sa demande,

Dieu ne lui alloue pas plus que ce

qui est designe, pour lui, dans le

Sage Rappel".

Au deuxieme (type damour'" it a ete



L'amour de Dietl dans le Kitab '" 447

fait allusion par Ses paroles]: "Dieu

efface et etablit ce qu'll veut. Aupres

de Lui [se trouve] la Mere du

Livre"?

De ce [serviteur]

Le rapprochement

I du serviteur

Par Ies oeuvres surercgatoires est line raison de la purete de son interieur, de

I 'enlevement du voile de 3011 Coeur et de son accession au degre de 1 a

proximite de son Seigneur. Tout cela

Est l' action (ji'l) du Dieu Tres-Haut et releve de

Sa bonte (tutf)

enverslui.C'est [la]le sensde Son amour. I et de Sonamour (mahabba)en Seseffets.

On ne comprendra

1a difference entre I'amour dont il

faut exempter (tanzih) Ie Dieu

Tres Haut et l' amour denue de

Ceci

deficience

que par un exemple, Le voice. Le roi peut rapprocher son serviteur de lui-

me-me et I'autoriser en tout temps a etre present a sa cour, du fait de

1inclination qu'il a, lui Ie roi, envers lui52

I Et du fait du desir qu'il a de lui,

Soit pour qu'il l'aide

de sa force ibi-quwwati-hit, I (en etant proche de lui (bi-qurbi-hi/3,)

ou qu'il trouve Ie.repos a le contempler, au qu "i l le consulte, pour son

opinion, au qu "il lui prepare de quoi

Manger et boire. I Boire et manger.

"Le roi l'aime" dira-t-on alors, Ie sens de cet [amour]

etant I [etant]

son inclination envers lui"

du fait de ce qu'il ya en lui comme Ceci, c'est l'amour dont I'origine Est

accord avec lui [et] qui lui convient, la deficience de I'amoureux,

s'agissant de 1a perfection la plus

complete. Or Dieu est trap saint pour

une pareille chose !



448Yahya M. Michot

[Le roil pent aussi rapprocher [de lui-meme] un serviteur et ne pas lui

interdire d'entrer aupres de lui, non pour profiter

de lui ni pour recourir a son aide, I [de lui] et s'extasier devant un visage,ss

mais parce que [ce] serviteur peut etre decrit comme ayant des moeurs

satisfaisantes et de Iouables qua lites, si bien qu'il est normal qu'il soit proche

[75] de la presence

du roi. I Des rois

et qu'il lui soit pleinernent accorde d'elre proche

d'eux en fonction de SOil meri te a lui-

meme, non parce que le roi aurait

quelque

objectif a son sujet. Lorsqu e done

Ie roi enleve I est enleve

le voile entre lui et [le serviteur], on dit: "Il I'aime". Et quand [le serviteur]

acquiert ce qui, des qualites louables, exige que le voile soit enleve,56 all dit

qu'il est alTive57 a se faire airner du roi,

L'amour ( h ubb ) de Dieu pour [Son]ICe

serviteur Est [a comprendre] au

de lui alors meme que le roi n'a

fondamentale ment pas d'

Seulement, non au

Second sens

de Iamour (mahabba) convient au

premier Tres-Haut, non Ie

Premier sens,

[Et ee,]t il est seulernent vaIide d'en

donner cornme linage [I'amour pris]

au second sens

A la condition que ton entendement ne preconcoive point que qu'un

changement intervient en LuiI-Tres-Haut est-Il l-

en cas de renouvellement de 1aproximite. Le bien aime (habib), c'est done Ie

proche (qarib) de Dieu - Tres-Haut est-Il 1 -,

et etre proche de Dieu consiste a se tenir loin des attribues des bestiaux, des

fauves et des diables, ainsi qu'a adopter les moeurs nobles, a savoir les

moeurs divines.

C'est done une proximitejl.e I serviteur] est done proche par I'idee et




Par I'attribut, non par le lieu. Celui qui n'etait pas proche et est devenu

proche a change. Peut-etre aura-t- on de ce fait pour opinion que lorsque la

proximite se renouvelle, c'est

A I la fois

L'etat (wasaj) du serviteur et [celui] du seigneur qui changent.

Ceci C' est cependant absurde en ce qui

concernc [160] Ie Dieu Tres Haut. II

ne cesse pas, bien au contra ire, d'etre

tel qu' iletait de puis I'eremite deseremites. Ce qui est dit la

ne se decouvrira cependant qu'

Au moyen d 'un exemple relatif a la

proximite entre les personnes.

