trévisan-le livre de la philosophie naturelle des metaux

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Alchimie

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    Le livre de la philosophie naturelle des mtaux

    De Messire Bernard Comte de la Marche Trvisanne

    PREFACE

    En invoquant le Nom de Dieu, sans lequel nulle aide est faite : car tout bien vient premier de lui, et vient l'Ame de bonne volont, et l'Homme de male volont et tratre, Jamais n'y entrera Sapience, ni aide ne lui sera faite.

    Afin que tant d'Inquisiteurs de cette prcieuse Science et vnrable Art, soient rduits de tnbres lumire, et qu'ils laissent tant de voies transverses, auxquelles n'y a nul profit, par quelque manire que ce soit, ni par labeur qu'on y puisse mettre ; moins par tant de dpense que l'on y puisse faire, jamais on y trouve profit, ni aucune apparence de vrit. Donc, afin que ce digne Art ne soit tant foul par les Dcveurs et Sophistiques, et que les Inquisiteurs gotent des fruits de cette Science, appareille pour eux et ceux qui sont ses Fus, et en suivent le grand chemin que Nature tient en toutes ses Crations, Oprations et Compositions, et qu'ils puissent tre informs, tant en Spculative qu'en Pratique, par raison ncessaire et approuve par vraie exprience que j'ai touche de mes mains et vue de mes yeux. Car quatre fois j'ai compos la benote Pierre, qui est vilipende par les Ignorants, cuidant les uns tre impossible, les autres qu'elle soit

    tant difficile de faire, que jamais nul n'y puisse parvenir; et plutt se transversent es voies obliques, et dpendent leurs biens et ceux d'autrui par les Rceptes et Livres Sophistiques, comme Geber, Archelas, Rasis, la Smite d'Albert le Grand, la Tramite d'Aristote, le Canon de Pandecta, la Lumire de Rasis, l'Epitre de Dmophon, et la Somme grande Testutale, et autres infinis Livres Erratiques, et errants, faisant dpendre infinies pcunes et biens, et la fin jamais on ne trouve rien en ces Livres. Et aussi tant de Rceptes Sophistiques et tant de Rgimes pnibles, frais et grands dpens que les Dcveurs font, tant que partout la benote Science est trouve pour trouffe. Et les Ignorants en commun vulgaire disent ainsi : Comme ils ont t tromps, ils veulent tromper les autres, et c'est une sotte raison : Car un Sage dsire faire faits et chose, qu'aprs il ait perptuelle louange. FIN

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    Comment donc voudraient-ils mettre mensonges, lesquels ne pourraient tre par nulle raison naturelle ? Mais les Ignorants, s'ils n'entendent la premire fois un Livre, us en disent mal, et ne le veulent plus relire; pourquoi gure de gens n'y viennent : Car mieux vaudrait la seule imagination d'une bonne Intelligence de quelconque, mais qu'il connt un peu les Principes de la Nature mtallique, et plutt viendrait la fin, que par tant de Livres les lire, sans y prendre got pour les entendre.

    Et pour ce, afin que je puisse faire un bon Trait et bref, et ensuivre la congrgation des Sages, qui ont bien parl en cette Science ; et aussi que par mon Livre les Disciples puissent tre bien informs, tant en Thorique qu'en Pratique et en Opration; je diviserai mon Livre en quatre Parties.

    En la premire, je veux parler des Inventeurs de cette digne Science, et des Sages qui l'ont eue, comment et selon que je l'ai sue.

    En la seconde Partie, je parlerai de moi-mme, de mon temps, et comment, depuis le commencement jusqu' la fin, je l'ai sue, et comment je fis du tout et partout. Sans aucune envie, les labeurs que j'ai eus en la poursuivant.

    En la troisime Partie, je veux parler des Principes et Racines des Mtaux, et mettre raisons videntes et philosophales.

    En la quatrime Partie de mon Livre, je veux parler de la Pratique, laquelle je mettrai un peu Parabolique ; mais nom pas tant, qu'en y mettant peine, tu ne l'entendes bien.

    Et par les autres Parties tu pourras tre instruit merveilleusement : Et si tu n'entends l'uvre par mon Livre, vraiment je crois que jamais tu ne viendras cet Art. Mais ne pense pas l'entendre la deuxime, ni la troisime fois, ni la dixime fois; mais toujours plus l'entendre en le rptant : Et je ne dis rien en mon Livre, que je ne prouve par raisons et expriences videntes; et aussi par l'autorit des Matres, parlant en cet Art et Science trs raisonnablement et par grande raison.

    Un Homme y devrait mettre peine et y travailler : Car par cet Art et Science l'on peut viter toute peine et maudite pauvret : Car pauvret tue non seulement le Corps, mais l'Esprit, et l'Ame, et la vie, et toute force, sens et entendement. Aussi cette Science gurit de toute maladie quelle qu'elle soit, corporelle ou spirituelle, es Hommes subitement ; de sorte que la Nature ait substantation. Comme moi-mme FIN

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    l'ai, en mon Dieu, expriment en plusieurs Ladres, Caduques, Hydropiques, Ethiques, Apoplectiques, Iliaques, Dmoniaques, Insenss, et Furimonds, et autres quelconques maladies, qui seraient longues narrer, et pas ne le cuideroye, si vu ne l'eusse et fait.

    Aussi la devrait-on aimer : Car, par cet Art, on peut avoir tous les autres Arts et Sciences. Il administre les ncessits pour la vie : l ou autrement on y a grand peine, et on n'y peut vaquer l'esprit tudiant. Item, Cet Art et Pierre, vraiment compose, orne l'Ame de toutes vertus : Et peut-on faire plusieurs aumnes, par lesquelles on peut avoir saintet et salut de l'Ame, et faire les uvres de Misricorde; comme racheter les Captifs, subvenir les Veuves et pauvres Orphelins, et gurir les pauvres Malades. On y devrait bien prendre peine : Car tudier en Loix, en Dcret, en Thologie, en Mdecine, ou apprendre un Art Mcanique, un Homme est bien six ou sept ans : Et en cette prcieuse Science, on n'y veut mettre qu'un mois, ou cinq ou six. Hlas ! Toutes les autres ne sont rien au regard d'elle. Elle est tant aise, que si je te le disais, ou montrais l'Art par effet, peine le pourrais-tu croire ni entendre, tant est facile; mais il y a un peu de peine pour entendre nos mots, et d'en savoir la vraie intention.

    PREMIERE PARTIE

    DES INVENTEURS, QUI PREMIERS TROUVERENT CET ART PRECIEUX

    Le premier Inventeur de cet Art (comme on lit es Faits de mmoire, et aux Livres des Gestes anciennes, et au Livre Imprial, et en l'exposition de Clavetus sur la Table d'Emeraude, et es autres Livres) ce fut Herms le Triple ; Car il sut toute triple Philosophie naturelle, savoir Minrale, Vgtale et Animale : Et pour ce qu'il fut Inventeur de l'Art, nous l'appelons Pre, ainsi comme en tous les Livres de la Tourbe, d'Herms avant Pythagore en est parl, que quiconque aura cette Science, il est appel son Fils. Cet Herms-ci fut celui-l de qui est crit en la Bible, qui aprs le Dluge entra en la Valle d'Ebron, et l trouva sept Tables de Pierre de marbre, et en chacune des sept Tables, tait imprim un des sept Arts Libraux en Principes; et furent insculpes ces Tables avant le Dluge, par les Sages qui taient alors. Car ils savaient que le Dluge viendrait sur toute la Terre, et que tout y prirait : et afin que les Arts ne prissent, ils les insculprent en ces Pierres marbrines. Ledit Herms seulement trouva lesdites Tables, lesquelles sont le fondement de tous les Arts et Sciences. Et cet Herms-ci fut devant la loi ancienne.

    FIN

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    Mais il y eut moult de Gens en ce temps-l qui surent cette Science : Et dit Aros, en son Livre, qu'il crit au Roi de Meffohe, qu'au temps de la donation de la Loi ancienne au Dsert, auprs de la Montagne Sinai, cette Science fut donne et rvle aucuns des Enfants d'Isral, dcorer et parfaire l'uvre du Temple, et l'Arche de l'ancien Testament; comme il est crit en Ezchiel le Prophte, et en Daniel, et au Livre de Josphus.

    Et ainsi l'uvre a t donne de Dieu aucuns, comme j'ai dit. Les autres l'ont trouve comme par nature, sans Rvlations ni Livres quelconques, ni Exprience; comme la Phitome, Rbecca, Salomon, Ambadagsir, et Philippe Macdonien. Mais Herms, aprs le Dluge, fut le premier Inventeur et Probateur de cette Science de Philosophie, et trouva lesdites Tables en la Valle d'Ebron, l o Adam fut mis, tant chass du Paradis Terrestre. Et aprs Herms vint-elle par lui d'autres infinis. Et ledit Herms en fit un Livre, qui dit ainsi.

    C'est vraie chose et sans mensonge, et trs certaine, que le haut est de la nature du bas, et le montant du descendant. Conjoints-les par un chemin et par une disposition. Le Soleil est le Pre, et la Lune blanche est la Mre, et le Feu est le Gouverneur. Fais le gros subtil, fais le subtil pais, ainsi tu auras la gloire de Dieu. Voici tout ce que dit Herms en ce Livre-l. Ce Livre-l est bien bref; mais toutefois ce sont grands mots, et toute l'uvre y est crite.

    Le Roi Calid l'a eu moyennant Bendgid le Ternaire, et son Fils, Aristote, Platon, et Pythagores, qui est le premier appel Philosophe, qui fut Disciple d'Herms, et fit une Congrgation, l o il y'en a plusieurs qui l'appellent Le droit Livre du Code de toute vrit. Car la vrit y est sauve, aucune superfluit ni diminution, combien qu'il soit obscur aux Lisans. Alexandre l'a eu, qui fut Roi de Macdoine et Disciple d'Aristote. Item, Avicenne qui aussi bien en parle, et Galien et Hypocrate. Et en Arabie cette Science a t sue de plusieurs, comme du Roi Haly, qui tait souverain Astrologien, et l'enseigna Morien, et Morien Calib, Roi d'Arabie : Et Aros l'a eu, et l'enseigna Nphandin son Frre; et Saturne Luncabur et son Extraction, et sa Sur Madra. Et infinis Gens l'ont eu en Arabie. Plusieurs Gens l'ont eu, et ont fait plusieurs Livres sous paroles mtaphoriques et sous figures, en telle manire que leurs Livres ne peuvent tre entendus, fors que par les Enfants de l'Art. Tellement que je dis bien, que les Disciples, par tels Livres, sont dvoys plutt qu'adresss la droite voie; et la cachent et mussent plus par leurs Livres qu'ils ne la rvlent.

