un impôt juste - outils-conviviaux

168

Upload: others

Post on 14-Apr-2022

5 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 2: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 3: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

Un impôt justepour une société juste

Christiane Marty (coord.)

Louis Adam, Vincent Drezet, Gérard Gourguechon,Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa, Stéphanie Treillet

Fondation Copernic

NOUVELLE ÉDITIONCOMPLÉTÉE ET MISE À JOUR

Page 4: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

© Éditions Syllepse, 201469 rue des Rigoles, 75020 Paris

[email protected]

ISBN : 978-2-84950-417-8

Les auteur·es

Les auteurs sont membres de la Fondation Copernic

Louis Adam, commissaire aux comptesVincent Drezet, secrétaire national du syndicat Solidaires-Finances

publiquesGérard Gourguechon, membre du conseil scientifique d’AttacJean-Marie Harribey, économistePierre Khalfa, co-président de la Fondation CopernicChristiane Marty, membre du conseil scientifique d’AttacStéphanie Treillet, économiste

Fondation Copernicbp 32

75921 Paris cedex [email protected].

www.fondation-copernic.org

Page 5: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

Table des matières

Introduction 7

1re partie. La logique néolibérale

1. La contre-révolution fiscale 17

2. De Sarkozy à Hollande, une quasi-continuité 33

3. Mesures fiscales s’inscrivant dans la logique néolibérale 47

2e partie. Révolutionner l’impôt

4. Les grands objectifs de nos choix fiscaux 69

5. Un impôt sur le revenu progressif et équitable 75

6. Un véritable impôt sur le patrimoine 103

7. L’impôt sur les sociétés : des marges de manœuvre 113

8. Refondre la fiscalité locale 123

9. Quelle fiscalité écologique ? 135

10. L’urgence d’une fiscalité européenne et internationale 151

Synthèse des propositions 161

Conclusion 163

Annexe

Déductibilité de la CSG : liens croisés avec l’impôt sur le revenu 165

Bibliographie 167

Page 6: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 7: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

7

Introduction

Un impôt juste pour une société juste, telle est l’ambition que veut porter ce livre. En effet, la fiscalité d’un pays reflète largement l’état de sa société. C’est bien pour se voir auto-risé à lever un nouvel impôt que, dans le contexte d’une monarchie absolue en crise et en quasi-faillite, Louis XVI avait dû convoquer les états généraux, avec la suite que l’on sait.

Dans le même temps, la question de l’égalité devant l’impôt et du consentement à l’impôt devint un aspect central de l’émergence de la citoyenneté. L’abolition des privilèges, décrétée la nuit du 4 août 1789, fut d’abord celle des privi-lèges devant l’impôt, c’est-à-dire de l’exemption devenue into-lérable des deux ordres privilégiés, le clergé et la noblesse. Comme le note Jean-Marie Monnier1, « La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen rattache l’impôt aux principes démocratiques » et à l’exercice de la souveraineté populaire. Ce lien est explicité notamment dans son article 13, qui men-tionne la nécessité d’une contribution publique pour l’entre-tien de la force publique et de l’administration (condition pour faire respecter les droits des citoyens), et affirme le principe de l’égalité devant l’impôt, selon les facultés contributives de chacun. On peut noter également que le lien entre impôt et représentation démocratique a été l’un des événements déclencheurs de la guerre d’indépendance américaine : c’est la révolte des colonies contre la Grande-Bretagne autour de l’exigence de relier la représentation parlementaire au paie-ment de l’impôt (no taxation without representation).

En France, l’instauration d’un impôt progressif sur le revenu constitue dès 1870 une des revendications centrales du mou-vement ouvrier, aboutissant en juillet 1914 à loi Caillaux. C’est également à cette époque que la nature du finance-ment assuré par l’impôt évolue dans les pays industrialisés :

1. J.-M. Monnier, « L’impôt et la contrainte ou la dialectique de l’autonomie et de la responsabilité ».

Page 8: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

8

Un impôt juste pour une société juste

l’impôt cesse d’être uniquement une source de financement du fonctionnement de l’État, pour voir ses fonctions élargies au financement des services publics à mesure que ceux-ci se développent et à la redistribution des revenus.

L’instauration d’une progressivité constitue une rupture avec la seule équité horizontale admise jusqu’alors. Elle s’est faite non sans mal, comme en témoignent les débats de la fin du 19e siècle. L’impôt progressif sur le revenu est qualifié d’« immoral » par Adolphe Thiers. « C’est le germe effroyable de la révolution sociale, le virus qui chemine dans l’organisme et qui finit par le détruire », selon le héraut du libéralisme de l’époque, l’économiste Paul Leroy-Beaulieu. Dans leur croi-sade, les opposants à cet impôt dénonçaient une atteinte à la liberté puisqu’il s’agissait de créer un impôt direct non anonyme qui conduisait l’administration fiscale à connaître et à identifier les contribuables. Mais surtout, ils voyaient et voient encore en l’impôt progressif qui taxe plus fortement les riches, une atteinte à l’égalité des citoyens.

À l’opposé, si des révoltes antifiscales ont dans le passé été porteuses de la rébellion des pauvres contre l’injustice sociale et l’arbitraire des puissants, depuis la fin du 19e siècle la contestation du principe même de l’impôt vu comme mani-festation insupportable de l’action confiscatoire de l’État, va s’affirmer de plus en plus comme un étendard de la réac-tion. Les possédants refusent tout empiétement sur un droit à la propriété privée revendiqué comme absolu2. En France, Pierre Poujade dans les années 1950, suivi de Gérard Nicoud dans les années 1970, représentent la contestation de l’impôt par les petits commerçants menacés par la concurrence des grandes surfaces. Mais ce courant idéologique va beaucoup plus loin : le terme poujadisme désigne en même temps un mouvement se caractérisant par la dénonciation des fonction-naires et des services publics et souvent par la xénophobie.

2. La tentation antifiscale n’épargne cependant pas certains courants du mouvement ouvrier : ainsi, Proudhon, pour qui tout impôt voit finalement sa charge reportée par le jeu des prix sur le consommateur et notamment les plus pauvres, défend l’idée d’une société sans impôt (Philosophie de la misère, 1846).

Page 9: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

9

Il est probable que ce courant connaît un enracinement spé-cifique en France en raison de l’importance d’un secteur de petite et moyenne entreprise et de petit commerce beau-coup plus important que dans les autres pays industrialisés. L’abaissement du taux de TVA des cafés-restaurants par Nicolas Sarkozy témoigne du poids politique de cette clien-tèle électorale.

La configuration du système fiscal est donc un enjeu poli-tique majeur car il renvoie à des choix de société, influence les décisions des acteurs économiques et modifie la répar-tition des revenus. Un impôt sur le revenu fortement pro-gressif, c’est-à-dire avec un nombre élevé de tranches et un fort taux supérieur, permet une plus forte taxation des plus riches. Combiné avec un véritable impôt sur le patrimoine, sur les successions et sur le bénéfice des sociétés, il réduit les inégalités de revenu et de patrimoine. Il n’est donc pas étonnant que l’offensive néolibérale se soit aussi déployée sur le terrain fiscal. La baisse de la part des salaires dans le PIB3 et les mesures fiscales prises ces dernières années font partie d’un même mouvement qui vise à une répartition toujours plus inégale de la richesse produite. Le chapitre 1 montre ainsi comment depuis environ un quart de siècle s’est opérée une véritable contre-révolution fiscale menée par les gouvernements de droite mais aussi de gauche. Son fil direc-teur a été de baisser, par de multiples moyens, les impôts payés par les ménages les plus riches et par les entreprises, en particulier les plus grandes.

L’impôt sur le revenu est devenu de moins en moins pro-gressif avec la diminution du nombre de tranches et les abais-sements successifs du taux marginal supérieur 4. L’impôt sur les sociétés connaît une dérive qui aboutit à ce que plus une entreprise est importante, moins elle paie d’impôt. Certaines

3. M. Husson, « Le partage de la valeur ajoutée en Europe », La Revue de l’IRES, n° 64, 2010/1.4. Pour un revenu imposable donné, le taux marginal supérieur (on abrège souvent en parlant simplement de taux marginal) est le taux qui s’applique à la tranche de revenu la plus élevée. Il ne s’applique qu’à la fraction de revenu située dans cette tranche supérieure.

Page 10: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

10

Un impôt juste pour une société juste

entreprises du CAC 40 qui ne paient aucun impôt font régu-lièrement scandale. La réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 2011 a constitué un allégement considé-rable de l’impôt des contribuables les plus aisés, alors même que cet impôt laisse largement de côté les plus grandes for-tunes. Selon le rapport de 2011 de la Cour des comptes, les mesures dérogatoires, les fameuses niches fiscales qui permettent d’échapper à l’impôt, ont augmenté de 55 % entre 2004 et 2009. Le rapporteur du budget, le député UMP Gilles Carrez5, a évalué l’impact de ces cadeaux fiscaux sur le déficit budgétaire. En leur absence, la France aurait connu, au lieu d’un déficit budgétaire, un excédent en 2006, 2007 et 2008 et le déficit budgétaire lié à la crise financière aurait été en 2009 de 3,3 % au lieu de 7,5 % du PIB. En 2013, selon le projet de loi de finance, le montant des niches fiscales atteint 70,8 milliards d’euros.

C’est dire l’ampleur du manque à gagner pour le budget de l’État. Ce manque à gagner, combiné à la baisse du volume de prélèvements sociaux résultant de la dégradation durable de l’emploi, est à l’origine de la dette publique, et ce bien avant la crise, et il a obéré les capacités de l’État à mener les politiques publiques nécessaires pour répondre à l’urgence sociale et écologique. Le néolibéralisme s’en trouve conforté dans une logique dévastatrice. La baisse des recettes fiscales entraîne l’accroissement de la dette publique, ce qui justifie le démantèlement des services publics. Ceux-ci ne pouvant plus remplir leur mission, sont privatisés, offrant ainsi aux capitaux privés de nouvelles sources de profit.

Cette situation est de plus en plus perçue comme intolé-rable et le débat fiscal est aujourd’hui lancé. Il n’est cepen-dant pas dit que ce débat aboutisse à remettre en cause les orientations néolibérales en la matière. En témoignent les déclarations, en août 2013, de Pierre Moscovici, alors ministre de l’économie et des finances, se disant « très sen-sible au ras-le-bol fiscal » de nos concitoyens, ou celle du

5. Rapport d’information de l’Assemblée nationale préalable au débat d’orientation des finances publiques, présenté par G. Carrez, 30 juin 2010.

Page 11: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

11

président de la République indiquant en septembre 2013 à propos de la fiscalité : « C’est beaucoup, donc ça devient trop ! » Au lieu de s’attaquer à l’injustice profonde qui carac-térise notre système fiscal, ces déclarations, qui réjouissent la droite, remettent en cause la légitimité même de l’impôt et donc le consentement des citoyens. Pourtant, à y regarder de plus près, ce n’est pas tant le sentiment d’un impôt trop élevé qui domine, mais celui d’un impôt trop injuste. À côté des sondages qui demandent aux Français s’ils veulent payer moins d’impôt et se surprennent d’obtenir une majorité de « oui », on trouve aussi des résultats indiquant que 81 % des Français estiment qu’il est légitime de demander aux plus riches de payer davantage d’impôts6.

Une continuité à peine infléchie s’établit entre la politique fiscale de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande [u Chapitre 2]. Ainsi, les augmentations des taux de TVA pour financer le crédit impôt, compétitivité, emploi (CICE) ressemblent comme deux gouttes d’eau à la TVA sociale de Nicolas Sarkozy, condamnée à l’époque par le candi-dat Hollande. Or, la TVA, taxe proportionnelle assise sur la consommation, est particulièrement injuste car elle touche de manière disproportionnée ceux qui consomment l’essentiel de leur revenu, c’est-à-dire les classes populaires. C’est un nouveau coup porté au pouvoir d’achat de la grande masse de la population.

Si un big bang fiscal est absolument nécessaire, il sera donc l’enjeu d’une bataille politique qui opposera deux conceptions de la fiscalité. D’un côté, une conception néolibérale de l’impôt [u Chapitre 3] qui vise à promouvoir sa « neutralité ». Malgré quelques divergences sur certains points, les néolibéraux se retrouvent sur un point fondamental : l’impôt doit perturber le moins possible la vie économique et en particulier l’allocation des ressources entre les agents économiques opérée par le marché. Les plus réalistes d’entre eux reconnaissent certes que l’impôt est nécessaire, ne serait-ce que pour financer les fonctions régaliennes de l’État ou certaines politiques

6. Sondage Ifop-Le Figaro, 20 décembre 2012.

Page 12: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

12

Un impôt juste pour une société juste

économiques favorables au capital, mais même pour eux la fiscalité ne doit pas venir dérégler le jeu de la concurrence « libre et non faussée ». Que la concurrence ne puisse jus-tement exister que sous des conditions qui en faussent en permanence le jeu dans un monde marqué par des rapports de forces inégaux ne semble guère les gêner.

Contre cette conception, nous affirmons dans le chapitre 4 le triple rôle de l’impôt : financer les politiques publiques, redis-tribuer les richesses et inciter à modifier le comportement des agents économiques. C’est dans la façon d’articuler ces trois fonctions que se trouve la difficulté d’une réforme progressiste de la fiscalité. La remise à niveau des services publics, la réponse aux besoins sociaux non satisfaits (petite enfance, dépendance, logement, etc.), le financement de la transition écologique nécessiteront des investissements publics impor-tants qui ne pourront pas être tenus dans le cadre actuel. Il faut le dire sans ambages, une réforme fiscale progressiste doit viser aujourd’hui à augmenter les recettes publiques. Cette augmentation doit reposer sur ceux qui se sont – et ont été – exonérés de tout effort de solidarité nationale pendant des décennies, c’est-à-dire les plus fortunés – les inégalités de patrimoine augmentent fortement – et les entreprises, en particulier les plus grandes.

Les chapitres suivants détaillent nos propositions. Elles coulent de source à partir de notre critique de la contre-révo-lution fiscale de ces dernières années. Nous prônons ainsi une refonte de l’impôt sur le revenu [u Chapitre 5] – auquel doivent être soumis les revenus du capital – par une aug-mentation notable du nombre de tranches et du taux supé-rieur. Le mode actuel d’imposition, basé sur le ménage et le quotient familial, est utilisé comme un outil de politique fami-liale inséré dans la politique fiscale. Mais il rend le système complexe et injuste de plusieurs points de vue : il favorise les familles aisées, un enfant d’une famille riche procurant de fait une réduction d’impôt très supérieure à celui d’une famille au revenu modeste. Il agit comme une récompense à l’inégalité de revenu dans les couples, bénéficie aux couples ayant les plus hauts revenus, favorise ceux qui sont mariés au

Page 13: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

13

détriment des autres et des célibataires. De plus, il représente un frein à l’activité des femmes. L’individualisation de l’impôt est nécessaire pour assurer l’égalité de chacun devant l’impôt et permettre d’aller vers plus d’égalité entre les femmes et les hommes. La contribution sociale généralisée (CSG) doit être rendue progressive. Une fusion de l’impôt sur le revenu (IR) et de la CSG ne peut être envisagée que si elle préserve l’affec-tation des ressources de la CSG actuelle au financement de la Sécurité sociale, ce qui semble difficile à réaliser. Réformer l’ISF en élargissant son assiette à une partie des biens profes-sionnels permettra de taxer réellement les grandes fortunes [u Chapitre 6]. L’impôt sur les sociétés doit être revitalisé par la suppression des multiples niches fiscales qui en obèrent le rendement et sont à l’origine de l’inégalité d’imposition exis-tant entre petites et grandes entreprises [u Chapitre 7]. Enfin, revoir les bases de la fiscalité locale [u Chapitre 8] permettra de la rendre plus équitable.

L’objectif d’une fiscalité écologique doit être de modifier les comportements des entreprises et des particuliers dans un sens moins néfaste à l’environnement [u Chapitre 9]. Même si la fiscalité écologique n’est pas le seul outil en la matière – les normes réglementaires sont souvent efficaces –, elle n’en est pas moins nécessaire. Elle doit cependant répondre à plusieurs conditions. Elle ne doit pas être régie par le prin-cipe de « neutralité fiscale », prônée par le Medef, la droite et même certains à gauche, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas se substituer à d’autres recettes fiscales ni aux cotisations sociales. L’objectif de la fiscalité écologique n’est pas de trou-ver des recettes fiscales nouvelles mais d’aider à protéger l’environnement. Elle doit s’accompagner d’une plus grande justice fiscale et d’une politique de redistribution des revenus qui en atténue le coût pour les classes populaires. De plus, changer de comportement suppose avoir la possibilité de le faire effectivement, ce qui implique que la mise en place de la fiscalité écologique s’accompagne de politiques en matière de développement des transports collectifs, d’amélioration de l’habitat, etc.

Page 14: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

14

Un impôt juste pour une société juste

Enfin, une réforme de la fiscalité en France ne peut se concevoir sans une perspective européenne et internationale. Européenne d’abord, car l’Union s’est bâtie sur le moins-disant fiscal. La concurrence fiscale entre des États faisant partie de la même union économique et monétaire est un facteur de graves déséquilibres économiques et sociaux. Il faut stopper cette course vers toujours plus de dumping fis-cal, aller le plus rapidement possible vers une harmonisation fiscale en Europe et créer de nouveaux instruments fiscaux à l’échelle européenne pour permettre d’augmenter un budget européen aujourd’hui ridiculement faible. La mondialisation néolibérale, avec le gonflement considérable des transactions financières, a mis à l’ordre du jour la question d’une fiscalité internationale avec la création de « taxes globales », notam-ment une taxe sur les transactions financières dont l’objectif est de lutter contre la spéculation financière, les sommes récoltées allant à l’aide au développement. Le dernier cha-pitre détaille les voies et les moyens pour mettre en œuvre une fiscalité européenne et internationale.

On le voit, la fiscalité renvoie à un projet de société. C’est parce que nous refusons une société de plus en plus iné-galitaire et injuste que nous combattons le système fiscal actuel. C’est parce que nous nous battons pour une meil-leure répartition des richesses et pour sauvegarder les équi-libres écologiques que nous préconisons un système fiscal adapté à cet objectif. La lutte pour un impôt juste est une part du projet de transformation sociale. Celui-ci suppose de libérer les politiques publiques et les gestions d’entreprises de l’emprise exorbitante de la finance. Pour cela, il ne suffit pas de restaurer une intervention de l’État dans l’économie, comme cela s’est fait au 20e siècle. Il faut agir sur les innom-brables décisions qui, dans les entreprises, les banques, les services publics, expriment des choix aujourd’hui inspirés par la recherche de la rentabilité financière sans que les citoyens aient de prise sur eux. La fiscalité est un des instruments qui peuvent y contribuer : rien de plus, mais rien de moins.

Page 15: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

1re partie

La logique néolibérale

Page 16: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 17: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

17

1. La contre-révolution fiscale

Bien que sa mise en application concrète présente des aspects très techniques, la fiscalité est une question éminem-ment politique. Les affrontements à propos de la légitimité du prélèvement fiscal et de l’égalité devant l’impôt constituent, dans leurs manifestations différentes selon les lieux et les moments, un des points centraux de l’histoire des démocra-ties modernes. La pensée libérale a pu de façon simultanée, dans sa version la plus radicale, se déployer sur le champ de la contestation antifiscale, et dans sa version pragmatique, produire en positif une conception de l’impôt de nature à le mettre au service du profit capitaliste.

Au cours de son histoire, le régime fiscal français a subi de profondes transformations. Et depuis une trentaine d’années, elles ont un point commun : alléger la fiscalité pesant sur les ménages les plus riches et sur les entreprises, en particulier les plus grandes. Cette orientation a été mise en œuvre par tous les gouvernements quelle que soit leur couleur politique. On a encore en mémoire le point de vue publié le 25 août 1999 par Laurent Fabius dans le journal Le Monde où il affir-mait que « la gauche ne court pas beaucoup de risques d’être battue par la droite, mais elle peut l’être par les impôts et par les charges ». Devenu ministre de l’économie et des finances, il justifie les mesures fiscales du gouvernement dans un nou-veau point de vue publié le 28 août 2001 dans le même jour-nal et intitulé « Baisser les impôts pour préparer l’avenir ». Tout un programme… qu’il commença à mettre en œuvre.

La droite au pouvoir n’avait pas été auparavant en reste et on se souvient de la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) en 1986 et de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés qui était encore de 50 % en 1985. Mais c’est à partir du gouvernement Jospin qu’un consensus quasi géné-ral apparaît sur la nécessité de réduire les impôts. Droite et

Page 18: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

18

Un impôt juste pour une société juste

gauche confondues communient avec la même ferveur sur ce thème et sur son corollaire, la nécessité de réduire les dépenses publiques. Il n’y a cependant pas eu de grand soir fiscal, mais une multiplicité de mesures qui, se rajoutant les unes sur les autres, ont non seulement rendu la fiscalité fran-çaise illisible pour le commun des mortels, mais ont abouti à un système de plus en plus injuste et inégalitaire.

Les transformations de l’impôt sur le revenuL’impôt sur le revenu des personnes physiques (IR) est

théoriquement l’impôt le plus juste parce que le plus pro-gressif. Son caractère progressif dépend de deux facteurs, le nombre de tranches et les taux qui y sont appliqués1. Mais les « réformes » de ces vingt dernières années, justifiées au nom de l’attractivité fiscale et de la concurrence fiscale, se sont toutes traduites par un affaiblissement régulier de la pro-gressivité de cet impôt. On est ainsi passé de treize tranches jusqu’en 1986, à sept en 1994 – œuvre du gouvernement Balladur –, puis à cinq tranches en 2007 avec un taux margi-nal supérieur ramené à 40 %. Ce taux supérieur était de 65 % en 1982, puis de 56,8 %. Il est aujourd’hui de 45 %.

Mais ce n’est pas tout. L’IR est censé s’appliquer à tous les revenus. Or, jusqu’à 2012, un dispositif de « prélèvement forfaitaire libératoire » permettait à l’essentiel des revenus du capital (intérêts, dividendes et plus-values) d’échapper à l’IR et de n’être soumis qu’à un taux d’imposition très infé-rieur au taux marginal supérieur du barème. Ce prélèvement libératoire a été supprimé (hormis pour l’assurance-vie) par François Hollande. Tous les revenus n’en deviennent pas pour autant imposés de la même manière, du fait de l’exis-tence de nombreuses mesures dérogatoires qui permettent de réduire ou même d’éviter l’impôt. Il en existe environ 500

1. Le barème de l’impôt sur le revenu décompose le revenu imposable en un certain nombre de tranches de revenus auxquelles sont associés des taux d’imposition croissants.

Page 19: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

19

dans le système fiscal, tous impôts confondus, pour un mon-tant de 71 milliards d’euros en 2012, celles sur l’impôt sur le revenu représentant 36 milliards d’euros. Sans compter les mesures dérogatoires « déclassées », c’est-à-dire reti-rées de la liste officielle, mais qui demeurent des modalités particulières, dérogatoires au droit commun de l’imposition : elles représentent un montant de 76 milliards (dont l’essentiel, 71 milliards, concerne les entreprises). Le manque à gagner pour les finances publiques est donc considérable.

L’impôt sur les sociétés à la dériveLe même processus touche l’impôt sur les sociétés. Son

taux nominal théorique est de 33,3 %. Il n’est pas progressif et une multinationale est, en théorie, taxée au même taux qu’une PME. Mais même cette règle pourtant injuste ne s’ap-plique pas, car le taux effectif d’imposition décroît lorsque la taille des entreprises augmente [u « Encadré : Imposition des petites et grandes entreprises », chapitre 7]. L’explication tient là encore aux mesures dérogatoires. Citons parmi celles-ci la fameuse « niche Copé », du nom du ministre du budget qui la fit voter en 2004 : elle exonère de l’impôt sur les sociétés les plus-values encaissées lors de la cession d’une filiale possé-dée depuis au moins deux ans. Elle a représenté selon l’admi-nistration fiscale un manque à gagner de 22 milliards sur trois ans, de 2007 à 2009. Cette niche particulièrement fructueuse profite essentiellement aux grands groupes : ainsi 96 % de l’économie d’impôt profite à 250 grandes entreprises2. Le gouvernement sous François Hollande a réduit l’avantage qu’elle procure, mais il ne l’a pas supprimé. Citons encore le crédit impôts recherche [u Encadré : « Le crédit d’impôt recherche »], qui profite essentiellement aux grandes entre-prises. Les entreprises du CAC 40 sont les championnes de cette « optimisation fiscale » qui permet à certaines d’entre elles de ne payer aucun impôt.

2. « Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique en France », www.audit-citoyen.org/?p=6291.

Page 20: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

20

Un impôt juste pour une société juste

Le crédit d’impôt recherche (CIR)Le CIR, instauré en 1983, se veut un soutien aux activi-tés de recherche et développement (R&D). Il s’adresse à toutes les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des béné-fices industriels et commerciaux (BIC). Le CIR est égal à 30 % des dépenses de recherche jusqu’à 100 millions d’euros et à 5 % au-delà. Le périmètre des dépenses éligibles à ce crédit est toutefois mal délimité, tant en amont (études de faisabilité ou de conception), qu’en aval (prototypes et outillages spécialisés ou production à titre d’essais), et le contrôle sur les dépenses engagées insuffisant. Ce sont les grandes entreprises qui sont les principales bénéficiaires du CIR.Son montant s’élève à 5,8 milliards d’euros en 2013 (il varie autour de 5 milliards d’euros selon les années). Le Conseil national des universités note que 2 % du mon-tant du CIR permettrait de boucler le budget des uni-versités en déficit ! L’affectation à la recherche privée apparaît donc bien comme un choix politique. Le député UMP Gilles Carrez le reconnaissait dès 2009 : « La ré-forme aboutit à attribuer 10 milliards d’euros d’aides aux grandes entreprises - le double de l’effort en faveur de l’université –, ce qui constitue une politique industrielle et de la recherche peu efficace et très coûteuse. » Son efficacité est en effet des plus contestées. Le conseil scientifique du CNRS a comparé les dépenses de R&D des entreprises rapportées au PIB, selon les pays : la France qui était au 13e rang mondial en 2006 n’est plus qu’au 15e rang en 2011, alors que le montant du CIR a été plus que multiplié par cinq dans la même période. Loin de favoriser l’activité de recherche, le CIR est sou-vent dénoncé comme un simple cadeau fiscal fait aux entreprises au détriment de la recherche publique. En 2012, le gouvernement du Hollande a encore étendu l’application du CIR à certaines dépenses d’innovation.

Page 21: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

21

Une fiscalité sur le patrimoine très imparfaiteL’impôt sur la fortune (ISF) est l’impôt sur le patrimoine le

plus connu mais il est peu « rentable » : 4,5 milliards d’eu-ros en 2010 contre 55 milliards par exemple pour l’IR. Sa valeur symbolique est en revanche très forte et il donne lieu à des débats récurrents. L’ISF permet d’imposer le stock de patrimoine dans un contexte où les flux (les revenus et les bénéfices) sont relativement peu imposés. Ce faisant, en théorie, il pourrait compléter la redistribution fiscale et limiter les inégalités. Mais en réalité, l’ISF est un impôt imparfait. Il comporte des niches fiscales qui affectent son rendement. Elles représentent 1,3 milliard d’euros de manque à gagner, soit un tiers de son montant, et bien davantage si l’on prend en compte l’exonération au titre des biens professionnels qui n’est pas évaluée dans les documents budgétaires. C’est d’ailleurs cette exonération qui permet aux grandes fortunes de n’être qu’assez peu touchées par l’ISF et qui fait que cet impôt taxe en proportion bien plus les millionnaires que les milliardaires. Au-delà, la hausse du nombre de redevables de l’ISF n’est pas tant due à la hausse du marché immobilier, comme on l’entend souvent, qu’à la hausse des marchés financiers.

Les partisans d’une réduction de l’ISF avancent que cet impôt fait fuir les contribuables. Ce n’est pas ce qui ressort des rares données disponibles portant sur l’ISF, qui montrent que son impact sur l’économie nationale et les recettes fis-cales, est marginal voire nul. Les départs de redevables de l’ISF représentent ainsi moins de 0,15 % du nombre de redevables de l’ISF. Les bases d’imposition de ces départs représentent moins de 0,5 % de la base imposable à l’ISF. De plus, il n’existe pas d’étude exhaustive, quantitative et qualitative, mesurant l’impact des retours et des installations d’étrangers en France. Tout le démontre : l’attractivité globale de la France, au reste vantée par les autorités publiques à l’étranger, demeure forte. Ainsi, selon le Crédit suisse, la France ne fait pas fuir les richesses : elle est le premier pays

Page 22: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

22

Un impôt juste pour une société juste

européen au niveau du nombre de millionnaires (2,21 millions de Français, ce qui représente 7 % du nombre de million-naires dans le monde), derrière les États-Unis et le Japon mais devant l’Allemagne3. Et cette population augmente.

Malgré toutes ces imperfections, l’ISF n’a jamais été accepté par la droite et les possédants. Il a été transformé à plusieurs reprises, fortement allégé en 2011. Le fameux « bouclier fiscal », devenu un boulet politique, a été supprimé. Au final, les gains pour les contribuables aux patrimoines les plus élevés ont été importants, même parmi ceux qui ont perdu le bénéfice du bouclier fiscal.

Les droits de mutation à titre gratuit constituent un pilier central de la fiscalité du patrimoine. Ils ont eux aussi été progressivement allégés au cours des années 2000 avec le relèvement des abattements, l’instauration de mesures temporaires et la diminution du délai légal séparant deux donations en franchise d’impôt. En 2012, François Hollande est un peu revenu sur ces allégements [u Chapitre 2], mais l’impôt sur les successions reste inconsistant.

Appauvrissement de l’État et accroissement de la dette publiqueL’impôt joue de moins en moins son rôle de redistribution

des revenus et on assiste à un accroissement considérable des inégalités. On assiste en parallèle à un appauvrissement de l’État. Avec la multiplication des niches fiscales et des cadeaux faits aux plus riches et aux plus grandes entre-prises, l’État s’est lui-même privé de recettes. La part de celles-ci dans le PIB a ainsi chuté de 5 points en trente ans4. Cette baisse des recettes est l’une des raisons principales qui expliquent l’augmentation régulière de la dette publique avant la crise. Contrairement à ce qu’affirme le discours domi-nant, ce n’est pas à cause d’une augmentation des dépenses

3. lnstitut de recherche du Crédit suisse, Quatrième rapport annuel de la fortune mondiale, octobre 2013.4. Attac, Le piège de la dette publique, Paris, Les liens qui libèrent, 2011.

Page 23: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

23

publiques, puisque leur part dans le PIB a chuté de 2 points en trente ans. Selon le député UMP Carrez, rapporteur du budget, sans les cadeaux fiscaux décrits précédemment, la France aurait connu un léger excédent budgétaire en 2006, 2007 et 2008 et le déficit n’aurait été que de 3,3 % du PIB en 2009 au lieu de 7,5 %. L’autre raison principale du niveau de la dette tient aux taux d’intérêt excessifs pratiqués par les marchés financiers auxquels l’État a dû recourir pour ses emprunts. Selon le Collectif pour un Audit citoyen de la dette publique, les cadeaux fiscaux et les taux d’intérêt excessifs sont ainsi responsables de 59 % de l’actuelle dette publique5.

À l’international, une diversité fiscale normale devenue… concurrence organiséeChaque pays a sa propre histoire, sa propre organisation

politique et administrative. Chaque système fiscal et social d’un pays est le produit de son histoire et de ses caracté-ristiques économiques, sociales, culturelles. La diversité des systèmes fiscaux n’a pas empêché certains rapproche-ments fiscaux entre États (il en va ainsi de la TVA, invention française exportée vers d’autres pays). Mais depuis une tren-taine d’années, la diversité fiscale n’est plus seulement le résultat de l’histoire. La mise en place de la totale liberté de circulation des capitaux sur la planète tout au long des années 1980 a débouché sur la mise en concurrence des systèmes fiscaux et sociaux, y compris au sein des regroupements d’États organisés comme l’Union européenne.

La diversité fiscale n’est donc plus seulement la consé-quence de réalités historiques différentes mais le résultat de choix politiques délibérés visant à installer et intensifier la concurrence fiscale pour le plus grand bénéfice des « bases mobiles » (multinationales, riches investisseurs). Chaque gou-vernement avance désormais devant son opinion publique la nécessité de développer l’attractivité de son territoire pour

5. Collectif pour un audit citoyen de la dette publique, Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique de la France.

Page 24: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

24

Un impôt juste pour une société juste

attirer les capitaux mobiles, afin de favoriser l’emploi et la croissance. De ce fait, ce sont les impôts portant sur les entre-prises, le patrimoine ou les hauts revenus qui sont soumis à la concurrence fiscale et qui sont fortement abaissés.

La concurrence fiscale est présentée par ses partisans comme nécessaire : elle permettrait de limiter la pression fiscale des États, les obligeant même à être « raisonnables » en matière de taxation et de dépenses publiques. Elle aboutit en réalité à une harmonisation vers le bas des fiscalités des plus riches, plus ou moins imposée par les marchés contre d’éventuels choix démocratiques. Cette concurrence fiscale, présentée comme inéluctable, procède pourtant de choix politiques : il s’agit bien de rendre difficile pour chaque État l’application d’un système fiscal trop contraire aux systèmes dominants sur fond de liberté de circulation des capitaux. Ainsi, les choix des financiers vont s’imposer aux choix démo-cratiques et conduire à une accentuation des inégalités par le biais d’une sous-taxation des impôts directs sur les riches et les grandes entreprises.

Une évasion fiscale et une fraude fiscale qui s’ajoutent aux cadeaux fiscauxDans leur recherche du moins-disant fiscal, certains terri-

toires sont en pole position sur le « marché fiscal » et pèsent plus ou moins sur l’ensemble de la fiscalité des États de la planète. Ces territoires adoptent des dispositifs certes légaux, mais qui donnent lieu à une optimisation fiscale complexe et bénéficient à une infime minorité de contribuables. Les mul-tinationales et les contribuables les plus riches qui peuvent déplacer leur richesse étudient de près les caractéristiques fiscales des États afin de bénéficier, légalement, d’une « offre fiscale » sur mesure.

Mais les possibilités de réduire l’impôt ne sont pas seu-lement employées légalement. En effet, la fraude fiscale a elle aussi évolué. Au plan national comme international, la fraude fiscale se complexifie et se diversifie, facilitée par le

Page 25: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

25

développement du capitalisme financier au cours des trente dernières années. L’interdépendance des économies, la mobilité des capitaux, la rapidité des échanges, la financiari-sation de l’économie, la déréglementation et l’utilisation des nouvelles technologies ont favorisé le développement d’une fraude fiscale de plus en plus sophistiquée et coûteuse. Dans un tel contexte, les États et territoires les plus opaques sur le plan bancaire et juridique, déréglementés sur le plan financier, exacerbent la concurrence fiscale et économique et sont un élément déterminant dans l’explosion de la fraude fiscale.

Il est bien entendu difficile d’évaluer le montant de cette fraude puisqu’il y a toujours, au départ, des éléments cachés et non déclarés. Selon un rapport au Parlement6 remis en 2013, la fraude fiscale représente en France de 60 à 80 mil-liards d’euros, soit une bonne partie du déficit public qui a atteint 98,2 milliards d’euros en 2012.

