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Honor d'Urf, L'Astre - Troisime partie - Format Microsoft Word.Version moderne base sur l'dition de 1621 (Deux visages de L'Astre, http://astree.tufts.edu).L'original se trouve la Watkinson Library, Trinity College, Hartford, CT, E.-U.(PQ 1707.U7).

L'Astre d'Honor d'UrfTroisime partie

Livre 1

dition de 1619, 1 recto.dition de Vaganay, III, p.11.

[ III, 1, 1 recto ]

DEPUIS que la dlibration fut faite parmi les bergres de Lignon d'aller dans trois jours toutes ensemble visiter la dguise Alexis, Amour,"qui se plat tourmenter avec de plus cuisantes"peines ceux qui le servent et qui l'adorent"avec plus de perfection, commena de faire ressentir la bergre Astre de certaines impatiences qui se pouvaient dire aveugles, et desquelles

[ III, 1, 1 verso ]

elle et pu malaisment donner quelque bonne raison; car l'on en et bien peut-tre trouv quelqu'une au violent dsir qu'elle avait de voir Alexis, parce qu'on lui avait rapport que son visage ressemblait celui de Cladon, si la rsolution de l'aimer n'et point d'abord proccup l'esprit de cette sage fille, ou plutt si cette rsolution n'et point t devance par une amour dj grande et impatiente. Et sans doute l'on peut dire qu'elle tait ne, cette nouvelle Amour, puisque tous les effets qu'une naissante affection a accoutum de produire se trouvaient ds lors en l'me de cette nouvelle amante, de sorte que les trois jours qui avaient t pris pour faire ce tant agrable voyage et qu'elle nommait trois sicles de longues et fcheuses annes, lui semblaient si longs qu'elle et bien voulu que sa vie et t d'autant abrge, pourvu que le jour si dsir vnt tant plus tt lui donner le contentement qu'elle esprait. Mais lorsqu'Alexis sut par son frre que vritablement Astre devait la visiter dans si peu de temps, quel sursaut fut celui de cette dguise Druide? Elle ressentit tout coup deux bien diffrentes passions, encore qu'un mme sujet les et produites dedans une mme me: sa joie ne fut pas petite de penser que dans si peu de jours elle jouirait de l'agrable vue de sa bergre et pourrait l'entretenir, encore que sous ces habits emprunts; mais sa crainte n'tait gure moindre quand elle pensait que si elle tait reconnue sa matresse aurait occasion de l'accuser

[ III, 1, 2 recto ]

de dsobissance et d'avoir contrevenu ses commandements, faute qu'elle n'et voulu commettre pour la perte mme de sa vie, et reproche qu'elle n'et pu souffrir sans la mort; car, ayant conserv son affection jusques en ce temps-l pure et exempte de toute sorte de blme, elle et beaucoup plutt choisi de n'tre plus que de la noircir de la moindre tache d'infidlit ou de peu de respect. Et toutefois, suivant la coutume de ceux qui aiment bien, elle retenait plus souvent ses pensers sur les agrables images que son espoir lui reprsentait que sur celles de la crainte, si bien qu'elle commena de trouver le terme de trois jours trop recul, et accusait en son impatience ceux qui l'avaient ainsi ordonn sans raison. Que si Lonide qui savait tous les secrets de son cur, et qui semblait tre destine n'avoir jamais ce qu'elle dsirait mais contribuer seulement toute sa peine et toute son industrie au contentement d'autrui, n'eut par ses doux entretiens et par ses complaisances ordinaires accourci la longueur de ses jours ennuyeux, elle et pass sans doute une assez fcheuse vie. Mais combien cette attente et-elle t beaucoup plus difficile toutes deux, si le berger eut su l'impatience d'Astre, et si Astre eut t assure que ce n'tait pas la ressemblance de son berger, mais son berger mme qu'elle verrait o elle allait chercher cette Druide! Et considrez combien Amour"est mauvais matre, et combien il paye mal la"peine de ceux qui le servent: il donne ces"

[ III, 1, 2 verso ]

Amants tout ce qu'ils sauraient dsirer, car il fait qu'ils meurent d'amour l'un pour l'autre, et il n'y a point de dsir en leur me plus ardent que celui de cette rciproque volont. Mais, comme s'il tait jaloux que les humains jouissent de ces contentements qui sont les plus grands que les Immortels puissent avoir, il veut qu'ils ignorent le bien qu'il leur fait et que, dans cette ignorance, ils n'en jouissent point; car Cladon ayant t si cruellement condamn un ternel bannissement que pouvait-il accuser de cette injustice que le changement de l'amiti de sa bergre? Et Astre, l'ayant vu prcipiter dans les eaux de Lignon, et depuis ayant eu opinion que son esprit tait revenu vers elle lorsqu'elle dormait, que pouvait-elle penser sinon que l'amour du Berger n'ayant pu souffrir la cruaut de son commandement il avait recouru la mort pour fuir l'insupportable sentence de son courroux? Et cette considration la tourmentait de si grands repentirs qu'elle tait fort peu souvent seule qu'incontinent les soupirs ne tmoignassent le regret de son me, et les larmes, le cuisant dplaisir qu'elle en avait. Le jour enfin tant impatiemment dsir fut devanc et par cette nouvelle Druide et par la nouvelle Amour d'Astre, parce que toutes les deux, ne pouvant attendre le lever du Soleil, sortirent du lit ds la premire clart de l'Aurore. Cladon, qui fut le plus diligent, ne pouvant trouver repos dans les plumes du sien et accusant le Soleil d'tre paresseux, appelait et conjurait

[ III, 1, 3 recto ]

l'Aurore d'ouvrir promptement les portes du Ciel afin de donner commencement ce jour bienheureux et si longuement attendu. Et parce que sa lumire ne paraissait point encore, il chanta dans le lit mme tels vers:

SONNET.Sur une attente.