    FIN

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    Aussi en France plusieurs l'ont eu, comme l'Escot, Docteur trs subtil. Matre Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle, Matre Jean de Meung, l'Hortolan, et le Vridique : Et une grande multitude d'autres partout l'ont su. Mais voyant par ces Livres tant de damnations et dsesprations, qui viennent aux Etudiants, ai voulu labourer pour mieux mon pouvoir et petit engin les pourvoir, afin qu'eux prient Dieu pour moi.

    DEUXIEME PARTIE

    OU JE METTRAI MA PEINE ET DEPENSE DEPUIS LE COMMENCEMENT JUSQU'A LA FIN, SELON VERITE.

    Le premier Livre que je lus fut Rasis, l o j'employai quatre ans de mon temps, et me cota bien huit cents cus en l'prouvant; et puis Geber, qui m'en cota bien deux mille et plus, et toujours avais Gens qui m'aflamboient pour me dtruire. Je vis le Livre d'Archlaus par trois ans, l o je trouvai un Moine, o lui et moi labourmes par trois ans, et es Livres de Rupescissa, et au Livre de Sacrobosco avec une Eau de vie rectifie trente fois sur la lie, tant qu'en mon Dieu nous la fmes si forte, que nous ne pouvions trouver voirre qui la souffrt pour en besogner, et y dpendmes bien trois cents cus.

    Aprs que j'eus pass douze ou quinze ans ainsi, que j'eus tant dpendu, et rien trouv, et que j'eus expriment infinis Receptes, et de toutes manires de Sels en dissolvant et congelant, comme Sel commun, Sel armoniac, de Pin, Sarracin, Sel mtallique, en dissolvant et congelant, et calcinant plus de cent fois par bien deux ans : en Alums de Roche, de Glace, de Scaiole, de Plume; en toutes Marcassises, en Sang, en Cheveux, en Urine, en Fiente d'Homme, en Sperme, en Animaux et Vgtaux, comme Herbes; et aprs en Coperoses, en Atramens, en ufs, en Sparation des Elments, en Athanor par Alambic et Pllan, par Circulation, par Dcoction, par Rverbration, par Ascension et Descension, Fusion, Ignition, Elmentation, Rectification, Evaporation, Conjonction, Elvation, Subtiliation, et par Commixtion, et par infinis autres Rgimes sophistiques : Et y fus en toutes ces oprations bien douze ans; tellement que j'avais bien trente-huit ans, que j'tais aprs l'extraction du Mercure des Herbes et des Animaux : tant que j'y dpendis, tant par Trompeurs, que par moi, pour les connatre, environ six mille cus.

    FIN

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    Aprs, toujours cherchant, je commenais perdre courage, mais toujours je priais Dieu qu'il me donnt grce de parvenir cette Science. Il advint qu'il vint un Lai, Bailli de notre pays, qui voulut faire la Pierre de Sel commun et le dissolvait l'Air, puis le congelait au Soleil, et faisait des autres choses beaucoup, qui seraient longues raconter, et en cela nous persvrmes un an et demi, et rien ne fmes, car nous ne besognions pas sur Matire due. Et comme dit le vnrable Tourbe, appele le Code de toute vrit, On ne peut trouver en la chose ce qui n'y est pas. Mais, comme il est tout clair, au Sel commun n'est pas la chose que nous qurons, et nous vmes bien par quinze fois que nous recommencions, et n'y voyons nulle altration de la nature, et par ainsi nous laissmes cettui Ouvrage.

    Et puis nous vmes des autres, qui faisaient de trs bonne Eau forte pour vouloir dissoudre trs bon Argent fin, et Cuivre et autres Mtaux, et dissolvaient en un Vaisseau Argent fin, et Argent vif en un autre, et tout avec une mme Eau et bien violente, et les y laissaient par douze mois, et puis prenaient les deux Fioles, et les mettaient en une; Et alors us disaient que c'tait mariage du Corps et de l'Esprit. Puis mettaient dessus cendres chaudes, et faisaient vaporer la tierce partie de l'Eau forte; et ce qui nous restait, nous le mettions en une Cucurbite triangulaire bien troite; et le Vaisseau, nous le mettions au Soleil, et puis l'Air, tant qu'us disaient se crer petits Lapils cristallins, fondants comme cire, et congels. Et disaient que c'tait Pierre au blanc, et que celle du Soleil, ainsi faite, tait au rouge. Et nous en fmes en cette manire jusqu' vingt-deux Fioles, toutes demi pleines ; et ils nous en donnrent trois. Et nous tretous attendmes par cinq ans que ces Pierres cristallines se crassent aux fonds des Fioles; et la fin ne trouvmes rien de notre intention, et ne le ferions jamais : Car (comme dit la vnrable Tourbe) Nous ne voulons rien trange en notre Pierre; mais d'elle-mme se parfait-elle, et parachve en son unique Matire mtallique. Tant que j'avais bien quarante-six ans et plus.

    En aprs nous, avec un Docteur Moine de Cisteaux, nomm Matre Geoffroi le Leuvrier, voulmes son intention faire la Pierre : Car nous savions bien que toute autre chose que la seule Pierre tait fausse, et par ainsi nous ne cherchions que la seule Pierre, et savions bien que c'tait la vrit. Et voici ce que nous fmes. Nous achetmes des ufs de Cline deux milliers, et nous les cuismes en eau, jusqu' ce qu'us fussent bien durs; puis nous sparmes les coques part, et les aubins et les rouges part, et calcinmes les coques jusqu' ce qu'elles fussent blanches comme neige; et les aubins et les rouges nous les pourrmes tout par eux en fient de Cheval; et puis les distillmes trente fois, et en tirment Eau blanche, et puis Huile FIN

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    rouge part, et Finalement nous fmes choses qui seraient longues dire, et en la fin nous ne trouvmes rien de ce que nous demandions, et y persvrmes deux ans et demi, tant que par dsesprations nous laissmes tout; car aussi ne besognions-nous pas de Matire due. Nous demeurmes, mon Compagnon et moi, et y apprmes sublimer les Esprits, et faire l'Eau forte, dissoudre, distiller et sparer les Elments, et faire Fourneaux, et Feux de maintes manires; et fmes bien huit ans en ces Oprations.

    Enfin, aprs vint un Thologien, grand Clerc, qui tait Protonotaire de Bergues, et avec lui nous voulmes besogner, et faire la Pierre, laquelle voulait faire avec une seule Coperose. Et premier, nous distillmes de bon Vinaigre huit fois, puis nous mettions la Coperose l-dedans, premirement calcine par trois mois, puis en tirions et y remettions le Vinaigre, et la Coperose demeurait au fond, et puis nous remettions le Vinaigre, puis tirions et remettions, et le faisions ainsi chaque jour quinze fois; tellement que j'en eus les fivres quartes par quatorze mois, et en cuidai mourir; et laissmes tout par un an, et ne trouvmes rien; car nous besognions sur Matire trange.

    En aprs, vint un Homme, gentil Clerc, et nous dit que le Confesseur de l'Empereur savait de certain la Pierre, lequel on appelait Matre Henri. Et alors nous allmes devers lui, et dpendmes bien deux cents cus avant que d'avoir eu la connaissance de lui : Et bref, par grands moyens et grands Amis, nous emes son accointance. Et voici comme il faisait. Il mettait Argent fin avec Argent vif, et puis il prenait du Soufre et de l'Huile d'Olives, et fondait tout ensemble sur le feu, et le Soufre se fondait avec l'Huile, et puis le cuisait, tout petit feu, dans un Plican, bien fort lut de deux doigts d'en haut, tout vtu de Lut fort, et avec un bton incorporions le tout ensemble, et notre Matire jamais ne se voulait prendre, ni bien mler. Et quand nous emes bien ml tout par bien deux mois, nous le mmes dans une Fiole de verre lute de bonne argile, et puis le desschmes, et le mmes en cendres chaudes par longtemps, et faisions feu tout l'entour de la Fiole, jusqu'au prs de la bouche, et nous disions qu'en quinze jours ou trois semaines, par la vertu du Corps et du Soufre, us se convertiraient en Argent. Et aprs le temps de notre Dcoction, il mettait en la Fiole du Plomb, selon qu'il lui semblait, et fondait tout fort feu, et puis le tirait et faisait affiner. Alors nous devions trouver notre Argent multipli de la tierce partie. Et celle uvre je mis pour ma part dix marcs d'Argent; et les autres y en avaient mis trente-deux marcs; de quoi nous cuidions avoir bien cent trente marcs d'Argent ou plus, et fmes tout affiner, et des trente-deux marcs, que les autres y avaient mis, n'en trouvrent que douze marcs; FIN

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    et moi de mes dix marcs, je n'en eus que quatre. Et ainsi, comme dsesprs et doulents, laissmes tout. Et moi qui cuidait avoir tout le Secret, je perdis en tout, pour avoir l'accointance du dit Confesseur, tant en Argent que j'y avais mis, qu'en autres choses, bien quatre cents cus.

    Et ainsi je dlaissai tout, bien deux mois, que n'en voulais our parler ; car tous mes parents me blmaient et tourmentaient tant, que je ne pouvais boire ni manger, et que je devins si maigre et si dfigur, que tout le monde cuidait que je fusse empoisonn. Et bref, je fus encore tant anim et enflamb de besogner plus que devant mule fois; car je doutais mon temps, qui se passait, et j'avais plus de cinquante-huit ans. Hlas ! Je ne besognais pas en droite Voie ni Matire. Car comme dit Geber : De quelconques Corps imparfaits, comme Plomb, Etain, Fer, Cuivre, les mler avec les Corps parfaits simplement par nature, ils ne s'en font pas plutt parfaits. Car les Corps parfaits par nature, ont seulement simple forme parfaite pour leur degr et nature, et Nature y a seulement besogn quant au premier degr de perfection : Et ainsi us sont comme morts, et ne peuvent rien bailler de leur perfection aux Corps imparfaits, pour deux causes. Premirement, car ils demeurent eux-mmes imparfaits, partant qu'ils n'ont que celle perfection qui leur est ncessaire et requise. Secondement, parce qu'ils ne peuvent mler ensemble les Principes d'eux; comme il est crit au treizime Digeste de Pandecta, et au Livre de Calib, et au Livre de Gber, et en l'uvre naturelle, et en Matre Daalin, et en Arnaud de Villeneuve; toutes ces raisons y sont clairement mises. Mais comme il est crit au Miroir d'Alchimie, et aussi en l'Adresse des Errants, que composa Platon, et en l'Eptre d'Euvral, et aussi au grand Rosaire dsir, et par Euclide en son bref Trait, et aussi en tous les Livres vritables, disant ainsi : Les Corps vulgaires que Nature seulement en la Minire a achev, ils sont morts, et ne peuvent parfaire les Imparfaits; mais si par Art nous les prenions et les parfissions sept ou dix ou douze fois, d'autant teindraient-ils l'infini ; car alors sont-ils pntrants, entrants, tingens, et plus que parfaits et vifs au regard des Vulgaires. Et par ce, dit Rasis et Aristote, en sa Lumire des Lumires, et Aulphanes en son Pandecfe, et Daniel au 5. Chap. de son Retraicte, Que notre Or complet est plus que vif. Et que notre Or n'est pas Or vulgaire; ni aussi notre Argent blanc, (qui est toute une chose), n'est pas Argent vulgaire, car ils sont vifs, et les autres sont morts, et n'ont nulle force. Et aussi comme on peut apercevoir au Code dor de toute vrit, et en plusieurs autres.

