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Avec Isabelle Eynaud-Chevalier, Isabelle Lamothe, François Moreau Préface de Pascal Picq Daniel Benoilid Patrick Bensabat Laurent Berger Éric Blanche Michel Combes Marie-Françoise Damesin Pierre Deheunynck Pierre-Yves Gomez Fabienne Goux-Baudiment Anthony Gutman Émery Jacquillat Sylvie Joseph Daniel Krob Anne Leitzgen Marylise Léon Bruno Mettling Thomas Philippon Geoffroy Roux de Bézieux Frédéric Sanchez Michael Schwartz Véronique Weill Éric Wyttynck Kwame Yamgnane HOMO NUMERICUS AU TRAVAIL Pierre Beretti et Alain Bloch

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Avec Isabelle Eynaud-Chevalier, Isabelle Lamothe, François Moreau Préface de Pascal Picq

Daniel BenoilidPatrick BensabatLaurent BergerÉric Blanche Michel Combes Marie-Françoise DamesinPierre Deheunynck Pierre-Yves GomezFabienne Goux-BaudimentAnthony GutmanÉmery JacquillatSylvie Joseph Daniel KrobAnne LeitzgenMarylise LéonBruno Mettling Thomas PhilipponGeoffroy Roux de Bézieux Frédéric SanchezMichael SchwartzVéronique WeillÉric Wyttynck Kwame Yamgnane

HOMONUMERICUSAU TRAVAILPierre Beretti et Alain Bloch

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Vifs et chaleureux remerciements

Nous souhaitons remercier vivement les consultants d’Altedia LHH qui, par leurs conseils et leurs idées, ont contribué à l’élaboration de cet ouvrage :

Stéphanie BertrandPierre Bouvier Michel BréCéline CarraciAnne CarrizoOlivier ChampionMichael EncaouaFrédérique FerriéDavid GandWilly GuillaumeStéphane LepertÉric Lhomme

Jean-Baptiste LouisPaulo Antonio LopesCharles MassonFabrice MaudhuyMorgane MorizetRachida Oubejja Deborah PenaudCéline PetitSophie PiotCharles de SabranKhaleda Zeghli-Cherif

Nous souhaitons également remercier chaleureusement :- Catherine Dedieu pour la direction de projet de cet ouvrage ;- Nathalie Pessel pour la rédaction des reportages ;- l’équipe de Markcom, en particulier Yves Ronin, Raphaël Michon et Isabelle Achouri,

pour la direction artistique ;- les photographes qui nous ont accompagnés, Marilyn Smith et Quentin Strauss, sans oublier Business & Decision, Camif, Orange, SFR (Alain Guizard) pour les photographies fournies ;

- Ralph Lazar pour l’illustration originale de couverture.

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PRÉFACE par Pascal Picq AVANT-PROPOS par Pierre Beretti et Alain Bloch

LE TRAVAIL ÉCLAIRÉ• Daniel Krob • Pierre-Yves Gomez• Thomas Philippon • Fabienne Goux-Baudiment

LE NOUVEL ESPACE-TEMPS-TRAVAIL• La Cordée• Remix Coworking• Daniel Benoilid, Foule Factory

DES ROBOTS ET DES HOMMES • Schmidt Groupe• Frédéric Sanchez, Fives

BIG DATA ET RESSOURCES HUMAINES• Patrick Bensabat, Business & Decision• Seba Coulibaly, Altedia LHH

UN NOUVEL ESPACE À CONQUÉRIR POUR LE DIALOGUE SOCIAL • Laurent Berger et Marylise Léon, CFDT• Geoffroy Roux de Bézieux, Medef

ENTREPRISES EN RÉINVENTION• Véronique Weill, Axa • Émery Jacquillat, Camif• Sylvie Joseph, La Poste• Michel Combes, Alcatel-Lucent• AccorHotels

TOUS DIGIT’AGILES !• Bruno Mettling, Orange• Kwame Yamgnane, 42 • Marie-Françoise Damesin, Renault• Pierre Deheunynck, Crédit Agricole

PLONGEZ DANS LE WORKCLOUD !Conclusion et pistes d’actions par Pierre Beretti et Alain Bloch

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SOMMAIRE

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PRÉFACE

AVANT-PROPOS

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HOMONUMERICUSAU TRAVAIL

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PRÉFACE par Pascal PICQ

paléoanthropologue au Collège de France

Paléoanthropologue au Collège de France, Pascal Picq dédie ses recherches à l’évolution morphologique et sociale de la lignée humaine dans le cadre des théories modernes de l’évolution. Après avoir introduit l’éthologie dans le champ de l’anthropologie évolutionniste, il s’est impliqué dans des questions de société. Il est associé à l’APM (Association Progrès du Management), au MENE (Mouvement des Entreprises de la Nouvelle Économie) et à l’Observatoire de l’Ubérisation de la Société. Ses essais, comme Un Paléoanthropologue dans l’Entreprise (Eyrolles), sont des plaidoyers pour l’avenir.

