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N O 2 JUIN 2006 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION Eine Welt Un solo mondo Un seul monde www.ddc.admin.ch Conflits oubliés : quand les projecteurs s’éteignent, l’aide se fait rare Afghanistan : un pays exsangue recommence à vivre après plusieurs décennies de guerre Le tourisme peut-il vraiment contribuer à réduire la pauvreté?

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Page 1: Un seul monde 2/2006 - Federal Council · Un célibataire à Kaboul Jawed Nader parle de sa vie quotidienne dans la capitale afghane 20 Droits de l’homme et développement L’opinion

NO 2JUIN 2006LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENTET LA COOPÉRATION

Eine WeltUn solo mondoUn seul monde www.ddc.admin.ch

Conflits oubliés: quand lesprojecteurs s’éteignent, l’aidese fait rare

Afghanistan: un pays exsanguerecommence à vivre après plusieursdécennies de guerre

Le tourisme peut-il vraiment contribuerà réduire la pauvreté?

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Sommaire

DOSSIER

DDC

HORIZONS

FORUM

CULTURE

Un seul monde No 2 / Juin 20062

CONFLITS OUBLIÉS Quand les projecteurs s’éteignent, l’aide se fait rare Que faut-il pour qu’un événement soit médiatisé? Qui décide del’affectation de l’aide? Quelles sont les conséquences pour lesvictimes?

6L’arme du viol Dans l’est du Congo, où sévit depuis des années une guerreignorée de l’opinion publique mondiale, la violence sexuelle estutilisée comme une arme

12Les États doivent agir de manière cohérenteEntretien avec Lothar Brock, spécialiste des études sur la paix

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AFGHANISTANDes élus, un début de paix et toujours le pavot L’Afghanistan vit aujourd’hui une période certes difficile, mais heureuse en comparaison avec le dernier quart de siècle

16Un célibataire à Kaboul Jawed Nader parle de sa vie quotidienne dans la capitale afghane

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Droits de l’homme et développementL’opinion de Walter Fust, directeur de la DDC, sur l’intégrationdes droits de l’homme dans les activités de coopération

21Dialogue des savoirs dans les Andes L’exploitation durable des produits issus de la biodiversitécontribue à réduire la pauvreté des paysans andins

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Grains de sable dans les rouages du tourismeExpropriations, tourisme sexuel, travail des enfants...Souvent, le tourisme se met en travers du développement.Cela pourrait toutefois se passer autrement.

26Les sauveurs du monde L’écrivain ukrainien Youri Andrukhovitch raconte satraversée nocturne de Berlin, une ville dont il apprécie la foule multicolore

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Le cinéma péruvien sort du purgatoireL’essor de l’image numérique suscite un élan créateurdans des régions qui n’avaient pas jusqu’ici les moyensde produire des films

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Éditorial 3Périscope 4DDC interne 25Au fait, qu’est-ce que la cohésion? 25Service 33Impressum 35

Un seul monde est édité par la Direction du développement et de lacoopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée auDépartement fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’estcependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinionsy sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pasobligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

Huissier, faites entrer la justice!Au Tadjikistan, un projet suisse veut faciliter l’accès à lajustice pour les populations défavorisées et vulnérables

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«Mais elles peuvent aussi traîner en longueur aupoint qu’on s’y habitue, qu’on ne les remarquemême plus.» Une phrase banale, que vous lirez à lapage 14 du présent numéro. Elle témoigne pourtantd’une réalité non seulement inconcevable – au senslittéral du terme – mais également en totale contra-diction avec les fondements mêmes de la dignité hu-maine.

Mais de quoi parle-t-on ici? De journées maussa-des, de formalités administratives? Non, ce «elles»désigne l’un des pires travers de l’humanité depuisque celle-ci peuple la Terre, à savoir la tendance àrégler par la force les problèmes de cohabitationentre les créatures sociales que nous nous targuonsd’être. Au lieu de dialoguer, de chercher paisiblementdes solutions intelligentes, les hommes font parlerles armes. Et si elles durent suffisamment longtemps,ces guerres se font peu à peu oublier. Uniquementpar les gens qui ne sont pas directement concernés,bien entendu.

Le résultat, en quelques exemples: un million de Bir-mans sont toujours déplacés à l’intérieur de leurpropre pays; en Colombie, la guerre civile fait chaqueannée quelque 20000 victimes ; des millions deTchétchènes sont exposés depuis des années auxpires atrocités, dans un espace de non-droit abso-lu. Vous trouverez dans notre dossier, aux pages 6à 15, quelques éclaircissements sur les tenants et

les aboutissants de ce que l’on appelle les «guerresoubliées». On en recense une quarantaine dans lemonde.

Ce n’est pas seulement chez nous que les nouvellestechnologies de l’information envahissent le quoti-dien. Leur impact apparaît comme presque plus significatif encore dans certains pays en dévelop-pement. Vous en découvrirez un exemple aussi sur-prenant que réjouissant dans notre rubrique cultu-relle (page 30). L’action des microcinémas péru-viens prouve que les populations défavoriséespeuvent tirer parti de l’évolution fulgurante des technologies modernes. Mieux encore, des pays en développement se montrent capables d’en faireun usage novateur qui éveille l’intérêt de la commu-nauté internationale.

Harry SivecChef médias et communication DDC

(De l’allemand)

Comment est-ce possible?

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Editorial

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Internet à la manivelle(bf ) Quand Nicholas Negro-ponte a présenté en novembre2005 son projet d’ordinateur à100 dollars pour brancher lesécoliers des pays pauvres surInternet, cette nouvelle a sou-levé un énorme intérêt à traversle monde. Car ce pionnier destechnologies numériques, fonda-teur et directeur du Media Labau Massachusetts Institute ofTechnology (MIT), a toujours su prendre des initiatives cohé-rentes, même si celles-ci ontparfois été accueillies avec scep-ticisme dans les milieux spéciali-sés. Son projet «Un ordinateurportable par enfant» prendforme sur le plan technologique.Le Programme des NationsUnies pour le développement(PNUD) lui a promis sa colla-boration dans le domaine de la technologie et des moyens d’enseignement. Les premiersappareils seront disponibles début 2007. Comme on peut sel’imaginer, cette machine peucoûteuse et robuste sera bourréed’innovations technologiques :logiciel libre, nouveau systèmed’affichage, mémoire flash, ré-seau local sans fil, etc. L’appareilest en outre équipé d’une mani-velle qui permet de recharger labatterie en cas de panne d’élec-tricité. En tournant la manivellependant une minute, l’utilisateurpeut travailler dix minutes.

Boom des TIC en Tanzanie (bf ) En dépit de la pauvreté, ou

justement à cause d’elle, les nou-velles technologies de l’informa-tion et de la communication(TIC) sont très prisées en Tanza-nie. À Dar es Salaam, la capitale,les cafés Internet poussent commedes champignons et sont immé-diatement envahis par les jeuneslycéens. Ces derniers recher-chent sur le web des informa-tions susceptibles de compléterle matériel très limité que leurfournit l’école. Selon les ensei-gnants, cette fréquentation assi-due des cybercafés produit déjàdes effets concrets : les résultatsdes élèves aux examens se sontnettement améliorés depuisquelque temps. Parallèlement, lemarché de la téléphonie mobileexplose en Tanzanie. Plus de80% des habitants ont accès à unappareil portable, depuis les pê-cheurs du lac Tanganyika jusqu’àceux de Zanzibar, en passant parles producteurs de coton dans lecentre du pays. Par exemple, lespêcheurs de « l’île aux épices»s’enquièrent des prix pratiqués

sur les différents marchés alorsque leur bateau se trouve encoreen mer. S’il y a trop de poisson à Zanzibar, ils font directementvoile vers Dar es Salaam pourvendre leur pêche à meilleurprix.

Coopération sino-africaine (bf ) Puissance économique enpleine expansion, la Chine a degrands projets avec l’Afrique.Son ministre des affaires étran-gères Li Zhaoxing les a détaillésau début de cette année lorsd’une visite au Mali. Pékin sepropose de forger «un nouveautype de partenariat stratégique»avec l’Afrique, qui doit profiteraux deux parties sur le plan éco-nomique aussi bien que culturel.Li Zhaoxing a expliqué que laChine entend «assurer des avan-tages aux uns et aux autres dansla perspective d’un développe-ment mutuel». La Chine prévoitainsi d’ouvrir son marché auxproduits africains, de supprimerpresque complètement ses droitsde douane pour les marchan-dises en provenance de quel-ques-uns des pays africains lesmoins développés, et de pro-mouvoir le commerce bilatéral « sur un pied d’égalité». Pékinencouragera également les en-treprises chinoises à établir desusines en Afrique. La coopéra-tion sino-africaine se concen-trera notamment sur la produc-tion agricole, l’élevage et lasécurité alimentaire.

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La hantise de la retraite( jls) La loi camerounaise fixe laretraite à 60 ans dans le secteurprivé et à 55 ou 60 ans dans la fonction publique, selon legrade. Mais les salariés appré-hendent ce moment. Le nou-veau retraité attend au moinstrois ans avant de toucher unepension. Il doit d’abord réunirtous les documents attestant lepaiement des cotisations, puis lesfaire valider auprès des gérantsdes retraites. Ceux-ci n’hésitentpas à faire durer la procédurepour obliger le requérant à leurverser un pot-de-vin. Quand larente arrive enfin, son montantest tellement modeste qu’il nesuffit pas à entretenir une fa-mille. Les retraités sont donctoujours en quête de nouveauxemplois. Forts de leur expé-rience professionnelle, ils trou-vent plus facilement du travailque des jeunes. Les sociétés degardiennage, par exemple, privi-

légient d’anciens policiers oumilitaires. Pour retarder l’heurede la retraite, certains salariés fal-sifient la date de naissance indi-quée dans leur dossier. Ontrouve ainsi dans les bureaux devieux fonctionnaires fatigués quiont encore de nombreuses an-nées de service devant eux.

Un hôpital de 55 kilos(gn) Une équipe britannique de médecins et de techniciens a réussi à faire entrer un hôpitaldans deux caisses pesant en-semble à peine 55 kilos. Leursystème a été proclamé « inven-tion mondiale de l’année 2005»lors du British Invention Show,à Londres. Lorsqu’on déballe lecontenu des caisses, on y trouveune tente, une table d’opérationet tout le matériel nécessairepour les interventions courantes.Selon ses inventeurs, ce mini-hôpital doit permettre à des chirurgiens d’opérer dans les

régions périphériques et mal approvisionnées sur le plan mé-dical. «Nous sommes convaincusqu’il est possible avec ce maté-riel de pratiquer une chirurgiegénérale de niveau européen»,affirme Alexander Bushell, undes concepteurs. L’électricité nécessaire est fournie par unebatterie de voiture qui se chargeà l’énergie solaire. L’équipementde base coûte environ 25000

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dollars. Il est conçu pour êtreutilisé par une équipe de troismédecins. Un premier essai surle terrain aura lieu dans deszones reculées du Nigeria, où les populations n’ont pas accès àdes interventions chirurgicales.

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Conflits oubliés

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Il y a dans le monde une quarantaine de guerres, de crises oude catastrophes oubliées. Que faut-il pour qu’un événement soit médiatisé? Qui décide de l’affectation de l’aide? Quellessont les conséquences pour les victimes? Tentative d’inventaireentre coups de projecteur et désintérêt. De Gabriela Neuhaus.

Le Sahara occidental a été secoué jusqu’au débutdes années 90 par une longue guerre opposant l’ar-mée marocaine aux Sahraouis qui luttaient pourleur indépendance avec le soutien de l’Algérie.Quis’en souvient? Quelque 160000 réfugiés vivent en-core aujourd’hui dans cette région, l’une des plusinhospitalières de la planète, dans des camps detentes et de cabanes en torchis. Depuis le cessez-le-feu signé en 1991, ils espèrent que l’organisa-tion d’un référendum d’autodétermination leurdonnera un jour la possibilité de faire valoir leursdroits civiques.Une mission des Nations Unies as-sure la tranquillité,mais le problème n’est toujourspas résolu.Comment la situation évolue-t-elle à Chypre aprèsla réunification avortée de 2004? Quel bilan peut-on faire aujourd’hui en Algérie, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Myanmar, aux Philippines?Tous ces pays connaissent des conflits non résolus.Des gens y sont opprimés, persécutés, brutalisés,assassinés. La guerre civile en Colombie continuede coûter 20000 vies humaines par année; des ci-vils sont enlevés, déplacés, chassés d’une région àl’autre.En Somalie, la Constitution est sans effet depuis1991. Les combats entre clans et chefs de guerrefont tous les jours des victimes. Les habitants vi-vent dans la peur et la misère,ils souffrent de la faim.On pourrait ajouter d’autres conflits à cette liste.Sans parler des catastrophes comme celle deTcher-nobyl, dont des millions de personnes portent en-core les séquelles. Qu’en sait l’opinion publiquemondiale? Que fait-on?

Délicate période de transition Un conflit ou une catastrophe qui tombe dans l’ou-bli a souvent des conséquences fatales pour les po-pulations concernées.Quand une crise dure long-temps, le financement de l’aide commence à tariret les organisations humanitaires se retirent pro-gressivement. Une fois que l’attention internatio-nale est retombée et que la pression extérieure adisparu, les situations d’insécurité deviennent en-core plus précaires.Il n’existe aucune définition des «conflits oubliés».Cristina Hoyos, cheffe de la section Prévention ettransformation des conflits (Copret) à la DDC,

GuatemalaLe Guatemala est l’un des pays les plus pauvresd’Amérique latine. Il a re-trouvé la paix en 1996,après une guerre civile de36 ans qui a fait 200000morts et chassé de chezelles plus d’un million depersonnes. La plupart desvictimes appartenaient à la communauté indigènemaya, victime d’un vérita-ble génocide. Le proces-sus de réconciliation est laborieux et extrêmementdouloureux. En outre, lapopulation du Guatemalaest particulièrement vulné-rable aux catastrophes naturelles. Elle a été dure-ment meurtrie par l’oura-gan Stan en octobre 2005.

L’environnementLes ressources en eau sefont toujours plus rares: legaspillage et la pollutionmettent en péril le dévelop-pement et la paix dans lemonde. La désertificationmenace des peuples en-tiers. Le déboisement sau-vage – dans la région ama-zonienne, par exemple –provoque de l’érosion etdes changements clima-tiques. Si l’industrie, lestransports et la gestion del’environnement poursui-vent leur évolution actuelle,il faut s’attendre à ce quela concentration de gaz àeffet de serre augmenteencore de 36% d’ici 2010.