Les conséquences du développement de l’évasion et de la fraude fiscales sont nombreuses : baisse des rentrées fiscales, distorsion de concurrence entre contribuables… Pourtant, les politiques menées depuis le milieu des années 1980, particulièrement en France, ont supprimé des emplois dans les services fiscaux et notamment au contrôle fiscal7. L’administration fiscale a ainsi perdu plus de 15 % de ses effectifs en huit ans, avec une accélération notable dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Un projet de loi de lutte contre la fraude et la grande délinquance économique et financière a néanmoins été adopté en novembre 2013, dont il faudra évaluer les effets en termes d’efficacité.

6. Rapport d’information au Parlement, par Alain Bocquet et Nicolas Dupont-Aignan, Lutte contre les paradis fiscaux : si l’on passait des paroles aux actes, octobre 2013.7. Précisons qu’en matière de contrôle, les contribuables dont l’unique revenu vient de leur salaire sont systématiquement contrôlés par compa-raison de leurs déclarations avec les fichiers des employeurs. À l’inverse, le contrôle fiscal des très grandes entreprises, des multinationales et des par-ticuliers aux revenus multiples est moins facile et sa fréquence est réduite.

Page 26: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

26

Un impôt juste pour une société juste

Des paradis fiscaux pas vraiment inquiétésDerrière les déclarations de façade condamnant les paradis

fiscaux, rien ne change, ou très peu. Le président Nicolas Sarkozy avait affirmé au lendemain du G20 de Pittsburgh de septembre 2009 : « les paradis fiscaux, c’est terminé ». Pourtant leur activité perdure bel et bien ! Une nouvelle liste de paradis fiscaux, classés selon leur niveau de coopération, avait alors été établie par l’OCDE et validée par le G20. En 2009, la liste noire de l’OCDE comportait quatre pays, qui ont pris aussitôt l’engagement de se conformer aux critères de l’OCDE et ont été supprimés de la liste noire pour être portés sur la liste grise (cette dernière regroupe les territoires qui, bien qu’ayant signé un petit nombre de conventions fiscales, n’appliquent pas les normes internationales de l’OCDE en matière fiscale). Les transferts de la liste noire vers la liste grise, puis vers la liste blanche se multiplient. Tous les pays ou presque ont été progressivement blanchis : le Luxembourg, la Belgique, Monaco, Singapour et la Suisse sont désormais sur la liste blanche des pays « irréprochables » ! Tout cela fait douter de la volonté de rigueur de l’OCDE et de la sincérité des gouvernements en matière de lutte contre la fraude fis-cale. L’enseignement de ce qui précède est clair : les contri-buables ne sont pas égaux devant la loi fiscale, et ils ne sont pas égaux devant l’application de la loi fiscale.

Des justifications théoriques peu scientifiques mais très idéologiquesL’évolution de la fiscalité présentée ci-dessus constitue bien

une contre-révolution fiscale. Les justifications mises en avant s’appuient sur une théorie économique plus idéologique que scientifique.

Il existe différentes approches de l’impôt par les courants de la pensée économique, qui donnent lieu à des controverses théoriques. En principe, la fiscalité peut avoir trois fonctions distinctes : une fonction de financement (collecter les recettes

Page 27: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

27

publiques nécessaires au fonctionnement de l’État et à ses dépenses), une fonction d’allocation des ressources (modi-fier la répartition des revenus et des patrimoines dans le sens jugé souhaitable), une fonction d’incitation (encoura-ger ou décourager une activité ou un comportement). Or ces fonctions, présentes simultanément dans la fiscalité réelle, peuvent s’avérer en partie concurrentes ou même contradic-toires : la façon de les articuler dans les approches théoriques aboutit à des conceptions de la fiscalité souhaitable bien dif-férentes, voire opposées.

Très vite en effet, la théorie économique aborde, en termes très normatifs, la question d’une fiscalité optimale, c’est-à-dire de la meilleure structure fiscale possible par rapport aux objectifs qui lui sont assignés et par rapport à ceux qui sont assignés à la politique économique dans tous ses aspects (par exemple politique industrielle, politique de l’emploi…). La question qui se pose alors n’est pas seulement celle du mon-tant total de l’impôt par rapport à la richesse produite dans le pays (la fameuse « pression fiscale »), mais aussi celle de la structure de cette fiscalité, c’est-à-dire la part respective des différents impôts, que ce soit selon leur assiette, c’est-à-dire la base à partir de laquelle ils sont calculés et prélevés (revenus du travail, du patrimoine, capital, consommation), leur échelle géographique (nationale, locale) ou leur caractéristique princi-pale (proportionnel, progressif, dégressif, forfaitaire…). C’est ainsi qu’un même taux global d’imposition pourra recouvrir des structures et donc des politiques fiscales aux contenus bien différents, par rapport à des critères démocratiques ou sociaux. Pour les néolibéraux, une politique qui met l’accent sur la fonction de financement des recettes publiques ou sur la fonction redistributive de l’impôt aboutira à des effets de dis-torsion dans l’allocation des facteurs de production : la fiscalité aura pour effet de décourager l’épargne ou l’investissement productif (la première étant par ailleurs considérée comme la condition du deuxième). D’où la recherche d’une fiscalité la plus « neutre », c’est-à-dire en fait la moins progressive possible.

Page 28: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

28

Un impôt juste pour une société juste

En effet, si on cherche à clarifier les fondements de l’ap-proche néolibérale de la fiscalité, il apparaît qu’un principe d’articulation des trois grandes fonctions en constitue la ligne de force : l’impôt doit assurer des recettes publiques suffi-santes, et le cas échéant assurer une redistribution a minima des revenus ou des patrimoines, mais à condition de ne pas perturber, ou de perturber le moins possible, l’allocation des ressources par le marché et par la libre concurrence entre les agents économiques. Les prix relatifs des facteurs de produc-tion (capital, travail, terre, technologie, connaissances) consti-tuent les seuls signaux valables pour guider les décisions des agents rationnels (consommation ou épargne, demande ou offre de travail, investissement, choix technologiques…).

À partir de là, une différenciation s’opère dans l’approche néolibérale de la fiscalité, et on repère deux filiations théo-riques et deux courants de pensée. Le versant extrême de l’approche libérale est l’approche ultralibérale, héritée de Frédéric Bastiat8 au 19e siècle, puis de Friedrich Hayek9 et de Milton Friedman au 20e siècle, et qu’on retrouve aujourd’hui dans plusieurs courants de pensée aux États-Unis (école du Public Choice avec James Buchanan, libertariens avec Robert Nozick10). Pour les libertariens notamment, la contrainte qui est associée à l’autorité publique constitue dans le cas de l’impôt une spoliation, une violation de la liberté et donc de l’autonomie des individus.

Plusieurs arguments sous-tendent cette approche :n L’impôt serait dans tous les cas de figure facteur d’inef-ficacité à la fois par les distorsions qu’il engendre dans l’offre des facteurs de production (capital et travail) et par les services publics qu’il sert à financer, considérés comme improductifs et stérilisants pour l’économie.n L’idée même d’une redistribution des revenus (ou des patrimoines guidée par des objectifs de justice sociale) est

8. F. Bastiat, « L’impôt », in Sophismes économiques, Œuvres complètes, t. 5, 1863, Paris, Librairie Guillaumin.9. F. Hayek, Droit, législation et liberté, t. 2, Le mirage de la justice sociale, Paris, PUF, 1981.10. R. Nozick, Anarchie, État et utopie, Paris, PUF, 2008.

Page 29: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

29

récusée sur le plan éthique dans la lignée de Hayek. La seule justice envisageable repose sur une répartition juste des droits de propriété sur la base de laquelle les individus libres effectuent des transactions volontaires.n Toute contrainte ou coercition exercée par l’État est par essence illégitime. Celui-ci voit donc s’effacer sa spécificité et est assimilé à un agent économique comme les autres (par exemple une entreprise privée) intervenant sur le mar-ché des facteurs de production, des biens et des services produits. L’impôt devient un « quasi-prix émergeant de tran-sactions quasi marchandes11 » entre cet État dépouillé de toute fonction spécifique et de tout pouvoir de contrainte, et les membres de la société eux-mêmes ramenés à des individus coordonnant leurs actions via ces transactions.

C’est cette approche qui sert de fondement théorique aux mouvements politiques antifiscaux, notamment aux États-Unis. Dans cette optique, toute action de l’État, à commencer par la fiscalité, est forcément confiscatoire. Les défaillances du marché sont inexistantes ou en tout cas moins impor-tantes que les effets pervers de l’intervention publique. La seule chose que peut faire l’impôt, s’il faut absolument des recettes publiques pour financer les dépenses de répression de l’État (notamment la défense de la propriété privée), c’est d’être le plus neutre possible, c’est-à-dire d’opérer le moins de distorsions possible sur le système des prix relatifs des biens et services et des facteurs de production : c’est cette analyse qui sous-tend la promotion d’une flat tax, c’est-à-dire d’un impôt à montant unique.

L’autre conception libérale est l’approche néoclassique standard, inspirée de Léon Walras (1834-1910), Alfred Marshall (1842-1924) et Arthur Pigou (1877-1959), qui admet l’idée que les mécanismes du marché seuls, dans un cadre de concurrence pure et parfaite, ne conduisent pas forcé-ment à un optimum économique (c’est-à-dire une situation où aucune amélioration ne serait possible dans la situation d’un

11. J.-M. Monnier, « L’impôt et la contrainte ou la dialectique de l’autonomie et de la responsabilité », op. cit.

Page 30: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

30

Un impôt juste pour une société juste

agent économique sans dégrader celle d’un autre), et qu’il y a des « défaillances du marché », c’est-à-dire des situations où une intervention correctrice, celle de l’État en l’occurrence, peut améliorer les choses et rapprocher l’allocation des res-sources de l’optimum. Dans cette optique, la fiscalité se jus-tifie, y compris en incitant à une modification de l’allocation des ressources, en opérant parfois les distorsions bénéfiques. Les défaillances du marché les plus significatives à cet égard sont les « externalités », ou « effets externes », négatives ou positives, c’est-à-dire les cas de figure où l’activité d’un agent économique se traduit pour la collectivité ou pour d’autres agents par un coût ou un avantage, mais qui reste sans effet pour lui.

L’exemple le plus connu d’externalité négative est celui de l’entreprise dont la production provoque sur l’environnement des dégâts dont elle ne supporte pas elle-même le coût. À l’opposé, une entreprise bénéficie d’une externalité positive lorsqu’elle embauche un salarié dont elle n’a pas eu à finan-cer la formation. Dans cette optique, l’impôt peut avoir une action correctrice en incitant les producteurs ou les consom-mateurs à « internaliser les externalités », c’est-à-dire à tenir compte dans leurs calculs et donc dans leurs choix des coûts cachés pour la collectivité de leurs actions, ou symétrique-ment des avantages sous-estimés [u Chapitre 9].

Une extension de la fiscalité en trompe-l’œilParmi les projets néolibéraux ou socio-libéraux contem-porains, on trouve l’idée d’une extension de la fiscalisa-tion. Ainsi dans le cadre de rapports publics de ces der-nières années, a été avancée l’idée d’un remplacement de la législation sur le licenciement par l’équivalent d’une taxe « pollueur-payeur ». L’employeur financerait par un impôt les coûts sociaux des licenciements. Il s’agit d’internaliser les externalités par le jeu des prix dans un cadre concurrentiel. L’idée peut paraître séduisante. Elle pose néanmoins des problèmes substantiels. D’une part, elle réduirait les droits des salariés puisque sa contre-

Page 31: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

31

partie serait un affaiblissement, voire une suppression, des protections contre les licenciements. D’autre part, et surtout, le salarié serait réduit à une simple marchandise encombrante dont l’employeur pourrait se débarrasser en payant.L’impôt négatif, préconisé dans le cadre des politiques néolibérales ou social-libérales de l’emploi, inspiré de l’Earning income tax-credit (EITC) états-unien et traduit en France par la prime pour l’emploi (PPE) participe de la logique d’« incitation au travail » dans le contexte d’une politique de travail forcé (workfare). Il se traduit par la garantie d’un revenu minimum qui exonère les entreprises du paiement du salaire minimum légal, avec l’objectif affiché de dépérissement, in fine, du Smic.Arrivés à ce point, on s’aperçoit que le clivage entre les deux conceptions libérales de l’impôt (présentées précédemment) n’est pas infranchissable : il relève sur-tout d’une question de gradation. Dans les rapports du Conseil d’analyse économique (CAE) l’impôt doit, pour s’effacer le plus possible, non seulement guider correcte-ment le jeu des prix sur le marché mais être lui-même un prix. C’est le modèle de l’« échange volontaire » : l’impôt optimal est celui que l’individu est prêt à acquitter pour avoir accès à un service public, comme s’il payait le prix d’un service marchand. Cette conception extrême, qu’on a déjà trouvée chez les libertariens, revient à gommer toute spécificité de l’État ou de la puissance publique pour en faire un agent économique calculateur comme un autre. C’est également une conception qui laisse le champ libre à toutes les inégalités et à tous les rapports de force à l’œuvre dans la société.

Page 32: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 33: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

33

2. De Sarkozy àHollande, une quasi-continuité

La fin du mandat de Nicolas Sarkozy aura été marquée par une certaine inflexion dans les choix fiscaux au regard des orientations portées dans la « loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat » (dite loi TEPA) d’août 2007. Rappelons que celle-ci comportait des dispositions qui allé-geaient fortement l’imposition du patrimoine (avec notam-ment le relèvement de l’abattement applicable en matière de donation et de succession) et renforçait le bouclier fiscal préalablement instauré par le gouvernement de Villepin. Ces mesures ont été fortement contestées et ont globalement été considérées comme « illégitimes » par l’opinion. C’est bien cette contestation et le besoin de dégager des ressources publiques du fait de la crise qui ont conduit Nicolas Sarkozy et François Fillon à faire voter en juin 2011 la suppression du bouclier fiscal et, dans la foulée, une contribution tempo-raire sur les hauts revenus et un relèvement du prélèvement forfaitaire libératoire applicable sur les revenus du capital (dividendes, revenus d’obligation…).

Quoique apparemment contraires dans leur orientation à celles contenues dans la loi TEPA, ces mesures de 2011 ne « trahissent » cependant pas l’orientation libérale à l’œuvre depuis 2007. Il en va ainsi en matière de fiscalité du patri-moine et de fiscalité des revenus. En effet, si la suppres-sion du bouclier fiscal a effectivement été votée en 2011 à grand renfort de communication dans un contexte où la figure du « président des riches » s’imposait très largement dans l’opinion, il n’en demeure pas moins que cette suppression s’est accompagnée d’un allégement important de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Sur les près de 600 000 rede-vables de l’ISF comptabilisés en 2010, près de la moitié (ceux qui étaient imposés dans la première tranche) se sont ainsi

Page 34: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

34

Un impôt juste pour une société juste

trouvés exonérés, les autres bénéficiant d’un allégement plus ou moins important de leur ISF. En outre, toujours dans la logique de transfert de la charge d’imposition sur le plus grand nombre de ménages, s’agissant de l’imposition des revenus, les classes moyennes n’ont pas été épargnées.

Le début du mandat de François Hollande a été marqué par certaines inflexions, mais sans volonté de réforme de fond malgré les propositions que le candidat Hollande portait de longue date, comme le rapprochement de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée par exemple. La suite fut plus inquiétante : en l’absence d’orientation claire pour rendre la fiscalité plus simple, plus juste et plus stable, le « ras-le-bol fiscal », mis en avant par le ministre des finances lui-même et largement instrumentalisé par les néolibéraux et l’opposition, a alimenté la contestation de l’impôt et, par conséquent, l’affaiblissement du consentement à l’impôt. Devant la montée des mouvements « anti-impôt », une remise à plat du système fiscal a été annoncée par le Premier ministre Ayrault précipitamment fin 2013, mais sans réel cap ni objectif. Début 2014, François Hollande assumait dans ses vœux sa vision d’une politique de l’offre, annonçait une baisse des cotisations patronales (branche famille) et de nouveaux allégements au bénéfice des entreprises. En parallèle, était appliquée au 1er janvier une hausse de la TVA, taxe propor-tionnelle sur la consommation, qui pénalise plus fortement les ménages modestes parce qu’ils consomment une part plus importante de leurs revenus. Depuis, les allégements au profit des entreprises se sont multipliés, et quelques mesures, sans grande portée ont été annoncées en contrepartie pour réduire les prélèvements (impôts et cotisations) sur les plus modestes. Mais la remise à plat de la fiscalité est abandon-née. Passons en revue les principales évolutions intervenues depuis 2011.

Page 35: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

35

2011-2012 : la fiscalité du patrimoine en ballottageAprès avoir maintes fois réaffirmé qu’il ne toucherait pas au

bouclier fiscal, Nicolas Sarkozy l’a malgré tout supprimé un an avant les élections présidentielles. Mais cette suppression a été accompagnée d’une réforme plus vaste de la fiscalité du patrimoine se traduisant, notamment, par un allégement considérable de l’ISF. La réforme votée en juin 2011 abou-tissait à diviser quasiment par deux le produit de l’ISF. En réalité, elle n’a été que partiellement appliquée, car à l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, une nouvelle réforme a été mise en œuvre.

L’impôt de solidarité sur la fortune en accordéonLa réforme de 2011 relève le seuil d’imposition de 800 000

à 1,3 million d’euros, ramène le nombre de tranches de sept à deux, et abaisse le taux marginal supérieur de 1,8 % à… 0,5 % ! Cette nouvelle formule exonère près de la moitié des redevables de l’ISF précédent. De fait, tous les rede-vables de l’ISF (ils étaient 600 000 en 2010) bénéficient de cette réforme, même ceux qui bénéficiaient du bouclier fis-cal (moins de 10 000). Dans les faits, il s’agit d’une forme d’« intégration » du bouclier fiscal dans le barème de l’ISF qui profite par construction à tous les redevables de l’ISF. Pour ceux qui bénéficiaient du bouclier fiscal, le gain net est certes moins élevé que pour les autres, l’économie résultant de l’allégement de l’ISF étant pour partie absorbée par la perte du bouclier fiscal. Mais dans leur grande majorité, ils y sont gagnants.

Lorsqu’il arrive au pouvoir, François Hollande annonce un relèvement de l’ISF mais il ne procède pas à sa refonte. Le nombre de tranche est relevé ; le taux marginal supé-rieur passe à 1,5 %, moins élevé donc qu’avant la réforme de 2011 (il était de 1,8 %). Le seuil à partir duquel on est redevable de l’ISF reste fixé à 1,3 million d’euros, néanmoins pour les contribuables excédant ce seuil, un taux d’imposition s’applique dès le seuil de 800 000 euros. Les personnes qui

Page 36: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

36

Un impôt juste pour une société juste

disposent d’un patrimoine compris entre 800 000 et 1,3 mil-lion d’euros continuent donc d’échapper à l’ISF et bénéficient ainsi de facto de l’allégement décidé en 2011. Ce relève-ment – modéré – de l’ISF constitue indéniablement une mesure qui touche les plus aisés même si le rendement de cet ISF nouvelle formule sera inférieur de près d’un milliard d’euros à la version d’avant 2011.

Cette modification de l’ISF reste très insuffisante, princi-palement du fait qu’il n’est pas envisagé d’en refondre l’as-siette. Or celle-ci comporte de nombreuses niches fiscales qui n’ont pas apporté la preuve de leur efficacité et qui sont évidemment utilisées avant tout pour réduire la facture fiscale. Comme l’impôt sur le revenu, l’ISF est mité par ces niches. En la matière, l’impact de la loi TEPA est net : avant elle, les niches représentaient 18,7 % du rendement de l’ISF, après sa mise en œuvre, elles en représentaient jusqu’à 43 %. Mais ni Nicolas Sarkozy en 2011, ni François Hollande ensuite ne les ont retouchées.

Droits de mutation à titre gratuit : un retour partielLa loi TEPA avait fortement allégé les droits de succes-

sion et de donation, par exemple en relevant l’abattement applicable sur une succession en ligne directe (ascendants et descendants) de 50 000 à 150 000 euros. Concernant les donations, la loi permettait par exemple pour une famille de deux parents et deux enfants de transmettre 600 000 euros en franchise d’impôt tous les six ans. Par comparaison avec le régime antérieur, elle procurait, pour une donation de 150 000 euros effectuée par chacun des parents à chacun des enfants (soit une transmission de 600 000 euros sur une période de six ans) une économie d’impôt de 70 478 euros par rapport à la somme qui aurait été versée si l’abattement précédent de 50 000 euros sur les successions avait été main-tenu. Globalement, les mesures de la loi TEPA en matière de donations et de successions représentent un allégement d’impôt de 3 milliards d’euros. La loi de finances rectificative en 2011 a ensuite opéré un ajustement sous la forme d’un

Page 37: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

37

allongement de six ans à dix ans du délai ouvrant droit à la franchise d’impôt : cette mesure a permis de dégager 925 mil-lions d’euros de recettes. Sous Nicolas Sarkozy, l’allégement « net » reste donc légèrement supérieur à 2 milliards d’euros.

Rappel des étapes en matière de donation en ligne directen Jusqu’en 2005 : donation en franchise d’impôt de 46 000 euros de chaque parent vers chacun de ses en-fants, possible tous les dix ans => Au sein d’une famille de deux parents et deux enfants, 184 000 euros peuvent être transférés en franchise d’impôt tous les dix ans.n Jusqu’en 2007 : donation en franchise d’impôt de 50 000 euros de chaque parent vers chacun de ses en-fants, possible tous les six ans => Au sein de la famille considérée, 200 000 euros peuvent être transmis en franchise d’impôt tous les six ans.n À partir du 22 août 2007 : donation en franchise d’im-pôt de 150 000 euros de chaque parent vers chacun de ses enfants, possible tous les six ans => Au sein de la famille, 600 000 euros peuvent être transmis en fran-chise d’impôt tous les six ans.n À partir du 31 juillet 2011 : donation de 159 325 euros de chaque parent vers chacun de ses enfants, possible tous les dix ans => Au sein de la famille, 600 000 euros peuvent être transmis en franchise d’impôt tous les dix ans.n À partir du 15 août 2012 : donation de 100 000 eu-ros de chaque parent vers chacun de ses enfants, possible tous les quinze ans => Au sein de la famille, 400 000 euros peuvent être transmis en franchise d’im-pôt tous les quinze ans.

En 2012, François Hollande a réduit l’abattement sur les successions en ligne directe à 100 000 euros (un montant qui reste toutefois supérieur aux 50 000 euros applicables avant la loi TEPA) mais il a porté le délai à quinze ans, ce qui revient tout de même à alourdir les droits de mutation.

Page 38: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

38

Un impôt juste pour une société juste

L’impôt sur le revenu en proie à des tensions contradictoiresL’impôt sur le revenu français représente moins de 3 % du

PIB : c’est l’un des plus faibles des pays européens et de ceux de l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le total de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG) ne représente en effet que 7,3 % du PIB (en 2010) contre 12,3 % en Belgique, 9 % en Allemagne, 10 % en Grande Bretagne, 8 % aux États-Unis ou 24,4 % au Danemark. Cette faiblesse est due tout à la fois à la nature même de l’assiette (plus étroite du fait de la déduction des cotisations sociales, du quotient familial et du quotient conjugal) et aux niches fiscales, qui sont venues miter son assiette. Même avec les hausses décidées depuis 2012 (la réduction du plafond du quotient familial, le gel du barème1 de l’impôt sur le revenu…), l’imposition des revenus demeure dans la moyenne basse. Surtout, il est très mal réparti entre les contribuables du fait de ses déséquilibres structurels.

Relèvement du taux marginal supérieurRelèvement « Sarkozy » du taux à 41 % : symboliqueLe taux supérieur de l’IR a été très légèrement relevé en

2010 (pour l’IR 2011) passant de 40 à 41 %, on ne peut guère appliquer relèvement plus faible. Il a pourtant été présenté comme un effort supplémentaire demandé aux plus aisés permettant de renforcer l’équité du système fiscal. C’est objectivement la première hausse du barème de l’impôt sur le revenu intervenue depuis plus de trente ans car, on l’a vu, les taux du barème ont été fortement abaissés, notamment au début des années 2000. Le taux marginal supérieur demeure

1. Le gel du barème de l’IR a eu comme conséquence de rendre imposables des contribuables modestes qui ne l’étaient pas auparavant ainsi que d’ac-croître le montant de l’impôt pour tous les contribuables.

Page 39: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

39

inférieur à ceux des impôts européens sur le revenu : en 2011, ce taux est de 45 % en Allemagne, de 50 % en Belgique, 52 % aux Pays-Bas et en Espagne. En Grande-Bretagne, il est de 50 % pour les revenus supérieurs à 150 000 livres, soit 170 000 euros, et il s’applique à une proportion plus impor-tante de contribuables que le relèvement décidé en France.

Ce relèvement de 1 point a concerné 330 000 foyers fiscaux (soit moins de 1 % des 36 millions de foyers fis-caux). La hausse de l’impôt sur le revenu en résultant est faible – 230 millions d’euros, soit 0,5 % du produit de l’IR – d’autant plus que les ménages concernés concentrent un grand nombre de niches fiscales qui leur permettent de réduire leur impôt.

Relèvement « Hollande » à 45 % : peut mieux faire !L’ajout dans le barème d’une tranche à 45 % au-dessus

de 151 200 euros de revenus est plus intéressant du point de vue du rendement et du renforcement de la progressivité de l’impôt. Elle concerne très peu de foyers, 50 000 environ, qui se situent parmi les 1 % de ménages les plus aisés. La suppression en parallèle du prélèvement forfaitaire libéra-toire permet au gouvernement d’annoncer que la fiscalité des revenus du capital est alignée sur celle du travail, tous les revenus étant imposés aux mêmes taux. Cette mesure constitue certes une véritable étape contribuant à rendre l’IR plus équitable. Les ménages les plus aisés perçoivent en effet une part très importante des revenus de patrimoine (revenus financiers, fonciers). Pour autant, cette étape est loin de suf-fire pour assurer l’égalité d’imposition entre les revenus du capital et du travail. Tout d’abord, le prélèvement libératoire reste en vigueur pour l’assurance-vie, qui représente le prin-cipal placement financier, avec un encours de 1 720 milliards d’euros ! Ensuite, des exonérations ont été instaurées. Ainsi, devant la grogne des entrepreneurs à l’automne 2012 – ce qui a été appelé le mouvement des pigeons – le gouver-nement a renoncé à taxer les plus-values de cession de sociétés en prévoyant de nombreux aménagements. De plus, les niches fiscales en matière d’épargne et de revenus

Page 40: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

40

Un impôt juste pour une société juste

financiers restent nombreuses et coûteuses [u ci-après]. Au final, l’IR reste globalement l’un des impôts sur le revenu les plus faibles en Europe.

Des contributions temporaires inefficaces, mais très « politiques »Une contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus, temporaire et dérisoireVotée en 2011 dans le cadre de la loi de finances pour

2012, cette contribution a été présentée par Nicolas Sarkozy et par le gouvernement comme le symbole de l’équité fis-cale du plan de rigueur décidé au travers de quatre lois de finances rectificatives pour 2011, de la loi de finances de 2012 et de la loi de financement de la sécurité sociale de 2012. Dans le projet initial du gouvernement, le seuil d’assujettis-sement à cette contribution avait été fixé à 500 000 euros par part du quotient familial [u Chapitre 5]. Le Parlement l’a abaissé à 250 000 euros. En dépit de cet abaissement, cette contribution demeure purement symbolique et dérisoire pour deux raisons.

La première tient au peu de foyers fiscaux concernés. La distribution des revenus montre que les 1 % les plus aisés gagnent en moyenne 150 000 euros par an et que le seuil d’entrée au sein du 0,1 % les plus aisés se situe à 732 300 euros2. Ce sont ces contribuables, soit moins de 26 000 foyers fiscaux3, qui seront concernés. De ce fait, cette contribution devrait rapporter entre 200 et 400 mil-lions d’euros, montant non négligeable mais relativement modeste au regard du rendement de l’impôt sur le revenu qui se situe autour de 55 milliards d’euros. La seconde raison tient au caractère temporaire de cette contribution. Loin de représenter un relèvement du barème progressif qui serait

2. Source : Insee.3. Rapport général de la Commission des finances de l’Assemblée natio-nale : projet de loi de finances 2012, conditions générales de l’équilibre financier, octobre 2011.

Page 41: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

41

durablement ancré dans le système fiscal, cette contribution prendra fin lorsque le déficit public reviendra à un niveau inférieur à 3 % soit d’ici deux à cinq ans selon les diverses estimations.

Cette contribution apparaît avant tout comme une opéra-tion politique visant à masquer l’ampleur et les effets réels de la rigueur. La progressivité ne s’en trouve pas réellement renforcée et le budget de l’État ne récupérera que peu de rentrées supplémentaires.

L’épopée d’une fausse « taxe à 75 % » La taxe à 75 % a fait une apparition remarquée dans le

débat préélectoral. La proposition portée alors par le candidat Hollande visait à prendre le contre-pied de Nicolas Sarkozy, elle correspondait également à une attente d’une frange crois-sante de la population qui n’a eu de cesse de longue date de réclamer une plus grande justice fiscale. Les enquêtes d’opinion de ces quinze dernières années ont montré que la fiscalité était jugée de plus en plus complexe et injuste et que l’attente portait sur un renforcement de la progressivité générale du système fiscal.

La taxe à 75 % n’est cependant qu’un symbole. Elle n’aura pas d’effet durable en termes de rendement ou de réduction des inégalités. Proposée dans la loi de finances 2013, elle a tout d’abord été censurée par le Conseil constitutionnel en décembre 2012 avant d’être représentée sous une autre forme et votée fin 2013. Elle prend le nom de « contribution exceptionnelle de solidarité » car de fait elle ne concerne que les années 2013 et 2014. Son taux n’est pas de 75 %, mais de 50 % : en y ajoutant les charges sociales, on se rapproche de l’engagement symbolique de 75 %. Elle s’appliquera sur la fraction des rémunérations supérieures à un million d’euros (mais non sur les revenus du capital), ne sera pas intégrée à l’IR mais payée directement par les entreprises. Elle est néanmoins plafonnée à hauteur de 5 % du chiffre d’affaires des entreprises et est déductible de l’impôt sur les socié-tés. Le rendement attendu est faible, 260 millions d’euros en 2014 et 160 millions en 2015. Cette taxe a fait l’objet de

Page 42: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

42

Un impôt juste pour une société juste

polémiques. En effet, la mauvaise communication gouverne-mentale sur la question déterminante des taux réels d’impo-sition, la violente contestation idéologique des libéraux et la médiatisation de quelques personnalités déclarant vouloir s’exiler pour des raisons fiscales ont fragilisé le débat sur la progressivité de l’impôt. En ce sens, cette taxe s’est avérée très contre-productive pour les défenseurs d’un renforcement de la progressivité.

La non-indexation du barèmeTous les ans, les seuils des tranches du barème de l’im-

pôt sur le revenu sont actualisés car ils sont indexés sur l’évolution des prix hors tabac. Ceci permet de ne pas payer plus d’impôt lorsque le revenu n’évolue pas plus vite que l’inflation. Cette indexation a été supprimée par N. Sarkozy pour l’IR 2012, ce qui s’est traduit par une hausse d’impôt pour l’ensemble des contribuables imposables (soit plus de 19 millions de foyers fiscaux) et par l’imposition de 200 000 à 400 000 nouveaux foyers fiscaux, non imposables avant ce gel, mais dont les revenus se situaient à un niveau proche du seuil d’imposition. Globalement, près de 20 millions de foyers fiscaux ont payé plus d’impôt sur le revenu en 2012.

François Hollande a maintenu le gel du barème de l’IR tout en l’accompagnant d’une décote visant à neutraliser certains effets pervers constatés en 2012. Cette décote ainsi relevée a permis d’éviter à plusieurs centaines de milliers de foyers fiscaux qui étaient non imposables de basculer vers l’imposi-tion et elle a également réduit l’impôt pour les contribuables faiblement imposés. Le gouvernement a estimé à 7,4 millions de foyers fiscaux (imposables ou non) les bénéficiaires de la décote majorée dont le coût réduit le rendement attendu d’une seconde année de gel du barème de 1,7 milliard d’euros en 2011 à 1,35 milliard d’euros en 2012. Même ainsi aménagé, ce gel constitue une hausse aveugle et injuste de l’IR.

L’indexation du barème de l’impôt sur l’inflation a été réta-blie pour l’IR 2014. Présentée comme étant une mesure

Page 43: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

43

bénéficiant aux classes moyennes, elle ne constitue en réalité qu’un retour à la normale !

L’abaissement du plafond des niches fiscalesL’abaissement du plafond global des niches fiscales à

10 000 euros est une mesure positive. Néanmoins, il est regrettable qu’aucune remise à plat des mesures déroga-toires, les niches fiscales, n’ait été prévue. De plus, certaines niches fiscales ne sont toujours pas incluses dans la liste des mesures concernées par le plafonnement (une vingtaine seulement), d’autres en ont été exclues, ce qui en affaiblit fortement la portée de la mesure. Le plafonnement global ne peut être efficace pour limiter la défiscalisation que s’il concerne suffisamment de niches, et ce n’est pas le cas. Concrètement, les stratégies d’optimisation fiscale pourront s’adapter et contourner ce plafond, qui ne permettra donc pas de réduire substantiellement le coût des niches fiscales. Ces dernières représentent un manque à gagner de 71 milliards d’euros sans compter les niches fiscales dites « déclassées » qui ne figurent pas dans les lois de finances.

L’abaissement du plafond du quotient familialLe système de quotient familial est un dispositif largement

reconnu comme injuste et il suscite de nombreuses critiques. Les députés ont souhaité réduire ses effets inégalitaires et par deux fois, en 2012 et en 2013, ils ont voté un abaissement du plafond de la réduction d’impôt que procurent les enfants. Pour les revenus de 2013, ce plafond est ainsi passé de 2000 à 1 500 euros par demi-part. Mais la résorption de l’inégalité du quotient familial ne peut pas passer par un abaissement progressif de son plafond : celui-ci touche de plus en plus de foyers, certes parmi les plus aisés (la dernière mesure

Page 44: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

44

Un impôt juste pour une société juste

entraîne une augmentation d’impôt pour environ un million de foyers des « classes moyennes supérieures ») mais surtout, cette mesure ne réduit en rien l’inégalité de répartition de cet avantage fiscal en dessous du plafond [u Chapitre 5].

L’impôt sur les sociétés au péril de la « compétitivité » En matière d’impôt sur les sociétés (IS) également, les

mesures du projet de loi de finances 2013 visent plus particu-lièrement les grandes entreprises. Il en va ainsi de la limitation à 85 % (puis à 75 % à partir de 2014) de la déduction des charges financières, du durcissement du « report en avant » des déficits, deux mesures qui élargissent l’assiette de l’IS en s’inspirant de l’impôt allemand (qui limite selon d’autres modalités la déduction des charges financières et le report des déficits), ou bien encore du coup de rabot sur la niche dite « Copé » (qui permet une exonération des plus-values tirées de la cession de titres de participation). Ces mesures doivent contribuer à réduire l’écart de traitement qui existe entre petites et grandes entreprises, mais sont insuffisantes pour l’annuler. En matière d’IS comme des autres impôts, une remise à plat des mesures dérogatoires s’impose.