Vive la coévolution entrepreneuriale du travail !

Bouleversement des modes de communication et mutation des connaissances (NBIC) ; diversification des énergies ; nouveaux modes de production et de mobilité ; globalisation ; transformation de la famille et de la démographie ; changement climatique et érosion des diversités… Tous les indices concordent : nous ne vivons pas la fin du monde, mais l’entrée dans un nouvel âge stimulé par les réseaux, les intelligences connectées et les changements d’environnement. D’un point de vue économique, nous sommes dans le cinquième cycle de Kondratieff/Schumpeter avec ses conséquences sociales et ses mutations anthropologiques. Deux attitudes se polarisent. D’une part, le désarroi. Après 1945, notre pays comme le monde occidentalisé et industrialisé se lance dans un même schéma de progrès, avec le développement des infrastructures, de l’éducation, de la protection sociale… sur fond de croissance, de plein emploi et de sources d’énergie non limitées. Aujourd’hui, l’attrition accélérée de ce socle fondateur frappe de plein fouet tous ceux qui peinent à se projeter dans le monde qui vient. L’enjeu est énorme : si

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de nouvelles perspectives ne s’ouvrent pas, les tensions deviendront de plus en plus violentes. Mais redonner espoir ne consiste pas à raconter qu’on reviendra au monde d’avant, ni à faire croire que l’État ou les politiques détiennent à titre principal les clés de l’avenir. C’est arriver à expliquer que, certes, rien ne sera facile ; mais qu’au lieu de nous accrocher en vain à un monde qui meurt, nous devons nous engager dans la transformation et accompagner les forces du renouveau. Car cet élan créateur est d’ores et déjà à l’œuvre. Marx avait analysé, en son temps, les conditions de fonctionnement du capitalisme : réunir beaucoup d’argent pour maîtriser des moyens de production onéreux. Les travailleurs, quant à eux, vendaient leur « force de travail ». Désormais, la situation est totalement différente. Chacun peut créer son entreprise à partir d’Internet et des réseaux, sans avoir à subir de barrières à l’entrée. Jeremy Rifkin a bien décrit cette société du coût marginal zéro. De jeunes entrepreneurs peuvent se financer grâce au crowdfunding et, nantis de quelques milliers d’euros, acheter en ligne des outils et des services : gestion, logiciel, marketing, finance, paiement… Et ces nébuleuses de petites entreprises bousculent déjà les modèles traditionnels d’entreprises, à commencer par les plus grandes. Cela se traduit par l’émergence de toute une génération d’entrepreneurs

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qui ne s’inscrivent dans aucun schéma existant. Au contraire, ils font de sujets auparavant relégués dans la catégorie des externalités (le prix à payer par la société pour permettre la croissance économique) une source d’opportunités et d’innovations. À preuve, tous les modèles d’économie circulaire, de fonctionnalité ou de partage et tous les nouveaux produits et services stimulés par la nécessité de préserver les écosystèmes, d’augmenter l’efficacité énergétique, de réduire l’exclusion sociale… Autre différence fondamentale, ces jeunes femmes et ces jeunes hommes n’innovent pas pour survivre, selon l’injonction implacable de la compétition du XXe siècle : ils vivent en innovant ! De ce point de vue, ils ne respectent pas le modèle schumpétérien de compétition/innovation entre les grandes entreprises, mais se montrent darwiniens. Ils se lancent, créent, échouent ou réussissent, manifestant ainsi le principe de variation-sélection au cœur de la capacité d’adaptation et d’évolution décrite par Darwin. Ils pratiquent également une forme de coévolution, qui consiste, au lieu de réduire et d’élaguer, à donner plus pour avoir plus, à collaborer et à créer un autre jardin ! Un jardin qui n’oppose pas systématiquement les petits et les gros, les anciens et les modernes, mais qui joue des coopérations et des innovations à la croisée des chemins. Une nouvelle économie ne remplace pas une autre ; et il en est de même pour l’évolution des espèces. De nouveaux entrepreneurs créent un écosystème qui, s’il détruit certains domaines, apporte des solutions innovantes dans des secteurs dits classiques mais au bout de leurs modèles. En termes plus évolutionnistes, certaines lignées disparaissent, d’autres s’amenuisent et d’autres se déploient dans un nouveau tissu de relations : c’est la coévolution. Et ce tissu est celui des NTIC/NBIC.C’est un vrai changement culturel qui doit nous inspirer et que nous devons accompagner. Un peu à l’image de ce qu’ont fait quelques personnalités exceptionnelles de la fin du XVIIIe siècle au sein de la Société lunaire de Birmingham : croisant des spécialités et des expertises différentes, elles se réunissaient chaque mois à la pleine lune, dans la convivialité, pour bâtir une nouvelle société. Animées par leur foi dans l’homme, dans les sciences et dans la capacité émancipatrice de l’action, elles ont jeté avec succès les bases d’un nouveau monde. Elles ont œuvré pour la démocratie et pour l’éducation des femmes, fait abolir l’esclavage dans l’empire