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énumère quatre symptômes caractéristiques : cesont généralement des conflits complexes ; ils se déroulent dans des régions où les pouvoirs publicssont faibles et l’aide au développement minime ouinexistante;de plus,ces pays ne présentent souventque peu d’intérêt sur le plan géopolitique.Le risqued’oubli devient patent quand un pays se trouve dansune situation de transition entre guerre et paix.Cristina Hoyos nourrit des craintes à ce sujet pourl’Afghanistan par exemple, où la communauté in-ternationale est encore présente et où l’afflux decapitaux est relativement important. «La mise enplace de structures étatiques opérationnelles peutprendre 20 ans», estime-t-elle. «Mais les médias nesont déjà plus aussi présents qu’ils l’ont été. Il estprobable que beaucoup de donateurs vont se reti-rer dans les années à venir, ce qui peut conduire àun vide dangereux et faire retomber le pays dansun conflit aigu.» C’est ce qui se passe actuellement dans le sud duSoudan.Après l’accord de paix de 2003, les médiasse sont détournés de cette région. L’opinion pu-

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blique mondiale a porté son regard sur les atroci-tés commises au Darfour et sur la détresse qui enrésulte.Entre-temps, la situation dans le sud du paysest devenue beaucoup plus menaçante qu’il y adeux ans.Cela ne fait pas que compromettre la réa-lisation d’infrastructures absolument nécessaires etle retour des réfugiés. Certains observateurs fontétat d’un risque imminent de guerre.L’insécurité perdure également en République dé-mocratique du Congo (RDC), malgré le gouver-nement de transition et les élections prévues pourfin juin.Dans toute la région des Grands Lacs, septpays sont concernés par une série de conflits aigusou latents dont l’origine remonte à l’ère colonia-le. Les tensions ethniques s’y mêlent aujourd’hui àdes intérêts économiques et à une économie deguerre qui se moque de l’État de droit. Or, on neparle que sporadiquement de ce qui se passe dansces contrées.

Le rôle essentiel des médiasUne guerre ou une catastrophe doit être médiati-sée pour obtenir l’attention de la communauté in-ternationale. «Les médias jouent un rôle essentiel,ils rendent les conflits plus visibles et peuvent for-ger les opinions», souligne Cristina Hoyos.La plu-part des acteurs en sont aujourd’hui conscients. Ilss’efforcent donc d’infléchir les comptes rendus dela presse dans le sens de leurs intérêts.C’est le cas notamment lorsque des « journalistesembarqués» accompagnent les soldats américainsen Irak. Mais aussi quand Jan Egeland, coordina-teur de l’aide onusienne, lance un appel de fondsou quand la DDC invite des journalistes dans unezone en crise. Roger Blum, directeur de l’Institutdes sciences de la communication et des médias, àl’Université de Berne, relativise cependant l’effetde telles mesures : «Les médias jouent un rôle ma-jeur s’ils parlent quasi à l’unisson du même conflit;mais cela ne se produit qu’au moment où les mé-dias anglo-saxons comme AP, Reuters ou CNNdécouvrent une crise.» En outre, les médias ne traitent un sujet que si cer-taines conditions sont réunies.Plus l’événement estéloigné géographiquement,plus le conflit doit êtregrave et meurtrier pour mériter les grands titres dela presse. Par ailleurs, les médias occidentaux ma-nifestent davantage de curiosité lorsque des inté-rêts américains ou européens sont en jeu.

MyanmarLe Myanmar est gouvernépar une dictature militaire.Il compte bien plus de milleprisonniers politiques, dontl’opposante Aung San SuuKyi, prix Nobel de la paixen 1991. À la suite de con-flits ethniques et de la ré-pression gouvernementale,un million de Birmans ontété déplacés à l’intérieurdu pays et 180000 se sontréfugiés dans des campsen Thaïlande (voir Un seulmonde 4/2005). On estimeque les différentes partiesau conflit ont enrôlé au to-tal 60000 enfants-soldats.Avec environ 300000 ton-nes d’héroïne par année, leMyanmar est le deuxièmeproducteur de drogue dumonde.

Tchétchénie

Lorsque des crises graves tombent dans l’oubli, lesconséquences pour la population sont de nos jours plusfatales que jamais. Ce désintérêt peut concerner lesconflits armés (photo de gauche) ou les catastrophes,qu’elles soient naturelles comme des inondations (àdroite) ou technologiques comme l’explosion de Tcher-nobyl (page 11).

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TchétchénieDès le moment où laTchétchénie a proclaméson indépendance en1991, les tensions avecMoscou se sont accen-tuées. Elles ont débouchéen 1994 sur la premièreguerre de Tchétchénie.Depuis lors, les combats etle chaos ont sévi pratique-ment sans interruptiondans cette république cau-casienne. Grozny, la capi-tale, a été presque entière-ment détruite. Aucunesolution n’est en vue. Laguerre d’usure entre trou-pes russes et rebellestchétchènes a créé unespace de non-droit. Pluspersonne n’est en sécurité,les atrocités sont quoti-diennes, une «vie normale»est devenue impossible.

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Le tsunami de fin 2004 en Asie est un exemple frappant de la façon dont l’événement, la presse et l’opinion publique interagissent.Cette catastropheconstituait une sorte d’évidence médiatique: lamort et la désolation se sont abattues sur une ré-gion touristique bien connue; et de nombreux ressortissants des pays riches figuraient parmi lesvictimes. Cela explique l’ampleur de la couvertu-re médiatique et la sympathie qui s’est expriméeau niveau planétaire.Le tsunami possédait dans desproportions exceptionnelles tous les ingrédients dessujets que recherche la presse de boulevard.Les ré-actions ont été en conséquence. Le volume desdons a atteint des sommets inégalés.On a lancé unnombre disproportionné de programmes et deprojets d’aide humanitaire. Des compétences, des

énergies et de l’argent qui auraient peut-être ététout aussi utiles ailleurs.

La responsabilité des journalistesCes constatations montrent clairement le revers de la symbiose entre médias et engagement de lacommunauté internationale. Alors que des catas-trophes «médiagéniques» génèrent facilement desdons et des secours, les populations victimes decrises et de conflits dépourvus de potentiel mé-diatique sont abandonnées à leur sort. Ce problè-me est récurrent à travers l’aide humanitaire et lacoopération au développement: les situations d’ur-gence et les catastrophes éveillent des émotionscharitables, mais il est beaucoup plus difficiled’amener les donateurs à soutenir des activités peu

Inde

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ColombieLa Colombie est plongéedepuis plus de 40 ansdans une guerre civile lar-vée. Au cours des années90, celle-ci s’est intensifiéeen relation avec le trafic dedrogue et a fait plus de200000 victimes. Le pro-cessus de paix, engagé en2002 par le gouvernement,les forces paramilitaires etles rebelles, progresse lentement. Jour après jour,des gens se font assassi-ner ou enlever, bien que lasituation se soit quelquepeu améliorée par rapportaux années précédentes.Rien que durant l’année2005, environ 3000 per-sonnes ont disparu. La sécurité est une notion inconnue pour beaucoupd’habitants. On estime à300000 le nombre deColombiens réfugiés àl’étranger (voir Un seulmonde 1/2006).

spectaculaires de prévention, de construction et dedéveloppement.«Les médias ont une grande responsabilité. Maisbien souvent, ils ne l’assument pas. Les journalistespeuvent eux aussi se mettre au service de la paixet du développement»,estime Cristina Hoyos.Elleregrette surtout que la presse aborde les problèmesseulement au moment où ceux-ci sont susceptiblesde faire les grands titres. C’est effectivement le castrès souvent, surtout pour les médias tels que la té-lévision, la presse de boulevard et les magazinesgrand public.Parallèlement,relève Roger Blum,ona vu augmenter au cours des 30 dernières annéesles analyses et les reportages de fond diffusés par lesmédias de haut niveau, les revues de qualité et lesradios publiques.Roger Blum souligne le rôle important que jouentles revues et autres publications diffusées par lesagences d’aide et de développement ainsi que parles organisations non gouvernementales. Ces or-ganes d’information ne touchent certes qu’un pu-blic relativement restreint et déjà sensibilisé, maisils peuvent déclencher un effet boule de neige.

Mobilisation humanitaireLes acteurs accomplissent eux-mêmes une partappréciable du travail de sensibilisation. Des orga-nisations humanitaires comme Médecins sans fron-tières, des agences onusiennes telles que le Bureaude coordination des affaires humanitaires (OCHA),mais aussi l’aide humanitaire de la DDC assument

Colombie et Somalie (photos du haut), Guatemala et Myanmar (photos du bas)

également de plus en plus souvent des activités de«plaidoyer». Elles s’efforcent de combattre l’oubli,de lancer certains thèmes dans le débat public etles médias. Les intervenants humanitaires sont souvent les seuls étrangers présents dans les régionsen proie à des crises latentes. Ils peuvent déceler àtemps les développements de la situation et en témoigner à l’extérieur. Les appels de Jan Egelandsont à situer dans un tel contexte. Ils ne rencon-trent toutefois un écho que si une catastrophe ouun conflit sont déjà en cours. Les fonds de secoursaffluent en règle générale à partir du moment oùdes images et des histoires d’enfants affamés et decivils tués envahissent les médias.«Les conflits qui me font le plus peur sont ceuxque je suis obligé d’ignorer parce que l’on ne metaucun moyen à notre disposition pour les com-battre», dit Roland Anhorn, collaborateur de l’aidehumanitaire de la DDC. En ce moment, la séche-resse persistante qui sévit en Afrique le préoccupetout particulièrement. Elle a déjà fait des victimesfin 2005 et début 2006.Des secours de grande am-pleur seraient nécessaires pour éviter une situationencore plus grave.Compte tenu de l’évolution pré-visible et de la situation politique instable, il appa-raît que l’on s’achemine vers une gigantesque catastrophe humanitaire en Afrique centrale. Lesconnaisseurs de la région sont toutefois unanimesà penser que ni la Suisse ni le reste du monde neseraient disposés aujourd’hui à débloquer lesmoyens nécessaires.

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Conflits oubliés

Les réfugiésLe monde comptait environ12 millions de réfugiés etdemandeurs d’asile au début de l’année 2004, indique une statistique duComité américain pour lesréfugiés. Sur dix personnescontraintes de s’exiler, septs’établissent dans despays en développement.Ces derniers accueillentnon seulement le plusgrand nombre de réfugiés,ils prennent en chargeégalement la majeure partiedes personnes déplacées.Selon Médecins sans fron-tières, 80% des réfugiéssont des femmes et desenfants. Ils sont particu-lièrement exposés à toutesles formes de violence, sexuelle notamment.

Tchétchénie et Sahara occidental (photos du haut), Congo et Tchernobyl (photos du bas)

Savoir et agirMais savoir ne suffit pas. Il faut aussi agir pour quel’on puisse espérer des améliorations. La DDC ad’ailleurs pu constater ces dernières années qu’untravail de lobbying tant en Suisse qu’à l’échelle in-ternationale – notamment auprès de l’ONU –peut tout à fait porter ses fruits. Si les viols massifsperpétrés en RDC sont devenus un thème inter-national, c’est grâce au travail opiniâtre d’informa-tion et de plaidoyer qui a été effectué à tous les ni-veaux (voir article p. 12).La DDC peut mener une action importante lors-qu’elle a un bureau sur place et qu’elle est encontact avec des personnes de confiance.En Tché-tchénie par exemple, le travail de la Suisse est d’au-tant plus nécessaire qu’il ne reste pratiquement au-cune autre organisation étrangère pour observer lasituation sur place et la relater.La vocation premièrede l’aide humanitaire consiste toutefois à porter se-cours aux victimes dans l’urgence. Pour améliorerdurablement la situation, il faut coordonner effi-cacement l’aide humanitaire, la coopération au dé-veloppement et les interventions politiques.

Thèmes oubliésChaque année, environ 14000 km2 de forêt vier-ge disparaissent au Brésil ; le déboisement et la pol-lution industrielle menacent la biodiversité danstoute la région andine. L’érosion et la dégradationde l’environnement sont des dangers dont presqueplus personne ne parle aujourd’hui. «Ces thèmes

étaient en vogue dans les années 90, après le Som-met de la Terre, à Rio.Mais depuis le 11 septembre2001, le débat sur la sécurité accapare le monde entier.D’autres sujets importants sont tombés dansl’oubli», constate Cristina Hoyos.Il en va de même pour les migrations. «Surtoutdans les pays où des affrontements armés poussentdes millions de personnes à fuir, ce thème n’est ab-solument pas traité comme il le faudrait», observeMme Hoyos. La DDC tente de relancer d’autres « thèmes oubliés», comme la problématique desarmes légères,responsables de 90 pour cent des ho-micides dans le monde, la jeunesse, le chômage desjeunes ou encore les enfants-soldats.On parle aujourd’hui d’une quarantaine de conflitset de thèmes oubliés sur la planète. Il est impos-sible qu’un jour tous aient droit aux projecteursmédiatiques et retiennent l’attention de l’opinionpublique.Seuls un travail infatigable de sensibilisa-tion et une politique des petits pas – à l’image dece que font déjà en partie beaucoup d’organisationshumanitaires et d’agences onusiennes – permettentd’espérer que les victimes et les populations me-nacées ne disparaîtront pas totalement de l’actua-lité internationale. ■

(De l’allemand)

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(gn) L’engagement de la DDC en faveur des vic-times de violences sexuelles dans l’est du Congoest parti d’un appel au secours : en octobre 2002,un groupe de femmes se sont adressées à son bu-reau de coopération à Bujumbura, capitale du Bu-rundi ; elles cherchaient de l’aide pour mettre àl’abri des victimes de violences qui se trouvaientdans la ville voisine d’Uvira, en République dé-mocratique du Congo (RDC).En l’espace de dix jours, Uvira avait été envahiepar cinq groupes différents de milices. Et celles-ciont toutes recouru à l’arme du viol. Rien que du-rant ces dix jours, les soldats ont exercé des sévicessexuels sur plus de mille femmes et filles à Uvira.

Jean Mutamba, chef du bureau de la DDC à Bu-jumbura,a immédiatement pris des mesures et uneaide d’urgence a pu être apportée à quelque 500victimes. Cela donna le coup d’envoi d’une vastecampagne de sensibilisation.On connaissait l’exis-tence des violences sexuelles, qui sont perpétréeségalement dans d’autres conflits. Mais jamais en-core ce phénomène n’avait pris une telle ampleurdans la région des Grands Lacs.Très vite, il s’est avéré que les événements d’Uvi-ra n’étaient pas un cas isolé. Lorsque les atrocitésde cette ville frontalière ont été rendues publiques,des femmes d’autres régions du pays ont racontédes expériences similaires. Depuis 2002, les orga-

La guerre qui sévit depuis des années dans l’est du Congo n’aguère d’échos dans l’opinion internationale. La violence sexuel-le y est utilisée comme une arme dirigée contre les femmes etles filles. Maintenant que des organisations d’entraide dénon-cent ces atrocités, les victimes peuvent se remettre à espérer.

