victoire aprÈs · mais cette victoire ne changera pas ma vie – notamment sur le plan...

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50 POKER MAGAZINE - CARD PLAYER FRANCE EN COUVERTURE « J’ai surtout été content pour le titre », explique Adrien Allain, récent vainqueur du World Poker Tour Am- néville, qui au passage a remporté 336 133 euros. « Figurer parmi les champions du WPT me comble de joie. Mais cette victoire ne changera pas ma vie – notamment sur le plan nancier. En revanche, ce fut bel et bien le cas lors de ma victoire en 2009 à l’Asian Poker Tour Macao. » Âgé alors de 23 ans, le Rennais venais de quit- ter son job depuis six mois pour se consacrer exclusivement au poker. Il jouait surtout sur le Net, le site PKR en particulier. C’est sur cette room qu’il avait gagné un package pour se rendre à l’autre bout du monde et disputer l’APT Macao. Seul, sans famille ni amis. Il termina 1 er , pour un gain d’environ 230 000 euros. Une somme qui correspondait à vingt années de SMIC, avait-il de suite calculé. Très importante pour lui, qui disposait de 40000 euros sur son compte bancaire. «Je me sentais tout léger. J’avais l’impression de mar- cher sur l’eau. Drôle de sensation que d’avoir l’impression, subitement, de devenir riche et célèbre dans le monde du poker. Deux mois plus tard, j’ache- tais une voiture et un duplex dans le centre-ville de Rennes. Le reste, je l’ai mis de côté. Je m’attendais à faire les couvertures des magazines spécialisés et à être rapidement sponsorisé. Ce ne fut pas aussi simple que cela.» Classement français. Adrien Allainse situe à la 18 e place du clas- sement des plus gros gagnants fran- çais en tournoi, selon Hendon Mob (www.thehendonmob.com). Un site de référence qui répertorie les résul- tats issus de la majorité des grands tournois live dans le monde entier. Il réalise aussi des classements par gains, au niveau mondial et par pays. Le clas- sement des plus gros gagnants fran- çais, notamment, que nos confrères de Poker52 détaillent à chaque édition. LA VICTOIRERemporter un tournoi majeur, c’est le rêve de tout joueur de poker. Gloire et richesse sont les deux promesses à la clé. Qu’en est-il vraiment? Comment la vie des gros gagnants a-t-elle été modiée? Les réponses dressent un tableau pas toujours en accord avec les clichés. ET APRÈS ?

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«! J’ai surtout été content pour le titre!», explique Adrien Allain, récent vainqueur du World Poker Tour Am-néville, qui au passage a remporté 336! 133 euros. «! Figurer parmi les champions du WPT me comble de joie. Mais cette victoire ne changera pas ma vie – notamment sur le plan "nancier. En revanche, ce fut bel et bien le cas lors de ma victoire en 2009 à l’Asian Poker Tour Macao.! » Âgé alors de 23 ans, le Rennais venais de quit-ter son job depuis six mois pour se consacrer exclusivement au poker. Il jouait surtout sur le Net, le site PKR en particulier. C’est sur cette room qu’il avait gagné un package pour

se rendre à l’autre bout du monde et disputer l’APT Macao. Seul, sans famille ni amis. Il termina 1er, pour un gain d’environ 230 000 euros.

Une somme qui correspondait à vingt années de SMIC, avait-il de suite calculé. Très importante pour lui, qui disposait de 40!000 euros sur son compte bancaire. «!Je me sentais tout léger. J’avais l’impression de mar-cher sur l’eau. Drôle de sensation que d’avoir l’impression, subitement, de devenir riche et célèbre dans le monde du poker. Deux mois plus tard, j’ache-tais une voiture et un duplex dans le centre-ville de Rennes. Le reste, je l’ai mis de côté. Je m’attendais à faire les

couvertures des magazines spécialisés et à être rapidement sponsorisé. Ce ne fut pas aussi simple que cela.!»

Classement français. Adrien Allainse situe à la 18e place du clas-sement des plus gros gagnants fran-çais en tournoi, selon Hendon Mob (www.thehendonmob.com). Un site de référence qui répertorie les résul-tats issus de la majorité des grands tournois live dans le monde entier. Il réalise aussi des classements par gains, au niveau mondial et par pays. Le clas-sement des plus gros gagnants fran-çais, notamment, que nos confrères de Poker52 détaillent à chaque édition.