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britannique, brisé les frontières des corporations et des filières, créé les premières entreprises modernes, lancé la révolution industrielle ! Elles s’appelaient James Watt, inventeur, et Matthew Boulton, entrepreneur (les coinventeurs de la machine à vapeur avec régulateur) ; Josiah Wedgwood (dirigeant de la première entreprise mécanisée, le premier manager et aussi marketeur de son temps) ; Erasmus Darwin (médecin, l’un des plus grands inventeurs de son époque), sans compter leurs amis, Adam Smith, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson… Quel enseignement pour aujourd’hui, alors que nous quittons précisément ce qui a fait notre monde depuis la révolution industrielle ? D’abord, la puissance d’un projet qui allie une ambition humaine, économique et sociale. Ensuite, la force d’innovation que recèle une diversité de talents unis dans un même mouvement. Enfin, le pouvoir libérateur de la confiance et la volonté de mettre le changement en action, stimulé par l’audace de l’essai-erreur et un principe de précaution qui ne paralyse pas l’action mais mobilise la responsabilité sociétale et environnementale. Alors que le travail (dont les formes sont de plus en plus entrepreneuriales) est lui aussi bouleversé par la nouvelle ère anthropologique de l’humanité connectée, l’ouvrage d’Altedia et HEC s’inscrit dans cet esprit. Il cultive en effet la diversité des points de vue (dirigeants d’entreprises, acteurs des nouvelles communautés de travail, syndicalistes, universitaires, entrepreneurs de nouvelle génération…). Il explore les innovations de terrain afin de dégager des axes d’action dans ce qui est déjà une nouvelle société dont il nous appartient de définir en quoi elle représente une nouvelle étape du progrès. Surtout, il inscrit, au cœur de la révolution du travail avec la révolution digitale et ce qu’on appelle « le second âge des machines », la confiance dans notre résilience collective et la priorité donnée à l’Homme. Faisons nôtre cet aphorisme du philosophe Francesco Savater : « la seule véritable entreprise de l’Homme est de se réinventer lui-même. »Vive la coévolution entrepreneuriale du travail !

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AVANT-PROPOS par Pierre BERETTI et Alain BLOCH

Entendre des entrepreneurs américains de la Silicon Valley évoquer leurs craintes (oui, vous avez bien lu, leurs craintes) sur les bouleversements sociétaux induits par l’accélération sans précédent de la révolution technologique que le monde traverse, fut pour nous en ce printemps 2015 à San Francisco, à l’occasion du voyage d’études que nous organisons chaque année pour la promotion d’HEC Entrepreneurs, une forme de révélation. Cette inquiétude avouée, étonnante au pays du « tout est possible », faisait singulièrement écho aux propos échangés avec les dirigeants des grandes entreprises françaises tout au long de l’année en diverses occasions : eux aussi donnaient le sentiment d’être presque tétanisés par le tsunami numérique qui s’annonçait devant eux. Les énormes et complexes organisations dont ils avaient la charge paraissaient soudain inaptes à manœuvrer avec l’agilité et la rapidité nécessaires pour survivre. Ainsi Jean-Louis Beffa, l’ancien Président du groupe Saint-Gobain, confiait-il à l’occasion du 350e anniversaire d’un groupe dont on sait qu’il en a vu pourtant beaucoup au cours de son histoire : « le grand défi à venir pour Saint-Gobain sera la digitalisation. »De fait un rapide survol de la littérature des 18 derniers mois sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « révolution numérique » donne le tournis : de La société automatique à La mort de la mort en passant par La vie algorithmique, The Second Machine Age, Demain les posthumains, Exponential Organizations ou même le succès planétaire du Capital au XXIe siècle, l’évolution du monde telle qu’elle est interrogée par ces contributions à succès laisse à tout le moins songeur, pour ne pas dire perplexe. Le rêve du progrès technologique serait-il en train de virer au cauchemar ? Ces entrepreneurs qui changent le monde avec un optimisme insolent sont-ils en train de devenir de nouveaux apprentis sorciers ?Alors revient en mémoire la fameuse injonction d’Hannah Arendt1 : « Penser ce que nous faisons. » Il y a urgence. Si, pour faire court, les progrès conjugués de l’informatique, des réseaux, de l’intelligence artificielle, de la robotique sans oublier les biotechnologies (le choc suivant ?), bref la grande convergence « NBIC » (pour Nanotechnologies, Biologie,