    Et par ainsi nous en avons vu et connu plusieurs et infinis besognant en ces Almagamations et multiplications au blanc et au rouge, avec toutes les Matires, FIN

  • 9

    que vous sauriez imaginer, et toutes peines, continuations et constances, que je crois qu'il est possible; mais jamais nous ne trouvions notre Or, ni notre Argent multipli ni du tiers, ni de moiti, ni de nulle partie. Et si avons vu tant de Blanchissements et Rubifcations, de Receptes, de Sophistications, par tant de pays, tant en Rome, Navarre, Espagne, Turquie, Grce, Alexandrie, Barbarie, Perse, Messine, en Rhodes, en France, en

    Ecosse, en la Terre-Sainte, et ses environs, en toute l'Italie, en Allemagne et en Angleterre, et quasi circuyant tout le Monde. Mais jamais nous ne trouvions que Gens besognant de choses Sophistiques et Matires herbales, animales, vgtables et plantables, et Pierres minrales, Sels, Alums, et Eaux fortes. Distillations et Sparations des Elments, et Sublimations, Calcinations, Conglations d'Argent-vif par Herbes, Pierres, Eaux, Huiles, Fumiers et Feu, et Vaisseaux trs tranges, et jamais nous ne trouvions Labourants sur Matire due.

    Nous en trouvions bien en ces Pays, qui savaient bien la Pierre; mais jamais ne pouvions avoir leur accointance. Et par ainsi je dpendis en ces choses, tant cherchant, qu'allant, que pour prouver, que pour autre chose, bien treize mille cus, et vendis une Gardienne, qui me valait bien huit mule florins d'Allemagne, tant que tous mes parents me dboutaient, et fus en moult grande pauvret, et si n'avais plus gure d'argent; aussi j'tais dj vieux de soixante-deux ans et plus : Et encore quelque misre que j'eusse, peine et souffret et vergoigne, qu'il me fallait laisser mon pays; me confiant toujours en la misricorde de Dieu, qui jamais ne dfaut ceux qui ont bonne volont et travaillent, je m'en allai en Rhodes, de peur d'tre connu, et l, toujours je cherchai si je pouvais trouver nully qui me put conforter.

    Et un jour trouvai un grand Clerc et Religieux, qu'on disait qui savait la Pierre, et m'en allai lui, et par grande peine j'eus son accointance, et me cota beaucoup, et j'empruntai d'un Homme, qui connaissait les miens, bien huit mille florins. Et voici comme il besognait. Il prenait Or fin trs bien battu, et Argent fin trs bien battu, et les mettait ensemble avec quatre parties de Mercure sublim, et tout mettait en fient de Cheval par bien onze mois, et puis distillait trs fort feu, et venait une Eau, et au fond demeurait une Terre, que nous calcinmes grand feu, et la cuissions par elle en son Vaisseau : Et l'Eau que nous en avions distille, nous la distillions encore par bien six fois; et toutes Terres qui demeuraient au fond, nous les assemblions avec la premire, et ainsi nous distillmes tant qu'il ne faisait plus de Terre. Et quand nous emes assembl toutes nos Terres en un Vaisseau, et

    FIN

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    toutes nos Eaux en un Urinal, nous remettions l'Eau petit petit sur la Terre; mais jamais pour peine que nous y pussions mettre, la Terre ne voulait prendre son Eau, mais toujours l'Eau nageait par dessus. Et l'y laissmes bien sept mois, que nous ne vmes point de Conjonction ni Altration quelconque. Et puis nous fmes plus grand feu, mais jamais nulle Conjonction ne s'y faisait, et par ainsi tout fut perdu. Et cela j'y fus bien trois ans, et y dpendis bien cinq cents cus.

    Celui avait de beaux Livres, c'est savoir le Grand Rosaire, et alors quand j'eus t comme dsespr, je m'en allai lire et tudier Matre Arnaud de Villeneuve, et le Livre des Paroles, que composa Marie la Prophtesse, et autre plusieurs, et je regardais et tudiais, et je vis clairement que tout ce que j'avais fait ne valait rien, et si tudiais bien par huit ans de long en ces Livres, qui taient bons et beaux, et plein de bonnes raisons philosophales, videntes et trs bonnes; et connus clairement que toutes mes uvres du temps pass ne valaient rien, et je regardai le Code de toute Vrit, qui dit tant bien : Nature fait amende en sa nature, et Nature s'joit de sa nature, et Nature surmonte nature, et Nature contient Nature. Et le dit Livre m'instruisit fort, et me dlivra de mes Sophistications et Ouvrages errants, et tudiai avant que de besogner, et arguais, et passais maintes nuits sans dormir. Car je pensais en moi-mme, que par Homme je n'y pouvais parvenir; partant que s'ils le savaient, jamais ne le voudraient dire; et s'ils ne le savaient, de quoi me servirait-il de les frquenter, et tant y dpendre, et mettre tant de temps et de biens, et moi dsesprer ; et ainsi je regardai l o plus les Livres s'accordaient; alors je pensais que c'tait l la vrit : Car ils ne peuvent dire la vrit qu'en une chose. Et par ainsi je trouvai la vrit. Car o plus us s'accordent, cela tait la vrit; combien que l'un le nomme en une manire, et l'autre en une autre; toutefois c'est tout une Substance en leurs paroles. Mais je connus que la fausset tait en diversits, et non point en accordance ; car si c'tait vrit, ils n'y mettraient qu'une Matire, quelques noms et quelques figures qu'us baillassent.

    Par quoi, Fus, pour toi ai voulu prendre peine de faire ce Livre, lequel j'ai compos, afin que tu ne dsespre, et que tu ne sois tromp comme moi. Car le plus clair et beau exemple qui soit; c'est parce qu'on voit autrui advenir, se gouverner. Et en mon Dieu, je crois que ceux qui ont crit paraboliquement et figurativement leurs Livres, en parlant de Cheveux, d'Urine, de Sang, de Sperme, d'Herbes, de Vgtables, d'Animaux, de Plantes, et de Pierres et Minraux, comme sont Sels, Alums, et Coperoses, Atramens, Vitriols, Borax, et Magnsie, et Pierres quelconques, et Eaux; je crois, dis-je, qu'onques il ne leur cota gure, ou qu'ils n'y FIN

  • 11

    ont pris gure de peine, ou qu'ils sont trop cruels. Car, au nom de Dieu, moi qui ai eu tant de peine et de malheur, j'ai encore grand piti, et grande compassion des Survenans.

    Qui donc, par amour fraternel, croire me voudra, qu'il me croie, car c'est son profit, et moi n'est que peine; et qui ne me voudra croire se ne ressentira en ses Oprations, et de lui-mme se chtiera, si par l'exemple d'autrui il ne veut se chtier. Ne vous chaille de faux Alchimistes, ni de ceux qui croient en eux. Car tout ce que par aventure vous pourrez trouver en vos Livres, c'est qu'ils vous dvoiront par leurs affermes et faux Sacrements, en disant, quand ils ne savent plus que dire : Je l'ai fait, il est ainsi. Et je dis que si tu ne les fuis, jamais tu ne goteras de bien. Car ce que les Livres t'octroient d'un ct, us te l'tent de l'autre par leurs affirmations et serments. Et en mon Dieu, moi-mme, quand j'ai eu cette Science, avant que je l'eusse exprimente, et mis en uvre, je l'ai sue par Livres bien deux ans avant que je la fisse. Mais comme je vous dis, quand par aucune aventure venaient moi ces Trompeurs, ces Larrons pendables et dtestables, par leurs grands serments, us me dvoyaient de la bonne opinion, l o les Livres m'avaient mis, et juraient d'aucunes fois d'aucunes choses qui n'taient pas vraies, de quoi je savais bien le contraire : Car dj en mes folies je l'avais prouv : Et par ainsi ne pouvais-je jamais venir affirmer mon opinion, jusqu' ce que je les laissai du tout, et m'adonnai tudier toujours de plus en plus sur cette matire : Car qui veut apprendre, doit frquenter les Sages, et non les Trompeurs; et les Sages, par lesquels on peut apprendre, sont les Livres : Pos qu'us le montrent en tranges noms et paroles obscures : Car sachez que nul Livre ne dclare en paroles vraies, sinon par Paraboles, comme figure. Mais l'Homme y doit aviser et rviser souvent le possible de la Sentence, et regarder les Oprations que Nature adresse en ses Ouvrages.

    Par quoi je conclus et me croyez. Laissez Sophistications et tous ceux qui y croient : Fuyez leurs Sublimations, Conjonctions, Sparations, Conglations, Prparations, Disjonctions, Connexions, et autres Dceptions. Et se taisent ceux qui afferment autre Teinture que la ntre, non vraie, ne portant quelque profit. Et se taisent ceux qui vont disant et sermonnant autre Soufre que le ntre, qui est cach dedans la Magnsie, et qui veulent tirer autre Argent vif que du Serviteur rouge, et autre Eau que la ntre, qui est permanente, qui nullement ne se conjoint qu' sa nature, et ne mouille autre chose, sinon chose qui soit la propre unit de sa nature. Car il n'y a autre Vinaigre que le ntre, ni autre Rgime que le ntre, ni autres Couleurs que

    FIN

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    les ntres, ni autre Sublimation que la ntre, ni autre solution que la ntre, ni autre Putrfaction que la ntre.

    Laissez Alums, Vitriols, Sels et tous Atramens, Borax, Eaux fortes quelconques, Animaux, Btes et tout ce que d'eux peut sortir; (Cheveux, Sang, Urines, Spermes, Chairs, ufs) Pierres et tous Minraux. Laissez tous Mtaux seulets : Car combien que d'eux soit l'entre, et que notre Matire, par tous les dits des Pllosophes, doit tre compose de Vif-argent ; et Vif-Argent n'est en autres choses qu'es Mtaux (comme il appert par Gber, par le Grand Rosaire, par le Code de toute Vrit, par Platon, par Morien, par Haly, par Calib, par Marie, par Avicenne, par Constantin, par Alexandre, par Bendegid, Efid, Serapion, par Matre Arnaud de Villeneuve, par Sarne, qui ft le Livre, qui est appel Lilium, par Daniel, par S. Thomas en Brviloque, par Albert en sa Tramite, par l'Abrviation de l'Escot, en l'Eptre de Snque, qu'il crit Aros Roi d'Arabie et de Hmus, et par Euclide en son septantime chapitre des Rtractations, et par le Philosophe au troisime des Mtores, l o tout clair sans nulle Parabole est dit : Que les Mtaux ne sont autre chose qu'Argent-vif congel par manire de degr de dcoction; toutefois ne sont-ils pas notre Pierre, tandis qu'us demeurent en Forme mtallique : car il est impossible qu'une Matire ait deux Formes. Comment donc voulez-vous qu'ils soient la Pierre, qui est une Forme digne moyenne entre Mtal et Mercure; si premier icelle Forme ne lui est te et corrompue ? Et pour ce, disent Aristote et Dmocritus au Livre de la Physique, au 3. Chapitre des Mtores : Fassent grande chre les Alchimistes; car ils ne mueront jamais la Forme des Mtaux, s'il n'y a Rduction faite leur premire Matire : Et ainsi le disent tous les Livres parlant de Nature Mtallique.