Deux personnes peuvent

rapprocher l'une de l'autre en se

mouvant toutes deux. L 'une des

deux peut aussi rester a sa place et

l'autre se mouvoir, la proximite se

produisant alors par un ehangement

en l'une des deux, sans qu'il y ait de

changernent en l'autre. Il en va

egalement ainsi de la proxirnite

relative aux attribues. L'eleve

cherche a se rapprocher du degre de

son maitre, pour ce qui est de la

perfection de la science et de sa

beaute, alors que le maitre se tient

immobile en la perfection de sa

science, sans descendre vers le degre

de son eleve, L'eleve se meut et se

hausse du perigee de 1ignorance au

faite de la science. 11ne cesse pas de

s'activer a changer et a se hausser,

jusqu'a ce qu'il se rapproche de son

se

aux adeptes de la gustation

et de l' etat [spirituels]



450 Yahya M. Michot

maitre alors que ce dernier reste it sa

place, sans changer. C'est ainsi qu'il

convient de comprendre l'ascension

du serviteur dans les degres de la

proximite. Plus il devient parfait en

ses attribues, plus son savoir est

complet, plus il fait le tour des

realites des choses, plus sa puissance

se confinne pour ce qui est de

triompher de Satan et de dompter ses

passions, plus son exemption des

vices devient manifeste, et plus il

devient proche du degre de la

perfection, Ie point extreme de la

perfection appartenant it Dieu et la

proximite de chacun par rapport au

Dieu Tres-Haut etant it la mesure desa perfection. Eh oui, I' eleve est

capable de se rapprocher du maitre,

de devenir son egal et de le depasser.

Ceci, dans Ie cas de Dieu, serait

cepen dant absurde. II n' est en effet

point de fin it sa perfection alors que

Ie cheminement du serviteur dans les

degres de la perfection est fini et

n'aboutira qu'a une limite definie. II

ne s' attendra done pas it devenir

[Son] egal! En outre, les degres de la

proximite fonnent une hierarchic

egalement infinie, du fait de

l'absence de fin pour une telle

perfection.




[76] Bref, l'amour de Dieu pour

[Son] serviteur consiste a le

rapprocher de Lui en repoussant de

lui les distractions et les

desobeissances, en purifiant son

interieur des impuretes de ce bas-

monde et en enlevant Ie voile de son

Coeur, si bien qu' il Le contemple

comme s'il Le voyait de son Coeur.

Dans le Mabda " Mella Sadra donne souvent les references de ses

emprunts it des auteurs anterieurs, II lui arrive cependant aussi de citer plus

ou mains longuement et litteralement ses predecesseurs-les Ikhwan al-Safa58

par exemple, ou divers ouvrages d'al-GhazaJi59

- sans aucune mention de ses

sources ni meme aucune indication qu'il ne s'agit plus, alors, de sa prose a

lui. On imagine it cet egard la difficulte d'une etude exhaustive de ce traite

pour qui n'aurait pas une connaissance approfondie de la literature

philosophique, theologique et mystique du premier millenaire de l'Islam !

Les apges traduits ci-dessus sont un emprunt de ce deuxieme type,anonyme et inapparent. Avant d'etudier la position doctrinale qui s'en

degage a propos de I'amour subjectif de Dieu, il convient de mieux cernerla

nature des interventions du Shirazi sur Ie texte d'al-Ghazali. Ces

interventions me sem bleraient etre de cinq types principaux.

II ya d'abord de simples explicitations au clarifications semantiques

ou doctrinales. C'est par exemple le cas lorsque Mella Sadra precise de quoi

l'amour du serviteur pour Dieu nest pas une metaphore- l'obeissance aUK

ordres et interdictions reveles - au indique ce que designe un pronom

demonstratif Autre clarification encore: la distinction de deux types

d'amour subjectif de Dieu, pour autant qu'on le rapporte a Sa volonteeternelle au a Son action, devient manifeste chez le Shirazi alors qu'elle

u'est qu'implicite chez al-Ghazali,

II y a ensuite des rearrangements theoriques de I'expose ghazalien,

en vue de lui donner un canevas plus coherent, une structure plus Claire.

Ainsi, alors qu'al-ghazali u'annonce que des temoignages du Coran en

faveur de I'affirmation de I'amour subjectif de Dieu mais refere aussi it 1a

tradition prophetique, Mella Sadra parle d'emblee de "temoignages du



452 Yahya M. Michot

Coran ct du hadith". Modification plus importante: l'organisation,

totalement absente chez al-Ghazali, de la demonstration de 1amour subjectif

de Dieu en deux parties, en fonction des temoignages transmis par la religion

(naqli), puis des preuves rationnelles tal-burhdn al- 'aqlii.

Troisierne type d'interventions: des reductions a l'essentiel, avec

suppression d'excursus ou de passages dimportance secondaire. C'est

notamment le cas d'un vcrset coranique, d'un excursus sur le repentir, de

deux traditions du Prophete, de quelques lignes relatives a 1amour de la

beaute et du bel-agir ou a I'equivocite du tenne "corps".

En quatrieme lieu, l'adjonction delements de l'Islam Shi'ite. D'ou,

par exemple, I'evocation du nombre de hadiths "rapports par la voie des

Gens de la Maison" du Prophete au sujet de 1amour.

