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Eric MAURIN, La peur du déclassement, une sociologie des récessions, Seuil, république des idées, 2009. INTRODUCTION : Éric Maurin distingue deux notions que l'on peut parfois confondre : le déclassement : « phénomène de rupture qui conduit un individu à perdre sa position sociale » et qui est une « réalité pressante et sensible » ; et la peur du déclassement, « phénomène encore plus décisif […] qui, en gouvernant l'imaginaire des individus et des groupes, commande de très nombreux comportements et mouvements sociaux ». Aussi en s'intéressant aux phénomènes de crises et de récessions qui caractérisent la période 1975-2008, et en s'appuyant sur L'Enquête emploi de l'INSEE, Maurin analysent comment les récessions « façonnent les sociétés en accentuant leur propension au pessimisme et au conservatisme social ». CHAPITRE I – L'émergence d'une société à statut : La période après-guerre, caractérisée par une prospérité économique et un faible taux de chômage, voit naitre une société de salariés « à statut », où les travailleurs sont protégés par les entreprises. Le choc pétrolier de 1973 bouleverse ce nouvel équilibre et un compromis social, notamment composé de nouvelles formes de contrats- voit le jour. La protection des emplois face à la montée du chômage (1945-1974) Le système de protection des emplois se construit en plusieurs étapes et instaure une sorte de tradition spécifique : l'ordonnance du « contrôle de l'emploi », assure une sécurité de l'emploi (main d'œuvre en nombre suffisant, contrôle procédure de licenciement etc.) dans les secteurs jugés prioritaires pour le reconstruction de l'économie, est mise en place en mai 1945 ; à cette même époque, les comités d'entreprises deviennent les intermédiaires privilégiés entre les salariés et le patronat ; un accord interprofessionnel de 1969 donne la priorité aux travailleurs possédant déjà un emploi plutôt qu'à ceux qui sortent juste de la formation; en 1973 la notion de « contrat de travail » fait surface et assure une protection aux salariés. La récession de 1993 engendre une loi obligeant l'employeur à définir et négocier des plans de reclassement avec ses employés. Des garanties de progression salariale Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG, indexé sur le coût de la vie) assure à l'origine -années 50- un revenu minimum et une protection aux travailleurs. En 1970, la création du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC, indexé sur le salaire moyen) a pour but de réduire les inégalités entre les salariés au sein même de l'entreprise ; et les effets positifs sont rapidement visibles : le ratio entre le salaire minimum et le salaire médian passe de 1 sur 4 1 sur 3. Le problème du chômage des jeunes subsiste.

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Eric MAURIN, La peur du dclassement, une sociologie des rcessions,

Seuil, rpublique des ides, 2009.

INTRODUCTION :

ric Maurin distingue deux notions que l'on peut parfois confondre : le dclassement : phnomne de rupture qui conduit un individu perdre sa position sociale et qui est une ralit pressante et sensible ; et la peur du dclassement, phnomne encore plus dcisif [] qui, en gouvernant l'imaginaire des individus et des groupes, commande de trs nombreux comportements et mouvements sociaux. Aussi en s'intressant aux phnomnes de crises et de rcessions qui caractrisent la priode 1975-2008, et en s'appuyant sur L'Enqute emploi de l'INSEE, Maurin analysent comment les rcessions faonnent les socits en accentuant leur propension au pessimisme et au conservatisme social.

CHAPITRE I L'mergence d'une socit statut :

La priode aprs-guerre, caractrise par une prosprit conomique et un faible taux de chmage, voit naitre une socit de salaris statut, o les travailleurs sont protgs par les entreprises. Le choc ptrolier de 1973 bouleverse ce nouvel quilibre et un compromis social, notamment compos de nouvelles formes de contrats- voit le jour.