    Mais pour avoir entendement que c'est dire que les muer et rduire en leur premier Etre, vous devez savoir que la Matire est celle chose de quoi est faite une Forme, ou quelque chose; comme la premire Matire de l'Homme est le Sperme d'Homme et de Femme. Mais les Ignorants cuident entendre ce mot, de Rduction la premire Matire, ainsi, c'est savoir de la rduire, comme ils disent, es quatre Elments. Car les quatre Elments sont la premire Matire des choses cres. Ils disent vrai que la premire Matire sont les quatre Elments; mais c'est dire, us sont la premire Matire de la premire Matire ; c'est savoir les Elments tous quatre, ce sont les choses de quoi sont faits le Soufre et le Vif-Argent, lesquels sont la premire Matire des Mtaux. Raison Pourquoi ? Car les quatre Elments sont aussi bons pour faire un Ane et un Buf, comme pour faire les Mtaux. Car premier il faut que les Elments se fassent par nature Vif-argent et FIN

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    Soufre, devant que les Elments puissent tre dits la premire Matire des Mtaux. Comme, par exemple, quand un Homme est compos, il n'est pas compos des quatre Elments, qui sont encore quatre Elments; mais dj Nature les a transmus en la premire Matire de l'Homme. Aussi quand Nature a transmu les quatre Elments en Mercure et Soufre ; alors est la premire Matire des Mtaux propre. Pourquoi ? Car fasse Nature aprs tout ce qu'elle voudra sur cette Matire, c'est savoir Mercure et Soufre, ce sera toujours Forme Mtallique. Mais auparavant et durant qu'ils taient encore quatre Elments, et que ce n'tait point encore Argent-vif ni Soufre ; Nature et bien pu faire de ces quatre Elments un Buf, une Herbe, ou un Homme, ou quelque autre chose. Ainsi il appert clairement que les quatre Elments, qu'ils veulent dire, ne sont point la premire Matire des Mtaux: mais Soufre et Vif-argent sont appels la propre et vraie premire Matire des Mtaux. Et si ce qu'ils disent tait vrai, il s'ensuivrait que les Hommes, les Mtaux, les Herbes, les Plantes, et Btes brutes, ce serait toute une chose, et n'y aurait nulle diffrence. Car si cela tait vrai, les Mtaux ne seraient que les quatre Elments : Et ainsi tout serait une chose, ce qui serait concder un grand inconvnient. Et par ainsi, il appert clairement que les quatre Elments demeurant ainsi, ne sont point la premire Matire des Mtaux.

    Je le veux encore prouver ainsi : Car si ceci tait vrai, que les quatre Elments fussent la premire Matire des Mtaux, il s'ensuivrait que des Mtaux se pourraient faire les Hommes : car les Hommes ne sont faits que des quatre Elments. Et par ainsi, il s'ensuivrait que d'une chose, se pourrait faire chaque chose ; et l'un semblable n'engendrerait point son semblable, non plus que le Mtal; car tout ne serait que les quatre Elments. Et comme vous savez, toutes choses se font des quatre lments. Ainsi il ne faudrait point de Gnration, ni de Semence propre, et n'y aurait nulle diffrence quand tout serait fait des quatre Elments, et tout serait une Substance. Exemple. Le Sperme de l'Homme part, et celui de la Femme part, ce ne sont point la premire Matire de l'Enfant, par ce que Nature en peut bien faire autre chose, durant qu'ils sont ainsi part; comme les convertir en Matire vermineuse. Mais quand une fois ils sont conjoints et unis ensemble en leurs vertus, si que l'un a en foi la vertu de l'autre, et l'autre pareillement la sienne : Alors Nature ne peut faire autre chose qu'icelle Forme de l'Enfant : Car c'est la fin d'icelle Matire, et n'a autre fui. A donc cette spermatique union s'appelle premire Matire : car aprs que cette Matire est faite, Nature, besognant sur icelle, ne fait que la Forme d'un Enfant : Et Nature ne peut donner autre Forme la Matire sur laquelle elle besogne, que la chose laquelle icelle Matire est incline et dispose, et est toute la fin ; Et ainsi donc, cette spermatique FIN

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    union faite, Nature besognant, ne lui peut donner autre Forme qu'Humaine, et cette Matire n'est dispose et n'a puissance de recevoir autre Forme que celle-l. Exemple gros pour les Ignorants. Quand un Homme veut aller quelque chemin, et il est en un carrefour, il n'est point encore au propre chemin du lieu o il veut aller, plutt qu'en un autre; mais quand une fois il est au sentier qui s'adresse au chemin, fasse aprs ce qu'il voudra, continuant toujours le droit chemin, il viendra l. Ainsi il appert clairement que chacune chose a sa propre Voie, et sa propre Matire de quoi elle se fait, et non pas que chacune chose se fasse de chacune Matire.

    Item. Si ceci tait vrai, il ne faudrait la ni Ciel, ni Clart : Car les quatre Elments jamais ne muraient leur nature, et tout serait toujours une chose, qui est une chose errone.

    Item. II appert clairement aprs, par exprience, que chacune chose a sa chose semblable, de quoi elle se fait naturellement, et ne s'en peut faire autre chose. Comme pour faire un Cheval, il faut nature chevaline mue en Sperme, uni de deux Matires contraires; toutefois d'un Genre chevalin. Et pour faire un Homme, Nature ne prend point nature chevaline principalement ; Car chacune chose a sa principale Semence, de quoi elle se fait et Se multiplie d'elle-mme, et non pas autrement.

    Item. Ceci appert : Car en la Cration de l'Homme, Dieu fit l'Homme et puis la Femme, et leur dit : Faites de vos Substances semblables vous. Puis dit des autres qu'il avait faites : Apporte chacune son fruit, et se multiplie, et fasse son semblable. Car si d'une chose et pu tout tre fait, Dieu n'et pas tant fait de choses ; mais il en a fait de chacune sorte, afin que chacun ft son semblable. Item. Dieu mme en la Bible ne dit-il pas No devant le Dluge : Fais une Arche longue et large, et y mets de chacun Animal une paire, savoir Mle et Femelle; afin qu'aprs notre ire passe, chacun multiple selon son Genre, et non autrement. Ainsi donc, tu vois clairement que chacune chose requiert son semblable, pour tre faite et engendre : Car ainsi a cre Dieu les Racines des Cratures diverses, afin que chacune multiplit sa Substance.

    Or, je te veux prouver mon propos par les autorits des Philosophes : car l'Escot dit clairement Qu'Argent-vif coagul, et Argent-vif sulfureux, se sont la premire Matire des Mtaux. Item. En la Tourbe, un appel Noscus, lequel fut Roi d'Albanie, dit ainsi : Sachez que d'Homme ne vient qu'Homme; de Volatile que Volatile, ni de Bte brute que Bte brute, et que Nature ne s'amende qu'en sa FIN

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    Nature, et non point en autre. Pareillement, dit Matre Jean de Meun, en son Testament : Chacun Arbre porte son fruit; un Poirier, des poires, un Grenadier, des grenades; et ainsi le Mtal fait et multiplie le Mtal, et non autre chose.

    Item. Gber dit en sa Somme, lequel Gber parle dment en aucuns lieux; combien que tout son Livre soit Sophistique et Erronneux : Nous avons tout expriment, et par raisons spectables; mais nous n'avons ni ne saurions trouver chose demeurante, ni stante, ni permanente, que la seule Humidit visqueuse, laquelle est la Racine de tous les Mtaux : car toutes les autres Humidits, par le feu lgrement s'en vont, et s'vaporent, et se sparent l'un Elment de l'autre; comme l'Eau par le feu, l'une partie s'en ira enfume, l'autre en Eau, et l'autre en Terre demeurant au fond du Vaisseau. Et ainsi se sparent les Elments de toutes choses : car ils ne sont pas bien unis en homognation, et quelque petit feu que vous fassiez, quelque chose que vous y mettiez, se consumera et. se sparera de sa naturelle Composition. Mais l'Humidit visqueuse, c'est savoir Mercure, jamais ne s'y consume, ne se spare de sa Terre, ni de son autre Elment : car ou tout demeure, ou tout s'en va, et chose quelle quelle soit ne s'y diminue du poids. Et ainsi par ces mots axprs conclut Gber, Que pour cette digne Pierre, ne faut que cette seule Substance de Mercure, par Art trs bien mondifle, pntrante, tingente, stante la bataille du feu, ne se permettant en parties diverses sparer; ains toujours se tenant en sa seule Essence de Mercuriosit. A donc, dit-il, c'est chose qui se conjoint au profond radical des Mtaux, et corrompt leur Forme imparfaite, et leur introduit une autre Forme selon la vertu de l'Elixir ou Mdecine tingente, selon sa couleur. Item. Aros, le grand Roi, qui fut trs grand Clerc, dit : Notre Mdecine est faite de deux choses, tant d'une Essence, c'est savoir de l'union Mercuriale fixe et non fixe. Spirituelle et Corporelle, Froide et Humide, Chaude et Sche, et d'autre chose ne se peut faire. Car l'Engin de l'Art n 'introduit rien de nouvel en Nature en sa Racine ; mais l'Art aid par Nature dment en l'enseignant : et Nature aide par l'Art en lui parachevant ses dsirs profonds, en toute intention de bon Ouvrier. Item, Morien dit : Mlez et jetez la Mdecine dessus les Corps diminus de perfection, et dit Que ce n'est autre chose qu'Argent-vif, par Art exalt sur l'Argent-vif imparfait. Et ainsi ils montrent clairement que ce n'est autre chose qu'Argent-vif. Item, Matre Arnaud de Villeneuve dit : Toute ton intention soit digrer et cuire la Substance Mercurieuse, et selon sa dignit, elle (lignifiera les Corps; qui ne sont autre chose que Substance Mercurieuse dcuite.

    Il se pourrait prouver par infinies raisons que le Mercure double est la seule Matire prochaine premire des Mtaux, non pas les quatre Elments. Et je l'ai FIN

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    voulu prouver, pour faire taire une multitude d'Errants, qui, pour confirmer leurs erreurs, afferment les quatre Elments tre la premire Matire des Mtaux.

