une dermatose chronique du cuir chevelu… puis un syndrome

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L’ exception Images en Dermatologie Vol. V • n° 6 • novembre-décembre 2012 136 Cas clinique Une dermatose chronique du cuir chevelu… puis un syndrome polyuro-polydipsique A chronic dermatosis of the scalp… and a polyuro-polydipsic syndrome N. Wallet-Faber 1 , A. Carlotti 2 , N. Dupin 1 ( 1 Service de dermatologie, pavillon Tarnier, hôpital Cochin, Paris ; 2 Service d’anatomopathologie, hôpital Cochin, Paris) U n jeune homme de 23 ans sans antécédents présentait depuis plusieurs années des lésions croûteuses du cuir chevelu, non prurigineuses. Il était hospitalisé pour un syndrome polyuro-polydipsique invalidant, évoluant depuis quelques semaines. La mesure de l’osmolalité sanguine et urinaire objectivait un diabète insipide. Un avis dermatologique était demandé à cette occasion. Examen clinique L’examen dermatologique montrait des papules érythémateuses et croûteuses de 1 à 2 mm, disposées de façon diffuse sur le cuir chevelu (figures 1 et 2). Il n’y avait pas d’atteinte du visage ni du cou. On remarquait aussi une papule érythémateuse infil- trée sur la poitrine (figure 3) et 2 éléments identiques sur la région pubienne. L’état général était parfaitement conservé. Il n’y avait pas d’adénomégalie ni d’organomégalie. Le diagnostic d’histiocytose langerhansienne était suspecté. Histopathologie et prise en charge Des biopsies étaient réalisées au niveau du cuir chevelu et du thorax : leur aspect était superposable. L’épiderme apparaissait remanié, hyperkératosique, parakératosique. La parakératose contenait des amas nécrotico-leucocytaires. De façon sous-jacente se trouvait un infiltrat grossièrement nodulaire, qui apparaissait constitué essen- tiellement d’éléments mononucléés et atypiques, avec des noyaux tantôt finement nucléolés, tantôt réniformes. On notait quelques images de mitose. Les éléments atypiques ascensionnaient au sein de l’épiderme. En périphérie, il existait un infiltrat fait de petits lymphocytes et de rares polynucléaires éosinophiles (figures 4 et 5, p. 139). Les éléments mononucléés atypiques exprimaient CD1a et PS100 (figures 6 et 7, p. 139). L’histologie permettait donc de confirmer le diagnostic d’histiocytose langerhansienne. L’IRM hypophysaire montrait un épaississement de la tige pituitaire ; les autres examens morphologiques étaient normaux (scanner thoracique, échographie abdominale, radio- graphies osseuses, échographie cardiaque). Un traitement local par dermocorticoïdes était proposé pour les lésions du cuir chevelu, avec une amélioration partielle. Il n’y avait pas d’indication à entreprendre un traite- ment par voie générale. Histiocytose langerhansienne • Syndrome polyuro-poly- dipsique • Diabète insipide Langerhans cell histiocytosis • Polyuro-polydipsic syndrome • Diabetes insipidus Légendes Figures 1 et 2. Multiples lésions papulo- croûteuses du cuir chevelu. Figure 3. Papule érythémateuse du thorax, discrètement croûteuse au centre.

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L’ exception

Images en Dermatologie • Vol. V • n° 6 • novembre-décembre 2012136

Cas clinique

Une dermatose chronique du cuir chevelu… puis un syndrome polyuro-polydipsique A chronic dermatosis of the scalp… and a polyuro-polydipsic syndrome N. Wallet-Faber1, A. Carlotti2, N. Dupin1 (1 Service de dermatologie, pavillon Tarnier, hôpital Cochin, Paris ; 2 Service d’anatomopathologie, hôpital Cochin, Paris)

U n jeune homme de 23 ans sans antécédents présentait depuis plusieurs années des lésions croûteuses du cuir chevelu, non prurigineuses. Il était

hospitalisé pour un syndrome polyuro-polydipsique invalidant, évoluant depuis quelques semaines. La mesure de l’osmolalité sanguine et urinaire objectivait un diabète insipide. Un avis dermatologique était demandé à cette occasion.

Examen clinique

L’examen dermatologique montrait des papules érythémateuses et croûteuses de 1 à 2 mm, disposées de façon diffuse sur le cuir chevelu (fi gures 1 et 2). Il n’y avait pas d’atteinte du visage ni du cou. On remarquait aussi une papule érythémateuse infi l-trée sur la poitrine (fi gure 3) et 2 éléments identiques sur la région pubienne. L’état général était parfaitement conservé. Il n’y avait pas d’adénomégalie ni d’organomégalie. Le diagnostic d’histiocytose langerhansienne était suspecté.