L’arme du viol

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nisations partenaires de la DDC se sont occupéesde plus de 17000 femmes qui avaient été victimesde violences sexuelles dans la partie orientale de la RDC.

Rejetées par leurs proches À la DDC, on a réalisé rapidement qu’une aide àgrande échelle était indispensable. «Des comptesrendus effrayants nous parvenaient d’Uvira. Nousne pouvions pas les ignorer», résume Roland An-horn, responsable de l’aide humanitaire pour la ré-gion des Grands Lacs. Un crédit de 800000 francsa permis de mettre en place ces deux dernières années le programme «Femmes et enfants victimesde violences sexuelles», qui porte sur le Congooriental et le Burundi.Par ailleurs,on a renforcé lepersonnel du bureau de coopération à Bujumbu-ra. Des projets ont été lancés dans cinq régions, enétroite collaboration avec des organisations parte-naires locales. À côté des secours médicaux, l’ac-compagnement psychosocial des victimes revêtune importance capitale dans un tel contexte. Desmilliers de femmes ont été traumatisées par ces violsdestructeurs, de même que leurs familles.Nombred’entre elles ont contracté le virus du sida.Les victimes sont souvent rejetées par leurs proches.Elles se sentent malades, brisées, et ne parviennentplus à assumer leurs tâches essentielles dans la fa-mille et la société.«Beaucoup de nos interlocutricesse plaignent que le monde les a oubliées», rappor-te Ann-Kathrin Bohnert, qui a travaillé une annéeet demie comme assistante dans le programmecontre la violence sexuelle. «Dans l’est de la RDC,il n’existe ni infrastructures ni système juridiquepour protéger les gens. Et pendant longtemps, lesvictimes ne pouvaient parler des viols avec per-sonne.» Les choses ont commencé à changer avecl’ouverture de «maisons d’écoute», petits centresdisséminés dans toute la région.Les victimes y trou-vent un soutien et peuvent raconter leur souffrance.«Ce projet a donné aux femmes la possibilité derompre le silence. Elles pouvaient enfin parler dece qui leur était arrivé, on entendait leur voix. Etelles ont retrouvé l’espoir d’être aidées», résumeMme Bohnert. L’aide est fournie par de nombreu-ses organisations locales et internationales, dont laDDC. Celle-ci soutient également des projets quivont plus loin en donnant aux femmes les moyensd’un nouveau départ économique. Elle travaillesurtout dans le domaine de la sensibilisation et duplaidoyer en faveur des victimes.

La publicité aideSoutenues par le programme de la DDC, environ200 victimes de viols ont eu le courage de porterplainte contre leurs agresseurs. C’est là une entre-

prise extrêmement difficile et pénible pour cellesqui s’y lancent. Et les chances de succès sontminces. Le réseau «Synergie des femmes pour lesvictimes des violences sexuelles», à Goma, a dépo-sé auprès du Parlement congolais de transition unprojet de loi qui devrait assurer à l’avenir unemeilleure protection contre les violences d’ordresexuel.Justine Masika, coordinatrice du réseau, a pronon-cé un exposé sur ce thème devant les procureursgénéraux de la RDC. À Bunia, un groupe defemmes travaillent à la sensibilisation des milices armées.«Je suis toujours impressionnée de voir avecquel engagement et quel courage les Congolaisesse battent, sans hésiter à appeler un chat un chat.Elles prennent de gros risques », observe Ann-Kathrin Bohnert. Toutes ces actions ont pu être engagées seulement après que les violences sexuel-les en RDC ont été portées à la connaissance del’opinion internationale.Des médias comme CNN ont également joué unrôle important : les femmes qui se risquent à réagirsont protégées par la publicité donnée à leur ac-tion, et la pression internationale les aide à acqué-rir un nouveau statut. Ainsi, on peut espérer au-jourd’hui que des mesures seront prises au niveaulocal non seulement pour traiter les traumatismessubis,mais aussi pour assurer une prévention à longterme. ■

(De l’allemand)

Des victimes racontent«Cette nuit-là, vers deuxheures du matin, il y a euune attaque contre notrevillage. Cinq hommes ar-més sont entrés de forcedans notre maison. J’étaisavec mon mari et mes en-fants, mais ils m’ont em-menée dans la brousse etm’ont forcée à me coucherpar terre et à écarter lesjambes. Ils m’ont violée lescinq, jusqu’à ce que leurdésir soit assouvi. Puis ilsm’ont ramenée au village.Ma maison avait été brûléeet mes enfants s’étaientenfuis.» Congolaise de 32 ans,violée en mars 2003

«Depuis que j’ai été violéeen août 2002, je vis dans lapeur. Mon mari m’a quit-tée, me laissant seule avecnos huit enfants ; deux sontmorts de faim entre-temps.J’ai moi-même perdu beau-coup de poids. Je n’arriveplus à dormir et n’ai pas laforce de m’occuper desenfants. Mon mari a ditqu’il pourrait me reprendresi je retrouve la santé. Maispeut-être qu’il a maintenantune autre femme.»Congolaise, novembre 2003

Conflits oubliés

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Un seul monde : quand et pourquoi desconflits tombent-ils dans l’oubli? Lothar Brock: À l’époque de l’affrontement Est-Ouest, beaucoup de conflits violents survenantdans ce qu’on appelait alors le Tiers Monde étaientdes guerres par procuration. On les suivait parconséquent avec beaucoup d’attention. Lorsque laguerre froide a pris fin, l’intérêt est retombé. Uneévolution qui a été renforcée par l’apparition denouveaux conflits, menés souvent avec une in-croyable brutalité.Ceux-ci étaient en totale contra-diction avec les attentes suscitées par la fin paci-fique de l’hostilité entre les deux blocs.Les guerrestombent donc dans l’oubli lorsque l’évolution ducontexte géopolitique mondial leur fait perdre leurimportance ou lorsque d’autres guerres viennentoccuper le devant de la scène. Mais elles peuventaussi traîner en longueur au point qu’on s’y habi-tue, qu’on ne les remarque même plus. La guerrecivile en Angola en était un exemple.

Qui est-ce qui oublie les guerres et lesconflits ? Qui sont ceux qui agissent oun’agissent pas?Il faut citer en premier lieu la «communauté in-ternationale», si souvent évoquée, qui est incarnéepar les Nations Unies.Mais ce que fait l’ONU dé-pend en fin de compte des États membres, lesquelsse considèrent d’une part comme des représentantsde la «communauté internationale» mais défendentd’autre part leurs propres intérêts. Ce ne sont passeulement les gouvernements qui déterminent cequ’est l’intérêt national, mais aussi l’opinion pu-blique nationale et mondiale. Souvenez-vous de laguerre civile en Somalie. Dans ce pays, il a fallu la pression d’une médiatisation intense pour quel’engagement international se renforce, prenantd’abord la forme d’une intervention militaire.Lorsque cet engagement a échoué, une nouvelleet vigoureuse mobilisation a réclamé le retrait destroupes. Puis l’opinion publique des pays interve-

Qu’un événement fasse la une des journaux ou que la commu-nauté internationale ferme les yeux, toute attitude porte àconséquence. Il faut donc bien peser les mesures envisagéesen matière de prévention et de transformation des conflits. C’est ce que demande Lothar Brock, spécialiste des études sur la paix. Entretien avec Gabriela Neuhaus.

Les États doivent agir de

Lothar Brock, 67 ans, a étudié les sciences poli-tiques, l’histoire contempo-raine et le droit public àl’Université de la Sarre et à l’Université libre de Berlin.De 1979 à 2004, il a étéprofesseur de sciencespolitiques, spécialisé dansles relations internationa-les, à l’Université JohannWolfgang Goethe, àFrancfort. Depuis 1981,Lothar Brock est chef deprojet à la Fondation pourla recherche en matière de paix et de conflits, enHesse. Depuis 1992, ilpréside la Chambre desÉglises évangéliquesd’Allemagne pour le déve-loppement durable. Sesrecherches sont principale-ment axées sur les théo-ries de la paix, les dispa-rités du développement(conflits Nord-Sud) et les «nouvelles guerres». Il estaussi membre du groupeinternational d’expertschargé d’évaluer le Pôle de recherche nationalNord-Sud du Fonds national suisse.

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nants n’a plus rien voulu savoir du conflit soma-lien. Elle a «oublié» cette guerre. Pire encore, ellel’a refoulée.Les conséquences ont été dramatiques:lorsque deux ans plus tard le conflit s’est exacerbéau Rwanda, on a fermé les yeux dans l’espoir quele danger irait en s’estompant; ce qu’il n’a mani-festement pas fait, comme on le sait. Et quelque 800000 personnes ont perdu la vie.

À quoi et à qui est-ce utile qu’un conflit soitsorti de l’oubli pour être placé sous les pro-jecteurs de l’opinion mondiale?Il n’est pas très simple de répondre à cette ques-tion. Reprenons l’exemple de l’antagonisme Est-Ouest : l’attention portée aux «guerres par procu-ration» qui se déroulaient à l’époque dans le Sudavait pour effet d’attiser ces conflits. Quand la findu monde bipolaire a fait retomber cet intérêt, lesbelligérants ont vu rapidement fondre les ressourcesdont ils avaient besoin pour leurs opérations mili-taires. Par conséquent, le fléchissement de l’atten-tion internationale a entraîné la cessation des com-bats dans toute une série de cas.Mais les problèmessous-jacents n’étaient pas résolus pour autant. Denombreuses guerres ont éclaté à nouveau. L’ab-sence de soutien extérieur a conduit les belligérantsà réduire leurs dépenses, par exemple en recrutantdes enfants-soldats. Cela montre que tout engage-ment externe à l’égard de conflits peut avoir deseffets problématiques, au même titre que «l’oubli».On en a tiré deux leçons: d’une part, les répercus-sions involontaires de son propre comportementdoivent être prises en compte dans l’élaborationd’une stratégie ;d’autre part, il est nécessaire de fai-re davantage pour consolider la paix.

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Comment empêcher que l’on «oublie» unconflit? Quel est à cet égard le rôle des mé-dias, des Nations Unies, des agences de dé-veloppement gouvernementales, des organi-sations non gouvernementales (ONG)?L’Assemblée générale des Nations Unies a recon-nu en septembre 2005 que les États ont la respon-sabilité de protéger les individus contre la violen-ce illégitime. Chacun d’entre eux a le devoir deprotéger sa propre population. Mais cette respon-sabilité incombe également à la «communauté in-ternationale», dans la mesure où certains États nesont pas à même d’assumer leur obligation de pro-tection ou la transgressent volontairement. On aainsi créé, sur le papier tout au moins, les fonde-ments des efforts internationaux qui viseront à ci-viliser les conflits à l’échelle planétaire.Un premierpas a été fait vers la réalisation de cette tâche avecla création par l’ONU de la Commission pour laconsolidation de la paix. Mais ce qui reste essen-tiel, c’est l’engagement des États et leur capacité àagir de manière cohérente. Ils doivent surtout as-surer une bonne coordination entre la politiqueétrangère, la politique de développement et la po-litique de sécurité. Le comportement adopté parun gouvernement dépend,comme nous l’avons dit,de l’intérêt exprimé par l’opinion publique. C’estpourquoi il est important que les ONG apportentdes informations concrètes et que les médias soientdisposés à rendre compte également des conflits «marginaux». Malheureusement, le climat actueln’est pas très favorable à la pratique d’une politiquedifférenciée et portant sur plusieurs niveaux. ■

(De l’allemand)

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Les rivalités ethniques, les combattants du djihad et les ma-nœuvres géopolitiques d’États «amis» ont fait de l’Afghanistanun champ de bataille au cours des dernières décennies. Maisce pays exsangue se remet lentement de ses blessures. En dépit de dépendances dangereuses, il vit actuellement une période certes difficile, mais comparativement heureuse. DeAhmad Taheri*.

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Des élus, un début depaix et toujours le pavot

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Combats meurtriers entre clans Dans ce bâtiment du parlement,construit au tempsde Zaher Shah, les représentants des ethnies tradi-tionnellement rivales siégeaient ensemble: Pach-tounes, Tadjiks, Hazaras, Ouzbeks, Baloutches,Turkmènes, Nouristanis, Pachaïs, Pamiris et Kir-ghizes. Une telle entente aurait été inimaginablequelques années auparavant.Durant près d’un quartde siècle,on ne s’était parlé en Afghanistan que parkalachnikovs interposées.D’abord, les communistes ont conquis le pouvoiravec l’aide de Moscou. Puis ils ont tenté de trans-former par la force la société afghane, fondée surle tribalisme, pour en faire un État centralisé.Lorsque les régions ont réussi à se soulever contrele nouveau pouvoir en 1979, l’Armée rouge a en-vahi l’Afghanistan entre Noël et Nouvel-An.Le Kremlin a commis là sa plus grande erreur. Lesreligieux ont appelé au djihad, guerre sainte contreles incroyants, et les Afghans ont pris les armes. LePakistan et plusieurs pays arabes ont «aidé» leursfrères afghans. Même la lointaine Amérique a ap-porté son soutien. Les combattants du djihad ont

En ouvrant la session inaugurale du nouveau Parlement afghan, en décembre 2005, l’ancien roiMohammed Zaher Shah était visiblement ému.Cela faisait environ 35 ans qu’il n’était plus mon-té à cette tribune pour adresser un discours à sonpeuple. À cette époque, le monarque avait organi-sé les premières élections libres de l’histoire afgha-ne. Plus tard, il avait été renversé par son cousinMohammed Daoud. En 1973, Zaher Shah s’étaits’exilé à Rome. Personne ne pensait alors sérieu-sement qu’il reviendrait un jour dans son pays nicomme roi, ni même comme «Père de la Nation»,son titre honorifique depuis maintenant trois ans.

Turbans, voiles et cravates au Parlement L’inauguration du Parlement était le dernier actedu processus de démocratisation défini en 2001 lorsde la conférence de Bonn-Petersberg.La Shura-yeMelli – nom de l’Assemblée nationale en dari – estconstituée de deux chambres : la Chambre des dé-putés, ou Wolesi Jirga, et le Sénat, ou Meshrano Jirga.Les élections parlementaires de septembre 2005 ne comportaient pas de listes. C’était une électionde personnes et non de partis politiques. C’estpourquoi il est difficile, aujourd’hui encore, de sa-voir quels camps politiques ou idéologiques sontreprésentés au Parlement, d’autant plus que les Afghans ont la réputation de changer d’opinion se-lon les circonstances.Mais lors de la séance inaugurale, la seule apparenceextérieure des députés traduisait d’emblée la di-versité ethnique et culturelle de ce pays monta-gneux. Des messieurs rasés de près et portant descravates multicolores côtoyaient des Pachtounesbarbus, enturbannés avec élégance. Les anciensmoudjahidine étaient reconnaissables à leur pakol,cette coiffe que portait Ahmad Shah Massoud,le légendaire commandant des Tadjiks. Ils étaient assis à côté de députés ouzbeks, vêtus de leur blouse rayée.L’assemblée comprenait également 70femmes. Beaucoup portaient le voile, d’autres unléger foulard qui leur servait plus d’accessoire quede couvre-chef.