D’une part, on l’a vu, les régimes dérogatoires coûtent cher à l’IS. D’autre part, ces régimes bénéficient principale-ment aux grandes entreprises, notamment aux groupes de sociétés, et ce sont eux qui expliquent que les taux effectifs d’imposition diffèrent entre petites et grandes entreprises, au détriment des premières [u Encadré : « Imposition des petites et grandes entreprises : quels écarts ? » chapitre 7].

Le CICE, la plus chère des niches fiscalesFrançois Hollande ayant manifestement rallié la thèse libé-

rale sur le coût trop élevé du travail, l’exécutif a instauré fin 2012 un crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (CICE) qui prévoit un allégement de 20 milliards d’euros

Page 45: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

45

par an du coût du travail, ciblé sur les bas salaires. C’est la niche fiscale la plus coûteuse à ce jour. C’est une mesure massive et sans précédent, censée améliorer la compétitivité des entreprises, leur faire gagner des parts de marché et favoriser l’investissement et les créations d’emplois. Le mon-tant du crédit d’impôt sera égal à 6 % de la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 Smic. Aucune contrepartie n’est exigée des entreprises. Le gouvernement fait ainsi un chèque en blanc de 20 milliards d’euros annuels au patronat. Quelle garantie a-t-on que les entreprises vont effectivement baisser leurs prix ou investir, et non pas rému-nérer encore mieux leurs actionnaires ? Selon les données de l’Insee pour le premier trimestre 2014, les chèques reçus du CICE ont bien servi à améliorer les taux de marge des entreprises mais ils n’ont pas eu l’effet attendu sur l’investis-sement, qui a continué de baisser (- 0,6 %)…

Le CICE est financé de deux façons. Directement par les ménages à travers l’augmentation de la TVA appliquée début 2014 qui rapportera 10 milliards d’euros. Ce qui apparente le CICE à la « TVA sociale » [u Chapitre 3] que Nicolas Sarkozy avait commencé à mettre en œuvre, que François Hollande avait condamnée à l’époque et abrogée lorsqu’il a été élu. Un tel reniement à quelques mois d’intervalle laisse songeur. Mais ce n’est pas tout, car les dix autres milliards du CICE seront aussi payés par les ménages, indirectement, à travers une baisse supplémentaire des dépenses publiques qui signi-fie moins de services publics, de protection sociale et d’in-vestissements pour l’avenir. Cette baisse des dépenses se rajoute donc à celles, massives, déjà programmées jusqu’en 2017. C’est une véritable cure d’austérité que le gouverne-ment est en train de mettre en œuvre. Alors que la France est en stagnation économique, que la déflation menace, de telles orientations ne peuvent qu’aggraver la situation en impulsant une logique récessive qui enfoncera notre pays dans la crise avec des conséquences sociales catastrophiques.

Page 46: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 47: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

47

3. Mesures fiscales s’inscrivant dans la logique néolibérale

Accéléré par les effets de la crise et par les mesures fis-cales prises pendant le mandat de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, le débat sur la place et le rôle de l’im-pôt est plus que jamais d’actualité. Pour autant, il n’est pas exempt de certains risques. Le bilan des choix fiscaux de ces dernières années, qui met en lumière la complexité et le déséquilibre du système fiscal, est riche d’exemples mon-trant la voie sur laquelle il ne faut pas s’engager. Mais dans un contexte d’incertitudes et d’inquiétudes économiques et sociales, les néolibéraux s’appuient sur la question du déficit public et instrumentalisent notamment la peur des délocali-sations pour justifier des choix fiscaux pourtant porteurs de véritables régressions.

Les principales propositions de la logique néolibérale con-cernent : la flat tax, la TVA, la « TVA sociale », la suppression de la fiscalité du patrimoine, la fusion des budgets « sociaux » et « fiscaux ».

La flat tax : l’impôt néolibéral conservateurLes conservateurs, on l’a dit, n’ont jamais accepté les

impôts directs progressifs tel que l’impôt sur le revenu. Ils y voient une atteinte à l’égalité des citoyens (du fait d’une plus forte taxation des riches) comme à leur liberté (du fait de la rupture de l’anonymat). Ces arguments demeurent toujours très présents chez les détracteurs actuels des impôts directs. Bien que l’impôt sur le revenu ait largement démontré en un siècle d’existence qu’il constituait une source de financement de l’action publique contribuant en même temps à réduire les inégalités dans un contexte de développement de l’activité

Page 48: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

48

Un impôt juste pour une société juste

économique, les conservateurs et les néolibéraux actuels n’ont en réalité jamais abandonné l’objectif d’en finir avec la progressivité. Ils ne voient que contrainte dans cet impôt et souhaitent l’alléger au maximum. Pour cela, ils s’appuient sur l’argument habituel selon lequel la compétitivité passe par la baisse des prélèvements, parmi lesquels les cotisations sociales et certains impôts comme l’impôt sur le revenu, sur le patrimoine et sur les sociétés.

Le mouvement de « proportionnalisation » de l’impôt sur le revenu, qui résulte du processus déjà noté de l’affaiblisse-ment successif de sa progressivité, apparaît bien comme l’un des piliers de la contre-réforme fiscale libérale. Il a de quoi combler les partisans des plus conservateurs qui plaident pour la création d’une flat tax, autrement dit d’un impôt à taux unique. Proportionnel, un tel prélèvement serait assis sur une assiette large, de sorte que le taux soit le plus faible possible.

Cette assiette large constitue d’ailleurs un argument sup-plémentaire employé par les partisans de la flat tax qui voient en elle un impôt simple, neutre et incitatif. L’argument de la simplicité est évident : un seul taux. La neutralité découle de même de l’unicité du taux : étant identique pour tous les contribuables, il est supposé ne pas introduire de distorsion dans la distribution des revenus et l’allocation des ressources (entendue ainsi, la neutralité est l’exact contraire de la pro-priété de redistributivité, donc de l’équité). Enfin, l’absence de progressivité est présentée comme une incitation à gagner plus, chaque euro gagné étant imposé au même taux. Enfin, au-delà de ces questions théoriques, certains exemples étrangers sont repris pour tenter de justifier ce projet. Certains pays ont en effet mis en place des impôts proportionnels sur le revenu, ce qui a valeur d’exemple pour les partisans de la flat tax.

Sur le plan international, plus particulièrement dans les pays d’Europe centrale et orientale, il est vrai que le déve-loppement des flat tax a de quoi inquiéter. L’Estonie l’a mise en place en 1994 avec un taux de 24 %, diminué à 20 % en 2007. La Lettonie l’a créée en 1995 (au taux de 25 %) tout comme la Lituanie (33 % sur les revenus sauf dividendes et

Page 49: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

49

plus values, taxées à 15 %). La Russie, dont l’influence est certaine sur l’est de l’Europe, l’a instaurée en 2001 (au taux de 13 %). D’autres États l’ont également mise en place dont la Slovaquie (19 %), la Roumanie (taux de 16 % sur les revenus et les bénéfices), la Tchéquie (15 %) ou encore la Hongrie (16 %). La Pologne a introduit un taux général de 18 %.

Ce mouvement est révélateur d’un contexte de forte concur-rence entre ces États qui, par ailleurs, ne bénéficient pas d’un budget européen à la hauteur des besoins. Certains sont en pleine période de recomposition de leurs finances publiques, la plupart sont en pleine reconstruction économique. Les flat tax s’inscrivent dans le mouvement de dumping fiscal et sont instaurées au prétexte de lutter contre l’économie souterraine, souvent importante, en favorisant le retour dans la légalité d’activités non déclarées, au prix d’un impôt simple et allégé. Ces taxes comportent en réalité une franchise en base, de sorte qu’elles sont légèrement progressives, ce que les par-tisans de la flat tax se gardent bien de préciser.

En dépit de ces réalités qui s’expliquent par le contexte particulier de ces États, avec des situations économiques et sociales très diverses, ces flat tax continuent d’orienter certains projets d’inspiration néolibérale conservatrice. Or les conséquences de la mise en place d’un tel impôt seraient socialement et économiquement désastreuses. Tout d’abord, une flat tax consiste à imposer au même taux tous les reve-nus. Selon les scénarios, elle se substitue soit au seul impôt sur le revenu soit, le plus souvent, à l’impôt sur le revenu et à la contribution sociale généralisée (CSG). Globalement, l’effet est similaire. Avec un tel impôt, les classes modestes, peu ou pas imposées dans le système actuel, verraient leur impôt augmenter de manière très sensible. Inversement, les plus aisés, dont une partie parfois importante du revenu est imposée au taux marginal supérieur de 45 % verraient leur niveau d’imposition s’effondrer.

Prenons l’exemple d’une flat tax au taux de 15 % : c’est le taux qui, compte tenu de l’assiette actuelle de l’impôt sur le revenu et de la CSG, procurerait un rendement équivalent à la somme de ces deux prélèvements.

Page 50: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

50

Un impôt juste pour une société juste

n Pour un salarié déclarant 15 000 euros, actuellement non imposable à l’impôt sur le revenu et dont la contribu-tion actuelle est représentée par une CSG de 1 220 euros par an, cette flat tax se traduirait par un prélèvement de 2 250 euros, soit presque le double de son niveau actuel.n En revanche, pour un salarié déclarant 150 000 euros de revenus et payant 12 220 euros de CSG par an et 42 338 euros d’impôt sur le revenu, une telle flat tax se traduirait par un impôt global de 22 500 euros, soit une économie d’impôt supérieure à 32 000 euros.Une flat tax consiste donc à répartir différemment l’imposi-

tion des revenus autour d’un même taux en allégeant l’impôt des plus riches et en alourdissant l’impôt des plus modestes, au contraire d’un impôt progressif. Les conséquences d’un tel mode d’imposition sont prévisibles : dans la partie supérieure de la distribution des revenus, l’économie d’impôt réalisée par les plus aisés vient accroître leur épargne, celle-ci générant par la suite des revenus eux-mêmes peu imposés. Dans la partie basse et moyenne de la distribution des revenus, le surcroît d’imposition se traduit par une baisse du revenu disponible, qui vient par suite affaiblir la consommation des ménages et, in fine, l’activité économique, plus particulière-ment celle qui répond aux besoins sociaux.

Au final, le développement des inégalités de revenus et de patrimoines s’amplifie, avec des conséquences particu-lièrement négatives sur le plan social mais aussi en termes d’activité économique. La flat tax est à la fois socialement injuste et économiquement inefficace. Elle doit être résolu-ment combattue.

La TVA et l’imposition de la consommation au cœur du projet néolibéralLa fiscalité sur la consommation1 est très souvent présen-

tée comme une fiscalité d’avenir. Aux yeux des néolibéraux,

1. La TVA est ici vue comme un impôt sur la consommation, ce que nient

Page 51: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

51

elle présente plusieurs mérites : très rentable (la TVA rapporte plus de la moitié des recettes fiscales de l’État) et invisible (car comprise dans le prix), elle épargne le capital et elle n’est pas progressive mais proportionnelle. Son assiette est en outre jugée non délocalisable, ce qui est présenté comme un atout dans notre économie ouverte. Enfin, la fiscalité sur la consom-mation est également présentée comme « neutre », au sens cette fois qu’elle ne pèse ni sur le capital ni sur les revenus.

Le projet néolibéral vise de manière générale à faire des impôts sur la consommation les principaux impôts, voire les seuls, du système fiscal. Il a conçu aussi un instrument pour financer la Sécurité sociale, abusivement nommé « TVA sociale ». La fiscalité sur la consommation dans son ensemble est de plus en plus fréquemment présentée comme une fis-calité d’avenir. Parmi les pistes régulièrement envisagées, figurent l’augmentation de la TVA et/ou celle de la fiscalité écologique [u Chapitre 9].

La TVA, impôt injuste, ne doit pas augmenterLes arguments avancés pour promouvoir la fiscalité sur la

consommation sont aussi utilisés pour promouvoir la « TVA sociale ». La TVA est très présente dans les divers travaux qui portent sur la fiscalité, notamment avec sa généralisation depuis plus de cinquante ans au plan international (elle a été créée en France dans les années 1950). Très rentable, pré-sentée comme neutre et ne nuisant pas à la compétitivité, la fiscalité sur la consommation serait préférable à la fiscalité sur le travail : Nicolas Sarkozy avait ainsi déclaré début 2007 qu’il valait mieux « taxer la consommation plutôt que l’emploi », une formule qui résume à elle seule le credo des supporteurs de la fiscalité sur la consommation.

Pourtant, imposer la consommation revient, pour la très grande majorité des personnes qui tirent leur revenu de leur travail, à imposer le travail, mais à une étape différente, c’est-à-dire au stade de l’utilisation des revenus. Elle ne constitue

certains travaux qui la considèrent comme un impôt sur la valeur ajoutée (comme son nom l’indique) avant distribution entre capital et travail (cf. les travaux de Bruno Théret).

Page 52: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

52

Un impôt juste pour une société juste

en quelque sorte qu’une imposition différée des revenus du travail, selon un mode proportionnel alors que l’impôt sur le revenu demeure progressif (même s’il l’est de moins en moins).

Or, on l’a vu, la TVA pèse proportionnellement plus lourde-ment sur les ménages des classes modestes et moyennes, car elles consacrent la totalité ou la quasi-totalité de leur revenu à la consommation. Inversement, les ménages les plus aisés seraient les grands bénéficiaires d’un transfert des prélèvements sur le travail vers l’imposition de la consomma-tion. En effet, plus on s’élève dans la hiérarchie des revenus et plus la propension à épargner augmente. Baisser l’imposi-tion du travail pour augmenter l’imposition de la consomma-tion revient donc à transférer la charge fiscale pesant sur les plus riches vers les plus modestes. Le but recherché est ici uniquement budgétaire : il s’agit de dégager des ressources fiscales, et tant pis si c’est au détriment de l’équité verticale. C’est bien ce que l’on constate avec la hausse de la TVA appliquée en 20142 : son objectif est de financer une baisse d’impôt accordée aux entreprises (le CICE) ; elle pèsera sur les ménages et plus fortement sur les plus modestes.

Un autre argument avancé par les partisans de la TVA est qu’en réalité, les consommateurs paient tous, in fine, les impôts et les différents coûts de production. Cette vision est partielle et partiale. Dans une économie ouverte, une telle répercussion n’est pas aisée à mesurer. Du reste, tous les impôts ne sont pas répercutés dans le prix à la consomma-tion, par exemple l’impôt sur le revenu ou sur le bénéfice des sociétés.

Peu importe aux néolibéraux qui envisagent encore de nouvelles pistes en matière de TVA. Il en va ainsi de l’ave-nir du taux réduit de TVA. La commission des finances du Sénat a chiffré à 13 milliards d’euros le manque à gagner annuel résultant de l’imposition à taux réduit de certaines activités qui pourraient selon elle relever du taux normal (dans

2. Le taux normal de TVA est passé de 19,6 % à 20 %, le taux intermédiaire est passé de 7 % à 10 %. Le taux réduit est resté à 5,5 % et le taux super-réduit est resté à 2,1 %.

Page 53: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

53

la restauration, les travaux dans les logements de plus de deux ans, la vente à consommer sur place). Elle en conclut qu’il est possible d’augmenter le taux de TVA sur ces activités.

Sur le principe donc, la TVA est un impôt injuste et elle ne doit pas augmenter. Au contraire, sa part dans les recettes fiscales doit diminuer, notamment par la prépondérance à donner aux impôts directs progressifs, et il serait logique que ce rééquilibrage passe par une baisse de la TVA. Sous condition qu’elle soit intégralement répercutée, cette baisse profiterait à l’ensemble des ménages, en particulier les plus pauvres qui verraient croître leur pouvoir d’achat. En théorie donc, une baisse de la TVA va dans le sens de la justice fiscale. En pratique cependant, ce n’est pas toujours le cas. L’expérience témoigne en effet que les baisses de la TVA ne sont jamais intégralement répercutées dans les prix, ce qui amoindrit fortement leur intérêt vis-à-vis de l’objectif visé.

De manière générale, la question du niveau de la TVA et celle des différents taux à appliquer aux différents biens et services selon leur nature doit faire l’objet d’un débat démo-cratique. Le taux devrait être en effet déterminé en fonction l’utilité sociale du produit, ce qui nécessite un débat pour l’établir. Il est de ce point de vue envisageable d’appliquer un taux de TVA nul sur les produits qui auront été définis comme relevant de la première nécessité. À l’inverse, le taux le plus fort devrait porter sur des produits considérés comme super-flus ou luxueux. Dans le contexte actuel d’un budget dégradé de l’État, une éventuelle baisse de TVA devrait satisfaire deux conditions impératives : être compensée par une hausse des impôts progressifs et être accompagnée de la mise en place d’un contrôle des prix ciblé sur les produits concernés pour veiller à sa bonne répercussion.

Page 54: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

54

Un impôt juste pour une société juste

La non-répercussion des baisses de la TVASi une hausse de la TVA se répercute dans les prix, rien n’est moins sûr pour une baisse tant que les contrôles ne seront pas assurés. Comme le montrent les expé-riences passées, les baisses précédentes n’ont jamais été intégralement répercutées dans les prix TTC. Ainsi, en 1987, le taux de TVA applicable aux ventes d’auto-mobiles a été abaissé de 33,3 % à 18,6 %. Seulement 77 % de cette baisse a été répercutée. En 1999, seu-lement 57 % de la baisse de 20,6 à 5,5 % du taux de TVA sur les travaux et réparations immobilières a été répercutée3. Enfin, le Sénat a établi que 60 % de la baisse de la TVA dans la restauration de 2009 a été répercutée dans les prix TTC4. Les entreprises ont en effet, dans l’état actuel des choses, tout loisir de main-tenir leurs prix et de profiter d’une baisse de la TVA pour augmenter leur taux de marge, voire pour procé-der à une autre affectation de cette baisse, suivant le marché concerné (concurrentiel ou non), les prix prati-qués, les comportements des consommateurs…

La « TVA sociale » entre mythe et réalitéLa « TVA sociale » figure en bonne place dans les proposi-

tions de réforme des néolibéraux, mais elle intéresse aussi d’autres courants politiques. Son principe est de transférer vers la TVA une partie du financement de la Sécurité sociale assuré aujourd’hui majoritairement par les cotisations sociales calculées sur les salaires. La TVA sociale est ainsi présentée comme une solution pour financer les dépenses sociales tout en améliorant la compétitivité des entreprises par la

3. Ces deux chiffrages sont repris du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, Prélèvements obligatoires sur les ménages, progressivité et effets redistributifs, mai 2011.4. Rapport d’information de la Commission des finances du Sénat, sur le bilan du taux réduit de TVA dans le secteur de la restauration, du 13 octobre 2010.

Page 55: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

55

baisse des cotisations sociales, et elle éviterait donc aussi les délocalisations.

Ce que les néolibéraux pensent de la TVA socialeSur le plan théorique, un financement par la TVA sociale

opère un transfert qu’on peut décrire de la manière suivante. Il s’agit de diminuer les cotisations patronales pour baisser le coût du travail, toujours trop élevé selon la thèse libérale. Cette diminution se traduit théoriquement par une baisse du prix hors taxe (HT) du bien ou du service produit. Dans le même temps, la TVA est augmentée de plusieurs points. La TVA resterait calculée sur le prix HT de sorte, selon les parti-sans de la TVA sociale, que le prix final TTC n’augmenterait pas puisque la hausse du taux de TVA serait compensée par le fait qu’elle s’applique désormais à un prix HT diminué.

La TVA sociale s’appliquerait ainsi à tous les biens et ser-vices vendus en France, qu’ils soient produits en France ou à l’étranger. Le montant de TVA nette serait constitué, comme pour la TVA actuelle, de la différence entre TVA collectée et TVA déductible5, le consommateur étant le redevable réel puisqu’il supporte la TVA comprise dans le prix (précisément TTC). Compte tenu des règles européennes, le taux de la TVA ne peut dépasser un taux maximum de 25 %. Le taux normal actuel étant de 20 %, les 5 points de marge possible sur ce taux, qui constitueraient la TVA sociale, pourraient alors être affectés au financement du système de protection sociale.

Pour justifier leur projet, les partisans de la TVA sociale mettent en avant la baisse du coût du travail qui, selon eux, favoriserait la compétitivité des entreprises produisant des biens et des services sur le territoire français. Les exporta-tions étant exonérées de TVA, les prix à l’exportation pour-raient baisser du fait de la baisse du coût du travail, ce qui

5. La TVA est reversée par les entreprises au Trésor public de la manière suivante (on retiendra un taux de TVA de 20 %) : une entreprise achète un produit 120 euros (100 euros hors taxe et 20 euros de TVA). Après trans-formation du produit, elle le revend 180 euros (150 euros hors taxe avec une TVA de 30 euros). L’entreprise doit donc reverser au Trésor public la différence entre la TVA collectée (30 euros) et la TVA déductible (20 euros), soit 10 euros.

Page 56: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

56

Un impôt juste pour une société juste

offrirait un avantage comparatif pour les produits français sur les marchés internationaux. Avantage comparatif égale-ment sur le marché intérieur par rapport aux importations qui seraient, elles, soumises à cette TVA.

Ainsi, les partisans de la TVA sociale suggèrent que ce transfert n’aurait pas d’incidence sur les prix à la consom-mation des produits français, ni donc sur le pouvoir d’achat des particuliers, malgré un taux apparent de TVA plus élevé, puisque la baisse du coût du travail diminue d’autant la valeur ajoutée qui constitue la base de la TVA. Ils prétendent en outre qu’une telle disposition permettrait de lutter contre les délocalisations, du fait que la baisse du coût du travail et la hausse de la taxation à l’importation les rendraient moins « rentables ».

De la théorie à la réalitéNous aborderons ici point par point les incidences com-

plexes mais bien réelles de cette proposition.Une question importante est celle du rendement financier

de la TVA sociale. Ce premier point doit être souligné, car la TVA sociale même portée au maximum, ne pourrait pas remplacer le volume total de cotisations patronales. Les cotisations du régime général représentaient en effet près de 170 milliards d’euros en 2010, dont 133 milliards de coti-sations patronales. Si chacun des taux de TVA était porté à 25 %, qui est le taux maximum admissible au sein de l’Union européenne, le rendement budgétaire maximum que l’on pourrait espérer de cette hausse s’élèverait à près de 97 mil-liards d’euros. Il resterait donc environ 36 milliards d’euros à financer (= 133 - 97), probablement en maintenant quelques points de cotisations sociales.

Mais surtout, il faut bien voir qu’il s’agit ici d’une conception maximaliste de la TVA sociale, représentée par l’hypothèse d’une hausse généralisée de tous les taux de TVA à 25 %, qui serait intenable économiquement comme socialement et politiquement inenvisageable.

Par ailleurs, la baisse des cotisations sociales patronales risque de procurer un effet d’aubaine, c’est-à-dire la possibilité

Page 57: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

57

pour l’entreprise d’en profiter pour augmenter son taux de marge. La question de la répercussion d’une baisse de prélè-vement se pose de manière générique : sera-t-elle répercutée sur les prix intégralement ou en partie seulement, ou servira-t-elle surtout à augmenter la marge ? L’exemple déjà donné de la baisse de la TVA dans la restauration, peu répercutée dans le prix final, est édifiant.

Ensuite, il convient de différencier les contextes des sec-teurs d’activité. En effet, dans certains secteurs, la concur-rence internationale est peu perceptible, le marché étant essentiellement national, voire faisant l’objet de quasi-mono-poles. Dans ces situations, la baisse des cotisations patro-nales n’a pas d’intérêt du point de vue de la compétitivité et risque de se limiter à l’effet d’aubaine.

Il est par ailleurs illusoire de penser que les délocalisa-tions puissent diminuer avec une telle mesure. En effet, cette baisse des cotisations patronales, pour importante qu’elle soit, ne permet absolument pas de compenser le différentiel salarial existant aujourd’hui avec des pays comme la Chine ou même avec les pays de l’Europe centrale et orientale. Le coût du travail est environ cinq fois moins cher en Pologne et sept fois moins cher en Lituanie que dans les pays de l’ancienne Europe des Quinze. Le ratio avec la Chine est de l’ordre de trente en moyenne. Une baisse des cotisations patronales serait sans effet en regard de tels écarts. Il est donc vain de croire que l’on pourra combler le différentiel de salaires avec les pays émergents au vu de l’écart des coûts salariaux qui existent entre les différentes régions du monde.

Mais surtout une telle affirmation révèle une incompré-hension des mécanismes qui fondent les décisions des employeurs. Certes les entreprises préfèrent toujours que le coût du travail soit le moins élevé possible. Mais ce n’est évidemment pas le seul critère pris en compte, sinon il y a longtemps qu’il n’y aurait plus aucune entreprise en France, ni dans aucun pays développé. D’autres critères sont pris en compte comme le niveau de productivité du travail, l’état des infrastructures, l’existence d’un marché potentiel…

Page 58: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

58

Un impôt juste pour une société juste

L’argument d’une TVA sociale permettant de lutter contre les délocalisations n’a pas de pertinence.

Le plus probable est que la baisse des cotisations sociales ne soit pas, ou pas totalement, répercutée sur les prix et qu’elle aboutisse simplement à une hausse du taux de marge et des dividendes versés aux actionnaires. Notons encore que les administrations publiques et de nombreuses petites entreprises ne sont pas assujetties à la TVA : elles n’ont pas à reverser de TVA collectée sur leurs ventes de biens ou de services au Trésor public, mais elles ne peuvent pas non plus déduire la TVA qu’elles ont payée en amont, sur leurs achats. Une hausse de la TVA les pénaliserait car elles paieraient plus cher leurs achats.

La TVA sociale opère un transfert au détriment des ménages et, dans une certaine mesure, des administrations publiques et de certaines petites entreprises. Les effets béné-fiques de la TVA sociale sont en réalité assis sur une théorie vertueuse qui ignore – ou fait semblant d’ignorer – les effets complexes de sa proposition, puisque son objectif premier reste l’obsession de la baisse du coût du travail.

Résumons-nous : avec une TVA sociale, les prix des biens et services importés augmenteraient, de même que les prix d’une bonne partie de ceux qui sont produits en France. Au nom d’une illusoire tentative de combler les écarts de coût de production entre la France et les pays émergents, le finan-cement de la protection sociale serait fragilisé du fait que la TVA sociale ne rapporterait de toute façon pas suffisamment. L’impôt pèserait encore plus sur les catégories modestes. On aura donc beau vouloir baptiser ce projet « TVA sociale » ou TVA « anti-délocalisation » comme cela a déjà été fait, il n’en demeure pas moins qu’un tel transfert de charge vers les ménages, et particulièrement vers les moins riches, ajoute-rait à l’injustice fiscale et sociale sans pour autant présenter d’intérêt économique.

Page 59: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

59

La fiscalité du patrimoine des ménages en voie de disparitionLa réforme de la fiscalité du patrimoine de 2011 s’inscrit

dans une évolution déjà ancienne consistant à alléger les divers impôts sur le patrimoine : impôt de solidarité sur la fortune, droits de succession et de donation, imposition des revenus du patrimoine. Les quelques mesures prises depuis 2012 [u Chapitre 2] n’ont que très légèrement infléchi cette tendance. Les justifications de ces allégements, qui ont notamment pris la forme de niches fiscales (abattements, réduction d’impôt, etc.) sont peu robustes : le patrimoine ne serait pas une richesse comme les autres, la fiscalité du patri-moine étant jugée confiscatoire et dissuasive par ceux qui prétendent retenir et attirer des richesses.

Pourquoi taxer le patrimoine ?Les partisans d’une suppression de la fiscalité pesant sur

le stock de patrimoine affirment que celui-ci n’est pas à pro-prement parler une source de richesse. C’est notamment le cas de la résidence principale, disent-ils, et plus largement du patrimoine immobilier. S’agissant du patrimoine financier, ils préconisent une suppression de l’imposition du stock de ce patrimoine au nom du risque de pénaliser l’investissement et de celui d’affaiblir l’attractivité fiscale de la France.

Cette approche est irrecevable. En effet, les détenteurs de patrimoine occupent des situations sociales globalement plus favorables que ceux qui n’en ont pas. Si l’on considère deux personnes percevant le même revenu mais dont les patrimoines sont différents, celle qui dispose d’un patrimoine pourra le mobiliser (l’apporter en garantie de prêt, en vendre tout ou partie), ce qui lui permettra d’accéder à une meilleure situation que la personne qui ne dispose que de son revenu. Du reste, qu’il soit immobilier, mobilier (meubles, objets d’arts, etc.) ou financier, il fait bien l’objet d’une évaluation chiffrée dans les transactions de marché… En ce sens, il convient de l’imposer en application des principes fondamen-taux de la fiscalité.

Page 60: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

60

Un impôt juste pour une société juste

Il convient d’autant plus de le faire que les inégalités patri-moniales qui avaient fortement diminué après la Seconde Guerre mondiale sont aujourd’hui au plus haut et que la ten-dance est au renforcement de ces inégalités [u Chapitre 6]. Comme le montre Thomas Piketty dans Le capital au 21e siècle 6, la concentration du patrimoine se constate dans tous les pays développés. Ses travaux l’amènent à faire la proposition centrale d’un impôt sur le capital, progressif et mondial, seule solution pour contenir la progression des iné-galités mondiales de patrimoine qui s’accroissent actuelle-ment à un rythme qui n’est pas soutenable.

Les expatriations : mythe ou réalité ?Pour les néolibéraux, les expatriations fiscales sont l’une

des principales raisons qui justifieraient la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Elles auraient en effet un impact tel sur l’économie française qu’il serait écono-miquement plus efficace et budgétairement plus rentable de supprimer l’ISF. Ce discours véhicule la peur du déclin et de la perte de richesses. Il s’appuie sur des évaluations plus ou moins dramatisées et fantaisistes mais la réalité est différente.

Les données de « Bercy » sur l’ISF sont reprises dans les travaux du Parlement (rapports d’information de la commis-sion des finances du Sénat) et dans ceux du Conseil des prélèvements obligatoires (rapport de 2009 sur le patrimoine des ménages). Les statistiques mesurent régulièrement les départs, rarement les retours et jamais les installations d’étrangers en France dont certains peuvent se retrouver à payer l’ISF. On l’a vu, les départs de redevables de l’ISF représentent moins de 0,15 % du nombre de redevables de l’ISF et 0,6 % du rendement de l’ISF. Les bases imposables des départs représentent 0,5 % de la base totale imposable à l’ISF. Mais en réalité, la valeur des bases délocalisées est encore plus faible. En effet, malgré une expatriation, l’im-mobilier (40 % de la base de l’ISF) demeure sur le territoire national et continue d’être imposé. En outre, les personnes

6. T. Piketty, Le capital au 21e siècle, Paris, Le Seuil, 2013.

Page 61: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

61

qui s’expatrient disposent souvent avant leur départ de pla-cements à l’étranger qu’on ne peut donc pas compter dans les pertes « en base » : l’expatriation ne se traduit donc pas par une perte de richesse pour l’économie française. Pour mesurer l’impact réel de flux entrants et sortants, il faudrait déduire de ces données brutes celles relatives aux retours et aux installations d’étrangers en France. Or ces données manquent…

Au-delà de ces éléments quantitatifs, les motivations des départs, des retours et des installations d’étrangers en France sont peu analysées. Une étude du cabinet Ernst and Young, reprise en 2004 par le Conseil des impôts, plaçait la fiscalité en huitième place dans les motivations d’un départ à l’étran-ger, confirmant les conclusions du rapport du Sénat de 2001 sur l’expatriation qui montrait que, sur vingt-cinq raisons avancées par les expatriés diplômés d’HEC, l’imposition des revenus arrivait en 9e place, l’ISF en 21e place et les droits de succession en dernière place.

Même si l’étude exhaustive des flux entrants et sortants reste à faire, l’impact des expatriations sur le budget et l’éco-nomie française apparaît faible, voire marginal. Les marges de manœuvre existent pour une fiscalité du patrimoine ren-table et équitable.

La fusion des budgets « fiscaux » et « sociaux »Il existe des projets visant à étatiser ou fiscaliser les res-

sources sociales [u Encadré : « Fiscalisation, étatisation »]. Parmi eux, une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG (qui était portée par le candidat Hollande mais semble actuel-lement abandonnée). Un tel projet fait débat, il touche tout à la fois à la nature et à la structure des ressources sociales ainsi qu’à la réforme de l’imposition des revenus.

À l’origine, la Sécurité sociale a été conçue pour couvrir les risques de pertes de revenus professionnels du fait de l’âge, de la maladie, etc. La structure de son financement a

Page 62: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

62

Un impôt juste pour une société juste

sensiblement évolué sous l’effet de la montée en puissance d’impôts affectés à la Sécurité sociale comme la contribution sociale généralisée (CSG) et sous l’effet de la prise en charge par l’État d’allégements de cotisations sociales, notamment ceux accordés pour les salaires inférieurs à 1,6 Smic. La couverture des assurés aussi a évolué. De fait, le lien entre cotisation et prestation s’est distendu. Ainsi, la naissance de la CSG en 1991 et sa substitution aux cotisations maladie en 1997 et 1998 a changé la nature du lien existant entre « cotisant » et « bénéficiaire ». La fiscalité occupe désor-mais une large place dans le financement du système de Sécurité sociale. Les revenus d’activité dans leur ensemble représentent 70 % du rendement de la CSG, les revenus de remplacement 17 % et ceux du capital seulement 11 %.

Fiscalisation, étatisation : le point sur les termesLa fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale dé-signe une évolution qui consiste à intégrer des recettes d’impôt dans son financement. Principalement financée par les cotisations sociales (autrement dit, une partie du salaire est socialisé pour financer les dépenses sociales comme les retraites, l’indemnisation du chômage…), la Sécurité sociale perçoit aujourd’hui des ressources assises sur d’autres assiettes (revenus du patrimoine et de remplacement, droits sur les alcools et le tabac…) : il s’agit d’impôts affectés à la Sécurité sociale, laquelle conserve un budget propre.L’étatisation est une opération différente : il s’agit du passage des finances sociales dans le budget de l’État, ou, tout au moins, sous l’unique contrôle de l’État. Sur ce point, on assiste effectivement à une étatisation au sens où les partenaires sociaux n’ont plus le contrôle du niveau des cotisations sociales. Ce mouvement est du reste antérieur à celui de la fiscalisation.

Cette fiscalisation des ressources sociales est un sujet en soi qui fait débat [u Encadré : « Financement de la protection

Page 63: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

63

sociale : les enjeux du débat »]. Mais le budget de la Sécurité sociale reste actuellement distinct de celui de l’État car la CSG est un impôt affecté. L’existence de deux budgets dis-tincts est indéniablement une garantie qui permet de mieux préserver les ressources sociales, et surtout qui fait sens dans la mesure où ces ressources proviennent tout de même majoritairement des salaires, que ce soit par le canal de la CSG ou des cotisations.