    Mais on pourrait aussi arguer et opposer contre moi toute ma rponse. Et bien, diront-ils, nous rduisons les quatre Elments aprs par notre Art en Mercure et en Soufre, qui sont la premire Matire des Mtaux : Et par ainsi, ils auront mieux valu d'tre rduits cette simplicit et subtilit des quatre Elments, que d'tre seulement rduits en leur premire et prochaine Matire; c'est savoir en seule Substance Mercurielle.

    Or, je veux prouver que ceci est erron et faux, par plusieurs raisons videntes, afin que du tout je leur cloue la bouche, et leur fasse faire Fin leur mauvaise intention; et qu'on ne dit pas que je corrige les autres de ma volont, mais par bonne raison.

    Je te dis donc que si cela tait vrai, il ne faudrait point qu'il y et aucune Nature. Pourquoi ? Car l'Art ferait les Spermes de toutes choses, et ferait Hommes des Elments seulement, sans autre Nature, et sans altration. Il ferait les Principes des Compositions; laquelle chose est contre tout bon entendement : car Nature produit et a produit la Matire, de quoi aprs l'Art lui aide. Il s'ensuivrait donc qu'un Mdecin par son Art, ou par Herbes ferait ressusciter un Mort ; ou qu'un Homme, qui serait mourant, il le gurirait. Ce qui est contre le dire d'Avicenne et de Rasis, l o ils disent ainsi : Mdecine est seulement aidante Nature : car si Nature n y est, elle ne peut avoir effet. Aussi un Laxatif mis en un Corps mort, ne lche point : car il n'est point adress par Nature, Et comme dit Hippocrate dans ses Aphorismes : Art prsuppose une chose par seule Nature cre, et y fait lors aide, et Art aide cette Nature, et Nature l'Art. Ce qu'Hippocrate montre clairement; lequel Hippocrate es Principes Naturels fut plus divin, qu'humain, et comme Ange spirituel sans corps. Il appert donc qu'il faut qu'Art, en besognant, ait une Matire, laquelle ait dj t par Nature, et non pas par Art : Et si elle tait par Art, la Nature n'y serait requise, car ce serait la son ouvrage, et elle n'y mettrait rien de nouveau. Ainsi appert-il clairement que Nature d'elle-mme fait les natures spermatiques et les cr; puis l'Art, besognant par dessus, les conjoint en suivant la fin et l'intention spermatique naturelle, sur laquelle il besogne, et non autrement.

    Je le veux encore prouver par autre raison. Car quand ils seraient rduits, s'il tait possible, en quatre Elments; ne faut-il pas que ces quatre Elments se rduisent aprs encore une fois en Mercure et Soufre, qui sont la premire Matire des Mtaux, comme j'ai dit et dj prouv ? Ainsi il te faudrait premirement rduire FIN

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    les Corps en Argent-vif et en Soufre, et puis cet Argent-vif-ci et ce Soufre, en quatre Elments : puis encore ces quatre Elments, en Soufre et en Argent-vif; celle fin que tu en pusses faire nature mtallique ; ce que serait grande folie de le faire. Car puisque tout n'est qu'une mme chose et une Substance, et qu'il n'acquiert point une nouvelle Nature, ni Matire, par cette rduction; ains qu'il n'y a toujours seulement que ce qui y tait de premier : de quoi lui servent tant de rductions ? Car autant de Substance y avait-il durant qu'us taient en forme de Sperme, de Vif argent et de Soufre, comme aprs qu'il est rduit es quatre Elments, et n'acquiert rien de nouveau, ni en vertu, ni en poids, ni en quantit, ni en qualit. Raison, car il n'y a nulle Matire nouvellement conjointe qui la dignifit, ni qu'entre eux ils s'exaucent; mais toujours n'est-ce qu'une seule Matire mene a et l, sans point d'addition; et par ainsi elle vaut autant en forme de Sperme propre, comme en forme des quatre Elments.

    Mais si tu opposais de notre Pierre, en disant qu'aussi bien elle n'acquiert rien. Je te dis que si fait : car nous la rduisons, afin qu'en icelle Rduction se fasse Conjonction de nouvelle Matire d'une mme Racine; et sans cette Rduction ne se peut faire : Mais il y a addition de Matire. Ainsi de ces deux Matires l'une aide l'autre, pour faire une Matire plus digne qu'elles n'taient, quand elles taient toutes seules part. Et ainsi il appert clairement que notre Rduction est requise : car par elle les Matires prennent nouvelle forme et vertu, et s'y met Matire nouvelle : Mais en telles Rductions, comme us disent, il ne s'y met point davantage nulle Matire nouvelle, pour quelque chose qu'ils fassent : car ce n'est autre chose ce qu'ils font, que circuir une Matire nue de Forme, sans rien innover ni exalter, par nulle acquisition de Matire ni de Forme. Et par ainsi il appert clairement que leurs Rductions ne sont que fantaisies folles et errones.

    Item. Je le veux prouver par Matre Guillaume le Parisien, un trs grand Clerc, qui fut sage en cette Science, et en touche bien propos, et dit ainsi. En la cration de l'Enfant, il y a premirement commixtion de deux Spermes diffrents en qualit, l'une froide et moite, et l'autre chaude et sche, dans le Vaisseau maternel; et la chaleur de la Mre, digrant et mixtionnant les vertus des deux Spermes, et augmentant leur vertu par sanguine Humidit, qui est de la Substance de quoi est le Sperme fminin, l'augmentant en grossissant et activant la vertu active du Sperme masculin, et le nourrit jusqu' ce que parfaitement soit faite moyenne Substance, tenant de la nature des deux totalement, sans diminution ni superfluit. Et comme il dit expressment : Nature cre les Spermes et non pas l'Art. Car l'Art ne saurait, mais aprs, l'Art les met au ventre maternel. Et comme il dit : y a bien FIN

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    Art aidant Nature les mler, comme se tenir chaudement, gure ne se mouvoir, manger choses bonnes et de lgre digestion. Mais Art ne fait qu'aider Nature, en besognes dj faites par Nature mme. Et depuis il dit : Ainsi semblablement en notre Art. Art ne saurait crer les Spermes de lui seul. Mais quand Nature les a cr, adonc Art, avec la vertu naturelle, qui est dedans les Matires Spermatiques dj cres, les conjoint comme Ministre de Nature. Car il est clair qu'Art n'y met rien de Forme, ni de Matire, ni de vertu; mais seulement il aide de ce qui est, et n'est pas fait. Et toutefois y est-il avec Nature et l'aide.

    Ainsi appert-il clairement par ce notable Personnage, qui est le Chef des Ecoles de Paris, que Nature cre les Matires, et non pas l'Art. Mais aprs, quand elles sont cres, l'Art les fait tre et conjoindre avec la vertu naturelle, qui est la Cause principale, et l'Art est la Cause seconde de cette chose. Et ainsi notez bien qu'Art ne fait rien sans Nature. Car assez pourra un Homme semer et labourer la terre, avant qu'il en recueille aucun bien ; si premier n'y a Matire que Nature ait cre; c'est savoir le Grain de Froment, et par ainsi l'Art est aid de Nature, et Nature de l'Art. Et par ce appert trs clairement qu'Art ne saurait crer les Spermes ni les Matires des Mtaux : Mais Nature les cre, et puis l'Art administre : Et par ce, peux-tu voir, que ni l'Homme ni son Art, ne sauraient rduire les quatre Elments en Forme Spermatique rductive, altrative ni attractive, cette fin tendante et disponente recevoir action ni Forme.

    Et si tu m'argues que les Philosophes disent qu'en notre uvre, faut qu'il y ait les quatre Elments : Je te dis qu'us entendent que dans les deux Spermes sont les quatre Qualits des quatre Elments; c'est savoir. Chaud et Sec, qui sont Air et Feu, en l'Argent-vif mr, qui est le Sperme masculin; et Froid et Humide en l'Argent-vif cru et imparfait, quand la fin, qui sont Terre et Eau, dans le Sperme fminin. Non pas qu'actuellement soient quatre choses lmentales spares, comme sont les quatre Elments que nous voyons. Car ils ne seraient plus Matire premire des Mtaux, ni aussi Art humain ne les saurait altrer, pour en faire les deux Spermes Mtalliques, qui sont la premire Matire des Mtaux. Comme dit ceci expressment et tout clair Calib Philosophe, qui fut Roi d'Albanie, en cette faon-ci: Sachez qu'au commencement de notre uvre, nous n'avons besogner que de deux Matires seulement. On n'y voit que deux, on n'y touche que deux, aussi n'entrent que deux ni au commencement, ni au milieu, ni la fin. Mais en ces deux, les quatre Qualits y sont virtuelles. Car au majeur Sperme, comme au plus digne, les deux plus dignes Elments y sont en Qualit, qui sont Feu et Air : et l'autre Sperme, qui est cru et imparfait en sa nature, sont les deux autres FIN

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    Qualits, et les deux autres Elments imparfaits, et moins dignes, qui sont Eau et Terre.

    Ainsi par ce Calib ci peux-tu voir clairement qu'en cet Art il n'y a que deux Matires Spermatiques d'une mme Racine, Substance et Essence; c'est savoir de seule Substance Mercurielle visqueuse et sche, qui ne se joint chose qui soit en ce Monde, fors au Corps.

    Item, Cela mme dit tout clair Morien en son Livre, disant ; Faites-le dur aquatique, celle fin que l'Eau se conjoigne lui : et scellez le Feu dedans l'Eau froide. C'est dire, conjoints le Sperme masculin, qui n'est autre chose que Mercure cuit et mr, qui tient en lui en digestion l'Elment du Feu; et le mle dedans le Sperme fminin; c'est dire, l'Eau vive.

    Et ce propos dit Isudrius en la Tourbe : Mles l'Eau avec le Feu, et adonc est-ce une Spermatique Union, et est en puissance trs prochaine de recevoir et venir la perfection de la Pierre trs noble. Mme dedans le mme Livre, qui est le Code de toute vrit, dit un Philosophe nomm Atefimalef. Mets l'Homme rouge avec sa Femme blanche en une Chambre ronde, circuis de feu d'corce, avec une chaleur continuelle, et les y laisse tant que soit faite Conjonction de l'Homme en Eau Philosophale, mais non pas vulgaire; c'est dire, en Eau tenant tout ce qui est requis sa perfection; qui est alors la premire Matire de la Pierre, et non autrement. Car elle a en soi la nature du fixe, qui la fixe, et la nature spirituelle, et digne Substance de Pierre trs noble. Brivement sachez que tous les Philosophes, pour qui bien les entend, sont tous concordants. Mais ceux qui sont Ignorants, et ne sont point les Enfants de la Science, les trouvent diffrents.

    Maintenant je t'ai prouv et parl de la premire Matire des Mtaux, et j'ai dit que c'est Mercure et Soufre : Mais afin que nous procdions en notre Livre au profit des Auditeurs, et qu'us ne passent pas sans savoir ce que c'est dire Mercure et Soufre, et quelle chose c'est; je le dirai en la subsquente troisime Partie de mon Livre, et comment en la Terre sont cres les Mtaux, et de leurs diffrences, par raisons ncessaires et par autorits de mes magistrats les Philosophes, desquels je l'ai appris et su par la volont de DIEU mon Crateur.