La protection des emplois face la monte du chmage (1945-1974)

Le systme de protection des emplois se construit en plusieurs tapes et instaure une sorte de tradition spcifique : l'ordonnance du contrle de l'emploi, assure une scurit de l'emploi (main d'uvre en nombre suffisant, contrle procdure de licenciement etc.) dans les secteurs jugs prioritaires pour le reconstruction de l'conomie, est mise en place en mai 1945 ; cette mme poque, les comits d'entreprises deviennent les intermdiaires privilgis entre les salaris et le patronat ; un accord interprofessionnel de 1969 donne la priorit aux travailleurs possdant dj un emploi plutt qu' ceux qui sortent juste de la formation; en 1973 la notion de contrat de travail fait surface et assure une protection aux salaris. La rcession de 1993 engendre une loi obligeant l'employeur dfinir et ngocier des plans de reclassement avec ses employs.

Des garanties de progression salariale

Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG, index sur le cot de la vie) assure l'origine -annes 50- un revenu minimum et une protection aux travailleurs. En 1970, la cration du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC, index sur le salaire moyen) a pour but de rduire les ingalits entre les salaris au sein mme de l'entreprise ; et les effets positifs sont rapidement visibles : le ratio entre le salaire minimum et le salaire mdian passe de 1 sur 4 1 sur 3. Le problme du chmage des jeunes subsiste.

Un modle pris revers (1974-1979)

La raction immdiate des autorits franaises face aux grandes difficults conomiques est conservatrice : stabiliser les emplois, assurer le pouvoir d'achat des salaris, protger la cohsion sociale. Aprs la rcession de 1975, le taux de chmage des jeunes continue monter : parmi les jeunes arrivs depuis moins de 5 ans sur le march du travail, 13% taient au chmage en 1975 contre 22% en 1980. Pourtant, les gouvernements ne changeront le systme de protection que bien plus tard. Un module complmentaire est mis en place pour les arrivants sur le march du travail : ce statut intermdiaire peut tre peru comme discriminant, car, manipul par des employeurs cherchant une main d'uvre prcaire ; ou bien comme une chance donne ces salaris priphriques pour s'intgrer sur le march du travail.

L'mergence de nouveaux statuts

En 1979, le contrat dure dtermine (CDD) est sign pour un travail saisonnier. Le stigmate qui lui est attribu -comme indicateur de prcarit- est discutable : en effet, ce type de contrat confre une forme de statut, qu'il s'agit de distinguer de celui confr par le chmage. Chiffre l'appui, des personnes en CDD ont plus de chances d'obtenir un CDI que d'tre au chmage. Les diffrents types de contrats perptuent finalement une forme trs franaise d'ingalits entre les individus.

La peur de tout perdre

La socit franaise est une socit de rangs qui doivent se conqurir grce aux statuts les plus prestigieux. La perte de statuts stables et reconnus est trs prsente et pourrait constituer un choc, mais plus rares sont les personnes concernes par un tel dclassement. Dans ce cas, les rcessions sont des moments o s'approfondit le foss entre ceux qui luttent contre le remise en cause des protections anciennes et ceux pour qui s'loigne soudain toute perspective d'intgration sociale.

Les ingalits de statut face aux rcessions

La part des CDD dans l'emploi est d'environ 7% -on ne peut par consquent pas parler de prcarisation massive de l'emploi-. Les contrats sont porteurs de diffrents statuts : les personnes en CDD, selon la conjoncture conomique, verront leur statut fortement varier tandis que les personnes en CDI verront leur perspective d'avenir menace.

La relgation de la jeunesse

Lessentiel des chocs conomiques est directement encaiss par les nouveaux arrivants. : en effet, le critre de l'anciennet est protecteur. Entre 2001 et 2006, le nombre de chmeurs ayant moins de 5ans d'anciennet sur le march du travail augmente 13,3 fois plus que les personnes ayant entre 10 et 15 ans d'anciennet. Les consquences politiques sont visibles : une dfiance politique (Le Pen au deuxime tour en 2002), abstention etc.

Une peur part

Le modle social franais a pour caractristique de rpartir trs ingalement l'ingalit sociale selon le degr de protection que confre le statut. La menace du dclassement frappe toutes les classes. Les cadres y compris : Leurs enfants ne maintiennent leur rang qu'au terme d'un lutte scolaire incertaine et sans merci. Le bouleversement de la fin des annes 70 et du dbut des annes 80 -au del de l'aspect conomique- a provoqu un changement de civilisation industrielle, caractris par l'individualisme, le dclin du syndicalisme, la mise en concurrence des travailleurs dans les entreprises etc.

