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M1 MEEF SES – SOCIOLOGIE -JMR Thème « Intégration et changement social » Leçon 3 : La société salariale en question Questionnement : compléter Comment a évolué l’organisation du travail depuis le taylorisme ? En quoi l’efficacité du travail a t elle partie liée avec la qualité des relations humaines dans l’entreprise ? Quelles conséquences ont les nouvelles formes d’organisation du travail sur la pénibilité des tâches et l’intégration des salariés ? La « société salariale » est-elle aujourd’hui remise en cause par la montée du « précariat » ? Celle-ci conduit-elle à un dualisme sur le marché du travail ou risque-t-elleaussi de « déstabiliser les stables ? ». Plan Notions Hiérarchie, coopération, conflit, taylorisme, fordisme, OST, Nouvelles formes d’organisation du travail, « toyotisme », « lean production » Précarité, formes particulières d’emploi, dualisme, déclassement, désaffiliation.

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Thème « Intégration et changement social »

Leçon 3 : La société salariale en question

Questionnement : compléterComment a évolué l’organisation du travail depuis le taylorisme ? En quoi l’efficacité du travail a t elle partie

liée avec la qualité des relations humaines dans l’entreprise ? Quelles conséquences ont les nouvelles formes d’organisation du travail sur la pénibilité des tâches et l’intégration des salariés ?

La « société salariale » est-elle aujourd’hui remise en cause par la montée du « précariat » ? Celle-ci conduit-elle à un dualisme sur le marché du travail ou risque-t-elleaussi de « déstabiliser les stables ? ».

Plan

Notions Hiérarchie, coopération, conflit, taylorisme, fordisme, OST, Nouvelles formes d’organisation du travail, « toyotisme », « lean production »Précarité, formes particulières d’emploi, dualisme, déclassement, désaffiliation.

Bibliographie Adam SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776

(les trois avantages de la division du travail illustrés par le fameux exemple de la manufacture d’épingles)Frederick TAYLOR, Principes d’organisation scientifique des usines, 1911.

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Henry FORD, Ma vie, mon œuvre, 1926.E MAYO, Hawthorne and the Western Electric Company, 1949.

(l’expérience fondatrice de l’école des relations humaines)Georges FRIEDMANN, Le travail en miettes, 1956.

(approche critique de la division du travail et du courant des relations humaines)Stephen MARGLIN, Critique de la division du travail, Seuil, 1973.

(critique « radicale » des arguments de Smith : la division du travail au service de l’exploitation capitaliste)B. CORIAT, Penser à l’envers, Bourgois, 1991

(autour du modèle « toyotiste »)P. ASKENAZY et al., Les désordres du travail, enquête sur le nouveau productivisme, Seuil, 2004.

(l’auteur invite à déplacer le regard, généralement obnubilé par l'emploi, vers les conditions de travail]R. SENNET, Le Travail sans qualités, Albin Michel, 2000.

(Les conséquences humaines de la flexibilité du travail)V. de GAULEJAC, Travail, les raisons de la colère, Seuil, 2011.

(Analyse critique du néo-management entrainant de nouvelles formes de souffrance au travail)C. BAUDELOT et M. GOLLAC, Travailler pour être heureux ?, Fayard, 2003.

(une vaste enquête sur "le bonheur et le travail en France" montrant les nouvelles formes de pression au travail) R CASTEL, La montée des incertitudes, Seuil, 2009 [inquiétudes sur la pérennité du modèle salarial]O SCHWARTZ, Le monde privé des ouvriers, PUF, 2009.[les effets de la désindustrialisation encore amortis par la prégnance d »une « culture ouvrière »…]S BEAUD et M PIALOUX, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard, 1999[le déclin de la culture ouvrière chez des jeunes menacés de déclassement]E MAURIN, La peur du déclassement. Une sociologie des récessions, Éditions du Seuil, coll. « La république des idées », 2009[aspect subjectif du déclassement à travers l’étude de cohortes frappées par les effets de la récession]B. GAZIER, L’introuvable sécurité de l’emploi, Flammarion, 2006[pour la mise en place de marchés transitionnels d’emploi, forme de flexicurité]

Documents1/ « Les habits neufs du fordisme »   LE MONDE  du  13.10.2013 - Par Jérôme Fenoglio

