spondylodiscite à pneumocoque : une localisation atypique

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MAI 2013 - N°452 // 87 Spondylodiscite à pneumocoque : une localisation atypique Karima Rissoul a,b, *, Lamiae Zouiten a , Amina Benouda a article reçu le 21 août 2012, accepté le 28 février 2013. © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. 1. Introduction Le pneumocoque est l’agent habituel des infections ORL (oto-rhino-laryngologie), broncho-pulmonaires et ménin- gées. La spondylodiscite à pneumocoque est une locali- sation rare mais c’est une infection grave surtout chez les sujets à risque. Les facteurs favorisants sont multiples et le traitement doit tenir compte de l’émergence de souche de pneumocoque à sensibilité diminuée à la pénicilline (PSDP) [1]. Nous discutons à travers cette observation les principales caractéristiques de cette infection qui reste mal connue et difficile à gérer. 2. Observation Il s’agit d’un homme de 50 ans, éthylique chronique depuis 26 ans, hospitalisé le 15 janvier 2012 pour des lombalgies avec fièvre. Trois semaines avant son hospitalisation, une lombalgie très invalidante était apparue brutalement. Un mois auparavant, le patient avait signalé un épisode non documenté de bronchite d’évolution spontanément favorable. À son admission, le patient est fébrile à 38,3°, la palpation de la colonne lombaire douloureuse avec une inflamma- tion en regard et une impotence fonctionnelle, sans déficit sensitivo-moteur ni sphinctérien. Le bilan biologique révèle une CRP modérément éle- vée (28,8 mg /l), un taux de globules blancs subnormal (10 100  leucocytes/mm 3 ), sans autre anomalie notable de l’hémogramme. L’étude des sérologies de l’hépatite B et C sont négatives ainsi que la sérologie HIV et l’anti- géniemie P24. Le scanner lombaire objective une spondylodiscite L3-L4 (voir figure 1). La radiographie de poumon à la recherche d’une image évocatrice d’un foyer infectieux est normale. Aucune hémoculture n’a été réalisée. Une ponction-biopsie scano-guidée recueille 1cc de pus envoyé au laboratoire pour étude bactériologique, et un prélèvement de fragment osseux fixé au formol est envoyé au laboratoire d’ana- a Laboratoire de microbiologie-virologie Hôpital universitaire et international Cheikh Zaid Rabat – Maroc b Faculté de médecine et de pharmacie Oujda – Maroc * Correspondance [email protected] CAS CLINIQUE tomie pathologique. L’examen anatomo-pathologique de la biopsie montre une spondylodiscite subaiguë non spécifique avec absence de mycobactéries tuberculeuses. L’examen bactériologique direct du pus après colora- tions de May-Grunwald-Giemsa et de Gram objective une réaction cellulaire modérée faite principalement de poly- nucléaires neutrophiles altérés et la présence de cocci à Gram positif en « flamme de bougie ». La culture sur gélose au sang incubée sous CO2 met en évidence la présence de petites colonies entourées d’une zone d’hémolyse ver- dâtre donnant une réaction d’agglutination positive avec le réactif Slidex pneumo-Kit (bioMérieux). La sensibilité du germe à l’optochine permet de conclure à l’identifi- cation d’un pneumocoque. Les CMI de la pénicilline G, de l’amoxicilline et de la levofloxacine, de la ceftriaxone et de l’érythromycine déterminées par E-test (Oxoid) sont respectivement de 0,008 mg/l, 0,016 mg/l, 0,75 mg/l, 0,064 mg/l et 0,064 mg/l. Le patient est traité par ampicilline 2 g toutes les 4 heures par voie intraveineuse directe pendant 2 semaines puis relais par l’amoxicilline par voie orale 6 g/j pendant 2 semaines. L’évolution est favorable avec apyrexie et nette diminution de l’inflammation et de la douleur. BACTÉRIOLOGIE Figure 1 – TDM du patient, montrant une spondylodiscite L3-L4.

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Page 1: Spondylodiscite à pneumocoque : une localisation atypique

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Revue FRancophone des LaboRatoiRes - Mai 2013 - n°452 // 87

Spondylodiscite à pneumocoque : une localisation atypiqueKarima Rissoula,b,*, Lamiae Zouitena, Amina Benoudaa

article reçu le 21 août 2012, accepté le 28 février 2013.© 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

1. Introduction

Le pneumocoque est l’agent habituel des infections ORL (oto-rhino-laryngologie), broncho-pulmonaires et ménin-gées. La spondylodiscite à pneumocoque est une locali-sation rare mais c’est une infection grave surtout chez les sujets à risque. Les facteurs favorisants sont multiples et le traitement doit tenir compte de l’émergence de souche de pneumocoque à sensibilité diminuée à la pénicilline (PSDP) [1]. Nous discutons à travers cette observation les principales caractéristiques de cette infection qui reste mal connue et difficile à gérer.