LA VICTOIRE…Remporter un tournoi majeur, c’est le rêve de tout joueur de poker. Gloire et richesse sont les deux promesses à la clé. Qu’en est-il vraiment!? Comment la vie des gros gagnants a-t-elle été modi"ée!? Les réponses dressent un tableau pas toujours en accord avec les clichés.

ET APRÈS ?

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LA VICTOIRE…

En tête du classement des 50 plus gros gagnants français (Lire p. 58) trône Bertrand ‘ElkY’ Grospellier, dont le cumul des gains atteint la somme faramineuse de 8 572 354!$. À la 50e place, Nicolas Cardyn, qui totalise 585! 990! $ de gains. Qui sont ces joueurs qui ont le privilège de faire partie de ce Top 50! ? Quel impact leurs plus belles performances ont-elles eu sur leur vie de joueur – leur existence de manière générale!? Qu’ont-ils fait de cet argent!? Ce clas-sement par gains re#ète-t-il vraiment leurs moyens "nanciers!?

Les meilleurs joueurs français en font manifestement partie. Il semble donc réaliste, sur ce plan-là tout du moins. On y trouve beaucoup de joueurs pro, mais aussi des ama-teurs. Magie du poker de tournoi, qui, en raison de la part de chance, laisse la possibilité à tout un chacun de connaître son jour de gloire, de se hisser en haut des Charts. Parmi les amateurs, des joueurs aux pro"ls très différents! : Patrick Bruel (24e), star de la chanson, Christophe Benzimra (35e), homme d’affaires installé en Roumanie, Michel Abécassis, direc-teur éditorial de Winamax (36e) ou encore Antoine Arnault (41e), admi-nistrateur du Groupe LVMH.

Jeunes pousses. Les gros gagnants sont assez âgés, entre 30 et 55 ans – plus que les a"cionados du Net en tous cas. Normal! : les tournois à forts buy-in, susceptibles d’être transformés en gros gains, sont plus à la portée des joueurs ayant déjà construit un capital ou un joli ban-kroll qu’aux jeunes pousses. Pour

«DRÔLE DE SENSATION QUE D’AVOIR L’IMPRESSION, SUBITEMENT, DE DEVENIR RICHE ET CÉLÈBRE. »

« Entre juillet et novembre 2009, avant le début de la table finale du Main Event des WSOP où j’ai ter-miné 3e, j’ai pris conscience de la performance que j’étais en train de réaliser. C’est durant cette période qu’Everest m’a proposé un contrat de sponsoring. Ce résultat a changé ma vie, mon quotidien. Avant, je jouais principalement sur le net à des petits montants. Désormais, je disputais les plus gros tournois au monde en séjournant dans des hôtels de luxe. Je vois beaucoup

moins mes amis car je voyage beau-coup. Mon mode de vie a changé mais pas ma personnalité. Je suis resté simple et naturel. Je n’ai pas acheté de grande villa ni une voi-ture de sport. J’ai aidé ma famille sur le plan financier. Et j’ai placé une grande partie de mon argent en suivant les conseils de mon ban-quier. Dans mon univers, l’argent file à une vitesse folle. J’ai l’obli-gation de bien gérer ma carrière et mon argent si je veux durer sur le circuit. »

ANTOINE SAOUTGAINS CUMULÉS : 3 863 435 $PLUS GROS GAIN : 3 479 670 $ (WSOP 2009)

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l’adrénaline et les émo-tions grandissantes au "l d’un tournoi. J’aime vibrer avec mes proches. Ma-

giques, ces sensations n’ont pas de prix! !!» Michel Abé-

cassis, qui totalise 812!257 dol-lars de gains, assure également

que la compétition l’intéresse bien plus que l’argent!: «!Quand j’ai terminé 3e des EFOP, j’ai d’abord pensé à mon élimination – au fait que j’aurais voulu aller plus loin.!» Même discours dans la bouche d’Antoine Saout, qui en 2009, avait terminé 3e du Main Event des WSOP pour un gain frisant les 3,5 millions de dollars!: «!J’étais chiplea-der lorsque nous n’étions plus que trois mais j’ai perdu un coup où j’étais favori à 80!%. Dix minutes plus tard, j’étais éliminé. En dépit de cette performance historique, de mon énorme gain, j’étais très déçu et je ne pensais pas du tout à l’argent.!»