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L’objet de tous lesjours Le patouPièce de laine ou de coton,le patou mesure environdeux mètres de long et unmètre de large. Sa teintehabituelle est marron clair.Les hommes le plient dansle sens de la longueur et leportent sur l’épaule droite,comme un accessoire vesti-mentaire. Les femmes s’enfont une coiffe, ce qui ne lesmet guère en valeur. Dansles deux principales languesdu pays, le dari et le pach-tou, cet objet se nommepatou, ce qui correspond à peu près à «châle» enfrançais. Déplié, le patouprotège contre les morsuresdu froid et les brûlures dusoleil, contre le vent et lapoussière. Il sert de nappeou de tapis de prière. Onpeut y cacher sa kalachni-kov ou l’opium passé enfraude. Les réfugiés y enve-loppent leurs affaires, lesvoyageurs leurs provisionsde route. Ce plaid sert ausside serviette pour la toiletteou les ablutions rituelles.Ses usages ne sont pastoujours honorables. Ainsi, il fait parfois office d’armesilencieuse: bien des assas-sinats par strangulation sontperpétrés au moyen d’unpatou. Épris de propreté,les Afghans lavent leur pa-tou fréquemment.

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octobre 2004. Elles ont fait de Hamid Karzaï, âgéaujourd’hui de 49 ans, le premier président démo-cratiquement élu de l’Afghanistan.Mais la paix n’est pas encore revenue au pied del’Hindu Kush: les talibans et les membres d’Al-Qaïda continuent de sévir dans le sud et l’est dupays. L’Afghanistan est pourtant en train de vivreune période heureuse par rapport aux dernières décennies. Les grandes villes – Kaboul, Herat,Mazar-i-Sharif, et même Kandahar, qui fut la capitale religieuse des talibans – renaissent de leurscendres.Partout on construit, de nouvelles routes sont tra-cées.La kalachnikov,qui était autrefois la parure deshommes afghans, a disparu du paysage.L’armée oula police nationale sont seules à porter des armes.

La monoculture du pavot Cependant, on ne produit pas grand-chose dans lepays.Le principal pilier de l’économie afghane res-te l’opium.En mai,quand le pavot déploie ses fleursrouges, les cultures semblent s’embraser. Les pay-sans vont aux champs avant le lever du soleil pourinciser, à l’aide d’un petit couteau, les capsulesvertes du pavot. Puis ils raclent la sève qui s’écou-le des stries et la collectent dans une écuelle. Ils lasèchent, la nettoient et donnent à la pâte ainsi ob-tenue la forme de petites briques. Peu après, cesbarrettes noires sont déposées devant les maisonsvillageoises, attendant les clients.Les plantations afghanes ont fourni l’an dernier en-viron 70 pour cent de la production mondialed’opium. Hamid Karzaï ne se lasse pas d’exhorterles paysans de son pays à abandonner la culture dupavot. Mais ni le gouvernement afghan ni l’ONUn’ont pu jusqu’ici proposer à la population localedes cultures alternatives qui lui assureraient unesource de revenus à peu près équivalente. ■

*Ahmad Taheri, journaliste germano-iranien, travaillepour le Tages-Anzeiger à Zurich et la Frankfurter All-gemeine Sonntagszeitung. Il est spécialisé sur les pays islamiques d’Orient.

(De l’allemand)

fini par obtenir des missiles sol-air Stinger, l’armemiracle avec laquelle même un Afghan borgnepouvait abattre des Mig soviétiques. L’URSS s’estretirée en 1990.Quant à son protégé,MohammedNajibullah, il a jeté l’éponge deux ans plus tard.C’est alors seulement qu’a commencé la véritabletragédie afghane.Après avoir lutté ensemble contrel’occupant soviétique,sept groupes de combattantsse sont disputé le butin. Kaboul s’est transforméeen champ de bataille : les Pachtounes, les Tadjiks,les Ouzbeks et les Hazaras – chiites d’origine mon-gole – s’entretuaient dans la capitale. Des millionsde personnes ont fui la guerre, se réfugiant pour laplupart au Pakistan ou en Iran. Pour finir, Kabouln’était plus que décombres.

La nuit des talibans Puis une nouvelle plaie s’est abattue sur ce paysmartyrisé : les talibans. Les «étudiants en religion»sont venus du Pakistan, avec des drapeaux blancset des armes fournies par les services secrets pakis-tanais. Ils avaient été endoctrinés par une associa-tion fondamentaliste dans les écoles coraniques si-tuées de part et d’autre de la frontière avec le Pa-kistan. Les talibans se sont emparés, l’une aprèsl’autre,de toutes les villes du pays.Kaboul est tom-bée en 1996. Leur règne a été un mélange d’isla-misme primitif et de pachtounwali, code d’honneurdes Pachtounes. Seuls dix pour cent du territoireleur résistaient encore, dans la partie septentriona-le du pays. Cette région était aux mains du prin-cipal mouvement d’opposition,l’Alliance du Nord,dirigé par le commandant Massoud.Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, une coalition militaire emmenée par les Américains a renversé le régime taliban avec l’aidede l’Alliance du Nord. En décembre de la mêmeannée, l’aristocrate pachtoune Hamid Karzaï a éténommé président du gouvernement intérimaire af-ghan. Une Loya Jirga extraordinaire – assembléetraditionnelle des dignitaires tribaux – a entériné ce choix en juin 2002. Hamid Karzaï, membre dela tribu des Popalzai, est parvenu progressivementà enlever leur pouvoir aux chefs de guerre quis’étaient arbitrairement octroyé le contrôle desprovinces. Des élections libres ont eu lieu le 9

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(bf ) La Suisse est active en Afghanistan depuis plusde 20 ans. Elle a ouvert un bureau de coopérationà Kaboul en 2002. Jusqu’à récemment, le pro-gramme suisse se concentrait sur l’approvisionne-ment alimentaire ainsi que sur le retour et l’inté-gration des réfugiés et des personnes déplacées. Ilprend maintenant le chemin d’une coopération delongue haleine pour la reconstruction et le déve-loppement.L’engagement suisse pour l’année 2006se chiffre à quelque 19 millions de francs. Sur cettesomme,10 millions financent l’aide humanitaire (lamajeure partie est allouée au CICR, au Program-me alimentaire mondial et au HCR) et 9 millionsde francs vont à des projets de développement.

Aide humanitaireEau potable et eaux usées: dans les environs deKandahar, région sèche et désertique située au suddu pays,on construit des réseaux d’approvisionne-ment en eau et on réalise des projets d’assainisse-ment en collaboration avec des ONG internatio-nales et avec le ministère compétent. Par ailleurs,un nouveau projet vise à trouver des réserves d’eausouterraine qui soient utilisables pour la distribu-tion d’eau potable et l’irrigation.

Prévention et préparation: on s’emploie à ré-duire les risques inhérents aux catastrophes natu-relles telles que séismes ou inondations. Il s’agit deprendre des mesures appropriées en matière d’or-ganisation, d’infrastructure, de coordination, etc.

Coopération au développementBonne gouvernance: les efforts visent surtout à renforcer les structures gouvernementales (la Suis-se a notamment soutenu la procédure électoraleconduisant à la formation du gouvernement, ain-si que la formation de diplomates), l’organisationlocale, le développement institutionnel à divers ni-veaux et les droits de l’homme.Développement rural: le programme veut amé-liorer les conditions de vie dans des zones de col-lines et de montagnes, mettant l’accent sur l’aug-mentation des récoltes, le renforcement de la so-ciété civile, la baisse de la mortalité, l’égalité entreles sexes et une éducation de meilleure qualité.Coordination de l’aide et promotion du savoir: la Suisse soutient l’Unité afghane de re-cherche et d’évaluation (AREU), dont les étudesportent par exemple sur le droit foncier, les relationshommes-femmes et le développement urbain.

Faits et chiffres

Nom République islamiqued’Afghanistan

CapitaleKaboul(env. 1,8 million d’habitants)

Population30 millions d’habitants

Superficie 652000 km2

Groupes ethniques Pachtounes: 38% Tadjiks : 25% Hazaras: 19% Ouzbeks: 6% ainsi que des groupes plusrestreints (Aimaks,Turkmènes, Baloutches etNouristanis entre autres)

Langues Le dari (persan moderne)est la langue officielle (50%),à côté du pachtou (35%) etd’une vingtaine d’autres langues

Religions Musulmans: 99%, dont84% de sunnites et 15% de chiitesDivers : 1%

Produits agricolesOpium, céréales, fruits, noix, laine, viande de mou-ton, peaux de moutons etde chèvres

L’Afghanistan et la Suisse Vers une coopération durable

Afghanistan

Repères historiques

1747–1773 Ahmad Shah, du clan pachtoune desAbdali, fonde l’empire Durrani, ce qui marque ledébut de la nation afghane.

1838–1842 Première guerre anglo-afghane.

1842 Les guerriers afghans massacrent le corps ex-péditionnaire britanique,composé de 4500 soldatset 12000 suiveurs.

1879 Deuxième guerre anglo-afghane.

1919Troisième guerre anglo-afghane.

1923 Le roi Amanullah proclame l’avènementd’une monarchie constitutionnelle.

1933–1973 Règne de Zaher Shah.

1973 Le roi est renversé par son cousin Moham-med Daoud Khan, qui proclame la République.

1978 Le parti communiste prend le pouvoir avecle soutien de l’Union soviétique.

1979 Du 24 au 27 décembre,les troupes soviétiquesenvahissent l’Afghanistan. Début de la guerre quiles opposera pendant dix ans aux moudjahidine.

1989 L’Armée rouge se retire d’Afghanistan.

1992 Renversement du régime communiste deMohammed Najibullah.

1992–1996 Des combats incessants mettent Ka-boul à feu et à sang.

1994Vers la fin de l’été, les talibans pénètrent dansles provinces méridionales de l’Afghanistan.

1996 Les talibans prennent Kaboul en septembre.

2001 Malgré des protestations venues du mondeentier, les talibans détruisent les statues de Boud-dha, à Bamiyan.

2001 Le 11 septembre,des attentats terroristes sontperpétrés contre le World Trade Center à New Yorket le Pentagone à Washington.En octobre, les États-Unis lancent une intervention militaire en Afgha-nistan. Le 12 novembre, les talibans abandonnentKaboul à l’Alliance du Nord. La conférence surl’Afghanistan commence fin novembre à Peters-berg, près de Bonn. Le gouvernement provisoiredirigé par Hamid Karzaï se met au travail le 22 dé-cembre.

2002 En juin, la Loya Jirga – assemblée tradition-nelle – confirme Hamid Karzaï dans sa fonctionde président du gouvernement provisoire.

2004 La nouvelle Constitution afghane est adop-tée le 4 janvier. Des élections libres se déroulent le9 octobre. Elles portent Hamid Karzaï à la prési-dence du pays.

2005 Pour la première fois depuis 30 ans, les Af-ghans sont appelés aux urnes, le 18 septembre,pourdésigner leurs députés à l’Assemblée nationale,composée de deux chambres. Golfe Persique

Pakistan

Chine

TurkménistanTadjikistan

Ouzbékistan

Iran

Kaboul

Inde

Afghanistan

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Un seul monde No 2 / Juin 200620

Jawed Nader vit àKaboul, où il travaillecomme advocacy officerpour le Forum de la so-ciété civile afghane. Il estmembre de la FondationAgahi (conscience), uneorganisation civique d’étudiants, et du projet «Forum des jeunes diri-geants», mis sur pied parla Fondation FriedrichEbert. Jawed Nader aimeson travail «parce quenous cherchons à dévelop-per l’esprit citoyen dansune nation qui a derrièreelle une longue histoire de guerres civiles».

Un célibataire à Kaboul

Afghanistan

Tous mes collègues se sont moqué de moi. Sur-tout Frozan. «Jawed, où te crois-tu?», m’a-t-elle demandé. Je me suis alors souvenu que dans la cul-ture afghane,un ami ou un membre masculin de lafamille ne rend pas visite à une femme qui vientd’accoucher. De même, il est embarrassant d’abor-der en public des questions qui touchent à la ma-ternité. C’est d’ailleurs pourquoi les femmes en-ceintes sortent rarement de chez elles.Mais ce jour-là, je n’ai pas pris les remarques au sérieux. J’étaisbien conscient que mon comportement avait étéquelquefois maladroit depuis que je m’étais réins-tallé en Afghanistan, il y a deux ans.

Je suis un Afghan ordinaire qui vit à Kaboul et quin’a jamais résidé très loin de l’Afghanistan. Pour-tant, je ne connais pas très bien les traditions de mapatrie. C’est en 1989, à mon troisième jour d’éco-le, que ma mère décida de quitter notre terre nata-le, dans le district de Jaghori. Nous sommes partis,avec ma sœur et mes trois frères, pour une destina-tion qui m’était inconnue. Cela se passa bien jus-qu’au moment où nous nous sommes tous mis àpleurer. Nous venions de quitter l’Afghanistan enguerre pour pénétrer sur le sol pakistanais. C’est làque je rencontrai mon père pour la première fois.Trois doigts manquaient à sa main droite à caused’une bombe, ce qui me fit hésiter à accepter sonamour paternel. J’ai vécu treize ans au Pakistan. J’aiobtenu mon diplôme d’études secondaires début2001, sans croire à l’avenir de l’Afghanistan. Monfrère aîné Baser et moi avons décidé de demanderl’asile en Grande-Bretagne. Nous avons voyagé

illégalement à travers l’Iran, la Turquie, la Grèce…Une route sur laquelle beaucoup d’Afghans ont perdu la vie.

Après le 11 septembre 2001, la situation a complè-tement changé en Afghanistan. Donc mes plansaussi. Je suis revenu au Pakistan, j’ai passé un diplô-me en technologie de l’information.Finalement jesuis revenu en Afghanistan fin 2002, après quator-ze ans d’absence. Je me suis inscrit au départementd’anglais de l’Université de Kaboul et j’ai com-mencé de travailler comme assistant du représen-tant de la Fondation suisse pour la paix. Mais mafamille vit toujours au Pakistan, parce que le coûtde la vie est trop élevé en Afghanistan. Le pays esten train de se transformer en une pure société deconsommation (les importations sont onze fois plusélevées que les exportations).

La vie n’est pas facile à Kaboul, surtout quand onest seul. Les propriétaires ne veulent pas louer leurmaison à un célibataire parce qu’ils croient qu’unhomme seul est dangereux. D’ailleurs, ils ont descentaines d’autres prétextes pour refuser.J’ai fini partrouver l’an passé une petite chambre dans une me-nuiserie, c’est là que je vis maintenant. Cela meconvient car je passe mes journées à l’extérieur,loindu bruit et des disputes entre les menuisiers!