Financement de la protection sociale : les enjeux du débatLa question des impôts interfère inévitablement avec celle des cotisations sociales, les uns comme les autres constituant des modalités de prise en charge des risques sociaux par la collectivité. On distingue historiquement deux grands types de systèmes de protection sociale. Le système beveridgien (du nom de Beveridge, 1879-1963, initiateur du système britannique d’assurances sociales) désigne une protection sociale où la couverture des risques est financée par l’impôt ; le caractère jugé uni-versel des dépenses de santé place leur financement sous l’égide de la solidarité nationale, en fonction de la faculté contributive de chaque citoyen. Le système bis-marckien (du nom du chancelier allemand Bismarck, 1815-1898, qui a mis en place la première assurance maladie de salariés) est un système d’assurance obli-gatoire qui suppose d’avoir cotisé préalablement. La cotisation, généralement assise sur le salaire et donnant droit à prestation, est en fait un salaire socialisé. De nombreux systèmes sont en réalité hybrides, combinant des éléments bismarckiens et beveridgiens.Le financement de ces deux systèmes intervient à deux moments différents de l’activité économique. Le finance-ment par la cotisation sociale s’effectue au moment de la répartition primaire des revenus, c’est-à-dire lors du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits. Le financement par l’impôt intervient dans un second temps au moment de la redistribution des revenus. Sur la base

Page 64: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

64

Un impôt juste pour une société juste

de cette distinction, impôts et cotisations sociales ne sont donc pas des financements sociaux de même na-ture. Les cotisations sociales (patronales ou salariées) constituent avec les salaires directs la masse salariale globale (le coût du travail du point de vue du patronat), alors que les impôts sont des prélèvements au sens propre du terme et financent la redistribution. Cependant dans les deux cas, il s’agit in fine d’un prélèvement sur la richesse créée par le travail. Seules les modalités de ce prélèvement diffèrent. Aucun des deux systèmes ne donne donc de garantie en soi.Le débat sur les modalités du financement de la Sécurité sociale traverse la société, notamment la gauche et le mouvement social. Sans prétendre livrer un prêt-à-pen-ser, nous revenons ici sur les points de débats actuels.Un premier ensemble de positions plaide pour l’élargis-sement de l’assiette des cotisations au-delà du salaire, à l’ensemble de la valeur ajoutée (salaires + profits). Plusieurs arguments viennent à l’appui de cette position. Le financement actuel pèse de façon exclusive sur le travail, il serait donc juste et plus efficace de mettre à contribution le capital par le biais d’une mise à contri-bution des profits. Certains plaident aussi en faveur d’une modulation des cotisations sociales en fonction de l’emploi : le système basé sur les cotisations était adapté à une période de plein-emploi, mais en période de chô-mage de masse, il pénalise les entreprises intensives en main-d’œuvre qui sont dissuadées de créer ou de main-tenir des emplois. Remarquons que l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée ne change pas le moment où s’effectue le financement de la protection sociale. Il s’effectue toujours au moment de la formation des revenus primaires.Tout autres sont les positions qui se prononcent pour une fiscalisation plus ou moins complète du finance-ment. Les arguments avancés sont alors les suivants. Certains risques relèvent d’une prise en charge univer-selle au titre de la citoyenneté, et ne devraient pas être liés à l’activité comme c’est le cas actuellement avec les cotisations. Dans ce contexte, un contrôle par le budget

Page 65: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

65

de l’État mettrait le financement de la protection sociale sous le contrôle démocratique du Parlement. Une fisca-lisation complète associée à une fusion avec l’impôt sur le revenu permettrait d’instaurer un financement par un impôt progressif, plus juste.Un troisième ensemble de positions défend le caractère de salaire socialisé de la protection sociale et considère qu’un élargissement de l’assiette ou une fiscalisation aboutirait à la fragiliser et à en changer la nature. La coti-sation fait partie intégrante du salaire. L’augmenter – à condition que cela ne se fasse pas au détriment du sa-laire net – revient donc à augmenter la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée et constitue bien une mise à contribution des profits, à la source. Renvoyer le financement à la fiscalité, donc à l’ensemble de la col-lectivité, revient au contraire à en exonérer le patronat. La protection sociale n’a pas vocation à effectuer une redistribution verticale des revenus (des riches vers les pauvres) comme devrait le faire l’impôt, mais seulement une redistribution horizontale (des bien portants vers les malades, des actifs vers les retraités…), même si elle contribue de fait à limiter les inégalités. Pour certains, la cotisation, fondée sur le salaire et donc établie dans le cadre des conventions collectives, est une conquête sociale qui préfigure le dépassement du salariat par l’extension progressive de la part socialisée du salaire. Enfin, changer le mode de financement risque de donner crédit à l’argument libéral selon lequel le niveau du coût du travail inciterait les entreprises à embaucher ou, au contraire, à supprimer des emplois, alors que le bilan né-gatif des mesures d’exonérations de cotisations sociales montre que cet argument est faux.

Compte tenu de la pression sur les finances publiques, tout projet visant à étatiser les ressources sociales est potentiel-lement porteur d’un risque de paupérisation de la protection sociale. Le danger est évident de voir l’État se replier en matière de protection sociale comme il le fait en matière de services publics. Avec un budget affecté, la Sécurité sociale n’est certes pas hors de danger. Mais sa visibilité ainsi que

Page 66: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

66

Un impôt juste pour une société juste

l’attachement que les Français lui portent offrent certaines garanties pour préserver une couverture sociale qui, certes doit être améliorée, mais reste néanmoins encore significa-tive. Il y a fort à craindre que cette couverture se réduise à une portion congrue en cas d’étatisation du budget de la Sécurité sociale.

En tout état de cause, une éventuelle fusion CSG/IR doit répondre à un impératif majeur, celui de préserver deux budgets distincts. Un second impératif doit y être ajouté, celui de l’amélioration de la progressivité générale de l’imposition des revenus qui résultera de cette fusion.

Page 67: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

2e partie

Révolutionner l’impôt

Page 68: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 69: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

69

4. Les grands objectifs de nos choix fiscaux

L’alternative à la crise du capitalisme financiarisé passe par une autre répartition des richesses. La fiscalité et plus géné-ralement l’ensemble des prélèvements publics et sociaux, peuvent y contribuer de trois façons : en renforçant les res-sources de l’État et des collectivités publiques pour financer l’expansion et l’amélioration des services publics, en incitant les acteurs économiques, parmi lesquels les entreprises, à des choix favorables à l’emploi et au respect des impératifs écologiques et en (r)établissant une véritable progressivité de la fiscalité sur les revenus et les patrimoines afin de réduire les inégalités.

Nécessité d’une hausse globale des prélèvements obligatoiresAprès trente ans de politiques inspirées des idéologies néo-

libérales, après la crise des finances publiques et les baisses de dépenses publiques appliquées en son nom, les services publics continuent de se dégrader et la protection sociale est fortement menacée.

L’allongement de l’espérance de vie, l’indispensable réduc-tion des inégalités dans l’accès aux soins, la nécessité de rendre accessible pour tous les progrès de la médecine et l’amélioration de la prévention rendent inéluctable une forte augmentation des dépenses de santé dans les décennies à venir. De même, répondre aux besoins en matière de ser-vices publics de l’éducation, de la petite enfance ou d’aide à l’autonomie des personnes, réaliser la transition écologique de la société, tout cela nécessitera des investissements très importants. La lutte contre l’effet de serre, le développement des énergies renouvelables, la mise en place d’équipements

Page 70: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

70

Un impôt juste pour une société juste

et d’infrastructures économes en énergie dans les transports, la construction, l’industrie, la coopération dans tous ces domaines avec les pays émergents et en développement exigeront des mises de fonds considérables. Les innovations technologiques nécessaires à la réalisation de ces projets appellent un accroissement immédiat et durable des efforts de recherche et de formation pour l’ensemble de la population dans des domaines essentiels. Il existe aussi des besoins en ce qui concerne les services de sécurité, de justice et ceux qui assurent les interventions économiques de l’État et des collectivités territoriales, y compris en ce qui concerne l’éta-blissement et la collecte de l’impôt, la lutte contre l’évasion fiscale.

À l’opposé des préceptes néolibéraux, c’est l’exigence d’une forte expansion des services publics qui ressort de ce constat. En faisant de la baisse des prélèvements obligatoires un dogme, les forces conservatrices tournent le dos aux exi-gences d’un développement durable associant efficacité éco-nomique, justice sociale et respect de l’environnement. Loin de créer les conditions d’une résorption de la dette publique, les restrictions budgétaires sont responsables de la situation de récession prolongée qui touche la zone euro.

Reconnaître qu’une augmentation des prélèvements fis-caux et sociaux est nécessaire implique, du même mouve-ment, de montrer comment cette augmentation peut contribuer à l’efficacité économique, sociale et écologique, – c’est le deuxième objectif de nos orientations – et comment elle peut se faire de manière juste – troisième objectif.

Une incitation à des choix compatibles avec un développement social et écologiquePar la façon dont sont définis l’assiette et le taux des pré-

lèvements fiscaux et sociaux, l’action publique influe sur les comportements des agents économiques, en premier lieu ceux qui concernent les choix d’investissement et leur

Page 71: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

71

financement, et elle est à même de limiter le diktat de la recherche de rentabilité. La fonction incitative de la fiscalité s’applique au premier chef aux entreprises, aux côtés d’autres instruments de politique, le principal d’entre eux devant être une réorientation des crédits bancaires au service d’une nou-velle conception de l’efficacité économique, sociale et envi-ronnementale. Trois axes de réformes doivent être retenus :n à l’opposé de la suppression de la taxe professionnelle, rétablir une fiscalité sur le capital productif, qui incite les entreprises à préférer les technologies favorables aux éco-nomies d’énergie et de matières premières, et celles qui reposent sur le renforcement de l’emploi et de la qualifica-tion des travailleurs ;n relever l’impôt sur les sociétés, en l’augmentant davan-tage pour les entreprises qui délocalisent, exportent des capitaux et suppriment des emplois ;n taxer les revenus financiers des entreprises.Ces mesures ne pourraient pas être accusées d’alourdir de

façon insupportable les prélèvements obligatoires opérés sur les entreprises dès lors qu’elles inciteraient à limiter les pré-lèvements des actionnaires, et qu’elles seraient couplées à une politique monétaire visant à réduire de façon sélective les taux d’intérêt payés par les entreprises qui créent des emplois et réalisent des investissements économes en énergie et en matières premières.

En matière de fiscalité des particuliers, la taxation des reve-nus financiers et des revenus de la propriété à un niveau au moins égal, voire supérieur, à celui appliqué sur les revenus du travail aurait également des effets vertueux sur les com-portements des particuliers, et aiderait à réduire la dépen-dance de l’économie vis-à-vis des marchés financiers. Il est faux de prétendre que l’impôt en France figurerait parmi les plus élevés en Europe. Car au-delà des taux nominaux affi-chés, les exonérations et abattements divers font que le pro-duit de l’impôt pour ce qui est des impôts courants (revenu et patrimoine) est, en réalité, inférieur à la moyenne européenne [u Graphique ci dessous].

Page 72: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

72

Un impôt juste pour une société juste

Thomas Piketty rappelle la distinction qui avait cours au Royaume-Uni et aux États-Unis pendant une période, entre les revenus « gagnés » (salaires, etc.) et « non gagnés » (loyers, intérêts, dividendes, etc.)1: « Cette distinction est inté-ressante car elle exprime en langue fiscale la graduation de la suspicion vis-à-vis des très hauts revenus : tous les revenus trop élevés sont suspects, mais plus encore ceux qui n’ont pas été gagnés. » Il est tout à fait cohérent d’envisager de taxer plus fortement les revenus non gagnés, particulièrement dans le contexte actuel d’augmentation des inégalités.

Cet ensemble de mesures contribuerait à sortir de l’im-passe des politiques d’austérité en favorisant la création de valeur ajoutée des territoires nationaux et un rééquilibrage du partage de cette valeur ajoutée en faveur des salaires et des prélèvements publics et sociaux.

1. T. Piketty, op. cit., p. 820.

Impôts sur le revenu et le patrimoine(en % du PIB)

Page 73: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

73

Établir la progressivité d’ensemble des prélèvements obligatoiresDans une économie dynamisée par une saine relance

de l’activité économique et de l’emploi dans le respect de l’environnement, la fonction redistributive de l’impôt prendrait une efficacité accrue. Pour corriger les atteintes portées par des réformes successives à la progressivité de l’impôt, il est devenu nécessaire de rééquilibrer l’ensemble de la fiscalité des particuliers :n réduire le poids relatif des impôts indirects comme la TVA et la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) qui exercent un effet anti-redistributif en termes de prélèvement fiscal ;n augmenter la part des impôts progressifs – ISF et impôt sur le revenu – dans les prélèvements obligatoires et ren-forcer la progressivité de l’impôt sur le revenu ;n respecter l’équité fiscale, l’égalité de traitement devant l’impôt, ce qui suppose par principe une individualisation de l’impôt sur le revenu. La réflexion doit se poursuivre sur la manière la plus pertinente de prendre en compte les charges familiales qui relèvent rationnellement des poli-tiques familiales plutôt que fiscales ;n réviser la fiscalité locale selon les mêmes principes.Dans le débat sur les prélèvements fiscaux et sociaux,

souvent associés, il n’est évidemment pas possible d’ignorer la question du financement de la Sécurité sociale : celle-ci apparaît en toile de fond, qu’il s’agisse de l’évolution de la CSG ou des cotisations sociales. La présente note ne porte cependant que sur la fiscalité, la question des ressources sociales ne sera donc abordée que lorsque les enjeux fiscaux et sociaux sont mêlés.

Page 74: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 75: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

75

5. Un impôt sur le revenu progressif et équitable

La réforme de l’imposition des revenus, entendue ici au sens large, est un enjeu majeur d’une réforme fiscale. Après de nombreuses années au cours desquelles la baisse de l’im-pôt sur le revenu et la baisse de sa progressivité semblaient être la pierre angulaire de toute réforme fiscale, le constat de l’explosion des inégalités, l’affaiblissement sensible et inquiétant du consentement à l’impôt et les effets de la crise ont rebattu les cartes du débat fiscal. François Hollande avait ainsi promis une grande réforme fiscale, basée notamment sur une fusion de la contribution sociale généralisée (CSG) et de l’impôt sur le revenu (IR). Cette réforme de fond semble abandonnée, même si le président s’en défend en assurant qu’elle prendra le temps du quinquennat.

Avant de tracer les pistes d’une réforme progressiste de l’imposition des revenus, il est utile de présenter les enjeux croisés entre la CSG et l’IR, même sachant que le projet de fusion ne se concrétisera probablement pas à court terme.

Contribution sociale généralisée, impôt sur le revenu : enjeux croisésDisons le d’emblée, il n’est pas possible de trancher som-

mairement le débat sur la fusion entre CSG et IR tant ses implications sont multiples et complexes. Il est pourtant cer-tain que chacun de ces deux impôts doit être profondément réformé.

Bref état des lieuxL’impôt sur le revenu, né de la fusion de divers impôts,

s’est construit à partir de 1914. La CSG, créée bien plus tard

Page 76: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

76

Un impôt juste pour une société juste

(1991), est affectée au financement de la Sécurité sociale, on parle ainsi d’« impôt fléché ». C’est un prélèvement pro-portionnel sur les revenus, au taux de 7,5 % sur les revenus d’activité et de 6,6 % sur les revenus de remplacement – elle présente ainsi les caractéristiques d’une cotisation sociale pour les salarié·es et retraité·es –, et au taux de 8,2 % sur les revenus du patrimoine.

CSG et IR constituent l’imposition directe sur les revenus. La première est bien plus rentable : en 2011, elle aura rap-porté 87 milliards d’euros contre 51 milliards d’euros pour l’impôt sur le revenu1. Cet écart est dû à l’assiette de la CSG, beaucoup plus large que celle de l’impôt sur le revenu. La CSG est un impôt proportionnel2 appliqué sur le revenu de l’individu (et non du ménage), prélevé directement à la source et dépourvu de mesures dérogatoires. L’assiette de l’IR est fortement réduite, du fait qu’il comporte un certain nombre de niches, qu’il est calculé sur un revenu diminué des cotisations sociales (et d’une partie de la CSG) et qu’il tient compte de la composition du foyer fiscal (système du quotient familial). À noter aussi qu’à la différence de la CSG, il est prélevé l’année qui suit celle de la perception des revenus.

Contribution de chaque assiette dans le montantde la CSG

Assiette de la CSG Proportion

Revenus d’activité 70 %

Revenus de remplacement 17 %

Revenus du capital 11 %

Autres revenus (jeux, etc.) 2 %

100%

Lecture : le rendement de la CSG provient à 70 % de revenus d’activité.

1. Les recettes des différents impôts fluctuent selon les années avec la conjoncture économique, mais leur poids relatif dans l’ensemble des re-cettes fiscales ne varie que peu.2. La CSG est un prélèvement proportionnel mais elle est pour partie déduc-tible du revenu imposable [u Annexe]. La part qui n’est pas déductible se retrouve donc imposée au barème progressif de l’IR, ce qui revient à inclure une petite dose de progressivité dans la CSG.

Page 77: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

77

Quel débat sur la réforme de l’imposition des revenus ?Deux enjeux, déjà mentionnés, doivent guider une réforme

de l’imposition des revenus, qui doit donc porter, de manière conjointe ou séparée, sur la CSG et de l’IR : renforcer la pro-gressivité de l’impôt et garantir l’affectation des recettes vers les budgets distincts de la Sécurité sociale et de l’État, et ceci avec en toile de fond le respect de l’équité, notamment entre les femmes et les hommes.

La progressivitéDans le contexte de hausse des inégalités, la question de

la progressivité de l’imposition des revenus est primordiale. Les partisans de la fusion entre l’IR et la CSG estiment qu’une telle fusion permettrait d’établir plus de progressivité et remet-trait l’imposition directe des revenus au centre du système fiscal. Ses adversaires craignent à l’inverse que la fusion ne soit une opportunité pour en venir à un impôt sur les revenus proportionnel.

En réalité, il existe plusieurs projets de fusion entre CSG et IR, assis sur des conceptions et se traduisant par des options techniques différentes. Selon les projets, on peut déboucher sur une imposition des revenus plus ou moins progressive. Ainsi, le projet de fusion du Conseil d’analyse économique3 aboutit à un impôt moins progressif que la coexistence des deux prélèvements sur le mode actuel : le Conseil propose en effet un barème comportant trois tranches (une première à taux nul, puis deux tranches à 13 % et 28 %). Le projet de « révolution fiscale4 » de Piketty, Landais, Saez est sen-siblement différent : la progressivité proposée est bien plus marquée que dans le projet porté par le CAE, et supérieure à celle qui existe dans le système actuel [u Encadré : « À propos du livre Pour une révolution fiscale »].

3. C. Saint Étienne & J. Le Cacheux, Conseil d’analyse économique, Croissance équitable et concurrence fiscale, 2005.4. C. Landais et al., Pour une révolution fiscale, Paris, Le Seuil, 2011.

Page 78: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

78

Un impôt juste pour une société juste

Dans les faits, ce n’est pas le procédé de fusion qui peut créer à lui seul de la progressivité. Celle-ci dépend de l’assiette et du barème retenus, de la présence ou non de mesures dérogatoires. De ces éléments, qui procèdent de vrais choix politiques, dépendent le rendement et la progres-sivité de l’impôt.

À propos du livre Pour une révolution fiscaleLe livre de Camille Landais, Thomas Piketty et Emma-nuel Saez, Pour une révolution fiscale, est particulière-ment intéressant. Il faut d’abord saluer la pédagogie et l’utilité de ce travail. On ne peut que partager le point de vue des auteurs quand ils analysent que le système fiscal actuel est complexe, inégalitaire et fonctionne glo-balement au profit des plus riches. De même, un certain nombre de propositions rejoignent les nôtres, que ce soit en matière de progressivité de l’impôt ou de son indivi-dualisation. Pourtant leurs analyses et leurs propositions posent quelques questions.Tout d’abord, les propositions qu’ils avancent se situent dans le cadre budgétaire actuel, « la révolution fiscale [qu’ils proposent] ne rapporte aucune recette supplé-mentaire ». À plusieurs reprises, il est affirmé qu’il serait impossible d’en augmenter la recette, mais sans dé-monstration. Cette position n’est pas la nôtre. Depuis un quart de siècle, la « contre-révolution fiscale » a abouti à une baisse relative des recettes de l’État qui représen-taient 15,4 % du PIB en 2007 contre 22,5 % en 1982. Refuser d’augmenter les recettes fiscales, et donc de redonner des marges de manœuvre aux politiques pu-bliques, est alors un choix politique.Les auteurs justifient ce refus en expliquant que c’est l’effondrement conjoncturel des recettes dues à la crise qui est à la racine de l’accroissement des déficits, ce qui est factuellement faux. Certes dette et déficit publics ont explosé avec la crise, mais leur augmentation régulière a commencé bien avant. Ainsi, la dette publique repré-sentait 31 % du PIB en 1986, et elle atteignait en 2007,

Page 79: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

79

avant donc la crise, 64,2 % du PIB5. Cette augmentation est essentiellement due à la baisse des recettes pro-duite par les cadeaux fiscaux, notamment par le biais de l’« optimisation fiscale », faits aux ménages les plus riches et aux entreprises.Un autre argument apparaît pour justifier le refus d’envi-sager de nouvelles recettes fiscales, celui du taux élevé des « prélèvements obligatoires », sans d’ailleurs que la pertinence de cette notion ne soit discutée. Les auteurs considèrent le taux actuel comme convenable, du fait que la population est très « attachée au niveau élevé de services et de protection », mais ils semblent ne pas voir que ces services se dégradent fortement du fait de la baisse des dépenses publiques résultant de la baisse des recettes.Leur proposition principale repose sur la fusion de la CSG et de l’IR, sur la même base que la CSG mais avec un barème progressif. Ils pensent qu’il est possible de garantir la pérennité du financement de la Sécurité so-ciale, sans toutefois préciser de quelle manière. Or, nous l’avons dit, cet aspect est un point primordial à régler avant de se prononcer sur le projet de fusion.Au-delà, c’est la logique qui se limite à calquer l’as-siette de l’IR sur celle de la CSG qui est discutable. Si l’assiette de la CSG est effectivement plus large que celle de l’IR, les ressources de la CSG sont générées à près de 70 % par les revenus salariaux. Certes la CSG intègre dans son assiette les revenus du patrimoine. Mais, selon les auteurs même, son « assiette est loin de constituer une assiette parfaite » car 60 % des revenus du capital y échappent et à peine 50 % des intérêts, divi-dendes et produits financiers d’assurance-vie attribués aux ménages français selon les comptes nationaux se retrouvent dans la CSG. Pourquoi alors se contenter d’une assiette aussi imparfaite pour servir de base à une réforme ambitieuse dont l’objectif est, selon les auteurs, que le capital ne soit pas moins taxé que le travail ?Enfin, nous avons un désaccord fondamental sur les

5. Source Insee, comptes nationaux.

Page 80: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

80

Un impôt juste pour une société juste

cotisations sociales que les auteurs considèrent comme un impôt sur le travail et proposent de supprimer à terme pour les intégrer dans l’IR. Or la cotisation sociale n’est pas un impôt mais une part de la rémunération du travail qui, socialisée, est transformée en prestations sociales. D’ailleurs, les auteurs remarquent, à juste titre, que leur proposition de supprimer la cotisation sociale patronale ne se traduira pas automatiquement par une augmen-tation des salaires car « nous ne savons […] si les em-ployeurs vont répercuter 100 % de cette baisse de coti-sation ». Ce qui témoigne que la cotisation sociale n’est pas un impôt sur le salaire – si tel était le cas, sa sup-pression se traduirait par une augmentation du salaire net -, mais un prélèvement sur la valeur ajoutée dont la suppression risquerait fort d’aboutir à une augmentation des profits des entreprises.

L’affectation des recettesL’affectation des recettes est un enjeu central qui touche

à la conception du « modèle social », profondément marqué par l’existence d’une Sécurité sociale distincte du budget de l’État. Les partisans d’une fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu avancent qu’il serait possible pour l’État de garantir des ressources financières à la Sécurité sociale lui permettant de faire face à ses dépenses par le biais d’un engagement solennel de type « loi programmatique » ou « loi organique » (cette dernière étant juridiquement et poli-tiquement plus sûre). Les adversaires de la fusion doutent d’une telle possibilité, dénoncent une possible mainmise de l’État sur la Sécurité sociale et craignent un assèchement des ressources sociales dans un contexte de pression forte sur les finances publiques. Le principe d’une affectation à la Sécurité sociale de ressources propres doit donc être réaf-firmé et garanti.

Page 81: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

81

Un impôt citoyen se substituant à la CSG et à l’impôt sur le revenuDans leur livre6, Il faut faire payer les riches !, Vincent Drezet et Liem Hoang Ngoc présentent un projet pour un impôt unique se substituant à la CSG et à l’IR tout en préservant l’affectation distincte des recettes, avec tou-jours comme objectif d’élargir l’assiette de l’impôt et de renforcer sa progressivité. Concernant l’affectation dis-tincte des recettes, ils suggèrent qu’elle soit assurée soit par une loi organique, soit par la coexistence juridique de deux prélèvements sur une même assiette. Chaque tranche d’imposition serait composée de deux taux : par exemple, telle tranche de revenu serait imposée à 10 %, soit x % de contribution sociale (qui finance la Sécurité sociale), plus (10 - x) % de contribution fiscale (qui fi-nance le budget de l’État).Le projet proposé, à l’instar des autres projets de fusion CSG/IR, doit faire face à des considérations techniques, liées en particulier au rapprochement des assiettes dif-férentes, ou à la retenue à la source, questions que les auteurs présentent et discutent.

Fusionner ou non, là n’est pas le débatToute réforme fiscale procède de choix politiques en

matière de répartition des richesses, d’objectifs économiques et sociaux, de politique familiale… Ce sont bien ces choix qui doivent éclairer sur les intentions et la mise en œuvre d’une réforme de l’imposition des revenus. Concernant ainsi la fusion ou le rapprochement entre CSG et IR, il n’y a pas deux « camps » (les pro-fusion et les anti-fusion), mais plu-sieurs lignes de clivage :n des partisans d’une plus grande progressivité ou au contraire d’un glissement vers un impôt proportionnel ;

6. V. Drezet et L. Hoang Ngoc, Il faut faire payer les riches !, Paris, Le Seuil, 2010.

Page 82: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

82

Un impôt juste pour une société juste

n des promoteurs d’une individualisation de l’imposition des revenus ou au contraire des partisans de la familialisation (situation actuelle) ;n des adeptes de l’étatisation des ressources sociales ou au contraire du maintien de deux budgets séparés…L’individualisation de l’impôt et le renforcement de sa

progressivité peuvent se faire quelle que soit l’option rete-nue, fusion ou non. Par contre, l’indépendance budgétaire de la Sécurité sociale, a priori acquise dans l’organisation actuelle (avec la CSG créée comme un « impôt fléché »), reste à garantir dans l’option d’une fusion CSG/IR. Les courants conservateurs qui prônent une flat tax et la privatisation de la Sécurité sociale (qui serait alors financée par des cotisa-tions individuelles privées auprès des assurances) sont ainsi hostiles à la fusion CSG/IR car elle se traduirait selon eux par une plus forte imposition…

Signalons enfin que quel que soit le scénario de réforme (fusion ou non, individualisation ou non), la retenue à la source, qui n’est qu’un mode technique de prélèvement, peut ou non être instaurée [u Encadré].

La retenue à la source, éléments du débatLa retenue à la source désigne le mode de paiement d’un impôt (ou d’une cotisation) qui se fait par prélève-ment direct sur la fiche de paie. L’impôt dû au titre de l’année N est alors payé au cours de la même année (contrairement à la situation actuelle où il est payé en N+1). Cette solution paraît rationnelle (la rémunération perçue est nette d’impôt) et porteuse de simplifications administratives, ce qui lui assure de nombreux parti-sans, mais elle a aussi des inconvénients que rappellent ses opposants. Le débat reste ouvert.Rappelons d’abord que si la suppression du décalage d’un an entre la perception des revenus et le paiement de l’impôt constitue un réel intérêt, la retenue à la source n’exonère pas du dépôt d’une déclaration des revenus : c’est en effet cette déclaration qui permet d’intégrer d’éventuels revenus complémentaires ou de prendre en

Page 83: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

83

compte des dépenses donnant lieu à réduction d’impôt et qui donne éventuellement lieu à une régularisation l’année N+1. La retenue à la source suppose que le taux de prélè-vement mensuel de la retenue sur la fiche de paie soit connu de l’employeur. Celui-ci dispose alors de données personnelles sur la situation fiscale des employés, ce qui est considéré par certains comme une intrusion de l’employeur dans la vie de leurs salarié·es.Un tel système ne peut en outre s’appliquer qu’aux sala-riés et aux retraités : pour respecter le principe d’éga-lité devant l’impôt, il faudrait alors instaurer un mode de paiement mensuel pour les professions non salariées. Il faut aussi gérer les changements de situation profes-sionnelle qui se traduiront par des changements d’inter-locuteurs et des transferts de dossiers.Les partisans de la retenue à la source invoquent les exemples étrangers qui témoignent de la faisabilité du système. Ses opposants mettent en avant que la rete-nue à la source n’offre pas de réelle valeur ajoutée au re-gard du système actuel de mensualisation du paiement de l’impôt adopté par les trois quarts des contribuables. Ils attirent aussi l’attention sur le risque pour l’État de ne pas récupérer toutes les sommes collectées. Les entre-prises collectent aujourd’hui la TVA et la reversent au Trésor public, mais il existe des fraudes et toute la TVA collectée n’est pas reversée… alors que dans le sys-tème de collecte actuel de l’impôt sur le revenu, le taux de recouvrement s’élève à 98 %.

L’instauration de la retenue à la source pour l’IR (ou pour un impôt résultant du rapprochement entre CSG et IR) sou-lève une difficulté d’un autre type et demande à choisir entre deux options :n soit l’année N de la mise en œuvre de la réforme, collecter l’IR à la fois sur les revenus de l’année N et ceux de l’année N-1, ce qui pose évidemment un problème…n soit renoncer à collecter l’IR sur l’année N-1, et passer directement à l’impôt « en temps réel » sur l’année N. Le

Page 84: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

84

Un impôt juste pour une société juste

flux annuel de recettes de l’État est assuré, mais il y a un risque d’effets pervers : certains contribuables pour-raient profiter de l’aubaine d’une année sans imposition sur le revenu pour réaliser un certain nombre d’opéra-tions, notamment patrimoniales. Des solutions techniques existent cependant, elles supposent une préparation très fine de la réforme et une explication claire.

Nos propositions : une réforme combinant une CSG progressive et un IR réforméLa fusion de l’IR et de la CSG soulève donc des questions

de fond et techniques qui ne seront pas tranchées ici. Il paraît plus simple de procéder à une réforme sur deux fronts, visant à refondre l’impôt sur le revenu et à rendre la CSG progres-sive. S’agissant de l’IR, le principe doit être la suppression des niches fiscales qui n’ont pas prouvé leur utilité, la révi-sion du barème progressif d’imposition et la remise à plat du quotient familial. S’agissant de la CSG, l’instauration d’un barème progressif soulève un problème particulier et un peu technique [u Annexe : « Déductibilité de la CSG : liens croisés avec l’impôt sur le revenu »].

Une assiette largePour satisfaire à l’objectif de rendement et d’équité fiscale,

il convient avant tout d’asseoir la CSG et l’IR sur une assiette large dont le principe fondamental est simple : tous les reve-nus (d’activité, de remplacement et du capital) doivent être imposés au titre de chacune de ces deux contributions. Un premier pas a été franchi avec la suppression à partir de 2013, du prélèvement forfaitaire libératoire7, qui permettait aux revenus financiers (dividendes et intérêts) de bénéficier d’un taux d’imposition plus faible que celui des revenus du travail. Mais c’est loin de suffire pour établir un même niveau d’imposition entre les tous les revenus, car il reste de nom-breuses mesures dérogatoires. On en dénombre près de 250

7. Le prélèvement reste néanmoins en vigueur pour l’assurance-vie.

Page 85: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

85

pour le seul impôt sur le revenu, ce qui représente un manque à gagner global de plus de 37 milliards d’euros, soit environ les deux tiers du rendement de l’IR. Ces mesures, qualifiées de « dépenses fiscales », permettent à certaines catégories de contribuables de payer moins d’impôt. Toutes ne sont pas activées volontairement par les contribuables, par exemple la quasi-totalité des ménages bénéficie, sans forcément le réaliser, de l’exonération d’impôt sur le revenu des intérêts des livrets A.

La niche fiscale peut être définie comme une mesure déro-gatoire utilisée volontairement par un contribuable. Il en existe plusieurs sortes : réductions d’impôts pour placements finan-ciers (investissement industriel ou locatif dans les DOM-TOM, fonds de placements), réduction d’impôt pour emploi d’une personne salariée à domicile, crédits d’impôt « verts », etc. Ces niches fiscales n’ont pas démontré leur utilité ou effi-cacité sur le plan économique. Elles sont utilisées dans les stratégies de défiscalisation par les contribuables les plus riches. En 2008, la commission des finances de l’Assemblée nationale a ainsi montré qu’au-delà d’un certain niveau de revenu, le taux effectif d’imposition diminue du fait de l’utili-sation des niches fiscales.

Une redistribution fiscale juste et efficacePour situer les enjeux actuels et répondre au mieux à

notre objectif de rendement budgétaire et d’équité fiscale, il est indispensable d’analyser l’évolution de la répartition des richesses, c’est-à-dire celle des revenus et des patrimoines.

Globalement, rappelons que le partage de la richesse natio-nale est devenu moins favorable aux salaires au cours des années 1980 et que cette situation se maintient à peu près depuis vingt ans. Si l’on considère les cinquante dernières années, le partage de la valeur ajoutée entre salaires et pro-fits n’a en effet jamais été aussi défavorable aux salaires que ces vingt dernières années. Trois grandes périodes se dégagent : de la fin des années 1950 au début des années 1970, les salaires représentaient entre 68 et 70 % de la valeur ajoutée ; des années 1970 au début des années 1980, ils

Page 86: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

86

Un impôt juste pour une société juste

représentaient entre 70 et 75 % de la valeur ajoutée pour retomber à environ 65 % à partir de 1990.

Au sein de la distribution des salaires, les inégalités se sont développées au détriment de la très grande majorité des salarié·es. Le rapport Cotis8 sur la répartition de la valeur ajoutée indique : « la croissance rapide [des] hauts salaires sur les dix dernières années a ainsi entraîné une augmenta-tion des inégalités de salaires ». Dans Le capital au 21e siècle, Piketty produit une étude empirique remarquable sur l’aug-mentation des inégalités de revenus et des patrimoines dans plusieurs pays industrialisés9. En particulier, il attire l’attention sur la hausse, depuis la fin des années 1990, des très hauts salaires des cadres dirigeants des grandes entreprises ainsi que des rémunérations pratiquées dans la finance. Même si cette hausse est pour l’instant moins massive en France qu’aux États-Unis, elle est loin d’être négligeable. La part du 1 % (le centile) des plus hautes rémunérations, qui représen-tait moins de 6 % de la masse salariale au début des années 2000, est près d’atteindre 7,5 %-8 % au début des années 2010, soit une hausse de près de 30 % en une décennie ! La hausse dépasse même 50 % lorsqu’on considère la part du 0,1 % des plus hauts salaires10. À comparer avec la progres-sion de la part des 90 %, qui ne dépasse pas 5 %… L’évolution défavorable du partage de la valeur ajoutée entre capital et travail s’accompagne d’une hausse des inégalités dans la distribution des salaires.