    TROISIEME PARTIE

    FIN

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    OU IL EST TRAITE DES PRINCIPES ET RACINES DES METAUX PAR RAISONS EVIDENTES ET PHILOSOPHALES

    Pour avoir entendement de cette Matire, il faut premirement savoir, que Dieu fit au commencement une Matire confuse et innordonne sans nul ordre, laquelle tait pleine, par la volont de Dieu, de plusieurs Matires. Et d'icelle il en tira les quatre Elments, desquels il en fit Btes et Cratures diverses, en les mlant. Et aucunes Cratures il a fait Intellectives, les autres Sensitives, les autres Vgtatives, et les autres Minrales. Les Intellectives et les Sensitives sont cres des quatre Elments; mais le Feu et l'Air y ont plus de domination que les autres : toutefois dans les Sensitives le Feu y est abaiss, pour ce que l'Air est aussi bien Seigneur en cette chose-l comme lui, comme sont les Btes brutes, Chevaux, Anes, Oiseaux, et toutes Cratures Sensitives. Les autres sont cres des quatre Elments, qui s'appellent Cratures Vgtatives, lesquelles croissent et s'alimentent, et ont vie; mais elles n'ont point de Sens, ni d'entendement, et celles-l sont composes de l'Air et de l'Eau, qui y ont domination; mais dj l'Air y est abaiss de sa dignit par l'Eau, et l'Eau par une seule Substance terrestre vaporeuse. Et ainsi sont aprs les Minraux, lesquels sont crs de Terre et d'Eau; mais la dignit de l'Eau est plus terreuse qu'aquatique. Et en ces Minraux y a diverses Formes, et jamais ne se peuvent multiplier, sinon par Rduction leur premire Matire.

    Les autres Cratures, devant dites, ont leurs Semences, en lesquelles est toute la vertu multiplicative, et toute la perfection finale de la Chose compose : mais la Matire Mtallique se fait de seul Mercure froid et moite crud. Nanmoins, comme j'ai dit, toutes Choses ont les quatre Elments. Aussi, dans le Mercure, qui est es veines de la Terre, y a les quatre Elments; c'est savoir, Chaud et Humide, Froid et Sec : Mais les deux ont domination, c'est savoir, Froid et Humide, et le Chaud et le Sec sont sujets. Ainsi, quand la chaleur du Mouvement Cleste pntre tout l'entour de la Terre dedans ses veines ; la chaleur d'icelui Mouvement Cleste, qui est dedans les dites veines de la Terre, y est tant petite, qu'elle est imperceptible, mais y est continue. Car, pos qu'il soit nuit, la chaleur naturelle ne laisse pas d'y tre : Et icelle chaleur ne vient pas du Soleil, ains vient de la Rflexion de la Sphre du Feu, qui circuit l'Air, et aussi du Mouvement continuel des Corps Clestes, qui font chaleur continuelle tant lente, qu' peine se peut seulement imaginer ni entendre. Et si le Soleil tait cause de la chaleur minrale, comme disent Raymond Lulle et Aristote, encore serait-ce toujours chaleur continuelle ; car la Terre est environne par le Soleil jour et nuit. Mais cette opinion, quoi que disent Raymond

    FIN

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    Lulle et Aristote est fausse et errone. Car le Soleil n'est ni chaud ni froid ; mais son mouvement est naturellement chaud.

    A donc cette chaleur, mene par le Mouvement des Corps Clestes, va continuellement es veines de la Terre ; non pas qu'elle chauffe, comme cuident aucuns Fous, qu'elle fasse, disent-ils, la Mine chaude : Car si elle tait chaude, quelque peine chaleur active qu'il y et, elle ne mettrait point dix ans cuire en perfection de Soleil le Mercure, lequel y est plus de six cents ans ; ainsi comme il est tout clair. Car la Terre est froide et sche, et les Minires sont au centre de la Terre. Il faudrait donc, avant que la chaleur passt aux Minires de la Terre, si quelles eussent et sentissent rellement la chaleur du Soleil, tant petite qu'elle ft ; que nous qui sommes l'Air mourussions de chaleur que nous aurions : pour ce qu'il faudrait qu'elle ft fort vhmente, pour passer l'Eau et la Terre, pour aller es Lieux Minraux : car la froideur de l'Eau et l'paisseur de la Terre la tueraient si elle n'tait forte. Et par ainsi nulle Bte ni Crature ne vivrait dessus la Terre, si ce qu'ils disent tait vrai.

    Mais ceci se doit entendre naturellement, parce lesdits Minraux sont composs des quatre Elments, c'est savoir le Mercure. Quand les Elments se meuvent et chauffent le Mercure, cette Motion fait la naturelle chaleur. Et ainsi le Feu, qui est dedans le Mercure, et l'Air se meuvent et s'lvent petit petit : Car ils sont plus dignes Elments que n'est l'Eau et la Terre du Mercure : mais toutefois l'Humidit et la Chaleur dominent. Et pour ce que la chaleur et scheresse sont plus dignes Elments, ils veulent vaincre les autres ; c'est savoir la Froideur et l'Humidit qui dominent au Mercure : pour ce que le naturel Mouvement et chaleur cause des Mouvements des Corps Clestes, meuvent aussi les Mouvements du Mercure; c'est dire, ses Qualits. Et par longtemps premier la Scheresse du Mercure vainc un degr de son Humidit, et se fait Plomb. Et puis aprs elle vainc encore un autre degr, et se fait Etain. Et puis la chaleur du Mercure commence consommer un peu de l'Humidit et de la Froideur, et se fait Lune. Et puis la chaleur encore plus domine, et se fait Airain. Et puis Fer, et Soleil parfait. Et ainsi les deux Qualits, devant dites, qui solaient tre succombes par Froideur et Moiteur, maintenant consomment et succombent les autres, et la Chaleur et Scheresse dominent. Et ces deux Qualits, qui au premier succombaient, c'est savoir Chaud et Sec, quand ils commencent soi rveiller, c'est le Soufre : Et la Froideur et Humidit du mme Mercure, c'est Mercure. Ainsi le faut-il entendre, c'est savoir que le Soufre n'est point une chose qui soit divise du Vif-Argent ni spare; mais est seulement celle Chaleur et Scheresse, qui ne dominent point la froideur et Humidit du FIN

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    Mercure, lequel Soufre, aprs digr, domine les deux autres Qualits, c'est dire Froideur et Moiteur, et y imprime ses vertus. Et par ces divers degrs de Dcoctions, se font les diversits des Mtaux.

    Et l'exprience, regarde le Plomb; il est volatil par un feu continu; car les deux Qualits, c'est savoir le Froid et le Moite du Mercure, n'ont encore t autres par le Chaud et le Sec : Et le Chaud et le Sec ne dominent en nulle manire. Et s'ils dominaient, ils ne s'en iraient point en aucune manire de dessus le feu le plus fort du monde. Car le Mercure ne s'en irait pour le feu; ains se rjouirait dedans son semblable. Mais tous les autres Mtaux le fuient, except le Soleil; car encore sont froids et moites, les unes plus que les autres; selon qu'ils tiennent moins encore de Froideur et d'Humidit. A donc ils fuient leurs Contraires, et ne les peuvent souffrir, et s'envolent. Car chacune Chose fuit son contraire, et se rjouit de son semblable. Ainsi, il s'en suit que le Soleil n'est que pur Feu en Mercure. Car jamais, pour gros feu qui soit, ne s'enfuit-il, o tous les autres ne le peuvent souffrir, les uns plus, les autres moins; selon qu'ils sont plus loigns, ou plus prochains de la complexion du Feu. Et ainsi peut-on entendre de la complexion des Mtaux et des Minires. Car Soufre n'est autre chose que pur Feu, c'est savoir Chaud et Sec, cach au Mercure, qui est par longtemps en la Minire, excit par le naturel Mouvement des Corps Clestes, et qui se mne aussi sur les autres (Froid et Moite du Mercure) et les digre, selon les degrs des altrations, en diverses Formes Mtalliques. Et la premire est Plomb, la moins chaude et moite; la seconde Etain; la troisime Argent; la quatrime Airain ; la cinquime Fer; le sixime Soleil, lequel Soleil est sa perfection de Nature Mtallique, et est pur Feu digr par le Soufre, tant dedans le Mercure.

    Et ainsi tu peux voir clairement que Soufre n'est pas une chose part hors de la Substance du Mercure, et que ce n'est pas Soufre vulgal. Car si ainsi tait, la Matire des Mtaux ne serait point d'une nature homogne, qui est contre le dire de tous les Philosophes. Mais les Philosophes ont appel ceci Soufre; parce qu'es Qualits dominantes, c'est une chose inflammable; comme Soufre; chaude et sche, comme Soufre. Et pour cette similitude l'appelle-t-on Soufre; mais non pas que ce soit Soufre vulgal, comme cuident aucuns Fous.

    Ainsi tu peux voir clairement que la Forme Mtallique n'est autrement cre par Nature, que de pure Substance Mercurielle, et non pas trange. Et Gber le dit clairement en sa Somme, ainsi ; Au profond de nature du Mercure est le Soufre, qui se fait par longues attentes es veines de la Minire de la Terre. Item, tout clair

    FIN

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    le disent Morien et Aros : Notre Soufre n'est pas Soufre vulgal, mais est fixe et ne vole point, et est de la nature Mercuriale; et non d'autre chose. Et ainsi, disent-ils, faisons-nous comme Nature; car Nature n'a en la Minire, autre Matire pour besogner, que pure Forme Mercuriale; comme appert par raison, autorit, et exprience. Et audit Mercure est le Soufre fixe et incombustible, qui parfait notre uvre, sans qu'autre Substance y soit requise, que pure Substance Mercurielle. Semblablement le disent Calib, Bendgid, Jsid et Marie tout clair ainsi. Nature fait les Mtaux de Chaleur et Scheresse, surmontante la Froideur et Moiteur du Mercure, en l'altrant; non pas qu'autre le parfasse. Ainsi appert-il clairement par tous les Philosophes, qui seraient long rciter. Mais aucuns Fous cuident qu'en la procration des Mtaux, il y advienne une Matire Sulfureuse.

    Ainsi il appert clairement que dans le Mercure, quand Nature besogne, est le Soufre enclos; mais il n'y domine point, sinon par le Mouvement chaleureux, o ledit Soufre s'altre, et les deux autres Elments du Mercure. Et Nature, par ce Soufre (es veines de la Terre) fait selon le degr des Altrations diverses Formes des Mtaux.