Construire une réputation. Corollaire de la compétition, la no-toriété. La reconnaissance des pairs. On veut être le meilleur, le premier. Au vu et au su de tous. Il faut recon-naître qu’une performance construit rapidement une réputation. C’est ce changement de nature «!social!» qui a souvent le plus d’impact sur la vie d’un joueur. Et quand on y goûte, on peut dif"cilement s’en passer. Ques-tion d’ego mais aussi de positionne-ment, d’identité. Car les gros gagnants

« Ma plus grosse victoire, lors du Grand Prix de Paris 2008, est venue au moment où je m’y attendais le moins. Je n’avais pas prévu d’y parti-ciper et je n’étais pas dans une pé-riode faste… Deux mois auparavant, j’avais néanmoins gagné un tour-noi à 2 000 ! à l’Aviation Club de France. Qui m’a permis d’y revenir pour jouer un satellite et gagner mon ticket pour le Grand Prix de Paris. Après ma victoire, deux pensées immédiates. Un sentiment de consé-cration, tout d’abord. Toutes ces années passées à joueur au poker

se voyaient enfin récompensés. Un juste retour des choses, un aboutis-sement. L’autre sentiment fut celui d’un soulagement ! La veille, j’avais en effet perdu plus de 40 000 ! en cash game. J’ai donc pu m’acquitter rapidement des dettes que j’avais contractées. Pour continuer à jouer, un passionné peut vouloir emprun-ter à n’importe quel prix. Cela m’est déjà arrivé. J’ai aussi utilisé une par-tie de cet argent pour faire plaisir à ma famille, dont j’ai la charge. Cette victoire prouvait que je n’avais pas fait tout cela pour rien. »

ROGER HAIRABEDIANGAINS CUMULÉS : 3 194 604 $

PLUS GROS GAIN : 653 163 $ (GRAND PRIX DE PARIS 2008)

5e

la même raison, on trouve un grand nombre de joueurs sponsorisés dans ce classement. Sponsorisés à la suite d’une grosse performance, précisément, qui leur permet de disputer un nombre important de tournois prestigieux, et ce faisant, de

multiplier leur chance de gros gains. L’argent est une motivation forte

mais ce n’est pas celle qui prédo-mine. «!Je joue surtout pour la compé-tition et tout ce qui va avec, témoigne Guillaume Darcourt – 31e du classe-ment avec 877 199 $ de gains. Pour

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font désormais partie d’une élite, d’une communauté. Ils entrent dans un cercle restreint ouvrant parfois les portes du sponsoring! ; ils nouent des contacts avec d’autres joueurs de renom!: parfois, de belles relations d’amitié.

Personnes reconnues. «! J’ai reçu des félicitations de toute part, se sou-vient Christophe Benzimra, vainqueur de l’EPT Varsovie en 2009. Dans les poker rooms, les gens me reconnais-saient. On m’a interviewé. On a écrit des articles sur moi. J’étais stupéfait de voir toutes ces entrées en tapant mon nom sur Google. Ayant fort bien réussi dans les affaires, cette victoire [528! 253! $ de gain] n’a pas d’impact dans ma vie au niveau "nancier. En revanche, j’avais beaucoup de plaisir à ressentir la reconnaissance et l’intérêt des joueurs pro.! Comme j’étais un nouveau venu, certains ont dit toutefois qu’un random avait gagné…!» Un random!? Insulte suprême. Pire qu’un "sh. Une pre-mière grosse performance pousse toujours, ainsi, à vouloir con"rmer. «! C’est une motivation très forte! », ajoute Christophe Benzimra qui sou-ligne avec "erté sa 5e place à l’ECPT Barcelone en mars 2010 et ses quatre ITM aux WSOP l’été suivant.

Bien dans leur tête et con"ants, les vainqueurs «! tiennent! » mieux les

« Dans les dernières phases qui ont précédé ma victoire au Main Event du Partouche Poker Tour 2009, je ne pensais plus à l’argent. La perspective d’un gain considérable habitait mon esprit au début de la table finale mais elle s’est peu à peu effacée au profit de la gagne, du trophée et de la reconnaissance de mes pairs. J’ai ressenti mes plus belles émotions lorsque mes amis ont accouru pour me féliciter. J’avais alors 49 ans, et déjà la chance de vivre très bien. Aussi important

soit-il, ce gain n’a pas changé radi-calement ma manière de vivre. Mais je me suis beaucoup plus investi dans les tournois. J’ai commencé à voyager et à jouer davantage. L’ar-gent que j’ai gagné, une partie tout du moins, je l’ai considéré comme un fond de commerce – une somme à investir pour développer mon activité de joueur professionnel. Je m’étais laissé un an pour tirer un bilan de cette activité. Les résultats obtenus par la suite m’ont encou-ragé à poursuivre dans cette voie. »