Mais il arrive que la vie soit très difficile. Un soir,cet hiver, j’ai travaillé tard et suis arrivé chez moivers 21 heures.Les conduites avaient gelé. Je n’avaispas d’eau pour cuisiner un repas et ne pouvais pasnon plus manger dehors,car les cafés de mon quar-tier sont fermés dès la tombée de la nuit.Par moins15 degrés, sans électricité ni chauffage et l’estomacvide, je ne pouvais pas dormir.Mais je me suis don-né du courage en pensant à ces Afghans qui sontobligés de vivre sous tente depuis leur retour au pays.

Avec toutes ses difficultés et ses merveilles, l’Af-ghanistan est l’endroit où je me sens bien.Parce quec’est le pays où vivent des gens qui partagent mesproblèmes, expriment ce que je pense et regardentdans la même direction que moi. C’est une terreoù des civilisations se sont rencontrées, où des cul-tures ont évolué durant des millénaires. Cela luidonne le potentiel de renaître indéfiniment de sescendres, tel un phénix.Les innombrables défis à af-fronter nous épuisent par moments,mais nous fontaussi comprendre la quantité de travail à accomplirpour devenir une nation viable. ■

(De l’anglais)Hilg

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On le sait, un droit ne mérite ce nom que si sesdétenteurs peuvent le faire valoir et si le jugementprononcé est vraiment exécuté. En théorie, prati-quement tout le monde est d’accord là-dessus.Mais au quotidien, les choses se présentent danstrop de pays sous un jour plus sombre, voire dra-matique en ce qui concerne les femmes. Cette si-tuation interpelle le gouvernement, l’État, la so-ciété, le système judiciaire,mais aussi les acteurs dudéveloppement.On ne peut pas se contenter d’éla-borer une approche basée sur les droits de l’hom-me et d’en faire un thème transversal de la coopé-ration au développement. Non, il faut des pro-grammes et des projets concrets qui permettent auxinstitutions et aux individus de vivre les droits del’homme et d’en exiger le respect. L’importanceprimordiale d’une justice indépendante nous pa-raît aller de soi. Mais on constate souvent que lajustice ne fonctionne pas ou qu’elle est en concur-rence avec des juridictions coutumières.

En matière de droits de l’homme comme dansd’autres domaines, la coopération au développe-ment ne saurait se contenter de donner des leçonsou de secouer la tête avec désespoir. Il faut trou-ver les moyens d’instaurer des partenariats orien-tés vers des objectifs. Cela requiert de la motiva-tion, une volonté d’apprendre et un travail delongue haleine sur le terrain. Là comme ailleurs,ce ne sont pas des ordres venus d’en haut qui ap-porteront la solution, mais un soutien patient auxprocessus de construction de la société et de l’État.Il est fondamental à cet égard de favoriser l’émer-gence d’une classe de citoyens conscients de leursresponsabilités.Plus les systèmes d’éducation s’amé-liorent, plus les citoyens sont capables d’assumeraussi bien leurs devoirs que leurs droits. Et plusl’ordre juridique fonctionne.

La coopération doit être déployée de manière pluspratique.Plaintes,regrets et dialogues politiques nesuffisent pas. Bien entendu, la critique est impor-tante. Au même titre que les contrôles et leséchanges d’expériences. Mais les gouvernementsdoivent de leur côté prendre en considération ceque leurs citoyens attendent d’eux. Pas seulementavant des élections,mais pendant toute la durée deleur mandat.

Cela demande aussi de la compréhension et unelangue commune entre les acteurs.Certes, les droitsde l’homme sont universels, mais ils se vivent tou-jours dans un contexte culturel particulier. Com-prendre cela suppose une compétence intercultu-relle. Il y a des ratés dans le système international,des lacunes à combler.Tous les acteurs en sont-ilsconscients? Je ne le crois pas.Ainsi, nous sommesbien plus sollicités que nous ne le voudrions. Onnous demande de découvrir d’autres modes depensée, d’apprendre d’autrui, d’abandonner despréjugés et d’élaborer patiemment des solutions. ■

Walter FustDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

Droits de l’homme et développement

Opinion DDC

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( jls) Ces pommes de terre ont toutes les formes etles tailles imaginables. Leur peau et leur chair sontblanches, jaunes, roses, bleues ou violettes. On re-cense plus de 2000 variétés dans la Cordillère desAndes, terre d’origine de ce tubercule.Résistantesau gel et à la sécheresse, la plupart sont cultivéesau-dessus de 3800 mètres d’altitude, dans un envi-ronnement peu propice à la croissance d’autresplantes alimentaires. Certaines communautés ru-rales sèment jusqu’à 80 variétés différentes depommes de terre. Les papas chères aux Incas ontété sélectionnées et améliorées au fil du temps parles paysans andins. À moyenne altitude, elles cô-toient des champs de céréales, de haricots ou demaïs. En s’appuyant sur des méthodes ancestrales,les communautés indigènes assurent leur sécuritéalimentaire malgré un climat rigoureux et des solspeu fertiles. Mais leur savoir est en train de s’éro-der. De plus en plus de cultivateurs se laissent

convaincre que le progrès consiste à remplacer lespratiques traditionnelles par des technologies mo-dernes. Cette évolution menace l’équilibre del’écosystème et réduit la diversité de sa base géné-tique.

Patrimoine culturel et biologiqueLes paysans andins ne vendent qu’une faible par-tie de leur production sur les marchés locaux, l’es-sentiel étant destiné à l’autosubsistance. Ils pour-raient se procurer des revenus supplémentaires entirant profit des ressources naturelles qui les en-tourent.Telle est l’idée de base d’un programmeambitieux lancé début 2006 par la DDC. D’unedurée de dix ans,BioAndes concerne la Bolivie, lePérou et l’Équateur. Ses activités se déploieront endehors des parcs nationaux et des zones protégées,qui couvrent 12 à 18 pour cent de la superficie deces pays.

Dialogue des savoirs dans

Les paysans des Andes, qui vivent dans des conditions très pré-caires, sont les gardiens d’un extraordinaire patrimoine biolo-gique. Un programme de la DDC vise à réduire leur pauvreté enles aidant à exploiter de manière durable les produits issus dela biodiversité. Il se base sur la rencontre du savoir indigène etdu savoir académique.

La papa se modernise Au Pérou, la consommationde pommes de terre a dimi-nué durant les dernièresdécennies, au profit despâtes et du riz. Cette évolu-tion porte préjudice à desmilliers de paysans andins.Avec le soutien de la DDC,le Centre international de lapomme de terre, à Lima, amis sur pied un programmequi vise à moderniserl’image du vénérable tuber-cule. C’est ainsi qu’est néela marque T’ikapapa: sousce nom, des entreprisescommercialisent dans lessupermarchés de la capi-tale 20 variétés de pommesde terre, bien sélectionnéeset bien emballées. En 2005,T’ikapapa a reçu le prix dela Créativité entrepreneu-riale, attribué par l’Univer-sité péruvienne des scien-ces appliquées. Le jury asouligné que T’ikapapa meten valeur les variétés indi-gènes selon un nouveauconcept de marketing. Deplus, ce produit exploite labiodiversité afin d’assurerdes revenus durables à depetits producteurs andins et aux entreprises concer-nées.

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Offrandes à PachamamaPour les populations andi-nes, l’univers se divise entrois entités dépendantesl’une de l’autre : la sociétéhumaine, la nature et les di-vinités. Leurs relations sontfondées sur la réciprocité. «Cette vision confère unedimension éthique et mora-le à la production agricole»,explique le sociologue ruralStephan Rist, qui a étudiéle savoir indigène. Pourqu’une récolte soit bonne,il ne suffit pas d’utiliser latechnologie adéquate. Lacroissance des culturesdoit s’accompagner de rituels collectifs et d’offran-des aux divinités. Les pay-sans vénèrent surtoutPachamama, créatrice detous les êtres vivants, quiincarne la fertilité et la fé-condité. Si les hommes secomportent bien à sonégard, en maintenant la biodiversité par exemple, la Mère de la terre veille àce que les récoltes soientbonnes. Dans le cas con-traire, elle se montre moinsgénéreuse. Lorsque lescultures sont anéanties parla grêle ou la sécheresse,ces phénomènes sont attribués à la colère dePachamama.

les Andes

vulnérables. «Victimes de discriminations et demépris, les indigènes ont développé un complexed’infériorité à l’égard des Blancs», explique WilliGraf. Il y a quelques années encore, les citadins dé-daignaient les produits andins,comme la quinoa oula viande de lama.Cela commence à changer.PourBioAndes, la distribution de ces marchandises surles marchés nationaux contribue à la reconnais-sance de la culture indigène.

Des régisseurs locauxLe programme est exécuté par un consortiumcomprenant l’institut d’écologie agricole Agrucode l’Université de Cochabamba (Bolivie), la fon-dation Ecociencia (Équateur) et l’association ETC(Pérou).Ces trois institutions ont été sélectionnéessur la base d’un appel d’offres au niveau régional.Agruco, qui dirige le consortium, et Ecociencia reçoivent une aide de la Suisse depuis de nom-breuses années.Dans la région andine, c’est la première fois que laDDC confie un programme d’une telle ampleur àdes régisseurs locaux. «Cela montre qu’il vaut lapeine d’investir pour renforcer les capacités insti-tutionnelles de nos partenaires. Lorsque des com-pétences existent sur place, il est logique que desacteurs nationaux prennent la direction des opé-rations», relève Giancarlo de Picciotto.La premiè-re tâche du consortium consiste à organiser unemise au concours afin de définir les projets qui seront financés dans chaque pays. Ce processus devrait être achevé à l’automne 2006. ■

Giancarlo de Picciotto, un des responsables de ceprogramme à la DDC, en explique le concept :«La réduction de la pauvreté ne doit pas passer parune uniformisation des valeurs et des coutumes.Nous misons au contraire sur la revalorisation despratiques traditionnelles qui ont permis jusqu’icide maintenir des milliers d’espèces végétales et ani-males.» Le programme BioAndes se fonde sur lelien étroit entre l’homme et la biosphère: «On nepeut pas conserver la biodiversité sans prendre enconsidération la culture des populations qui en sontles gardiennes.»

Marchés de nicheSi les communautés andines ont une connaissanceintime des ressources naturelles, elles manquentd’outils pour en analyser toutes les potentialités.C’est pourquoi BioAndes favorisera notamment les échanges avec les milieux scientifiques.Ce dia-logue du savoir indigène avec le savoir académiquepermettra d’analyser la biodiversité et les possibi-lités de l’exploiter de manière durable.Les groupesde producteurs auront également l’occasion d’ap-prendre les uns des autres en participant à desplates-formes. «En tant que paysans de montagne,ils ne sont pas en mesure de concurrencer lesgrandes exploitations agricoles des plaines. Maisleur avantage comparatif réside précisément dansla biodiversité. Ils pourraient commercialiser desproduits de niche ou développer des activitésd’agrotourisme», note Willi Graf, chargé de pro-gramme à la DDC. En attendant que des pistesconcrètes soient identifiées, l’heure est aux hypo-thèses : supposons que l’on puisse extraire un agentcolorant d’une variété de pommes de terre ; ce produit naturel serait susceptible d’intéresser cer-taines industries, des fabricants de rouge à lèvrespar exemple.Au-delà des aspects économiques, BioAndes tientà renforcer l’estime de soi parmi ces populations

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Un seul monde No 2 / Juin 200624

( jls) La Constitution du Tadjikistan, adoptée en1994,garantit la séparation des pouvoirs, de mêmeque le droit de toute personne à être entendue parun tribunal compétent et impartial. Dans la pra-tique, ces principes sont rarement appliqués. Lecode de procédure, qui date de 1960, confère despouvoirs excessifs au ministère public. Les jugessont dépendants de l’autorité exécutive.Pour com-pléter leurs salaires dérisoires, certains d’entre euxconcluent des arrangements financiers avec lesplaignants sur la teneur du verdict.Bien des citoyensn’ont pas les moyens d’acheter la complaisance des magistrats et manquent de confiance dans lajustice.En cas de litige, les personnes démunies pré-fèrent souvent saisir des instances traditionnelles deconciliation, comme les anciens du village ou leschefs religieux.

Assistance juridique gratuiteEn 2005, la DDC a lancé un projet qui aide les po-pulations défavorisées, en particulier les femmes, àprendre conscience de leurs droits et à les faire va-loir.Elle soutient neuf centres d’assistance juridiquedont les prestations sont gratuites. Ces institutions

dispensent des conseils et mettent à disposition desavocats qui assistent les clients dans les procéduresjudiciaires. La Suisse finance l’équipement des bu-reaux et la formation continue des avocats.En l’ab-sence d’un recueil national de jurisprudence, lesneuf centres constituent un registre de tous les casqu’ils traitent. «Un réseau informatique permet àchaque défenseur de consulter les jugements ren-dus précédemment dans des affaires analogues»,note Derek Müller, chargé de programme à laDDC.Parallèlement, le projet vise à améliorer les com-pétences professionnelles et sociales des magistrats.Il appuie le centre national de formation à Dou-chanbe, où des experts étrangers viennent ensei-gner les principes démocratiques du droit. «Il fau-dra sensibiliser des générations de juges pour quede nouvelles pratiques se mettent en place. La cul-ture de la corruption est ancrée dans les mentali-tés depuis des siècles.Et le faible niveau des salairesne fait que la consolider», constate M. Müller. ■

Des droits et des devoirs Il est aujourd’hui largementadmis que le respect desdroits de l’homme est unecondition indispensable audéveloppement. Commed’autres agences, la DDCs’efforce d’intégrer systé-matiquement cette dimen-sion dans ses activités. Elles’inspire notamment de laposition commune adop-tée en 2003 par plusieursinstitutions onusiennesconcernant la mise enœuvre d’une «approchedu développement baséesur les droits de l’homme».Selon ce concept, les pro-grammes de développe-ment devraient contribuerdirectement à la réalisationdes droits de l’homme. Lacoopération doit s’adres-ser à deux groupes d’inter-locuteurs : les « titulaires dedroits», à savoir les repré-sentants de la société ci-vile, et les «détenteurs dedevoirs», qui sont le plussouvent des autorités éta-tiques. En même tempsqu’elle aide les premiers à faire valoir leurs droits,elle renforce les capacitésdes seconds à s’acquitterde leurs obligations.

Huissier, faites entrer la justice !

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Beaucoup de Tadjiks ne font pas confiance au système judiciairenational, perverti par la corruption et basé sur un code de pro-cédure hérité de l’ère soviétique. Un projet suisse veut faciliterl’accès à la justice pour les groupes défavorisés et vulnérables.Il travaille avec des institutions étatiques et des organisationsnon gouvernementales.