2. Observation

Il s’agit d’un homme de 50 ans, éthylique chronique depuis 26 ans, hospitalisé le 15 janvier 2012 pour des lombalgies avec fièvre. Trois semaines avant son hospitalisation, une lombalgie très invalidante était apparue brutalement. Un mois auparavant, le patient avait signalé un épisode non documenté de bronchite d’évolution spontanément favorable.À son admission, le patient est fébrile à 38,3°, la palpation de la colonne lombaire douloureuse avec une inflamma-tion en regard et une impotence fonctionnelle, sans déficit sensitivo-moteur ni sphinctérien.Le bilan biologique révèle une CRP modérément éle-vée (28,8 mg /l), un taux de globules blancs subnormal (10 100  leucocytes/mm3), sans autre anomalie notable de l’hémogramme. L’étude des sérologies de l’hépatite B et C sont négatives ainsi que la sérologie HIV et l’anti-géniemie P24.Le scanner lombaire objective une spondylodiscite L3-L4 (voir figure 1). La radiographie de poumon à la recherche d’une image évocatrice d’un foyer infectieux est normale. Aucune hémoculture n’a été réalisée. Une ponction-biopsie scano-guidée recueille 1cc de pus envoyé au laboratoire pour étude bactériologique, et un prélèvement de fragment osseux fixé au formol est envoyé au laboratoire d’ana-

a Laboratoire de microbiologie-virologieHôpital universitaire et international Cheikh ZaidRabat – Maroc b Faculté de médecine et de pharmacieOujda – Maroc

* [email protected]

CasclInIque

tomie pathologique. L’examen anatomo-pathologique de la biopsie montre une spondylodiscite subaiguë non spécifique avec absence de mycobactéries tuberculeuses. L’examen bactériologique direct du pus après colora-tions de May-Grunwald-Giemsa et de Gram objective une réaction cellulaire modérée faite principalement de poly-nucléaires neutrophiles altérés et la présence de cocci à Gram positif en « flamme de bougie ». La culture sur gélose au sang incubée sous CO2 met en évidence la présence de petites colonies entourées d’une zone d’hémolyse ver-dâtre donnant une réaction d’agglutination positive avec le réactif Slidex pneumo-Kit (bioMérieux). La sensibilité du germe à l’optochine permet de conclure à l’identifi-cation d’un pneumocoque. Les CMI de la pénicilline G, de l’amoxicilline et de la levofloxacine, de la ceftriaxone et de l’érythromycine déterminées par E-test (Oxoid) sont respectivement de 0,008 mg/l, 0,016 mg/l, 0,75 mg/l, 0,064 mg/l et 0,064 mg/l.Le patient est traité par ampicilline 2 g toutes les 4 heures par voie intraveineuse directe pendant 2 semaines puis relais par l’amoxicilline par voie orale 6 g/j pendant 2 semaines. L’évolution est favorable avec apyrexie et nette diminution de l’inflammation et de la douleur.

bactériologie

Figure 1 – TDM du patient, montrant une spondylodiscite l3-l4.

 

 

Figure  1  :  TDM  du  patient,  montrant  une    une  spondylodiscite  L3-­‐L4  .  