    Ainsi pareillement nous ensuivons Nature. Nous ne mettons rien d'trange en notre Matire. Mais en notre Argent-vif est Soufre fixe, incombustible, mercurieux; lequel toutefois ne domine point encore : car l'Humidit et Froideur du Mercure volatil domine encore. Mais par continuelle action de chaleur, sur ce notre Vif-argent persvrant, le fixe mle par tout le Volatil domine, et vainc la Froideur et Humidit de Mercure : Et la Chaleur et Scheresse du Fixe, qui sont ses Qualits, commencent dominer; et selon les degrs de cette altration du Mercure par son Soufre, se font diverses Couleurs Mtalliques ; ni plus ni moins que Nature fait es Minires. Car la premire est la noirceur Saturnelle; la seconde est blancheur Joviale; la troisime est Lunaire, la quatrime Airaineuse, la cinquime Martiale, la sixime Soldique, et la septime nous la menons un degr par notre Art, plus que ne fait Nature. Car nous la faisons un degr en perfection Mtallique plus parfaite en rougeur sanguine et trs hautaine. Et de ce qu'il est ainsi plus que parfait, parfait les autres. Car s'il n'tait parfait, sinon seulement au degr que Nature simple le parfait; de quoi nous servirait la longueur de ce temps de neuf mois et demi ? Car nous prendrions aussi bien ce Corps-l comme Nature l'a cr. Mais, comme par ci-devant je vous ai montr, il faut que le Corps masculin soit plus que parfait par Art, ensuivant Nature. Et ainsi de son Outre perfection, il peut parfaire les autres Imparfaits, de son abondante et plan-tereuse radiation en Poids, en Couleur, en Substance, en Racines et en Principes Minraux. FIN

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    Et pourtant, qui serait tant ventueux de cuider le parfaire, tel que nous le demandons, par autres choses tranges, l o il n'y a point de Commixtion en ses Racines ? Car, comme dit la Tourbe, l o la vanit est leve de toute fausset; et par Arislus, qui fut Gouverneur seize ans du Monde Universel par son grand savoir et entendement, lequel tait Grec, et fut Assembleur des Disciples de Pythagoras, lequel, comme on lit es Chroniques de Salomon, fut le plus sage, aprs Herms, qui onques fut; et si lit-on, que jamais il ne mentait, et parce qu'il s'appelait en aucuns Livres d'Astrologie le Vridique; et trouve-t-on dans son Livre, Que Nature ne s'amende qu'en sa nature. Comment donc voulez-vous amender notre Matire, sinon en sa propre nature ? Regarde bien aussi Parmenides comment il en parle. Car je te dis, en mon Dieu, que ce fut celui qui fut mon premier Adresseur de mes erreurs.

    Ainsi donc il appert que Nature Mtallique ne s'amende qu'en sa nature mtallique, et non en autre chose, quelle qu'elle soit. Et par notre Art, nous achverons en quelques mois, l o Nature met milliers d'ans. Car premier la Chaleur es Minires est nulle, partant que si elle y tait, il se ferait coup : mais en notre uvre, nous avons Chaleur double ; c'est savoir, du Soufre et du Feu, aidant l'un l'autre. Non pas, comme dit Constantin et Empdocles, que le Feu soit de la Substance de la Matire, qui augmente l'uvre; car il s'ensuivrait qu'elle percerait de jour en jour plus, qui est une chose pleine d'erreur. Mais seulement le Feu est tout l'Art de quoi s'aide Nature; car nous n'y saurions faire autre chose. Et pour ce sachez que le Feu fort ne les altre point l'un l'autre, et aussi Feu fort les garde d'avoir mouvement l'un avec l'autre.

    Mais faites Feu vaporant, digrant, continuel, non violent, subtil, environn, areux, clos, incomburant, altrant. Et (en mon vrai Dieu) je t'ai dit toute la manire du Feu, et rcapitule mes mots, mot mot. Car le Feu est tout, comme tu peux voir par tous les dits du Code de toute vrit. Item, A ce propos, regarde ce que dit le Grand Rosaire : Gardez que vous ne veuillez parfaire votre Solution avant le temps requis, car cet avancement est signe de privation de Conjonction. Et pour ce, dit-il, soit votre Feu persvrant et doux en degr de la Nature, et amiable au Corps, digrant froideur. Item, A ce propos dit aussi Marie la Prophtesse. Le Feu fort garde de faire la Conjonction; le Feu fort teinte le blanc en rouge de Pavot champtre. Et ainsi tu peux imaginer de toi-mme, comme moi-mme l'ai fait. Car je l'ai mis en chaleur de fient, et en rien ne valait, et en Feu de Charbon sans nul moyen, et ma Matire me sublimait, et ne se dissolvait point. Mais en Feu, comme je t'ai dit, vaporeux, digrant, continuel, non pas violent, subtil, environn, areux, FIN

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    clair et enclos, incomburant, altrant, pntrant et vif. Et si tu es Homme, tel que doit tre un vrai Etudiant, tu entendras, par ces paroles, ce que ce doit tre. Et mme, regarde ce que dit la Tourbe, sans aucune envie : L'exprience artificielle te montre quel il sera. Regardez aussi, comme dit la Lumire d'Aristote : Mercure se doit cuire en triple Vaisseau, et c'est pour vaporer et convertir l'activit de la Scheresse du Feu en l'Humidit vaporeuse de l'Air circulant la Matire. Regardez ce propos ce que Gber et Snque afferment. Le Feu ne digre point notre Matire; mais sa chaleur altrante et bonne, qui est estime sche par l'Air, qui est le moyen l o le Feu sert mouvoir et moitir.

    Mais de ceci n'en ai-je rien voulu parler. Car c'est le Feu qui le parfait, ou qui le dtruit. Et comme disent Aros et Calib. En tout notre Ouvrage, notre Mercure et le Feu te suffisent au milieu et la fin. Mais au commencement n'est-il pas ainsi, car ce n'est pas notre Mercure, ce qui est bon entendre. Item, Morien dit : Sachez que notre Lton est rouge, mais nous n'en avons nul profit, jusqu' ce qu'il soit blanc. Et sachez que l'Eau tide le pntre et blanchit, comme elle est, et que le Feu humide, et vaporeux fait le tout. Item, Regardez ce que disent Bendgid, Matre Jean de Meung, et Haly : Aussi entre vous, qui toutes nuits et jours cherchez et dpendez vos pcunes et consommez vos biens, et perdez votre temps, et rompez vos entendements, et tudiez en tant de subtilit de Livres : Je vous certifie et fais savoir en charit et piti, comme ferait le Pre son Enfant unique, que blanchissiez le Lton rouge, par l'Eau blanche touffe et tide : et rompez tant de Livres Sophistiques, et tant de Rgimes, et tant de subtilits, et me croyez. Car autrement ce n'est que rompement de cervelle, et tous viennent ce que je dis. Et ainsi tu peux voir clairement que cette parole est une des meilleures paroles qui onques fut dite. Regardez aussi ce que dit le Code de toute vrit : Blanchissez le rouge, et aprs rougissez le blanc : car c'est tout l'Art, le commencement et la fin : Et moi, je te dis que si tu ne noircis, tu ne peux blanchir. Car noirceur est le commencement de blancheur; et la fin de noirceur est signe de putrfaction, et altration, et que le Corps est pntr et mortifi. Et mon propos, dit Morien, le Sage Philosophe Romain : S'il n'est pourri et noirci, il ne se dissoudra point; et s'il ne se dissout, son Eau ne le pourra par tout pntrer ni blanchir : et ainsi il n'y aura point de Conjonction et Mixtion, et par consquent d'Union. Car il faut Mixtion avant qu'y ait Union; et faut Altration avant Mixtion : et faut Composition avant Altration. Et ainsi, par ces degrs, notre Matire est faite l'exemple de Nature, en tout et par tout, sans y rien ajouter ni diminuer; comme tu peux voir par mes dits.

    FIN

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    Mais pour ce qu'aucuns pourraient parler et demander du Poids de notre Matire, aussi comment Nature prend ce Poids : Je leur rponds qu'es Lieux de la Minire il n'y a nul Poids, comme je vous dis : Car Poids est quand il y a deux choses. Mais quand il n'y a qu'une chose et qu'une Substance, il n'y a point de regard au Poids; mais le Poids est quand au regard du Soufre qui est au Mercure : Car, comme je t'ai dit, l'Elment du Feu, qui ne domine point au Mercure crud, est celui qui digre la Matire. Et pour ce, qui est bon Philosophe, sait combien l'Elment du Feu est plus subtil que les autres, et combien il peut vaincre en chacune Composition de tous les autres Elments. Et ainsi le Poids est en la Composition premire lmentale du Mercure, et rien autre chose.

    Il faut donc que premirement la Composition ou Conjonction se fasse, puis Altration, puis Mixtion, puis l'Union se fera. Et pour celui qui veut bien ressembler Nature en tout, et par tous ses Faits, doit proportionner son Poids celui de Nature, et non autrement. Et ce propos, regardez ce que dit le Code de toute vrit : que si vous faites Confection sans Poids, il y viendra retardation, par laquelle tu seras dcourag si tu le fais. Item, dit trs bien ce propos Abugazai, qui fut Matre de Platon en cette Science : La puissance terrienne sur son Rsistant, selon la Rsistance diffre, c'est l'action de l'Agent en cette Matire. Lesquelles paroles sont mots dors sur le fondement du Poids, et autrefois les ai bien pilogues : Et qui ne sera Clerc, ne les entendra pas sitt : Or, si tu n'es Clerc, fais-les toi exposer par un Sage et Discret. Moi-mme je te les exposerais; mais j'ai vou et promis Dieu, Raison et aux Philosophes, que jamais par moi, en paroles claires et vulgaires, ne serait mis le Poids, ni la Matire ni les Couleurs, sinon en Paroles paraboliques, lesquelles vous aurez tantt. Et je te dis bien que cette Parole est toute vraie, sans aucune diminution ni superfluit, en suivant la coutume des Sages.

    Donc je t'ai parl en mon Livre des Inventeurs de cette Science, et de ceux qui l'ont eue, et je t'ai dit et rvl comment, moi-mme, l'ai eue du commencement jusqu' la fin, et aussi des Trompeurs et de mes dpens et peines. Et je te dis que j'avais bien soixante-quatre ans avant que je la susse, et si j'avais commenc depuis que j'avais dix-huit ans. Mais si j'eusse eu tous les Livres que j'ai eu depuis, je n'eusse pas tant tard, et ne tardais que par dfaut de Livres : Et n'avais, sinon quelques rceptes errons, fausses et faux Livres; et si ne communiquais et sermonnais qu'avec Gens faux et Larrons ignorants, maudits de Dieu et de toute la Philosophie. Mais aprs que je sus cette Science, j'ai bien eu l'accointance de quinze Personnages, qui la savaient vraiment. Mais entre autres, il y avait un FIN

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    Barberin, lequel, comme nous en parlions ensemble, et toutefois je la savais dj deux ans auparavent, mais je ne l'avais point faite, et ainsi que d'aventure il m'chappa, en nous disputant, de dire que je ne l'avais point faite, il me voulait depuis dvoyer et dtourner. De sorte que pour cette cause je le laissai : Car je la savais aussi bien que lui. Mais nous en disputions comme Frres, et la plus grande chose de quoi nous parlions, tait de celer cette Science prcieuse. Et ainsi, comme je vous dis, aprs que je l'ai sue, j'ai eu l'accointance d'assez de ceux qui la savaient, par avant encore que je l'eusse faite, et parlions clairement. Mais quant la manire du Feu, les uns taient divers aux autres, combien que la fin ft toute une chose. Ainsi, comme te le dit la Tourbe : Que le Fuyant ne s'envole devant le Poursuivant, quoique le Feu se fasse de mainte manire, comme il veut tre fait.