Selon l’Insee, en 2010, c’est à partir de 89 400 euros de revenu annuel déclaré par personne qu’on fait partie des 1 % aux plus hauts revenus. À partir de 239 200 euros, on entre dans le club des 0,1 %, et au-delà de 735 000 euros, dans celui des 0,01 %. En comparaison, les 50 % de personnes

8. J.-P. Cotis, Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France, rapport au Président de la république, Paris, Insee, 2009.9. T. Piketty, Le capital au 21e siècle, op. cit.10. C. Landais, Les hauts revenus en France (1998-2006), une explosion des inégalités ?, École d’économie de Paris, 2007.

Page 87: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

87

les moins riches ont un revenu annuel qui ne dépasse pas 19 000 euros.

Du fait que normalement les revenus des 0,1 % les plus aisés se trouvent pour leur plus grande partie imposés au taux marginal supérieur du barème de l’impôt, le taux effectif d’imposition devrait être assez proche de ce taux supérieur. Or, ces catégories de revenu maîtrisant bien l’utilisation des niches fiscales, leur taux moyen effectif d’impôt ne s’élève concrètement qu’à 25 % pour les 0,1 % les plus aisés, et à 20 % lorsqu’on considère les 1 % des plus hauts revenus11.

Les inégalités de revenus alimentent les inégalités de patri-moines. Les réduire doit bien être un objectif central d’une réforme fiscale. En particulier, la fiscalité a un rôle majeur à jouer pour contrer l’explosion des très hauts salaires. Un barème instaurant une progressivité régulière, comportant un taux marginal supérieur d’imposition de 70 % ou plus pour les très hauts revenus, permettrait tout à la fois de dégager des ressources supplémentaires, de réduire les inégalités de revenus et de rompre avec la dérive des très hautes rémunérations.

Propositions de barèmesPour l’impôt sur le revenuL’objectif est d’obtenir une progressivité régulière débou-

chant sur un taux marginal supérieur d’imposition des reve-nus suffisamment élevé pour dissuader le versement de trop hautes rémunérations. Nous avons retenu ici deux exemples de barèmes possibles, selon le degré de radicalité de la réforme souhaitée. Il faut garder à l’esprit que l’impôt sur le revenu calculé à partir de ces barèmes se combine à une CSG rendue progressive, et notamment abaissée pour les tranches de revenus inférieurs à 10 000 euros. Pour toute

11. J. Solard, « Les très hauts revenus : des différences de plus en plus mar-quées entre 2004 et 2007 », Les revenus et le patrimoine des ménages, Insee, 2010.

Page 88: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

88

Un impôt juste pour une société juste

comparaison avec le montant actuel d’impôt, c’est le montant global de l’IR et de la CSG qui doit être pris en compte.

Barème n° 1

Tranche de revenus annuels Taux marginal

De 0 à 5 000 euros 0 %

De 5 001 à 10 000 euros 4 %

De 1 0001 à 20 000 euros 8 %

De 20 001 à 30 000 euros 18 %

De 30 001 à 40 000 euros 30 %

De 40 001 à 80 000 euros 40 %

De 80 001 à 150 000 euros 50 %

De 150 001 à 500 000 euros 60 %

Au-delà de 500 000 euros 70 %

Le second exemple de barème comporte une tranche de plus et des taux marginaux plus forts. Le taux dépasse ainsi 47 % à partir du seuil de 80 000 euros, c’est-à-dire pour des revenus mensuels imposables supérieurs à 6 700 euros. Le taux marginal augmente progressivement jusqu’à être confis-catoire au-delà de 240 000 euros.

Barème n° 2

Tranche de revenus annuels Taux marginal

De 0 à 5 000 euros 0 %

De 5 001 à 10 000 euros 5,5 %

De 1 0001 à 20 000 euros 10 %

De 20 001 à 30 000 euros 18 %

De 30 001 à 45 000 euros 30 %

De 45 001 à 80 000 euros 47 %

De 80 001 à 120 000 euros 62 %

De 120 001 à 240 000 euros 74 %

De 240 001 à 500 000 euros 90 %

Au-delà de 500 000 euros 93 %

Page 89: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

89

Rappelons les conclusions que tire Thomas Piketty de ses travaux au sujet de l’impôt sur le revenu : « L’utilisation de taux confiscatoires au sommet de la hiérarchie des revenus […] est la seule façon de contenir les dérives observées au sommet des entreprises12. » Il présente ainsi deux rôles de l’impôt progressif selon le taux : « Les taux confiscatoires (du type 80 %-90 % au niveau des 1 % ou 0,5 % les plus riches) permettent de mettre fin aux rémunérations indécentes et inutiles ; les taux élevés mais non confiscatoires (du type 50 %-60 % au niveau des 10 % ou 5 % les plus riches) per-mettent de lever des recettes fiscales et de contribuer au financement de l’État social, aux côtés des prélèvements acquittés par les 90 % les moins riches13. » De tels taux ont existé aux États-Unis où le taux marginal supérieur est resté en moyenne de 81 % de 1932 à 1980, et est même passé par des valeurs de 90 % dans les années 1940-1960, sans que cela ne pénalise l’économie américaine. Ces valeurs ont même été dépassées au Royaume-Uni, où de 1941 à 1952, puis à nouveau de 1974 à 1978, a été appliqué un taux record de 98 % !

Le second barème permettrait, toutes choses égales par ailleurs, de dégager des recettes de 61,5 milliards, soit un supplément de recettes de 10,5 milliards par rapport au barème actuel, en concentrant l’augmentation d’impôt sur les déciles supérieurs de revenus.

Mais la véritable hausse du rendement de l’impôt provien-dra de la réduction des niches fiscales, de sorte que l’im-possibilité de « défiscaliser » combinée au barème proposé ci-dessus débouchera sur une hausse importante du rende-ment de l’impôt sur le revenu. Le maintien de certaines niches à caractère social (abattement en faveur de personnes âgées ou invalides de condition modeste, livrets réglementés, réduc-tion pour dons ou pour frais de dépendance par exemple) représenterait un manque à gagner annuel de 1,5 milliard d’euros. En tout état de cause, le rendement annuel global

12. T. Piketty, Le capital au 21e siècle, op. cit., p. 831.13. Ibid., p. 832.

Page 90: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

90

Un impôt juste pour une société juste

de l’IR peut être supérieur de 15 à 20 milliards d’euros au rendement actuel.

Pour la CSGL’objectif de la CSG n’est pas nécessairement d’être très

progressive. Compte tenu du taux, important, de l’actuelle CSG, une légère dose de progressivité pourrait s’articuler autour d’un taux central de CSG maintenu à 7,5 %. Il s’appli-querait à tous les revenus, de sorte que les pensions modestes n’y perdraient pas : elles sont actuellement imposées à 6,6 % mais, compte tenu du barème proposé, le montant de CSG n’augmenterait pas. Les revenus du capital, soumis actuel-lement à une CSG au taux de 8,2 %, seraient imposés à un taux moindre (5 % ou 7,5 %) pour les personnes aux revenus annuels inférieurs à 30 000 euros (ce qui concerne environ la moitié des personnes). Mais ils seraient soumis à une CSG plus élevée au-dessus de ce seuil.

Tranches de revenus annuels Taux

De 0 à 10 000 euros 5 %

De 10 001 à 30 000 euros 7,5 %

Au-delà de 30 000 euros 10 %

Les recettes attendues dans cet exemple de barème s’élè-veraient à 90 milliards d’euros, soit légèrement plus que le niveau actuel (83 milliards d’euros en 2010).

La mise en place d’une CSG progressive avait été inscrite par le gouvernement Jospin dans le projet de budget pour 2001 et cette mesure avait été retoquée par le Conseil consti-tutionnel. Le motif renvoyait à la nécessité d’être homogène avec l’impôt progressif sur le revenu, qui est familialisé à travers le système de quotient familial. Ce système, qui rend le mode d’imposition complexe et inégalitaire, notamment vis-à-vis des femmes, doit être remis en cause dans le cadre d’une réforme progressiste de la fiscalité. Cette nécessaire évolution devrait donc rendre caduque la réserve mise en avant par les Sages.

Page 91: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

91

Le respect de l’équité horizontale et de l’égalité entre femmes et hommesLe renforcement de la progressivité de l’impôt et l’élargisse-

ment de son assiette permettent d’assurer une redistribution des plus hauts revenus vers les plus faibles, et répondent ainsi à l’objectif d’équité verticale. Il importe de veiller aussi à l’égalité de traitement des contribuables devant l’impôt et à l’équité horizontale. Or le mode d’imposition actuel, basé sur le quotient familial et conjugal [u Encadré], est inégalitaire et engendre de nombreuses injustices, largement identifiées. Ce dispositif doit être remis en cause14.

Quotient familial, quotient conjugalEn France, le mode d’imposition du revenu se base, non pas sur les individus, mais sur les ménages. L’unité d’imposition est ainsi le foyer constitué par un célibataire ou par un couple, marié ou pacsé. L’administration fis-cale fait l’hypothèse que ces couples mettent en com-mun l’ensemble de leurs revenus (ce qui ne correspond pourtant pas à la réalité15 et serait suffisant pour rendre illégitime l’imposition conjointe des couples). Un céliba-taire compte pour une part et un couple pour deux parts, ce qui définit le quotient conjugal. Au foyer fiscal, sont rattachés les enfants qui représentent des parts supplé-mentaires : une demi-part pour chacun des deux pre-miers, et une part entière pour chaque enfant à partir du troisième, ce qui renvoie au quotient familial.

14. Pour une présentation plus complète des enjeux du quotient fami-lial et conjugal, voir C. Marty, « Fiscalité des ménages : pour une remise à plat du quotient conjugal », 2014, www.fondation-copernic.org/spip.php?article1087, 2014 ; et C. Marty, « Le quotient familial, un coûteux pri-vilège de classe », www.fondation-copernic.org/IMG/pdf/Quotient_familial_privilege_de_classes.pdf.15. Parmi les couples dont les deux conjoints sont actifs, 59 % déclarent mettre leurs revenus entièrement en commun (S. Ponthieux « La mise en commun des revenus dans les couples », Insee Première, juillet 2012). On est donc loin d’une pratique générale, ce qui invalide l’hypothèse de base de l‘administration fiscale.

Page 92: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

92

Un impôt juste pour une société juste

Pour le calcul de l’impôt, le revenu total des membres du foyer est divisé par le nombre de parts. Le quotient obtenu représente virtuellement le revenu moyen attri-buable à « une part » du ménage. C’est sur ce quotient que s’applique alors le barème d’imposition avec ses différents taux, pour calculer l’impôt sur une part. Ce résultat est ensuite multiplié par le nombre de parts pour donner le montant total de l’impôt du ménage.Du fait du caractère progressif de l’impôt, le taux effectif d’imposition augmente avec le niveau de revenu. Ainsi, le fait d’appliquer le barème d’imposition sur le quotient familial (et non sur le revenu global) et de multiplier ensuite le résultat par le nombre de parts procure une réduction d’impôt qui croît très sensiblement avec le nombre de parts comme avec le revenu.

Remarque : on parle souvent de quotient familial pour dési-gner globalement le quotient conjugal (imposition conjointe des couples) et le quotient familial (attribution de parts pour les enfants). Pourtant, les deux sont dissociables.

Une particularité françaiseLa France est, avec le Luxembourg et le Portugal, le seul

pays de l’OCDE à avoir l’imposition conjointe obligatoire pour les couples mariés ou pacsés. Quelques pays (Allemagne, Irlande, Espagne) offrent le choix entre imposition conjointe et séparée. Mais la majorité des pays a opté pour l’imposition individuelle des personnes sans autre option possible.

Concernant les enfants, les pratiques sont, là aussi, dif-férentes. Certains pays octroient un crédit d’impôt ou un abattement en fonction du nombre d’enfants à la charge des contribuables. À l’inverse, un certain nombre de pays a choisi de ne pas tenir compte des enfants dans l’impôt ; c’est par des aides directes et des services organisés dans le cadre de la politique familiale que passe le soutien à l’éducation des enfants. La France est le seul pays à appliquer le système de quotient familial.

La comparaison avec les pratiques des autres pays ne constitue bien sûr pas un argument en soi contre le quotient

Page 93: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

93

familial et conjugal, mais ce sont ses effets fortement inéga-litaires qui imposent de le remettre en cause.

Le quotient familial : un enfant riche « rapporte » plus qu’un enfant pauvre…Le quotient familial (les parts attribuées pour les enfants)

représentait la somme de 13,9 milliards d’euros en 2009, c’est-à-dire un manque à gagner en recettes fiscales de près de 30 % (le montant de l’IR était de 47,7 milliards la même année). C’est une somme importante qui est pourtant distri-buée de manière totalement inéquitable. En effet, le quotient familial appliqué dans le système de progressivité de l’impôt sur le revenu aboutit à ce que chaque enfant apporte une réduction d’impôt d’autant plus forte que les revenus sont élevés. Comme le note le Conseil des prélèvements obliga-toires16, cette réduction augmente plus que proportionnelle-ment au revenu. De ce fait, l’avantage fiscal qu’il représente est fortement concentré au bénéfice des ménages disposant des revenus les plus élevés. Les 10 % des ménages avec les plus hauts revenus se partagent 46 % du total de la réduc-tion d’impôt liée au quotient familial, tandis que la moitié des foyers déclarant les plus bas revenus se répartit seulement 10 % de cette réduction totale. La réduction d’impôt pour un enfant s’approche ainsi de 300 euros par mois pour les 1 % des revenus les plus élevés, alors qu’elle ne dépasse pas 35 euros pour les 50 % de revenus les plus bas17.

L’injustice de cette distribution est reconnue depuis long-temps et pour la réduire, un plafonnement de la réduction d’impôt que procure un enfant avait été mis en place au début des années 1980. À nouveau, par deux fois en 2012 puis en 2013, les députés ont souhaité réduire cette inégalité de répartition, et ils ont voté un abaissement du plafond de la réduction d’impôt du quotient familial : dans le barème 2014,

16. Rapport de mai 2011, Prélèvements obligatoires sur les ménages, pro-gressivité et effets redistributifs.17. C. Landais et al., Pour une révolution fiscale, op. cit, graphique p. 104.

Page 94: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

94

Un impôt juste pour une société juste

ce plafond est de 1 500 euros par demi-part (soit 6 000 euros pour trois enfants). Cette mesure, tout en allant dans le bon sens car elle limite la réduction d’impôt pour les plus riches, est très insuffisante puisqu’elle ne réduit en rien l’inégalité de répartition de l’avantage fiscal en dessous du plafond.

Le quotient familial est un système par nature anti-redistri-butif et il doit donc être supprimé. L’objectif étant de remédier à l’inégalité de distribution et non, dans ce cas, d’augmenter les recettes fiscales, il s’agit donc de remplacer le quotient familial, à enveloppe constante, par un dispositif égalitaire et de veiller à ce que les ménages modestes ne soient pas pénalisés. Quels critères retenir ? Le débat renvoie plus lar-gement à la nécessité d’éclaircir l’interaction entre la fiscalité et la politique familiale.

Politique fiscale, politique familiale : à chacune sa fonctionEn France, l’option retenue de prendre en compte les

charges familiales dans l’impôt est formalisée par le système de quotient familial et conjugal. Celui-ci s’avère coûteux, iné-galitaire et incohérent (le quotient conjugal est présenté plus loin). Au vu de ces résultats, il apparaît plus rationnel de ces-ser de vouloir faire de l’impôt un outil de politique familiale et de s’en tenir au principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». La fiscalité s’en tiendrait à consi-dérer les ressources financières d’une personne pour définir sa faculté de contribuer. La politique familiale s’occuperait d’apporter le soutien de la société aux charges familiales des ménages à travers la fourniture de prestations et de services. Nul doute que cette séparation des fonctions rendrait l’impôt plus lisible, plus transparent et plus juste, et de ce fait plus acceptable pour l’ensemble des contribuables.

De même pour la politique familiale. Aujourd’hui, se super-posent des prestations familiales à caractère universel, des prestations sous conditions de ressources, des services dont le coût peut être modulé selon le revenu, et enfin le quotient familial qui distribue une aide qui va croissant avec le revenu. Le tout s’articule avec divers dispositifs de seuils

Page 95: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

95

ou d’abattements, avec le RSA et la prime pour l’emploi. Ensemble complexe, auquel il est difficile de trouver une cohérence. Séparer les fonctions permettrait de clarifier éga-lement la politique familiale.

Nos propositions : un forfait égal pour chaque enfantPartant du principe que les dépenses essentielles pour

un enfant (alimentation, santé, éducation, etc.) sont compa-rables, il n’y a évidemment pas de raison pour que la collecti-vité subventionne des dépenses plus élevées pour les enfants des ménages aisés. Dans le cadre de la mise en œuvre de droits universels, le système juste serait celui qui procure pour chaque enfant le même montant global de prestations. On peut imaginer de cumuler la réduction d’impôt que pro-curent les enfants et les prestations familiales actuellement accordées (allocations familiales notamment) et de répartir ce montant global de manière égale pour chaque enfant (y compris le premier). Cette solution a le mérite de la simplicité, elle pourrait prendre concrètement la forme d’un forfait versé pour chaque enfant. Un enfant de ménage aisé reçoit ainsi la même prestation qu’un enfant de ménage modeste, et c’est la progressivité de l’IR qui assure une contribution plus forte de la part des plus riches. Ensuite, c’est aux différents niveaux (national, régional, communal) d’organiser dans le cadre de la politique familiale des aides graduées selon le revenu des parents (tarifs progressifs de cantine, centres aérés, fourni-tures scolaires, etc.).

En tout état de cause, la suppression du quotient familial doit prendre place dans le cadre global d’une politique fami-liale cohérente.

Le quotient conjugal, un système inégalitaire et discriminant envers les femmesSi l’impôt sur le revenu était simplement proportionnel,

imposer conjointement le couple ou imposer séparément

Page 96: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

96

Un impôt juste pour une société juste

ses deux membres reviendrait au même. Mais l’impôt est progressif, le taux effectif d’imposition croît avec le revenu. Ce qui est plus juste en théorie a de fait des effets inégalitaires lorsqu’on y superpose le dispositif du quotient conjugal (QC).

Lorsque les deux membres du couple ont des revenus équivalents, l’imposition commune ne change rien par rapport à l’imposition séparée. Par contre, lorsque les revenus des conjoints sont inégaux (dans les trois quarts des couples, le revenu de l’homme est supérieur à celui de la femme18), le quotient conjugal procure une réduction d’impôt par rapport à l’imposition séparée. En effet, le fait de moyenner les deux revenus et d’appliquer le taux d’imposition sur cette moyenne aboutit à réduire le taux effectif d’imposition global du couple. Plus les revenus entre conjoints sont inégaux, plus la réduc-tion d’impôt est importante.

À revenu identique pour la femme, plus le revenu du conjoint est élevé, plus la réduction d’impôt est forte. De même, à revenu identique pour l’homme, plus le revenu de la femme est faible, plus le système favorise le couple : la réduction d’impôt est alors maximale si la femme est au foyer. Or, comme le fait remarquer le Conseil des prélève-ments obligatoires19, plus l’homme a des revenus élevés, plus fréquente est la situation dans laquelle la femme n’a pas d’activité professionnelle et donc dans laquelle la réduction d’impôt est maximale. Un cadre dirigeant marié à une femme au foyer bénéficie de l’imposition conjointe (pour un revenu de 120 000 euros, la réduction d’impôt atteint 10 980 euros), mais un couple formé de deux salariés rémunérés au Smic ne bénéficiera d’aucune réduction puisqu’ils ont les mêmes revenus. Les 10 % de foyers les plus riches concentrent ainsi 53 % de l’avantage fiscal du quotient conjugal.

Le quotient conjugal agit à la fois comme une prime à l’iné-galité de revenus dans les couples et comme une prime à l’inactivité professionnelle de l’un des conjoints.

18. Trois femmes en couple sur quatre gagnent moins que leur conjoint, Insee Première, mars 2014.19. Conseil des prélèvements obligatoires, Prélèvements obligatoires sur les ménages : progressivité et effets distributeurs, mai 2011, p. 203.

Page 97: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

97

Un frein identifié à l’emploi des femmesL’imposition commune est reconnue par les différents tra-

vaux sur cette question comme un frein à la participation des femmes au marché du travail. Le Conseil des prélèvements obligatoires constate qu’elle entraîne pour le conjoint au revenu le moins élevé « une moindre incitation à obtenir des revenus d’activité20 », et que cela « concerne majoritairement les femmes – en raison de revenus plus faibles en moyenne et de la répartition la plus usuelle des tâches domestiques au sein des couples ». L’offre de main-d’œuvre des femmes est en effet sensible aux effets incitatifs à l’emploi, ou au contraire dissuasifs, qui résultent des politiques fiscales ou familiales21 ; elle est plus « élastique » que celle des hommes pour des raisons de norme sociale sur les rôles sexués.

L’idée que le salaire des femmes est un salaire d’appoint n’a pas totalement disparu. Nombreux sont les couples qui lors de l’arrivée d’un enfant se posent ainsi la question : le couple a-t-il financièrement intérêt à ce que la femme poursuive son travail ou bien vaut-il mieux qu’elle s’arrête pour s’occuper de l’enfant ? Le calcul coût/bénéfice se fait souvent sur son seul salaire. Le taux effectif d’imposition s’appliquant sur le revenu de la femme étant plus élevé que celui qui s’applique-rait avec l’imposition séparée, son revenu net d’impôt apparaît plus faible. De ce revenu minoré, sont retranchés divers frais (crèche ou nourrice, frais de trajets professionnels, etc.) et ce qui reste est comparé à la prestation d’accueil du jeune enfant versée en cas de cessation d’activité pour élever un enfant. Le faible gain qui résulte souvent de ce calcul joue comme une incitation au retrait d’emploi des femmes.

Or, l’accès à un emploi rémunéré est une condition néces-saire pour l’autonomie financière des femmes et donc pour l’égalité entre femmes et hommes. C’est pourquoi l’individua-lisation de l’imposition a la faveur de nombreux courants et en

20. Ibid., p. 204.21. En 1994, par exemple, l’extension de l’allocation parentale d’éducation aux parents de deux enfants, au lieu de trois auparavant, a entraîné un retrait d’emploi des femmes : le taux d’activité de celles éligibles à cette me-sure a ainsi baissé de 15 points, de 70 % à 55 % en l’espace de trois ans !

Page 98: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

98

Un impôt juste pour une société juste

particulier des féministes. En Suède, les mouvements fémi-nistes ont obtenu au début des années 1970 l’individualisation de l’imposition et des droits sociaux : « La réforme a permis de réduire considérablement le taux moyen d’imposition des femmes et a créé de fait les conditions financières favorables à l’entrée massive des mères-épouses sur le marché du tra-vail durant les années 1970 22. »

Un « libre choix » difficilement défendable…Certains adversaires de l’imposition séparée reprochent

aux féministes de se couler dans la vision libérale en récla-mant une réforme qui incite à travailler sous peine de pénali-sation. Ils les accusent de vouloir priver les femmes du droit au « libre choix » d’avoir ou non un emploi. Ces accusations sont infondées. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’obliger à tra-vailler, mais simplement de ne pas décourager de travailler, comme le fait actuellement l’imposition conjointe. Ce qui est très différent. Mais surtout, l’idée qu’il faudrait défendre un libre choix de travailler ou non pour les femmes en couple relève d’une conception patriarcale néfaste et périmée. C’est cette conception qui a institutionnalisé la dépendance des femmes au foyer envers leur conjoint pour leur accès à la protection sociale et plus globalement pour leur subsis-tance. Avec les conséquences que l’on déplore aujourd’hui, à savoir la multiplication des situations de précarité après un divorce ou lors de la retraite. Le nombre de femmes seules avec enfants ne cesse d’augmenter – il a plus que doublé depuis quarante ans – et parmi ces familles, une sur trois vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Le soi-disant libre choix de travailler est dans les faits responsable de la dépendance des femmes mariées et conduit souvent à leur précarisation.

Ce qui doit être garanti pour les femmes, ce n’est pas la liberté de rester au foyer, mais bien la liberté d’avoir un emploi ! Car beaucoup renoncent à une activité profession-nelle à l’arrivée d’un enfant du fait du manque de crèches pour

22. D. Anxo et A.-M. Daune-Richard, « La place relative des hommes et des femmes sur le marché du travail : une comparaison France-Suède », Travail et emploi, 47 (1991).

Page 99: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

99

les enfants ou du coût trop élevé. Le droit à l’emploi pour les femmes suppose donc de répondre à ces besoins.

Dans tous les cas, les couples ont et auront le choix de décider qu’un seul conjoint travaille pour des raisons qui les regardent : mais le coût impliqué par ce choix n’a pas à être pris en charge par la collectivité. À l’heure où l’exigence d’égalité entre les femmes et les hommes fait consensus, la notion d’un libre choix de travailler ou non réservé aux femmes mariées n’est pas recevable.

Pour la suppression du quotient conjugal, pour un mode d’imposition séparéeEn résumé, si l’imposition conjointe est équivalente à l’im-

position séparée lorsqu’il n’y a pas de différence de revenus entre les conjoints, dans les autres cas (très majoritaires) elle conduit à distribuer un avantage fiscal :n d’autant plus important que l’écart de revenus entre les conjoints est élevé : elle agit comme une prime à l’inégalité dans les couples.n d’autant plus important que le revenu est élevé : c’est un dispositif anti-redistributif.n qui ne profite pas aux foyers non imposables.L’imposition commune ne satisfait pas à l’exigence d’égalité

de traitement des individus car elle provoque l’augmentation du taux d’imposition effectif du conjoint au plus faible revenu et à l’inverse, la diminution du taux du conjoint au revenu le plus fort. Elle agit comme une discrimination indirecte envers les femmes.

Elle contrarie l’objectif d’égalité entre les sexes en élevant un obstacle à l’emploi des femmes.

Elle surimpose les célibataires par rapport aux couples.Elle pénalise les femmes actives par rapport à celles qui

sont au foyer, et les couples en concubinage ou union libre par rapport aux couples mariés ou pacsés.

Elle repose sur l’hypothèse démentie par les études d’une mise en commun totale des ressources au sein du couple.

Tous ces éléments plaident pour la suppression du quotient conjugal et pour le passage à un mode d’imposition séparée.

Page 100: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

100

Un impôt juste pour une société juste

Une cohérence avec l’individualisation des droits sociauxÀ ces éléments concernant les effets concrets du quotient

conjugal, on peut ajouter une remarque sur le fond. La recon-naissance de la pleine citoyenneté passe par l’attribution de droits propres, attachés aux personnes. De ce point de vue, le mode d’acquisition des droits sociaux n’est pas satisfaisant. Il s’est construit il y a soixante-dix ans sur la base d’un modèle patriarcal de la famille, avec les hommes pourvoyeurs de ressources et les femmes gestionnaires du foyer et de la famille. Les droits s’acquièrent par le travail, l’accès au travail est donc central. L’homme a des droits propres et la femme a des droits dérivés de ceux de son mari. Le bon fonctionne-ment de ce système est subordonné au plein-emploi et à la stabilité du mariage, deux conditions inexistantes aujourd’hui. Il est nécessaire de rompre avec cette conception familialiste et de garantir l’accès de tous et toutes à des droits propres.

De la même manière, le système fiscal doit reconnaître les individus adultes comme autonomes, indépendamment de leur sexe et de leur statut familial. En outre, l’évolution de la famille avec les divorces, les pacs, l’augmentation du nombre de foyers monoparentaux ou de couples homosexuels, rend inadéquat et faillible tout système fiscal qui ne serait pas basé sur les personnes.

Nos propositions : une redistribution à caractère universel ou sous condition de ressourcesLe passage à une imposition séparée rendra donc le sys-

tème plus juste et cohérent. Le quotient conjugal favorisant les couples avec des écarts de revenus ainsi que ceux qui ont des revenus élevés, sa suppression signifie pour ces couples un supplément d’impôt d’autant plus important que le revenu du couple est élevé. Ce qui va dans le sens d’une meilleure redistribution verticale. Encore faut-il veiller à ce que les ménages aux revenus modestes qui font partie des couples « inégaux » (les couples mono-actifs par exemple) ne soient pas pénalisés par le changement.

Page 101: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

101

Différentes analyses ont été faites pour évaluer l’impact de la suppression du quotient conjugal et la répartition des couples gagnants et perdants en fonction de leur niveau de vie [u Encadré].

Les gagnants et perdants à une suppression sèche du quotient conjugalGlobalement, la suppression « sèche » (sans mesure d’accompagnement) du quotient conjugal rapporterait aux finances publiques un montant compris entre 5,6 et 9,6 milliards d’euros23. Sur 35,9 millions de foyers fis-caux, moins d’un tiers (11,7 millions) sont des couples mariés ou pacsés, susceptibles donc d’être concernés. Parmi eux, un peu moins d’un tiers (29 %) seraient ga-gnants au passage à une imposition séparée et un peu plus de la moitié (52 %) seraient perdants. Sans sur-prise, et opportunément, ce sont les foyers qui ont les plus hauts niveaux de vie qui sont les plus nombreux parmi les perdants, et la perte moyenne augmente avec le niveau de vie. Ainsi, dans le dernier décile (les 10 % les plus riches), 1,2 million de couples sont perdants et leur perte moyenne est de 2 495 euros par an. Ce décile supporte plus de la moitié de la perte nette globale liée à la suppression du QC. À l’opposé, dans le premier décile de niveau de vie (les 10 % les plus modestes), 99 000 couples seraient perdants avec une perte moyenne de 225 euros par an. Bien moins de perdants donc, et pour un montant très inférieur : néanmoins c’est un effet qui doit susciter des mesures de compensation.

Le passage à l’imposition séparée dégageant un supplé-ment de recettes fiscales, ce qui n’est pas sa vocation, il est opportun de redistribuer ce supplément de manière à neutraliser l’effet sur les contribuables les plus modestes. Comment alors effectuer une redistribution pour neutraliser les effets négatifs sur les foyers modestes sans reproduire

23. HCF, « Architecture des aides aux familles » avril 2011, Annexe 3-2. Le montant dépend des hypothèses faites sur le rattachement des personnes à charge et des revenus non individuels à l’un ou l’autre des conjoints.

Page 102: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

102

Un impôt juste pour une société juste

les inégalités de traitement que l’on cherche à éliminer ? Cela suppose d’abord de convenir démocratiquement d’un seuil de revenu au-dessous duquel on refuse que les couples subissent une perte. À partir de là, diverses solutions peuvent être envisagées selon les critères que l’on se donne.

On peut par exemple choisir une redistribution à caractère universel. Pour donner un ordre de grandeur, si le montant global du gain de recettes généré par la suppression du QC était distribué entre tous les foyers fiscaux (incluant donc les foyers non imposables qui ne bénéficient pas du QC aujourd’hui), chaque foyer toucherait 267 euros, montant supérieur donc à la perte moyenne de 225 euros suppor-tée par les couples perdants situés parmi les 10 % les plus modestes.

On peut aussi opter pour une redistribution, non pas univer-selle, mais bénéficiant à la partie de la population se situant sous un certain seuil de revenu, à déterminer. Différentes options sont ouvertes, fiscales ou sociales, parmi lesquelles un crédit forfaitaire d’impôt attribué à chaque contribuable ou une prestation sociale. On peut aussi décider de ne redistri-buer qu’une partie du surplus de recettes et utiliser le reste pour contribuer à financer les politiques publiques permettant d’améliorer l’égalité d’accès à l’emploi pour les femmes et les hommes, à travers le développement de places d’accueil pour la petite enfance. Ces politiques sont de toute façon indispensables.

Contrairement à une crainte parfois exprimée, la suppres-sion du quotient familial et conjugal ne menace en rien la politique familiale ni la solidarité entre conjoints. Son rempla-cement par un dispositif juste permettra au contraire de clari-fier cette politique et d’assurer une cohérence avec l’objectif de redistribution verticale et celui d’égalité entre les femmes et les hommes.

Page 103: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

103

6. Un véritable impôt sur le patrimoine

La fiscalité du patrimoine1 est constituée de plusieurs impôts : les impôts sur les revenus du patrimoine (parmi lesquels la CSG et l’impôt sur le revenu), les impôts sur la détention de patrimoine (notamment l’impôt de solidarité sur la fortune ISF mais aussi la taxe foncière) et les impôts sur la transmission de patrimoine (droits de mutation notamment, parmi lesquels les droits de mutation à titre gratuit ; les droits de donation et de succession).

Objectifs et architecture d’une réforme de la fiscalité du patrimoineBien que se réclamant régulièrement du libéralisme, les

gouvernements de ces dernières années ont en réalité mené des réformes très conservatrices. Les vrais libéraux, s’ils s’opposent à une imposition des revenus du travail, prônent en revanche une forte imposition du patrimoine afin de redistribuer les cartes et de créer les conditions d’une réussite sociale en fonction du mérite et non en fonction de la richesse familiale (héritage ou donations). Les conserva-teurs estiment que le patrimoine ne doit pas être taxé parce qu’il permet l’investissement et par suite, la croissance et l’emploi. Cet argument ne résiste pas à l’analyse empirique : la croissance économique n’a jamais été aussi importante qu’au cours des « trente glorieuses » alors que l’imposition du patrimoine était plus forte. Le patrimoine fait enfin partie

1. Le patrimoine brut inclut le patrimoine financier, immobilier et profession-nel, mais aussi les biens durables (voiture, équipement de la maison), les bijoux, œuvres d’art et autres objets de valeurs, soit tout ce qui relève du pa-trimoine matériel, négociable et transmissible des ménages. Le patrimoine net est obtenu en soustrayant le montant des emprunts souscrits.

Page 104: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

104

Un impôt juste pour une société juste

des facultés contributives et à ce titre, il est normal et sou-haitable de l’imposer afin de répartir équitablement la contri-bution commune.

Réduire les inégalitésEntre 2000 et 2010, le patrimoine total des ménages en

France a augmenté en moyenne de 7,3 % par an, malgré une baisse ponctuelle due à la crise entre 2007 et 2009. Le rythme de cette augmentation a ralenti en 2011 et 2012 avec un taux annuel respectif de 4,3 % et 1,6 %2. Le patrimoine des ménages atteint 10 544 milliards d’euros en 2012, ce qui cor-respond à huit fois leur revenu disponible net. Le patrimoine brut médian3 est de 150 200 euros.

Derrière ces moyennes, se cachent des inégalités de patrimoine très importantes, bien plus fortes encore que les inégalités de revenu. Le patrimoine est très concentré entre les mains d’une minorité, ce qui est vrai également au niveau mondial. En France, les 10 % des ménages les mieux dotés détiennent la moitié du patrimoine total des ménages, les 1 % les mieux dotés en détiennent 19 %. À l’opposé, les 50 % les plus pauvres en détiennent seulement 7 %4. En comparaison, les inégalités de revenus sont bien moindres : les 10 % les plus riches détiennent 35 % (on n’ose pas dire seulement) du total des revenus, et les 50 % les plus pauvres en détiennent environ 25 %.