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3. Discussion

Le pneumocoque est une cause majeure d’infections broncho-pulmonaires, ORL et méningées. Il est rare-ment incriminé dans les atteintes ostéo-articulaires [1, 2] et les séries les plus récentes ont révélé des taux de 3-5 % [3]. L’articulation le plus souvent touchée est le genou, suivie par l’épaule, le coude puis viennent les atteintes articulaires multiples [1, 4, 5]. La localisation vertébrale avec ou sans abcès épidural reste très rare. En effet, quelques cas seulement ont été rapportés dans la littérature [1, 10].Les infections ostéo-articulaires à pneumocoque ont la particularité de survenir dans moins de 20 % des cas chez les adultes sains. Habituellement, un ou plusieurs facteurs favorisants sont retrouvés comme l’immunodé-pression, l’asplénisme, la corticothérapie ou l’éthyslisme [10]. C’est le cas de notre patient qui était immunocom-pétent mais avait une notion d’alcoolisme chronique. Le mécanisme de l’éthylisme en tant que facteur favorisant reste encore mal élucidé. Certaines hypothèses ont été avancées tel que le défaut de production de cytokines et d’adhérence des polynucléaires neutrophiles aux bactéries [6]. Récemment des études ont montré le rôle de cytokines dans la protection contre les infections à pneumocoque. Currie et al. ont décrit l’observation d’un enfant de trois ans, souffrant d’infections récidivantes à pneumocoque, chez qui l’étude des monocytes a permis de détecter un défaut de production de cytokines dans la voie des TLR (toll-like receptor) [8].La contamination se fait essentiellement par voie hémato-gène, d’où la nécessité de rechercher un foyer infectieux primitif (endocardite, sinusite), quoique ce dernier n’ait été objectivé que dans 40 % à 60 % des cas [9]. Chez notre patient, le foyer infectieux primitif n’a pas pu être mis en évidence, la radio pulmonaire étant revenue normale et les hémocultures n’ayant pas été réalisées.

L’émergence des souches de PSDP doit être prise en compte. La recherche de ces souches s’impose pour tous les laboratoires de microbiologie. Elle se fait sur un antibiogramme classique par méthode de diffusion en utilisant un disque d’oxacilline. Si le diamètre autour du disque d’oxacilline est inférieur à 21 mm, la souche est interprétée comme PSDP, et dans ce cas, il est néces-saire de déterminer la CMI de la béta-lactamine qui sera utilisée pour le traitement. Dans notre cas, la souche a été sensible à la pénicilline G et aux autres béta-lactamines testées (amoxicilline, ceftriaxone).Les nouvelles fluoroquinolones à spectre élargi sur le pneumo-coque (lévofloxacine, moxifloxacine) utilisées en alternative à la pénicilline dans le traitement des infections pulmonaires [10] pourraient être proposées. La résistance à ces molécules reste très faible, de 0,4 % en Afrique du Nord [7]. En effet ces molécules possèdent une bonne efficacité sur le pneumocoque indépendamment de sa sensibilité aux bêta-lactamines, et une excellente diffusion osseuse et articulaire.

4. conclusion

Même si le pneumocoque reste très rarement responsable d’infection ostéo-articulaire, il ne doit pas être écarté surtout en cas de présence de facteurs de risque. La recherche de ces facteurs doit être systématique devant toute infection ostéo-articulaire à pneumocoque. Une antibio-prophylaxie ou une vaccination anti-pneumocoque peut même être proposée chez les patients à haut risque.L’émergence des souches PSDP est à prendre en compte La détermination de la CMI pour les béta-lactamines est indispensable pour le choix de la molécule adéquate pour le traitement. Une plus grande place pourrait ainsi être laissée aux nouvelles fluoroquinolones.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références[1] Ispahani P, Weston VC, Turner DPJ, et al. Septic arthritis due to Streptococcus pneumoniae in Nottingham, United Kingtom, 1985-1998. Clin Infect Dis 1999;29:1450-4. [2] Dubost JJ, Soubrier M, De Champs C, et al. Streptococcal septic arthritis in adults: A study of 55 cases with a literature review. Joint Bone Spine 2004;71:303-11. [3] Goldenberg DL, Reed JI. Bacterial arthritis. N Engl J Med 1985;312:764-71. [4] Torres J, Rathbun HK, Greenough WB. Pneumococcal arthritis: report of a case and review of the literature. Johns Hopkins Med J 1973;132:234-41. [5] Kauffman CA, Watanakunakorn C, Phair JP. Pneumococcal arthritis. J Rheumatol 1976;3:409-19.

[6] Mac Gregor RR, Louria DB. Alcohol and infection. Curr Clin Top Infect Dis 1997;17:291-315.

[7] Benouda A, Benredjeb S, Hammani A, et al. Antimicrobial resis-tance of respiratory pathogens in North African countries. J Chemother 2009;21(6):627-32.

[8] Currie A, Davidson D, Reid G, et al. Primary immunodeficiency to pneumococcal infection due to a defect in toll-like receptor signaling. J Pediatr 2004;144:512-8.

[9] Turner D, Weston VC, Ispahani P. Streptococcus pneumoniae spinal infection in Nottingham, United Kingdom: not a rare event. Clin Infect Dis 1999; 28:873–81.

[10] Forestier E, Sordet C, Cohen-Solal J, et al. Infections ostéo-articu-laires à Streptococcus pneumoniae chez l’adulte immunocompétent : à propos de deux observations. Rev Rhum 2006;73:513-6.