Depuis quelques années, il s'est glissé des ateliers d'usines aux open spaces des sociétés de services, il s'est insinué dans les couloirs des hôpitaux et a même été aperçu dans les bureaux des administrations. En France, après nombre d'autres pays, il n'existe plus guère de secteur d'activité où le lean management (le "management sans gras") n'ait bousculé les inerties et imposé quelques-unes de ses recettes minceur. Ses promoteurs célèbrent cette progression comme la victoire inéluctable du seul système de production capable de concilier à la fois la satisfaction des clients, le bien-être des employés et les gains de productivité de l'entreprise. Ses détracteurs la déplorent comme l'avènement d'une nouvelle pensée unique, une mode managériale d'autant plus néfaste qu'elle cache son principal objectif - l'intensification du travail des salariés - sous des atours extrêmement séduisants.Dans les entreprises, ces visions divergentes nourrissent des échanges de plus en plus tendus entre syndicats et employeurs. Ces querelles, qui concernent les conditions de travail de millions de salariés, n'ont toutefois guère trouvé d'écho dans le débat public, au-delà de la sphère professionnelle. "Le lean soulève pourtant quelques-unes des grandes questions politiques du moment, constate Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), sur la compétitivité et les moyens de l'atteindre, sur le rapport au travail, sur la gouvernance des entreprises."

LE CLIENT AU COEUR DU PROCESSUS DE PRODUCTIONPour en saisir les enjeux, il faut se transporter très exactement cent ans en arrière. Le 7 octobre 1913, la première Ford modèle T intégralement construite sur une chaîne d'assemblage sort de l'usine de Highland Park (Michigan). Henry Ford parachève ainsi sa propre vision du taylorisme, forme d'organisation scientifique du travail qui repose notamment sur la division des tâches et la standardisation de la pratique des meilleurs ouvriers. Il impose du même coup l'industrie automobile comme le grand laboratoire des systèmes de production pour le siècle qui s'ouvre.

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Cinquante ans plus tard, la réforme du fordisme sort logiquement des ateliers d'un autre constructeur, le japonais Toyota. . "Chaque innovation majeure a été accompagnée par la présentation d'un modèle de société qui rend les efforts des ouvriers acceptables, rappelle Danièle Linhart, sociologue du travail (CNRS). Henry Ford a été considéré comme un possible prix Nobel de la paix parce qu'il avait imaginé une société de la prospérité où ses employés, mieux payés, devenaient les premiers acheteurs de ses voitures. A cette production de la masse pour la masse, le Toyotisme fait succéder une vision de la société individualisée où chaque ouvrier est appelé à participer à l'élaboration des processus de production et à développer son autonomie. " L'autre moteur du changement tient au besoin d'introduire de la variété dans les longues séries produites jusque-là. "Pour schématiser, auparavant, on construisait des voitures identiques, on les entassait sur un parking et on essayait de les vendre, résume Yves Clot. A partir de Toyota, on ne fabrique pratiquement que ce qu'on a déjà vendu. Le client entre dans le processus de production."Ce passage du "flux poussé" vers l'acheteur à un "flux tiré" par le consommateur pose les principes du toyotisme. Tout ce qui ne contribue pas directement à la valeur payée par le client est considéré comme du gaspillage : les stocks doivent disparaître, les délais sont réduits au maximum (pratique du "juste à temps"), les déplacements et gestes inutiles des opérateurs sont éliminés. Pour faire face à la variabilité des productions, et donc à l'apparition d'événements imprévus, l'initiative et la coopération des ouvriers sont requises, là où le taylorisme séparait les individus et les sommait d'exécuter sans réfléchir. Avec l'encadrement, les employés sont associés à la démarche d'amélioration continue du produit, qui se traduit par la mise en place de standards dont l'efficacité est mesurée à tout moment. L'ouvrier est censé gagner en intérêt et en responsabilité personnelle, l'entreprise en qualité et en compétitivité.