Cette situation n’évolue pas dans le bon sens, la tendance est au renforcement des inégalités. En 2004, le patrimoine détenu par les 10 % de ménages les mieux dotés était 32 fois plus élevé que celui détenu par les 50 % les moins dotés ; en 2010, ce rapport est de 355. Cette tendance à la concentration des patrimoines se constate dans tous les pays développés. Thomas Piketty en étudie longuement la genèse dans Le

2. « Le patrimoine économique national en 2012 », Insee première, décembre 2013.3. La moitié des ménages a un patrimoine supérieur à ce seuil, l’autre moitié a un patrimoine inférieur.4. Enquête Patrimoine de l’Insee, 2010.5. Cf. « Les inégalités de patrimoine s’accroissent entre 2004 et 2010 », Insee première, novembre 2011.

Page 105: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

105

capital au 21e siècle et montre que cette progression, qui semble aujourd’hui sans limite, est insoutenable. Il est indis-pensable d’y mettre un terme et c’est le rôle de l’impôt sur le patrimoine. S’articulant avec l’imposition des revenus, il vise à diminuer la rente, à stopper la concentration en cours et à en inverser la tendance, en plus de mobiliser les richesses dans un sens utile à la société. Si notre objectif est non seulement de mettre un terme à l’évolution actuelle, mais bien de réduire la concentration des patrimoines, cela implique de ramener les grandes fortunes à des niveaux moins indécents. Ce qui signifie que l’impôt pour les très riches doit représenter plus que la somme des revenus produits par leur patrimoine. C’est à travers la fixation du taux marginal supérieur et du seuil de patrimoine au-delà duquel ce taux s’applique que cet objectif peut être mis en œuvre, nous y revenons plus loin.

De manière générale, et en particulier pour éviter l’évasion des grandes fortunes à l’étranger (même si on sait que bien d’autres critères que la fiscalité jouent dans les décisions d’expatriation), il est nécessaire de viser une harmonisation fiscale au niveau européen et même mondial [u Chapitre 10]. La proposition centrale que développe Piketty est celle d’un impôt mondial et progressif sur le capital, dont la réalisation peut sembler un peu lointaine à l’étape d’aujourd’hui, mais qui peut se mettre en place de manière graduelle pour les pays qui le souhaitent. C’est une proposition majeure qui est tout à fait en phase avec nos objectifs et que nous rejoignons.

Dégager des ressourcesNous avons vu que l’impôt sur la fortune (ISF) est très

imparfait. Il pèse relativement plus sur les millionnaires que sur les milliardaires, il comporte de nombreuses niches fis-cales qui réduisent fortement son assiette. Il doit être remanié pour répondre à la fois à l’objectif d’assurer une contribu-tion cohérente de la part des détenteurs de patrimoine et à celui de réduire des inégalités indécentes. Compte tenu du niveau très élevé atteint par les patrimoines des plus riches, l’ISF pourrait dégager des ressources non négligeables. Le principe pour une réforme de l’impôt sur le patrimoine doit

Page 106: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

106

Un impôt juste pour une société juste

être de retenir pour assiette l’ensemble des biens financiers, immobiliers et professionnels. Actuellement, ces derniers en sont exclus [u Encadré : « Retour sur l’exonération des biens professionnels »].

La question du barème d’imposition à retenir est impor-tante. On estime que le taux de rendement moyen du pla-cement d’un capital est compris entre 4 % et 5 %. Il est donc infondé d’avancer qu’un taux marginal supérieur de 1,5 % est trop élevé, voire confiscatoire, puisque ce taux reste très inférieur au rendement moyen des placements. Un tel taux est d’autant moins confiscatoire que, selon le classement Forbes, les plus grandes fortunes connaissent depuis trente ans des progressions réelles de l’ordre de 6 à 7 % par an en moyenne. D’autant moins confiscatoire, également, du fait que les redevables de l’ISF, notamment ceux situés dans les hautes tranches, jouent de l’optimisation fiscale. Compte tenu des taux de rendement moyens constatés pour les plus grandes fortunes, il serait justifié d’instaurer un taux marginal supérieur de l’ISF d’au moins 5 %.

L’ISF actuel, étroit et inégalitaireAu 1er janvier 2013, l’ISF a été une nouvelle fois modifié

pour revenir – très modérément – sur l’allégement appliqué par le gouvernement précédent. Rappelons que sous la droite au pouvoir, le montant de l’ISF avait été divisé par trois ! Le seuil au-dessus duquel on est assujetti à l’ISF reste de 1,3 mil-lion d’euros : ce seuil concerne peu de contribuables (environ 2 % en 2010). Le taux supérieur (1,5 %) s’applique sur la frac-tion de patrimoine située au-dessus de 10 millions d’euros : il concerne moins de 2 700 contribuables6 ! Du fait de l’optimisa-tion fiscale, ainsi que du fait des rendements du capital plus forts pour les patrimoines plus importants, l’ISF est un impôt qui devient régressif au sommet de la hiérarchie des fortunes.

6. Selon les déclarations à l’ISF, 2 190 ménages ont un patrimoine compris entre 5 et 10 millions d’euros et 2 674 ménages un patrimoine supérieur à 10 millions d’euros.

Page 107: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

107

Retour sur l’exonération des biens professionnelsLa principale exonération de l’ISF concerne les biens professionnels. Cette exonération touche les biens et les placements : biens nécessaires à l’exploitation sous une forme individuelle d’une exploitation industrielle, com-merciale, artisanale, agricole ou libérale, parts ou actions d’une entreprise si leur détenteur exerce une fonction de direction effective… La suppression de l’exonération des biens professionnels générerait au moins 15 milliards d’euros par an. L’acceptation plutôt large de la notion de biens professionnels a été utilisée dans plusieurs sché-mas d’optimisation fiscale consistant pour un dirigeant à détenir une holding qui, elle-même, détient un groupe de sociétés. La valeur des titres de la holding tient compte de la valeur des titres des sociétés du groupe. Mais le dirigeant de société est exonéré d’ISF sur les titres qu’il détient dans la holding s’il en est un dirigeant. Plusieurs dirigeants de très grands groupes procèdent de la sorte pour réduire, voire annuler leur ISF… L’exonération des biens professionnels dans l’évaluation du patrimoine ne se justifie pas. Elle doit être revue dans un sens plus réa-liste économiquement. Il ne s’agit pas de pénaliser les petits artisans ou les propriétaires de PME/PMI, mais il s’agit de ne pas permettre que des dirigeants de société ou des milliardaires profitent abusivement de ce disposi-tif, comme c’est le cas aujourd’hui. Il serait ainsi possible de prévoir un abattement, dont le montant reste à fixer (non pas en pourcentage mais en absolu) pour ne pas concerner les biens professionnels des petits artisans et PME/PMI. Une autre solution existe, pour éviter de multiplier les abattements et surtout pour rester cohérent avec l’idée que tous les biens professionnels font partie intégrante du patrimoine : ce serait de relever le seuil d’entrée à l’impôt sur le patrimoine (considéré dans son intégralité, c’est-à-dire avec les biens professionnels) pour qu’il continue de ne concerner que les quelques pourcents de contribuables les plus riches.

Page 108: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

108

Un impôt juste pour une société juste

Au vu des éléments présentés précédemment, le barème actuel de l’ISF est très insuffisant. De plus, l’ISF de 2013 marque le retour d’un plafonnement qui avait été supprimé dans le cadre de la réforme de 2011. Celui-ci prévoit qu’un redevable de l’ISF paie au maximum 75 % de ses revenus en impôts. Dans les faits, il représente une perte de 730 mil-lions d’euros (à comparer avec la recette de l’ISF qui était de 4,4 milliards d’euros en 2013) et il bénéficie surtout aux plus riches : les deux tiers des bénéficiaires du plafonnement ont une fortune déclarée supérieure à 5 millions d’euros, et ce sont les contribuables qui ont un patrimoine supérieur à 10 millions qui sont le plus favorisés, en se partageant 90 % du montant total du plafonnement… Puisque notre objectif politique est de réduire les grandes fortunes et de dégager des ressources pour permettre une redistribution plus impor-tante, le plafonnement de l’ISF doit être revu.

Nos propositions pour un véritable impôt sur le patrimoineLa réforme doit à la fois réduire sérieusement, et mieux,

supprimer, les possibilités d’optimisation fiscale et tenir compte du taux de rendement moyen du capital pour mettre en place un impôt juste et rentable.n Le seuil d’imposition : il faut a minima revenir au seuil antérieur qui était de 800 000 euros. Ce seuil concerne les 5 % de contribuables les plus riches. Mais on peut aussi trouver opportun de mettre à contribution les 10 % de contribuables les plus riches, qui se partagent, on l’a vu, la moitié du patrimoine total, ce qui met alors le seuil à 500 000 euros.n Le barème progressif et le taux supérieur : on a vu que le rendement moyen du capital (4 à 5 %) justifie la mise en œuvre de taux d’imposition bien supérieurs à ceux appli-qués jusqu’à présent. Un taux de 2 % peut être appliqué au-dessus de 5 millions d’euros. Pour les grandes for-tunes que l’on souhaite voir décroître (au-delà de 50 ou

Page 109: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

109

100 millions d’euros), le taux d’imposition doit dépasser le taux de rendement du capital obtenu dans ces tranches de patrimoine, et peut être fixé à 10 % par exemple. La progressivité de l’impôt s’ajuste alors par des tranches intermédiaires, par exemple selon le barème suivant :

u 0,5 % entre 800 000 euros (ou 500 000 selon le seuil d’entrée choisi) et 1,2 million ;u 1 % entre 1,2 million et 3 millions ;u 1,5 % entre 3 et 5 millions ;u 2 % entre 5 et 30 millions ;u 4 % entre 30 et 60 millions ;u 6 % entre 60 et 100 millions ;u 10 % au-delà de 100 millions.

Une proposition intéressante de Piketty consiste à faire évoluer les taux d’imposition en fonction des rendements moyens effectivement constatés au sein de chaque tranche de patrimoine au cours des années précédentes. Ce critère permettrait d’ajuster le degré de progressivité en fonction de l’objectif souhaité en termes de réduction de la concen-tration des patrimoines.n L’assiette de patrimoine prise en compte : elle doit inclure tous les biens, immobiliers, financiers et professionnels. L’abattement actuel de 30 % sur la résidence principale doit être transformé en un abattement non plus en pourcentage mais en montant (400 000 euros par exemple), ce qui per-met de moins taxer les patrimoines moyennement impor-tants et de taxer plus fortement les plus hauts patrimoines. Des possibilités existent pour éviter que des propriétaires modestes ne soient redevables de l’impôt sur le patrimoine du fait d’une hausse disproportionnée de leur bien sous l’effet de l’évolution du marché immobilier.n Enfin, l’impôt sur le patrimoine doit être individuel, comme l’impôt sur le revenu, en grande part pour les mêmes rai-sons. De plus, cela permettra d’en finir avec certaines inco-hérences de l’ISF vis-à-vis de l’égalité devant l’impôt. Ainsi le seuil d’entrée dans l’ISF est le même pour un célibataire et pour un couple et l’impôt à payer est le même pour un patrimoine possédé par une personne ou par un couple.

Page 110: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

110

Un impôt juste pour une société juste

Il y a une autre incohérence : les couples en concubinage doivent faire une déclaration conjointe à l’ISF, mais doivent déclarer séparément pour l’IR. Ces couples sont ainsi écartés des avantages potentiels de l’imposition conjointe pour l’IR [u Chapitre 5], mais subissent les inconvénients de déclarer ensemble devant l’ISF (il est en effet possible qu’individuellement, ils ne soient pas redevables de l’ISF mais qu’ils le deviennent du fait qu’ils doivent additionner leurs deux patrimoines).

Un impôt sur les successions à même de limiter la transmission des inégalitésLes inégalités croissantes de patrimoine, qui nourrissent les

inégalités de revenus, se transmettent par l’héritage. L’impôt sur le patrimoine et celui sur les successions sont donc com-plémentaires pour la mise en œuvre de l’objectif de réduction des inégalités de patrimoine. La taxe sur les successions et mutations (donations) représente de plus un enjeu important vis-à-vis de l’objectif de redistribution.

C’est un sujet sensible qui rencontre une hostilité assez répandue, y compris parmi les couches sociales qui ont relativement peu de patrimoine à transmettre et que cet impôt n’a guère de chance de concerner. Selon l’enquête « Patrimoine 2010 » de l’Insee, 85 % des héritages sont inférieurs à 100 000 euros, ce qui signifie que dans la très grande majorité des cas, les successions en ligne directe (enfants, petits-enfants) ne sont pas imposées : l’abattement sur le montant des successions est en effet de 100 000 euros par enfant (ou petit-enfant) et par parent (ou grand-parent) décédé, ce qui situe bien plus haut que 100 000 euros le seuil des héritages non imposables. Au final, l’héritage (« revenu non gagné ») est beaucoup moins taxé que le revenu, ce qui est pour le moins irrationnel. Le taux moyen d’impôt sur les successions est inférieur à 5 %. Il atteint à peine 20 % pour les 1 % des plus gros héritages.

Page 111: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

111

Le principe régissant l’imposition sur les donations et les successions devrait donc consister à accorder à chaque per-sonne le droit de transmettre un montant forfaitaire à titre gratuit, soit lors de donations de son vivant, soit au moment de sa succession. Toute personne pourrait de son vivant pro-céder à une ou plusieurs donations à titre gratuit tant que le plafond forfaitaire n’est pas atteint (fiscalement, il prendrait la forme d’un abattement général). Au-delà de ce montant, une taxation fortement progressive s’appliquerait sur les donations comme sur la succession. Le montant forfaitaire transmis gra-tuitement serait déterminé en fonction du patrimoine médian en France (qui est aujourd’hui de 150 200 euros). On peut envisager un montant forfaitaire compris entre 150 000 et 200 000 euros.

Page 112: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 113: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

113

7. L’impôt sur les sociétés : des marges de manœuvre

L’impôt sur les sociétés (IS) est calculé sur le bénéfice fiscal, lui-même déterminé à partir du bénéfice comptable à la suite de plusieurs retraitements dits extra-comptables dont l’objectif est de ne prendre en compte que les éléments relevant de l’impôt. L’IS est sensible à la conjoncture, ce qui explique la baisse de ses recettes lors de la crise. Au cours de ces dernières années, son rendement a été variable. L’évolution de cet impôt se présente de la manière suivante :

Nombre d’entreprises imposables

Recettesau profitde l’État*

Dégrèvements d’IS*

Recettesnettes*

2007 1 419 325 64 947 12 109 52 838

2008 1 507 926 64 619 13 285 51 334

2009 1 569 926 51 050 28 570 22 480

2010 1 644 321 51 404 16 897 34 507

2011 1 726 051 54 737 13 901 40 836

2012 1 807 584 58 664 15 412 43 252

* En millions d’eurosSource : DGFiP.

Son montant a fortement reculé sur les années 2009 et 2010 qui ont connu une crise économique ouverte et remonte doucement depuis.

Avec un taux nominal de 33,3 % (il était de 50 % jusqu’en 1986), l’IS français handicaperait la compétitivité des entre-prises françaises dans la concurrence fiscale internationale. Mais mettre en avant le seul taux nominal, revient à ignorer qu’un taux réduit de 15 % existe pour les petites entreprises

et surtout, que la comparaison des taux nominaux n’apprend pas grand-chose si l’on ne tient pas compte de l’assiette,

Page 114: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

114

Un impôt juste pour une société juste

c’est-à-dire la base sur laquelle est calculé l’impôt1. En réalité, le taux effectif d’imposition des entreprises présentes sur le territoire français est largement inférieur au taux nominal de 33,3 %. Si l’on prend en compte le taux implicite d’imposi-tion, qui rapporte le montant de l’impôt réellement payé à l’excédent net d’exploitation (indicateur du bénéfice de l’entre-prise) – ce qui constitue une approche beaucoup plus perti-nente – on constate que les petites entreprises se trouvent en moyenne imposées à un taux supérieur aux plus grandes [u Encadré].

Imposition des petites et grandes entreprises :quels écarts ?En matière de taux d’imposition sur les sociétés, les mé-thodes de calcul divergent mais les constats demeurent. Le Conseil des prélèvements obligatoires a ainsi établi2 que le taux implicite d’imposition des bénéfices des so-ciétés s’élevait à 28 % pour les très petites entreprises (les entreprises individuelles sans salarié·e) mais à 13 % pour les grandes entreprises qui emploient plus de 2 000 salarié·es et à 8 % pour les entreprises du CAC 40. En 2011, une note du Trésor3 confirme un fort déséquilibre : l’écart entre les taux d’imposition atteint 20 points entre les PME et les grandes entreprises de plus de 5 000 salariés. En mars 2014, un article des Échos4 relativise ces chiffres en indiquant que, selon une étude récente du Trésor, les PME ne paieraient que 6 points d’impôt sur les sociétés de plus que les grands groupes. Rensei-gnements pris, le Trésor n’a pas publié de telle étude, et

1. Le taux réduit est réservé aux entreprises possédées directement ou indirectement à 75 % par des personnes physiques, qui réalisent un chiffre d’affaires annuel hors taxe inférieur à 7,6 millions d’euros. Il s’applique sur les 38 120 premiers euros de bénéfices. Au-delà, le taux normal s’applique.2. Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, Les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie mondialisée, Paris, La Documentation française, octobre 2009.3. « Le taux de taxation implicite des bénéfices en France », Trésor-éco, n° 88, juin 2011.4. « Ce que paient vraiment les grandes entreprises », Les Échos, 9 mars 2014.

Page 115: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

115

l’article s’appuie simplement sur une présentation orale effectuée en février 2014 lors des Assises de la fiscalité organisée par le gouvernement. Les résultats présentés sont toutefois à nuancer car si l’étude en question prend en compte les mesures fiscales votées depuis 2012, elle distingue les entreprises bénéficiaires (celles donc qui paient l’IS) des autres, contrairement à l’étude de 2011 ; de plus, elle n’intègre ni le crédit impôt recherche (CIR) ni les 20 milliards du crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (CICE), ce qui est pourtant de nature à modifier sensiblement les taux effectifs d’imposition. À suivre donc.

Les grandes entreprises et les groupes cotés disposent de cellules spécialisées dédiées à ce qui est communément appelé l’« optimisation fiscale », qui consiste à présenter les comptes d’une société de manière à minimiser l’impôt à ver-ser. Ce qui fait l’affaire des cabinets de conseillers fiscaux, dont les membres sont largement issus de l’administration des impôts elle-même. Compte tenu du coût de leurs inter-ventions, il reste clair que celles-ci se trouvent réservées aux plus grands groupes pour lesquels le bénéfice coût/avantage attendu est le plus important. L’administration des impôts dis-pose certes d’une arme contre ce type de pratiques, elle peut invoquer l’« abus de droit ». Mais force est de reconnaître que son utilisation est assez limitée dans la réalité en raison d’un maniement relativement délicat : en effet, c’est à l’adminis-tration qu’appartient la charge de la preuve.

L’abus de droitIl consiste pour une entreprise à mettre en place, à tra-vers des montages fiscaux, une organisation de sa pro-duction et/ou de la commercialisation de celle-ci qui lui permette d’éviter l’impôt en tout ou partie. La frontière entre l’optimisation fiscale et la manœuvre frauduleuse est dans la pratique difficile à établir. Elle l’est devenue un peu moins depuis l’amendement voté par le Sénat le 15 juillet 2013 qui qualifie d’abus de droit les montages

Page 116: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

116

Un impôt juste pour une société juste

fiscaux qui « ont pour motif essentiel d’éluder ou d’atté-nuer les charges fiscales ». La définition précédente de l’abus de droit ne permettait de sanctionner que les mon-tages ayant pour motif exclusif d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales. L’adjectif « essentiel » a pour consé-quence d’élargir – un peu – le champ d’application qui permet d’invoquer l’abus de droit, même s’il reste difficile de caractériser un motif essentiel. De ce fait, l’adminis-tration fiscale voit s’améliorer ses possibilités de contrer l’optimisation fiscale.

La législation elle-même offre aux groupes de nombreuses opportunités pour minimiser leur imposition. Parmi les plus remarquables, mentionnons les prix de transfert intra-groupe et l’intégration fiscale [u Encadré].

Deux méthodes d’optimisation fiscaleLes prix de transfert intra-groupeLa mise en place des prix de transfert intra-groupe constitue un outil privilégié d’évasion fiscale puisque leur utilisation permet de situer le bénéfice du groupe dans les pays où la fiscalité est la plus avantageuse, par l’intermédiaire des facturations internes à un groupe de sociétés (basées sur les prix de transfert). L’OCDE, dans son rôle de gardienne de l’ordre marchand interna-tional, a publié un document volumineux définissant une méthode de référence pour évaluer le « prix de pleine concurrence » qui doit constituer la référence pour les transactions au sein d’un groupe. La multiplicité des méthodes reconnues laisse au groupe de nombreuses possibilités pour retenir les plus avantageuses en ce qui le concerne. Les spécificités propres à chaque groupe tant en matière de production que de commercialisation font que dans la pratique, lui seul est susceptible de maî-triser les caractéristiques de ses produits. Le document de l’OCDE reconnaît d’ailleurs au groupe la primauté en la matière. Une documentation portant sur les méthodes d’évaluation retenues est obligatoire et son contenu a même été renforcé. Il ne faut cependant pas être grand

Page 117: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

117

clerc pour comprendre que la direction du groupe est la mieux à même d’anticiper et de justifier les modifications qu’elle pense lui être favorables.

L’intégration fiscaleC’est une notion purement fiscale car la notion de groupe n’est reconnue juridiquement ni par le droit civil ni par le droit commercial (elle existe néanmoins en droit comptable mais avec une définition différente pour la consolidation). Dans l’intégration fiscale, la personnalité du groupe est personnifiée dans la seule société mère, unique redevable de l’impôt, les autres sociétés du groupe n’existent plus fiscalement. Les sociétés compo-sant le groupe doivent être possédées à 95 % au premier janvier de l’année d’imposition par la société redevable de l’impôt. Les groupes disposent souvent à cet effet de sociétés dormantes qui peuvent être le réceptacle de sociétés entrant dans le groupe suite à une fusion, ou à l’inverse de sociétés que l’on isole, de façon à bénéfi-cier du dispositif dès la première année. Le groupe peut alors compenser les bénéfices de certaines sociétés du groupe fiscal ainsi constitué avec le déficit d’autres, ce qui lui permet de minimiser la charge globale d’impôts. Il reste maître de l’inclusion ou non de sociétés dans son périmètre (une société détenue à plus de 95 % ne fait pas obligatoirement partie du groupe fiscal), moyen sup-plémentaire de maximiser son intérêt fiscal. Certes, une sortie éventuelle du groupe d’une société entraîne un versement des impôts économisés antérieurement mais il est souvent possible d’anticiper ce départ et donc d’en limiter l’impact.Le régime de l’intégration fiscale est jugé très favorable5, cependant l’évaluation de son coût pour les finances pu-bliques fait l’objet d’évaluations très discordantes.

5. Jusqu’en septembre 2011 existait le régime du « Bénéfice mondial consolidé » dont la philosophie était similaire puisqu’il étendait aux filiales étrangères la possibilité de figurer dans le groupe fiscal. Il a représenté un manque à gagner de 302 millions d’euros en 2010. Seuls quatre groupes restent aujourd’hui concernés en partie par ce type d’agrément dont Total, Vivendi, et NRJ, en voie d’extinction.

Page 118: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

118

Un impôt juste pour une société juste

À l’instar des autres impôts français, l’impôt sur les sociétés (IS) comporte de nombreuses mesures fiscales dérogatoires. Dans un ouvrage de juillet 2013, l’Ordre des experts-comp-tables détaille les dix-huit plus significatives en faveur des entreprises6. Selon le projet de loi de finances pour 2013, le coût annuel des mesures dérogatoires de l’IS s’élève à 3,3 milliards d’euros en 2013, auxquels il faut ajouter le coût des mesures communes à l’IS et à l’IR concernant la caté-gorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et des bénéfices non commerciaux (BNC, entreprises individuelles), coût d’un montant annuel de 6,9 milliards d’euros. Il ne s’agit là, cependant, que des mesures recensées dans le projet de loi de finances, qui ne comptabilisent donc pas les mesures dérogatoires déclassées. Ces dépenses fiscales - c’est le terme juridiquement attribué – s’analysent comme des dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’État une perte de recettes par rapport à ce qui serait résulté de l’application des principes généraux du droit fiscal français. Parmi les multiples mesures déro-gatoires, figure l’exonération des plus-values de cession de titres de participation (dite niche Copé) dont le coût budgé-taire annuel s’est élevé à 12,5 milliards d’euros en 2009 et 8 milliards d’euros en 2010.

Rétablir l’équité fiscale entre les entreprisesL’ampleur du nombre et du coût des mesures dérogatoires

pose deux problèmes : celui de la maîtrise de la politique éco-nomique et celui du rendement budgétaire. En effet, l’impact de ces mesures, dont la création s’est accélérée au cours des années 2000, est contesté. De plus, il est maintenant admis que ces mesures dérogatoires sont largement utilisées à des fins d’optimisation fiscale, voire même de fraude. Tout autant, la notion d’optimisation fiscale pose un réel problème de

6. Ordre des experts-comptables, Guide pratique des réductions et crédits d’impôts, L’expert en poche, juillet 2013.

Page 119: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

119

légitimité démocratique. L’un des principaux enjeux consiste donc à évaluer l’intérêt économique, en termes d’emplois notamment, des mesures dérogatoires à l’IS.

L’augmentation des profits nets des entreprises n’a jamais conduit à une progression de l’emploi, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement. On rappellera qu’entre 2000 et 2007, les profits des entreprises du CAC 40 ont progressé de 97 % et les dividendes distribués de 255 % tandis que l’investissement reculait de 23 %. Relever le taux effectif de l’impôt sur les sociétés et rétablir l’équité fiscale entre elles est une nécessité pour une réforme juste.

Cela suppose de s’attaquer simultanément à deux aspects7 :n L’assiette d’imposition minée par les diverses mesures dérogatoires qui conduisent à sa réduction.n Le taux même d’imposition qui n’a fait que se réduire depuis plusieurs années.L’élargissement de l’assiette dans une perspective d’équité

fiscale pourrait être obtenu en retenant pour base l’excédent brut d’exploitation8 diminué de la part des bénéfices réin-vestis. Nous devons également tenir compte du rôle écono-mique de la politique fiscale et budgétaire de l’État. Celle-ci devrait être transparente et ses conséquences clairement identifiées dans les comptes des entreprises. Elle pourrait ne concerner que certains investissements relativement ciblés ou des mesures favorisant telle ou telle pratique souhaitée ou politique recherchée.

Une réforme de l’IS ne peut ensuite pas ignorer que la financiarisation de l’économie s’est développée au détriment de la part reversée aux salarié·es, de la somme réservée à l’investissement, au détriment aussi des petites et moyennes entreprises. Le taux de rendement exigé par les actionnaires, notamment par les divers fonds (fonds spéculatif, fonds de

7. La réforme de l’impôt sur les sociétés devrait avoir pour pendant une réforme de l’imposition économique des entreprises au travers de la contri-bution économique territoriale, inspirée des mêmes principes, avec par exemple une taxation des actifs financiers.8. Le débat existe pour savoir s’il vaut mieux prendre l’excédent brut ou net.

Page 120: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

120

Un impôt juste pour une société juste

pension, institutions financières) pour maximiser le versement de dividendes est intenable. Il est nécessaire d’inverser la tendance à l’augmentation de la part des bénéfices distribués sous forme de dividendes. À cette fin, il est possible, au-delà du taux normal de l’IS, d’imposer à un taux plus important la partie du bénéfice distribué sous forme de dividendes. Ce faisant, l’IS inciterait à limiter la financiarisation de l’économie. Le barème pourrait même prendre en compte, outre la part dans le bénéfice des dividendes distribués, les placements financiers et les investissements ne répondant pas à des critères précis de développement de l’emploi, de la recherche, d’investissement productif…

Même si la fiscalité ne peut pas tout faire seule en ce qu’elle demeure un outil au service de choix politiques, il est essen-tiel, pour libérer les gestions d’entreprises de l’emprise des marchés financiers, d’utiliser le caractère incitatif de l’IS et de l’inscrire dans le cadre plus large d’une politique au ser-vice d’objectifs sociaux et écologiques. Ceci favoriserait les investissements productifs qui répondent à des critères précis d’efficacité économique, sociale et écologique. Rechercher une efficacité sociale et écologique passe également par la mobilisation d’autres leviers de la politique économique tels l’accès au crédit. Il doit ainsi y avoir une cohérence entre la politique fiscale et la redéfinition des choix de politique moné-taire et, de façon générale, de l’ensemble des domaines de la politique économique.

L’impôt sur les sociétés en EuropeEn matière d’IS, il est vrai que la concurrence fiscale est la

règle au sein de l’Union européenne. Entre 1986 et 2008, les taux nominaux ont baissé de 14,5 points en moyenne (près de 12 points en France) tandis que le taux effectif moyen d’imposition baissait également (de 27,7 % en 1995 à 23,5 % en 2005). Selon la Commission européenne, cette baisse du taux d’imposition a été nettement plus marquée en Europe, et particulièrement dans la zone euro, que dans les autres

Page 121: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

121

zones économiques. Malgré la situation déséquilibrée des finances publiques – qui ont largement contribué à aider de nombreuses entreprises – l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés parmi les États de l’Union européenne est loin de faire l’unanimité. Tout au plus est-il proposé par la Commission européenne d’instaurer, pour les entreprises qui le souhaitent, une assiette commune consolidée (ACCIS), sorte de régime simplifié optionnel pour les entreprises qui le souhaitent. Dans de telles conditions, l’ACCIS ne sera qu’un régime fiscal dérogatoire de plus, pour lequel opteront les entreprises qui y auront fiscalement un intérêt. On est donc malheureusement loin d’une réelle harmonisation fiscale.

Page 122: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 123: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

123

8. Refondre la fiscalité locale

Si la fiscalité locale est fréquemment absente du débat fiscal public, c’est qu’elle est très complexe et, de ce fait, diffi-cilement compréhensible pour des citoyens même avertis. Or elle représente une part non négligeable des recettes fiscales totales et du produit intérieur brut (PIB). Le poids total des recettes fiscales locales est passé de 3,6 % du PIB en 1982 à 6,1 % en 2009, pour se stabiliser depuis lors à ce niveau. Selon le guide statistique de la fiscalité directe locale 2011-2012, l’ensemble des prélèvements obligatoires représentent 913,5 milliards d’euros en 2012, dont 124,3 milliards d’euros pour les collectivités locales, soit 13,1 %.

La complexité de la fiscalité locale est due tout d’abord à la multiplicité des prélèvements. Ainsi, le rapport sur les prélè-vements obligatoires de 2010 en identifie plus d’une cinquan-taine ! De plus, les bénéficiaires ne sont pas toujours ceux qui les perçoivent. En effet, les différentes collectivités locales (communes, groupements de communes, départements et régions) perçoivent tout ou partie des impôts et taxes, mais des reversements entre ces structures sont couramment pra-tiqués et l’État lui-même intervient dans cette redistribution.

Les statistiques officielles disponibles concernant ces pré-lèvements sont données soit en brut – le total perçu –, soit en net – ce qui reste à disposition de la collectivité -, ce qui rend les comparaisons difficiles. Depuis 2011, un effort a été fait pour que les différentes taxes perçues soient mises en cohérence avec la collectivité bénéficiaire, selon la répartition suivante, ce qui devrait permettre une plus grande lisibilité :n Régions : contribution sur la valeur ajoutée des entre-prises et Imposition des entreprises de réseaux ;n Départements : taxe foncière sur les propriétés bâties ;n Communes : taxe d’habitation et taxe foncière sur les propriétés non bâties.

Page 124: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

124

Un impôt juste pour une société juste

L’imposition locale n’est pas basée sur le revenu des con-tribuables, qui n’intervient que très marginalement, mais sur le patrimoine du contribuable dans le territoire concerné. Ce point est important lorsqu’on se pose la question d’une plus grande justice fiscale. Nous y reviendrons dans nos propositions.

Évolution des principales taxes recouvrées depuis 2006(en millions d’euros)

2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Rapport2012-2006

Taxe d’habitation

14 169 14 838 15 534 16 535 17 220 18 954 19 465 1,37

Taxe foncière

24 657 25 758 26 844 28 963 30 497 33 493 34 664 1,41

Taxe sur les entreprises

30 251 30 261 31 520 33 009 12 861 23 508 24 240 0,80

Taxe d’urbanisme

757 866 1 007

Total

69 834 71 723 74 905 78 507 60 578 75 955 78 369 1,12

Source : DGFiP.

La baisse significative intervenue en 2010 correspond à l’abandon de la taxe professionnelle. La répartition du poids des différents impôts locaux [u Tableau suivant] montre que l’évolution depuis 2006 s’est faite en faveur des entreprises, dont la part a diminué de 43,3 % à 30,9 %, et au détriment des ménages (taxe d’habitation et taxe foncière), dont la part a augmenté symétriquement.

2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012

Taxe d’habitation 20,3 % 20,7 % 20,7 % 21,1 % 28,4 % 25,0 % 24,8 %

Taxe foncière 35,3 % 35,9 % 35,8 % 36,9 % 50,3 % 44,1 % 44,2 %

Taxe sur les entreprises 43,3 % 42,2 % 42,1 % 42,0 % 21,2 % 30,9 % 30,9 %

Taxe d’urbanisme 1,1 % 1,2 % 1,3 %

dont ménages 55,6 % 56,6 % 56,6 % 58,0 % 78,8 % 69,1 % 69,1 %

Source : DGFiP.

Page 125: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

125

D’autres impôts significatifs bénéficient principalement aux collectivités territoriales. Parmi ces derniers, citons les droits de mutations qui se sont réduits avec la chute des transac-tions immobilières.

2006 2007 2008 2009 2010 2011

Mutation à titre onéreux 1 057* 1 288 1 062 739 927 737

Mutation à titre gratuit 8 670 8 969 7 919 7 474 7 837 8 640

* En millions d’eurosSource : DGFiP.

Dans les recettes des collectivités locales, sont également incluses certaines taxes, comme la taxe d’assainissement comprise dans le prix de l’eau facturée à la population. Elles sont reversées par l’organisme collecteur aux collectivités locales, directement ou indirectement, au travers notamment des agences de bassin pour l’eau.

Au total, il est très difficile d’avoir une vision exhaustive de l’ensemble des ressources des collectivités locales. La fiscalité locale apparaît comme une « boîte noire » pour les citoyens. Il existe pourtant légalement des commissions obli-gatoires (eau, impôts locaux, etc.) auprès des différentes col-lectivités. Mais leurs réunions, lorsqu’elles existent, s’avèrent vides de sens, mêmes pour des citoyens motivés. Les élé-ments de débats sont complexes, pas toujours maîtrisés, y compris par les élus eux-mêmes, ce qui laisse un pouvoir réel à l’administration.

Un transfert financier de l’État vers les communes est inscrit au budget 2013 pour 100,3 milliards d’euros dont 61,4 mil-liards de versements directs aux collectivités locales, le reste étant composé de dégrèvements divers et de subventions spécifiques. Cette somme est donc supérieure au montant des taxes qui constituent le cœur de la fiscalité locale (pré-sentées précédemment), ce qui donne à l’administration centrale un droit de regard incontestable sur la gestion des collectivités locales. La création récente des Métropoles se traduira par un nouveau transfert, à leur profit, de ressources

Page 126: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

126

Un impôt juste pour une société juste

relevant aujourd’hui des communes et des départements. L’objectif affiché de cette nouvelle division territoriale étant de développer l’activité économique, la perception des impôts et taxes liées à cette fonction leur sera transférée. Il y a fort à parier que cela se fera au détriment des actions auprès des populations les plus démunies.