1 In Between Past and Future (La crise de la culture), Gallimard 1972.

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Informatique et Sciences Cognitives) qui se profile rend d’un côté l’homme de plus en plus oisif par la raréfaction du travail, et de l’autre de moins en moins mortel par l’allongement de la durée de la vie, de quelle humanité parlons-nous ? Alors oui, « les hommes qui ne pensent pas sont comme des somnambules »…On sait que, pour nombre de scientifiques au premier rang desquels Erik Brynjolfsson du prestigieux MIT2, la révolution numérique est tout bonnement en train d’automatiser le travail intellectuel, après que les précédentes révolutions industrielles ont poursuivi le projet d’automatiser le travail manuel. Selon deux chercheurs de l’Université d’Oxford, Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne3, près de la moitié des emplois de services que nous connaissons aujourd’hui serait concernée. Et d’un coup les dirigeants d’entreprise prennent conscience que tous les secteurs seront touchés, de la finance à la santé en passant par l’éducation et l’énergie, jusqu’à la construction et même l’agriculture. Les journalistes Philippe Escande et Sandrine Cassini4 rapportent l’étonnant discours « à l’intonation guerrière » de Guillaume Pépy, l’emblématique patron du puissant monopole SNCF et de ses 260 000 salariés, devant ses troupes, désignant Google et BlaBlaCar comme ses plus dangereux concurrents…Simultanément le chirurgien et entrepreneur Laurent Alexandre5, diplômé d’HEC Paris, fondateur de Doctissimo et CEO de DNAVision, nous explique, comme le font d’autres scientifiques nord-américains de l’Université de Stanford, que « la génomique… la nano-médecine réparatrice, l’hybridation homme-machine… vont bouleverser notre rapport au monde » et rendent probable le doublement de l’espérance de vie au cours de ce siècle ! Pour lui comme pour ses homologues californiens, « l’idée que la mort n’est qu’un problème à résoudre va s’imposer ». Prophétique mais lucide, il conclut : « La question n’est plus de savoir si la bataille contre la mort sera victorieuse ou non, mais quels seront les dégâts collatéraux de cette victoire sur la définition même de notre humanité. »Retour à San Francisco en ce printemps 2015. Ou plus précisément à Palo Alto sur le campus de la NASA où s’est installée la désormais fameuse Singularity University. Ce curieux oxymore recouvre ce qui n’est pas vraiment une université mais plutôt un centre de formation

2 Cf. en particulier l’étude« The Future of Work », MIT Technology Review 2015.

3 The Future of Employment: How Susceptible Are Jobs to Computerisation, sept. 2013.

4 In Bienvenue dans le capitalisme 3.0, Albin Michel 2015.

5 In La mort de la mort, JC Lattès 2011.

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particulièrement haut de gamme, à 15 000 dollars au minimum la semaine, destiné aux plus grands entrepreneurs et dirigeants du monde entier. Fondé par Peter Diamandis, autre médecin entrepreneur visionnaire, et Ray Kurzweil, 67 ans, patron de la prospective de Google, qui ingurgite 150 vitamines par jour et pense qu’il pourra vivre 800 ans, Singularity University fait métier de réfléchir à ce meilleur des mondes que nous promettent les entrepreneurs californiens, et prêche cette nouvelle bonne parole. La « singularité » dont il est question ici est bien connue des amateurs de science-fiction et d’un de ses gourous, Vernor Vinge, au demeurant très sérieux professeur d’informatique à la San Diego University of California. La théorie de la « singularité technologique », dont il est un des pères fondateurs, émet l’hypothèse que l’évolution exponentielle de la technologie informatique atteindra bientôt un point au-delà duquel il ne nous sera plus possible de l’appréhender. Cette théorie est basée sur la fameuse loi de Moore (coinventeur du micro-processeur et cofondateur d’Intel) qui postule un doublement de la puissance de calcul des ordinateurs tous les 18 mois6. En extrapolant, il apparaît qu’en « 2035 au plus tard », l’homme aura créé une intelligence supérieure à la sienne, mettant ainsi fin à… l’ère humaine. « 2035 au plus tard » !...Ce matin-là une centaine d’étudiants du master Entrepreneurs d’HEC Paris, 25 ans d’âge moyen, tous surdiplômés et débordant d’énergie et d’enthousiasme, écoutent religieusement Pascal Finette, le patron du programme à destination des start-ups de « SU ». Tout y passe : travail « substitué » par la robotique, usine « ringardisée » par l’impression 3D, commerce et loisirs « virtualisés » par la réalité augmentée, homme « amélioré » par l’intelligence artificielle et la génomique, enfin, clou de l’exposé, cette fameuse « singularité »… Les sourires se figent progressivement et laissent la place à l’étonnement, puis à une forme de stupeur. Sobrement et avec un sens consommé de ses effets, Pascal Finette laisse la conclusion à une citation d’Albert Einstein, au sujet de la bombe atomique : « Si l’humanité veut survivre, cela va exiger une réelle nouvelle manière de penser. » L’auditoire est littéralement sonné, de l’enthousiasme on est passé aux interrogations, d’ailleurs les questions fusent, quelques réponses, et déjà Pascal Finette nous quitte, nous laissant à notre programme de visite de cette 3e édition de