DEUXIÈME VAGUE D'ENTHOUSIASME MANAGÉRIALLe lean est l'héritier direct de cette conception. Les chercheurs du MIT qui ont inventé le terme, à la fin des années 1980, se sont simplement attachés à la rendre adaptable en dehors du Japon. Dans la foulée, la théorie connaît sa première phase d'expansion, principalement dans l'industrie automobile. "Elle était surtout utilisée comme un levier par les manageurs qui souhaitaient introduire certaines caractéristiques du toyotisme : le "juste à temps", le "zéro stock" ou la production montre en main, explique Tommaso Pardi, sociologue (ENS Cachan, CNRS), auteur d'une thèse sur l'implantation des constructeurs japonais en Europe. A la fin des années 1990, cet engouement s'est estompé, notamment à cause de la crise des firmes japonaises qui montrait déjà les limites de ce mode d'organisation."Ces limites n'ont toutefois pas empêché une deuxième vague d'enthousiasme managérial, qui ne retombe pas depuis le milieu des années 2000. "Cette fois, les employeurs ne se contentent plus de reprendre un bout de dispositif : ils veulent se lancer dans une réforme complète de leur organisation et mettre en oeuvre le système dans sa globalité", détaille Fabrice Bourgeois, ergonome au cabinet Concilio Ergonomie. Et cette fois, le lean a largement débordé de son milieu d'origine, en direction des services. Les banques et les sociétés d'informatique avaient basculé les premières. Le secteur du commerce, de la logistique mais aussi des hôpitaux ou des service de l'Etat, comme Pôle emploi, ont suivi.Dans l'industrie, les ateliers, resserrés à l'extrême, achèvent leur métamorphose. Aux grandes lignes du travail à la chaîne succèdent les dispositifs en U, où les opérateurs, debout, peuvent accomplir plusieurs tâches. Les matériaux à portée de main ne couvrent jamais plus que les besoins de la journée de travail. Lorsque les commandes décroissent, la production ralentit, le nombre d'opérateurs diminue, chacun accomplissant un peu plus de tâches.

ÉLIMINER LES TEMPS MORTSDans les services, après une longue phase d'observation et de minutage des journées de travail, chaque tâche ou chaque déplacement est standardisé afin d'éliminer les temps morts. Les employés participent à des réunions qui s'attachent à régler les dysfonctionnements repérés.Le grand accélérateur de ce mouvement est évidemment la crise économique. Les services des grands groupes de conseil, les centres de formation ou les cabinets spécialisés en lean management, qui se multiplient, ont achevé de convaincre les hésitants. Sur leur brochures, les gains de productivité et d'espace de travail, souvent à deux chiffres, figurent invariablement en tête des argumentaires. Le lean est présenté comme le principal, voire l'unique levier pour améliorer la compétitivité de l'entreprise."Pour un ingénieur qui ne sait plus comment s'y prendre pour faire baisser ses coûts, c'est très rassurant de voir arriver un conseiller qui garantit à son patron que les objectifs seront largement dépassés. Et c'est très confortable de l'entendre expliquer aux salariés, avec la ferveur d'un missionnaire, que l'application du lean permettra même de lutter contre certaines formes de pénibilité dans le travail. Les outils mis en place, les arguments avancés sont

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tellement convaincants qu'on a envie d'y croire", explique Bertrand Jacquier. Cet ancien ingénieur spécialiste des méthodes de fabrication et de la gestion de la production, passé par des grands groupes et des PME, se considérait comme un "bon soldat du lean" avant de bifurquer vers le camp adverse à force de désillusions. Devenu spécialiste de cette méthode au sein du cabinet Secafi, il conseille la plus grande méfiance aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui ont à examiner des réorganisations.

RISQUES PSYCHOSOCIAUXLe donnant-donnant promis aux salariés par le lean est en effet loin d'être tenu par nombre d'entreprises réorganisées. "Dans la chasse au gaspillage, on a banni les gestes superflus, les déplacements inutiles, explique M. Jacquier. Mais ces quelques secondes sont parfois très utiles pour se détendre la colonne vertébrale, ou penser à l'opération suivante." De fait, dès 2006, un travail du Centre d'étude de l'emploi montrait qu'une organisation en lean pouvait occasionner davantage de troubles musculo-squelettiques (TMS) ou de risques psychosociaux que les organisations classiquement tayloriennes."Le résultat du lean, c'est l'intensification du travail, affirme Tommaso Pardi. En France, sa mise en place conduit à l'exact contraire de ce que la théorie professe : une radicalisation du taylorisme dans les entreprises." Une situation d'autant plus mal vécue par les salariés qu'ils en sont parfois réduits à tricher avec des normes qu'ils ont eux-mêmes contribué à fixer.Les promoteurs de la théorie n'en disconviennent pas. "Le lean a gagné. A notre grande surprise, il a fini par s'imposer dans tous les secteurs d'activité en France. Malheureusement ce n'est pas celui que nous préconisions" , déplore Michael Ballé. Ce pionnier du management "maigre" en France se présente comme un "orthodoxe" de la méthode, forcé par la tournure des événements à distinguer entre le "vrai lean", pratiqué dans un petit nombre d'entreprises au plus grand profit de tous, et le "faux lean", majoritaire dans le pays et souvent appliqué abruptement par des consultants issus d'une industrie automobile connue pour la rudesse de ses rapports sociaux. Selon lui, " l'interprétation dominante vise seulement à améliorer les procédures pour obtenir une réduction des coûts à court terme ". "C'est effectivement un taylorisme poussé à ses derniers degrés, ajoute-t-il, qui n'a rien à voir avec l'esprit du vrai lean, qui vise l'amélioration du produit par le développement des hommes."