Moments paresseux trans si lentement, jours longs venir, longs clore vos heures, Qui vous tient endormis en vos tristes demeures? Vous souliez autrefois couler si vitement.

Ciel qui tranes tout avec ton roulement, Et qui des autres Cieux les cadences mesures, Dis-moi qu'ai-je commis, et par quelles injures T'ai-je fait allantir ton lger mouvement?

Moments, vous tes jours, jours vous tes annes, Qui de vos pas de plomb n'tes jamais bornes Que les sicles plus longs vous n'alliez galant.

Pnlope de nuit dfaisait sa journe; Je crois que le Soleil va ses pas rappelant Pour prolonger le jour et ma peine obstine.

[ III, 1, 3 verso ]

Cependant que le Berger se plaignait de cette sorte, le temps s'coulait et peu peu faisait approcher l'heure de la premire clart du jour, qui ne donna pas si tt par les vitres dans sa chambre que le berger, devenant Druide en prenant les habits d'Alexis elle laissa le nom de Cladon pour celui de la fille d'Adamas. Trop heureuse en ce changement si elle eut pu aussi se dpouiller de la passion qui la faisait dguiser de cette sorte! Mais le cur de Cladon, qui sous ces habits emprunts ne laissait de lui demeurer dans l'estomac, n'et jamais consenti ce change, non pas mme quand la mort l'et voulu ravir du lieu o il tait. Vtu donc des habits d'Alexis, aussitt que la porte du logis fut ouverte, il s'en alla tout seul dans un petit bocage qui regardait sur la plaine, et d'o se pouvait remarquer presque tout le cours de la dlectable Rivire de Lignon. Mais aussitt qu'il y eut jet les yeux dessus, combien les arrta-t-il promptement sur l'endroit o demeurait Astre, et se reprsentant l'heureuse vie qu'il avait passe en ce mme lieu lorsqu'en ses propres habits, et non point sous un nom emprunt, il lui tait permis d'tre auprs de sa bergre. Que de soupirs lui droba cette pense, et que d'agrables souvenirs lui remit-elle en la mmoire! Il s'allait une une redisant les favorables rponses qu' diverses fois sa bergre lui avait faites, lorsque quelquefois, press d'amour, il la suppliait de lui donner quelque assurance de sa bonne volont, ou quand la crainte le gelait de peur qu'enfin la haine de

[ III, 1, 4 recto ]

leurs parents ne prvalt par-dessus ses services. L ne furent oublies les traverses d'Alcippe et d'Hippolyte, ni les contrarits d'Alc, ni le courroux de leurs parents, ni les longs voyages qu'on lui avait fait faire, ni les finesses que l'Amour lui avait enseignes, ni la constance qu'Astre avait toujours fait paratre en toutes les difficults qui s'taient prsentes, ni bref une seule chose qui lui pt tmoigner qu'elle l'avait aim. Et aprs considrant ce qui lui tait advenu lorsqu'elle le bannit de sa prsence, et cherchant des yeux le lieu malheureux o il reut cette rigoureuse ordonnance: -Le voil bien, dit-il, le montrant du doigt, l'endroit destin me ravir tous mes contentements et donner naissance tous mes ennuis! Mais, s'criait-il aprs tre demeur quelque temps les bras croiss et sans dire mot, mais est-il possible que d'une si grande affection il soit procd une si grande haine, d'une si grande constance un si grand changement, et d'un si grand bonheur un dsastre si peu attendu? Et lors se taisant comme s'il et considr avec admiration la diffrence qu'il y avait de sa vie passe celle qu'il allait tranant, et bien,reprenait-il un peu aprs, et bien, elle est vritablement trs grande cette diffrence que tu admires, mais tu en dois tre moins tonn que de voir que tu sois encore en vie aprs avoir perdu tout ce qui te pouvait donner quelque volont de vivre.Astre cependant, qui de toute la nuit n'avait pu clore l'il, ne vit pas plutt paratre la premire blancheur de l'Aurore que, se jetant

[ III, 1, 4 verso ]

bas du lit, elle s'habilla en diligence, et s'en alla avec la mme hte trouver ses compagnes qui, n'ayant pas tant de passion qu'elle, reposaient aussi avec moins d'inquitude. Et quoiqu'en y allant elle vt Silvandre au carrefour de Mercure, qui tait couch dessus les marches du Terme, si est-ce que, pour ne perdre un moment de temps, elle ne voulut parler lui afin d'tre plus tt vers ces deux chres amies qu'elle croyait bien encore trouver endormies, mais qu'elle esprait de faire hter tant plus tt qu'elle y serait. Et d'effet les ayant trouves bien avant encore dans leur sommeil (car expressment ce jour elles avaient couch ensemble) elle les veille, les appelle paresseuses,