6 Rappelons à cet égardla légende de Sissa, qui montre combien l’intelligence humaine peine à appréhender les croissances exponentielles : le roi Belkib (Indes) promit une récompense fabuleuse à qui lui proposerait une distraction qui le satisferait. Lorsque le sage Sissa, fils du Brahmine Dahir, lui présenta le jeu d’échecs, le souverain demanda à Sissa ce que celui-ci souhaitait en échange de ce cadeau extraordinaire. Sissa demanda au roi de déposer un grain de riz sur la première case, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite pour remplir l’échiquier en doublant la quantité de grain à chaque case. Le roi accorda immédiatement cette récompense sans se douter de ce qui allait suivre. Son conseiller lui expliqua qu’il venait de précipiter le royaume dans la ruine car les récoltes de l’année ne suffiraient pas à payer Sissa. En effet le total des grains de riz s’élève à 18 milliards de milliards de grains de riz soit mille fois la production annuelle mondiale 2015 !

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la Learning expedition SF 2015 qui termine le programme de l’année. Destination : Google à Mountain View, où les conférences que nous entendrons par différents responsables des laboratoires GoogleX ne vont pas vraiment faire retomber l’émotion !Disons-le sans détour : il y a deux ans encore un voyage dans la Silicon Valley était enthousiasmant par le monde d’opportunités qu’il faisait découvrir. En 2015 il est brusquement devenu anxiogène, même pour les plus jeunes et les mieux préparés. Philippe Escande et Sandrine Cassini partagent le même constat7 : « Quand nous avons commencé notre enquête fin 2013, nombre de nos interlocuteurs ne voulaient voir dans le numérique qu’une formidable opportunité de développement. Très vite le discours a changé… La panique saisit progressivement tous les acteurs économiques. » Les consultants d’Altedia confrontés dans leur pratique quotidienne aux interrogations des dirigeants et salariés le savent bien. Dans ses savoureuses et très documentées Lettres à mes parents sur le monde de demain, Dominique Nora8 dresse effectivement l’impressionnante liste des questions aujourd’hui sans réponse : « Dans ce monde où l’on pourra produire toujours plus de richesses avec de moins en moins de travail se posera de plus en plus crûment la question de la subsistance de la masse croissante des laissés-pour-compte. Inventera-t-on de nouveaux types d’emploi ? Développera-t-on le bénévolat ? Devra-t-on instituer une sorte de salaire minimum universel ? Notre représentation du travail en sera-t-elle bouleversée ? » Et nous ajoutons : que deviendront nos mécanismes de solidarités intergénérationnelles ? Que deviendra, singulièrement en Europe, la protection sociale tout entière ?Une fois ce paysage dressé, nous n’avons pas voulu avec ce livre faire le énième ouvrage sur ce sujet, dont on peut craindre qu’il soit en passe d’être aujourd’hui rebattu. Si le centre d’entrepreneuriat d’HEC Paris et le groupe Altedia LHH France se sont associés dans cette nouvelle aventure9, c’est pour essayer d’apporter à la fois un angle original, une méthode et un format qui tentent de l’être tout autant.D’abord sur la question posée : notre projet est d’apporter des pistes de solutions aux entrepreneurs et salariés de ce pays. Face au désarroi qui gagne les esprits, nous avons voulu reprendre

7 Op. cité, Albin Michel, 2015.

8 Grasset, 2015.

9 À la suite d’un premier ouvrage Bloch A. Lamothe I., L’éternité en héritage. Enquête sur les secrets de la résilience des organisations, Descartes & Cie, 2014.

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le sentier de l’action : que faire utilement, et à brève échéance, face au tsunami digital annoncé ?Sur la forme et la méthode ensuite. Nous avons voulu une forme originale et accessible, mêlant témoignages, interviews, photoreportages et chapitres plus classiques : nos lecteurs jugeront. S’agissant de la méthode, nous avons d’abord souhaité dans une première partie faire une sorte d’« état de l’art » avec ceux qui réfléchissent, fidèles à la recommandation d’Arendt « penser ce que nous faisons ». Une parole scientifique en premier lieu pour tenter de faire la part des fantasmes et des réalités en matière technologique : celle de Daniel Krob, professeur d’informatique à l’École Polytechnique et directeur scientifique du pôle de recherche SystemX. Celle d’une prospectiviste de renom ensuite, Fabienne Goux-Baudiment, formée à l’école de prospective du CNAM par Jacques Lesourne, et qui était jusqu’en 2009 la présidente de la WFSF (World Futures Studies Federation – Fédération Mondiale des Études Prospectives). Une première parole économique ensuite, avec Thomas Philippon, professeur à la New York University, pour tenter de comprendre si cette révolution industrielle est de la même nature que les précédentes, et en particulier si nous sommes toujours face à un cycle « schumpétérien » de « destruction créatrice ». Tout le monde voit bien en effet où est la « destruction » mais c’est la « création » qui en interroge plus d’un… Autre parole économique, celle de Pierre-Yves Gomez, professeur à EMLYON et auteur de Le travail invisible. Enquête sur une disparition, pour avoir son point de vue sur cette forme de métamorphose annoncée du travail, « invisible » aujourd’hui, « substitué » demain ? Paroles syndicales enfin, avec dans un face-à-face virtuel Geoffroy Roux de Bézieux, entrepreneur à succès et vice-président du Medef, et Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, accompagné par la secrétaire nationale au numérique Marylise Léon, qui ne sont finalement pas si éloignés sur cette question.Nous avons choisi ensuite d’interroger les acteurs de terrain du monde de l’entreprise, une quinzaine, entrepreneurs comme grands patrons, confrontés à ce tremblement de terre d’un