    Ainsi je conclus et m'entends. Notre uvre est faite d'une Racine et de deux Substances Mercurielles, prises toutes crues, tires de la Minire, nettes et pures, conjointes par feu d'amiti, comme la Matire le requiert; cuites continuellement, jusqu' ce que deux fassent Un; et en cet Un-ci, quand ils sont mls, le Corps est fait Esprit, et aussi l'Esprit est fait Corps. A donc vigore ton feu, jusqu' ce que le Corps fixe teigne le Corps non fixe en sa couleur et en sa nature. Car sachez que quand il est bien ml, il surmonte tout, et rduit lui et sa vertu. Et sachez qu'aprs il teint et vainc mille, et dix fois mille, et mille fois mille. Et qui l'a vu le croit : Et aussi se multiplie-t-il en vertu, et en quantit, comme le vnrable et trs vritable Pythagoras, et Isindrius, dans le Code de toute vrit, en parlent trs videmment.

    Et sachez qu'oncques en nuls Livres je ne trouvai la Multiplication, hors en ceux-ci; c'est savoir au Grand Rosaire, en la Pandecte de Marie, au Vridique, au Testament de Pythagoras, en la Benote Tourbe, en Morien, en Avicenne, en Bolzain, en Albugazar, qui fut Frre de Bendgid, en Jsid, qui tait de Constantinople Cit. Et autres Livres, si elle y tait, jamais ne l'ai pu apprendre. Et si ai bien vu un de la Marche d'Ancone, qui savait trs bien la Pierre; mais la Multiplication, il ne la savait pas : et me poursuivis bien par seize ans; mais jamais par moi il ne la sue, car il avait les Livres comme moi.

    Je t'ai parl de toute la Spculative, et t'ai inform des Principes Minraux, et raisons ncessaires, par lesquelles tu peux lever ton entendement connatre les faussets d'avec les vrits; et tre inform et assur en cette uvre. Maintenant je te veux mettre practicalement la Pratique en obscures Paroles, ainsi comme je l'ai faite quatre fois et compose. Et je te dis bien que quiconque aura mon Livre, il

    FIN

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    sera ou devra tre hors de toutes angoisses, et devra savoir la vrit accomplie, sans nulle diminution : Car (en mon Dieu) je ne te saurais plus clairement parler que je t'ai parl, si je ne te le montrais; mais raison ne le veut pas. Car toi-mme, quand tu le sauras (je te dis vrai) tu le scelleras encore plus que moi : Outre ce, seras-tu courrouc de ce que j'ai parl si ouvertement : Car c'est la volont de Dieu qu'elle soit cache, ainsi comme dit la Tourbe partout.

    QUATRIEME PARTIE

    OU EST MISE LA PRATIQUE EN PAROLES PARABOLIQUES

    Or tu dois savoir que quand j'eus tant tudi, que je me sentis un peu Clerc, je commenai chercher Gens vrais de cette Science, et non pas erreux : Car un Homme savant demande un autre savant, non pas le contraire. Pour conclusion, chacun demande son semblable. En allant, je passai par la Ville d'Appulle, qui est en Inde, et ous dire qu'il y avait l un des grands Clercs du Monde en toutes Sciences, lequel avait pendu pour Joel es Disputations, un beau petit Livre de trs-fin Or, les feuillets et la couverture, et tout ledit Livret. Et cela tait pendu tous venants qui en sauraient arguer. Alofs, moi allant par la Ville, toujours dsirait parvenir chose d'honneur. Mais sachant que sans me mettre en avant et avoir courage, jamais ne parviendrais los et honneur, pour Science que susse : Si est-ce que je prins courage, par Yenhortement d'un Homme vaillant. De sorte, qu'tant en chemin, je me mis en train pour aller aux Disputations, l o je gagnai ledit Livret devant tout le monde pour bien disputer : lequel me fut prsent par la Facult de Philosophie, et tout le monde commenait me regarder trs fort. Alors je m'en allai pensant par les champs, parce que j'tais las d'tudier.

    Une nuit advint que je devais tudier, pour le lendemain disputer : Je trouvai une petite Fontenelle, belle et claire, toute environne d'une belle pierre. Et cette pierre-l tait au dessus d'un vieux creux de Chne, et tout l'environ tait borde de murailles, de peur que les Vaches ni autres Btes brutes, ni Volatiles, ne s'y baignassent. A donc j'avais grand apptit de dormir, et m'assis au-dessus de ladite Fontaine, et je vis qu'elle se couvrait par-dessus et tait ferme.

    Et il passa par l un Prtre ancien et de vieil ge : Et je lui demandai pourquoi est ainsi cette Fontaine ferme dessus et dessous, et de tous cts. Et il me fut gracieux et bon, et me commena tout ainsi dire : Seigneur, il est vrai que cette Fontaine

    FIN

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    est de terrible vertu, plus que nulle autre qui soit au monde; et est seulement pour le Roi du Pays qu'elle connat bien, et lui elle. Car jamais ce Roi ne passe par ici qu'elle ne le tire soi. Et est avec elle dedans icelle Fontaine se baigner deux cent quatre-vingt-deux jours. Et elle rajeunit tellement ledit Roi qu'il n'y a Homme qui le puisse vaincre. Et il y passe ainsi. Et ainsi ce Roi a fait clore ladite Fontaine, tout premier d'une Pierre blanche et ronde, comme vous voyez. Et la Fontaine y est si claire que fin Argent, et de cleste couleur. Aprs, afin qu'elle fut plus forte, et que les Chevaux n'y marchassent, ni autres Btes brutes, il y leva un creux de Chne, tranch par le milieu, qui garde le Soleil, et l'Ombre de lui. Aprs, comme vous voyez, tout l'entour elle est d'paisse muraille bien close; Car premier elle est enclose en une pierre fine et claire, et puis en creux de Chne. Et cela est parce qu'icelle Fontaine est de si terrible nature, qu'elle pntrerait tout, si elle tait enflambe et courrouce. Et si elle s'enfuyait, nous serions perdus.

    A donc je lui demandai s'il y avait vu le Roi. Et il me rpondit qu'oui, et qu'il l'avait vu entrer : Mais que depuis qu'il y est entr, et que sa Garde l'a enferm, jamais on ne le voit, jusqu' cent et trente jours. Alors il commence paratre et resplendir. Et le Portier, qui le garde, lui chauffe son Bain continuellement, pour lui garder sa chaleur naturelle, laquelle est masse et cache dedans cette Eau claire, et l'chauff jour et nuit sans cesser.

    A donc je lui demandai de quelle couleur le Roi tait. Et il me rpondit, qu'il tait vtu de Drap d'Or au premier. Et puis avait un Pourpoint de Velours noir, et la Chemise blanche comme neige, et la Chair aussi sanguine, comme sang. Et ainsi je lui demandai toujours de ce Roi.

    Aprs lui demandai quand ce Roi venait la Fontaine, s'il amenait grande Compagnie de Gens tranges, et de menu Peuple avec lui. Et il me rpondit aimablement, en soi souriant : Certainement ce Roi, quand il se dispose pour venir, il n'amne que lui, et laisse tous ses Gens tranges; et n'approche nul que lui cette Fontaine, et nul n'y ose aller sinon sa Garde, qui est un simple Homme; et le plus simple Homme du Monde en pourrait tre Garde : Car il ne sert d'autre chose, sinon de chauffer le Bain; mais il ne s'approche point de la Fontaine.

    Alors je lui demandai s'il tait Ami d'elle, et elle Amie de lui. Et il me rpondit : Ils s'entr'aiment merveilleusement, la Fontaine l'attire elle et non pas lui elle : car elle lui est comme Mre.

    FIN

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    Et je lui demandai de quelle Gnration tait ce Roi. Et il me rpondit : On sait bien qu'il est fait de cette Fontaine-l : et cette Fontaine l'a fait tel qu'il est, sans autre chose.

    Et je lui demandai : Tient-il gure de Gens ? Et il me rpondit : Que six Personnes, qui sont en attente, que s'il pouvait mourir une fois, ils auraient le Royaume aussi bien que lui. Et ainsi le servent et ministrent, car ils attendent tout leur Bien de lui.

    A donc je lui demandais s'il tait vieil. Et il me rpondit qu'il tait plus que la Fontaine, et plus mr que nul de ses Gens, qui sont sous lui.

    Et je lui dis : Pourquoi est-ce donc que ses six Compagnons et Sujets ne le tuent, et ne le mettent mort, puisqu'ils attendent tant de Biens de lui par sa mort, et aussi puisqu'il est si vieil ? Et adonc il me rpondit : Combien qu'il soit bien vieil, si n'y a-t-il nul de ses Gens ni Sujets, qui tant endurt froid et chaud comme lui, ni pluie ni vent, ni aucune peine.

    Et je lui dis : Au moins que ne le tuent-ils, et ne le mettent mort? Et il me rpondit que tous six, ni toute leur force ensemble, ni chacun part soi, ne le sauraient tuer.

    Et comment donc, dis-je, auraient-ils le Royaume qu'il tient, puisqu'ils ne le peuvent avoir jusqu'aprs sa mort, et qu'us ne le peuvent tuer ? Adonc il me dit : Tous six sont de la Fontaine, et en ont eu tous leurs Biens, aussi bien que lui : Et ainsi, pour l'amour qu'ils en sont, elle le prend et tire elle, et le tue, et le met mort. Puis il est ressuscit par elle-mme. Et puis de la Substance de son Royaume, qui en est trs menues parties, chacun en prend sa pice. Et chacun, pour petite pice qu'il en ait, il est aussi riche comme lui, et l'un comme l'autre.

    Et je lui demandai : Combien faut-il qu'us attendent ? Et il commena sourire, et dire ainsi : Sachez que le Roi y entre tout seul, et nul. Etranger, ni nul de ses Gens n'entre dedans la Fontaine : Combien qu'elle les aime bien, ils n'y entrent point. Car us ne l'ont encore point desservi. Mais toutefois, quand le Roi y est entr, premirement il se dpouille sa Robe de Drap de fin Or, battu en feuilles trs dlies, et la baille son premier Homme, qui s'appelle. Saturne. Adonc Saturne la prend et la garde quarante jours ou quarante-deux au plus, quand une fois il l'a eue. Aprs le Roi dvt son pourpoint de fin Velours noir, et le second Homme, qui est Jupiter, et il le lui garde vingt jours bons. Adonc Jupiter, par com