JEAN-PAUL PASQUALINIGAINS CUMULÉS : 2 474 274 $

PLUS GROS GAIN : 1 429 797 $ (PARTOUCHE POKER TOUR 2009)

7e

«J’ÉTAIS STUPÉFAIT DE VOIR TOUTES CES ENTRÉES EN TAPANT MON NOM SUR GOOGLE. »

cartes. Ils développent leur meilleur jeu, créant un edge sur leurs adver-saires. «! Une grosse victoire suscite deux types de comportements, précise Jean-Paul Pasqualini, 7e du classement du haut de ses 2!474!274!$ de gains: une attitude timorée, ou, au contraire,

l’envie de m’éliminer à tout prix.!» C’est par ce phénomène d’une con"ance accrue que Roger Hairabedian, 5e du classement avec 3!194!604!$ de gains, explique sa série de bons résultats après sa victoire au Grand Prix de Paris 2008! : «! Cette victoire

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a fait naître un rebondissement et une envie de continuer. Beaucoup "nissent par abandonner car ils n’ont pas connu une grosse performance au bon mo-ment.!»

Cycle infernal. Mais voilà! ! Le cercle vertueux a ses limites et peut aussi se transformer en cycle infernal. Accrochés au goût de la compétition, de la notoriété et aux attraits du circuit pro, les gros gagnants tendent à multiplier leurs par-

ticipations aux tournois à fort buy-in. Investissements qui sont

aussi motivés par des besoins "nanciers. Car, les tournois, aussi

richement dotés soient-ils, ne per-mettent pas aux vainqueurs de cesser toute activité, contrairement aux ga-gnants du Loto ou de l’EuroMillion, par exemple. Généralement, les retours sur investissement restent par ailleurs très limités. Plusieurs raisons à cela. La variance en tournoi, tout d’abord, qui se fait beaucoup plus sentir qu’en cash game. Le niveau moyen a, aussi, très sensiblement augmenté!– il est donc de plus en plus dif"cile de «!perfer!». Il y a également des frais annexes (déplacements, hôtellerie, restauration, sorties) et le train de vie des habi-tués du circuit qui pèsent lourdement, même sur les joueurs sponsorisés.

« Ma deuxième place au HORSE Championship à 50 000 dollars des WSOP 2007 représente la moitié de mes gains répertoriés sur Hendon Mob. C’était donc, de loin, ma plus grosse performance. Qui avait suscité une sensation mitigée. Ce très beau résultat m’avait empli de fierté. Mais j’étais aussi déçu et un peu amer d’avoir échoué si près de la pre-mière place, qui m’aurait fait entrer

dans les annales du poker avec un bracelet de champion du monde à la main ! Le fait est que, après une performance de ce type, on ne com-prend pas de suite tout ce qu’il se passe… Le lendemain, au Bellagio, j’ai retrouvé de nombreux joueurs qui m’ont félicité : des amis, des connaissances et de parfaits incon-nus. C’est un souvenir inoubliable dans la vie d’un joueur de poker. »

BRUNO FITOUSSIGAINS CUMULÉS : 2 416 651 $

PLUS GROS GAIN : 1 278 720 $ (WSOP 2007)8e

«LE CLASSEMENT PAR GAINS AFFICHE DES MONTANTS SPECTACULAIRES POUR LES JOUEURS EN HAUT DE L’AFFICHE, MAIS IL NE REFLÈTE PAS LA RÉALITÉ DE LEURS MOYENS FINANCIERS. »

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Autant de raisons qui conduisent les joueurs pro à avoir de plus en plus recours au stacking! : ils vendent ou échangent des parts de leurs gains pour amortir les effets de la variance. «!Je n’ai touché que 40!% de mes gains du Grand Prix de Paris, explique ainsi Roger Hairabedian. J’étais associé avec trois joueurs qui en détenaient chacun 20! %, et réciproquement.! » Adrien Allain précise pour sa part n’avoir empoché que 230!000 euros sur les 336!000 euros du chèque qu’on lui a remis.