Une fiscalité en hausseLa fiscalité locale constitue un enjeu fiscal majeur. Deux

grandes questions structurent le débat : quelles sont les causes de la hausse des impôts locaux, et quelle réforme des impôts locaux doit être menée. La fiscalité locale, déjà complexe, se trouve encore embrouillée par l’existence de regroupements de communes et les actions conjointes entre les différentes strates administratives.

Quelles que soient les références retenues, il apparaît indéniable que les impôts locaux connaissent une forte croissance, dont l’essentiel pèse sur les ménages. Plusieurs raisons expliquent cette hausse importante depuis 2008. Les transferts de compétences dans le cadre des vagues de décentralisation intervenues au début des années 1980 et 2000 en constituent une des principales raisons. Mais il faut y ajouter l’évolution des besoins et la croissance natu-relle des politiques publiques locales, en particulier sous l’impact de l’évolution de certaines normes, notamment environnementales.

Un champ de compétences qui s’élargitLes collectivités locales ont désormais en charge une

grande partie des politiques publiques. Les régions sont en effet compétentes dans des secteurs très divers comme le transport ferroviaire, le soutien à l’activité économique, la for-mation professionnelle, la voirie ; elles ont aussi en charge les lycées et le paiement des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) de l’Éducation nationale. Il est souvent

Page 127: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

127

question du « dérapage » des frais de personnel qui expli-querait pour une large part la hausse des dépenses locales : il convient néanmoins de préciser que cette hausse résulte en grande partie du transfert vers les collectivités locales de 130 000 fonctionnaires d’État dont 94 000 TOS et 31 500 per-sonnels de l’équipement.

Les départements ont de larges compétences en matière d’aide sociale – revenu minimum d’insertion, devenu depuis revenu de solidarité active (RSA), ou encore allocation per-sonnalisée d’autonomie (APA) –, avec des dépenses d’inter-vention des collectivités locales essentiellement constituées de transferts sociaux qui augmentent régulièrement.

La Direction générale des collectivités locales estime que 45 % de l’augmentation de la fiscalité locale entre 1980 et 2006 sont imputables aux transferts réalisés par l’État.

Les communes et les groupements de communes ont en charge des compétences qui, elles aussi évoluent, comme le traitement des déchets. Autant dire qu’à tous les niveaux, les besoins augmentent et que la question du financement de l’action publique locale est une question de plus en plus cruciale avec le développement de la précarité engendrée par la politique économique suivie.

L’évolution des normes touchant aux compétences des col-lectivités locales explique également pour partie la hausse des prélèvements locaux. Il en va ainsi du traitement des déchets : la fin des décharges en plein air, par exemple, a induit des coûts de traitement croissants pour les collectivités locales, qui ont progressivement eu tendance à se regrouper et à mettre leurs compétences en commun1. Cette évolution s’est traduite par une montée en puissance du financement de cette compétence (notamment de la taxe sur le traitement des ordures ménagères, assise sur la taxe foncière). Plus largement, il faut rappeler qu’en 2008, les collectivités locales représentaient 2 % du PIB et 73 % de l’investissement public.

1. À ce sujet, voir Les conséquences de l’évolution des normes techniques pour les collectivités locales, rapport de l‘Inspection générale de l’adminis-tration, Ministère de l’intérieur, janvier 2000.

Page 128: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

128

Un impôt juste pour une société juste

Les effets directs et indirects de la criseLa crise immobilière a touché de plein fouet les collectivités

locales en affectant l’une de leurs sources de financement. Il s’agit des recettes des droits de mutation à titre onéreux qui sont perçues principalement par les départements, acteur essentiel en matière d’aide sociale. Le manque à gagner a dû être compensé par l’augmentation d’autres impôts. Les emprunts souscrits par les collectivités locales ont également été rendus plus difficiles avec la crise.

En 2013, l’endettement de l’ensemble des collectivités locales représente 7,5 % du PIB. Il est à noter que ces der-nières ont été particulièrement affectées par les emprunts dits « toxiques » qui augmentent fortement le coût qu’elles doivent supporter. Pour ces emprunts, les taux ne sont pas connus mais fixés tout au long de la vie de l’emprunt par référence à un élément extérieur. La principale référence retenue a été le taux de change du franc suisse par rapport à l’euro. De ce fait, le « coût de la dette » non seulement n’est pas connu, ce qui rend plus difficile toute prévision de dépenses, mais peut atteindre des montants dépassant les capacités des collectivités.

Les collectivités locales n’ont que de très faibles marges de manœuvre pour établir le taux de la majorité des impôts locaux, tout comme pour faire évoluer leur base d’imposition. Concernant les principales taxes (habitation, foncier bâti, non bâti et taxes annexes), les collectivités locales ne peuvent en augmenter le taux qu’en respectant des contraintes visant notamment à limiter la progression de la fiscalité locale sur les entreprises. En réalité, seules la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et la taxe interne sur la consommation apparaissent entièrement libres. Notons que la première n’est pas souvent incluse dans les « prélèvements obligatoires » car juridiquement elle rémunère « une vente de services », ce qui fait que peu d’informations sont disponibles sur son évolution globale.

Les effets de la crise économique continueront évidem-ment à se faire sentir. Les besoins en matière d’aide sociale

Page 129: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

129

augmentent, la hausse du chômage produit ses effets. On peut ainsi s’attendre à une hausse sensible des dépenses concernant le versement du RSA par exemple.

La réforme de la taxe professionnelle a réduit les recettesLe coût de la « suppression » de la taxe professionnelle

a été évalué à 11,7 milliards d’euros en 2010 et à environ 7 milliards d’euros par an en rythme de croisière. Son rempla-cement par une contribution économique territoriale est moins « rentable », et les collectivités locales sont contraintes d’aug-menter les impôts locaux des particuliers en contrepartie.

Selon le guide statistique de la fiscalité locale 2011-2012, la suppression de la taxe professionnelle a conduit à un allé-gement global de l’imposition des entreprises de l’ordre de 4 milliards d’euros par rapport à 2009. Mais la situation diffère selon les entreprises, 60 % d’entre elles sont gagnantes, 25 % sont perdantes et 15 % connaissent une stabilité. Le taux de réduction est particulièrement fort pour le secteur de la construction qui voit sa contribution réduite de 46 %, et le secteur industriel (29 %).

Dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, la loi de finances 2010 a introduit des taxes nouvelles : l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) et la taxe sur les emplacements commerciaux (Taxcom). L’ensemble constitué par la contribution foncière des entreprises (et taxes annexes) et l’IFER a rapporté 7,6 millions d’euros en 2010 et 8,5 millions en 2011. Sur ces deux années, un basculement entre l’État et les collectivités s’est produit, la part affectée à ces dernières étant passée de 1,5 à 7,7 millions d’euros.

Page 130: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

130

Un impôt juste pour une société juste

Une participation de l’État en voie de repli progressifLes besoins liés aux compétences transférées aux collec-

tivités locales (en matière d’aide sociale ou de transports par exemple) vont croître à l’avenir. Le contrat de stabilité créé par la loi de finances de 2008 prévoit une compensation versée par l’État aux collectivités, mais celle-ci évoluera au rythme de l’inflation, à un rythme inférieur à l’évolution des besoins. Ce qui mettra davantage encore les finances locales sous pression et peut inciter à augmenter les impôts directs locaux, comme la taxe d’habitation et les taxes foncières.

La dotation de fonctionnement de l’État est devenue déci-sive. Entre 2008 et 2009, le taux d’indexation retenu était de 2 % pour une inflation de 0,5 %, ce qui compensait quelque peu les transferts de compétences. Depuis 2011, elle est fixée non plus en pourcentage d’évolution mais en valeur, ce qui se traduit dans les faits par un réel recul que montre le tableau ci-dessous.

En millions d’euros 2009 2010 2011 2012 2013

Dotation de fonctionne-ment globale (DFG) 40 846 41 222 41 392 41 390 41 505

Évolutionannée N/N-1 0,92 % 0,41 % 0,0 % 0,28 %

Source : DGCI bureau des concours financiers de l’État.

En 2013, la dotation est adressée pour 57 % aux com-munes qui demeurent les principales bénéficiaires, 30 % aux départements et 13 % aux régions.

Nos propositionsLe déséquilibre structurel de la fiscalité locale est patent : la

hausse des impôts locaux pèse, comme nous l’avons vu, prin-cipalement sur les ménages. En outre, les bases des impôts locaux sont vétustes et injustes. Il convient donc de revoir la

Page 131: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

131

question du niveau de la fiscalité comme de sa répartition, au plan local et national.

Revoir les bases des impôts directs locauxL’incohérence des bases des impôts directs locaux est

reconnue. Curieusement, il se trouve peu de monde pour porter un projet de réforme de la fiscalité locale. Le sujet est jugé politiquement sensible : en 1990, une révision générale des valeurs locatives cadastrales (bases de l’actuelle fiscalité locale), pourtant techniquement préparée par l’administration, n’a pas été votée par le Parlement de l’époque en raison de l’importance des transferts que cette réforme induisait. Aujourd’hui, du fait de la non-revalorisation des valeurs loca-tives depuis trente ans, certains appartements des beaux quartiers sont moins taxés au m² que des logements sociaux récents. Les améliorations apportées, notamment en matière de sanitaires et de salles de bains, n’ont pas été prises en compte.

Une refonte des bases est donc indispensable. Il faut cependant éviter plusieurs écueils. Ainsi, l’objectif de limiter puis de réduire les inégalités entre collectivités locales ne doit pas conduire à prendre pour base des impôts locaux le seul revenu, ce qui reviendrait à ignorer le patrimoine.

L’assiette de l’imposition locale se doit d’être en relation avec l’action publique sur le territoire concerné, tout en tenant compte des facultés contributives des contribuables. La valeur locative cadastrale actuelle a donc vécu, mais le principe d’une assiette foncière doit être conservé. Elle reflète en effet la qualité du bien immobilier mais aussi de son envi-ronnement : la qualité et la quantité des biens publics locaux ont un impact sur la valeur d’un bien, sur le niveau du loyer. Il est donc normal qu’un foyer disposant des capacités lui permettant de louer ou d’acheter un bien immobilier contri-bue au financement de l’action publique locale au travers d’un impôt basé sur son assiette foncière. Le lien entre le contribuable et l’action publique locale doit être conservé. C’est ce principe qui fonde l’assiette foncière. Cependant la valeur vénale pourrait être prise en compte au lieu de la valeur

Page 132: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

132

Un impôt juste pour une société juste

locative. L’administration fiscale la retient en cas de transac-tion lorsqu’elle est amenée à contester les droits de mutation. Retenir cette base renforcerait l’aspect patrimonial – avec une valeur actualisée2 – de l’impôt, alors que la valeur loca-tive connaît par nature une forte inertie. En revanche, il ne serait pas normal qu’un foyer soit victime des évolutions du marché immobilier causées par une hausse spéculative. Pour l’éviter, des mécanismes de lissage sur un certain nombre d’années, cinq ans par exemple, peuvent être mis en place.

Il demeure essentiel d’éviter que les collectivités locales se livrent une concurrence qui se traduirait immanquablement par une augmentation des inégalités entre elles au détriment des plus pauvres, comme c’est le cas actuellement. Il est donc indispensable de prévoir une contribution de l’État assise sur un mécanisme de péréquation. La contribution économique territoriale des entreprises, qui doit être renforcée, pourrait être répartie selon le lieu d’habitation des salarié·es et non selon l’implantation de l’établissement ou du siège social. C’est là que les besoins sociaux existent. Cette information est disponible puisqu’elle est utilisée dans la Déclaration annuelle des données sociales (DADS) par l’administration pour préremplir la déclaration d’impôt de chaque salarié·e. La solidarité entre communes d’un même bassin géographique doit être également développée. Ce doit être le principal objectif fixé aux mécanismes d’intercommunalité.

Rééquilibrer les ressources localesLe débat sur les finances locales a pris une nouvelle actua-

lité du fait des vagues successives de décentralisation et du projet de réforme territoriale présentée au printemps 2014. Ce débat doit porter tout à la fois sur la base des impôts locaux, le degré d’autonomie fiscale et financière à accorder aux collectivités locales et la concurrence entre collectivités locales que cela est susceptible d’engendrer. La question de

2. Parmi les propositions approchantes, le Conseil des prélèvements obli-gatoires préconise un impôt local basé sur une part du revenu et sur une valeur de marché actualisée (Conseil des prélèvements obligatoires, La fis-calité locale, mai 2010).

Page 133: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

133

l’autonomie des collectivités locales est l’un des principaux enjeux dans une discussion où se mélangent souvent les notions d’autonomie fiscale, d’autonomie financière et de compensation du coût des compétences transférées…

Précisons ici que l’autonomie budgétaire – c’est-à-dire la liberté de gérer un budget et de décider de la répartition de ses dépenses – n’implique pas nécessairement une auto-nomie fiscale ni inversement. Elle est toutefois souvent récla-mée par des élus locaux qui souhaitent exercer pleinement leurs responsabilités et décider du niveau des ressources pour leur action. Le risque est évidemment que l’autonomie fiscale n’aboutisse à aggraver les déséquilibres et les inéga-lités entre collectivités locales : aux collectivités riches des services publics performants à moindre coût (le potentiel fiscal étant élevé et, bien souvent, l’aide sociale minime) et aux pauvres le service public en lambeaux faute de moyens, ces derniers pesant lourdement sur les administrés et étant dirigés vers l’aide sociale, puisque celle-ci relève de plus en plus des collectivités locales.

Face à de tels enjeux, il est nécessaire de rééquilibrer les ressources locales. Outre le nécessaire rééquilibrage de la fiscalité locale entre entreprises et particuliers, cela suppose de :n Se doter d’une réelle péréquation. Il existe deux types de péréquation relevant de conceptions de solidarité dif-férentes : l’une verticale, de l’État vers les collectivités locales, l’autre, horizontale, entre les collectivités locales. En 2013, la première représente 7,97 milliards d’euros et la seconde 0,95 milliard d’euros3. Ces montants soulignent la faiblesse du mécanisme au regard du montant global de la fiscalité locale. Ce constat est d’autant plus inquiétant que les inégalités sont fortes entre communes. La concurrence fiscale joue en faveur des collectivités les plus riches. Elles peuvent pratiquer une politique fiscale offensive, attirer des entreprises et des ménages aisés au détriment des

3. Données de la Direction des collectivités locales dans son rapport de décembre 2013.

Page 134: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

134

Un impôt juste pour une société juste

collectivités plus pauvres qui arrivent difficilement à financer leurs services publics. Pour améliorer l’efficacité de la péré-quation, une piste relativement aisée à mettre en œuvre serait de diminuer la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement et de renforcer les dotations ciblées (avec la prise en compte de critères sociaux : potentiel fiscal, taux de chômage).n Revoir la participation de l’État : une compensation des dégrèvements et l’affectation d’une part de certains impôts nationaux (taxe intérieure sur les produits pétroliers par exemple) doivent être mises en place. De par la dotation globale de fonctionnement, l’État occupe une part pré-pondérante dans le financement des collectivités locales. L’objectif doit être une refonte de cette dotation qui tienne compte de l’évolution du coût réel des compétences trans-férées et qui vise à réduire les inégalités entre collectivités locales.

Page 135: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

135

9. Quelle fiscalité écologique ?

La gravité de la crise globale qui touche l’ensemble de l’humanité s’explique notamment par la dimension écologique de cette crise : le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources, la chute de la biodiversité, l’accumulation de déchets et les multiples pollutions de l’eau, de l’air et des sols sont le résultat d’un mode de développement dont le capitalisme a été porteur depuis deux siècles et qui se heurte aujourd’hui aux limites physiques de la planète. Parmi les procédures imaginées pour réduire cette fracture écologique, mais dont la mise en place est pour l’instant restée très insuf-fisante, ou même inexistante en beaucoup d’endroits, figure la fiscalité écologique. En apparence simple dans son principe, la fiscalité écologique n’est pas sans poser des problèmes et soulever des craintes et des oppositions. C’est sans doute parce qu’elle n’est pas exempte de contradictions potentielles et que sa mise en œuvre suppose des conditions impératives.

Le principe de la fiscalité écologiqueLa fiscalité écologique, dite aussi fiscalité de l’environne-

ment, peut être entendue en deux sens. D’une part, lorsque la fiscalité a pour assiette l’utilisation de la nature ou les dégâts occasionnés à celle-ci. D’autre part, lorsque le produit d’une fiscalité ayant une assiette quelconque est utilisé pour orienter l’activité, les investissements et la consommation, ou pour réparer des dégâts. Les deux formes peuvent être combi-nées. Mais, en réalité, au sens strict, il vaut mieux réserver l’appellation de fiscalité écologique au premier aspect. S’il y a parfois hésitation ou confusion, c’est que la fiscalité peut avoir pour finalités d’inciter à modifier les comportements dans un sens moins néfaste pour l’environnement, ou bien de trouver de nouvelles sources de recettes fiscales, ou

Page 136: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

136

Un impôt juste pour une société juste

encore de réduire les inégalités par le biais de la redistri-bution des revenus, les trois objectifs traditionnels de toute fiscalité progressiste.

Les justifications théoriquesEn laissant croire en leur abondance illimitée, l’économie

capitaliste puise sans retenue sur les ressources fournies par la nature, soit gratuitement, soit en reportant sur la société les coûts qui ne sont pas intégrés dans les prix de marché. Ainsi, se crée un écart entre les coûts collectifs globaux et les seuls coûts privés pris en compte par les entreprises. C’est ce qui justifie la mise en place de taxes pour combler cet écart, et faire ainsi payer par les producteurs et/ou les consommateurs les coûts ignorés jusque-là et considérés comme des « externalités ». Même certains économistes libéraux, à l’instar d’Arthur Cécil Pigou1 au début du 20e siècle qui formula le premier l’idée des écotaxes comme moyen d’instaurer le principe de pollueur-payeur, en convenaient depuis longtemps. Mais au moins deux difficultés théoriques surgissent aussitôt lorsqu’on veut « réinternaliser » les effets externes négatifs2.

La première porte sur la manière d’évaluer le coût réel des dégâts et autres pollutions pour fixer le niveau de la taxe sus-ceptible de pallier l’absence de prix de marché. En théorie, la taxe doit être fixée au niveau du coût marginal d’une pollution supplémentaire. Mais comment évaluer le coût de la dégra-dation des nappes phréatiques par les élevages industriels ou celui de l’enfouissement des déchets nucléaires pour des siècles ou millénaires ? Il n’existe aucune méthode satisfai-sante et les critères économiques ne sont pas opératoires.

1. A.C. Pigou, The Economics of Welfare, London, Macmillan, 1920, éd. fr. L’économie du bien-être, Paris, Dalloz, 1958.2. Pour un approfondissement technique, voir R. Passet, L’économique et le vivant, 2e éd., Paris, Economica, 1996 ; J.-M. Harribey, L’économie éco-nome : Le développement soutenable par la réduction du temps de travail, Paris, L’Harmattan, 1997 ; J.-M. Harribey, La richesse, la valeur et l’inesti-mable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capita-liste, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013 ; A. Lipietz, « Économie politique des écotaxes », dans Conseil d’analyse économique, Fiscalité de l’environ-nement, Paris, La Documentation française, Rapport n° 8, 1998, p. 9-39.

Page 137: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

137

La seconde difficulté vient du fait que, au sein de l’approche libérale de l’environnement, la fiscalité écologique entre en concurrence avec une autre méthode d’internalisation, ima-ginée par l’économiste Ronald Coase3 : l’attribution de droits de propriété ou d’usage sur l’environnement, négociables sur un marché. C’est cette dernière méthode qui a été choisie dans le cadre du protocole de Kyoto (1997) pour réduire au plan mondial les émissions de gaz à effet de serre, et qui a été mise en œuvre en Europe depuis 2005, au motif déclaré que l’efficacité serait meilleure car le marché permettrait de réduire les émissions au moindre coût pour le monde entier. Or rien n’est moins sûr. Le cas du réchauffement climatique est à cet égard révélateur. D’une part, le marché européen des quotas d’émission est un échec complet car le cours de la tonne de carbone s’est effondré, tandis que ce marché devenait de plus en plus spéculatif. D’autre part, le réchauf-fement étant dû à la concentration des gaz à effet de serre, c’est-à-dire au stock accumulé dans l’atmosphère qui varie peu à court terme, les coûts marginaux de réduction de la pollution augmentent plus vite que les coûts marginaux des dommages. Dans un cas comme celui-là, la taxe est plus efficace que les permis d’émission négociables4. Pourtant, elle a été refusée au niveau international, la préférence ayant été donnée à l’émergence d’une finance carbone.

La place de l’intervention publiqueÀ première vue, tout oppose la fiscalité écologique et les

permis d’émission. Or, dans le cas d’une taxe écologique, la régulation est confiée au prix, et le marché ajuste ensuite les quantités. Dans le cas des permis d’émission, la régulation est assurée par la fixation de la quantité de pollution à ne pas dépasser, et le marché ajuste les prix en conséquence. Dans

3. R.H. Coase, « The problem of social cost », The Journal of Law and Economics, vol. 3, octobre 1960, p. 1-44, www.jstor.org/discover/10.2307/724810?uid=3738016&uid=2&uid=4&sid=21103119311387.4. La démonstration a été proposée par M.L. Weitzmann, « Prices versus quantities », Review of Economic Studies, vol. 41, n° 4, 1974, p. 477-491, www.uio.no/english/research/interfaculty-research-areas/milen/news-and-events/events/courses/Weitzman.pdf.

Page 138: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

138

Un impôt juste pour une société juste

les deux cas, des mécanismes de marché interviennent dans un cadre réglementaire. En effet, l’entrée en action de ces mécanismes de marché est impossible sans intervention de l’État. Un choix politique a priori sur la norme écologiquement et socialement souhaitable doit être effectué, directement pour les droits qui seront échangés, ou indirectement pour fixer le bon niveau de la taxe. Si le cours du quota « tonne de carbone » s’est effondré sur le marché quelques mois après sa mise en place par l’Union européenne, c’est parce que la quantité de quotas d’émission était bien trop grande. Au contraire, plus les normes pour la mise en circulation des permis seraient particulièrement sévères, moins ledit marché serait un vrai marché, puisque l’un des côtés de celui-ci (la quantité) serait choisi de telle sorte que la volonté politique primerait sur toute considération marchande.

En d’autres termes, les normes, les taxes et les permis appartiennent à des registres différents mais dont il ne faut pas cacher qu’ils relèvent de l’action collective : il n’y a pas de taxes sans normes pour définir le bon niveau de celles-ci, de façon à faire payer le prix de la pollution ; il n’y a pas non plus de permis d’émissions sans normes pour définir la quantité à ne pas dépasser. La norme se différencie nettement de la taxe et du permis dans le cas où elle est une interdiction pure et simple. Mais, même là, s’il y a des sanctions prévues pour violation de l’interdiction, on va retrouver l’idée d’une taxe sous forme de pénalité après avoir constaté que la quantité de pollution autorisée a été dépassée. Cela doit inciter à cer-ner les contradictions auxquelles doit faire face une fiscalité écologique ainsi que les conditions pour les surmonter.

Les conditions d’une fiscalité écologiqueAlors que la crise écologique est patente, on comprend

dans quelle direction veulent aller les politiques néolibé-rales. Tout le discours dominant consiste à délégitimer les procédures d’ordre réglementaire, c’est-à-dire celles qui pré-fèrent imposer des obligations (de ne pas polluer, de réduire

Page 139: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

139

certaines consommations de matières, d’interdire certaines substances ou certains procédés de production, ou au contraire d’imposer des nouveaux procédés…). Ainsi, fau-drait-il écarter le plus possible une « logique de contrainte » pour laisser le marché agir : « La réglementation a comme défaut majeur d’un point de vue économique son applica-tion uniforme à tous les agents, sans tenir compte des diffé-rences de coûts de dépollution entre entreprises. Elle reste indispensable pour des pollutions jugées particulièrement dangereuses pour la santé (cf. interdiction de commerciali-ser et d’utiliser de l’amiante), ou des cas de risques d’effets irréversibles et/ou très importants5. » On retrouve le même choix dans le Livre blanc sur le financement de la transition écologique sous-titré sans ambiguïté « Mobiliser les finan-cements privés vers la transition écologique » publié par le gouvernement français6, parce que « les États n’ont ni la vocation ni la capacité, à eux seuls, d’assurer financièrement la transition écologique. Il s’agit donc avant tout d’orienter les choix d’investissement, de consommation et d’épargne des acteurs économiques (ménages et entreprises) dans un sens favorable à la préservation de l’environnement par des signaux adaptés7 ». Derrière cette posture d’une relégation de l’intervention publique à la seule surveillance des condi-tions de la concurrence sur le marché, il y a l’idée que le financement de la transition écologique ne peut venir que du drainage de l’épargne préalable, et qu’en aucun cas la création monétaire ne peut être utilisée pour financer des investissements d’avenir8.

5. C. Wendling, « Les instruments économiques au service des politiques environnementales », Trésor-éco, Direction générale du Trésor et de la poli-tique économique, n° 19, septembre 2007, www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Tresor-Eco19-Instruments_economiques_pour_politiques_environnementales_-_septembre_2007.pdf.6. Direction générale du Trésor, Commissariat général au développement durable, sous la supervision de D. Drion et avec le concours de T. Francq, novembre 2013, www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Livre_blanc _sur_le_financement_de_la_transition_ecologique.pdf.7. Ibid., p. 3-4.8. Curieusement, le Livre blanc du gouvernement ne fait pas référence au rapport récent du CESE, « Financer la transition écologique et énergé-

Page 140: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

140

Un impôt juste pour une société juste

Dans une optique radicalement différente, afin d’assurer la justice sociale et réussir la reconversion écologique, l’impor-tant est de mettre la politique à la barre parce que le marché est incapable de déterminer une norme autre que celle de la rentabilité et une répartition autre que celle qui avantage les plus riches. Lorsque la norme souhaitée par la société a été démocratiquement décidée, il reste à orienter la répartition de manière juste. Pour cela, on peut jouer sur les prix et sur les quantités. Mais si la fiscalité écologique se contentait d’être un supplément de prix, elle ne serait pas plus juste que des quotas finissant dans les caisses des acteurs économiques les plus riches. Elle doit être intégrée dans le cadre d’une fiscalité entièrement rénovée, notamment sur la base de la progressivité.

Première condition : la fiscalité écologique ne doit pas être neutrePlus une fiscalité dont l’assiette est environnementale est

efficace en termes de transformation des processus de pro-duction et de consommation, plus elle a tendance à raréfier sa base même. C’est d’ailleurs le propre de toute fiscalité à vocation incitative, par exemple une taxe sur les transactions financières internationales qui vise à faire reculer drastique-ment la spéculation et, simultanément, le produit de cette taxe. Cet apparent paradoxe ne doit pas être vu comme une contradiction empêchant d’adopter de telles fiscalités, mais comme une raison supplémentaire d’intégrer la fiscalité éco-logique dans une profonde réforme fiscale d’ensemble.

À cet égard, il faut refuser toute réforme dans une optique de neutralité fiscale, les taxes écologiques se substituant à d’autres recettes fiscales ou, pire, se substituant aux coti-sations sociales finançant la protection sociale, ainsi que le

tique », rapport de G. Virlouvet, 20 septembre 2013, www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2013/2013_18_%20financer_transition_ecologique_energetique.pdf. Sur la place de la création monétaire dans le financement des investissements, voir J.-M. Harribey, « Amorcer la transition écologique en Europe », in Les Économistes atterrés, Changer l’Europe, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013, p. 23-55 ; version complète : http://harribey.u-bor-deaux4.fr/travaux/soutenabilite/transition-ecologique-europe.pdf.

Page 141: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

141

réclame le Medef. Alors que les besoins en matière d’envi-ronnement s’ajoutent aux autres besoins sociaux, la neutralité fiscale s’inscrit dans une politique globale de restriction de l’action publique. C’est ainsi que la réforme de la fiscalité environnementale initiée par le gouvernement Fillon en 2010 dans le cadre du Grenelle de l’environnement entendait obéir au principe suivant : « La réforme a été construite de façon à ce que, sur trois ans, l’accroissement des recettes fiscales soit exactement compensé par l’augmentation des aides fis-cales9. » À cette heure, on n’a pas encore vu le gouvernement s’écarter de cette voie libérale.

Deuxième condition : la justice fiscaleDiscuter des objectifs d’une fiscalité écologique ne peut

être séparé de la question de savoir sur qui et sur quoi elle repose. On y retrouve la plupart des caractères de la fiscalité en général.

Puisque les entreprises répercutent sur les prix des biens et services la totalité de leurs coûts, tant ceux dont elles ont la maîtrise que ceux dont la prise en charge leur serait impo-sée, les consommateurs ne sont-ils pas finalement toujours en dernier ressort les « pollueurs-payeurs », les entreprises n’étant que des intermédiaires ? Oui et non.

L’introduction d’un paiement pour sanctionner la pollution par exemple n’a pas exactement le même effet selon qu’il intervient à un moment ou à un autre du cycle production-consommation. Il s’agit du même problème que celui qui naî-trait si l’on basculait d’un financement de la protection sociale par des cotisations sociales à un financement par l’impôt. Au final, c’est toujours le consommateur-contribuable-cotisant qui « paie ». Mais l’éventuel basculement du financement de la protection sociale ou, ici, une fiscalité écologique pré-levée au niveau des entreprises ou au niveau des ménages, n’est jamais homothétique au regard de la répartition des

9. Ministère de l’écologie, de l’énergie, de développement durable et de la mer, « 2010, La fiscalité environnementale prend son essor », www.deve-loppement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/La_fiscalite_environnementale_2010_light-2.pdf.

Page 142: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

142

Un impôt juste pour une société juste

revenus, c’est-à-dire des rapports sociaux. En effet, des écotaxes pèsent sur la consommation et ne sont donc pas redistributives.

Il est donc impératif que la mise en place d’une fiscalité écologique soit accompagnée d’une politique redistributive des revenus. C’est l’absence d’une telle politique qui explique le rejet massif du projet de taxe carbone de Nicolas Sarkozy en 2009 ainsi que le tollé provoqué par le projet d’écotaxe de François Hollande en 2013 [u Encadré]. La taxe carbone de l’époque fermait ostensiblement les yeux sur les consé-quences du renchérissement des coûts de transport des couches sociales pauvres, dont l’habitat est très éloigné des centres-villes ou des lieux de travail. Si les gouvernements avaient voulu soit reporter cyniquement le poids de l’ajus-tement écologique sur les plus pauvres, soit tuer pour un bon bout de temps l’idée d’une fiscalité écologique, ils ne s’y seraient pas pris autrement.

L’accompagnement social d’une fiscalité écologique ne se limite pas à la question monétaire. Une transformation de l’urbanisme, une aide à l’amélioration des logements (si nécessaire, sous conditions de ressources), une politique empêchant la spéculation foncière et le développement des transports collectifs sont indispensables pour faire en sorte que la charge de l’ajustement écologique pèse d’abord sur les classes privilégiées. De fil en aiguille, on prend la mesure du fait que la question écologique est une question éminemment sociale qui rejoint la problématique générale de transforma-tion des rapports sociaux, notamment en ce qui concerne les finalités du travail et donc de l’activité productive, ou bien en ce qui concerne le problème foncier qui renvoie à celui de la propriété. Cela montre que la fiscalité écologique doit être mise en cohérence avec la fiscalité sur les revenus et sur le patrimoine.

Certains dispositifs fiscaux sont venus s’ajouter au cours des années récentes, qui se sont révélés peu écologiques ou peu sociaux. Ainsi, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qui a été introduite en 1999 est d’un faible impact

Page 143: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

143

(459 millions d’euros dans la loi de finances de 201410). Il existe aussi des formes de crédits d’impôt, par exemple pour aider à l’installation d’équipements plus sobres, mais dont le principal défaut est de se diriger vers les catégories sociales aisées, à même de projeter d’améliorer leur habitation. Et, durant une courte période (du 1er octobre 2000 au 21 juillet 2002), le gouvernement français avait introduit une « TIPP flottante » dont le principe était de diminuer la TIPP lorsque le prix de base des produits pétroliers montait et de l’augmen-ter dans le cas inverse. La tendance à la hausse du prix du pétrole avait conduit à la suppression de ce caractère flottant car cela raréfiait durablement les recettes fiscales.

Répartition de l’ensemble des taxes environnementales prélevées en France en 2010

Taxes environnementales En millions d’euros

Taxes sur l’énergiedont Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, ex-TIPP)

29 31624 200

Taxes sur le transport 5 481

Taxes sur la pollutiondont TGAP (hors carburants et matériaux d’extraction)Redevances pollution de l’eau

1 930 4151 458

Taxes sur les ressourcesdont Redevances prélèvement de l’eau

377305

TOTAL 37 104

Source : Commissariat général au développement durable, « Inventaire des taxes environnementales en France », Rapport-Développement durable, Document de travail, n° 9, décembre 2012, p. 57, www.statistiques.devel-oppement-durable.gouv.fr/publications/p/1943/1371/inventaire-taxes-envi-ronnementales-france.html.

10. Ce chiffre provient du « Projet de loi de finances pour 2014 », www.performance-publique.budget.gouv.fr/fileadmin/medias/documents/res-sources/2014/PLF2014/PLF2014.pdf. La TGAP comprend huit compo-santes : 1) le stockage et l’élimination des déchets ; 2) l’émission dans l’atmosphère de substances polluantes ; 3) le décollage d’aéronefs sur les aérodromes recevant du trafic public ; 4) la production d’huile usagée ; 5) les préparations pour lessives et les produits adoucissants et assouplissants pour le linge ; 6) les matériaux d’extraction ; 7) les produits antiparasitaires à usage agricole et les produits assimilés ; 8) l’autorisation d’exploitation et l’exploitation des établissements industriels et commerciaux qui présentent des risques particuliers pour l’environnement.

Page 144: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

144

Un impôt juste pour une société juste

La taxe intérieure de consommation sur les produits éner-gétiques (TICPE) est la principale taxe de type environne-mental prélevée en France. Elle représentait 24 milliards d’euros en 2010 (1,21 % du PIB), sur un total de 37 milliards de taxes environnementales (1,86 % du PIB). L’ensemble des taxes environnementales représente donc moins de 2 % du PIB et a été plutôt en diminution au cours des dernières années. De plus, la TICPE n’est pas exempte de défauts, notamment elle ne s’applique pas à la consommation de gaz, de charbon et d’électricité d’origine nucléaire.

L’écotaxe : oui au principe, mais tout dépend des modalitésPromise pendant le Grenelle de l’environnement en 2007, une taxe carbone avait fait l’objet d’une loi adop-tée en 2009, mais censurée par le Conseil constitution-nel. Le gouvernement Ayrault a remis en chantier ce projet à travers la contribution climat-énergie assise sur l’énergie (carburants, charbon, gaz, fioul). Ainsi, la loi de finances 2014 instaure-t-elle cette contribution, à raison de 7 euros la tonne d’équivalent-carbone en 2014, puis

Évolution de 2000 à 2010 des recettes fiscales environnementales,des taxes sur les produits

et de l’ensemble des prélèvements obligatoires

Base 100 en 2000.Source : SoeS d’après Insee, compte nationaux.