Les interventions de portee proprement philosophique enfin, dont

l'impact est bien entendu primordial. Alors meme qu'il se glisse dans le

moule d'un texte ghazalien et, sous certains aspects, I'arneliore, c' est bien sa

pensee a lui que le Shirazi entend lui faire exprimer. D'ou ces nombreuses

reorientations doctrinales operees de I'interieur, en un ou quelques mots

seulement, en quelques lignes ou par l' insertion de deux developpernents

originaux relativement longs. Quand Mella Sadra presente le nom

"1'existence" comme "la plus general des choses (al-ashya ')" alors qu 'al-

Ghazali en fait "le plus general des noms (al-asma ')", sans doute ne faut-il

en tirer aucune conclusion philosophique, la difference entre les deux

versions pouvant etre due a une confusion entre deux mots arabes de

graphies tres semblables. Quand, deux lignes plus loin, il remplace "le

Createur et la creation" du texte Ghazalien par "lc necessaire ct le possible",

il ne s'agit par contre plus-evcntuellement - d'une erreur de copiste ou

d'6diteur et la difference, du point de vue philosophique, est hautement

significative. Idem lorsque le Shirazi prefere dire de Dieu qu' "11est toute

l'existence" plutot que de reprendre a son compte l'affirmation Ghazalienne

"II est le tout". Ou ecrire, a propos de tout ce qui est autre que le Tres-Haut,

"leurs existences sont des ombres et des simulacres imitant l"existence du

Reel Premier" plutot qu 'adopter la these Ghazalienne que "SOI1 existence

derive de l'existence de Dieu".

On pourrait multiplier les exemples de reorientation doctrinales

manifestes dans la variation sadrienne sur les pages de L'ihyd ' traduites plus




haut et, notamment, analyser les deux principaux developpements originaux

qu' eUe comporte. En dehors de la thematique de l' amour a laquelle il

convient maintenant de revenir, on se contentera ici de noter-sans veritable

surprise- que, dans ces deux deve loppements comme dans ses interventions

plus breves, c' est surtout en metaphysicien passionne d' ontologie que Mella

Sadra reagit au texte Ghazalien et se distancie de lui.

Pour rediger ainsi ce passage du Mabda', il est evident que Mella

Sadra avait sous les yeux Ie texte dal-Ghazali-a moins bien sur qu'ill'ait

connu par Coeur. Quel motif un philosophe de sa trempe pouvait-il

cependant avoir de pro ceder de la sorte ? C'est-a-dire, d'une certaine

maniere, en phagocytant l'oeuvre d'un autre et, surtout sans prevenir en rien

son lecteur ? Sans doute ces questions ne recevront- elles jamais de reponse.

Lorsque 1artifice est decouvert, grande est par contre la satisfaction

intellectuelle de pouvoir tracer avec autant de detail I'elaboration d'une

pensee.

La doctrine Ghazalienne de 1amour subjectif de Dieu, telle

qu'exposee dans les pages traduites plus haut, peut se resumer comme suit.

Les textes canoniques affinnant que Dieu aime Son serviteur, cet amour ne

peut etre nie (comme plusieurs theologiens l'ont fait, cf. Ibn Taymiyya).

Reste cependant a en comprendre le sens. On partira, pour ce faire, de

l' amour du serviteur pour Dieu, lequel est une realite, non une metaphore (a

nouveau contrairement a I'opinion de plusieurs docteurs de la religion), et

peut etre defini comme une inclination de I'ame vers une chose s'accordant

avec elle, qui lui manque et dont l'obtention lui procurerait une perfection et,

partant, du plaisir. Tel etant le sens de 1amour, il devient directement

manifeste que le tenne ne peut pas etre applique tel que1 a Dieu. La situation

est done la merne que, par exemple, pour les tennes "existence", "science",

"volonte", "puissance", etc., qui ne sont utilises a propos du Createur que par"emprunt, tolerance et transfert". Dieu ne manquant de rien, II n'incline vers

rien et n'a de regard que pour Son essence et Ses actes. Si le Coran dit qu'll

aime Ses serviteurs, ainsi que bien note par le celebre Shaykh Soufi Abu

Sa'id b. Abi l-Khayr, c'est qu'Illes aime reellement, en ce sens qu'll n'aime

que Lui-meme, cest-a-dire, aussi, Ses actes et ses oeuvres. En effet, "II est

le tout et, dans l'existence, il n'y a rien d'autre que Lui".



454 Yahya M. Michot

Ceci etant acquis, il devient possible de comprendre un haditk

comme celui des actes surerogatoires, L'amour subjectif de Dieu qui y est

evoque est a interpreter comme Sa volonte eternelle de donner au serviteur 1a

capacite de se rapprocher .de Lui au, par ailleurs, si on le rapporte a Son

action, comme Son retrait du voile de son Coeur. Alors meme que ce

rapprochement du serviteur est une action de Dieu, ilne convient pas de Ie

comprendre comme l'autorisation d'etre toujours a la cour qu'un roi donne a

un de ses serviteurs par inclination pour lui mais, plutot, comme Ia

consequence des titres et qualites qu'un serviteur acquiert et qui 1'habilitent a

frequenter la cour sans que Ie roi ait aucune visee a son propos. Dans un tel

rapprochement, qui est bien sur une affaire d'attributs, et plus

particulierement d'ethique, pas de lieu, c'est le serviteur, et non pas Dieu,

qui change. En somme, l'amour de Dieu pour le serviteur consiste a le

rapprocher de lui en le rendant obeissant, en le purifiant et en enlevant de lui

le voile de son Coeur, "si bien qu'il Le contemple comme sil Le voyait de

son Coeur".