Haut de l’af!che. Même si le clas-sement par gains af"che des mon-tants spectaculaires pour les joueurs en haut de l’af"che, il ne re#ète pas la réalité de leurs moyens "nanciers. Buy-in investis, frais annexes, deals entre joueurs, stacking… Tout cela n’est pas pris en compte. Sur ce point, Bruno Fitoussi, 8e du classement avec 2 416 651! $ de gains, se montre lapidaire! : «! Malheureusement, parmi les 50 plus gros gagnants français (ou étrangers), une majorité d’entre eux ont perdu en tournois ou perdront plus d’argent qu’ils n’en ont gagné.!»

Autre sujet d’inquiétude, le "sc, qui cible actuellement nombre de joueurs pro. Certains ont été «! re-dressés! », d’autres sont scrupuleu-sement contrôlés. «!Depuis six mois, j’ai la sensation d’avoir un couperet au-dessus de ma tête », con"e un gros gagnant qui a souhaité gardé l’anony-mat. Pour le moment, l’administration "scale n’a pas formulé de normes uni"ées. Il faut espérer que le futur cadre "scal sera équilibré, sans quoi la condition de joueur se trouvera encore plus fragilisée.

« Je me souviens d’un sentiment d’accomplissement, de plénitude totale … Quelque chose de totale-ment fou ! Il n’y a que la première place qui compte vraiment et pro-cure ce type de sensation. En termi-nant sur les autres marches du po-dium, même si on a très bien joué, on ressent toujours des regrets. Au poker, la chance est un facteur clé : on ne récolte pas toujours les fruits de ses efforts et de son talent. Quand cela arrive, cela procure une très grande satisfaction. Cela induit aussi une plus grande confiance en soi. On se retrouve en « terrain » connu : on l’a déjà fait – pourquoi

pas une autre fois ? Néanmoins, avant d’être sponsorisé par PokerS-tars, je fréquentais déjà le circuit pro en risquant mes propres deniers. Je gagnais assez bien ma vie en jouant sur le net et en cash game. Fonda-mentalement, ma victoire à l’EPT Prague n’a donc pas modifié mon quotidien. Par ailleurs, je ne suis pas une personne très matérialiste. Ce qui m’importe, c’est une qualité de vie, les personnes qui m’entourent et le fait de vivre pleinement mes passions. Je n’ai pas besoin de rouler dans une voiture de sport et d’habiter un appartement luxueux pour être heureux. »

ARNAUD MATTERNGAINS CUMULÉS : 2 032 543 $PLUS GROS GAIN : 1 038 010 $ (EPT PRAGUE 2007)

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«! Les pro s’intéressent de plus en plus à la manière de gérer leurs gains, leurs dépenses et leur carrière, constate Thomas Luisin, cofondateur d’Original Consulting. Plus insouciants, les jeunes sont davantage sujets aux erreurs de gestion. Je leur recommande d’augmen-ter leur rythme de jeu de manière rai-sonnable et d’investir dans la pierre. Ce que nous avons par exemple conseillé à Mikael Oestreicher. Lorsque ce dernier avait remporté le Sunday Million, il s’était

empressé de multitabler en Heads-Up à 5!000 dollars. Il a perdu ainsi près de la moitié de ses gains. Notre rôle est d’éviter que cela arrive.!» !On le voit, le monde qui s’ouvre aux gros gagnants n’est pas aussi doré qu’il y paraît! ! Pour autant, il conserve une capacité fan-tastique à faire rêver car il porte la promesse de devenir riche et célèbre. De pouvoir se distinguer grâce à ses mérites et à ses choix propres. D’une vie différente, en somme!! F.D.

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Quelles ont été tes premières pensées au moment de ta victoire à l’EPT Deauville ?

Lucien Cohen : ça a été une véritable surprise, car j’étais beaucoup plus un joueur de cash game que de tournois. Je n’en avais disputé que cinq en cinq ans : trois fois l’EPT Deauville, le Partouche Poker Tour et un tour-noi à l’Aviation Club de France. Je ne m’attendais donc vraiment pas à faire une telle performance. La satisfaction n’en a été que plus grande ! Un pur moment de jouissance. Un rêve éveillé. Un des plus beaux moments de ma vie. Comme pour le loto, on pense que cela n’arrive qu’aux autres. Et pourtant…

À quel moment as-tu vraiment cru en tes chances ?