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Aide humanitaire: nouvellestratégie( juj) Le domaine Aide humani-taire de la DDC doit sans cessefaire face à de nouveaux défis et répondre à de nouvelles de-mandes.Afin de mettre à jour lesgrandes lignes de ses actions surle terrain, il vient d’élaborer saStratégie 2010, qui succède audocument Vivre la solidarité -Aide humanitaire : Stratégie 2005.Cette stratégie montre commentl’Aide humanitaire entend ré-pondre, durant les cinq années à venir et dans le monde entier,aux besoins des populations vic-times de violences ou vivant ensituation de détresse. Elle décritsa mission, la nature de ses enga-gements et les moyens qu’ellepeut mettre en œuvre. La nou-velle orientation est évidem-ment conforme aux objectifsdéfinis dans la Stratégie 2010 dela DDC. Même si la structuredu document est identique au

précédent et si les grands prin-cipes restent les mêmes, la ma-jeure partie du texte est nou-velle. Le contenu aborde desthèmes qui ne figuraient pasdans la Stratégie 2005; la ma-nière de concevoir les engage-ments a été clarifiée; les exem-ples ont été adaptés. Les recom-mandations formulées dans lecadre du «Mid Term Review» et de l’analyse du portefeuilledes programmes, pays par pays,ont été prises en considération,de même que celles du Comitéd’aide au développement (CAD)de l’OCDE. L’harmonisationdes interventions, une meilleurecoordination internationale, lesnouveaux partenariats, la colla-boration entre civils et militairessont les maîtres mots de cetteStratégie 2010. La politique dugenre et la bonne gouvernancey font en outre leur apparitionen tant que thèmes transversaux.

Droits de l’homme(brx) L’accès aux soins de santé,à l’eau potable et à l’éducation,ou encore l’identité et la partici-pation politiques, sont non seu-lement des besoins vitaux, maiségalement des droits fondamen-taux. Ce sont des droits del’homme, avec les devoirs qu’ilsimpliquent. La DDC en tientdéjà compte dans sa politique de santé ou dans ses nouvelleslignes directrices sur la gestionde l’eau. Son document de réfé-rence Eau 2015 spécifie parexemple que « l’eau doit resterun bien commun et l’accès àl’eau potable est un droit hu-main fondamental». L’ONU aconfirmé l’importance centraleque revêt la promotion desdroits de l’homme pour le déve-loppement durable et la sécu-rité. Elle a mis en œuvre uneapproche du développement basée sur les droits de l’homme.La DDC s’est dotée en 2005

d’une nouvelle politique sur lesdroits de l’homme, dont le fon-dement stratégique correspond à la conception onusienne.Concrètement, la DDC se réfèredésormais davantage à ces droitsdans ses programmes et sa poli-tique, elle en intègre plus systé-matiquement les principes ; sesprogrammes mettent l’accent surles droits des pauvres et sur lerenforcement des autorités res-ponsables. Enfin, elle collaboreactivement avec les institutionsonusiennes et les ONG du Sudqui appliquent explicitementune approche fondée sur lesdroits de l’homme. La nouvellepolitique de la DDC s’intitulePromouvoir les droits des pauvres àvivre dans la dignité. Le directeurWalter Fust l’a présentée le 27février à Berne, lors d’une céré-monie à laquelle participaitMary Robinson, ancien HautCommissaire des Nations Uniesaux droits de l’homme.

DDC interne

( jtm) L’expression «contribution à la cohésion» est un raccour-ci fréquemment utilisé pour désigner la «contribution de la Suis-se à la réduction des disparités économiques et sociales au seinde l’Union européenne élargie». Mais de quoi s’agit-il exacte-ment? Le 1er mai 2004, dix nouveaux États ont adhéré à l’UE.À l’exception de Chypre et de Malte, tous sont d’anciens Étatscommunistes d’Europe centrale et orientale. Bien qu’ils aientréussi leur transition, ces pays accusent toujours un retard éco-nomique et social considérable par rapport aux autres membresde l’UE.Le Conseil fédéral a décidé de consacrer un milliard defrancs, répartis sur cinq ans, à la réduction de ces disparités. LaSuisse considère que l’élargissement à l’Est représente une avan-cée déterminante vers plus de paix, de stabilité et de bien-êtresur l’ensemble du continent. L’intégration réussie des nouveauxmembres de l’UE revêt pour elle un intérêt vital.Outre les avan-tages politiques d’une Europe stable, la Suisse profite égalementsur le plan économique de l’extension des accords bilatéraux àl’une des régions les plus dynamiques du monde. Sa contribu-tion de solidarité financera des programmes et des projets misen œuvre par la DDC et le seco dans les dix nouveaux Étatsmembres. La Pologne, pays fortement peuplé, absorbera environla moitié du montant. Les projets se concentreront notammentsur la santé, l’éducation, le renforcement des régions périphé-riques et la promotion du secteur privé. La Suisse pourrait parexemple soutenir l’agriculture écologique en Pologne, la mo-

Au fait, qu’est-ce que la cohésion?

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dernisation d’hôpitaux dans des zones reculées de Slovaquie oula construction de stations d’épuration dans les pays baltes. Maisil est possible que la Loi fédérale sur la coopération avec les Étatsd’Europe de l’Est, adoptée par le Parlement au printemps der-nier, doive préalablement être soumise au vote populaire. Celadépendra de l’issue du référendum lancé contre cette loi,qui ser-vira de base légale à la contribution suisse.

25Un seul monde No 2 / Juin 2006

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Un seul monde No 2 / Juin 200626

L’idée émise dans les années 70 de mettre le tou-risme au service du développement paraît dès lorsséduisante. L’économiste Lothar Nettekoven écri-vait à l’époque: «Le tourisme est la forme la plusnoble d’aide au développement.» Cette théoriecompte aujourd’hui encore de nombreux défen-seurs.Ainsi, l’Organisation mondiale du tourisme(OMT), créée entre-temps, est convaincue que lesvoyages d’agrément peuvent apporter une contri-bution décisive à la lutte contre la pauvreté. LaBanque mondiale investit chaque année des cen-taines de millions dans des projets touristiques.Un

On fait sa valise, on saute dans l’avion et c’est par-ti pour des vacances bien méritées.La haute saisondu tourisme est quasi permanente depuis un demi-siècle.Malgré le 11 septembre, le tsunami et les ou-ragans. Presque aucune autre branche de l’écono-mie ne connaît de tels taux de croissance: entre1950 et 2000, le nombre d’arrivées de touristes aété multiplié par 28, pour s’établir à 700 millions.Même en 2005,année qui a suivi le tsunami,le tou-risme international a progressé de 5,5 pour cent parrapport à 2004. Il a dépassé pour la première foisles 800 millions d’arrivées.

Grains de sable dans les rouages du tourismeLe tourisme est la forme la plus noble d’aide au développement,disait-on dans les années 70. On y voyait alors un outil idéal pourcombattre la pauvreté. Dans bien des régions du Sud, le tableauest tout autre: expropriations, tourisme sexuel, travail des en-fants. Pourtant, cela pourrait se passer différemment, parexemple si l’on appliquait au tourisme les principes du com-merce équitable. De Maria Roselli.

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Abris de fortune aux Maldives Après le tsunami, on a réa-lisé aux Maldives d’extra-ordinaires «oasis de bien-être», s’extasie la pressetouristique. Dans ces îles àvocation touristique, les in-vestissements se sont ap-paremment concentrés sur les rénovations de luxe.Pendant ce temps, il man-que dans les caisses del’État 150 millions de dol-lars d’aide internationalepour réparer les dégâts duraz-de-marée, estimés àplus de 500 millions. Letsunami a fait une centainede victimes aux Maldives,ce qui est peu comparati-vement à d’autres paysfrappés par cette catas-trophe. Mais plus de 8000maisons y ont été endom-magées. Un an après,quelque 11000 personnesvivent toujours dans desabris de fortune, indique leProgramme des NationsUnies pour le développe-ment (PNUD). La recons-truction représente un défigigantesque aux Maldives,où chaque gramme desable doit être importé àgrands frais, car l’extractionde matériaux de construc-tion dans les récifs coralliensdégraderait durablementun écosystème fragile.

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ment en biens essentiels. C’est ainsi que les béné-ficiaires pourront s’arracher à la pauvreté. «Sans detelles mesures, le tourisme ne profitera qu’aux per-sonnes de la classe moyenne qui disposent d’un cer-tain capital initial ou de la formation nécessaire»,explique la spécialiste du tourisme.Un exemple est donné par la Gambie, où le gou-vernement a passé un accord avec des associationstouristiques et des ONG.Si une commerçante ob-tient l’autorisation de vendre des jus de fruits surle site d’un palace pour touristes,cette activité peutlui rapporter très vite de l’argent.À condition tou-tefois qu’elle ait un capital de départ pour l’achatdes fruits.

Conditions généreuses aux investisseursQuels que soient ses bienfaits réels pour la popu-lation locale, il est évident que pratiquement tous

les pays misent sur le tourisme. Or, cette tendancea des répercussions dramatiques sur le climat.À côtéde l’industrie, le trafic touristique – plus particu-lièrement aérien – est l’un des principaux facteursdu bouleversement climatique. De ce fait, un vé-ritable effet boomerang s’exerce sur de nombreusesdestinations du Sud, surtout les petits États insu-laires, comme l’explique Hansruedi Müller, pro-fesseur à l’Université de Berne dans le domaine desloisirs et du tourisme: «L’élévation du niveau de lamer provoquée par le changement climatique me-nace les plages, surtout celles des petites îles. » La

phénomène que des organisations non gouverne-mentales (ONG) et des agences de développementsuivent d’un œil très sceptique.

La croissance ne suffit pasChristine Plüss, du Groupe de travail tourisme etdéveloppement (akte), à Bâle, tire un bilan déce-vant : «Il est vrai que le tourisme peut engendrerrapidement de nouveaux revenus. Mais la preuven’a pas été faite que cela atténue directement lapauvreté.» Avec près de 200 millions de salariés, letourisme est aujourd’hui l’un des secteurs écono-miques les plus importants au niveau mondial.Mais les populations les plus pauvres n’ont souventni la formation ni les moyens nécessaires pour ex-ploiter ce marché prometteur. «La croissance éco-nomique en soi ne révèle rien de la répartition desrichesses», remarque Christine Plüss. L’OMT cite

souvent les Maldives, le Cap-Vert et Samoa,qui ontpresque atteint, grâce au tourisme, le seuil qui leurfera quitter la catégorie des «pays les moins avan-cés».Ces exemples ne convainquent pas Mme Plüss.Il s’agit de petits pays dont le produit national brutpeut progresser rapidement, mais sans offrir la ga-rantie d’une redistribution des richesses.Pour réduire la pauvreté, il faudrait plutôt offrir desperspectives de développement aux individus di-rectement concernés. Des mesures d’appoint doi-vent obligatoirement être prises dans les domainesde l’éducation, de la santé et de l’approvisionne-

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Populations déplacéesen ÉthiopiePour réaliser un projetd’écotourisme en Éthiopie,la Fondation des parcs africains a déplacé en 2004quelque 2000 famillesd’éleveurs qui vivaientdans le parc national de Nechasar. Environ 10000 personnes, appar-tenant aux ethnies kore et guji-oromo, ont dû seréinstaller en dehors desfrontières du parc. Ellesn’ont obtenu aucune compensation, dénoncel’organisation américainede droits de l’hommeRefugees International. Le parc sera entouré d’une clôture électrique.On y introduira davantage d’animaux sauvages (lions, buffles, girafes etéléphants) pour les be-soins touristiques. La fon-dation, basée aux Pays-Bas, affirme que le parc de Nechasar était inhabitéjusqu’en 1962. Elle ajouteque le déplacement a eu lieu avec l’accord deshabitants concernés.Refugees International, deson côté, parle de dépla-cements forcés. Les Koreet les Guji-Oromo vivaienten autarcie dans leur terri-toire d’origine, ce qui estdevenu maintenant trèsdifficile pour eux.

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situation est particulièrement inquiétante dans despays comme les Seychelles, où la côte est en pen-te faible. «La mer emporte toujours davantage desable et des plages entières disparaissent.Mais ce se-rait une erreur de diaboliser pour autant le touris-me, car il peut effectivement être un moteur de la croissance pour beaucoup de pays en dévelop-pement», souligne M.Müller.L’histoire de la Suis-se en fournit d’ailleurs une démonstration: «Cer-taines vallées de montagne, qui jadis procuraient àpeine de quoi vivre à leurs habitants,comptent au-jourd’hui parmi les régions les plus riches du mon-de.» Il est toutefois discutable,pour des pays en dé-veloppement, de se concentrer sur le tourisme deluxe.Beaucoup de pays pauvres ont entrepris ces der-nières années de gros efforts pour créer des condi-tions favorables au tourisme international. Sous lapression énorme de la dette, ils se sont pliés auxexigences des pays riches en matière de libéralisa-tion. Ils ont puisé dans leurs modestes ressourcespubliques pour réaliser des infrastructures touris-tiques telles que routes et aéroports, au détrimentd’autres secteurs de l’économie.En général,ces in-vestissements profitent presque exclusivement auxgrands groupes internationaux.La crise survenue après le 11 septembre 2001 a at-tisé la guerre des prix dans la branche touristique.Pour rester compétitifs, les pays de destination of-frent aux investisseurs étrangers des conditions tou-jours plus avantageuses – allégements fiscaux, par-ticipations majoritaires à des entreprises et rapa-triement libre des bénéfices. Selon des calculsofficiels, une petite moitié seulement du prix desvacances arrive vraiment dans le pays hôte.

Commerce équitable pour sortir de l’impasse Des experts estiment que le seul moyen de sortirde l’impasse est d’appliquer au tourisme les prin-cipes du commerce équitable. Un exemple sud-africain montre le chemin: l’Union mondiale pourla nature (UICN) a créé en 2003 l’Organisationpour le tourisme équitable en Afrique du Sud(FTTSA), qui a élaboré le premier label de quali-té pour des offres touristiques équitables. À cejour, 17 entreprises ont déjà obtenu ce label, aprèsavoir prouvé qu’elles remplissaient les critères sui-vants :offrir des conditions de travail équitables, as-surer une juste répartition des bénéfices, soutenirles catégories sociales défavorisées, se conformer àune éthique d’entreprise et respecter les droits del’homme, la culture ainsi que l’environnement.Des safari lodges de haut standing aussi bien que desimples auberges exploitées par des communes ontpassé avec succès le contrôle rigoureux des exa-minateurs de la FTTSA. Les produits touristiqueséquitables sont appréciés par la clientèle euro-péenne et ils ont sans aucun doute de l’avenir,même si un label international n’est certainementpas pour demain. Christine Plüss a cependant bonespoir : «Dans dix ans, le tourisme équitable repré-sentera 25 pour cent du marché suisse.» ■

(De l’allemand)

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J’aime Berlin. Et pas seulementparce que je m’y sens bien.Toutd’abord, j’aime Berlin parce quec’est une véritable foule multi-colore d’ouvriers, de fonction-naires, d’étudiants, de chômeurs,d’immigrés turcs et russes, deplombiers polonais, de cuisinierschinois ou thaïs, et tant d’autresindividus sans nom qui touspeuvent être considérés commede vrais Berlinois. Il semble qu’àBerlin l’on ait beaucoup plusd’espace pour trouver sa propreniche que dans une autre villeallemande. Berlin attire tout lemonde. Bien sûr, je ne peux pasm’imaginer cette ville sans sesécrivains, dont le nombre estimpossible à chiffrer. Ni sans ses freaks, les alternatifs berlinois caractéristiques que l’on voit ça et là, et qui sont des citoyenslibres dans une ville libre.