Le trait le plus saillant de I'approche de I'arnour subjectif de Dieu

que Ie Shirazi proposea

partir du texte dal-Ghazali est qu'il y poursuit unautre objectif que celui-ci, Le but premier d'al-Ghazali est en effet de

demontrer I'invalidite d'utiliser a propos de Dieu le concept d'amour tel

qu'il Ie definit, a savoir en termes d'inclination et de manque a combler.

Molls Sadra a, lui, une autre conception de I'amour - la joie, la jouissance

trouvee a ce qui est en accord avec I'amant- et, partant, n'est pas confronte

au probleme d'al-Ghazali, Quant a son souci fondamental, c'est de

demontrer que l'amour de Dieu pour Ses creatures, comme I 'amour de Son

serviteur pour Lui, est reel et non pas une metaphore, dans ce cas pour la

retribution des actes d'obeissance. Et le sage de Shiraz de donner a ce propos

les noms de ceux a qui il s'en prend: l'exegete et theologien Mu'tazilitetardif al-Zamakhshari, ses semblables parmi les theologiens du Kaldm, "qui

nient la providence de Dieu", et ceux qui suivent ses traces. Alors qu'al-

Ghazali n'affirme 1arealite de l'amour subjectif de Dieu que par le biais de

la sentence d'Abu Sa'id b. abi l-Khayr qu'il cite-et dont il met seulement en

exergue la deuxieme partie: Dieu n'aime que Lui-meme-le Shirazi donne

deliberement autant de poids a I'affirmation de cet amour qu'a celIe de

I'amour des serviteurs pour Dieu, Ceci etant, et sous reserve des differences




resultant des specificites de sa metaphysique par rapport a ' celle d'al-Ghazali,

ilpartage bien volontiers l'opinion de ce dernier qu'en aucun des noms

utilises a Son propos, Dieu ne ressemble a la creation. Done aussi en ce qui

conceme Son amour des creatures.

Qui plus est, et a nouveau non obstant Ies particularites de sa

metaphysique, Molls Sadra s'accorde fondamentalement avec al-Ghazali sur

la conception qu'il convient d'avoir de cet amour de Dieu pour Ie cree: i1est

indus dans Son amour de Lui-memo. Certes, leur vocabulaire differe: alors

qu'al-Ghazsli parle Iipropos de cet amour d'un "regard" de Dieu qui "porte

seulement sur Son essence et sur Ses actes" et souligne qu' "il n'est, pour ce

qui est de I'existence, que Son essence et Ses actes", Ie Shirazi prefers ecrire

que "l'existence de tout possible n'est [rien d'autre] qu'un des points de vue

de la perfection du Reel, de Son existence et de la joie qu' Il trouve a Son

essence, la joie qu'II trouve a I'ensemble de Ses actes et de Ses effets etant

incluse en cette demiere de meme que la science qu'Il a d'eux est incluse

dans Sa science de Son essence". Mella Sadra reprend pourtant a son compte

l'essentiel de l'interpretation Ghazalienne de la sentence d'Ahfi Sa'id b. Abi

l-Khayr: Dieu n'aime que Lui-meme et il n'y a, dans I'existence, rien d'autre

que Lui-meme,

A vrai dire, le sage de Shiraz est beaucoup plus consequent qu 'al-

Ghazali, Quand bien meme il invoque I'autorite spirituelle d'Aba Sa'id b.

Abi l-Khayr, c'est bien en disciple d'Avicenne qu'il entreprend de parler de

l'amour subjectif de Dieu. Comrne si une telle conception de l'amour divin

n'etait pas de nature a susciter Ie rneme genre d'objection que celie qu'on lui

connait contre la conception avicennienne de la science divine du particulier

! Ibn Taymiyya a entierement raison de remarquer qu'en matiere d'amour

divin, alors meme qu'il suivait les soufis, Abu Hamid s'est aussi inspire des

philosophes. Que Ie theosophe de Shiraz precede quant Ii lui de la sorte n'a

rien d'etonnant et il a au moins le merite d'indiquer clairement, en bon

avicennien qu'il est, les consequences ultimes de sa doctrine: de moins aime

en moins airne, I 'amour divin s 'etend jusqu' "au plus bas des existants et au

plus impur des desobeissants, a savoir Iblis pour les vivants et la hyle

corporelle pour les morts". Et comme, en cette extension meme de Son

amour, Dieu n'aime encore et toujours que lui-meme, "Son amour pour autre

que Lui ne mene pas a une deficience en Lui".