CHAPITRE II Anatomie d'une rcession : le choc de 1993 :

Les dsillusions de la dmocratisation scolaire

Entre 1992 et 1994, le nombre de chmeurs parmi les jeunes ayant quitt l'cole depuis moins de 5ans s'accroit de plus de 30%. Le nombre de diplms est multipli par deux, et pourtant le chmage frappe les jeunes diplms du suprieur.

La fonction publique comme refuge

Sous l'effet de la dmocratisation scolaire des annes 80 combin l'accroissement brutal du chmage dans le secteur priv, les jeunes diplms cherchent une place dans la fonction publique qui confre un statut stable : entre 1993 et 2003 double dans les secteurs priv et public, passant de 220 000 440 000 pour le premier, et de 120 000 240 000 pour le second.

Au fondement de la fracture entre public et priv

Au sein des entreprises, les emplois sont soumis des fluctuations importantes -et pas ncessairement en rponse aux variations conomiques-. La formation des arrivants influence les stratgies de recrutement des entreprises. Si le nombre de travailleurs dans le secteur a t multipli par deux, le nombre de postes pour cadres a galement t multipli par deux dans les annes 90. De plus un phnomne singulier merge -consquence de la rcession- : les nouvelles gnrations de fonctionnaires sont surdiplmes, non seulement par rapport aux gnrations prcdentes, mais galement par rapport aux gnrations du priv. Il y a un dsquilibre indit entre les niveaux de formation des salaris du public et le niveau de leurs emplois, ainsi qu'une divergence entre leurs carrires et celles des jeunes diplms du priv.

Une analogie avec les annes 1930

Lors de crises, une agression symbolique est porte aux statuts des fonctionnaires ; il en fut ainsi durant la crise des annes 30 o les gouvernements radicaux puis de droite s'appuyant sur un sentiment antifonctionnaire, ont mis en place des rformes rduisant les salaires de fonctionnaires (1933 Daladier, 1935 Laval) etc. Durant les crises, compars aux classes moyennes du priv, les salaris su public semblent tre une des rares catgories qui sortent relativement indemnes -en terme de salaires- de ces priodes. De nos jours cependant, les petits et moyens fonctionnaires sont rvolts et s'insurgent des agressions symboliques dont ils font l'objet.

Le refus du dclassement

Lors de projets de rformes de l'tat, les nouvelles gnrations de fonctionnaires anticipent un dclassement, particulirement injustice ds lors qu'entre en compte le sacrifice qu'ils ont fait en terme de dqualification afin d'obtenir le statut de fonctionnaire. C'est sous cet angle qu'il faut comprendre le mouvement social de 1995.

Essor d'un syndicalisme de rsistance

Un courant radical oppos la cogestion et aux rformes voit le jour suite la rcession de 1993. Le mouvement de 1995 -raction aux plans Jupp- voit naitre des nouveaux syndicats solidaires, unitaires et dmocratiques (SUD), en contre pied avec les syndicats traditionnels.

Le rejet de l'Europe et du rformisme libral

Le oui pour le trait de Maastricht en 1992 avait mis au jour une fracture sociale entre les diplms qui soutenaient le oui et les non-diplms qui soutenaient le non. Or, avec la dmocratisation, la part des diplms a considrablement augmente.

Anatomie du non au trait constitutionnel

Le basculement du ou au non s'explique notamment par les diffrences au sein mme des classes, en particulier des classes moyennes du priv et du public. En effet, dans les annes 90 les classes moyennes du priv ont beaucoup plus craindre de l'ouverture des marchs la concurrence internationale que celles du public. Mais cette opposition disparat dans les annes 2005 et la classe moyenne dans sa totalit vote non. C'est l'engagement des syndicats SUD en faveur du non qui engendr le bouleversement.

CHAPITRE III La valeur des diplmes en question [p.52]

Le nombre de diplmes s