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nouveau genre : Frédéric Sanchez le patron du groupe Fives, qui fait métier de bâtir les usines du futur à travers le monde, et à qui le ministre de l’Économie a confié le plan Industrie du futur ; Bruno Mettling le DGA/DRH d’Orange, auteur du très médiatique rapport Transformation numérique et vie au travail que lui a confié le ministre du Travail ; Anne Leitzgen la dynamique patronne de Schmidt Groupe, qui continue à créer des emplois en Alsace malgré (ou grâce à ?) son usine 4.0 (d’ailleurs construite par Fives) ; Michel Combes le bouillant patron d’Alcatel-Lucent aux premières loges de la transformation numérique et qui sait mieux que quiconque ce que veut dire se battre pour la survie ; Véronique Weill DG des opérations du groupe Axa (lequel finance sur le campus d’HEC une chaire de recherche Stratégie digitale et Big Data, animée par Julien Lévy) qui conduit la mutation numérique de ce géant mondial des services, et Sylvie Joseph qui conduit celle de La Poste ; Patrick Bensabat le PDG de Business & Decision, un des acteurs français les plus en pointe sur le Big Data et l’intelligence artificielle ; Émery Jacquillat le PDG repreneur de la Camif qui a rajeuni brillamment cette vieille dame, et encore Marie-Françoise Damesin la DRH du groupe Renault et Pierre Deheunynck celui du Crédit Agricole. Avec le jeune entrepreneur Michael Schwartz cofondateur de La Cordée, espace innovant de coworking dans la région lyonnaise, nous avons voulu mieux cerner ces nouvelles formes de travail dont il est un des acteurs, comme avec Daniel Benoilid le cofondateur de Foule Factory ; à l’école 42, fondée par Xavier Niel, nous conduisons nos lecteurs aux portes de l’école du futur et enfin au Novotel Pont-de-Sèvres nous leur faisons découvrir le chariot connecté des femmes de chambre de demain !Ce n’est qu’au terme de ce voyage illustré au pays des « merveilles numériques » que dans une troisième et dernière partie les chercheurs du centre d’entrepreneuriat d’HEC et les consultants d’Altedia livrent avec nous leurs suggestions de pistes d’action, et que nous concluons, si tant est qu’il soit possible de conclure ! Travail de recherche enraciné donc, dans cet état des lieux à travers plus de vingt témoignages, qui n’a certes pas la prétention d’être exhaustif mais que nous pensons relativement complet. Travail pour se préparer de la façon la plus réaliste et concrète possible à ces lendemains très incertains, mais ô combien passionnants.

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LE TRAVAILÉCLAIRÉ

HOMONUMERICUSAU TRAVAIL

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« Dans le numérique, il n’y a plus de

main-d’œuvre, mais du

cerveau-d’œuvre. »

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ENTRETIEN AVEC Daniel KROB professeur de l’École Polytechnique,

président du Centre d’Excellence sur l’Architecture, le Management

et l’Économie des Systèmes (C.E.S.A.M.E.S.)

Fantasmes et réalités de la révolution digitale, accélération exponentielle des bouleversements, interrogations autour de leur régulation sociale, voies d’adaptations des organisations, perspectives de fin du salariat : Daniel Krob aborde tous ces sujets avec une vision systémique, à l’aune de la complexité des interfaces du nouveau paradigme numérique.

Nous constatons la convergence de plusieurs révolutions - Internet, la robotique, l’intelligence artificielle, la conception assistée par ordinateur – qui impactent la structure du monde du travail. Comment l’ingénierie des systèmes complexes peut-elle aider à mieux appréhender ces bouleversements ?

D.K. : Pour comprendre ces bouleversements, il faut se placer dans une perspective historique car l’informatique s’est construite par couches successives. La première couche a été le passage de travaux très théoriques datant des années 30 à leur projection technologique et à leur industrialisation : les fondements de l’informatique ont d’abord été posés avant la Seconde Guerre mondiale, par Church et Turing notamment. Puis ces théories se

sont « technologisées » après la guerre, avec l’automatisation du calcul et l’apparition des premiers ordinateurs : de gros monstres installés sur 4 ou 5 étages avec 200 personnes nécessaires pour les faire fonctionner. Ces ordinateurs étaient réservés aux laboratoires et il fallait être informaticien expert pour savoir s’en servir. Puis est venu le temps de la simplification et de la miniaturisation. Fini l’âge des ordinateurs dédiés aux spécialistes de la programmation. Les micro-ordinateurs adaptés au grand public ont été commer-cialisés, avec des usages très différents de ce qu’on attendait initialement. Mais pendant toute cette période, le paradigme théorique sous-jacent est cependant resté celui des tout débuts.