456 Yahya M. Michot

Pour ce qui est de la fin du texte Ghazalien, relatif au hadith des

actes surerogatoires, Mella Sadra partage fondamentalement les idees

Ghazaliennes, telles que resumees plus haut, et n'intervient que sur des

points secondaires. 11ne voit pas de necessite de parler d' "interpreter" cette

tradition. A la doctrine Ash'arite de l'action divine et de 1advention

d'adventices suivie par al-Ghazali il prefere une metaphysique avicennisante

du flux et de I' emanation, de la preparation et de I' ordre du Bien plus

favorable a une activite des creatures. Il ne rapporte pas seulement I 'amour

etemel de Dieu a Sa volonte eternelle mais aussi a Sa science eternelle. Il

prefere enfin, mais peut etre n'est-ce que par lassitude face au didactisme

d'al-Ghazali, les decouvertes extatiques a la multiplication d'histoires

allegoriques.

En guise de conclusion a cet examen des pages du Mabda' sur

l'amour subjectif de Dieu, j'aimerais proposer trois reflexions, la premiere

eu egard aux Asfdr, c'est-a-dire par rapport a Molla Sadra lui merne, Ia

seconde eu egard a al-Ghazali, la derniere eu egard a Ibn Taymiyya.

Les deux principales dimensions de l'approche sadrienne de l'amour

subjectif de Dieu dans les Asfdr se retrouvent egalement dans le Mabda "qu'il s'agisse du lien de cet amour avec l'amour de Dieu pour Son essence

ou de son lien avec Sa volonte et Sa science et , en consequence, de son

extension a tout le cree, Sauf erreur de ma part, alors qu' elles sont soulignees

dans le Mabda', la realite de l'amour subjectif de Dieu, limpassibilite divine

en cet amour et la nature ethique du rapprochement du serviteur qu'Il aime

ne font I 'objet, dans les Asfdr, d'aucun traitement particulier.

On s'est demande, plus haut, ce qui avait pu pousser l'auteur du

Mabda' a parler de l'amour subjectif de Dieu comme il Ie fait, en

s'appropriant des pages d'al-Ghazali, Sans pretendre repondre a une telle

question, peut-etre est-il maintenant possible de comprendre un peu mieuxqu'il ait pu proceder de la sorte. Notre analyse l'a en effet montre en

suffisance, a propos de cet amour divin auquel Ie texte de l'Ihyd' est

consacre, il est fondamentalement sur la meme longueur d'onde qu'al-

Ghazali. Et cela, alors meme que sa visee premirere, son ontology et sa

definition meme de l'amour sont differentes de celles du grand theologien.

Ce qui devrait etonner, d'une certaine maniere, ce n'est pas que Mella Sadra

ait phagocyte les pages de I 'Ihyd ' en question mais, plutot, qu 'al-Ghazali ait




pu concevoir comme il Ie fait les idees qu'il y exprime. On sait cependant

tout ce qu'il u'a jamais cesse, malgre le Tahdfut, de devoir a 1afalsafa,

principalement avicennienne,

Plus haut, j 'ai cite deux pages d'Ibn Taymiyya sur le developpement

historique de la problematique de l'amour de Dieu en Islam et suggere, par

rapport a elles, des observations qui pourraient etre faites a l'encontre de

l'approche sadrienne de l'amour subjectif de Dieu dans les Asfdr. Que ces

observations s'inspirent d'un theolcgien lui-meme parfois controverse ne

devrait point reduire leur pertinence. Elles ne lui sont en effet nullement

particulieres et pourraient se retrouver chez maints auteurs.60

Pour beaueoup

de spirituels musulmans eomme pour le simple croyant, il ne suffit pas

d'affinner la rea l ite de I'amour de Dieu pour Ses.creatures et Ses serviteurs

comme le Shirazi le fait. Encore faut-il que ne s'evanouisse pas, dans la

definition et 1a theorie qui en sont proposese, ce qui est intuitivement

entendu par l'expression et lui donne sa riehesse et sa force, notamment ee

qui' a trait a la douceur de la foi. Sans bien sur tomber dans

l 'anthropomorphisme, force est alors de se demander ce qui reste

effectivement de la realite de cet amour divin apres le traitement demetaphysicisation forcee auquel I'auteur du Mabda', plus encore qu'al-