"LA QUESTION DU TRAVAIL COLLECTIF"Ces distinguos finiraient par exaspérer Philippe Davezies, enseignant-chercheur en médecine du travail à l'université Lyon-I : "Les consultants devraient se rendre compte que le lean est dévoyé parce qu'il ressemble à toutes les autres modes managériales : c'est un corpus de pratiques où les dirigeants choisissent ce qui les arrange pour faire passer leurs stratégies. Le lean pur n'a jamais existé, même chez Toyota où l'emploi était garanti à vie." Dans ce domaine, la France est toujours très loin du Japon : le recours massif à l'intérim dans les industries entrave pour longtemps l'application stricte d'une méthode qui a besoin de durée et de sécurité pour se déployer.Le chercheur n'en reconnaît pas moins que certaines préconisations au coeur de la théorie, comme la progression continue des compétences personnelles ou le développement d'un tissu relationnel au sein de l'entreprise, seraient bénéfiques pour la santé du salarié. Yves Clot va plus loin : "Le lean ne peut pas être regardé comme une ruse diabolique du management. En préconisant l'engagement des salariés dans leur travail et la coopération entre chacun d'eux, il s'inscrit dans un mouvement profond qui fait émerger la question du travail collectif."Pour le chercheur du CNAM, ce débat est pour l'heure empêché par un certain nombre de spécificités françaises. "Le taylorisme a été implanté en France avec retard, après la seconde guerre mondiale, et avec une brutalité bien supérieure à celle qu'ont connue les autres pays. Il est en train de se passer la même chose avec le lean : les manageurs sont tentés de passer en force avec des versions purement productivistes de la théorie."Pour l'auteur du Travail à coeur (La Découverte, 2010), cette relation empoisonnée entre syndicats et patronat est aggravée par le fait que les politiques ont déserté le monde des entreprises. "Personne ne cherche à rebondir sur les questions soulevées par le lean management, personne ne propose une autre politique de l'offre, fondée sur la relation très particulière que les Français ont au travail. On ne peut pourtant pas continuer à laisser l'entreprise affronter seule, derrière ses murs, son problème de compétitivité avec, comme unique levier, l'abaissement du coût du travail."

Questions :- Quelles sont les principales caractéristiques de l’Organisation Scientifique du Travail théorisée par F.

Taylor ?- Comment ces pratiques ont-elles pu être acceptées par les ouvriers ?- Quels changements introduit le « toyotisme » ?- Pour quelles raisons ces nouvelles méthodes « toyotistes » se sont-elles imposées dès les années 80 ?

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- Qu’appelle-t-on ici la « lean production » ?- Dans quelle mesure peut-on dire qu’il s’agit d’une « radicalisation du taylorisme » ?- En quoi le recours à des emplois précaires (type interim) est-il incompatible avec ce que l’auteur appelle le

« vrai lean » ?

2/ 3/

4/(source INSEE – calcul OFCE)5/ Le toyotisme

6/(source « Charge mentale au travail » Askenazy – 2005)

France - % entrepr.>50 sal. 1992 1998Equipes autonomes 14 38Démarche qualité 45 58Rotation des postes nc 59

7/ 8/

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9/ source : Valeyre in « Paugam « L’intégration inégale » 2014

10/ l’espace des rapports subjectifs au travail (Baudelot « travailler pour être heureux ? »)

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11/

12/ « Emploi : la flexibilité n’est pas le

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remède à la précarité » - Alternatives économiques - mars 2016 par Olivier Passet ; Directeur des synthèses économiques de Xerfi

Pourquoi réforme-t-on le marché du travail en France ? Pour éradiquer un mal bien français. Une tendance à reporter l’essentiel de l’ajustement en temps de crise sur une petite fraction de la population, toujours la même, la plus jeune, la moins diplômée, piégée dans une trappe d’instabilité, d’intermittence, sans espoir de sortie. La plupart des études montrent qu’elle constitue, avec le chômage, la principale source de pauvreté.