Histopathologie et prise en charge

Des biopsies étaient réalisées au niveau du cuir chevelu et du thorax : leur aspect était superposable. L’épiderme apparaissait remanié, hyperkératosique, parakératosique. La parakératose contenait des amas nécrotico-leucocytaires. De façon sous-jacente se trouvait un infi ltrat grossièrement nodulaire, qui apparaissait constitué essen-tiellement d’éléments mononucléés et atypiques, avec des noyaux tantôt fi nement nucléolés, tantôt réniformes. On notait quelques images de mitose. Les éléments atypiques ascensionnaient au sein de l’épiderme. En périphérie, il existait un infi ltrat fait de petits lymphocytes et de rares polynucléaires éosinophiles (fi gures 4 et 5, p. 139).

Les éléments mononucléés atypiques exprimaient CD1a et PS100 (fi gures 6 et 7, p. 139).

L’histologie permettait donc de confi rmer le diagnostic d’histiocytose langerhansienne.

L’IRM hypophysaire montrait un épaississement de la tige pituitaire ; les autres examens morphologiques étaient normaux (scanner thoracique, échographie abdominale, radio-graphies osseuses, échographie cardiaque).

Un traitement local par dermocorticoïdes était proposé pour les lésions du cuir chevelu, avec une amélioration partielle. Il n’y avait pas d’indication à entreprendre un traite-ment par voie générale.

Histiocytose langerhansienne • Syndrome polyuro-poly-dipsique • Diabète insipide

Langerhans cell histiocytosis • Polyuro-polydipsic syndrome • Diabetes insipidus

Légendes

Figures 1 et 2. Multiples lésions papulo-croûteuses du cuir chevelu.

Figure 3. Papule érythémateuse du thorax, discrètement croûteuse au centre.

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Discussion

L’histiocytose langerhansienne est une maladie rare, liée à une prolifération clonale de cellules ayant les caractéristiques phénotypiques et ultrastructurales des cellules de Langerhans activées au niveau de l’épiderme et/ou de plusieurs organes (1).

Le nourrisson comme l’adulte peuvent en être atteints.

Cliniquement, on observe des lésions cutanées essentiellement à type de papules infiltrées recouvertes d’une croûte, parfois purpuriques, sur le tronc, le cou, le visage, le cuir chevelu et les plis. L’atteinte du cuir chevelu est très évocatrice, même si elle mime parfois une dermatite séborrhéique. Au niveau muqueux ou péri-orificiel, les lésions peuvent être lupoïdes ou ulcérées.

La maladie peut par ailleurs associer des lésions osseuses, souvent lacunaires, attei-gnant surtout les os plats, des adénopathies superficielles et une hépatosplénomégalie, une atteinte hypophysaire avec diabète insipide lié à l’infiltration de la tige pituitaire par les histiocytes, parfois des troubles de la croissance, et une atteinte pulmonaire pouvant assombrir le pronostic.

L’atteinte cutanée a été isolée chez 25 % des patients dans une série de 314 cas (2).

Chez l’adulte, la maladie doit également faire rechercher une leucémie myélomono-cytaire.

Le bilan d’extension doit comporter un hémogramme, un bilan hépatique, un bilan inflammatoire, un ionogramme sanguin et urinaire, une étude de l’osmolalité sanguine et urinaire, un dosage de l’hormone antidiurétique (ADH) plasmatique, des radio-graphies de l’ensemble du squelette et du thorax. Une échographie abdominale, des examens fonctionnels respiratoires, un lavage bronchiolo-alvéolaire et des endoscopies digestives sont parfois discutés.

Les formes purement cutanées sont de bon pronostic, et des traitements par méchlo-réthamine topique, radiothérapie ou photothérapie peuvent être proposés.

Les chimiothérapies se justifient dans les formes disséminées. L’association vinblastine et corticothérapie générale est classique, et, plus récemment, la cladribine a donné de bons résultats avec une toxicité moindre. II

Références bibliographiques1. Yu RC, Chu C, Buluwela L, Chu AC. Clonal proliferation of Langerhans cells in Langerhans cell histiocytosis. Lancet 1994;343:767-8.2. Howarth DM, Gilchrist GS, Mullan BP, Wiseman GA, Edmonson JH, Schomberg PJ. Langerhans cell histiocytosis: diagnosis, natural history, management, and outcome. Cancer 1999;85:2278-90.

Légendes

Figure 4. Infiltrat dermique nodulaire dense (hématoxyline-éosine-safran [HES], × 25).

Figure 5. Hyperkératose parakératosique. Infiltrat fait de cellules mononucléées et atypiques, qui ascensionnent au sein de l’épiderme (HES, x 100).

Figure 6. Immunomarquage par le CD1a (x 100).

Figure 7. Immunomarquage par le PS100 (x 100).

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