Vendredi dernier, je suis allé voirdes amis, un couple polonais.Lui est écrivain, sans travail. Ellel’accompagne partout et gagneleur vie. Nous ne nous étionspas vus depuis longtemps. C’estpourquoi nous sommes restés àdiscuter jusque tard dans la nuit.D’habitude, nous parlons dechoses essentielles : la réincarna-tion, la psychanalyse, les pro-blèmes d’alcoolisme et les défauts de la démocratie.Cette fois-ci, mon ami était plussombre que d’habitude. Il a énu-méré en détail toutes les catas-trophes des semaines écoulées :avions écrasés, naufrages, incen-dies, avalanches, inondations,tremblements de terre, explo-sions dans le métro et dans lessupermarchés, sans oublier laprogression de la grippe aviaireet les manifestations de xéno-phobie. Pour finir, il ajouta quechaque jour, 5000 personnesmeurent de faim dans le monde.À minuit et demi, quand je les aiquittés pour rentrer chez moi,j’étais complètement abattu. Enme dirigeant vers le métro, je

pensais à ce monde effroyable,truffé de dangers mortels.

Mes amis habitent Pankov etmon appartement se trouve àCharlottenburg. La distance estassez longue. On a le temps deréfléchir ou de lire. Ou alorsd’observer les voyageurs, ce quej’ai fait. À cette heure-là, il n’yen avait que quelques-uns, mar-qués par la fatigue et la solitude.Leur visage était aussi pâle quecelui des arlequins. J’avais l’im-pression que ces gens avaient étéabandonnés de tous et ne pour-suivaient leur existence que parhabitude. En fait, ils n’avaientplus où aller. Heureusement quele métro circule presque 24heures sur 24. Et eux, que pen-saient-ils de moi?

À Alexanderplatz, je suis sorti dumétro pour prendre le S-Bahn.Dans le passage souterrain, il restait quelques punks avec leurschiens. Enveloppés dans deshaillons, ils m’ont suivi d’un regard absent, sans la moindrelueur d’espérance. Une fois encore, je n’avais pas de petitemonnaie sur moi et, allez savoir

pourquoi, tous les kiosquesétaient déjà fermés.

À Hackescher Markt, un fou estentré dans le wagon, se querel-lant avec lui-même dans unelangue qui m’était inconnue.Il s’adressait des reproches impi-toyables et en devenait de plusen plus excité. Ses cris ont per-turbé mes réflexions sur l’injus-tice sociale.

À Friedrichstrasse, un garçon etune fille sont montés et se sontassis en face de moi.Tous deuxétaient très grands, très jeunes ettrès maigres. Ils écoutaient de lamusique sur leur baladeur com-mun et se taisaient. Serrés l’uncontre l’autre, chacun avec samoitié de musique, chacun avecun écouteur dans l’oreille, ilsm’ont paru si subtils, si aériensque j’ai compris sans hésiter : ilssont amoureux. Ces deux-làvont partager une vie longue etheureuse. Et un jour, ils mour-ront ensemble. ■

(De l’ukrainien)

Les sauveurs du monde

Carte blanche

Youri Andrukhovitch, écrivain et essayiste, est né en 1960 à Ivano-Frankivsk(anciennement Stanislav), uneville de 260 000 habitantsdans l’ouest de l’Ukraine. Il aétudié le journalisme à Lviv etla littérature à Moscou. Sonpremier recueil de poèmes est paru en 1985. YouriAndrukhovitch a publié plu-sieurs romans, dont Rekreacij(1992), Moskoviada (1993) etPerverzija (1996) qui ont faitde lui l’un des principaux au-teurs ukrainiens. Ces livres ont été traduits notamment enanglais et en allemand, maispas en français. En revanche,les éditions Noir sur blanc ontpublié en 2004 Mon Europe,un livre écrit en collaborationavec l’écrivain polonaisAndrzej Stasiuk. En mars dernier, le Salon du livre deLeipzig a attribué à YouriAndrukhovitch le Prix de l’entente européenne 2006.

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identité culturelle», explique le cinéaste.Malheureusement, l’Amériquelatine en produit peu, et encoremoins ces dernières années.Les raisons sont essentiellementd’ordre économique: la réalisa-tion d’un film par les moyenstraditionnels coûte cher, de sorteque les pays pauvres d’Amériquelatine n’ont jamais pu se doterd’une véritable industrie ciné-matographique. De plus, la production mondiale de films,comme leur distribution, sont de plus en plus centralisées depuis quelques années.À l’époque où Stefan Kaspar a tourné et diffusé son premierfilm, dans les années 80, oncomptait au Pérou quelque 250cinémas répartis dans tout le

pays.Aujourd’hui, il reste 34 ci-némas multiplex, dont 31 dans lacapitale Lima.Toutes ces sallessont associées à un supermarché.Elles vendent 95 pour cent deleurs billets pour des films amé-ricains, à des prix inabordablespour la majorité de la population.Malgré les obstacles et le man-que de moyens, il y a toujoursdes productions latino-améri-caines qui parviennent à sefrayer un chemin sur le marchéinternational. C’est le cas dufilm péruvien Días de Santiago :il raconte l’histoire d’un jeunehomme qui revient chez lui, àLima, après trois ans de servicemilitaire. De nombreux festivalsont fait un excellent accueil àcette œuvre socialement enga-gée, qui a obtenu notamment en

Dans le monde entier, la pro-duction cinématographique estlargement dominée aujourd’huipar des films à visée commer-ciale et des thèmes populaires.En Suisse également, les pou-voirs publics se mettent à sub-ventionner principalement desfilms légers et promis au succèsfinancier. Pendant ce temps,le réalisateur Stefan Kaspar retrouve un certain espoir quant à l’avenir du cinéma engagé au Pérou. S’il entrevoit « la lumière au bout d’un longtunnel», comme il le dit, c’estque l’avènement de la technolo-gie numérique offre la possibi-lité de tourner des films à moin-dre coût.Selon sa vision des choses, lesréalisateurs et les distributeurs de

films dans les pays en dévelop-pement pourront désormais s’affranchir de l’infrastructurelourde et coûteuse de l’industriecinématographique. Un filmtouche l’être humain au plusprofond, il éveille des émotions.De ce fait, il constitue un vec-teur idéal d’éducation et de dé-veloppement.Tel est le credo dece Biennois installé depuis prèsde trente ans au Pérou, où il arégulièrement tenté de tourneret de promouvoir des films quirépondent à ce besoin.

La longue marche vers le public«Il faudrait de bons films pouraiguiser le regard que l’on portesur sa propre réalité, pour gagneren assurance et construire une

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Le cinéma péruviensort du purgatoireLes bonnes vieilles bobines appartiendront bientôt au passé. Paradoxalement,cette évolution fait naître l’espoir de nouveaux succès cinématographiques.L’essor de l’image numérique suscite un élan créateur dans des régions où l’onn’avait jusqu’ici pas les moyens de produire des films. De Gabriela Neuhaus.

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2004 le Regard d’Or du 18e

Festival international de films de Fribourg.Trigon Film a fait en sorte queles spectateurs suisses puissentvoir l’histoire de l’ancien soldatSantiago.Avec l’appui de laDDC, cette association encou-rage la diffusion en Suisse defilms du Sud et de l’Est. Ceux-cisont également soutenus dansd’autres pays d’Europe. De cefait, la production du Sud est saluée dans les pays riches par un public restreint et plutôt in-tellectuel. En revanche, les gensdont elle parle n’ont pratique-ment jamais l’occasion de lavoir. C’est pourtant au publicdes pays pauvres que ces filmssont destinés en premier lieu.Mais cela est en train de chan-

ger : les cinéastes du GrupoChaski, dont Stefan Kaspar estmembre fondateur, ont démarréil y a deux ans un projet dont le but est de promouvoir les «microcinémas» au Pérou.Enregistrée sur DVD, l’histoirede Santiago peut ainsi aller à larencontre de son public (voir en marge, page 32).

Les microcinémas intéressentd’autres pays Pour projeter des films gravéssur DVD, au lieu de copies surpellicule, les salles de cinémadoivent disposer d’une infra-structure adaptée en consé-quence. Cette mutation, relative-ment récente, est encore trèstimide en Europe. Dans lecontexte péruvien, le remplace-

ment des onéreuses bobinessemble plus facile à réaliser :«Nous étions dans un désert cinématographique. La techno-logie numérique nous a offertl’occasion de démarrer à zéro.Après 25 ans de purgatoire, nouspouvions réinventer le cinéma»,résume Stefan Kaspar pour dé-crire la situation qui règne danssa patrie d’adoption.Alors qu’au début le GrupoChaski mettait à disposition l’in-frastructure nécessaire pour lesprojections, le projet encouragemaintenant les initiatives locales.Le but est d’amener des com-munes, des collectivités ou depetits entrepreneurs à investireux-mêmes dans l’aménagementd’une salle de cinéma. Il fautcompter entre 3000 et 5000

dollars pour l’achat d’un lecteurde DVD, d’un projecteur et dehaut-parleurs. Selon StefanKaspar, c’est le capital de départnormal pour une petite entre-prise.Au cours de l’année passée,Chaski a enregistré une série defilms sur DVD. Il loue aux ex-ploitants de microcinémas descoffrets contenant un court mé-trage, un film de fiction, un do-cumentaire et un programmepour les enfants. Le journalNuestro Cine diffuse les informa-tions de Chaski sur les films, lesréalisateurs et les microcinémas.On forme des promoteurs afind’assurer que ce projet soit uneréussite pour tous – exploitantsde salles, distributeurs, réalisa-teurs et spectateurs.

Scènes du film Compadre, de Mikael Wiström, Suède/Pérou, 2005

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Née des contraintes locales,cette idée a suscité l’intérêtd’autres pays. Stefan Kaspar,directeur du projet, a présentéen automne 2005 le modèle des microcinémas péruviens auDigimart de Montréal, un fo-rum d’innovations consacré auxéchanges d’images numériques.Il est probable que la projectionde films numérisés se dévelop-pera plus vite et plus facilementdans le Sud que sur les marchésdu Nord, où les cinéastes et lesdistributeurs indépendants sem-blent avoir de la peine à imposerleurs propres critères face à l’industrie du cinéma. «Noussommes devenus malgré nous lespionniers de la communicationnumérique», constate le réalisa-teur. «Les nouvelles technologies

créent une nouvelle manièred’utiliser ce moyen d’expression».Au Pérou comme dans d’autrespays, le travail de découverte nefait que commencer.

Réseau continentalPendant que les six premierscoffrets de films sur DVD circu-lent au Pérou, le Grupo Chaskirecherche des fonds qui devraientlui permettre de lancer le projetde microcinémas à l’échelle detoute l’Amérique latine. Huitnouveaux coffrets doivent êtreconfectionnés cette année. Ilscomprendront pour la premièrefois des versions en quechua eten aymara pour la populationindigène. Le ministre brésiliende la culture Gilberto Gil adonné un coup d’envoi fracas-

sant à l’ère du cinéma numé-rique en débloquant un premiercrédit pour l’aménagement de20 microcinémas. Et FélixZurita, un autre cinéaste suisseémigré, est en train de dévelop-per cette formule au Nicaragua.Stefan Kaspar évoque déjà unréseau de «cinéma latino pourles populations d’Amérique la-tine». Sur ce continent marginalpour les intérêts économiques et la politique de prestige de la grande industrie du film, le cinéma engagé aura peut-être plus de chances de s’épanouirqu’ailleurs. ■

(De l’allemand)

Cinéma et vieAvec le soutien de la DDC, leGrupo Chaski a mis sur pied le projet pilote «Cine y Vida» (cinéma et vie) pour la présenta-tion de films DVD dans diffé-rentes régions du Pérou. Unevingtaine de documentaires etde longs métrages, péruviens et suisses, ont déjà été projetésdans 25 localités de la côtePacifique, des Andes et de la forêt amazonienne. Ces pre-mières projections ont permisaux promoteurs de microciné-mas d’atteindre plus de 6000spectateurs qui n’avaient plus – ou n’avaient jamais eu – la possibilité d’aller au cinéma.www.grupochaski.org

Scènes du film Días de Santiago, de Josué Méndez, Pérou, 2004

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Une voix magnifique(er) Le premier CD de CheikhLô avait été produit par YoussouN’Dour qui s’enthousiasmaitalors : «Dans sa voix, je retrouvequelque chose d’un voyage àtravers le Burkina Faso, le Mali,le Niger.» À l’âge de 50 ans,après une pause de cinq ans, lechanteur, percussionniste et gui-tariste sénégalais enchante main-tenant ses fans du monde entieravec un troisième album. Il fas-cine l’auditeur par la souplessede son style soul aux résonancesfunk, les motifs déclamatoires dutambour et les envolées de bat-terie de l’orchestre Ilê Aiyê, deBahia, le premier bloco afro duBrésil, avec ses 40 musiciens etavec son chœur à faire danser lesmorts. La voix splendide de Lô,chaleureuse et ensoleillée avec sa rugosité légèrement fiévreuse,semble venir du plus profond desa gorge ou, mieux, de son âme.En wolof, Cheikh Lô s’élèvecontre la guerre et la pauvreté,se fait le chantre de l’amour.Membre des Baye Fall, unebranche de la confrérie isla-mique des Mourides, il célèbredans sa chanson-titre le fonda-teur de cette communauté,Cheikh Ibrahima Fall, aliasLamp Fall.Cheikh Lô: «Lamp Fall» (WorldCircuit - Indigo/RecRec)