Ce constat était au cœur de la prise de position du collectif d’économistes dont Olivier Blanchard, principale figure française de l’approche insiders-outsiders : « Ces inégalités sont insupportables. En réduisant l’incertitude qui entoure le CDI, le projet de loi El Khomri est de nature à changer la donne : c’est avant tout à ces publics défavorisés qu’elle va donner accès à un emploi durable. » Il s’agirait donc de faire basculer les salariés en CDD instables vers des CDI stables. Cette caution académique, laisse cependant dubitatif, car le storytelling proposé comporte encore de nombreuses zones d’ombre.

Une précarité inégalement répartie

Le constat de départ, celui d’une précarité inégalement répartie est irréfutable. Plus des deux tiers des fluctuations de court terme de l’emploi salarié marchand depuis 2008 se concentrent sur l’intérim, alors que le travail intérimaire ne représente que 3 % du stock de l’emploi. Selon l’Acoss, 87 % des nouvelles embauches se font aujourd’hui en CDD et, plus saisissant, 75 % sur des CDD de moins d’un mois.

Ces proportions n’ont certes pas vocation à se retrouver dans les stocks. En stock, les emplois temporaires oscillent depuis près de quinze ans dans une fourchette comprise entre 14 % et 16 % des salariés. Les chiffres d’embauche indiquent donc surtout une précarisation croissante à l’intérieur des CDD, conséquence d’un raccourcissement des durées des contrats, ce qui augmente mécaniquement la fréquence de ce type de recrutements. Tout cela conforte bien l’idée d’une minorité jouant un rôle tampon.

Ce serait l’hypocrisie du système français. Protecteur pour ses insiders, ceux qui sont déjà pourvus d’un emploi stable, il laminerait les conditions d’embauche de toute une frange de la population la plus vulnérable et dépourvue de pouvoir de négociation : soit 3 à 3,5 millions de chômeurs structurels, auxquels il faut ajouter 3 à 3,5 millions de travailleurs temporaires (CDD et intérim). Au total, environ 6 à 7 millions de personnes, sur une population active de 29 millions feraient les frais de la surprotection des autres. Le mot pour le dire est simple. Le marché français est dual, la flexibilité à deux vitesses servant de soupape à un système trop corseté.

Pas de singularité française

L’histoire racontée part bien de symptômes réels, qui se sont considérablement aggravés dans les années 1990. Prétendre en revanche que cette dualité est plus prononcée qu’ailleurs et qu’elle singularise la France est beaucoup moins certain. D’abord, parce que dans les pays anglo-saxons, dérégulés, il n’est pas nécessaire de recourir au CDD pour organiser un turn-over à haute fréquence. Le faible poids des CDD courts dans une économie ne signifie donc pas que ce type d’emplois, à très forte rotation, notamment dans l’hébergement et la restauration mais surtout dans le spectacle, l’audiovisuel, les services informatiques, n’existe pas avec la même fréquence. Le CDD est au fond une forme de précarité contractualisée, encadrée et surtout beaucoup plus repérable.

L’intermittence est-elle pour autant moins prononcée dans les pays dérégulés, et moins génératrice de pauvreté ? Tous les pays qui ont réduit leur chômage l’ont fait sur la base d’un travail dégradé et fragmenté. Selon des modalités diverses certes. Mais il n’existe pas de pays ayant augmenté son taux d’emploi sans accroître la dualité de son marché. La question de la trappe à pauvreté et à précarité traverse ainsi toutes les économies.La plupart des pays ont en revanche préféré la solution des temps partiels courts ou ultracourts à celle des CDD intermittents (concentrant les baisses de charge, comme au Royaume-Uni ou en Allemagne par exemple sur les durées courtes). Mais dans un cas comme dans l’autre, la logique est la même : réduire la quotité horaire de travail par tête des moins qualifiés sur l’année, pour produire numériquement plus d’emplois (un partage des temps donc), avec pour contrepartie une baisse du revenu par tête. La France est ainsi plutôt en bas de l’échelle des pays développés en termes de temps partiels courts et en haut de l’échelle en termes de travail temporaire (CDD et intérim).