Ghazali, le soumet. Pour ne prendre qu'un exemple, il me semble

humblement qu'en arriver a parler d'un amour de Dieu pour le diable tient a

un exces d'ontologisation de l'amour subjeetif de Dieu, par le biais de son

identification a la volonte creatrice du Tres-Haut, comme si ee demier n' etait

pas revelateur et legislateur autant que createur, comme si Sa volonte n'etait

pas ala fois, mais non identiquement, creatrice et ethique, source et d'etre et

d'imperatifs ... 61 Sans doute cependant suis-je injuste de jeter ainsi la Pierre

aux seuls Shirazi. et Ghazali alors que mes observations valent a vrai dire

pour les enterprises de lafalsafa et du Kaldm en tant que telles. J'ajouteraidone que j e serais volontiers Ie premier a reconnaitre un metaphysicien hors

pair en Mella Sadra, en matiere d'amour subjectif de Dieu comme a d'autres

propos. Le probleme demeurera neanmoins que 1a realite n'est pas

metaphysique, au comme il I'ecrit lui-meme dans le Mabda', en un

jugement valant aussi pour lui-memo: "Il ne serait pas invraisemblable que

ee < i quoi sont arrives les entendements des exegetes ne soit pas ee qui est



458 Yahya M. Michot

voulu dire par Dieu dans ces versets".62 Ou encore, en d'autres termes: "wa

lldh ghani 'an al- 'dlamin.fadlan 'an aqwdl al-mutakal-limin".63

Notes

1 . Al-Shirazi, S. D., Asfiir, 1. VII, P. 110.

2. Al-Shirazi, S. D., Asfdr, t. VII, P. 148.

3 . Al-Shirazi, S. D., Asfdr, t. VII, P. 173.

4 . Al-Shirazi, S. D., Asfdr, t. VI, P. 359: "L'objet d'amour absolu (al-ma'shuq al-

mutlaq), c'est Son essence"

5 . AI-Slllrazi, S. D., Asfdr, t. VII, P. 171-179.

6 . Ibn S m a , Najat, Metaph., II, 17 (ed. Fakhry, P. 281). Repris du Kitab al-mabda

wa [__jnG 'ad, chap. XII, ed. Nurani P. 17. Chapitre integre sans Ie titre in Shlfti,

Metaph., VIII, 7, fin (ed, Du Caire, P. 368).

7. Al-Shirazi, S. D., Asfdr, t. VII, P. 149.

8. Al-Shirazi, S. D., As/fir, t. VI, P. 340.

9. AI-Shirazi, S. D., Asfiir, t. VII, P. 149.

10. Al-Shirazi, S. D., Asfdr, t. VI, P. 340-341.

II.Voir Corbin, H., Penetrations.

12. Voir Manis, J. W., Wisdom.

13. Ibn Taymiyya, MF, t. X, P. 697-698; notre trad, Textes spirituels XV, P. 27. Sur

la problematique de l'amourdivin dans la theologie musulmane, voir J. N. Bell,

Love.

14. Ahmad b. Muhammad b. Harun al-Khallal, plus connu sous Ie nom d'Abu Bakr

(m. 3111923), auteur du premier grand corpus de droit du Hanbalism, Voir H.

Laoust, art. Al-Khallal, in Ene. De l'Islam, Nouv. ed., t. IV, P. 1022.

15. Muhammad b. al-Husayn ibn al-Farra, plus eonnu sous le nom de cadi Abu

Ya'la (380/990-458/1066), theclogien han-balite de Baghdad. Voir H.Laoust, art.

Ibn al-Farra, in Ene. De I 'Islam, Nouv. ed., 1. III, P. 788-790.

16. Abu l-Ma'ali 'Abd al-Malik al-Juwayni, Imam al-Haramayn, (Bushtanikan, pres

de Naysabtlr, 41911028-478/1085), Docteur Shafi'ite et theologien ash'arite,

maitre d'Abu Hamid al-Ghazali. Voir C. Brockelmann-L, Gardet, art. al-

Djuwayni, in Ene. De l'Islam, Nouv. ed., t. II, P. 620-621.

17. Sur l'heretique Ja'd b. Dirham et son execution en 1241742 au 1251743, voir G.

Vajda, art. Ibn Dirham, in Ene. De I'Islam, Nouv, ed., t. ill, P. 770-771.




« Les Jahmites ont nie la rea-lite de l'amour [entre Je cree et Dieu], des deux cotes,

soutenant qu'il n'y a amour que du fait d'un rapport imundsaba) entre l'amant et

I'aime et qu'il u'y a point de rapport, entre Ie preeternel et l'advente, qui

necessite l'amour, Le premier qui introduisit cette innovation dans l'Islam fut

Ja'd b. Dirham, au debut du deuxieme siecle [Ixe s.], qu'immola Khalid b. 'Abd

Allah al-Qasri, l'emir du 'Iraq et de l'Orient, a Wasit. Le jour du sacrifice, i1

s 'adressa aux gens et leur dit: « 6 les gens, immolezl Dieu acceptera vos

sacrifices. Quant a moi, jimmclerai Ja'd b. Dirham, qui a prerendu que Dieu

n'avait pas adopte Abraham comme ami, ni adresse la parole a Moise. » Puis il

descendit [de la chaire] et l'immola. AI- Jahm b. Safwan tenait de lui cette

doctrine. IlIa fit connaitre, disputa pour 1adefendre et ce que disent les JaJunites

lui fut attribue, Salam b. Ahwaz, l'emir du Khurasan, le tua a cause d'eUe. Cette

[doctrine] passa ensuite aux Mu'tazilites » (Ibn Taymiyya, ME, t. X, p. 66-67 ;

notre trad, Textes spirituels XV, p. 26-27).

