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7 milliards par an pour la réforme de la dépendance (journal Sud Ouest le 21 novembre) Annoncée par Nicolas Sarkozy, elle va déchaîner les lobbies sociaux et financiers. Un pari risqué en année électorale. Enjeux avec un sociologue Une des questions centrales, l'APA doit-elle échapper aux Départements et être placée sous la férule de la Sécurité sociale ? RECUEILLI PAR JEAN-PIERRE DEROUDILLE « Sud Ouest Dimanche ». Mardi dernier, Nicolas Sarkozy a annoncé la réforme du régime d'indemnisation de la dépendance avant la fin 2011. N'est-ce pas risqué en période préélectorale ? Jean-Philippe Viriot-Durandal. La réforme des retraites est apparue dans une large partie de l'opinion publique comme un mal

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7 milliards par an pour la réforme de la dépendance (journal Sud Ouest le 21 novembre)

Annoncée par Nicolas Sarkozy, elle va déchaîner les lobbies sociaux et financiers. Un pari risqué en année électorale. Enjeux avec un sociologue

Une des questions centrales, l'APA doit-elle échapper aux Départements et être placée sous la férule de la Sécurité sociale ? RECUEILLI PAR JEAN-PIERRE DEROUDILLE

« Sud Ouest Dimanche ». Mardi dernier, Nicolas Sarkozy a annoncé la réforme du régime d'indemnisation de la dépendance avant la fin 2011. N'est-ce pas risqué en période préélectorale ?

Jean-Philippe Viriot-Durandal. La réforme des retraites est apparue dans une large partie de l'opinion publique comme un mal

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nécessaire mais aussi comme une mesure inéquitable sur certains points.

L'enchaînement sur une réforme qui romprait avec le principe de solidarité, tel qu'il existe actuellement dans l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), représente potentiellement un risque politique, parce qu'il peut être compris comme une forme de libéralisation d'un risque qui avait été socialisé auparavant. L'empressement du président peut aussi être perçu par ses détracteurs comme la marque supplémentaire d'une approche « cosmétique » que certains stigmatisent, à tort ou à raison, sur la plupart des pans de l'action gouvernementale en matière sociale.

Mais en même temps, le président de la République prend rendez-vous pour 2012, en renforçant son image de réformateur sur les grands chantiers de la politique de la vieillesse, sur ses deux piliers principaux : la retraite et la dépendance. C'est sans précédent dans l'histoire des politiques sociales.

La dépendance est déjà indemnisée par ailleurs. Y avait-il urgence ?

Les Départements qui financent l'APA sont aujourd'hui face à des dépenses considérables qu'ils ne pourront continuer à assumer. Le nombre de personnes dépendantes doit en effet passer de 1 289 000 en 2011 à 1 936 283 en 2030. La pression sur les budgets sociaux des départements est considérable.

Paradoxalement, les Départements ont beaucoup lutté à travers leur association pour obtenir ou conserver la dépendance dans leurs champs de compétence, au détriment d'un cinquième risque pris en charge par la Sécurité sociale. Aujourd'hui, ils s'aperçoivent que la fiscalité ne leur permet plus de faire face. Une des questions centrales est de savoir si l'APA doit échapper aux Départements et être placé sous la férule de la Sécurité sociale et en quoi le nouveau dispositif garantira-t-il aux individus une égalité de

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traitement quelles que soient leur appartenance géographique et leur âge et ce à un niveau suffisant en fonction de la gravité de leurs pertes d'autonomie.

Comment les autres pays européens, qui ont la même structure démographique, ont-ils répondu à ces questions ?

Avant la France, c'est l'Allemagne qui a commencé à mettre en place un dispositif de type APA, suivie par le Luxembourg et bon nombre de pays européens, dont l'Espagne dernièrement. Mais Madrid, comme d'autres, peine à faire face à l'effet de cisaille entre la crise qui a raréfié les rentrées fiscales et l'augmentation des publics dépendants qui contribue à la hausse des dépenses.

D'où un sentiment contradictoire. Doit-on voir dans les réformes en matière de dépendance la marque d'un nouveau retrait de l'État, de l'individualisation et la mercantilisation des risques de l'existence, ou au contraire un nouvel espace d'intervention de l'État providence ?

En France, le rapport parlementaire Rosso-Debord a chiffré à 5 milliards par an, d'ici à 2025, la somme nécessaire du « reste à payer » par les bénéficiaires des maisons de retraite ou du maintien à domicile. Êtes-vous d'accord ?

La question du « reste à charge » est importante, parce que l'APA, telle qu'elle existe aujourd'hui, ne couvre pas l'ensemble des dépenses. D'après le think tank (NDLR : réservoir d'idées) Silverlife, le besoin complémentaire de financement pour compléter les prestations du régime de base évoluerait de 4 à 7 milliards d'euros par an entre 2011 et 2030 ans pour la dépendance totale.

L'enjeu actuel de la réforme porte sur la définition du socle minimum dessinant les contours d'intervention de l'État et de la couverture collective par rapport à ce qui est laissé aux individus, à leurs familles, aux mutuelles et au secteur assuranciel privé.

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Assurances privées, CSG, récupération sur les successions, Nicolas Sarkozy a évoqué plusieurs pistes pour la réforme. Ce seront autant de critiques possibles ?

Les leviers ne sont pas très nombreux et, en règle générale, les réformes les combinent pour éviter de tomber dans un schéma trop caricatural. L'évolution des prélèvements obligatoires sera défavorable aux retraités, notamment avec une augmentation de la CSG, pour ceux qui sont imposables de 6,6 % à 7,5 % et leur intégration dans la contribution solidarité autonomie.

Par ailleurs, l'allocataire devrait choisir entre une APA à taux plein récupérable sur l'héritage - si celui-ci dépasse 100 000 euros - et une allocation « diminuée de moitié mais sans reprise sur sa succession ».

Or, les Français sont particulièrement attachés à la transmission du patrimoine, quelles que soient leurs préférences politiques, ce qui n'est pas le cas de tous les pays en Europe et dans le monde. La société doit-elle considérer que l'autonomie n'est pas un luxe et la rendre accessible à tous, ou l'État n'a-t-il pour rôle que de permettre aux individus d'accéder à des services, s'ils le souhaitent. C'est un véritable choix de société dont les conséquences ne sont pas les mêmes sur les relations familiales.

La question des assurances privées risque-t-elle de déchaîner les lobbies et la société civile ?

La situation est intéressante à observer notamment entre les lobbies des banques et des assurances d'un côté, et de l'autre les syndicats, les associations défendant les intérêts sociaux et les familles, sachant que ces groupes de pression ne sont pas homogènes. Depuis cinq ans, des collectifs et des laboratoires d'idées se sont développés sur les problématiques de vieillissement, à l'instar de Terra Nova, mais aussi plus spécifiquement Silverlife, ou le collectif Une société pour tous les âges, qui rassemble des universitaires, des professionnels du

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secteur social, des journalistes et des retraités. Sur le plan syndical, d'ores et déjà six grandes fédérations syndicales de retraités ont appelé à manifester à Paris le 25 novembre.