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Une dualité généralisée du marché du travail

Part de l’emploi salarié fractionné, travail temporaire et temps partiel court

En dépit de ce choix, l’instabilité de l’emploi est-elle plus prononcée et plus concentrée en France ? Il n’existe aucune étude comparative pour l’étayer à ma connaissance. Mais les indicateurs indirects dont on peut disposer – par exemple la part des personnes occupant un emploi (CDD ou CDI) de moins de six mois d’ancienneté, ou la probabilité de sortie du chômage vers l’emploi, que dope la fréquence des CDD courts à fort turn-over – situent la France dans la médiane des pays avancés.

Part de l’emploi salarié de moins de 6 mois d’ancienneté, moyenne 2010-2014

L’effet « trappe » à contrat court est-il plus prononcé qu’ailleurs ? Là encore, difficile de l’étayer, faute d’étude comparative robuste sur les transitions. En France, sur la période 2002-2008, autrement dit avant crise, le passage par un emploi à durée limitée semblait plutôt un « tremplin » vers l’emploi stable. Ainsi, toutes choses égales ailleurs, un salarié en CDD ou un intérimaire avaient respectivement trois et deux fois plus de chances qu’un chômeur d’accéder à un CDI d’un trimestre à l’autre que de tomber au chômage1. Cette probabilité s’est réduite avec la crise2, mais dans un contexte extrême. Cependant, selon la Dares (pour 2012), la part des emplois

temporaires dans le secteur concurrentiel diminue rapidement avec l’âge, passant de 95 % pour les 17 ans à 24 % pour les jeunes de 25 ans, en raison principalement du poids décroissant de l’apprentissage. La précarité des plus jeunes a donc considérablement augmenté sur vingt ans, mais elle n’est pas définitive. Et rien ne permet d’affirmer qu’elle est plus marquée qu’ailleurs.

Pour terminer sur ce point, méfions-nous aussi du cas espagnol, tellement en vogue chez les commentateurs aujourd’hui, et repris par le collectif mentionné en début de papier. On peut toujours tenter de « marketer » l’Espagne réformatrice de Rajoy, comme pays miracle de la transformation des CDD en CDI. Mais cela ne résiste pas à l’observation des faits. De début 2008 à fin 2013, l’Espagne, c’est 18 emplois détruits sur 100 en début de période dont 7 en CDI et 11 en CDD. Depuis deux ans, c’est 5 emplois reconstitués sur les 18 perdus… dont 2 en CDI et 3 en CDD. Le miracle Rajoy n’est pas exactement ce que l’on essaie de nous faire croire. L’Espagne reste ce pays des grands yoyos de l’emploi, qui n’a connu d’autre miracle que celui du rebond lorsque l’on a touché le fond de la piscine.

L’idée que certains pays sauraient diluer la précarité grâce à la flexibilité est donc une pure posture d’autorité.

1. Givord P. et Wilner L. (2009), « Les contrats temporaires : trappe ou marchepied vers l’emploi stable ? », Document de travail n° G2009/04, Insee, novembre

Questions :- Que savez-vous de l’approche insiders-outsiders à propos du marché du travail ?- Quel est l’intérêt de distinguer stocks et flux dans ce domaine ?

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- Quelles difficultés peut-on rencontrer pour établir des comparaisons internationales dans ce domaine ?- Dans quelle mesure y a-t-il une singularité française dans le (dys) fonctionnement du marché du travail ?- En quoi cela justifierait-il les récents projets de réforme du marché du travail ?- Que faut-il entendre, selon vous, par l’expression « effet « trappe » à contrat court » ?- Comment comprenez vous la dernière phrase conclusive ?

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14/ Evolution du chômage et de la précarité (source insee)

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18/ [Notre base de données est constituée de 403 textes de « contrats de travail » provenant de plus de 300 entreprises appartenant à différents secteurs d’activité. Ce que ces données permettent de saisir (cf. tableau ci-après), c’est avant tout l’augmentation des « clauses de flexibilité » quelle que soit leur source (loi, convention collective ou contrat) ]

Les clauses de flexibilité en évolution (en %)

* Lecture : parmi les contrats de la période 1970-1992, 7,7 % de ceux concernant les salariés « non-cadres » intègrent une clause de polyvalence. Cette proportion est de 17,9 % pour l’ensemble de la période.

Source : Christian Bessy, « Pratiques contractuelles et individualisation de la rupture de la relation de travail », Travail et Emploi, n°114, 2008, p. 71-93.