Le cinéma chantant de l’Inde(er) Bollywood – mot-valise associant la ville de Bombay etHollywood – constitue le sym-bole de l’énorme fabrique derêves et de kitsch qu’est devenuela foisonnante industrie cinéma-

tographique indienne. Ses épo-pées filmées font l’objet de véri-tables cultes. La magie bolly-woodienne doit beaucoup auxchansons pré-enregistrées pardes stars telles que Geeta Dutt,Asha Bhosie ou Lata Mangeshkar,qui jouissent d’une vénérationégale à celle des acteurs.Concoctée avec amour, une an-thologie de deux CD réunissant23 bandes-son de 1949 à 2001apporte un témoignage cha-toyant de ce «cinéma chantant»de l’Inde. On s’habitue assez viteà l’exotisme étrange de chantssouvent orchestrés avec beau-coup d’opulence, soulignés parles sons contrastés du sitar et dutabla, avec des voix hautes et na-sales. Et nos oreilles se laissentcharmer par cette profusion so-nore et rythmique dans laquelleon trouve même des élémentsde rock and roll et de swing à la Benny Goodman.Various : «Bollywood – AnAnthology of Songs from PopularIndian Cinema» (Silva ScreenRecords/Phonag)

Rafales de critique sociale(er) Il y a cinq ans, DamianMarley a reçu le Grammy dumeilleur album de reggae. Plusrécemment, son Welcome ToJamrock a fait de lui une star auxÉtats-Unis. Jamais encore unCD rasta n’avait démarré de manière aussi fulgurante. Diffusépréalablement, l’un de ses titres,qui présente un tableau impi-toyable de la misère sociale enJamaïque, a fait beaucoup debruit durant des mois. À 28 ans,

le fils cadet du pape du reggaeBob Marley, lequel aurait fêtéson soixantième anniversaire l’andernier, répond à toutes les at-tentes que l’on pouvait mettreen lui. À l’exception d’une bal-lade d’amour baignée de spiri-tualité, ses textes sont autant decritiques sociales tranchantes,que ses riddims soient empha-tiques, haletants ou mélodieux,qu’ils prennent des formes roots,ragga, dancehall ou hip-hop.Avec une aisance somnambu-lique, «Junior» se promène à travers les styles, accompagné par des invités de marque etavec l’appui de son demi-frèreStephen dans le rôle du produc-teur. Il n’y a pas besoin d’être unfan de reggae pour avoir la chairde poule en écoutant «Road toZion», un morceau réalisé avecl’icône du hip-hop Nas et quireprend la voix d’Ella Fitzgerald.Damian «Junior Gong» Marley :«Welcome To Jamrock» (TuffGong/Universal)

Soutien à des projets éducatifs(bf ) La Fondation Éducation etDéveloppement – cofinancéepar la DDC – peut appuyer fi-nancièrement des projets éduca-tifs d’écoles suisses dans le do-maine Nord-Sud et contre leracisme. Les projets Nord-Sudmettent en lumière les interac-tions mondiales et font mieuxcomprendre les principes de lajustice sociale, tandis que ceuxqui traitent du racisme abordentles discriminations basées surl’origine, les idées ou la religion.Le site www.projetscontrelera-cisme.ch décrit des projets déjàréalisés. Il fournit également desconseils concrets pour la mise en œuvre, des propositions com-mentées de matériel pédago-gique, des adresses et des liensutiles. Les bénéficiaires sont lesécoles et les organisations qui lessoutiennent dans le déroulementdes projets. Les demandes de

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soutien doivent être envoyées à l’adresse suivante: StiftungBildung und Entwicklung,Zentralsekretariat, Monbijou-strasse 31, 3011 Berne.Le prochain délai est fixé au 15septembre. Un dossier compre-nant la liste des critères, unquestionnaire et des informa-tions détaillées peut être obtenuà la même adresse ou téléchargédepuis le site www.globaleduca-tion.ch.

Les jeunes et la coopération(bf ) Le Centre d’information, deconseil et de formation pour lesprofessions de la coopération in-ternationale (cinfo) s’adresse plusparticulièrement aux adolescentsdans sa nouvelle brochureCoopération internationale : Jeunesse– sensibilisation, action. Les jeuneslecteurs y trouveront une quan-tité d’informations détaillées ettoute une série de propositionsconcrètes, qui vont de l’engage-ment dans le domaine social auxcamps de travail, en passant parles rencontres et les échanges interculturels. Ce dossier d’in-formation, inédit en Suisse, offreun tour d’horizon complet auxjeunes qui souhaitent un jours’engager – professionnellementou non, en Suisse ou à l’étranger– dans la coopération interna-tionale. On peut le téléchargergratuitement sur le sitewww.cinfo.ch, à la rubriquePublications, en format pdf.

Photos sans frontières(bf ) À l’occasion de son quin-zième anniversaire, la sectionsuisse de Reporters sans fron-tières (RSF) a publié en 2005 un album réunissant des clichésréalisés par 20 photographes romands, alémaniques et tessinoisautour du thème de la liberté.Outre des grands noms commeAnne-Marie Grobet, LucChessex, René Burri ouMichael von Graffenried, on ytrouve des œuvres de photo-

graphes qu’ont pu apprécier leslecteurs d’Un seul monde, notam-ment Olivia Heussler,ThomasKern ou Didier Ruef. Cesimages marquantes montrent lesvisages multiples et surprenantsde la liberté : deux garçonsd’Alger qui jouent «au gen-darme et au terroriste», la pré-sentatrice des nouvelles rwan-daises à Radio Agatashya auZaïre, ou une vieille Tsigane quis’apprête à déposer, pour la pre-mière fois de sa vie, un bulletindans l’urne. Les photographesont cédé leurs droits d’auteurs à RSF, afin de soutenir dans sa lutte cette organisation de défense des droits de l’homme.Reporters sans frontières : «Liberté,Freiheit, Libertà. Photographessuisses pour la liberté de la presse»,en vente dans les kiosques et les li-brairies de toute la Suisse, ou surwww.rsf-ch.ch

Grand écart insulaire(bf ) Une fois de plus, l’Uru-guayen Daniel Chavarría prouvequ’il n’a peur de rien. Son livreLa Sixième île se déroule sur troissiècles et dans d’innombrableslieux différents : New York, lesCaraïbes, le Chili, la Colombie,le Sri Lanka, Singapour, l’Angle-terre ou encore le Maroc.L’ensemble forme un incroyablemélange, tout à la fois fresquehistorique, roman d’espionnageéconomique, confession, romand’amour et histoire de pirates.C’est l’histoire d’un orphelin

uruguayen élevé chez les Jésuites,qui raconte à un confident aînéce qui lui est arrivé au cours des20 dernières années. C’est aussil’histoire de Lou Capote, brasdroit du PDG de la multinatio-nale ITT, chargé de détournerl’invention d’un nouveau typede laser. Pour confectionner ceroman picaresque, plein d’hu-mour et de surprises, DanielChavarría a exploité sa connais-sance approfondie de l’histoireet sa biographie mouvementée:il a été notamment guide touris-tique à Madrid, mineur à Essen,logisticien d’une guérilla colom-bienne, ainsi que professeur degrec et de latin à Cuba.Daniel Chavarría : «La Sixième île», Éditions Rivages, 2004

Les descendants de Gengis Khan(bf ) La République de Mongo-lie commémore cette année le800e anniversaire de la fondationde l’Empire mongol.Après avoirsoumis en 1206 les tribus turco-mongoles, Gengis Khan a placésous son autorité la majeure par-tie de l’Asie centrale et le nordde la Chine.Aujourd’hui, laMongolie se trouve confrontée à de sérieux bouleversements et à un avenir difficile. Dans son album de photographiesMongolie, l’esprit du vent, SophieZénon a saisi au format panora-mique la vie quotidienne deshabitants, leurs relations avec lanature, leurs traditions, ainsi queles changements sociaux, culturels

et politiques. Cette ethnologueet photographe française par-court la Mongolie depuis huitans. Elle a passé plusieurs moisdans une famille de nomades quivivent de l’élevage. Ses photostrès personnelles mettent admi-rablement en lumière lescontrastes saisissants de ce vastepays.Sophie Zénon: «Mongolie, l’espritdu vent», Éditions Bleu de Chine,Paris, 2005

Double héritage (bf ) Alice Bienaimé est la fillechoyée d’une famille bourgeoisede Haïti. Depuis la libération desesclaves en 1804, ses aïeux ontgravi l’échelle sociale, en gardantpour modèles la culture et leDieu des Blancs.Alice a six anslorsque les Haïtiens fêtent en1934 le départ des troupes amé-ricaines et que son père la portesur ses épaules à travers la fouleen liesse. Elle en a 18 quand lesétudiants appellent à la grèvegénérale et que le présidentLescot est renversé. Et justeaprès avoir fêté son vingtièmeanniversaire, elle quitte l’île pouraller étudier à New York. La romancière haïtienne YanickLahens sonde le conflit – omni-présent dans sa patrie – entre leshéritages culturels africain etfrançais. Elle construit en mêmetemps une métaphore de la si-tuation qui règne actuellement àHaïti. Son premier roman resti-tue avec détachement un climatoppressant.Yanick Lahens : «Dans la maisondu père», Éditions Le Serpent àPlumes, Paris, 2000

Attirer le travail qualifié( jls) Dans les années 90, les paysindustrialisés ont cru pouvoirfreiner l’immigration par la libé-ralisation des échanges. Cettehypothèse ne s’est pas vérifiée.Confrontés au vieillissement dela population et à un besoincroissant de main-d’œuvre qua-

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Un seul monde No 2 / Juin 2006 35

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lifiée, ces pays s’orientent main-tenant vers des politiques d’im-migration sélectives. Dans unouvrage collectif dirigé par El Mouhoub Mouhoud, profes-seur d’économie à l’UniversitéParis-13, des experts françaisanalysent les migrations et lespolitiques qui les accompagnent.Paradoxalement, c’est en en-voyant au Nord leurs migrants les plus qualifiés que les payspauvres participent à la mondia-lisation. Les transferts de fondsdes travailleurs émigrés consti-tuent une source de finance-ment importante pour les écono-mies des pays en développe-ment, souvent marginalisés dansle commerce mondial. Entre lafermeture totale des frontières etune immigration exclusivementaxée sur les besoins des paysd’accueil, d’autres voies doiventêtre explorées.«Les nouvelles migrations – Un en-jeu Nord-Sud de la mondialisation»,sous la direction de El MouhoubMouhoud, Éditions Universalis,collection «Le tour du sujet», 2005

Les autres mondes (bf ) Identité culturelle, cohabita-tion interculturelle, mondialisa-tion… Notre société se reflètedans les livres destinés aux enfants et aux adolescents. Lefonds Baobab pour la littératureenfantine, à Bâle, a sélectionnédes livres, du matériel didactiqueet des livres audio diffusés dansl’espace germanophone sur cesthèmes. Sous le titre FremdeWelten, il a publié en 2005 un

catalogue actualisé et remanié.Les quelque 200 titres choisisplongent les jeunes dans desmondes inconnus, ils leur ou-vrent des horizons et montrentqu’il est possible de coexisterpacifiquement. Ce catalogue estun outil indispensable pour lesenseignants, les bibliothécaires,les parents et autres personnesconcernées. Pour chaque titre,il propose un commentaire, desrecommandations relatives àl’âge et toutes les données bibliographiques nécessaires.Sur son site Internet, le fondsBaobab expose les critères surlesquels il se base pour évaluer la qualité des publications.«Fremde Welten», publié par lefonds Baobab pour la littérature enfantine, Laufenstrasse 16,4018 Bâle ; [email protected],www.baobabbooks.ch

Les ratés de la reconstruction( jls) Après le tsunami de dé-cembre 2004, les dons privés etpublics ont atteint environ 11

milliards de dollars. RichardWerly, journaliste au quotidienLe Temps, a observé l’action desacteurs humanitaires chargés degérer ces sommes colossales.Dans un livre paru un an aprèsla catastrophe, il raconte leursréussites mais aussi leurs erreurset leurs frustrations. Dans biendes cas, l’aide ne correspond pas aux besoins prioritaires de la population. La reconstructionn’est pas à la hauteur de l’extra-ordinaire élan de générosité quia déferlé sur l’océan Indien.D’innombrables familles sontencore parquées dans des campsprovisoires et dépendent del’aide alimentaire internationale.Des milliards de dollars dormentsur des comptes bancaires, alorsque ces rescapés auraient besoind’un peu d’argent pour recom-mencer à vivre. Pourquoi n’a-t-on pas mis en place des systèmesd’aide financière directe àgrande échelle? L’auteur sou-

ligne le succès du programmesuisse «Cash pour familles d’ac-cueil », qui a permis de diminuerle nombre de personnes entas-sées dans les camps au Sri Lanka.Mais c’est un exemple isolé,déplore-t-il.Richard Werly : «Tsunami, la vérité humanitaire», Éditions duJubilé, Paris, 2005

Des spécialistes du DFAEviennent à vousSouhaitez-vous obtenir des in-formations de première main sur des thèmes de politiqueétrangère? Des spécialistes duDépartement fédéral des affairesétrangères (DFAE) sont à dispo-sition des écoles, des associationset des institutions pour organiserdes exposés et des discussionssur de nombreux thèmes de politique étrangère. Le servicede conférences est gratuit.Toutefois, 30 personnes aumoins doivent participer à lamanifestation et l’offre du ser-vice de conférences n’est valableque pour des manifestations organisées en Suisse.Pour de plus amples renseignements,veuillez vous adresser au Service de conférences du DFAE, Service d’information, Palais fédéral ouest,3003 Berne.Tél. 031 322 31 53 ou 031 322 35 80,fax 031 324 90 47/48,[email protected]

Impressum«Un seul monde» paraît quatre fois par année, en français, en allemand et en italien.

Editeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Harry Sivec (responsable) Catherine Vuffray (coordination globale) (vuc) Barbara Affolter (abb)Joachim Ahrens (ahj) Thomas Jenatsch (jtm)

Jean-Philippe Jutzi (juj)Antonella Simonetti (sia)Andreas Stauffer (sfx)Beat Felber (bf)

Rédaction:Beat Felber (bf–production)Gabriela Neuhaus (gn) Maria Roselli (mr)Jane-Lise Schneeberger (jls) Ernst Rieben (er)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho : Mermod SA, Lausanne

Impression : Vogt-Schild Druck AG,Derendingen

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’unexemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de: DDC,Médias et communication, 3003 Berne,Tél. 031322 44 12Fax 031324 13 48E-mail : [email protected]

860148187

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 57500

Couverture: Guerre civile au Congo,Holland. Hoogte / laif

ISSN 1661-1675

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ers

Page 36: Un seul monde 2/2006 - Federal Council · Un célibataire à Kaboul Jawed Nader parle de sa vie quotidienne dans la capitale afghane 20 Droits de l’homme et développement L’opinion

Dans le prochain numéro:

Les partenariats de développement: il existe denombreux types de partenariat, chacun étant appropriéà un contexte particulier. La coopération établit detelles alliances tant au niveau local qu’international.Notre dossier montre l’intérêt de cette approche, sonfonctionnement et les tensions qui peuvent être liées à sa mise en œuvre.

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