18. Sur Jabm b. Safwan, Abu Muhriz (ob, 1281746), voir W.Montgomery Watt, art

Djahm b. SafivCinet Djahmiyya in Ene. De l'Islam, Nouv. ed., t. II, P. 398-399.

19. Abu l-Qasim 'Abd al-Karim b. Hawazin al-Qushayri (Ustuwa, 376/986 -

Naysabur, 465/1072), mystique Shafi'ite Ash'arite, auteur d'un des principauxtraits anciens de soufisrne: al-Risdla -L 'Epitre. Voir H. Halrn, art. al-Kushayri,

in Enc. De l'Islam, Nouv. ed., t. V, P. 530-531.

20. Abu Talib Muhammad b. 'All I-Harithi I-Makki (m. Baghdad, 386/996),

mystique auteur d'un des grands traites de soufisrne: Qut al-quliib - La

nourriture des coeurs. Voir L. Massignon, art. Abu Talib, in Enc. De l'Islam,

NOllV. ed., t. I, P. 157.

21. Que Dieu, l'Existant necessaire, est aimant ('ashiq) et aimable (rna 'shuq) est une

these courante de Ia theologie desfala-sifa, notamrnent d'Avicenne.

"L'Existant necessaire se trouve au degree uItime de la perfection, de la beaute et de

la splendeur. II intellige Son essence comme se trouvant en ce degre ultime, en

cette beaute et en cet eclat; cela, en une intellection accomplie, 1'in-telligent et

I'in telligible etant joints en tant qu'ils sont un en realite, Son essence est done

par essence ce qui aime le plus et ce qui est Ie plus aimable, ce qui est le plus

plaisant et ce qui trouve Ie plus de plaisir" (Ibn Sina, Mabda, ed, Nurani, P. 17-

18). Avicenne a repris ce texte dans le Shifd et Ia Najdt.

22. Ibn Taymiyya, Nubuwwdt, P. 45-46; notre trad, Textes spirituels XVI, P. 25.



460 Yahya M. Michot

23. .Abu I-Hasan al-Ash'ari (Basra, 206-873 -Baghdad, 324/935) , theologien du

Kaldm. Voir W. Montgomery Watt, art. al-Ash 'ari, in Enc. De l'Islam, Nouv,

ed., t. I, P. 715-716.

24. Abu Isma'il 'Abd Allah b. Muh. Al-Ansari l-Harawi (Heart, 3 96/1006 - 481-

1089), Soufi hanbalite. Voir S. DE Beaurecueil, art. al-Ansari, in Enc. De

I 'Islam, Nouv. ed., t. I, P. 531.

25. Abu Bakr Muh. B. Abd Allah al-Ma'afiri, Ibn al-IArabi (Seville, 468/1076 -

region de Fes, 543/1148), traditionniste qui fut a Baghdad l'eleve d'al-Ghazali.

Voir J.Robson, aJ.1.Ibn al - 'Arabi, in Enc . De I 'Islam, Nouv. ed., t. ill,p. 729.

26. Abu l-Wafa, al-Baghdadi al-Zafari (Baghdad, 431/1040 - 513/1119), juriste et

theologien hanbalite. Voir G.Makdisi, art. Ibn Akil, in Enc. De l'Islam, NOllY.

ed., t. III, P. 721-722.

27. C'est la position du theologien Ash'arite basriote Abu Bakr al-Baqillani (ob.

40311013) ; voir lBell, Love, P. 57.

28. Al-Shirazi, S. D., Mabda' , P. 155-160.

29. Al-Ghazali.Ihya, ed. Moussali, P. 72-76 (trad, P. 125-131); ed. Du Caire, t. IV,

P. 318,1.5-320,1.6.

30. Coran, V, 54.

31. Coran, LXI,4.

32. Coran, n, 222.

33. Coran, II, 222.

34. Cornu, LXI, 4.

35. Cornu, V, 18.

36. Coran, II, 222.

37. Coran, III, 31.

38. Hadith qudsi dis «des eeuvres surerogatoires » (nawiijif) au « des Amis »

(awiiya'). Voir Al-Bukhari, al-Sahih, al-Riqdq, btib 38 (BouIaq, t. VIII, p. 105) ;

Ibn hanbal, al-Musnad, t. VI, p. 256, 11 se termine ainsi : « il voit, sa main par

Iaquelle il attrape, son pied par Iequel il rnarche, Par Moi done ilentend, par Moi

il voit, par Moi il attrape et par Moi il marche, S'il Me demande [quelque chose],

je [Ie) lui donne certainement, et s'iI cherche refuge aupres de Moi, je le lui

accorde. En rien de ce que Je fais, Je n'hesite cornme j'hesite a saisir l'ame de

Mon serviteur croyant. II hait la mort et je hais de lui faie mal. II lui faut

cependena timmanquablement [mourn]. »




39. Jar Allah Mahmfld b. 'Umar al-Zamakhshari (ob. 538/1144), exegete et

theologien Mu'tazilite, « L'amour (mahabba) des serviteurs pour leur Seigneur,

c 'est Lui obeir et rechercher Son contenternent, et ne rien faire qui entrainerait

necessairement Sa colere et SOilchatiment » (Al-Zamakhshari, Kashshdf, t. I, p.