L.C. : À l’entame des demi-"nales. Je ne visais alors plus que la victoire, mû par une voix intérieure qui m’a donné beaucoup d’assurance. Je n’étais jamais parvenu aussi loin dans

un tournoi. C’était mon jour, ma chance, que je devais absolument saisir en cette occasion. La veille des demi-"nales, je n’arrivais pas à dormir, déambulant encore dans les rues de Deauville à 3!heures du matin. Mais je ne ressentais pas la fatigue. L’excitation et l’envie de gagner me donnaient une énergie formidable. Ce n’est que plus tard, au moment de la victoire, que j’ai pu relâcher la pression accumulée au "l de la com-pétition.

D’où ton explosion de joie ?L.C. : Ce comportement «!débor-

dant!» a été mal ressenti et mal interprété par certains… Qui l’ont jugé déplacé, voire méprisant : une attitude de «!livetard!», comme ils disent… En fait, rien de tout cela. Je n’étais pas habitué à ce type de sensations qui devaient s’exprimer d’une manière ou d’une autre. Je suis Méditerranéen, expressif par dé"ni-tion ! Du reste, je suis comme je suis :

entier, et je n’ai pas à me justi"er. Je ne voulais bouder ni mon bonheur ni mon plaisir dans un moment aussi exceptionnel. Devais-je rester lisse et introverti ? Regardez ces Américains qui tempêtent et gesticulent à la moindre occasion !

Cette victoire a-t-elle changé ta vie ?

L.C. : Elle m’a donné une forme de notoriété… Les gens me recon-naissent. Cette notoriété a pu se consolider avec d’autres bons résul-tats réalisés par la suite, chose très importante pour moi, comme ma troisième place au High Roller de l’EPT Madrid en mai!2011. Mais il faut rester humble. Ce n’est pas parce qu’on a gagné un grand tournoi qu’on est un champion. Je sais néanmoins que j’ai réalisé quelque chose d’ex-ceptionnel, et que ce n’était pas qu’un coup de chance. Certains disaient que je ne ferais plus d’autres résultats : je les ai démentis !

Il y a près d’un an, Lucien Cohen remportait une des plus belles étapes du circuit EPT, et ce faisant, 880 000!euros. Parfois critiqué pour son comportement extraverti, ce joueur amateur de 48 ans n’en reste pas moins un personnage sans complexes qui a vécu à Deauville un des plus beaux moments de sa vie. Le rêve de tout joueur de poker.

LUCIEN COHEN : « Le regard des autres »

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As-tu pensé à quitter ton travail pour te consacrer exclusivement au poker ?

L.C. : L’idée m’a traversé l’esprit. Mais on «!redescend!» vite sur Terre : je n’étais et ne reste qu’un amateur sur le circuit. Peut-être que je changerai d’avis dans deux ou trois ans si je réalise d’autres grosses performances, mais ce n’est pas d’actualité. Aujourd’hui, ce n’est pas l’argent du poker qui me fait vivre mais mon entreprise de déra-tisation. 880 000!euros, c’est une grosse somme d’argent, certes, qui, selon l’expression, met beaucoup de

beurre dans les épinards : pas suf"-sante, néanmoins, pour arrêter de travailler.

Qu’as-tu fait de cette somme ?L.C. : J’en ai investi une partie dans

des buy-in (souvent sans retombées) de tournois. J’ai aussi fait beaucoup de «!bêtises!» en cash game, ma grande faiblesse que j’essaie de

corriger… J’ai voyagé, et surtout, j’ai acheté l’appartement parisien que je louais – en mettant un gros apport mais tout de même à crédit. Il faut savoir gérer son argent, son bankroll, car les grosses victoires restent très rares. Nombre de gros gagnants sont aujourd’hui sans un sou, broke, voire endettés.

Comment tes proches ont-ils réagi ?

L.C. : Mon épouse était très heureuse et inquiète à la fois. Elle a toujours eu peur des jeux d’argent. Et comme tous les joueurs, j’ai connu des hauts et des bas… Une très grosse victoire, mais pour combien de défaites ?

Quels rapports entretiens-tu avec les autres joueurs ?

L.C. : Certains pensent que j’ai pris la grosse tête. Je ne le pense pas, bien que certaines choses s’expriment de manière inconsciente. Ne serait-ce qu’en raison des regards et de l’atten-tion que les autres joueurs portent sur vous. En remportant un titre EPT, on gagne forcément en notoriété. On gagne aussi une forme de respect. Parfois également : une envie pres-sante, chez mes adversaires, de m’éli-miner. Le fait est que, dans la vie d’un joueur, une grande victoire ne peut vous laisser inchangé.

Propos recueillis par F.D.

«ON PENSE QUE CELA N’ARRIVE QU’AUX AUTRES. »