Puis le paradigme bascula avec la mise en réseau des ordinateurs…

D.K. : Dans les années 80 et surtout 90, l’informatique a complè-tement changé de nature avec l’apparition d’une dimension distribuée : connecter des machines a fait émerger des propriétés qui n’existaient pas avec une machine isolée. Le champ des possibles s’est étendu, il est également devenu plus compliqué. Un smart-phone, c’est un ordinateur « nomade » qui est connecté avec tous les autres ordinateurs fixes et nomades de la planète. En termes de bond d’évolution, il est donc au micro-ordinateur ce que le micro-ordinateur était au tout premier ordinateur ! Ce nouveau paradigme redimensionne la discipline. Les effets émergents sont par conséquent difficiles à imaginer. Ce qui est évident, c’est que

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les bouleversements seront potentiellement gigantesques, compte tenu de la puissance de calcul distribuée disponible.

Le Big Data fait-il partie de ces changements fondamentaux ?

D.K. : Le Big Data n’est pas un bouleversement, juste des méthodes pour traiter des masses de données plus importantes. Un Data Scientist est in fine ce qu’on appelait autrefois un analyste de données. Data Scientist est un nom qui fait plus chic mais c’est le même métier, avec des données certes plus nombreuses. Sur le fond, ce sont les mêmes techniques qui existent depuis 30 ou 40 ans, elles sont simplement re-marketées.J’insiste, le point clé est vraiment la mutation du modèle de l’ordinateur individuel – correspondant à une machine de Turing sur le plan théorique – à un modèle d’ordinateurs interconnectés et une informatique massivement nomade et distribuée.

Vous évoquiez des effets émergents difficiles à prédire. Comment s’y préparer dans ce cas ?

D.K. : Des comportements émergent car des frontières de complexité sont franchies. Dans le passé, il fallait plusieurs jours pour qu’une instruction de Napoléon soit transmise entre Paris et Varsovie. Au XXe siècle avant le smartphone, les Français n’étaient pas - ou peu - reliés avec les habitants d’autres pays. Avec cet outil, tout le monde est couplé à tout le monde. Il existe désormais un système d’interconnexion à l’échelle de la planète, ce qui n’a jamais existé

sur le plan historique. On a créé le système « hommes » ! C’est cela qui crée l’émergence : n’importe qui peut, de n’importe où, déclencher des actions à l’autre bout de la planète. Des activités économiques jusqu’ici inimaginables vont pouvoir se développer. Si l’émergence est imprédictible, elle peut néanmoins être pilotée… à condition d’avoir des gouvernants et des entrepreneurs avisés !

Qu’arrivera-t-il aux entrepreneurs les moins avisés ?

D.K. : Les dinosaures mourront. Et il faut être conscient que l’Europe est largement à la traîne. De nombreux pères fonda-teurs de l’informatique sont européens, mais nous avons été incapables de suivre et nous passons à côté de la guerre économique actuelle ! Notre modèle industriel traditionnel – fortement capitalistique avec un pilotage fort de l’État – est totalement inadapté au monde numérique. Dans ce nouveau monde, de petits acteurs peuvent avoir de bonnes idées et les mettre au point sans trop de capital initial. Ils font appel à des clients potentiels en s’appuyant sur les technologies numériques et font du test & learn. N’importe qui peut complè-tement casser des chaînes de valeur classiques, s’y glisser, les connecter à d’autres et capter la valeur. La désintermédiation va continuer à exploser ! De nouveaux services vont émerger dès que quelqu’un réalise qu’un secteur non optimal peut être rationalisé en intégrant l’activité à optimiser avec une autre offre. Certes, il faut être capable de projeter son idée sur le plan technologique, mais le raisonnement n’est pas compliqué.

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Les business models classiques qui ont créé des barrières à l’entrée ne sont pas durables car de nouveaux acteurs vont directement au contact du client. Au bout du compte, les meilleurs survivent, c’est darwinien !

La désintermédiation des taxis a énormément fait polémique avec Uber. Aujourd’hui, le secteur bancaire semble également très touché. Comment voyez-vous son avenir ?

D.K. : La banque est un secteur intéressant. Le client qui ouvre un compte est surtout un centre de coût : il doit être géré, il faut mobiliser plusieurs professionnels, la banque gagne au final peu d’argent sur le service de base. En revanche, elle établit ses bénéfices sur les cartes bancaires et les crédits... et, sur ce créneau, elle se voit attaquée. Des FinTech, ces start-ups spécialisées dans les techno-logies financières, imaginent des solutions qui vont sans doute remplacer à terme l’utilisation des cartes bancaires par le téléphone. PayPal se positionne par exemple déjà sur le même marché. Le jour où ces acteurs sauront capter la relation client de l’obtention de prêt, les banques souffriront énormément.

Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) tissent de nouveaux monopoles, qui cassent les monopoles tradi-tionnels. Vont-ils s’attaquer à tous les secteurs d’activité ?

LA FIN DU SALARIAT ?

Certains médiums de l’avenir numérique prédisent la fin du salariat. Quelles sont vos prédictions ?

D.K. : Georg Cantor, un mathématicien du début du XXe

siècle, a dit : « L’essence des mathématiques, c’est la

liberté. » On pourrait appliquer cette phrase à l’impact du

numérique sur l’organisation du monde du travail. L’essence

des technologies matérielles, c’est la non-liberté : la fabri-

cation d’objets physiques enchaîne l’homme à l’outil de

production. La société s’organise ensuite autour de l’outil

de production, elle définit des normes et des contrats de

travail qui mettent des gens dans des cases pour formaliser

le concept de main-d’œuvre. Dans le numérique, il n’y a plus

de main-d’œuvre, mais du cerveau-d’œuvre ! Vous n’êtes

plus enchaîné à une machine, vous pouvez créer, imaginer,

travailler de n’importe où et n’importe quand. D’un point de

vue systémique, il me semble qu’on se dirige vers un monde

non salarié, en phase avec le niveau de liberté des gens.

Les liens de subordination des salariés ne seront-ils pas plutôt remplacés par des liens de dépendance écono-mique vis-à-vis des donneurs d’ordre ? Donc très loin d’une liberté...

D.K. : Le lien de subordination deviendra sans doute un lien

d’interdépendance. La régulation se fera par les réseaux et

les interfaces. L’activité elle-même ne sera pas régulée, c’est

la manière dont on interagira avec les autres qui le sera. Les

individus sont capables d’exprimer leur mécontentement, de

réagir et se mobiliser. Preuve en est la puissance des infor-

mations et messages qui deviennent viraux. Il y aura des

contre-pouvoirs !

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D.K. : Ils constituent de grandes puissances économiques avec d’énormes capitalisations boursières, plus importantes qu’un Airbus ou d’autres géants de l’économie traditionnelle. Nous venons d’évoquer la banque, nous pourrions parler de la construction, de l’aéronautique, etc. Et que se passe-ra-t-il le jour où Google décidera de vraiment attaquer le marché automobile ? Aujourd’hui, une Google Car coûte 300 à 400 000 €, la production n’est pas encore industrialisée, mais la guerre commerciale s’annonce... À partir du moment

où on comprend que le numérique permet de tout connecter, personne n’est à l’abri. Une entreprise qui a réussi à conquérir un marché rigidifie ses mécanismes internes, elle n’arrive plus à se transformer. Quand quelqu’un de plus agile arrive, il peut tout remettre en cause. Dans l’histoire de l’évolution, les dinosaures sont morts et ce sont in fine les souris qui ont donné naissance à l’espèce dominante, les mammifères.

Ces « souris » sont incarnées par des entrepreneurs d’un nouveau type, plus agiles. En quoi sont-ils si différents des entrepreneurs traditionnels ?

D.K. : Les geeks entrepreneurs ont souvent peu ou pas de diplôme. Steve Jobs n’est par exemple jamais allé au bout de l’université de seconde zone – le Reed College – où il avait commencé ses études supérieures. Il a préféré créer son entre-prise. Je ne veux pas faire l’apologie de profils moins diplômés, mais on ne peut nier ce phénomène. Et notre système ne les valorise pas encore suffisamment ! Tout le système français traditionnel, sociétal, est hérité des XVIIe et XVIIIe siècles : il met en avant les gens formatés par ce modèle, mais pas du tout ces nouveaux profils.

Des tentatives de nouvelles formes éducatives se font jour, telles que l’école 42. Qu’en pensez-vous ?

D.K. : Qu’il faut développer des modèles d’auto-apprentissage,

RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET RESSOURCES

NATURELLES

Le XXIe siècle ne va pas seulement être bouleversé par la révolution numérique. N’oublions pas qu’il va l’être aussi par la révolution du vivant. À partir du moment où on est capable de comprendre les mécanismes profonds qui régissent le vivant, les potentialités économiques sont vraiment gigantesques. La limite du développement économique reste in fine l’épuisement des ressources naturelles. Les technologies traditionnelles sont limitées fortement par les ressources fossiles de notre planète qui par définition ne sont pas infinies. Mais il ne faut pas oublier que l’informatique utilise les propriétés physiques du silicium, donc du sable, et qu’elle est aussi basée sur l’exploitation d’une ressource naturelle ! L’homme construit des couches d’abs-traction au-dessus de la nature, mais si la nature n’est pas là au départ, sa démarche est impossible. La révolution numérique est donc limitée par le nombre de tonnes de sable sur la planète. Elle en recèle énormément mais ces ressources ne sont pas infinies. La maîtrise du vivant permettrait en revanche de transcender ces limites !

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