Page 145: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

145

14,50 euros en 2015 et 22 euros en 2016. Cette contri-bution rapporterait 340 millions d’euros en 2014, 2,5 mil-liards en 2015 et 4 milliards en 2016. Trois milliards sur quatre seront redistribués aux entreprises dans le cadre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Le milliard restant financera le taux réduit de TVA appli-cable aux travaux de rénovation énergétique des loge-ments et au logement social.Une taxe sur le transport en poids lourds devait être appliquée à partir du 1er janvier 2014, après avoir été plusieurs fois retardée dans sa mise en œuvre. Sous la poussée des lobbies influents en Bretagne, l’application a été suspendue sur tout le territoire.L’écotaxe initiale avait trois défauts. La concession, dans le cadre d’un partenariat-public-privé, du prélèvement de cette taxe sur les poids lourds à une société privée Eco-mouv qui s’offre 20 % du produit de la taxe. Ensuite, seule l’utilisation des routes départementales et natio-nales était assujettie à la taxe. Enfin pour être économi-quement viable et socialement acceptable, la diminution du transport par camions au profit du ferroutage, du fret ferroviaire ou du transport fluvial doit être accompagnée de ces offres alternatives. Or elles sont pénalisées par le quasi-doublement en deux ans du taux de TVA (de 5,5 % à 10 % entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2014). Malgré la coalition hétéroclite contre l’écotaxe, sur fond de crise sociale, qui agrège les victimes du pro-ductivisme et ses responsables, le principe d’une fisca-lité écologique doit être préservé. Ce ne sera possible que si elle s’inscrit dans une perspective de plus grande justice sociale. En juin 2014, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a présenté le projet de loi sur la transition énergétique qui doit venir devant le Parlement durant l’automne. L’ensemble des propositions apparaissent comme miti-gées, notamment parce que l’objectif de réduire à 50 % la part de l’électricité provenant du nucléaire reste flou. Mais, surtout, les moyens financiers pour parvenir à réduire de moitié la consommation énergétique finale en 2050 (de 30 % en 2030) ne sont pas à la hauteur

Page 146: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

146

Un impôt juste pour une société juste

des enjeux. En particulier, après la fronde des « bonnets rouges », le projet se limite à une écotaxe minimaliste : la taxe « péage de transit poids lourd » ne concernera que 4 000 km de routes au lieu de 15 000 et s’appli-quera aux camions de plus de 3,5 tonnes. Elle est pré-vue de rapporter 500 millions d’euros par an – au lieu de 800 millions –, une goutte d’eau par rapport aux 50 ou 60 milliards nécessaires pour engager une véritable transition. C’est une vision au rabais qui traduit une phi-losophie consistant à parier sur les financements privés plutôt que sur les investissements publics.

Troisième condition : l’harmonisation internationaleLa liste des produits servant d’assiette est fixée par l’Union

européenne11. Il ressort que la décennie 2000 a été marquée

11. Directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 « restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électri-cité », http://eur-lex.europa.eu/smartapi/cgi/sga_doc?smartapi!celexapi!prod!CELEXnumdoc&lg=FR&numdoc=32003L0096&model=guichett.

Part des recettes fiscales environnementales dans le PIB en 2010dans l’Union européenne (en %)

Source : Commissariat général du développement durable, « Les taxes environne-mentales en 2010 », Chiffres et statistiques, n° 361, novembre 2012.

Page 147: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

147

par l’érosion des taxes sur l’énergie par rapport au PIB au sein de l’Union européenne12.

Propositions pour une fiscalité écologique rénovéePour arriver à dépasser ses contradictions potentielles, il

est très important d’intégrer la fiscalité écologique dans une fiscalité réformée autour de la progressivité [u Autres cha-pitres] et de la concevoir avec des assiettes multiples13.

La base de la fiscalité écologiqueParmi les assiettes possibles et nécessaires :n taxe sur l’utilisation de l’énergie ;n taxe sur le transport ;n taxe sur le type de véhicule ;

12. Voir J.-M. Harribey, « Amorcer la transition écologique en Europe » in Les Économistes atterrés, Changer l’Europe !, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013, p. 23-55, Version complète : http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/soutenabilite/transition-ecologique-europe.pdf.13. Ne pas confondre la multiplicité des assiettes possibles et l’unicité de la source sur laquelle est effectué le prélèvement, à savoir la valeur ajoutée, c’est-à-dire en fin de compte le travail humain.

Évolution du poids des taxes sur l’énergiepar rapport au PIB et à la consommation d’énergie

Source : Commissariat général du développement durable, « Les taxes environne-mentales en 2008 », Chiffres et statistiques, n° 204, avril 2011, www.developpe-ment-durable.gouv.fr/Les-taxes-environnementales-en.html.

Page 148: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

148

Un impôt juste pour une société juste

n taxe sur l’utilisation de l’eau ;n taxe sur l’empreinte écologique des produits ;n taxe sur les déchets ;etc.

Chacune de ces taxes devra être différenciée en fonction des utilisations. Par exemple, l’usage de l’eau pour boire et celui pour remplir la piscine privée ne doivent pas être taxés également.

Ces taxes ne doivent pas se substituer à celles dont l’as-siette aurait une relation moins étroite avec l’écologie, par exemple les taxes sur les transactions de change et autres transactions financières, ou encore les impôts sur les béné-fices consolidés des multinationales, mais dont les recettes iraient à des réalisations de protection ou de réparation de l’environnement.

La fiscalité écologique préférable aux droits de douaneLa mise en place d’une fiscalité écologique s’intègre dans

une régulation mondiale de l’environnement, notamment dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Elle dépasse donc le cadre national. Elle est préférable à l’ins-tauration de droits de douane à l’encontre de marchandises produites dans de mauvaises conditions sociales et environ-nementales. En effet, au lieu d’imposer des droits de douane de manière unilatérale sur les seules importations, la fisca-lité écologique peut être appliquée aux produits nationaux et étrangers. Par exemple, une taxe au kilomètre de produit transporté s’appliquerait aux transports des marchandises à travers le monde, d’où qu’elles viennent. De plus, elle peut n’être pas linéaire mais progressive en fonction des kilo-mètres parcourus et/ou des usages des produits transportés.

La fiscalité écologique pour le bien communLa fiscalité écologique ne se substitue pas à une action à

la source des pollutions ou de l’utilisation des ressources. La priorité revient à une action pour prévenir les dégradations et organiser les économies de toutes sortes, notamment

Page 149: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

149

d’énergie. La réglementation et les normes contraignantes, assorties de contrôles et sanctions, les politiques de recon-version en matière industrielle, agricole, de transport… sont indispensables. La fiscalité doit accompagner l’ensemble de ces politiques et non pas se contenter de donner un supplé-ment de prix aux usages de la nature.

En définitive, la mise en place d’une fiscalité écologique novatrice s’inscrit dans une politique de défense et de déve-loppement des biens communs qui, à l’échelle mondiale, doit constituer une composante essentielle des taxes globales.

Page 150: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 151: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

151

10. L’urgence d’une fiscalité européenne et internationale

Avec la crise, il est devenu encore plus urgent de mettre fin au dogme de la concurrence fiscale. Il importe d’enga-ger un processus de rapprochement et d’harmonisation des systèmes fiscaux européens, à même d’assurer des recettes fiscales suffisantes pour couvrir, dans tous les pays, toutes les dépenses publiques nécessaires, le soutien au revenu des ménages et l’indispensable solidarité à renforcer à l’intérieur de chaque pays, et notamment entre pays de l’Union euro-péenne. L’accord européen sur l’aide apportée à l’Irlande suite à la crise financière qui prévoit le maintien du taux de l’impôt sur les sociétés à 12,5 % dans ce pays, taux largement infé-rieur au taux moyen des autres pays de l’Union européenne, a montré la profondeur de l’ancrage idéologique libéral chez les décideurs gouvernementaux : la grande majorité des contri-buables des pays de l’Union européenne va payer le dogme de la concurrence fiscale. Pourtant aujourd’hui, devant la vio-lence de la concurrence fiscale en Europe, certains écono-mistes libéraux se rallient à des propositions de coordination fiscale, par exemple pour l’instauration d’un taux minimum d’impôt sur les sociétés.

Pour une harmonisation fiscale au sein de l’Union européenneAujourd’hui, il s’agit de choisir entre une stratégie de

poursuite d’une concurrence fiscale au sein de l’Union euro-péenne, ou une stratégie d’organisation commune de la fisca-lité afin précisément de mettre fin à cette concurrence, de fait déloyale. L’harmonisation fiscale européenne est technique-ment possible et ne peut qu’être progressive. Une première

Page 152: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

152

Un impôt juste pour une société juste

étape pourrait être l’adoption d’un « serpent fiscal européen », de même que la monnaie unique a été précédée d’un serpent monétaire européen. Un tel processus aurait pour objectif de limiter puis de réduire les écarts entre les systèmes fiscaux. Il s’organiserait autour de l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés (avec l’instauration d’un taux plancher pour stopper la course à la baisse), de l’harmonisation de la TVA (avec l’instauration, à l’opposé, de taux plafonds) et d’un système d’échange automatique d’informations visant à permettre l’imposition de l’ensemble des revenus d’un contribuable dans son pays de résidence (y compris ceux réalisés à l’étranger, comme les revenus de l’épargne).

Dans ce cadre, il s’agirait aussi de renforcer la lutte contre la fraude en intensifiant l’utilisation de la procédure de contrôle multilatéral coordonné et en avançant sur le terrain de l’harmonisation des procédures de contrôle : l’instauration d’un droit de suite, dans le cadre du contrôle d’une société, permettrait ainsi d’effectuer des investigations dans un autre État membre où serait implantée une société liée à la société vérifiée. La levée du secret bancaire doit devenir une réa-lité grâce à un échange généralisé automatique et rapide d’informations. À terme, l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés aurait le mérite de solutionner certains déséquilibres internes à l’Union européenne, comme celui provenant des prix de transferts par lesquels les bases imposables de l’IS se déplacent d’un État à un autre en fonction des taux d’impo-sition. En avril 2011, la Commission européenne a relancé sa proposition d’un régime commun en matière d’assiette imposable des entreprises exerçant leur activité dans l’Union européenne, dénommé « assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés » (ACCIS). Mais rien n’est prévu en matière de taux, ce qui n’empêchera donc pas la concurrence fiscale de s’exercer à plein. Par ailleurs, l’ACCIS sera faculta-tive, ce qui veut dire que les sociétés potentiellement concer-nées ne l’utiliseront que si elle leur permet de réduire leur impôt sur les sociétés. Plutôt que d’en faire un régime déro-gatoire supplémentaire, il conviendrait de rendre ce régime obligatoire et d’instaurer parallèlement un « taux plancher ».

Page 153: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

153

Une fiscalité européenne spécifique affectée aux biens publics européens et aux solidarités européennes

De même qu’un budget national peut mesurer le niveau de socialisation d’un État, le budget de l’Union européenne reflète le niveau d’ambition en matière de politiques communes. Or de longue date, ce budget ne représente qu’environ 1 % du revenu national brut de l’Union européenne, témoignant des limites des redistributions envisageables entre États, comme des possibilités limitées d’intervention de l’Union européenne à l’interne comme à l’externe. La solidarité nécessaire à l’in-térieur d’une union n’a pu s’exercer à l’intérieur de l’Union européenne, ce qui pousse les nouveaux entrants à jouer le dumping fiscal et social. La politique budgétaire de l’Union européenne aboutit à renforcer la concurrence entre les États, ce qui est toujours défavorable au travail, aux lois sociales et aux solidarités.

Il y a donc urgence à augmenter les moyens financiers engagés collectivement au niveau de l’Union européenne. Ceci doit se faire à partir de choix démocratiques clairs déter-minant ce qu’il y a lieu de financer ensemble : solidarités entre les régions et les populations, grands travaux, équipements et services publics, recherche, actions en faveur de l’envi-ronnement, toutes politiques jugées utiles et plus efficaces au plan européen.

Cette orientation peut être atteinte par un renforcement des actuelles contributions des États membres et/ou par la mise en place de taxes ou d’impôts au niveau de l’Union européenne. L’idéologie libérale y est particulièrement hos-tile puisque cela revient à rompre avec le dogme du « moins d’impôt » et de la concurrence fiscale. Chez les partisans de l’instauration d’un budget européen renforcé, il est parfois pré-conisé de mettre en place au niveau européen une écotaxe (sur les émissions de CO2) ou un impôt sur les sociétés, sur la base d’une assiette consolidée par exemple.

Page 154: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

154

Un impôt juste pour une société juste

Pour une coopération fiscale libre et non faussée et la révision des normes comptablesAu plan mondial, comme au plan de l’Union européenne,

c’est aussi le principe de concurrence fiscale qui est privi-légié, et les trous noirs que constituent les paradis fiscaux et les territoires offshore sont autant d’éléments dynamisant la concurrence fiscale sous toutes les latitudes. Les princi-pales places financières mondiales, et en premier lieu la City de Londres et Wall Street à New York, mais aussi le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, l’OCDE sont autant d’outils au service des multinationales pour mettre en place et accroître une concurrence fiscale exacerbée qui conduit à offrir sur le marché mondial de la fiscalité des taux d’imposition différents.

Les méfaits multiples de la généralisation de la concurrence fiscale rendent nécessaire une tout autre orientation, celle d’une coopération fiscale progressive. Ceci devrait déjà se faire entre les États proches géographiquement et écono-miquement (Amérique du sud, Amérique du nord, Europe, Afrique subsaharienne, etc.). Et ceci devrait être un axe de l’Organisation des Nations unies pour favoriser la signature d’accords internationaux en matière de (véritable) coopéra-tion fiscale. Actuellement, les accords internationaux que sont les conventions fiscales visent surtout à éviter les doubles impositions, tant et si bien que trop souvent elles conduisent à rendre difficile toute imposition de certains revenus.

Une étape dans la voie d’une coopération fiscale interna-tionale concerne l’adoption de normes comptables arrêtées d’un commun accord entre tous les pays. Ceci conduirait à abandonner les normes comptables actuellement privilé-giées par des organismes comptables privés, qui ont leur part de responsabilité dans l’éclatement de la crise financière de 2007-20081. Dans ce cadre, il faut demander la création

1. Ces normes retiennent la valeur au jour le jour des biens et des actifs, particulièrement des actifs financiers dans les bilans des entreprises. Dans une phase de spéculation financière, des actifs ont été très surévalués et

Page 155: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

155

d’une autorité fiscale mondiale qui, sous l’égide de l’ONU, coordonnerait les travaux et les mesures à prendre contre la concurrence fiscale et l’évitement à l’impôt.

Pour des mesures internationales efficaces contre la finance offshore, les paradis fiscaux et judiciaires et leurs utilisateursLa coopération fiscale libre et non faussée à mettre en

place progressivement au plan international doit comporter un volet de lutte contre la fraude fiscale, notamment en facilitant des coopérations entre les États, par des accords types inter-nationaux. L’ONU a un rôle déterminant à tenir en fixant par exemple des normes internationales sur l’échange d’informa-tion, le droit de suite, la coopération entre les administrations fiscales et sur l’aide à apporter aux administrations fiscales des pays en développement.

Une étape indispensable consiste à agir de façon déter-minée contre les paradis fiscaux et contre leurs principaux utilisateurs, qui en sont parfois plus ou moins les initiateurs. Il ne suffit pas de les montrer du doigt ni d’en mettre certains à l’index comme l’ont fait le G 20 et l’OCDE. Pour être effi-cace, il faut viser aussi Jersey, le Delaware, l’île Maurice, la Barbade et la City de Londres. C’est dire si la volonté politique doit être forte et si la pression sur la finance internationale doit être constante et résolue. L’action contre ces territoires pourra s’accompagner d’une aide internationale pour aider à leur reconversion économique, sachant que les bénéfices que tirerait la communauté internationale de la suppression des paradis fiscaux seraient assurément plus importants que le coût de cette aide.

Il faudrait particulièrement mettre les utilisateurs des para-dis fiscaux sous pression : les banques et les conseillers

ont permis à des entreprises de se lancer dans de nouvelles opérations fortement risquées.

Page 156: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

156

Un impôt juste pour une société juste

fiscaux, en les obligeant à fournir des informations sur les opérations menées par leurs clients ; les entreprises multi-nationales en leur demandant de présenter leurs activités et leurs résultats pays par pays (on parle d’obligation de repor-ting) ; les banques encore en leur demandant de préciser annuellement leurs implantations et leurs activités dans les paradis fiscaux. Pour rendre plus difficile la fraude fiscale, il faut rendre plus difficile le recours aux sociétés écrans en commençant par exiger de chaque État ou territoire de tenir un registre des trusts et des structures juridiques opaques existant dans son droit national. Un fichier des comptes ban-caires devrait être dressé dans chaque État et accessible dans certaines conditions aux autorités judiciaires. Cette amé-lioration de l’action internationale contre la fraude et l’évasion fiscales devrait mettre fin à la relative impunité dont bénéfi-cient actuellement leurs auteurs. Il faudrait aussi unifier au niveau international la définition légale de la fraude fiscale et exiger que le Groupe d’action financière (GAFI) en fasse une infraction sous-jacente au blanchiment d’argent.

Des taxes globales pour financer biens publics communs mondiaux et solidarités internationalesDans la recherche d’alternatives à la mondialisation finan-

cière, le mouvement social et altermondialiste propose depuis plusieurs années la création de « taxes globales », la fin des paradis fiscaux et judiciaires et, globalement, une meilleure coordination des politiques fiscales dans le monde.

Cette coopération fiscale entre les États, remplaçant pro-gressivement la concurrence fiscale mondiale, aurait pour autre avantage de préserver la possibilité de financer les dépenses publiques et les budgets sociaux pour développer les indispensables biens publics mondiaux. On pourrait ainsi établir progressivement une pression fiscale relativement homogène à l’échelle internationale, sans ces trous noirs que sont les territoires sans lois dans lesquels s’enfoncent de très

Page 157: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

157

nombreux budgets publics. Ceci mettrait un frein à l’actuelle dégradation des finances publiques des pays du Nord comme du Sud. Un aspect de cette coopération internationale pourrait prendre la forme d’une harmonisation des politiques fiscales nationales. La création de taxes globales communes est un autre aspect de cette coopération, l’utilisation des recettes communes relèverait de la décision collective de la com-munauté internationale. Là aussi, l’échelon le plus adapté serait l’ONU, moyennant une réforme en profondeur de cette institution.

Plusieurs pistes sont régulièrement avancées dans le débat public quant à la mise en place de taxes globales. Parmi elles, figure l’imposition des bénéfices des multinationales dont la surface financière leur permet, de fait, d’élaborer des schémas financiers avantageux : elles peuvent décider de leurs lieux d’imposition et de leur niveau global d’imposition (grâce au tax-planning), par leurs implantations, leurs struc-tures (filiales, participations…) et l’optimisation des différents régimes d’imposition… et parfois, la fraude. Une taxe sur les bénéfices des multinationales permettrait notamment de neutraliser, à hauteur du taux de cet impôt, le jeu des prix de transfert et de certaines pratiques d’optimisation fiscale. S’agissant des particuliers, un impôt général sur le patrimoine (financier et immobilier) pourrait être instauré afin de limiter de même les pratiques d’optimisation et d’évasion fiscale.

La plus connue des taxes globales est cependant la taxe sur les transactions de change et de bourse, communément appelée taxe sur les transactions financières (TTF). Cette taxe vise à lutter contre la spéculation. Le montant des tran-sactions rapporté à l’économie réelle et les conséquences économiques et sociales de la spéculation montrent l’urgence qu’il y a à dissuader les mouvements spéculatifs en les impo-sant, de telle sorte que les allers-retours soient plus taxés sur les flux courts. Les recettes générées par cette taxe, dont le but ultime est de réduire la spéculation (et donc au final, de ne rien rapporter…) pourraient permettre de financer, au moins temporairement, l’aide au développement.

Page 158: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

158

Un impôt juste pour une société juste

Il s’agit d’une pièce au sein d’un dispositif d’ensemble ayant pour objet de faire reculer le pouvoir des marchés financiers et de renforcer le pouvoir des citoyens sur la façon dont l’éco-nomie est financée. Comme l’indiquait James Tobin lorsqu’il a le premier formulé la proposition d’une TTF, il s’agit, en freinant les mouvements de capitaux, de rendre à chaque pays, ou zone monétaire, davantage d’autonomie dans la fixation des taux d’intérêt prévalant sur son marché intérieur. Dans les conditions actuelles, la TTF aurait pour but de limiter la dépendance des entreprises et du secteur public vis-à-vis des mouvements de capitaux. Un financement des services publics et des investissements préservant à la fois l’environ-nement et la capacité de création de valeur ajoutée dans les territoires pourrait alors davantage faire appel à un crédit ban-caire obéissant à une nouvelle sélectivité. En d’autres termes, la proposition d’une taxe sur les mouvements de capitaux est inséparable de l’action pour une réorientation radicale de la politique monétaire. Au lieu de valider une création monétaire qui nourrit un gonflement monstrueux de la sphère financière et produit des crises de plus en plus violentes comme elles le font depuis trente ans, les banques centrales verraient leurs objectifs réorientés vers le soutien à l’emploi et vers la créa-tion de richesses réelles, sous le contrôle des citoyen·nes. Cela vaut tout particulièrement pour la Banque centrale euro-péenne et les banques centrales nationales qui, avec elle, forment l’eurosystème. Cette orientation est en phase avec notre proposition d’une taxation des revenus financiers des entreprises.

Soulignons enfin que la mise en place d’une TTF n’est pas la seule technique permettant d’obtenir une réduction du pouvoir de la finance dans le fonctionnement de l’économie. On a ainsi pu montrer que l’usage d’instruments monétaires tels que des réserves obligatoires dissuasives appliquées aux créances des banques sur les non-résidents serait un moyen de freiner la spéculation sur le marché des changes sans risque de délocalisation des transactions.

Encore moquée il y a une dizaine d’années par tous les « experts » officiels, la TTF a été largement légitimée par la

Page 159: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

159

crise financière. Le risque n’est plus aujourd’hui de la voir criti-quée sur le fond, mais plutôt de la voir récupérée et détournée sur le plan politique. À l’instar de nombreux responsables politiques, Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il était favorable à une telle taxe. En mars 2011, le Parlement européen a adopté à une large majorité un rapport demandant la mise en place d’une TTF au niveau mondial ou au moins à l’échelon euro-péen. Cette demande a été acceptée par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, qui se sont enga-gés à faire avancer le dossier aux niveaux de la zone euro, de l’Union européenne et au plan international. En juin 2011, l’Assemblée nationale française a adopté à la quasi-unani-mité la résolution européenne visant à instaurer une TTF. Au moins deux raisons peuvent expliquer ce revirement surpre-nant du monde politique. La première est l’intérêt politique de la manœuvre : alors que les analyses de la crise ont mon-tré le rôle de la spéculation financière dans sa naissance et dans son développement, et alors que les plans de rigueur se succèdent vis-à-vis des populations, parler de taxe sur les transactions financières est censé faire croire aux opinions que les leçons de la crise ont été tirées et que l’effort sera désormais partagé. La seconde raison relève davantage de l’analyse économique, une taxe « sur mesure » étant censée participer à une régulation financière allégée ne remettant pas réellement en cause l’autonomie de la finance et apportant quelques rentrées budgétaires sans compromettre rien de fondamental aux yeux des détenteurs des pouvoirs.

Et pourtant, le gouvernement de François Hollande a capitulé en rase campagne devant le lobby bancaire et a tout fait pour torpiller le champ d’application de la TTF. Après nombre de manœuvres, la taxe adoptée en mai 2014 par les 11 pays volontaires pour coopérer – dont font partie l’Alle-magne, la France, l’Italie et l’Espagne, mais pas le Royaume-Uni – verra le jour au 1er janvier 2016 au plus tard. Mais elle ne couvrira que les actions et une faible part des produits dérivés. L’essentiel de ces produits dérivés ainsi que les transactions de change et le trading à haute fréquence ne seront pas concernés. Rappelons que les seules banques

Page 160: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

160

Un impôt juste pour une société juste

françaises cumulent la somme de 118 000 milliards de dollars d’engagements sur des produits dérivés, dont la moitié pour BNP Paribas. Il s’agit d’une véritable bombe à retardement placée au cœur du système financier et qui va pouvoir conti-nuer à grossir.

Au final, cette taxe ne rapporterait qu’entre 5 et 6,4 milliards d’euros par an, au lieu des 36 milliards initialement prévus avec les onze pays participants. Le paradoxe est que c’est la Commission européenne qui a été à l’offensive pour pré-senter un projet relativement ambitieux, mais que ce projet a été saboté par les gouvernements, et en particulier le gou-vernement français. Alors que la Cour de justice de l’Union européenne avait rejeté fin avril 2014 le recours de la Grande-Bretagne contre la TTF, les efforts du gouvernement français pour la saborder illustre sa conversion au néolibéralisme et l’abandon de son projet de lutte contre les intérêts de la haute finance.

Page 161: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

161

Synthèse des propositions

Principes : augmenter la part des impôts progressifs dans la fiscalité, baisser la part des impôts proportionnels, élargir l’assiette des impôts (sur le revenu, la fortune, les sociétés) en remettant en cause toutes les mesures dérogatoires.n Impôt sur le revenu : renforcer la progressivité en aug-

mentant le nombre de tranches et les taux marginaux (taux supérieur à 70 % pour les très hauts revenus) ; individualiser l’impôt ; remplacer le quotient familial par un forfait égal pour chaque enfant.n Impôt sur le patrimoine : retenir pour assiette l’ensemble

des biens financiers, immobiliers et professionnels et pour seuil d’imposition 800 000 euros ou 500 000 euros suivant que l’on souhaite mettre à contribution les 5 % ou 10 % de contri-buables les plus fortunés ; appliquer des taux d’imposition supérieurs à 4 % au-delà de 30 millions d’euros.n Impôt sur l’héritage : instaurer un montant forfaitaire trans-

mis à titre gratuit (soit lors de donations de son vivant, soit au moment de la succession) compris entre 150 000 (patrimoine médian) et 200 000 euros.n Impôt sur les sociétés : retenir pour assiette l’excédent

brut d’exploitation diminué de la part des bénéfices réinves-tis ; imposer à un taux supérieur au taux nominal la part des bénéfices distribuée en dividendes.n Fiscalité locale : revoir les bases des impôts directs

locaux, asseoir l’assiette foncière sur la valeur vénale des biens ; rééquilibrer les ressources locales avec une péréqua-tion de l’État vers les collectivités locales et entre collectivités.n Fiscalité écologique : à intégrer dans une fiscalité réfor-

mée autour de la progressivité ; la baser sur des assiettes multiples (le transport, l’utilisation de l’énergie, l’eau, les déchets, l’empreinte écologique des produits…), différenciée

Page 162: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

162

Un impôt juste pour une société juste

selon les usages ; instaurer une taxe au kilomètre de produit transporté qui doit viser à s’appliquer aux transports de mar-chandises à travers le monde.n Fiscalité au niveau européen et international : viser l’har-

monisation de la fiscalité, en particulier sur les sociétés (ins-taurer en premier lieu un taux minimum d’imposition sur les sociétés) et sur le patrimoine (étendre au niveau international l’impôt progressif sur le capital) ; mettre en œuvre une coo-pération internationale des données fiscales et bancaires de manière à rendre efficace la lutte contre la fraude fiscale, les paradis fiscaux et leurs utilisateurs ; instaurer des taxes glo-bales pour financer biens publics communs mondiaux et soli-darités internationales ; étendre la taxe sur les transactions financières (TTF) actuelle au niveau international et élargir son assiette à toutes les transactions financières.

Page 163: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

163

Conclusion

Nous nous sommes donnés pour tâche, avec ce livre, de rendre réaliste et désirable l’idée d’un impôt juste pour chan-ger une société éminemment injuste. Tout au long de ces pages, nous avons montré comment la fiscalité peut être un instrument et un levier au service d’une nouvelle société. Pour cela, il est nécessaire que les citoyens et les citoyennes s’approprient le débat sur la fiscalité. Si les propositions que nous formulons ici alimentent le débat, si elles sont reprises, améliorées, précisées, notre objectif sera atteint : dans une démocratie, le lien citoyen s’effectue entre autres par l’impôt, il n’y a pas de société sans impôt, donc pas de société juste sans impôt juste.

Page 164: Un impôt juste - Outils-Conviviaux
Page 165: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

165

AnnexeDéductibilité de la CSG : liens croisés avec l’impôt sur le revenu

Rappelons que les deux tiers de la CSG environ sont déduc-tibles du revenu imposable à l’IR. Cette situation vient du fait que la CSG a remplacé depuis 1991 des cotisations sociales qui étaient déjà déductibles de l’IR. La partie déductible, en interagissant avec l’IR, constitue dans les faits un prélèvement dégressif (son taux effectif baisse quand le revenu s’élève). En effet, le montant déductible de la CSG, en se soustrayant du revenu imposable, offre un avantage qui croît avec le revenu du fait du barème progressif de l’IR (la réduction d’impôt est d’autant plus forte que le revenu est élevé). Cet avantage ne bénéficie pas aux ménages non imposables.

L’interaction CSG/IR a donc déjà, dans la situation actuelle, des effets indésirables. L’instauration d’un barème progressif pour la CSG, plus juste par principe, renforce cette interaction et peut comporter des effets pervers inattendus : toutes choses égales par ailleurs, une diminution du taux de CSG sur les bas revenus (ce qui serait le cas avec l’instauration de la progres-sivité) peut paradoxalement alourdir l’IR des contribuables modestes ou les rendre imposables. En effet, puisque la CSG payée par les classes modestes – et donc aussi le montant déductible de l’IR – diminuera avec la mise en œuvre de la progressivité, le revenu imposable augmentera en contrepartie.

On peut envisager d’accompagner l’instauration de la CSG progressive par la mise en œuvre d’une déduction intégrale (et non plus partielle) de cette CSG. Cela jouerait certes dans le sens d’une diminution de la base de l’IR, et donc de ses recettes, ce qui est contraire à l’objectif visé. Mais l’élargissement de l’assiette de l’IR est surtout attendu de la suppression de nom-breuses niches fiscales, ainsi que de l’intégration de l’ensemble des revenus (fonciers, actifs financiers…). Avec la déduction intégrale de la CSG, les revenus les plus élevés, qui paieront du fait du barème progressif une CSG plus élevée qu’actuellement,

Page 166: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

166

Un impôt juste pour une société juste

déduiront – toutes choses égales par ailleurs – un montant plus fort de leur revenu imposable et leur impôt sur le revenu en sera donc diminué (sans toutefois compenser la hausse de leur CSG). La progressivité de l’IR dans les hautes tranches en serait donc affaiblie (notons que c’est déjà le cas aujourd’hui, du fait de la déduction des deux tiers de la CSG). Mais là encore, le renforcement souhaité de la progressivité de l’IR est surtout at-tendu d’une modification du barème d’imposition sur le revenu.

On peut à l’inverse envisager d’annuler la déductibilité de la CSG. On a dit plus haut en quoi elle constitue un prélèvement dégressif qui, de plus, ne bénéficie qu’à la moitié de ménages imposables. C’est peut-être la solution la plus équitable. Cer-tains considèrent pourtant que cela reviendrait à instaurer une double imposition, même si la CSG, contribution affectée à une dépense particulière, ne peut être assimilée à un impôt. L’enjeu reste important car rendre la CSG non déductible pourrait rap-porter entre 9 et 10 milliards d’euros. Cette option reste envisa-gée dans les projets des parlementaires PS.

Ce qui précède témoigne du jeu complexe de vases commu-nicants entre CSG et IR et des possibles effets pervers. L’équi-libre doit être trouvé du double point de vue du rendement et de l’équité dans un projet visant à réformer séparément les deux prélèvements. L’option retenue doit de toute manière être ac-compagnée par un ajustement des barèmes et des assiettes de la CSG (réformée et améliorée) et de l’impôt sur le revenu.

Page 167: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

BibliographieAttac, Pour un « big bang fiscal », Lormont, Le Bord de l’eau, 2010.Attac, Thomas Coutrot, Vincent Drezet, Jean-Marie Harribey, Dominique

Plihon, Quinze idées reçues sur la fiscalité, Paris, Les liens qui libèrent, 2012.

Boris Bilia, Bastien Lachaud, Guillaume Etievant, Manifeste pour une révo-lution fiscale, Paris, Bruno Leprince, 2013.

Collectif pour un audit citoyen de la dette publique, « Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique de la France », www.audit-citoyen.org/wp-content/uploads/2014/05/note-dette.pdf.

Nicolas Delalande, Alexis Spire, Histoire sociale de l’impôt, Paris, La Découverte, 2010.

Vincent Drezet et Liem Hoang Ngoc, Il faut faire payer les riches !, Paris, Le Seuil, 2010.

Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Pour une révolution fis-cale, Paris, Le Seuil/République des idées, 2011.

Thomas Piketty, Le capital au 21e siècle, Paris, Le Seuil, 2014.Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, 2012.

167

Page 168: Un impôt juste - Outils-Conviviaux

Fondation CopernicPour remettre à l’endroit ce que le libéralisme

fait fonctionner à l’enversLa Fondation Copernic a été fondée en octobre 1998, à l’initiative de 331 chercheurs, universitaires, militants associatifs, culturels, syndicalistes ou politiques. Son appel fondateur constate que « le libéralisme n’a pas cessé d’occuper des positions décisives. Qu’il imprègne aujourd’hui toute la pensée de la droite est dans l’ordre des choses. Qu’il influence encore largement la gauche est plus préoccupant. C’est en effet une imposture que de présenter, face à l’effondrement des économies du socialisme dit réel, le libéralisme comme l’alternative de la démocratie et de la liberté. Les marchés ne sont pas la démocratie : bien au contraire, tout concourt à ce que s’instaurent à travers les marchés des cohérences et des initiatives forgeant un ordre mondial qui fait fi de la liberté des peuples et des citoyens, et de leurs besoins. […] Il faut […] rompre avec les politiques anciennes, définir et promouvoir des réformes auda-cieuses. Nous sommes convaincus qu’il n’y a d’alternative que dans la transformation profonde de notre société. […] C’est à cette tâche que nous voulons contribuer en montrant […] sur chaque pro-blème, que d’autres politiques que celles qu’inspire le libéralisme sont possibles ». Plus de dix ans après, en pleines crises, ces lignes sont d’une brûlante actualité.La Fondation Copernic met en place des groupes de travail sur des questions extrêmement diverses, chaque fois qu’il y a interrogation dans la société, nécessité de changer et de résister aux offensives libérales. Ces groupes de travail sont constitués en tenant compte du pluralisme de la Fondation ; pluralisme politique, syndical, asso-ciatif, pluralisme des écoles de pensée, mais aussi des disciplines universitaires et de la recherche. Ces groupes publient leurs résul-tats sous la forme d’une « Note » ou de « Cahiers » qui sont publiés aux Éditions Syllepse et disponibles en librairie (voir la liste com-plète des ouvrages parus sur www.fondation-copernic.org et www.syllepse.net).

Fondation Copernic

Boîte postale 32 – 75921 Paris cedex [email protected].

www.fondation-copernic.org/