621 , a propos de Coran, V, 54).

40. Notamment al-Zamakhshri : «L'amour (malwbba) de Dieu pour Ses servireurs,

c'est qu'Il les recompense de la plus belle recompense pour leur obeissance et

qu'Il Ies honore, qu'Il fasse leur eloge et qu'il soit content d'eux» (Kashsluif, t.

I, p. 621, a propos de Coran, V, 54).

41. T an taliq G , yu tla q M

42. Muh§1 : majal G

43. Abu Sa'id Fadl Allah b. Abi l-Khayr, Sufi (Mayhana, Khurasan, 357/967-

44011049) ; voir H. Ritter, art. AbU Sa'id b. Abi l-Khayr, in Enc. de l'Islam,

Nouv, ed., t. 1, p. 150-151, et C.E. Bosworth, art. Mayhana, ill Ene. de l'Islam,

Nouv, Ed., t. VI, p. 906.

44. Coran, V, 54.

45. yujawixu G, yatajiiwazu M

46. al-azal M: al-awwal G

47. udifa G :udifat M

48. udifa G : udifat M

49. C'est-a-dire l'amour divin en tant que rapporte a la volonte eternelle de Dieu.

50. C' est-a-dire I'amour divin en tant que rapporte a I 'action de Dieu.

5!. Coran, XIII, 39.

52. ilay-hi G: iyya-hu M

53. bi-quwwati-hi et bi-qurbi-hi our des graphies tres semblables. M resulte peut-etre

d'une rnauvaise lecture de G.

54. ilay-hi G : iyya-hu M

55. Traduction incertaine, li-l-istinjdd hi-hi et li-islf}tld bi-wajh ant des graphies tres

semblables. M resulte peut-etre d'une mauvaise lecture de G

56. iqtada raf' M : uqtudiya wa rufi'a G

57. tawassala G, wasala M

:;8. Comparere per exernple Mabda' , p. 431, 1. 11 - 432, 1 . 5 a Ikhwan al-Safa',

Resd'il, ed, du Caire, t. III, p. 292, 1. 5-22 ; ma trad, Resurrection, p. 131.

59. Comparere per exemple Mabda', p. 432, 1. 15-25 itAl-GhazaIl, Madniin, p. 157,

l.10- 19 et Mabda', p. 433, 1. 5- 16 a Al-Ghazali, Madnun, p. 158, 1. 2- 14.



462 Yahya M. Michot

60. Voir J. N. BELL, Love .

61. Sur ces deue types de volcnte divine, voir les textes d'Ibn Taymiyya traduits

dans notre Textes sp ir i tue ls II.

62. Al-Shirazi, S. D., Mabda', p, 420.

63. Al-Shirazi, S. D., Mabda', p. 396.

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[Textes spirituels XV].-,Textes spirituals d'Ibn Taymiyya. XVI: La realite de l'amour (mahabba) de Dieu

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Wujuh. al-Ta 'wit, 4 t., Beyrouth, Dar al-Fikr, 1397/1977. [Kashshaj].

Resume

Dans les Asfdr, Mella Sadra parle longuement de I'amour ('ishq) des creatures pour

Dieu mais ne consacre expliciternent aucun chapitre a I'amour de Dieu pour Ses

creatures et, particulierement, I'homme, L'amour divin fait egalement l'objet

d'un traitement minimal dans des textes aussi importants que Les Penetrations

metaphysiques et La Sagesse du Trone.



464 Y ahya M . Michot

La situation est differeute dans Le Livre de fa Genese et du Retour, a u quelques

pages sont consacrees aux "modalites de l'amour (mahabba) du Tres-Haut pour

les creatures" (ed, Ashtiyani, P. 155-(60).

On analysera ces pages en reference ala problernatique de 1amour divin telle

qu'elle s'est developpee dans la theolgie du KalamIl apparaitra ainsi que Mella

Sadrii y reutilise, sans foumir aucune reference, un passage du Livre de l'omour

de l'lhyd', Vile comparaison precise du texte origina 1d' al-Ghaza liet de la

"variation" que Molla Sadri! en propose conduira Ii . diverses remarques, 1 1 0 1 1

seulement sur la methodologie du Sage de Shiraz dans ces pages du Livre de la

Genese et du Retour mais, en rapport avec les Asfdr, sur sa theosophie de

I'amour subjectif de Dieu.

yahya michot, l'amour de dieu dans le kitâb al-mabda' wa l-ma‘âd de mollâ Ṣadrâ

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